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MÉTAPSYCHOLOGIE DE LA VOIX

Marie-France Castarède

L’Esprit du temps | « Champ psychosomatique »

2007/4 n° 48 | pages 7 à 21
ISSN 1266-5371
ISBN 9782847951165
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Métapsychologie de la voix
Marie-France Castarède

« La voix d’où je tiens ma vie»

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Samuel BECKETT

L
e concept de métapsychologie fut forgée par Freud pour
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désigner la partie la plus théorique et abstraite de la


psychanalyse. Elle permet de décrire le fonctionnement
psychique selon les trois points de vue bien connus :
dynamique, topique et économique. En proposant ce titre à
mon article, sur le conseil bienveillant du Directeur de ce
numéro, je vais tenter de montrer comment La voix peut être
introduite dans le corpus des notions psychanalytiques.

HISTOIRE D’UNE NOTION

Les auteurs ont l’habitude de faire remonter l’intérêt pour la


voix aux années 70. Déjà en 1963, Lacan (1901-1981) isole la
voix et le regard comme objets pulsionnels, à côté des objets
pulsionnels freudiens, oral et anal, le sein et les fèces.
(Séminaire XI, Paris, Le Seuil, pp.65-109.) La voix, il la définit
comme la quatrième pulsion, l’expérience la plus proche de
l’inconscient (1973, p.96). En effet, d’un côté, on peut
mentionner la pulsion orale et anale, de l’autre, la pulsion
scopique et la pulsion invoquante. Le premier groupe a la
particularité d’être directement lié à la conservation de la vie.

Marie-France Castarède, psychanalyste - 41, rue Copernic - 75116 Paris

Champ Psychosomatique, 2007, n° 48, 7-21.


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8 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

Le deuxième groupe définit des particularités du dedans et du


dehors. Lacan promeut l’objet voix, comme version de l’objet
a, parallèlement à l’objet du regard. La voix est un support au
désir de l’Autre. Lacan écrit dans le Séminaire XI: « La
pulsion saisissant son objet apprend que ce n’est pas par là
qu’elle est satisfaite, parce que aucun objet ne peut satisfaire
la pulsion. La bouche qui s’ouvre dans le registre de la pulsion,
ce n’est pas de nourriture qu’elle se satisfait. » (p.150) On
pourrait dire, dans cette perspective, que la voix maternelle,
notamment dans ses pics prosodiques (baby talk ou mothe-
rese), est le premier objet de la pulsion orale. Parler des pics
prosodiques est une manière d’insister sur la mélodicité et les
contours chantants de la voix maternelle. Ces modalités sont

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universelles et suscitent dans toutes les cultures et les modes
d’élevage la dilection des bébés.
C’est en 1976 que Didier Anzieu (1923-1999) publie son
article sur L’enveloppe sonore du Soi (NRP, n°13). Le terme
d’enveloppe est utilisé à plusieurs reprises par Freud dans le
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deuxième chapitre de Le Moi et le Ça (1923), à propos de ce


qu’il dénomme le Moi-corps. C’est Bion (1897-1979) qui
retrouve l’idée freudienne d’enveloppe dans sa conception de
la relation contenant-contenu. Frances Tustin (1913-1994)
décrit ensuite des enveloppes autistiques primaires et secon-
daires. Mais c’est Didier Anzieu, à partir du Moi-peau, qui a
généralisé et systématisé le concept d’enveloppe psychique. Il
montre l’existence, avant le miroir visuel décrit par Lacan et
Winnicott, d’un miroir sonore, d’une peau auditivo-phonique
qui a sa fonction dans l’appareil psychique du bébé.

LA PULSION VOCALE

Guy Rosolato parle, à son tour, de la voix comme pulsion :


« La voix peut être définie dans les mêmes termes que la
pulsion freudienne. Elle a une source corporelle, organique et
d’excitation, une force, un champ, un but de plaisir, lié à une
tension à réduire, un objet, pour atteindre un récepteur, assurer
1 ROSOLATO (G.), La
voix, entre corps et
une communication. On peut considérer la voix, et partant la
langage, La relation musique comme une métaphore de la pulsion en général – la
d’inconnu, Paris, Galli- pulsion sans autre représentant que la musique elle-même1. »
mard, 1978, p.39.
À propos de la voix, entre corps et langage, il souligne : « Elle
2. ibid. p. 32 est la plus grande puissance d’émanation du corps2. »
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MÉTAPSYCHOLOGIE DE LA VOIX 9

