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ÉGYPTE

Réforme bancaire et finance islamique

Michel Galloux

La Documentation française | « Maghreb - Machrek »

1993/3 N° 141 | pages 53 à 62


ISSN 1241-5294
DOI 10.3917/machr1.141.0053
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-maghreb-machrek1-1993-3-page-53.htm
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Egypte
Réforme bancaire
et finance islamique
Michel Galloux

Le succès des sociétés islamiques de placement de fonds* dans la collecte de


l'épargne égyptienne (de 10 à 15 milliards de dollars, selon certaines estimations)
avant leur liquidation ou leur soumission à la loi n° 146 de 1988 réglementant la col-
Monde arabe
lecte des fonds et la protection des déposants - que nous commentons ci-après - a Maghreb
permis de mettre en évidence un problème lancinant de l'économie du pays : la fra- Machrek
gilité structurelle de son système financier et bancaire. Une fragilité qui était essen- N° 141
tiellement due à une réglementation peu avantageuse, imposant en particulier : juillet-août 1993

- un taux de réserves obligatoires élevé (25 % des dépôts d'échéance inférieu- Etudes
re à deux ans, c'est-à-dire, par définition, des sommes bloquées à la Banque Centra-
le et non rémunérées).
- la gestion de risques de change importants liés à la défaillance de certains
53
débiteurs ayant emprunté en devises au début des années 80 et devant rembourser à
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un moment où la livre égyptienne s'est considérablement dévaluée.
- un plafonnement des taux d'intérêt décidé au niveau central (sur les obliga-
tions : 7 % ; sur les dépôts à terme en 1990 : 5 % à 7 jours, 6 % à 15 jours, 7,5 % à
un mois, 8,5% à 3 mois, 10 % à 6 mois, 12 % à un an, 13 % à deux ans) .
Autant de mesures qui avaient toutes une conséquence essentielle : l'impossi-
bilité pour les banques d'augmenter la rémunération des dépôts de leurs clients, sans
risquer de compromettre la marge entre leurs taux créditeurs et débiteurs, seule
garante d'un bon équlibre de leurs comptes. Les dernières réformes entreprises, suite
à l'accord conclu avec le FMI au début de l'année 1991, ont pour objectif de pallier
ces déficiences du système, avec en arrière-plan, un enjeu de taille : la mobilisation
de l'épargne disponible, supposant elle-même de gagner la confiance de nouveaux
déposants, dont bon nombre avaient subi l'attrait des sociétés de placement de fonds
s'exerçant sous deux formes : taux d'intérêt élevés (jusqu'à 30 %, couvrant l'inflation)
et slogan islamique.

• Les éléments de la réforme


Les adjudications hebdomadaires de bons du Trésor à 3 mois, fonctionnant
depuis le 2 janvier 1991, sont le point central du nouveau système. Il s'agit essentiel-
lement, par l'émission de ces nouveaux instruments financiers en Egypte, de résorber
la surliquidité du système financier, qui se traduisait par un marché interbancaire où
les taux d'intérêt étaient inférieurs au coût moyen de la ressource bancaire. L'aug-
mentation du stock de bons du Trésor en circulation, au fur et à mesure de leur achat
par les banques, a déjà poussé les taux d'intérêt à la hausse (de 14,2% à 19,5% entre
janvier et juillet 1991 ). Bien que les taux débiteurs et créditeurs des banques aient été

