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DU MÊME AUTEUR
Dédicace
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
PROLÉGOMÈNES
ou
QUELQUES NOTIONS PRÉLIMINAIRES
CHAPITRE PREMIER
UNE GÉNÉALOGIE SANS TACHE (SÎRA, I, 4-12 ET 108-110)
LES DEVINS ARABES, LES RABBINS JUIFS ET LES MOINES CHRÉTIENS ANNONCENT LA MISSION
PROPHÉTIQUE DE MUHAMMAD (SÎRA, I, 204-214)
QUELQUES HOMMES DES QURAYCH PORTENT LEUR RÉFLEXION SUR LES DIFFÉRENTES RELIGIONS
(SÎRA, I, 222-232)
CHAPITRE II
É Î
MISSION DE L'ENVOYÉ DE DIEU (SÎRA, I, 233-239)
ZAYD IBN HÂRITHA, ABÛ BAKR ET D'AUTRES COMPAGNONS EMBRASSENT L'ISLAM (SÎRA, I, 247-262)
CHAPITRE III
LES QURAYCH MALTRAITENT L'ENVOYÉ DE DIEU (SÎRA, I, 289-291)
LA MORT D'ABÛ TÂLIB (EN 619). L'ENVOYÉ DE DIEU ESPÉRAIT LE CONVERTIR (SÎRA, I, 415-419)
Î Î
LA MORT DE KHADÎJA (EN 619) (SÎRA, I, 415-419)
LE PROPHÈTE VA CHEZ LES THAQÎF POUR DEMANDER LEUR AIDE (SÎRA, I, 419-422)
CHAPITRE IV
>LES MÉDINOIS À LA VEILLE DE L'HÉGIRE
LA CHAMELLE DU PROPHÈTE S'AGENOUILLE DEVANT LA MAISON DES BANÛ MÂLIK IBN NAJJÂR (SÎRA, I,
495-496)
LE RÉCIT DE BI'R MA'ÛNA AU MOIS DE ÇAFAR DE L'AN 4 DE L'HÉGIRE (JUILLET 625) (SÎRA, II, 183-189)
L'EXPULSION DES BANÛ NADÎR EN L'AN 4 DE L'HÉGIRE (AOÛT 625) (SÎRA, II, 190-203)
EXPÉDITION DU FOSSÉ (KHANDAQ) AU MOIS DE CHAWWÂL DE L'AN 5 DE L'HÉGIRE (MARS 627) (SÎRA, II,
214-233)
L'EXPÉDITION CONTRE LA TRIBU JUIVE DES BANÛ QURAYDHA EN L'AN 5 DE L'HÉGIRE AU COURS DU
MOIS DE DHÛ-L-QI'DA ET AU DÉBUT DE DHÛ-L-HIJJA (MAI 627) (SÎRA, II, 233-245)
LA CONVERSION DE 'AMR IBN AL-'ÂÇ ET DE KHÂLID IBN AL-WALÎD (SÎRA, II, 276-279)
L'EXPÉDITION CONTRE LES BANÛ LIHYÂN (AOÛT 627) (SÎRA, II, 279-281)
L'EXPÉDITION CONTRE LES BANÛ MUÇTALIQ (JANVIER 628) (SÎRA, II, 289-296)
CHAPITRE VI
HUDAYBIYYA À LA FIN DE L'AN 6 DE L'HÉGIRE (mars 628) (SÎRA, II, 308-322)
L'EXPÉDITION CONTRE LES JUIFS DE KHAYBAR AU MOIS DE MUHARRAM DE L'AN 7 DE L'HÉGIRE (JUIN
628) (SÎRA, II, 328-370)
LE PROPHÈTE ACCOMPLIT SA VISITE DES LIEUX SAINTS EN L'AN 7 DE L'HÉGIRE (MARS 629) (SÎRA, II,
370-373)
CHAPITRE VII
LA CONQUÊTE DE LA MECQUE AU MOIS DE RAMADÂN DE L'AN 8 DE L'HÉGIRE (JANVIER 630) (SÎRA, II,
389-428)
CHAPITRE VIII
HISTOIRE DES BANÛ JADHÎMA (SÎRA, II, 428-436)
È Â É Î
LE PROPHÈTE ENVOIE KHÂLID DÉTRUIRE AL-'UZZA (SÎRA, II, 436-437)
LES ANÇÂR CRAIGNENT QUE LE PROPHÈTE NE RESTE À LA MECQUE (SÎRA, II, 416)
LE SORT DES BIENS ET DES CAPTIVES DES HAWÂZIN (SÎRA, II, 488-500)
LE PROPHÈTE PART DE JI'RÂNA VISITER LES LIEUX SAINTS (SÎRA, II, 500-501)
L'EXPÉDITION DE TABÛK AU MOIS DE RAJAB DE L'AN 9 DE L'HÉGIRE (OCTOBRE 630) (SÎRA, II, 515-537)
ABÛ BAKR CONDUIT LE PÈLERINAGE DES MUSULMANS EN L'AN 9 DE L'HÉGIRE (631). DIEU
AFFRANCHIT LE PROPHÈTE DE TOUT ENGAGEMENT PRIS AVEC LES PAÏENS (SÎRA, II, 543-559)
CHAPITRE IX
LE PÈLERINAGE DE L'ADIEU (MARS 632) (SÎRA, II, 601-606)
W.A.
1 Édition arabe en cours de publication (Éditions Rayyès, Beyrouth).
INTRODUCTION
Peu importe que ce récit ne soit qu'une anecdote. Il reste vrai que
l'ouvrage d'Ibn Hichâm a servi de référence à d'innombrables biographies
ultérieures du prophète Muhammad. On peut même dire que la
Biographie du Prophète (Sîra) d'Ibn Hichâm reste encore aujourd'hui la
référence dans ce domaine. Pourquoi ? Pour les qualités d'érudition de
l'auteur, pour la fiabilité de ses récits, empruntés à des traditions pas
encore trop lointaines de l'époque des événements, et surtout pour la
méthodologie adoptée par Ibn Hichâm. Conscient des variantes, des
lacunes et, parfois, des contradictions des hadiths rapportés sur un même
sujet, il essaie d'en faire une synthèse.
Voici, par exemple, ce qu'Ibn Hichâm écrit dans le préambule de son
récit de la grande bataille de Badr : « Muhammad ibn Muslim, 'Âçim ibn
'Amr, Abdallah ibn Abû Bakr3, Yazîd ibn Rûmân et d'autres parmi nos
maîtres m'ont rapporté de la part d'Ibn 'Abbâs un récit de la bataille de
Badr. Chacun de ces savants en a fait une narration partielle et
incomplète. J'en ai fait moi-même la synthèse pour en reconstituer et
présenter un récit unique et homogène4. » Le même souci de présentation
synthétique d'un récit suivi est formulé par Ibn Hichâm dans les
préambules de la bataille d'Uhud, de la bataille du Fossé, de l'expédition
de Tabûk5 et ailleurs. De plus, dans le récit de l'épisode de la Calomnie
(al-ifk) dont fut victime 'Â'icha, épouse du Prophète, Ibn Hichâm glisse
une petite note personnelle : « Certains narrateurs avaient de cet épisode
un meilleur souvenir que d'autres6. » Mais la synthèse n'est pas toujours
un exercice facile et, sans en diminuer son mérite, il reste encore
beaucoup à faire pour coordonner et ordonner les divers récits rapportés
par Ibn Hichâm.
De nos jours, compte tenu notamment de l'extension de la culture et du
développement de l'intérêt pour les choses de l'esprit, les écrits et les
ouvrages fondamentaux de l'humanité ne sont plus l'apanage de quelques
heureux élus ayant accès à la lecture. Les données de base de toutes les
civilisations et de toutes les religions sont mises à la disposition d'un
public de plus en plus large et de plus en plus avide de connaissance. La
Biographie du prophète Muhammad (la Sîra) d'Ibn Hichâm se trouve
justement parmi ces ouvrages fondamentaux de l'humanité : près d'un
milliard et demi d'hommes adhèrent aujourd'hui à l'islam et croient que
Muhammad est l'Envoyé d'Allah. Mais les 1624 pages de la Sîra éditée
au Caire (pages arabes d'où sont absentes, on le sait, les voyelles brèves
et donc d'au moins un tiers plus denses que les pages en langues
romanes) constituent un obstacle certain à la lecture. Et si l'ouvrage d'Ibn
Hichâm reste un objet d'étude pour les maîtres et les étudiants en
islamologie à travers le monde, on comprend que de très nombreux
arabophones n'aient jamais lu cette source première de l'islam7 et ne la
connaissent que par ouï-dire ou par des citations écrites ou orales, plus ou
moins directes.
Dans ces conditions, nous nous sommes proposé de rendre cette
Biographie du prophète Muhammad accessible au plus grand nombre. En
somme, à près de douze siècles d'intervalle, nous avons plaisir à suivre la
recommandation du calife al-Mançûr et à mettre l'ouvrage d'Ibn Ishâq et
d'Ibn Hichâm à la portée non seulement des enfants de califes, mais à la
portée de tous les enfants du monde, en le leur présentant sous la forme
d'un Épitomé ou d'un Abrégé de l'Abrégé fait, à l'origine, par Ibn Ishâq.
Comme il est impossible de reconnaître dans cette Biographie du
Prophète la part respective de chacun des deux auteurs, on désignera
désormais cet ouvrage, par convention, sous le seul nom d'Ibn Hichâm.
C'est d'ailleurs sous cette appellation qu'il est généralement connu.
Notre méthode
Prénom, ism : Khâlid, 'Umar, Hind, Fâtima, 'Abd Allâh (esclave de Dieu).
Nom du père :
ibn al-Walîd (fils de Walîd). Al, c'est l'article
défini.
bint al-Jazzâr (fille de Jazzâr)
Nom du fils
aîné : abû Tâlib (père de Tâlib) ; cette appellation
(kunya) était une marque d'amitié ou de respect.
Pour désigner une femme, on dira
couramment umm Hâni (mère de Hâni).
abû et umm peuvent aussi, à partir de la
notion de possession, désigner un surnom ou un
sobriquet : Bourqîba, qui a un petit cou.
Nom de la tribu : Banû Thaqîf, la tribu des Thaqîf ; Banû est le pluriel de ibn.
Les consonnes
En dépit de tous les progrès réalisés dans la typographie, il subsiste
encore des problèmes sérieux dans la transcription des mots arabes. Les
difficultés sont de deux natures : celles qui sont dues à la diversité des
dialectes arabes et, en second lieu, celles qui sont liées à l'inadéquation
du clavier strictement latin à la phonétique arabe.
On sait que les Arabes, depuis l'Atlantique jusqu'au golfe arabo-
persique, parlent couramment des dialectes qu'ils n'écrivent pas. Pour
prendre un exemple connu, on entend le nom du prophète arabe prononcé
Mhammad, Mhammed, Mhomm'd, etc. Mais tous ces peuples se réfèrent
à la prononciation coranique et donc classique aujourd'hui : Muhammad.
Dans ces conditions, il serait plus simple de se référer en France aussi à
cette prononciation et à cette transcription. Il est certes tout à fait naturel
et légitime de continuer à écrire et à prononcer la forme Mahomet,
francisée de longue date, mais nous devons, me semble-t-il, abandonner
la forme Mohammed, forme hybride qui n'a jamais existé ni en dialectal
ni en classique. On devrait en faire autant des Koreich, Ohod, Zemzem,
etc.
Cela ne résout cependant pas le problème posé par la disparité des
deux claviers arabe et latin. Il a été relativement facile de rendre compte
d'un bon nombre de consonnes arabes par une combinaison de lettres
fournies par le clavier latin :
Kh J (khôta) espagnol.
Dh Th anglais (the).
Dhah The anglais (the), emphatisé (en faisant vibrer le voile du palais).
Les voyelles
« Notre Seigneur !
il les purifiera.
Après la mort de son grand-père, l'enfant fut élevé par son oncle Abû
Tâlib, sur la recommandation, dit-on, de'Abd al-Muttalib. Abdallah, père
de Muhammad, et Abû Tâlib étaient en effet deux frères du même père et
de la même mère.
Un devin de la tribu des Azd-Chanû'a avait l'habitude de venir à La
Mecque pour prédire aux gens leur avenir. Les Quraych lui amenaient
leurs garçons et l'interrogeaient sur leur sort. Abû Tâlib, parmi d'autres,
lui amena un jour le jeune Muhammad. Le devin dévisagea le garçon,
mais son attention fut détournée de lui par autre chose. Dès qu'il fut libre,
le devin dit : « Ramenez-moi le garçon. » Abû Tâlib, craignant l'excessif
intérêt que montrait le devin pour son neveu, le fit disparaître. Et le devin
de crier : « Malheureux, ramenez-moi l'enfant que je viens de voir. Il aura
sûrement un grand avenir. » Mais Abû Tâlib était déjà parti.
Abû Tâlib préparait le départ d'une caravane de commerçants pour la
Syrie. Quand tout fut prêt et que les hommes furent sur le point de partir,
Muhammad se jeta au cou de son oncle. Abû Tâlib, tout ému, s'écria :
« Je vais l'emmener avec moi en Syrie. Nous ne nous quitterons jamais. »
Il le prit donc dans sa caravane. Ils atteignirent Bosra de Syrie. Là, dans
un monastère, vivait un moine chrétien appelé Bahîra, qui puisait sa
science du christianisme dans un livre conservé au couvent et transmis de
génération en génération. Souvent la caravane faisait halte près du
monastère sans que Bahîra l'invite ou l'aborde. Cette année-là, Bahîra fit
dire à la caravane des Quraych qu'il avait préparé un grand repas à leur
intention et qu'il aimerait que tous y participent, grands et petits, hommes
libres et esclaves. L'un des Quraych dit à Bahîra :
– Tu dois sûrement avoir une arrière-pensée aujourd'hui. Nous sommes
passés souvent par là, sans que tu nous invites. Que t'arrive-t-il
aujourd'hui ?
– C'est vrai ; je ne vous invitais pas. Mais vous êtes toujours mes hôtes
et j'ai souhaité, pour vous honorer, que vous soyez tous aujourd'hui mes
invités à ce repas.
Ils répondirent tous à l'invitation, sauf Muhammad qu'on avait laissé
près de la caravane, sous un arbre, en raison de son jeune âge. Lorsque
Bahîra fit le tour de ses hôtes, il ne trouva pas Muhammad parmi eux.
– Je vous avais bien demandé, leur reprocha-t-il, qu'à ce repas
personne ne fût absent.
– Oui, Bahîra, personne n'est absent, sauf un jeune garçon qui est resté
près de la caravane.
– Je l'invite quand même à prendre ce repas avec vous.
Un homme des Quraych alla prendre Muhammad dans ses bras et le fit
asseoir avec les hommes. Bahîra observait le jeune garçon et scrutait
chaque partie de son corps pour la comparer avec ce qu'il en avait lu dans
les livres. Le repas terminé, les hommes se dispersèrent. Bahîra
s'approcha alors de Muhammad :
– Je t'adjure, lui dit-il, de répondre aux questions que je vais te poser.
– Pose-moi toutes les questions que tu veux.
Bahîra lui posa toutes sortes de questions sur son sommeil, sur son
comportement et sur ses relations. Muhammad y répondit et ses réponses
correspondaient aux lectures de Bahîra. Puis le moine découvrit le dos du
garçon et il y reconnut entre les épaules le sceau de la prophétie, à
l'endroit même signalé dans les livres. Ce sceau était comme la marque
d'une ventouse sur la peau.
Ayant achevé son examen de l'enfant, Bahîra alla trouver Abû Tâlib :
– Ce garçon, lui demanda-t-il, qu'est-il pour toi ?
– C'est mon fils.
– Non, il n'est pas ton fils. Son père ne doit pas être encore en vie.
– C'est vrai. C'est mon neveu.
– Qu'est devenu son père ?
– Son père est décédé lorsque l'enfant était encore dans le sein de sa
mère.
– Maintenant, tu dis la vérité. Ramène cet enfant dans son pays et
protège-le des juifs. En effet, s'ils le voient et s'ils savent ce que je sais de
lui, ils vont certainement lui vouloir du mal. En vérité, ton neveu aura un
grand destin. Ramène-le au plus vite chez lui.
Abû Tâlib, dès qu'il eut terminé son négoce en Syrie, ramena
rapidement l'enfant à La Mecque. L'enfant y grandissait sous la
protection de Dieu, sauvegardé des souillures du paganisme,
conformément à la dignité de la mission à laquelle Dieu le destinait12.
Devenu jeune homme, il était, dans sa tribu, le plus courageux, le plus
doux de caractère, le plus noble de naissance, le meilleur voisin, le plus
sage, le plus sincère, le plus fidèle. À tel point que les gens l'appelaient le
Fidèle (al-Amîne). Dieu avait en effet réuni en lui toutes les qualités.
Lorsque la guerre des Fijâr éclata entre les Quraych et les Qays 'Aylân,
Muhammad avait quinze ans. Ses oncles l'emmenèrent avec eux à
quelques batailles, où il était chargé de récupérer les flèches lancées par
l'ennemi.
Les Quraych étaient réunis, un jour de fête, autour d'une de leurs idoles
qu'ils vénéraient. Ils lui avaient offert des sacrifices, avaient participé à la
cérémonie et à la ronde rituelle autour d'elle. Quatre d'entre eux, dans une
conversation privée, se dirent : « Soyons francs et discrets. Il est clair que
notre peuple est dans l'erreur et qu'il a altéré la religion d'Abraham.
Qu'est-ce que cette pierre autour de laquelle nous faisons des rondes
rituelles (tawâf) ? Elle n'entend rien ; elle ne voit rien ; elle ne fait pas de
mal ; elle ne fait pas de bien ! Trouvons-nous une autre religion. » Ces
quatre hommes étaient Waraqa ibn Nawfal, 'Ubayd Allâh ibn
Jahch,'Uthmân ibn al-Huwayrith et Zayd ibn 'Amr. Depuis, ils se
dispersèrent à travers le monde, à la recherche de la religion d'Abraham
(Hanîfiyya).
Waraqa ibn Nawfal, le cousin de Khadîja, épouse du Prophète, adopta
le christianisme : il apprit les Écritures auprès des maîtres et acquit des
connaissances solides dans cette religion.
Quant à 'Ubayd Allâh ibn Jahch, un cousin du Prophète, il resta dans
l'équivoque jusqu'à sa conversion à l'islam. Puis il émigra avec les
musulmans en Abyssinie, accompagné de sa femme Umm Habîba, fille
d'Abû Sufyân, qui était elle aussi musulmane. Arrivé en Abyssinie, il
quitta l'islam et embrassa le christianisme. Il mourut chrétien dans ce
pays. Cet homme, devenu chrétien, fréquentait les compagnons du
Prophète en Abyssinie et ne cessait de leur répéter : « Nous avons vu la
lumière alors que vous la cherchez encore ! » Après la mort de 'Ubayd
Allâh, le Prophète épousa sa femme Umm Habîba, fille d'Abû Sufyân.
Quant à 'Uthmân ibn al-Huwayrith, il se rendit chez César, le roi des
Byzantins. Il embrassa le christianisme et acquit une position importante
auprès de lui.
