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LE SYSTÈME JUDICIAIRE MAROCAIN

La Documentation française | « Maghreb - Machrek »

1966/3 N° 15 | pages 31 à 37
ISSN 1241-5294
DOI 10.3917/machr1.015.0031
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ETUDES ET NOTES

LE SYSTEME dUDICIAIRE MAROCAIN

Les transformations intervenues depuis l'Indépendance périté économique d'un pays est conditionnée par la sécu-
dans l'organisation et le fonctionnement de la justice ma- rité du commerce et celle-cl par la garantie que peut don-
rocaine ont été lentes et progressives. C'est dans le cadre ner une saine organisation judiciaire.
du système judiciaire établi à la suite du-traité de protec-
torat de 1912 qu'ont été opérées de 1955 à 1965 les Le problème pour les « hautes parties contractantes ,
réformes qui ont conduit en dix ans à une marocanisation était d'abord de substituer au régime des capitulations (2)
et à une arabisation à peu près complètes de la justice. un nouveau régime qui reçût l'adhésion des · puissances
capitulaires dont la renonciation à leurs privilèges de
juridiction était escomptée dans un avenir plus ou moins
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proche. La France, en tant que puissance protectrice,
avait le devoir, en échange de l'abandon par elles de ce·s
avantages; d'organiser une justice qui leur assurât des
L'héritage du Protectorat garanties au moins égales et dans des conditions telles
que ni les ressortissants de ces puissances, ni les Maro-
Ce régime (1) était caractérisé par la juxtaposition de cains ne fussent exposés à y rencontrer rien qui fût incom-
plusieurs ordres de juridictions, différentes par leur per- patible avec ·leurs mœurs et leurs traditions respectives.
sonnel, la procédure, le droit applicable, la langue utili-
sée, la compétence. Les unes - formant la justice dite C'est à cette préoccupation que répondit le Dahir sur
" traditionnelle , (cadis, tribunaux de pachas et caïds, l'organisation judiciaire du 12 août 1913 qui fut rapide-
tribunaux coutumiers, tribunaux rabbiniques) - étaient ment promulgué. Il fut conçu de manière à sauvegarder
bien antérieures au traité de Protectorat. Les autres - les intérêts et la sécurité des étrangers, sans cependant
appelées improprement " tribunaux français " - étaient porter atteinte aux droits légitimes des Marocains. Il insti-
issues de ce traité, qui disposait en son article 1 : tua des juridictions, composées de magistrats français, et
appelées à remplacer les tribunaux consulaires, à l'égard
« Le Gouvernement de la République française et S. M. des Français d'abord, à l'égard des autres étrangers
.Je Sultan sont d'accord pour instituer au Maroc un nou- ensuite, au fur et à mesure de la renonciation des puis-
veau régime comportant des réformes administratives et sances dont ceux-cl relevaient, à leurs privilèges capitu-
judiciaires ... '' · Les réformes judiciaires, on le voit, venaient laires. D'une façon très résumée, compétence fut attribuée
en bonne place et l'article 2, s'il prévoyait certaines occu- à ces juridictions en matière civile et commerciale, pour
pations militaires, mettait l'accent sur la nécessité du statuer sur tous les litige·s dans lesquels des Français
maintien de l'ordre et de la séèurité des transactions étaient en cause, et en matière pénale, pour connaître des
commerciales. C'était là affirmer avec force que la pros- crimes commis par des Marocains au préjudice de Fran-
çais et des délits commis comme auteurs, co-auteurs ou
complices par les Français, auxquels étaient assimilés, au
civil comme au pénal, les ressortissants des Etats étran-
(1) Le régime décrit Ici est celui qui était en vigueur dans la
zone sud du Protectorat et par rapport auque l s'est faite pour gars qui ne jouissaient pas au Maroc de privilèges de
l 'essentiel la réforme des Institutions judiciaires du Maroc indé-
pendant. La zone nord et la zone Internationale de Tanger
avaient chacune un régime judiciaire propre, mals Identique dans
son principe à celui de la zone sud , puisqu'y coexistaient des (2) Le régime établi aux XVIII et XIX• siècles au profit de nombreux
juridictions maroca ines • traditionnelles • et des juridictions • mo- Etats étrangers comportait notamment pour les nationaux de ceux-cl
dernes • (Internationales ou • espagnoles • ). le privilège d'être jugés par leurs consuls au civil et au pénal.
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juridiction ou qui y avaient renoncé. Le Dahir attribua en Les nouvelles juridictions répondirent aux espoirs que
outre à ces juridictions, innovation d'importance, le conten- les signataires du Traité avaient mis en elles. Au cours
tieu x en matière administrative, évitant ainsi des conflits des années qui suivirent leurs attributions _furent encore
d'attribution. Une Cour d'appel fut créée à Rabat, dont le étendues, au-delà des limites que leur avait assignées le
ressort s'étendit à toute la zone française et dont les chefs Dahir sur l'organisation judiciaire, à nombre de matières
bien que relevant directement de la Chancellerie de Paris, spéciales, considérées comme particulièrement Importan-
jouirent dans leurs attributions administratives et budgé- tes pour la vie économique du pays, telles que les fail-
taires d'une autonomie plus large que leurs collègue·s mé- lites et les sociétés commerciales, quelle que soit la natio-
tropolitains. Des tribunaux de première instance furent nalité des parties en cause. Les magistrats français arri-
institués dans les principales villes. Enfin la justice fut vèrent nombreux au Maroc, animés par la foi et conscients
