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DE LA PRESSE IMPRIMÉE À LA PRESSE NUMÉRIQUE

Le débat français

Jean-Marie Charon

La Découverte | « Réseaux »

2010/2 n° 160-161 | pages 255 à 281


ISSN 0751-7971
ISBN 9782707160171
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-reseaux-2010-2-page-255.htm
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De la presse imprimée
à la presse numérique

LE DÉBAT FRANÇAIS

Jean-Marie CHARON
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DOI: 10.3917/res.160-161.0255
Q
ue peut être le devenir de la presse écrite ? De 2003 à 2007, la dif-
fusion des quotidiens a reculé de 5,18 % aux États-Unis, 5,83 % en
Europe et 2,52 % au Japon 1. Rupert Murdoch et Arnaud Lagardère
parlent de la mort du papier et d’avenir numérique. Face au web, durant une
décennie, les éditeurs pensaient disposer de délai. La concurrence montait,
sans trop d’effets sur la diffusion ou les recettes publicitaires. Évoluer tout
en s’engageant sur le nouveau support semblait la voie la plus prometteuse, à
l’image des succès des sites du New York Times, du Wall Street Journal ou du
Guardian. Sauf qu’au milieu de la décennie 2000, les indicateurs se dérèglent.
La diffusion baisse. Les petites annonces s’effondrent 2. La publicité recule
avec la crise de 2008. L’existence de nombreux titres paraît menacée.
Selon les formes de presse et les parties du monde la situation varie. Les quo-
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tidiens généralistes sont les plus fragilisés. Des magazines, hier florissants
(hebdomadaires de télévision), sont bousculés, alors que d’autres (people ou
hobbies) résistent. Des composantes de la presse technique et professionnelle
basculent vers le numérique (Rebillard, 1999). La progression de la diffusion
a lieu dans les pays émergents 3, alors que les pays industrialisés connaissent
érosion et fragilisation du modèle économique. Les presses qui bénéficiaient
de forts ratios de recettes publicitaires, avec une importante composante de
petites annonces (États-Unis  : 86,6  % au début des années 2000) (Tessier,
2007), sont les plus déstabilisées (Smyrnaios, 2009). Aux États-Unis, la
Newspaper Association of America constate un recul de 16,6 % des recettes
publicitaires en 2008 et prévoit un recul de 28 % en 2009. Cette même année,
la diffusion décroche, avec un recul de 10,6  % sur un seul semestre. USA
Today perd 17,6 %, le New York Post 18,77 % 4. Les arrêts de titres se mul-
tiplient (Rocky Mountain News), comme les basculements sur le numérique

1. Selon Wan-press.org.
2. Bernard Poulet souligne qu’entre 2003 et 2007, Le Figaro voit son chiffre de PA reculer de
97 millions d’euros à 25 millions (Poulet, 2009).
3. Cf. sur la presse indienne, dans Le Monde des 29-30 novembre 2009 : « Mon journal ne
connaît pas la crise ».
4. D’avril à octobre 2009. Après -6,4 et -7,09 % les semestres précédents (Audit Bureau of
Circulation).
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(Seattle Post Intelligencer, Christian Science Monitor), les cessions (Boston


Globe), ou les mises en faillite (Tribune). Le mouvement, inusité, pourrait
s’amplifier.

De leur côté, en 2008, les quotidiens français reculent de 1,99 %. Les natio-
naux perdent 2,46 %, alors que pour Libération la régression est de 6,80 %
et Le Monde 5,15  %. Le premier semestre 2009 est pire, avec un repli de
5,15 % pour les nationaux et 8,8 % pour Libération… Dans la même période,
la situation des régionaux est plus hétérogène. En revanche, sur la longue
période (vingt ans), la tendance au recul est assez générale, avec des écarts
considérables dans le Sud-Est, Le Progrès abandonnant 41 % de sa diffusion
et La Provence 42 %. Des chiffres que ne saurait compenser la progression,
à l’Ouest, du Télégramme et de Ouest-France avec une hausse de 19,6 et
13,3 % (Charon, 2005). Sur le plan publicitaire, la détérioration a été de 3,7 %
pour l’ensemble de la presse en 2008 et de 4,4 % pour les quotidiens 5. Les
chiffres de 2009 sont plus mauvais, IREP asso annonce une perte de l’ordre
de 18.1  % pour la presse et 18.1  % pour les magazines. Ces chiffres sont
moins catastrophiques que ceux de la presse quotidienne américaine. Ils sont
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à rapporter à la plus grande fragilité des entreprises françaises. Handicapées
par leur retard à faire évoluer leur contenu, leur fabrication, comme leur dis-
tribution, celles-ci peinaient déjà à équilibrer leurs comptes. La conjoncture
présente pourrait déboucher sur de lourds déficits.

MUTATION DU SYSTÈME MÉDIATIQUE

Plutôt que parler de « crise de la presse écrite », il est plus opératoire de réflé-
chir en termes de mutation de l’ensemble des médias. Celle-ci se nourrit de la
combinaison, déjà ancienne, de la numérisation et de la convergence. Le rap-
port Nora-Minc qui, pour la France, annonçait nombre des évolutions contem-
poraines a plus de trente ans (Nora-Minc, 1978). Le lancement des premières
«  banques de données grand public  », par la presse américaine (NYTIS du
New York Times en 1972), remonte même à 35 ans (Charon, 1991). Passé le
choc de prophéties technicistes annonçant la révolution engendrée par l’in-
formatisation de nos sociétés, tout continua comme avant. La presse intégrera
des outils, des modes de fabrication, des manières de travailler, facteurs de
gains de productivité et d’évolutivité de la forme comme du contenu. Elle

5. Cf.www.irep-asso.fr.
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s’engagera également dans une diversification selon un « axe texte-informati-


que » (Minitel en France, canaux de télétexte sur le câble américain, banques
de données et services professionnels de la presse économique, applications
diffusées sur les réseaux de micro, tels Compuserve, sites web, etc.) (Charon,
1991). Les modèles économiques, loin d’en souffrir, parurent confortés, si
l’on en juge par l’expansion de la presse magazine spécialisée (Charon, 2008)
ou les substantiels revenus des services Minitels des quotidiens français.
La situation se tend au milieu de la décennie 2000, révélant les traits de la muta-
tion en cours : c’est d’abord l’entrée en scène de « nouveaux venus » : internet,
mobile, probablement d’autres supports. Ceux-ci ne sont pas stabilisés. Leurs
formes éditoriales évoluent rapidement. Leur pression s’exerce sur l’audience
(temps disponible) (Donnat, 2009), comme sur les ressources publicitaires.
Ils bousculent l’atout historique de la fraîcheur de l’information pour le quo-
tidien. Le web permet de traiter l’événement instantanément. Il a l’aptitude à
fournir une information factuelle et brute, quasiment sans limite. Il combine
avec l’hypertexte, aussi bien l’accès au fait qu’aux éléments contextuels, aux
documents-sources. Les nouveaux médias marquent, en même temps, l’entrée
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sur les domaines de l’information et des groupes de l’informatique et des télé-
communications. Outre leur puissance, ceux-ci bouleversent les manières de
faire et les priorités des acteurs des médias : a) par l’importance et les moyens
affectés à la recherche développement ; b) avec la place qu’ils accordent aux
contenus, à commencer par l’information, ravalés au statut d’argument pro-
motionnel, au profit de leur cœur de métier, la vente de trafic ou de service,
et de la captation de ressources publicitaires générées par le web (Pélissier,
2003 ; Poulet, 2009 ; Smyrnaios, Rebillard, 2009, 2010).
Les radios et télévisions se sont substantiellement transformées grâce à leur
numérisation. Cela concerne la fabrication des contenus (captation, accès à des
sources diversifiées, etc.), la transmission (TNT, web TV et radio) ainsi que la
réception (podcast, VOD, Catch up TV). La concurrence avec la presse écrite
est transformée par l’information «  en continu  », qui déclasse la réactivité
du quotidien. La multiplication des réseaux, canaux et chaînes, plus précoce
en Amérique du Nord, permet la spécialisation (y compris dans l’informa-
tion), tout comme la segmentation des publics, à l’image des multiples canaux
sports, jeunesse, etc. Là, ce sont les magazines qui sont les plus affectés. Une
nouvelle étape s’ouvre dans laquelle l’évolution des contenus va se poursui-
vre et s’amplifier sous l’aiguillon de la concurrence des sites d’information.
Les différentes formes de presse imprimée sont profondément transformées par
la numérisation. L’activité des journalistes, la commercialisation, la fabrication,
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évoluent simultanément, en partie en interrelation. Les coûts sont compressés,