Enfin, Zayd ibn 'Amr ibn Nufayl resta en dehors du judaïsme et du
christianisme. Il quitta cependant la religion de son peuple et il
abandonna le paganisme. Il s'abstenait de la viande d'animaux étouffés,
du sang et des victimes sacrifiées au pied des idoles. Il interdisait
d'enterrer vivantes les jeunes filles et déclarait aux Quraych : « J'adore le
Dieu d'Abraham. Je suis le seul parmi vous à pratiquer encore la religion
d'Abraham. » Puis il ajoutait : « Dieu, si je savais quelle religion tu
préfères, je l'adopterai. Mais je ne le sais pas ! »
Les Quraych le maltraitaient et le persécutaient, de peur qu'il ne jette le
discrédit sur leur religion. Il quitta enfin La Mecque à la recherche de la
religion d'Abraham. Il parcourut tout le pays, interrogeant les moines et
les rabbins. Il parvint enfin en Syrie où il trouva, sur les hauteurs de
Balqâ', un moine qui connaissait bien le christianisme. Zayd interrogea le
moine sur la Hanîfiyya, la religion d'Abraham. « Tu recherches une
religion à laquelle tu ne trouveras personne aujourd'hui pour te conduire.
Cependant, le temps est proche où un prophète sortira de ton pays que tu
viens de quitter et prêchera la religion d'Abraham. Rejoins-le, car c'est
bien la période prévue pour sa mission. » Zayd, qui avait eu quelques
notions de judaïsme et de christianisme et n'en avait retenu aucune, prit
sans délai la direction de La Mecque. Mais, arrivé dans le pays des
Lakhm, des brigands se jetèrent sur lui et le tuèrent. On raconte que son
fils Sa'îd ibn Zayd et 'Umar ibn al-Khattâb (le futur calife), qui était son
cousin, demandèrent un jour au Prophète :
– Pouvons-nous implorer le pardon pour Zayd ibn 'Amr ?
– Oui, répondit le Prophète, car il sera ressuscité, tout seul comme s'il
était une nation entière.
QUALITÉS DE L'ENVOYÉ DE DIEU SELON L'ÉVANGILE
(SÎRA, I, 232-233)
Ibn Ishâq a dit : lorsque Jean l'Apôtre voulut faire connaître aux
chrétiens ce qu'avait écrit, sous l'inspiration de Dieu, Jésus fils de Marie
dans l'Évangile, au sujet de l'Envoyé de Dieu, Jean copia les phrases
suivantes : « Celui qui me hait hait Dieu. Si je n'avais pas en leur
présence accompli des merveilles que personne d'autre avant moi n'avait
accomplies, ils ne seraient pas coupables. Mais ils abusèrent de la grâce
et crurent qu'ils l'emporteraient sur moi et sur Dieu lui-même. Il faut
cependant que le mot écrit dans la Loi soit accompli : “; Ils m'ont haï
gratuitement, sans raison. ” Et lorsqu'al-Munhamanna viendra, celui que
Dieu vous enverra de sa part, l'Esprit-Saint, celui qui a émané de Dieu, il
portera témoignage sur moi. Vous aussi vous porterez témoignage, car
vous avez été avec moi. C'est pourquoi je vous ai dit cela afin que vous
n'ayez pas de doute. » Al-Munhamanna en syriaque veut dire :
Muhammad, et en grec : al-baraqlîtos22.
1 Aç-Çafa et al-Marwa : deux buttes rocheuses situées à la périphérie de l'enceinte du sanctuaire
de La Mecque. Avant l'islam, elles étaient le siège de divinités de la fertilité vénérées par les
pèlerins de La Mecque. Depuis, elles ont gardé leur caractère sacré et les pèlerins musulmans
effectuent une course (sa'y) entre ces deux stations importantes du pèlerinage à La Mecque, en
souvenir de la course éplorée de Hâjar en quête d'eau pour son fils Ismaël, considéré comme
l'ancêtre de tous les Arabes.
2 Par la suite, il en eut plusieurs autres, dont Abdallah, le propre père du Prophète. Al-Hârith est
donc l'un des oncles paternels du Prophète.
3 Un couple de divinités pré-islamiques, symbolisant l'amour et la fertilité.
4 Cette formule sacrée, destinée à un grand avenir, va être, en quelque sorte, le slogan
monothéiste de l'islam. Sa traduction pose un réel problème aux arabisants. Il s'agit, évidemment,
d'un comparatif de supériorité : Dieu est plus grand. Mais plus grand que qui ou que quoi ? On ne
peut interpréter cette formule que dans la situation où elle est prononcée. Par ailleurs, dans toute sa
biographie du Prophète, Ibn Hichâm cite sans cesse le nom du Dieu unique, Allâh, même dans la
bouche des païens. S'agit-il d'une référence à une vague notion d'un Dieu unique avant l'islam ou
d'un simple anachronisme tout à fait compréhensible ? Nous penchons pour la seconde hypothèse.
5 C'est une référence à l'année où Abraha, roi chrétien du Yémen, vint, avec ses éléphants, tenter
de détruire La Mecque. On situe en général cet événement vers 570 de l'ère chrétienne.
6 Le territoire de la tribu des Banû Sa'd s'étendait à deux journées de marche au nord de La
Mecque.
7 Nous n'avons aucune autre indication sur cette coutume. Sa justification par l'air vicié de La
Mecque et l'air pur des montagnes des Banû Sa'd ne nous paraît pas suffisante.
8 Cette scène mystérieuse est un symbole de purification rituelle du Prophète. Il en parle lui-
même plus explicitement plus loin.
9 Il s'agit du Négus, roi chrétien d'Abyssinie, l'actuelle Éthiopie.
10 Ce rituel évident de purification concrète (retrait d'un caillot de sang noir et lavement du
cœur avec de la neige) est tout chargé de symbole. Le mot arabe 'alaq signifie caillot de sang, mais
aussi sangsue.
11 Les Banû Sa'd, petite tribu de paysans sédentaires, avaient la réputation de parler l'arabe le
plus pur de toute l'Arabie.
12 Cela veut dire en clair que, même avant sa mission prophétique, le jeune Muhammad n'a
jamais pratiqué, comme devait le faire sa famille, le culte du paganisme.
13 La présence de ce serpent est probablement un vestige ou une réminiscence d'un culte
chtonien à La Mecque. Ce serpent était régulièrement nourri par des offrandes de lait.
14 C'était le rituel du serment et de la conclusion de pacte chez les Arabes et chez les
Babyloniens. Les hommes en présence se tailladaient les veines du poignet et mettaient ainsi leur
sang commun dans un bol, avant d'y tremper les doigts et de les lécher en se jurant fidélité. Plus
tard, le sang fut remplacé par un parfum liquide.
15 Personnage politique (mort en 714 ?), nommé gouverneur du Hijâz puis de l'Irak sous les
Umayyades, resté célèbre pour la poigne avec laquelle il a maté les révoltes régionales contre le
régime de Damas.
16 'Umar ibn al-Khattâb, deuxième calife après la mort du Prophète (634-644). Sous son califat,
l'islam connut une très grande extension. Il fut le premier à prendre le titre de Commandeur des
croyants.
17 Nous avons essayé de rendre ainsi le contenu vague et la forme saccadée et assonancée de la
prose oraculaire avant le Coran.
18 Les Ançâr, alliés ou partisans, sont les Arabes de Yathrib, la future Médine, qui ont contracté
une alliance avec le Prophète et l'ont accueilli dans leur ville au moment de l'Hégire. Parmi les
musulmans des premières années de l'islam, on distingue d'un côté, les Émigrés, qui sont les
Mecquois qui ont quitté cette ville avec le Prophète, pour se réfugier à Médine, de l'autre, les
Ançâr.
19 Le Coran, à plusieurs reprises, fait allusion aux peuples exterminés pour n'avoir pas écouté
les prophètes que Dieu leur a envoyés. Le prophète des 'Âd s'appelait Hûd (Coran, 7, 65.) Quant à
la ville d'Iram (Coran, 89, 7), dont le peuple a subi le même sort, on ignore tout d'elle et de son
peuple.
20 Mesure de denrées alimentaires non liquides (blé, orge, lentilles, dattes, etc.) qui équivaut à
18 litres environ.
21 Ce récit, où les anachronismes sont évidents, ne vise qu'à établir une comparaison entre les
trois religions abrahamiques et leurs prophètes.
22 Ces explications philologiques, qui valent ce qu'elles valent, sont données par Ibn Hichâm
lui-même dans le texte de la Sîra.
CHAPITRE II
La révélation de l'islam
Lis au nom de ton Seigneur qui a créé !
Lis !…
Ali fut le premier homme à avoir cru l'Envoyé de Dieu, à avoir prié
avec lui et à avoir prêté foi à sa mission. Il avait dix ans. Cela se passa de
la façon suivante : les Quraych éprouvaient à l'époque de grandes
difficultés pour assurer leur subsistance. Comme Abû Tâlib, oncle de
Muhammad, avait une famille nombreuse, Muhammad dit à son oncle
'Abbâs, qui était parmi les gens aisés des Banû Hâchim : « Ton frère Abû
Tâlib, dans la crise que nous vivons, doit avoir du mal à nourrir sa
famille. Allons le soulager un peu. Je prendrai en charge l'un de ses
enfants et tu en prendras un autre. » 'Abbâs accepta. Ils s'en allèrent chez
Abû Tâlib et lui dirent :
– En attendant la fin de cette crise, nous souhaitons t'alléger la charge
de tes enfants.
– Laissez-moi 'Aqîl et Tâlib, leur répondit-il, et faites ce qui vous plaît
pour les autres.
L'Envoyé de Dieu prit alors Ali et le serra dans ses bras ; 'Abbâs prit
pour sa part Ja'far et fit de même. C'est ainsi qu'Ali vécut chez
Muhammad jusqu'à l'annonce de sa mission prophétique. Ali crut en la
parole de l'Envoyé de Dieu et en sa mission.
À l'heure de la prière, l'Envoyé de Dieu sortait dans les environs de La
Mecque. Ali l'accompagnait, à l'insu de son père Abû Tâlib, de tous ses
oncles et de toute sa famille. Les deux hommes y accomplissaient les
prières et, le soir venu, s'en retournaient dans leur maison. Cela dura
aussi longtemps que Dieu le voulut. Mais un jour Abû Tâlib trouva les
deux hommes en train de prier.
– Neveu, demanda-t-il à Muhammad, quelle est cette religion que je te
vois pratiquer ?
– Oncle, c'est la religion de Dieu, la religion de ses anges, la religion
de ses envoyés. C'est la religion de notre père Abraham. Dieu m'a envoyé
comme messager auprès des hommes. Toi, oncle, tu es le plus digne de
recevoir mon conseil et mon appel à prendre la bonne voie. Tu es le plus
digne de répondre à mon appel et de m'apporter ton aide.
– Neveu, je ne puis quitter la religion de mes pères ni leurs pratiques.
Mais, je le jure, aucun mal ne te sera fait tant que je resterai en vie.
Une autre fois, Abû Jahl1 rencontra l'Envoyé de Dieu assis près du
monticule sacré d'aç-Çafa. Il le couvrit d'injures et l'accabla de critiques
sur la religion qu'il apportait. L'Envoyé de Dieu ne répliqua point. Or une
esclave d'Abdallah ibn Jud'ân (notable du clan des Taym) écoutait ces
insultes, de chez elle. Peu après, Hamza, oncle du Prophète, revenait de
la chasse, son arc à l'épaule. Il avait l'habitude, avant de rentrer à la
maison, de passer par le Sanctuaire et d'accomplir les rondes rituelles
autour de la Ka'ba. À l'occasion, il s'arrêtait en cours de route pour saluer
les gens qu'il rencontrait et bavarder un peu avec eux. C'était le plus fort
et le plus fier des Quraych. Lorsqu'il passa devant l'esclave, elle lui
raconta la scène et les injures que son neveu venait de subir de la part
d'Abû Jahl, sans prononcer un mot. Pris de colère, Hamza se précipita
tout droit vers le Sanctuaire. Abû Jahl y était assis avec quelques
hommes. Hamza s'avança vers lui et, arrivé à son niveau, il lui donna,
avec le bois de l'arc, un tel coup sur la tête qu'il faillit la lui fendre. « Tu
oses insulter mon neveu, alors que j'ai adopté sa religion et que je crois ce
qu'il croit ! Réponds-moi, si tu le peux ! » Des hommes du clan des Banû
Makhzûm se dressèrent alors contre Hamza pour venger Abû Jahl. « Ne
touchez pas à Hamza, leur dit Abû Jahl ; j'ai en effet insulté son neveu de
façon très dure. » Hamza confirma de cette façon sa conversion à l'islam.
À partir de ce moment, les Quraych comprirent qu'avec le soutien de son
oncle, Muhammad serait bien défendu. Ils allégèrent quelque peu leurs
mauvais traitements à son égard.
Après l'échec d'Abû Jahl, Nadr ibn al-Hârith dit aux Quraych : « Il
vous arrive assurément un grand malheur auquel vous n'avez pas encore
trouvé la parade. Muhammad était parmi vous un jeune homme très doux
de caractère, très sincère et très fidèle. Maintenant que vous voyez des
cheveux blancs sur ses tempes et qu'il vous annonce sa mission, vous
dites : “; C'est un sorcier, c'est un devin, c'est un poète, c'est un fou. ” Et,
en fait, rien de tout cela n'est vrai. Votre situation est grave, pensez-y. »
Nadr ibn al-Hârith était le fauteur de troubles chez les Quraych. Il
vouait de l'inimitié au Prophète et cherchait à le mettre en défaut. Il avait
fait un séjour à Hîra5 et y avait appris les annales et les légendes de la
Perse.
Lorsque l'Envoyé de Dieu faisait sa prédication, parlait de Dieu et
prévenait les Quraych du sort que Dieu avait réservé par le passé aux
peuples impies, Nadr occupait aussitôt la place de Muhammad et leur
parlait des rois de Perse et de leurs légendes. Il terminait ainsi : « En
quoi, dites-le-moi, Muhammad parle-t-il mieux que moi ? »
Bien embarrassés, les Quraych décidèrent donc d'envoyer en
ambassade auprès des rabbins de Médine Nadr ibn al-Hârith et 'Uqba ibn
Abû Mu'ayt (chef du clan des Banû 'Abd Chams) : « Décrivez aux
rabbins, leur dirent-ils, le comportement de Muhammad et rapportez-leur
les discours qu'il tient. Les rabbins sont les détenteurs du premier Livre et
ils ont des connaissances qui nous font défaut dans le domaine de la
prophétie. » Arrivés à Médine, les deux ambassadeurs interrogèrent les
rabbins au sujet de Muhammad. Les rabbins répondirent : « Posez-lui les
trois questions suivantes : que sait-il sur le sort de certains jeunes gens
disparus il y a longtemps. Leur histoire est étonnante. En second lieu, que
sait-il sur l'histoire de ce grand voyageur qui a parcouru la terre de
l'Occident jusqu'en Orient. Enfin, que sait-il sur l'essence de l'âme. S'il
répond à toutes ces questions, suivez-le : c'est un prophète envoyé par
Dieu ; s'il n'y répond pas, c'est un imposteur ; traitez-le comme bon vous
semble. »
Revenus à La Mecque, les deux envoyés dirent aux Quraych : « Nous
vous rapportons des critères très nets pour trancher votre différend avec
Muhammad. Les rabbins nous ont dit de l'interroger sur trois points. S'il y
répond, c'est un prophète ; s'il n'y répond pas, c'est un imposteur. À vous
de voir. »
Les Quraych allèrent trouver Muhammad et lui posèrent les trois
questions fixées par les rabbins. « Je répondrai à vos questions demain »,
leur dit-il, sans toutefois prononcer la formule « Si Dieu le veut (In châ'a-
llâh) ». Les Quraych s'en allèrent. Mais, durant quinze nuits, le Prophète
n'eut aucune révélation de Dieu, aucune visite de Gibrîl. Les Mecquois
s'agitaient et ricanaient : « Demain, nous a-t-il dit, je répondrai à vos
questions et voilà quinze jours qu'il garde le silence ! » L'Envoyé de Dieu
était attristé par l'absence de révélation et très affecté par les rumeurs
répandues par les Quraych. Enfin, Gibrîl lui apporta la révélation de la
sourate de la Caverne (Coran,18), qui reproche à Muhammad d'avoir
cédé à la tristesse, mais qui lui fournit la réponse sur les jeunes gens, sur
le grand voyageur et sur l'âme.
Dès l'arrivée de Gibrîl, Muhammad lui dit : « Tu es resté si longtemps
sans me visiter que j'ai eu des doutes et des soupçons. »
Nous ne descendons que sur l'ordre de ton Seigneur…
Ton Seigneur n'oublie rien… (Coran,19, 64.)
Puis, en réponse aux questions des Quraych, l'Envoyé de Dieu reçut la
révélation des sourates de la Caverne, du Voyage nocturne, du Tonnerre,
de la Loi, du Caillot de sang, des Saba'et de Celui qui est revêtu d'un
manteau. Muhammad leur fournit donc la réponse à leurs questions et
leur démontra qu'il connaissait les choses invisibles et qu'il était un
véritable prophète6.
Mais ils furent pris de jalousie et refusèrent de le croire et de le suivre.
Ils refusèrent ainsi les signes de Dieu, rejetèrent publiquement la cause de
Muhammad et s'enfoncèrent dans leur paganisme. « Ne prêtons pas
l'oreille, se disaient-ils, à ce Coran et traitons ce galimatias par la
moquerie. Nous l'emporterons peut-être sur Muhammad. En revanche, si
nous engageons une discussion ou une dispute avec lui, c'est lui qui
l'emportera un jour. »
Sur le ton de la moquerie, Abû Jahl dit un jour aux Quraych :
« Muhammad prétend que les soldats de Dieu qui vont vous retenir et
vous torturer en Enfer sont au nombre de dix-neuf. Or vous êtes le peuple
le plus nombreux de la terre. Serait-il impossible à chaque centaine
d'entre vous de maîtriser un seul d'entre eux ! » Dieu a fait alors
descendre la révélation :
Nous n'avons pris que des Anges comme gardiens du feu.
Nous n'avons choisi ce nombre
que pour éprouver les incrédules, etc. (Coran, 74, 31.)
De même, dans leur rejet du Coran, dès que l'Envoyé de Dieu en
récitait une partie au cours de sa prière, ils se dispersaient et refusaient de
l'entendre. Si pourtant l'un des Quraych tenait à écouter un passage de la
récitation de Muhammad, il le faisait à la dérobée, de peur d'être molesté
par les autres. Quelquefois, il tendait l'oreille pour écouter, lorsque
l'Envoyé de Dieu faisait la récitation du Coran à voix basse. Les autres
n'entendaient rien et ne s'en apercevaient pas. C'est ainsi que Dieu a
révélé :
Lorsque tu pries :
n'élève pas la voix ;
ne prie pas à voix basse ;
cherche un mode intermédiaire (Coran, 17, 110.)
