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COMMENTAIRE DU SÉMINAIRE N˚ 12

Martin Média | « Travailler »

2017/1 n° 37 | pages 205 à 218


ISSN 1620-5340

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Commentaire du séminaire n° 12

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O
n s’en rend compte à la lecture du texte d’Helena Hirata et
de Danièle Kergoat, l’inspiration et la ligne directrice des
recherches qui sont présentées ici sur la division sexuelle
du travail ne sont pas les mêmes que celles qui sous-tendent les
approches des auteurs précédents. Pour le lecteur qui n’est pas socio-
logue, les divergences peuvent être difficiles à saisir. Il n’est malheu-
reusement pas possible de restituer ici les termes d’un débat entre
ces courants de la sociologie, même si ce débat a des implications
fondamentales pour le thème même du plaisir et de la souffrance au
travail. Soulignons, toutefois, d’abord que, dans l’argument présenté
par Helena Hirata et Danièle Kergoat, il est une proposition qui fait
consensus parmi les participants au séminaire, à savoir : que ce qui
retient ici l’attention des auteurs est « la capacité des hommes et
des femmes, même dans des situations d’extrême domination, de se
battre et de s’opposer » aux contraintes constitutives de ces situa-
tions extrêmes. On retrouve donc ici une posture épistémologique
qui n’est pas sans rappeler, même si elle s’en différencie, une posi-
tion convergente avec celle des auteurs précédents, sur les limites du
déterminisme sociologique des conduites, des comportements et de
la pensée.
À partir de ce débat revient immanquablement la question de
définir ce qu’est un rapport social. Selon les auteurs de cet exposé,
cette notion permet de rendre compte des contradictions – contradic-
tions entre les groupes sociaux, contradictions à l’intérieur même des
groupes et des individus.

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À la suite de cette définition vient logiquement la question de la
marge de liberté. Comment le fait de se battre, de contourner ou de trans-
gresser, signe-t-il l’utilisation d’une marge de liberté ? Sur ces deux der-
niers points, on reconnaîtra certaines convergences encore, notamment
avec le point de vue exposé par Alain Cottereau.
Reste un dernier point, étroitement lié aux précédents, qui concerne
cette fois la question du sujet : « […] reste à construire la relation entre
les individus [...] ». « Établir des typologies, mais en tenant compte simul-
tanément de la notion, ou « d’une notion » de sujet – et cela précisément
pour ne pas enfermer l’individu dans la norme, ce qui rendrait invisibles les

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contradictions, les transgressions et les luttes... » « Reste que le problème
du choix ou de la liberté se décèle bien au niveau du sujet, pas immédiate-
ment au niveau du groupe. »
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On peut dire que Helena Hirata et Danièle Kergoat annoncent


vis-à-vis de la construction sociale un « réductionnisme faible », c’est-
à-dire une position épistémologique accordant aux agents, malgré la
pesanteur des rapports sociaux, un pouvoir d’agir sur la construction
et le développement des faits sociaux. Le pouvoir d’action accordé aux
agents, chez les autres auteurs qui ont exposé leur point de vue précé-
demment (Pharo, Cottereau, Dodier, Duclos), est aussi capital comme
nous l’avons signalé à plusieurs reprises. Si, sur ce point donc, on peut
reconnaître une convergence des positions adoptées par les uns et par
les autres, on se doit toutefois de remarquer que cet accord ne conduit
pas forcément aux mêmes conclusions théoriques. Car, pour Helena
Hirata et Danièle Kergoat, il semble bien que l’hypothèse d’un espace
de liberté conduise logiquement à des interrogations sur ce sujet, en tant
qu’il serait, à partir de son histoire singulière, l’organisateur de cette
liberté. Au contraire, pour Pharo, Cottereau et Dodier, la liberté ne se
localise pas dans le sujet singulier, mais dans un sujet avant tout défini
par l’interaction intersubjective, sans aucune référence ou allusion au
sujet pourvu d’une intériorité telle que la conçoivent la psychopatholo-
gie et notamment la psychanalyse.
Il serait regrettable de vouloir euphémiser cette différence essen-
tielle entre les deux courants sociologiques envisagés, au regard de la psy-
chopathologie du travail qui se trouve inégalement interpellée par les deux
approches en question.
De fait, la perspective et les formulations d’Helena Hirata et de
Danièle Kergoat sont dans un rapport de résonance avec la psychopatholo-
gie du travail, qui permet d’engager directement la discussion du thème de