Alain Delbe, quinze années plus tard, tente d’aller encore


plus loin dans la systématisation de la pulsion vocale, la
définissant aussi dans les mêmes termes que Freud : source,
poussée, but, objet. Il repère un stade vocal, à mi-chemin entre 3. DELBE (A), Le stade
le stade oral et anal3. Le stade vocal commence au moment où, vocal, Paris, L’Har-
vers six mois, le bébé s’approprie sa voix, où il comprend que mattan, 1995.

ses émissions vocales lui appartiennent, après le temps où il


s’imaginait que sa voix était fusionnée à celle de sa mère. Le
stade vocal advient avant le stade du miroir (qui se situe dans
sa pleine acception entre douze et quatorze mois). Il se termine
avec l’apparition du langage, vers deux ans : « C’est par l’accès
à la parole que s’achève le stade vocal4. » Ce stade vocal est 4. DELBE (A.), op. cit.,
celui de la communication, des échanges vocaux entre le bébé, p.25.

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la mère, le père et toutes les autres personnes de l’entourage.
Cette communication pré-verbale joue sur les intonations, les
onomatopées (vroum !), bref sur ce qui peut représenter
certaines émotions, affects et même dénominations (dada !
hue-dia ! etc.). Elle se passe des paroles du langage et de la
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langue, mais non des phonèmes de cette dernière ; elle est


génératrice de sensations, de plaisirs et de tensions. Si l’enfant
ne comprend pas le sens des mots, il comprend les inflexions
des voix et leur sens affectif.
Ce stade vocal prend le relais de celui qui dominait durant
les six premiers mois : le stade de la voix de la mère, voix qui
signe – signale- sa présence hors du regard du bébé. Durant
cette période, même l’enfant sourd vocalise normalement
démontrant par là qu’il comprend que la voix fait lien avec
l’Autre. C’est seulement lorsqu’au stade vocal, il n’entendra
plus, en retour de ses propres vocalisations, celles de sa mère,
pas plus que celles du père, qu’il cessera son babillage, condui-
sant ainsi ses parents à faire établir le diagnostic.
Selon Alain Delbe, le stade vocal marquerait une castration
par rapport au stade oral, le lien vocal remplaçant le lien de la
5. CASTAREDE (M.F.),
bouche au sein. L’enfant incorporerait la voix de sa mère Les notes d’or de sa voix
comme il a incorporé son lait5. Cette perspective rend bien tendre. Oralité et chant.,
compte de l’importance du sonore à l’aube de la vie. Par RFP, n°5, 2001.
ailleurs, le stade vocal se termine avec l’accès au langage, la
parole et le langage jouant le rôle de castration. Par la castra-
tion vocale, la pulsion se soumet aux règles linguistiques,
grammaticales et syntaxiques. Il y a une relation d’opposition
entre le sonore, l’intonatif, l’émotionnel et le signe abstrait et
formel : « Venir à la raison, c’est perdre le bonheur. » Dès lors,
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on comprend mieux l’amour de la musique et du chant où


s’inscrit, pour certains, la nostalgie de revenir aux plaisirs de la
communication affective d’avant les mots. Ce stade vocal,
dans ses moments de plaisir (distincts des moments de
déplaisir), apparaît bien comme un stade de bonheur, où l’on
jouit d’une aspiration à être compris par l’Autre, sans avoir
besoin de recourir à la parole, « aspiration qui représente, en
dernière analyse, la nostalgie de la toute-première relation avec
6. KLEIN (M.), Envie et
gratitude, Paris, Galli-
la mère6 ».
mard, 1968, p.122. Ivan Fonagy, sans isoler la spécificité d’une pulsion vocale,
analyse finement les bases pulsionnelles de la phonation,
7. FONAGY (I.), La c’est-à-dire la manière dont les pulsions orales, anales,
vive voix, Paris, Payot, urétrales, etc., peuvent influer sur le geste vocal7. Il met en
1983.

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évidence une sorte de code affectif du langage : « Ce pré
langage consistait peut-être, comme le suggère l’ontogenèse
de la parole, en une suite de mouvements plus ou moins
violents, plus ou moins coordonnés, et accompagnés d’émis-
sions vocales réduisant momentanément la tension
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8. op.cit., p. 149. psychique8. »

