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Belinda Lavieu-Gwozdz, Thierry Pagnier
Dans Le français aujourd'hui 2022/3 (N° 218), pages 57 à 70
Éditions Armand Colin
ISSN 0184-7732
ISBN 9782200934323
DOI 10.3917/lfa.218.0057
© Armand Colin | Téléchargé le 21/11/2023 sur www.cairn.info via Université Hassan II (IP: 105.66.135.142)
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L’IMPLICITE : OBJET DE
FORMATION
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Thierry PAGNIER
Graziella DELEUZE
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Thierry PAGNIER
Université de Paris-Est Créteil
INSPÉ de Créteil
Laboratoire CIRCEFT-ESCOL
(UR 4384 - Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis)
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Sans que cela remette en cause la nécessité de changements importants
dans la conduite de l’apprentissage du déchiffrage, les résultats de l’enquête
PIRLS (2016) montrent, avec d’autres1 , que la compréhension de l’écrit
doit faire l’objet, en France, d’une attention nettement plus soutenue. Alors
qu’au milieu des années 1980, la notion d’implicite dort tranquillement
dans « les plis de ce qui se dit ou s’écrit » (Dispy 2011 : 15) – et son sommeil
est si profond que les enseignants vivent dans l’ignorance du mot/de la
chose –, le ministère de l’Éducation nationale publie en 2020 le guide Pour
enseigner la lecture et l’écriture au CP qui précise comment les apprentissages
doivent être conduits pour assurer la maitrise des fondamentaux du lire et
écrire par tous les élèves. Après consultation de ce guide, nous recensons
douze occurrences du terme implicite 2 qui revêt des acceptions différentes,
puisqu’il est utilisé tantôt comme nom, tantôt comme adjectif. Ceci rejoint
les constats de C. Delarue-Breton (2021) qui souligne la polysémie du terme
explicite dans les programmes de 2015. Désormais, le terme implicite3 n’est
plus passé sous silence sans pour autant qu’il en soit proposé une définition.
1. Selon l’enquête internationale PISA, 150 000 jeunes en France se retrouvent à 15 ans
« en grande difficulté de compréhension de l’écrit. »
2. À titre d’exemples : « les informations implicites », « des textes qui contiennent des
inférences, des implicites », « pour pouvoir saisir des implicites », « l’acquisition implicite du
vocabulaire », « savoir distinguer ce qui est dit (l’explicite) et ce qui est implicite », « le travail
sur l’implicite », « des informations implicites (processus inférentiels) ».
3. Le terme est utilisé avant 2020 dans les textes officiels. On le trouve en 1992 et dans
les programmes de 1995, p. 36, pour le cycle des approfondissements, mais il n’est jamais
explicité.
rticle on line
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enseignants en Belgique, le concept d’implicite ne fait pas l’objet d’une
définition claire, autrement dit : lorsqu’on interroge les enseignants sur
leur manière de définir l’implicite, différents critères sont énumérés sans
qu’il y ait consensus au sein du corps enseignant. Chacun use de mots qui
entremêlent des éléments de réponse : « c’est ce qui n’est pas écrit noir sur
blanc », « c’est le non-dit », « c’est le sous-entendu », « c’est l’interprétation »,
« ce qui est suggéré par certains indices dans un texte », « c’est ce qui est
caché, détourné » (Dispy 2011 : 20).
Dans le Dictionnaire culturel en langue française (2005), l’implicite est
défini ainsi : « Qui est virtuellement contenu dans une proposition, un fait,
sans être formellement exprimé, et peut en être tiré par voie de conséquence,
par déduction ou induction ». Pour P. Charaudeau et D. Maingueneau
(2002), il arrive qu’un énoncé, en contexte communicatif, offre une « autre »
signification :
La plupart des énoncés possèdent [...], en plus de leur contenu explicite, un
ou plusieurs contenus implicites qui viennent se greffer sur le précédent,
et peuvent même le détourner à leur profit, un cas de « trope implicatif »,
c’est-à-dire lorsqu’en contexte le contenu implicite l’emporte sur le contenu
explicite. (2002 : 304)
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lecteur. Parce qu’un texte peut toujours en dire plus, il s’agit ici de la liberté
de dépasser la première compréhension. Les problèmes d’interprétation
programmés par le texte renvoient aux lieux d’imprécision du texte, aux
blancs du texte qu’il faut combler pour le comprendre. Ces difficultés
réclament du lecteur un traitement de l’incertain, un traitement qui repose
sur les droits du lecteur mais qui respecte les droits du texte. Une validation
des interprétations s’impose et repose sur des données textuelles ou des
connaissances culturelles antérieures.
