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PREFACE

Samedi 27 octobre 1990, 3 heures et 10 minutes. Un premier jour de week-end somme toute
banal, probablement baigné dans une atmosphère de joie et d’ivresse parmi la jeunesse
émancipée des années 90. Toutefois, l’innocence de cette nuit-là fût enrayée par un événement
inattendu pour ma génitrice : ma naissance. Le terme de génitrice peut sembler désobligeant à
l’égard de ma mère, mais je m’explique : donner la vie fait de vous un géniteur – à cet instant
précis, le seul lien entre ces deux êtres est purement et simplement génétique - mais avant tout
chose, devenir parent c’est élever et prendre soin de son enfant, cela se pratique et s’apprend.
Le récit qui va suivre sera maigre de détails, le but étant d’être le plus factuel possible et donc
relater des faits sans entrer dans un voyeurisme sordide en décrivant avec précision et réalisme
les différents sévices subis.
Je ne me prétends en rien auteur ou écrivain ou littéraire ou romancier ou artiste, ni même
biographe ou autobiographe, rien de tout cela. Mais qui ou quel que soit ce que je suis, ce que
je fais ou quelle est ma démarche, je ne me peux m’empêcher de penser à une célèbre locution
de Chateaubriand – non prise dans son ensemble - « j’étais presque mort quand je vins au jour
[…] la chambre où ma mère m’infligea la vie ».
Bien que les contextes soient très différents et qu’il soit très difficile de les mettre en parallèle
– comment ne pas m’accuser d’amalgame lorsque je compare une même situation avec pourtant
plus de 200 ans d’écart - j’affectionne particulièrement les termes employés dans cette
introduction de ses « Mémoires d’Outre-Tombe ».
Bien qu’une naissance ne puisse être qu’un souvenir ou un enchevêtrement de récits qui nous
sont contés au fil des ans, il est évident que de nombreuses informations s’évaporent avec le
temps ; et ce souvenir – aussi violent soit-il – n’est plus qu’une supposition que toute personne
étant en quête de vérité tentera de chercher sous forme de thérapie par l’écriture et
l’investigation. Comme le dit le proverbe, les paroles s’envolent mais les écrits restent. Mais
l’écriture ravive la parole des souvenirs et donc nous permet de nous rappeler. De simples bribes
parfois. Comme des scènes ancrées d’autres fois. On se rappelle donc du contexte, des images,
des odeurs, de la température, de la douleur – tant bien physique qu’émotionnelle -, et enfin du
gouffre qui s’ouvre sous nos pieds. La chute est longue, l’obscurité s’épaissie. Telle Alice nous
pensons à un rêve, nous tombons toujours plus profond dans ces abymes, mais tout en restant
serein car l’atterrissage est proche.
Mais l’atterrissage est tout autre : pas de petites fioles à boire ou de petites pâtisseries à manger,
pas de clé sur la table ouvrant l’une des nombreuses portes du conte. Non, rien de tout cela,
nous ne pouvons ni grandir ni rétrécir, il n’y a pas de clé non plus et l’on ne retrouve qu’une
seule et unique porte qui, elle, reste verrouillée.
C’est alors dans ce contexte que nous abordons cette réalité qui est la nôtre, observant à travers
un trou de serrure, constatant avec amertume que le monde ne s’est pas arrêté de tourner pour
autant, ne nous accordant aucune place pour nous épanouir, nous laissant simplement spectateur
et non plus acteur de notre propre existence.
Un homme avisé forcerait les gonds ou la serrure, s’émancipant enfin et découvrant le monde.
Mais le monde nous est inconnu. Et l’inconnu effraie.
De nos jours, l’homme n’est plus un aventurier, et il se complait dans cette sédentarité et cette
monotonie qu’est son quotidien : un travail, des amis, une famille, et les jours passent et se
ressemblent.
C’est donc ce même schéma que nous respectons constamment, continuellement,
perpétuellement, inlassablement. Notre travail, rester en vie sans sombrer dans la folie. Nos
amis, l’espoir et l’imagination. Notre famille, un cerbère toujours à l’affût.