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la souffrance et du plaisir dans le travail. La problématique de la division


sexuelle du travail attaque en outre de plain-pied les thèses de la psycho-
pathologie du travail, avec un argumentaire dont on remarquera combien
il est précis. L’adéquation interdisciplinaire des niveaux de discussion
est d’abord due, semble-t-il, à la nature même de l’objet que constitue la
division sexuelle du travail. En abordant ce thème, la sociologie rencontre
frontalement un problème central à toute psychopathologie : la différence
des sexes.
Certains verront dans la précision des cibles désignées par Helena

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Hirata et Danièle Kergoat non pas le signe d’une naturalité de la rencontre,
mais l’indice d’un volontarisme interdisciplinaire ayant effectivement
fonctionné.
Enfin, il reste à souligner que le travail de synthèse et de recentrage
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opéré ici par Helena Hirata et Danièle Kergoat autour du thème du sémi-
naire fait faire une étape significative dans le dégagement et dans l’esquisse
de ce qu’on appellera plus loin (voir conclusion de ce volume) le « fonds
commun » de questions scientifiques rassemblées par les chercheurs ayant
participé au séminaire.
La discussion qui a pris pour point de départ le texte d’Helena Hirata
et de Danièle Kergoat, ici retranscrit, ainsi qu’une série d’articles cités en
référence, fait apparaître que la thèse de D. Kergoat en vertu de laquelle
les rapports sociaux de sexe ne constituent pas un domaine spécifique de la
sociologie, mais forment une problématique coextensive à la théorie socio-
logique dans son ensemble, doivent être reconnus dans le domaine même
de la psychopathologie du travail. Il semble effectivement impossible en
psychopathologie du travail :
– De cliver le travail du hors-travail.
– De penser les rapports de production sans les rapports de repro-
duction.
– De définir l’organisation du travail, en psychopathologie du
travail, comme on l’avait fait jusqu’à présent : les travaux du séminaire
avaient déjà conduit à critiquer la conception de l’organisation du travail
en psychopathologie du travail pour faire valoir que l’organisation du
travail est d’abord un rapport social de travail. Les rapports sociaux de
production étant reconnus comme indissociables des rapports de repro-
duction, on aboutit à la conclusion qu’il devient nécessaire maintenant
de revoir dans son ensemble la question de la souffrance et du plaisir au

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travail, sous l’angle de la division sexuelle du travail. Ce qui, au-delà de
la déstabilisation des thèses de la psychopathologie du travail, ouvre pour
cette dernière des perspectives complètement neuves.
– D’envisager les souffrances spécifiques d’un travail, comme si
chaque description clinique était valable pour tous les représentants du
genre humain : chaque souffrance serait, si l’on suit les thèses sociolo-
giques ici exposées, sexuée. Aucune description clinique de la souffrance
ne pourrait être valable à la fois pour les hommes et pour les femmes.
Certaines souffrances sont masculines, d’autres souffrances sont fémi-
nines. Elles ne sont pas similaires, parce que les situations de travail qui

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les engendrent ne sont tout simplement pas les mêmes non plus, ce que
la psychopathologie du travail « inaugurait » ou « refoulait » jusqu’à pré-
sent. Par exemple, en France, la souffrance psychique résultant du travail
aux pièces est presque toujours une souffrance féminine, parce que seules
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les femmes connaissent aujourd’hui ces situations de travail (et pas les
hommes ; encore que sur ce point on ait à envisager la question de cer-
tains travailleurs immigrés). Autre exemple : la souffrance des ouvriers du
bâtiment et des travaux publics est une souffrance masculine. Il n’y a pas
d’équivalent féminin de cette souffrance, parce qu’il n’y a pas, en France,
de femme tailleur de pierre, manœuvre ou maçon.
Or, le partage entre souffrances réservées aux femmes et souffrances
réservées aux hommes ne dépend pas que des rapports de production. Les
rapports de domination pèsent directement sur ce partage. De sorte que
la forme de la souffrance elle-même aurait partie liée non seulement avec
l’organisation du travail (thèse classique de la psychopathologie du tra-
vail), mais aussi, et en profondeur, avec les rapports de domination des
hommes sur les femmes.
En poussant un peu plus loin encore les conséquences de l’objection
faite par H. Hirata et D. Kergoat à la psychopathologie du travail, on en
viendrait facilement à cette hypothèse que la souffrance ne serait peut-être
pas la seule à être sexuée. La problématique de la division sexuelle du
travail et des rapports de reproduction suggère en effet des différences fon-
damentales, des différences sexuées, dans les processus mis en œuvre pour
construire les systèmes défensifs contre la souffrance. La psychopatholo-
gie du travail soutient, on le sait, l’hypothèse que la souffrance peut être
utilisée ou exploitée. Elle précise que cette exploitation passe précisément
par la manipulation des procédures défensives. Ainsi retrouvera-t-on, si
les défenses elles-mêmes sont sexuées, que les modalités de l’exploitation
seraient elles aussi à leur tour sexuées.