* Voir Alain Roussillon, << Entre al-Jihad et al-Rayyan : phénoménologie de l'i slamisme égyptien >>, in Magh-
reb-Machrek n° 127, 1990.
théoriquement libérés le 3 janvier 1991, le taux d'adjudication de ces bons est en fait
devenu le taux directeur du système, parce qu'il offrait un autre placement possible à
la fois aux banques (limitées par ailleurs dans l'emploi de leurs fonds par un enca-
drement strict du crédit en vigueur jusqu'en juin 1992), et aux déposants. C'est ainsi
que la rémunération des dépôts peut atteindre aujourd'hui 18 % et le taux de base des
banques 22 % à 25 %_ (1)
Dans le domaine des changes, les mesures prises sont plus complexes, dans la
mesure où un double marché des changes a été mis en place : un marché primaire,
sur lequel les taux sont fixés quotidiennement par un comité de banquiers, et un mar-
ché secondaire, où ceux-ci sont déterminés par le jeu de l'offre et de la demande, la
Banque Centrale continuant en fait à exercer une influence sur la fixation des cours.
D'autre part, de nouveaux ratios de liquidité et de solvabilité ont été institués selon
les normes de la Banque des Règlements Internationaux, visant à améliorer les règles
de prudence dans la gestion des créances-clients.
Enfin, le régime des réserves obligatoires a été quelque peu modifié : le taux
de 25 % jusque là en vigueur a été abaissé à 15 %, parallèlement, cependant, à une
Monde arabe extension de l'assiette, le résultat étant en fait une diminution marginale du volume
Maghreb
Machrek
des réserves imposé aux banques.
W141 Autant de mesures dont Salah Hamed, gouverneur de la Banque Centrale,
juillet-août 1993 révèle les enjeux (2) : selon lui , elles doivent accroître la confiance du déposant et de
l'investisseur dans la livre égyptienne et, ainsi, dans le système bancaire du pays.
Egypte
Réforme bancaire
Grâce à la libération des taux d'intérêt, et à la mise en place des bons du Trésor, les
et finance islamique instruments d'épargne seront beaucoup plus attractifs (surtout lorsqu'ils sont, comme
54 les bons du Trésor, exonérés d'impôt), décourageant par là-même la thésaurisation et
les placements immobiliers. D'autre part, la nécessité pour les banques de fixer elles-
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mêmes leurs taux les obligera à améliorer la qualité de leur gestion, celle-ci étant
désormais liée à une évaluation pertinente de l'état de la concurrence.
Libéralisation, diminution du contrôle central, encouragement des mécanismes
de marché et du jeu de la concurrence, on a apparemment là les ingrédients des poli-
tiques qui ont déjà été menées dans d'autres pays, occidentaux en particulier. Il ne
faudrait cependant pas pousser les comparaisons trop loin. Comme le font remarquer
de nombreux économistes, l'élévation récente des taux d'intérêt est largement artifi-
cielle, puisqu'aucun investissement productif ne peut actuellement avoir une rentabi-
lité proche de 20 %. La réalité est qu'ils sont dirigés par les taux des bons du Trésor,
eux-mêmes mis sur le marché par l'État qui espère essentiellement ainsi financer son
déficit budgétaire et éventuellement les remboursements de sa dette extérieure,
conformément aux accords signés avec le FML D'investissements productifs il n'est
donc pas question dans tout cela, en tout cas au stade actuel des réformes. D'où une
interrogation légitime : comment payer de tels taux d'intérêt, si ce n'est en répercu-
tant leur poids sur l'ensemble de la population (impôts nouveaux, réduction des
dépenses budgétaires) ?
On fait remarquer dans les milieux bancaires, par ailleurs, que les mesures
d'encadrement strict du crédit, outre son coût élevé, ne sont pas pour encourager les
investissements. Par conséquent, l'enjeu essentiel semble bien être, comme le laisse
entendre Salah Hamed lui-même, de mobiliser une masse plus importante d'épargne,
ce qui ne pouvait être possible que par une augmentation substantielle des taux d'in-
térêt permettant de couvrir autant que faire se peut le niveau de l'inflation. Enfin,
pour la mettre au moins dans une large mesure au service du budget de l'État, il était
préféra ble qu 'une part importante de cette épargne soit canalisée par les quatre
grandes banques d'Etat ou, en d'autres termes, que le secteur public bancaire regagne
( 1) Le laux d' infl ation qui atte ignait 25 ,8 % e n déce mbre 1991 a été fortement réduit en 1992 (9,6 % en
décembre). Les tau x de rémunération des bons du Trésor ct des comptes banca ires ont suivi celle évolution à
la baisse ( 15 % en 1992), restant cependant supérieurs au niveau de l'inflation.
(2) a/-A /11'(1111 al-lqtisadi. n° 1204. 10 février 92 .
la confiance des épargnants. C'est ce qui semble s'être produit, à la faveur, il faut le
dire, de certains événements récents apparemment sans lien avec cette réforme du
système financier, et cependant aux conséquences décisives : l'affaire de la BCCI,
celle des sociétés de placement de fonds, et l'intervention du mufti de la République.

- Une réforme inscrite dans le cadre du débat


sur le riba. Les préparatifs politiques et
idéologiques au niveau national
al-Ahram al-lqtisadi nous apprend, en effet (3), que ces quatre banques
publiques (Banque Ahli, Banque Misr, Banque du Caire, Banque d'Alexandrie)
avaient un total de bilan au 30 juin 1991 de 84 milliards de livres égyptiennes, soit
71 % du total des bilans des banques commerciales privées, que leurs dépôts (78 mil-
liards de livres) représentaient 81 % du total des dépôts de ces dernières, (soit une Monde arabe
augmentation de 43 % par rapport à 1990). Établissant ensuite un parallèle entre Maghreb
Machrek
l'émission récente de bons du Trésor et la baisse des dépôts dans certaines banques W141
commerciales privées ou mixtes , l'auteur de l'article souligne que les dépôts des juillet-août 1993
banques d'État n'ont pas , quant à eux, été affectés par ces phénomènes, comme le
montrent les chiffres précédents, malgré la valeur non négligeable des bons émis jus- Etudes
qu'à présent (plus de 10 milliards de livres). Et de conclure sur le contraste entre le
regain de confiance des citoyens dans ces dernières et leur perte de confiance dans le
secteur bancaire privé, amplifié par deux affaires retentissantes, celle de la BCCI 55
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(Banque de Commerce et de Crédit Internationale), et celle des sociétés de placement
de fonds islamiques. Deux affaires qui ont effectivement, de toute évidence, préparé
le terrain pour les réformes en cours, et dont il convient de dire quelques mots main-
tenant.

