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LA POLITIQUE MIGRATOIRE DU 3E GOUVERNEMENT MERKEL EN TEMPS

DE CRISE

Gwénola Sebaux

Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui | « Allemagne


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d'aujourd'hui »

2017/4 N° 222 | pages 94 à 113


ISSN 0002-5712
ISBN 9782757420010
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2017-4-page-94.htm
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La politique migratoire du 3e gouvernement
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Merkel en temps de crise
Gwénola Sebaux*

La problématique migratoire a été au cœur du troisième mandat d’Angela Merkel.


Elle en a très largement déterminé l’agenda politique. Elle a sérieusement ébranlé le
« capital confiance » dont a longtemps joui la chancelière. Elle a comme nul autre
thème logiquement inspiré, nourri et structuré toute la campagne des législatives de
septembre 20171. Enfin, c’est l’une des clés majeures de la recomposition du paysage
politique allemand et de l’entrée au Bundestag d’une formation d’extrême-droite, une
première dans l’histoire de l’Allemagne contemporaine. Le troisième mandat Merkel a
surtout été marqué par la crise migratoire, ou « crise des réfugiés » selon le langage
médiatique. Toutefois par « problématique migratoire », il faut ici entendre la combi-
naison historique de défis structurels et conjoncturels qu’a eu à relever la seconde
grande coalition Merkel : d’une part la gestion de l’immigration ancienne selon de
nouvelles prémisses (la reconnaissance comme pays d’immigration), dans la conti-
nuité de l’action entreprise durant les deux précédents mandats  : d’abord par la
coalition CDU/CSU – SPD (cabinet Merkel I), puis par la coalition CDU/CSU – FDP
(cabinet Merkel II)2 ; et d’autre part surtout une gestion de crise sans précédent depuis
la création de l’Allemagne fédérale, face à un afflux inédit de réfugiés en 2015.
Au seuil d’un éventuel3 quatrième mandat d’Angela Merkel il est donc instructif, au
regard de la pérennisation programmée de vastes mouvements de population générés
par les conflits durables au Proche- et Moyen-Orient et en Afrique sub-saharienne, de

* Professeur de civilisation allemande contemporaine, Université catholique de l’Ouest, Angers. Dernier ouvrage
paru  : G.  Sebaux (dir.), Identités, migrations et mobilités transnationales. Europe (XIXe-XXIe  siècle), Presses
Universitaires du Septentrion, Villeneuve d'Ascq 2017 (234 p.)
1. Cf. Karl Rudolf Korte : « Was entscheidet die Wahl ? Zu Themen und Wahlmotiven im Superwahljahr 2017 »
in Aus Politik und Zeitgeschichte (APuZ) 38-39/2017, p. 4-9.
2. Cf. G. Sebaux : « Immigration, intégration : l’Allemagne sur la voie de la modernité », Allemagne d’aujourd’hui
N° 210, oct.-déc. 2014, p. 154-168.
La fin du déni de non-immigration est avant tout à porter au crédit de la coalition rouge-verte (SPD – Verts) de
Gerhard Schröder, qui parvint à imposer en 2000 un nouveau Code de la nationalité (introduisant une part de
droit du sol), puis en 2005 la première Loi sur l’immigration de l’Allemagne contemporaine. Cf. G. Sebaux :
«  La loi sur l’immigration  : un nouveau paradigme  ?  », Allemagne d’aujourd’hui N°  180, avril-juin  2007,
p. 28-51.
3. La perspective d’un 4e mandat est incertaine à l’heure de la rédaction du présent article, alors qu’A. Merkel,
affaiblie par le score historiquement bas de la CDU aux législatives de septembre, vient d’échouer à nouer une
alliance entre l’Union chrétienne-démocrate et chrétienne-sociale, les libéraux et les Verts.
La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise 95

dresser le bilan de la politique migratoire allemande des quatre années 2014-2017 et


d’en dégager les orientations stratégiques majeures pour les années à venir.
Le cabinet Merkel III a-t-il su gérer la crise de 2015-2016 ? Que reste-t-il à l’automne
2017 de la Willkommenskultur (culture de bienvenue) prônée dès 2011 par la chance-
lière, puis décrétée impératif national en septembre  2015  ? Quels enseignements
l’exécutif a-t-il tirés de la crise migratoire ? Quel risque politique représente la question
migratoire pour le mandat à venir ? Quel pourrait être l’impact sur le long terme des
décisions politiques prises suite au « choc » migratoire des années 2015-2016 ? –
Impact en termes économiques, politiques mais aussi humains et sociétaux. Telles sont
les principales questions qui sous-tendront le bilan ici proposé.

2014 : Boom de l’immigration de travail – Hausse des demandes d’asile


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En matière migratoire, la première année du 3e  gouvernement Merkel est avant
tout caractérisée (à l’image de 2013) par un accroissement significatif du nombre
de migrants accueillis et par une politique volontariste d’intégration sur le marché
du travail. Dans un contexte général de forte augmentation des flux de migrations
permanentes vers les pays de l’OCDE (4,3 millions d’entrées dans la zone OCDE),
l’Allemagne s’affiche comme la deuxième destination après les États-Unis en nombre
de migrants accueillis, laissant derrière elle les pays d’immigration classiques (France,
Suède…)4. Cette immigration est essentiellement une migration de travail. La plupart
des nouveaux migrants arrivent d’Europe centrale et orientale, mais aussi des pays
sud-européens (Grèce, Espagne, Portugal, Italie) durablement affectés par la crise
financière et économique de 2008. L’Allemagne en pleine croissance économique,
prospère et en situation de quasi plein emploi (avec un taux de chômage de 6,9 %
en 2013) encourage spécifiquement l’immigration de cette main-d’œuvre sud-euro-
péenne jeune, dynamique et qualifiée. Un volet clé de cette stratégie offensive est la
vaste campagne de recrutement déployée en direction des pays du sud de l’Europe
(par exemple via les programmes « Make it in Germany » ou « The job of my life »)5.
Si l’immigration sud-européenne est bien acceptée par l’opinion publique, l’immi-
gration en provenance d’Europe sud-orientale (notamment Roumanie et Bulgarie)
suscite en revanche beaucoup plus de doutes  : les craintes d’une «  migration de
pauvreté  » se font d’autant plus vives que la libre circulation autorisée dans l’UE
pour les ressortissants roumains et bulgares au 1er  janvier 2014 accroît effective-
ment leur migration6. Pourtant les études attestent du haut niveau de qualification
de cette population elle aussi jeune et motivée, qui s’intègre fort bien en particulier
4. Environ 465  000  migrants durablement accueillis en 2013 (déjà près de 400  000 en 2012), https://
www.bamf.de/SharedDocs/Anlagen/DE/Publikationen/Broschueren/bundesamt-in-zahlen-2014.pdf?__
blob=publicationFile (21.10.2017).
http://www.oecd.org/berlin/presse/zuwanderung-nach-deutschland-weiter-auf-rekordkursdeutliche-forts-
chritte-in-der-arbeitsmarktintegration.htm (21.10.2017).
5. Programme cogéré par le ministère de l’Économie, le ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales, et
l’Agence fédérale pour l’emploi : http://www.make-it-in-germany.com/en (21.10.2017). Le programme « The
job of my life » est lancé en 2013 sous l’égide conjointe de l’Agence fédérale pour l’emploi et du ministère du
Travail et des Affaires sociales : https://www.thejobofmylife.de/en/home.html (21.10.2017).
6. Fin avril  2014  : 159  000 Bulgares et 295  000 Roumains vivaient en Allemagne  : http://www.bamf.de/
SharedDocs/Anlagen/DE/Publikationen/Forschungsberichte/fb24-rumaenien-bulgarien.html (26.10.2017).
Entre 2004 et 2013, le nombre de ressortissants bulgares en Allemagne a été multiplié par quatre (+ 275 %),
celui des ressortissants roumains par trois (+  265  %). Cf. Elisa Hanganu, Stephan Humpert, Martin Kohls,
Zuwanderung aus den neuen EU-Mitgliedsstaaten Bulgarien und Rumänien, Bamf, Forschungsbericht  24,
Nuremberg 2014, p. 76 et p. 84s.
96 Gwénola Sebaux

en Bavière, Bade-Wurtemberg ou Rhénanie du Nord-Westphalie (secteurs agricole,


hôtelier, secteur de la santé). La migration des « réfugiés économiques » n’en est pas
moins l’un des grands thèmes du débat politique et médiatique en 2014. Et c’est un
point de dissension au sein de la grande coalition, entre les Sociaux-démocrates et
la CSU  : face aux abus supposés en matière d’aide sociale, le président du parti
bavarois Horst Seehofer lance alors son fameux « Wer betrügt, der fliegt ! » (Celui qui
fraude, qu’il dégage !)7.
Force est d’admettre que dans le contexte syrien (aggravation de la guerre
civile), l’Allemagne enregistre dès cette époque une augmentation spectaculaire des
demandes d’asile, qui n’est pas sans rappeler le niveau du début des années 1990
(2014 : près de 203 000 demandes8). La question de l’asile redevient alors centrale
dans le débat public. C’est dans ce contexte polémique que naît le mouvement protes-
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tataire Pegida  : les «  Européens patriotiques contre l’islamisation de l’Occident  »
(Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes). La présence musul-
mane est ressentie comme une menace aggravée par la politique migratoire alors que
l’Allemagne compte déjà, selon les estimations de l’Office fédéral de l’immigration
et des réfugiés (Bamf), quelque 4,5 millions de musulmans (5,5 % de la population)
– bien plus, selon la perception de l’opinion9. Les manifestations anti-immigration et
anti-islam orchestrées durant l’automne et l’hiver 2014 mettent brutalement en lumière
la polarisation de la société allemande face à la stratégie migratoire du gouvernement
Merkel. Mouvance hétérogène, Pegida est le premier révélateur d’un malaise grandis-
sant face à une politique d’asile jugée insuffisamment maîtrisée, de surcroît dans un
contexte sécuritaire ouest-européen délétère (montée du fondamentalisme musulman
et attentats terroristes)10. Certes, une majorité d’Allemands réprouve les manifesta-
tions protestataires de Pegida. Il n’empêche que le discours public tend à dénoncer
l’absence d’une politique d’asile harmonisée à l’échelle européenne. En février 2015,
la deuxième personnalité politique d’Allemagne, Norbert Lammert (président du
Bundestag) s’en fait lui-même l’écho en réclamant « une répartition des réfugiés au
plan national et européen […] plus efficiente et en même temps juste »11. Dès lors,
soucieux de conserver l’adhésion de la population à sa politique d’asile, et face à
une couverture médiatique très critique sur la gestion de l’accueil (indécence des
conditions de logement, inefficacité des procédures d’asile, communes insuffisamment