À l'intention de ces gens, Dieu dit : « N'élève pas la voix dans ta
prière : ils se disperseraient ; ne prie pas à voix basse : celui qui aime
entendre ta prière ne l'entendrait pas. »
Une certaine nuit, Abû Sufyân, Abû Jahl et al-Akhnas ibn Charîq
sortirent séparément pour écouter Muhammad réciter le Coran chez lui,
au cours de sa prière. Chacun d'entre eux se posta à un endroit près de la
maison de Muhammad pour prêter l'oreille, sans savoir que les deux
autres faisaient de même. Ils l'écoutèrent toute la nuit et, à l'aube, ils
quittèrent leur poste d'écoute pour rentrer chez eux. Ils se retrouvèrent
tous les trois sur le chemin du retour et échangèrent entre eux des
reproches : « Ne recommençons plus. Si l'un de nos jeunes vauriens nous
voyait, il serait choqué ! » La nuit suivante, tous les trois revinrent
séparément à leur poste, pour écouter la récitation de Muhammad. À
l'aube, le chemin du retour les réunit encore une fois et ils se tinrent le
même langage. La troisième nuit, à l'aube, ils se retrouvèrent encore sur
le chemin du retour. Cette fois, ils se prêtèrent serment de ne plus
recommencer et ils se dispersèrent. Le matin, al-Akhnas prit son bâton et
alla trouver Abû Sufyân chez lui.
– Dis-moi ton avis, lui demanda-t-il, sur ce que tu as entendu chez
Muhammad.
– Ma foi, répondit Abû Sufyân, j'ai entendu des choses que je
connaissais et dont le sens m'était clair. J'en ai entendu d'autres que je ne
comprenais pas.
– C'est assurément mon avis aussi.
Puis il s'en alla voir Abû Jahl chez lui.
– Dis-moi ton avis sur ce que tu as entendu Muhammad réciter.
– Qu'est-ce que j'ai entendu ? Nous (les Banû Makhzûm) nous sommes
disputé l'honneur du premier rang avec les Banû 'Abd Manâf (les Banû
Hâchim) : ils ont été généreux et nous le fûmes aussi ; ils ont été
courageux à la guerre et nous le fûmes aussi. Nous avons toujours été
comme deux chevaux de course en lice, jusqu'au moment où ils
déclarèrent avoir chez eux un prophète qui recevait la révélation du ciel.
Quand pourrons-nous les égaler dans un tel privilège ? Nous ne croirons
jamais Muhammad, je le jure, et jamais nous ne le suivrons.
LES PAÏENS PERSÉCUTENT LES MUSULMANS SANS
DÉFENSE (SÎRA, I, 317-321)
Le Prophète était protégé par Dieu et par son oncle Abû Tâlib. Mais,
témoin des souffrances de ses premiers compagnons, il ne pouvait rien
faire pour les défendre. Il leur dit : « En Abyssinie (Éthiopie actuelle), il
y a un roi qui ne tolère pas l'injustice. Son royaume est une terre de
sincérité. Allez-y donc en attendant que Dieu vous rende la vie
supportable à La Mecque. » Les musulmans partirent en Abyssinie pour
échapper à la persécution et pour protéger leur foi. Ce fut la première
Hégire dans l'islam.
Une dizaine de musulmans furent les premiers à partir, sous la
direction de 'Uthmân ibn Madh'ûn. Puis d'autres les suivirent en petits
groupes. Les uns partaient seuls, d'autres avec leur famille. Le nombre
total des émigrés en Abyssinie était de quatre-vingt-trois hommes, sans
compter les enfants qu'ils y avaient emmenés en bas âge ni ceux qui y
sont nés. Ils vécurent en sécurité dans ce pays, sous la protection du
Négus, et ils y pratiquaient leur religion sans craindre qui que ce soit.
Umm Salama (future épouse du Prophète) racontait : lorsque nous
arrivâmes en Abyssinie, le Négus nous y accorda la meilleure protection.
Nous y étions en sécurité pour notre religion et nous adorions Dieu, sans
aucun mal et sans entendre un seul mot désagréable. Lorsque les Quraych
apprirent cela, ils se concertèrent et décidèrent d'envoyer auprès du
Négus une ambassade chargée des cadeaux les plus appréciés. Ce qui se
faisait de plus original à La Mecque, c'était du cuir travaillé. Ils en
achetèrent une grande quantité en cadeau pour le Négus, sans oublier
aucun de ses patriarches chrétiens. L'ambassade était composée
d'Abdallah ibn Abû Rabî'a et de 'Amr ibn al-'Âç (futur conquérant de
l'Égypte). Les Quraych leur dirent : « Donnez d'abord à chaque patriarche
son propre cadeau, avant de parler des musulmans au Négus. Puis donnez
au Négus ses cadeaux et demandez-lui de vous livrer les musulmans, sans
même les recevoir. » Nous, poursuivait Umm Salama, nous vivions dans
les meilleures conditions, sous la protection du meilleur des protecteurs.
Les délégués donnèrent donc à chaque patriarche son cadeau, sans en
oublier un seul, en disant à chacun : « Quelques jeunes vauriens de chez
nous se sont réfugiés dans le royaume du Négus. Ils ont quitté la religion
de leur peuple, sans entrer dans la vôtre. Ils ont inventé une religion que
ni vous ni nous ne connaissons. Les notables de notre peuple nous ont
envoyés en délégation auprès du Négus, afin qu'il nous les livre. Lorsque
nous en parlerons au roi, conseillez-lui de nous les livrer, sans avoir à les
recevoir. Leur peuple connaît mieux ce qu'il a à leur reprocher. » Les
patriarches donnèrent leur accord.
Umm Salama poursuivait : les deux délégués des Quraych présentèrent
ensuite leurs cadeaux au Négus, qui en fut satisfait. Puis ils lui dirent :
« Des jeunes gens stupides de chez nous se sont réfugiés dans ton pays.
Ils ont quitté la religion de leur peuple sans entrer dans ta religion. Ils ont
inventé une religion que ni toi ni nous ne connaissons. Nous sommes
délégués auprès de toi par les notables de leur peuple, par leurs pères,
leurs oncles et leurs familles pour vous demander de nous les rendre.
Leurs familles connaissent mieux les fautes qu'on leur reproche. » Les
patriarches autour du roi lui dirent : « Ces hommes disent la vérité.
Remets-leur ces gens : ils les ramèneront chez eux à leurs familles. » Le
Négus, en colère, répliqua : « Non, je le jure, je ne puis offenser des gens
qui sont entrés chez moi, qui m'ont demandé l'asile et m'ont préféré à
d'autres pour les accueillir ; je ne puis les livrer avant de les avoir
entendus répondre aux accusations de ces deux hommes. Si cela est vrai,
je les renverrai chez eux ; mais si cela est faux, je les protégerai contre
ces deux hommes et je les traiterai comme il convient, aussi longtemps
qu'ils résideront chez moi. »
Le Négus fit venir les compagnons du Prophète et convoqua en même
temps ses évêques, qui déployèrent leurs livres sacrés autour de lui.
– Quelle est donc cette religion, demanda-t-il aux musulmans, pour
laquelle vous vous êtes séparés de votre peuple : vous n'êtes entrés ni
dans ma religion ni dans aucune des autres religions ?
– Ô roi, répondit Ja'far ibn Abû Tâlib (cousin du Prophète), nous
étions un peuple qui vivait dans l'ignorance ; nous adorions les idoles,
nous mangions de la viande d'animaux étouffés, nous commettions des
choses abominables, nous ne respections ni les liens du sang ni le droit
d'asile. Le fort parmi nous mangeait le faible. Dans cette situation, Dieu
nous a envoyé un Messager issu de notre peuple, dont nous connaissions
la naissance, la sincérité, la fidélité et l'honnêteté. Il nous a appelés à
reconnaître et à adorer le Dieu unique et à quitter les pierres et les idoles
que nos pères et nous-mêmes adorions. Il nous a ordonné la sincérité
dans nos discours, la fidélité à la parole donnée et la protection du voisin.
Il nous a interdit les liaisons illicites, les guerres sanglantes, la luxure, la
calomnie et la mainmise sur les biens des orphelins. Nous devons adorer
Dieu seul, sans lui associer qui que ce soit ; nous devons accomplir la
prière, l'aumône, le jeûne et bien d'autres obligations. Nous l'avons cru,
nous lui avons fait confiance et nous l'avons suivi dans ce que Dieu lui
révélait. Notre peuple nous a agressés et nous a torturés pour nous
détourner de notre religion et nous ramener au paganisme. Ayant trop
souffert, nous sommes venus dans ton pays et nous t'avons demandé ta
protection plutôt qu'à d'autres, dans l'espoir que chez toi nous ne serions
pas maltraités.
– As-tu avec toi quelque chose de ce qui a été révélé par Dieu à ce
Messager ? demanda le Négus.
– Oui.
– Lis-le-moi.
Ja'far lui lut le début de la sourate de Marie8. En l'écoutant, le Négus
pleura jusqu'à en mouiller sa barbe ; ses évêques pleurèrent aussi jusqu'à
en mouiller leurs livres. Puis le Négus dit à Ja'far : « Ce que tu lis et ce
que Jésus a révélé procèdent assurément de la même source de lumière. »
Et, s'adressant aux deux envoyés des Quraych, le Négus dit : « Partez. Je
ne vous livrerai point ces hommes et personne ne les maltraitera plus. »
Umm Salama poursuivait ; à leur sortie du palais, 'Amr ibn al-'Âç dit à
son compagnon :
– Demain, je vais raconter sur eux au Négus quelque chose qui va le
pousser à les exterminer.
– Non, lui dit Abdallah, ne le fais pas : ils ont trop de liens de sang
avec nous, même si nous ne sommes pas d'accord avec eux.
– Je dirai au Négus qu'ils prétendent que Jésus fils de Marie n'est qu'un
esclave.
Le lendemain matin, 'Amr alla chez le Négus et lui dit : « Ô roi, ces
musulmans disent sur Jésus des choses très graves. Envoie-leur un
messager pour leur demander ce qu'ils disent au sujet de Jésus. » Un
messager alla leur poser la question, qui jeta l'émoi parmi eux :
« Qu'allons-nous pouvoir dire si le Négus nous interroge sur Jésus ? » Ils
décidèrent de lui dire, quel qu'en fût le prix, ce que Dieu a révélé à leur
prophète. Ils se présentèrent donc au Négus :
– Que dites-vous de Jésus fils de Marie ? leur demanda-t-il.
– Nous disons, répondit Ja'far, ce que notre prophète nous a appris :
« Jésus est un serviteur de Dieu, Envoyé de Dieu, Esprit de Dieu, Verbe
de Dieu, qu'il a mis dans le sein de Marie, vierge et immaculée. »
Le Négus tendit la main au sol et en ramassa un bâtonnet :
– Il n'y a pas l'épaisseur de ce bâtonnet de différence entre Jésus fils de
Marie et ce que tu as dit de lui.
Ce jugement suscita des murmures parmi les évêques. Mais le Négus
dit aux compagnons du Prophète : « Partez en paix. Quiconque oserait
s'en prendre à vous sera très sévèrement puni. » Puis il fit rendre leurs
cadeaux aux deux délégués, qui repartirent couverts de honte. Quant à
nous, disait Umm Salama, nous restâmes en Abyssinie, satisfaits de vivre
sous la protection du meilleur des protecteurs.
Les Abyssins, persuadés que le Négus avait trahi leur religion, se
révoltèrent contre lui. Ce dernier fit affréter des bateaux et envoya dire à
Ja'far et à ses amis : « Montez dans les bateaux et n'en bougez pas. Si je
suis renversé, vous partirez où vous voudrez. Si je l'emporte sur les
rebelles, vous resterez chez moi. » Puis il demanda de quoi écrire : « Je
témoigne, écrivit-il, que Jésus fils de Marie est le serviteur de Dieu, son
Messager, son Esprit et son Verbe, qu'il a mis dans le sein de Marie ; je
témoigne, écrivit-il, qu'il n'y a qu'un seul Dieu et que Muhammad est son
serviteur et son Messager. » Il glissa le papier sous son manteau, contre
sa poitrine, et sortit devant les Abyssins, qui étaient massés en rangs
serrés et hostiles :
– Abyssins, leur cria-t-il, ne suis-je pas le plus proche de vous ?
– Si, dirent-ils.
– Comment jugez-vous ma conduite à votre égard ?
– La meilleure des conduites.
– Qu'est-ce qui vous arrive alors ?
– Tu as quitté notre religion et tu as prétendu que Jésus n'est qu'un
esclave.
– Et vous, que dites-vous de Jésus ?
– Nous disons qu'il est le fils de Dieu.
Le Négus dit, mettant la main sur sa poitrine et désignant son
témoignage écrit : « Je témoigne que Jésus fils de Marie », mais il n'alla
pas plus loin. La foule fut satisfaite et se dispersa. Le Prophète fut
informé de cet événement. Lorsque, plus tard, il apprit la mort de ce
Négus, l'Envoyé de Dieu fit une prière et sollicita pour lui le pardon de
Dieu.
Umm Abdallah ibn 'Âmir racontait : nous étions dans les préparatifs de
l'émigration en Abyssinie. 'Âmir était sorti de la maison pour rapporter
quelque chose. Voici que 'Umar ibn al-Khattâb (le futur deuxième calife),
qui était encore dans le paganisme et qui nous faisait subir beaucoup de
mauvais traitements, vint chez nous, s'arrêta devant moi et me demanda :
– Ce sont les préparatifs pour le départ, Umm Abdallah ?
– Oui, lui ai-je répondu. Nous sommes décidés à partir : vous nous
avez tellement persécutés et fait de mal que Dieu nous offre cette issue.
– Dieu vous accompagne, dit-il avec une tendresse que je ne lui
connaissais pas.
Et il s'en alla, apparemment attristé de notre départ. Au retour de mon
mari, je lui dis :
– Ah ! si tu avais vu tout à l'heure 'Umar avec sa gentillesse et sa
tristesse à cause de notre départ !
– Penses-tu qu'il va devenir musulman ?
– Oui.
– Non, protesta-t-il, celui que tu as vu ne se convertira pas à l'islam
avant que l'âne d'al-Khattâb ne s'y convertisse. Cela me paraît sans
espoir, tellement il est violent et rude avec les musulmans.
La conversion de 'Umar advint pourtant : Fâtima, sa sœur, avait, avec
son mari Sa'îd ibn Zayd, embrassé l'islam en secret, par peur de son frère.
Nu'aym ibn Abdallah cachait également sa conversion par peur de sa
famille. Khabbâb ibn al-Aratt venait de temps en temps chez Fâtima pour
lui enseigner le Coran. Un jour, 'Umar sortit de chez lui, son sabre à la
taille. Il avait appris que Muhammad et un certain nombre de ses
compagnons, une quarantaine d'hommes et de femmes, qui n'étaient pas
partis pour l'Abyssinie, étaient réunis dans une maison près d'aç-Çafa.
Parmi eux se trouvaient son oncle Hamza, Abû Bakr et Ali. Nu'aym alla à
la rencontre de 'Umar et lui demanda :
– Où vas-tu de ce pas, 'Umar ?
– Je cherche Muhammad, ce Çabéen9 qui a semé la division chez les
Quraych, dénigré leur religion et insulté leurs divinités. Je veux le tuer.
– Tu te trompes assurément, 'Umar. Imagines-tu que le clan des
Hâchim va te laisser en vie après le meurtre de Muhammad ? Tu ferais
mieux de revenir t'occuper de ta propre famille.
– Quelle famille ?
– Ta sœur Fâtima et ton beau-frère Sa'îd ibn Zayd : ils se sont tous les
deux convertis à l'islam et ils suivent le chemin de Muhammad. Occupe-
toi d'eux plutôt.
'Umar s'en revint tout droit chez sa sœur et son beau-frère. Khabbâb
était chez eux et leur apprenait à lire la sourate de Tâ Hâ (Coran, 20).
Ayant entendu l'arrivée de 'Umar, Khabbâb se cacha dans un coin de la
maison et Fâtima glissa la feuille du Coran sous sa cuisse. Mais, en
s'approchant de la maison, 'Umar avait entendu la récitation de Khabbâb.
– Quelles étaient ces voix que j'ai entendues ? demanda-t-il.
– Tu n'as rien entendu.
– Si. J'ai même appris que vous suiviez la religion de Muhammad.
Et il se jeta sur son beau-frère Sa'îd. Fâtima se leva pour protéger son
mari. 'Umar la frappa et la blessa même à la tête. « Oui, cria-t-elle à son
frère, nous nous sommes convertis à l'islam et nous croyons en Dieu et en
son prophète. Fais ce que tu veux ! » Voyant couler le sang de sa sœur,
'Umar fut pris de remords et se calma.
– Donne-moi ce papier que je vous ai entendu lire tout à l'heure,
ordonna 'Umar. Je veux lire ce que vous apprend Muhammad ('Umar
savait, en effet, lire et écrire).
– Non, nous avons peur pour ce papier, dit Fâtima.
– Ne crains rien. Je te le rendrai, je le jure, après l'avoir lu.
– Frère, lui dit-elle espérant le convertir, tu es impur dans ton
paganisme, et ce texte ne peut être touché que par des gens purs.
'Umar alla se laver et Fâtima lui remit le texte de la sourate de Tâ Hâ.
Ayant lu le début de la sourate, il dit : « Que ces mots sont beaux et
sublimes ! » Entendant ces paroles, Khabbâb sortit de sa cachette et dit :
– 'Umar, j'espère que Dieu t'a accordé un privilège, à la demande de
son prophète. Je l'ai entendu hier prier : « Mon Dieu, consolide l'islam
par la conversion d'Abû Jahl ou par celle de 'Umar ibn al-Khattâb. »
'Umar, écoute bien la voix de Dieu !
– Khabbâb, dit 'Umar, dis-moi où est Muhammad. Je veux le voir pour
me convertir.
– Il est dans une maison près d'aç-Çafa, avec un certain nombre de ses
compagnons.
'Umar prit son sabre et alla trouver Muhammad et ses compagnons. Il
frappa à la porte. Un compagnon du Prophète se leva et regarda par le
trou de la porte. Il vit 'Umar, son sabre à la taille. Il prit peur et retourna
prévenir le Prophète :
– C'est 'Umar. Il a son sabre à la taille.
– Fais-le entrer, dit Hamza. S'il recherche quelque chose de bon, nous
le lui donnerons ; s'il nous veut du mal, nous le tuerons avec son propre
sabre.
– Fais-le entrer, dit le Prophète.
Muhammad se leva à sa rencontre, le retint dans l'entrée et le saisit par
le nœud de son manteau :
– Que viens-tu faire ici ? lui demanda-t-il en le secouant
énergiquement. Tout cela, je le vois, va se terminer pour toi par un
malheur.
– Envoyé de Dieu, répondit 'Umar, je suis venu chez toi pour croire en
Dieu, en son Messager et en son message.
– Allah est le plus grand ! cria le Prophète si haut que les gens à
l'intérieur de la maison comprirent que 'Umar avait embrassé l'islam.
'Umar racontait : cette nuit-là, lorsque je suis devenu musulman, je me
suis demandé qui était l'ennemi le plus farouche de l'Envoyé de Dieu
pour aller lui annoncer ma conversion. J'ai pensé à Abû Jahl. Le
lendemain, de bonne heure, je suis allé frapper à sa porte. Il ouvrit et me
dit, d'un ton très affable : « Bienvenue à mon cher neveu !
– Je suis venu t'annoncer que j'ai foi en Dieu, en son Envoyé
Muhammad et en son message. »
Il me claqua la porte au nez en criant : « Honte à toi, honte à ta
conduite ! »
Les compagnons du Prophète revinrent chez eux, heureux et confiants.