alors que la qualité matérielle du journal ou du magazine, leur commercialisa-
tion, progressent. Des formes nouvelles, magazines de niches ou gratuits d’in-
formation devenaient possibles (Charon, 2008, 2005). Elles étaient impensables
sans la productivité qu’autorisent les techniques digitales. En même temps, les
contradictions entre presse quotidienne et magazines s’exacerbent, au profit
des seconds, plus en phase avec les évolutions sociétales, plus aptes à profiter
des gains de productivité et des améliorations de contenu et de forme (Charon,
2008). La diversification de l’imprimé vers les supports numériques peut réel-
lement s’installer avec le passage des banques de données, services vidéotex et
télétexte au web. Dès le milieu des années 1990, les sites d’information adossés
aux titres de presse occupent une place privilégiée dans l’offre d’information
d’actualité, d’abord aux États-Unis, puis un peu partout dans le monde. En
Asie, l’offre sur mobile accompagne très tôt l’ordinateur. De nouveaux sup-
ports – e-paper, « 3e écran » (e-book ou Kindle) – sont prospectés, prolongeant
cette articulation privilégiée « texte-informatique » (Charon, 1991).

C’est dire que la mutation dans laquelle sont engagés les médias ne se limite
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pas à la question de la concurrence d’internet. La place et le rôle social de
l’information évoluent. Davantage recentré sur l’individu, le débat public se
transforme. Les usages en matière de médias et de pratiques culturelles se
segmentent selon les âges, les catégories sociales, etc. (Donnat, 2009). Cha-
cun des médias s’est déjà significativement transformé, révélant des fragilités,
des interrogations sur l’avenir de certaines de leurs formes. Cette mutation est
d’une telle ampleur, si profonde, qu’elle produit une profonde incertitude quant
aux évolutions possibles, aux stratégies à définir. Il faut également admettre
que cette incertitude se prolongera sur une longue période, tant les technolo-
gies, les applications, les services, issus du numérique sont évolutifs. L’ob-
jet de cet article est d’analyser les conditions dans lesquelles la presse écrite
engage sa transformation dans cette mutation. Il est nourri de deux approches
et terrains distincts. La première emprunte la méthode des scénarios. Elle est
nourrie par les réflexions d’un groupe de travail constitué par l’Observatoire
des métiers de la presse 6. Ce groupe de travail, qui poursuit son activité, est
constitué de professionnels de la presse (de fonctions et formes de presses
différentes), d’experts et consultants, de chercheurs et universitaires (en éco-
nomie, droit, infocom, sociologie). Il a remis un premier rapport durant l’été
2008 (Charon, 2008), dont sont issus les scénarios présentés ici. La seconde,

6. Créé par Médiafor, l’OPCA de la presse écrite.


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empirique, s’appuie sur une enquête auprès d’une vingtaine de sites d’infor-
mation et cinq sections digitales de groupes de communication 7. Outre la
diversité et la représentativité des différents sites, l’enquête d’une quarantaine
d’entretiens semi-directifs, comportant un volet observation (suivi de confé-
rences de rédactions, de séminaires, etc.), a pris en compte quatre populations :
management ; encadrement rédactionnel du web ; journalistes de base ; profes-
sionnels non-journalistes (publicité, technique, marketing).

DEUX SCÉNARIOS

Confronté à l’ampleur de la mutation et de l’incertitude, l’Observatoire des


métiers de la presse avait fait le choix d’une démarche basée sur les scénarios.
Les deux scénarios retenus découlent de deux hypothèses, dont la première
est tirée de l’histoire des médias. Au regard de celle-ci, aucun média n’a pris
la place d’un autre. La règle est celle d’un cumul dans les pratiques et non
d’une substitution. Ce faisant, il a fallu, à chaque fois, que les anciens médias
s’adaptent à la nouvelle donne. Le quotidien perdra le feuilleton au profit de la
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radio et de la télévision. Au-delà du contenu éditorial, l’organisation, la com-
mercialisation, le modèle économique, doivent être repensés. Cette hypothèse
repose sur l’idée d’une interrelation, contenu éditorial / support / rapport à
l’utilisateur du média. De celle-ci découle un scénario selon lequel l’avenir de
la presse écrite passerait par « le renouvellement de l’imprimé en complément
du numérique ». La seconde hypothèse est empruntée à l’histoire des moyens
de communication, dans laquelle la diligence fut remplacée par l’automobile.
Elle se nourrit de l’affirmation (portée notamment par les ingénieurs et tech-
nologues tenant de l’informatique et des télécommunications) selon laquelle,
avec le numérique, il y aurait autonomie entre le contenu éditorial, le support
et le rapport au public, donc subsidiarité entre les médias (de Rosnay, 2006).
Le scénario est celui d’un transfert de l’imprimé sur le numérique.

Nul ne peut trancher entre ces hypothèses. Les choses resteront donc indécida-
bles encore plusieurs années. Quand bien même la question de l’interrelation
forte entre contenu – support – public serait validée, il n’est pas certain que le
scénario du renouvellement de l’imprimé en complément du numérique s’im-

7. Lemonde.fr, Lefigaro.fr, Liberation.fr, Humanite.fr, La-croix.com, Lesechos.fr, 20minutes.fr,


Leparisien.fr, Ouest-France.fr, Letelegramme.com, Lavoixdunord.fr, Dna.fr, Nouvelobs.com,
Lexpress.fr, Marianne2.fr, Lexpansion.com, Elle.fr, Rue89.com, Mediapart.fr, Bakchich.info,
Slate.fr, Lepost.fr, E24.fr, Bayard presse, Prisma Presse, Mondadori, Schibstedt.
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poserait. L’interrogation porte sur les modèles économiques et la capacité à les


adapter, en tout cas pour le quotidien, avec sa rédaction nombreuse 8, la rigidité
de son outil industriel (rotatives) et de son réseau de distribution. Il n’est pas
impossible qu’asphyxiées par le rétrécissement de leurs ressources, bloquées par
les coûts fixes, au moment où il faudrait réinvestir en recherche et développe-
ment, les entreprises de presse quotidienne n’aient d’autre choix que d’abandon-
ner partiellement (l’édition papier hebdomadaire du Christian Science Monitor)
ou complètement l’imprimé, confiant leur avenir au numérique.

Le scénario de renouvellement de l’imprimé, en complément du numérique,


pose la question de la valeur ajoutée de chaque support. Que faut-il privilégier
sur l’imprimé comme information, mode de traitement  ? Quelle rédaction,
compétence journalistique, organisation, penser ? Si l’information chaude et
factuelle a vocation à être gratuite et disponible sur de nombreux supports,
peut-être n’a-t-elle plus sa place, ou plus la même, sur l’imprimé. Celui-ci
accueillera davantage d’enquêtes, de reportages lourds, de dossiers, de maniè-
res de fournir aux lecteurs des moyens de repérage, de synthèse, de décryp-
tage… Ce ne sont que des pistes d’un travail de réflexion, expérimentation,
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validation qui reste à faire. Un travail équivalent doit concerner le traitement
du contenu numérique.