LE MIROIR SONORE ET L’ACQUISITION DU


LANGAGE

Lacan a montré l’importance de la métaphore paternelle


pour l’acquisition du langage : elle signifie le désir de la mère
pour le père, le Nom du Père, en tant que signifiant venant pour
l’enfant se substituer au signifiant du désir de la mère. C’est
ce processus qui instaure le Père comme instance séparatrice
entre la mère et l’enfant, déterminant ainsi la castration vocale.
Le psychotique, lui, n’est pas pris dans le langage : refusant la
castration vocale, il en reste à la communication émotionnelle.
Ainsi, D. Anzieu remarque les particularités de la voix des
mères de schizophrènes : « voix monocorde (mal rythmée),
métallique (sans mélodie), rauque (avec prédominance des
9. ANZIEU (D), L’enve- graves, ce qui favorise chez l’écoutant la confusion des sons
loppe sonore du soi, et le sentiment d’une intrusion par ceux-ci9). » Une telle voix
Nouvelle Revue de
Psychanalyse, n°13, perturbe la constitution du Soi : le bain sonore n’est plus
p.175. enveloppant, il devient désagréable (en termes de Moi-peau, il
serait dit rugueux). Il repère ainsi les caractères de ce qu’il
appelle le miroir sonore pathogène: sa discordance, sa
brusquerie, son impersonnalité. Au moment de l’apprentissage
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du langage, il y aurait injonctions paradoxales (double bind),


sur le plan de l’intonation comme de la langue. Seule la
conjonction sévère des deux perturbations, phonématique et
sémantique, produit la schizophrénie. Si les deux perturbations
ont été légères, une personnalité de type narcissique se
constitue. Si la première a eu lieu sans la seconde, la prédis-
position aux maladies psychosomatiques peut advenir.
Le miroir sonore, puis visuel, n’est structurant pour le Soi,
puis pour le Moi, que si la mère exprime à son enfant quelque
chose d’elle et de lui dans la compréhension mutuelle (cf. plus
loin la citation de Freud) : les vocalisations réciproques créent
un espace transitionnel où se développe la santé psychique de
l’enfant, prémisses de ce que Winnicott appelle un individu

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sain.

LES DEUX DESTINS DES VOCALISATIONS


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Ainsi, les vocalisations du bébé mènent, d’une part, vers les


processus de connaissance du réel qui vont de la première
dénomination concrète et gestuelle jusqu’au symbole verbal et
abstrait : c’est la parole tout à la fois utilitaire, signalisatrice,
conduisant aux opérations logiques de la pensée. Elles mènent,
d’autre part, vers l’expression des émotions et des états d’âme :
ceci commence avec le premier chant spontané de l’enfant et
conduit aux plus hautes formes de la musique vocale ou opéra- 10. CASTAREDE
tique10 où la parole retrouve les sources du sacré et de la magie. (M.F.), Les vocalises de
Le premier domaine est celui de l’adaptation à la réalité, de la passion, Psychana-
lyse de l’opéra, Paris, A.
l’objectivité, de la raison, de la conscience et de la pensée, Colin, 2002.
encore qu’il soit traversé notablement par les irruptions de POIZAT (M.), L’opéra
l’inconscient. Le deuxième domaine est celui du jeu, de l’art, et le cri de l’ange, Paris,
de l’expérience culturelle (aire transitionnelle de Winnicott), A.M.Métaillié, 1986.
de la subjectivité, de l’inconscient et du corps, encore qu’il soit
remodelé par le code secondarisé dans lequel l’expressivité se
formule.

LE POINT DE VUE DÉVELOPPEMENTAL

On sait qu’un enfant ne se reconnaît pas dans le miroir


avant l’âge de douze à quatorze mois. Le miroir sonore, lui,
fonctionne dès avant la naissance. L’essentiel des organes de
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12 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

sens s’établit dans la vie intra-utérine entre la fin du deuxième


mois et le début du septième mois, dans l’ordre suivant :
système cutané, olfactif, gustatif, vestibulaire (équilibration),
auditif et visuel. Il y a préséance du sonore sur le visuel. Le
fœtus entend et répond par des réactions cardiaques et motrices
(cf. Le film de Nils Tavernier : L’odyssée de la vie) à partir de
cinq mois et demi. À sept mois, il fait des mouvements en
réponse à des stimuli externes, lorsque ceux-ci sont suffisam-
ment intenses pour couvrir les bruits inhérents aux activités
cardiaques et digestives de la mère. De fait, les bruits ne
passent que s’ils contiennent des fréquences basses, inférieures
dans les premiers temps à 300 hertz, puis à 1 200 hertz. Il est
confirmé que la voix maternelle ressort bien du bruit de fond :