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Tout le débat sur les idéologies défensives de métier, sur les pro-
blèmes spécifiques de la construction des collectifs de femmes, et sur les
syllogismes psychopathologiques, est à cet égard exemplaire (à propos de
syllogisme, d’autres exemples que ceux cités dans le texte donné par H.
Hirata et D. Kergoat ont pu être cités, qui sont construits sur le même
modèle : par exemple « les femmes se plaignent toujours », « les femmes
parlent par derrière », « les femmes cancanent », « les femmes font des
crises de nerfs », « les femmes ont besoin d’être tenues », etc.). La logique
décrite par D. Kergoat à partir de ces syllogismes, et de leur pouvoir anti-
collectif, placerait donc effectivement en fin de processus la souffrance des

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femmes au travail dans une situation bien différente de la souffrance des
hommes au travail.
L’intrusion des rapports sociaux de sexes dans la psychopathologie
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du travail ne limite pas son impact qu’à la question de la souffrance et des


défenses contre la souffrance. La question du plaisir se trouve elle aussi
mise sur le tapis, lorsque D. Kergoat évoque le problème de la sublimation,
qui ne se conjuguerait pas au féminin comme au masculin ; lorsque aussi
H. Hirata et A. Cottereau posent la question de « l’exploitation » de la
sublimation.
L’argument de la discussion est le suivant : la sublimation ne serait
pas impossible pour les femmes, mais dépendrait de la classe sociale. En
effet, le processus sublimatoire exige deux conditions :
– Un engagement dans une tâche de conception, et pas seulement
dans une tâche d’exécution (cf. note sur la notion de souffrance dans le
tome I).
– L’appartenance à un collectif, ou mieux à une communauté d’ap-
partenance (cf. texte de D. Cru dans le tome I).
En ce qui concerne l’accès aux tâches de conception, on sait com-
bien jouent ici la division sexuelle du travail et les rapports de domina-
tion. À partir d’études portant aussi bien sur des ouvrières que sur des
employées, D. Kergoat montre que, pour avoir accès à des tâches de
conception ou à des métiers, les femmes sont obligées de passer par une
lutte contre les rapports de domination des hommes dans l’entreprise. Pour
celles qui franchissent les obstacles risque de surgir une contradiction entre
lutte contre les hommes dans les rapports de production, et soumission aux
hommes dans les rapports domestiques, contradiction qui crée une dicho-
tomie ou appelle un clivage souvent difficile à tenir. Ce clivage cède par-
fois, aboutissant soit à l’exclusion de la femme hors du travail de métier

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soit à ­l’éclatement de l’économie des relations familiales. De sorte qu’une
femme, en refusant les rapports de soumission du côté du travail, peut être
conduite du côté de sa vie domestique à la séparation ou au divorce.
D. Kergoat signale une autre position qui se rencontre parfois :
l’homosexualité, par laquelle la femme s’inscrit en faux contre toutes les
expressions de soumission attachées à la condition sociale et psychologique
féminine. C’est dire que l’accès à une activité sublimatoire dans le travail
passe en règle générale, pour des salariées situées au bas de l’échelle des
qualifications, par un chemin hérissé d’épreuves psychosexuelles et affec-
tives que ne rencontrent pas les hommes placés au départ dans la même