rapprochée du justiciable par la création de tribunaux de du caractère en quelque sorte international de la mission
paix à compétence considérablement plus étendue qu'en qui était la leur. Les puissances étrangères, trouvant auprès
France, surtout en matière pénale. En l'absence d'une d'eux, comme dans les textes qu 'ils appliquaient, des
Cour de cassation marocaine qui ne fut pas alors créée, garanties au moins égales à celles que leurs donnaient
la fonction régulatrice, d'ailleurs limi ~ée aux matières leurs tribunaux consulaires, renoncèrent aussitôt à leurs
civile, commerciale et pénale, fut assurée par la Cour de anciens privilèges. Seuls subsistèrent en tant que puis-
cassation française dont les décisions s'imposaient à la sances capitulaires la Grande-Bretagne jusqu'en 1938, les
juridiction de renvoi. Etats-Unis ju·s qu'à la décision de la Cour internationale de
La Haye en 1952. Quant aux Marocains, ils apprécièrent
vite les avantages que leur procurait une justice intègre,
·Le dahir de 1913 sur l'organisation judiciaire fut impartiale et soustraite aux ingérences politiques ou autres.
immédiatement suivi d'autres textes conçus dans le même Ils acceptèrent non seulement ces nouveaux juges dans
esprit. les limites réglementaires de leur compétence, mais sou-
vent même s'ingénièrent, à l'aide d'artifices de procédure,
à s'y soumettre en dehors de ces limites. Même pendant
Notamment le Dahir formant Code de procédure civile la période troublée qui précéda l'Indépendance et où ils
(7 mars 1916), institua devant les tribunaux français une eurent à appliquer des textes d'exception, les magistrats
procédure purement écrite, puisée dans les textes concer- français surent raison garder, et faire preuve de compré-
nant la procédure devant les tribunaux administratifs fran-· hension et de modération. Bref, on peut affirmer que, par-
çais et dont les traits essentiels sont l'extrême· simplicité mi les institution·s du Protectorat, la justice fut celle dont
et le caractère peu formaliste. Comme le souligne l'intro- la réussite fut la moins contestée et que les tribunaux
duction de ce texte, c'eOt été mal concevoir les réformes français contribuèrent, selon le vœu exprimé par le traité,
judiciaires annoncées que d'introduire au Maroc le sys- au développement économique du pays. Peu avant l'indé-
tème compliqué et un peu archaïque de la procédure pendance, on put entendre un jeune avocat marocain, qui
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civile française et de « faire débarquer au Maroc en même ne faisait pas mystère de sa foi nationaliste, déclarer en
temps que les nouveaux juges, le groupe entier des offi- péroraison de son discours à la conférence du stage que
ciers ministériels et autres auxiliaires de justice qui les si « la justice française venait à être plébiscitée, elle le
entourent et les assistent dans la métropole "· Pour les serait à 105 % "·
remplacer, on cn~a un corps de fonctionnaires spéciali"sés,
·les secrétaires-greffiers, qui réunirent en leurs mains les
attributions dévolues en France aux greffiers, aux huis-
L'institution de cette justice n'avait pas entraîné la
siers, aux commi·ssaires priseurs, aux liquidateurs et aux
disparition des juridictions « traditionnelles .. qui, par leur
syndics de faillite. Pour donner toute garantie aux justi-
nombre et leur variété, formaient une véritable mosaïque :
ciables, leur recrutement fut strictement réglementé, des
tribunaux de pachas et caïds statuant sur les litiges civils
règles sévères de discipline leur furent imposées et les
entre Marocains et connaissant en matière pénale des
magistrats, sous l'autorité desquels ils furent placés, furent
infractions, commises par ceux-ci, qui n'avaient pas été
invités à exercer sur eux une étroite et continuelle sur-
expressément attribuées aux tribunaux français ; cadis et
veillance. Fonctionnaires de l'Etat, c'est l'Etat qui fut res-
tribunaux rabbinique·s jugeant en matière de statut person-
ponsable de leurs fautes de service.
nel ; tribunaux coutumiers en pays berbère. Ces juridic-
tions statuaient selon des normes très différentes de celles
des juridictions françaises, parfois même en dehors de
Seuls subsistaient comme auxiliaires de justice indépen- règles précises. Mais c'est moins leur multiplicité et leur
dants, les avocats, indispensables pour représenter les hétérogénéité qui prêtaient à critique, que leur caractère
plaideurs et les assister de leurs conseils avec foutes les vétuste et la qualité fréquemment insuffisante de la jus-
garanties de compétence et d'honorabilité désirables. A tice qu'elles rendaient.
la fois avocats et avoués, puisque mandataires des parties
et habilités à faire tous actes, à remplir toutes formalités
et à intervenir dans toutes les mesures d'instruction néces-
saires pour parvenir au jugement, leur profession et leur Malgré les retouche·s qui leur furent apportées entre
discipl ine furent organisés par un Dahir qui, définissant 1912 et 1955, notamment par la création d'un haut tribunal
leurs droits et leurs devoirs, assura leur indépendance tant chérifien et d'un tribunal d'appel du Chraa auxquels pou-
vis-à-vis des tribunaux que des pouvoirs publics. L'accès vaient être déférées dans la plupart des cas les décisions
des barreaux fut ouvert, en même temps qu'aux Français, des juridictions inférieures, les réformes prévues par le
aux Marocains et aux étrangers remplissant les conditions traité de Protectorat avaient été, en ce qui les concerne,
requises. trè·s limitées. Cette justice était très vivement et presque
LE SYSTEME JUDICIAIRE MAROCAIN
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unanimement attaquée. On lui reprochait, non peut-être


