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LA CROIX SANS PEINE

Dominique Jardin

Grand Orient de France | « La chaîne d'union »

2015/1 N° 71 | pages 34 à 47
ISSN 0292-8000
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-chaine-d-union-2015-1-page-34.htm
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Jean-Pie Robillot
Illustration
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DOSSIER

SYMBOLES RARES ET INSTRUCTIFS

LA CROIX SANS PEINE

PAR DOMINIQUE JARDIN

LL a franc-maçonnerie a emprunté au champ religieux, dès le 18 e siècle,


de nombreux motifs – dont la croix sous plusieurs formes – qu’elle a
transformés et auxquels elle a donné parfois un tout autre sens. Il convient
d’y porter attention, même si de nombreux maçons, notamment au Grand ● 35
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Orient de France, ne s’attendent guère à trouver une croix en loge.
Le motif iconographique de la croix s’élabore dans ses mul-
tiples déclinaisons au Moyen Âge, sous l’influence essentielle du chris-
tianisme et à partir de l’héraldique et de la numismatique1. Beaucoup de
maçons contemporains ne s’attendent guère à trouver le motif de la croix
en loge2. Pourtant, le premier dessin de loge chez les Anciens, représenté
dans Le dialogue de Simon et Philippe (1725), est réalisé sous forme de
croix et le motif va vite devenir commun, en particulier dans les hauts
grades où il « marque » les grades chevaleresques.

La chevalerie maçonnique reste en effet influencée par le


christianisme, voire par les croisades. Cette notion de chevalerie se
retrouve dans les principaux rites que sont les rites Français, Ecossais
Rectifié, Ecossais Ancien Accepté. Chacun d’eux adopte la croix comme
motif symbolique essentiel à un moment ou à l’autre du parcours proposé,
mais les croix présentées ici sont celles de grades qui se construisent en
amont de leur structuration en rites. L’idée qui préside à cet essai de
typologie des motifs recensés est celle de l’emprunt au champ religieux
réalisé par le champ maçonnique au XVIIIe siècle avec parfois des glis-
sements de significations qui autorisent progressivement la projection
sur la croix de tout un discours autre que religieux dans un contexte de
déchristianisation au moins relative des grades à la fin du siècle.

Il ne peut s’agir, dans le cadre limité de cet article, de proposer


une herméneutique3 ou une véritable étude des croix maçonniques, mais

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DOSSIER
plutôt de montrer leur diversité et leur richesse à travers une esquisse de
classement, parfois brièvement énumératif. L’iconographie présentée
s’appuie surtout sur les tableaux de loge et privilégie ceux du XVIIIe siècle4.

Les types de croix recensés dans les différents grades maçonniques


ne se mélangent pas. Très variées de couleurs et de formes, les croix permettent
d’identifier assez surement ces grades, du moins lorsqu’il s’agit des
formes d’origine. A compter du XIXe siècle, les formes ont tendance à se
juxtaposer (plusieurs formes pour un même grade), à se mélanger (croix
pattée, pas très distincte de la croix de Malte), à se substituer les unes
aux autres. Le manque de place nous oblige à ne présenter qu’une
occurrence de chaque type de croix alors qu’il en existe des dizaines.
Enfin, les contraintes des reproductions en noir et blanc supposent
d’imaginer les couleurs rouges, noires ou dorées des différentes croix.

LE MOTIF DE LA CROIX ET LA FRANC-MAÇONNERIE

L’apparition du motif de la croix comme substitut de celui du


cœur sur les décors et les tableaux de loge

Le grade de Sublime Chevalier Elu, futur onzième grade du


REAA,est le premier grade où apparaissent à la fois la notion de chevalerie
et la croix. Le rituel Kloss XXVII (circa 1804) décrit le cordon du grade
comme un large ruban noir sur lequel sont peints ou brodés trois cœurs
36 ● enflammés et le tablier « blanc avec une croix rouge ». Le motif du bijou
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du grade de Sublime Chevalier Elu, commandant des douze tribus, est
précisé par le texte du rituel du Rite de Perfection :

« À la place du cœur enflammé qui, du temps de la loi écrite,


était la marque distinctive du Sublime Elu, nous portons, de
nos jours, une croix, qui vous est maintenant montrée ».