Pour développer les compétences relatives au traitement de l’implicite
d’un texte, C. Tauveron (1999) propose d’offrir en lecture aux apprenants
des textes résistants. D’après elle, un texte « résistant » est : soit « réticent » :
il garde une partie de l’information et pose alors des problèmes de compré-
hension, soit « proliférant » : plusieurs pistes sont esquissées à l’intérieur de
l’œuvre ou à la fin ; ces textes posent alors des problèmes d’interprétation
(1999 : 23).
Les textes « réticents » posent délibérément des problèmes de compréhen-
sion au lecteur. Parmi les effets de réticence programmés, on peut citer
les blancs de toute nature, singulièrement ceux relatifs aux intentions des
personnages et à certains de leurs actes cruciaux, l’adoption de points de vue
6. Cf. entre autres les travaux de J.-M. Adam (1990, 1999) sur les objets textes/discours.
Les deux mots réfèrent au même objet envisagé de manières différentes. Envisager la trace
d’une production verbale en tant que texte, c’est voir ce qui fait, d’une suite de mots, un
tout de sens. Envisager la trace d’une procédure verbale en tant que discours, c’est voir ce
qui, dans ce tout de sens, renvoie à une situation de communication et ce qui peut entrainer
le succès ou l’échec, dans cette situation, de la rencontre humaine au moyen du langage.
7. Cf. entre autres les travaux de D. Bucheton (1999) et de B. Daunay (1999).
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un enseignement complexe à mettre en œuvre, encore peu travaillé en
formation et pour lequel les outils didactiques sont récents. R. Goigoux et
alii (2016) dressent le constat suivant : il y a peu de temps globalement
alloué à la compréhension, moins de la moitié de ce temps est consacré à
des tâches individuelles, écrites qui n’ont pas d’incidence sur les progrès des
élèves. Les tâches orales portant sur l’élaboration du sens ne dépassent pas
trente minutes par semaine. Comprendre, c’est élaborer une représentation
mentale à partir de quatre compétences qui interagissent : compréhension
lexicale et linguistique, compétences stratégiques, compétences inférentielles
et référentielles, compétences d’autorégulation et de métacognition. Cette
conception de la lecture-compréhension fait consensus actuellement dans
les recherches sur l’enseignement-apprentissage de la compréhension d’un
texte.
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implicite qui vient s’ajouter au contenu explicite pouvant aller jusqu’à
le détourner. Ces chercheurs envisagent deux possibilités de traitement
correspondant à deux sortes d’implicite : la greffe et le détournement. La
greffe d’un sens sur celui qui est actualisé10 par le co-énonciateur de même
qu’il s’agit du détournement d’un sens actualisable par le co-énonciateur.
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Figure 1. Objectif et titre de la double page Nouveau Parcours Français
CE1, p. 76.
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vise à faire comprendre et apprendre quelque chose, le risque est grand pour
les élèves les moins initiés à ces évidences scolaires de passer à côté de ce qui
fait l’essentiel de la leçon et qui sera évalué. D’autant que la multiplication
de documents dans la double page peut faire craindre non seulement le
risque de « surcharge cognitive » (Verdelhan-Bourgade 2002) mais surtout
d’une sélection et d’un traitement différencié.