sans quelque exagération, son arbitraire et sa vénalité, et
surtout la réunion entre les mains des pachas et caïds
des fonctions administratives et judiciaires. Cette confu-
·sion, évidemment commode pour le pouvoir, était spécia-
Un régime de transition
lement critiquée, à la veille de l'indépendance, par les
milieux nationalistes. En 1944 avait été, il est vrai, mis à
J'étude un projet de réforme qui avait pour buts essentiels
de séparer les fonctions judiciaires et administratives et La gravité et la difficulté du problème n'échappa pas aux
d'édicter des codes qui imposeraient au juge de statuer nouveaux dirigeants du Maroc. Ils décidèrent de parer au
~elon des règles de droit précises. L'élaboration en fut plus pressé, et eurent la sagesse de comprendre que leur
lente et laborieuse et la réforme - d'ailleurs limitée - pays ne pouvait, du jour au lendemain, se priver d'une
ne vit le jour qu'en· 1953. Encore l'application n'en fut-elle organisation judiciaire qui, loin de soulever des critiques,
pas immédiate, des mesures transitoires laissant en fait avait au contraire reçu l'adhésion tant des masses maro-
aux pachas et caïds de larges pouvoirs pénaux et aucun caines que des nombreux étrangers participant à la vie
code n'étant prévu pour les matières civiles et commer- économique du Royaume. Ils firent preuve d'un louable
ciales. La réforme ne touchait pas d'autre part à la jus- réalisme en la laissant provisoirement subsister, tel·le
qu'elle avait été instituée, quelque paradoxale que pOt
tice coranique.
être, sur le plan des principes, la coexistence de deux
o1dres de juridictions composés de magistrats d'origines
différentes et statuant selon des règles n'ayant entre el·les
aucun point commun. Et c'est ainsi que fut rapidement
négociée et conclue le 5 octobre 1957 (1) la convention
d'aide judiciaire franco-marocaine par laquelle la France
s'engageait, aussi longtemps que le Maroc en aurait be-
soin et en manifesterait le désir, à mettre à sa disposition
pour exercer au Maroc des fonctions judiciaires, des ma-
gistrats détachés par les soins du ministère français des
Affaires étrangères, assurés de poursuivre leur carrière en
Dans l'esprit même de ceux qui l'avaient conçue, la France conformément à leur statut, mais liés au gouverne-
réforme des institutions judiciaires marocaines réalisée ment marocain par contrat. Le contrat, établi conformé-
par le Protectorat, ne devait être qu'un palier. Si les tri- ment à un contrat-type, annexé à la convention, indiquait
bunaux français à l'époque de leur création représen- le poste auquel le mag istrat serait affecté, sans que cette
taient une solution heureuse et efficace, il ne s'ensuivait affectation pût être modifiée sinon par avenant, et pré-
pas qu'ils dussent se perpétuer, du moins dans leur forme
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voyait la rétribution qui lui serait servie par le Maroc, et
initiale. L'évolution inévitable et souhaitable du pays devait qui correspondait au traitement auquel avait droit à Paris
s'accompagner d'une évolution parallèle des institutions. un magistrat de son grade, avec une majoration de 33 %.
L'erreur fut de ne pas le comprendre. A l'indépendance, Le gouvernement marocain pouvait mettre fin au contrat
les tribunaux français demeuraient tels qu'ils étalent qua- en ob·servant un certain préavis, ou sans préavis, mais par
rante ans auparavant. L'accès aux f_onctions de juges, mesure disciplinaire prise après consultation d'une com-
comme à celles de leurs auxiliaires, les secrétaires-gref- mission composée d'un nombre égal de hauts magistrats
fiers, continuait d'être strictement réservé aux seuls Fran- marocains et français. La convention stipulait d'autre part
çais et les Marocains, dont un grand nombre cependant que dans les juridictions où ces magistrats seraient appe-
avaient reçu un enseignement dans les écoles et les uni- lés à siéger, la langue française serait la seule prati-
versités françaises et constituaient des éléments de valeur quée.
incontestable, en demeuraient rigoureusement exclus. Seul
le barreau constituait une carrière possible pour les jeunes
Marocains formés aux disciplines juridiques occidentales. Cette solution très différente de celle adoptée en Tuni-
La cloison demeurait d'autre part étanche entre ces juri- sie qui, dès la proclamation de son indépendance, pro-
dictions et les tribunaux traditionnels qui continuaient à céda à l'unification de ses tribunaux, permit, dans l'immé-
statuer selon les règles anciennes et dans la même confu- diat, de conserver avec toutes leurs attributions, les juri-
sion des pouvoirs. dictions instituées par le Dahir sur l'organisation judi-
ciaire.