Avec la conversion de Hamza et de 'Umar, ils savaient que l'Envoyé de
Dieu serait protégé et qu'eux-mêmes pourraient ne plus subir de mauvais
traitements. 'Umar était en effet un homme fort et décidé : il ne se laissait
pas tondre la laine sur le dos. Avant sa conversion, les compagnons du
Prophète ne pouvaient pas faire leurs prières devant la Ka'ba. Mais, dès
qu'il fut converti, il se battit contre les Quraych pour pouvoir le faire : il y
réussit et les musulmans prièrent avec lui devant la Ka'ba.
On rapporte un autre récit de la conversion de 'Umar. Lui-même
racontait : je gardais mes distances avec l'islam et j'étais un amateur de
vin. J'en buvais avec plaisir à Hazwara (souk de La Mecque) en
compagnie de quelques hommes des Quraych. Une nuit, je suis sorti pour
rejoindre mes compagnons de boisson et je n'en ai trouvé aucun. Déçu, je
suis allé chez un autre cabaretier, mais il était fermé. Puis, je me suis
proposé d'aller au Sanctuaire pour faire autour de la Ka'ba sept ou
soixante-dix-sept rondes rituelles.Voici que j'y trouvai Muhammad en
train de prier. Le voyant en prière, j'eus envie d'écouter cette nuit-là ce
qu'il disait. Si je m'approchais trop de lui, je risquais de lui faire peur. Je
marchai donc doucement, sur la pointe des pieds, et je me glissai derrière
les tentures de la Ka'ba. Puis, de proche en proche, je me trouvai tout près
de lui. Seul le voile de la Ka'ba nous séparait. Et j'écoutai la récitation du
Coran : saisi d'émotion, je pleurai et l'islam pénétra dans mon cœur. Je
restai en place. Sa prière terminée, Muhammad s'en alla et je le suivis. Il
reconnut le bruit de mes pas et, croyant que je lui voulais du mal, il se
retourna brusquement :
– Que viens-tu faire ici à cette heure ? me demanda-t-il en colère.
– Je suis venu pour croire en Dieu, en son Messager et en son message.
– 'Umar, Dieu t'a montré le bon chemin. Grâce lui soit rendue. Dieu te
maintienne sur ce chemin, me dit-il, en posant la main sur ma poitrine.
Abdallah, le fils de 'Umar, racontait : lorsque mon père se convertit à
l'islam, il rechercha l'homme des Quraych le plus prompt à répandre les
nouvelles. On lui désigna Jamîl ibn Ma'mar. De bon matin il alla le
trouver et je suivais mon père à la trace pour voir ce qu'il allait faire.
J'avais atteint l'âge de raison et je comprenais tout ce que j'entendais.
Mon père demanda à Jamîl : « Sais-tu que je suis devenu musulman et
que j'ai suivi la religion de Muhammad ? » Il ne se fit pas répéter la
question deux fois : il se leva aussitôt, sans prendre le temps d'ajuster son
manteau, et se dirigea vers la porte du Sanctuaire. Mon père le suivit et
moi aussi. À la porte du Sanctuaire, où les Quraych étaient réunis en
petits groupes autour de la Ka'ba, Jamîl cria aussi fort qu'il le put :
« Peuple de Quraych, 'Umar ibn al-Khattâb est bien devenu çabéen ! »
– Ce n'est pas vrai, répliqua 'Umar. Je suis devenu musulman. Je
témoigne qu'il n'y a qu'un seul Dieu et que Muhammad est son Serviteur
et son Messager.
Les Quraych en vinrent aux mains avec 'Umar. Il se défendit seul
contre eux jusqu'à midi. Mais, épuisé, il s'assit devant eux et leur dit :
« Faites maintenant de moi ce que bon vous semble. » Sur ce, arriva un
vieillard des Quraych. Il avait un manteau bayadère et une chemise
brodée. Il s'arrêta au milieu d'eux et demanda :
– Qu'est-ce qui se passe ?
– 'Umar est devenu çabéen.
– Taisez-vous ! Voilà un homme qui s'est choisi librement quelque
chose. Que lui voulez-vous ? Est-ce que vous imaginez que son clan (les
Banû 'Adiyy ibn Ka'b) va vous livrer votre homme ? Laissez-le donc
partir.
Ils se détachèrent aussitôt de lui, comme une robe qu'on fait glisser
pour s'en défaire.
LES MÉFAITS DES QURAYCH CONTRE LE PROPHÈTE
(SÎRA, I, 354-364)
Voyant que Muhammad était protégé par Dieu, par son oncle et par son
clan, les Quraych surent qu'ils ne pouvaient plus attenter à sa vie. Ils
continuaient cependant à lui chercher querelle et à lui faire subir des
vexations et des moqueries. Dieu, dans sa révélation du Coran, soutenait
son Envoyé contre ses ennemis et ses détracteurs. Les uns étaient
désignés nommément et les autres étaient compris sous le terme général
d'impies (kuffâr). Parmi ceux que le Coran stigmatisait par leur nom
propre se trouvaient son oncle Abû Lahab avec sa femme Umm Jamîl.
Abû Lahab, entre autres moqueries, disait : « Muhammad me promet des
choses que je ne vois pas et qui, prétend-il, doivent m'être données après
la mort. Qu'a-t-il mis jusqu'à présent de concret dans mes mains ? » Puis,
soufflant dans ses mains ouvertes et vides, il disait : « Malheur à ces
mains, je n'y vois rien de ce que promet Muhammad ! »
Dieu a donc révélé :
Que les deux mains d'Abou Lahab périssent
Et que lui-même périsse !
Ses richesses et tout ce qu'il a acquis
Ne lui serviront à rien.
Il sera exposé à un feu ardent
Ainsi que sa femme, porteuse de bois,
Dont le cou est attaché par une corde de fibres. (Coran, 111, 1-5.)
Le Coran a donné à la femme d'Abû Lahab le sobriquet de porteuse de
bois, car elle allait ramasser à la campagne des plantes à épines et les
répandait au passage du Prophète. Ayant entendu la révélation du Coran à
son encontre et à l'encontre de son mari, Umm Jamîl, un gros caillou à la
main, alla trouver le Prophète, qui était assis dans le Sanctuaire près de la
Ka'ba en compagnie d'Abû Bakr. À son arrivée en face d'eux, Dieu lui
voila le regard sur le Prophète et elle ne put voir qu'Abû Bakr. « Où est
donc ton compagnon ? lui demanda-t-elle. J'ai appris qu'il a composé une
satire contre moi. Si je l'avais trouvé, je lui aurais cassé la figure avec ce
caillou. » Puis elle repartit. Abû Bakr demanda au Prophète :
– Il me semble qu'elle ne t'a pas vu.
– Non, elle ne m'a pas vu. C'est Dieu qui lui a voilé le regard.
Les Quraych avaient l'habitude d'insulter le Prophète et de l'appeler
Mudhammam (le taré). Mais lui se moquait d'eux et disait : « Ne trouvez-
vous pas cela merveilleux ? Les Quraych s'ingénient à calomnier et à
insulter Mudhammam, alors que moi, je m'appelle Muhammad (le
Loué). » Toutes les fois que quelqu'un insultait le Prophète, le pinçait, lui
coupait son chemin ou lui cherchait querelle, Dieu lui révélait des versets
du Coran pour confondre ces importuns et les repousser.
Un jour que le Prophète accomplissait les rondes rituelles autour de la
Ka'ba, des notables lui proposèrent : « Nous adorerons ce que tu adores et
tu adoreras ce que nous adorons. Ainsi serons-nous associés. Si ce que tu
adores est meilleur, nous en aurons notre part ; et si ce que nous adorons
est meilleur, tu en auras ta part. » Mais Dieu a révélé :
Dis : Ô vous, les Incrédules !
Je n'adore pas ce que vous adorez ;
Vous n'adorez pas ce que j'adore…
À vous votre religion ;
à moi, ma religion. (Coran, 109, 1-6.)
Le blocus dura deux ou trois ans. Les amis du Prophète en étaient très
éprouvés : ils ne recevaient de nourriture ni de marchandise qu'à l'insu
des Quraych. Enfin, certains Quraychites entreprirent de lever ce blocus.
Le plus actif parmi eux fut Hichâm ibn 'Amr ibn Rabî'a, un notable dans
sa tribu. Il amenait la nuit un chameau chargé de denrées alimentaires
jusqu'à l'entrée du quartier des Banû Hâchim et des Banû-l-Muttalib, il
lui enlevait sa bride et, d'une tape sur le flanc, le poussait vers leur
quartier. D'autres fois, il utilisait le même stratagème avec un chameau
chargé de blé.
Un jour Hichâm alla trouver Zuhayr ibn Abû Umayya, dont la mère
était 'Âtika fille de 'Abd al-Muttalib.
– Comment acceptes-tu, lui demanda-t-il, de manger, de t'habiller et de
te marier, alors que tes oncles maternels sont dans la situation que tu
connais ? Ils ne peuvent ni acheter ni vendre ni se marier ni donner leurs
enfants en mariage.
– Que puis-je faire, malheureux ? Je suis tout seul. Si j'avais un autre
homme, nous pourrions tenter de rompre ce blocus.
– Tu as ton homme, répondit Hichâm.
– Qui est-ce ?
– Moi-même, dit-il.
– Cherchons un troisième, dit Zuhayr.
Hichâm alla trouver Mut'im ibn 'Adiyy et lui dit :
– Comment acceptes-tu, en accord avec les Quraych, que deux clans
des Banû 'Abd Manâf périssent sous tes yeux ?
– Malheureux ! que puis-je faire ? Je suis tout seul.
– Je t'ai trouvé un second.
– Qui est-ce ?
– Moi-même.
– Cherchons-nous un troisième, dit Mut'im.
– C'est déjà fait.
– Qui est-ce ?
– Zuhayr ibn Abû Umayya.
– Cherchons un quatrième.
Hichâm alla trouver al-Bakhtari ibn Hichâm et lui tint à peu près le
même discours.
– Y aurait-il quelqu'un, demanda al-Bakhtari, qui pourrait t'aider dans
cette entreprise ?
– Oui.
– Qui est-ce ?
– Zuhayr ibn Abû Umayya, Mut'im ibn 'Adiyy et moi-même.
– Cherchons un cinquième, dit al-Bakhtari.
Hichâm alla trouver Zam'a ibn al-Aswad. Il lui parla des Banû
Hâchim, de leurs liens de parenté et de leurs droits.
– Y a-t-il déjà quelqu'un d'engagé dans ce projet ?
– Oui, répondit Hichâm.
Et il lui énuméra le nom des hommes disposés à faire rompre le contrat
relatif au blocus des Banû Hâchim. Tous se donnèrent rendez-vous la nuit
sur les hauteurs de La Mecque et, à l'unanimité, décidèrent de s'engager à
faire rompre le blocus. Zuhayr devait prendre la parole le premier devant
les Quraych. Le lendemain matin, ils se rendirent au Sanctuaire. Zuhayr
avait revêtu son manteau de prière. Il fit sept rondes rituelles autour de la
Ka'ba puis il s'adressa aux Quraych réunis en petits groupes.
– Ô Quraych, pouvons-nous continuer à manger et à nous habiller alors
que les Banû Hâchim sont empêchés d'acheter ou de vendre quoi que ce
soit ? Ils sont en train de périr ! Je ne m'assoirai pas tant que ce pacte de
blocus inique ne sera pas rompu.
– Tu es un menteur, répliqua Abû Jahl, qui était assis dans un coin du
Sanctuaire. Ce document, je le jure, ne sera pas déchiré.
– C'est toi le plus menteur, dit Zam'a ibn al-Aswad. Nous n'étions pas
d'accord lorsqu'il fut rédigé.
– Zam'a a raison, ajouta al-Bakhtari. Nous n'acceptons pas ce contrat et
nous le dénonçons.
– Vous avez tous les deux raison, ajouta Mut'im. Celui qui dit le
contraire est un menteur. Nous sommes innocents devant Dieu et de ce
contrat et de son contenu.
– J'approuve, dit Hichâm.
– C'est un complot, ma foi ! cria Abû Jahl. Tout cela a été préparé de
nuit et décidé en dehors du Sanctuaire.
Mut'im se précipita à l'intérieur de la Ka'ba pour déchirer le document,
mais il le trouva mangé par les vers, sauf à l'endroit où il était écrit : « En
ton nom, Seigneur Dieu. » Il saisit le document et le déchira. Du coup, la
convention du blocus fut rompue.
Des hommes de science racontaient que l'Envoyé de Dieu avait dit un
jour à son oncle Abû Tâlib : « Dieu a livré aux vers le contrat des
Quraych. Ces insectes en ont fait disparaître l'injustice, l'hostilité et le
mensonge et n'y ont laissé écrit que le nom de Dieu.
– Est-ce Dieu qui te l'a dit ?
– Oui, répondit le Prophète.
– Personne, je le jure, n'aura plus prise sur toi. »
Par la suite, Mut'im accorda sa protection à Muhammad dans les
circonstances suivantes : le Prophète était allé à Tâ'if pour annoncer aux
Thaqîf sa mission prophétique et demander leur soutien. Mais ils ne l'ont
pas cru. À son retour, arrivé à Hirâ'(à deux lieues de La Mecque), il fit
demander la protection d'al-Akhnas ibn Charîq. Ce dernier lui répondit :
« Je ne suis qu'un allié et l'allié ne dispose pas du droit d'asile. » Puis
Muhammad sollicita Suhayl ibn 'Amr. Celui-ci répondit : « Les Banû
'Âmir ne donnent pas leur protection contre les Banû Ka'b. » Il demanda
enfin la protection de Mut'im, qui la lui accorda. Mut'im et les hommes
de sa famille prirent leurs armes, gagnèrent le Sanctuaire et firent savoir à
Muhammad qu'il pouvait y entrer. L'Envoyé de Dieu entra dans le
Sanctuaire, y fit ses prières et les rondes rituelles autour de la Ka'ba, puis
s'en retourna tranquillement chez lui.
Le Prophète partit pour Tâ'if chez les Thaqîf pour demander leur
protection contre les Quraych et dans l'espoir qu'ils croiraient à sa
mission divine. Il sortit seul de La Mecque. Arrivé à Tâ'if, il se présenta
aux trois frères qui étaient des notables et qui, à l'époque, commandaient
aux Thaqîf. Il les incita à croire en Dieu et leur demanda de le soutenir
dans sa mission et de le défendre contre ceux des Quraych qui
s'opposaient à lui. L'un des frères lui dit : « Je suis prêt à arracher les
voiles de la Ka'ba et à les jeter par terre, s'il est vrai que Dieu t'a
envoyé. » Le deuxième frère lui dit : « Dieu n'a-t-il trouvé d'autres
personnes que toi comme envoyés ! » Le troisième dit : « Je ne t'adresse
pas la parole. Si tu es un envoyé de Dieu comme tu le prétends, tu es un
homme trop important pour que je puisse te répondre ; et si tu mens à
Dieu, je ne dois pas non plus t'adresser la parole. » L'Envoyé de Dieu se
leva pour partir, ayant perdu tout espoir de trouver quelque soutien que ce
fût chez les Thaqîf. Il leur demanda en partant de ne pas divulguer cette
entrevue, de peur que les Quraych, en apprenant la chose, ne lui montrent
encore plus d'hostilité.
Ils n'en firent rien. Bien au contraire, ils soulevèrent leurs vauriens et
leurs esclaves contre lui : ils le houspillèrent à grands cris, l'insultèrent et
ameutèrent la foule contre lui. Il trouva refuge dans un enclos qui
appartenait aux deux frères 'Utba et Chayba, fils de Rabî'a, et alla se
mettre à l'ombre d'une treille. Les deux hommes étaient dans le jardin et
virent de leurs yeux ce que le Prophète avait subi de la part des vauriens
de Tâ'if. Se sentant en sécurité, le Prophète fit cette prière : « Seigneur
Dieu, tu vois ma faiblesse et la faiblesse de mes moyens. Tu es
miséricordieux, tu es le Dieu des faibles et tu es mon Dieu. »
Ayant vu dans quel état il était, les frères Rabî'a eurent pitié de lui. Ils
ordonnèrent à l'un de leurs esclaves appelé 'Addâs, qui était chrétien, de
cueillir quelques grappes de raisin, de les mettre sur un plateau et de les
présenter à cet homme. Avant de toucher au raisin, le Prophète dit : « Au
nom de Dieu » et prit une grappe. 'Addâs le regarda et dit : « Ces paroles,
les gens de ce pays ne les prononcent pas. » L'Envoyé de Dieu lui
demanda :
– De quel pays es-tu, 'Addâs, et quelle est ta religion ?
– Je suis chrétien et je viens de Ninive.
– Du pays de l'homme de Dieu Jonas fils de Mathieu ?
– Comment connais-tu Jonas fils de Mathieu ?
– C'est mon frère. Il était prophète et je suis prophète.
'Addâs se jeta alors sur l'Envoyé de Dieu : il embrassa sa tête, ses
mains et ses pieds. Lorsqu'il revint auprès des frères Rabî'a, ils lui dirent :
– Malheur à toi, 'Addâs ! Qu'as-tu à embrasser ainsi cet homme ?
– Maîtres, il n'y a personne sur terre de meilleur que celui-là. Il m'a
parlé de choses que seul un prophète peut connaître.
– Malheureux ! Il va te détourner de ta religion qui est meilleure que la
sienne.
Ayant perdu tout espoir de soutien chez les Thaqîf, l'Envoyé de Dieu
reprit le chemin de La Mecque. Arrivé à Nakhla, il se leva au milieu de la
nuit pour prier. À ce moment, un groupe de sept djinns, originaires de
Nissîbîne (en Mésopotamie), s'arrêtèrent près de lui. Le Coran les a
mentionnés dans les sourates 46, 29-31 et 72, 1. Ils écoutèrent sa prière
et, dès qu'il l'eut accomplie, ils se précipitèrent pour annoncer à leur
peuple qu'ils ajoutaient foi à ce qu'ils avaient entendu.
'Umar ibn al-Khattâb (le futur deuxième calife) racontait : lorsque moi-
même, 'Ayyâch ibn Abû Rabî'a et Hichâm ibn al-'Âç décidâmes de partir
pour Médine, nous nous donnâmes rendez-vous dans un bosquet à Sarif
près de La Mecque. Nous nous dîmes : « Si, de nous trois, quelqu'un est
absent au rendez-vous demain matin, c'est qu'il aura été empêché. Que
ses deux amis partent sans lui. » 'Ayyâch ibn Abû Rabî'a et moi-même
fûmes seuls présents au rendez-vous et comprîmes que Hichâm avait
cédé aux pressions et renoncé à partir. Arrivés à Médine, nous
descendîmes chez les Banû 'Amr ibn 'Awf à Qubâ'.
'Umar racontait : Abû Jahl et Hârith ibn Hichâm allèrent trouver à
Médine 'Ayyâch ibn Abû Rabî'a, qui était leur cousin. L'Envoyé de Dieu
était alors à La Mecque. Ils lui dirent : « Ta mère a fait le vœu qu'elle
resterait en plein soleil et qu'aucun peigne ne toucherait ses cheveux
avant qu'elle ne t'ait revu. » Il en fut ému.