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le fœtus reçoit par transmission osseuse la plus basse partie du
spectre de la voix de sa mère, partie qui comprend la fréquence
fondamentale de la voix. La psychanalyste italienne, Suzanne
Maiello, pense que la rencontre avec la voix permet au fœtus
une première relation d’objet : « La perception de la voix
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maternelle pourrait représenter la première expérience d’alté-


rité de l’enfant pendant la vie prénatale, étant donné qu’il n’a
11. MAIELLO ( S.),
aucun pouvoir sur sa présence ou son absence, ni sur sa qualité
Trames sonores et
rythmiques primor- émotionnelle ou mentale11. »
diales, Journal de Cette voix peut, non seulement être entendue, mais
psychanalyse de reconnue après la naissance, parmi d’autres, grâce à la percep-
l’enfant, n° 26, 2000.
tion du rythme et de l’intonation. À trois jours, les bébés recon-
naissent la voix de leur mère par rapport à une voix étrangère.
Bien plus, si la mère lit un texte sans ses inflexions habituelles,
le bébé se détourne : il est donc éminemment sensible à la
12. QUIGNARD (P.), sonate maternelle, pour reprendre une expression de Pascal
La haine de la musique,
Paris, Calmann-Lévy,
Quignard12. Il existe donc, dès la période fœtale, une excellente
1996. transmission du chant et de la musique. À la naissance, les
nouveau-nés, qui ont été soumis à une stimulation musicale in
utero, se calment en la réécoutant. Des expériences très
convaincantes ont été poursuivies avec la séquence au basson
de Pierre et le loup (Prokofiev) qui se situe entièrement dans
une bande de fréquence inférieure à 2 000 Hz.
13. THIS (B.), La voix
in utero, La voix, Paris,
C’est le psychanalyste Bernard This13 qui s’est attaché à
La Lysimaque, 1988. faire admettre que, non seulement la voix de la mère était
perçue in utero, mais aussi celle du père et qu’elle pouvait
avoir ensuite des effets apaisants pour le nourrisson. Certes, il
n’est pas question de minimiser l’importance de la voix pater-
nelle, à condition que le père ait pris l’habitude de faire
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entendre sa voix dès la période intra-utérine, mais il est


indéniable que le fœtus est en contact quasi permanent avec la
voix maternelle et que sa préférence va vers elle, comme le
démontrent toutes les recherches. Il sait faire la différence entre
les deux tessitures.
L’impact de la voix paternelle n’est pas de même nature :
sans doute est-ce la raison pour laquelle Freud et Lacan ont
tous deux dévolu à la voix du père l’origine du Surmoi acous-
tique! Freud écrit dans Le Moi et le Ça : « Etant donné le rôle
que nous avons assigné aux traces verbales inconscientes qui
existent dans le Moi, on peut se demander si le Surmoi,
lorsqu’il est inconscient, ne se compose pas de ces traces
verbales ou de quelque chose d’analogue. Notre réponse à

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cette question sera modeste et réservée : nous dirons notam-
ment que si le Surmoi ne peut renier ses origines acoustiques,
que s’il est vrai qu’il forme une partie du Moi et que ces repré-
sentations verbales (notions, abstractions) sont plutôt de nature
à le rendre accessible à la conscience, il est également vrai que
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l’énergie de fixation inhérente à ces contenus du Surmoi


provient, non des perceptions auditives, de l’enseignement ou 14. FREUD (S), 1923,
Le Moi et le Ca, tr. fse.
de la lecture, mais de sources ayant leur siège dans le Ça14. » p. 226.
On n’est pas étonné que Freud, loin de pouvoir s’abandonner
15. Cf. les rapports de
au charme de la voix maternelle15, repère dans les traces acous- Freud avec la musique,
tiques les prémisses du Surmoi paternel. in CASTAREDE
Le sonore introduit, plus tôt que le tactile, les notions (M.F),1987, préface de
Didier Anzieu, La voix
d’extérieur et d’intérieur. En effet, le nouveau-né, à l’instar du et ses sortilèges, Paris,
fœtus, fait la différence entre les bruits et la voix maternelle Les Belles Lettres, 2004,
qu’il reconnaît et privilégie. Le Soi, qui précède le Moi, se 5ème édition, p. 125-131.
forme comme une enveloppe sonore dans l’expérience du bain
de sons concomitant à l’allaitement. Ce bain de sons préfigure
le Moi-peau et sa double face tournée vers le dedans et le
dehors, puisque l’enveloppe sonore est composée de sons
alternativement émis par l’environnement et par le bébé, à
travers le babillage et les vocalisations. Winnicott a bien
signalé le babillage parmi les phénomènes transitionnels :
« Partant de cette définition (– objets transitionnels–), le
gazouillis du nouveau-né, la manière dont l’enfant plus grand
reprend, au moment de s’endormir, son répertoire de chansons
et de mélodies, tous ces comportements interviennent dans 16. WINNICOTT
(D.W), Jeu et Réalité,
l’aire intermédiaire en tant que phénomènes transitionnels16. ». Paris, Gallimard, 1975,
Mais le bébé n’émettra ses vocalises que si l’environnement p.8-9.
l’y a préparé par la qualité, la précocité et le volume adéquat
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14 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

du bain sonore dans lequel il a été plongé. D. Anzieu écrit :