Le scénario du transfert ne doit pas prêter à confusion. Quelles que soient les
conditions dans lesquelles il serait mis en œuvre –, choix délibéré ou contrainte
– il est essentiel que l’entreprise de presse écrite mise sur les formes de conte-
nus qui sont constitutives de sa spécificité, son identité. Se contenter de copier
un modèle éditorial, offert par les sites d’information de toutes sortes, ne peut
que fragiliser la démarche de ces entreprises. Il importe donc de travailler à
l’identification de ce qui constitue les points forts des rédactions de presse
pour concevoir leur adaptation au nouveau support : expertise, enquête, inter-
prétation, commentaire. Il y a urgence à progresser dans cette voie, comme le
montrent les options qu’ont su prendre les journalistes issus des rédactions de
grands quotidiens (Washington Post, El Mundo, Le Monde…) lorsqu’ils ont
créé leurs propres sites, pure players, prenant des points plus tranchés, qu’il
s’agisse de Politico, Soitu, Rue89, ou Médiapart. Il n’existerait pas de voie
unique vers des desks aux journalistes rivés à leurs écrans. Les formes d’orga-

8. Le New York Times aborda cette période de mutation avec une rédaction de 1400 journa-
listes. La Croix, quotidien aux dimensions plus modestes, dispose de 80 journalistes... quand
Lefigaro.fr, la rédaction web la plus développée en France, doit se contenter d’une rédaction
d’une quarantaine de personnes.
De la presse imprimée à la presse numérique  263

nisation et les définitions d’emplois journalistiques seront plus diversifiées et


évolutives. Pas plus que le modèle du journaliste polyvalent, sorte d’homme-
orchestre ou « journaliste Shiva » 9 maniant clavier, micro, caméra et appareil
photo, ne serait le seul envisageable… Enquêtes, reportages, dossiers, chro-
niques, etc., exigeront des journalistes de terrain de l’expertise, comme des
spécialistes de l’investigation…
Face à la multiplicité des sites des quotidiens, les news, comme de très nom-
breux magazines, il est tentant de rechercher comment ceux-ci se situent au
regard des scénarios envisagés. En réalité, chacun est trop en amont de telles
évolutions. Il n’est pas certain non plus que les directions comme les cadres
rédactionnels aient une représentation qui se rapproche de ces scénarios. Ces
derniers firent d’ailleurs débat lors de leur présentation 10. Chacun avance au
jour le jour, adaptant ses structures (de coûts notamment) dans l’imprimé,
alors même que les orientations à prendre sur le Net sont difficiles à lire.
L’exercice est d’autant plus délicat que la presse écrite n’a ni tradition, ni
expérience, ni peut-être les moyens de démarches de Recherche et Déve-
loppement 11, susceptibles de clarifier ces approches. Il en résulte un pay-
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sage extrêmement divers, selon les formes de presse, à l’intérieur même de
familles de publications. Certaines, telles les news, n’occupent pas l’espace
éditorial correspondant à leur spécificité sur l’imprimé. C’est ce qui justifie le
parti pris de prendre appui sur une enquête de terrain réalisée auprès de sites
d’information, adossés à des titres ou pure players 12 d’information d’actualité
(Rebillard, 2002), indépendants ou rattachés à une entreprise presse.

DIVERSITÉ D’APPROCHES ÉDITORIALES


Une poignée de sites donnent une image d’homogénéité de l’information sur
le web. C’est pourtant plutôt la diversité qui domine, dont il est possible de
proposer une typologie à grands traits :

9. Selon l’expression d’une intervenante lors des Assises Internationales du Journalisme à


Strasbourg en 2009.
10. Bernard Poulet, dans « La fin des journaux et l’avenir de l’information », fait référence à
celle-ci qui devait se traduire par un refus de diffusion du rapport.
11. Cette question sera largement évoquée lors des états généraux de la presse écrite, dans le
sous-pôle chargé du « contenu » (in « Presse et société »), cf. le site www.etatsgenerauxdela-
presse.fr (Charon, 2009).
12. Sont qualifiés de pure player des sites de journalistes, tels Salon, Slate, Rue89 ou Média-
part, ainsi que des sites lancés par des entreprises de presse sans lien à un titre, tels Lepost.fr
ou E24.fr.
264 Réseaux n° 160-161/2010

Les « sites d’information généralistes », en pointe dans la course à l’audience :


pour des sites dont seule une faible minorité de l’audience accède par la page
d’accueil 13, les critères de référencement des agrégateurs sont extrêmement
contraignants (Smyrnaios, Rebillard, 2009) ; ils se doivent d’offrir un suivi
des principaux domaines d’actualité, à un rythme rapide, à flux tendu. Cette
information est d’abord livrée « brute », sans cesse actualisée. Elle peut ensuite
être développée, analysée par des journalistes, ouverte aux contributions des
internautes, selon les choix éditoriaux. À côté de l’information politique et
générale figurent des contenus pratiques et serviciels.

Les « sites d’information locale », principalement articulés à la presse régio-


nale : sans ignorer l’information politique et générale, livrée chaude et brute,
ils se concentrent sur le développement d’une information de proximité, évé-
nementielle, pratique et servicielle.

Les sites d’enquête, d’analyse, de critique : l’information, développée, appro-


fondie implique un «  décrochage  » du rythme et de l’exhaustivité de l’ac-
tualité. Ce sont le plus souvent des pure players à l’image de Médiapart ou
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Rue89, reprenant en cela la voie tracée par des sites tels que Salon, Politico
ou encore Soitu…

Les sites d’analyse, de commentaire et d’opinion : l’identité éditoriale et la


référence que constituent l’opinion défendue ou la signature de journalistes
prestigieux priment sur la recherche du référencement et ses contraintes. Le
contenu est principalement une reprise-adaptation d’articles imprimés, voire
de sites partenaires (Slate).

Les sites d’information spécialisée : articulant les registres de l’actualité très


chaude, de l’expertise et du documentaire, ils traitent de sports ou d’écono-
mie. S’y retrouvent à la fois des sites adossés à des titres imprimés (L’Équipe,
Les Échos, etc.), et quelques pure players (E24, Sport24).

Les sites plus expérimentaux (Lepost.fr) sont beaucoup plus difficiles à clas-
ser, de la même manière que la cacophonie que propose la presse magazine
complique à ce stade les typologisations.

13. 25 % pour 20minutes et 12 % pour Lexpress, Google représentant 50 % de l’audience de
celui-ci.
De la presse imprimée à la presse numérique  265

Traitement journalistique

Les différences d’approche éditoriale se traduisent par de forts contrastes


dans le traitement journalistique. Les sites pressés par le référencement met-
tent l’accent sur la rapidité et l’étendue des domaines couverts. Les « desks »
reprennent les dépêches d’agence. Les journalistes sélectionnent, adaptent au
plus vite, mettent en ligne ces nouvelles, 18 heures sur 24. Proposées en tex-
tes courts, elles sont sans cesse renouvelées. À l’inverse, les sites d’enquête
et d’analyse pratiquent un traitement classique basé sur le reportage, l’inter-
view, le traitement de dossiers, etc., similaire à celui d’un quotidien ou d’un
news-magazine. Entre les deux formes se développe un journalisme d’enri-
chissement de sujets, voire de production de dossiers, dont l’originalité tient
surtout à l’écriture multimédia, avec mixage de textes, d’images, de sons et de
vidéos, par le même journaliste. La vidéo comme le son peuvent donner lieu à
des contenus spécifiques, tels que des interviews ou des plateaux (buzz.media
ou talk du Figaro.fr). Les blogs fournissent des opportunités d’éditorialisation
(Christophe Barbier pour L’Express) ou d’information très spécialisée (Jean-
Dominique Merchet à propos du militaire dans Libération ou Francis Pisani
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sur le nouvel univers de communication de la côte ouest pour Le Monde). La
« communauté » 14 des internautes, quant à elle, peut nourrir ou susciter l’in-
tervention journalistique, que ce soit sous forme d’expertises (Rue89) ou de
contenus, ramenés des pérégrinations 15 sur la toile selon l’approche qui fait la
spécificité du post.