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situation sociale et professionnelle.
Relativement aux collectifs – deuxième condition de la sublima-
tion –, on remarquera que les communautés d’appartenance sont essentiel-
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lement réservées aux hommes dans la mesure où les communautés d’appar-


tenance sont étroitement liées au métier. De sorte que, là encore, au-delà de
la lutte contre la soumission, l’entrée dans la communauté d’appartenance
implique souvent pour les femmes l’engagement ou la souscription à des
grilles de valeurs essentiellement masculines. Là encore, la sublimation
pour ces femmes passe souvent par des atteintes à leur identité sexuelle.
C’est dire que si la souffrance au travail est sexuée, si les défenses contre
la souffrance sont sexuées, le plaisir au travail et la sublimation le seraient
aussi. On voit que l’économie sexuelle et érotique des femmes est massi-
vement impliquée dans la souffrance au travail, et que même le plaisir de
la sublimation ne s’obtient que contre une souffrance sexuelle, alors que,
chez les hommes, les valeurs de la sublimation sont en continuité (ou au
moins dans la non-contradiction directe) avec leur identité sexuelle.
On peut ajouter que si, pour conquérir un rapport plus satisfaisant
au travail, les femmes doivent souvent passer par une phase de destruc-
tion / restructuration de leur vie affective hors travail (divorce, célibat,
mère célibataire, homosexualité), à l’inverse, lorsque les rapports d’ex-
ploitation deviennent insoutenables, une des issues possibles consiste à se
trouver enceinte. La grossesse, et par conséquent la sexualité tout entière
se trouvent alors engagées dans une logique défensive, et non plus dans
une logique du désir. D. Kergoat explicite dans la discussion ce qu’elle a
décrit sous le nom « d’issue troisième enfant », comme moyen pour cer-
taines femmes d’échapper durablement aux rapports de production insup-
portables. H. Hirata précise que cette issue doit en outre être située socia-
lement et historiquement, car au Brésil le même processus devrait porter le
nom « d’issue quatrième enfant ».

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Toujours à propos de la sublimation, la question est posée à par-


tir des travaux d’H. Hirata des ressorts de la productivité au Japon. Si la
question de la productivité des femmes a été largement analysée dans les
articles cités en référence, si une bonne part de la productivité des hommes
peut être expliquée à partir du travail non comptabilisé dans les études
et les statistiques d’une part, à partir des formes culturelles et familiales
d’autre part, à partir de la vie syndicale dominée par les syndicats-maison
enfin, il reste que demeure la question de savoir ce qu’il en est du plaisir
dans le travail et de sa contribution à la productivité.
On peut bien sûr être tenté à l’instar de Kamata Satoschi de penser

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que la productivité est liée avant tout à la manipulation de l’opposition
entre statut de travailleur stable et statut de travailleur précaire. Mais il
faut au-delà poser la question ici des formes de plaisir et d’utilisation (ou
d’exploitation ?) du plaisir au travail, et de ses incidences sur la santé et
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la résistance psychosomatique dans le système des grandes entreprises


­japonaises.
En effet, les cercles de contrôle de qualité ne semblent pas pouvoir
être réduits à un simple dispositif de manipulation et de récupération opé-
rant à l’insu des travailleurs. Même s’il existe d’indubitables pressions et
coercitions à la participation du plus grand nombre à ces cercles de contrôle
de qualité, il demeure que le système repose aussi, probablement, sur la
mobilisation des capacités créatrices, ou plus précisément des aptitudes des
travailleurs à la « recherche appliquée ». Toute la question consiste à savoir
comment ces aptitudes sont mobilisées chez des travailleurs initialement
assignés à des tâches d’exécution. On sait que, dans les entreprises fran-
çaises, ces aptitudes sont parfois mobilisées aussi. Mobilisation souvent
occulte, tant pour l’encadrement qui ne reconnaît pas (et de ce fait n’utilise
pas bien) la « coopération ouvrière », tant pour l’encadrement, donc, que
pour les travailleurs eux-mêmes qui n’ont souvent qu’une conscience miti-
gée et parcellaire de ce qu’ils mettent en œuvre, d’initiatives et d’inven-
tions dans leurs pratiques de travail quotidiennes (voir Daniellou et Teiger,
Tome I). Dans d’autres circonstances, cette mobilisation des aptitudes à la
recherche est moins méconnue des opérateurs, mais elle est alors directe-
ment associée à des techniques d’extraction fondées sur la souffrance et
des défenses contre la peur (voir l’invention des « ficelles » par les opéra-
teurs de la pétrochimie, Dejours, Travail : usure mentale).
Au Japon, en revanche, le système pourrait être sensiblement diffé-
rent. D’une part l’encadrement est à l’affût des découvertes et de l’expéri-
mentation ouvrière, d’autre part l’entreprise reconnaît cette mobilisation,

