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DU STÉRÉOTYPE À LA RELATION D’AIDE

Henri Gomez

in Henri Gomez et al., Les représentations de l'alcoolique

ERES | « Bacchus »

2015 | pages 67 à 88

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Pour citer cet article :


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Henri Gomez, « Du stéréotype à la relation d’aide », in Henri Gomez et al., Les
représentations de l'alcoolique, ERES « Bacchus », 2015 (), p. 67-88.
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Henri Gomez

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Du stéréotype à la relation d’aide
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PremièreS renConTreS

nombre de séances de formation sont dédiées aux diffi-


cultés de la « première rencontre », à ses pièges, à son impor-
tance tant du point de vue de l’utilité immédiate que de celui
de l’alliance thérapeutique à élaborer, en dépit des péripéties à
venir. Pour un clinicien de ville, il s’agit tout à la fois de briser
la glace, de poser l’offre d’aide en alternative possible à
l’objet-alcool, d’instiller quelque chose de l’ordre de l’envie et
de l’espoir, d’introduire aussi une dimension ludique, chaque
fois que c’est possible, pour dédramatiser la situation. L’éclec-
tisme des premières rencontres contribue à l’intérêt de la pra-
tique alcoologique.
Voici pour commencer trois fragments de consultations. Je
souscris à la règle du parcours de soin, comme en médecine
somatique. mon intention véritable est de créer un début de
mémoire partagée, d’exister et de faire exister celle ou celui que
j’ai en face.

Henri Gomez est alcoologue et psychiatre à Toulouse. Il anime une associa-


tion de recherche clinique et d’entraide en alcoologie (area).
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« Laissons les étiquettes aux pots de confiture »

« Je vous remercie de m’avoir adressé Mme X., âgée de 41 ans. En


2013, un épisode vasculaire aigu mais réversible a justifié un séjour de

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trois semaines au centre hospitalier avec une période de coma artifi-
ciel pour passer le cap critique. La patiente n’a pas d’hypertension
artérielle. Il n’y a pas de facteur de risque familial. L’imagerie cérébrale
n’a rien montré. Le problème d’alcool a été abordé devant des
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constantes biologiques qui suggèrent une consommation préjudi-


ciable (VGM : 105, plaquettes à 129 000, transaminases sgot à 117).
Elle appartient à une fratrie de quatre. Le frère aîné a été dépendant
de l’alcool. À présent, il ne boit “plus une goutte” et ce depuis
quelques années.
Mme X. a exercé la profession de juriste à l’hôpital jusqu’en janvier. Elle
y était depuis plus de dix ans. Elle envisage de devenir professeur des
écoles. Elle a un garçon, préadolescent, et une fille, un peu plus jeune.
De son point de vue, elle est trop maman poule. La séparation avec le
père date de 2010. Il vit avec quelqu’un d’autre. Il est ingénieur. Il boit
en alcoolique. Elle a commencé à s’habituer à boire avec lui. Son union
puis le divorce ont sapé la confiance qu’elle pouvait avoir en elle. Elle
a eu tendance à prendre des verres d’alcool pour atténuer ses
moments de tristesse. Ses parents ne la lâchent pas, par peur. Elle vit
mal cette surveillance compréhensible et malavisée. J’ai expliqué à la
patiente que la seconde crise d’épilepsie qui vient d’avoir lieu est un
mal pour un bien. L’épisode est intervenu au décours d’une prise
d’alcool. »
Le courrier est rédigé en face-à-face, à l’ordinateur portable. Mme X. est
menue. Son visage est un peu modifié, infiltré et rouge. Ses parents
attendent dans leur voiture. Comme dirait François Gonnet, je suis
« confortable », à l’aise dans cette relation. Je ne pose pas un instant
les questions qu’elle attend et redoute : ce qu’elle boit, quand elle
boit, et encore moins le nombre ou la dimension des verres. Je fais
mon travail de prises de notes en temps réel. Je ne me précipite pas
sur les analyses qu’elle me tend. Elle a honte, elle est perdue. Je m’at-
tache à la rendre « confortable », elle aussi, en veillant à ce qu’elle
n’ait rien à dire qui soit de l’ordre d’un aveu. Le retour à un taux zéro
d’alcool dans le sang peut faciliter une crise d’épilepsie. Elle me
répond avec force qu’elle ne boira plus. Éviter de prendre de l’alcool
est une bonne précaution, dans son contexte. Elle est très concernée
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par les enfants. Je la complimente sur son projet de devenir institu-


trice. Je lui parle d’un petit livre, Les clés pour sortir de l’alcool 1, en lui
précisant qu’il n’est nullement besoin d’être alcoolique pour réfléchir
à son présent.

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Sur le pas de la porte, très soulagée et presque contente, elle me sol-
licite : « Est-ce que je suis alcoolique ? » Je conclus, tout en serrant sa
main, avec un sourire, par : « Si vous voulez bien, laissons les éti-
quettes aux pots de confiture. » L’image, associée à une grand-mère
et à l’oralité, la rassérène. Aujourd’hui, elle ne boit plus. Son visage a
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rajeuni. Elle est prête à participer à une réunion de notre groupe de


réflexion et d’accompagnement.
Je n’ai rien contre les stéréotypes s’ils font rire ou sourire,
comme ceux rappelés par myriam Tsikounas 2. Ce qui peut être
plus ennuyeux – car sans humour – est précisément le raidisse-
ment consécutif aux prises de position catégoriques, l’oubli que
toute réalité a une nature conflictuelle, contradictoire et évolu-
tive. La pensée paresseuse durcit les positions. À un moment, la
guerre est déclarée : stéréotypes contre stéréotypes. Le niveau
zéro du dialogue.
La relation d’aide utilise des arguments scientifiques mais
elle est, fondamentalement, la rencontre de deux subjectivités.
imaginons que le soignant ait adopté l’attitude du donneur de
leçons, qu’il ait été « prévisible ». que serait-il advenu de cette
consultation de première rencontre ?