Mes enfers à moi ont été multiples mais encore une fois mes souvenirs se sont altérés avec le
temps.
Je me rappelle toutefois avec précision la geôle de mes dernières années de captivité : une
chambre rabaissée à son utilisation la plus sommaire. C’était une pièce de taille moyenne
comme l’on en trouve dans tous les domiciles, hormis que sa seule particularité était que chaque
issue était barricadée, de la porte à la fenêtre. Une porte close verrouillée à clé et des volets
cadenassés. Je me souviens toutefois avoir toujours eu le confort minimal essentiel à ma survie :
un lit de camp pour dormir, un bureau pour les devoirs et les repas lorsque ma geôlière me
déposait mon plateau, et enfin une simple armoire. Toutefois, je puis tout de même me vanter
que les commodités se trouvaient directement dans la chambre, peu d’enfant de cet âge ne
pouvait en dire autant. Pour le reste, les murs étaient sobres, aucune décoration ou poster ou
affiche, pas d’effet personnel – sauf peut-être un dictionnaire, mais qui je crois ne m’appartenait
guère – ni même de jeu, jouet, babiole, broutille et j’en passe.
Ce qui m’a le plus marqué – et qui me marque encore – c’est l’odeur que dégageait cette pièce,
ou plutôt l’odeur que dégageaient mes commodités : une odeur forte, acide, qui brûle la trachée
à chaque inspiration, une pestilence indescriptible mais qui devient tout à coup le quotidien, et
donc devient normal et supportable.
« Normal ? Mais il n’y a rien de normal à cela ! » me répondrez-vous peut-être. Avec le recul
et un regard nouveau, je comprends maintenant que ce ne l’était pas, mais avec mes yeux
d’enfants et face à cette marâtre ce paradoxe est devenu ordinaire et devint donc peu à peu ma
réalité.
Loin de moi l’idée d’avoir un discours accusateur, mais plutôt de dépeindre des situations
mortifères encore totalement méconnues du grand public. La difficulté dans ce genre de
situation est l’ignorance totale des gens autour, témoins directs ou indirects, et de leur inaction
face à des indices ou des actes plus que flagrants. Chacun ne cherchant pas à voir plus loin que
le bout de son nez, j’ai toujours eu cette idée loufoque de vouloir qu’en tout individu se cache
un Cyrano, qui leur permettrait d’avoir une vision plus lointaine de la situation et donc
éventuellement d’agir.
Mon but autour de cette entrée en matière est de situer l’aspect émotionnel à partir des yeux
d’un enfant qui ne comprend pas mais qui accepte en tout état de cause car son quotidien en
devient d’une banalité déconcertante et n’est donc pas sujet à controverse.
Faisons une petite analogie : dans notre société actuelle, la normalité est dictée par la majorité.
La majorité estime qu’une femme mince est un standard de beauté, donc une femme
plantureuse, même avec de belles rondeurs, manquera toujours de considération aux yeux de
tous. C’est ce qu’il se passe pour ces enfants pour qui, si aucune action extérieure ne permet de
leur démontrer que ce qui leur arrive est sanctionnable, la violence – physique et psychologique
– devient un quotidien supportable et un mode d’éducation constructif.
Il faut rappeler que de nombreux enfants meurent à travers le monde sous les coups de l’un ou
des parents et que cette situation est inacceptable. J’accuse bien entendu ces comportements
majoritairement concentrés dans des pays moins développés que la France, mais rappelons tout
de même que les statistiques – non vérifiées – parlent également de 2 décès d’enfant par an en
France, dont une partie serait sous les coups d’un ou plusieurs membres de la famille.
C’est cette difficulté à quantifier le nombre réel d’infanticides au sein de la cellule familiale
ainsi que l’absence d’actions concrètes de la protection de l’enfance et de l’adolescence – mises
à part leurs campagnes d’information et de sensibilisation – associées à l’ignorance et l’inaction
de chacun qui font que la maltraitance infantile n’en devient qu’une idée abstraite que l’on se
refuse à croire.