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son intérêt et son impact économiques, et les sanctionne par des avantages
matériels et « moraux » (même si l’on peut s’interroger sur la rétribution
offerte en comparaison des contributions et des services rendus. Voir article
H. Hirata). D’autre part, il semble que la peur, la souffrance et les défenses
contre la peur ne soient pas les seuls ressorts de la mobilisation des capa-
cités de recherche des travailleurs. On peut se demander si cette activité
d’expérimentation n’apporte pas en soi un bénéfice en termes de « plaisir
au travail » s’étayant sur les processus de sublimation. Si nous considérons
qu’effectivement la sublimation ne se caractérise pas que par le processus
intéressant la pulsion, mais aussi par les conditions sociales définissant, et

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le système de valeurs, et l’indexation de la création à ce système de valeurs
(voir note sur la notion de souffrance, Tome I, Chapitre 5), alors on accor-
dera une attention toute particulière à la rétribution « morale » de cette
activité de recherche, d’expérimentation, et d’innovation ouvrières. Or, ce
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sur quoi il faut insister ici, c’est que les conditions sociales définissant,
et le système de valeurs, et la communauté d’appartenance, passe par un
ensemble de conditions spécifiques à la société japonaise, au rapport entre
la famille et l’entreprise, entre les hommes et les femmes, tant dans la vie
domestique que dans le travail, et aux rapports hiérarchiques en ce qui
concerne les questions de responsabilité et de culpabilité en cas de faute,
d’accident ou de maladie du travail. Même si les comparaisons montrent
ici qu’on est loin de l’homologie entre Japon et France (ou Brésil), ce n’est
pas tant cette question qui intéresse la psychopathologie du travail que les
modalités différentielles d’engagement de la subjectivité et des rapports
de plaisir et de souffrance au travail, que les travaux d’Helena Hirata
semblent soulever de façon complètement originale.
Dans la mesure où ces hypothèses pourraient être confirmées par de
nouvelles enquêtes effectuées sur ce thème au Japon, il serait inévitable
de poser ensuite la question de « l’exploitation » de la sublimation et du
plaisir au travail, thème rarement envisagé jusqu’à présent. Si, comme le
suggèrent certains (J. D. Reynaud), cette mobilisation ouvrière n’a pas de
comparaison avec ce qui se passe en France pour les ouvriers, mais a en
revanche des traits de similitude avec ce qui se passe au niveau des cadres,
tout un domaine de recherche se trouverait ici désigné. Beaucoup d’argu-
ments suggèrent en effet que le comportement de cadres, d’ouvriers de
métier et d’artisans, dont l’engagement dans le travail se fait sans comp-
ter, n’aboutit pas qu’à des désastres au plan de la santé. Malgré un travail
intense, cette catégorie de travailleurs présente un état de santé et une lon-
gévité meilleurs que les ouvriers. Même si, dans certains cas, des excès
sont observables qui conduisent à des accidents somatiques et psychiques

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(« pathologie du surmenage » et du « stress »). Pour aborder cette question,


il semble que la conception soutenue dans le séminaire, notamment par P.
Pharo sur le couple rétribution-contribution, devrait être ici particulière-
ment heuristique et féconde, conduisant cette fois à légitimer la prudence
affichée à l’endroit de la notion « d’exploitation » à laquelle A. Cottereau
préfère celle « d’utilisation ».
Dans ce domaine de la psychopathologie du « plaisir au travail »,
les travaux de D. Kergoat portent encore leur lot d’interrogations et de
questions neuves : à savoir que, même au Japon, cette économie du plai-
sir au travail intéresse essentiellement les travailleurs hommes. Et beau-

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coup moins les femmes ouvrières. La référence à la notion de sublimation
redevient à nouveau problématique. Surtout si l’on tient compte, une fois
de plus, du dispositif social impliqué par la sublimation, et notamment
celui de la communauté d’appartenance. Cette dernière, en effet, requiert
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le fonctionnement d’un certain type de collectif dont les caractéristiques