« s’il te plaît, dessine-moi ta consommation »

Un patient déroule sur le bureau des graphiques confectionnés avec


application, juxtaposant des colonnes qui montrent l’évolution du taux
de yGT et du niveau de consommation journalière sur plusieurs mois.
Je retiens de justesse un « À quoi cela rime ? ». Face à la tristesse du

1. H. Gomez, Les clés pour sortir de l’alcool, Toulouse, érès, 2011.
2. Dans son chapitre sur les représentations de l’alcoolique. Ceux qui ont eu la
chance d’écouter sa conférence de décembre 2011 à Toulouse avaient trouvé
surprenant que les mêmes dessinateurs de talent puissent à la fois dessiner et
peindre une affiche contre l’alcoolisme du mauvais ouvrier, époux et père, et
une publicité pour de la Suze ou du vin de Chinon : « Le vin, c’est la france,
l’eau, c’est la sous-/souffrance. » aimable pour les buveurs d’eau.
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70 Les représentations de l’alcoolique

colosse que je découvre, je choisis une approche à la Cyrano, admi-


ratif : « Ce travail a dû vous prendre beaucoup de temps » ; naïf :
« Avez-vous eu besoin de ces tableaux pour savoir que vous
buvez ? » ; curieux : « Que cherchez-vous à prouver avec ces rares

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journées sans alcool ?… Que vous pouvez gérer votre consommation
d’abus ?… qu’il y a des jours avec et des jours sans ? »… Compatis-
sant : « N’êtes-vous pas encore plus mal quand vous réussissez, à
force de volonté, à ne pas boire une journée ? »… Pédagogue :
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« Vous a-t-on dit que vous risquiez l’accident neurologique en cessant


brutalement de boire après une journée à colonne élevée ? » Mon
absence d’enthousiasme à commenter ses graphiques l’aide à me
parler de sa pituite et de ses draps trempés du matin. J’effectue alors
une assez longue diversion où j’évoque un des « merveilleux » aidants
de l’association d’entraide partenaire du soin, en lui décrivant le rituel
compliqué qu’il s’imposait à cause de sa pituite avant de réveiller sa
femme pour le petit déjeuner. Je le fais rire en évoquant la découverte
inopinée par celle-ci d’une de ses planques : le chien dans sa niche
flanqué de deux bouteilles de rouge…
aujourd’hui, le patient est en cours d’hospitalisation brève.
il avait réduit à « presque rien » sa consommation avant l’entrée.
alors qu’il vivait dans le repli social – des commerces de
proximité à son appartement –, en treizième année de rSa, il a
participé régulièrement aux trois réunions hebdomadaires
d’accompagnement depuis sa première consultation. il s’est
entendu dire à l’une d’elles : « qui voudrait de moi, avec l’ap-
parence que j’ai pris ? »
une explication scientifique illustrée peut soulager le
patient de sa honte, tout en lui enlevant certaines illusions : s’il
est alcoolique, il n’y est pour rien, pas plus que je suis pour
quelque chose dans le fait de ne pas l’être. quand je suis en
forme, j’ajoute : « … encore ! » S’il est un domaine où le soi-
gnant doit s’abstenir de faire l’avance, c’est bien celui de l’ar-
gument rationnel ou moral. L’alcoologie repose sur le paradoxe
rapporté par michèle monjauze : « Puisque je ne peux m’en
passer, je ne vais pas en boire une goutte » ou sur le constat :
« Plus je bois, plus j’ai soif ». Le soignant doit surprendre par
son écoute, ce qui ne cadre pas avec le minutage d’un « entre-
tien motivationnel ».
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« Je ne veux pas être enfermé »

Le patient suivant est hostile à toute hospitalisation : « Je ne veux pas


être enfermé. La dernière fois, ça picolait plus à l’intérieur qu’à l’exté-

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rieur. Ça “dealait” sur place. Le psy faisait sa consultation au pas de
course. J’étais entouré de zombies. » Pas facile, après ce genre d’ex-
périence, de restituer la confiance. Le déni est verrouillé. Je l’ap-
prouve : « Je pense que je me serais sauvé, le matin du second jour. »
Le soignant ne doit pas hésiter à affirmer son incapacité, s’il est le seul
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à devoir s’impliquer. « Alors, vous êtes Bac + 2… Aimez-vous lire ?…


ce qui s’appelle lire ? Pourriez- acquérir cet ouvrage ? Nous devons
disposer d’un langage commun. Il y a des choses que vous devez com-
prendre… comme, moi-même, il me faut impérativement connaître
votre histoire, votre contexte, les points faibles et forts de votre per-
sonnalité… Je ne sais pas soigner quelqu’un que je ne connais pas. »
en se mettant en « Je », le soignant favorise une double dis-
tanciation : l’échange se décentre du boire et des éprouvés néga-
tifs du patient. Le déni, défense contre les regards qui jugent,
fond comme neige au soleil au cours d’une consultation centrée
sur la personne.
La participation financière, en elle-même modeste, voire
ridicule, pour couvrir une partie des frais incompressibles de
l’association auxiliaire du soin, l’area3, est une petite révolu-
tion pour quelqu’un habitué à tout recevoir – la condescendance
sublimée en compassion – sans rien donner. Les partisans du
tiers payant généralisé n’ont cure du rôle thérapeutique de l’im-
plication réciproque et conditionnelle. « Vous comprenez, quand
je m’occupe de quelqu’un, je prends du temps, je dépense de
l’énergie, je mobilise ce que j’ai d’intelligence. J’ai besoin de
répondant. Vous sentez-vous prêt, de votre côté, à payer de votre
personne ? » Le patient doit entendre ces paroles sans qu’il soit
besoin de les exprimer. La communication passe énormément
par le non-verbal. La première consultation vise à contourner les
résistances qui empêchent la rencontre d’avoir lieu. Celles qui
suivront veilleront à garantir le même climat d’authenticité et de
franc-parler. C’est ainsi que l’alliance thérapeutique peut

3. association de recherche et d’entraide en alcoologie.


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72 Les représentations de l’alcoolique

prendre rapidement forme, en élargissant le contenu de l’en-


tretien à une vision de la problématique alcoolique qui
dépasse le quant-à-soi, esquissant une feuille de route vers le
« hors-alcool ».

