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POÉSIE

Aurélien Galateau, « Thomas Kling, une oralité, une intensité et une acuité de tous
les instants »

Yann Miralles
© Armand Colin | Téléchargé le 30/10/2020 sur www.cairn.info par via Université de Reims Champagne-Ardenne (IP: 62.35.94.11)

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Armand Colin | « Le français aujourd'hui »

2020/2 N° 209 | pages 133 à 140


ISSN 0184-7732
ISBN 9782200933234
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2020-2-page-133.htm
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“FA-209” (Col. : Le Français aujourd’hui) — 2020/5/14 — 12:35 — page 133 — #131
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CHRONIQUE « POÉSIE »

AURÉLIEN GALATEAU, « THOMAS KLING,


UNE ORALITÉ, UNE INTENSITÉ ET
UNE ACUITÉ DE TOUS LES INSTANTS »
Yann MIRALLES

Dans deux chroniques précédentes, Yves Di Manno et Florence Trocmé


témoignaient chacun à leur manière de leur « grand attachement aux
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langues et aux questions de traduction, qui revêtent un caractère très
spécifique quand il s’agit de poésie »1 . Il semblait donc logique d’inter-
roger aujourd’hui un praticien de cette « activité de langage » qu’est la
traduction, surtout quand cette « logique » se double d’un étonnement
et d’un vif intérêt. Agrégé de mathématiques, maitre de conférences à
l’université de Franche-Comté (Laboratoire de mathématiques, spécia-
lité « Algèbre et Théorie des Nombres »), Aurélien Galateau semble à
première vue assez éloigné du profil-type du traducteur de poésie (mais
un Henri Meschonnic avait déjà fait fi des classifications sociologiques
comme de l’idéalisme ou du dualisme qui s’attachent à l’activité du
traduire, lorsqu’il évoquait le fait que « les meilleurs traducteurs ont été
des écrivains » et que « seul un écrivain est un traducteur [...], il est ce
"créateur" qu’une idéalisation de la "création" ne pouvait pas voir »2 ).
Il est en outre le traducteur d’une œuvre encore trop peu connue en
France, bien que son auteur, le poète allemand Thomas Kling (1957-
2005), ait acquis Outre-Rhin le statut d’auteur « classique »3 . En l’état,
Aurélien Galateau a déjà traduit trois ouvrages (tous publiés pour la
première fois en français) aux éditions Unes : Manhattan espace buccal
(2015), Échange longue distance (2016) et appareil. vision. nocturne.
(2018)4 . Trois livres, trois jalons importants pour découvrir une œuvre

1. Cf. « Florence Trocmé, "tu n’en finis jamais avec les poèmes" », Le français aujourd’hui,
n° 204 ; voir aussi « Yves Di Manno & Isabelle Garron, "un paysage encore mal défriché dans
ses possibles" : les "poésies" contemporaines en France », Le français aujourd’hui, n° 203.
2. Ces mots, tout comme l’expression « activité de langage », proviennent de l’article « D’une
linguistique de la traduction à la poétique de la traduction » repris dans H. Meschonnic,
Pour la poétique II, Paris, Gallimard, Le Chemin, 1973, p. 354.
3. Pour cette appellation, et pour davantage de précisions sur cet auteur, je renvoie au dossier
« Thomas Kling longue distance » dans le n° 2 de la revue Babel heureuse (automne 2017).
On y trouvera un entretien d’Aurélien Galateau (dont je reprends ici quelques passages),
mais également divers articles qui permettent de mieux présenter, situer et analyser l’œuvre
de Thomas Kling, ainsi qu’un riche ensemble de poèmes traduits et de photographies.
4. Au moment de commencer cet entretien [juillet 2019], j’apprends qu’Aurélien Galateau
met justement la dernière main à une traduction d’un nouveau recueil de Thomas Kling,

rticle on line

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Le Français aujourd’hui n° 1, « « La xénophobie à l’école : une discrimination oubliée ? » »

qu’on pressent capitale, et dont on voudrait ici esquisser les contours –


et même en laisser entendre un peu la force.
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Aurélien Galateau Thomas Kling