- L'affaire de la BCCI

Les raisons exactes de la liquidation de la BCCI, banque à capitaux arabes


(Golfe) et pakistanais, sur intervention des banques centrales britannique et américai-
ne, ne seront probablement jamais connues avec certitude, chaque organe de presse
ayant présenté sa version de l'affaire selon son rattachement national et ses orienta-
tions idéologiques. Il n'en demeure pas moins que la version occidentale officielle
des faits et la nature des accusations portées pour justifier la saisie de ses actifs, à
savoir le blanchiment de l'argent de la drogue, restent sujettes à interrogations. Fon-
dées ou non, il semble que certaines raisons aient été également d'ordre politique,
liées à la nature et aux bénéficiaires des financements de la banque situées pour une
part importante dans des pays du tiers-monde et arabes en particulier (l'Irak, par
exemple, pour ses projets de développement). Ainsi, une revue économique (4) fai-
sait remarquer que sa liquidation allait considérablement nuire au commerce entre
ces pays. Quoi qu'il en soit, la filiale égyptienne de la banque n'a pas été épargnée,
et les conséquences négatives pour les déposants n'ont pu qu'affaiblir leur confiance
dans ce type d'institutions -privées et à caractère international - malgré les mesures
prises par le gouvernement pour les indemniser, à savoir en particulier la création
d'une Caisse d'assurance financée entre autres par les banques publiques.

(3) a/-Ahram al-lqtisadi, n° 1206, 24 février 92. Article de Mohammed Fathi ai-Badawi, Directeur général
adjoint, Arab Gulf Bank.
(4) al-A/am al-Yom , 25/2/92.
- Les sociétés de placement de fonds
L'intervention du gouvernement dans le fonctionnement des sociétés de place-
ment de fonds en 1988, se traduisant par la soumission de ces sociétés à la loi n° 146
de 1988 sur « les sociétés collectant des fonds en vue de leur investissement » , et la
liquidation judiciaire de celles qui ne pouvaient en respecter les termes (prévoyant en
particulier un échéancier de remboursement des déposants), a eu une portée beau-
coup plus considérable que l'affaire de la BCCL En effet, ces sociétés, en une dizai-
ne d'années, étaient parvenues à collecter des sommes considérables, estimées de 10
à 15 milliards de dollars, soit probablement, depuis 1986, au moins 50 % de
l'épargne disponible (5), gagnant la confiance de nombreux épargnants (plus de 5 %
de la population égyptienne) grâce à une stratégie reposant sur deux éléments essen-
tiels : une rémunération des fonds très supérieure aux taux d'intérêt des banques
conventionnelles (de 25 à 30 % par an , couvrant l'inflation), et le recours à un réfé-
rent islamique saillant, présentant leurs opérations comme conformes à la chari'a, car
Monde arabe
basées sur le principe de participation aux pertes ou aux profits des investissements
Maghreb réalisés, et non pas sur celui du taux d'intérêt prédéterminé.
Machrek Là encore, l'existence d'un décalage important entre les accusations officielles
N° 141
juillet-août 1993
et la réalité des enjeux semble hautement probable. Non protection des déposants
face aux risques de pertes, mettant en péril l'ordre économique du pays, spéculations
Egypte internationales sur la base des fonds collectés, rémunération des anciens dépôts par
Réforme bancaire prélèvement sur les nouveaux, tel était l'essentiel de ces accusations, rapportées par
et finance islamique
la presse gouvernementale et d'opposition de gauche. En réalité - et sans nier cepen-
56 dant qu'il y ait eu de telles pratiques de la part de ces sociétés - , l'intervention des
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autorités visait aussi (et peut-être surtout) à faire face à une double menace, de leur
point de vue : la mise en cause du monopole du secteur public dans certaines
branches de l'économie (comme les transports, avec la tentative avortée de rachat par
la société de placement Rayyan de lignes de microbus (6) , l'agro-alimentaire ou la
commercialisation des voitures), d'une part ; et le fait que ces sociétés soient large-
ment perçues au niveau de certains ministères (celui de l'Intérieur, en particulier)
comme le bras financier et économique de l'islamisme politique, d'autre part (7).
La loi n° 146 de 1988, leur imposant un échéancier de remboursement des
fonds (très contraignant) au profit de déposants dont la confiance en ces sociétés
avait déjà été notablement entamée par des campagnes de presse visant à une diabo-
lisation du phénomène, ainsi que les dernières mesures prises par le gouvernement
égyptien pour liquider les actifs des trois sociétés restées en jugement (Rayyan, Saad,
Sherif) ont un but manifeste : obtenir un transfert de cette confiance sur les banques
conventionnelles, et d'abord celles du secteur public. La réforme récente du système
financier (bons du Trésor, hausse des taux d'intérêt à des niveaux proches des rém u-
nérations proposées par les sociétés de placement de fonds), dont il vient d'être ques-
tion, allait déjà dans le même sens : récupérer des épargnants.
Cependant, une telle récupération, par des instruments de la finance orthodoxe
occidentale, ne peut être automatique en Egypte. La meilleure preuve en a été appor-
tée par le vaste débat théologique, rouvert depuis 3 ou 4 ans à la suite de l'affaire des
sociétés de placement de fonds, et portant sur la licéité islamique des opérations ban-
caires. Un débat qui s'est particulièrement enflammé depuis l'automne 1989, date à
laquelle le mufti d'Egypte, Sheikh Tantawi, devait produire une fatwa (avis juridique)