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un maximum D’émoTionS, un minimum De moTS

un des obstacles à la relation d’aide est la pauvreté du lan-


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gage propre à la culture actuelle : un maximum d’émotions, un


minimum de mots. Souvenons-nous du langage de 1984, le
roman de George orwell : un maximum d’émotions collectives
suscitées par des images violentes compulsivement répétées, des
affirmations sans preuve, et surtout très peu de mots – premier
objectif de la novlangue − avec encore moins de concepts per-
tinents. une rhétorique en langue de bois. La pensée s’en trouve
asservie, domestiquée. Le sujet prend peu à peu l’habitude de
répéter et de commenter ce qui lui a été suggéré. il adhère aux
règles de « l’empire du milieu » propres à la pensée unique, avec
un axe dont il est risqué de s’écarter, des limites qu’il convient
de respecter, des relations de vassalité entre ceux qui ont la res-
ponsabilité glorieuse d’énoncer le faux pour le Vrai et les autres
qui ne sauraient penser par eux-mêmes.
faute de maîtriser l’emDr, j’hésite rarement à effectuer une
digression sur le cinéma ou la littérature. Je n’ignore pas que
l’addiction puisse être considérée comme une maladie des émo-
tions – les psychanalystes estiment que le système pare-excita-
tion des addictés laisse à désirer –, mais je sais qu’il faudra du
temps pour que le patient mette des mots justes sur ses émotions.
nous ne devons pas hésiter à aller chercher « l’adversaire »
sur son terrain, celui de la perturbation rationnelle. mieux vaut
susciter des émotions agréables ou libératrices. nous pouvons
user de l’émotion sous forme de diversion, établir des ruptures
logiques par des hors-sujets. « Ce que vous venez de dire me fait
penser à… avez-vous vu tel film… » À la fin de la consultation,
le sujet va garder le souvenir d’un bon moment, où il a été
écouté, où il a pu apprendre, oublier ses obsessions, où il a ri. La
consultation deviendra un « bon endroit », rassurant, plaisant, le
contraire de la tanière où l’attend la bouteille, rude adversaire.
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Si L’amaLGame Crée La ConfuSion,


L’anaLoGie DéCLoiSonne

un stéréotype est une représentation qui s’est figée, histori-


cisée. À une période antérieure, cette représentation a permis de

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saisir une réalité d’une façon nouvelle et originale. La réalité a
évolué. D’autres représentations sont nées et celles qui précé-
daient ont perdu de leur caractère opératoire. Le stéréotype crée
un rapport d’extériorité : ce qu’il image est différent de soi.
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Dans ce cas, le stéréotype rassure. Par exemple, les violences


faites aux femmes dans un pays ou dans une religion peuvent
faire négliger celles qui se perpétuent sous nos yeux. Le stéréo-
type peut être alors l’argument de généralisations et d’amal-
games. Le stéréotype peut a contrario être intériorisé par la
population qu’il désigne, déterminant un sentiment de honte, de
dévalorisation ou de colère. ainsi, l’image du rmiste profiteur
du système social.
inversement, une représentation peut servir au raisonnement
analogique. avec cette disposition d’esprit, les différences mani-
festes vont servir à mieux saisir les similitudes masquées. il est
ainsi possible à partir de l’étude d’un système totalitaire histori-
quement daté de comprendre les phénomènes en cours dans tout
processus de contrôle social et de mise en conformité. Se
retrouve ce mélange subtil et progressif d’intimidation, d’arbi-
traire, de sentiment d’impunité, de sanction « pour notre sécu-
rité », de menace, de persuasion, de flatterie, sans exclure la
vénalité. L’autocensure est un processus très souvent retrouvé
dans les phénomènes d’adaptation jusqu’au burn-out, la dépres-
sion ou le passage à l’acte.
La compréhension distanciée du processus de contrôle
social, qu’il est souvent possible de vérifier expérimentalement
et historiquement, permet, par une autre voie que la démonstra-
tion scientifique, de comprendre le processus de la soumission,
retrouvé dans les phénomènes addictifs. L’humour peut parodier
la généralisation ouvrant à l’analogie : « Tout les animaux sont
égaux, mais certains le sont plus que d’autres 4. » L’esprit critique

4. G. orwell (1945), La ferme des animaux, Paris, Gallimard, 1984.


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s’en trouve libéré. Le concept peut devenir à son tour une source
de méconnaissance, un stéréotype, s’il nourrit la pensée pares-
seuse. ainsi « la femme alcoolique », « les impératifs écono-
miques », sans parler des poncifs, tels que « Tout se vaut ! », ou
des « classifications »… Le moindre des mots peut être chargé

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de significations différentes, avec une intention parfois manipu-
latoire. il justifie un usage circonstancié et des explications. il
suffit de penser au mot « alcoolique »…
Le champ conceptuel de l’alcoologie et de la vie mentale
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comporte des ensembles et des sous-ensembles qui n’ont rien de


neutre à partir du moment où ils s’excluent les uns les autres,
même s’ils désignent, avec des termes différents, des réalités
semblables. il existe des approches qui conduisent plus ou
moins explicitement à exclure du champ de la réflexion celles
qui s’écartent du système référentiel choisi. À l’area, nous pré-
férons une approche polyphonique. Pierre bourdieu a su mon-
trer qu’il existait une course à la dernière mode, avec un
phénomène conjoint de dévaluation et de surévaluation,
conduite par les élites, quitte à instrumentaliser une discipline
scientifique à des fins de pouvoir.

CHanGer De rePréSenTaTionS

Le premier écueil en alcoologie est celui des représenta-


tions que la personne alcoolique a d’elle-même. La honte
constitue un enfermement sans faille évidente. La personne
alcoolique se sert des stéréotypes pour se défendre de l’être, et
boire encore.
Comment favoriser les changements de représentations ?
Voici la réponse d’une aidante à cette question :
« En accueillant l’alcoolique comme une personne, pour qui l’alcool
est devenu un envahisseur certes, mais dont on fait le pari qu’elle
recèle d’autres ressources, des potentialités non réalisées, qui lui per-
mettront de s’étayer sur autre chose que l’alcool – ou tout autre objet
morbide.
Le rôle du thérapeute, détacheur/attacheur, est important, au début. Il
crée, ou recrée, les conditions d’un attachement détaché de l’objet de
l’addiction. Par son attitude, son positionnement et ses propos, il crée
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un effet de surprise, susceptible de faire vaciller l’édifice des croyances


qui rivent le sujet à son addiction. Il guide ensuite la personne vers ses
richesses propres, lui apprend à les reconnaître, les développer. Il
résiste aux essais d’autodénigrement du patient qui ne servent au

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fond qu’à maintenir le statu quo en faveur du comportement
addictif. »
Les mots, les messages envoyés sont déterminants, parfois
à l’insu du soignant ou de la personne elle-même. Comme le
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rapporte Gérard ostermann :


« Ce que vous m’avez dit, la dernière fois m’a énormément aidé.
− Qu’est-ce que j’ai dit, qu’est-ce que j’ai dit ? »
un risque est que le transfert d’addiction s’attarde excessi-
vement sur le soignant, un autre qu’il ne se produise pas du tout.
Le sujet-soignant n’est pas un objet de substitution, aussi dispo-
nible que l’objet d’absorption, magnifié par les projections libi-
dinales ou rejeté par les pulsions agressives. Le thérapeute doit
accepter d’être un « objet d’attachement » transitoire ou durable,
suffisamment « sécure » et attractif pour aider le patient à se
détacher de l’objet-alcool. Le groupe médiateur du lien, ou
groupe d’accompagnement en alcoologie, aide à se détacher de
l’alcool et médiatise le lien avec le soignant.
Progressivement, le sujet devient son propre pilier, et tuteur
à son tour s’il choisit d’être aidant.