YM : J’évoque ici un profil de traducteur atypique... Pourrais-tu


parler de ton parcours personnel et de ton gout pour la traduction5 ?
Surtout, peux-tu raconter ta rencontre avec l’œuvre de Thomas Kling et
expliquer ta volonté de la mettre en lumière pour un lectorat français ?
AG : J’ai depuis longtemps une curiosité pour les langues étrangères, que
j’étudie pour communiquer mais aussi pour lire les œuvres littéraires en
version originale. Parmi les professeurs qui m’ont formé et inspiré, Sophie
Aslanides, également traductrice, m’a particulièrement encouragé dans cette
direction. Mes études et mon métier actuel, la recherche en mathématiques,
m’ont permis de faire de longs séjours à l’étranger et de m’immerger dans des
cultures différentes. En parallèle, j’ai développé une activité de traduction
dans les sciences dures, les sciences humaines et la poésie.
Il y a cinq ans, l’éditeur François Heusbourg m’a proposé de travailler
sur la poésie allemande contemporaine. Je me suis penché sur ce champ
qui m’était en grande partie inconnu, et au bout de quelques semaines je
suis tombé sur les poèmes de Thomas Kling. Son écriture et sa personnalité
m’ont rapidement fasciné. J’ai montré quelques traductions anglaises à
François, il a été convaincu et nous nous sommes lancés dans la publication
de ses textes.

crayons combustibles – à paraitre prochainement, toujours aux éditions Unes. Aurélien nous
fait la joie de proposer en fin de chronique un extrait inédit de ce recueil. Grand merci à lui !
5. Aurélien Galateau a par ailleurs traduit – justement ! – le texte d’Hugo Friedrich, L’Art
de la traduction, Nice, Unes, 2017.

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Poésie

YM : François Heusbourg qualifie Thomas Kling d’« archéologue


radical, [de] démiurge pop, savant instinctif, écrivain furieux » (préface
à Échange longue distance) ; tu dis de lui qu’il est à la fois « une sorte de
rock-star » et comme un encyclopédiste anachronique... Peux-tu présen-
ter ce poète qui ne manque pas, lui aussi, d’offrir un profil atypique ?
Comment situer son œuvre dans la poésie allemande contemporaine ?
AG : Thomas Kling s’est fait connaitre au début des années 1980 par
de mémorables lectures de poésie, seul ou avec des musiciens. Héritier
de la poésie expérimentale viennoise (en particulier Friederike Mayröcker
et Reinhard Priessnitz), contemporain des grands artistes de Düsseldorf
(Joseph Beuys, Blinky Palermo, Sigmar Polke), témoin des concerts punk
du Ratinger Hof, il est un des grands artisans d’une sorte de renouveau de
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la poésie allemande à l’heure de la Réunification. Son œuvre, qui entrelace
instantanés intimes et plongées vertigineuses dans les strates linguistiques du
passé, est ancrée dans un présent dont elle tente de préciser le sens. Éditeur
d’anthologies, traducteur, Kling s’efforce de faire connaitre et revitaliser
des pans entiers de la littérature (la poésie latine, les troubadours, l’époque
baroque, les expérimentaux viennois). Dans les dernières années de sa courte
vie, il se retire avec ses archives dans le mirador d’une ancienne base de fusées
à Hombroich, où il écrit ses derniers grands recueils alors que la maladie le
gagne.
poeta en nueva york. regards dirigés vers des photos
satellites, entretiens péninsulaires, courbés sur l’oculaire.
vers des check-lists, la nuque raide, de plan rapproché
en plan rapproché. poeta en nueva york. fissures étroites,
ombres portées, vent. fronts de rues soufflés qu’ébranle
le métro, les lignes de mondrian, la dédicace de palermo.
plan rapproché langue citadine assourdie. ainsi s’écoule ROUILLE
OCULAIRE / CORROSION DU REGARD / RONGÉ PAR LA ROUILLE
EN UN CLIN D’ŒIL / ainsi s’écoule dans un double flux plutôt
dense ainsi s’écoule de toute part sans cesse l’eau jaillie
de la borne incendie ; dans le vent insulaire, presque
insulaire, juste un tas de cailloux aux pieds : hippocrène ?

(Extrait de Manhattan espace buccal)

YM : Ce qui frappe avant tout, c’est la cohérence et le continu qui


s’expriment dans les titres des trois livres de Kling traduits jusqu’à
présent : tous trois sont composés en effet de trois mots (chaque fois
deux noms et un adjectif) et comme un nom amplifié, complété par
un GN en apposition (sans signe de ponctuation entre ces entités –
Manhattan espace buccal , Echange longue distance – ou des points
comme atténués par l’absence de majuscule au début de chaque mot :
appareil. vision. nocturne.). Y a-t-il là un « calque » des titres de recueils
allemands, ou une recréation de ta part ? Plus généralement, ces trois