– Ces gens, j'en suis sûr, dis-je à 'Ayyâch, veulent t'attirer pour te
détourner de ta religion. Méfie-toi. Car si les poux venaient vraiment à
faire souffrir ta mère, elle se peignerait sûrement et si le soleil
l'incommodait, elle se réfugierait certainement à l'ombre.
– Je répondrai quand même au vœu de ma mère, d'autant plus que j'ai
là-bas de l'argent à récupérer.
– Tu sais que je suis l'un des plus riches des Quraych. Je te donne la
moitié de ma fortune si tu n'y allais pas.
– Non, il faut que je reparte avec les deux hommes venus me prévenir.
– Maintenant que tu es décidé à partir, tu peux prendre ma chamelle :
elle est rapide et docile. N'en descends pas. Si tu as quelque doute sur la
conduite de ces deux hommes, elle te sauvera.
Il repartit donc avec les deux hommes. En cours de route, Abû Jahl lui
dit : « Mon chameau est trop dur ; ne pourrais-tu pas, neveu, me faire
monter derrière toi ? » Si, répondit 'Ayyâch. Ils firent alors agenouiller les
chameaux pour effectuer la mutation. Mais, une fois les hommes à terre,
les compagnons de 'Ayyâch se jetèrent sur lui, le ligotèrent et le
ramenèrent ainsi en plein jour à La Mecque. Abû Jahl criait, à l'adresse
des Quraych : « Agissez ainsi avec vos vauriens, comme nous agissons
avec le nôtre. »
Plus tard, lorsque le Prophète avait déjà fait son Hégire (exil, fuite) à
Médine, il demanda à ses compagnons :
– Qui pourrait me ramener ici 'Ayyâch et Hichâm ibn al-'Âç ?
– Moi-même, Envoyé de Dieu, répondit Walîd ibn al-Mughîra.
Walîd partit pour La Mecque et y entra en cachette. Il y rencontra une
femme qui portait de la nourriture :
– Où vas-tu, servante de Dieu (formule de politesse pour appeler une
femme dont on ne connaît pas le nom) ? lui demanda-t-il.
– Chez ces deux prisonniers, répondit-elle.
Comprenant qu'il s'agissait des deux hommes qu'il cherchait, il la
suivit jusqu'à l'endroit où ils étaient emprisonnés. C'était une maison sans
toit. À la tombée de la nuit, il escalada le mur et parvint chez eux. Il posa
une pierre sous leurs entraves et les coupa avec son sabre. Il fit ensuite
monter les deux prisonniers sur le dos de son chameau et les ramena à
marches forcées auprès du Prophète à Médine.
Par la suite, les Émigrés affluèrent en groupes vers Médine. Les uns
descendaient chez les gens de leur famille qui avaient déjà émigré, les
autres chez les Ançâr qui avaient conclu le pacte de 'Aqaba avec le
Prophète.
1 Abû Jahl, chef du clan des Makhzûm. Il a toujours comploté contre le Prophète. C'est lui qui
commandait à la bataille de Badr face aux musulmans.
2 'Utba, chef du clan des Banû 'Abd Chams, n'est pas l'oncle de Muhammad, mais, pour lui
témoigner de l'amitié, il l'appelle mon neveu. C'est une pratique courante chez les Arabes.
3 Rahmân, semble-t-il, était employé avant l'islam au sud et au centre de l'Arabie (le Yaman et la
Yamâma) comme nom personnel de Dieu, signifiant Dieu unique et miséricordieux (Encyclopédie
de l'islam, 2e éd. s.v. Basmala, I, p. 1117 a-b).
4 Abû Jahl, qui était du clan des Makhzûm, défie ainsi le clan des Hâchim, dont l'ancêtre
s'appelait 'Abd Manâf. C'est une allusion au prix du sang de Muhammad.
5 Hîra, en Irak, capitale du royaume lakhmide, a été conquise par les Arabes en 633. Ce
royaume chrétien était un grand centre culturel à la frontière de l'Arabie, fréquenté par des poètes
arabes préislamiques. Quelques annalistes arabes anciens ont eu accès à ses archives manuscrites
et épigraphiques.
6 Les explications de ces réponses seraient trop longues et dépasseraient de loin le cadre de ce
récit. Il n'est pas difficile de se reporter aux sourates du Coran susmentionnées, de les lire et d'en
lire les commentaires.
7 Ibn Mas'ûd est un des premiers compagnons du Prophète. Cette façon méprisante de le
désigner par le nom de sa mère signifie qu'il n'a pas de clan pour le défendre.
8 C'est la sourate 19 du Coran, où la version de l'Annonciation faite à Marie et de la Nativité de
Jésus diffère de celle des Évangiles canoniques.
9 Les Çabéens (à ne pas confondre avec les habitants du royaume de la reine de Saba) étaient
les membres d'une secte judéo-chrétienne, monothéistes et détenteurs d'Écritures. Le Prophète les a
souvent cités en même temps que les juifs et les chrétiens.
10 On peut constater que le droit d'asile (dakhîl) et le droit de voisinage (jâr), qui donnaient lieu
à une protection assurée, étaient une institution solennelle, bien établie et respectée avant l'islam.
11 Les Ahâbîch posent un problème aux historiens : s'agit-il de mercenaires abyssins engagés
par les Mecquois ou d'une véritable tribu arabe ? Les textes anciens qui les concernent ne sont pas
clairs.
12 Ce poète était héméralope et fut donc surnommé al-A'cha, du nom de cette maladie. Par
courtoisie (et par jeu de mots), son interlocuteur l'appelle Abû baçîr, toi qui vois clair, au sens
propre et au sens figuré.
13 'Abd Allâh, serviteur de Dieu, amat Allâh, servante de Dieu. C'est ainsi qu'on interpelle de
façon polie un homme ou une femme dont on ne connaît pas le nom.
14 C'est l'ange qui sonnera la trompette du Jugement dernier. Dans la tradition arabe, il désigne
couramment l'ange de la mort : « Que 'Izrâ'îl t'emporte ! » reste, aujourd'hui encore, une
imprécation de mort.
15 Idrîs : prophète cité deux fois dans le Coran. Homme de vertu et de science, il aurait vécu
trois cent soixante-cinq ans et Dieu l'aurait élevé au ciel.
16 Zayd ibn Hâritha, affranchi et fils adoptif du Prophète, l'un des premiers musulmans, mort à
la bataille de Mu'ta en 629. Il épousa Zaynab bint Jahch. Après sa répudiation par Zayd, le
Prophète la prit pour épouse (Coran, 33, 37).
17 C'était la formule rituelle du serment et de l'engagement réciproque dans le paganisme.
CHAPITRE IV
Une fois bien établi à Médine, avec ses compagnons et les Ançâr
autour de lui, l'Envoyé de Dieu songea à utiliser, comme les juifs, un cor
pour appeler ses compagnons à la prière. Puis il renonça au cor et fit
sonner une cloche, comme le faisaient les chrétiens. Pendant cette
période, Abdallah ibn Zayd eut un songe et alla le raconter au Prophète :
– Envoyé de Dieu, j'ai eu cette nuit un songe : un homme portant des
habits verts est passé près de moi. Il avait à la main une cloche. Serviteur
de Dieu, lui demandai-je, voudrais-tu me vendre cette cloche ?
– Pour quoi faire ?
– Pour appeler les gens à la prière.
– Ne veux-tu pas que je t'indique quelque chose de meilleur ?
– Qu'est-ce donc ?
– Tu diras : « Dieu est le plus grand. Je témoigne qu'il n'y a de dieu que
Dieu. Je témoigne que Muhammad est l'Envoyé de Dieu. Venez à la
prière. Venez au salut. »
Ayant écouté ce songe, le Prophète dit à Abdallah : « C'est une vision
authentique, je l'espère, si Dieu le veut. Va enseigner ces paroles à Bilâl.
Qu'il les chante pour l'appel à la prière : il a une voix qui porte plus loin
que la tienne. » Lorsque 'Umar (le futur deuxième calife) entendit de sa
maison cet appel, il sortit aussitôt, sans prendre le temps d'ajuster son
manteau, et alla dire au Prophète : « J'ai eu la même vision, je le jure par
Celui qui t'a confié ta mission de vérité. “; N'utilisez pas la cloche, m'a-t-
on dit. Lancez un appel à la prière. ” » Le Prophète, qui, entre-temps, en
avait reçu la révélation, répondit à 'Umar : « Tu as été devancé par la
révélation. » Ainsi Bilâl se mit-il à chanter l'appel à la prière, monté sur
la terrasse de la plus haute maison près de la mosquée.
Les cadavres des païens sont jetés dans une fosse commune Sîra, I, 638-
641)
Le Prophète ordonna que les cadavres des païens soient jetés dans une
fosse commune. Ce qui fut fait, à l'exception d'Umayya ibn Khalaf. Dans
sa cuirasse, son corps avait tellement enflé que ses chairs se détachaient
lorsqu'on essayait de le bouger. On le laissa sur place et on le couvrit de
pierres et de terre. Le Prophète, s'adressant aux morts des Quraych jetés
dans la fosse commune, leur dit : « Vous n'avez pas respecté le lien tribal
qui vous unissait au prophète sorti de votre propre tribu. Vous m'avez
traité de menteur alors que les autres m'ont cru ; vous m'avez exilé et les
autres m'ont accueilli ; vous m'avez combattu et les autres m'ont
soutenu. » Puis il ajouta : « Comment trouvez-vous à présent les
promesses que vos divinités vous ont faites ? Sont-elles vraies ? » Les
musulmans autour de lui lui dirent :
– Prophète de Dieu, tu apostrophes des cadavres déjà putréfiés ?
– Ils sont aussi capables d'entendre que vous, mais ils ne peuvent plus
me répondre.
et une terre que vos pieds n'ont jamais foulée. (Coran, 33, 26-27.)
Entre les expéditions musulmanes eut lieu l'affaire des Banû Qaynuqâ'.
Le Prophète les réunit dans leur marché et leur dit :
– Vous les juifs, craignez que Dieu ne vous fasse subir le même sort
que celui des Quraych. Convertissez-vous : vous savez maintenant que je
suis un prophète envoyé de Dieu. Cela est écrit dans votre Livre.
– Tu penses que nous sommes comme les Quraych ! Détrompe-toi. Tu
as eu en face de toi des gens qui ne savaient pas faire la guerre et tu as
remporté sur eux une victoire facile. Si un jour nous avons à te livrer une
guerre, tu verras qui sont les vrais hommes.
Les Banû Qaynuqâ' avaient été les premiers juifs à rompre l'accord
conclu entre eux et Muhammad. Cela s'est passé de la façon suivante :
une femme arabe avait apporté ses produits au marché des Banû
Qaynuqâ'. Elle les vendit et s'attarda devant la boutique d'un bijoutier.
Les hommes la poussèrent à se dévoiler le visage, mais elle refusa. Le
bijoutier prit alors les pans de sa robe et les noua dans son dos.
Lorsqu'elle se leva, les hommes virent sa nudité et se moquèrent d'elle.
Elle poussa un cri de détresse et un musulman bondit sur le bijoutier juif
et le tua. Les juifs s'ameutèrent contre le musulman et le tuèrent. La
famille de ce dernier appela à grands cris les musulmans contre les juifs.
Les musulmans en devinrent furieux et c'est ainsi que les hostilités
commencèrent entre les musulmans et les Banû Qaynuqâ'.
Le Prophète les assiégea durant quinze nuits, jusqu'à leur reddition.
Leur chef, Abdallah ibn Ubayy, se présenta au Prophète et lui demanda :
« Muhammad, épargne mes hommes. » Mais le Prophète tarda à donner
une réponse. « Épargne mes hommes, demanda-t-il à nouveau. » À
nouveau, le Prophète se détourna de lui. Abdallah saisit alors le Prophète
par la poche de sa cuirasse :
– Lâche-moi, malheureux, lâche-moi, cria le Prophète en colère.
– Non, je ne te lâcherai pas jusqu'à ce que tu me promettes de bien
traiter mes hommes, trois cents hommes en cuirasse et quatre cents sans
cuirasse. Ils m'ont toujours défendu contre les ennemis de toute couleur,
qu'ils fussent noirs ou blancs. Et toi, tu les faucherais en une matinée !
J'ai l'habitude, assurément, de craindre les retournements de situation.
– Ils sont à toi, concéda le Prophète.
Abû 'Âmir, des Banû Dubay'a, par opposition au Prophète, avait quitté
Médine pour La Mecque à la tête d'une cinquantaine de jeunes gens de la
tribu des Aws. Il promettait aux Quraych qu'à la première rencontre avec
sa tribu tout le monde se joindrait à lui. À la bataille d'Uhud, pendant la
mêlée, Abû 'Âmir, avec les mercenaires abyssins et les esclaves de La
Mecque, alla à la rencontre des Aws, les gens de sa tribu :
– Je suis Abû 'Âmir, leur dit-il.
– Puisse Dieu plonger dans l'affliction tout regard qui se porte sur toi,
homme impie.
– Tiens ! En mon absence, ma tribu a dû subir un malheur, se dit-il en
écoutant leur réaction.
Et il livra à sa tribu un combat acharné. Avant l'islam, Abû 'Âmir était
surnommé Le Moine. Le Prophète lui donna le surnom d'Impie.
La mort de Muç'ib ibn 'Umayr et coup d'éclat d'Ali Sîra, II, 73-77)
Une fois le Prophète assis à l'écart, Ubayy ibn Khalaf courut vers lui
en criant : « Ou je mourrai, Muhammad, ou tu mourras ! » Ses
compagnons demandèrent au Prophète :
– Veux-tu que l'un d'entre nous l'arrête ?
– Non, laissez-le faire.
Lorsqu'Ubayy s'approcha, le Prophète prit la lance d'al-Hârith ibn aç-
Çumma et la secoua avec une telle violence que nous nous dispersâmes
autour de lui, comme des mouches s'envolent du dos d'un chameau qui
s'ébroue. Il accueillit Ubayy en la lui plongeant dans le cou. L'homme
tomba de son cheval et roula par terre. Quelques années plus tôt,
lorsqu'Ubayy ibn Khalaf, à La Mecque, rencontrait le Prophète, il avait
l'habitude de lui dire :
– Tu sais, Muhammad, j'ai un cheval auquel je donne à manger tous les
jours une bonne mesure de maïs. Je te tuerai sur ce cheval.
– Ce sera plutôt moi qui te tuerai, si Dieu le veut, répondait le
Prophète.
Revenu auprès des Quraych, Ubayy, dont le cou enflait à la suite de sa
blessure, leur dit :
– Muhammad m'a tué.
– Mais non, tu perds la tête, tu n'as rien.
– Il m'avait dit à La Mecque qu'il me tuerait. C'est sûr, il m'aurait tué,
même s'il n'avait fait que cracher sur moi.
Cet ennemi de Dieu est mort à Sarif, tout près de La Mecque, lorsque
les Quraych rentraient chez eux.
À la bataille d'Uhud, bon nombre des compagnons du Prophète furent
tués, même parmi les hommes âgés, qui n'étaient pas tenus au combat
mais qui cherchaient le martyre auprès des non-musulmans et des juifs.
Khâlid ibn al-Walîd monte au-dessus du refuge du Prophète Sîra, II, 86-
93)
Abû Sufyân ricane après la défaite des musulmans Sîra, II, 93-94)
Abû Barâ'(un des chefs des Banû 'Âmir) vint chez le Prophète à
Médine. Celui-ci lui expliqua l'islam et l'invita à s'y convertir. Abû
Barâ'ne répondit pas à cet appel, mais il n'en était pas loin :
– Si tu envoies, dit-il au Prophète, quelques-uns de tes compagnons
aux gens de Najd pour leur expliquer ta religion et les y inviter, j'espère
qu'ils répondront à ton appel.
– Je crains pour mes compagnons les hommes de Najd.
– J'assure moi-même leur protection. Envoie-les afin que nos gens
soient instruits de ta religion.
Le Prophète leur envoya Mundhir ibn 'Amr à la tête de soixante-dix
hommes parmi les meilleurs musulmans. Cela se passait quatre mois
après Uhud (juillet 625). Les musulmans quittèrent Médine et
descendirent autour du puits de Ma'ûna, dans le Najd. Ce point d'eau est
situé entre les territoires des Banû 'Âmir et ceux des Banû Sulaym. Dès
leur arrivée à Ma'ûna, les musulmans firent porter par Harâm une lettre
du Prophète à l'ennemi de Dieu, 'Âmir ibn Tufayl (un autre chef des Banû
'Âmir). Sans même lire le message, il se jeta sur le messager du Prophète
et le tua. Puis il appela les Banû 'Âmir à se mobiliser contre les
compagnons de Muhammad. Ils refusèrent de répondre à son appel : ils
ne voulaient pas s'en prendre à Abû Barâ', qui avait accordé aux
musulmans le droit d'asile. 'Âmir ibn Tufayl fit alors appel à d'autres
tribus des Banû Sulaym, qui firent écho à son appel. Les Banû Sulaym
attaquèrent les compagnons du Prophète et les encerclèrent de toutes
parts dans leur campement. Les musulmans prirent leurs sabres et se
défendirent jusqu'au dernier (Dieu ait leur âme). Cependant, Ka'b ibn
Zayd, qui avait été laissé pour mort, survécut à ce massacre. Plus tard, il
mourut en martyr à la bataille du Fossé (Dieu ait son âme).
Avant que ne survienne le massacre des musulmans, 'Amr ibn Umayya
et un homme des Ançâr s'étaient éloignés pour mener paître le bétail.
Seuls les oiseaux de proie qui survolaient le campement leur apprirent le
désastre. Ils accoururent et virent leurs compagnons morts, tout couverts
de sang :
– Que penses-tu faire ? demanda l'Ançâri à 'Amr ibn Umayya.
– Je pense que nous devons revenir au plus vite prévenir le Prophète.
– Je ne me vois pas quitter un endroit où a été tué Mundhir ibn 'Amr ;
je ne me vois pas non plus entendre les autres parler de sa mort.
Il se jeta sur l'ennemi et combattit jusqu'au dernier souffle. Quant à
'Amr ibn Umayya, il fut fait prisonnier. Lorsque 'Âmir ibn Tufayl apprit
qu'il était de la tribu des Mudar, il lui coupa la mèche de cheveux qui lui
tombait sur le front et le libéra1. « C'est, dit-il, pour m'acquitter d'une
dette de sang dont ma mère était redevable. »
Libéré, 'Amr ibn Umayya repartit pour Médine et s'arrêta pour se
reposer à un point d'eau, non loin de la ville. Il fut rejoint par deux
hommes, qui descendirent près de lui, à l'ombre du même arbre :
– Qui êtes-vous ? leur demanda-t-il.
– Nous sommes des Banû 'Âmir.
Il attendit qu'ils soient endormis pour se jeter sur eux et les tuer. Il
pensait ainsi venger les compagnons du Prophète du massacre perpétré
par les Banû 'Âmir, ignorant que le Prophète avait accordé à ces deux
hommes un droit de protection. Rentré à Médine, il raconta au Prophète
le sort que ses compagnons avaient subi et sa vengeance sur les deux
hommes des Banû 'Âmir. « Ce sont deux victimes que tu as tuées, lui dit
le Prophète, et dont je me dois de racheter le sang. » Puis il ajouta : « Je
craignais pourtant ce malheur et je ne voulais pas envoyer mes
compagnons. C'est la faute d'Abû Barâ'. » Abû Barâ'fut très peiné
d'apprendre le malheur qu'avaient subi les compagnons du Prophète. Il
leur avait pourtant accordé le droit d'asile, mais 'Âmir ibn Tufayl l'avait
trahi. Des poèmes furent composés pour pleurer les morts de Bi'r Ma'ûna.
