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PQ

2619
. A112
L49
1991

; \LLI\1\UI
D 0 DJ B S

LE LIVRE
DE
L'HOSPITALITÉ

LL I R
le le
Où? Quand? Pourquoi?

<<S i Dieu est l'univers, Il est le suprême don , fait à


Dieu, par Dieu même », disait un sage.

Mourir de rien après avoir vécu de tout.


Dé rision.
Célébrer la rose et périr d'une piqûre d'épine.

Le jour nous suit.

«ô certitude de la source, au milieu des sables.


« Die u est certitude- disai t un sage-. li est le puits.
«Deux certitudes se disputent le désert. L'une est
d 'eau ; l'autre, de poussière . "

Il disait: « La mort est, peut-être, de Dieu, la plus


froide pensée. »

«Viei llir: la vie commence à m'oublier: la mort, à


me reconnaître », avait-il écrit.

« La douleur - disait un sage - est le livre le plus


vaste, car il contient tous les livres. »

La vie s'écrit avec la sève de nos arbres.


La mort se lit dans leurs feuilles jaunies.

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Caresse ton âme. Caresse ton livre. Tous deux sont
assoiffés de tendresse.

« A deux pas de moi, il y a toi. A deux pas de toi,


il y a lui. A deux pas de lui, il y avait nous "• disait
un sage.

Générosité de l'invisible.
Notre gratitude est infinie.

Le critère est l'hospitalité.


où)

" Le désert est mon lieu - disait-il -. Et ce lieu est


une poignée de sable.»
Et il ajoutait: « Doubles, telles les Tables de la Loi,
sont mes paumes et, dix, comme mes doigts, les che-
mins de ma race.»

L'intérieur de la pierre est écriL


De tout temps et pour toujours lisible.

Variable espace de l'hospitalité.


Deuil et puis, soudain, renaissance.

"Je te bénis, ô mon hôte, mon invité- dit le saint


rabbin -, car ton nom est : Celui qui chemine.
«Le chemin est dans ton nom.
« L'hospitalité est carrefour des chemins."
UN NOUVEAU SEUIL

Il regardait l'univers jaillir de l'abîme pour s'y engouffrer


ensuite, préoccupé de sa propre disparition.
Comme l'homme, de la mort.
Ah ce vide , ce vide que rien ne trouble.

Un nouveau seuil?
-Un regard, tourné vers l'ailleurs; la brusque révision d'un
parcours.

<< Au commencement de tout commencement et à la fin de


toute fin, il y a un mot incontournable contre lequel nous
butons : le mot Adieu.
«Il y aurait, également, les mots :Éternité. Infini. Mort, N éant
qui restent, toujours, pour nous, des mots illisibles, inviolables.
« Qu'est-ce que l'éternité? Qu'est-ce que l'infini? Qu'est-ce
que la mort? Qu'est-ce que le vide?
<<Mots grisés d'abîme où nous perdons pied.
« Et, pourtant, ne sont-ils pas des mots clés? » - écrivait un
sage.

« L'homme, sans le savoir, aura vécu la Présence infinie de


Dieu dans l'infinie absence des choses», disait-il.

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Et il aj o utait ; ,, No tre quête d 'i nco nnu n 'e st. pe ut-ê tre, qu e
cela . »

Cette affreuse sensa tion d'être parvenu au bou t de m a vi e ,


je l'a i cac hée à m a fa mille et à me s a mis.
" Ce n 'est pa s, d a ns mon univers, tout à fa it la nuit m a is j e
m 'y fa ufil e et m 'y g li sse», a va it no té, dans son car ne t , un sage.
N 'a va it-il pas, u ne fois, écrit : « Nos livres sont proies du
feu qu e les mots e nco uragent. Solennels in sta nts de fêt e e t
d e d e uil »?
Ava it-il o ubli é qu e ses discipl es, co mme lui, savai e nt , aussi,
lire co u ra mment le liv r e dans les ce ndres am o nce lées d e son
éternité compromise?

L 'o rdo nnance d es sa bles est le ur courtois sa lu t.

«Ce q ui est en to n pouvoir - di sa it-il - es t tien. À ce q u1


t'éch a ppe , tu appar t ie ns de fait. »

«Ne fa is pas , d e l'é toile, un vul ga ire ca illo u . Tu perdra is,


a priori , a u chan ge. »
Ma is en somm es-n o us certains?
«L' éto ile , pour toi, d e meurera touj ours in accessible; tan d is
que, d'u n geste, tu pe u x, en te ba issa nt , ramasser un caillou »,
disa it-il.

Le vid e , avant l'h om me, accu e ille l'oiseau.


QUAND?

« À ma mon - disa it un juif- je ne voudrais pas


ê tre enterré ma is incinéré : car je ne souha it e pas
avoir de tombe, de c ra inte qu ' un quelconque passant
malimentionné, n'inscrive, un jour, en lettres noires
ou rouges , sur la plate dalle qui m'abrite r ait, un slo-
gan antisémite de son cru. Je ne le supporterais pas.
«Et ce sera it pour l'éternité."

La haine est clôture.


Réseaux de barbe lés.

Mot à mot.
Mur à mur .

<< Le sage - disait-il - est celui qui a gravi tous les


degrés de la wlérance et découvert que la fraternité
a un regard et l'hospitalité, une main. "

Il disait, aussi : << Il y aura toujours un érudit loq uace


et passable ment convaincant qui, à grand r enfort
d'arguments , attribuera la progressive dégradation
de notre rela tion à a utrui , à l'obstination d e quelques-
uns à croire e ncor e l' ho mme capable d ' hospita lit é.
« Évite-le.,

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«Ma responsabilité envers toi - avait-il écrit - est
comparable à celle du ciel envers les oiseaux et à celle
de l'océan envers sa faune et sa flore.
,, Quant à la terre, qui s'aviserait de la tenir res-
ponsable du jour qui naît, du jour qui me un?" avait-
il noté.

«Je ne mérite pas l'hospitalité que je te dois.


«Accepte-la. Je saurai que tu m'as pardonné "• disait
un sage.
L'ATTENTE

Ponctualité de la promesse : aurore.

Déc hiffrer le mot avant l'énigme.

Vidé de « déjà vu ».
Mo n horizon est nu.

Non pas l'adieu aux choses ma is


- ô nuit - le salut aux choses
miroita ntes d'adi eux .

Ce qui se plie, se déplie pare ill eme nt.


Patie nce d'être. Angoisse d e disparaître.

« Quand la mort viendra , elle ne me verra pas.


<<A insi , ne saura-t-elle jamais si c'est elle qui était en retard
sur l'horaire ou moi en avance sur ma destinée», écri vait un
sage.
Et il ajo utait, à l'intention de ses disciples:

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« Vous seuls me trouverez, car mes racines sont dans votre
livre.»
« Le livre n'appartient à personne - lui répondit un autre
sage-. Il n'appartient qu'aux vocables dont il se délivre, au
fur et à mesure. Que deviennent ceux-ci, une fois rendus à
leur errance? Notre dénuement, tel le leur, est infini.
«Un jour, je me rendis compte qu'aucun livre ne fut le
mien, n'étant, hélas que le livre inachevé que les mots m'ar-
rachaient sans remords. »
Et il ajoutait: « Dieu a menti. Il ne nous a jamais légué le
Livre. Il nous en a, seulement, légué le goût. »

«Je me réfugie dans ma souffrance et elle ne peut que me


faire souffrir davantage», avait-il noté.
«Qu'est-ce qui, mieux qu'une larme, saurait consoler une
larme?»- lui fut-il répondu.
Mais le sage dit:« Détrompe-toi. Le mal n'est pas l'ami du
mal mais un autre mal qui le guette et le met en interrogation. »

On ne prend pas l'heure à la montre d 'autrui mais à la


s1enne.

Le miracle de l'univers est qu'il n'y a pas de miracle. Et


nous sommes inaptes à le prouver.

Au terme de sa quête, il constata que la lumière avait


toujours, devant elle, un long chemin à parcourir, avant d'at-
teindre, enfin, la plénitude de l'origine.

Hier est, déjà, la chute de demain.

Aux heures de fatigue, l'ombre est la bien-aimée.

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Ni crêtes.
Ni gouffres.

À J'absence, nul verrou .

Sérénité. Sérénité.
Sérénissime sérénité.

Nous ne sommes pas e n mesure de penser les commence-


ments. Ce sont les commencements qui, successivement, nous
~
pensent.

L'oiseau redoute autant l'oise leur que l'oiselier.

« L'un des mots français les plus perve rs - disait-il - est,


peut-être, le verbe oiseler qui, à la fois, signifie dresser , pour
le vol, pour la chasse, un oiseau e t tendre un piège aux
oiseaux.,,

Au feu de r éverbère, préfère le feu nu .

Il disait : «Access ible indéfiniment à ce qui se présente à


elle, l'hospitalité ne peut se donner à penser qu'en fonction
de ce qu' elle offre.
<<La responsabilité aliène. L'hospitalité, allège.
<<Accueillir autrui pour sa seule présence , au nom d e sa
propre existence, unique ment pour ce qu'il représente.
<< Pour ce qu ' il est. "

,, La r esponsabilité est fille du dialogue sur lequel , ingé-


nument , elle s'appuie.
« L'hospitalité est entente silencieuse. T elle est sa particu-
larité », avait-il écri t.

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« Si ce que je fais me rend heureux, c'est qu'il me convient »,
ava it noté un sage.

« On n'aborde pas le bonheur de face mais de biai s. Après


avoir pris, naturellement, certaines précautions >•, avait, e ncore,
noté ce sage.

« La réalité est de l'aut re côté du mur. Il suffit d'un trou


dans la pierre, pour la surprendre .
« Ainsi , venus en voyeurs , passons-nous de l'abse nce à la
présence.
« Notre histoire est ce lle d'un vice scandaleux », disait-il.

L'œil l'emporte sur le miroir.