7. h ttp://www.spiegel.de/politik/deutschland/seehofer-verteidigt-kurs-der-csu-im-streit-um-armutsmigra-
tion-a-941433.html (21.10.2017).
8. Ce n’est pas encore le niveau de 1990 (plus de 400 000 demandes), mais tous les indicateurs annoncent
une tendance exponentielle. Sur la seule période janvier-février 2015, le nombre a doublé par rapport à la
période comparable de 2014, selon www.bamf.de (26.03.2015).
9. L’appartenance religieuse à l’islam n’est pas consignée dans les registres centraux et est simplement estimée
via le microcensus. L’opinion publique tend généralement à surestimer le nombre de musulmans. Cf.
Sachverständigenrat deutscher Stiftungen für Integration und Migration (SVR), Fakten zur Einwanderung in
Deutschland, 22.12.2016.
10. Attentats terroristes notamment en France (Charlie Hebdo janvier 2015) et au Danemark (février 2015). Pour
une analyse plus fine de Pegida, voir G. Sebaux : « Pegida : émergence, sens et influence d’un mouvement
identitaire (trans)national dans l’espace public allemand », Revue d’Allemagne N° 48 (2), juil.-déc. 2016,
p. 187-199.
11. Interview de Norbert Lammert à Die Welt, 28.02.2015, p. 4.
La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise 97

aidées12), l’exécutif durcit les procédures d’expulsion vis-à-vis des immigrants jugés
indésirables – quitte à se justifier en arguant d’un « management de crise »13.
Ainsi donc, en ce début de troisième mandat, la question de l’asile et celle corrélée
de l’islam (« l’intégration musulmane ») dominent déjà le débat politique, médiatique
et public14. Angela Merkel y prend clairement position, se réaffirmant au lendemain
des attentats de Paris (janvier 2015), « chancelière de tous les Allemands » y compris
« tous ceux qui vivent durablement ici »15.
À l’instar de ses homologues européens la chancelière ne voit pas venir la « crise
des réfugiés », ou elle en sous-estime les signes avant-coureurs16. Dans son allocution
de Nouvel An du 31 décembre 2014, elle évoque bien la question migratoire mais
ne la place pas en tête des priorités pour 2015. La révolution numérique, l’évolu-
tion démographique, le commerce mondial, la question climatique ou encore la crise
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ukrainienne sont les grands thèmes de son discours. Surtout, la question migratoire
est abordée au seul prisme de la cohésion de la société allemande, et l’immigration
clairement prônée au titre de « gain pour l’Allemagne »17.

À mi-mandat, changement de paradigme : la « crise des réfugiés »


Durant l’été 2015, la conjonction de foyers de crise et de guerres civiles en Irak, en
Centrafrique et surtout en Syrie engendre une détérioration de la situation humanitaire
dans les camps de réfugiés des régions frontalières de la Syrie : la Turquie, le Liban
et la Jordanie. Or, après la fermeture par la Grèce (2012) et la Tunisie (2014) de
leurs frontières avec la Turquie, la route des Balkans occidentaux constitue désormais
la principale voie d’accès à l’Europe occidentale. La Hongrie, premier pays sur cette
voie d’accès, est débordée par l’afflux de réfugiés, et peu désireuse de les garder18.
Au plus fort de la crise l’Allemagne et l’Autriche décident de concert, le 4 septembre,
d’autoriser les réfugiés à quitter la Hongrie. Avant même la « décision de Budapest »
l’Office fédéral de l’immigration et des réfugiés (Bamf) a lui-même déjà « tweeté »,
le 25 août, renoncer de facto à refouler les demandeurs d’asile syriens vers d’autres
12. Face au désengagement de l’État, les Églises prennent le relais  : l’asile qu’elles accordent aux réfugiés
augmente de 500 % en 2014. Cf. Spiegel-Online, 23.02.2015 http://www.spiegel.de/politik/deutschland/
kirchenasyl-immer-mehr-faelle-in-deutschland-a-1019923.html (22.10.2017).
13. Voir l’interview accordée par Manfred Schmidt (alors président du Bamf) à Die Welt, 24.02.2015, p. 26. Voir
aussi Das Parlament 2-3, 5.01.2015 (Dossier migratoire : Menschen in Bewegung).
14. http://www.bild.de/politik/inland/angela-merkel/der-islam-gehoert-zu-deutschland-39442550.bild.html
(11.3.2015).
http://www.zeit.de/gesellschaft/2015-01/islam-muslime-in-deutschland (11.03.2015).
http://www.tagesspiegel.de/politik/muslime-in-deutschland-fremde-frommheit/11211802.html
(11.02.2015).
http://www.stern.de/politik/deutschland/bundeskanzleramt-90276807t.html (11.03.2015).
15. h ttp://www.deutschlandfunk.de/kanzlerin-merkel-islam-ist-teil-der-deutschen-gesellschaft.2852.
de.html?dram:article_id=308499 (28.10.2017).
16. 3 octobre 2013 : le naufrage de deux embarcations de migrants africains en Méditerranée au large de l’île
italienne de Lampedusa fait 366 morts. Ce drame suscite une émotion considérable en Europe et déclenche
un sommet de crise à Bruxelles. La lutte contre les passeurs est intensifiée, mais faute d’accord européen, le
droit d’asile reste inchangé. Selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) 3 500 personnes ont perdu
la vie en Méditerranée en 2014. Un nouveau naufrage dans les eaux libyennes à 180 km de Lampedusa, le
20 avril 2015, fera 800 victimes. http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2015/4/55351127c/naufrage-
mediterranee-centaines-disparus-hcr-appelle-action-urgente.html (30.10.2017).
17. h ttp://www.spiegel.de/politik/deutschland/neujahrsansprache-angela-merkel-2014-im-wortlaut-
a-1010884.html (22.10.2017).
18. http://www.faz.net/aktuell/politik/fluechtlingskrise/fluechtlingskrise-in-ungarn-budapest-will-busse-schic-
ken-13786365.html (21.10.2017).
98 Gwénola Sebaux

États membres de l’Union européenne19 – un message de capitulation largement


relayé par les médias : « Le tweet qui a fait de l’Allemagne un lieu de refuge » titre
ainsi le 19 septembre le tabloïd Bild en allusion aux multiples messages de gratitude
de Syriens enthousiastes sur les réseaux sociaux20. De fait Angela Merkel a personnel-
lement affiché son volontarisme d’accueil lors de sa conférence de presse de rentrée
(31  août). Invoquant d’abord la dignité de la personne et le droit d’asile politique
ancré dans la Loi fondamentale, puis la force et l’éclatante santé économique de l’Al-
lemagne « mondialement vue » comme un « pays d’espérance et de chances » (Land
der Hoffnung und Chance), la chancelière a évoqué d’emblée l’accueil d’au moins
800 000 réfugiés en 2015, et affirmé avec conviction : « Nous y arriverons ! »21.
La décision historique d’ouvrir les frontières, le volontarisme optimiste d’Angela
Merkel quant à l’aptitude de l’Allemagne à relever les défis soulevés par un tel afflux
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de réfugiés semblent dans un premier temps remporter une très large adhésion. La
société civile fait effectivement sienne la rhétorique d’accueil, ce dont témoignent les
banderoles déployées à l’été 2015 (Refugees welcome !) dans les gares de Munich,
Hambourg, Francfort ou Dortmund, et plus concrètement encore l’afflux de bénévoles.
Cet élan de solidarité sans précédent est alors célébré, voire amplifié par les médias
soulagés de mettre en exergue la face lumineuse de la société allemande, à rebours
des manifestations pégidistes xénophobes (du reste tout aussi exagérément médiati-
sées au tournant de l’année 2014)22. Die Zeit n’hésite pas à proclamer le « miracle
allemand  » au regard de l’adhésion de 95  % des Allemands, relevée par l’Institut
berlinois Infratest-dimap23. La couverture médiatique est alors presque unanimement
positive, y compris à l’étranger  : fin 2015, impressionné par le leadership moral
d’Angela Merkel, le Time Magazine fait de «  la chancelière du monde libre  » la
femme de l’année24.
À l’automne 2015, A. Merkel espère rallier ses partenaires européens à sa politique
d’accueil. Consciente toutefois des réticences européennes – à commencer par celles
de la France, peu favorable à un mécanisme de répartition des réfugiés25 –, elle est
la principale instigatrice de l’accord avec la Turquie négocié au sommet européen
à la mi-octobre. L’accord politique (le «  deal  » selon le langage médiatique) signé
le 18 mars 2016 entre l’UE et la Turquie vise à réguler les flux selon une stratégie