(5) Ro uss ill o n. A. « Soc iétés islamiques de pl ace ment de fonds el ou verture économ ique » in Dossiers du
CEDEJ. no 3, 1988 .
(6) ai- Chaab. 30 octo bre 1990. Vo ir auss i la déc larati o n du président Mubarak dan s ai-Ahram al- lqtisadi,
6/6/88 : << Celle société de placement de fonds 1Ray yan 1 voulait s'emparer des li gnes de microbus du Caire el
elle aurait pu ainsi meure l'anarchie dans le pays en les paralysant »
(7) C f. certaines déclarations de Zaki Badr, par exemple : Sa li/ ai-A rab, 4110/87 ; ai-Goumhouriyya. 10/9/87.
par laquelle il légitimait du point de vue islamique les diverses catégories de certifi-
cats d'investissement émis par la Banque Ahli (Banque Nationale). Une telle inter-
vention n'était certainement pas neutre politiquement parlant, en pleine affaire
« Rayyan » (dont le procès s'était ouvert un an plus tôt), et deux ans avant l'accord
avec le FMI et le début des réformes financières.

- Le débat religieux
Concrètement, le mufti défendait dans sa fatwa la licéité islamique des trois
types de certificats d'investissement proposés par la Banque Ahli, première banque
d'État du pays, agissant en l'occurrence comme intermédiaire entre l'épargnant et le
gouvernement : les fonds collectés grâce à la vente de ces titres financiers devaient
servir à financer les projets de développement économique dans le cadre du Plan
quinquennal 87/92. Le premier type(« A >>) pouvait être défini comme un « certifi-
cat à valeur croissante >>, dans la mesure où son détenteur le revendait dix ans plus
tard à un cours supérieur déterminé par la banque, le second ( « B >> ), comme « cer-
Monde arabe
tificat à rendement régulier >>, genre d'obligation autorisant le porteur à en retirer un Maghreb
profit à échéances régulières prédéterminées. Le type « C >>, enfin, était un « titre Machrek
assorti d'une prime >> payée par l'État aux heureux gagnants. Or, comme l'avait sou- N° 141
juillet-août 1993
ligné le mufti lui-même dans les colonnes du journal al-Ahram en 1988 (8), c'est-à-
dire un an avant sa fatwa, seul le type « C >> avait été légitimé jusque-là par les ulé- Etudes
mas, les deux autres types étant entachés selon eux de « riba >> (le second, explicite-
ment, par le paiement d'un intérêt prédéterminé, le premier, de façon indirecte, par sa
revente au prix d'achat accru d'une somme également prédéterminée). Et il confirmait 57
dans cet article (et dans d'autres) que seul le dernier type était licite.
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Notre objectif n'est évidemment pas ici d'entrer dans un débat qui relève du
droit musulman, mais de nous demander si le changement d'opinion du Sheikh Tan-
tawi, entre temps, avait été inspiré par de longues discussions avec des économistes
et d'autres théologiens, comme il le soutenait face aux critiques que sa fatwa avait
suscitées, ou bien s'il était plutôt imputable à des pressions politiques, en d'autres
termes si celle-ci n'était pas un peu une « fatwa d'opportunité >> visant à réhabiliter
dans l'opinion le système financier réglementé, après le succès remporté par le réfé-
rent religieux des sociétés de placement (9). Ce qui renforce cette dernière interpré-
tation, ce sont ses prises de position plus récentes, et beaucoup plus hardies, venant
légitimer le principe même des opérations bancaires traditionnelles de collecte des
dépôts et de prêts, à savoir celui du taux d'intérêt prédéterminé, traditionnellement
assimilé par les ulémas, comme nous l'avons mentionné, au riba prohibé par le
