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Raphaël Confiant
DOI 10.3917/mult.022.0179
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l’enfermement
identitaire
la créo lité
Confiant
Raphaël
contre
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quaise...le « madras ».
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Aucune de ces trois idéologies, Blanchitude, Négritude, Indianité,
n’a donc su (ou pu) penser la nouvelle réalité qui se mettait inexorable-
ment en place et qui faisait des trois groupes ethniques fondateurs du
peuple créole des néo-autochtones, les remplaçants des Caraïbes en
quelque sorte. Qui coupait les liens avec les pays d’Ava n t , avec l’Ancien
Monde, à tout le moins au plan de la vie quotidienne. Le Béké peut
toujours se réclamer de ses ancêtres poitevins ou vendéens, il n’en res-
te pas moins que vivre sur une plantation de canne à sucre en terre an-
tillaise et la diriger n’a rien à voir avec l’administration d’une ferme ou
d’un vignoble en terre française. Le Nègre peut toujours se réclamer
de sa lignée bambara ou bantoue, son quotidien de déraciné qui s’est
reconstruit a peu de rapports avec celui d’Africains qui n’ont jamais
quitté leurs terres et qui n’ont perdu ni leurs langues, ni leur cuisine,
ni leurs religions, ni leurs vêtements, e t c.Le Noir antillais est au contact
du Blanc depuis le début du XVII e siècle alors que beaucoup de ses
cousins d’Afrique n’ont vraiment senti le poids du colonialisme euro-
péen qu’à compter du congrès de Berlin (1885) et donc du partage de
l ’ A f rique entre les différentes puissances européennes de la fin du XIX e
siècle. L’Indien peut toujours fantasmer sur le Tamil-Nadu, il a défi-
nitivement perdu le système de castes, il a oublié à tout jamais la langue
tamoul, il ne peut plus incinérer ses morts comme l’exige la religion
hindoue et est obligé de les inhumer selon les règlements européens.
Et le Mulâtre, dira-t-on, et plus généralement le Métis ? N’est-il pas
le mieux placé pour revendiquer sa créolité, lui qui ne possède pas de
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Les Martiniquais, de toutes races, ont été, jusqu’à la fin du XX e siècle,
incapables de penser l’autochtonie. Sans doute parce que cette autoch-
tonie n’a rien à voir avec celle de l’Ancien Monde, qu’elle n’est pas at a-
vique (Edouard Glissant), qu’elle est ouverte, multiple, imprévisible,
en perpétuel remodelage. Car la Créolité n’est pas une idéologie : c’est
une réalité anthropologique et historique. Une réalité de trois siècles
et demi de brassages et de « partage des ancêtres » (Jean Bernabé). Il
faut, en effet, se garder de confondre, comme on le fait trop souvent,
le phénomène anthropo-historique qu’est la Créolité et l’idéologie de
la Créolité telle qu’elle a été définie, en 1991, par Patrick Chamoiseau,
Jean Bernabé et Raphaël Confiant. Cette réalité incontournable peut
être pensée de diverses manières, elle peut être pensée différemment
de ces trois auteurs, mais nul ne saurait en nier l’existence. Cette créo-
lité anthropo-historique est un fait brut, massif. C’est le magma civi-
lisationnel à partir duquel a jailli l’homme martiniquais d’aujourd’hui.
Cela est si vrai que notre histoire est parsemée de velléités de Créolités,
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