N'eût-il pas pourtant été sage de prévoir qu 'un jour Bien entendu ces juridictions perdirent leur caractère
plus ou moins proche viendrai( où les rapports de de juridictions françaises, et ne statuèrent plus qu'au nom
la France et du Maroc seraient régis par d'autres du Souverain marocain et non plus comme par le passé,
liens que ceux de protecteur à protégé, et dans au nom de la République française et de S. M. le Sultan.
cette perspective, d'ébaucher, sinon de réaliser une cer- Elles furent d'abord désignées par une périphrase " Juri-
taine unification des juridictions, en créant 'Peu à peu des dictions instituées par le Dahir du 12 aoOt 1913 "• puis,
juridictions mixtes au sein desquelles des magistrats ma-
rocains, se formant au contact de leurs collègues fran-
çais auraient pu, le moment venu, assurer la relève ?
Sinon, qu'allaient devenir les juridictions françaises dans
un pays recouvrant soudain sa pleine souveraineté ? (1) Cf Notes et Etudes Documentaires n• 2359, édit. • La Documen-
34 ETUDES ET NOTES

dans Je langage courant qui s'introduisit rapidement dans Je début, et à l'inverse du personnel magistrat, Je recrute-
les texte·s, par J'expression : " juridictions modernes "• ment au titre de l'assistance technique se révéla malaisé.
qui les distinguait des juridictions traditionnelles, appelées Constituant en effet une classe de fonç:tionnaires qui
"juridictions de droit commun"· Les fonctiàns adminis- n'avait pas son équivalent en France, les secrétaires-gref-
tratives des chefs de la Cour de Rabat furent transférées fiers français du Maroc, se· montrèrent inquiets de leur
au ministère de la Justice, dont J'organisation fut fixée par " recasement , dans leur pays d'origine. Il eût fallu, pour
divers Dahirs et qui, selon le dernier en date (21 août les rassurer, les intégrer immédiatement dans les diverses
1961), comprend actuellement, outre Je cabinet du ministre administrations françaises, tout en ·les maintenant en posi-
auquel est directement rattaché un bureau d'études légis- tion de détachement au Maroc et en leur assurant en
latives, un secrétariat général chargé de " l'inspection France la poursuite normale de leur carrière. Une certaine
des cours et tribunaux et de la coordination de J'activité incompréhension de la situation se manifesta de la part
des différentes directions "• une direction des Affaires de J'administration française qui exigea, pour les admettre
civi·les, une direction des Affaires criminelles et des grâces, dans son sein, la fin de leur détachement et leur retour
une direction de J'Administration générale et du Personnel en France. Malgré les efforts déployés par les autorités
et une direction de J'Administration pénitentiaire. pour les retenir, les départs furent aussitôt nombreux, pour
devenir vite massifs. Les meilleurs éléments, capables de
trouver en France un << recasement , avantageux, soit dans
Je secteur public, soit dans Je secteur privé, firent bientôt
JI ne pouvait davantage être question, pour le Maroc cruellement défaut et ce fut la première brèche apportée
indépendant, d'admettre Je maintien des anciennes préro- à un système judiciaire dont Ils étaient les assises indis-
g_atives de la Cour de cassation française et J'un des pre- pensables.
miers actes . du gouvernement marocain fut de créer une
Cour suprême dont les attributions englobèrent celles dé-
volues en France au Consei·l d'Etat, à la Cour de cassation
et au Conseil constitutionnel. Cette haute juridiction, dont Dans la pratique, la solution ainsi adoptée ne souleva
Je siège est à Rabat, est chargée de statuer sur les pour- guère de difficultés. Nombreux furent les magistrats fran-
vois en cassation formés contre les arrêt·s et jugements çais qui consentirent à poursuivre leur carrière dans un
rendus par les cours et tribunaux de tous ordres, ainsi pays auquel ils étaient attachés. De son côté, Je gouver-
que sur les recours en annulation pour excès de pouvoir nement marocain, dans lequel figurait une majorité d'avo-
formés contre les décisions des autorités administratives, cats qui avaient pu apprécier leur savoir et leur dévoue-
et elle connaît en outre de certains règlements de juges, ment, ne prononça d'exclusive contre aucun d'entre eux.
· des prises à partie, des demandes de dessaisissement pour Pour combler les vides causés pourtant par certains dé-
cause de suspicion légitime ou de sécurité publique et parts, des magistrats métropolitains furent détachés, eri
des demandes d'extradition. Elle comprend quatre cham- même temps qu'il était fait appel à des avocats français,
bres, statuant à cinq magistrats : une première chambre, souvent titulaires d'importants cabinets, et qui furent heu-
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divisée par la suite en trois sections, appelée à contrôler reux, tout en trouvant là une honorable fin de carrière,
les décisions des juridictions traditionnelles, une chambre d'apporter à la nouvelle justice marocaine, Je concours
administrative, une chambre civile et une chambre crimi- de ·leurs capacités et de leur expérience.
nelle. Pour compo·ser les trois dernières, Je gouvernement
marocain fit appel à de hauts magistrats français de J'or-
dre administratif et judiciaire. Mais, notons-Je en passant,
et nous y reviendrons tout à l'heure, l'on trouve dans J'or- Parallèlement à J'aménagement qui vient d'être décrit
ganisation et la composition données dès J'origine à la de la justice dite. moderne, Je Maroc se préoccupa de la
Cour suprême, J'ébauche de la future unification de la réorganisation de la justice dite de droit commun, et à
justice. Outre qu'elle est placée sous J'autorité unique cet effet, conduisit à son terme la réforme esquissée dans
d'un premier président et d'un procureur général maro- les dernières années du protectorat, en mettant fin à la
cains, J'attribution de compétence faite à ses diverses confusion des pouvoirs par Je retrait aux pacha·s et
chambres n'a que la portée d'une règle de spécialisation caïds de leur attributions juridictionnelles. Celles-ci
technique et un article du Dahir qui J'a crééè dispose que furent confiées aux tribunaux du Sadad, homologues des
" toute chambre pèut valablement instruire et juger, quelle tribunaux de paix, aux tribunaux régionaux, correspondant
qu'en soit la nature, les affaires soumises à la Cour » . Les aux tribunaux de première instance, et aux chambres de
trois chambres " modernes , comprirent d'ailleurs dès la Cour d'appel, qui, bien que relevant de J'autorité du
leur création, à côté des magistrats français, des magis- même premier président que les chambres modernes,
trats marocains. n'en étaient pas moin·s distinctes de ces dernières par
leur composition et leur compétence. Notons cependant
qu'à Tanger fut, dès 1957, réalisée J'unification des juri-
dictions par la création d'une Cour d'appel englobant
En même temps, J'accès des juridictions modernes, dans son ressort J'ancienne zone · internationale et J'an-
autrefois réservé aux magistrats français, fut ouvert aux cienne zone espagnole et par la fusion des tribunaux sous
Marocains, mais par un acte de législation interne, le gou- une appellation unique : tribunaux régionaux et tribunaux
vernement marocain s'imposa de n'y nommer que des du Sadad dan·s lesquels furent répartis les anciens magis-
magistrats titulaires au moins de la licence en droit. trats de ces deux zones. Par la suite la Cour d'appel de
Rabat vit sa compétence territoriale diminuée par la créa-
tion d'une Cour d'appel à Fès, comprenant les ressorts
Demeurèrent également dans leur forme et leur compo- des tribunaux de Fès, Meknès et Oujda et fonctionnant
sition initiale les secrétariats-greffes, dont cependant, dès dans les mêmes condition·s que celle de Rabat.
LE SYSTEME JUDICIAIRE MAROCAIN 35