ont été en partie discutées dans le tome I par Damien Cru, sous le nom de
« collectif de règle ».
Or, en suivant les développements de D. Kergoat, on a pu voir que le
rapport au collectif et la constitution même d’un collectif pour les femmes
sont hautement problématiques en raison des rapports de domination, d’une
part, et de l’individualisation des repères identificatoires situés plus volon-
tiers que chez les hommes hors du travail d’autre part. C’est dire que toutes
les problématiques de la sublimation seraient en fait sexuées. La définition
qu’en donnent Freud et la plupart des psychanalystes, en négligeant d’ap-
profondir l’étude du dispositif social nécessaire à ce processus, est sup-
posée équivalente pour les hommes et pour les femmes, alors qu’elle joue
vraisemblablement de façon très discriminative en faveur des hommes.
Au point qu’on pourrait dire de la sublimation, au sens freudien, qu’elle
est un processus essentiellement masculin. Toute la discussion commence
pour ce qui concerne la sublimation des femmes, par ce point de savoir
si, pour sublimer, une femme doit se plier aux conditions sociales de la
sublimation, c’est-à-dire renoncer, ce faisant, à son identité sexuelle, ou si
d’autres conditions sociales sexuées sont à considérer dans la sublimation
au féminin. Mais alors la caractérisation de ces conditions sociales reste à
faire. Encore un programme supplémentaire de recherche pour la psycho-
pathologie du travail, en partant cette fois de l’étude des femmes cadres,
chercheurs, techniciennes, ou artisans ! Comme le souligne Helena Hirata,
alors qu’au début du séminaire on était parti d’une définition abstraite de la
sublimation, on en est rendu maintenant à la considérer au regard de don-
nées beaucoup plus concrètes, de classes, de sexes et de cultures.

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La sociologie du travail, et spécifiquement la sociologie de la divi-
sion sexuelle du travail, pose donc en retour toute une série de questions à
la psychopathologie du travail, mais aussi à la psychopathologie en géné-
ral et à la psychanalyse en particulier. D. Kergoat a introduit l’idée d’une
idéologie défensive de sexe pour répondre au fait que l’idéologie défen-
sive de métier ne lui semble pas pouvoir fonctionner chez les femmes. Au
titre d’attitudes défensives, il faudrait considérer en priorité les solidarités
de sexe, de préférence aux solidarités de métier. Et pour cause ! On se
réfèrera ici à son texte sur le métier. Il faudrait envisager une procédure
défensive à caractère collectif, chez les femmes, dirigée d’abord contre

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la souffrance de la condition de femme dans le travail, avant même d’être
dirigée contre la souffrance liée à la condition de travailleuse exposée aux
risques d’accident ou de maladie du travail. Cette « idéologie défensive de
sexe » varierait beaucoup selon le degré d’exploitation, conduisant parfois
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les ouvrières surexploitées à chercher un mari, issue probablement la plus


efficace pour échapper à cette surexploitation !
De l’idéologie défensive de sexe, on en vient à se demander si une
sexualité, ainsi colonisée par les rapports de production, ne peut pas deve-
nir tout entière défensive. Le mariage, ou le concubinage, les enfants, le
troisième enfant, etc., c’est-à-dire des caractéristiques fondamentales de
la sexualité et de l’être-femme, seraient alors voués à la défense et non au
désir. Cette sexualité-là serait alors à reconsidérer par le psychopatholo-
giste en tenant compte de la dimension des rapports de production. On peut
se demander s’il n’y aurait pas à envisager la construction d’une « sexua-
lité défensive » de classe, extension de l’idéologie défensive de sexe dans
le domaine de la psychopathologie générale (Dejours). On rapprochera de
cette hypothèse cette expression du langage populaire : « elle se défend »,
pour dire que telle femme se prostitue (voir Mme Rosa dans La Vie devant
soi d’Emile Ajar), expression où se dit peut-être de façon exemplaire com-
ment les pratiques sexuelles pourraient être d’abord engagées au profit de
la défense et non initiées par le désir.
La référence à la notion de sexualité défensive conduirait à recon-
sidérer la question du masochisme féminin souvent invoquée pour rendre
compte du déterminisme de certains comportements de soumission, de
passivité et de résignation, face aux multiples formes de l’oppression
domestique.
Les implications sont ici d’une particulière importance si l’on veut
bien se pencher sur le problème psychopathologique spécifique de la vio-
lence conjugale. La question de la violence a déjà été rencontrée à ­plusieurs

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reprises au cours du séminaire, notamment à propos de la discussion de


l’exposé d’Alain Cottereau, qui avait insisté sur le caractère symbolique de
la violence au travail. Du point de vue du psychopathologiste, et plus encore
du psychiatre, il y a, vis-à-vis de ce point de vue, une certaine perplexité.
Car la violence semble bien une donnée quotidienne de la psychopatholo-
gie ouvrière. Il s’agirait donc de discuter des rapports entre violence réelle
et travail. De cette discussion il ressort qu’en définitive pourrait s’opérer
une sorte de déplacement de cette violence. D. Kergoat, en effet, explique
que le destin de la violence n’est pas le même chez les hommes et chez
les femmes. Car ces dernières sont condamnées, en quelque sorte, à rete-