La croix remplace le motif du cœur mais se porte sur l’emplacement


du cœur ! On retrouve la croix du Sublime Chevalier Elu, rouge cette fois,
sur les tableaux de loge, d’abord à côté du cœur enflammé sur le tableau
du dix-huitième grade du duc de Chartres (fig. 1), puis s’y substituant
sur les autres tableaux de Chevalier Rose-Croix (fig. 2). La croix tréflée,
cantonnée des lettres CKES, est dessinée sur une médaille attribuée
d’abord au Chevalier de l’Occident puis, par un ajout manuscrit, au
Chevalier Rose-Croix (fig. 3).. La croix du Sublime Chevalier Elu est donc
bien à l’interface des deux grades du Sublime Elu et du Rose-Croix, tout
comme le texte du grade et son tableau intitulé Chevalier Rose-Croix.

En fait, seuls les palmiers, ainsi que la croix boulée ou tréflée


qui remplace le cœur enflammé, marquent, au plan iconographique, une
différence entre les tableaux des septième et dix-huitième grades du
REAA. En revanche, les légendes de ces derniers tableaux sont explicites
et les attribuent clairement au Chevalier Rose-Croix. Leurs motifs permettent
donc de jeter un pont entre les septième et onzième grades d’une part
et entre onzième et dix-huitième grades d’autre part. La croix prend

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certes la place du cœur, mais désormais la rose y est associée et concrétise
le cœur d’une autre manière. L’un des deux acrostiches du dix-huitième
grade, INRI, IgneNaturaRenovaturIntegra, en reprenant la thématique
du feu, associée à celle du phénix, apparaît ici comme une transposition
du cœur enflammé, illustrant la symbolique du grade, tout entière centrée
sur l’amour. L’autre et première version d’INRI, qui correspond aux premiers
rituels, est celle de Judée, Nazareth, Raphaël, Juda.

Le motif chrétien de la croix se décline donc de manière particu-


lière dans l’iconographie et les rituels maçonniques, les premiers rituels
Rose-Croix ne présentant, comme seule iconographie spécifique, que la croix
boulée ou bouletée. Désormais, la croix du Chevalier Rose-croix est une croix
tréflée, peut-être en référence discrète à la trinité, peut-être sous l’influence
régionale savoyarde, assez proche de l’important centre maçonnique lyonnais.

L’évolution de la signification du motif

En France, au XVIIIe siècle, le grade de Rose-Croix « originel »


n’est pas seulement christique mais tout à fait chrétien et catholique.
Les plus anciennes représentations iconographiques du grade identifient
la croix à celle de la Passion (fig. 4). C’est précisément cette identification
de l’initié au Christ dans sa passion et dans son sacrifice qui le fait accéder
au statut sacerdotal5.

Pourtant, le christianisme originel du grade va peu à peu se ● 37


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colorer d’interprétations alchimiques voire hermétisantes, chargées de
combler le vide laissé par la mise à l’écart de la figure du Christ à partir
des années 1770-1780. Le Christ disparaît, en tant que tel, des rituels
puis le christianisme est mis de côté par la Chambre des grades du
Grand Orient en 1782. Le Convent des Philalèthes, réuni en 1785,
évoque alors le grade de Rose-Croix comme un « grade remarquable par
ses emblèmes hermétiques ».

À partir des années 1780, le discours maçonnique se nourrit


d’hermétisme, considéré comme plus « œcuménique », plus universel,
plus rassembleur. Ce discours devient ainsi un moyen permettant, puisqu’il
est trans- ou méta-historique, de réunir grâce à sa plasticité, des sensi-
bilités différentes. Plus tard, au XIXe siècle, S. Ragon accusera les
jésuites d’avoir christianisé le dix-huitième grade, à l’origine alchimique,
alors que c’est lui, Ragon, qui déchristianise le grade pour accentuer son
contenu « ésotérique ». Le discours alchimique n’est pas premier mais
second dans le champ maçonnique en France.

