Vous êtes sur la page 1sur 12

LA CRISE ÉCONOMIQUE : UNE OPPORTUNITÉ POUR RÉFORMER LA

FISCALITÉ ?

Pauline Gandré, Camille Sutter

Réseau Canopé | « Idées économiques et sociales »

2010/2 N° 160 | pages 25 à 35


ISSN 2257-5111
ISBN 9771636569001
DOI 10.3917/idee.160.0025
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2010-2-page-25.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Réseau Canopé.


© Réseau Canopé. Tous droits réservés pour tous pays.
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Les Journées de l’économie I DOSSIER

La crise économique :
une opportunité pour
réformer la fiscalité ?
Est-ce le bon moment pour réformer le système fiscal français ? C’est l’épineuse question
débattue par les intervenants de la conférence des Journées de l’économie. Si les avis
divergent, un accord prévaut néanmoins sur la nécessité de refonder l’architecture
des prélèvements obligatoires. Renflouer les comptes de l’État tout en favorisant une
croissance équitable et durable dans un contexte de sortie de crise est alors l’arbitrage
décisif à intégrer dans la réflexion politique.

Les enjeux d’une réforme de la inefficace et désincitative pour les facteurs travail et
fiscalité dans le contexte de crise capital comme le montre par exemple le rapport
Croissance équitable et concurrence fiscale [1]1. Dans Pauline Gandré et
La crise économique mondiale de 2008-2009 a
Camille Sutter, élèves
entraîné un déficit d’activité de 6 à 10 % par rapport ce contexte, la question de savoir si la crise écono- de l’ENS de Lyon (69).
à la tendance d’avant crise dans les pays de l’OCDE. mique est une opportunité pour réformer la fisca- Synthèse élaborée à
partir de la conférence
Cela a eu pour conséquence un creusement considé- lité en France s’avère importante pour déterminer « La crise économique :
rable des déficits publics. Ainsi, les États-Unis et le quelles politiques mettre en œuvre à l’heure de la une opportunité pour
réformer la fiscalité ? »
Royaume-Uni devront faire face à un déficit proche sortie de crise. La conférence qui réunissait Jacques qui s’est déroulée le
de 12 % de leur PIB en 2010 contre 8 % en France Le Cacheux, Dominique Bureau, Aurélie Filippetti, 13 novembre 2009 à
Lyon, lors des Journées
et 5 % en Allemagne. Les politiques de relance mises Philippe Bruneau et Marion Navarro2 le 13 novembre de l’économie.
en œuvre ont joué leur rôle mais la croissance prévue 2009 dans les salons de l’hôtel de ville de Lyon a été
pour 2010 reste inférieure à la croissance potentielle. l’occasion d’aborder quelques pistes de réflexion.
Un arbitrage entre relance à court terme et soute- Jacques Le Cacheux a ainsi indiqué, en introduc-
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


nabilité de la dette publique à long terme doit donc tion à la conférence, que les crises économique, finan-
être réalisé, alors même que la crise, en entraînant cière et énergétique imposent de maintenir un niveau
une hausse du chômage et de la pauvreté, a rendu de recettes fiscales suffisant, alors même que déficit
1. Les chiffres entre crochets
d’autant plus nécessaires les dépenses de protection et dette se creusent pour des raisons à la fois conjonc- renvoient à la bibliographie en
sociale. L’instrument fiscal apparaît alors crucial en turelles et structurelles. Cela implique de repenser fin d’article.

ce qu’il est le seul pour lequel les États disposent la structure de la fiscalité. Selon lui, une réforme 2. Jacques Le Cacheux est
professeur d’économie et
encore d’une relative autonomie, particulièrement globale, conciliant une visée d’efficacité et une visée directeur du département des
en Europe. En effet, le Pacte de stabilité et de crois- d’équité souvent contradictoires, est indispensable ; études de l’OFCE. Dominique
Bureau est délégué général
sance de 1997 contraint la politique budgétaire en trop de modifications dispersées du système fiscal du Conseil économique pour
imposant que le déficit public annuel ne dépasse pas français ont été mises en œuvre dans les dernières le développement durable.
Aurélie Filippetti est députée
3 % du PIB et que la dette n’excède pas 60 % de celui- décennies sans cohérence d’ensemble. Si la fiscalité socialiste de la Moselle.
Philippe Bruneau est président
ci, tandis que la politique monétaire est du ressort peut alors être pensée comme un élément impor- du Cercle des fiscalistes et
de la Banque centrale européenne depuis 1998. En tant à prendre en compte dans le contexte de la crise Marion Navarro est doctorante
en économie au GREQAM.
parallèle, des économistes réclament depuis le début économique, c’est parce qu’elle doit remplir quatre
des années 2000 une réforme des systèmes fiscaux en objectifs comme le rappelle Jean-Marie Monnier3. 3. Monnier J.-M., « La
politique fiscale : objectifs et
Europe, notamment en France où l’architecture des Le premier est le financement des dépenses publiques. contraintes », Les Cahiers
prélèvements obligatoires est jugée particulièrement Le deuxième objectif est celui de la redistribution. Or, français, 2008.

