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LA MONTÉE EN PUISSANCE DES PROTESTANTS ÉVANGÉLIQUES DANS
LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE AMÉRICAINE
Sébastien Boussois
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Sébastien Boussois
Enseignant en relations internationales, chercheur
en sciences politiques associé à l’Université libre
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de Bruxelles (ULB) et à l’Université du Québec à
Montréal (UQÀM), et auteur de France-Belgique,
la diagonale terroriste (avec Asif Arif, La Boîte à
Pandore, 2016) et Le naufrage de la Méditerranée
(Érick Bonnier, 2018).
Résumé Abstract
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La montée en
puissance
des protestants
évangéliques
dans la politique
étrangère américaine
Sébastien Boussois
L
a décision de Donald Trump, en décembre 2017, de transférer l’ambassade
des États-Unis en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem a pu apparaître comme
un énième avatar du fantasque président américain. En réalité, ce « rêve »
de faire de Jérusalem la capitale de l’État hébreu s’inscrit dans le rapport
historique de l’Amérique au religieux, caractérisé par une conviction quant à
un rôle « missionnaire » dans le monde et dans la lutte éternelle – et biblique – du
Bien contre le Mal. La vision de cette Jérusalem « resanctifiée » trouve ses origines
dans des courants chrétiens évangéliques qui n’ont cessé de se développer et de
s’affirmer depuis la création des États-Unis.
« Le terme évangélique, du grec evangelion, “évangile”, qui signifie “la bonne
nouvelle”, est apparu en Europe au XVIe siècle, au cours de la Réforme, lorsque
des penseurs catholiques ont cherché à qualifier les Églises protestantes qui
prônaient un retour aux enseignements de la Bible. »1, précise Célia Belin. Alors
que l’on estimait en 2011 le nombre d’évangélistes dans le monde à 506 millions,
1. Célia Belin, « Les protestants évangéliques aux États-Unis et la politique étrangère américaine »,
Annuaire français des relations internationales, vol. VII, Centre Thucydide – Université Paris II
Panthéon-Assas, 2006.
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ÉCLAIRAGES
on les estime actuellement à environ 619 millions. Ils seraient 20 % de ce total à
être américains. La particularité des évangélistes états-uniens est à rapprocher
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du message des Pères fondateurs convaincus d’avoir été choisis par Dieu pour
conquérir l’Amérique et en faire un phare de la civilisation, la Nouvelle Jérusalem
en somme. Religion de conversion, le christianisme évangélique a trouvé un
terreau plus fertile aux États-Unis que dans la vieille Europe.
Si l’importance de la croyance semblait s’être quelque peu érodée de
la conscience politique américaine dans les années 1960 à 1980, elle s’est
soudainement raffermie à la faveur de l’effondrement du bloc soviétique dans les
années 1990. L’adhésion à une foi, qui jusque-là restait principalement un ferment
social et communautaire – souvent simplifié dans son interprétation, surtout
dans les États ruraux et du « Bible Belt » –, est redevenue peu à peu une conscience
exprimée, notamment lors des campagnes électorales, durant lesquelles de plus
en plus de candidats, républicains comme démocrates, multiplient les références
à Dieu, à la mission de l’Amérique, à un retour progressif à une morale plus
structurée et à une vision plus manichéenne du monde.
Cette progression des mouvements évangéliques en fait des partenaires
économiques et politiques incontournables, à tel point que l’on parle, aux
États-Unis, de « religion civile »1. La grande diversité de « tendances » au sein
du mouvement évangélique – méthodistes, épiscopaliens, adventistes, etc. –
n’empêche nullement l’unicité et le succès d’une vision du monde dessinée à
partir de la Bible.
1. Conceptualisée par Jean-Jacques Rousseau, la religion civile vise à unifier les membres d’une
communauté. Aux États-Unis, religion et politique sont mêlées depuis la fondation du pays et
ont pour but de souder la nation américaine. Pour plus de détails, voir Mark Benett McNaught, La
religion civile américaine. De Reagan à Obama, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.
2. Bernadette Rigal-Cellard, « Le président Bush et la rhétorique de l’axe du Mal », Études, tome 399,
2003.