En Allemagne en revanche, une véritable somme rosicrucienne


et alchimique se retrouve transposée dans le grade de Chevalier de
l’Aigle Noir, Rose-Croix Allemand (à Metz, Marseille, Lyon) au milieu du
XVIIIe siècle et plus tard dans l’Ordre de la Rose-Croix d’Or. Celle-ci,
attestée dès 1761 à Prague, et fondée sur l’ouvrage de S. Renatus
publié à Breslau en 1710, La vraie et parfaite préparation de la pierre
philosophale par la fraternité de la Rose-croix d’or, se développe vers les

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fig. 2
fig. 1

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fig. 3

fig. 4

fig. 6

fig. 5

fig. 9 fig. 7

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années 1770 comme une sorte de syncrétisme entre l’alchimie, le christia-
nisme revisité par les piétistes et le rosicrucisme originel.

En fait, la prétention des maçons à renouer avec un christianisme


qualifié de « primitif », c’est-à-dire plus ancien et plus proche de l’origine que
le christianisme catholique du siècle, les autorise à revisiter les anciennes
interprétations de la croix, qui font de cette dernière un signe de victoire
sur la mort mais également un signe de victoire tout court, comme le labarum
de la victoire de Constantin au Pont Milvius en 313. Le signe devient une
théophanie associée à l’aigle qui manifeste un pouvoir divin.

Comme le remarque F. Tristan, c’est en fait la résurrection, la


victoire sur la mort qui s’identifie au Thav écrit + et non la crucifixion.
Il précise : « Les Esséniens portent le thav sans aucun rapport avec la
crucifixion ; porter le thav dans le milieu messianique juif c’est porter le
nom (inconnu) du messie futur ou porter le nom (inconnaissable) de
l’Eternel lui-même »6. Il convient de noter que la pénalité prévue par les
anciens rituels en cas de trahison du secret est la mise en croix.

ESSAI DE TYPOLOGIE DES CROIX SELON LES GRADES

Les croix empruntées par les différents tableaux de loge et/ou


bijoux maçonniques sont spécifiques selon les grades. Les textes des
rituels ne les différencient pas ou évoquent seulement leurs couleurs,
comme la fameuse croix rouge du marquis de Gages (fig. 5).Pourtant, on ● 39
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peut proposer une véritable typologie des croix recensées selon l’icono-
graphie disponible qui est ici beaucoup plus « parlante » que les textes.

Selon leur forme

1) Les croix bouletées, boulées ou tréflées sont caractéristiques


des premières croix du grade de Chevalier Rose-Croix (fig. 2). On remarque
ici que la croix constitue une figure géométrique qui permet de cantonner
les lettres comme souvent sur les monnaies médiévales ou dans les
grimoires magiques ou encore sur le tableau parfois intitulé « La vision du
Rose-Croix de Rembrandt » (fig. 6). Il existe des exemples d’autres croix
associées au grade de Rose-Croix : ce sont les croix latines classiques de la cruci-
fixion (fig. 4). Celle-ci est explicitement représentée sur les plus anciens
tableaux de loge (comme le sont également les représentations des Enfers).

2) Les croix pattées, en général rouges, accompagnent les


rituels kadosh, trentième grade du REAA (fig. 7).

La croix du Temple est, à l’origine, de forme grecque, pattée,


plus rarement ancrée ou fleuronnée. Cependant, la croix portée par les
chevaliers est souvent représentée selon une forme intermédiaire entre
la croix pattée (des Templiers) et la croix de Malte (à huit branches).
Elle devient ensuite une croix dite des huit béatitudes ou de Malte au
XIXe siècle. Cette croix est utilisée comme motif pour les 30ème, 32ème et
33ème grades du REAA à la fin du siècle, comme on le voit sur les catalogues

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de bijoux de la maison Gloton (fig. 8). Elle reste, en revanche, souvent
pattée sur les tableaux de Commandeur du Temple (27ème grade du REAA).

3) La grande croix latine, déjà présente sur certaines iconogra-


phies Rose-Croix, se retrouve sur le tableau de loge du trente-et-unième
grade du REAA (fig. 9). Le rituel Kloss XXVII du grade (1804) ne précise
pas la forme de cette croix :
« Au milieu […] sera le tableau représentant une croix entou-
rée de tous les attributs de la Maçonnerie […] » et, plus loin :
« Que cet habit et cette croix vous fasse toujours ressouvenir
que vous êtes Gr... Elu ».

4) La croix de saint André, devenue ensuite une spécificité du


RER, est présente sur les premiers tableaux d’Ecossais (fig. 10).