Coran : des prises de position qui devaient être argumentées et détaillées dans une
série d'articles parus dans al-Ahram et al-Ahram al-lqtisadi, et renforcées par le sou-
tien plus ou moins explicite de certains ministres, ceux de l'Économie et des Waqfs,
en particulier, ou d'économistes de renom - au moyen cette fois d'une argumentation
de type économique- comme Said al-Naggar, consultant à la Banque Mondiale et au
FMI, et fervent défenseur du principe du taux d'intérêt dans l'économie.
L'émission d'une telle fatwa semblait montrer clairement que l'hypothèse d'un
élément « conviction religieuse >> comme facteur explicatif essentiel de la confiance
accordée à ces sociétés par leurs clients avait été faite au plus haut niveau des res-
ponsables religieux du pays ( 10) et, plus probablement, des responsables politiques.
(8) al-Ahram, 9/12/1988.
(9) Car nous soutenons que le niveau élevé des rémunérations proposées aux clients de ces soc iétés n'était pas
le facteur unique de leur succès. La meilleure preuve en est que les banques islamiques en Egypte continuent
à connaître un succès indéniable malgré la baisse des rendements proposés aux déposants, comparée à la haus-
se des taux d'intérêt dans les banques conventionnelles. Voir plus loin.
(10) Le mufti déclarait, par ailleurs, au journal al-Liwa ai-ls/ami, en date du 18/1/90: « IIJaut absolument
changer le terme "d'intérêt" associé dans l'esprit des gens au riba >> . Quant au ministre de l'Economie, il ren-
chérissait en proposant la substitution du terme << prime » (ga'i za) à celui d' << intérêt » (ja'ida).
C'est également une telle hypothèse qui a favorisé une interprétation de la désaffec-
ti on pour le système bancaire officiel, non pas seulement en termes financiers (taux
d'intérêt peu attracti fs), mai s aussi théologiques (refus du riba). Les dirigeants de la
Banque Ahli devaient décl arer par ailleurs une augmentation de 25 % de l'achat des
certi ficats d'inves ti ssement après la production de la fatw a, ce qui confirmait encore
cette hypothèse.
Que l'on établi sse donc un lien ou pas entre les dernières réformes du système
bancaire et financ ier et la fatwa du mu ft i, force est de constater que celle-ci préparait
le terrain pour un acc ueil plus chaleureux des bons du Trésor chez le public (indé-
pendamme nt de leur attrait en termes fin anciers), puisque ces bons ne différaient pas
sensibleme nt dans leur principe de rémunération des certificats d'in ves tissement (taux
d'intérêt prédéterminé) . Elle préparait également le terrain pour la création d'une plus
grande di versité d'instrumen ts d'éparg ne par les banques. Ainsi, la banque Mi sr, par
exempl e, s'est mi se depui s pe u à vanter abo ndamme nt ses certifi cats d'éparg ne à
re venu mensue l, en dollars, à revenu variable (en fon ction, théoriquement, du niveau
des prix), ses li vrets d'épargne à prime, mai s aussi ... ses produits« islamiques>> pro-
Monde arabe posés par ses succursales spécialisées. Car si les sociétés de placement de fo nds ont
Maghreb
Machrek
été mi ses hors d'état de « nuire », le référent islamique reste toujours présent sur la
N° 141 scène bancaire égyptienne, essenti ell ement sous deux fo rmes instituti onne lles : les
juillet-août 1993 << succ ursales d 'opé rati o ns is lamiques » de certa ines ba nques co nve nti o nn e ll es
comme la banque Mi sr, et les << banques islamiques ».
Egypte
Ré form e bancaire
et finance islam ique
58
- La finance islamique réglementée.
Quel rôle dans le cadre des nouvelles
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réformes?