juin 2010 I n° 160 I idées 25


dossier I Les Journées de l’économie

Graphique 1. comptées dans les statistiques du chômage au sens


Évolution des inégalités en France du BIT). Simultanément, l’OCDE6 estime à 11 %
le taux de chômage français en 2010 et pointe un
Évolution de l’indice de l’inégalité de Gini de la distribution des salaires et assimilés (1997-2005)
risque important, celui de l’instauration durable du
chômage. Cette évolution du chômage suppose une
protection sociale accrue, ce qui pose le problème de
la nécessité d’augmenter les ressources des adminis-
trations de sécurité sociale tout en supportant la dimi-
nution de la base imposable.
En second lieu, les inégalités entre salariés ont
augmenté en France ces dernières années. En
témoigne l’évolution de l’indice de Gini (graphique 1).
La France rattrape ainsi un mouvement plus géné-
ralement observé dans d’autres pays de l’OCDE, à
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
l’instar des États-Unis. Ce constat n’est pas partagé
Source : Camille Landais, « Les hauts revenus en France (1998-2006) : une explosion par tous les économistes, le rapport Croissance et
des inégalités ? », École d’économie de Paris, 2007.
inégalités de l’OCDE, paru en 2008, rappelle que le
la réduction des inégalités grâce à l’instrument fiscal coefficient de Gini pour la France est inférieur à la
est essentielle pour éviter de réitérer les erreurs qui moyenne des pays de l’OCDE, et que les inégalités de
ont conduit à la crise comme l’ont montré Marion revenu ont décru sur la période. C’est cependant sur
Navarro et Philippe Bruneau. Le troisième objectif la première hypothèse que Marion Navarro a appuyé
consiste à réguler l’activité économique et à la stabi- son ­raisonnement.
liser. Enfin, le dernier objectif de la fiscalité est de La corrélation entre crise économique et inégalités
modifier les comportements des agents économiques de revenu est double.
au moyen des incitations fiscales. La fiscalité écolo- D’une part, l’impact de la crise économique sur
gique, présentée par Dominique Bureau et Aurélie ces inégalités est difficile à déterminer. Les données ne
Filippetti, est ainsi un moyen d’inciter les compor- sont disponibles qu’avec quelques années de retard.
tements vertueux sur le plan environnemental. Ces Les premières estimations du poids de la crise écono-
quatre dimensions doivent donc être articulées pour mique sur les revenus, sur données américaines7,
proposer une réforme globale du système français permettent un constat nuancé : si les inégalités de
dans un contexte de récession persistante4. revenus vont probablement augmenter, la particu-
larité de la crise est la réduction des inégalités de
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


4. Nous avons fait le choix
de nous concentrer sur La crise économique, une opportunité consommation. L’accroissement des inégalités pose
les aspects abordés dans
la conférence : voir la pour améliorer la redistributivité du plusieurs problèmes. C’est tout d’abord une ques-
bibliographie complémentaire
sur d’autres dimensions des
système fiscal tion de bien-être global de la population. Exclure
réformes du système fiscal. durablement une frange massive de la population de
5. Indicateurs de conjoncture, Crise économique et inégalités sociales l’augmentation du niveau de vie ne peut tenir dans un
Insee. Le poids de la crise économique sur le revenu des cadre de croissance équitable et durable8. De plus, ces
6. OECD Employment Outlook ménages justifie de prime abord qu’on s’intéresse au inégalités rendent plus aiguë la question de la légiti-
2009.
système fiscal. Ce revenu global dépend notamment mité du système fiscal.
7. Heathcote J., Perri F.,
Violante G., Inequality in Times du taux de chômage et des salaires. Deux lignes de D’autre part, les travaux de Gaffard et ­Saraceno [2]
of Crisis: Lessons From the fracture, déjà à l’œuvre avant la crise, risquent ainsi de cités par Marion Navarro précisent le rôle des inéga-
Past and a First Look at the
Current Recession, 2010 s’amplifier : il s’agit des inégalités entre travailleurs et lités dans la crise économique. Selon les auteurs,
disponible à l’adresse : voxeu.
org/index.php?q=node/4548
chômeurs d’une part, entre salariés d’autre part. l’accroissement de ces inégalités est passé inaperçu
En premier lieu, le taux de chômage risque d’aug- en raison de l’imposition de l’idée de Nouvelle
8. Voir à cet égard le Rapport menter considérablement. L’Insee évalue à 10 % le économie : la rentabilité élevée des capitaux a
de la Commission sur la
mesure des performances taux de chômage au quatrième semestre 20095, et semblé refléter l’augmentation de la productivité.
économiques et du progrès à 3,4 millions le nombre de personnes ne travaillant Par conséquent, les inégalités croissantes de revenu
social, Sen, Stiglitz, Fitoussi,
septembre 2009. pas mais souhaitant travailler (qu’elles soient ou non ont été perçues comme une suite logique du progrès

26 idées I n° 160 I juin 2010


Les Journées de l’économie I DOSSIER

technique. La faiblesse de la demande agrégée a été Une réforme de la fiscalité passe


masquée par deux mécanismes : l’endettement crois- par l’amélioration des outils redistributifs
sant des ménages et l’importation de produits à bas
prix, solutions de court terme qui ont un effet de La redistributivité de l’impôt sur le revenu
dépression structurelle de la consommation. Pour les des personnes physiques
auteurs, la perte sociale associée à ce mécanisme est Les économistes plaident en majorité pour un
très élevée, premièrement parce que l’effet dépressif renforcement de l’impôt sur le revenu accom-
est très important, deuxièmement parce que les pagné d’une meilleure redistributivité. L’impôt sur
distorsions de revenus générées n’ont pas profité le revenu doit avoir un poids plus important dans
à une classe d’innovateurs, relevant plutôt d’une le système fiscal – au détriment de prélèvements
modification du pouvoir de négociation des acteurs proportionnels. Marion Navarro évoque quelques
économiques. Ainsi, ces inégalités sont défavorables pistes, dans le cadre d’une refonte globale du système,
à la croissance, l’effet positif en faveur de l’investisse- vers davantage de redistributivité. Elle évoque ainsi
ment étant largement inférieur à l’effet négatif de la la réforme de la fiscalité locale10. D’autre part, une 9. Les revenus primaires
proviennent de l’activité
modération salariale. fusion de l’impôt sur le revenu avec la CSG est économique des ménages,
Une action politique en faveur d’une réduction des une piste retenue. Cette idée ne fait cependant pas directement (revenu d’activité)
ou indirectement (revenu
inégalités apparaît alors nécessaire. L’outil fiscal est consensus chez les économistes. D’abord, certains, de placement). Ce sont les
un instrument essentiel de ces politiques, il permet à l’instar de Gilbert Cette11, en discutent la perti- revenus avant redistribution.

