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RÉFLEXIONS À PROPOS DU TRAITEMENT DES PSYCHOSES PAR LE

PSYCHODRAME
Brigitte Kammerer, Gabrielle Mitrani, Isaac Salem

ERES | « Le Coq-héron »

2014/2 n° 217 | pages 77 à 92


ISSN 0335-7899
ISBN 9782749241647

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Pour citer cet article :


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Brigitte Kammerer et al., « Réflexions à propos du traitement des psychoses par le
psychodrame », Le Coq-héron 2014/2 (n° 217), p. 77-92.
DOI 10.3917/cohe.217.0077
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Brigitte Kammerer, Gabrielle Mitrani, Isaac Salem

Réflexions à propos du traitement


des psychoses par le psychodrame

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Cinq abords thérapeutiques peuvent être envisagés pour traiter les


psychoses : l’abord corporel, familial, institutionnel, chimiothérapique et
psychothérapique, dont le psychodrame. Ils peuvent être menés conjointement
et doivent être coordonnés par le psychiatre référent.
Les thérapies corporelles agissent sur la sensorialité et permettent de
retrouver une réflexivité au niveau des sensations. Elles ont également un
impact sur la dépression et sur le pare-excitation en restaurant une enveloppe
corporelle. Les thérapies familiales ont un impact sur le type de lien qui préside
au sein de la famille réelle et fantasmatique. Le traitement institutionnel, grâce
au cadre et aux liens créés au cours du partage de la vie quotidienne et des acti-
vités, permet aux patients d’inhiber leur excitation et de relancer les processus
de pensée et de symbolisation. Grâce aux liens multiples qui lui sont proposés,
le patient sort progressivement de son repli narcissique et retrouve la capacité à
investir les objets et à sortir de la dépression. Le soignant référent a pour tâche
difficile de rassembler les projections que le patient fait sur tous les soignants
et les autres patients, pour pouvoir les lui restituer autrement et lui renvoyer une
image. C’est ce travail qui permet de reconstruire le pare-excitation. Les neuro-
leptiques, eux, agissent en abaissant le niveau d’angoisse et d’excitation, tandis
que les antidépresseurs réduisent l’humeur dépressive. Enfin, les psychothé-
rapies psychanalytiques, dont le psychodrame, restaurent le pare-excitation et
réduisent l’angoisse. Elles favorisent un réinvestissement de l’objet qui permet
une réintrication pulsionnelle, et réduisent ainsi le clivage du Moi.
Dans cet article nous traiterons de la défaillance du pare-excitation, de la
sensorialité, du clivage, de la réflexivité dans la psychose et des réponses que le
psychodrame psychanalytique peut apporter dans ce type de problématique.

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Le Coq-Héron 217 La défaillance du pare-excitation

C’est la défaillance importante du pare-excitation ainsi que l’empiètement


de l’environnement, par un excès ou un défaut de présence de l’objet, qui vont
être à l’origine d’une excitation intense dans la psyché du sujet.
Pour Freud, la protection contre l’excitation est assurée par un investisse-
ment et un désinvestissement périodiques du système perception-conscience.
Celui-ci ne prélèverait que des « échantillons » du monde extérieur. Le frac-
tionnement des excitations résulterait d’un mode de fonctionnement temporel
assurant une « inexcitabilité périodique ». La préparation par l’angoisse est
l’élément le plus dynamique du pare-excitation. Cette angoisse signal pare à
l’effraction et au traumatisme.
Pour Winnicott, la mère est le premier pare-excitation. Celui-ci est fait
de contre-investissements narcissiques constituant une enveloppe reflétant une
image de soi. Cette image de soi, stable, permet une autonomie par rapport

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à l’objet et une défense contre les attaques extérieures de l’objet. Elle fait
cruellement défaut au psychotique qui n’a pas suffisamment de représentation
de lui-même et se présente à nous comme une entité brute, énigmatique. Le
psychotique, pourrait-on dire, ne se représente pas mais se présente. C’est en
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instaurant une aire de jeu, un espace intermédiaire entre l’objet et le sujet, qu’il
pourra reconstruire son enveloppe.
Les failles du pare-excitation correspondent à un défaut d’introjection
entraînant une incapacité structurelle à associer, qu’il faut distinguer de la résis-
tance à l’association libre chez des sujets névrosés. On pourrait se représenter un
sujet souffrant d’un défaut d’introjection fantasmatique comme un individu en
quelque sorte encore excessivement ouvert sur la réalité et les objets externes.
Ce défaut de fermeture de l’inconscient ne peut pas permettre de garder les
objets internes pour constituer un monde fantasmatique inconscient. L’empiè-
tement de l’objet se produit quand celui-ci est trop présent, ou trop absent.
Piera Aulagnier et W. Bion partagent une conception assez proche à propos des
débuts de l’appareil psychique (l’identification projective de l’enfant dans la
mère, et la rêverie maternelle). C’est l’activité partagée entre la mère et l’infans
qui va permettre le développement des pensées.
L’essentiel est l’expérience de la métabolisation des sensations, en particu-
lier celles de déplaisir, de souffrance, de déception ou de frustration. Une mère
suffisamment bonne n’est ni trop présente, ni trop absente, et surtout respecte
l’espace transitionnel entre elle et son enfant afin que ce dernier ait l’illusion
que c’est lui qui crée tout ce qu’il vit.

Sensorialité et psychose

Lina Balestriere, dans un article intitulé « Transfert et sensorialité »,


aborde à partir des travaux de théoriciens de la psychose comme P. Aulagnier,
W.R. Bion ou encore G. Benedetti, la question de la sensorialité, celle qui est
au fondement de la construction du psychisme de tout un chacun. L’hypothèse
développée concerne la façon dont, dans la psychose, les matériaux bruts, poly-
sensoriels, n’auraient pu être suffisamment symbolisés dans la relation précoce
mère-enfant. La mère dont nous parlons, décrite par Bion, est celle qui permet
le passage et l’élaboration dans son psychisme des éléments bêta – éléments

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bruts, non symbolisés, ceux de l’enfant aux prises avec sa sensorialité – et lui Fenêtres sur le psychodrame
en fait retour sous forme d’éléments alpha. Le matériau brut « bêta » est fait de analytique
cette « matière première », « image sensorielle » évoquée par Freud en 1900
dans l’Interprétation des rêves, et plus précocement en 18951, du côté de la
trace, c’est-à-dire d’une sensorialité élargie, sans hiérarchie entre les organes
des sens.
Lina Balestriere insiste ainsi sur le constat, en partie déjà fait par Freud,
selon lequel « la sensorialité est un mouvement de rencontre entre les sens et
le monde, rencontre attractive ou répulsive, plaisante ou déplaisante. Elle est
aussi temporalité2 ». Par ailleurs, la référence à la notion de pictogramme de
P. Aulagnier permet de supposer un temps originaire où aucune délimitation
n’est encore faite entre le dedans et le dehors, entre la bouche et le sein, « où
tout produit psychique, toute représentation se donne à la psyché comme reflet
d’elle-même ».
Ainsi nous faut-il admettre que les différences sujet-objet, extérieur-inté-

