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L’homme peut-il se passer de religion ?

(https://ggpphilo.files.wordpress.com/2015/05/croire-58bc1.jpg)Éric Rohmer, Conte


d’hiver, 1992.

Exemple d’introduction

La religion n’a plus aujourd’hui l’importance qu’elle avait auparavant. D’une part, l’époque
contemporaine est marquée par le progrès scientifique et le développement technique, ainsi
que par une certaine libéralisation des mœurs. D’autre part, dans la sphère publique, le
principe de laïcité prévaut : les croyances religieuses sont reléguées dans la sphère privée, et
ne sont donc plus une affaire d’État. Dans ce contexte, les individus ont tendance à délaisser la
religion, comme en témoigne, d’une manière générale, le nombre croissant d’athées ou
encore d’agnostiques. Faut-il en conclure que la religion appartient à un passé désormais
révolu, et que l’homme peut s’en passer ?

Une telle conclusion serait beaucoup trop hâtive pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il faut
remarquer que la situation actuelle est une exception historique  : aux yeux des
anthropologues, la religion apparaît comme une composante essentielle de toute culture

humaine. Rajoutons que, si les phénomènes religieux déclinent aujourd’hui, ils ne


disparaissent pas pour autant : l’actualité fournit de nombreux exemples qui témoignent, de
manière contradictoire, à la fois du déclin de la religion et de son retour. Il faut donc
s’interroger pour savoir si l’homme est par nature « un animal religieux ». Est-il prédisposé à
nourrir des croyances religieuses ? La religion est-elle essentielle à l’homme ?

Encore faut-il s’entendre sur le mot «  religion  »  : selon l’usage le plus courant du terme, on
désigne par religion un ensemble de croyances et de rites, en rapport à une puissance
transcendante ou divine. Prise au sens strict, l’idée de religion renvoie donc à l’idée de dieu.
On pourrait néanmoins se demander si la religion se réduit à cette croyance en dieu, et si les
hommes, à défaut de croire en dieu, n’ont pas toujours certaines croyances.

***

Plan possible

1. La religion est essentielle à l’homme

a) La religion comme constante anthropologique. Il est difficile de nier que la religion est un
fait humain universel. Au même titre que le langage, elle est l’un des éléments constitutifs de
toute culture et de toute société. Cf. par exemple, Bergson: «  On trouve dans le passé, on
trouverait même aujourd’hui des sociétés humaines qui n’ont ni science, ni art, ni philosophie.
Mais il n’y a jamais eu de société sans religion » (Les deux sources de la morale et de la religion,
1932, chapitre II). Certes, il y a des religions  : d’une culture à l’autre, les croyances et les
pratiques sont très variées. Mais cette diversité ne remet pas en cause l’universalité des
phénomènes religieux. La religion apparaît, au cours de l’histoire, comme une constante
anthropologique, à tel point qu’on pourrait croire que c’est dans la nature de l’homme d’être
religieux. Sans doute est-ce lié au fait que l’homme, contrairement à l’animal, sait qu’il est

mortel. Il est conscient de sa finitude.

b) Les fonctions de la religion. cf. Freud, Nouvelles conférences sur la psychanalyse (1915-
1917). Si la religion a autant d’importance dans la vie des hommes, c’est parce qu’elle remplit
une triple fonction. 1) Une fonction théorique  : «  elle satisfait la curiosité humaine et c’est
d’ailleurs par là qu’elle entre en conflit avec la science ». 2) Une fonction psychologique : elle
contribue à « apaiser la crainte de l’homme devant les dangers et les hasards de la vie » et « à
lui apporter quelque consolation dans les épreuves  ». 3) Une fonction morale et politique  :
elle « formule des préceptes, des interdictions, des restrictions ». Ainsi, la religion répond aux
besoins de l’individu : elle apporte des réponses aux questions qu’il se pose, elle apaise ses
peurs, et le guide dans sa vie en lui donnant des repères. Mais elle sert aussi les intérêts de la
société : dans la mesure où les individus partagent les mêmes croyances, ils sont à la fois reliés
à leur dieu et reliés entre eux ; ils obéissent aux mêmes lois, et craignant une sanction divine,
ils ont davantage de scrupules à désobéir.  Grâce à la religion, la société consolide donc son
ordre et son unité.
Transition. Mais, même si la religion est l’une des caractéristiques essentielles de l’humanité, 
force est de constater qu’elle n’est pas indispensable. Certains individus (les athées et les
agnostiques) vivent apparemment très bien sans religion. De même, certaines sociétés (les
sociétés modernes) ont, semble-t-il, réussi à s’en passer.

2. On peut concevoir l’humanité sans religion.

a) L’affaiblissement de la fonction théorique, de la fonction politique et de la fonction morale.


D’une part, pour répondre aux questions qu’il se pose, l’homme ne se tourne plus vers la
religion, mais vers la science. Cf. par exemple, Bertrand Russell : «  Entre la science et la
religion a eu lieu un conflit prolongé, dont, jusqu’à ces dernières années, la science est
invariablement sortie victorieuse » (Science et religion, 1935, chapitre 1). Les résultats de la
science ont fini par discréditer la religion. D’autre part, l’homme n’a plus besoin de la religion,
ni sur le plan politique, ni sur le plan moral. Dans les démocraties représentatives modernes,
le pouvoir politique ne dépend plus de la religion : sa légitimité ne vient plus de dieu, mais du
peuple. Du fait des tensions qu’elle peut alimenter au sein de la société civile, la religion tend
à devenir une affaire seulement privée : elle n’a plus pour rôle de fonder le lien social. Les
sociétés modernes sont très largement sécularisées. Cf. Durkheim : «  s’il est une vérité que
l’histoire a mise hors de doute, c’est que la religion embrasse une portion de plus en plus
petite de la vie sociale » (De la division du travail social, 1893). De même, sur le plan moral, le
rôle de la religion est de plus en plus faible : l’homme laisse de moins en moins la religion lui
dicter ce qu’il doit faire. On peut concevoir une morale sans fondement religieux. Cf. la
morale de Kant et la morale utilitariste  de Bentham et Mill. Ces morales, aussi opposées
soient-elles par ailleurs, ont un point commun  : c’est la raison, et non plus dieu, qui définit
désormais le bien, qui énonce le devoir moral.