en effet de corriger les inégalités par une taxation nence. Ensuite, même en en acceptant le principe,
10. Voir l’encadré
progressive des revenus et une redistribution des les économistes sont divisés sur ses modalités : est-ce « Deux questions à
Jacques Le Cacheux » p. 28.
recettes vers les ménages les plus pauvres. L’accrois- l’impôt ou la taxe qui doit disparaître, et comment ?
sement des inégalités montre que cet outil a jusqu’ici Rappelons que le diagnostic de faible redistributivité 11. Cette G., « Faut-il
fusionner la CSG et l’impôt sur
mal joué son rôle. Marion Navarro souligne dans son du système n’est pas inhérent à la crise économique, le revenu ? » Regards croisés
sur l’économie, 2007.
intervention la nécessité de réformer le système fiscal les propositions des économistes concernant l’ar-
pour en accroître la redistributivité : la problématique chitecture des prélèvements obligatoires en France 12. Par exemple lors
est plus ancienne que la crise dans la littérature écono- sont parfois plus anciennes. Ainsi, Emmanuel Saez12 d’une conférence à l’École
d’économie de Paris
mique, mais la crise apparaît comme une opportunité, propose un système à trois composantes, qui rempla- le 15 décembre 2009,
et surtout une nécessité, pour réformer la fiscalité. cerait impôt sur le revenu, cotisation sociale géné- disponible en ligne : www.
parisschoolofeconomics.
ralisée, prime pour l’emploi, revenu de solidarité eu/spip.php?article820.

Une redistributivité limitée augmente


les inégalités
Une redistribution limitée au niveau des revenus Une baisse globale des taux d’imposition
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


primaires9 accroît mécaniquement les inégalités. En des revenus les plus élevés
effet, la redistribution a pour fonction de lisser les 1993 : abaissement de l’impôt sur les sociétés (à 33,3 % contre 50 % auparavant)
inégalités, en favorisant les ménages les plus pauvres. 2006 : passage de sept à cinq tranches d’imposition sur le revenu (taux
Freiner ce processus revient donc à privilégier les marginal de 40 % pour la dernière tranche contre 48,09 % avant la réforme,
ménages riches. Par ailleurs, limiter la redistribution 56,8 % en 1995 et 65 % en 1986)
augmente la capacité d’épargne des ménages les plus 2007 : loi Tepa (en faveur du Travail, de l’Emploi et du Pouvoir d’Achat) :
riches, et donc l’investissement. Ainsi, ces ménages – adoption du bouclier fiscal à 50 % en 2008 (limitation du montant des
peuvent accumuler du patrimoine, ce qui accroît leur prélèvements directs à 50 % du revenu du ménage)
revenu primaire (par le canal des revenus de place- – allégement des droits de succession (restriction de l’assiette, en terme civil
ments) et donc creuse encore plus les inégalités. et économique)
Or, en France, les indicateurs de redistributivité 2008 : adoption de mesures fiscales favorables aux revenus du capital (possi-
de l’impôt sont à la baisse. On observe des impôts bilité d’un prélèvement libératoire de 18 % sur les dividendes, plus-values
quasi proportionnels, loin de l’impôt progressif taxées elles aussi au taux libératoire de 18 %). L’impôt sur le revenu pèse
qui est l’outil de la redistribution. Marion Navarro donc presque entièrement sur les revenus du travail, la taxation des revenus
rappelle différentes mesures politiques en faveur de du capital se faisant sous un régime proportionnel.
l’allégement de l’imposition des plus riches (voir
encadré ci-contre).

juin 2010 I n° 160 I idées 27


dossier I Les Journées de l’économie
DOSSIER

Deux questions à Jacques le Cacheux*


Quelles doivent être les orientations principales d’une réforme de la fiscalité en France dans le contexte de crise ?
Il convient tout d’abord d’améliorer le rendement du système fiscal, ce qui peut être obtenu en élargissant les assiettes ou en augmen-
tant les taux de prélèvement. Cela passe notamment par une refonte de l’impôt sur le revenu des ménages, élargissant l’assiette en
soumettant toutes les niches fiscales à une sérieuse analyse coût-bénéfice, en instituant un impôt minimum et en ajoutant une nouvelle
tranche supérieure au barème, tout en réformant, voire en abolissant le bouclier fiscal. Idéalement, cette refonte devrait être opérée
en fusionnant l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée, pour donner à cet ensemble une cohérence et une équité
verticale qui n’existent pas dans le système actuel. L’imposition des placements et celle des entreprises devraient également être
réformées, afin d’en élargir les assiettes. On pourrait en outre souhaiter accroître un peu les impôts sur la consommation, en révisant
les taux et les assiettes de la TVA. Enfin, il est impératif d’amorcer la mise en place d’une fiscalité environnementale efficace, dont
une taxe carbone d’un montant suffisant et clairement croissant, afin d’orienter les choix des agents économiques vers des choix
d’équipements à basse intensité carbone.
Quels sont les enjeux de la fiscalité locale dans le contexte de crise et après la réforme de la taxe professionnelle** ?
La suppression de la taxe professionnelle, remplacée par un prélèvement foncier et une cotisation sur la valeur ajoutée, a été motivée
par des considérations d’attractivité fiscale et le souhait d’alléger les prélèvements sur les investissements productifs des entreprises. Ses
effets bénéfiques ne sont pas assurés, et ses conséquences pour l’autonomie fiscale des collectivités seront durablement négatives. L’un
des enjeux négligés est celui de l’accueil par les collectivités d’équipements générateurs de nuisances, tels que les centrales nucléaires
ou les incinérateurs, que la taxe professionnelle facilitait et que le nouveau dispositif n’encourage plus. En outre, l’enjeu principal
de long terme est celui du financement de dépenses publiques locales dont le dynamisme est considérable, notamment en raison des
compétences transférées ces dernières années par l’État, avec une fiscalité locale qui reposera désormais davantage sur les ménages.