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rieur, familier-étranger ne sont pas pertinentes quand nous parlons « sensoria-
lité ». Au travers du processus de présentation (terme préféré, en particulier, par
L. Kahn, à celui de figuration, car prenant mieux en compte la polysensoria-
lité), ce matériau brut doit pouvoir accéder à une représentation.
Nous abordons ainsi la question du processus de symbolisation et de
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construction de l’espace psychique à partir de la trace sensorielle et d’une pola-


rité plaisir-déplaisir où « sentir » signifie toujours d’abord « se sentir », dans un
passage progressif du « non-différencié » au « différencié ». Ce processus doit
permettre de passer des sensations aux figurations, de la première inscription de
la chose psychique, sa trace mnésique perceptive, à la représentation de choses,
dans une « symbolisation primaire » ; puis des figurations, représentations de
choses aux représentations de mots, dans une « symbolisation secondaire »,
inscrivant ainsi celle-ci dans l’appareil de langage.
À partir de S. Freud et de D.W. Winnicott, R. Roussillon, pour sa part,
nous amène à appréhender différentes modalités de symbolisation, prenant en
compte les composants mutisensoriels, multiperceptifs et multipulsionnels de
la « matière première psychique » : les symbolisations primaires, en particulier,
plus proches du corps, sont ancrées dans la perception, la sensorialité et l’af-
fect. Elles se déploient dans l’espace intermédiaire ou transitionnel, plus que
dans l’intrapsychique, et contribuent de façon importante à la constitution de
l’identité.
Ainsi, la symbolisation se construit sur un fond et une temporalité façonnés
par le « sentir ». Les expériences archaïques, proches du corps et de la sensoria-
lité, sont à l’origine de notre vie psychique et sont plus ou moins reprises dans
l’appareil de langage. Quand elles ne le sont pas, ou pas assez, elles peuvent
ainsi constituer une part importante de ce que nous font vivre et partager nos
1. S. Freud, « Esquisse pour
patients, en mal de représentation. une psychologie scientifi-
C’est grâce à la fonction qu’on pourrait aussi, avec P. Delion, appeler que » (1895), dans La nais-
« sémaphorique », celle de la mère exerçant sa « capacité de rêverie », que cette sance de la psychanalyse,
Paris, Puf, 1956.
figuration, cette présentation, va pouvoir se faire. Cette mère est idéalement 2. L. Balestriere, « Transfert
une mère pare-excitante. Elle doit aussi pouvoir parer aux états de détresse et sensorialité », dans Au plus
de son nourrisson, évaluer le degré et la durée de frustration et de souffrance près de l’expérience psycho-
tique. Le filin et la voile, psy-
supportables, et s’assurer que les expériences de plaisir vont être prévalentes chothérapie des psychoses,
par rapport aux expériences de déplaisir. En ce sens le rythme, la temporalité Toulouse, érès, 2009.

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Le Coq-Héron 217 et leur représentation ont une fonction pare-excitante et permettent la gestion
des petites quantités.
Pour P. Aulagnier, la « mère suffisamment bonne » est également une mère
pare-désinvestissement. En effet, le désinvestissement, œuvre de la pulsion
de mort, menace le nourrisson confronté à une détresse sans nom et sans fin,
comme il menace nos patients psychotiques en lutte contre la « non-existence »
(G. Benedetti). Enfin, tout passage par la psyché maternelle des éprouvés de
l’infans et toute nomination des affects contiennent un risque d’aliénation et de
violence potentielles. Ainsi, cette mère détoxiquante peut aussi imposer « un
ordre de pensées qui n’a de référent que son désir à elle ».
La réponse maternelle préforme à jamais ce qui sera demandé, ainsi que
les modes et les formes que prendront les demandes de l’enfant. La tentation de
l’excès est toujours présente dans la psyché maternelle, de sorte que le renon-
cement à l’excès constitue le travail spécifique de la mère : « Lorsque le renon-
cement ne peut avoir lieu, lorsque le postulat “que rien ne change” gouverne

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les relations entre la mère et l’enfant, les conditions d’éclosion d’une psychose
sont en place. Face à ce postulat, la folie représente la forme extrême que prend
le refus3. »
La sensorialité est une sensorialité liée au plaisir, à la satisfaction, et en ce
sens elle appelle bien la question de la satisfaction hallucinatoire, mais elle est
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aussi liée au déplaisir et à la détresse.


Lina Balestriere nous amène à penser l’existence de vécus bruts, non
figurés, non représentés, non refoulés, dans lesquels les questions de l’écart,
de la différenciation entre soi et l’autre ne sont pas encore posées. Elle nous
indique, ce que d’autres auteurs comme G. Benedetti ou Searles ont développé
avant elle, la nécessité pour l’analyste de se laisser toucher dans sa propre
sensorialité, de pouvoir approcher, et exister dans un monde psychotique où
l’annihilation et la non-existence sont un risque au cœur même d’une relation
transférentielle, où le bon est toujours susceptible de devenir mauvais.
Dès lors que nous abordons ces questions, de la trace sensorielle, de la
figurabilité prise au sens large, c’est-à-dire pas seulement liée à l’image mais à
tous les canaux sensoriels, et de quelque chose de transmodal qui est le dérou-
lement dans le temps (Stern), l’intérêt du psychodrame se situe bien sûr dans
la proposition de jeu qui est faite au patient, puisque à travers celle-ci, nous
multiplions les canaux sensoriels au travers de l’ouïe, la vue, le mouvement,
le rythme.
Dans le cadre du psychodrame analytique, la figuration « à la fois indis-
sociablement figuration sensorielle, mise en mouvement sensoriel et image de
lui-même que le sujet peut regarder4 », est mise au premier plan, étayée sur la
relation transférentielle, en particulier avec le meneur de jeu. Par ailleurs, nous
y reprenons, peut-être plus facilement qu’ailleurs, la question de la symboli-
sation primaire, là où elle a pu rester en panne, dans cet espace intersubjectif,
espace potentiel, celui du jeu, au sein duquel il est primordial de ne pas avoir à
décider ce qui appartient à l’un ou à l’autre, au-dedans ou au dehors.
Le jeu a aussi cet immense avantage de permettre une certaine régré-
dience, celle que les acteurs thérapeutes s’autorisent (dans les bons cas) à
mettre en œuvre, quand ils acceptent de se faire « médium malléable », sous
3. Ibid. l’œil attentif du meneur de jeu. Ainsi, la différenciation des places et fonctions,
4. Ibid. la démultiplication des transferts et contre-transferts peuvent permettre cette

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prise de risque identitaire indispensable – au risque, sinon à défaut, de passer Fenêtres sur le psychodrame
à côté –, tout en permettant à l’analyste meneur de jeu de maintenir une place analytique
et une écoute analytique. Lina Balestriere nous le dit : « Cette capacité de se
laisser “absorber” par l’univers psychotique, tout en restant soi-même, tout en
s’en différenciant et par là rendant possible la mise en œuvre d’un effort de
figuration, constitue le travail psychanalytique spécifique en psychothérapie
des psychoses5. »
Est-il utile de préciser – toute notre expérience en psychodrame nous
le fait dire – que ce travail difficile, voire périlleux et exigeant, nous paraît
grandement facilité dans ce cadre, allié précieux dans ces moments où nous
pourrions, nous aussi, y perdre notre identité et ne plus savoir à quel « saint »
théorique nous vouer ?