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Le Français aujourd’hui n° 1, « « La xénophobie à l’école : une discrimination oubliée ? » »

livres ont-ils été écrits comme tels par Thomas Kling ou y a-t-il eu une
organisation ou une composition autres pour la traduction française ?
AG : Le titre est un peu à part dans la traduction. J’y réfléchis pendant
que je travaille, j’en discute plusieurs fois avec l’éditeur, et c’est par lui
que je finis. Si la traduction de Manhattan Mundraum n’a pas posé trop
de questions (l’idée étant de convoquer le grand roman de Dos Passos),
j’ai eu quelques hésitations pour Fernhandel qu’on aurait aussi pu traduire
par Échange lointain. Le rythme et la similitude avec le premier titre ont
certainement joué un rôle. Pour nacht.sicht.gerät., il était difficile de ne pas
préserver la ponctuation, même si la syntaxe française inverse l’ordre des
mots et ajoute théoriquement une préposition. Mais cela servait l’imaginaire
d’un instrument technique donnant une perception altérée des objets. Cette
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homogénéité des titres me plaisait bien, mais le prochain recueil, crayons
combustibles, va interrompre la série.
Les poèmes sur Manhattan ne constituent pas un recueil à proprement
parler. Ce sont deux cycles écrits avant et après les attentats du 11 septembre,
qui nous semblaient être une bonne introduction (bilingue) à la poésie de
Kling pour le lecteur français. Au même moment est paru en Allemagne
un ouvrage sur la genèse de ces poèmes, qui m’a aidé dans mon travail
et nous a en quelque sorte confortés dans ce choix éditorial. Maintenant
que la machine est lancée, je traduis les recueils complets en espérant faire
connaitre en France une partie significative de l’œuvre de Kling.

ACTEON 3

goulash de cerf. la balle, résonnant, son sifflement dans le versant aux


mélèzes.
nous pouvions tout juste l’entendre. nous ? attablés. la montagne fumante.
en face, tout près, à proximité du fleuve, où Actéon a mordu la poussière.

lambeaux. arqués dans la fumée, tas de cerf dans l’assiette. fumée


qui s’élève du sol retourné, poussière des naseaux, sueur.
corps sur tapis d’aiguilles. toute la poussière au loin et le plat

fumant, le fleuve ; cliquetis de moteur, assez près, dans quelque chose


comme : brame, fracas, turbo-grondement. puis dans le grondement de
l’air une incision est faite, pistes sectionnées. Echo apparait. la marque

fraiche est aspirée comme un rien ! nous nous agenouillons sur le cerf, nous
l’observons de près, nous tirons ça au clair avec les morts : une image partie
en
fumée prend forme. saliver sur le cerf. gémissant. langue, tendons, dents.
(Extrait de Echange longue distance)

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Poésie

YM : La poésie de Thomas Kling, par son art de la coupe, du


mélange des registres, des langues ou des dialectes, par ses « altérations
linguistiques » (c’est ton expression), semble à première vue « difficile ».
Cette notion de « difficulté » te semble-t-elle avoir une pertinence pour
l’activité du traduire ? Est-elle pertinente, surtout, pour parler des
poèmes de Kling ? Je pense par exemple à sa manière d’user des signes
de ponctuation (dans la section « Carnet d’errance alpine », le poète dit
précisément, et peut-être avec humour : « orthographe et ponctuation
n’ont été modernisées qu’avec précaution »)...
AG : Je crois que la poésie de Kling est difficile pour le lecteur allemand, et
qu’elle est également difficile à traduire. Il faut composer avec d’éventuelles
« altérations », qui peuvent provenir de dialectes, d’argots, d’archaïsmes, de
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« transmissions imparfaites », avec des découpages et des syntaxes inattendus,
ou encore avec des jeux encyclopédiques brassant toutes sortes de corpus. Le
risque de ne pas rendre de façon satisfaisante la poésie de Kling en français
est toujours présent.
Cette difficulté linguistique est contrebalancée par une oralité, une
intensité et une acuité de tous les instants qui permettent de maintenir
l’attention en éveil. L’usage singulier de la ponctuation, s’il peut déconcerter
au premier abord, permet aussi de rendre les mouvements et les intonations
du texte. Kling met à plat certaines conventions pour revitaliser la langue,
et s’il faut s’accrocher pour le suivre, on en est souvent récompensé.

crevassé. restes d’espèces, errantes. errant


jardin de restes alpins ; sans bruit, si personne
ne trébuche, vue plongeante ; machines fumi-
gènes lancées à pleine errance, absences de bruit
en vo. ici on dit : tablôdedévotion ballotté
par le vent et, voir plus haut, paroi-premier-
choix (« allez, inscris-toi »), litanie d’a-
rnica (« litanie d’arnica ? »), chasseurs
de chamois sur-le-laptop.
(Extrait d’appareil. vision. nocturne)