19. #Dublin-Verfahren syrischer Staatsangehöriger werden zum gegenwärtigen Zeitpunkt von uns weitestgehend
faktisch nicht weiter verfolgt. https://twitter.com/bamf_dialog/status/636138495468285952.
20. h ttp://www.bild.de/politik/inland/twitter/kurznachricht-die-deutschland-zum-zufluchtsor t-
machte-42642974.bild.html (26.10.2017).
21. «  Wir schaffen das!  »  : ce mot d’ordre controversé demeure le symbole de la politique allemande face
à la crise migratoire de 2015 https://www.bundesregierung.de/Content/DE/Mitschrift/Pressekonferenzen
/2015/08/2015-08-31-pk-merkel.html (26.10.2017).
22. http://www.zeit.de/2015/37/willkommenskultur-deutschland-fluechtlinge-zeitgeist (26.10.2017) Cet état
d’esprit résolument pro-accueil s’inscrit dans la mobilisation citoyenne de refus du populisme xénophobe
(Pegida, AfD). Cf. Stine Marg et al., NoPegida. Die helle Seite der Zivilgesellschaft ? Transcript, Bielefeld
2016.
23. h ttps://www.stern.de/politik/deutschland/so-herzlich-heisst-deutschland-die-fluechtlinge-willkom-
men-6437006.html (26.10.2017) http://www.bild.de/byou/2015/fluechtling/12-gruende-warum-wir-uns-
auf-euch-freuen-42397998.bild.html (26.10.2017).
24. Cf. par ex. Libération http://www.liberation.fr/planete/2015/08/27/l-allemagne-un-modele-d-accueil-en-
europe_1370767 (26.10.2017).
http://time.com/time-person-of-the-year-2015-angela-merkel-choice/ (26.10.2017).
25. h ttp://www.lepoint.fr/europe/crise-des-migrants-angela-merkel-isolee-en-europe-14-02-2016-2017
815_2626.php (26.10.2017) http://www.liberation.fr/societe/2015/05/16/demandes-d-asile-en-europe-
manuel-valls-oppose-aux-quotas-de-migrants_1310613 (26.10.2017).
La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise 99

combinée de renvois et de réinstallations (resettlement) des réfugiés syriens26. L’effet


de ce pacte migratoire, conjointement à la fermeture de la route des Balkans, est
incontestable : en 2016, l’Allemagne n’enregistre plus que 16 000 demandes d’asile
mensuelles en moyenne, contre 200  000 par mois au plus fort de la crise migra-
toire en 201527. Il est pourtant violemment critiqué. Les objections sont de nature
morale (l’UE – et donc l’Allemagne – devient ainsi co-responsable de la situation des
réfugiés en Turquie, dont les standards d’accueil et sociaux sont notoirement insuf-
fisants)  ; juridique (le système d’asile en Grèce, déficient, ne correspond pas aux
normes du droit européen) ; et politique (en légitimant le régime autoritaire de Recep
Tayyip Erdoğan, l’Allemagne s’expose à subir des pressions sans être en capacité d’y
répondre avec la fermeté requise, au risque de mettre en péril le marché conclu).
En 2016 un revirement se produit dans l’opinion publique, désormais dubitative
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face à l’ouverture migratoire. Trois facteurs majeurs en sont la cause : les événements
de la nuit de la Saint Sylvestre en 2015 à Cologne28 ; les attentats terroristes perpétrés
ou revendiqués par l’État islamique (EI) en Europe et bientôt aussi en Allemagne29 ;
la prise de conscience de l’ampleur du défi migratoire à l’échelle locale. Il se révèle
en effet colossal, tant au plan immédiat de l’accueil d’urgence (hébergement) qu’en
termes d’intégration socio-économique et culturelle à moyen et à long terme. En 2015,
l’Allemagne a accueilli plus de deux millions de nouveaux migrants, et accuse in fine
un solde migratoire de plus d’un million de personnes (le plus élevé depuis 1992).
Les réfugiés constituent le plus gros groupe : notamment Syriens (plus de 300 000),
Afghans (près de 80 000) ou Irakiens (près de 60 000)30. Face à l’afflux de réfugiés,
le Bamf est rapidement débordé, ses structures manifestement sous-dimensionnées
(manque de personnel, manque de formation) sont incapables de traiter les demandes
d’asile avec la diligence requise. Les communes tout aussi impréparées, au bord de la
rupture, s’estiment abandonnées par les pouvoirs publics31. Dans l’espace médiatique
et la sphère politique (y compris au sein de la CDU32), l’élan initial cède la place à
de vives critiques. L’insatisfaction grandit, comme le révèle un sondage d’ARD-Infra-
test Dimap en février 2016 : 61 % des Allemands ne sont pas satisfaits de la grande
coalition, 81 % estiment que le gouvernement Merkel « ne maîtrise pas la crise des
26. L’accord stipule que les migrants qui arrivent en Grèce depuis la Turquie sont désormais reconduits en Turquie.
Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie l’UE s’engage en échange à réinstaller dans l’Union un réfugié syrien
(règle 1 :1). L’UE octroie 3 milliards d’euros à la Turquie pour la gestion des réfugiés.
27. Chiffres de l’Institut de recherche sur l’emploi IAB, cf. http://www.t-online.de/nachrichten/deutschland/gesell-
schaft/id_78810646/fluechtlinge-immer-weniger-migranten-kommen-nach-deutschland.html (26.10.2017).
28. Le 31 décembre 2015 Cologne est le théâtre de centaines d’agressions à caractère sexuel contre des femmes,
perpétrées par de jeunes hommes immigrés/réfugiés. Ces événements inédits par leur nature et leur ampleur
marquent un tournant dans le traitement médiatique et politique de la question migratoire en Allemagne.
29. Après Paris en 2015, Bruxelles et Nice en 2016, l’Allemagne est frappée à son tour : l’attentat perpétré le
19 décembre 2016 sur le marché de Noël de la Breitscheidplatz à Berlin (12 morts, 48 blessés) ravive la
controverse sur la politique d’immigration d’A. Merkel. « Ce sont les morts de Merkel ! » tweete ainsi Markus
Pretzell (AfD) : Es sind Merkels Tote ! #Nizza #Berlin.
30. BMI (Éd.), Bamf, Migrationsbericht 2015, Nuremberg 2016, p. 40s.
31. https://www.welt.de/politik/deutschland/article160312839/Warum-die-Fluechtlingskosten-2016-aus-dem-
Ruder-liefen.html (27.10.2017) http://www.zeit.de/politik/deutschland/2015-10/fluechtlinge-kommunen-
ueberforderung (27.10.2017) http://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/wirtschaftspolitik/dstgb-kommunen-
sehen-sich-bei-fluechtlingen-an-leistungsgrenze-13998370.html (27.10.2017). Voir aussi la lettre de colère
adressée à A. Merkel par les maires des villes et municipalités de Rhénanie du nord-Westphalie le 21 octobre
2015 http://www.rp-online.de/polopoly_fs/brief-1.5486460.1445422593!file/brief.pdf (27.10.2017).
32. Voir la lettre ouverte à A. Merkel, signée par 50 personnalités politiques de la CDU – une « rébellion ouverte »
selon Focus http://www.focus.de/politik/videos/rebellion-gegen-die-kanzlerin-offener-brief-an-merkel-50-
unionspolitiker-fordern-wende-in-fluechtlingskurs_id_5220099.html (30.10.2017).
100 Gwénola Sebaux

réfugiés  », 93  % déplorent l’incapacité des partenaires de coalition à s’entendre


sur des solutions migratoires adéquates33. A.  Merkel est au centre de la critique  :
beaucoup ne voient plus dans sa politique d’accueil qu’un dangereux facteur « pull »,
thèse du reste accréditée par les posts de réfugiés brandissant la photo de la chance-
lière, ou encore ses selfies controversés avec des réfugiés, aux effets démultipliés sur
les réseaux sociaux34. Au-delà du discours de bienvenue et de la posture d’accueil,
force est de reconnaître que la décision de ne pas renvoyer les réfugiés dans les
autres pays européens a contribué à saper le système de Dublin35 et par conséquent
le système d’asile européen – du reste jugé obsolète par A. Merkel elle-même36.
Face à cette nouvelle donne migratoire, confronté au désarroi ou à l’incompréhen-
sion de l’opinion publique, contraint enfin de prendre en compte la dimension sécuri-
taire, le 3e cabinet Merkel (CDU/CSU et SPD) entreprend alors une vaste réflexion
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stratégique afin d’élaborer un management migratoire à la mesure de l’enjeu. Ce
management se déploie autour de cinq grands axes :
––une politique du retour (volontaire ou forcé),
––un aggiornamento de la migration de travail,
––une politique d’asile extraterritoriale,
––une politique diplomatique (prévention des crises),
––une politique d’intégration « actualisée ».