- Les succursales " islamiques ,


Les banques conve nti onnelles , percevant le succès du référent islamique e n
mati ère de finance, ont commencé au début des années 80 à ouvrir des succursales
préte nd ant travaill er e n confo rmité avec la chari 'a. Aujourd'hui , un grand nombre
(env iro n une quinza ine) de banques comm erciales o u d'in ves ti ssement pri vées o u
mi xtes o nt déjà ouvert de te lles branches. Encore faut-il préciser que dans la plupart
des cas, une ou deux succursales islamiques, tout au plus, par banque ont vu le jour
jusq u'à présen t. Se ul e la ba nque M isr peut se fl atte r de posséder ma inte nant un
réseau particuli èreme nt étendu, pui sque leur nombre était fin 1991 de 28, et devait
encore augme nter en 1992. Cela n'est d'ailleurs probablement pas un hasard si cette
gra nde instituti on d'État mène le j eu da ns ce domaine où il s'agit essenti ell ement,
comme nous l'avo ns déjà dit, pour le secteur bancaire public, de regagner la confian-
ce des déposants, même éventue ll ement en récupérant le référent islamique des expé-
rie nces du secteur pri vé.
Il n'est pas aisé d'évaluer (quali tati vement o u quantitati ve ment) les résultats de
ces succursa les, pour plusieurs raisons, plus ou moin s liées entre elles . La première
est la no n publicati on de bil ans séparés (par définition mê me de la notion de succur-
sa le, entité sans personn alité juridique propre, et sans indépendance fin ancière par
rapport à la maison mère). Leurs résultats sont agrégés à ceux des autres succursal es
et n'apparaissent do nc pas séparé me nt da ns les rapports d'acti vité a nnue ls. D'autre
part , o n co nstate une d iscréti o n certaine des représenta nts de la Banque Ce ntrale,
comme des dirigeants de ces banques, lorsqu 'on les interroge sur les spécifi cités isla-
miques réelles de ces institu tions. A destinatio n des c li ents potentie ls, certes, le di s-
cours tenu contient tous les ingrédients nécessaires pour attirer les épargnants scru-
pul eux dans leur fo i. Ainsi, les pros pectus élaborés par la banque Mi sr affirm ent que
ses branches islamiques travaillent « au service de l'économie islamique, par applica-
tion de la chari'a :
- refus de traiter avec l'intérêt, débiteur ou créditeur ;
- acceptation de dépôts sous forme de comptes d'investissement, selon le prin-
cipe de la mudaraba légale, autorisant la distribution d'un revenu << halai >> (rappe-
lons que ce principe, théoriquement appliqué par toute institution financière isla-
mique, prévoit un partage des profits réalisés sur un investissement donné entre le
promoteur du projet, la banque et le titulaire du compte d'investissement) ;
- offres de financement dans tous les domaines d'activité plaisant à Dieu
(commerce, services, production, ... ) ;
- recours à un conseiller religieux d'al-Azhar pour assurer la supervision des
opérations de chaque branche islamique ;
- autonomie des capitaux et des profits de la succursale par rapport à ceux de
la maison mère >> .
Un tel discours semble avoir porté ses fruits : une enquête menée par nos soins
auprès de ces succursales a montré qu'elles avaient collecté fin 1990 plus de 5 mil-
liards de livres égyptiennes (plus de 3 milliards pour la seule banque Misr), soit plus Monde arabe
Maghreb
de 10 % de l'ensemble des dépôts déclarés dans les bilans consolidés des banques
Machrek
mères. N" 141
Du côté des investissements, il est beaucoup plus difficile d'avoir des informa- juillet-août 1993
tions sur les secteurs d'activité financés, et les techniques réellement utilisées. Mais la
Etudes
valeur des rendements des comptes d'investissement, publiés dans la presse, et dans
l'ensemble très proche des taux d'intérêt servis par les succursales ordinaires (17-
18 % environ en 1991) laisse supposer que l'activité de financement des branches
islamiques n'est pas fondamentalement différente de celle des autres branches, c'est- 59
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à-dire tributaire des décisions prises au niveau de la maison mère, qui, comme on l'a
vu, favorisent largement l'achat de bons du Trésor au détriment de l'octroi de prêts
productifs, limités par l'encadrement du crédit. Or, comme nous l'avons précédem-
ment signalé, aucun investissement productif ne dégagerait aujourd'hui une rentabili-
té suffisante pour payer aux déposants 18 % ou 20 % d'intérêt. ..
Par conséquent, ces succursales apparaissent de plus en plus, dans le cadre des
dernières réformes, comme un simple instrument - parmi d'autres - permettant de
relever le grand défi de la mobilisation de l'épargne disponible .. . sans remettre en
cause les principes de base du système bancaire officiel. Finalement, il semble que
l'on verra de moins en moins de différences entre les succursales islamiques et les
autres, du fait :
- au niveau financier, de l'homogénéisation des rendements des dépôts entre
les deux systèmes ;
- au niveau théologique, des interventions du mufti légitimant le deuxième.
C'est ce qu'exprimait M. Machriki, adjoint au gouverneur de la Banque Cen-
trale, en me déclarant, sur le mode humoristique, qu'aujourd'hui, toutes les banques
étaient islamiques en Egypte. Ce qui n'est pas nécessairement l'avis des responsables
des << banques islamiques >> au sens strict, travaillant en Egypte, et dont nous exami-
nons maintenant la situation, en nous appuyant essentiellement sur le cas de la
Banque Faysal.