 b) Vivre sans illusions. Reste la fonction psychologique. Selon Freud, c’est cette fonction qui
peut expliquer l’universalité et la permanence de la religion au cours de l’histoire : malgré le
progrès scientifique et la sécularisation de la société, les croyances religieuses se
maintiennent, parce qu’elles sont des illusions – c’est-à-dire des croyances générées par des
désirs : « le secret de leur force est la force de ces désirs » (L’avenir d’une illusion, chapitre
VI).  À l’origine de la foi, il y a, selon Freud, la détresse infantile – sentiment d’angoisse
éprouvé par tout enfant en bas âge face au monde et à ses dangers – qui fait naître un désir
de protection : ce désir, loin de disparaître, persiste à l’âge adulte. L’homme religieux croit en
dieu, parce qu’il désire très fortement que celui-ci existe : il a besoin de se sentir protégé.  Or,
l’homme n’est pas par nature un être religieux : il peut vivre sans religion ; tout dépend de
l’éducation qu’il reçoit. Cf. L’avenir d’une illusion, chapitre IX. Freud envisage une disparation

prochaine de la religion : l’humanité peut guérir de sa névrose et apprendre à vivre de
manière autonome, en acceptant sa finitude, et sa place dans le monde, aussi difficile soit-il à
première vue. La psychanalyse pourrait contribuer à une telle libération.

c) Vers la fin de la religion. Le même espoir est nourri par Marx.  Son interprétation des
phénomènes religieux est pourtant différente. Selon lui, ce qui explique le besoin de religion,
c’est d’abord l’injustice sociale. Cf. « la religion est  l’opium du peuple » (Pour une critique de la
philosophie du droit de Hegel). Comme la religion est un produit de la société, pour la faire
disparaître, il suffirait de changer la société, et en particulier, les rapports économiques et
sociaux qui la structurent. Cf. Le capital (1872): « La vie sociale (…) ne sera dégagée du nuage
mystique [de la religion] qui en voile l’aspect, que le jour où s’y manifestera l’œuvre
d’hommes librement associés, agissant consciemment et maitres de leur propre mouvement
social » (Livre I, tome 1, section 1) . En d’autres termes, il faut attendre la révolution.

Transition. On pourrait se demander si les analyses de Marx et de Freud n’ont pas tendance à
simplifier le problème et à verser dans l’optimisme.  Elles ont aussi le tort de réduire la
li i à d f li i l à d é i i l
religion à des facteurs non-religieux, en l’occurrence, à des causes économico-sociales et
psychologiques.

3. Dieu est mort ? Vive Dieu. Les nouvelles formes de religiosité.

  a) Le besoin de croire. «  L’homme areligieux à l’état pur est un phénomène plutôt rare…  »
(Mircéa Eliade). Si les hommes accordent de moins en moins d’importance aux religions
traditionnelles, il n’en demeure pas moins qu’ils conservent certaines croyances, parfois, à
leur insu. Les athées sont des croyants qui s’ignorent. Peu importe ce qu’on croit, tant qu’on
croit : à défaut de croire en dieu, on peut croire, par exemple, à la science, à la démocratie ou
encore à l’argent et au travail. Si « dieu est mort », pour reprendre la formule de Nietzsche,
d’autres objets ont pris sa place. Cf. Le gai savoir, § 347 : «  Les croyants et leur besoin de
croyance ».

b) La religion est une hydre. On pourrait se demander si toute tentative pour sortir de la
religion ne conduit pas à la mise en place d’une nouvelle religion. Selon Jacques Ellul (Islam
et judéo-christianisme, 2004), rien ne peut détruire la religion, car « ce qui la met en question
est aussitôt promu à sa place et objet d’une croyance religieuse à son tour. (…) La puissance
qui désacralise, un lieu, un conseil, une religion, est aussitôt à son tour sacralisée. Il en est
exactement de même pour tout ce qui prétend détruire une croyance. La force destructrice
devient aussitôt l’objet de la croyance » (cité par Jacques Bouveresse, dans son livre Peut-on
ne pas croire ? Sur la vérité, la croyance et la foi, 2007, p.195-196). Freud, dans le dernier
chapitre de L’avenir d’une illusion, développe une analyse semblable : pour se débarrasser de
la religion, il faudrait quelque chose qui finirait par s’apparenter à une religion. Les
rationalistes athées vénèrent leur propre dieu – le  « dieu Logos » (chapitre X).

c) Sortie de la religion et permanence du religieux. Un fait est, certes, indéniable : la religion


n’est plus au fondement de la société. Il y a néanmoins une religion, en quelque sorte,
«  résiduelle  », chez les individus, car les préoccupations spirituelles et les interrogations
métaphysiques n’ont pas disparu. Cf. Marcel Gauchet : «  La religion considérée comme
proposition sur l’invisible, sur un autre ordre de réalité que celui qui est immédiatement
accessible, n’a aucune raison de disparaître parce qu’elle a ses racines dans la structure de
l’esprit humain ; il y aura toujours des gens religieux » (La condition historique, 2003, p.308-
309). Si l’homme peut se passer de religion au sens strict, il ne peut pas se passer de
spiritualité : à titre individuel, il continuera à croire.

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