Écriture et présentation

L’écriture et la présentation des sites d’information ne sont ni unifiées, ni


stabilisées. En matière d’écriture, la tendance à faire court semblait faire
consensus jusqu’à l’arrivée de pure players tels que Médiapart ou Slate, qui
n’hésitent pas à mettre en ligne des textes aussi longs qu’en presse imprimée.
La combinaison de textes, d’images, de sons ne fait pas non plus consensus,
même si des modes peuvent donner le sentiment de tendances, comme ce fut
le cas un temps pour la vidéo. Depuis, d’aucuns la considèrent comme trop

14. Selon la terminologie qui prévaut au sein des sites d’information.


15. Pour se tenir au plus près du mode de formulation en vigueur pour lepost.fr, mais qui donne
une représentation assez juste de cette manière de zapper, suivre les différents liens de site en
site, avec la place tout à fait particulière qu’y occupent aujourd’hui les sites communautaires :
dailymotion, youtube, facebook, etc.
266 Réseaux n° 160-161/2010

coûteuse, alors que le standard de qualité ne serait pas suffisant. D’un site à
l’autre, d’un journaliste à l’autre 16, les pratiques varient sensiblement et peu-
vent évoluer de manière assez contradictoire. Des points de vue éditoriaux et
des modes d’organisation de rédactions assez proches, tel que l’accent mis sur
la locale et le bimédia, par Ouest-France et Le Télégramme, peuvent conduire
à des partis pris différents. Letelegramme met l’accent sur la vidéo locale (ter-
rain et plateau 17), là où Ouest-france.fr offre du texte et de la photo.

La variété des présentations est également très grande, même si le déroulement


vertical des nouvelles est dominant. Encore faut-il nuancer entre des déroule-
ments chronologiques, le plus frais se situant en haut de la page (Lepost), et
une organisation hiérarchisée selon l’importance des sujets (Lefigaro). Rue89,
de son côté, donne un rôle aux internautes qui par leur vote maintiennent
ou font remonter un sujet dans l’ordre de présentation. Médiapart, Slate ou
Marianne2, quant à eux, privilégient une architecture moins standard de page
d’accueil. Le positionnement de chaque thème, son titrage, le choix de le faire
figurer seulement avec résumé, une photo, une infographie ou encore une
vidéo, sont censés y exprimer un point de vue journalistique, la hiérarchie
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voulue par le responsable de l’édition.

Rapport au contenu imprimé

La relation entretenue avec le contenu, voire la ligne éditoriale du titre


imprimé, varient selon les types d’approches éditoriales. Les titres recher-
chant un référencement important ne peuvent éviter un traitement plus neutre
de leur contenu web, qui les éloigne de leur version imprimée. Lefigaro pro-
pose ainsi un traitement beaucoup plus modéré que le titre papier, dont il ne
partage d’ailleurs que 20 % de son audience. 20minutes produit un contenu
spécifique, tout en donnant la possibilité d’obtenir la version PDF de sa ver-
sion imprimée. Pour Nouvelobs ou Lexpress, le rapprochement de la rédac-
tion imprimée passe par les journalistes, au travers de leurs blogs, voire d’une
version web de leurs reportages 18.

16. Entre Sylvain Bourmeau qui recourt largement à l’entretien vidéo d’écrivains, d’intellec-
tuels, etc., et Martine Orange ou Edwy PLenel qui produisent exclusivement des textes longs
sur Médiapart, par exemple.
17. Notamment une interview politique ou de personnalités, en partenariat avec Orange.
18. À l’exemple de Vincent Hugeux dans Lexpress.fr.
De la presse imprimée à la presse numérique  267

Sous la pression économique, le mouvement s’accentue en faveur d’une plus


grande interrelation entre les supports. Les premiers visés sont les «  rubri-
cards » dont l’expertise reconnue fait souvent défaut aux sites d’information.
Les sites généralistes défendent désormais cette conception. Jusqu’à quel point
peut-elle s’imposer tant que pèsera aussi fortement la logique de l’audience et
du référencement ? Il est notable que des titres anglo-saxons, tel le Guardian,
maîtrisent mieux cette contradiction. Les choses sont complètement différen-
tes pour la presse régionale et la presse d’opinion, qui peuvent s’appuyer sur
un public attiré par la proximité géographique ou d’opinion. Pour la presse
régionale, le lien entre l’imprimé et les diverses versions numériques (web et
mobile) ne se situe pas que dans la reprise des articles imprimés, mais aussi
dans des versions multimédias des sujets traités par les journalistes de ter-
rain. Dans la presse d’opinion, les conditions économiques se cumulent à des
considérations de cohérence éditoriale pour reprendre une part substantielle
des articles de l’imprimé, simplement adaptés au support numérique.

Place des « non-journalistes » et de la « communauté des internautes »


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L’unanimité règne à propos du renforcement de la place des « non-journalis-
tes ». Il s’agit là d’une tendance des plus prégnantes dans les conceptions des
éditeurs en cette fin de décennie 2000. C’est ce qui justifie de classer Rue89
ou Lepost dans les sites d’information, parce que disposant d’une rédaction
jouant un véritable travail éditorial. Ils se distinguent en cela des sites partici-
patifs dont le rôle des journalistes se limite à la validation et la mise en ligne
des contributions des internautes, à la manière de OhMyNews ou d’Agoravox
(Rebillard, 2002 ; Estienne, 2007). La place des non-journalistes se décline
différemment selon les sites. Une première distinction se fait entre « experts »
selon la terminologie adoptée par Rue89, et internautes de base. Des experts
interviennent sur Lemonde, Rue89, Slate, etc., contrairement à Ouest-France,
Letelegramme ou Lefigaro. Les modalités de contribution des « internautes de
base » et les espaces d’expression offerts connaissent une graduation dans l’in-
tégration au contenu selon qu’il s’agisse de blogs, d’articles (Rue89, Lepost),
de participation aux tchats ou forums ou de commentaires. Les internautes
peuvent trouver une place dans le contenu d’articles de synthèse des commen-
taires sur un thème donné (Lefigaro). Ils seront plus ou moins en interrelation
avec les journalistes, selon que les commentaires sont « modérés » directe-
ment par ceux-ci (Rue89) ou sous-traités (Leparisien, Liberation, etc.) 19.

19. Par la société Consileo, qui modère les commentaires de la plupart des sites ayant opté
pour la sous-traitance.
268 Réseaux n° 160-161/2010

Contenu informatif du site et expression de «  la communauté  » peuvent se


mêler ou au contraire faire l’objet d’une séparation nette. Mediapart devait
créer un espace et le « club » dans cette dernière optique. La place des non-
journalistes, alliée à la réflexion quant aux modalités nouvelles de celle-ci,
s’exprime par la définition de fonctions de «  chargés de l’animation de la
communauté » ou « community manager ». Il n’est pas anodin qu’une person-
nalité telle que Jean-Marcel Bouguereau ait opté pour celle-ci à Nouvelobs. Il
est également significatif que cette démarche contributive fasse l’objet d’ex-
périmentation, à l’exemple de l’enquête participative conduite par le Guar-
dian. Faut-il ne voir là et plus généralement dans la notion de « journalisme
collaboratif » (Le Cam, 2004) qu’argument marketing et mode d’allègement
des coûts rédactionnels, allant jusqu’à parler de « mise au travail des lecteurs-
consommateurs… » (Estienne, 2007) ? Il pourrait s’agir davantage de l’inven-
tion progressive de l’une des composantes d’un modèle éditorial spécifique
aux sites d’information sur internet.
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RÉDACTIONS ET JOURNALISTES