Hier. Tu t'en souviens? Tu n'avais rien oublié. Tu n'avais,


néanmoins, pas saisi.
Clairs, ce matin, sont tes so uve nirs.
Ah si tu avais, d 'emblée, compris.
Et, maintenant, tu sais .

Exilé, tu avais une vague idé e de l' hospitalité.


«Ce lui qui n'a pas de li eu - disait un sage - fa it, de son
désir d'en avoir un, son vrai lieu. "
À ta droite, la place laissée vide pour la venue de l' étrange r,
est toujours inoccupée.
Patiente. Celui qui avance ve rs toi, trouvera la voie libre.
Qu'importe les difficu ltés qu'il rencontrera en ro ute . Il
finira, à un moment donné , par arriver , car il se sait sincè-
rem e nt attendu.
Hospitalière est, par-dess us tout , l'attente.

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«Tu seras toujours l'h ôte de mon âme, même s1 j'ignore
qui tu e s », disait-il.

-Dieu e st mort de faim, disa it un sa ge .


-Dieu peut-Il conn aît r e la faim ?- lui répondit-on .
-D ieu , je vous l'accorde , n 'est pas l'h o mme - dit, a lors, le
sage - , Mais Sa faim es t pa reille à la nôtre.

«A ch aqu e pa rcelle de terre fécondée, son a rbre fier et


feuillu. La graine est imm or tell e» - cij.sa it-il.

Di e u parle a u ras du ve rbe.


Rac ines. Raci nes.

Solitude d e celui qui appe lle e t de celui qui, de ne pas être


dans la con dition de r épondre à cette voix inidentifiable, tend,
indéfiniment, l'ore ille: l'entend di st in ctem ent marte ler son
imm en se d é rresse et succombe aux indén o mbra bl es coups
assé né s.
POURQUOI?

« Ils avaient vu trop grand ou trop petit.


« Toute pat ri e n'est jamais qu' une infime partie
d'un rêve commun», disait-il.
L ' APPEL

J a mai s le brin d ' he rbe ne r essusc itera l'a r bre


foudroyé.

Ne pas ou b lier q ue tout << inté rieur» , b ien qu 'in cernable, a


un «ext ér ieu r » pa r le que l l' u nive r s pe ut pén ét rer e t, a vec
lui , le plu s humble gra in à m o udre ou à jete r a u x oi seaux .

Dé sacra lise r le livre par un e a ttent ion perman e nte à l' His-
to ire e t à ses in é lucta bles déve loppe m e nts, comm e a u plus
insig nifia nt d e s fa its divers.
L l' tnnps Sl' fa it da ns ll' tnnps.

Désacraliser : d e scen dre d'u n cran .

Le jui f est touj o urs a u seuil.


Pro viso ire est la limi te.

Le judaïsm e d ébute a vec la fin d u judaïsm e.

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''Tu te sais juif. Demain tu le seras - disait-il -; car être
juif, c'est épouser l'au-delà d'un judaïsme épris de dépasse-
ments.»
Et il ajoutait: «Frapper un juif dans sa judéité, c'est, tou-
jours, le frapper dans son devenir juif. >>

À l'affût de la faute.

Un hymne au crime.
Tel est leur discours.

Il se demandait si le soleil, dont le souci est de tout mettre


en lumière, ne regrettait pas, quelquefois, sa témérité. Cha-
ritables, les ténèbres ont un rôle à jouer : cacher un instant,
à la vue, l'insoutenable.

Auschwitz, rature du Rien, ultime rature.

« Au bout, il n'y a rien mais cette frontière n'est pas encore


la fatale fin >> , disait-il.

Le feu est dans le feu, comme le venin dans


le serpent.

«Ma voix tremble, dit le vieillard.


«La parole humaine ou divine a pris acte, à la fois, de sa
fragilité et de son occulte puissance.

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<<Un mot de onze lettres est le territoire de l'hospitalité.
Protège chacune d'elles car, partout, est l'enfer, le sang, la
mort.,
Et l'enfant sécha ses larmes pour sourire au vieillard, par-
tiellement réconforté.

Racisme.
Antisémitisme.
Exclusion.

Trois sont les blessures.


Trois, les déterminations.

Il venait de terminer le texte pour un quotidien du matin.


Il s'était, spontanément, engagé à l'écrire.
Il se disait que, pareil à tant d'autres de ses frères, il faisait
partie d'une minorité d'individus qui n'avaient jamais connu
l'hospitalité mais l'avaient, quelque part, entrevue.
Il avait senti le besoin de recourir à la parole, d'agir mais,
en même temps, prenait, progressivement, conscience de
l'éte ndue de sa solitude.
Austère hospitalité.
Celle du désert.
Celle de sa race.
Celle de l'oubli .

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Il pleut sur Paris.
Un passant- est-ce lui? - relè ve le col de son imperméable
et poursuit son chemin .
Aimer, malgré tout.
«Je ne sais qui tu es - disait un sage - mais je sais que tu
me ressembles.
«Cependant, ce n'est pas à cause de ta ressemblance avec
moi, que tu m'es cher mais parce que tu n'as pas , encore,
pour moi, de nom .
<< Demain est notre premier jour. "

On sonne à ma porte. j'ouvre.


Un camarade: «Juste pour t'informer que ton texte a été
remis à S. J. qui le publie ra demain. »

Solidaire de l'écrit est le cri solitaire.

«Imagine, d'abord, une frêle tige qui serait un cri; des


feuilles tachetées d'or qui seraient de passifs paliers de souf:..
france et d es bourgeons prêts à éclore qui seraient l'annonce
d'un prompt épanouissement de la plante, aux prises avec la
mort éblouie.
«Imagine, ensuite, des épines tout au long de l'ascension
d'une rose que l'amour, petit à petit, a menée à son embau-
mante complétude.
<<Puisse cette rose être le fraternel message d ' un matin,
lancé à nos compagnons d'infortune. ,,
Mes doigts saignent, ayant fait montre d'une incompréhen-
sible maladresse, en la cueillant.

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" Innocence de tout appel dans son aveugle confiance.
« Au seuil de la vie, comme aux portes de la mort, la pre-
mi ère image captée est celle d 'un cri inoubliable », disait-il.
Et le sage dit : << En ce jour béni de lumière, tes paroles
sont des joyaux. ...,
'' Si tu avai s parlé dans la nuit opaque , elles a uraient été,
pour nous , insaisissables.
« À l'entrée ensoleillée du mo nde, je les lis et, les décryp-
tan t, je les entends da ns l'immaculée blancheur où elles se
form ent. »

Min er la base.
Ébranler la ci me.

La vie écrit ce que la mort a lu.


( .. . et même dicté .)
UN JOUR DE VIE

«Un texte destiné à un journal - disait un


sage- est un texte auquel, d'un commun accord,
on a octroyé un jour de vie. »

... un jour de vie dans l'éternité d'une vie.

La mort ne vient pas à bout de l'éternité mais


de l'instant.

Journaux et magazines consacrés, en majeure partie, aux


dramatiques événements de Carpentras, gisaient à ses pieds.
Son article traînait encore sur son bureau.
Le titre l'incita à le revoir.
Par acquit de conscience.
Par surcroît de scrupules.
Il relut:

«Quand notre responsabilité est mise à l'épreuve»

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« Prendre la parole.
«Pour ce qu'elle est.
,, Pour ce qu'elle peut.
« Avoir recour~ à elle. "

«A celui qui parle, nous sommes en droit de demander au


nom de quoi il parle.
« De même, celui qui nous questionne est en droit d'at-
tendre. de nous, une réponse.,,

Il s'arrêta un moment. Il lui semblait, tout à coup, ne pas


lire mais entendre son texte, comme s'il en était, curieuse-
ment, le destinataire:

« Aux manifestations d'indignation soulevées par la pro-


fanation du cimetière juif de Carpentras, a succédé le silence.
Et comment peut-il en être autrement? On croit avoir tout
dit d'un acte ignoble lorsqu'on l'a condamné de toute son
âme, de toutes ses forces. Mais cet acte odieux, répugnant,
n'est jamais que la conséquence logique, prévisible d'un dis-
cours, d'une série de discours habilement, sournoisement
entretenus; véhiculés. amplifiés, dénoncés, à l'occasion, par
quelques-uns; la plupart du temps tolérés au nom de la liberté
d'expression qu'accorde un pays démocratique à ses ressor-
tissants.
« Discours antisémite - le plus ancien de tous -. Discours
raciste, auquel est venu, récemment, s'ajouter le discours
contre l'immigration: un plaidoyer, en fait, contre la présence
de l'immigré que l'on ne tolère plus chez soi.
« D'autres discours ont vu le jour, ces dernières années. Se
réclamant tous, plus ou moins, des premiers, ils se distinguent,
néanmoins, par le degré de leur violence.
« Mais le discours antisémite n'est pas le discours raciste et
vice versa. Les problèmes, engendrés par une immigration

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mal contrôlée ont, rapidement, donné naissance à un discours
restructuré contre l'étranger, responsable de tou~ nos maux.
<<Avoir réuni ces trois discours en un discours unique, c'est
avoir permis, à chacun d'eux, de se développer avec et par
le truchement de l'autre; un moyen, surtout, de les réactua-
liser, au fil des circonstances; car ces discours sont , toujours,
inspirés par l'actualité, donc indéfectiblement liés à elle; c'est,
enfin, avoir inauguré un discours qui, dans sa confusion, per-
met toutes les interprétations; discours de haine et d'exclu-
sion. -.
«Exclure c'est, en quelque sorte, s'exclure soi-même. Le
refus de la différence conduit à la négation d'autrui. Oublie-
t-on que dire "Je" c'est, déjà, dire la différmce?
" Que signifie : La Franœ aux Français sinon : La Franœ à
la France? Et c'est normal. Le destin de la France n 'est-il pas
aux mains des Français? Mais, encore, faut-il savoir de quelle
France il s'agit?
,, Et sait-on assez que c'est à celui que l'on continue, dans
divers milieux, de regarder comme l'indésirable étranger,
!Intrus, l'exclu que la France doit, en grande partie, en tout
cas dans certaines régions du globe, son rayonnement?
<<En Égypte, par exemple, où je suis né et où j'ai vécu
jusqu'à mon installation à Paris, en 1957, ce sont les mino-
ritaires juifs, en premier par leur nombre, coptes, chrétiens,
de nationalité égyptienne ou étrangère, qui ont maintenu la
présence de la France, dans ce pays, faisant, de la langue
française, une langue commune et de sa culture, une culture
universelle. Un choix qui engage totalement celui qui l'a fait
et qui n'est autre, au départ, que la fidélité à une image à
laquelle il a profondément cru et aurait voulu, toujours, croire.
L'image d'un pays bâti sur trois mots : Liberté, Égalité, Fra-
ternité.