- Les banques islamiques


C'est en 1977 que le Prince saoudien Mohammed al-Faysal obtient l'autorisa-
tion de créer en Egypte une banque privée fondant sa légitimité sur la conformité de
ses opérations à la chari'a. A la différence des sociétés de placement de fonds, elle
obtient bien le statut de banque commerciale, qui l'oblige par conséquent à se sou-
mettre à la réglementation imposée par les autorités monétaires à l'ensemble des
banques de même statut. Si l'on excepte la Banque sociale Nasser, banque para-
étatique créée en 1970 et prétendant également travailler de façon « islamique » ,
mais qui est en fait beaucoup plus un « Département » du ministère des Affaires
sociales (gérant des services spécifiques comme les prêts sociaux aux moins favori-
sés ou une Caisse de la zakat) qu'une véritable banque, la Banque Islamique Faysal
est la première institution islamique à capitaux du Golfe à s'installer dans le pays.
Elle sera suivie en 1980 par la Banque internationale islamique d'Investissement et
de Développement, puis beaucoup plus récemment, en 1988, par la Banque saoudo-
égyptienne d'Investissement, filiale du groupe Baraka, créé par l'homme d'affaires
saoudien Saleh Kamel. Ces trois institutions ont en commun d'une part, la mise en
exergue d'un référent islamique clair, d'autre part, une logique de fonctionnement
obéissant aux lois du marché.
-Un référent islamique clair, dans la mesure où elles déclarent conformer l'en-
semble de leurs opérations à la chari'a islamique, et d'abord leurs dépôts, essentielle-
ment de deux types, comptes courants et d'investissement. Les premiers, non réumu-
nérés, sont analogues aux dépôts à vue des banques conventionnelles. Les seconds,
Monde arabe en revanche, sont rémunérés, mais en fonction des rendements des investissements
Maghreb
Machrek
auxquels ils se trouvent affectés (d'où leur nom), et non pas selon un taux d'intérêt
N° 141 prédéterminé ; leurs financements, ensuite, essentiellement de trois types : murabaha
juillet-août 1993 (achat d'une marchandise puis revente au client, avec une marge bénéficiaire : finan-
cement à court terme), mucharaka (opération à moyen ou long terme de type partici-
Egypte
Réforme bancaire
patif, dans laquelle la banque apporte une part de capital dans le projet, le client assu-
et finance islamique rant sa gestion) , mudaraba enfin, (mucharaka dans laquelle la banque apporte la
60 totalité des fonds).
- Une logique de fonctionnement obéissant aux lois du marché. Les banques
islamiques (dont le capital est privé ou mixte) évoluent dans un environnement
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concurrentiel. Dans tous les cas , elles doivent s'assurer un profit suffisant pour pou-
voir rémunérer leurs comptes d'investissement, et garder ou augmenter leur part du
marché des dépôts . Or, celle-ci a atteint en 1991 (dernière année où les chiffres sont
disponibles) une valeur qui est loin d'être négligeable, si l'on considère qu'elles sont
en concurrence avec une quarantaine de banques commerciales et plus de trente
banques d'investissement et d'affaires : 10 % environ de ce marché (en pourcentage
des dépôts de l'ensemble de ces banques, secteur public exclu). Encore faut-il préci-
ser que la banque Faysal contribue de façon substantielle à ce pourcentage, occupant
par ailleurs la deuxième place au sein de ces banques en termes de total de bilan
(5,6 % du marché) - la deuxième dans la liste de l'ensemble des institutions membres
de l'Association internationale des Banques islamiques (Il).
Quant aux financements de ces banques, les bilans successifs depuis leur créa-
tion nous montrent qu'il s'agit essentiellement de financements à court terme (mura-
baha-s à 70 % environ), ceux-ci étant les moins risqués et autorisant des profits
rapides, tandis que les mucharaka-s et plus encore, les mudaraba-s, supposant des
relations étroites entre l'entrepreneur et la banque, et un rôle actif de celle-ci dans le
projet, n'ont qu'une part encore faib le de ces financements (respectivement 20 et
10 % en moyenne). Quant aux participations à long terme au capital d'entreprises
industrielles, elles restent assez margi nales (environ l % des actifs totaux en 1990).
Tous ces résultats témoignent de la nécessité pour ce type d'institutions de répondre
aux attentes de leurs déposants qui espèrent tout naturellement une rémunération cor-
recte de leurs fonds, tout en sachant qu'elle ne sera pas garantie à l'avance, selon le
principe islamique.
Quel va être l'impact des dernières mesures sur l'évolution de ces dépôts et
plus généralement la situation des banques islamiques ?

( Il ) Association présidée par Mohammed al-Faysal lu i-même.