L’objectif figure en haut de la page de gauche dans un encadré sur
fond rouge11 . Dès le titre, la leçon est annoncée par une question : « Le
charbon, qu’est-ce que c’est ? » C’est là une donnée récurrente dans les
doubles pages de manuels contemporains. C’est par la sollicitation du
questionnement de l’élève que ce dernier est censé réaliser le cheminement
vers l’apprentissage. Le savoir n’est pas donné de façon affirmative, d’emblée,
c’est le questionnement qui prédomine. Ainsi, la double page est structurée
autour des rubriques suivantes : « J’écris pour mieux comprendre », « Je
discute. » La récurrence de ces rubriques dans chaque leçon du manuel
se veut un élément organisateur pour initier à une démarche de réflexion
dont l’acteur serait l’apprenant. Des indices suggèrent ce cheminement
intellectuel. On peut aisément penser que, pour certains élèves, ce qu’il y a
à retenir de cette double page est le petit texte que l’élève est invité à rédiger
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répondant à la question du titre « Le charbon, qu’est-ce que c’est ? » Ainsi,
à la manière des manuels d’histoires ou de sciences, ce qu’il faut retenir
seraient des connaissances sur le charbon. Or l’enjeu (didactique) est ailleurs.
Les relations logiques, « les sauts cognitifs » sont à construire et à opérer
à l’intérieur de la double page, entre les divers documents qui s’y trouvent
présentés le plus souvent de façon éclatée, délinéarisée « à la manière des
hypertextes du multimédia » (Vigier 1997 : 71).
11. Ici dans le bandeau gris « Lire et comprendre ». Il faut noter que nous avons utilisé ce
support dans nos séances de cours aux étudiants de première année se destinant au concours
de professeur des écoles (MEEF1) et du parcours de formation de formateurs (MEEF4). Le
document était contextualisé (cours de français pour le CM1) mais un quart des étudiants du
groupe de MEEF1 n’a pas vu l’objectif, tandis que dans le groupe de MEEF4 (formateurs de
formateurs) plus des trois-quarts ont dit qu’il s’agissait d’apprendre des choses sur le charbon.
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Chacune des portions de la double page, chacune des consignes d’obser-
vation, chacun des documents est supposé être regardé et lu ni de façon
isolée ni pour ce qu’il affirmerait en lui-même, mais pour la recherche de
liens logiques avec les autres portions. Ici, il ne s’agit pas de se contenter
de lire et de regarder des « choses » sur le charbon mais de comprendre
le processus, la stratégie de lecture d’un texte documentaire sans que ce
cheminement intellectuel soit guidé explicitement. Il s’agit là des exigences
d’une « littératie étendue » (Bautier et Rayou 2013 : 79), reposant sur une
culture du document qui doit être analysé. Celui-ci est présenté de façon
délinéarisée afin de solliciter une disposition à « linéariser » – c’est-à-dire
relier et mettre en cohérence des informations disparates – et à construire
un savoir de façon autonome, c’est-à-dire un texte de savoir homogène
correspondant à des systèmes sémiotiques au demeurant hétérogènes.
Le savoir n’est plus donné clés en main par le manuel, c’est à l’élève de
le découvrir ou plutôt de le construire, et ce, malgré l’énonciation finale
qui se veut métacognitive – par exemple pour la question 6 : « Explique
comment tu as retrouvé l’emplacement des photos de Luigi » (p. 77), qui
interroge l’élève sur son parcours de lecture et sur les éléments qu’il a mis en
relation pour s’approprier le support. Il semble justement que les recherches
dans lesquelles les élèves sont engagés, à savoir répondre aux questions
suivantes, ne leur permettent pas automatiquement et à tous de construire
ce savoir :
- Dans quelle région de France Luigi a-t-il travaillé ?
- Cherche dans le texte un mot qui a le même sens que charbon ?
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L’implicite énonciatif
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Figure 4. La structuration du manuel avec des sous-titres recourt égale-
ment au pronom je.
On observe dans le texte, en figure 312 et dans les titres des parties, la
présence du pronom je avec un énonciateur différent dans les deux cas de
figure. Des attitudes d’énonciation du récit (l’encadré gris de la figure 3
qui se trouve tout en haut de la page de gauche) sont mélangées avec la
présence du narrateur sous le je, mais un narrateur qui reste non identifié.