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«Si cette image de la France est devenue, pour les Français
mêmes, encombrante, alors, déchirons-la.
«Si nous la conservons, elle exige, en contrepartie, que la
France veille sur elle, afin que nul, et à aucun moment, ne la
ternisse.
« Penser que le discours raciste ne traduit, dans sa véhé-
mence, qu'une incapacité, sans doute regrettable, à tolérer
l'autre dans son intégrité, à l'accepter tel qu'il est, est absurde;
car le racisme n'est que l'expression renouvelée de la négation
de l'homme, de tout homme dans sa richesse et dans son
infinie pauvreté.
«Penser, avec ceux qui nous le répètent, pour probable-
ment s'en convaincre eux-mêmes, que le discours antisémite
est moins virulent, aujourd'hui, qu'avant la guerre de 1940,
par exemple, est une grave erreur; car il y a eu Auschwitz,
depuis. Et la question est la suivante : Comment pareil dis-
cours peut -il a voir encore droit de cité? Si 1'horreur d' Ausch-
witz n'a pu le briser, comment croire que Carpentras le
pourrait?
« Séparer les discours, pour mieux les cerner.
« Au discours antisémite est venu, petit à petit, se greffer
le discours anti-israélien.
« Ce discours tente de montrer que chaque juif, au nom de
son inconditionnel attachement à Israël, défendra to~jours,
sans réserve, la politique du gouvernement de ce pays, applau-
dira à ses décisions, les justifiera quoi qu'il arri·ue.
« Discours lourd de conséquences et qui tend à démontrer
qu'un juif français, parce que juif, est plus israélien que fran-
çais. Donc, étranger.
« Ridicule, dira-t-on. Et on aura raison.
«Cependant, une question s'impose à moi. Que veut signi-
fier ce Quoi qu'il arrive?
«J'y réponds, aussitôt, car il se trouve que cette question

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est à l'origine de ma relation à Israël, qu 'elle conditionne mes
réactions, mes prises de position face à tout ce qui s'y passe
et qui frise, parfois, l' intolérable.
«Au nom de quoi? Au nom, peut-être, de ma solidarité
avec son peuple dont le visage est, aussi, le mien; dont les
hommes et les femmes ont mon âme et parce que leur avenir
est plus menacé que le mien. Au nom, également, d'une vérité
et d'une exigence qui sont les miennes ; au nom , enfin, d'une
inquiétude accrue et d'une conviction, que je ne saurais tota-
lement exprimer, mais qui se résume à c~ci :Jamais la blessure
ne gulrira la blessure. Conscient, néanmoins, de la fragilité de
cette parole; attentif, seulement, à son tremblement ; parole
ne prenant appui que sur elle-même et qui ne peut ni s'im-
poser ni contraindre mais qui pourrait convaincre, si elle était
écoutée.
« Souscrire, d 'avance, à la politique du gouvernement e n
place de l'État hébreu, n'est-ce pas réduire, chaque fois, l'image
du pays à celle de sa politique du moment?
'' Et si, dans mon for intérieur, je pense que cette politique
est détestable, dangereuse, néfaste, pour cet État, dois-je me
taire?
« Me taire, au nom de quoi?
«Me taire serait, d'une certaine manière, approuver, par
mon silence, ce qui me heurte et me révolte; ce, au surplus,
que je dénonce et condamne ailleurs.
<< Et ce serait une trahison.
"Une parole solitaire ne dit, d'abord, que la solitude dans
laquelle elle se débat.
« Mais si cette parole est celle qui sauve; intime parole, à
la fois , de douleur et de raison ; parole d'appel? Alors, que
cet appel, privé d'échos, rejoigne celui de ces lucides militants,
groupés autour de deux mots solaires :justice et Paix.
« Deux mots, dépendants l'un de l'autre, comme les d e ux

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battants d'une même porte. Puissent Israéliens et Palestiniens,
ensemble, ouvrir largement cette porte, pour y laisser entrer
le jour.
« Simplifier le discours.
<<L'axer sur l'essentiel.
«La force est une dangereuse illusion. L'oublier, c'est refu-
ser de regarder la réalité en face.
«À quelle réalité fais-je allusion? À celle qui déchire un
pays sans espérance mais qui, pour sa survie, continue d'es-
pérer.
<<Que les Palestiniens, unis derrière le porte-parole de leur
choix, se fassent entendre, par sa voix autorisée. Que les
Palestiniens qui n'ont pas de porte-parole se fassent entendre
par leurs blessures. Que les Israéliens qui savent qu'il n'y a,
pour eux, d'issue que dans le dialogue, se mobilisent.
« Sans appréhensions ni détours.
<<Avant qu'il ne soit trop tard.
«Celui qui accepte le dialogue n 'est plus un ennemi.
«La chance de tout dialogue est dans le dialogue même .
« Ne le perdons pas de vue.
<<Notre responsabilité nous le dicte.»
ARC-EN-CIEL, I

Ne retenir de l'appel que la pureté de l'in-


tention.

Il rangea dans un carton, aux trois quarts vide, son article.


Puis sortit.
En dépit des efforts répétés du soleil pour reconquérir le
ciel, il pleuvait toujours.
Trois pigeons avaient investi son balcon.
Il leva les yeux pour savoir s'ils ne s'étaient pas envolés,
quitte à revenir plus tard.
Non. Ils étaient là . Chez eux.
La voix d'un sage le poursuivait.
Voix millénaire.
En lui, tout était silence et, un instant, il lui sembla que la
rue, le quartier entier, ensorcelés, également, par cette voix,
s'enfonçaient, de plus en plus dans sa blessure demeurée
béante.
Tout se brouillait dan s sa tête.

39
Hospitalité, bel arc-en-ciel,
avec tes sept couleurs légendaires.
Soleil et pluie, rires et pleurs.
Immense élan d'amour et de lumière.
La terre est liée à la terre.
Le plus clair aveu est transparent.

Carpentras est redevenu le nom d'une ville.


Les années à vivre ont priorité sur les siècles défunts.
Grave est l'oubli.

Unjournaliste lui téléphona pour un entretien. Il s'excusa


de ne pouvoir acquiescer à sa demande.
Son article lui paraissait, maintenant, dépassé par les évé-
nements.
Qu'importe.
Il ne regrettait pas de l'avoir publié.
Mais pourquoi songer à le reprendre dans son livre?
En est-il, à ce point, satisfait?.
« À la mort pressée de sévir, demande-t-on d'épargner l'épi
en sacrifia nt l'épillet?»
Telle est la réponse qu'il se fit à lui-même.

Dieu ne fut-Il pas, avant l'homme, victime du Livre?

« Ce qu'il est, à un certain moment, nécessaire de dire ou


de faire, ne l'est presque plus, l'instant d'après.
«La nécessité débouche, toujours sur une nécessité nou-
velle», disait un sage.

40
Une mouc he a autant de mal à mourir qu'un tout puissant
seigneur.

Il écrivit, à la main, au bas de son article:


«U n mort israélien et un mort palestinien ne sont que deux
morts méconnaissables », puis gomma les mots israélien et
palestinien et ajouta :
«Jérusalem n'est-elle plus que la Capitale d'une larme?»

Le témoin dit : « La vengeance noircit le regard des foules,


dressées les unes contre les autres et, -.pourtant, la lumière
brille derrière et devant elles : lumière des obus, des car-
touches et, plus près, dans les mains de centaines d'enfants
sacrifiés pour rien, lumière des vieilles pierres de nos bibliques
chemins.»
Et il ajouta: « Maintenant que la haine s'est installée dans
nos camps, nous n'avons plus que nos drapeaux d'orgueil,
pour dialoguer martialement dans la mort. »

Aube et crépuscule baignent dans le sang.

Jérusalem, citadelle du silence divin .

L'an prochain, la nuit.

Et le sage dit:« Sauvez Jérusalem. Avec chacun de ses murs,


bâtissez votre Lieu . De la vérité, consolidez les fondations. »
Et le témoin répondit:« La vérité est e n poussiè re. De cette
poussière, ils se vêtent. »
Reniement.
Reniement.
Qui trahit qui?
N 'est-ce pas la question que le jour pose impli citement à la
nuit ?

41
Ils prétendaient servir Dieu et mettaient Dieu à leur service.

Et le sage dit :« Ne l'as-tu pas remarqué? C'est toujours a u


nom d'un dieu -ou d ' une idée - de justice et de bonté que
l'on assassine, oubliant qu'abattant un homme innocent, on
abat, à la fois , dieu et l'idée. »
Et le témoin dit: «La succession du Juste est tombée e n
déshérence, mais ces trésors accumulés- tranches non négo-
ciables de sagesse - n'intéressent pas l'État. »

Et le sage dit:
« La vérité n 'est pas à éc lipses.
<< jérusalem défigurée.
«Entre l'homme et l'homme, se dissimulent les tranchées
de l'obscure et sourde malédiction, enve rs creusé de l'hos-
pitalité. »

« Cesse de regarder du côté de ton voisin plutôt que de te


regarder en face. Ton voisin ne te sauvera pas. Il t'e ntraînera,
malgré toi, dans son sillage. Et tu le regretteras>>, disait-il.