CôToYer LeS aLCooLiqueS À TouTeS LeS éTaPeS


De Leur ParCourS

Les représentations collectives de la population alcoolique


sont liées aux discontinuités de ses apparitions publiques. L’ur-
gentiste en voit une fraction. en l’absence de formation adé-
quate, il partage le même regard que le pompier. Le juge, après
le gendarme, voit des récidivistes, « irresponsables ». Le barman
trinque avec l’habitué des tournées. Le commerçant de quartier
sert son client avant la fermeture, etc. Les praticiens spécialisés
voient des organes ou des « appareils ». ils peuvent difficilement
assurer une fonction d’attachement puisque la rencontre, techni-
quement située et limitée dans le temps, ne permet pas la consti-
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76 Les représentations de l’alcoolique

tution d’un lien durable. Derrière les portes et les murs du domi-
cile fixe, l’alcool alimente d’autres images, aussi tristes parfois,
sinon plus, que celles des SDf. Le psychothérapeute de ville voit
l’alcool comme un symptôme sans être toujours en situation
d’évacuer ce qui entrave le travail d’élaboration : la persistance

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d’une addiction chimiquement active, des troubles cognitifs,
une pensée opératoire, centrée sur le faire.
Chacun a une vision partielle de la réalité alcoolique ; de
toute réalité. Cette perception tronquée fournit son lot de repré-
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sentations, dévalorisantes et superficielles.


L’alcoolique va contribuer à reproduire les stéréotypes qui le
caricaturent en se prêtant à des émissions de téléréalité, en tant
que « rechuteur » impénitent, ou en participant à des réunions
reconstituées pour les besoins d’un tournage. Le souci de l’au-
dimat et la crainte du zapping, comme l’a souligné précédem-
ment myriam Tsikounas, conduisent les fabricants d’émission à
entretenir des stéréotypes chargés en émotions troubles pour le
téléspectateur-voyeur.
L’alcoolique qui va réellement bien, parce qu’il fait un bon
usage, le plus discret possible, de sa caractéristique de dépen-
dant de l’alcool, est invisible aux yeux du plus grand nombre, ce
qui fige les représentations dans le champ du négatif. C’est le
paradoxe d’une pathologie qui peut devenir non seulement
latente et virtuelle, mais encore le point de départ d’une vie épi-
curienne maîtrisée.

une baTaiLLe De rePréSenTaTionS

au fond, nous pourrions considérer la problématique alcoo-


lique comme une bataille de représentations. il en est qui répa-
rent, soutiennent et aident à penser, et d’autres qui abusent,
dépriment et enferment.
il est de la responsabilité des cliniciens de faire connaître des
concepts-cadres et donc « ouverts », susceptibles de favoriser
une réflexion commune et créative, d’accroître l’appétit de
changement des alcooliques et apparentés. un lexique des
concepts de l’alcoologie humaniste pourrait se concevoir. nous
allons brièvement en présenter sept : la problématique alcoolique,
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Du stéréotype à la relation d’aide 77

la fonction soignante, le groupe intégratif, les invariants de la


relation d’aide, l’effet générationnel, l’accès au symbolique, le
retour à la pensée critique.

La problématique alcoolique et son point aveugle : le soin

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La « problématique alcoolique » donne un cadre épistémo-
logique solide aux cliniciens. il ne saurait être question d’en-
fermer la réflexion sur les produits psychoactifs, le catalogue
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des addictions anciennes et nouvelles, ni même sur la personne


concernée par une dérive addictive. Le terme a été avancé par
michèle monjauze dans sa dimension psychogénétique. il jus-
tifie, comme elle l’a d’ailleurs expliqué, d’être compris comme
une réalité plus large, évolutive, diachronique et complexe,
associant à des degrés divers le neurobiologique, le psycholo-
gique, le psychopathologique, le psychiatrique, le systémique
familial, trans et intergénérationnel, le sociétal, les dimensions
professionnelles, culturelles, philosophiques, économiques et
politiques. reste un point aveugle : le soin lui-même. J’ai tou-
jours été étonné, ébahi, qu’il soit exclu de l’examen critique de
ceux qui le font vivre, à commencer par le concept « d’obliga-
tion de soin », juridiquement établi, cliniquement inapproprié.
De mon point de vue de praticien, tout serait à revoir dans la
filière de soin.
Comment faire l’impasse sur une offre de soin qui stigmatise
par le fait même de ne pas exister en tant que telle ? Comment
se satisfaire du parcours de soin tel qu’il est conçu par les pou-
voirs publics, dans le déni des besoins, des potentialités des
patients et des réalités d’une problématique qui concerne la vie
entière ? Combien de psychiatres ou de psychologues de ville
mentionnent aujourd’hui leur orientation professionnelle dans
les conduites addictives ? Seuls les Centres de soins, d’accom-
pagnement et de prévention en addictologie en ambulatoire
(CSaPa) − les centres d’addictologie publics − s’y réfèrent
explicitement. Ce qui s’est mis en place dans les trente dernières
années est intervenu sur le modèle des soins à prodiguer aux
toxicomanes ou aux psychotiques. Des voix et des travaux ont
mis en cause l’efficacité des séjours prolongés et répétitifs mais
pour quels résultats concrets ? Le soin psy-alcoologique reste à
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78 Les représentations de l’alcoolique

la libre initiative des équipes ou de soignants dispersés. Son


insuffisance quantitative et qualitative participe à la gravité pro-
nostique des problématiques alcooliques. Son inorganisation au
sein de la filière de soin qui rencontre toutes les personnes en
difficulté avec l’alcool, à la différence des CSaPa qui accueillent