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nir la violence à l’intérieur d’elles-mêmes, à faire usage d’un processus
de rétention, voire d’un processus d’intériorisation (pris dans une accep-
tion prosaïque), et finalement sont condamnées à retourner cette violence
contre elles. Cela serait en relation avec la difficulté, voire l’impossibilité,
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de jouer cette violence à l’extérieur, et en particulier de la réinvestir à l’in-


térieur même du travail. Et cela à la différence de ce que font ou peuvent
faire les hommes qui trouvent parfois des occasions de rejouer leur vio-
lence dans le travail lui-même, que ce soit à propos de la défense de leur
statut, à propos de la progression de leur carrière ou à propos de la défense
de leur salaire. L’exercice de cette violence dans les relations de travail
passerait dans le cas des hommes précisément par la constitution de collec-
tifs alors même que nous avons vu combien précaire était la construction
des collectifs de femmes.
On pourrait donc poser la question en suivant un trajet régrédient.
Qu’advient-il de la violence des hommes, lorsque celle-ci ne peut pas être
« réinvestie » dans les relations de travail ? En psychopathologie du tra-
vail, on a envisagé les conséquences sur l’économie psychosomatique, des
tâches réduites par les cadences et la répétitivité. L’activité dont le contenu
est trop réduit s’oppose de façon quasi expérimentale au processus de
sublimation. Or, il se trouve que la sublimation, à côté des investissements
dans les rapports sociaux de travail, constitue une des issues préférentielles
de la violence. La spécificité de la sublimation, c’est de former un exutoire
à la violence qui ne jouerait pas au détriment du sujet, mais qui s’inscrirait
dans la continuité du désir et de la pulsion. En ce sens, on peut dire de la
sublimation qu’elle constitue une issue structurante. Lorsque cette issue
est fermée, ce qui est le cas de ces tâches « antisublimatoires », la vio-
lence a toute chance de donner lieu à des formations psychopathologiques.
Dans le cas des travailleurs hommes, notamment des immigrés, on constate
alors cliniquement que la violence cherche d’autres issues effectivement,
en dehors de l’activité de travail. Il n’est pas rare qu’on ait alors à faire

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à de la violence mise en acte précisément dans la famille, en particulier
contre les femmes et parfois aussi contre les enfants. Pour des raisons qui
ne seront pas développées ici, lorsque cette issue de la violence contre les
membres de la famille est à son tour fermée, on voit souvent se développer
des processus de somatisation. Si l’on consulte la littérature psychiatrique
sur les travailleurs immigrés, on remarque qu’il est fait souvent mention de
cette particularité des passages à l’acte violents d’une part, et des plaintes
somatiques d’autre part. En découle inévitablement toute une sémiologie
psychiatrique volontiers affublée du terme « d’ethnopsychiatrie » dans une
conception franchement folkloriste, qui gagnerait à être réexaminée à la

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lumière de ce qui a été dit ici sur les rapports de production et les rapports
de reproduction, ou sur les relations entre rapports d’exploitation et rap-
ports de domination.
Si l’on se tourne maintenant du côté des femmes, et que l’on exa-
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mine la clinique sous ce même éclairage, on constate encore une dissy-


métrie fondamentale par rapport à ce qui se joue pour les hommes. Les
femmes ouvrières cèdent rarement à la violence et au passage à l’acte que
l’on rencontre si souvent chez les hommes. Elles ne frappent que rarement
leur mari. Que devient donc cette violence ? On peut légitimement poser
cette question, car il est impossible de s’en tenir à un constat selon lequel
les issues à la violence seraient fermées, sans en rechercher au-delà les
rejetons. Là, aussi, on peut s’attendre à l’apparition de processus de soma-
tisation. Cela s’observe effectivement fréquemment en clinique. Mais il
est une autre issue, qui implique quand même la violence mise en acte. Il
s’agirait d’une sorte de tendance de ces femmes à s’inscrire de façon com-
pulsive dans une logique d’appel à la violence. En lieu et place d’exercer
une violence active contre leur conjoint, ces femmes en viennent plutôt à
appeler ces derniers à les frapper. Il s’agit donc d’une logique dans laquelle
les femmes sont conduites, compulsivement, à provoquer la violence des
hommes contre elles.
Il resterait cependant à faire une dernière mention, pour la violence
directe exercée par les femmes qui, à défaut de viser les hommes, vise
parfois les enfants (C. Teiger). Cette logique de la violence occasionne en
définitive des dégâts mentaux considérables dans la génération des enfants,
soit parce qu’ils sont les victimes directes de cette violence, soit parce
qu’ils en sont les témoins et les spectateurs impuissants. Les conséquences
psychopathologiques qui semblent émerger préférentiellement dans la
deuxième génération s’organisent autour des psychopathies, des toxico-
manies, de l’alcoolisme et des somatisations, de préférence à toutes les
formes de psychopathologies psychotiques ou névrotiques.