« Avant que le regard et le sourire de la mère qui allaite ne
renvoient à l’enfant une image de lui qui lui soit visuellement
perceptible et qu’il intériorise pour renforcer son Soi et
ébaucher son Moi, le bain mélodique (la voix de la mère, ses
chansons, la musique qu’elle fait écouter) met à sa disposition
un premier miroir sonore dont il use d’abord par ses cris (que
17. ANZIEU (D), la voix maternelle apaise en réponse), puis par son gazouillis,
« L’enveloppe sonore du enfin par ses jeux d’articulation phonématique17. »
Soi », NRP, n°13, 1976,
p.175.
Le premier cri du bébé à la naissance manifeste son état de
déplaisir lors de sa venue au monde et signe son entrée sur la
terre. La mise au monde est mise en voix : c’est le cri primal.
La voix ne s’éteint que lorsque l’être humain rend son ultime

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souffle : c’est le dernier soupir ou silence de mort. Simple
expression vocale d’une souffrance respiratoire, le premier cri
du bébé va devenir, grâce à la préoccupation maternelle, une
demande d’amour et de reconnaissance. Dès le second cri, rien
n’est plus comme avant, car il s’insère alors dans un réseau de
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significations et d’interactions. Le premier répons de la voix


maternelle prend pour l’enfant valeur de jouissance : cet objet
irrémédiablement perdu devient objet de nostalgie, comme
nous le retrouverons dans le chant et la musique.
Au fur et à mesure des messages vocaux interactifs, une
différenciation va s’élaborer progressivement entre les sons
agréables et désagréables. Toute une gamme de sentiments va
pouvoir s’exprimer de part et d’autre. C’est la mère qui va
18. FREUD (S),
instaurer la compréhension mutuelle. Freud écrit : « La voie de
Esquisse d’une psycho- décharge (le cri) acquiert ainsi une fonction secondaire d’une
logie scientifique, La extrême importance : celle de la compréhension mutuelle18. »
naissance de la psycha-
La mère suffisamment bonne sera capable de décoder les
nalyse, 1895, tr. fr.
p.336. messages du bébé et de leur donner une réponse adéquate. S’il
y a discordance, incohérence, silence trop frustrant, la compré-
hension mutuelle ne peut s’instaurer. Il faut donc une identifi-
cation maternelle à l’enfant au niveau de son vécu corporel.
Ce que la voix maternelle donne à entendre à son bébé est
de deux ordres : d’une part, la continuité mélodique à travers
les voyelles, d’autre part, la scansion du discours à travers la
19. DIDIER-WEILL
discontinuité des consonnes. Son chant transmet une double
(A), Invocations, Paris, vocation19 : la voix maternelle délivre tout à la fois la mélodie
Calmann-Lévy, 1998. continue, métaphore du chant et de la musique, ainsi que le
rythme du langage et de ses articulations. Très vite, le bébé,
après des vocalisations d’une surabondance phonétique
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MÉTAPSYCHOLOGIE DE LA VOIX 15

éminemment variée, s’adonne au babillage dans sa propre


langue. Jakobson écrit : « Les sons subissent de la part de
l’enfant une sélection à l’issue de laquelle ils ne deviennent des
sons du discours que dans la mesure où ils se rapportent au
langage au sens strict du terme, à savoir aux signes arbitraires
20. JAKOBSON (R),
de Saussure20. » On reconnaît très bien le babil d’un bébé Langage enfantin et
français, chinois, anglais ou malgache. aphasie, Paris, Ed. de
De cette distinction entre mélodie et langue, je trouve un Minuit, p.31.

écho chez une collègue expérimentaliste dans son livre


21. de BOYSSON-
Comment la parole vient aux enfants21. Elle classe les bébés en BARDIES (B),
deux groupes : les bébés référentiels ou analytiques, ceux qui, Comment la parole vient
sous l’influence notamment de l’environnement, vont s’inté- aux enfants, Paris, O.
Jacob, 1996.
resser plus nettement aux éléments phonétiques et à la struc-