Agonie psychique et clivage

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Avec R. Roussillon, nous proposons de placer au centre du vécu subjectif
essentiel de la psychose une expérience de « terreur agonistique » inélaborée,
et contre laquelle la psyché s’est construite.
« La terreur agonistique est un état de souffrance psychique extrême mêlé
à une terreur de cet éprouvé ou de la violence réactionnelle qu’il mobilise.
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Elle résulte des conditions subjectives de son développement et des principales


caractéristiques de l’échec de son intégration narcissique : elle est sans issue,
sans représentation, sans possibilité de satisfaction6. » Si l’expérience agonis-
tique a duré un temps suffisant pour que le sujet ait atteint le désespoir, elle est
vécue comme sans fin et sans sens. Le sujet ne peut survivre à cette expérience
qu’à condition de se retirer de celle-ci, c’est-à-dire en se clivant de sa subjecti-
vité. Roussillon formule ainsi le paradoxe central de l’identité du psychotique :
« Pour continuer à se sentir être, le sujet a dû se retirer de lui-même et de son
expérience vitale7. » Une partie essentielle de l’expérience est rendue étrangère
à elle-même : c’est ce qui définit l’état d’aliénation : « Cette expérience centrale
affecte de manière essentielle la fonction réflexive, la capacité à se sentir est
défaillante. »
L’expérience agonistique est une expérience au-delà du principe de plaisir.
Elle est soumise à la compulsion de répétition qui durera tant qu’elle n’aura pas
de représentation psychique. Elle se heurte au principe de plaisir-déplaisir et
entraîne la mise en place de défenses contre le retour de l’expérience d’agonie,
des défenses par mouvements de rejet et d’évacuation hors du psychisme et
de la subjectivité. Ce type d’expérience ne peut pas être élaboré seul. Il est
indispensable que l’environnement apporte un certain type de réponse pour
qu’elle devienne symbolisable. La psychose résulte aussi de la réaction spéci-
fique que la réponse inadéquate de l’environnement a provoquée chez le sujet :
le désinvestissement des objets et la libération de la destructivité consécutive
à la désintrication pulsionnelle massive. Pour rester investi, le sujet doit donc
se couper toujours plus de lui-même. Ce à quoi nous sommes confrontés en
clinique, c’est à cette défense contre l’agonie. Ainsi, la froideur affective ou 5. Ibid.
les désorganisations de la cognition sont des effets particuliers de l’incapacité à 6. R. Roussillon, Agonie, cli-
sentir et à se sentir, induite par la défense contre les vécus agonistiques et leurs vage et symbolisation, Paris,
Puf, 1999.
retours éventuels. 7. Ibid.

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Le Coq-Héron 217 La défense contre les processus de symbolisation (attaque contre les liens
de Bion) est organisée pour tenter de contrer le retour de l’histoire traumatique.
Le sujet tentera d’organiser activement pour lui-même ou à l’encontre des
autres ce qu’il craint le plus d’avoir à subir passivement : ce sont des « défenses
paradoxales ». Par exemple, il pourra être tenté de se tuer pour éviter d’être
confronté au retour intense et incontrôlable d’un vécu de mort psychique, ou
bien, il tentera de détruire tous les liens qu’il entretient avec ses objets pour se
protéger du retour d’une perte de lien, antérieurement agonistique. Lorsque tout
espoir est perdu, la solution délirante s’impose au sujet et tente de signifier son
expérience identitaire. Elle représente, comme Freud l’avait tôt pressenti, l’ul-
time effort du sujet pour tenter de donner sens à son vécu. Quand l’expérience
d’agonie fait retour, elle le fait avec les caractéristiques de son advenue ! « Elle
apparaît de nouveau comme sans issue, sans représentation, sans fin8. »
Le retour de cette expérience laisse espérer une mise en représentation,
mais souvent elle répète seulement l’échec historique de la mise en représen-

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tation. À la mesure de la terreur qui l’habite, l’expérience fait retour avec une
intense destructivité adressée aussi bien à soi-même qu’à l’environnement
actuel. C’est ici que le secours de l’environnement – y compris thérapeutique
– est précieux, car l’expérience de terreur agonistique n’est pas métabolisable
par le patient qui ne peut, seul, étayer la déflexion de celle-ci vers le dehors, et
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aider à la représentation intégrative de son contenu et de ses enjeux existentiels,


c’est-à-dire étayer la fonction réflexive en souffrance. Tel est l’un des objectifs
du psychodrame avec les patients psychotiques.

Psychose et objet

L’objet est investi bi-pulsionnellement, par la pulsion de vie et la pulsion


de mort. D’une part, l’intrication pulsionnelle entre les deux pulsions majeures
ne peut se faire directement, mais uniquement par l’intermédiaire de l’objet qui
la médiatise. La raison en est que les deux pulsions fondamentales sont hétéro­
gènes et antagonistes. D’autre part, l’intrication est absolument nécessaire et
inévitable, sans quoi aucun phénomène psychique ne peut exister.
L’objet des psychotiques est corrélatif à un investissement pulsionnel,
dont le degré d’intrication pulsionnelle est relativement faible. Ce qui veut dire
que la pulsion de mort est plus désintriquée et représente donc une plus grande
menace pour l’objet. Le psychotique doit défendre l’objet réel ou délirant contre
sa propre destructivité. C’est cette fragilité de l’objet psychotique qui oblige le
sujet à le surinvestir et ainsi, à le fixer, à le rigidifier, perdant par conséquent
une grande partie de sa liberté et de sa souplesse par rapport à lui.