C’est donc à l’élève de comprendre – sans qu’aucun indice ne soit présent –
qu’il s’agit vraisemblablement de la petite taupe qui accompagne Luigi (et
donc le lecteur dans cette double page). Or ce même pronom je est ensuite
utilisé (figure 4 « J’écris pour mieux comprendre » et « je discute ») pour
identifier l’élève et les activités qu’il est en train de réaliser. On suppose donc
que l’élève (apprenti lecteur, en CE1) est à même de percevoir cette double
énonciation, ce double adressage, sans qu’à aucun moment le manuel n’attire
son attention sur ce point. Ce texte (de genre narratif et non informatif,
12. « En traversant le nord de la France, j’ai compris d’où venait le charbon. J’ai pu visiter
les bâtiments d’une ancienne mine, au pied d’une grande colline toute noire. C’est Luigi, un
ancien mineur, qui m’a guidée. Il a passé 22 ans de sa vie à extraire le charbon de sous la
terre, tout au fond de cette mine ! »
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alors qu’on se trouve dans une double page d’un écrit fonctionnel) peut
faciliter ou agréablement accompagner la lecture du document pour certains
élèves et brouiller ce qu’il faut faire avec cette double page pour d’autres.
Chacune des questions doit être entendue par l’élève au sens propre,
comme une invitation à réaliser une activité particulière au travers d’une
tâche (observer, comparer, etc.) et qu’il doit simultanément ressaisir sur un
autre plan, c’est-à-dire en « secondarisant » (Bautier et Rochex 1998 : 58).
Ainsi, l’objet du monde évoqué (la lecture de textes documentaires) est à la
fois considéré comme objet d’étude de la discipline et comme permettant la
construction d’un savoir qui permettra ultérieurement de poser un nouveau
regard sur le monde lui-même.
Les connaissances prérequises et les dispositions langagières considérées
comme des évidences et le faible guidage de la façon de se saisir du support
pour enseigner et apprendre participent de la coconstruction des inégalités
sociales et scolaires.
Il revient donc à l’élève de synthétiser le résultat d’une activité intellectuelle
préalable de « mise en relation » qui est à conduire dans l’enchainement des
tâches ou dans l’articulation des documents hétérogènes que la double page
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fournit. C’est à l’élève de formuler ces conclusions en savoirs intermédiaires
et de les avoir en tête (comme des hypertextes numériques) pour donner du
sens à la portion de texte, et relier celui-ci à la notion de texte documentaire.
Là encore, on sollicite des dispositions culturelles, langagières et cognitives
qui ne sont pas données. De fait, il incombe à l’enseignant de prendre en
charge cette construction au cours de la séance, compte tenu du cadrage
distendu du manuel. S’il ne la prend pas en charge, c’est ce que l’élève a
acquis dans son milieu familial qui entre en jeu. Il convient donc, en amont,
de former les enseignants et les futurs enseignants à déceler cet implicite.
Au vu de ce qui précède, on aurait tort de penser que cette brièveté conduit
à des exigences moindres : au contraire, c’est à l’élève et à l’enseignant qui
l’accompagne, sans lui donner les solutions, de rendre présent ce qui n’est
pas écrit. On remarque donc que les sauts cognitifs sont plus difficiles à
faire pour l’élève avec ces manuels contemporains qu’avec des manuels plus
anciens (Bonnéry 2015), dans la mesure où l’on fait davantage appel à son
raisonnement inférentiel et déductif. Cela est potentiellement formateur,
mais ces sauts étant très faiblement guidés (dans l’extrait que nous analysons
comme de manière générale dans les manuels contemporains), il y a un
risque important que tous les élèves ne les réalisent pas.
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De même, s’emparer pleinement de cet encadré nécessite que l’élève
mette en relation la phrase introductive : « La houille est faite de restes de
plantes peu à peu transformés en pierre », et notamment le circonstanciel
de temps « peu à peu » avec l’organisation spatiale de cet encadré. D’abord,
le sens de la lecture a une incidence puisqu’il faut lire le document de
gauche à droite pour comprendre qu’entre les différentes illustrations le
temps s’écoule. Ensuite, il faut que l’élève comprenne que c’est le dépôt
de végétaux fossilisés (notion de temps à prendre de nouveau en compte)
qui a donné la houille (roche noire et dure). Enfin, il s’agit de comprendre
que houille et charbon, c’est la même chose. Cette intégration du spécifique
au générique n’est pas explicitée et c’est à l’élève seul (à qui on pose une
question vague « cherche dans le texte – on ne sait pas lequel, il y en a
plusieurs sur cette double page – un mot qui a le même sens que charbon »)
qu’il revient de l’effectuer. Il revient donc à l’élève de construire ce lien.