De nombreux efforts demeurent nécessaires afin de faire évoluer les consciences et protéger
plus efficacement les enfants victimes de maltraitances, d’abandon, d’humiliations,
d’indifférence, car une prévention active contrecarrera peut-être, je l’espère, plus facilement,
l’issue fatale que peut-être la mort.
Pour ma part, je me considère bien évidemment comme une victime. Une victime de violences,
certes, mais aussi une victime des dysfonctionnements de la protection de l’enfance et de
l’adolescence.
Je ne prétends pas non plus avoir le pouvoir de changer les choses, mais j’ai tout du moins la
modeste ambition de porter au monde la parole silencieuse de tous ces êtres invisibles qui se
sentent coupables et qui se complaisent donc dans la souffrance malgré eux.
A l’évidence, ce message leur est adressé mais il est surtout incontestablement dirigé vers les
acteurs entravés du système et vers les spectateurs silencieux de ces comportements que j’oserai
qualifier d’inhumains.
A toutes et tous, enfants ou adultes, amis ou ennemis, proches ou inconnus, professionnels ou
non, citoyens et citoyennes, sachez qu’il n’existe aucune délation dans ce genre de situation.
Rappelez-vous qu’il n’y a pas de fumée sans feu, et donc que le doute ne peut être toléré.
La maltraitance existe sous de nombreuses formes, elle ne fait pas de distinction en fonction de
la classe sociale ou de l’environnement familial, elle est partout, elle touche tout le monde.
Embryon, fœtus, nourrisson, bébé, enfant, adolescent, adulte, senior, la maltraitance ne fait pas
non plus de distinction d’âge.
Cet ouvrage se veut informatif – et non pédagogique ou didactique -, à destination de tous, afin
de mieux comprendre et de protéger au mieux nos générations futures.
Ce message s’adresse maintenant à toutes les victimes, de quelque nature que ce soit : l’espoir
existe, ne vous renfermez pas, parlez-en, osez vous défendre et dénoncer, et surtout, pensez à
vivre tout simplement et non plus survivre.
CHAPITRE 1

Ma naissance. Je m’en souviens comme si c’était hier. Un instant magique où tous les sens se
développent dans un tourbillon de sensations inconnues, effrayantes, douloureusement
agréables mais encore totalement abstraites.
J’aurais aimé pouvoir affirmer les phrases susmentionnées, mais il n’en est rien. Je ne vais
pouvoir dépeindre les détails de ma naissance qu’à partir des différents témoignages et
documents recueillis au fil des ans.
Je suis donc né tout naturellement par voie basse, prématurément – d’aucuns disent d’un mois
et demi mais d’autres trois semaines – et avec beaucoup de difficultés.
L’insouciance et la jeunesse de la femme qui m’a mis au monde l’ont conduite à vivre une
histoire passionnelle avec un jeune homme dont elle était éperdument amoureuse, à une époque
où le SIDA et les préservatifs étaient encore des sujets tabous et que l’éducation sexuelle était
beaucoup moins présente dans l’enseignement scolaire que de nos jours.
Passionnelle, disais-je donc. La passion brûle, nous consume, la chimie opère et l’acte charnel
se produit dans toute sa spontanéité et sa beauté, jusqu’à en oublier les « conséquences », aussi
bien pathologiques que maternelles.
Je suis donc le fruit d’un amour inconditionnel, mais un amour inconditionnel d’adolescents,
inconscients de tout ce que peut impliquer la concrétisation d’une passion dévorante.
Ainsi la vie reprit son cours, les amis, les amours, les études, et bien d’autres choses que l’on
aime à faire lorsque l’on a dix-huit ans.
Cinq mois et demi durant, le quotidien de cette jouvencelle a continué à être rythmé par une
jeunesse innocente, tentant les expériences et les excès en tout genre comme tout adolescent
qui se respecte, sans se soucier que son cœur battait dorénavant pour deux.
C’est donc au terme de cette période que cette nouvelle s’abattit avec fracas dans cet esprit
encore juvénile, immature et incapable de concevoir la réalité de cette annonce. Comment
envisager l’avenir avec une telle responsabilité lorsque l’on déborde de projets ? C’est ce qu’a
dû affronter malgré elle cette étudiante.