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les populations les plus marginalisées, n’est pas sans entraîner
de lourds dommages pour la santé publique. Les images et les
préjugés aveuglent sur ce qui n’existe pas.
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La fonction soignante

La fonction soignante est une réalité subjective plus qu’une


représentation. elle correspond à une parole, un acte, un événe-
ment, une séquence qui font soin, c’est-à-dire qui apportent un
changement positif durable à la problématique du sujet. La fonc-
tion soignante peut se réaliser indépendamment de toute inten-
tion soignante. ainsi, le principe de réalité peut avoir un effet
bénéfique à partir d’un élément nouveau, malheureux ou heu-
reux, d’une façon totalement aléatoire. il est exceptionnel que la
perte du permis ou un accident de la route, même grave par les
sanctions ou les conséquences humaines induites, fasse avancer
le patient. il en est de même pour la maternité ou une mise en
demeure familiale. une situation de crise et, plus encore, une
overdose de souffrance peuvent induire une action de soin heu-
reuse et rapide, si le sujet trouve les bons relais.
il n’y a pas de repère objectif qui permette d’identifier la
fonction soignante, sauf parfois, après coup, quand le sujet dit ce
qui l’a effectivement aidé. Toute personne qui lève la honte de
celle ou celui qui est en souffrance favorise l’envie de « faire
quelque chose », participe ainsi à la fonction soignante.
il n’existe pas d’assimilation automatique, loin s’en faut,
entre la fonction soignante et l’intitulé professionnel ou la qua-
lité d’ancien buveur. La fonction soignante se décline dans la
rencontre et l’accompagnement. en tant que soignant ou aidant,
elle suppose d’avoir pris la mesure de ses propres défenses et de
ses principales contre-attitudes face aux personnes en souf-
france. Dans notre approche, elle se concrétise dans l’alliance
associative soignants-soignés qui permet à la relation d’aide de
prendre une dimension nouvelle. elle est alors médiatisée par
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Du stéréotype à la relation d’aide 79

les règles du groupe et par les objectifs, eux-mêmes consécutifs


aux raisons d’être de l’association. Le sujet s’approprie la fonc-
tion soignante quand il participe activement à la réflexion,
quand il prend de bonnes décisions ou qu’il fait le choix d’acti-
vités en harmonie avec sa « part alcoolique », par une créativité

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où la parole est facultative. La fonction soignante a une dimen-
sion de réciprocité. Celui qui donne reçoit à son tour par le fait
de donner.
S’ouvrir à la fonction soignante pour un professionnel est
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un impératif qui peut s’initier dans le temps de formation uni-


versitaire et surtout postuniversitaire, ce qui suppose des
« stages » d’apprentissage ou de perfectionnement auprès de
praticiens et d’équipes eux-mêmes sensibilisés à la relation
d’aide et à la notion d’alliance thérapeutique. Pour un aidant,
la fonction soignante est plus aidée, spontanée. elle suppose
cependant un apprentissage et des règles pour garder la bonne
distance et une relation égalitaire en toute situation, en sachant
se recentrer sur soi.

Le groupe d’accompagnement intégratif

La plupart des cliniciens animent des groupes de parole.


nombreux sont ceux qui interviennent sur le mode du « double
Je » : le « Je » du soignant au fait des histoires, des références et
de la personnalité de ceux qui prennent la parole, mais aussi le
« Je » du soignant-sujet. Le double jeu qui en résulte, en chaîne
associative et en allers-retours, fonde une forme d’égalité et de
réciprocité qui influence chaque partenaire de la table. S’il est
bon qu’un dispositif d’accompagnement comporte un groupe de
réassurance où le « cher disparu » fait l’objet des prises de
parole, il est regrettable que des soignants rompus aux psycho-
thérapies individuelles n’animent pas des groupes de parole
remplissant le rôle de médiateur du lien pour aider leurs patients
à passer de la période du « sans-alcool », dans les premiers mois,
où le sujet va affronter sa dépendance et tenter peu à peu de la
dépasser, à la période du « hors-alcool » – correspondant à un
vrai changement de culture –, tout en étant à leur écoute.
Comme alcoologue clinicien investi de la responsabilité des
rencontres initiales, du mûrissement et de l’évolution de la
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80 Les représentations de l’alcoolique

motivation, du choix des indications thérapeutiques, de l’ani-


mation des hospitalisations brèves et de l’accompagnement,
une variante de groupe de parole s’est progressivement
imposée dans ma pratique, ce que j’ai appelé le groupe média-
teur du lien ou groupe intégratif. Des articles dans la revue de

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la Société française d’alcoologie en ont exposé les principes.
Son analyse et son bien-fondé ont été développés dans Le
guide de l’accompagnement 5. L’essentiel de l’ouvrage Les
groupes de parole en alcoologie 6 lui est par ailleurs consacré.
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un collègue avait fait, il y a déjà très longtemps, le constat


de sa polyvalence : « Tu fais tout avec le groupe ! » oui, forcé-
ment. J’étais déjà trop pauvre en temps et trop isolé comme soi-
gnant pour faire autrement. Le groupe est le cœur et le poumon
communs à l’association d’entraide area et à moi-même. Le
groupe du lundi 7, auquel je me limite à présent, a quelque chose
de magique, de toujours renouvelé. Je suppose que les acteurs de
théâtre éprouvent ce genre de sensations. La différence – ce qui
fait son intérêt particulier – est que le texte n’est pas écrit
d’avance.
C’est le groupe qui forge le soignant à partir de ce qu’il est
et de ce qu’il devient. Le groupe est très opérateur-dépendant,
fonction de son modérateur et de ceux qui s’en servent pour
penser leur vie. il se distingue en effet radicalement d’un groupe
de philosophie ou de ce qu’on appelle un groupe de réassurance
narcissique, par le double souci d’élargir et de creuser le champ
de vision, d’une part, de relier la réflexion au quotidien de sa
vie, d’autre part. il échappe ainsi à la répétition et à la constitu-
tion d’un faux self collectif. Le dénominateur commun – l’al-
cool – permet un mélange harmonieux entre classes d’âge,
identités et appartenances dissemblables. C’est le groupe qui
permet de se nommer alcoolique, à distance de l’alcool. Chacun
cesse de l’être en quittant l’enceinte de la « libre parole ».