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ture des syllabes, autrement dit à l’aspect dénominatif de la
langue (signifiant), d’autre part, les bébés expressifs ou holis-
tiques, qui ont consacré leur attention aux contours d’intona-
tion et aux rythmes, restant plus longtemps attachés à l’expres-
sivité sonore ou gestique (mimiques du visage et du corps). De
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la sonate maternelle, les premiers ont davantage retenu et


mémorisé la discontinuité des consonnes, là où les seconds ont
mieux capté et intériorisé la continuité mélodique des voyelles.
Les deux groupes de bébés apprendront à parler, s’ils ont la
chance d’avoir intégré une enveloppe sonore maternelle fiable
et cohérente qui les a portés vers la loi symbolique du langage
et ne les a pas retenus dans son giron mortifère.
Les interactions sonores mère-bébé permettent, outre la
transmission des fantasmes maternels concernant l’harmonie
vocale avec son enfant (on pense à l’accordage affectif de
Daniel Stern, qui reprend autrement la notion de compréhen-
sion mutuelle de Freud), son évolution dans l’apprentissage de
la langue. Pour apprendre à parler, l’enfant doit se dégager de
la relation fusionnelle à sa mère. La mère l’y aidera, dans la
mesure où elle a constitué une image du père dans sa tête. La
mère est bien la messagère de la castration, puisqu’elle intro-
duit une distance : « Ton père a son mot à dire. » C’est elle qui
facilitera ou non l’accès à la loi du symbolique.

LE LANGAGE ET SA DOUBLE POLARITÉ

Pour Jacques Lacan, la voix, dans le langage, est tout ce


qui du signifiant ne concourt pas à l’effet de signification, mais
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16 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

22. MILLER (J. A.), il ne s’attarde pas sur son contour intonatif et musical,
« Jacques Lacan et la
voix », in La voix,
c’est-à-dire sa signification affective. D’ailleurs, « la voix
colloque d’Ivry, La comme objet a n’appartient nullement au registre sonore22. »
Lysimaque, 1989, p.178. S’appuyant sur la linguistique structurale, il déclare : « L’in-
conscient est structuré somme un langage. » Il oublie la
fonction expressive et émotive de Jakobson.
André Green, en 1973, se démarque de Lacan dans l’écri-
ture du Discours vivant : « Je n’eus pas de peine à découvrir
que la théorie lacanienne était fondée sur une exclusion, un
23. GREEN (A.), Le
discours vivant, Paris,
« oubli » de l’affect23». Il écrit : « L’affect est entre soma et
PUF, 1973, p.6 psyché (…) L’affect est lié, d’une part à la fonction de commu-
nication, donc du langage, d’autre part à l’expérience corpo-
24. ibid., pp. 36 et 38. relle par l’image motrice de la décharge24. » Par sa dépendance

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à l’organique, à travers le souffle, le sphincter glottique, les
cordes vocales et les résonateurs, la voix est tributaire du corps
et des affects, affects primaires antérieurs à la représentation,
ceux dont André Green montre qu’ils sont liés au corps de la
mère : « Les affects originaires sont liés au corps de la mère
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comme les affects secondaires sont liés à la loi du père. Ainsi


l’affect est toujours pris entre corps et Loi, entre la loi du corps
25. GREEN (A.), op. et le corps de la Loi25. »
cit., p.212.
Ce sont les auteurs anglais, Winnicott (1896-1971) et Bion
(1897-1979), qui, les premiers, ont mis en avant l’expérience
émotionnelle comme paradigme fondamental de la vie
psychique. Winnicott envisage en 1945 le développement
affectif primaire et le rôle prééminent de l’environnement
maternel. L’originalité de Winnicott est d’avoir montré que un
bébé, cela n’existe pas et qu’il faut y inclure la mère et ses
affects dans le couple indissoluble qu’ils forment. Quand il
parle de la cure analytique, il évoque le jeu, cet espace transi-
tionnel entre la mère et l’enfant : « Pour moi, jouer est une
activité évidente qui doit apparaître aussi bien lors de l’analyse
des adultes que lors de notre travail avec les enfants. Elle se
26. WINNICOTT manifeste, par exemple, par le choix des mots, les inflexions
(D.W.), Jeu et Réalité, de la voix et surtout par le sens de l’humour26. « À propos de
Paris, Gallimard, 1975,
Winnicott, M.Masud R.Khan écrit : « Il cultivait une certaine
p.58.
horreur de l’intelligence et de ce jeu de l’esprit (mind game)
27. KHAN (M.M.R.), auxquels, reconnaissons-le, la pensée analytique contempo-
Préface, in Winnicott raine se laisse aller un peu trop facilement27. » Winnicott était
(D.W.), La consultation du côté du sensible et du partage émotionnel, comme en
thérapeutique et
l’enfant, Paris, Galli-
musique. À son tour, Wilfred Bion écrit : « L’émotion est mère
mard, 1972, p. XXV. de la pensée. »
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MÉTAPSYCHOLOGIE DE LA VOIX 17