Le sage a l'âge de sa sagesse.

« Une parcelle de terre pour chacun. Le ciel, avec son soleil,


pour tous », avait dit un sage.

42
Limpide est l'extrême lieu: aérien.

Qui saurait compter les jours du livre?

« Dans les cris étouffés de nos mots de chair, il y a toute


l'étendue de la misère humaine », disait-il.

L'inviolabilité, voilà ce qui distingue le divin de l'humain.


Percer le secret de l'autre c'est faire, de lui , un dieu déchu.

L'au-delà est dans le secret. •


Un ailleurs protégé par son éloignement.

Main du passé. Main du futur.


Nos lendemains ne seraient-ils que de successifs serrements
de mains ?
Monotonie des rencontres attendues.

Arbre de plein vent, l'écrit.

Ta mort est collective.

Puiser aux sources du désert, c'est abreuver l'éternité.

Ce qui perdure ignore la durée.

Dans les airs, l'oiseau enivré ne fait confiance qu'à ses ailes.

<< La solidarité dans le malheur- disait-il- n'est, peut-être,


que la tentative commune de fertiliser un sol aride. »

43
Et il ajoutait: « L'âme, a ussi , se nourrit de fruits. "

Main tendue.
Le jour se lève .

Je m'étais engoué de ce sage. Si riche était son enseJgne-


ment.
Il tenait en deux phrases:
«Honore l'étranger yui t'honore. »
Et:
«L'hospitalité, pour vis-à-vis, a l'hospit a lité. »

Méfi e-toi de ceux yui ha ranguent le s masses: de ce ux qui,


pour s'écouter, ont besoin de s'adresser au plus grand nombre
de leurs partisans.
Ton visage le ur demeurera toujours inconnu .
Ils auront vite fait de rayer de leurs tablettes ton nom
e ncombrant.
D'un trait d e plume.

Une chose est à dire et nous avons tant d e difficultés à


l'e xprimer.

<< Le rêve de la rive est une a utre rive », disait-il.

44
Maître - dit Je disciple - . Ma question est impertin e nte .
j'ai. par co nséquent , du scru pule à la formuler.
Qu'est-ce qu ' un sage?

- Le sage est celui qui so uti ent que Je Tout est d ans Je Rien
e t que le Rien est une question.
On ne sait rien qui ne so it, d'abord, savoir illusoire de ce
Ri en .
Pour a voir, par exemple, une image du grain de sable. il
te faut, au préalable, te pencher su,._ tous les autres grains
desquels on ne le distingue plus; t 'attaquer à l' e nse mbl e -
un e poignée- pour te nte r , e n vain, de l'isoler.

Quelle puissance a le Ri e n yuand il est unim e nt silence.

Nous ne dépassons jamais les fluctuantes fronti è res d u


d icib le .

« L'hostilité au monde et à a utrui n'est, peut-être, que


l'épaisse noirceur d'une ombre indifférente à l'appe l réitéré
du jour.
« L'hospitalité est au-de là. Elle ouvre, à la terre morcelée,
l'int égrité du ciel », disait-il.
Et il ajoutait :
«Contre l'hostilité d es ho mm es, insuffisants sont, la plupart
du te mps, les moyens de dé fe nse dont dispose l' hospita lité.
« Une ridicule épée d e bois co ntre une virile épée de duel. »

45
Ils s'étaient, leur vie durant, épiés: c 'est pour cela yu ' ils ne
se reconnaissa ient pas.

Ton m ei ll eur all ié est celui yui , à qu e lque s mètres de toi,


entend. da ns ses pas , n:·somwr le s ti e ns .

« Plus tu t' é loi gnes, plus tu m e rapproches d e m oi-m ê me--


éc rivait un sage.
« Ton visage d é me nr le mien, car lLI es l'étranger que je
suis e t nos destins. pour être identiqu es, se doivent de ne
. .
.Jamats se crOiser .
« L 'erra nce est notre li e n. "

Tu fa briqu es le pi è ge , croyant édifier l'h o rizon.

Remonter la filièr e d e l'opa qu e .

Lin éch a nge d e véri tés n' e st q u' un échan ge d e convi ctions
contestées ou , au cont.ra ire , tra nsformées, pe u à pe u, e n
allian ces.

<< S ' il te parle de vérité, par le-lui de l' e au de la rivière . S'il


te parle d e l'e au de la ri vière, d e ma nde- lui où il s'est baign é .
S'il te dit où il s'est baigné , demande-lui de quelle couleur
ét a it l'ea u . S'il te dit la couleur d e l'eau , tu pourras e n d éduire
qu ' il a vécu d e certitudes e t tu comprendras pourquo i le doute
a toujours rongé ta vie " · écrivait un sage.
Et , a illeu rs: « La vé rité est voix divine , cercl ée dt' certitud es
e t sertie de d o utt's. "

46
Pourquoi nous efforcer de persuader la mort de ne pas
nous faire mourir quand nous savons, d'avance, que nous
mourons sans elle.

De l'opacité à la translucidité, le passage est promesse.

«Parce que nous sommes vulnérables, nous sommes insé-


parablt>s.
,, Lf' choix, alors, nous est offert : nous remer ou nous
unir "• disait-il.

Mon choix est mon droit.

Je reviens d'une promenade au jardin des Plantes.


Cn bel après-midi.

,, Qu'attendez-vous de moi? - dis-je à la personne qUI


m'apostrophait.
-Un nouvel appel. Nous le signerons avec vous.
-Nous sommes sans avenir - répondis-je-. Demain n'est
que l'espoir, naïvement entretenu, de meilleurs lendemains."

Hospitalité, bel arc-en-ciel.


Tes sept bras, tes primitives couleurs.
Soleil et pluie, rires et pleurs.
Immense élan d'amour et de lumière.
La terre est soudée à la terre.
Le plus clair aveu est transparent.

47
Un rien?
Un livre?

Jamais mort et vie ne se réconcilieront. Et, pourtant, ne


sont-elles pas, indissolublement, liées l'une à l'autre ?

La mer berce la terre et l'étouffe .


Le vent brise le vent.
L'hospitalité de la langue
Un rien?
Un livre?

Jamais mort et vie ne se réconcilieront. Et, pourtant, ne


sont-elles pas, indissolublement, liées l'une à l'autre?

La mer berce la terre et l'étouffe.


Le vent brise le vent.
L'hospitalité de la langue
Les mots changent-ils quand ils changent de
bouche?

-Que viens-tu faire dans mon pays?

-De tous les pays, le tien m'est le plus cher.

-Ton attachement à ma patrie ne justifie pas ta permanente


présence parmi nous.

-Que me reproches-tu?

-Étranger, tu seras, toujours, pour moi un étranger.


Ta place est chez toi et non ici.

-Ton pays est celui de ma langue.

-Derrière la langue, il y a un peuple, une nation.


Quelle est ta nationalité?

51
-Aujourd'hui, la tienne.

-Un pays est, d'abord, une terre.

-Cette terre est, aussi, dans mes mots. Mais je le confesse,


elle n'est pas la mienne.

-Enfin, tu avoues.

- Je n'ai pas , vraiment. de terre.


j'ai , du livre, fait mon lieu.
Tu le sais.

-Tu as, très habilem e nt, œuvré afin de t'approprier ma


langue .

- Ne la partageons-nous pas?

- Nullement.
Tu l'as apprise. C'est tout.
Moi, je suis né avec.

-Doux leurre. j'ai, chaque fois, le sentiment que ma langue


naît avec moi.

- L'exercice , la pratique d'une langue ne nous donnen t


aucun droit sur elle. Ils nous incitent à la parler, à l'écrire le
plus correctement possible.

-Ils nous donnent le droit de l'aimer. Et n'est-ce pas à elle


que j'ai recours, pour mieux me connaître, me comprendre;
pour interroger, enfin, mon deve nir?

52
-Tu ne peux revendiquer le passé de ma langue.

- Mon passé est le sien, dans la mesure où mes premiers


mots m'ont été soufflés par elle.

-Ils auraient pu, tout aussi bien, être mots d'une autre
langue.

-Sans doute. Au départ, il y a le désir.


~
-Ton désir, peut-être, mais pas, forcément, le sien. La
langue est libre d'attaches. C'est aux circonstances que tu dois
d'avoir adopté ma langue. Moi, j'ai hérité d'elle.

-Mes parents me l'ont révélée. Mes paroles, depuis, sont


de reconnaissance envers elle et de fidélité.

-Est-ce parce que ma maison te plaît qu'elle est à toi?

-La langue est hospitalière. Elle ne tient pas compte de


nos origines. Ne pouvant être que ce que nous arrivons à en
tirer, elle n'est .autre que ce que nous attendons de nous.

- Et si nous n'en attendons rien?

-Ta solitude sera égale à la nôtre.


Je te fais don, ce soir, de mon livre.

-Un livre ne s'offre pas. On le choisit.

-Ainsi en est-il de la langue.


ARC-EN-CI FL, I 1

Avant de te préoccuper du lieu où ;e fixer,


cherche l' issue à ton inquiètude .
S'il y a l'issue , il y a l'apaisement.

«E ntre- disait-il.- Toute la place es t pour toi. ,,

Si tu es mon ami, entre chez rnoi sans frapper à ma port(' .


Si tu ign ores qui je suis, sache que je comptais ks jours de
ta venue.
Ô mon frère d'élect ion, vulnérable é tranger.

Quelque chose qui n'est pas là, va l' ê tre, grâce à moi. Tel
est le mira cle de la création.
Un signe invente un vocable et l' univers , soudain, se u ·ouve
co nfronté à lui-même .

A l'homme, l'excessif pouvoir de la parole.


À Di e u , l'excess if pouvoir du sil e nce.