YM : Pour finir, une question plus générale. Dans un entretien récent,


Yves Di Manno insistait sur « l’importance du travail du traducteur
dans la redéfinition de la poésie en France durant ce demi-siècle ». Que
peut apporter, selon le traducteur et lecteur de poésie que tu es (et
donc en tant que tel « écrivain »), l’œuvre de Kling à la poésie française
actuelle ?
AG : À l’heure où nos vies sont redéfinies à grande vitesse par la technologie,
où notre rapport au monde passe par le traitement d’une grande quantité
de données et d’informations, la poésie doit se confronter à ces grandes
questions, ce qui suppose de trouver un langage et un point de vue adapté.
Kling a été assez précurseur dans la réflexion poétique sur la médiation

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Le Français aujourd’hui n° 1, « « La xénophobie à l’école : une discrimination oubliée ? » »

et la technique. Son travail se confronte aux supports mémoriels, qu’il


s’agisse de l’écriture, de la photographie ou de l’image animée, en essayant
de reconstituer leur cheminement dans le temps long de l’histoire humaine.
La poésie a toujours joué un rôle central dans le geste mémoriel. Je pense
que de nombreux poètes, en France ou ailleurs, réfléchissent à cela et Kling
peut leur donner des idées. Kling a eu la chance d’avoir un lectorat, un
public pour ses performances, une place dans les grands journaux pour des
recensions de qualité. J’espère aussi voir un jour la poésie retrouver ce statut
en France, et l’exemple allemand montre que cela n’exclut pas forcément
des auteurs exigeants.

LES DEVASTES. UN CHANT


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1
cœur sous cuirasse. lourdeur.
artillerie.
talus de lourds pavots re-
poussés ; nous avons eu des heures des
ans oui des années d’avalanches. nous
restions plantés, nous planteurs de ba-
ïonnettes. les rigoles de sang, nous les
avons connues.

2
NOUS CAMPIONS SUR DES POSITIONS SOMMAIRE. NOUS
PLANTIONS LA MORT. NOUS CULTIVIONS LE CHANT/NOUS
PLANTEURS D’UN ETERNEL PAVOT/QUI POUSSAIT DE
NOS TÊTES NOUS DANS LE CHANT NOUS APPELIONS
CA : cœur sous cuirasse ! + à pleins poumons,

3
sommeil de rats. j’étais donc allemand, serbe,
français ; nous nous nous. NOUS AJUSTIONS
nos baïonnettes, côte à côte et chantions pour
le pavot du talus ≪ peur de mourir ?,

4
oui. : 2 fois :
quand dans la vingtaine je risquais d’être entrainé

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Poésie

au large ; quand la mer a failli me prendre. + :


ATTAQUE D’INFANTERIE/bataille d. la putna ; ch-
ants russes la nuit encore à 88 ans. leur chant
d’en face ; seule la rivière nous séparait
après notre transfert à hermannstadt (‘16). ≫

5
cœurs sous une épaisse cuirasse. notre lourdeur.
artillerie ainsi le jour se lève sur une nuit de rats.
nuits nuits rats nuisants dans le pavot du talus de
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rats. nous sommes encore NOUS ETIONS SOUS LA
BLANCHE (yiddish, la lune) nous y étions,
NOUS ALERTIONS, CHANT EN PURE PERTE

6
sous une lune de rats sommeil court insomniaques
experts en meurtres ; NOUS AFFUTIONS les pelles et
nous exercions sur des chats vivants ; nous des rats
entrainés comme des rats. nous NOUS SOUDIONS des
poings américains ; NOUS SOUDIONS de tous cotés VENEZ
DANS NOTRE MUSEE de tous côtés la morgenstern des
guerres des paysans. là, bataille de tranchées, abattis,

7
le soleil s’estompait, langé dans la brume, brume d’artillerie
dans le pavot du talus, à peine pouvons-nous, à 88, fourrer nos
griffes pleines de comprimés dans notre petite bouche jaunâtre.

8
NOUS JURIONS sur nos schrapnels, regards jaillissant d’orbites
traumatisées entièrement saccagées sur nos vies notre
histoire.
calibre. choeur d’armée : (« NOUS ENTENDIONS
calibre. CHANTER LES
calibre. PETITS ANGES »)

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Le Français aujourd’hui n° 1, « « La xénophobie à l’école : une discrimination oubliée ? » »

9
champs cultivés, des années plus tard, vert-de-gris ;
ton soc, paysan, grince sur les douilles, les crâ-
nes, les éclats de grenades. ça grince dans ton
sommeil, sommeil de rat inapaisé. rouge vif
il fleurit le pavot du talus dans ton cœur, dans
ta cuirasse, où nulle sœur ou mère ne t’écoute ne
t’entend ; la blanche brille dans le pavot des tranchées,
lourdeur d’enfer, tonnerre d’artillerie qui laboure
tes rêves des ans des décennies plus tard et lourdeur,
lourdeur lourdeur (!!!). .
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(Ouverture de crayons combustibles, inédit).

Yann MIRALLES

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