Le Prophète alla chez la tribu juive des Banû Nadîr pour demander leur
aide dans le paiement du prix du sang des deux hommes des Banû 'Âmir
tués par 'Amr ibn Umayya. Il y avait en effet un pacte d'alliance entre
eux. Arrivé chez les Banû Nadîr, le Prophète fut bien accueilli et assuré
qu'on lui accorderait tout ce qu'il souhaitait. Il attendit, assis au pied d'un
mur avec quelques-uns de ses compagnons comme Abû Bakr, 'Umar et
Ali. Les Banû Nadîr se retirèrent un moment pour se concerter :
– On ne retrouvera jamais Muhammad, se dirent-ils, dans une situation
aussi propice. Qui donc parmi nous montera sur la terrasse de cette
maison et jettera sur lui une grosse pierre qui nous débarrassera de lui à
jamais ?
– Je suis votre homme, dit l'un d'entre eux, appelé 'Amr ibn Jahhâch.
Et il monta sur la terrasse pour accomplir son engagement. Mais le
Prophète fut informé par le Ciel des intentions des Banû Nadîr : il se leva
et repartit pour Médine. Il raconta à ses compagnons, qui étaient inquiets
de son retard, comment les Banû Nadîr avaient voulu le tuer par ruse et il
leur demanda de se préparer à les attaquer.
Le Prophète sortit donc avec ses hommes à l'attaque des Banû Nadîr.
C'était au mois de rabî' awwal. Il fit le siège de leur oasis pendant six
nuits, alors qu'ils étaient barricadés dans leurs fortins, et ordonna à ses
hommes de couper et de brûler leurs palmiers. Les assiégés crièrent au
Prophète : « Toi qui avais l'habitude de blâmer et d'interdire les
destructions de biens, pourquoi donc coupes-tu et brûles-tu nos
palmiers ? »
Un groupe des Khazraj, parmi lesquels se trouvait Abdallah ibn Ubayy,
avait envoyé aux Banû Nadîr le message suivant : « Défendez-vous et
tenez bon. Nous ne vous lâcherons pas. Si l'on vous fait la guerre, nous la
ferons à vos côtés et si l'on vous exile, nous nous exilerons avec vous. »
Les Banû Nadîr se défendaient en guettant l'aide des Khazraj. Mais, ne
voyant rien venir, ils prirent peur et demandèrent à négocier avec le
Prophète : il épargnerait leur sang et les laisserait partir avec tous les
biens que leurs chameaux pourraient porter, à l'exception des cuirasses et
des armes. Le Prophète accepta. Ils emportèrent donc de leurs biens tout
ce qu'ils purent charger à dos de chameau et partirent avec femmes et
enfants, qui pour l'oasis de Khaybar, qui pour la Syrie. Dans leur cortège,
accompagnant les chanteuses, les femmes battaient du tambourin et
jouaient du fifre, le tout avec un luxe et une fierté qu'on n'avait jamais
vus ailleurs à cette époque, chez quelque tribu que ce fût.
Ils abandonnèrent au Prophète les biens qu'ils n'avaient pu emporter.
C'était sa propriété personnelle et il pouvait en disposer comme il
l'entendait. Le Prophète les répartit entre les Émigrés de la première
heure. Cependant, deux hommes parmi les Ançâr se plaignirent de leur
indigence et le Prophète leur accorda une part du butin.
Parmi les Banû Nadîr, seules deux personnes se convertirent à l'islam
et gardèrent leurs biens : Yâmîn ibn Jahhâch et Abû Sa'd ibn Wahb. Le
Prophète demanda à Yâmîn : « N'as-tu pas vu ce que ton cousin m'a fait
et comment il a voulu attenter à ma vie ? » Yâmîn mit à prix la tête de
son cousin 'Amr ibn Jahhâch : il eut la tête tranchée. Dieu fit descendre
sur le Prophète la révélation de la sourate du Rassemblement (Coran, 59)
tout entière et l'on composa des poèmes sur l'expulsion des Banû Nadîr.
Huyayy ibn Akhtab (l'un des chefs des Banû Nadîr) alla trouver Ka'b
ibn Asad, le garant de l'engagement des juifs des Quraydha et du pacte
qu'ils avaient conclu avec le Prophète. À la suite de ce pacte, Ka'b s'était
engagé à n'avoir que de bons rapports avec l'Envoyé de Dieu. Ayant
reconnu la voix de Huyayy, Ka'b ferma devant lui la porte de son fortin et
refusa de la lui ouvrir, en dépit de son insistance :
– Malheureux, ouvre-moi la porte.
– Malheureux, répondit Ka'b. Tu es un homme qui apporte le malheur.
J'ai conclu, au nom des Quraydha, un pacte avec Muhammad et je n'ai
pas l'intention de le rompre, car je n'ai vu de sa part que fidélité et
sincérité.
– Ouvre, j'ai à te parler.
– Je n'ouvrirai pas.
– Tu ne me fermes à la vérité ta porte que pour ne pas me faire goûter à
ta jachicha (un plat de blé concassé).
Ka'b fut vexé de cette insulte et lui ouvrit la porte :
– Voyons, Ka'b, lui dit Huyayy, tu auras, grâce à moi, la gloire à
jamais : je t'ai amené les Quraych avec leurs seigneurs et leurs chefs. Ils
campent tout près d'ici, à Rûma. Je t'ai amené les Ghatafân avec leurs
seigneurs et leurs chefs. Ils campent tout près d'ici, près d'Uhud. Tous se
sont engagés et m'ont juré de ne quitter ces lieux qu'après avoir arraché
de leurs racines Muhammad et ses partisans.
– Tu ne m'apportes, je le jure, que la honte à jamais. Laisse-moi
comme je suis.
Huyayy continua ainsi à l'amadouer et à le flatter. Il finit par conclure
un accord avec lui : « Si les Quraych et les Ghatafân repartent sans avoir
éliminé Muhammad, je lierai mon sort au tien et j'entrerai avec toi dans
ton fortin, pour nous y défendre. » Ainsi Ka'b ibn Asad finit-il par rompre
le pacte qui le liait à l'Envoyé de Dieu.
Ayant appris la chose, le Prophète dépêcha sur place Sa'd ibn Mu'âdh,
le chef du clan des Aws, et Sa'd ibn 'Ubâda, le chef des Khazraj, en
compagnie de quelques hommes, avec la mission de vérifier l'authenticité
de cette information. Si elle s'avérait, ils le lui feraient savoir en langage
codé, pour ne pas décourager les gens. Si, par contre, l'accord conclu
tenait encore, ils l'annonceraient publiquement.
À leur arrivée auprès de Ka'b, ils trouvèrent la situation bien plus
détériorée qu'ils ne l'avaient imaginé. Ka'b et ses amis disaient : « Qui est
l'Envoyé de Dieu ! Nous n'avons pas de pacte ni d'alliance avec
Muhammad. » Sa'd ibn Mu'âdh, qui avait le sang vif, les couvrit
d'insultes. Sa'd ibn 'Ubâda le retint : « Le différend qui nous sépare d'eux,
lui dit-il, est bien plus grave que des invectives », et ils s'en retournèrent
rendre compte au Prophète. Ils lui dirent, en langage codé :
– Une trahison totale.
– Dieu est le plus grand ! s'écria le Prophète. Ayez confiance,
musulmans.
Mais les musulmans furent atterrés par cette trahison. Ils se virent
attaqués d'en haut, d'en bas et de toutes parts. Ils prirent peur et ils
imaginèrent le pire. Les Hypocrites, ces faux musulmans, ricanèrent :
« Muhammad nous promettait de jouir des trésors de Chosroès et de
César, et maintenant pas un d'entre nous n'ose s'éloigner, l'esprit
tranquille, pour satisfaire un besoin naturel ! » Le Prophète maintint la
mobilisation aux abords du fossé pendant une vingtaine de nuits. Les
idolâtres, de l'autre côté du fossé, faisaient de même, sans qu'il y ait
d'engagement entre eux, en dehors des échanges de flèches et du maintien
du siège.
Le Prophète tente de semer le trouble dans les rangs de l'ennemi Sîra, II,
229-233)
Le même jour, à midi, Gibrîl vint voir le Prophète. L'ange, coiffé d'un
turban de soie, était sur une mule dont le bât était couvert de brocart :
– Envoyé de Dieu, demanda Gibrîl, tu as donc déposé les armes ?
– Oui.
– Les anges ne l'ont pas encore fait. Dieu t'ordonne, Muhammad,
d'aller combattre le clan juif des Banû Quraydha. Moi-même j'y vais de
ce pas et j'ai l'intention de faire trembler la terre sous leurs pieds.
L'Envoyé de Dieu fit alors annoncer par un muezzin : « Quiconque
veut m'écouter et m'obéir devra faire la prière de cet après-midi chez les
Banû Quraydha. » Le Prophète confia sa bannière à Ali et les gens le
suivirent. Arrivé au pied des fortins où s'étaient réfugiés les juifs, Ali fut
accueilli par des insultes à l'adresse du Prophète. Il rebroussa chemin
pour le prévenir alors qu'il était déjà en route vers les Quraydha :
– Envoyé de Dieu, tu ne dois pas t'approcher de ces hommes méchants.
– Pourquoi ? Les as-tu donc entendus dire du mal de moi ?
– Oui, Envoyé de Dieu.
– S'ils m'avaient vu, ils n'auraient osé rien dire de tout cela.
S'approchant des fortins, le Prophète cria aux Quraydha : « Frères de
singes, vous n'avez pas encore connu, je le vois, l'humiliation et la
vengeance de Dieu. Vous allez les connaître ! »
Avant d'arriver chez les Banû Quraydha, le Prophète rencontra sur son
chemin, à quelque distance de Médine, quelques-uns de ses
compagnons :
– Avez-vous vu quelqu'un passer par là ? leur demanda-t-il.
– Oui, il disait s'appeler Dihya ibn Khalîfa. Il était sur une mule
blanche recouverte d'un tapis de soie.
– C'est Gibrîl. Il a été envoyé pour faire trembler les tours des Banû
Quraydha et répandre la terreur dans leur cœur.
Le Prophète installa son camp face aux Quraydha, sur un de leurs
puits, du côté de leurs plantations. Assiégés pendant vingt-cinq nuits, les
Quraydha furent durement éprouvés et la peur les envahit.
Une fois les Quraych et les Ghatafân (qui étaient coalisés contre le
Prophète) repartis dans leur pays, Huyayy ibn Akhtab (l'un des chefs des
Banû Nadîr), par fidélité à l'engagement donné à Ka'b ibn Asad, chef du
clan des Quraydha, rejoignit leurs fortins. Les juifs, à mesure que le siège
se prolongeait autour d'eux, acquirent la conviction que le Prophète ne
repartirait pas avant de les avoir exterminés. Ka'b ibn Asad leur dit :
– Vous voyez la situation désespérée où nous sommes. Je vais vous
proposer trois solutions pour en sortir et vous choisirez celle que vous
voudrez.
– Lesquelles ? demandèrent-ils.
– La première serait de suivre cet homme et de croire en sa mission. Il
est clair maintenant pour vous qu'il est un prophète envoyé, c'est celui
que vous trouvez dans votre Livre. Vous pourrez ainsi sauver votre vie,
celle de vos femmes et de vos enfants et, en plus, vous garderez vos
biens.
– Non, nous ne quitterons jamais la Loi de notre Bible.
– Si vous refusez cette proposition, allons tuer nos femmes et nos
enfants et, ainsi dégagés de toute attache, nous affronterons Muhammad
les sabres levés. Dieu donnera son jugement entre nous et Muhammad. Si
nous périssons, ce sera notre sort ; si nous l'emportons, nous retrouverons
toujours des femmes et des enfants.
– Non, comment pourrons-nous tuer nos femmes et nos enfants ? Que
vaudrait la vie sans eux ?
– Si vous me refusez l'une et l'autre propositions, j'en ai une troisième.
Cette nuit est une veille de samedi. La mobilisation des hommes de
Muhammad y sera peut-être relâchée. Attaquons-les et profitons de l'effet
de surprise.
– Rompre notre sabbat ! Ce serait un sacrilège scandaleux.
– Je ne connais pas un seul homme parmi vous, leur dit-il en colère,
qui, depuis sa naissance, ait passé une seule nuit l'esprit déterminé, sans
aucune hésitation !
On fit donc venir Huyayy ibn Akhtab devant le Prophète. Il avait les
mains ligotées autour du cou et portait un manteau d'un rose éclatant,
qu'il avait, pour ôter à ses geôliers toute envie de vol, tailladé de toutes
parts :
– Je ne regrette absolument pas, dit-il au Prophète, d'avoir été ton
ennemi, mais, je le constate, quiconque abandonne Dieu, Dieu
l'abandonne.
Et, s'adressant à l'assistance :
– Nous acceptons l'ordre de Dieu. C'est une tuerie que Dieu a décidée
d'inscrire dans le destin du peuple d'Israël.
Puis il s'assit et le Prophète lui trancha la tête.
Une seule femme tuée parmi les Quraydha Sîra, II, 242)
'Â'icha, mère des Croyants, racontait : une seule femme juive des Banû
Quraydha a été tuée. Elle était chez moi et l'on bavardait ensemble. Elle
plaisantait et riait de bon cœur, pendant que, sur la place du marché, le
Prophète égorgeait ses hommes. Soudain un crieur appela son nom :
– Où est Unetelle ?
– C'est moi.
– Malheureuse, qu'as-tu ? lui demandai-je.
– Je vais être tuée.
– Pourquoi donc ?
– Parce que j'ai commis quelque chose.
C'était elle qui avait jeté une meule sur Khallâd ibn Suwayd et l'avait
tué. On l'emmena et on lui trancha la tête. 'Â'icha disait : je n'oublierai
jamais ce trait étonnant chez cette femme ; elle était de bonne humeur et
riait de bon cœur, alors qu'elle savait qu'elle allait être exécutée. Elle
avait, en effet, jeté une meule à grains sur un musulman et l'avait ainsi
tué.
Le Prophète fit ensuite le partage des femmes, des enfants et des biens
des Banû Quraydha entre les musulmans. Avant tout partage, il prit pour
lui le cinquième du butin, puis il établit les règles de la répartition : deux
actions pour un cheval ; une action pour son cavalier ; une action pour le
fantassin. Les cavaliers ayant pris part à l'extermination des Banû
Quraydha étaient au nombre de trente-six. C'était le premier butin auquel
s'appliquait cette règle du cinquième pour le Prophète et de la répartition
par actions des quatre cinquièmes. Ce principe fut adopté par la suite
pour le partage du butin après toutes les expéditions et les conquêtes.
Le Prophète envoya dans la région de Najd une partie des captives
juives des Quraydha, contre lesquelles il acheta des chevaux et des
armes.
Histoire de Rayhâna Sîra, II, 245)
Parmi les captives des Banû Quraydha, le Prophète avait choisi pour
lui-même une femme appelée Rayhâna, qui resta chez lui, en sa
possession, jusqu'à sa mort. Il lui avait pourtant proposé de l'épouser et
de lui imposer le voile. « Laisse-moi ainsi en ta possession, lui avait-elle
répondu : c'est plus simple pour moi comme pour toi. » Lorsqu'elle avait
été prise comme captive, elle avait refusé de se convertir à l'islam et tenu
à rester juive. Le Prophète avait dû la mettre en quarantaine et il en était
personnellement affecté. Un jour qu'il devisait avec quelques
compagnons, il entendit un bruit de pas derrière lui. « C'est Tha'laba, dit-
il, qui vient m'annoncer la conversion de Rayhâna ! » Tha'laba lui
annonça effectivement la conversion de Rayhâna et le Prophète s'en
réjouit.
L'un des bienfaits accordés par Dieu au Prophète était que les deux
clans des Ançâr, les Aws et les Khazraj, rivalisaient de zèle à son égard et
s'affrontaient comme des béliers pour gagner sa faveur. Chaque fois qu'un
clan faisait quelque chose pour être agréable au Prophète, l'autre clan
guettait l'occasion d'en faire autant. Ainsi, lorsque les Aws débarrassèrent
le Prophète de son ennemi le poète Juif Ka'b ibn al-Achraf, les Khazraj
cherchèrent à exécuter un homme qui vouait au Prophète une égale
inimitié. Ils pensèrent à Sallâm ibn Abû-l-Huqayq, chef des juifs de
l'oasis de Khaybar, et demandèrent au Prophète la permission de le tuer.
Il la leur accorda.
Quinze hommes des Khazraj partirent pour Khaybar (à une centaine de
kilomètres au nord de Médine). Le Prophète confia le commandement de
la troupe à Abdallah ibn 'Atîk et leur interdit de tuer aucun enfant ni
aucune femme. Parvenus à Khaybar, ils pénétrèrent dans la maison d'Ibn
Abû-l-Huqayq. Ce dernier dormait dans une pièce à l'étage, à laquelle on
accédait par un escalier taillé dans le tronc d'un palmier. Ils y montèrent
et demandèrent la permission d'entrer. Sa femme sortit :
– Qui êtes-vous ? leur demanda-t-elle.
– Des Arabes qui cherchons à acheter du blé.
– Voici votre homme, entrez.
L'un des hommes du commando racontait : nous entrâmes et fermâmes
sur nous et sur elle la porte de la pièce. Elle cria et dénonça notre action.
Nous nous jetâmes avec nos sabres sur l'homme étendu dans son lit, ne
voyant de lui, dans la noirceur de la nuit, qu'une tache blanche. Sa femme
ne cessait de crier, mais nous retenions nos sabres au-dessus de sa tête, en
pensant à l'interdiction que nous avait imposée le Prophète. Nos sabres
alors s'abattirent sur l'homme ; Abdallah, de toutes ses forces, lui plongea
son sabre dans le ventre : l'homme fut ainsi transpercé de part en part, et
nous ressortîmes. Mais Ibn 'Atîk, qui avait une mauvaise vue, tomba du
haut de l'escalier et eut une très douloureuse entorse à la cheville. Nous le
portâmes et courûmes pour sortir de la ville et nous enfuir. Autour de
nous, les lumières furent allumées et l'on nous poursuivit de partout. En
désespoir de cause, les hommes de Khaybar retournèrent auprès de leur
chef et ne purent qu'assister à son agonie. Nous portâmes donc Ibn 'Atîk,
poursuivait le narrateur, et retournâmes voir le Prophète pour lui
annoncer la mort d'Ibn Abû-l-Huqayq, l'ennemi de Dieu. Mais chacun de
nous prétendit l'avoir tué. Comme nous nous disputions ce privilège
devant le Prophète, il nous dit : « Montrez-moi vos sabres. » Nous les lui
montrâmes. Il les examina et dit : « C'est le sabre d'Abdallah ibn Anîs qui
l'a tué. J'y vois encore la trace de ce que l'homme avait mangé. »
'Amr ibn al-'Âç poursuivait : nous attendions d'être reçus par le Négus
et nous fûmes surpris de voir entrer chez lui 'Amr ibn Umayya
(compagnon du Prophète) : Muhammad l'avait envoyé en mission auprès
du Négus au sujet de son cousin Ja'far ibn Abû Tâlib et de ses
compagnons. Je dis à mes amis : « C'est 'Amr ibn Umayya. Si j'entre chez
le Négus pour lui demander sa tête et qu'il me la donne, je le tuerai et
j'aurai ainsi donné satisfaction aux Quraych, en les débarrassant d'un
ambassadeur de Muhammad. » J'entrai donc chez le Négus et, selon
l'usage, me prosternai à ses pieds :
– Bienvenue à mon ami, dit-il. M'as-tu apporté quelque cadeau de ton
pays ?