Fut enfin réorganisée la juridiction traditionnelle des promotions rapides, sinon foudroyantes étaient nombreu-
Cadis, juges du statut personnel musulman qui remp·lacè- ses, de persuader ·les jeunes diplômés de se contenter
rent en pays berbère les anciens tribunaux coutumiers. de postes de juges ou de substituts, de " faire leu(s clas-
ses ., avant de gravir un à un tes échelons d'une carrière
Certaines modifications intervinrent au cours des années qui comportait déjà, en elle-même, plu·s de servitudes que
qui suivirent, notamment en matière pénale, par l'unifica- de grandeur, de se résigner à une vie modeste, voire mé-
tion des tribunaux criminels qui connurent désormais de diocre, en comparaison de celle des administrateurs lo-
tous les crimes, quelle que tOt la nationalité de leurs caux, des membres des cabinets ministériels, ou des diplo-
auteurs et de leurs victimes. Notons aus·si qu'un des pre- mates, qui offrait de plus grands avantages matériels et
miers actes du Maroc indépendant fut la promulgation des perspectives d'avenir plus flatteuses. Certains, peu
d'un Dahir formant code de justice militaire (10 novembre nombreux, qui s'y résignèrent cependant, eurent vite l'im-
1956) qui institue pour les membres des forces armées pression qu'ils se fourvoyaient, et saisirent la première
royales une justice pénale propre rendue par un tribunal occasion qui se .présenta pour s'échapper vers des des-
militaire permanent dont le siège est à Rabat et qui statue tinées plus brillantes (1).
sous le contrôle de la Cour suprême.
On chercha alors, sans beaucoup y croire, une solution
dans une formation accélérée des cadres de juristes, en
permettant l'obtention d'une licence en droit dans des
délais restreints et en créant à l'Ecole marocaine d'admi-
Obstacles sur la voie d•une nistration une section judiciaire. Les résultats furent déce-
réforme totale vants, les candidats peu nombreux et de niveau moyen
insuffisant.
Ainsi, plusieurs années après l'indépendance, du fait du
Au surplus, et c'est là, on l'a dit, le second obstacle
caractère limité et progressif des réformes intervenues, les
auquel se heurta le gouvernement marocain, il eOt fallu,
habitants du Maroc, nationaux et étrangers, pouvaient
pour que les magistrats marocains pussent mettre à pro-
avoir l'impression que rien n'avait changé dans le pays au
fit l'expérience de leurs collègues françai·s, qu'ils prati-
point de vue judiciaire. La solution adoptée, tout heureuse
quassent la même langue. Or, si le Maroc est un pays
qu'elle fût dans l'immédiat, ne pouvait être cependant que
bilingue, en ce sens que la majorité de ses élites y parle
transitoire ; un jour plus ou moins proche devait venir
où la juxtaposition des différentes juridictions ne paraîtrait
à la fois le français et l'arabe, ce n'est point le cas de
plus acceptable et où l'unification s'imposerait. Il eût donc tou·s ses magistrats ; quant aux magistrats français, bien
été bon de préparer cette unification, notamment en met- que certains résidassent au Maroc depuis de longues
tant à profit le maintien provisoire des juridictions moder- années, aucun· d'entre eux, à quelques rares exceptions
ne·s et des magistrats qui les composaient, et en y intro- près, ne parlait l'arabe.
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duisant peu à peu des magistrats marocains qui se seraient
formés aux disciplines juridiques, et auraient été en me-
sure d'assurer la relève. C'eOt été ainsi une unification par
le haut, une absorption de·s ju~idictions de droit commun Les réformes de t 9&5 :
par de nouvelles juridictions offrant toutes les garanties unification et arabisation
désirables. Mais d'autres tâches considérées comme plus
urgentes détournèrent de ce problème, malgré son impor-
tance, l'attention de's autorités marocaines, qui se heur- Au fur et à mesure, cependant, que les années s'écou-
tèrent d'autre part à deux obstacles : celui des cadres et laient, l'expédient accepté à titre provisoire faisait de plus
celui de la langue. en plus l'objet de vives critiques et notamment de la part
des milieux marocains les plus impatients de voir dispa-
Certes, pendant le Protectorat, un certain nombre de raître les v~tiges de la période du Protectorat.
jeunes Marocains avaient fait soit à la Faculté de Rabat,
soit dans les universités françaises, de bonnes étude·s de Un nouveau pas fut fait vers l'unification par le sommet
droit. Licenciés ou docteurs, ils s'étaient pour la plupart en plaçant sous la même autorité les juridictions moder-
inscrits dans les différents barreaux du Maroc où certains nes et de droit commun : un premier président et un
avaient brillamment réussi. Ce fut dans leurs rangs procureur général marocains furent nommés à la tête de
que le pays puisa pour pourvoir les hauts postes du ta Cour d'appel de Rabat, puis de la Cour d'appel de Fès,
gouvernement et de l'administration. Mais ce contingent nouvellement créée ; il en fut de même peu à peu pour
fut rapidement épuisé, et il n'y eut bientôt p·lus un seul les tribunaux de première instance. Mais cette solution
avocat musulman ·inscrit au grand_ tableau des différents n'en était pas une et l'unification qui en résultait n'était
barreaux. Il était, dès lors, difficile d'e·spérer trouver des qu'apparente, puisque, même sous une direction unique,
éléments pleinement qualifiés pour consentir à exercer juridictions modernes et juridictions de droit commun
les fonctions moins prestigieuses que pouvait offrir la continuaient à fonctionner parallèlement selon des règles
magistrature, du moins dans les po·stes inférieurs. Si le essentiellement différentes. Il était prévisible que sous la
gouvernement eut relativement peu de peine à trouver des
candidats pour les postes de premier président ou de pro-
cureur général, voire même de conseillers à la Cour suprê- (1) On doit d'ailleurs noter que ce phénomène de désaffection
me, il n'en fut pas de même pour les po·stes de début, et pour les carrières judiciaires et singulièrement pour la magistrature
n 'est pas spécial au Maroc. Il se manifeste actuellement dans
c'était pourtant là l'essentiel. Il était difficile, à une époque d'autres pays, et notamment en France où il commence à poser
où, dans la soudaineté de l'indépendance recouvrée, les des questions inquiétantes.
36 ETUDES ET NOTES