Trois formes principales d’organisation émergent de la diversité des rédac-


tions. Elles coïncident avec les principaux types de stratégies éditoriales.
L’organisation des sites offrant une information instantanée, à jet continu, elle
donne une place assez centrale à un desk de journalistes capable de traiter le
plus rapidement possible les nouvelles directement issues des agences. Aux
côtés du desk s’articulent des pôles chargés du développement de l’actualité
par grands domaines, ainsi que des ateliers spécialisés (studios vidéo, etc.). La
relation aux internautes, comme la validation et gestion de la home page se
retrouvent également dans les autres formes d’organisation. Les sites nourris
du contenu ou de l’activité de la rédaction de l’imprimé ont recours à une
organisation intégrant intimement une équipe dédiée légère. Remplissant le
rôle d’un desk réduit et s’employant à la sélection-adaptation des articles du
journal, les journalistes web sont au cœur du plateau de la rédaction, placés
sous la responsabilité de cadres de l’imprimé. L’organisation des sites d’en-
quête – analyse – commentaire (pure players pour la plupart) n’est pas très
différente de celle d’un média généraliste classique, avec ses pôles ou servi-
ces par domaines et son équipe chargée de valider et gérer la mise en forme
finale du site. L’originalité tiendra ici à la place consacrée à la dimension
participative, variable selon le positionnement de chacun.
De la presse imprimée à la presse numérique  269

Quel que soit le mode d’organisation, la taille des rédactions est modeste (de
4 à 40 20) et l’encadrement limité à peu de niveaux. Un tel dénombrement
est d’ailleurs assez problématique dans les formes d’organisation privilégiant
l’articulation intime des équipes dédiées dans les rédactions imprimées sur
le modèle de la presse régionale. Faut-il s’attendre à ce que les effectifs des
rédactions croissent, à l’image du Figaro.fr qui, avec 40 journalistes, dit vou-
loir les renforcer dans la perspective de la création d’une zone premium en
2010 ? Rien n’est moins sûr, au regard d’échanges lors des États généraux de la
presse, où il fut question d’un modèle de « rédaction à 35 » 21 issu de réflexions
nord-américaines à l’automne 2008. Soit la taille de la rédaction actuelle du
Monde.fr. Ces chiffres n’ont d’ailleurs pas la même signification selon les
choix de statuts opérés : Slate.fr met l’accent sur l’emploi de pigistes seniors,
y compris parmi ses fondateurs 22 et n’a que quatre journalistes permanents.
Bakchich, avec une douzaine de permanents, s’appuie sur une soixantaine de
pigistes, en majorité, associés à la vie de l’équipe rédactionnelle (conférence
de rédaction et réunion de rubriques, etc.). Il est enfin difficile d’évaluer l’ap-
port des contributions et blogs de journalistes de l’imprimé, dont des spécia-
listes reconnus comme Jean-Dominique Merchet ou des cadres à la notoriété
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aussi établie que Christophe Barbier ou Jean-Marcel Bouguereau.

Sur les quelques centaines 23 de journalistes travaillant pour des sites d’infor-
mation, des profils et itinéraires assez différents cohabitent aujourd’hui. Les
responsables de rédactions, à l’image de nombre de cadres, sont, par exemple,
issus de quatre univers principaux. Les plus nombreux sont d’anciens cadres
de rédactions de l’imprimé, rédacteurs en chefs, adjoints ou chefs de service
de quotidiens nationaux ou régionaux, voire de news. Viennent ensuite les
« vieux » baroudeurs du numérique, du Minitel, aux différentes formes pri-
ses par les sites d’information, tel Philippe Jannet dirigeant Lemonde, après
Leschos, et ayant débuté au service télématique du Parisien. Une troisième

20. Dans l’échantillon, 9 sites ont de 4 à 10 journalistes, 3 en ont entre 10 et 15, 4 entre 15 et 20, 4
entre 20 et 30, 2 plus de 30 (effectif des équipes dédiées). Frank Rebillard ou Yannick Estienne
rappellent que les chiffres de certaines rédactions ont pu être plus importants avant l’éclatement
de la bulle internet.
21. Issu de cercles de réflexion nord-américains à l’automne 2008.
22. Éric Leboucher, Éric Leser, etc.
23. L’échantillon sur lequel s’appuie cet article représente un peu plus de 300 journalistes, le
traitement des statistiques de la Commission de la Carte d’Identité professionnelle des journa-
listes, par l’Observatoire des métiers de la presse fait ressortir un total de 578 détenteurs de la
carte de presse ayant déclaré travailler sur le support internet.
270 Réseaux n° 160-161/2010

catégorie est issue des différentes « aventures » des nouveaux médias, radios
libres, Minitel, web, gratuits… Une dernière situation encore rare est celle
d’une origine ou d’un passage par les pure players à succès du web (sites
participatifs ou de services).

Les formes de l’emploi du « journalisme web », de base, sont plus différen-


ciées que ne le suggèrent nombre d’articles sur le sujet 24. C’est que le jour-
nalisme de desk est la forme qui a largement forgé les représentations, un
peu partout dans le monde. Ils sont jeunes, assis, « rivés à leur ordinateur »,
réalisant un travail répétitif à faible valeur ajoutée informationnelle. Ils ont
souvent un statut fragile (stagiaires, apprentis, en alternance, CDD, pigistes)
et sont mal payés (Estienne, 2007). Ils sont pourtant pour la plupart diplômés
d’école de journalisme ou en cours de formation. Cette forme d’emploi n’est
pas l’apanage du web, puisqu’il se retrouve en radio, télévision, agences.
Toute la question est de savoir s’il s’agit d’un point d’entrée dans la rédaction,
une fonction dominante au sein de celle-ci et dans quelle mesure elle peut
tourner (comme dans les agences) ou permettre d’en sortir. Les rédactions
web intègrent simultanément un journalisme traditionnel de reportage, d’en-
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quête, d’interview, d’analyse ou de commentaire. Ce journalisme a ses spécia-
listes en politique, économie ou société… qui sont plus ou moins nombreux
selon le type de stratégie éditoriale, entre le site généraliste d’actualité et le
site identifié en enquête ou analyse 25. Une plus forte articulation web/imprimé
et un renforcement de l’identité rédactionnelle des sites, liée au développe-
ment du payant, pourraient entraîner la croissance de leur poids comme de
leur nombre.

Une forme d’emploi journalistique est totalement spécifique au web et à forte


symbolique, c’est celle de l’entretien de la relation à la communauté (experts,
acteurs sociaux, internautes de base, etc.). Ils modèrent, animent forums et
tchats, sollicitent et accompagnent les bloggers, etc., mais sont-ils journalistes
et si oui quelle signification donner à la forme qu’ils représentent  ? Faut-il
parler de journalisme de communication (Bonville, Charron, 1996) ? Ont-ils
vocation principale à alléger les coûts rédactionnels (Estienne 2007) ? L’hy-
pothèse ici retenue serait plutôt celle de l’invention d’une forme journalistique
correspondant à l’évolution de la place du journaliste dans laquelle intervient

24. Cf. Xavier Ternisien, « Les forçats de l’info », Le Monde, 25 mai 2009.
25. Dont les effectifs peuvent être significatifs à l’échelle du web : 25 pour Médiapart et 15
pour Rue89.
De la presse imprimée à la presse numérique  271

la facilitation du débat public et le renforcement du lien social. Sans doute


faudra-t-il que le contenu de cet emploi évolue et que du temps passe encore
pour que la profession reconnaisse et valorise cette dimension de son rôle
social.

CONTRASTE DES STRUCTURES

Les principaux types d’approches éditoriales se concrétisent dans des struc-


tures qui sont analysées ici du point de vue de leur statut juridique, de leur
support technique et de leurs ressources. L’identification des tendances est
compliquée par la cohabitation, au sein de cet ensemble, d’entreprises aux his-
toires et caractéristiques très distinctes. Dans une situation où aucun modèle
économique n’est équilibré sur la seule information, il est difficile d’évaluer
la pertinence, comme les performances d’une approche. Faut-il se situer du
point de vue de la course en tête pour l’audience, dans laquelle se trouvent
engagés Lemonde.fr, Lefigaro.fr, Nouvelobs.com, etc. ? Comment apprécier
la pertinence ou pour le moins la viabilité de démarches visant à «  décro-
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cher » de la course à l’actualité chaude de Rue89 ou Slate ? Des logiques de
niches, comme celles de Médiapart et sa stratégie d’abonnement sont-elles
reproductibles ?