5) La croix associée aux serpents ne se rencontre que sur les


tableaux de Chevalier du Soleil. Le motif du serpent d'airain du vingt-
cinquième grade du REAA et celui de la croix au serpent du vingt-huitième
grade est d’une lecture très complexe (fig. 11).

6) La croix des huit béatitudes, ou de Malte, apparaît sur les


rituels du REP, Rite Ecossais Philosophique (fig. 12).

7) La croix recroisetée est dessinée sur le Manuscrit de Saint-


40 ● Domingue (fig. 13). Elle correspond à la croix de Jérusalem qui sert à
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effectuer la marche du Grand Ecossais au vingt-neuvième grade du
REAA, Grand Ecossais de Saint André d’Ecosse (assez curieusement, la
croix de saint André n’est pas rattachée au grade) : cette marche est
détaillée dans le rituel.

8) La croix patriarcale semble être l’apanage des grades sommitaux


(fig. 14).Le motif vient de la croix archiépiscopale. La croix patriarcale
renvoie à la pastorale et à la gouvernementalité au sens de M. Foucault qui
a bien montré comment, à partir du XVIIe siècle, les institutions religieuses
servent de matrices conceptuelles aux institutions civiles mais aussi aux
autres institutions symboliques comme la Franc-maçonnerie. La transposition
de la croix patriarcale dans le champ maçonnique doit en fournir un
exemple d’autant plus qu’elle est associée à la couleur blanche, également
pontificale : la croix devient aussi papale.

Nous pouvons proposer l’hypothèse d’une forme de césaropa-


pisme à la byzantine au sommet de l'initiation maçonnique, le TPSGC
étant une sorte d'empereur et prêtre, symbolique bien sûr, mais tenant
à la fois la "vraie prêtrise", puisqu'incluant sa facette ésotérique, et la
vraie royauté (au sens de gardien de l'Art Royal), réconciliant et dépas-
sant le dualisme vétérotestamentaire de Moïse et Aaron.

Cette double croix, telle qu'elle est nommée en héraldique, présente


une petite traverse horizontale supérieure rappelant l'inscription INRI
(IesusNazarenus Rex Iudæorum) et une croix latine.

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fig. 8

fig. 10

fig. 11

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fig. 12

fig. 13

fig. 14

fig. 15 fig. 17

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La croix patriarcale, dite aussi croix archiépiscopale, conserve
la forme de la croix tout en comportant une petite barre, dite traverse,
horizontale au-dessus de la principale, et parfois une courte traverse
supplémentaire en biais près de sa base. C’est aussi la croix de Lorraine.
Une monnaie des Grands Maîtres de Rhodes porte la croix patriarcale :
celle de Pierre de Cornillan, 1354-1355, couvert d’un manteau avec la
croix pattée devant la croix patriarcale...7 ! Croix triple dénommée croix
papale, également croix hiérophante.

On trouve aussi cette croix associée à un vieux fond magico-


religieux où elle fonctionne comme un sceau, que l'on retrouve dans les
grimoires magiques dérivés des pantacles salomoniens mais aussi aris-
tocratisés dans le cadre des Rose-Croix d'Or.

9) La croix potencée est plus rare : on la retrouve dans l’ouvrage


La croix philosophique d’A. G. Chéreau de 1806 (voir ci-après).

Selon leur couleur

1) Les croix rouges sont les plus fréquentes, le rouge étant


associé au cœur, au sang etc.

- La présence de la croix rouge du seizième grade du REAA,


Prince de Jérusalem, montre à l’évidence que la maçonnerie chevale-
42 ● resque souhaite se rattacher aux Chevaliers de Saint Jean, c'est à dire
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les Hospitaliers, successeurs des Templiers. Le port de cette croix de
couleur rouge est autorisé par le pape Eugène III le 27 avril 1147.

Cette couleur rouge (couleur du martyre et aussi symbole de vie


pour les Templiers qui portent la croix sur l'épaule gauche au-dessus du
cœur à partir de 1147) est aussi celle de la croix adoptée par les
Chevaliers Kadosh. La croix des Chevaliers de Malte, blanche sur l’enlu-
minure présentant le siège de Rhodes, est rouge dans les rituels maçon-
niques : la couleur rouge « chère » au marquis de Gages est spécifiée
sur le dessin de la croix.