– Oui, bien sûr, beaucoup de fourrures.
Et je les lui montrai. Il en fut ravi. Puis je lui dis :
– Majesté, j'ai vu sortir de chez toi le messager d'un homme qui est
notre ennemi et qui a tué un grand nombre des meilleurs parmi nos
notables. Livre-le moi et je le tuerai.
Le Négus entra dans une colère si violente que je souhaitai que la terre
s'ouvrît pour m'engloutir et me protéger de lui. Je m'excusai :
– Majesté, si j'avais pensé que ma requête te déplairait, je ne l'aurais
pas faite.
– Comment peux-tu me demander de te livrer le messager d'un homme
qui reçoit la Grande Révélation, tout comme la recevait Moïse ?
– Majesté, cet homme est-il comme Moïse ?
– Malheureux ! Écoute-moi, 'Amr, et va suivre cet homme. Il est dans
la vérité et il vaincra certainement tous ses opposants, comme Moïse a
vaincu le Pharaon et son armée.
– Accepterais-tu de recevoir en son nom ma conversion à l'islam ?
– Oui, j'accepte, dit-il, en me tendant la main.
Je tapai dans sa main ouverte et sortis de chez lui totalement converti,
mais je n'en dis rien à mes compagnons.
Conversion de 'Amr ibn al-'Âç et de Khâlid ibn al-Walîd Sîra, II, 277-
279)
'Amr ibn al-'Âç poursuivait son récit : je partis donc chez l'Envoyé de
Dieu pour lui déclarer ma conversion. En cours de route, je rencontrai
Khâlid ibn al-Walîd (futur héros de la conquête musulmane), venant de
La Mecque. C'était peu avant que le Prophète n'en fît la conquête.
– Où vas-tu ainsi, Khâlid ?
– Ma foi, la vérité a éclaté et le chemin est tout tracé ; l'homme est
certainement un prophète. Je vais me convertir à l'islam, il n'y a plus de
raison d'attendre.
– Moi aussi, je n'y vais, dis-je, que pour me convertir.
Nous arrivâmes à Médine chez l'Envoyé de Dieu. Khâlid s'avança
auprès du Prophète, lui déclara sa conversion et prêta serment. Puis je
m'avançai et je dis au Prophète :
– Je prête serment, à condition que mes fautes passées me soient
pardonnées.
– 'Amr, m'ordonna-t-il, ne crains rien, prête serment. L'islam et
l'Hégire effacent tout le passé.
Je prêtai serment et repartis.
Ibn Ubayy exhorte les Ançâr contre les Émigrés Sîra, II, 290-291)
Tandis que le Prophète campait sur ce point d'eau, les hommes furent
pris d'une soif tenace et ce fut la bousculade autour du puits. Un jeune
esclave de 'Umar ibn al-Khattâb se bagarra avec un jeune homme des
Ançâr et chacun des deux appela son clan au secours. Abdallah ibn
Ubayy, l'un des chefs des Ançâr, fut pris de colère et, devant un groupe
de son clan parmi lesquels se trouvait le jeune Zayd ibn Arqam, il
exprima sa révolte : « Ils nous ont bernés, ces rustres de Quraychites,
parlant des Émigrés. Ils veulent, par leur nombre, prendre le pas sur nous
dans notre propre pays. Quelqu'un l'avait déjà dit : “; Engraisse ton chien
et il te mangera ! ” Dès notre retour, je le jure, nous verrons bien qui est
le plus fort et qui chassera l'autre de Médine. C'est vous-mêmes qui vous
êtes mis dans cette situation. Vous les avez laissé occuper le pays et vous
avez partagé avec eux vos propres biens. Si désormais vous gardez vos
biens pour vous, ils partiront ailleurs. »
Le jeune Zayd ibn Arqam, ayant écouté ce discours, alla tout droit le
rapporter au Prophète. 'Umar était présent. C'était après la défaite des
Banû Muçtaliq. 'Umar dit au Prophète :
– Dis à 'Abbâd ibn Bichr d'aller tuer cet homme.
– Comment cela, 'Umar ? Non, les gens diront que Muhammad
exécute ses propres amis. Fais plutôt annoncer le départ.
Et les musulmans levèrent le camp. C'était à une heure où le Prophète
n'avait pas l'habitude d'ordonner le départ.
Ayant appris que Zayd ibn Arqam avait rapporté ses menaces au
Prophète, Ibn Ubayy alla le trouver et jura qu'il n'avait jamais prononcé
les paroles rapportées par Zayd. C'était un chef qui jouissait de beaucoup
de considération dans son clan. Ceux parmi les Ançâr qui étaient
présents, et qui étaient de ses amis, eurent pitié de lui et tentèrent de le
défendre : « Envoyé de Dieu, dirent-ils, ce jeune homme n'a peut-être pas
bien compris le discours d'Ibn Ubayy et il l'aura mal rapporté… »
Le Prophète monta sur son chameau et repartit. Usayyid ibn Hudayr le
croisa sur son chemin, le salua comme il convient de saluer les prophètes
et lui dit :
– Envoyé de Dieu, tu as fait lever le camp à une heure inhabituelle !
– N'as-tu pas appris, lui demanda le Prophète, ce qu'a dit ton ami ?
– De quel ami parles-tu ?
– Abdallah ibn Ubayy.
– Et qu'a-t-il dit ?
– Il a prétendu qu'à son retour à Médine, le plus fort en chassera le plus
misérable.
– C'est toi le plus fort, Envoyé de Dieu. Tu l'en chasseras, j'en suis sûr,
si tu le veux. C'est lui le misérable et toi le plus fort. Envoyé de Dieu, aie
pitié de lui. Dieu t'a envoyé chez nous au moment où les gens de sa tribu
tressaient des perles pour sa couronne. Il est persuadé que tu l'as privé
d'un royaume.
Le Prophète conduisit son armée, sans halte, toute cette journée-là, la
nuit qui suivit et le début de la journée suivante. Ils furent tous assommés
par le soleil. Le Prophète ordonna enfin une halte. Dès qu'ils touchèrent
terre, ils tombèrent de sommeil. Le Prophète avait fait cela pour
détourner les gens de toute conversation au sujet de ce qui s'était passé la
veille et des propos d'Abdallah ibn Ubayy.
Le fils d'Ibn Ubayy vint trouver le Prophète et lui dit :
– Envoyé de Dieu, j'ai appris que tu voulais tuer mon père Abdallah à
cause des propos qu'on t'a rapportés sur lui. Si tu es vraiment décidé à le
faire, tu n'as qu'à m'en donner l'ordre et je t'apporterai sa tête. Les
Khazraj savent bien mon attachement à mon père et je crains que tu
charges un autre que moi de son exécution. Je ne supporterai pas, en
effet, de voir le bourreau de mon père vivre parmi les hommes. Il faudra
que je le tue moi-même, mais je tuerai un croyant pour un incroyant et
j'irai en Enfer.
– Nous allons plutôt, répondit le Prophète, le traiter avec clémence et
garder de bonnes relations avec lui, tant qu'il restera dans notre camp.
Depuis, toutes les fois qu'Abdallah ibn Ubayy faisait un écart, les gens
de son clan eux-mêmes le reprenaient et l'en blâmaient. Ayant appris leur
conduite, le Prophète dit à 'Umar :
– Qu'en penses-tu, 'Umar ? Si tu avais tué Ibn Ubayy lorsque tu m'en
avais demandé l'autorisation, des notables auraient pris peur et se seraient
peut-être révoltés. Maintenant, ces mêmes notables, si je leur demandais
de le tuer, ils le tueraient.
– Je sais, dit 'Umar, les décisions de l'Envoyé de Dieu ont bien plus de
valeur que les miennes.
Par la suite, l'Envoyé de Dieu entra chez moi. Mes parents et une
femme des Ançâr s'y trouvaient. Je pleurais et ma compagne pleurait
avec moi. Il s'assit, rendit grâce et louanges à Dieu et me dit : « 'Â'icha, tu
as entendu ce que racontent les gens. Crains Dieu. Si tu as commis
quelque mal de ce qu'ils disent, demandes-en pardon à Dieu : il accepte
de pardonner à ses fidèles. » À ces mots, je sentis que mes larmes étaient
taries et j'attendis que mes parents répondent à l'Envoyé de Dieu. Ils n'en
firent rien.
– N'allez-vous pas enfin répondre à l'Envoyé de Dieu ?
– Nous ne savons pas quoi lui répondre.
Je n'ai jamais connu de famille qui ait enduré ce qu'a enduré la famille
d'Abû Bakr en ce temps-là. Je pleurai, je réfléchis et dis à l'Envoyé de
Dieu : « Je ne pourrai jamais demander pardon à Dieu de ce que tu viens
de mentionner. Car, si je reconnais ce que disent les gens alors que Dieu
sait que j'en suis innocente, je mentirai. Et si je nie ce qu'ils disent,
personne ne me croira. » Je cherchai alors le nom de Jacob3, mais il
m'échappa, et je dis : « Puissé-je avoir la patience du père de Joseph ! »
Patience !
C'est à Dieu qu'il faut demander secours
contre ce que vous racontez. (Coran, 12, 18.)
L'Envoyé de Dieu ne bougeait pas. Mais soudain il fut saisi des
symptômes habituels de la révélation. On l'étendit, on jeta sur lui son
manteau et on lui glissa un oreiller de cuir sous la tête. Je songeais en
moi-même, je le jure, que j'étais bien trop petite et bien trop misérable
pour penser que Dieu allait révéler à mon sujet un Coran qui se lirait dans
les mosquées. Tout au plus, j'espérais que l'Envoyé de Dieu verrait dans
son sommeil un songe, où Dieu, qui connaît mon innocence, lui
apporterait un démenti à ma décharge. En voyant les signes de la
révélation, je n'éprouvai moi-même aucune crainte, car je savais que
j'étais innocente et que Dieu ne serait pas injuste envers moi. Quant à
mes parents, ils retenaient leur souffle, dans l'attente de cette révélation :
ils craignaient que Dieu ne confirme les dires des gens. Le Prophète se
réveilla enfin et s'assit. Son front était perlé comme par un jour de pluie.
Il s'essuya le front et dit :
– Bonne nouvelle, 'Â'icha, Dieu a révélé ton innocence.
– Qu'il en soit remercié, dis-je.
Le Prophète sortit de chez nous et alla à la rencontre des gens. Il leur
parla et leur récita la révélation de Dieu sur cette affaire. Puis il fit venir
Mistah (serviteur d'Abû Bakr), le poète Hassân ibn Thâbit et Khamna, la
sœur de son épouse Zaynab et il leur fit donner des coups de fouet,
comme auteurs ou propagateurs des calomnies contre 'Â'icha. L'affaire
suscita des troubles et des querelles parmi les musulmans : Abû Bakr
refusa de continuer à verser une pension à Mistah, après ce qu'il avait dit
de sa fille ; Çafwân ibn Mu'attal se précipita pour tuer Hassân ibn Thâbit,
à cause des poèmes qu'il avait composés contre 'Â'icha, mais il fut retenu
dans son élan et ne put que le toucher de son sabre. Le Prophète fit enfin
une réconciliation entre tout ce monde.
'Â'icha terminait ainsi son récit : on fit faire une enquête sur Ibn
Mu'attal ; on trouva qu'il était impuissant et ne pouvait pas prendre
femme.
1 Ce rituel est probablement une survivance très adoucie du sacrifice humain ou, tout au moins,
l'équivalent d'une mise à mort.
2 Ce geste, exprimé en arabe par un verbe spécifique, 'aqara, était considéré avant l'islam
comme une preuve ultime de courage et de vaillance : le héros se coupait ainsi toute possibilité de
fuite et s'engageait à combattre jusqu'au dernier souffle. L'islam n'a pas retenu cette valeur morale
du paganisme.
3 Cette référence à la patience de Jacob, père de Joseph, est oubliée aujourd'hui. En revanche, on
se réfère couramment à la patience de Job (Coran, 38, 41-44 et 21, 83).
CHAPITRE VI
confie-toi à Dieu
Dieu te suffit.
Abû Baçîr sortit alors de Médine et alla se poster sur le chemin que les
Quraych avaient l'habitude de prendre pour aller en Syrie. Les
musulmans persécutés et retenus à La Mecque, ayant appris ce que le
Prophète avait dit à Abû Baçîr, sortirent de La Mecque et se joignirent à
Abû Baçîr. Ils étaient à peu près soixante-dix hommes. Ils coupaient ainsi
le chemin aux Mecquois : pas un homme des Quraych tombé dans leurs
mains qui ne fût tué ; pas une caravane de chameaux qui ne fût
détournée. Très gênés par cette rébellion, les Quraych écrivirent au
Prophète pour le supplier de recueillir ces musulmans dont ils ne
voulaient plus chez eux. Le Prophète accéda à leur demande et accueillit
les rebelles chez lui à Médine.
Le Prophète accueille les femmes émigrées après la trêve Sîra, II, 325-
327)
Pendant cette période, plusieurs femmes musulmanes émigrèrent à
Médine, et le Prophète les accueillit, ayant reçu une révélation de Dieu
dans ce sens. Ainsi, par exemple, lorsque Umm Kulthûm, fille de 'Uqba,
émigra à Médine, ses deux frères vinrent demander à Muhammad de la
leur rendre, en vertu du contrat conclu à Hudaybiyya entre lui et les
Quraych. Le Prophète refusa de le faire, parce que Dieu lui avait ordonné
de garder les Émigrées dont la conversion à l'islam avait été éprouvée.
Ja'far ibn Abû Tâlib, émigré en Abyssinie, rejoint le Prophète (Sîra, II,
359-370)
Le Prophète avait envoyé auprès du Négus 'Amr ibn Umayya pour lui
parler du sort des émigrés musulmans qui séjournaient encore en
Abyssinie. Ayant loué deux embarcations, 'Amr réussit à les ramener en
Arabie et à les conduire auprès du Prophète, le jour de la conquête de
Khaybar. Ils étaient dix-huit hommes, à la tête desquels se trouvait Ja'far
ibn Abû Tâlib, frère d'Ali et cousin du Prophète. Ja'far prit le Prophète
dans ses bras, l'embrassa entre les deux yeux et ne le quitta plus. Le
Prophète, ce jour-là, composa ce vers :
Je ne sais ce qui me rend le plus heureux
La conquête de Khaybar ou le retour de Ja'far.
Certains émigrés d'Abyssinie en revinrent avant la bataille de Badr,
d'autres après Badr et d'autres plus tard. Parmi eux, il y en avait qui,
même convertis à l'islam, étaient morts en Abyssinie. D'autres s'étaient
convertis au christianisme et étaient morts dans ce pays, comme 'Ubayd
Allâh ibn Jahch, mari d'Umm Habîba, fille d'Abû Sufyân. Après la mort
d'Ibn Jahch, le Prophète épousa cette fille d'Abû Sufyân.
LE PROPHÈTE ACCOMPLIT SA VISITE DES LIEUX SAINTS
EN L'AN 7 DE L'HÉGIRE (MARS 629) (SÎRA, II, 370-373)
Les tribus des Banû Bakr et des Khuzâ'a, avant l'islam, étaient
perpétuellement en conflit et n'avaient à l'esprit qu'une préoccupation :
venger le sang d'un proche ou, à l'inverse, payer le prix du sang de l'autre
tribu. L'islam les détourna de leurs querelles tribales et occupa leurs
esprits. La paix de Hudaybiyya, conclue entre le Prophète et les Quraych,
incluait, entre autres conditions, que les tribus arabes avaient la
possibilité d'entrer librement dans la fédération des Quraych ou dans celle
de Muhammad. Les Banû Bakr s'allièrent aux Quraych, tandis que les
Khuzâ'a prirent le parti de Muhammad.
Or, en pleine trêve, le clan des Banû Dayl des Bakr voulut tirer
vengeance des Khuzâ'a. Son chef, Nawfal ibn Mu'âwiya, sortit à la tête
de ses hommes et attaqua de nuit les Khuzâ'a, qui campaient sur un de
leurs points d'eau. Les Quraych lui avaient secrètement fourni armes et
renforts. Au cours de la bataille, les Bakr tuèrent un homme des Khuzâ'a.
Devant la supériorité des Bakr alliés aux Quraych et devant cette rupture
de l'armistice conclu entre les Quraych et le Prophète, les Khuzâ'a
dépêchèrent une délégation, conduite par Budayl ibn Warqâ', auprès du
Prophète à Médine pour l'informer de l'attaque menée contre eux avec le
soutien des Quraych, et pour lui demander, en vertu de ses engagements,
de leur porter secours. Puis la délégation des Khuzâ'a s'en retourna à La
Mecque.
Abû Sufyân va à Médine pour affirmer le respect de la trêve Sîra, II, 396-
397)
Regrettant leur action contre les Bakr, les Quraych envoyèrent Abû
Sufyân à Médine pour tenter de consolider et de prolonger la trêve
conclue avec Muhammad. À 'Usfân, à deux étapes de La Mecque, Abû
Sufyân rencontra Budayl ibn Warqâ', qui revenait justement de Médine.
– D'où reviens-tu ? lui demanda-t-il.
– J'ai conduit ce groupe des Khuzâ'a le long de la côte.
– N'es-tu pas allé voir Muhammad ?
– Non.
Et Budayl poursuivit son chemin vers La Mecque. Soupçonneux, Abû
Sufyân alla à l'endroit où était agenouillée la monture de Budayl, y
ramassa quelques crottes, les écrasa entre ses doigts et y trouva des
noyaux de dattes. « Sans aucun doute, dit-il, Budayl est allé à Médine (où
l'on donne en fourrage aux bêtes des rafles de dattes) et il y est allé pour
voir Muhammad. » Abû Sufyân continua son chemin vers Médine. À son
arrivée, il descendit chez sa fille Umm Habîba, une des épouses du
Prophète. Il allait s'asseoir sur la couche de l'Envoyé de Dieu, mais sa
fille la retira brusquement :
– Ma fille, lui demanda-t-il, je ne sais si tu trouves cette couche
indigne de moi ou si tu me trouves indigne d'elle ?
– Non, répondit-elle, c'est plutôt la couche de l'Envoyé de Dieu, et toi,
tu es un homme païen et impur.
– Ma fille, je le jure, ton mariage ne t'a pas fait de bien !
Puis il sortit et alla exposer à Muhammad l'objet de sa visite : le
Prophète ne lui donna aucune réponse. Il alla ensuite trouver Abû Bakr
pour lui demander d'intervenir auprès de Muhammad : Abû Bakr refusa.