Politique du retour
Dès l’automne 2015 et non sans une certaine contradiction avec la rhétorique de
bienvenue, de nouvelles dispositions législatives sont prises. Elles visent à rationaliser
la gestion de l’asile et tendent à en durcir les modalités. Un premier train de mesures
(Asylpaket  I) est ainsi adopté en octobre pour accélérer ou durcir les procédures
d’asile, et faciliter l’accueil des réfugiés. Il prévoit notamment l’extension de la liste
des pays sûrs, la réduction des allocations financières et leur remplacement par des
prestations en nature. Mais il assouplit aussi la législation en matière de construc-
tion et d’aménagement urbain, en réponse à la problématique de l’hébergement
des migrants dans un marché immobilier déjà tendu. Un second train de mesures
(Asylpaket II) entre en vigueur en mars 2016, et permet de restreindre l’asile : outre
l’assignation dans le centre d’accueil durant l’instruction de la demande d’asile, il
suspend pour une durée de deux ans le regroupement familial pour les demandeurs

33. https://www.infratest-dimap.de/umfragen-analysen/bundesweit/ard-deutschlandtrend/2016/februar/
(30.10.2017).
34. En septembre 2015, lors de la visite d’un centre d’accueil à Berlin-Spandau, A. Merkel se prête à plusieurs
selfies avec des réfugiés. Sur l’impact des images et photos à l’ère des portables, de Facebook et des
portails internet des grands médias, voir Mohamed Amjahid  : «  Die Kraft der Bilder. Die Kehrseite der
Willkommenskultur » in Anja Reschke (Éd.), Und das ist erst der Anfang. Deutschland und ihre Flüchtlinge,
rowohlt, Reinbek bei Hamburg, 2015, p. 99-109.
35. Le système de Dublin prévoit une coordination efficace des demandes d’asile dans l’UE. Il oblige les réfugiés à
déposer leur demande d’asile dans le premier pays membre où ils arrivent. Le règlement « Dublin III » adopté
en 2013 fait peser les efforts principalement sur l’Italie et la Grèce, aux frontières extérieures de l’UE – cause
majeure de la faillite du système en 2015 sous la pression irrépressible de la migration de fuite.
36. Cf. discours d’A. Merkel devant le Parlement européen le 7 octobre 2015 : « Soyons francs, la procédure
de Dublin dans sa forme actuelle est obsolète. Son intention était bonne – sans nul doute. Mais au bout du
compte elle n’apparaît plus adaptée aux défis à nos frontières extérieures ». https://www.bundeskanzlerin.
de/Content/DE/Rede/2015/10/2015-10-07-rede-bkin-eu-parlament.html (26.10.2017).
La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise 101

sous protection subsidiaire37, réduit les allocations, et supprime les obstacles à l’expul-
sion (par ex. d’ordre médical)38. Outre ces mesures coercitives ou dissuasives, un outil
central de l’action politique est le retour des migrants dans leur pays.
Le retour, volontaire ou forcé, des déboutés du droit d’asile est en 2016 l’un des
grands thèmes du débat politique. C’est le premier levier actionné par la grande
coalition en réponse à l’explosion des demandes d’asile. Après une première augmen-
tation sensible en 2014 avec près de 203 000 demandes (+ 76 000), 2015 marque
en effet une hausse spectaculaire : près de 477 000 demandes, soit plus du double
de l’année précédente. Le nombre culmine en 2016 à plus de 745 500 demandes (cf.
fig. 1), ce pic s’expliquant par le report d’un grand nombre de demandes n’ayant pu
être déposées en 2015 auprès des services fédéraux débordés39.
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2017* 168 306

2016 745 545

2015 476 649

2014 202 834

2013 127 023

2012 77 651

1- Nombre total de demandes d’asile en Allemagne de 2012 à 2017 (*sept. 2017)


Source : Statista

En 2015, les demandes d’asile émanent principalement de personnes venues des


Balkans occidentaux et des États du Maghreb. Elles sont presque toutes refusées.
Pour ce faire, le cabinet Merkel recourt à un instrument de régulation déjà éprouvé :
la notion de pays sûrs, développée grâce au «  compromis sur l’asile  » de 1993.
Début 2016, la liste des pays sûrs est donc étendue à huit nouveaux pays : Serbie,
Macédoine, Albanie (pays candidats à l’entrée dans l’UE), Herzégovine, Monténégro,
Kosovo, Ghana et Sénégal. Cette classification n’interdit pas les demandes d’asile de
ressortissants de ces États, mais elle induit un renversement de la charge de la preuve
(il appartient au demandeur de prouver qu’il est persécuté ou menacé). La coalition
Merkel y voit un moyen de lutter contre le détournement du droit d’asile (migration
économique ou migration « de pauvreté »). Ce système est d’autant plus dissuasif que
les contraintes sont lourdes :

37. La protection subsidiaire est accordée à toute personne dont la situation ne garantit pas un droit à l’asile et
ne répond pas non plus à la définition du statut de réfugié mais qui, pour des raisons humanitaires (si elle est
menacée dans son pays d’origine), ne peut être renvoyée.
38. Seules les maladies graves sont désormais prises en compte, et la maladie doit être attestée de façon crédible.
39. Fin décembre  2015, le Bamf n’avait toujours pas statué sur plus de 400  000  premières demandes – soit
plus du double par rapport à 2014. L’embauche massive de personnel a permis ultérieurement de résorber
le retard  : au 30  juin 2017, il ne restait plus à statuer que sur 146  551  demandes. Cf. SVR, Fakten zur
Asylpolitik 1. Halbjahr 2017, 23.08.2017.
102 Gwénola Sebaux

––assignation à résidence dans les centres de premier accueil (où se fait l’instruc-
tion de la première demande) – potentiellement 6 mois et plus si la demande est
rejetée ;
––impossibilité de bénéficier des programmes d’intégration au marché du travail ;
––interdiction pendant 5 ans de rentrer à nouveau en Allemagne.
Du point de vue de l’exécutif, le concept de «  pays sûrs  » offre l’avantage de
rationaliser la politique d’asile, en montrant sa cohérence avec la Loi fondamentale
pour mieux la faire accepter par l’opinion allemande (seules les personnes véritable-
ment persécutées se voient accorder l’asile)40. Le vote à la majorité par le Bundestag,
en mai  2016, de l’inclusion des trois États du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie)
sur la liste des pays sûrs relève de cette même logique. L’opinion y est majoritaire-
ment favorable : 78 % des Allemands l’approuvent, selon un sondage d’ARD/Infratest
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Dimap41. Mais cette mesure politique est controversée et se heurte à l’opposition de
la Gauche, et surtout des Verts42. En mars  2017 elle n’est finalement pas ratifiée
par le Bundesrat, où la coalition n’a pas la majorité – un «  calcul politique  », et
un « mauvais signal pour la lutte contre l’immigration illégale », déplore le ministre
de l’Intérieur Thomas de Maizière43. La question reste donc en suspens durant la
campagne des législatives. Elle est à l’ordre du jour dans les négociations de coalition
« Jamaïque » menées en octobre 2017 entre la CDU/CSU, les Verts, et le FDP (lui
aussi favorable à l’inclusion des États du Maghreb dans la liste « sûre »44). Le concept
de pays « sûrs » est délicat et complexe si l’on en croit les disparités européennes en la
matière, évidemment préjudiciables à un système d’asile efficient. Les deux Chambres
fédérales restent à ce jour les instances de décision, et l’opinion allemande tient à
cette souveraineté nationale. C’est donc bien selon ce principe de « sûreté » estimée
des États que l’exécutif fonde sa politique active de retour.
Le taux de refus des demandes d’asile est en 2017 de 39 %. Mais les expulsions
restent très controversées, comme l’illustre le cas de la protection des demandeurs
d’asile d’Afghanistan. Les expulsions relèvent de la compétence des Länder et les
pratiques diffèrent : ainsi début 2017 cinq Länder sous gouvernement rouge-vert (dont
le Schleswig-Holstein et la Basse-Saxe) suspendent les expulsions vers l’Afghanistan,
estimé insuffisamment sûr. Au grand dam des ONG, le taux de reconnaissance du
statut de réfugié tend pourtant à se réduire pour les ressortissants afghans, en dépit
de l’instabilité politique et de l’insécurité du pays45. La grande coalition agit aussi en
amont par la dissuasion à l’émigration en Allemagne. Une double campagne d’infor-
mation physique et numérique (campagne d’affichage dans les villes et les campagnes
d’Afghanistan, site web dédié et réseaux sociaux) lancée dès l’automne 2015, vise à
40. Art. 16a de la Loi fondamentale : « Politisch Verfolgte genießen Asylrecht » (Les personnes persécutées politi-
quement ont droit d’asile).
41. https://www.infratest-dimap.de/umfragen-analysen/bundesweit/ard-deutschlandtrend/2016/februar/
(30.10.2017).
42. http://www.spiegel.de/politik/deutschland/bundestag-marokko-algerien-und-tunesien-sichere-herkunftslaen-
der-a-1092191.html (30.10.2017).
http://www.zeit.de/politik/deutschland/2017-03/maghreb-staaten-sichere-herkunftslaender-bundesrat-
abstimmung (30.10.2017).
43. h ttps://www.bmi.bund.de/SharedDocs/kurzmeldungen/DE/2017/03/statement-bundesrat-maghreb-
staaten.html (30.10.2017).
44. https://www.stern.de/news/lindner-pocht-auf-einstufung-von-maghreb-staaten-als-sichere-herkunftslaen-
der-7658422.html (30.10.2017).
45. Le taux de reconnaissance est de 44,1 % au 1er semestre 2017, contre encore 55,8 % en 2016. Cf. Bundesrat
Drucksache 390/17, Gesetz zur besseren Durchsetzung der Ausreisepflicht, 2.06.2017.
La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise 103

combattre les rumeurs d’accueil infondées (RumoursAboutGermany)46. Enfin pour les


étrangers déjà présents en Allemagne, l’alternative la plus encouragée est désormais
le retour volontaire.
Les étrangers tenus de quitter l’Allemagne (Ausreisepflichtige) sont les personnes
« dublinées », non reconnues comme réfugiés, ou dont le titre de séjour ne peut être
autorisé ou renouvelé. Le Bamf joue un rôle central d’information, de conseil et de
gestion du retour47. Divers programmes encadrent le dispositif, tels les REAG/GARP
sous l’égide de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), pour le compte
du ministère fédéral de l’Intérieur et des ministères des Länder48. Ces programmes
cofinancés par l’UE et les instances fédérales allemandes favorisent et financent le
retour volontaire dans le pays d’origine ou un pays tiers, et aident à la réintégration
via des allocations financières (Starthilfen). Le retour volontaire assisté concerne au
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premier chef les ressortissants des Balkans, déclarés pays sûrs  : en 2016 surtout
l’Albanie (près de 17 000) et la Serbie (plus de 6 000) ; mais aussi l’Irak (5 660),
l’Afghanistan (3  322) et l’Iran (2  310). De 2013 à 2016, le nombre de retours
volontaires est ainsi multiplié par cinq (de 10 000 à 54 000), avec une augmentation
spectaculaire en 2015 et 201649 (cf. fig. 2). Les retours forcés sont, eux, moitié moins
nombreux (26 654 en 2016)50.
60 000

50 000

40 000

30 000

20 000

10 000

0
2012 2013 2014 2015 2016
2 – Personnes ayant regagné volontairement leur pays via le programme REAG/GARP
(G.S. d’après www.bamf.de)

Forte du succès de cette stratégie, la grande coalition multiplie les projets similaires
d’aides à «  un nouveau départ  », tels «  StarthilfePlus  » (lancé en février  2017)51,
le «  projet de retour au Kosovo  », ou encore ERIN (Euro Reintegration Instrument

46. www.rumoursaboutgermany.info; sur twitter : #RumoursaboutGermany.