Forme juridique

Nombre de sites d’information sont filialisés aujourd’hui en France. Cepen-


dant, ces filiales peuvent recouvrir des périmètres très différents. Certaines
n’intègrent que le site d’information lui-même (telle Bretagne Online pour
Letelegramme). D’autres regroupent un ensemble d’activités numériques,
toutes situées dans l’information sur le mode du Monde interactif 26, avec sa
filiale de second rang Lepost. Une troisième catégorie intègre des sites aux
activités différentes  : annonces, services (e-commerce par exemple), infor-
mation, avec une distinction possible entre information pratique et informa-
tion générale d’actualité. C’est le modèle de Schibstedt, dont vont s’inspirer
Ouest-France avec OFM (Ouest France Multimédia 27) et le groupe Figaro et
son département «  nouveaux médias  » 28. Lorsque les groupes pluri-médias

26. Dont le capital est réparti entre le Monde SA et Lagardère.


27. Les sites maville.
28. Avec API (lefigaro.fr), sport24.com, even.fr, La chaîne météo et meteoconsult, Aden Clas-
sified (80 %), participations dans Ticketac.com et Bazarchic.com.
272 Réseaux n° 160-161/2010

se dotent de filiales, telle Lagardère Digital France, c’est dans l’optique d’en
faire les opérateurs de la réalisation de leurs sites de titres magazines (Jdd.fr,
Parismatch.fr, Premiere.fr…), fût-ce au prix d’acquisitions coûteuses de pure
players participatifs ou d’information spécialisée 29.

À l’opposé, nombre de titres et groupes (notamment Roularta avec Lexpress.


fr, Lexpansion.com, etc.) font le choix que leurs sites ne soient qu’un service
de l’entreprise éditrice de la publication imprimée (Libération, Les Échos,
L’Express, Marianne, 20  Minutes France). Des formules assez complexes
peuvent prendre la forme de filiales employant certains personnels comme
Idobs pour Nouvelobs.com (contrats de qualification de la rédaction et per-
sonnel technique). Enfin les pure players indépendants sont des sociétés par
action simplifiées, au capital desquelles peuvent figurer des acteurs purement
financiers (fonds d’investissement) 30, des acteurs du secteur 31, des investis-
seurs soutenant la démarche et bien sûr les créateurs de ces structures. Le
choix de la filialisation ou de l’intégration dans les structures des titres impri-
més est largement influencé par le modèle économique attendu. C’est ainsi
que les grands groupes de quotidiens américains, après avoir filialisé des acti-
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vités web qu’ils espéraient très profitables, sont plutôt conduits aujourd’hui à
les réintégrer dans la structure du titre imprimé.

Technique

Les approches concernant la maîtrise technique diffèrent sensiblement. Y


a-t-il intérêt à développer en interne ? Quels sont les avantages de la sous-
traitance  ? La majorité des sites disposent d’équipes de développement,
souvent légères, 2 ou 3 informaticiens pour les pure players, 5 à 6 pour les
quotidiens. Les plus grosses équipes du Monde interactif ou de L’Express
atteignent 12 et 10 personnes. Dans la plupart des cas, ces structures se limi-
tent aux fonctions de chefs de projet, au développement et à l’intégration.
Le Monde interactif assure également l’hébergement de ses différents sites.
Enfin, plusieurs entreprises ont intégré un studio de télévision (Les Échos,
Le Figaro, Le Télégramme, etc.). Les tenants de la solution intégrée insistent
sur l’avantage de disposer de solutions « sur mesure », pour un média et un
paysage extrêmement évolutif, à chaque nouvelle offre, nouvelles pratique,

29. Tels Newsweb, Thotnet et Doctissimo pour Lagardère interactive.


30. Financière Viveris pour Slate (35 %).
31. La régie Hi média dans le capital de Rue89.
De la presse imprimée à la presse numérique  273

notamment en matière communautaire (exemple de Twitter). Le prix à payer


serait celui des délais d’attente, lorsque les équipes sont de taille modeste.
Avoir sa propre équipe de développement est une opportunité de revenus par
la vente de services. Les développeurs de Rue89 consacrent 50  % de leur
temps pour des prestations externes.

La sous-traitance peut être une question de moyens, par impossibilité de finan-


cer une équipe suffisante à l’échelle d’un site. Marianne2 va ainsi obtenir des
solutions adaptées à des conditions favorables, à la condition de la commer-
cialisation de celles-ci à d’autres. Les tenants de la sous-traitance avancent
surtout l’idée de meilleures prestations dans des délais plus courts. Un parte-
nariat ancien dans le numérique peut conforter cette motivation comme pour
SDV Plurimédia. Cette société issue des Dernières Nouvelles d’Alsace mettra
au point la « messagerie dialogue », lors de l’expérimentation de la téléma-
tique à Strasbourg (« Gretel »), faisant la fortune des opérateurs du Minitel.
Poursuivant ses développements, SDV Plurimédia est devenu un opérateur de
développement et de service sur le Net qu’ont retenu des régionaux, tels Le
Télégramme ou Le Parisien, et des nationaux, tels le Figaro, Les Échos ou
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Télérama.

Les délais de mise en œuvre et l’adaptabilité des solutions proposées sont


des points très sensibles. Dans un contexte très concurrentiel, le temps de
développement est crucial. L’adaptabilité, la capacité à pouvoir répondre à
toute nouvelle option qui se présente (après Facebook, Twitter) sont une autre
contrainte pour ceux qui s’attendent sans cesse à voir émerger de nouveaux
concurrents et de nouvelles formes de pratiques et d’applications. Devant cette
contrainte extrême, au regard des moyens modestes des sites d’information,
face aux « infomédiaires » (Smyrnaois, Rebillard, 2009) (agrégateurs, etc.),
la demande est faite à l’État de jouer un rôle d’impulsion de développements
mutualisables, au profit des sites d’actualité 32. Chacun conteste l’idée selon
laquelle le coût de l’investissement technique serait modeste sur le web. Prin-
cipalement pour ceux qui sont engagés dans la course à l’audience. D’autant
moins que ces investissements doivent se renouveler sans cesse, dans un
domaine technique extrêmement créatif, évolutif et instable.

32. À la suite notamment des états généraux de la presse et de la notion de « laboratoire des
nouveaux médias » qui figurait comme « proposition 13 » du pôle : « Le choc d’internet. Quels
modèles pour la presse écrite », dans le « Livre vert », p. 45.
274 Réseaux n° 160-161/2010

Ressources

La faiblesse des ressources des sites d’information reste la question lanci-


nante pour des éditeurs, dont l’engagement sur internet remonte parfois à
une quinzaine d’années. À partir du moment où la publicité sous la forme du
« display » est incapable de couvrir les coûts, il n’est d’autre option que de
déployer une palette de ressources combinant publicité renouvelée, paiement
de l’information, vente de services et de produits (e-commerce). Yannick
Estienne rappelle que, loin d’être original, cet éventail était déjà celui de la
presse américaine dès ses premiers pas sur le Net. C’est également celui qui
sera présenté comme la voie de relance des sites au lendemain de l’éclatement
de la bulle internet.