Le Ms Saint-Domingue présente l'argument selon lequel


« la croix rouge est semblable à celle que portent les Chevaliers de
l'Ordre ‘theutonique’ au milieu de deux épées en sautoir ». Une telle
croix est reprise au grade de Grand Inspecteur du Rite Ecossais
Philosophique. Elle se distingue donc fortement de la croix boulée.
Aucune croix boulée n’apparaît associée au Kadosh, aucune croix
pattée ou de Malte n’apparaît associée au dix-huitième grade8 !
En revanche, les croix rouges du 33e grade du REAA sont fréquemment
portées comme bijoux (voir fig. 8).

2) La croix noire ou de Malte apparaît sur les rituels du REP,


Rite Ecossais Philosophique (fig. 12).

3) La croix d’or est celle du bijou du grade de Sublime

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Chevalier Elu, commandant des douze tribus, onzième grade du REAA.
L’Ordre de la Rose-Croix d’Or, que nous ne pouvons aborder dans le
cadre de cette étude, accorde bien sûr une grande importance à la croix.
La croix d’or est aussi celle que développe F. N. NOËL (fig. 17 voir ci-après).

LA CROIX, SYNTHÈSE DES CONNAISSANCES MAÇONNIQUES

Nous ne pouvons que suggérer rapidement ici la manière de


considérer le motif de la croix comme matrice et parfois synthèse des
connaissances maçonniques. Certains bijoux maçonniques britanniques,
apparus au XIXe siècle, sont constitués de globes métalliques qui s’ouvrent
pour faire apparaitre une croix qui se déplie comme les six faces pyramidales
d’un dé portant chacune une inscription.

1) La croix formée par les colonnes croisées (fig. 10) aide à


retrouver le mot au grade de Maître Parfait.

2) La croix – grille de l’alphabet maçonnique (fig. 15) – permet de


lire certaines lettres de cet alphabet.

3) La croix qui « cantonne » les lettres des mots sacrés du


grade permet de les mémoriser.

Le fait d’associer croix et lettres positionnées entre ses


branches [ CKES : C (civi) s’agenouiller K, pour Ki (à gauche se relever), ● 43
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E pour Emerek (en bas) et N pour Nistokin ou S pour Stokin à droite]est
un procédé très ancien, commun dans l’iconographie religieuse et théur-
gique et que s’approprient classiquement les rituels magiques : nous
avons mentionné comment la vision dite « du Rose-Croix » de
Rembrandt illustre cette technique (fig. 6).

4) La croix, synthèse des connaissances maçonniques.

Deux exemples montrent une utilisation de la croix comme


matrice et synthèse des connaissances maçonniques.

Au début du XIXe siècle, l’ouvrage de A.-G. Chéreau, L’explication


de la croix philosophique (1806), travaille particulièrement le symbole de
la croix (fig. 16). Il s’inscrit dans la perspective du Quatrième Ordre du Rite
Français et affirme que les maçons du Rite Français professent, en quelque
sorte, la même croyance que ceux du Rite d’Orient à propos de la filiation
templière. Selon A.G. Chéreau, le temple égyptien de Memphis et l’Ordre
du Temple de Jérusalem sont devenus une seule et même association.
Il trace la croix dans un cercle « composée de douze équerres qui repré-
sentent les douze signes du zodiaque en marquant le méridien du midi au
nord et l’équateur de l’Orient à l’Occident ». Chéreau associe à l’été l’âge
adulte et le midi, puis attribue à l’Occident, l’humidité et l’automne, la
vieillesse et le soir ; puis enfin au nord, la terre, l’hiver, la mort et la nuit.
Son texte commente très précisément l’iconographie qu’il propose et introduit
un panthéisme original en maçonnerie. Il explique :

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fig. 16

« Nous découvrons, dans cette croix, le principe de vie qui est


l’air, du côté de l’Orient, le commencement de la végétation où
le printemps qui nous annonce le réveil de la nature. L’enfance
doit être placée de ce côté-là […] Élevons nos regards vers le
haut de cette croix et nous y découvrons le feu qui est l’âme de
la vie selon plusieurs philosophes : ils symbolisaient par cet
élément le créateur de l’univers ...
Les quatre lettres INRI n’ont pas toujours été prises pour l’em-
blème de Jésus-Christ. Ces quatre lettres mystérieuses étaient
connues longtemps avant sa naissance par les anciens philosophes
païens qui avaient arraché les grands secrets à la nature.