* Pour voir l’intégralité des réponses : 3 questions à Jacques Le Cacheux, bibliothèque virtuelle des Journées de l’économie.
** La taxe professionnelle a été supprimée le 1er janvier 2010.

active et allocations familiales et logements. Ce et prévisions de Pôle emploi estime le nombre de


système serait constitué d’un impôt progressif sur chômeurs en fin de droits en France à un million en
le revenu avec une base élargie sur l’ensemble des 2010, soit une augmentation d’un quart en un an13.
revenus du capital, l’élimination des niches fiscales, Cependant, d’après l’OCDE14, la France a réussi
13. Le Monde de l’économie,
19 janvier 2010. une imposition individuelle et pas de quotient fami- mieux que d’autres pays à prévenir les risques de
lial. Cet impôt serait complété par une allocation pauvreté, la part de pauvres dans la population en
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


14. OCDE Employment
Outlook 2009, universelle par enfant, indépendante du revenu et âge de travailler étant de 6,7 %, soit 2,3 points de
www.oecd.org/
dataoecd/61/52/43707170.pdf. de la situation familiale et une allocation sous condi- moins que la moyenne. La crise prolongée pourrait
tion de ressources avec un taux marginal modeste néanmoins remettre en cause la pérennité du modèle
sur les revenus du travail. Marion Navarro souligne social français, ce qui accentue l’importance d’une
que la réforme de la redistributivité du système doit réflexion sur l’utilisation des ressources.
s’inclure dans une réflexion globale sur la fiscalité :
meilleur ciblage des aides, suppression de régimes Les niches fiscales
fiscaux spéciaux, simplification de l’administration Ce qui fait consensus est la suppression des
des prélèvements obligatoires. niches fiscales. Celles-ci sont en effet inefficaces, car
elles favorisent la captation de rentes par les agents
Vers un meilleur ciblage des aides ? économiques sans qu’il y ait accroissement de la
Marion Navarro rappelle que la faiblesse de la richesse, et accentuent l’impression de mitage de
redistributivité en France est aussi liée à un ciblage l’impôt. Aurélie Filipetti mentionne le problème, et
défaillant des prestations publiques. Or, en parti- rappelle l’existence de 450 niches fiscales en France.
culier en période de crise économique, certaines Marion Navarro donne, quant à elle, l’exemple de
franges de la population nécessitent davantage d’at- la réduction de la TVA sur la restauration de 19,6 %
tention. Ainsi, la Direction des statistiques, enquêtes à 5,5 %. L’impact économique de cette réforme

28 idées I n° 160 I juin 2010


Les Journées de l’économie I DOSSIER

est en effet controversé, ce que subodorait l’article ainsi être un moyen d’orienter la sortie de crise vers
de Clément Carbonnier (2007)15. En raisonnant une croissance plus équitable, mais aussi une crois- 15. Carbonnier C.,
« À qui profiterait une
en équilibre partiel puis général, l’auteur montre sance durable. C’est pourquoi la réforme globale baisse de la TVA dans la
restauration ? », Regards
qu’une baisse de la TVA sur la restauration aurait doit s’inscrire dans une perspective de long terme, croisés sur l’économie, 2007.
pour effet un accroissement de la demande qui géné- nécessitant d’intégrer la fiscalité environnementale à
rerait une demande de travail accrue (embauche de la réflexion.
12 000 salariés). Cependant, le coût estimé de cette
mesure est de 20 000 euros par mois et par emploi « Verdir » la fiscalité : une urgence
en manque à gagner de l’État, ce qui met en question Si les exhortations à mettre en place une fiscalité
son ­efficacité. environnementale en France sont antérieures à la
crise, les questions que celle-ci pose en termes de
Transparence du système fiscal réforme globale de la fiscalité sont l’occasion de réaf-
La simplification du système est ainsi le fil direc- firmer la nécessité d’utiliser l’outil fiscal pour inciter
teur de toutes les propositions d’amélioration de la les agents économiques à avoir des comportements
redistributivité, mais ce principe doit s’appliquer plus plus vertueux écologiquement parlant. Dominique

“  Notre système fiscal est devenu au fil du


temps une superposition de réformes sans
cohérence d’ensemble

largement à l’ensemble du système. Philippe Bruneau Bureau et Aurélie Filippetti ont ainsi montré dans
utilise ce filtre pour proposer un certain nombre de leurs interventions respectives l’importance de saisir
réformes sur la taxation des revenus et du capital des l’opportunité d’une réflexion sur une réforme globale
ménages : impôt sur le revenu, impôt sur la fortune du système pour mettre en avant l’utilité d’une fisca-
et droits de succession sont passés au crible. Philippe lité dont l’objectif environnemental surpasserait les
Bruneau souligne ainsi que ces trois prélèvements autres. La taxe carbone apparaît ainsi être un sujet
sont complexes, « à telle enseigne que notre système important d’actualité, autant qu’un cas d’étude inté-
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