Les manuels priorisent le fait de mettre l’élève en activité tout en cadrant
faiblement celle-ci sur les points précis qui permettent d’identifier le savoir
à construire : ils participent activement à mobiliser chez les élèves des
dispositions cognitives différentes. Cette tension entre élévation des exigences
littératiées, cadrage faible et consignes équivoques semble caractériser
beaucoup de supports contemporains ainsi que l’ont montré É. Bautier et
alii (2012) et S. Bonnéry (2015).
L’apprenant présupposé par un certain nombre de manuels contemporains
(Viriot-Goeldel et Delarue-Breton 2014) est principalement celui qui sait
que les indices qui lui sont délivrés dans la double page doivent être rapportés
aux critères précis de la question posée et « filtrés » à partir de la question
tacite qu’il est censé pressentir et découvrir. Les élèves qui ne correspondent
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Conclusion
Alors que jusqu’au milieu des années 1980, nous l’avons vu, le terme
implicite était très peu utilisé qu’il s’agisse des documents d’institutionnels,
sur les terrains de recherches didactiques ou encore chez les acteurs de
l’école, son usage, depuis les années 2000, est beaucoup plus massif, avec
des acceptions variables et des contours flous dans la mesure où nous ne
trouvons pas de définitions précises de cette notion, y compris dans les
guides édités par le ministère de l’Éducation nationale à destination des
enseignants qui ont pourtant l’injonction de travailler l’implicite. L’état de
l’art montre que ce terme est effectivement utilisé aussi bien par des linguistes,
des didacticiens ou des pédagogues avec des définitions différentes, d’où la
difficulté à circonscrire la notion qu’il désigne. Après cet inventaire, nous
avons proposé une analyse d’un manuel scolaire contemporain qui révèle
l’importance de l’implicite dans une double page. Plus que de l’implicite
du texte, il est question, comme nous l’avons montré, d’un implicite du
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support tout entier (texte, image, schéma) et de la difficulté pour certains
élèves de s’emparer de ces supports que l’on nomme composites.
Si notre analyse met en évidence la part importante d’implicite qui
traverse les supports contemporains, notre propos ne soutient pas pour
autant l’efficience supposée d’une explicitation maximale dans le modèle
de la direct instruction (Gauthier, Bissonnette et Richard 2007). Nous
nous inscrivons au contraire, à la suite de É. Bautier et P. Rayou (2009)
et C. Delarue-Breton (2021), dans la lignée d’une pédagogie explicite
« susceptible de donner aux élèves eux-mêmes les moyens de la perception
de ce qui est implicite (qui recouvre des objets de portées ou de niveaux
fort différents) et les moyens de la compréhension des enjeux spécifiques
des activités scolaires » (Delarue-Breton 2021 : 12). Nous concluons avec
ces auteurs que « le rôle de l’enseignant est alors un rôle d’accompagnement
d’une démarche d’apprentissage proprio motu (Brousseau 1998) et non celui
d’un modèle qui déplie tout ce qui peut l’être devant les élèves » (Ibid. : 12).
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• MAINGUENEAU, D. ([1996] 2009). Aborder la linguistique. Paris : Seuil.
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“FA218” (Col. : Le français aujourd’hui) — 2022/7/25 — 17:15 — page 70 — #68
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Enquêtes
• PIRLS 2016 : Évaluation internationale des élèves de CM1 en compréhension de
© Armand Colin | Téléchargé le 21/11/2023 sur www.cairn.info via Université Hassan II (IP: 105.66.135.142)
© Armand Colin | Téléchargé le 21/11/2023 sur www.cairn.info via Université Hassan II (IP: 105.66.135.142)
l’écrit - Évolution des performances sur quinze ans. Ministère de l’Éducation nationale
de la Jeunesse et des Sports
• PISA : Programme international pour le suivi des acquis des élèves. Ministère de
l’Éducation nationale de la Jeunesse et des Sports.
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