47. http://www.bamf.de/DE/Infothek/FragenAntworten/FreiwilligeRueckkehr/freiwillige-rueckkehr-node.html
(27.10.2017).
48. REAG  : Reintegration and Emigration Programme for Asylum-Seekers in Germany. GARP  : Government
Assisted Repatriation Programme. Ce type de programme de retour volontaire assisté a déjà été activé à la fin
des années 1990, après la fin des conflits dans les Balkans (éclatement de l’ex-Yougoslavie).
49. h ttp://www.bamf.de/DE/Infothek/Statistiken/FreiwilligeRueckkehr/freiwillige-rueckkehr-node.html
(1.10.2017).
50. https://www.deutschland-kann-das.de/Webs/DEKD/DE/Politik/Wissenswertes/FAQ-Bilanz/_node.html
(20.10.2017).
51. « StarthilfePlus » prévoit, outre la prise en charge des frais de voyage, une aide de 1 200 euros aux personnes
âgées de 12  ans et plus si elles s’engagent au retour et retirent leur demande d’asile avant la fin de la
procédure. Celles dont la demande a déjà été rejetée ont droit à 800 euros si elles quittent l’Allemagne sans
déposer de recours. Pour éviter les abus, ce programme ne concerne pas les ressortissants des Balkans.
104 Gwénola Sebaux

Network) – ce dernier financé surtout par l’UE Tous ces projets dûment médiatisés et
explicités sur l’Internet52 concourent à la réduction du nombre d’expulsions.
Certes le principe de retour « volontaire » n’est pas en soi tellement nouveau : le
premier cabinet Kohl (CDU/CSU et FDP) y a recouru déjà en 1983 en votant la « loi
visant à encourager ponctuellement le retour volontaire des étrangers  »53. Mais le
« management du retour » déployé par la grande coalition s’inscrit dans une vision
plus ambitieuse, tendant vers un système d’asile plus cohérent et transversal. Cela se
traduit par la création de nouvelles instances, comme le centre de coordination entre
l’État fédéral et les Länder54. Ce «  management intégré  » est l’une des dimensions
vraiment novatrices de la politique migratoire allemande.
Toutefois cette politique volontariste du retour n’est pas exempte de difficultés,
institutionnelles et techniques (manque de personnel), ou sociétales. La notion même
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de retour « volontaire » est sujette à caution, et les retours forcés génèrent une forte
opposition. Un exemple frappant en est l’asile des Églises (Kirchenasyl) qui s’oppose
ouvertement à la stratégie politique de l’expulsion. De même les mobilisations
citoyennes ad hoc contre les expulsions. La politique du retour demeure centrale et
toujours controversée en 2017 : outil éprouvé en termes de régulation migratoire, elle
n’en demeure pas moins contestée quant à la pertinence de la liste des pays réputés
« sûrs », et aux modalités de son application.

Migration de travail : aggiornamento


La politique migratoire allemande a longtemps été axée sur la sélection de
personnes hautement diplômées. Au fil des législatures d’A. Merkel, une évolution se
fait jour. Dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre qui caractérise l’Allemagne
vieillissante, il s’agit de répondre à la demande pressante des entreprises allemandes.
Ainsi les étrangers non titulaires d’un diplôme universitaire, mais qualifiés, peuvent
émigrer en Allemagne pour y travailler dans les secteurs d’emploi ouverts par l’Agence
fédérale pour l’emploi – secteurs en manque de main-d’œuvre (Mangelberufe). Mais
la gestion concrète est loin d’être optimale, l’asile restant le principal canal utilisé par
les migrants « économiques ». Le chaos généré par la crise migratoire à l’automne
2015 (qui provoque la démission du directeur du Bamf55) contraint la grande coalition
à remettre à plat sa politique en matière de migration de travail. Pour désengorger
le système d’asile, elle ouvre un canal d’immigration à visée professionnelle pour les
personnes ne relevant pas de l’asile. Cette ouverture vise spécifiquement les ressortis-
sants des Balkans occidentaux, qui peuvent dès lors accéder au marché allemand sans
passer par une requête d’asile peu susceptible d’être acceptée. Les premiers résultats
d’enquêtes empiriques montrent que ce dispositif favorise une meilleure régulation des
canaux migratoires et permet in fine de compenser les restrictions d’asile visant les

52. 
https://www.returningfromgermany.de/ (1.10.2017).
53. 
http://dipbt.bundestag.de/doc/btd/10/003/1000351.pdf (30.10.2017).
54. 
Bund-Länder-Koordinierungsstelle zum Integrierten Rückkehrmanagement (BLK IRM) : instance dont les bases ont
été posées au printemps 2015 à la Conférence permanente des ministres de l’Intérieur et des sénateurs des Länder.
https://www.bamf.de/SharedDocs/Anlagen/DE/Downloads/Infothek/Rueckkehr/2%20kurzbericht-
bund-laender-koordinierungsstelle-2016.pdf?__blob=publicationFile (27.10.2017).
55. 
http://www.spiegel.de/politik/deutschland/manfred-schmidt-bamf-praesident-tritt-zurueck-a-1053365.html
(26.10.2017).
La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise 105

Balkans occidentaux56. Les statistiques sont éloquentes  : au premier semestre 2017


l’Allemagne a accueilli environ 90 000 nouveaux demandeurs d’asile, soit moins de
la moitié qu’au premier semestre 2016 (222 000). In fine environ 111 000 personnes
ont fait une demande d’asile, soit 72 % de moins qu’à la même période en 201657.
La loi sur l’intégration votée en juillet 2016 procède de cette logique d’ouverture
professionnelle. Contrairement en effet à ce que son intitulé peut laisser supposer,
elle ne vise pas à promouvoir « l’intégration » au sens large (culturelle ou sociale),
mais cible avant tout l’intégration des réfugiés sur le marché du travail. À cette fin
elle assouplit le droit de séjour pour les personnes ayant des perspectives de séjour
durable, et lève la priorité à l’emploi accordée aux nationaux. Ainsi sous la pression
de la crise migratoire, la grande coalition parvient à s’inscrire dans un horizon de long
terme, au point d’assouplir encore sa réglementation sur la citoyenneté58. L’Allemagne
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compte désormais parmi les pays les plus libéraux au monde en termes de migration
de travail. Elle en a considérablement diversifié les canaux d’accès : d’abord exclusi-
vement ouverts aux étrangers hautement diplômés, puis aux étrangers qualifiés (ayant
terminé leur formation), ces canaux sont désormais ouverts aux étrangers disposant
de compétences et désireux de compléter leur formation en Allemagne, ou même aux
étrangers sans aucune formation initiale. C’est tout le sens du marketing ciblé que
développent pour le compte des autorités allemandes les agences ou centres d’infor-
mation à l’étranger, notamment dans les Balkans occidentaux59.
L’aggiornamento réclamé par les responsables politiques et diverses instances
scientifiques a donc bien eu lieu. Depuis 2014, le législateur a considérablement
assoupli les réglementations : ainsi l’interdiction de travailler est levée au bout de 3,
ou au plus 6 mois pour le demandeur d’asile dont la requête est en cours d’instruc-
tion. Certaines mesures particulièrement libérales de la loi sur l’intégration sont la
preuve d’un consensus politique remarquable quant à l’intégration des demandeurs
d’asile sur le marché de l’emploi. Une excellente illustration en est le système novateur
du « Spurwechsel » (changement de file) à la suédoise, qui ouvre la possibilité aux
demandeurs déboutés et aux personnes tolérées (ne pouvant être expulsées) d’enta-
mer ou de poursuivre une formation professionnelle, et de bénéficier d’une tolérance
de jusqu’à 6 mois supplémentaires une fois leur diplôme acquis pour rechercher un
emploi conforme à leur qualification60. Autrement dit, il s’agit de passer du champ
de l’asile à celui de la migration de travail. Ce nouveau paradigme n’appelle plus
qu’une nouvelle Loi sur l’immigration dédiée à la gestion maîtrisée de l’immigration
(au mieux des intérêts économiques allemands), dont nul ne conteste plus la néces-
sité61. Objet de vifs débats durant la 3e législature Merkel, une telle loi sur l’immigra-
tion n’a pu voir le jour sous l’égide de la grande coalition, faute d’accord politique. Et

56. SVR (Ed.), Chancen in der Krise  : Zur Zukunft der Flüchtlingspolitik in Deutschland und Europa.
Jahresgutachten 2017, Berlin 2017, p. 77.
57. SVR, Fakten zur Asylpolitik, 1. Halbjahr 2017, 23.08.2017.
58. Les réfugiés de statut peuvent dès 6  ans de résidence en Allemagne (au lieu de 8) acquérir la nationalité
allemande s’ils réunissent les conditions requises (maîtrise linguistique, respect de la loi fondamentale, casier
judiciaire vierge), sans perdre leur nationalité d’origine si la persécution est toujours avérée dans leur pays.
59. La société de coopération internationale (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit – GIZ) entretient
ainsi au Kosovo un centre d’information « Migration, travail et carrière », cf. https://www.giz.de/en/media-
center/37382.html (30.10.2017).
60. SVR, ‘Spurwechsel’ aus der Asyl- in die Erwerbsmigration. Chancen und Risiken, 19.07.2017.
61. h ttps://www.gruene-bundestag.de/presse/pressemitteilungen/2017/april/fuer-ein-zukunftsfestes-und-
nachhaltiges-einwanderungsgesetz-04-04-2017.html (31.10.2017).
106 Gwénola Sebaux

elle constitue un point de désaccord majeur dans les négociations d’une improbable
coalition « Jamaïque » : la CDU/CSU et le FDP souhaitant une immigration hautement
qualifiée selon le système à points canadien, le parti écologiste plaidant a contrario
pour une immigration largement ouverte au regroupement familial62.