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Les pr ot est ants évangél i ques dans la politique étr angèr e américaine
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président « messager » : l’islam politique, celui qui avait pourtant combattu
aux côtés de l’Amérique contre les communistes. Prenant la tête de cette
nouvelle croisade, les États-Unis visaient également à imposer à toutes les
forces occidentales de s’unir pour survivre. Cette attention à l’égard de l’islam
politique et de ses dérives islamistes, destructrices et meurtrières sous l’influence
d’Al-Qaïda, a également servi de levier à la montée en puissance des courants
chrétiens et évangéliques non seulement en Amérique du Nord et en Europe,
mais aussi en Amérique latine, en
Afrique subsaharienne ou encore en Reconnaître Jérusalem capitale de
Asie. La lutte contre le terrorisme et
l’obscurantisme religieux s’est ainsi l’État d’Israël n’est que la dernière
muée en retour aux sources et en étape d’un long processus historique,
quête de purification. De cette vision
tranchée du monde a progressivement dans lequel sionistes religieux et
émergé une vision millénariste de la chrétiens évangéliques se retrouvent
civilisation : après avoir sauvé le monde
du bloc communiste, il fallait désormais aux avant-postes de la civilisation
le sauver du péril islamiste.
Le combat des Bush, chefs de file de l’« axe des croisés » pour le « nouvel ordre
mondial », renvoyait clairement à celui des chrétiens du XIe siècle qui lancèrent
les mouvements pour libérer le tombeau du Christ à Jérusalem. George H. W.
Bush est méthodiste, suivant les préceptes du prédicateur John Wesley ayant
vécu au XVIIIe siècle. Malgré des mœurs plus dissolues, George W. Bush fait partie
des « Born Again », ces chrétiens qui redécouvrent leur foi plus tardivement. Et s’il
a été élu après son père, il l’explique d’ailleurs par la volonté de Dieu1.
De même que Bill et Hillary Clinton, G. W. Bush a suivi le courant méthodiste
qui domine le « vieux Sud » américain et prône un renouveau du christianisme
issu du protestantisme européen ainsi qu’un mode de vie rigoureux, strict, liant
directement la personne à Dieu. Sonia Arnal évoque à ce titre un fait important
de la vision méthodiste : G. W. Bush « est convaincu que les États-Unis ont un
rôle messianique à jouer au niveau mondial, qu’ils doivent montrer la voie en
termes de politique et de mode de vie ». Pourquoi en douteraient-ils depuis qu’on
leur a conféré ce rôle à la victoire contre l’Allemagne nazie en 1945, puis lors
de la chute de l’Union soviétique en 1990 ? En outre, ne sont-ils pas depuis leur
création la Nouvelle Jérusalem, pour faire référence à l’ancienne, qu’ils tiennent
alors coûte que coûte à protéger et sauver du Mal ? Le lien « biblique » avec Israël
est évident dans leur esprit et justifie le soutien indéfectible de Washington à
l’État hébreu. Reconnaître Jérusalem capitale de l’État d’Israël n’est donc que la
1. Sonia Arnal, « À quel Dieu George W. Bush se voue-t-il ? », Allez savoir, n° 30, Université de Lausanne,
octobre 2004.
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ÉCLAIRAGES
dernière étape d’un long processus historique, dans lequel sionistes religieux et
chrétiens évangéliques se retrouvent solidaires aux avant-postes de la civilisation,
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face aux « ténèbres » incarnées par une partie des mondes arabo-musulmans.
Les références religieuses se sont ainsi multipliées dans les discours et dans les
actes émanant de la Maison-Blanche, jusqu’à sa caractérisation dans l’expression
« l’axe du Mal »1, et la désignation d’ennemis que l’on retrouve aujourd’hui chez
D. Trump.
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protestants et évangélistes, cette élection qui a surpris le monde entier peut être
considérée comme un message divin, un miracle après les deux mandats de Barack
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Obama, jugés particulièrement destructeurs pour la grandeur de l’Amérique.
D. Trump avait le monde contre lui, de l’establishment à la « communauté
internationale ». Les évangélistes sont sensibles à ce sens de la persécution. Ils
ont, dès lors, trouvé leur « héros » en ce candidat, car eux-mêmes se sont toujours
sentis comme les plus marginalisés et persécutés parmi les courants religieux du
pays. Leur renouveau depuis plusieurs années sonne comme une revanche, qui
permettrait la renaissance et la purification de tout ce qui avait corrompu et affaibli
l’Amérique. Même s’ils ont conscience de ne pas avoir le meilleur représentant en
matière d’image, ils approuvent « son plan économique de dérégulation, la baisse
des taxes, et les restrictions en matière d’immigration »1.
1. Josiah Hesse, « Donald Trump is no saint, but I know why evangelicals love him », The Guardian,
5 septembre 2017.
2. Célia Belin, op. cit.
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ÉCLAIRAGES
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11-septembre, le développement de la politique américaine d’ingérence et de
renversement de certains régimes a séduit les évangélistes. Leur combat trouve
également une incarnation dans nombre de missions humanitaires, notamment
en Afrique, à travers de grandes campagnes anti-avortement. Aux États-Unis,
le retour d’un républicain à la Maison-Blanche en 2016, après la parenthèse
Obama, représente un nouvel élan face à l’évolution libérale d’une société qui,
face aux revendications égalitaires sociales, de genre ou encore par les débats sur
le contrôle des armes à feu, aurait affaibli ses valeurs morales, traditionnelles,
spirituelles et religieuses.