5. H. Gomez, Le guide de l’accompagnement des personnes en difficulté avec


l’alcool, 3e édition, Paris, Dunod, 2014.
6. H. Gomez, Les groupes de parole en alcoologie, Toulouse, érès, 2011.
7. Sur les trois réunions hebdomadaires, celle du lundi, constituée des hospita-
lisés du samedi, de personnes de l’association et d’autres patients, implique
l’alcoologue en premier lieu.
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Du stéréotype à la relation d’aide 81

Les invariants de la relation d’aide

Le thème de la relation d’aide est difficilement épuisable.


quelques pistes ou remarques. La floraison de techniques ou
d’approches thérapeutiques « nouvelles » a caractérisé la der-

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nière période. Je m’autorise deux réserves : elles n’ont pas à se
proposer comme modèle exclusif de soin ; leurs promoteurs doi-
vent avoir l’humilité de reconnaître qu’elles n’inventent rien
sinon des mots et des assemblages différents. nous avons
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ensemble à dégager les invariants d’un soin efficient plutôt que


multiplier les fonds de commerce. nous avons à privilégier ce
qui marche au meilleur coût. C’est ce qui me fait un ardent
défenseur du groupe intégratif budgétisé ! nous ne pouvons
négliger, en effet, que nous sommes confrontés, en alcoologie, à
un problème de masse, que les gens n’ont pas à être transformés
en malades, et qu’il ne sert à rien d’« essayer » successivement
du pareil au même, selon l’offre du marché.
Par conséquent, qu’est-ce que la relation d’aide ? quels en
sont les invariants ?
Le premier principe de la relation d’aide est qu’il faut être au
moins deux. quelqu’un de très alcoolisé est un présent/absent.
un soignant qui tente de convaincre sans entrer sensiblement
dans la relation est aussi un présent/absent.
Compte tenu de l’omniprésence du tiers – la bouteille et ses
signifiants – mais aussi de la difficulté fréquente à respecter la
bonne distance – ni trop loin ni trop près –, la relation d’aide
gagne à être médiatisée. Jocelyne Vovard et Dominique
Demaria, qui communiquent leur expérience de soignantes dans
cet ouvrage, ont eu l’idée du « bâton de parole », le groupe inté-
gratif a sa table et ses règles, la consultation offre des supports
papier.
La relation d’aide est la rencontre de deux subjectivités et de
deux expériences. elle fonctionne sur le mode de l’échange
inégal : ce qui s’échange n’est pas du même ordre. Chacun
apprend de l’autre. L’implication doit être partagée.
La relation se déroule en contrepoint : absence de jugement
pour atténuer la honte, absence de conseil pour laisser l’initia-
tive, humilité face à l’omnipotence de l’alcoolisation, bien-
veillance pour neutraliser la dévalorisation, impassibilité pour
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82 Les représentations de l’alcoolique

contenir les variations d’humeur, doute face aux certitudes et


autres lieux communs, diversion plaisante pour désarmer
l’anxiété, etc.
La relation d’aide suppose la durée, la continuité, l’accessi-
bilité. La disponibilité doit être cadrée pour résister au « tout,

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tout de suite », tout en sachant répondre présent quand « c’est le
moment », quitte à changer de stratégie thérapeutique. Cette
continuité nécessite l’existence d’une équipe, d’une liste de
noms de soignants et d’aidants joignables, la possibilité pour
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tout patient de pouvoir exprimer ses attentes et ses éprouvés, ce


qui est facilité par le courriel électronique et même par les SmS.
un mot revient de façon récurrente pour caractériser le
« bon » soin : implication. il est effectivement indispensable que
le sujet, les soignants et les aidants se sentent concernés par ce
qui les met en présence. il convient cependant de ne pas faire de
l’implication un concept-valise, un précepte moral qui laisserait
entendre que la compassion, voire l’empathie seraient des ingré-
dients décisifs pour modifier l’itinéraire d’une personne alcoo-
lique. La relation d’aide efficace – si tant est qu’il soit possible
de la définir – repose avant tout, d’après l’expérience acquise,
sur cette rencontre spéciale de « deux subjectivités et de deux
expériences ». rapidement, après le temps fugace de l’avance
d’une écoute empathique par le soignant ou l’aidant, elle se
poursuit sur le mode de la réciprocité : « J’entends ce que tu me
dis, je te reconnais tel que tu es, je t’accepte tel que tu es et, qui
plus est, ce que tu dis m’intéresse. Cependant, tu as à entendre
ce que j’ai à te dire et tu vas découvrir qui je suis. »
La relation d’aide est ainsi ancrée dans la vie du sujet. elle
tient compte de ses avancées, de ses difficultés concrètes, des
blocages systémiques en cours. elle vise à établir une corres-
pondance entre la réflexion et l’attitude stratégique à observer
au sein de la famille, du milieu professionnel… elle peut
– devrait – s’élargir aux proches, et particulièrement aux
enfants… prendre en compte leurs propres attentes et difficultés.
elle veillera à se préserver de la codépendance. Le groupe,
l’association aident à la limiter dans un cadre d’interdépendance
souple et non exclusif, comme cela peut se produire pour une
relation affective.
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Du stéréotype à la relation d’aide 83

L’effet générationnel ou d’environnement

La psychanalyse a permis de distinguer les conflits intrapsy-


chiques tout en créant un ensemble de concepts très utiles à la
compréhension de la psyché humaine. Les mythes et les contes