pression de forces diverses et à plus ou moin·s brève tion qui a été conclue avec la France le 20 mai 1965 (2),
échéance, une autre solution serait adoptée. mais sous la forme d'une « assi·stance technique , dont
l'objet et les modalités n'ont pas été pr,éclsés par cet
C'est ce qui se produisit lorsque le Parlemènt marocain accord. A ce titre, il se trouve au Maroc 55 magistrats
vota, sur proposition de ses membres mais sans que le français placés auprès des différentes juridictions auxquels
gouvernement y fît d'objection, la loi décidant l'unification il convient d'ajouter, d'une part les magistrats en fonction
et l'arabisation des juridictions du Maroc. Cette loi fut au ministère de la Justice ou dans d'autres départements
adoptée à l'unanimité sous les acclamations des députés ministériels (une demi-douzaine environ), et une autre de-
le 2 juin 1964. Elle dispose que sont unifiées, sur l'ensem- mi-douzaine de contractuels qui n'appartiennent pas aux
ble du territoire du· Royaume, toutes les juridictions maro- cadres de la magistrature française. Par rapport à l'année
caines à l'exception du tribunal militaire et de la Haute précédente, la diminution e·st d'un peu moins de 50 %.
Cour de justice mentionnée au titre VIl de la Constitution ; Cette réduction du nombre des magistrats français s'est
que les juridictions ainsi unifiées comportent les tribunaux accompagnée d'un profond bouleversement dans leur ré-
du Sadad, les tribunaux régionaux, les Cours d'appels et la partition géographique. Il n'existe plus en effet que des
Cour suprême, et que seront applicables devant elles, ou- équipes réduites auprès des princ·pales juridiction·s maro-
tre les lois civiles et pénales actuellement en vigueur, caines ( 4 à la Cour suprême, 5 à la Cour d'appel de
toutes les règles en matière de « chraa , et de législation Rabat) alors que des conseillers techniques ont été placés
hébraïque (ce qui implique la suppres·sion des anciens dans la plupart des tribunaux et même auprès d'un cer-
tribunaux des cadis et des tribunaux rabbiniques dont les tain nombre de tribunaux du Sadad « à compétence éten-
compétences sont transférées en premier ressort aux tri- due"· Le résultat est que des magistrats français sont
b.unaux du Sadad, en second degré aux tribunaux régio- aujourd'hui affectés dans des tribunaux qui, jusqu'ici en
naux) ; que nul ne peut exercer les fonctions de magi·strat avaient été dépourvus, tels que ceux de Beni Mellal, Taza,
au Maroc s'il n'est de nationalité marocaine ; enfin que Kenitra ou Ksar es Souk et dans la circonscription des-
seule la langue arabe est admise devant les tribunaux tant quel·s la population européenne n'est guère plus qu 'un
pour les débats et les plaidoiries que pour la rédaction souvenir.
des jugements et arrêts. Cette loi impartis·sait un délai,
avant l'expiration de l'année 1965, pour sa mise en appli- Dans les tribunaux les plus importants, les magistrats
cation, mais dans l'immédiat elle disposait que tous les ont jusqu'ici continué pour l'essentiel à travailler sur dos-
délits et contraventions prévus par le Dahir sur l'organisa- siers, c'est-à-dire à préparer des rapports et des projets
tion judiciaire, relèveraient, dès sa publication, de la com- de décision sur des affaires dont l'instruction s'était dé-
pétence des tribunaux de droit commun. roulée en langue française et se trouvait pratiquement ter-
minée au 1"' janvier dernier. Dans les autres ils sont appe-
La loi, qui n'a été publiée au « Bulletin officiel , que le lés à aider leurs collègues marocains de leur avis lors-
3 février 1965 (1) , a été ·appliquée à la date prévue, met- qu'ils seront consultés.
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tant ainsi un terme à une période transitoire qui aura duré
plus de huit ans.
Il est encore trop tôt pour porter un jugement sur les
résultats de cette nouvelle expérience, mais on peut pen-
ser que la tâche de ces magistrats, intéres·sante en raison
de sa nouveauté, sera, de ce fait même, délicate et dif-
ficile.
DIFFICULTES ET PROBLEMES ACTUELS