fiscal est devenu au fil du temps une superposition ressant de l’instauration d’un nouvel impôt.
de réformes sans cohérence d’ensemble ». Ainsi, il La prise de conscience par l’opinion publique de la
faut, selon lui, supprimer et le bouclier fiscal et l’ISF : nécessité de mettre en œuvre des politiques environ-
« Mal conçu, symbolique, inéquitable, parfois confis- nementales s’est progressivement développée depuis
catoire, peu rentable, il est une spécificité française une trentaine d’années alors même que les experts
entre les mains des politiques. » Philippe Bruneau scientifiques ne cessent de clamer l’urgence d’une
propose d’autre part de réformer les droits de succes- modification des comportements. ­Dominique Bureau
sion « d’une efficacité faible, surtout depuis la loiTepa souligne que la sortie de crise et le retour de la crois-
qui exonère d’impôt 95 % des successions, ils ne sont sance vont relancer le processus d’extraction intensif
équitables ni en matière civile, où l’égalité prime sur des ressources naturelles épuisables et entraîner une
l’équité et la liberté de tester, ni en matière fiscale, hausse des émissions de CO2. La sortie de crise se
où ils sont le reflet d’une société plus conservatrice fera donc dans le cadre d’une contrainte forte sur les
que libérale ». ressources énergétiques, pour laquelle des solutions
La crise est alors l’occasion de mettre en évidence doivent être envisagées dès maintenant. La croissance
le rôle de redistribution de l’instrument fiscal qui doit nécessaire à la sortie de crise doit alors être pensée
être renforcé pour atténuer les effets de la récession et sous un nouvel angle, elle doit être soutenable. Il
limiter le risque d’une nouvelle crise. La fiscalité peut importe d’inciter les consommateurs à acheter des

juin 2010 I n° 160 I idées 29


© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)
dossier I Les Journées de l’économie

idées I n° 160 I juin 2010


30
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)
Les Journées de l’économie I DOSSIER

produits moins polluants et les entreprises à investir La taxe permet alors une certaine lisibilité, elle
dans des technologies « vertes ». Dans ce contexte, la n’autorise pas une volatilité du prix du carbone au
fiscalité se révèle être un outil précieux pour modifier contraire des quotas d’émission. En outre, elle se prête
les comportements et encourager l’innovation. moins au marchandage politique. Martin Weitzman [4]
montre en fait que la taxe dispose d’un avantage sur
Pourquoi privilégier l’instrument fiscal ? le marché des permis lorsqu’il est important de
Trois instruments sont disponibles dans la boîte contrôler les coûts, par exemple lorsque le coût de
à outils des politiques environnementales : les réduction des émissions augmente très vite avec le
normes, les marchés de permis d’émission et la niveau de dépollution. La taxe est a priori l’instru-
taxe. L’analyse économique permet de les distin- ment le plus adapté en cas de pollution diffuse, quand
guer. La réglementation s’applique uniformément les émetteurs et donc les éventuels participants à un
à tous les agents sans tenir compte de leur coût indi- marché sont très nombreux.
viduel de dépollution ; elle n’est donc pas l’instru- Dominique Bureau rappelle que le vrai problème
ment retenu par les économistes, sauf dans le cas n’est pas de savoir quel est le meilleur instrument en
des produits dangereux. théorie, mais quel est-il en pratique.
En concurrence pure et parfaite, il y a équivalence Il faut donc tenir compte des dispositifs préexis-
théorique entre taxe et marché des permis mais tants et de l’acceptabilité d’un nouvel instrument.
celle-ci disparaît dans un contexte d’information Dans le cas des entreprises, la taxe carbone ne doit
imparfaite. Le marché de permis d’émissions négo- pas se superposer au marché des permis européens
ciables a été la solution privilégiée dans les années (EU ETS) mis en place en 2005 en application du
1990. Néanmoins, depuis le début des années 2000, protocole de Kyoto et couvrant les activités les
les avantages de la taxe sont de plus en plus souvent plus polluantes. Elle favorise en pratique le choix
mis en avant par les économistes. des meilleurs gisements d’abattement, ceux dont
Son principe n’est pas nouveau. Il a été proposé par la dépollution se fait à moindre coût, notamment
Arthur Cecil Pigou en 192016. Il consiste à internaliser pour les entreprises. En effet, soit le coût marginal
16. Pigou A. -C.,
les externalités négatives liées à la pollution. Comme de dépollution est inférieur à la taxe et le pollueur The Economics of Welfare,
MacMillan, 1920.
le montre Dominique Bureau, la fiscalité est un moyen préfère réduire ses émissions, soit le coût marginal
de corriger le signal-prix perçu par les agents : elle de dépollution est supérieur à la taxe et le pollueur 17. Baumol W., “Taxation and
the Control of Externalities”,
rend visible le coût d’émission du carbone. Sa fonction préfère payer la taxe. American Economic Review,
1972.
est donc incitative, elle induit une modification des Une réforme globale du système fiscal français dans
comportements par un report de la production et de la un contexte de crise serait une occasion à saisir pour 18. L’introduction de la
contribution climat-énergie
consommation en faveur de produits moins polluants. introduire une fiscalité environnementale plus ambi-
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


dans le système fiscal français
L’ampleur de cet effet de substitution dépend notam- tieuse. Une première tentative de fiscalité verte avait reportée au 1er juillet 2010
après que le Conseil
ment de l’élasticité-prix des biens concernés. Plus la d’ailleurs été prévue en France pour 2010 avant d’être constitutionnel l’a censurée
a finalement été abandonnée
consommation d’un bien diminue avec une hausse de abandonnée : la taxe carbone, exemple développé par en mars 2010 au profit d’une
son prix, plus l’effet de la taxe environnementale est Dominique Bureau lors de son ­intervention. réflexion sur une taxe carbone
européenne, qui nuirait moins
important. En théorie, le taux de taxe doit égaler le à la compétitivité française.
coût marginal de dépollution et le coût marginal des L’exemple de la taxe carbone
dommages. Cependant, en pratique, l’information est La mise en place d’une taxe carbone par le
imparfaite et on adopte donc une démarche de second gouvernement français était une des dispositions du
rang, comme celle proposée parWilliam Baumol17 en Grenelle de l’environnement d’octobre 200718. Elle
1972. Gilles Rotillon [3] explique ainsi : « Dans un se serait ajoutée aux taxes sur l’énergie préexistantes
premier temps (celui de la « politique ») on choisit un qui n’avaient pas une visée proprement environne-
niveau de pollution à atteindre, puis, dans un second mentale. Elle a déjà été mise en place dans huit autres
temps (celui de l’économie), on choisit l’instrument pays européens. Le pays pionnier est la Finlande qui
qui permet d’obtenir cet objectif à coût minimum. La a instauré une taxe carbone dès 1990.
taxe, en égalisant les coûts marginaux de dépollu- L’analyse économique peut alors permettre de
tion, a justement cette propriété de minimisation des mettre en évidence un certain nombre de principes
coûts ». à respecter pour garantir l’efficacité d’une telle taxe.