Durant l’été 2007, Rupert Murdoch qui dispose avec le Wall Street Journal
d’un portefeuille d’un million d’abonnés, annonçait encore s’orienter vers la
gratuité 33. En septembre, le New York Times annonçait l’abandon de l’abon-
nement à Times Select, préférant miser sur une croissance de son audience
et les revenus publicitaires afférents (Smyrnaios, 2009). Journaux et groupes
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de presse pensaient pouvoir miser sur leurs propres régies ou leurs partenai-
res habituels. C’est la vieille croyance dans les synergies, évoquées dès les
années 1970 en matière de diversification multimédias. En réalité, en matière
de nouveaux médias, le capital de compétence dans les supports anciens
s’avère toujours inadapté (télévision italienne et radio FM en France dans
les années 1980). Il faut apprendre ce que sont les règles du nouveau média.
Pour internet la question du référencement est ainsi cruciale. Elle demande de
comprendre la priorité à donner aux méthodes favorisant celui-ci, et d’opérer
les évolutions nécessaires à la commercialisation de l’audience.

Ouest France et sa régie Precom, le Figaro avec Publiprint devenu Figaro


Média, le GIE 66X  3 des quotidiens régionaux, finiront par reconnaître la
nécessité d’équipes et structures dédiées à l’expérimentation et à la mise en
œuvre du mode de commercialisation et de « produits publicitaires » originaux.
Nombre de sites d’information (Rue89, Bakchich, Capital, Femmeactuelle…)
préféreront quant à eux la flexibilité d’un pure player publicitaire, Hi média.
Deux questions allaient devoir être traitées dans des termes assez différents,
au moins pour la presse quotidienne, celle des petites annonces et celle de

33. « Au lieu d’avoir un million d’abonnés, nous aurons au moins 10 à 15 millions de lecteurs
aux quatre coins du monde ». Cité par Infos-du-net.com le 12 mai 2009.
De la presse imprimée à la presse numérique  275

la publicité commerciale. Pour les petites annonces, la réactivité et les posi-


tions initialement détenues par quelques groupes seront décisives. Aux États-
Unis, les accords entre titres ne feront que limiter l’entrée de pure players très
performants, tels que Monster. En Scandinavie, le norvégien Schibstedt crée
très tôt des sociétés de « classified » en immobilier, emploi, etc., rapidement
profitables, même si les chiffres d’affaires globaux s’effondrent, les tarifs se
trouvant brutalement divisés par dix. En France, les groupes Ouest France
et Figaro vont rapidement s’imposer en local et sur le plan national. Ouest
France s’allie à Schibstedt pour créer le réseau de sites Leboncoin.

Les registres de développement de la publicité commerciale sur internet, quant


à eux, se recomposent complètement. Là où dominaient les «  bannières  »,
transposition du placard publicitaire, se produit un processus d’éclatement.
Confrontés à l’effondrement des rémunérations de l’exposition, à des messa-
ges d’une audience évaluée en volume, les sites s’orientent sur des méthodes
de vente «  au clic  », au lien, au retour d’investissement, voire sous forme
d’opérations spéciales impliquant plus directement, contenu informationnel
et promotion du produit ou de la marque de l’annonceur. Loin de s’imposer,
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chacune de ces approches est en compétition, posant à la fois des questions
quant au fond (respect de l’autonomie de l’information) et quant au poids
d’acteurs interférant sur l’évaluation des performances et des répartitions de
la ressource publicitaire, les agrégateurs (à commencer par Google).

La commercialisation de bannières selon le volume d’audience allait faire de


l’étude de cette dernière une question particulièrement sensible. Intervenaient
ici, les méthodologies employées et la crédibilité des opérateurs aux yeux des
acteurs du marché : agences média, annonceurs et éditeurs. Une compétition
s’engagera entre un acteur issu de l’univers de l’audiovisuel, allié aux prin-
cipaux opérateurs internationaux, Médiamétrie et l’opérateur traditionnel en
matière de diffusion de presse. L’un et l’autre restent présents, mais Médiamé-
trie/NetRating semble faire désormais référence pour l’ensemble des acteurs
nationaux et internationaux. Alors que l’internet est le premier média qui a
la capacité de comptabiliser chaque clic d’internaute sur l’une des pages ou
application d’un site, c’est finalement une méthode de suivi d’un panel d’in-
ternautes qui s’impose avec ses indicateurs : volumes de « visiteurs uniques »
(VU) et de « pages vues » mensuelles.

Avec l’obligation de réaliser un financement pluriel, les éditeurs de sites s’en-


gagent dans un éventail de mode de commercialisation de leur contenu. Les
276 Réseaux n° 160-161/2010

entreprises de presse sont logiquement portées vers leurs méthodes tradition-


nelles, abonnement et vente au numéro. L’abonnement est la forme la plus
ancienne d’achat de la presse et WSJ, Ft, comme Lemonde ou Letelegramme
l’ont d’emblée pratiqué. Ces abonnements peuvent ne concerner que le Net.
Ils peuvent coupler imprimé et web. Ils permettent de moduler les tarifs selon
les publics concernés. Concrètement, l’abonnement aux sites d’information,
tel qu’il fut conçu par la presse américaine (Smyrnaios, 2009) ne porte que sur
une partie des contenus, considérée comme apportant une authentique valeur
ajoutée rédactionnelle. C’est la notion de zones « premium ». Cette approche
ne va pas de soi pour l’ensemble des sites. Seuls ceux qui sont adossés à
des titres de référence, généralistes ou spécialisés (essentiellement en écono-
mie) identifient relativement bien les contenus qui relèvent de telles zones.
Avoir à disposition un fond d’archives numérisé conforte une telle approche.
En revanche, nombre de sites au contenu « grand public » ont davantage de
difficultés à concevoir les contenus adaptés à une telle commercialisation.
Dans tous les cas, l’abonnement implique un niveau significatif de coopéra-
tion entre l’expertise de la rédaction imprimée et les équipes dédiées des sites
concernés. La question se pose cependant, d’une tension inévitable entre des
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approches éditoriales qui doivent « atténuer » leurs options éditoriales pour
obtenir le meilleur référencement et la vente de zones premium, qui impose la
mise en valeur de l’identité du titre et du site qui lui est associé.
Médiapart, en France, est le seul site d’actualité à faire reposer son avenir sur
l’unique formule de l’abonnement, moyennant un contenu distinctif. Le pari
est audacieux. Après un démarrage difficile, le portefeuille progresse, mais
pourra-t-il atteindre le niveau nécessaire à l’équilibre 34 ? Bakchich, avec un
modèle mixte, une structure plus légère et un contenu spécifique (les indis-
crétions) est en difficulté, voire menacé. Parmi les sites généralistes, l’abon-
nement est souvent modeste. Seul Lemonde.fr voit celui-ci jouer une place
substantielle des ressources (40 %) qu’il retire de la vente de contenu. Pour
un site spécialisé comme Lesechos.fr, ce ratio serait plus modeste. Peut-on
et doit-on associer l’approche abonnement à un mode de financement par un
tiers, qui se fait jour aux États-Unis, sous la forme d’apports de fondations, au
profit de sites d’investigation ? Dans un contexte français où les fondations ne
jouent pas le même rôle, quelle serait la transposition d’une telle approche ?