La psychose et le Moi

Le psychotique peut-il supporter l’objet et les tensions d’excitation formi-


dables qu’il suscite en lui ? Généralement non, sauf à certains moments, et
il est alors envahi par une angoisse intense qui va devenir rapidement insup-
portable. Le risque est le retour du vécu de terreur d’agonie. C’est à cause de
l’angoisse psychotique, et pour se libérer d’elle, qu’intervient le mécanisme de
défense fondamental de la psychose, surtout chez les grands schizophrènes, à
8. Ibid. savoir le déni. Il faut alors trouver la solution au problème fondamental de la

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psychose : d’une part, l’objet insupportable (car lié aux expériences d’agonie Fenêtres sur le psychodrame
primitive) « doit » disparaître de la conscience du psychotique, mais d’autre analytique
part, il ne peut pas authentiquement disparaître, comme tout ce qui a été vécu
par le sujet.
La solution, Freud l’a trouvée en 1938, dans l’article sur « Le clivage » et
surtout dans l’Abrégé, où il a lié le clivage à l’essence même de la psychose. Le
clivage du Moi a cette vertu de pouvoir « faire disparaître » l’objet insuppor-
table pour le psychotique tout en le gardant à l’intérieur, derrière la barrière du
clivage, qui est en fait une coupure ou une déchirure dans le Moi. Le clivage
du Moi est le prix payé par le Moi et devient la caractéristique du Moi psycho-
tique, la définition structurale de la psychose.
Le clivage étant une expression topique de la désintrication pulsionnelle
qui caractérise la psychose, le psychodrame peut-il être un instrument thérapeu-
tique aboutissant à une réintrication pulsionnelle ?
Dans la psychose, il y a toujours une partie du Moi qui n’est pas clivée,

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une unité du Moi par laquelle une certaine conflictualité peut passer. En
ayant recours au psychodrame, nous tentons de réduire la part clivée du Moi,
« d’élargir le passage » par lequel passe cette conflictualité, et de la laisser agir
sur le patient. Il s’agit donc de travailler la possibilité du Moi du psychotique de
surmonter le déni de la conflictualité. En fait, il est souhaitable, au cours de ce
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travail, d’éviter deux écueils : d’une part, ne pas rendre la séance traumatique
pour le psychotique en le confrontant à des scènes trop conflictuelles ; d’autre
part, éviter de maintenir le déni par des scènes trop peu conflictuelles.
Le jeu psychodramatique crée des microtraumatismes afin d’ébranler la
défense du déni. Dans une séance, on choisit dans le premier moment, dans les
propos du patient, un aspect conflictuel entendu par le meneur de jeu, mais que
le patient n’a pas ressenti dans toute son ampleur. On bâtit avec le patient un
canevas de scène autour de cet aspect conflictuel et on attend qu’il soit déve-
loppé dans le jeu, avant que le meneur de jeu, par son interprétation, permette
que le conflit soit intériorisé et intégré par le patient.
Travailler la conflictualité qui passe et se fait entendre, malgré le clivage,
et essayer « d’élargir le passage » veut dire approfondir l’intrication pulsion-
nelle : « Travailler cette conflictualité, c’est renforcer et étendre l’unité du moi,
faire reculer le clivage, même si un certain clivage cicatriciel, anciennement
inscrit dans la structure (topique) du moi, est ineffaçable9. » L’outil psychothé-
rapique qu’est le psychodrame est, selon nous, le plus adapté pour soigner la
désintrication pulsionnelle psychotique.

La figuration

La figuration est une modalité du travail de mise en sens effectué dans le


cadre du psychodrame analytique. Dans le processus du jeu qui met en scène
les idées, fantasmes, souvenirs, désirs ou sensations du patient, les acteurs
thérapeutes cherchent à dramatiser et à conflictualiser son espace psychique,
de telle sorte que la fusion/confusion avec l’objet primaire laisse émerger un
espace intermédiaire propre à accueillir les propositions de figuration.
Ceci est particulièrement net avec les patients psychotiques, qui collent à
9. B. Rosenberg, « Psychose
l’objet, ou se réfugient dans une attaque massive des liens, y compris des liens et psychodrame », colloque
avec eux-mêmes. Les figurations proposées par les acteurs prennent la forme etap, 1998.

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Le Coq-Héron 217 de représentations concrètes et perceptibles qui conduisent à une probléma-
tique souvent inconsciente et complexe de la psyché du patient, en rapport avec
ses défenses les plus archaïques et appauvrissantes tels le clivage, le déni ou
l’idéalisation.
Le terme de figurabilité apparaît sous la plume de Freud en 1900 dans
L’interprétation des rêves. La figurabilité représente l’exigence à laquelle sont
soumises toutes les pensées du rêve, y compris les plus abstraites, qui doivent
subir une sélection et une transformation qui les rendent aptes à être représen-
tées en images, surtout visuelles.
Ces dernières années, cette notion a été reprise par César et Sarah Botella
qui y voient un moyen d’accès aux zones psychiques irreprésentables du patient,
celles des expériences d’agonie vécues, ou perçues, dans un registre archaïque,
hors langage. Pour eux, le passage par la figuration représente un potentiel de
transformation, dans la mesure où il propose une alternative pour substituer le
registre du qualitatif au registre du quantitatif.

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Au psychodrame, la figuration s’inscrit dans l’espace de la transitionna-
lité, telle que l’a définie Winnicott. Elle doit être suffisamment ouverte, souple
et nuancée pour que le patient puisse s’en emparer, l’utiliser et se l’approprier.
Dans ces conditions, la figuration devient alors agent de liaison. En passant par
l’image, non plus visuelle comme dans le rêve mais agie dans l’espace de jeu
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du psychodrame, la figuration vient renouer avec ces îlots non représentables,


non symbolisables de la vie psychique, figés dans une répétition traumatique
inconsciente hors temps, hors langage, hors représentation ; elle est porteuse de
« germes de représentations possibles » (Gérard Bayle), dont le patient pourra
s’emparer pour reprendre la trame interrompue de sa psyché et laisser appa-
raître le motif singulier de son histoire.

La réflexivité

Pour qu’une image se reflète, il lui faut un espace qui la sépare de son reflet,
une fraction de temps qui permette le mouvement d’aller-retour, et un miroir,
objet tiers sur lequel elle viendra buter avant de se réfléchir ou se réfracter,
selon le modèle optique envisagé. Reprises dans le registre métaphorique de la
réflexivité intrapsychique, ces trois conditions impliquent : un espace interne,
la suspension de l’activité de décharge, et une limite sur laquelle la pulsion
viendra buter avant de rencontrer deux de ses destins possibles, le retournement
sur la personne propre, et le renversement en son contraire, tous deux à la base
de la fonction réflexive.
Si le terme de réflexivité n’apparaît pas directement dans l’œuvre de
Freud, différentes pistes vont dans cette direction. M. Ody10 en a suivi deux.
La première concerne les deux destins pulsionnels déjà évoqués, dont
Freud souligne11 qu’ils n’en forment souvent qu’un seul, tant ils sont proches,
voire coïncident. Pour M. Ody, ce « double retournement » représente le
10. M. Ody, « La psychana-
soubassement de la fonction réflexive. Il en veut pour preuve cette remarque
lyse, la réflexivité et l’en- de Freud : « Le verbe actif se transforme non en passif, mais en verbe moyen
fant », rfp, vol. 76, 2012/3. réfléchi. » Ody souligne l’importance de ce temps « réfléchi » où il voit la base
11. S. Freud, « Pulsion et des-
tin des pulsions », dans ocp
du narcissisme et l’origine de la constitution d’un espace psychique propre au
xiii, Paris, Puf, 2005, p. 173. sujet, qui le différencie de l’objet, et pose les fondations de son identité.