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En pénétrant jusqu’au sanctuaire, ils avaient appris qu’elle se
renouvelait à son propre foyer, le travail de son organisation
dépendant continuellement du Grand Jehova, âme et matière
universelles… Au centre de la croix, se trouve l’étoile flam-
boyante avec un delta portant le caractère de Unus Deus.
Au-dehors de cette croix, il en est une autre qui annonce le
mois lunaire, croix à marteau et porte pour l’année le nombre 13.
Les mots de tous les degrés maçonniques se trouvent également
renfermés dans la croix philosophique. Le mot de passe d’apprenti
se trouve dans une croix, Tubal, et dans les quatre angles, Caïn.
Aux quatre coins de la croix à marteau se trouvent quatre croix
qui contiennent le grade d’Ecossais9».

La croix d’or de François Nicolas Noël propose au maçon un


autre exemple de support de méditation (fig. 17).La croix d’or synthétise
l’essentiel du symbolisme maçonnique pour F. N. Noël. La divinité associée
à l’Esprit saint, lui-même représenté comme l’oiseau dans l’étoile à cinq
branches, est relié à la croix par la chaine d’or. Cette croix est le déve-
loppement du cube parfait associé aux vertus théologales et au symbo-
lisme alchimique. La petite croix en haut à droite est en fait un bijou
avec l’invitation « Pozé moi comme un sceau sur votre cœur »10.

La croix est bien devenue le support et le prétexte à toutes les


interprétations panthéistes et naturalistes qui s’accommodent facilement de
déclinaisons et de formulations à la fois occultes et syncrétiques. ● 45
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■ D. J.

1
Le manuscrit de Raban Maur, De laudibus crucis, réalisé vers 840 à l’abbaye de
Fulda, amplifie le discours sur la croix présent dès le haut Moyen Âge.
2
Il ne s’agit aucunement de provoquer ici les maçons laïcs que nous sommes tous,
mais de considérer sereinement qu’une histoire laïque de la maçonnerie ne saurait
faire l’économie de la prise en compte des influences religieuses multiples, parmi
d’autres influences, dans la construction du patrimoine symbolique de certains
grades au XVIIIe siècle, ceci quels que soient les rites considérés. Voir par exemple
P. Mollier, « Le grade maçonnique de Rose-Croix et le christianisme », in Deux siècles
de REAA en France, 1804-2004, Paris, Dervy, 2004. Le titre de cet article veut
simplement insister sur le caractère polysémique et complexe du symbole tel que
se l'approprie et le décline la maçonnerie.
3
Pour étudier le symbolisme de la croix on peut commencer par consulter l’ouvrage
souvent pillé sans être cité : De Champeux, G. et Sterckx, S. Introduction au
monde des symboles, Zodiaque, 1980 pour le 3e edition.
4
Les tableaux sont commentés précisément dans D. Jardin, en particulier,
Voyages dans les tableaux de loge et Le temple ésotérique des francs-maçons,
J.-C. Godefroy éditeur, Paris, 2011 et 2012.
5
J. Rousse-Lacordaire, Le Rose-Croix, parfait maçon et parfait chrétien, le grade
de Rose-croix et le christianisme primitif, SFERE, mai 2006.

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LA CROIX SANS PEINE


DOSSIER
6
F. Tristan, Les premières images chrétiennes, Fayard, 1996, en particulier pp. 28-38.
7
in Grierson, Monnaies du Moyen Age, Paris, 1976, p. 29
8
A. Demurger, Chevaliers du Christ, Seuil, 2002, p. 198. La croix de l’Hôpital
est une croix simple puis une croix de Malte blanche, dite aussi croix des huit
béatitudes. Mentionnée pour la première fois dans une bulle du pape Innocent
IV en 1248, elle figurait sur le sceau personnel de Garin de Montaigu, maître de
l’Ordre entre 1207 et 1228.
9
A.-G. Chéreau, L’explication de la croix philosophique, 1806, p.111.
10
François Nicolas Noël, La Physique et l’Alchimie du maçon, La croix d'or
(1813), BNF, FM icono,Atlas 2, pl. 22.