Présents au Congrès dans leurs différentes sensibilités, les évangélistes
pèsent de tout leur poids dans la politique américaine. Les travaux du Pew
Research Center permettent de saisir la
Après le 11-septembre, composition religieuse du Congrès améri-
cain depuis 20161. 91 % des 535 parlemen-
le développement de la politique taires se reconnaissent chrétiens, dont
américaine d’ingérence et de 55,9 % protestants et 31,4 % catholiques.
Les évangélistes totalisent 189 des 299
renversement de certains régimes membres du Congrès côté protestant, soit
a séduit les évangélistes 63,2 % du total des protestants. Additionnés
à quelque 7,7 % de catholiques évangéliques,
soit 13 sur 168, l’on peut donc estimer l’influence des courants évangéliques et
mormons à environ 70 % du Congrès.
Leurs combats trouvent leur place au sein du nouvel ordre mondial : l’islam
est un ennemi, Israël est menacé de toutes parts et il faut lui apporter encore
davantage son soutien. Quand D. Trump prétend redonner de la grandeur aux
États-Unis, il apparaît d’autant plus fondamental de l’accompagner dans cette
lutte contre l’empire du Mal. Dans ce contexte mondial de montée des blocs
civilisationnels, les protestants évangéliques se sentent investis de la nécessité
de se battre pour garder leur rôle de « phare du monde libre ».
Leur rapport aux armes et à la domination militaire américaine dans le
monde vient de la « Bible Belt », l’un des foyers évangéliques du pays. Puisque
Dieu a confié aux États-Unis la protection du monde, il importe d’être armé
en conséquence, surtout pour s’engager dans une guerre qui, à leurs yeux, se
révélera « juste ». Il faut, en outre, pouvoir sécuriser les zones les plus instables
de la planète, parmi lesquelles le Moyen-Orient. À travers un certain nombre
d’associations là encore, les évangélistes agissent sur le terrain humanitaire là
où les chrétiens sont maltraités. Au-delà du prosélytisme, ils représentent à la
fois une force de frappe politique, un réseau culturel et religieux, ainsi qu’un
1. Aleksandra Sandstrom, « Faith on the Hill, the religious composition of the 115th Congress », Pew
Research Center, 3 janvier 2017.
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maillage relationnel interconnecté avec l’ensemble des pays qui leur apparaissent
stratégiques. Sans ces réseaux et cette toile, les évangélistes ne se seraient
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pas développés aussi rapidement sur tous les continents ces trois dernières
décennies. Selon cette logique, le Moyen-Orient représente un intérêt majeur
pour prolonger leurs zone et stratégie d’influence. Cette dernière ne s’arrête
toutefois pas là : le poids des évangélistes pour contenir la menace représentée
par l’Iran est d’autant plus important que ce sont les Américains et les Israéliens
qui doivent être à la tête de ce combat. Pour certains d’entre eux, le risque de
troisième guerre mondiale serait le seul salut possible pour une humanité à la
dérive. Un conflit majeur permettrait en effet au monde de renaître sur des bases
purifiées. La décision de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem ne relève
donc pas de la folie du seul D. Trump, comme certains aimeraient simplement à
le penser, mais d’une construction de l’esprit profondément ancrée et empreinte
de références théologiques.
1. Jon Huang, Samuel Jacoby, Michael Strickland et K.K. Rebecca Lai, op. cit.
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ÉCLAIRAGES
“fin des temps” prédisant le contrôle juif de toute Jérusalem, une guerre des
civilisations, et un choix des juifs pour embrasser le christianisme ou mourir dans
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la colère de Dieu. »1 Pour beaucoup des soutiens évangéliques de D. Trump, « cet
acte est la clé vers la progression des événements qui conduiront au retour de
Jésus »2. Peu importe donc le droit, pourvu que les actes des hommes aillent dans
le sens des lois divines.
1. Kim Sengupta, « The real reason Trump declared Jerusalem the capital of Israel was because he
feared losing his evangelical voter base », The Independent, 8 décembre 2017.
2. Julie Ingersoll, « Why Trump’s evangelical supporters welcome his move on Jerusalem », The
Conversation, 8 décembre 2017.
3. « Dans le monde, un chrétien sur quatre est évangélique », La Croix, 29 janvier 2015.
4. Sébastien Fath, « L’Église catholique face à la concurrence évangélique », Areion24.news, 17
février 2017.
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