juin 2010 I n° 160 I idées 31


dossier I Les Journées de l’économie

Le premier problème est celui de son assiette. contribution climat-énergie, il importe alors de
Elle doit être la plus proche possible de la source vérifier que les élasticités-prix du carburant et
des dommages pour que la taxe soit efficace. Néan- du chauffage sont suffisamment élevées pour que
moins, il n’est pas possible de taxer les matières le signal-prix envoyé par la taxe ait réellement un
premières énergétiques à la source sans quoi seuls effet sur les comportements. Katheline Schubert
certains pays seraient soumis à l’impôt, pas plus que rappelle ainsi les résultats d’une étude réalisée par
d’asseoir la taxe sur le contenu carbone de tous les l’Insee sur données françaises.
produits mis sur le marché, ce qui serait technique- L’élasticité-prix de la consommation d’énergie à
ment impossible. La contribution ne peut donc être court terme est très faible et le reste à long terme,
qu’une taxe sur les consommations d’énergie. laissant supposer que l’effet de substitution sera
Se pose alors la question du niveau et du profil lui-même relativement faible. L’élasticité-prix de
de la taxe. Le rapport Alain Quinet19 issu de la la consommation de carburants est en revanche
19. La Valeur tutélaire du
carbone, rapport de la consultation entre divers partenaires recomman- plus conséquente, particulièrement à long terme.
commission présidée par
Alain Quinet, Centre d’analyse
dait un niveau initial de 32 � la tonne de carbone Ainsi, une hausse du prix de l’énergie de 1 % fait
stratégique, 2009. pour atteindre 100 � en 2030. En Norvège, le prix baisser la consommation de 0,19 % à court terme
de la tonne de carbone est actuellement de 40 � , et de 0,40 % à long terme. Les comportements en
tandis qu’en Suède il atteint 97 �, avec toutefois un matière de transport finiront donc probablement par
certain nombre d’exemptions. s’adapter alors que les comportements en matière
Le choix du profil de la taxe est lui aussi impor- de chauffage sont beaucoup plus contraints.
tant. Est-il préférable de taxer plus lourdement L’analyse économique fournit donc certains
dès maintenant pour éviter les dommages catas- éléments pour évaluer l’efficacité de la taxe carbone.
trophiques ou au contraire d’attendre pour réduire Mais la question de son équité peut également
l’incertitude ? Le profil temporel dépend du taux faire débat. La taxe carbone sans compensation est
d’actualisation retenu. Si ce dernier est élevé, cela en effet régressive dans la mesure où la part des
signifie qu’une forte préférence est accordée au dépenses énergétiques est plus importante chez les
présent, que les dommages futurs comptent peu. ménages les moins aisés. Son équité repose alors sur
Mais la détermination de ce taux d’actualisation les mesures de redistribution prises en conséquence.
correspond à un choix de société et non plus à un Pour Aurélie Filippetti qui intervenait en qualité
choix économique. Finalement, Katheline Schu- de députée socialiste, la taxe carbone telle qu’elle
bert [5] montre que le profil optimal est un profil était conçue par le gouvernement était inéquitable,
en cloche, susceptible d’être révisé si l’incertitude à l’image de l’ensemble du système fiscal français.
diminue. Dans un premier temps, la taxe croît mais à Elle souligne que le prix des produits « verts » est
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


un taux moins élevé que le taux d’actualisation. Elle plus élevé que celui des produits ordinaires. Les
assure ainsi une réduction des extractions. Puis elle ménages les moins aisés peuvent donc moins facile-
diminue au fur et à mesure que la rareté croissante ment reporter leur consommation vers ceux-ci. En
des ressources non renouvelables fait augmenter conséquence, ils subissent plus fortement le poids
leur prix naturellement. d’une taxe carbone. Le système de compensation
Pour évaluer empiriquement l’efficacité de la qui était proposé par le gouvernement, consistant
à proposer un versement forfaitaire sous la forme
tableau 1. d’un crédit d’impôt ou d’un chèque vert pour les
Élasticités-prix des consommations ménages non imposables, lui semble ainsi inéqui-
énergétiques des ménages table. Elle a alors évoqué la possibilité de mettre
en place une «  prime pour l’environnement  »
Énergie domestique Carburants qui consisterait à verser un certain montant aux
ménages dont le revenu est en dessous d’un certain
Élasticité prix de CT (en %) - 0,06 - 0,19
seuil et à demander une contribution aux autres
Élasticité prix de LT (en %) - 0,17 - 0,40
ménages.
Source : Katheline Schubert, Pour la taxe carbone. La politique économique face à la
Le niveau et le profil de la taxe carbone, détermi-
menace climatique, document du Cepremap, n° 18, Éditions rue d’Ulm, 2009. nant son efficacité, font donc l’objet de débats dans