55
Conflit sans merci. Deux forces égales en présence.
Aussi redoutables, l'un e que l'autre.

« Dieu est conn u des masses et ignoré des individus »,


disait-il.

"L ' hospitalité de la langue s' étend à la mort qui dénomb re


nos mots », disait-il.

En deçà de la responsabilité, il y a la solidarité.


Au-de là , il y a l'hospitalité.

<<Quelle différence y a-t-il entre l' ét ranger démuni et l'au-


tochtone nanti ?»- dem anda-t-il à son maître .
" Quelle diflé rence y a-t-il entre une question et un e
réponse? , - lui répondit le maître.

<<Viens d'où tu viens.


(( Vas où tu vas.
«Ici, tu as ton lit», écrivait un sage.
Et il ajou tait :
«Oub li e qui tu es, car, à cet oub li initia l tu devras d'être
mon hôte.,

« Comment pourrais-je oublier mon passé?- dit le juif-.


Non seulement il me poursuit d epuis ma naissance mais, par-
fois, j 'ai la convi ction qu ' il sera mon avenir. »
Et le sage dit : << Il y a des chaînes que seu l Dieu pourrait
briser. Ft Il ne les brise pas. >>

56
«Le mot m'a conduit patiemment au livre. Le judaïsme
m'a familiarisé avec celui-ci», disait-il.

Je n'écris pas.
Je m'obstine.

Une chose est süre : cet instant.

Où est Dieu? demanda-t-il.


-Il est dans ce «où,, insistant, a~ bord duquel tu erres
comme au-dessus d'un gouffre.
Ô nuit, sœur cadette du néant.

Précipiter sa marche peut mener droit au précipice.


Mal éclairés sont, le plus souvent, les chemins de la création.

-Quelle définition pourrait convenir à l'hospitalité? -


demanda, à son maître, le plus jeune de ses disciples.
Une définition est, en soi, une restriction et l'hospitalité
ne souffre aucune limitation -répondit le maître.

Ne demande pas ton chemin à celui qui le connaît mais à


celui qui, comme toi, le cherche.

Si quelque chose existe, il n'y a point création.

Jamais abondance d'eau n'a fait reculer le désert.

Pareils sont les lendemains du néant.

<<je n'aurai écrit qu'un seul livre- disait-il-. Le premier.


Et il était écrit. >>
L'Al\ONYMAT

« L'anonvmat --disait-il- est l' âge d'or de la


mon.
'' F.rre sans être. »

Que ta mémoire soit ma maison.

''Ne rn<-' mê lez à rie n . N'ajoutez rien à ma vie, à mes écrits.


"Retranchez. Retranchez» , disait-il.

<< La richesse de Di e u est d'être si pauvre, qu'a ucune pau-


\Teté ne saurait se comparer à la Sienne», disait-il, aussi.

,, Ce qui fait -j'aimera is le souligner -le prix d'une parole


n'est pas la certitude, qu' e n s'imposant, e lle marqu e mais bien
au contraire, le manqu e, le gouffre , l'in certitude contre les-
quels elle se d é bat >>, écri va it un sage.
Et, ailleurs: « je suis trop faible pour ma faiblesse. Puisse-
t-elle m e soutenir, afin de me permettre de faiblir noblement
avec elle . »

59
Tous les livres, dans leur précarité, sont livres de nos mor-
telles faiblesses.

Le cœur saigne d e ses blessures: celles de la te rre fieu risse nt.

J e ne vo us demande pas qui vous êtes. Ni votre lieu d 'ori-


gine, ni celui où vous vous rend ez.
La mort est au-dessus de la que stion, comm e, au-dessus de
nos toits , sonr les astres.
À son d éclin, le sol e il cède à la vue .
Il fa it jour où nous nous retrouvons .
J e vo us ai entr'ape rçu à mon réveil. Je me suis, tout d e
suite , dit: Il est là . Ma is qui« il »? Vous, nature ll e ment. Pré-
sent à ma naissan ce , comme au seuil de ma mort.
Vous n 'avez pas de nom . Aussi ne risquez-vous pas d' ê tre
inquié té.
L'homme est l' a urore et le cré puscule d'un nom.
L'a vo ir admis, à l' instant où tout s'écroule e n soi et autour
de soi. nous a conduit à nous laisse r , volontaire m e nt , détruire .
Ce qu e je puis vous affirmer , c'est que j e vou s respecte te l
que vous êtes.
Ce que je puis, d a ns l'humi lité , vous avouer c' est, qu 'a u-
jourd'hui, j'ai besoin de vous.
Êtes-vous la mort? J e vous rassure, aussitôt. Cette question
ne vous concerne pas. Elle me con cerne, plutôt , mais n'attend
de moi, aucune ré po nse.
Alors, à quoi bon la poser?
L'ai-je, si nettem en t, posée ?
Dans mon esprit , ma question : « Êtes-v ou s la mort? »

60
s'adressait à un absent, si proche de moi-même, que Je me
prends, souvent, pour lui.
Et la question est, simplement, celle-ci : "Jusqu'à quel point
sommes-nous, l'un et l'autre, l'un pour l'autre, la mort?»
La mort de l'un et de l'autre?
Question insensée, je vous le concède.
Mais sait-on jamais où et quand s'achève une vie? Et qu'est-
ce qui, sournoisement, se prépare à l'achever?
Qu'importe. Vous êtes là. Vous êtes mon invité. Il n'est pas
dans mon intention de vous importuner ni d'abuser de votre
crédulité. "
Soyez le bienvenu.
Acceptez, sans contrepartie, mon hospitalité.

L'éternité est une ombre sur laquelle l'ombre même ne


saurait peser.

" Le jour n'attend pas la nuit - disait-il - mais il se sait


attendu d'elle.,,

Entouré de ses disciples, levant les bras au ciel, le sage dit:


-j'ai vu la mort, comme je vous vois.
-Je vois, par tes yeux, la mort que tu vois. Elle m'est douce,
contemplée par toi- dit le plus jeune d'entre eux.
Et le sage répondit, à son intention :
-Ne succombe pas à la tentation de me dérober mon regard.
Garde closes tes paupières.
La mort n'accrédite que ce qui a disparu.

61
On ne lit que sa propre lecture.

S'individualiser.

Ramasser, sur la route, des milliers de cailloux et n'en


conserver, à la fin du voyage, qu'un seul.

« Accroche-toi à une seule étoile . La plus lointaine »,


disait-il.

Un grain de riz ne peut répondre de la rizi ère.

-Si je franchis le pas de ton logis, à qui offrirais-tu l'hos-


pitalité? À ton maître ou à l'étranger dont tu ne sais rien?
-Comment pourrais-je ne pas l'offrir à mon maître qui m'a
fait l'honneur d'entre r chez moi ?
-Ton maître -dit, alors, le sage- n'a pas besoin de cette
marque de déférence: le voyageur égaré, par contre , qui
frappe à ta porte, l'espère de toutes ses forces , car il ne la
réclame point uniquement pour lui.
L'hospitalité divine
«Choisir son lieu mais encore faut-il que ce
lieu nous tolère », disait-il.

La notion d'hospitalité est étrangère à Dieu. Ève ne l'igno-


rait point.
Elle mit Dieu à l'épreuve.
Dieu tomba dans le piège et, renvoyé à Lui-même, plongea
dans Son absence.

« De ses deux créatures rebelles, Dieu exigeait obéissancè


et soumission.
«La réponse d'Ève à Adam fut sans doute: Ne sommes-nous
pas, ici, chez nous?
<<Vous êtes, ici, chez Dieu fut, probablement la réponse du
Seigneur.
« N'aurons-nous jamais notre propre lieu?
«Ne serons-nous jamais libres chez nous?
«je suis votre liberté, comme Je suis votre lieu fut, vraisembla-
blement, la réponse du Maître du monde.

65
<< Ève et Adam se prirent , alors, à rêver d'un univers à leur
dimension . Il faisait nuit.
« Ils levèrent les yeux et découvrirent le cie l. Et, dans le
cie l constellé, une étoile proche qu ' Adam surnomma l 'ftoilr
dr l 'ichappù.
<< Son étoile."
Tel est le récit qu'un sage fit, une fois, à ses disciples.

Divine est la clarté de l'aube; humaine. l'ombre du chemin.

Ce récit, comme il fallait s'y a tt e ndre, fut vigoureusem e nt


contesté par un savant formaliste.
Vérité contre imposture.
Lorsque le sage en fut informé, il sourit, car il ne s'agissait
point, pour lui , de remettre en question ce qui nous a é té
transmis de père e n fils , mais de réfléchir sur l'une des raisons
qui opposent, parfois, la créature au Créateur.
Et Dieu à Dieu .

Et Abraham aurait, sans doute, dit :


« La solitude est le lieu. >>
Et Moïse, après lui, aurait, inévitablement, dit :
« Seigneur, manques-Tu, à ce degré, d e gé nérosité qu ' il me
faudra mourir séparé de mon pe uple et de moi-même? Sans
sépulture? »
Et le sage, à son tour, aurait, logiquement, dit :
<< Ouvre le lieu, Seignem-, que je maintiens, péniblement,
entrouvert.
« Mes forces mollissent, mon cœur flanche. >>
Et chacun, invité à prendre la parole, aurait, invariable-
ment , dit:
«Seigneur, où est ma demeure? Terre hostile e t Cieux
inhospitaliers. Nulle part, je ne me suis senti protégé.

66
<<T'intéresses-Tu si peu à moi?»
Et Dieu aurait, sans conteste, répondu :
<<Ingrates créatures. Vous m'accusez de faillir à mes devoirs
d'hôte. Sans bornes est l'hospitalité du Livre. Et vous ne vous
en êtes même pas douté. »

«Dieu a l'éternité pour accomplir Son œuvre; l'homme, à


peine quelques instants.
"Qui se hasarderait, après cela, à parler d'accomplisse-
ment?>> disait-il.