Politique d’asile extraterritoriale


Le contexte migratoire déjà très tendu incite Thomas de Maizière à relancer, dès
novembre 2014, l’idée de créer des centres d’accueil dans les pays de transit pour
que les demandes d’asile y soient directement effectuées63. Le concept d’externalisa-
tion de la politique d’asile en dehors des frontières de l’UE n’est pas nouveau : Otto
Schily alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Schröder en a déjà défendu (sans
succès) le principe exactement dix ans plus tôt, à l’automne 200464.
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L’accord conclu avec la Turquie en mars  2016 est la première concrétisation
politique de l’externalisation de l’asile, et montre que le retour de migrants illégaux
dans les États d’origine ou de transit peut être systématisé. Les pays envisagés sont les
États d’Afrique du nord : Tunisie, Libye ou Égypte – trois pays que les migrants quittent
par bateau pour traverser la Méditerranée, voie de passage privilégiée depuis la
fermeture de la route des Balkans. Reste à créer des « zones sécurisées » dans ces États-
tiers… dont aucun ne figure sur la liste des pays « sûrs ». La duplication de l’accord
turco-européen en Afrique du nord a par conséquent été l’un des thèmes politiques
très discutés sous le 3e cabinet Merkel, sans avoir trouvé de traduction concrète. Une
telle procédure permettrait de centraliser la politique d’asile au plan européen, par
exemple sous l’égide du HCR ou de l’OIM. Surtout, l’ouverture d’une voie légale
d’émigration rendrait moins attractif le dangereux voyage par la Méditerranée. Pour
l’heure, cette stratégie achoppe encore sur la délicate question des quotas de réfugiés,
et plus encore sur l’absence d’unité du droit d’asile dans l’Union européenne. L’action
diplomatique allemande est ici particulièrement complexe et délicate : toute la question
est d’agir sans pour autant soutenir les régimes autoritaires, et en s’assurant de la
qualité de l’accueil et du respect des droits de la personne dans les États d’origine ou
de transit.

Politique diplomatique : prévention des crises, politique de paix


La lutte contre les causes de fuite (et non plus seulement contre les passeurs) est
l’un des pivots du nouveau management migratoire de la grande coalition. Comme
ses homologues européens Angela Merkel l’a intégrée dans son répertoire politique.
Cette nouvelle stratégie répond à une demande politique forte, ouvertement formulée
par le Bundestag en décembre 2015 : « Lutter contre les causes de la fuite plutôt que
contre les réfugiés »65. La stratégie est à double ressort puisqu’elle repose sur l’action
conjuguée du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Coopération
économique et du Développement. Ces deux champs politiques combinent ainsi la
diplomatie de crise et l’aide au développement : le premier œuvre à la stabilisation
62. 
Cf. l’émission-débat de Sandra Maischberger : « Äusländer rein ! Was bringt ein Zuwanderungsgesetz ? »
le 18.10.2017 sur ARD.
63. 
http://www.tagesspiegel.de/politik/flucht-nach-europa-innenminister-will-auffanglager-in-afrika/10972276.
html (1.11.2017).
64. 
h ttp://www.faz.net/aktuell/politik/asylpolitik-schily-fuer-fluechtlingslager-in-afrika-1178370.html
(1.11.2017).
65. 
http://dip21.bundestag.de/dip21/btd/18/070/1807046.pdf (1.11.2017).
La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise 107

des régions en crise, le second se concentre sur l’action humanitaire. Tous deux sont
certes dans leur rôle classique, le volet novateur est l’étroite collaboration des deux
instances. En outre ce « management intégré » s’étend au ministère de l’Intérieur, qui
envoie du personnel de régulation migratoire dans le cadre des missions des Nations
Unies, de l’UE, de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe)
ou de l’agence européenne de garde-frontières Frontex66.
De 2013 à 2017 l’Allemagne a consacré plus de 12 milliards d’euros à la réduc-
tion des causes de fuite dans les pays de départ et de transit. Ce budget soutient des
projets très diversifiés : approvisionnement en eau potable, soutien psychologique aux
victimes des conflits, offres de formation… etc. Ces aides sont essentiellement desti-
nées aux pays voisins de la Syrie, au Sud-Soudan, à la République de Centrafrique
et aux États limitrophes. D’autres programmes soutiennent le développement socio-
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économique au Proche-Orient (par ex. Cash for Work). Aide à la Jordanie, soutien au
Liban, à la Somalie… : l’objectif est dans tous les cas de « promouvoir l’État de droit et
la bonne gouvernance », tout en soutenant l’économie et l’emploi. À titre d’exemple,
l’aide au développement allouée par l’Allemagne à la Tunisie depuis la révolution de
Jasmin (2011) a été multipliée par six entre 2010 et 201567.
L’Allemagne assoit son leadership migratoire et le fonde sur un triptyque : « Prévenir
les crises, gérer les conflits, promouvoir la paix  ». C’est le message délivré par le
chef de la diplomatie allemande à l’occasion du Forum mondial sur les migrations
et le développement (FMMD) des 28-30 juin 2017 à Berlin, sous la coprésidence de
l’Allemagne et du Maroc. La politique allemande repose sur le primat de la diploma-
tie sur l’action militaire – ce que Sigmar Gabriel appelle « une diplomatie de paix
moderne »68. De fait, les multiples déplacements en Afrique ou au Moyen-Orient de
Frank-Walter Steinmeier, puis de son successeur aux Affaires étrangères en 2017
s’inscrivent clairement dans ce nouveau paradigme de prévention des conflits : ainsi
la visite de S. Gabriel en avril à Amman (Jordanie), en mai à Mogadiscio (Somalie),
ou début juin en Libye, en proie aux instabilités depuis la chute en 2011 du dicta-
teur Mouammar Kadhafi. Les voyages d’A. Merkel elle-même en Libye, au Niger, en
Afrique sub-saharienne, en Égypte ou dans les pays du Maghreb participent du même
objectif. En définitive, cet activisme diplomatique est la marque d’un incontestable
leadership allemand, assez frappant au sommet du G20 à Berlin (sous présidence
allemande) en juin 2017. Le gouvernement fédéral a fait du partenariat avec l’Afrique
l’une des priorités de sa présidence du G2069. Ce volontarisme s’explique par un
nouvel afflux massif de réfugiés en Italie à l’été 2017, suite aux crises politiques en
Ouganda et en République démocratique du Congo – augurant d’une possible nouvelle
crise migratoire. D’où les efforts tous azimuts déployés par l’exécutif allemand, peu
soucieux de voir se renouveler le chaos des années 2015-2016. Ainsi l’action diplo-
matique se double-t-elle désormais d’un vaste programme de coopération économique
66. Par ex. en 2016, 3  projets de coopération bilatérale avec l’Afghanistan, la Tunisie et l’Arabie Saoudite
https://www.aussiedlerbeauftragter.de/SharedDocs/Kurzmeldungen/DE/2016/09/feierstunde-
auslandsrueckkehrer-2016.html (2.11.2017).
67. www.allemagne.diplo.de (20.02.2017).
68. Discours du chef de la diplomatie devant le Bundestag le 30 juin 2017. Voir aussi l’adoption par le gouverne-
ment du document d’orientation stratégique pour la prévention des crises, la gestion des conflits et la promotion
de la paix (14 juin 2017) http://www.auswaertiges-amt.de/DE/Infoservice/Presse/Reden/2017/170630-
BM-BT_Leitlinien_Krisenpr%C3%A4vention.html?nn=720794 (2.11.2017).
69. Thème clé du G20 de juin : « G20 Africa Partnership : Investing in a Common Future ». Cf. www.allemagne.
diplo.de (13.06.2017).
108 Gwénola Sebaux

germano-africaine, visant à freiner l’émigration  : investissement des entreprises


allemandes sur le continent africain, soutien du gouvernement aux PME et start-up
africaines, coopération en matière de formation professionnelle70.
Ces initiatives laissent pourtant certains observateurs sceptiques. L’économiste
kenyan James Shikwati reproche ainsi à l’Allemagne de rechercher «  une stabilité
artificielle  » en Afrique, en se cachant derrière «  l’aide au développement  » pour
exporter son système de valeurs et pour renforcer ses propres intérêts commerciaux71.
Ce dernier point au moins semble en effet peu contestable.