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Ce double retournement de la pulsion trace les limites d’un contenant Fenêtres sur le psychodrame
interne qui va défléchir la portée de l’excitation pulsionnelle, diminuer les analytique
tensions et ajourner l’action, dans un mouvement de désexualisation permettant
la reprise des processus primaires par les processus secondaires, à travers l’ac-
tivité de la symbolisation. Pour que se produise en son sein ce travail complexe
d’investissement/désinvestissement, de fractionnement et de transformation,
un tel contenant a besoin d’une protection qui le mette à l’abri d’une invasion,
tout en permettant que s’effectuent des passages et des échanges. On reconnaît
dans cette description la fonction essentielle du pare-excitation, véritable fron-
tière entre le dedans et le dehors, dont Freud a montré qu’elle avait pour but de
protéger l’appareil psychique de l’effraction traumatique que représente toute
excitation excessive non filtrée, non fractionnée, qu’elle soit d’origine externe
ou interne.
À la suite de Freud, Winnicott et Bion ont montré combien la constitu-
tion du pare-excitation dépend de la place de l’objet externe, et de sa capacité

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à protéger le nourrisson du débordement désorganisant d’une excitation non
contrôlable, et non fractionnable par ses seuls moyens. Le holding de la mère
chez Winnicott tout comme la capacité de rêverie maternelle chez Bion ont
pour but de pallier l’impuissance du nourrisson ; ils représentent les prémices
du futur pare-excitation de l’enfant qui portera les traces de l’histoire de sa
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constitution.
Si le pare-excitation représente l’objet tiers sur lequel l’image va venir
se refléter, ses éléments constitutifs à la fois endogènes et exogènes vont en
faire un miroir transformationnel. Dès lors, comme le remarque G. Pragier12,
la question de la réflexivité ne se résume plus au simple retour sur lui-même
d’un contenu émanant du sujet, mais se double de la question de la réfraction et
de l’auto-organisation. Elle représente une activité complexe de réajustement
intrapsychique permanent qui implique à la fois la processualité, la temporalité,
et la tiercéité.
La seconde piste suivie par M. Ody concerne la notion du « devenir
conscient » qui, pour Freud, se confond en partie avec ce que nous appelons la
réflexivité. Freud y voit l’aboutissement d’un travail complexe qui met en jeu le
passage de deux censures, une première entre l’inconscient et le préconscient,
une seconde entre le préconscient et le conscient. Du passage de cette deuxième
censure, Freud nous dit qu’elle nous « avertit que le devenir conscient n’est pas
un pur et simple acte de perception, mais vraisemblablement un surinvestisse-
ment, un nouveau progrès dans l’organisation psychique13 ».
Ce nouveau progrès concerne l’articulation des représentations de choses
avec les représentations de mots, et passe par un travail d’abstraction et de
symbolisation.
Dans un premier temps, la question du « devenir conscient » repose pour
lui sur le couple idéal que représenterait un analyste, dont « l’attention en
égal suspens » viendrait réfléchir tel « un miroir non déformant » le discours
associatif du patient. Grâce à ses interprétations, l’analyste permet à l’analy-
12. G. Pragier, « De l’auto­
sant d’élargir le champ de sa réflexivité par prises de conscience successives analyse à l’auto-organisation,
(insight) de ses conflits internes, issus de la lutte entre la poussée des rejetons un parcours réflexif ? », rfp,
d’un inconscient refoulé et les résistances qui lui sont opposées. op. cit.
13. S. Freud, « L’incons-
Mais, très rapidement, la simplicité de ce modèle va venir se heurter à la cient », dans ocp xiii, Paris,
prise en compte du transfert puis du contre-transfert. Cet obstacle va déboucher Puf, 2005, p. 232.

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Le Coq-Héron 217 sur un double remaniement théorique avec l’introduction d’une dualité pulsion-
nelle pulsion de vie-pulsion de mort, qui permet d’envisager la question de la
répétition, du trauma et de la destructivité dans les pathologies non névrotiques,
et de la deuxième topique qui offre un cadre théorique plus apte à décrire les
défaillances de la réflexivité. Comme le remarque J.-L. Donnet, « il s’agissait
au départ, pour la méthode associative, de se saisir activement d’un procédé
passif permettant d’accéder à une détermination inconsciente, pour s’en
libérer14 ». C’est le modèle de la première topique qui repose sur un précons-
cient étoffé, gage d’une réflexivité porteuse de sens. Avec la deuxième topique,
sont reconnus à la fois les résistances d’un Moi largement inconscient, le carac-
tère non représentationnel des mouvements pulsionnels du Ça et l’inévitable
sexualisation transférentielle du Surmoi. Désormais, il s’agit moins de rendre
conscients des contenus refoulés que de mobiliser la conflictualité processuelle
intra et inter-transférentielle dans « une rencontre analytique au sein de laquelle
l’échange transfert-contre-transfert » vient soutenir le processus d’associativité

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et de perlaboration qui va ouvrir au patient la voie de l’appropriation subjective
du contenu de la séance comme de la cure.
C’est là que la question de l’insight (union fugitive du sujet percevant et
du sujet perçu), ou du devenir conscient comme projet de la cure, se fond dans
une perspective plus vaste et plus complexe, qui intègre la question de la perla-
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boration, qu’elle soit consciente ou inconsciente, et de la réflexivité.