Il fit la même démarche auprès de 'Umar et 'Umar s'en indigna avec
véhémence. Enfin, Abû Sufyân entra chez Ali. Il l'y trouva en compagnie
de sa femme Fâtima, fille du Prophète. Elle avait déjà donné naissance à
Hasan, qui rampait encore à quatre pattes :
– Ali, lui dit-il, tu es l'homme le plus proche de moi par le sang. Je suis
venu te demander un service et j'espère ne pas repartir les mains vides.
Intercède pour moi auprès de Muhammad.
– Malheureux, lui dit Ali, le Prophète a pris sa décision et personne ne
peut plus la remettre en cause.
– Je me vois dans une situation difficile. Quel conseil pourrais-tu me
donner ?
– Je ne vois aucun conseil qui puisse t'épargner quoi que ce soit. Mais
tu es le seigneur des Banû Kinâna. Va donc annoncer que tu accordes ta
protection à tous les musulmans et regagne ton pays.
– Penses-tu que cela pourrait servir à quelque chose ?
– Non, je ne le pense pas. Mais je ne vois rien d'autre.
Abû Sufyân se présenta alors à la mosquée et, en présence des
musulmans, il proclama : « J'accorde ma protection à tous les
musulmans. » Puis il monta sur son chameau et repartit pour La Mecque.
À son arrivée, les Quraych lui demandèrent :
– Que rapportes-tu ?
– J'ai rencontré Muhammad et je lui ai parlé. Mais il ne m'a donné
aucune réponse. J'ai rencontré aussi Abû Bakr, mais je n'ai trouvé chez
lui rien de bon. Puis j'ai vu 'Umar : il a été notre pire ennemi. Enfin, j'ai
rencontré Ali et j'ai trouvé chez lui moins de raideur. Il m'a conseillé
d'accorder ma protection aux musulmans et je l'ai fait.
– Muhammad en était-il d'accord ?
– Non.
– Malheureux ! Si, en plus, l'homme t'a berné, tout ce que tu racontes
ne vaut plus rien.
– Je le sais, en vérité, mais je n'ai rien trouvé d'autre.
Hâtib écrit une lettre aux Quraych pour les prévenir Sîra, II, 398-399)
Le Prophète fait défiler ses troupes devant Abû Sufyân Sîra, II, 404)
Les armées musulmanes font leur entrée à La Mecque Sîra, II, 406-407)
Çafwân ibn Umayya s'oppose à l'entrée des troupes musulmanes Sîra, II,
407-411)
Çafwân ibn Umayya et quelques autres Mecquois se regroupèrent à
Khandama pour combattre les musulmans. La cavalerie de Khâlid réussit,
sans trop de mal, à les en déloger : quelques-uns furent tués et les autres
s'enfuirent. Quant à Çafwân ibn Umayya, il s'enfuit vers Judda, pour
prendre la mer vers le Yémen. Mais le Prophète lui accorda sa protection
et il revint à La Mecque. De même, quelques Mecquois, parmi ceux dont
le Prophète avait réclamé la tête, trouvèrent des protecteurs auprès de ses
compagnons : le Prophète leur accorda sa protection et assura leur
sécurité.
La main de Dieu est posée sur leur main. (Coran, 48, 10.)
Khâlid ibn al-Walîd trahit les Banû Jadhîma Sîra, II, 428-429)
Le Prophète envoya alors Ali auprès des Jadhîma, prenant avec lui une
grande quantité d'argent et de biens. « Va examiner la situation de ces
gens, lui dit-il, et réparer les dommages qu'ils ont subis, sans tenir compte
des usages de la période d'Ignorance qui a précédé l'islam (Jâhiliyya). »
Ali leur paya le prix du sang et répara tous les dommages qu'ils avaient
subis, jusqu'à l'écuelle des chiens. Et, comme il n'y avait plus rien à
réparer et qu'il lui restait encore un peu d'argent, Ali leur demanda :
– N'avez-vous plus rien à réclamer ?
– Non, répondirent-ils.
– Eh bien, je vous donne ce reste d'argent, au nom du Prophète, pour
d'éventuelles réparations que vous n'avez pas maintenant à l'esprit et qui
seraient signalées au Prophète.
Ali revint auprès du Prophète et lui rendit compte de sa mission. Ce
dernier approuva la conduite d'Ali et l'en félicita. Puis il se leva, se
dirigea vers la Ka'ba, leva les bras très haut vers le ciel et dit : « Seigneur
Dieu, je te demande pardon pour ce qu'a fait Khâlid ibn al-Walîd. » Et il
répéta cette prière trois fois.
Tandis que le Prophète s'était levé pour faire une prière à Çafa1, les
Ançâr étaient réunis autour de lui. Ils chuchotaient entre eux que, peut-
être, le Prophète, maintenant que Dieu lui avait ouvert sa terre et son
pays, allait y demeurer. Quand il eut terminé sa prière, le Prophète leur
demanda :
– De quoi parliez-vous ?
– Oh ! de rien, Envoyé de Dieu.
– Mais si, mais si, vous disiez quelque chose.
– Nous craignions que tu ne retournes plus à Médine.
– Dieu m'en garde ! les rassura-t-il. Je vivrai à jamais parmi vous et je
mourrai chez vous.
Le Prophète séjourna à La Mecque quinze nuits, après l'avoir conquise.
Cette prise eut lieu le dix-huit du mois de ramadân de l'an 8 de l'Hégire.
Hârith ibn Mâlik racontait : nous partîmes avec l'Envoyé de Dieu pour
Hunayn, près de Tâ'if. À cet endroit, les païens parmi les Quraych et les
autres tribus arabes avaient un grand arbre toujours vert qu'ils appelaient
Dhât anwât, l'arbre aux crochets. Ils y venaient tous les ans en
pèlerinage. Ils y suspendaient leurs armes, ils lui offraient des sacrifices
et passaient la journée tout autour de l'arbre2. Hârith poursuivait : en
cours de route, nous vîmes un bel arbre de lotus tout vert et, comme nous
venions à peine de quitter le paganisme, plusieurs voix parmi nous
s'élevèrent de toutes parts pour demander au Prophète de nous instituer, à
nous aussi, un arbre sacré auquel nous puissions suspendre nos armes et
offrir des sacrifices, comme nous le faisions naguère. Le Prophète nous
répondit, un peu surpris : « Vous me faites, je le jure, une demande
pareille à celle que le peuple de Moïse lui fit :
“; Ô Moïse ! Fais-nous un dieu semblable à leurs dieux. ”
Il dit : “; Vous êtes un peuple ignorant. ” » (Coran, 7, 138.)
Les dépouilles d'un homme tué reviennent à celui qui l'a tué Sîra, II, 448-
452)
Tandis que les Hawâzin étaient en fuite, Rabî'a, appelé Ibn ad-
Dughunna, du nom de sa mère, rattrapa un chameau chargé d'un
palanquin. Croyant qu'il s'agissait d'une femme, il saisit les rênes du
chameau et le fit agenouiller. Quelle ne fut pas sa surprise de se trouver
en face d'un vieillard aux cheveux blancs : le poète Durayd ibn aç-
Çumma était assis dans le palanquin.
– Que me veux-tu ? lui demanda Durayd.
– Je veux te tuer, répondit le jeune homme, qui ne l'avait pas reconnu.
– Mais qui es-tu ?
– Je suis Rabî'a, appelé Ibn ad-Dughunna, des Sulaym.
Le jeune homme lui donna un coup de sabre, qui n'eut aucun effet.
– Quelle mauvaise arme t'a donnée ta mère ! Va prendre mon sabre
dans la selle arrière de mon chameau et frappe-moi. Évite les os et vise
au-dessous du crâne. C'est ainsi que j'abattais les hommes. Puis, lorsque
tu retourneras voir ta mère, tu lui diras que tu as tué Durayd ibn aç-
Çumma, qui a tant de fois protégé les femmes des Sulaym.
Rabî'a frappa le vieillard, qui s'écroula. Dans sa chute, son dos se
découvrit et le jeune homme vit que les fesses de Durayd et l'intérieur de
ses cuisses étaient tannés, à force d'être monté sur les chevaux sans selle.
Il revint raconter à sa mère qu'il avait tué Durayd ibn aç-Çumma. Et sa
mère de lui dire : « En effet, ce héros des Hawâzin a libéré trois de tes
mères. »
Le Prophète interdit de tuer les faibles et les gens sans défense Sîra, II,
457-458)
Le Prophète passa près d'une femme qu'avait tuée Khâlid ibn al-Walîd.
– Qui a tué cette femme ? demanda-t-il.
– C'est Khâlid, lui répondit-on.
Il ordonna alors à l'un de ses compagnons : « Va donc dire à Khâlid :
“; L'Envoyé de Dieu t'interdit de tuer les enfants, les femmes et les
esclaves ”. »
Abû Sufyân ibn Harb et Mughîra ibn Chu'ba s'avancèrent vers les
remparts et crièrent aux Thaqîf : « Nous voulons vous parler : promettez-
nous la vie sauve. » Les Thaqîf s'y engagèrent. Les deux négociateurs
demandèrent à rencontrer quelques femmes des Quraych vivant à Tâ'if,
dont Âmina et Maymûna, deux filles d'Abû Sufyân. Mais les femmes
refusèrent de répondre à leur demande. À ce moment, Ibn al-Aswad
s'avança et leur dit : « Abû Sufyân et Mughîra, voulez-vous que je vous
indique un moyen de négocier avec les Thaqîf bien plus efficace que
celui que vous venez de tenter ? Sachez que le vignoble des Banû-l-
Aswad est le plus beau, le plus riche en raisin et le plus long à cultiver. Si
Muhammad le fait couper, il ne repoussera pas avant longtemps. Parlez-
en à votre chef : il peut s'en servir, comme il peut en partager la récolte
avec Dieu et avec sa parenté. Car il ne peut ignorer les liens de parenté
qui nous unissent. » On raconte que le Prophète renonça à l'idée de
détruire ce vignoble.
La conversion de Mâlik ibn 'Awf, le chef des Thaqîf Sîra, II, 491-492)
Les Ançâr mécontents du partage fait par le Prophète Sîra, II, 493-500)
Pendant plusieurs mois après la mort de 'Urwa, les Thaqîf restèrent sur
leurs positions. Mais, comme ils voyaient les Arabes autour d'eux se
rallier à Muhammad et se convertir à l'islam, ils se concertèrent et se
dirent : il est clair qu'aucun de nos troupeaux ne peut sortir d'ici sans
dommage et qu'aucun d'entre nous ne peut s'éloigner d'ici en sécurité.
Nous ne pouvons pas soutenir une guerre contre Muhammad. Ils
décidèrent donc d'envoyer un ambassadeur auprès de lui et proposèrent
cette mission à 'Abd Yâlîl ibn 'Amr. Mais il la refusa, craignant d'avoir à
subir le sort de 'Urwa. Sur leur insistance, il accepta enfin d'y aller,
accompagné de cinq autres hommes, représentant chacun son clan. 'Abd
Yâlîl était le chef et le conseiller de cette ambassade.
Ils descendirent à Qanât, à proximité de Médine. Ils y trouvèrent
Mughîra ibn Chu'ba, qui menait paître – c'était son tour de garde – les
montures des compagnons du Prophète. Ces derniers se relayaient en
effet régulièrement dans cette tâche. Dès qu'il vit la délégation des
Thaqîf, il laissa les montures sous leur garde et courut annoncer la bonne
nouvelle au Prophète. Abû Bakr le rencontra juste avant son entrée chez
le Prophète et lui demanda : « Je t'en supplie au nom de Dieu, Mughîra,
laisse-moi le plaisir d'annoncer moi-même cette nouvelle au Prophète. »
Mughîra accepta et ce fut Abû Bakr qui porta cette nouvelle à la
connaissance du Prophète.
Mughîra repartit auprès de la délégation des Thaqîf. Il déjeuna et fit la
sieste de midi avec eux. Il leur enseigna la manière de saluer le Prophète,
mais ils tinrent à conserver le rituel de salutation d'avant l'islam. Ils se
présentèrent alors au Prophète, qui leur fit dresser une tente dans un coin
de sa mosquée. Au cours des négociations, c'était Khâlid ibn al-'Âç qui
faisait la navette entre eux et le Prophète. Ils ne prenaient aucune
nourriture offerte par le Prophète avant que Khâlid n'y ait goûté. Les
entretiens aboutirent à leur conversion à l'islam. C'est encore Khâlid qui,
de sa main, rédigea le document de l'accord conclu entre eux et le
Prophète.
Parmi les questions posées, les Thaqîf demandèrent au Prophète de les
laisser garder leur divinité al-Lât pendant trois ans avant de la détruire. Il
refusa. Ils lui demandèrent un délai de deux ans puis d'un an, et le
Prophète refusait toujours. Enfin, ils demandèrent le délai d'un seul mois,
à compter de la date de leur retour à Tâ'if. Ils cherchaient ainsi à se
protéger de la réaction de leurs femmes et de celle de quelques excités :
ils ne voulaient point susciter de troubles dans leur tribu avant que l'islam
ne se répande parmi eux. La délégation demanda aussi au Prophète de les
dispenser de la prière tant qu'al-Lât était honorée chez eux. Il refusa
encore : « Une religion sans prière n'en est pas une, leur dit-il. » Ils
demandèrent enfin de ne pas avoir à détruire eux-mêmes de leurs propres
mains leurs idoles. Cette tâche-là, il les en dispensa.
La délégation des Thaqîf se convertit donc à l'islam et garda le
document de l'accord conclu avec le Prophète. Celui-ci désigna à leur tête
'Uthmân ibn Abû-l-'Âç, qui était le plus jeune parmi eux, mais le plus
assidu à apprendre la théologie musulmane et à réciter le Coran. Le
Prophète lui fit les recommandations suivantes : « Sois indulgent pour la
prière : prends la mesure des gens en partant du plus faible d'entre eux.
N'oublie pas qu'il y a parmi eux le vieillard et l'enfant, le faible et le
nécessiteux. » Les problèmes étant réglés et les Thaqîf sur le point de
repartir dans leur pays, le Prophète envoya avec eux Abû Sufyân et
Mughîra ibn Chu'ba, avec mission de détruire le temple d'al-Lât. Ils
partirent donc avec la délégation et, dès leur arrivée à Tâ'if, ils se mirent à
l'œuvre à coups de hache et de pioche. Les femmes des Thaqîf sortirent la
tête nue, pour pleurer la perte de leur déesse. Ayant achevé leur tâche, les
deux émissaires du Prophète emportèrent les biens d'al-Lât et ses bijoux
d'or et de perles du Yémen.
Une délégation des Banû 'Âmir partit auprès du Prophète. Parmi eux se
trouvaient 'Âmir ibn Tufayl, Arbad ibn Qays et Jabbâr ibn Salma. Ces
trois hommes étaient les chefs de la tribu et ses véritables satans. 'Âmir
venait chez Muhammad avec l'intention de le tuer par trahison. Les gens
de sa tribu lui avaient dit :
– 'Âmir, tous les gens se sont convertis à l'islam. Fais comme eux.
– J'aurais souhaité avant de mourir que les Arabes soient derrière moi
et me suivent. Et maintenant vous voulez que je sois soumis derrière ce
jeune homme des Quraych !
Puis il dit à Arbad : « Lorsque nous serons chez cet homme,
j'occuperai son attention et lui ferai détourner de toi son visage. À ce
moment-là, tu le domineras avec ton sabre. » Arrivés chez le Prophète,
'Âmir lui dit :
– Muhammad, je voudrais te parler en tête à tête.
– Non, répondit le Prophète, tant que tu n'auras pas cru en Dieu,
l'Unique.
'Âmir répéta trois fois sa demande et trois fois le Prophète la lui refusa.
'Âmir repartit en lançant cette menace : « Je remplirai la terre de chevaux
et d'hommes contre toi. » Et le Prophète dit à son départ : « Seigneur
Dieu, débarrasse-moi de 'Âmir ibn Tufayl. »
La délégation des Banû 'Âmir repartit dans son pays. En cours de
route, Dieu affligea 'Âmir de la peste et il en fut terrassé. Après l'avoir
enterré, ses compagnons rentrèrent chez eux. Les gens de leur tribu leur
demandèrent :
– Quelle nouvelle rapportez-vous ?
– Vraiment rien, répondit Arbad. Muhammad nous a demandé d'adorer
quelqu'un, que je tuerai à coups de flèches s'il tombe un jour dans mes
mains.
C'était la saison d'hiver. Un jour ou deux après avoir dit cela, Arbad
sortit de chez lui, tirant son chameau derrière lui. Dieu fit tomber sur eux
la foudre, qui les brûla lui et son chameau. Arbad ibn Qays était, par sa
mère, le frère du poète Labîd ibn Rabî'a. Ce dernier fit dans un poème le
panégyrique de son frère.
Furwa ibn Musayk des Murâd vint auprès du Prophète pour affirmer
son opposition aux rois de Kinda. En effet, avant l'islam, il y eut entre les
Murâd et les Hamdân une bataille sanglante, la bataille de Radm, où les
Hamdân avaient décimé les Murâd. Le Prophète demanda à Furwa :
– N'es-tu pas mécontent de ce qui est arrivé à ton peuple à la bataille
de Radm ?
– Qui donc, ayant subi ce que mon peuple a subi, n'en serait pas
mécontent ?
– Ton peuple ainsi frustré n'en sera que plus content dans l'islam.
Le Prophète désigna Furwa comme gouverneur de l'ensemble des
tribus de Murâd, de Zubayd et de Madhhij. Il envoya avec lui, pour
collecter l'aumône, Khâlid ibn al-'Âç. Ce dernier resta avec lui au Yémen
jusqu'à la mort du Prophète.
Puis vint auprès du Prophète 'Amr ibn Ma'dîkarib, à la tête d'une
délégation des Banû Zubayd. Ils se convertirent à l'islam, mais, à la mort
du Prophète, ils revinrent à leur ancienne religion.
Vint aussi auprès du Prophète Ach'ath ibn Qays, à la tête d'une
délégation de quatre-vingts hommes montés sur des chameaux. Ils
entrèrent chez le Prophète, les cheveux peignés et les yeux maquillés de
kohl. Ils portaient des manteaux de tissu yéménite bordés de soie.
– Ne vous êtes-vous pas convertis à l'islam ? leur demanda le Prophète.
– Si, nous nous y sommes convertis.
– Pourquoi donc toute cette soie à vos cous ?
Ils arrachèrent la soie de leurs manteaux et la jetèrent par terre.
Vint aussi auprès du Prophète Çurad ibn Abdallah, à la tête d'une
délégation des Azd. Ils se convertirent sincèrement à l'islam. Le Prophète
nomma Çurad comme gouverneur des musulmans de sa tribu et lui
ordonna de combattre avec eux pour amener à l'islam ses voisins païens
du Yémen. Çurad s'attaqua aux gens de Jurach. Il fit le siège de la ville
pendant près d'un mois puis il repartit, abandonnant le siège. Les gens de
Jurach sortirent à sa poursuite. Il se retourna contre eux et en massacra un
grand nombre. Par la suite, une délégation de Jurach alla auprès du
Prophète et ils se convertirent à l'islam.
Un messager porte au Prophète une lettre des rois de Himyar Sîra, II,
588-591)
Je me confie en lui ;