Et, s'adressant, à nouveau, à Moïse, Dieu aurait pu dire :


«j'ai fait, de toi, l'intime du Livre car, dans cette intimité,
Je suis. »

-As-tu pouvoir de prolonger la vie? - demandait un sage


à un autre sage.
-j'ai pouvoir de prolonger l'espoir- lui répondit celui-ci.

La totale disponibilité débouche sur l'hospitalité.


ARC-EN-CIEL, III

Ni émargement , m endos, m griffe, ni


paraphe, ni indice.
Nulle trace.
La grâce du vide, du rien.
L'annonce.

«Juge le pouls à la régularité de ses pulsations- disait-il-.


Rien ne saura le distraire de soi-même.))

« La mort- écrivait-il- est, peut-être, le triomphe de l' im-


possible.
« La vie, le cruel et douloureux possible du néant. »

On ne se souvient que de ce qui n'est plus.

Le sage ne dit jamais : « Il y a Dieu>>mais« Il y avait Dieu >>;


comme il ne dit jamais : « Il y a moi ,, mais << Il y avait moi ''·
Le futur est temps de Dieu; le passé, temps de l'homme.

69
Le refus de la mort est, peut-être, l'affirmation du nom;
son avènement; mais nommer n'est-ce pas, également,
octroyer, à la mort, un nom?
- ... un nom à ce qui est? Une fois, déjà, qui fut?

«Ô mon maître- disait un sage -ils ont cru, parce qu'ils


avaient cessé d'être d'accord avec toi, t'enterrer vivant. Ils
ne savaient pas qu'ils enterraient une graine.))
Et il ajoutait: «Robuste est ton arbre, en pleine sève.>)

« Fruits charnus, juteux - ô pari osé et gagné - nos paroles


de saison empliront vos paniers d'osier>), disait-il.

Je ne puis révéler mon nom qu'à celui qui ne me connaît


pas.
Celui qui connaît mon nom, me le révèle à moi-même.

«Tourne, de gauche à droite, lentement, la tête. Le monde


t'apparaîtra dans la surprenante diversité de son unité.
«Ainsi, un regard circulaire agrège passé au futur, jours
vécus aux jours à vivre.
«L'éternité arbitre. »

Se plier aux exigences informulées de l'hospitalité c'est, en


quelque sorte, faire l'apprentissage de notre dépendance à
autrui.
«Le feu se livre au feu- ô pur embrasement de l'esprit-.
Un petit tas de cendres sera toujours là pour témoigner du
sacrifice du premier visage, au dernier qu'il n'aura pas connu.»
ARC-EN-CIEL, IV

'"
Le ciel, de loin, est ciel.
De près, il n'est plus rien.

Et le disciple dit :
«La question à Dieu est-e11e question à Dieu seul? »
Et le maître répondit: «Dieu change avec nous. Il a cessé
d'être Dieu avant d'exister, car Il n'existe que par nous. »
Et il ajouta : «Afin d 'être, chaque fois , l' invariable question
à l'infinie question à nous-mêmes. »

« Dieu est, peut-être, le sens de l'universel oubli '>>, écrivait


un sage.
Et il ajoutait : «'Dieu te permet d'être. »

Ô forces déployées d'un indicible futur.


Le Rien est prémices.

71
Tolérante absence. Originelle hospitalité.

Le vide est sans commencements.

L'infini est hantise de la limite: réternité, détresse du temps.

Nul passe-droit.
La fatale fin.

« Redoute le Rien- disait un sage-. Un rien le fait exploser.


«Le mot s'en méfie.»

À toute pensée, son lieu de prédilection.


À toute fourmi, sa familière fourmilière.

Si Dieu est, à la fois, hors et dans tout être, hors et dans


chaque chose, ailleurs et ici, absent où Il se manifeste, présent
où nous le désavouons, Il n'est pensable qu'à travers les indé-
nombrables pensées que l'impensable, contre lequel nous nous
cognons, alimente; mais Il n'est pas, Soi-même, l'impensable.
Il est le singulier o~jet de tourment d'une opiniâtre et aven-
tureuse pensée, grisée de ses victoires, brisée de ses notoires
échecs.
Ô mur fissuré; d'avance condamné.
La clarté pourrait surgir de cette fente redoutée.
Insidieuse lézarde que le temps creuse pour le temps qUJ
s'effrite .
.. . comme une cnque dans une arme, comme une paille

72
dans le fer, comme un étonnement dans le diamant, comme
une langue dans le verre.
Ô paradoxe.
Dieu est crédible où Il ne peut être cru.
Dans sa cristalline absence.

-Quelle image te suggère la pensée?- demandait le disciple


à son maître.
-Peut-être celle d'un astre que ses propres feux dévorent
et qui se distingue par l'intensité de ~s scintillements.
<<Le temps de la pensée n'est jamais que le temps d'un
acclimatement à la mort; l'éraillement d'une épitaphe»,
disait-il.
Et il ajoutait : «On meurt avant le mot qui ne dit que notre
mort.»

«La relation à Dieu- écrivait un sage- est multiple. Elle


est au cœur de nos relations occasionnelles ou suivies, à l'uni-
vers et à l'homme, à l'absence et à la présence, à la vie et à
la mort, à la parole et au silence.
« De sorte que nos rapports avec Dieu ne sont jamais directs
mais détournés, sinueux, obliques et, chaque fois, vécus, par
nous, diversement. »

Dieu étant toute différence, ne pouvait créer que la diffé-


rence; un monde étranger au monde et, cependant, fidèle à
lui-même, à travers Son étrangeté.

73
Toute approche d e Dieu s'effectue sous le signe de l'indi -
cidablr.
Ici. l'instinct remplace la foi.

« Notre é trangeté est au fond d e nous-mêmes - écrivait un


sage - mais nous hésitons , toujours, à exhiber le fond. »

«Je suis étranger, com me Dieu - disait-il-. Mais Dieu est


vénéré et moi , pourc hassé. »

Sauvage est la lettre; sociable, le mot.

<<Dieu est la plus audacieuse tro uvaille de l'homm e; la plus


troublée , la plus trouble .
<<Co mment , dans sa foncière e t globale gravité, ne pas
interroger cette folle hardiesse?» ava it-il écrit.

Nous e ntrons dans la parole pour , désormais , n'avoir plus


affaire qu 'à nous-mêm es.

«La prédilection de l'homme pour les masques est due ,


peut-être, à sa méfiance de la diffé re nce», disait-il.
« Se voir partout sans se reconn aître.»

L'unique est solitude.

<<je ne crains pas la mort - dit Moïse à l'ange de la


mort - . Le Livre me protège. N'est- il pas le Livre de la vie?
Être dans le Livre, n 'est-ce pas être assuré de vivre?»
Mais le sage comme ntateur dit : « Dieu est le Livre et non
Moïse; car Dieu est Paroles du Livre, tandis qu e Moïse est le
silence sur lequel celles-ci se sont greffées."

74
Et il ajouta: «Silence dans et hors du Livre. Les deux
tombeaux invisibles du prophète.»

« L'homme ne parlera jamais pour Dieu . C'est pourquoi


Dieu l'écoute. Et, parfois, hélas, ne le comprend pas "• disai!-
il.

" Dans chaque pensée - avait-il écrit- un combat sans merci


de viriles pensées se d éroule, en s'amplifiant.
« Penser, alors, consisterait, peut-êtr~. à s'interroger sur
les causes réelles du confli1 et à en suivre l'imprév isible évo-
lution."
Et il ajoutait: «Ce qui est à penser n'est, jamais, que ce qui
est en litige : Ir sanglant mjru. >>

La blessure est à l'intérieur de la pensée. Les mots sont


seuls à l'avoir vérifié.

Et le maître dit, en repoussant le fauteuil sur lequel il était


aSSIS:
-L'heure est venue. Il me faut partir.
Je me laisserai guider par vos pensées.
De chacune, je referai le chemin .
Ainsi, je continuerai à vivre en vous.
-Et toi, en nous, répondirent les disciples.

«L'étrangeté réfuterait-elle la question qu'elle véhicule?


« Elle est toujours question à l'autre que nous interrogeons,
en nous questionnant.
« ... celui que jamais nous ne connaîtrons et qui pourrait
bien être nous-mêmes», disait-il.

75
Et le sage dit :
«Il connaissait mieux le ciel que la terre.
<<Le ciel , il le voyait toujours au-dessus de lui, tandis que,
de la terre, il ne connaissait qu'une infime partie. Et cette
toute petite partie connue de lui, ne ressemble, hélas, qu'à
elle-même. "

La pensée est une, comme la mort .

Tu existes parce que je t'attends.

Dans ton nom. s'étale ton paysage natal.


Dans le mien, se terre une pie rre du chemin.

«Tout dialogue - disait-il - est à trois voix; voix de celui


qui parle; voix de celui qui répond et voix de la mort qui les
fait, tous deux, parler. >>

-Il n'y a point de don qui ne soit, d'abord, don de réci-


procité.
-L'hospitalité n'est pas un don -lui fut-il rétorqué-. Avant
d'être réclamée, elle est, déjà, accordée.

« Mon Dieu - disait-il-, je vous réduis à Vous-même et


l'univers, en vous, se dissout. >>

-Maître, tu ne prends rien de moi -dit le disciple.


-Je prends, de toi, ce que je t'apprends - répondit le
maître.

-Quelle est cette chose à laquelle tu pensais? Tu es, tout


à coup, si distrait.
-Je pense- et sans bien savoir pourquoi?- à Dieu .

76
Lui-même, pourtant, étranger à la chose à laquelle je pense.
-Triomphe de l'étrangeté.
Dieu est-Il tout ce qu'Il n'est pas?
-Complexité de la relation.
-Toujours nous décevra le divin.
-Même dans l'émerveillement.

L'instant ressasse: «Je sais. Je me souv1ens. » L'éternité


répète: «J'ai tout oublié.»

Feindre d'ignorer ce que l'on a om!s de ceindre.