Cet élargissement du but et du champ de l’analyse va permettre de
s’adresser à des patients non névrotiques (souffrances narcissiques identitaires,
états-limites, psychoses), dont le fonctionnement psychique est marqué par la
prévalence de la destructivité et de l’attaque des liens (Bion). Chez ces patients,
caractérisés par une défaillance fonctionnelle de la réflexivité, la menace d’un
débordement pulsionnel non contenu par la barrière protectrice du pare-exci-
tation entraîne – pour traiter une angoisse massive devant la désorganisation
psychique et le danger de son effondrement – la mise en place de mécanismes
de défense massifs ; si bien qu’à côté du refoulement, on trouve des clivages, de
la projection, des idées délirantes, des troubles profonds du caractère…
Dans ces conditions, l’analyste est confronté à un type particulier de
contre-transfert qui le conduit à proposer des représentations, des figurations,
à accepter des mouvements de régression au cours desquels il fonctionnera
momentanément en double du patient, à faire un travail de construction ; en
somme, à solliciter en lui-même toutes ses capacités à entrer en résonance avec
le patient. « On retrouve ainsi les enjeux qui sont ceux de la transitionnalité, de
la contenance, de la rêverie maternelle, et qui touchent de près la réflexivité15. »
Ces enjeux vont se retrouver dans la question de l’aménagement de la cure afin
d’en préserver ce qui fait son essence : faciliter la « fonction de représentation »
(Green) des processus psychiques intra et intersubjectifs, autrement dit, tout
mettre en œuvre dans le cadre pour développer et enrichir l’activité réflexive du
sujet, quelles que soient les caractéristiques de son fonctionnement psychique.
En effet, face aux patients psychotiques qui s’engagent avec nous dans un
14. J.-L. Donnet, « Le procédé
et la règle : l’association libre travail analytique, nous avons souvent l’impression d’aboutir à une impasse
analytique », rfp, op. cit. tant l’espace de la rencontre transféro-contre-transférentielle est saturé par le
15. F. Coblence, J.-L. Don- paradoxe et la destructivité. Étouffement, oppression, pétrification, tels sont les
net, « Argument : la psycha-
nalyse et la réflexivité », rfp, substantifs qui nous viennent à l’esprit, à côté de sentiments tels que l’impuis-
op. cit. sance, la déception, l’angoisse, la rage, l’éprouvé d’insignifiance. Le monde

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interne de ces patients semble s’être contracté en un seul point, immobilisé en Fenêtres sur le psychodrame
un seul temps : c’est un monde clos, narcissique et autarcique, sans profon- analytique
deur et sans perspective, à l’intérieur duquel on tourne en boucle. Un monde
« au-delà du principe de plaisir », soumis à la compulsion de répétition et à
l’implacable tyrannie de la confusion dehors/dedans, moi/non-moi. Un fonc-
tionnement qui n’offre aucune dialectique à l’articulation des axes de l’espace
et de la temporalité, aucune butée réfléchissante ou réfractante, et donc aucune
des conditions nécessaires au double retournement pulsionnel et au développe-
ment d’une « voie moyenne réfléchie » permettant ce « dialogue interne qu’est
la pensée désexualisée » (D. Braunschweig et M. Fain) : voir et se voir, sentir
et se sentir, réfléchir et se réfléchir, penser et se penser.
F. Pasche pose la question suivante : « Qu’est-ce qui manque au psycho-
tique pour appréhender la réalité sans céder à une angoisse envahissante et
pétrifiante16 ? » Pour répondre à cette question, il s’appuie sur le mythe de
Persée. Celui-ci doit tuer Méduse, laquelle a le pouvoir de changer en pierre

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tous ceux qui croisent son regard. C’est la déesse Athéna qui permettra à Persée
d’accomplir sa tâche en lui offrant son bouclier « poli comme un miroir ».
« Au moment de rencontrer Méduse, lui dit-elle, tu ne la regarderas point, tu
te serviras du bouclier pour y voir son reflet. » Ainsi protégé de la brutalité
captatrice et destructive de Méduse, Persée parviendra à lui couper la tête et à
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retrouver le chemin de la liberté. « Notre thèse, écrit Pasche, est que le psycho-
tique est celui qui ne dispose pas du bouclier de Persée, celui que le regard de
Méduse angoisse, puis immobilise jusqu’à le pétrifier. »
Si Persée représente le sujet, et Méduse la réalité extérieure, le bouclier-
miroir représente le pare-excitation qui viendra défléchir l’impact brutal du
monde externe, en suspendre le choc immédiat et inéluctable, et ainsi éviter
le collapsus topique et le risque d’implosion ou d’explosion psychique. Pour
Pasche, le bouclier de Persée, appendice inanimé d’Athéna, elle-même subs-
titut maternel, est le précurseur de l’objet transitionnel ; sa fonction protec-
trice et réflexive renvoie aux relations précoces de la mère et de l’enfant et à
l’histoire de leur rencontre, à leur désaccordage à un moment crucial pour le
bébé, soit que la mère n’ait pu proposer ce « bouclier », soit que l’enfant n’ait
pu le recevoir. Pour avoir une représentation de lui-même, écrit Pasche, il faut
d’abord que l’enfant soit regardé et perçu par la mère. C’est de la qualité de ce
regard que dépendra la capacité du sujet à se construire une image réflexive :
« Le corps de la mère est le premier miroir de l’enfant. »
Quarante ans plus tard, R. Roussillon17 s’appuie lui aussi sur un récit – non
plus un mythe mais un conte populaire – pour aborder l’enjeu narcissique et
identitaire de la fonction réflexive. Il s’agit du conte d’Andersen « La reine des
glaces ». Il y est également question d’un miroir, un miroir brisé, dont les éclats
glacent le cœur de ceux qui les reçoivent. La sensibilité, l’empathie, l’amour
de soi et de l’autre disparaissent ; viennent à la place l’indifférence, la solitude,
la haine. À partir de cette métaphore, R. Roussillon s’interroge sur les cures en
impasse qui se heurtent à la toute-puissance narcissique du sujet et viennent
16. F. Pasche, « Le bouclier
buter sur sa destructivité dans un transfert paradoxal. Faisant le lien avec le de Persée ou psychose et réa-
concept de Winnicott du visage de la mère comme « miroir primitif » du bébé, lité » dans Le sens de la psy-
R. Roussillon propose l’idée suivante : « Là où la structure narcissique nous chanalyse, Paris, Puf, 1971.
17. R. Roussillon, La psy-
montre le sujet de manière solipsiste, là où il est seul dans son monde, là où il chanalyse, une remise en jeu,
tourne en rond, passant de lui à lui-même, il faut réintroduire l’histoire de la Paris, Puf, 2010.

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Le Coq-Héron 217 relation avec l’objet ayant eu fonction de miroir pour le sujet. » Autrement dit,
c’est en faisant le détour par la relation avec l’objet primaire que l’on pourra
comprendre le fonctionnement du sujet et lui renvoyer quelque chose de signi-
fiant pour lui-même. « On peut commencer à entrevoir l’analyse du narcis-
sisme, écrit Roussillon, en allant chercher dans la relation que le sujet entretient
avec lui-même, l’histoire de la relation que l’objet a entretenue avec lui. »
Si l’on se voit comme on a été vu, si l’on se sent comme on a été senti, si
l’on s’entend comme on a été entendu, alors la réflexivité interne, la réflexivité
de soi à soi, porte la trace de la qualité de la fonction réflexive de l’environ-
nement premier. Si ce premier miroir a mal reflété, ou n’a pas reflété, c’est
cela qui sera intériorisé, c’est ce miroir brisé qui occupera l’espace interne du
sujet.
Avec Bion, même si la métaphore retenue n’est plus celle du miroir, c’est
toujours la capacité maternelle à renvoyer une image signifiante et tolérable
au bébé dont il est question. Le dispositif retenu est celui de la fonction alpha,