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laissent penser que son enseignement a quelque chose d’intem-
porel. L’approche systémique a mis en évidence les interactions
au sein des constellations familiales et entre générations.
Les technologies du virtuel, l’effacement progressif des fron-
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tières et des repères favorisent des phénomènes d’uniformisa-


tion comportementale qui sont le terreau des thérapies centrées
sur les solutions, sur la « résolution des problèmes ». nous
sommes évidemment acquis à l’idée d’aider les patients à régler
leurs problèmes, en les aidant à voir les choses autrement et à
prendre des décisions qui leur semblent appropriées. nous
sommes de chauds partisans de la « pensée positive », sous
réserve qu’elle soit associée à une pensée critique rigoureuse et
vigoureuse.
La plupart des observateurs reconnaissent l’importance des
mutations des fonctionnements psychiques collectifs et indivi-
duels. il n’est donc pas question pour nous d’effacer la psychopa-
thologie observable au bénéfice d’une opposition irréelle entre le
normal/normé et le pathologique, « psychiatrisé » en « comorbi-
dité ». force est de reconnaître l’impact de la postmodernité sur
les habitus sociaux et les fonctionnements psychiques. nous
sommes entrés dans une ère gouvernée par la montée en puis-
sance des égo-grégaires dénoncée par Dany-robert Dufour 8. De
nouveaux stéréotypes sociaux ont pris une ampleur nouvelle, tous
compatibles avec la progression des conduites addictives :
ivresses-minute, ivresses collectives séquencées dans la semaine,
ivresses collectives programmées, ivresses solitaires du repli et de
la perte de conscience ; transgressions en série où la seule façon
d’identifier une limite est de la franchir ; peaux percées, peaux
tatouées, actes auto et hétéro-agressifs ; primat de l’image et de
l’agir sur la « praxis », mot qui semble désormais appartenir au
langage des professeurs-fossiles. nous baignons dans la culture

8. D.-r. Dufour, Le divin marché, Paris, Denoël, 2007.


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84 Les représentations de l’alcoolique

du « Je fais ce que je veux, quand je veux, où je veux, avec qui je


veux » ou encore du « Je désire ce que je n’ai pas, mais je m’en
lasse dès que je l’ai ». un patient commentait en écho : « Je m’at-
tache à vouloir ce que je peux. » indépendamment du choix du
verbe, que deviennent les responsabilités à assurer collective-

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ment ? une étrange torpeur semble envahir les esprits dès que se
pose la question de l’implication non égoïste…
Le soin ne peut donc s’abstraire des représentations sociales
et du psychisme de groupe, de « l’appareil psychique groupal »,
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selon l’expression de rené Kaës 9, mis en jeu, quel que soit le


groupe social considéré. Chaque entité est à l’origine d’un
ensemble de représentations et de comportements – d’habitus –
qui ont valeur de référence opposable, tout en participant à
l’identité du groupe.

La place du symbolique

D’autres questions mériteraient, selon nous, de faire débat


parmi les soignants, celles concernant le sens et les sensations et,
au-delà, la place du symbolique. L’addicté fait le choix de l’effet
– anxiolytique, désinhibiteur, euphorisant, hédonique, anesthé-
siant, antalgique et soporifique de l’alcool – jusqu’au moment où
ces effets bienfaisants s’épuisent puis s’inversent. Ses sensations
sont amplifiées par l’usage des substances psychoactives ou des
stimulations induites puis appauvries entraînant la compulsion
pour combler le vide psychique développé par les années d’ad-
diction. La levée de l’intoxication redonne de l’actualité à la quête
de bonnes sensations et de sens pour sa vie. Le déshabillage phar-
macologique mais aussi symbolique de la « bouteille » laisse en
creux place à de nouvelles symboliques. La piste des sensations et
du sens se pose autrement : quelles modalités pour l’expression
créative, l’utilité sociale et la spiritualité, entendue comme la
capacité à être en harmonie avec le monde des vivants – en
premier lieu, le sien – et des morts ? Les religions et les philoso-
phies se sont donné mission d’y répondre, avec des fortunes par-
fois très éloignées de leur raison d’être. Croyants et « incroyants »
humanistes, pour reprendre deux stéréotypes fratricides, devraient

9. r. Kaës, L’appareil psychique groupal, Paris, Dunod, 1976.


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Du stéréotype à la relation d’aide 85

s’entendre autour d’un programme commun ! Le respect de soi et


de l’autre, le souci de ne pas (se) nuire, le droit à la rêverie et aux
plaisirs épicuriens, l’exercice du discernement, des analogies, la
sympathie, le rire… La pensée associative, par le jeu des émotions
et des images, facilite l’accès au symbolique. risquons-nous à

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proposer une équation : une philosophie aux couleurs de nos ori-
gines hellénistes, donc une praxis reposant sur une culture poli-
tique issue de la modernité, la maîtrise de nos auteurs classiques
et des Lumières, une bonne connaissance de la culture véhiculée
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par notre famille d’origine – religieuse ou laïque –, une spiritua-


lité essentiellement naturaliste, l’attachement au « vivre ensemble
républicain » et un zeste d’humour pour ne pas se prendre au tra-
gique. Cette équation peut être source d’incompréhension et
de conflits.

Le retour à la pensée critique

il n’est évidemment pas question ici de parti politique ou


d’autres affiliations. il s’agit seulement de ne pas s’interdire une
réflexion sur les conditions concrètes de son existence. Si la
grande question est de savoir comment organiser l’entre-deux,
de sa naissance à sa mort, la liberté et le sens sont des préoccu-
pations prioritaires. il est fou de laisser des forces extérieures à
nous-mêmes organiser tous les moments de nos vies. Cultiver un
espace critique est aussi indispensable que de prendre soin de sa
condition physique. Chacun devrait disposer des moyens d’être
son propre « coach », faute de quoi c’est la dépression qui peut
prolonger la suspension de l’addiction. une patiente me
confiait : « La seule chose qui m’apaise est la certitude que ma
vie aura une fin. »
Les témoignages des soignants et plus encore sans doute
ceux des personnes alcooliques en démarche de soin participent
aux changements de représentations qui seraient indispensables
pour mieux vivre ensemble. nos contributeurs, particulièrement
les alcooliques qui ont su retourner leur problème en avantage,
illustrent ce que nous entendons par « citoyens-experts », ceux
qui savent de quoi ils parlent pour le vivre, tout en étant capables
de recul et d’initiative.
Désormais, de nouveaux défis se précisent avec la montée
des addictions sans drogue, l’omniprésence de la « Toile », les
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86 Les représentations de l’alcoolique

abus de substances psychoactives et d’alcool chez les plus


jeunes – nouvel habitus social –, la dégradation des moyens
structurels, intellectuels et symboliques de la cohésion sociale.
Des actions de prévention de grande envergure pourraient
être entreprises, parallèlement au soin, dans de nombreux sec-

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teurs sensibles, si l’alcoologie clinique prenait enfin corps en
médecine de ville : un chantier pour les trente ou soixante ans à
venir ? une nouvelle forme de gouvernance liberticide se met en
place, au mépris des populations, instrumentalisant les institu-
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tions et les moyens de communication. Ce totalitarisme rampant


a besoin des addictions pour prolonger sa fuite en avant, prati-
quer sans le dire un darwinisme sociétal, et conforter la soumis-
sion. nous avons à entrer en résistance, avec les addictés
redevenus lucides, quels que soient nos appartenances et convic-
tions, notre souci du dialogue, notre acceptation de la diversité.
Le moins que l’on puisse dire, aujourd’hui, est que la partie est
loin d’être gagnée ou… perdue.

fauT-iL DiaboLiSer Le Vin ?