Politique d’intégration « actualisée »


Dans le contexte de l’afflux de centaines de milliers de réfugiés, l’intégration72 a
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été et reste un défi central pour le gouvernement allemand. La politique d’intégration
des réfugiés menée par la grande coalition comporte trois grands volets :
––L’accueil et la répartition sur le territoire national,
––La formation et l’emploi,
––La transmission des valeurs de l’État de droit.
Nous en résumons ci-dessous succinctement les principaux éléments.
L’accueil et la répartition sur le territoire national
Le premier accueil est du ressort des Länder et des communes qui se répartissent les
compétences. En 2016, l’exécutif crée de nouveaux centres d’accueil d’urgence pour
les réfugiés et les demandeurs d’asile. Le nouveau concept de « management intégré »
permet une cogestion plus efficace du Bamf et des Länder : la totalité de la procédure
de demande d’asile se déroule en effet dans ces centres. La répartition des deman-
deurs d’asile dans les Länder s’effectue selon la clé de Königstein, établie en fonction
du nombre d’habitants et des recettes fiscales73. Ce système est toutefois critiqué car
il ne tient pas compte de données essentielles pour une bonne intégration : infrastruc-
tures, marché du travail, parc immobilier, offre de formation…74 Les Länder répartissent
leurs quotas respectifs en lien avec les communes, lesquelles reçoivent une indemnité
forfaitaire par réfugié. Les procédures d’hébergement varient fortement d’un Land à
l’autre, selon le parc immobilier disponible : hôtels, résidences, usines désaffectées,
gymnases ou casernes, voire même containers et tentes. Les tensions du marché du
logement dans les régions de forte concentration urbaine représentent un défi majeur.
La ville-État de Hambourg (2e ville d’Allemagne) constitue à cet égard un cas d’école :
l’accueil des réfugiés ne s’y fait qu’après d’âpres négociations entre les habitants
et les élus, non sans protestations d’initiatives citoyennes et après force doléances

70. Voir par ex. la plateforme en ligne PortalAfrica gérée par la société de marketing Germany Trade & Invest :
http://www.portalafrika.de/impressum/ (2.11.2017).
71. http://www.allemagne.diplo.de/Vertretung/frankreich-dz/fr/__pr/nq/2017-11/2017-11-03-g20-afrique-
pm.html (5.11.2017).
72. Par intégration il faut ici entendre la participation à égalité de droits dans les champs centraux de la société.
73. La clé de Königstein est un outil éprouvé, car déjà utilisé pour l’accueil des Aussiedler (Allemands de statut
venus de Pologne, Roumanie et ex-URSS) au tournant des années 1980 et dans les années 1990 (Loi d’attri-
bution du lieu de résidence – Wohnortzuweisungsgesetz). Cf. G. Sebaux : « Incidences socio-économiques
et démographiques de l’immigration des Aussiedler en RFA  : les ressorts stratégiques de leur implantation
spatiale » in Serge Gouazé, Anne Salles, Cecile Prat-Erkert (Éd.), Les enjeux démographiques en France et en
Allemagne : réalités et conséquences, Villeneuve d’Ascq, Septentrion 2011, p. 235-250.
74. Cf. IW, Flüchtlinge besser verteilen. Ausgangslage und Ansatzpunkte für einen neuen regionalen Verteilungs-
mechanismus, Gutachten für die R. Bosch Stiftung, Cologne 2016.
La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise 109

auprès du sénat75. Hambourg illustre néanmoins la créativité des communes et des


villes allemandes face à un État en retrait, voire absent au plus fort de la crise. Le sénat
hambourgeois a ainsi créé en 2016 un « fonds d’intégration » initialement doté de
10 millions d’euros pour faciliter l’intégration dans les arrondissements de Hambourg,
et a parallèlement lancé un vaste programme de construction de logements76. Au vu
de l’ampleur du problème de l’hébergement à Berlin, Munich, Hambourg et dans
toutes les grandes métropoles allemandes, le gouvernement Merkel a tout de même
promulgué à la hâte de nouvelles dispositions législatives. Ainsi la « loi d’accélération
du dispositif d’asile » (octobre 2015) permet de requalifier certains bâtiments publics
en centres d’hébergement, elle autorise les containers mobiles et assouplit les normes
de construction. Le budget fédéral alloué au logement est porté à 1 milliard en 2016,
à 1,5 milliard en 2017. En outre, en vertu de la loi sur l’intégration, les demandeurs
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d’asile qui perçoivent des allocations peuvent être tenus de demeurer pendant trois
ans dans le lieu où le Land les a affectés (Wohnsitzauflage)77. Ce dispositif vise à
éviter la concentration dans les grandes villes, et plus généralement une ségrégation
ethnique préjudiciable à l’intégration. En dépit de tous ces efforts, le défi de l’héber-
gement est loin d’être maîtrisé et restera central pour la coalition à venir78.
La formation et l’emploi
De la maîtrise de ces deux variables dépendra à terme le succès de l’entreprise
d’accueil dans laquelle l’Allemagne s’est engagée. La première conditionnant la
seconde, la grande coalition sait que l’intégration se fera d’autant mieux qu’elle aura
été précocement engagée. Or, l’observation empirique montre la jeunesse des réfu-
giés. Les analyses des experts révèlent la structure socio-démographique des deman-
deurs d’asile en 2015-2016  : près des trois quarts ont moins de 30  ans, environ
un tiers sont mineurs, environ trois quarts sont de confession musulmane, 13 % sont
chrétiens et 5 % yézidis79. Plus généralement l’âge moyen de la population de natio-
nalité étrangère en Allemagne est d’environ 37 ans, contre 45 ans pour la population
de nationalité allemande. Avec l’apport des réfugiés, l’Allemagne a vu sa population
rajeunir : les ressortissants des pays en crise (Syrie, Afghanistan, Érythrée, Irak, Iran,
Nigeria, Somalie, Pakistan) ont en moyenne un peu plus de 26 ans. Ils arrivent à point
nommé dans un contexte de pénurie générale de main-d’œuvre, sensible tout parti-
culièrement dans les secteurs du bâtiment, de la santé et des soins à la personne. Or,
leur niveau d’études est relativement bon (31 % ont été à l’université ou ont suivi une
formation professionnelle, 32 % ont un diplôme du secondaire). Toutefois le niveau
global est très hétérogène  : un demandeur d’asile sur cinq a fait des études supé-
rieures, mais un sur cinq ne possède qu’une formation scolaire de base ou n’a jamais
été à l’école. Plus de 90 % arrivent sans aucune maîtrise de l’allemand80. La formation
linguistique à visée professionnelle est donc un enjeu crucial, et le cabinet Merkel l’a
parfaitement mesuré.
75. Hambourg a accueilli plus de 29  000  réfugiés entre janvier  2015 et juin  2016. Cf. Jürgen Friedrichs,
Felix Leßke, Vera Schwarzenberg  : «  Sozialräumliche Integration von Flüchtlingen. Das Beispiel Hamburg-
Harwestehude », APuZ 27-29/2017, p. 34-40.
76. http://www.hamburg.de/fluechtlinge-unterbringung (3.11.2017).
77. Sont exclus du dispositif les réfugiés de statut qui ont trouvé un travail ou sont admis à l’université.
78. Cf. Caterina Lobenstein : « Willkommen hinterm Stacheldraht », Die Zeit, 19.10.2017, p. 25s.
79. Bamf-Kurzanalyse 5/2016, Flucht, Ankunft in Deutschland und erste Schritte der Integration. Cf. aussi IAB,
Forschungsbericht 14/2016.
80. Institut der deutschen Wirtschaft (IW) Köln  : «  Gesamtwirtschaftliche Effekte der Flüchtlingsmigration in
Deutschland », 16.01.2017.
110 Gwénola Sebaux

En 2016 l’État a dépensé 18  milliards d’euros pour les réfugiés. Cette somme
englobe l’hébergement et la nourriture pour les réfugiés sans emploi (environ
12  000  euros par an et par réfugié), les cours d’intégration, la formation scolaire
et professionnelle et les investissements publics (par ex. construction de logements)
auxquels s’ajoutent les frais en matière de soins81. Selon les projections de l’Institut
de recherche économique de Cologne (IW), le coût de l’intégration va s’alourdir
encore : de près de 20 milliards d’euros en 2017 à 28,4 milliards en 2020. Le budget
consenti sur la période 2017-2020 représenterait alors près de 98 milliards d’euros.
Le ministère fédéral des Finances l’avait lui-même chiffré en 2016 à 94 milliards82.
Ces moyens considérables sont notamment dédiés aux cours d’intégration linguistique
et civique (évoqués plus loin), mais aussi à l’apprentissage de l’allemand dès le plus
jeune âge, par exemple via le programme « Sprach-Kitas » (langue & crèche) lancé
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en janvier 201683. Les programmes de formation (initiale ou continue) se sont quant
à eux multipliés, ou ont été réévalués pour favoriser une adéquation optimale avec
le bassin d’emplois84. Dans cette perspective le cabinet Merkel a engagé dès 2016
des partenariats avec l’industrie et l’artisanat, avec à la clé la constitution de réseaux
ciblés très actifs en matière d’intégration professionnelle des réfugiés85. La rhétorique
politique allemande s’est même enrichie du concept de « croissance inclusive », enten-
dant par-là « ouvrir des chances à tous les pans de la population et permettre à tous
d’avoir une part égale à la richesse créée »86. L’objectif peut paraître ambitieux, et
les scénarios de croissance des Instituts économiques sont plus ou moins optimistes.
Néanmoins, même le scénario le plus pessimiste selon lequel le niveau de formation
des réfugiés resterait au bout de cinq ans nettement inférieur à celui de la moyenne
nationale, et l’intégration sur le marché du travail très lente, l’apport en capital humain
resterait positif : + 0,7 % en 2020, selon les projections macroéconomiques de l’Ins-
titut IW.
La transmission des valeurs de l’État de droit
L’Allemagne a longtemps pensé l’intégration en termes exclusivement écono-
miques. Les événements de Cologne (nuit de la St Sylvestre) ont suscité une prise de
conscience. L’afflux de réfugiés de pays imprégnés par l’islam, tels le Pakistan ou
l’Iran, a ressuscité le délicat débat sur la Leitkultur (culture de référence) du début des
années 200087. Les avis divergent en effet quant à leur capacité ou volonté d’intégra-
tion selon les normes et les valeurs culturelles allemandes.
En conséquence, l’Office fédéral des migrations et des réfugiés fait désormais de
la transmission des valeurs démocratiques et socioculturelles une partie intégrante du
processus d’intégration. Les cours d’intégration créés avec la 1re loi sur l’immigration
de 2005, et gérés par le Bamf, demeurent centraux. La loi sur l’intégration de 2016
81. Chiffres (et suivants) d’après IW Köln, https://www.iwd.de/artikel/wachstumsfaktor-migration-320630/
(17.01.2017)
82. http://www.spiegel.de/politik/deutschland/fluechtlinge-bund-stellt-knapp-94-milliarden-euro-bis-2020-
bereit-a-1092256.html (09.11.2017).
83. https://sprach-kitas.fruehe-chancen.de/ (9.11.2017).
84. http://www.bamf.de/DE/Willkommen/DeutschLernen/DeutschBeruf/deutschberuf-node.html (9.11.2017).
85. À titre d’exemple : http://www.wir-zusammen.de (initiative des entreprises allemandes) ; http://www.netz
werk-iq.de (programme de mise en réseau à l’échelle nationale).
86. http://www.bmwi.de/Redaktion/DE/Dossier/schwerpunkte-wirtschaftspolitik.html (9.11.2017).
87. Cf. T. de Maizière : « Celui qui est sûr de sa culture de référence (Leitkultur) est fort », interview « Wir sind
nicht Burka  » au Bild am Sonntag, 30.07.2017. http://www.bild.de/bild-plus/politik/inland/thomas-de-
maiziere/leitkultur-fuer-deutschland-51509022,view=conversionToLogin.bild.html (5.11.2017).
La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise 111