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On peut se demander si la psychopathologie de la violence ordi-


naire, celle qui reste tellement énigmatique pour le psychiatre, n’a pas fina-
lement partie liée avec la violence des rapports de travail. Ici il y aurait lieu
d’établir des relations précises entre psychopathologie, psychopathologie
du travail, et sociologie du travail. Il faudrait insister encore sur le fait que
la violence, c’est d’abord un passage à l’acte. Or, lorsqu’en psychopatho-
logie on dit « passage à l’acte », on dit simultanément, de façon implicite
ou explicite, que l’acte prend la place de la verbalisation, de la mise en
parole, voire de la mise en pensée. Cela est un point important à consi-
dérer, car, dans la pratique clinique, il s’avère justement que ces formes

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de violence sont particulièrement résistantes à tout travail d’élaboration
mentale. L’inanalysabilité de ces conduites pourrait résulter de ce que leur
déconstruction ne serait pas possible à partir des seules références de la
psychopathologie classique, et qu’il faudrait pour avoir accès à l’interpré-
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tation faire référence aussi aux rapports sociaux d’exploitation et aux rap-
ports sociaux de domination.
Tout cela ne représente qu’un aperçu de l’apport de la théorie de
la division sexuelle du travail à des secteurs de la psychopathologie mal
balisés jusqu’à ce jour.
Il resterait à discuter les jeux de circularité entre rapports de pro-
duction et rapports de reproduction. Ce problème a été évoqué à partir de
l’exemple utilisé par D. Kergoat pour introduire ses concepts de pratiques
sociales et d’apprentissages collectifs (Bulledor). D. Kergoat soulignait
que la combativité dépendait finalement du choix de chaque travailleur
entre le projet de retour au pays ou le projet de sédentarisation en France.
Or, si l’on suit les travaux proposés par certains sociologues sur les projets
de vie, il apparaît que ces derniers sont eux aussi l’objet d’une construction
sociale. De sorte que le choix opéré entre projet de retour au pays et projet
de sédentarisation en France pourrait ressortir à une construction sociale
lui aussi. Est-on alors en droit de séparer deux groupes au regard de la
combativité, en les rattachant à deux groupes constitués par les projets de
vie ? Ou bien faut-il chercher au-delà de ces deux typologies un détermi-
nisme commun, relevant d’une construction sociale, qui pèserait à la fois
sur la position vis-à-vis du projet de vie, et sur la position vis-à-vis de la
combativité ?
La discussion de l’exposé d’Helena Hirata et de Danièle Kergoat
a donné lieu, on le voit, à une avalanche de questions qui n’ont malheu-
reusement pu être qu’ébauchées. On s’en rendra compte notamment en se
reportant à la série de remarques, de critiques et de questions posées par

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H. Hirata à la fin du texte de son exposé. Certains y verront essentiellement
une remise en cause de fond des thèses de la psychopathologie du travail.
D’autres y verront au contraire une série de questions qui vaudrait comme
véritable programme de recherche en psychopathologie du travail pour les
années à venir, tant sur le plan clinique que sur le plan théorique.
Le lecteur, au terme du compte-rendu simplifié de ces débats, regret-
tera peut-être qu’aucune réponse n’ait été formulée de façon circonstanciée
à cet ensemble très riche de questions. Il faudra seulement rappeler que
ce séminaire avait avant tout pour objectif d’examiner si la confrontation
interdisciplinaire était possible. Le document présenté ici est effective-

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ment inachevé. C’est pourquoi il s’adresse avant tout aux chercheurs ; il ne
constitue, somme toute, qu’une invitation à poursuivre dans les voies qui
ont été ici esquissées.
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