34. Estimé désormais à 40 000 par les responsables du site, grâce à une TVA à 2,1 % (en appli-
cation du texte sur le « statut de l’entreprise de presse en ligne », article 27 de la loi « Protection
de la création sur internet », dite « loi Hadopi ». En août 2009, le portefeuille s’élevait à 16 000
abonnés actifs.
De la presse imprimée à la presse numérique  277

Pour quelques sites, à forte notoriété, la vente de contenus constitue l’un de


leurs revenus complémentaires. Cette vente peut s’opérer auprès de titres de
presse imprimée (Cinéhebdo, Vendredi, Le Télégramme pour Bakchich ; Au
fait pour Médiapart). Il peut s’agir aussi de portails tel Orange pour Slate. Il est
tout à fait envisageable que ce type de fourniture rémunérée par des acteurs de
l’internet aille en se renforçant, comme le suggèrent les partenariats d’Orange
avec Lefigaro, ainsi que plusieurs régionaux, dont Letelegramme. Le nouveau
bras de fer engagé avec Google à la fin de l’année 2009 pourrait marquer une
volonté des éditeurs d’obtenir une rétribution directe et substantielle de la part
des agrégateurs, premiers bénéficiaires de leurs contenus.
La transposition de la vente au numéro pourrait prendre la forme de vente à
l’unité d’articles, enquêtes ou dossiers. C’est l’option « micro-paiement » remise
à l’honneur, notamment par les déclarations des responsables du New York Times,
les initiatives de Rupert Murdoch 35 ou l’annonce de Google Checkout 36. Dans la
plupart des cas, le micro-paiement figure à l’état de projet, certains en attendant
des ressources substantielles. Ceux qui le pratiquent déjà (Letelegramme.com),
parfois de longue date (Lesechos.fr), sont assez réservés quant à la part que
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pourrait prendre ce mode de vente dans le chiffre d’affaires d’un site. Les plus
sceptiques voient davantage dans le mobile – support qui n’est pas gagné par la
gratuité – une opportunité de développement du micro-paiement, à l’exemple de
L’Équipe ou d’Elle en France, du Bild ou de Die Welt en Allemagne.
Les revenus insuffisants de l’information et de la publicité obligent les sites à
développer un éventail de services tels que l’e-commerce, le merchandising,
des prestations de services, qu’elles soient techniques, de gestion d’application,
voire de formation, à l’image de Rue89 37. En matière d’e-commerce, certains
sites s’appuient sur des structures spécialisées de leur groupe, à l’image de
Ticketac ou Bazarchic pour Lefigaro.fr. D’autres vont amplifier une démarche
de produits de diversification ou de merchandising déjà pratiqués dans l’im-
primé (Lexpress.fr, Nouvelobs.com, Elle.fr). La tentation est grande de passer
du clic vers la marque d’un annonceur à la prise de commande, notamment
lors d’opérations spéciales ou sur mesure. La question est ici d’apprécier la

35. Après sa volonté de faire volte-face sur la question de la gratuité, le dirigeant de News Inter-
national engageait des consultations avec de grands titres US pour la mise au point d’un système
de paiement multititres.
36. Présenté à l’Association des éditeurs de journaux des États-Unis durant l’été 2009, le ser-
vice permettrait de rémunérer la consultation d’article, Google prélevant sa propre rémunéra-
tion au niveau de 30 %.
37. Celle-ci pourrait représenter 10 % du chiffre d’affaires de Rue89 pour sa première année.
278 Réseaux n° 160-161/2010

limite à ne pas franchir au risque d’entamer la crédibilité de l’information,


l’image du site. Cette attention a parfois fait défaut ces dernières années, une
moindre vigilance étant portée aux sites web qu’aux titres imprimés. Enfin, le
développement d’espaces communautaires, avec leurs services aux internau-
tes (animation, outils de développements de blogs personnels, etc.) favorise
l’idée de « club » et de facturation de l’adhésion. N’est-ce pas ce qui se des-
sine sous la forme du « mur » 38 de Rue89, même si elle prend la forme d’un
espace de « micro-publicités » ouvert aux internautes, alors que le site réflé-
chit à l’ouverture d’un « club de lecteurs », plus classique ?
La situation économiquement la plus saine repose sur une architecture où
cohabitent et s’épaulent sites d’information (actuellement déficitaires), sites
d’annonces et sites de services, à l’image des groupes Figaro, Ouest France
ou Schibstedt, ainsi que de nombre de groupes de par le monde à commen-
cer par l’Amérique du Nord. Ce sont les sites d’annonces «  Leboncoin  »
pour Ouest France (Spir Communication) – Schibstedt, Keljob, Cadremploi,
Cadreonline, Explorimo pour Aden Classified – Le Figaro  ; des sites d’an-
nonces et d’information, de service de proximité sur le modèle de Maville de
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Ouest France et un ensemble de partenaires régionaux ; ainsi que des sites de
services à l’image de Ticketac et Bazarchic pour le groupe Figaro.

À LA RECHERCHE DU MODÈLE ÉCONOMIQUE


Inquiétant paradoxe, ce qui se présente comme voie de sortie de la mutation
actuelle pour la presse écrite accumule les déficits. Seules quelques configu-
rations se rentabilisent sur l’information (WSJ, Lemonde) ou dans des com-
binaisons de sites communautaires (Lagardère digital) ou de sites de services
et classified (Schibstedt, Le Figaro ou Ouest France). Parfois présenté comme
un contexte plutôt français, ce constat interroge. Faut-il rappeler les préco-
nisations qui, dans le fil de l’annonce de « la fin du papier  », incitaient les
quotidiens de référence, à commencer par le New York Times et ses 1400 jour-
nalistes, à anticiper le basculement sur les seuls médias numériques ? Dans les
faits, le basculement sur le web permettrait d’économiser 35 % sur les coûts,
mais avec une perte de 90 % des recettes, l’audience reculant de 31 % pour le
Christian Science Monitor ou de 21 % pour le Rocky Mountain News 39.

38. Dont les « pierres » sont vendues aux internautes volontaires pour soutenir Rue89.
39. Le Monde, 11 mai 2009 et « Matière à réflexion #5 » (Bernard Petitjean).
De la presse imprimée à la presse numérique  279

Les déficits et la difficulté à imaginer les modalités pour parvenir à la renta-


bilité sont d’autant plus préoccupants dans un pays où les pure players sont
nombreux, avec des approches éditoriales originales et des identités fortes.
Ceux-ci reposent sur des fonds propres modestes. Leurs seules ressources,
générées par le web, doivent leur permettre de sortir du rouge dans les deux à
trois ans. Avec des délais un peu moins serrés, la situation des quotidiens n’est
pas non plus confortable. Leurs fondamentaux se dégradent rapidement, les
confrontant à des choix d’investissement délicats en matière de R&D. Faut-il
privilégier les nouveaux médias numériques ou le renouvellement de l’im-
primé ? La première option est très lourde socialement, coûteuse en investis-
sement, exigeante en moyens humains qualitatifs et créatifs. Ces arbitrages
sont d’autant plus délicats que les entreprises de presse ont compté leurs
investissements sur le web. Les sites d’information des entreprises de presse
disposent d’effectifs et de moyens plutôt modestes, qui les fragilisent dans un
contexte concurrentiel d’offre de toutes formes sur les médias numériques.
Sans compter qu’ils handicapent leur crédibilité en matière de traitement de
l’actualité 40.
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Les responsables de sites d’information rappellent qu’aucun média ne s’in-
vente en quelques mois et qu’il faut avoir la patience d’inventer les nouvelles
formes éditoriales en même temps que le modèle économique. Cette phase
de montée en puissance est pourtant longue, marquée de ruptures violentes,
comme l’éclatement de «  la bulle  ». L’interrogation est d’autant plus forte
qu’un nouveau retournement intervient dans la conjoncture comme dans les
conceptions des acteurs. Confrontés à la brutalité de la crise économique,
coincés dans le segment du marché publicitaire des bannières, les dirigeants
des sites d’information ne croient donc plus au tout gratuit. Cela ne lève pas
pour autant deux interrogations majeures : la première est celle de l’absence
de garanties que le public habitué à la gratuité acceptera les formules de paie-
ment proposées. La deuxième concerne la performance des sites d’informa-
tion en matière d’e-commerce et de vente de service face à la concurrence
(e-Bay, etc.) ? Jusqu’à quel point la rémunération se révélera suffisante, sans
franchir la limite qui préserve aux yeux du public, la crédibilité et l’indépen-
dance de l’information ?

40. Le baromètre La Croix, Le Point, TNS Sofres du 8 janvier 2009, sur « La confiance des
français dans leurs médias », situe internet au plus bas niveau avec seulement 34 % des person-
nes interrogées considérant que les choses se sont passées comme le média les présente.
280 Réseaux n° 160-161/2010

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