a augmenté à 100 heures (au lieu de 60) le module d’orientation (Orientierungskurs),


portant ainsi le cours global d’intégration à 700 heures. Son contenu (cours de langue
+ cours d’orientation) est déterminé par une commission de praticiens, scientifiques
et représentants de l’État et des Länder. Initialement réservé aux titulaires d’un titre
de séjour, l’accès au cours a été étendu en octobre  2015 à d’autres groupes de
migrants  : demandeurs d’asile avec de bonnes perspectives de rester, personnes
tolérées, réfugiés. L’objectif est double  : d’une part l’acquisition de connaissances
linguistiques axées sur les métiers et l’emploi, et d’autre part l’intégration civique
(notamment la reconnaissance de l’égalité des sexes ou du droit à l’autodétermination
sexuelle). Outre les cours comme outils traditionnels d’intégration, le Bamf propose
dorénavant des formats plus souples, notamment par voie numérique, en mettant à
disposition des applications gratuites pour smartphones (apprentissage de l’allemand
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et des valeurs culturelles, informations ciblées pour faciliter l’intégration)88.
Il reste toutefois à convaincre l’opinion publique de l’efficacité de ces nouveaux
outils d’intégration. Rien n’est moins sûr, tant les doutes se sont insinués dans les
esprits : selon un sondage Emnid effectué en avril 2017, environ 50 % des personnes
interrogées estiment que le pays a atteint la limite de ses capacités d’accueil : « La
culture de bienvenue en Allemagne a réussi son premier grand "test de résistance"
mais a subi des dommages visibles » conclut à juste titre Ulrich Kober, directeur de la
fondation Bertelsmann89. Les grandes formations politiques en sont bien conscientes,
qui toutes ont adopté dans leurs programmes de campagne l’idée de l’impératif d’inté-
gration (certes selon des modulations diverses)90.

Une politique migratoire à haut risque


D’abord submergé et manifestement dépassé par la crise migratoire, le 3e cabinet
Merkel a soumis à rude épreuve le pays tout entier (régions, communes, collectivités),
au point de frôler la catastrophe politique. Angela Merkel « chancelière des réfugiés
malgré elle »91 s’est coupée durablement d’une partie de l’opinion et des élus locaux.
La postérité lui reprochera sûrement des erreurs dans l’exercice du pouvoir en cet été
de crise 2015 : naïveté, inconséquence ou incohérence. De fait, les volte-face opérées
par la chancelière (ouverture puis fermeture, ambivalences de la culture d’accueil)
sont de nature à nourrir le principal reproche qui lui est souvent fait : une « gestion
de crise chronique »92. S’y ajoute désormais celui d’une incontestable responsabilité
dans l’essor de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), grande gagnante des scores
miséreux de la CDU aux élections régionales de 2016 – jusque dans le fief merkelien

88. Cf. l’application « Ankommen » (Arriver), lancée en janvier 2016, disponible en allemand, anglais, français
et arabe : http://ankommenapp.de/APP/DE/Startseite/startseite-node.html (5.11.2017).
89. h ttps://www.bertelsmann-stiftung.de/de/themen/aktuelle-meldungen/2017/april/willkommenskultur-
besteht-stresstest-aber-skepsis-gegenueber-migration-waechst/ (5.11.2017).
90. Cf. Petra Bendel : « Alter Wein in neuen Schläuchen ? Integrationskonzepte vor der Bundestagswahl », APuZ
27-29/2017, op. cit., p. 4-9.
91. Formule empruntée au best-seller de Robin Alexander, Die Getriebenen. Merkel und die Flüchtlingspolitik :
Report aus dem Innern der Macht, Random House, Berlin 2017, p. 27-44.
92. Selon la formule du philosophe Peter Sloterdijk dans un entretien à Handelsblatt
http://www.handelsblatt.com/my/politik/deutschland/zehn-jahre-kanzlerin-merkel-punkt-3-regieren-im-
strukturwandel/12336914-3.html (9.11.2017).
112 Gwénola Sebaux

du Mecklembourg93 –, et depuis les législatives du 24 septembre 2017 troisième force


politique du pays.
Il n’empêche que la grande coalition (certes sous la pression des événements et de
l’opinion) a su élaborer de nouveaux instruments de régulation migratoire. Cet élan
d’innovation a fait l’objet astucieux d’une intense communication politique, ponctuée
de nouveaux concepts censés démontrer le volontarisme du gouvernement Merkel94.
Le «  management intégré  » (action coordonnée dans les champs politique, écono-
mique et de développement) en est une illustration notable. Certaines leçons ont bien
été tirées, notamment dans la prévention des risques ou une meilleure maîtrise des
canaux migratoires. Face au défi, l’Allemagne s’adapte et innove bel et bien, comme
en témoigne la refonte progressive de son système d’asile. À en juger par « l’automne
doré » proclamé fin octobre par l’institut économique DIW, elle semble même en passe
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de réussir son pari d’intégration – au moins au plan socio-économique : le chômage
a encore décru en 2017 et ne représente plus que 5,4 % de la population active. De
toute évidence la crise migratoire n’a pas (encore) entamé la prospérité allemande,
et les réfugiés s’intègrent sur un marché de l’emploi loin d’être saturé95. Cette stabilité
contraste pourtant avec les réserves de l’opinion et de certains observateurs.
Il serait certainement très prématuré d’affirmer qu’Angela Merkel a gagné son
audacieux pari : « Wir schaffen das ! ». D’abord parce que nul ne peut à ce jour affir-
mer que les investissements massifs déjà consentis et ceux à venir suffiront à produire
les effets escomptés, tant au plan de l’intégration socio-économique des réfugiés que
du bénéfice économique qu’en retirera à terme le pays. Ensuite parce que le défi
migratoire va persister et qu’il exige un front uni… dont font douter les profonds
contentieux partisans. L’échec des négociations de coalition « Jamaïque » annoncé le
20 novembre, après de longues semaines de difficiles tractations, en fournit une preuve
magistrale. La raison de cet échec (sans précédent dans l’Allemagne fédérale consen-
suelle) réside en effet avant tout dans l’incapacité de l’Union chrétienne-démocrate
et chrétienne-sociale, des libéraux et des écologistes à s’entendre sur la question de
l’immigration et des suites de la politique d’accueil de 2015-2016.
Enfin, sur fond de crise politique inédite, des interrogations majeures subsistent.
Le deal avec la Turquie tiendra-t-il  ? La dégradation des relations germano-turques
depuis le putsch manqué de l’été 2016, avec la dérive autoritaire du régime de Recep
Tayyip Erdoğan constitue l’un des plus sérieux défis que la future coalition au pouvoir
(4e cabinet Merkel ou autre) devra relever96. Mais la question, à ce jour largement
93. L’AfD y devance pour la première fois (avec plus de 21 % des voix) la CDU (à moins de 20 %) – une victoire
d’autant plus symbolique qu’elle a lieu le 4 septembre 2016, un an jour pour jour après la décision d’A.
Merkel d’ouvrir les frontières.
94. Cf. le portail www.deutschland-kann-das.de.
95. Pour la première fois depuis la réunification, le nombre de chômeurs est passé en octobre 2017 sous la barre
des 2,4 millions. L’Agence pour l’emploi recense 780 000 emplois vacants, un vivier encore considérable.
http://www.diw.de/de/diw_01.c.568035.de/themen_nachrichten/diw_konjunkturbarometer_oktober_
2017_deutsche_wirtschaft_durchlaeuft_goldenen_herbst.html (2.11.2017).
96. En septembre 2017, plus de 50 ressortissants allemands (dont le journaliste germano-turc Denis Yücel, corres-
pondant de Die Welt à Istanbul) sont détenus en Turquie. Les contentieux politiques et les incidents diploma-
tiques germano-turcs s’accumulent : interdiction par Berlin de la tenue de meetings électoraux auprès de la
diaspora turque par des ministres ou députés d’Ankara en amont du référendum constitutionnel d’avril 2017
(conférant plus de pouvoirs au président turc) ; accusation d’Ankara de « l’asile politique » accordé par l’Alle-
magne à des ressortissants turcs accusés de terrorisme ; retrait décidé en juin 2017 des troupes allemandes
de la base d’Incirlik en Turquie, redéployées en Jordanie suite à l’interdiction de visite de parlementaires
allemands sur cette base de l’OTAN, etc.
La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise 113

ouverte, de la reconstruction de la cohésion nationale dans une Allemagne structurée


par l’immigration durable (ancienne et nouvelle) constitue un défi plus formidable
encore. Par conséquent l’Allemagne apparaît plus que jamais comme le laboratoire
de la gestion migratoire en Europe. La réussite de la prochaine coalition sera dès lors
très largement déterminée par sa capacité à affermir les innovations entreprises, face
à un Bundestag désormais fragmenté, que la question migratoire polarisera plus que
tout.
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