L'arabisation est entrée en vigueur dès le 1"' juillet


Aucune objection de principe ne peut être faite à une 1965. Depuis lors tous les recours, mémoires, conciu·sions
réforme qui était non seulement prévisible, mais souhaita- doivent être présentés en langue arabe devant toutes les
ble. Les condition·s dans lesquelles elle est intervenue font juridictions marocaines. A titre de mesure transitoire, il
naître toutefois quelques inquiétudes. Les unes concernent avait été prévu que, jusqu'au 1•• janvier 1966, un double
le sort des très nombreux litiges qui étaient pendants de- en langue françai·se ou espagnole pourrait être joint aux
vant les juridictions modernes lors de l'entrée en vigueur originaux en langue arabe. Aucune distinction n'a été faite
de la réforme ; aucune disposition transitoire n'a été pré- entre les affaires nouvelles et les affaires en cours.
vue pour en assurer la. liquidation par des tribunaux qui
ne comportent plus que des magistrats marocains, dont la
En fait, un certain nombre « d'arrangements » sont in-
majorité n'est pas bilingue. Les autres ont trait aux condi-
tervenus dans divers tribunaux, qui ont permis aux plai-
tion·s dans lesquelles la justice marocaine unifiée, dont on
deurs et aux avocats étrangers, soit jusqu'au 1"' janvier
a indiqué plus haut les difficultés de recrutement, assu-
mera, tant que celles-ci persisteront, une tâche que ses 1966 de produire directement en langue française avec
une simple mention en arabe, soit même après le 1"'
magistrats accompliront seuls désormais.
janvier de continuer à joindre aux requêtes et mémoires
Depuis le 1er janvier 1966, les magistrats français n'exer- en langue arabe, des doubles en langue française.
cent plus, en effet, au Maroc de fonctions juridictionnelles.
Certains d'entre eux continuent cependant à apporter à ce Une tolérance a cependant revêtu un caractère officiel
pays leur concours en application d'une nouvelle conven- elle concerne ·les documents produits devant les tribunaux