Iconographie,
provenance des figures

1, 3, 8, Musée-Archives-Bibliothèque, Grande Loge de France, Paris.


4, 11, Musée de la Franc-Maçonnerie, Paris.
2, 6, 10, 13, 17, Bibliothèque nationale de France (BNF, Paris).
9, 14, CMC, Musée Prinz Frédérick, GENL, La Haye.

46 ● Iconographie,
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légendes

Fig. 1 Tableau de Chevalier Elu du 3e grade. Les rituels du duc de Chartres : La vraie
massonerie des hommes et des femmes, 1784.

Fig. 2 Tableau de Chevalier Rose-Croix, Le tableau reprend pratiquement les mêmes


motifs que celui de Chevalier Elu mais le cœur a disparu, remplacé par la croix
tréflée. BNF, FM icono in 4 n° 13 pl. IV.

Fig. 3 Manuscrit Recueil de tableaux de loge, à Jérusalem, inv. MAB 2795 / 90 / 1771.
La médaille des Chevaliers d’Occident devient celle des Chevaliers Rose-Croix, par
ajout de la légende. Au revers la croix tréflée est cantonnée des lettres CKES.

Fig. 4 Premier appartement du grade de Chevalier Rose-Croix, identifiable par la


thématique du motif et par le nombre de gouttes de sang (33). La crucifixion est ici
explicite, comme posée au-dessus d’un autel. Dessin aquarellé circa 1765.

Fig. 5 Croix pattée indiquée comme rouge, grade d’Elu, détail, Rituel du Marquis de
Gages, 1763.

Fig. 6 Eau-forte de Rembrandt (1652) intitulée « La vision du Rose-Croix » ou parfois


« La vision du docteur Faust », ou encore le « magicien ». Autour des initiales INRI
au centre, on lit dans un premier cercle, ADAM + TE + DAGERAM puis dans un
deuxième cercle extérieur AMRET + ALGAR + ALGASTNA +++. Un index, sorti de
l’ombre, invite à une épellation sur le miroir. BNF, Estampes, Rés. Cb-13a.

Fig. 7 Croix pattée rouge au cou de l’aigle bicéphale du Chevalier Kadosh. Cette croix
porte en son centre un autre aigle bicéphale selon la technique de la mise en
abîme.Tableau de la loge de Perpignan, première moitié du XIXe siècle.

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LA CROIX SANS PEINE


DOSSIER
Fig. 8 Planche de croix-bijoux des hauts grades du REAA, catalogue de la maison
Gloton, fin XIXe - début du XXe siècle. La même croix est utilisée pour les 30e, 32e et
33e grades. On retrouve l’aigle bicéphale au centre de la croix rouge à gauche.

Fig. 9 Le tableau de loge de Grand Inquisiteur Commandeur en situation.Les deux


croix représentées sur le tableau, sont de types très différents : grande croix latine
au centre, croix rouge pattée au nord-est.

Fig. 10 La loge des Maîtres Ecossais, La croix de saint André répond aux colonnes
croisées BNF, FM icono. n°4 in 9 Tab. V p. 26.

Fig. 11 Tableau de Chevalier du Soleil, De la croix du Roi des métaux à la croix du


Christ, Archives russes, GODF.

Fig. 12 Croix de Malte, Grand inspecteur, Rite Ecossais Philosophique, 1809,


Bibliothèque municipale, Toulouse.

Fig. 13 Croix recroisetée, Grand Elu, Ms saint Domingue. La croix sert de matrice à
la marche du grade. BNF, FM 4, 15.

Fig. 14 Croix patriarcale et croix de Malte, Tableau de Grand Inspecteur, détail.


La maçonnerie des hommes.

Fig. 15 La croix sert de matrice et de grille pour l’alphabet maçonnique. Ordre de la


maçonnerie ou conversations allégoriques des francs-maçons en loge, ms de 1776,
coll. Du Grand Chapitre Français.

Fig. 16 Croix potencée intitulée Croix philosophique, A.G. Chereau, Explication de la


croix philosophique, Paris, 1806.
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Fig. 17 La Croix d’Or reliée à l’Esprit Saint par la chaine d’or. F. N. Noël,
La Géométrie du maçon, 1813, BNF, FM icono, Atlas 2, pl. 22.

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