Dans son livre, Idées directrices pour une psychanalyse


contemporaine, A. Green reprend la question de l’affect : « La
linguistique structurale a banni l’émotion de ses préoccupa-
tions, cédant au vertige de la recherche de structures purement
conceptuelles. En somme, le concept a refoulé l’affect. (…) La
figure vocale (terme utilisé par Saussure pour parler du signi-
fiant) fait une place importante à la voix. Or les linguistes ont
minimisé le rôle de la voix, souvent pour se lancer dans la
spéculation du seul concept. Ils ont « abstractivé » la voix, alors
qu’elle est le mode de transmission de l’affect. (…) Lacan est
passé à côté, en pratiquant une surenchère sur le concept,
séparant la représentation de son quantum affectif et scindant
28. GREEN (A.), Idées
l’affect de son corrélat, comme il a aussi séparé le signifiant directrices pour une

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du signifié. (…) La pensée - son suppose le lien affect psychanalyse contempo-
–concept 28. » La solution vient de la poétique car, comme le raine, Paris, PUF, 2002,
pp.278-279.
montre Henri Meschonnic29, c’est de ce côté que brille la
lumière… Meschonnic pense qu’il faut s’ouvrir à la rencontre 29. MESCHONNIC
(H.), Politique du
du concept et de l’affect. La poétique des poètes dit que, dans
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rythme, politique du
l’écriture, s’inscrit la voix qui accueille l’esprit en lui donnant sujet, Paris, Verdier,
un corps. C’est avec le poète que l’analyste a le plus d’affi- 1995.
nités, alors que le discours du patient est le plus prosaïque qui
soit.
Ainsi, dans le langage, il faut distinguer, d’une part, le
symbolique, le langage de la conscience, avec sa temporalité
linéaire et ses catégorisations, d’autre part, le sémiotique, le
langage inconscient, celui des écholalies de l’enfant, des
rythmes, des souffles, des allitérations, des cris, des spasmes, 30. « Les idées sont des
comme celui du sanglot30. Le sémiotique mobilise les succédanés des
sanglots », écrit Marcel
mimiques, les gestes, la voix, c’est-à-dire les affects, intime- PROUST.
ment arrimés au pulsionnel.

LA PAROLE DANS LA CURE PSYCHANALYTIQUE

On peut donc avancer que la voix et les affects se rappor-


tent en priorité à la relation avec la mère, relation primordiale
et tout d’abord indicible. En revanche, la parole et le mot
signent, avec l’avènement du langage, un éloignement de la
relation à la mère et annoncent la relation à distance, dite intel-
lectuelle, avec le père. Roland Gori a bien saisi cette position
paradoxale de l’analyse : « Le discours analytique est double-
ment articulé, à une expérience corporelle indicible et à sa
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18 CHAMP PSYCHOSOMATIQUE

communication sociale… Dès lors, pour que l’interprétation


psychanalytique facilite la création psychanalytique, il faut
qu’elle soit elle-même une création, c’est-à-dire qu’elle flotte,
s’élabore et fonctionne entre corps et langage, entre la subjec-
tivité du désir et la communication objective de son sensº
31. GORI (R.), Le corps L’objectif de la thérapie est d’amener le discours associatif
et le signe dans l’acte de
parole, Paris, Dunod, dans l’aire transitionnelle31. »
1978, p.10-12. André Green, dans son livre autobiographique «Un psycha-
nalyste engagé» écrit : « Je crois que je place la musique plus
haut que la littérature, même plus haut que Shakespeare. Il est
probable que cela n’est pas pour rien dans mon désir d’écrire
32. GREEN (A.), Un
psychanalyste engagé, sur l’affect32. » Plus loin : « À mon avis, il existe deux grandes
Paris, Calmann-Lévy, « familles d’esprit » en psychanalyse : les analystes qui aiment
1994, p.116.