Théoriquement, l'encadrement strict du crédit, d'une part, la libération des taux
d'intérêt et l'institutionnalisation des bons du Trésor, d'autre part, devrait avoir des
conséquences négatives sur l'activité de ces banques. Comme le soulignent leurs diri-
geants, celles-ci, d'un point de vue religieux, ne peuvent acheter de bons du Trésor,
titres de placement portant intérêt. Leur seule possibilité (et ce qui constitue un élé-
ment essentiel de leur légitimité) consiste en des investissements productifs créateurs
de valeur ajoutée. Or, d'une part, la rentabilité de ces investissements ne peut que dif-
ficilement être supérieure à 16 % actuellement, et d'autre part, ils se trouvent limités
par l'encadrement du crédit.
Les conséquences pour les déposants sont immédiates : il sera très difficile à
ces banques de leur proposer des rémunérations compétitives par rapport à ce
qu'offrent maintenant les banques conventionnelles. Cependant, les chiffres du rap-
port d'activité 1991 (12) de la Faysal ne mettent pas encore en évidence les effets
d'une telle situation : ainsi, ses actifs totaux auraient augmenté de 12 % par rapport à
l'année précédente, avec une augmentation à peu près analogue pour les financements
proprement dits (murabaha, mucharaka, mudaraba), générant un revenu de 74 mil-
lions de dollars (contre 71 millions en 90). De leur côté, les comptes courants aug- Monde arabe
Maghreb
mentaient de 13,6 % et les comptes d'investissement (l'essentiel des ressources de la Machrek
banque) de 9,5 %. Le rendement de ces derniers, enfin, était estimé en moyenne à N° 141
12 % en 1991 (dépôts à trois mois), c'est-à-dire, comme on pouvait s'y attendre, un juillet-août 1993
taux nettement inférieur à ce que proposent maintenant les autres banques.
Etudes
Cela explique que les dirigeants de la banque craignent une certaine margina-
lisation de celle-ci sur la scène bancaire, comme ils semblent l'exprimer à la fin du
rapport d'activité, en demandant aux autorités monétaires de prendre en considération
les spécificités intrinsèques de ce type d'institutions et de leur appliquer des lois spé- 61
ciales - revendication qui n'est pas nouvelle, mais qui revêt une signification parti-
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culière dans le cadre des dernières réformes financières, d'une part, et après les décla-
rations du mufti , d'autre part. En attendant la satisfaction d'une telle revendication,
qui rencontre en Egypte, depuis toujours, une réticence certaine de la part de la
Banque Centrale, la banque Faysal cherche à diversifier ses activités de financement,
et à entrer dans des domaines où elle peut avoir un avantage comparatif plus évident
par rapport à ses concurrentes du système conventionnel.
C'est probablement ainsi qu'il convient d'interpréter la volonté de la banque de
s'intéresser de façon croissante au secteur de l'artisanat, des petites industries ou des
syndicats professionnels. De fait, le secteur des petites industries fournit l'essentiel de
l'activité du secteur industriel privé, tout particulièrement en ce qui concerne les
industries de transformation (96 % du nombre total de firmes industrielles),
employant 496.000 ouvriers, et réalisant environ 28 % de la production totale du sec-
teur de l'industrie.
Cette volonté s'est concrétisée en 1991 par la signature d'un protocole d'accord
de coopération avec l'Union coopérative centrale de production (13), prévoyant entre
autres la fourniture de matériel et de services divers à des associations coopératives
et à de petits artisans. La banque précise par ailleurs qu'elle a mis en place un dépar-
tement spécial chargé de gérer ses relations avec cette catégorie de clients, en identi-
fiant en particulier leurs besoins dans les zones où ils se trouvent (administration
décentralisée), et en faisant connaître plus largement les compétences qu'elle peut
mettre à leur disposition, et celles liées à ses spécificités islamiques : elle peut, entre
autres, être moins exigeante en matière de garanties demandées (aucune jusqu'à 5000
livres) et moins tatillonne du point de vue administratif.
La banque pouvait ainsi se vanter fin 1991 d'avoir réalisé deux projets précur-
seurs dans ce domaine, grâce à ses succursales d'al-Azhar et de Suez :

(12) al-A/am al-yom, 28/2/92.


( 13) Rapport d'activité 1990.
- Le marché de Khoranfish (quartier du Caire) pour les propriétaires d'ateliers
de production et les artisans, par la cession à ces derniers de 400 unités, et la créa-
tion de 1200 emplois.
- Le financement de plusieurs types d'artisanat et de petites industries.
Cette réorientation de sa stratégie d'investissement, si elle se précisait, pourrait
ainsi permettre à la banque Faysal de faire face à deux problèmes : d'une part, celui
de son adaptation à une nouvelle conjoncture créée par la réforme du système ban-
caire et financier, en captant un vaste marché qui est toujours resté largement hors de
portée des banques conventionnelles, et en prouvant par la même occasion sa voca-
tion à contribuer substantiellement à l'encouragement du secteur privé : d'autre part,
celui de sa conformité à sa vocation << islamique » - qui fonde une bonne partie de
sa légitimité face au client - à savoir sa capacité à se rapprocher des classes d'épar-
gnants et d'entrepreneurs les moins favorisées .

- Conclusion
Monde arabe
Maghreb Clairement, la réforme bancaire de 1991 vise à rehausser l'image de marque
Machrek des banques conventionnelles, et avant tout de celles du secteur public, auprès des
N° 141
juillet-août 1993 épargnants, ternie dans une large mesure par la montée au zénith des sociétés isla-
miques de placement de fonds jusqu'en 1988. Et ceci, beaucoup plus qu'elle ne vise
Egypte à l'instauration d'un véritable système concurrentiel dans le domaine bancaire,
Réforme bancaire
et finance islamique
comme le montrent par ailleurs le rôle essentiel des bons du Trésor dans la fixation
des taux d'intérêt, ainsi que les prérogatives encore non négligeables de la Banque
62 Centrale. Il est encore trop tôt, cependant, au stade actuel des réformes, pour se pro-
noncer sérieusement sur les évolutions à venir.
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En tout état de cause, une question importante reste posée, puisqu'elle renvoie
à un enjeu de taille, celui de la mobilisation de l'épargne disponible : la question de
·l'avenir du référent islamique sur la scène financière et bancaire. Un avenir qui peut
sembler compromis dans une large mesure par la fatwa du mufti de la République
légitimant le principe du taux d'intérêt et banalisant par là-même les expériences des
banques islamiques, mais qui doit également intégrer le phénomène de l'extension
croissante du réseau de succursales islamiques des banques conventionnelles (et à
leur tête, de la banque Misr). Il convient également de prendre en compte la donnée
de l'islamisme politique, dont l'influence sur la société civile aura inévitablement des
conséquences sur la demande d'islamisation des pratiques économiques et finan-
cières.

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