Ceindre le diadème en même temps que l'épée.

«Mettre deux mots en parallèle n'est-ce pas, sans le savoir,


mettre deux existences en balance?
« Le livre est féroce opposition d'indestructibles destins »,
disait-il.

L'hospitalité se lit comme une bonne nouvelle.


-Je me souviens. Il y a longte mps de cela. Dans le désert
du Sinaï. Nous étions ensemble .
Toi et moi.

-Plus d'un demi-siècle s'est éco ulé, depuis.

-Nous venions de traverser le canal de Suez et nous étions


euphoriq ues. Nous avions deux mois, devant nous , pour visi-
ter la Palestine, la Syrie et le Liban; parcourir, de lon g en
large , ces pays; les aborder, à la fois, comme un livre très
a ncien et tout récent.
Pays écr its et indéfiniment récr its avec leurs propres mots.
Pages perdues et retrouvées.

-Ta voiture était neuve. Un cabr iolet gris de marque a mé-


ncame.
L' intérieur était tapissé de cu ir bleu.

-Nous étions bien équipés: cinq Thermos de rh é glacé,


diverses boîtes de conserve, un vieux bidon de métal rempli
d'eau que nous gardions, en réserve, dans le coffre. avec une
planche de bois et quelques mètres de toile métalliqu e. L'ea u.

81
dans le cas où le mote ur de la voiture chauffe rait trop - il
faisait plus de cinqua nte degrés à l' ombre -, la planc he de
boi s et la toile métallique , e n cas d 'en lisement.
On nous a vait préve nus. La vague piste que nous suivions
n' était pas toujours visible. Nous risquions d e nous ensabler
à tout instant.

-Ciel et sable nous apparaissaient comme les deux dimen-


sions de l' infini .
Nous roulions à faible allure, jusqu'au moment où nous
no us trouvâmes face à une dune que le vent violent du soir
avait érigée, grain par grain, sur toute la large ur de la piste.

-U ne dune dont la hauteur é tait au moins de deux mètres.

- [] nous fallait, coû te que coûte, la contourner. J e me


trompai dans la man œ uvre. Très vite, la voiture pench a sur
le côté .

-Je me souviens. Le soleil nous trave rsait la peau.


Nous plongeâ mes dans le coffre et notre déception fut totale
lorsque nous nous a perçûmes que le chemin ca illouteux et
cahoteux sur lequel nous nou s étions engagés - et comment
faire autre m e nt?- avait eu, facilement, raison de nos ·rher-
mos . Elles éta ient, toutes les cinq, cassées.

-N ous bûmes, sans réussi r à nous désaltérer - et ce la se


co mprend- l'ea u trouble, j a unâtre, à l'arrière-goût d ' huile
figée qui se trouvait dans le récipient.

-S urtout, ne pas nous exposer au j o ur. Attendre.


Le ciel avait la tra nsparence du verre qu ' un a igle h a uta in
se mblait vo uloir rayer de ses griffes, puis briser impitoyable-

82
me n t. Le soir, on aurait vu les b r is de verre se métam o rph oser
e n d ia mants : « . .. comme des lunes na ines », disais-tu .
Ma is non . L'aigle , manifeste me nt, nous dédaign a it.

-La n uit était fraîche . Que l contraste. Nous gue tti o ns l' ho-
ri zon , atte ntifs au moindre bru it a mbiant.
U ne caravane, se dirigean t ve rs Suez, nous repé r era it cer-
tai ne me nt et se porterait à not re secours.

- J e me souviens. Nous a tt en dîme~ en vain. T re nte-s ix


he ures o u plus. Tu dis , a lo rs: « Il nous faut revenir e n a rri èr e.
re fa ire, à rebours , Je mê me che min .,,
j'é ta is pe u disposé à t 'acco mpagne r. Cette longu e ma rch e
m 'effrayait. Après tout , je n 'é tais pas si mal où j 'ét ais. J e m e
sen tais mê me, par mom e nt s, bien. j'avais Je sentimen t d' en -
tre r , pe tit à petit, dans la mo rt. Doucement, sans tou t à fa it
rn 'en re ndre compte. À pe ine conscie nt.

-T u m' a vais inquiété.

- Tu ne tardais pas à me conva in cre.

-C r o is-tu que je t 'aura is a ba ndo nn é à ton sort ?


Le so leil , aussitôt couché, nous reprîmes la route.
D' un bon pas.
No us e ntendions huir, a u lo in, les milans roux. Nous les
suiv io ns dans leur envol e t le ur fuite précipitée . Ale n to u r,
des vau to urs fouillassai e nt l'espace , e ncouragés - o n e üt d it
- par une hyène solitaire do nt le c ri nous fit , la pre miè re fois,
sursa ute r. Elle était tout près de no us et nous ne no us e n
é ti o ns pas a perçus.

83
-Je m'en souviens.
La piste que nous suivions docilement nous rassurait.
Nous ne pouvions pas nous perdre.

-Vers minuit, une voix, grave, puissante, surgie du fond


de la nuit, nous cloua sur place. Un nomade nous barrait,
maintenant, le passage. Un fantôme.
Il nous fallut un certain temps, pour nous persuader qu'il
était vivant.

-L'homme nous questionna avec intérêt. Il tenait à savoir


où nous allions. Nous lui racontâmes notre mésaventure. Il
réfléchit puis, à brûle-pourpoint, nous dit : «Je viens avec
vous. Nous emprunterons des raccourcis. Nous arriverons à
El-Shatt avant l'aurore. Et il ajouta, peut-être pour nous
)>

mettre à l'aise : «"N'êtes-vous pas mes hôtes?»

-Nous passions devant son campement qui se trouvait en


contrebas de la piste. Nous foulions son territoire. Ici, il
était, partout, chez lui. Il se considérait, en quelque sorte,
responsable de nous, bien que, dans ce cas, il ne pût s'agir
de responsabilité mais, plutôt, d'une idée de l'hospitalité
particulière aux natifs du désert. Celui qui, inopinément, se
présente à vous a, toujours, sa place réservée sous la tente.
Il est J'envoyé de Dieu.

-À l'aube, comme prévu, nous arnvames à destination.


Nous ne savions pas très bien comment lui témoigner notre
reconnaissance.
Tu lui offris un peu d'argent qu'il refusa, offusqué.
Ta maladresse était, à ses yeux, si énorme qu'elle ne pouvait
être qu'innocente. Il nous tendit, en souriant, la main et
s'éclipsa.

84
- Deux jours plus tard, dans une voiture de l'armée, conduite
par un jeune soldat et mise à notre disposition par l'État-
Major, nous trouvant, à nouveau, devant son campement,
nous demandâmes à notre chauffeur de s'arrêter. Le temps
de saluer un ami.
À Suez, nous avions acheté, à son intention, une outre
remplie d'eau potable et quelques coupons de tissus de toile
bariolée pour sa famille.
li nous vit tout de suite et se dirigea vers nous pour nous
inviter à boire une tasse de thé. ..,
Pourquoi fit-il semblant de ne pas nous reconnaître?
Cette attitude nous parut anormale, nous heurta presque.
Quelle erreur! Nous n'avions pas, de toute évidence, assez
réfléchi sur ce qu'était l'hospitalité des bédouins.
Si notre hôte, nous avait reçu, en feignant de nous ignorer,
c'était pour marquer que nous restions, l'un et l'autre, à ses
yeux, les anonymes voyageurs qu'il lui fallait, au nom de
l'ancestrale hospitalité de sa tribu, honorer en tant que tels
car, autrement, notre visite improvisée aurait, rapidement,
fait figure d'éphémères retrouvailles.
Hospitalité, l'ultime voix
TOUTE CHOSE ÉGALE

Ce dont il s'agit: la chose.

Qu'est-ce qu'un écrivain a de primordial à dire, sinon cette


chose qui est tout ce qu'il essaie de dire mais sans s'y appliquer,
sans doute pour la laisser, indirectement, se dire.
Et comme si ce dire la protégeait d'elle-même en y redou-
blant les accès; car cette chose, au tréfonds du silence, est
secret du dernier mot.

La poussière, elle aussi, a ses raisons fortes.

Tu parviendras, une seule fois, à l'exprimer, au cours de


ton existence et ce sera lors de ton ultime tête-à-tête avec la
mort.
Tout ce que tu diras - il faudra le dire avec prudence -
tient en quelques phrases lapidaires.
Grand sera, alors, ton étonnement de constater que tu auras

89
eu besoin d e ta vie entière pou r r assembler un si petit nombre
d e m ots.

Tu n 'as jamais eu que toi-même pour interlocuteur.

Ne reviens plus sur cette chose à dire. Elle est chose e n


devenir, donc irrévocablemen t condamnée.
Tel l'i nstant.

« Si on te refuse l'hospita lité, fais e n sorte que ce refus te


so it attribué.
«A insi , tu donneras, à autrui , une magistrale leçon de
sagesse,, enseignait-il.
«A h puisse ta lampe d ' huil e brûler plus d'une nuit e t pui sse,
au jour, les a boiements réconfo rtan ts de ton chien, r éjouir le
cœur du passeur alerté.
« L'étranger comprendra, peut-être, qu'il a pénétré dans le
pays d ésolé des sa bles, o ù l'h ospitalité est gage d e survte » ,
e n seigna it-il , encore.
Et il ajo utait: <<Ce pays est le livre. ,

Pareils sont les lendemains du néant.

II

<< Rega rde les c hoses e n face. Par la force des choses , elles
t 'apparaîtront dans leur exemplarité», disait-il.