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la peinture et ceux qui aiment la musique et ils ne s’intéressent
pas aux mêmes choses. (…) Je suppose que les analystes qui
aiment la musique sont ceux pour qui l’affect a une dimension
essentielle dans la psychanalyse, et qu’à aucun moment ils ne
peuvent se contenter des jeux de langage et des récits
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33. ibid., p.116. charmeurs33. » En accord avec André Green, je pense qu’il y a
une « écoute musicale » des patients, surtout avec ceux pour
lesquels les affects ont été gelés, inactivés, inanimés, déserti-
fiés, enfouis. L’analyste doit se comporter comme la mère qui
rêve, imagine, anticipe, devine et comprend sans mot dire..
L’émotion doit renaître, là où elle a été suspendue et réprimée.
Comme l’écrit subtilement Ilse Barande dès 1976, il s’agit
d’être des mélomanes de la prose de nos patients : « Mélodies,
séquences, ruptures se silhouetteront peu à peu, ne délivrant
leur pleine signification qu’en fin de parcours, parfois à l’occa-
sion de leurs variations. Ces aspects ont une grande importance
pour composer notre audition, nous muer en mélomanes de la
prose parlée, informer notre sensibilité, instruire nos soupçons,
nuancer nos certitudes… La réceptivité de l’analyste aux effets
de voix, inhérents au langage parlé, est exaltée et amplifiée
d’être « flottante », non infléchie par les soucis du dialogue, de
la réplique, de la compétition, de la politesse … Les intona-
tions sont autant de mimiques, de postures vocales d’une
grande subtilité… Le ton fait une musique qui, plus impérati-
34. BARANDE (I.),
Le contre-transfert vement que les contenus, peut sauver l’analyse du contre-
est informé par la vocali- transfert de la pente glissante des refoulements34. »
sation, Revue française Julia Kristeva remarque : « Parler de la voix conduit l’ana-
de Psychanalyse, tome
XL, mai-juin 1976,
lyste au lieu le plus intime et le plus insaisissable de l’écoute
pp.541 et 544. analytique, là où le sens s’échappe dans l’affect. (…) L’agres-
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MÉTAPSYCHOLOGIE DE LA VOIX 19

sivité, comme la voix, est le balisage le plus archaïque de la


subjectivité.(…) Si la voix est la trace de la loi maternelle dans
la structure du sujet et s’il est vrai, comme le dit Freud, que ce
35. KRISTEVA (J.), La
que les deux sexes refusent, c’est le féminin, le retour de la parole déprimée, La
voix est le retour du refoulé féminin35. » voix, colloque d’Ivry,
Paris, La lysimaque,
1988, pp. 79-83.
Au commencement était la voix, tel est notre présupposé36.
36. CASTAREDE
Au commencement de la vie, musicale est la voix de la mère. (M.F.) et KONOPC-
Elle est le premier modèle d’un plaisir auditif, comme nous ZYNSKI (G.), Au
l’avons montré tout au long de cet article. La musique trouve commencement était la
voix, Ramonville St
ses racines dans une atmosphère originelle et nostalgique. Le
Agne, Érès, 2005.
philosophe Gilles Deleuze écrit à propos de la musique : « La
musique est l’aventure d’une ritournelle.. Un enfant dans le

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noir, saisi par la peur, se rassure en chantonnant. Sa chanson
est comme l’esquisse d’un centre stable et calme, au sein du
37. DELEUZE (G.),
chaos.. La musique, c’est d’abord une déterritorialisation de la Mille plateaux, Paris,
voix, qui devient de moins en moins langage37…» La voix, Editions de Minuit,
comme la musique, est le lieu où les affects se déploient hors 1980, pp.170-180.
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du sens des mots et de la représentation. Ainsi, la Musique


allège la pesanteur accablante du logos et empêche que
l’homme ne s’identifie à l’acte de parler. Vladimir Jankélévitch
nous rappelle : « La musique témoigne du fait que l’essentiel
en toutes choses est je ne sais quoi d’insaisissable et d’inef-
fable ; elle renforce en nous la conviction que voici : la chose la 38. JANKELEVITCH
plus importante du monde est justement celle qu’on ne peut (V.) et BERLOWITZ
pas dire38. » Elle nous convoque à des retrouvailles avec les (B.), Quelque part
l’inachevé, Paris, Galli-
tout premiers temps de la vie, celle du bonheur affectif partagé, mard, 1978, p.247.
en deçà des mots.

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RÉSUMÉ

L’auteur s’essaie à définir une métapsychologie de la voix, s’appuyant


sur les travaux des psychanalystes qui ont contribué à éclairer cette notion.
La préséance reconnue du sonore sur le visuel confère à la voix maternelle,
entendue par le fœtus, un statut particulier. La perspective développementale
est évoquée, montrant comment la voix qui nous accompagne tout au long
des différents âges de la vie représente, dans l’ordre de la parole vivante, la
part affective de nous-même, magnifiée dans le chant et la musique.

Mots-clés : enveloppe sonore – voix maternelle – affect – chant.


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MÉTAPSYCHOLOGIE DE LA VOIX 21

SUMMARY

The author tries to define a metapsychology of the voice, supported by


the works of psychoanalysts who have helped to clarify that concept.
Recognition of the precedence of sound over sight confers a special status on
the maternal voice, heard by the foetus. The developmental perspective is
evoked, demonstrating how the voice, accompanying us through all stages of
life, in speech, represents our affective self, magnified in song and music.

Key-words : sound surrounding – maternal voice – affect – song

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