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qui, s’appuyant sur la capacité de rêverie maternelle, va permettre à celle-ci de
métaboliser puis de restituer à l’enfant, sous une forme dédramatisée et signi-
ficative, les éléments bêta appréhendés par le bébé comme un ensemble énig-
matique, bizarre ou terrifiant, c’est-à-dire, lui offrir un reflet de lui-même qu’il
puisse s’approprier et où il puisse se reconnaître. Ce miroir à la fois contenant,
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protecteur et signifiant, base de la future fonction réflexive du sujet, repose


donc sur les qualités de l’objet primaire et sa capacité à se substituer à l’impuis-
sance du petit enfant à contenir l’excitation, à lui donner à la fois une forme et
un sens, premier travail de symbolisation.
Pour R. Roussillon, une des qualités essentielles de la mère, en dehors
de sa disponibilité, de sa sensibilité, de son attention aux besoins de l’enfant,
réside dans le fait de pouvoir renvoyer au bébé non seulement le reflet de son
plaisir à lui mais également le reflet de son plaisir à elle : il insiste sur l’impor-
tance de la notion de plaisir partagé, condition indispensable au processus de
libidinisation.

L’intérêt du psychodrame psychanalytique

C’est à partir de ce modèle que R. Roussillon engage sa réflexion sur le


cadre analytique, et s’interroge sur l’accordage du dispositif en fonction du
besoin des patients.
Face aux problématiques narcissiques et identitaires, le dispositif retenu
sera celui qui viendra étayer le sujet dans son travail de symbolisation et de
subjectivation, dans une relation transféro-contre-transférentielle d’inter-réflexi-
vité, pour ensuite s’intérioriser comme espace de réflexivité intrapsychique.
Pour passer des traces perceptivo-motrices au signe, puis du signe au
symbole, R. Roussillon souligne l’importance de l’incarnation perceptive de
l’objet, ainsi que le choix d’un modèle spécifique : le jeu. Avec ce type de
patients : psychoses, souffrances narcissiques identitaires, il propose d’élargir
l’écoute du « devenir conscient » (qui concerne le matériel psychique refoulé)
à l’écoute du « devenir pensable » (qui concerne le matériel psychique clivé ou
non encore symbolisé). Et ceci, non plus seulement à partir de l’écoute en égal
suspens des associations libres du patient, mais également à partir du « sentir
contre-transférentiel des états psychiques du patient ». Il faut donc associer au

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modèle du rêve un autre modèle : celui du jeu, qui favorise la transformation Fenêtres sur le psychodrame
psychique en s’appuyant sur la figurabilité et la sensorialité. analytique
C’est en passant par le jeu que le sujet va s’approprier la singularité de
son expérience, y compris celle qui s’inscrit en deçà du langage, dans les traces
perceptivo-motrices ancrées dans le corporel, et qui restent en attente d’une
mise en forme présentable et symbolisable. Espace d’échange et de cocréa-
tion, extension de l’aire transitionnelle, le jeu dans tout travail analytique – en
passant par un mouvement d’inter-réflexivité agie – sollicite l’émergence du
« double retournement pulsionnel » dans un espace protégé du trop d’excita-
tion par la règle du « faire semblant ». C’est à ce prix que l’impasse du tout
narcissique, gouverné par le paradoxe, pourra s’ouvrir à la reconnaissance de
l’altérité de l’objet et au conflit interne.
Dans cette perspective, on voit combien le psychodrame peut représenter
pour certains patients une indication précieuse. En effet, le dispositif complexe
du psychodrame articule en son sein, à la fois, des espaces différenciés (jeu/

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non-jeu), une temporalité rythmée par la scansion (qui traduit un arrêt de jeu
signifiant de la part du meneur et non un arrêt de la séance) et une chorégraphie
spécifique qui manifeste un déplacement transférentiel particulier, fractionné
sur les acteurs dans la scène, puis recentré sur le meneur de jeu après la scène.
La scansion représente au psychodrame un moment de la séance particu-
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lièrement important du point de vue de la réflexivité. En suspendant la scène à


un moment précis et particulièrement signifiant de l’action en cours, le meneur
de jeu inflige à la motion pulsionnelle infiltrée dans le jeu un infléchissement
de son cours initial, et lui offre la possibilité d’emprunter la voie du « double
retournement » dont nous avons parlé plus haut : retour sur la personne propre
et voie « moyenne réfléchie ». Le meneur de jeu tient la place du miroir de
notre métaphore, limite pare-excitante et réfractante. Le patient peut alors se
voir, s’entendre, se sentir, comme il a été vu, entendu, ressenti, par le meneur de
jeu, dans une inter-réflexivité agie. C’est en passant par ce mouvement d’iden-
tification au meneur de jeu que le patient va élargir le registre de sa fonction
réflexive, que ce soit par une prise de conscience immédiate (insight), ou au
travers d’une perlaboration plus longue, à la fois consciente et inconsciente, en
« zigzag » selon l’expression de Freud.
Le dispositif spatio-temporel et transférentiel original du psychodrame
forme, à l’intérieur de la séance, une boucle réflexive qui va du passage par
l’acte dans le jeu (décharge pulsionnelle psychisée par la liaison corps/affect/
langage, et modulée par la règle du « faire semblant ») à la reprise silencieuse
ou accompagnée d’une courte verbalisation, avec le meneur de jeu, qui viendra
renforcer l’interprétation, la liaison, ou la construction qui a pris forme dans la
scène.
Le patient est donc interpellé corporellement, affectivement, et verba-
lement, de telle sorte que son associativité psychique inhibée, clivée, ou non
symbolisée, relancée par les propositions de jeu des acteurs, et ponctuée par les
reprises du meneur de jeu, puisse amorcer une activité réflexive. Tout peut se
jouer au psychodrame (même si cela ne veut pas dire que tout doit se jouer) :
non seulement ce que le patient peut verbaliser dans le langage, mais également
ce dont il ne peut donner que des indices ténus sous la forme de sensations ou
d’impressions. Cela comprend ce qui n’apparaît qu’au travers d’indications de
vide, de néant, de terreur qui sont les témoignages de contenus irreprésentables,

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Le Coq-Héron 217 tels les agonies primitives, les risques d’effondrement, la détresse primaire ou
les traumas précoces, contenus qui n’ont pas trouvé en leur temps une liaison
signifiante.
Le matériel le plus archaïque, préverbal ou sensori-moteur, peut être traité
par le biais des figurations, qui représentent des accroches symbolisantes,
pour un contenu psychique resté en attente d’une liaison. Et ceci, à partir de la
rencontre avec un objet réel, incarné par les acteurs, un objet sensible, vivant,
interactif, avec lequel le danger d’empiétement ou d’abandon se fera moins
prégnant du fait du décalage permanent du jeu, et de la présence tiercéisante
du meneur.
Le jeu représente, dans la cure analytique par le psychodrame, l’occasion
de reprendre, dans un espace transitionnalisé et transitionnalisant, la question
de la compulsion de répétition en y introduisant un élément nouveau, inattendu,
créatif, qui peut induire un mouvement transformationnel en offrant au patient
un miroir différent, moins décevant, moins menaçant, en résonance avec ses