90
«Tout ce qw existe est, d'abord , inconcevable», di sait-il
encore.
« Les c hoses que tu imagines sont comme des carcels, é teints
jusqu' ic i, et que tu allumes. »

La tête dans ses mains , les coudes appuyés à sa table de


travail, il se demandait ce que pouvait ressentir un écriva in
confro nté, comme lui aujourd'hui , à la fin de son écriture.
Il se disait qu'il était, probablement, parvenu au bout d e
lui-m ême et que son écriture, ta nt il avait vécu d'elle et e ll e,
de lui , a llait le précéder de peu dans Il' mort .
En fait, il se sentait lâché par lui-même et cela, au momem
où il préte ndait, peut-ê tre par bravade , tenir le plus à la vie,
a u livre grâce auquel il pouvait respirer.
La nécessité d'écrire s'était, petit à petit, évanouie. Écrire
avait perdu, pour lui, son sens. Cette défaite était-elle le signe
a vant-co ureur, lisible, du d étach e ment à son égard, dont fa i-
sait p reuve l'écriture?
Mais qui pourrait prévoir combie n de temps durera it l'ago-
nie?
La fin de l'écriture n 'est pas imputable à une subite d éfa il-
lance d es mots .
Pe ut-être arriverait-on à la déce ler à travers ce que l'écri-
ture n 'a plus à cœur de dire.
Infranchissable est, à certains m o ments, la distance avec les
c hoses et le monde.
Ô vide, extrême pauvreté insoupçonnée.

On meurt serein lorsqu'il n'y a plus de paroles pour traduire


la peur qui nous étreint.

« Point de nuit- mais un seul matin - pour l'écrit.


«Éblouissant est le fin fond du livre », disait-il.

91
«Ne pas voir n'est, souvent, que la conséquence d'une
ancienne exclusive prononcée contre le mystère ; le formel
interdit de tout voir, auquel nous avons innocemment sous-
crit. »

« Toutes ces choses, comme une gerbe de roses fanées.


«Toutes ces vies entremêlées, entravées: ma vie vaincue,,,
disait-il enco re .
ARC-EN-CIEL , V

« Rejoins-moi - écrivait un sage - où tu ne


me cherches plus. »

Sa lettre me fut délivrée au moment où je quittais mon


domicile pour aller le retrouver.
«Celui qui aligne ces mots - m'écrivait-il - n'est pas moi
mais l'homme que je fus, autrefois, persistant à écrire pour
lui-même.
«Et comme si tout ce que sa plume écrivait encore, ne
s'écrivait, réellement, que dans un passé qui fut, jadis, mon
présent, avant la brusque et définitive rupture dont il m'est
impossible de préciser la date; car je suis sans souvenirs et
sans paroles et que là où je tente, avec beaucoup de difficultés,
de me mouvoir, le temps est aboli.
« Autour de moi, rien ne vibre.
« Immobilité, lourde plus que le plomb et légère plus que
l'air.
«Hors du livre, il n 'y a que le vide- vide d'un livre privé
de ses vocables; immense espace de blancheur, laissé par des
choses dites une fois puis envolées.

93
« Inextricables derniers instants.
<<Ô fardeau du Rien que le Rien dénonce.>>

Et cette main, mal assurée, départageant le jour.

La terre se rapetisse.
Les hommes se rapetissent.

«Mon âme est un terrain vague- m'écrivait un ami- où


viennent rôder les chats et pisser les chiens.
«Mon âme est un camp de concentration- m'écrivait un
ancien déporté- que l'herbe a soigneusement recouvert d'ou-
bli.
« Mes souvenirs n'ont plus de lieu. »

La haine est longue à s'émietter.

«Ce qui, chaque jour, nous tue- disait un sage- n'est pas
la mort mais la vie avilissante.
« Avilie. »

Incendiez le grain.
Enterrez le pain.

Nous doutions-nous que la paix était là, au fond du gouffre?


L'aurore est l'impasse.

Le jour a ses paliers de lumière. Lisse est la nuit, exempte


de limites.

94
J'ai fait ce rêve. J'étais à la recherche d'une feuille de papier.
Une phrase rn' obsédait et je voulais la noter. J'écrivais, cepen-
dant que je n'avais pas de papier. Je souffrais de ne pas écrire
et j'écrivais cette souffrance.
Sur quoi, écrivais-je? Je ne saurais le dire. j'écrivais que je
ne savais pas sur quoi j'écrivais. J'écrivais même que je ne
savais pas si j'écrivais.
«Tu crois écrire- me dit un visiteur qui m'observait, depuis
quelque temps, sans que je m'en aperçoive-. Tu as, déjà,
tout écrit puis tout oublié. »
C'est, sans doute, cela, pensai-je. J'écris ~ur l'oubli ou, plu-
tôt, j'écris l'oubli et, au fur et à mesure, j'oublie ce que j'écris.
Qui lira ce qui n'est pas à lire? Je lis pour chaque lecteur,
ingratement frustré. Je lis pour tous.
Et ma lecture est un appel désespéré.

Avec un outil pointu, il gravait, dans la pierre friable, le


mot hospitalité.

Le voyage terminé, le terme est éternel.

«La vie multiplie ses miroirs; la mort les pulvérise.


« Un jour, on ne voit plus ses traits.
« Ni dans les yeux des autres.
«Ni dans leur sourire ou leur parole.
«Alors, on comprend que l'on est seul.
« Définitivement.

«L'eau ne reflète qu'elle-même.


«Stagnante, elle fait son temps.

«J'atteste la fin dans la fin du livre», disait-il.

95
Le livre se détourne de son ne le
croit.

Ce
dr non-rrtour.

Douleur d'avoir été de nulle part tout ce


qui m'entoure s'affirme et croît sous un faux nom.

<< Le lieu de toute le vrai disait-il est le désert.


Ni passé. Ni futur.

«Mon passé m·a ravi mon avenir.
Le nomade dit : « Tu es dans
comme on pourrait le penser, liée au
crée.
-Je ne me souviens de nen lui Donc.
n'existe pas.
-Tu existes dans ce Rien ''• lui dit, le nomade.

Ainsi, la transmettre n'était que de


sable et le de vocables.
Tout est à récrire.
Saissanœ dr
ce u
disait-iL

«Ombre

Moins pour vous que pour moi-môme.


Jai
porter par le livre.
Jai affronté la ressemblance et

99
Je me suis appliqué à circonscrire le réel et l'irréel; l'absence
et la présence; la vie et la mort, le mot et le silence.
j'ai élargi le dialogue et défini le partage.
j'ai fait le point.

De toi, je prends congé, mais vivrai de ta lecture.

Incommensurable est l'hospitalité du livre.


L'ADIEU

«Tout livre s'écrit dans la transparence d'un


adieu » , disait-il.

<<Il faut bien, un jour, consentir à se taire quand les mots


n'ont plus besoin de vous>>, disait-il aussi.

Se taire . Se terrer.

Le vieux sage dit à son disciple : « Écris, sous ma dictée, ce


que ma main ne peut, tant sa faiblesse est grande, consigner
au feuillet », puis ferma les yeux et s'assoupit.
De ce silence complice, naquit le livre de l'originaire nuit
qui engendra, plus tard, le livre des jours.

Quand chaque étoile est un mot récupéré.

Une nuit pour la mort ; un jour pour la vie.


Invariable est le cycle altérable des années.

L'automne est au cœur des saisons.

101
<< L'aurore n 'est pas l'adieu- avait-il noté-; mais tout adieu
est l' é blouissante audace d'une aurore.,

Demain est le coupable horizon.

Et le sage dit :
«À Dieu, le fardeau du Tout.
<<À l'homme, la part du peu.))
"
Où? Quand? Pourquoi? 11
Où? 13
Un nouveau seuil 15
Quand? 17
L'attente 19
Pourquoi? 25
L'appel 27
Un jour de vie 33
Arc-en-ciel, I 39
L 'hospitalité de la langue 49
Arc-en-ciel, II 55
L'anonymat 59
L 'hospitalité divine 63
Arc-en-ciel, III 69
Arc-en-ciel, IV 71
L'hospitalité nomade 79
Hospitalité, l'ultime voix 87
Toute chose égale 89
Arc-en-ciel, V 93
Un espace pour l'adieu 97
L'adieu 101
Œuvres d'Edmond Jabès (suite)

UN ÉTRANGER AVEC, SOUS LE BRAS, UN LIVRE DE


PETIT FORMAT.

Dans la collection L'/ maginaire

LE LIVRE DES QUESTIONS,


LE LIVRE DES QUESTIONS, II
LE LIVRE DES RESSEMBLANCES

Dans la collection Poésie/ Gallimard


..
LE SEUl L LE SABLE (Poésies complètes, 1943-1988)

Chez d'autres éditeurs

ÇA SUIT SON COURS (Éditions Fata Morgana)


DANS LA DOUBLE DÉPENDANCE DU DIT(ÉditionsFataMor-
gana)
RÉCIT (F..ditions Fata Morgana)
LA MÉMOIRE ET LA MAIN (Éditions Fata Morgana)
L E LIVRE DES MARGES (Hachette)
DU DÉSER T AU L 1V RE. Entretiens avec Marcel Cohen (Éditions Pierre
Belfond)
LA MÉMOIRE DES MOTS (Éditions Fourbis)
Composé el achevé d'imprimer
par l'Imprim erie Floch
à Mayenne, le 28 mars 1991 .
Dépôt légal : mars 1991.
Numéro d'imprimeur: 30420.
ISBN 2-07-072248 -1 / lmprimé en France.
r EDMOND JABÈS

Le L,ivre de l'Hospitalité

Je me suis aperçu, un jour, qu'une chose


m'importait plus que les autres : comment me
défmir en tant qu'étranger ?
Et ce fut l'objet du livre auquel j'ai donné
pour titre : Un étranger avec, sous le bras, un
livre de petit format.
Je me suis aperçu, ensuite, que, dans sa vul-
nérabilité, l'étranger ne pouvait tabler que sur
l'hospitalité dont ferait preuve, à son éganl,
autrui.
Tout comme les mots bénéficient de l'hospita-
lité de la page blanche et l'oiseau, de celle,
inconditionnelle , du ciel.
Et c ' est l'objet de ce livre.
Mais qu 'est-ce que l'hospitalité ?

E. J.

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