(1) Cf Bulletin officiel du Royaume du Maroc n• 2727 du 3 février (2) Publiée au • Journal officiel • de la République française,
1965. 1•• janvier 1966, p. 23.
LE SYSTEME JUDICIAIRE MAROCAIN 37

par de's administrations publiques (Eaux-et-Forêts, Douane, Quant aux secrétaires-greffiers, il ne reste plus parmi
et surtout gendarmerie) qui, se trouvant dans l'impossibi- eux que sept ou huit Français ; en dehors de quelques
lité de rédiger dans l'immédiat tous leurs actes en langue juridictions importantes où ils jouent un rôle de co6rdina-
arabe, continuent à s'adresser aux tribunaux en français. tlon, leur connaissance insuffisante de la langue arabe
Elles ont été toutefois invitée'S à accélérer' l'arabisation devrait entraîner leur disparition assez prochaine. La situa-
de leurs cadres. tion de ce cadre d'auxiliaires de la justice est d'ailleurs
critique en raison d'un recrutement difficile, dont l'insuf-
fisance pèse déjà sur l'accomplissement en temps voulu
L'arabisation des juridictions a parallèlement entraîné des actes de procédure incombant aux greffes.
c.elle des barreaux qui a déjà provoqué le retour définitif
en France d'un tiers environ des avocats français. Un Mais le problème le plus grave re·ste cependant celui
cinquième ou un quart tout au plus parait décidé à de- du recrutement et de la formation en nombre suffisant de
meurer au Maroc, au moins pour quelques année'S. Quant magistrats qualifiés. L'Institut d'études judiciaires ne fonc-
au reste, Ils sont à l'heure actuelle dans une incertitude tionne pas encore. Quant au recrutement par vole de
motivée surtout par les difficultés de réinstallation en concours, si 100 places ont été mises au concours au
France. Demeurent au Maroc ceux qui trouveront une solu- début de l'année 1966, il ne s'est inscrit qu'un nombre
tion dans une association avec des confrères marocain'S, très faible de candidats, largement inférieur au nombre de
au sein de ·laquelle ils se réservent le travail de cabinet. postes à pourvoir.

LA PRESSE EN TUNISIE
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Historique
Abordons l'étuae de la presse tunisienne par un aperçu tions furent telles qu'on est en droit de s'étonner qu'elle
de 'Son évolution historique ; les problèmes qu'elle doit ait pu y ré'Sister.
affronter aujourd'hui résultent en effet des conditions de
sa naissance et de sa vie - ou de sa survie - au long En 1875, les publications des imprimeurs et libraires
des ans. furent soumises à l'approbation préalable de deux inspec-
teurs de la Grande Mosquée, et dans les cas douteux, à
Le premier journal imprimé en Tunisie semble avoir été celle du gouvernement lui-même. Aussi le'S Tunisiens pré-
" Il Giornale di Tunisi e di Carthagine , que créèrent en férèrent-ils faire Imprimer à l'étranger (en Italie ou à
1838 deux Italiens réfugiés dans la Régence, sous Ahmed Malte) les premiers journaux qu'ils rédigèrent ; ils les
Pacha Bey. firent parfois imprimer clandestinement à Tunis.

A cette époque, le régime des " capitulations " auquel Lorsqu'après la campagne de Tunisie fut instauré le
étaient soumis les étrangers en Tunisie leur permettait de Protectorat français (1883), la situation évolua.
faire circuler des publications éditées dans leurs langues
respective·s. De presse arabe tunisienne, il n'en existait La colonie française récemment arrivée de la métropole
point et c'est pour remédier à ce défaut que Mohammed se trouva en butte à la fois à l'effervescence populaire,
es-Sadok Bey, prenant modèle sur les initiatives de la aux attaques violentes de la presse italienne, aux métho-
Turquie ottomane, de I'Egypte et de l'Algérie, créa le 22 des différentes de l'administration beylicale et à la surveil-
juillet 1860 la première imprimerie arabe officielle du ter- lance étroite de la J;lésidence. Les bulletins d'information
ritoire et le premier journal. C'était " ar-Raid at-ToOnousî " publié·s par la filiale de l'Agence Havas, installée à Tunis ·
(Le Bulletin· de Tunisie), qui devint par la suite le " Journal dès 1881, ne lui parurent pas de nature à la défendre :
officiel ». Mais par décret, -le Bey interdisait en même elle désira son propre porte-parole.
temps la parution de tout autre journal.
Ainsi naquit - après toutefois ·le " Journal officiel "
C'est ainsi qu'à ses débuts la presse tunisienne connut publié en français (1883) - " Tunis-Journal », le 28 février
la contrainte. Plusieurs fois dans son histoire les restric- 1884.

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