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besoins, un miroir auquel il pourra s’identifier avant de pouvoir éventuellement
l’intérioriser. Le jeu apporte aux patients, comme aux thérapeutes, un gain de
plaisir qu’ils peuvent partager et qui va dans le sens d’un investissement libi-
dinal de la rencontre avec l’autre, et donc avec soi-même.
Il est évident que les acteurs peuvent jouer tous les rôles au psycho-
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drame, non seulement les imagos ou les personnages de l’environnement du


patient mais également les objets matériels, les affects et les pensées les plus
abstraites. Mais il est un rôle tout à fait spécifique du psychodrame et qui
apparaît d’ailleurs dès les premiers travaux de Moreno : celui du double. Le
double va venir nuancer, complexifier, conflictualiser, décondenser, introduire
l’ambivalence affective dans le jeu ; c’est-à-dire offrir au patient un champ de
possibilités psychiques qui vont l’éclairer sur son fonctionnement psychique,
le décaler de ses mécanismes de défense habituels, et ceci, bien entendu, dans
le respect de son intégrité narcissique.
Pour l’acteur qui incarne le double d’un patient, a fortiori pour un patient
psychotique ou état-limite, il s’agit, à partir du « senti » de son contre-trans-
fert, d’entrer en résonance avec la part la plus refoulée, clivée, ou projetée à
l’extérieur du patient. Ce qu’il offre alors à celui-ci, c’est un miroir interne qui
vient refléter une part ignorée de lui, en même temps qu’il lui offre un espace
de réflexivité accrue.
Voici un court exemple clinique pour illustrer notre propos. Au retour
des vacances, Mme A., une patiente difficile, ayant traversé dans le passé des
épisodes douloureux, et qui participe depuis plusieurs années à un psychodrame
individuel en groupe, nous confie ceci : « Chaque fois que j’ai de mauvaises
pensées, quelque temps après, inconsciemment, je me fais mal, je me brûle en
faisant la cuisine, je me cogne contre un meuble… J’ai réfléchi à cela cet été.
Il y a peut-être un lien entre les pensées négatives et cette façon, pas du tout
consciente, de me faire payer cela en me faisant mal. »
Anna a de mauvaises pensées, Anna se cogne, Anna se brûle : au départ il
n’y a pas de lien entre ces deux observations, elles sont juxtaposées et se répè-
tent inlassablement, sans que quelque chose du lien entre elles ne se symbolise
ni ne se subjective. Au cours du psychodrame, Anna a joué de nombreuses
scènes à l’intérieur desquelles le conflit avec une mère violente, non dispo-
nible, imprévisible et abandonnique, a mis en lumière sa propre violence, ses

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sentiments de haine et de rejet, mais aussi sa tendresse face à la détresse de Fenêtres sur le psychodrame
cette mère fragile et déprimée, ainsi que sa profonde culpabilité inconsciente analytique
devant l’ambivalence de ses sentiments et la reconnaissance d’une conflictua-
lité interne.
Tantôt dans le rôle de sa mère, tantôt dans son propre rôle, souvent
doublée par un acteur, Anna a peu à peu renoncé à la projection de sa violence
sur le monde extérieur pour se recentrer sur son monde interne : sa douleur
psychique, le paradoxe de son collage avec un objet primaire toujours décevant
et son impossibilité à se sentir satisfaite d’elle-même. Elle a pu reconnaître
son besoin et son désir d’accéder à des relations pacifiées avec elle-même, et
avec son entourage. Elle a trouvé dans les acteurs du psychodrame des doubles
qui lui ont renvoyé une image d’elle-même plus nuancée, plus délicate, plus
sensible. Dans le meneur de jeu, elle a trouvé un miroir attentif, bienveillant,
et en même temps vigilant quant au respect du cadre ; un miroir dans le reflet
duquel elle peut maintenant se reconnaître, qui lui permet de faire des liens

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associatifs nouveaux et d’échapper à la compulsion de répétition mortifère.
Et c’est dans le temps des vacances, un temps suspendu, retenu, alors qu’elle
occupe momentanément une fonction maternelle auprès d’un enfant, qu’Anna
peut s’identifier à la mère-analyste du psychodrame, et intérioriser le reflet de
son image réfléchie par l’analyste : « Le réfléchissement implique l’existence
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nécessaire de l’autre (la partie qui réfléchit). C’est une façon d’intégrer la part
non intégrée parce qu’elle n’est pas seulement ressentie mais vécue comme une
reconnaissance. […] Le non-intégré est désormais vu d’une façon plus cohé-
rente et significative car l’autre a compris, et c’est cette compréhension qui est
réfléchie en miroir, non pas seulement les faits qui ont été communiqués18. »
Anna s’autorise alors, par la pensée, à faire des associations entre les idées
et les agirs. Elle peut se poser réflexivement la question de ce qui se passe à
l’intérieur d’elle et faire l’hypothèse d’une culpabilité inconsciente qui la fait
se punir, dans la réalité, de ses pensées hostiles à l’égard de sa mère. Il s’agit
du fruit d’une lente perlaboration qui lui permet de reprendre, dans un registre
secondarisé, une activité de décharge autodestructrice qui, en venant buter sur
le miroir transformationnel inscrit dans le dispositif du psychodrame et intério-
risé, va permettre à la pulsion d’opérer ce « double retournement » qui ouvre et
fonde la fonction réflexive.
« Chose inouïe, écrivait Victor Hugo, c’est au-dedans de soi qu’il faut
regarder le dehors19. »

Résumé
La psychose est caractérisée par une défaillance du pare-excitation entraînant trauma-
tisme, détresse, clivage et défaut de symbolisation. La construction du psychisme, la
capacité de figuration et de représentation s’enracinent dans la sensorialité. Le jeu au
18. A. Green, « Origines et
psychodrame interpelle le patient corporellement, affectivement et au niveau du lan-
vicissitudes de l’être dans
gage. Il favorise la conflictualité, faisant ainsi reculer clivage et désintrication pulsion- l’œuvre de Winnicott », rfp,
nelle. Il constitue un espace transitionnel et de réflexivité. vol. 75, 2011/4.
19. V. Hugo, Contemplation
Mots-clés suprême, Paris, Calmann-
Psychose, psychodrame, pare-excitation, clivage, sensorialité, réflexivité. Lévy, 1901.

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Vue d’ensemble du fonctionnement psychotique
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