Chacun sait que le vin, même avec un grand V, encore de nos


jours, est une des solutions que l’addicté a trouvé pour exprimer
son impensé et son indicible, pour apaiser ses angoisses, éviter
l’effondrement, satisfaire son besoin de rencontre et de confor-
mité. Le fait qu’à l’usage son meilleur ami se soit transformé en
mauvais partenaire me met en jeu. J’ai d’autres solutions que la
molécule. nous pouvons en discuter, en tenant compte des spé-
cificités du patient, parmi lesquelles se cachent des ressources
propres à armer sa résilience.
au siècle où le duo alcool-tabac est l’assemblage addictif de
référence des vieilles générations, avec les anxiolytiques large-
ment prescrits pour les générations suivantes – celles de l’avè-
nement de la Sécurité sociale −, l’éventaire des addictions
s’impose au commencement de toute relation de soin pour tenter
de définir une stratégie thérapeutique.
un des mauvais services que la société a fait au corps des
soignants a été de l’affubler de la mission de prévention alors
que, dans la réalité des faits, ce qui lui était demandé était de
contenir ce qui la dérangeait, cette masse de jeunes en perdition
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Du stéréotype à la relation d’aide 87

et de marginalisés, laissés-pour-compte de ses mutations. une


des difficultés et non la moindre que doivent gérer l’anPaa10 et
les CSaPa 11 est d’être présents sur les trois fronts : la prévention,
le soin, l’accompagnement.

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Comment penser la prévention au quotidien ?

Le champ de la prévention s’étend, de mon point de vue,


pour l’alcoologie, aux points suivants :
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– exposer, certes, quand l’opportunité se présente, la dangerosité


potentielle du vin, de la bière et des alcools distillés, en les rap-
portant aux différents usages à risque – j’utilise volontiers la
« métaphore du couteau » qui peut, selon le geste, être très utile,
entraîner des incidents ou être l’instrument de drames ;
– rendre compte partout où c’est possible, face à tous les
publics, de la complexité de la problématique alcoolique ;
– faire éprouver sensiblement l’humanité des alcooliques et des
addictés, au cours de séances d’information, en leur donnant la
parole face à ceux qui nourrissent à leur égard incompréhension
et préjugés ;
– encourager chaque soignant et chaque « aidant » à faire l’ef-
fort de se connaître pour maîtriser ses contre-attitudes et venir à
bout de ses propres défenses face aux addictés ;
– inviter chaque personne en démarche de soin à poursuivre sans
relâche, parallèlement à sa psychothérapie, son effort de
connaissance, à faire évoluer avec prudence la « part addictive »
de sa personnalité, à diversifier les activités utiles, d’ordre intel-
lectuel, pratique, artistique et sportif, pour éviter l’attraction
morbide pour la « catastrophe », et améliorer son bien-être ;
– inciter les patients à exercer, par le dialogue et l’exemple, pour
leurs proches et pour leurs propres enfants, leur responsabilité
de partenaires et de parents ;
– éveiller et favoriser leur discernement critique, en faisant en
sorte qu’ils redeviennent des citoyens politiques.
La prévention devrait se déduire de la volonté d’éviter la
mise en dépendance addictive des personnes abîmées dans leur

10. association nationale de prévention en alcoologie et addictologie.


11. Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.
01 Int. Représentations de l'alcoolique NB:- 19/11/14 13:15 Page88

88 Les représentations de l’alcoolique

enfance ou par l’effet de phénomènes sociétaux. elle ne devrait


pas servir de cache-misère à l’insuffisance structurelle et quali-
tative de soins appropriés pour les personnes ayant développé
des addictions préjudiciables. elle devrait, enfin, faire admettre
que la part addictive de la personnalité fait partie du psychisme

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humain et que réussir à la contenir peut générer d’autres effets
indésirables collatéraux, aboutissant à d’autres formes de désa-
daptation et à d’autres pathologies.
un dernier point me préoccupe, comme alcoologue et
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cependant contribuable, dans la mise en garde quant au risque


addictogène des molécules de C2H5oH de nos meilleurs vins :
11, 12 ou 13 grammes, ou même plus, par litre. n’existe-t-il pas
un risque paradoxal à partir en guerre contre – au hasard – les
vins de Champagne, de bordeaux, de Sauternes, des Côtes du
rhône, de bourgogne, de Loire et les vins locaux d’innom-
brables terroirs, à l’heure où règnent les bières fortement alcoo-
lisées, les « pastis » de la firme rico-Pernard – selon le mot du
Dr bénichou –, les alcools aromatisés proposés aux adolescents
et les alcools fortement titrés venus d’ailleurs ? qui se laisse
abuser par la poésie œnologique ? Si les gens glissent dans
l’addiction, n’est-ce pas, avant tout, parce qu’ils sont mal dans
leur peau et qu’ils manquent de perspectives, qu’ils sont en
panne de repères, d’esprit critique et de sens à donner ? nos
addictés modernes ignorent longtemps le vin et quand ils s’y
rabattent, c’est faute de mieux, de leur point de vue. qui peut
s’offrir un cru prestigieux au point de devenir dépendant ?
L’effet de l’alcool sera toujours recherché, même au prix du
risque de dépendance.
Le président de l’anPaa a mille fois raison d’appeler dans
cet ouvrage à un dialogue responsable avec les producteurs,
sous l’égide des instances politiques. il existe très certainement
d’autres solutions économiques pour la préservation de la pro-
duction viticole, au prix d’une réorientation partielle de la
filière. Personne n’aurait à gagner si de nouveaux déserts éco-
nomiques se développaient. mais, sauf exception, les pouvoirs
publics ne nous ont pas habitués à des dialogues responsables.
ils choisissent plutôt de taxer et de culpabiliser les consomma-
teurs excessifs de vin ou de toute autre boisson alcoolisée, faute
de pouvoir effectuer leurs prélèvements sur les drogues illicites.

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