32 idées I n° 160 I juin 2010


Les Journées de l’économie I DOSSIER

l’espace public, de même que les modalités de sa dérée comme un moyen d’apporter des recettes
redistribution. Dominique Bureau évoque alors un fiscales supplémentaires, bien que cette possibilité
autre débat autour de la fiscalité environnementale : ne soit pas exclue à plus long terme. Par consé-
la question du double dividende. quent, l’avis de Dominique Bureau est qu’il n’est
pas nécessaire d’attendre pour introduire une taxe
Quelle articulation au sein du système carbone qui s’inscrit dans une réforme à prélève-
fiscal global ? ments constants. Elle peut être mise en place dans le
La fiscalité environnementale peut être un moyen contexte d’une fiscalité de crise et ce, d’autant plus
de lever de nouvelles recettes fiscales afin d’alléger que la France est déjà en retard dans ce domaine par
le montant d’autres impôts, notamment ceux qui rapport à ses voisins européens.
pèsent sur le facteur travail, et qui sont souvent Apparaissent donc un certain nombre d’objec-
dénoncés comme étant trop lourds en France. Dans tifs assignés à une réforme fiscale globale en France
ce cas, on parle de double dividende de la fiscalité dans le contexte de la crise et de la préparation de sa
verte. Le premier dividende est un dividende envi- sortie. Cependant, un arbitrage doit être fait entre
ronnemental. Le second dividende correspond à les objectifs de la politique fiscale et les contraintes
une amélioration de l’efficacité du système fiscal qui pèsent sur elle du fait du creusement des déficits
dans son ensemble. Il limite les distorsions de l’ac- publics et de la concurrence fiscale entre États.
tivité économique provoquées par d’autres types
d’impôts en visant notamment à alléger le coût du Une réforme fiscale sous contraintes
travail. C’est cette approche qui a été privilégiée Quelques pistes prometteuses semblent ainsi se
dans les pays européens qui ont déjà mis en place une dégager d’une réflexion sur une fiscalité de sortie
taxe carbone. En Finlande par exemple, les recettes de crise. En résumé, une taxation des revenus plus
de la fiscalité environnementale sont affectées au efficace permettra une meilleure redistributi-
budget général. En outre, la décision de supprimer vité, une taxation du capital plus large créera de
les cotisations sociales employeurs pour compenser la transparence, une taxe carbone instaurera une
la hausse de la taxe environnementale prévue en croissance souhaitable dans le cadre du dévelop-
2011 a été prise en 2009. pement durable.
Cependant, Dominique Bureau montre que Cependant, on ne peut faire l’impasse d’un
contrairement aux recommandations du rapport certain nombre de limites, qui contraignent la mise
Rocard, l’objectif de réalisation du double divi- en pratique de cette réforme.
dende n’est pas premier dans les réflexions sur une
taxe carbone en Europe. Il souligne que la contrainte La contrainte budgétaire
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


d’acceptabilité par la population d’un nouvel impôt Une réforme fiscale relève de la politique budgé-
prime souvent sur les objectifs économiques dans taire, elle ne peut être pensée indépendamment du
les choix politiques. Le consentement à l’impôt a, budget de l’État. Or, les politiques de relance ont
dès la création des premières taxes, été un gage de fortement creusé le déficit public. La France est
stabilité politique. Il est devenu un des fondements plutôt située dans une position intermédiaire en
des démocraties représentatives contemporaines 20. terme de déficit public et se distingue par la faible
20. Barilari A.,
Le contexte de crise économique, dans lequel les part de la relance budgétaire, comme en témoigne Le Consentement à l’impôt,
citoyens sont encore plus réticents à accepter un le graphique 2 (page 34) présenté dans le rapport Presses de Sciences Po,
2000.
impôt supplémentaire, rend alors la contrainte Bourdin en 2010.
d’acceptabilité d’autant plus aiguë. Ainsi, le déficit français provient en majeure
Katheline Schubert montre quant à elle que le partie des effets spontanés de la contraction écono-
double dividende est très incertain : il n’y a pas de mique.
preuve empirique de sa réalité alors que subsistent Le poids du déficit public représente une
de nombreux doutes théoriques. contrainte en tant que dette pour les générations
La fiscalité environnementale telle qu’elle est futures. Ceci pose le problème de l’équité intergé-
conçue actuellement ne s’articule alors pas vrai- nérationnelle et de la bonne mesure entre questions
ment avec les autres impôts. Elle n’est pas consi- de court et de long terme.

juin 2010 I n° 160 I idées 33


dossier I Les Journées de l’économie

Graphique 2.
Décomposition des variations cumulées du solde des administrations publiques (2009-2010)*

* Somme des écarts de 2009 et 2010 par rapport aux niveaux 2008 des soldes publics.
** Variations cumulées du déficit moins la somme du programme de relance budgétaire et des composantes conjonctu-
relles. Ce chiffre reflète des effets tels que les mesures de politique budgétaire discrétionnaires autres que celles adoptées
en réponse à la crise et la disparition du dynamisme exceptionnel des recettes.

Source : L’économie française et les finances publiques à l’horizon 2030, un exercice de prospective, rapport du Sénat par
Joël Bourdin, 2010.

L’horizon temporel des réformes contexte propice » à la réforme. Philippe Bruneau


Les propositions développées dans cet article distingue quant à lui trois conditions nécessaires à
relèvent d’un horizon temporel long. Ainsi, d’après la réussite de la réforme : attendre la sortie de crise
P. Bruneau, « les décisions qui seront prises [...] pour ne pas grever les prémisses de la reprise ; iden-
façonneront la France des trente prochaines années. tifier les causes de la crise afin de cibler les réformes ;
Toute erreur de diagnostic coûterait donc cher ». Par connaître les modalités de sortie de crise (taux de
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


ailleurs, le principe de stabilité est une composante croissance et d’inflation, niveau des taux d’intérêt).
importante d’un système fiscal efficace : celui-ci Selon lui, aucune de ces conditions n’est réunie pour
ne peut être modifié constamment, car cela dété- l’instant, et il faut encore attendre.
riorerait la qualité de l’information des agents, qui Au contraire, lors de la conférence, certains
devraient intégrer cette volatilité dans leurs anti- intervenants ont plaidé en faveur d’une réforme
cipations. De plus, l’instabilité d’un système fiscal immédiate. Jacques Le Cacheux préfère ainsi une
détériore le consentement à l’impôt, donnant l’im- réforme prochaine, dont la mise en œuvre serait
pression de répondre à des intérêts ponctuels et progressive. En effet, celle-ci permettrait de revalo-
restreignant la lisibilité des prélèvements. riser le secteur public en France qui a conjoncturel-
lement amorti la crise et doit être financé. De plus,
La crise économique est-elle une le creusement des inégalités est une problématique
opportunité pour réformer le système aiguë, dont le comblement est d’ores et déjà néces-
fiscal ? saire au dynamisme économique. Enfin, Jacques Le
La question ne fait pas consensus au sein des Cacheux défend l’importance des « bons signaux »,
économistes, c’est là que le bât blesse. Si le rapport orientant la sortie de crise dans la bonne direction :
Marini [6] propose une fiscalité pour sortir de la c’est en effet dès aujourd’hui qu’il faut intégrer la
crise, « la crise économique actuelle ne crée pas un contrainte énergétique.

34 idées I n° 160 I juin 2010


Les Journées de l’économie I DOSSIER

Économie politique d’une fiscalité en sortie La concurrence fiscale peut être un outil straté-
de crise gique, qui permet d’attirer efficacement des sources
La réforme de la fiscalité s’appuierait sur un système de revenus. Cependant, elle est aussi une contrainte
fiscal déjà complexe. Comme le souligne Jacques Le à prendre en compte dans la réforme, d’autant plus
Cacheux, cette spécificité doit être prise en compte, avec la perspective d’une sortie de crise marquée par
mais ne doit pas empêcher la globalité de la réforme : une incitation faible à la coopération des économies.
modifiée de manière incrémentale, elle perdrait sa Les conclusions de l’ouvrage plaident plutôt en faveur
nature de signal et sa lisibilité. Mais surtout, cette d’une coordination entre États, qui permet d’éviter
réforme s’inscrit dans une architecture complexe, une régulation judiciaire et d’augmenter les taux
européenne. Se pose ainsi la question de la concurrence d’imposition.

“ Le poids du déficit public pose le problème


de l’équité intergénérationnelle

fiscale et de son impact sur la réforme de la fiscalité. Le sujet est discuté par le rapport Croissance équi-
La concurrence fiscale21 désigne deux phénomènes : table et concurrence fiscale en 2005, et dans sa lignée
21. Pour des références plus
la concurrence pour les ressources (la concurrence le rapport Marini a préconisé l’adaptation à une théoriques sur la question,
consulter l’ouvrage de
s’exerce alors sur les recettes fiscales) et la concur- économie globalisée. Aujean M. et Saint-Étienne C.,
rence par comparaison (ou yardstick competition – la Stratégies fiscales des États et
des entreprises : souveraineté
concurrence s’exerce alors sur les taux de taxation). Des pistes de réflexion fécondes sur la réforme et concurrence, PUF, 2009.
La concurrence fiscale horizontale (entre pays) fiscale à initier en France dans un contexte de crise
semble s’être accrue dans l’Union européenne depuis ont donc été abordées lors de cette conférence.
l’instauration du Pacte de stabilité et de croissance en Reste néanmoins posée la question de la temporalité
1997. Ce constat ne fait pas consensus (voir M. Aujean de cette réforme, qui dépend d’un choix politique.
et C. Saint-Étienne pour des positions différentes sur En écho à l’intervention d’un membre du public, on
le sujet). Cependant, si l’on accepte son existence, la peut alors se demander dans quelle mesure l’exper-
concurrence fiscale a pour conséquence une moindre tise économique sera entendue, ce qui déterminera
redistributivité des systèmes, avec la moindre taxation les conditions de la sortie de crise. //
© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)

© Réseau Canopé | Téléchargé le 09/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.215)


des assiettes les plus mobiles : capital et hauts revenus.

Bibliographie
[1] Le Cacheux J., Saint-Étienne C., Croissance équitable et Concurrence fiscale, rapport du Conseil d’analyse économique n° 56, 2005.
[2] Gaffard J.- L., Saraceno F., « Redistribution des revenus et instabilité », Revue de l’OFCE, n° 110, juillet 2009.
[3] Rotillon G., « La fiscalité environnementale, outil de protection de l’environnement ? », Regards croisés sur l’économie, n° 1, 2007.
[4] Weitzman M., “Prices Versus Quantities”, Review of economic studies, 1974.
[5] Schubert K., Pour la taxe carbone. La politique économique face à la menace climatique, document du Cepremap, n° 18, Éditions rue
d’Ulm, 2009.
[6] Marini P., Quels prélèvements obligatoires pour la sortie de crise ?, rapport d’information fait au nom de la Commission des finances
n° 45, octobre 2009.
Bibliographie complémentaire
– Sur la réforme de la fiscalité locale et la taxe professionnelle :
CAS, Quelles pistes de réforme pour la fiscalité locale ?, note de Veille n° 121, janvier 2009.
DGTPE, Le Projet de réforme de la taxe professionnelle, octobre 2009.
Simula L., Trannoy A., « Taxe professionnelle, imposition des entreprises et coût d’usage du capital », Revue d’Économie Politique,
vol. 119, mai 2009.
– Sur la protection sociale :
Duthilleul A., « Le financement de la protection sociale », avis et rapports du Conseil économique et social, 2007.
– Pour voir la vidéo de la conférence et des documents complémentaires sur le sujet, consultez la bibliothèque virtuelle des Journées de
l’économie, 2010, conférence sur la réforme de la fiscalité : www.touteconomie.org/fiscalite.html.

juin 2010 I n° 160 I idées 35

Vous aimerez peut-être aussi