Une feuille d’automne attachée à sa branche et luttant avec impétuosité, résistant aux violentes
bourrasques d’un vent qui ne souhaite qu’une chose, la tenir en échec afin de la voir se détacher
de toute sève.
J’étais donc un squatteur, lui demandant énormément de ressources, l’épuisant, et surtout je
pense, transformant son aspect physique pour lequel cette dernière accordait beaucoup
d’importance.
En effet, ayant toujours été une très belle femme, au physique avantageux, toujours bien
apprêtée et soignée en tout point, se retrouver autant altérée corporellement fut un choc
intolérable et une aversion pour ce petit être, cet intrus, se mis à s’immiscer peu à peu dans son
esprit.
Paradoxalement, cette grossesse non désirée se déroula sous les meilleurs auspices jusqu’à
mettre bas la fameuse progéniture.
Je naquis donc dans les meilleures conditions médicales possibles, certes, mais l’accouchement
fut une épreuve tant pour la mère que pour l’enfant. Cette répugnance à l’égard de ce parasite,
associée à la concrétisation de son existence lors de l’acte d’expulsion, a fortement compliqué
sa sortie. A tel point que l’esprit prit le dessus sur le corps et empêcha l’évacuation de son
contenu. Peut-être était-ce simplement dû au fait que si rien ne sortait alors cela ne pouvait
exister. Ou bien peut-être que l’objet, non désiré depuis ces quelques mois, ne souhaitait pas
être confronté à ce roc insensible et dénué d’amour pour lui.
Tant et si bien qu’il a été décidé d’anesthésier complètement, de manière générale, la patiente
afin de pouvoir extraire manuellement et mécaniquement, à l’aide d’outils adaptés, cette tumeur
importune mais pourtant bénigne. Il fût donc bon d’utiliser la méthode des forceps - ces deux
grosses cuillères froides venant s’écraser sur votre crâne encore mou – afin d’en extraire ce
petit humanoïde, avec succès. Puis le silence. Rien. Aucun cri. Aucun son. Rien. Des regards
s’échangent, s’interrogent, s’inquiètent ; puis surviennent enfin les réactions, les réflexes
médicaux, les premiers soins, en vain. En vain, oui, car mise à part une jaunisse, tous les signes
vitaux confirmaient la bonne santé physique du nourrisson. La mère, sous anesthésie générale,
n’a pu bénéficier et profiter du premier contact. Si j’avais été un oiseau, la sage-femme serait
actuellement à mes yeux ma mère. Le mutisme de ma naissance a été comme l’expiration
silencieuse d’un mourant bien que paradoxalement ce fût ma première inspiration, instant
généralement douloureux, comme si inconsciemment j’avais déjà accepté la future douleur de
mon existence.
Arrivent donc le moment des premières vérifications. Un bébé d’un poids et d’une taille
corrects. Toutefois, de mauvais résultats furent mis en évidence lors du test d’APGAR, test
consistant à apprécier la vivacité du nourrisson à la naissance selon la couleur de peau
(Apparence), le rythme cardiaque (Pouls), la réactivité (Grimace), le tonus (Activité), ainsi que
la respiration (Respiration) ; le résultat total donnant une idée globale de l’état de santé du
nouveau-né qui sera fonction de la note attribuée – la note maximale étant de dix et le seuil de
détresse étant un score au-dessous de sept –, cette dernière pouvant être lourde de conséquences
si celle-ci n’atteint pas les objectifs attendus par le corps médical. Ces mauvais résultats
associés à la jaunisse furent donc mon premier laisser-passer me donnant droit à ma toute
première expérience d’enfermement.
Seulement quelques heures d’existence et déjà « séquestré » en couveuse pour soixante-douze
heures. Telle une statue de cire animée ou une ekphrasis exposée aux yeux de tous ces esthètes
hospitaliers.
Il faut donc rappeler à cet instant précis que la mère n’a encore aucune conscience de la pleine
réalité de cette nouvelle maternité non « consommée » en raison de son anesthésie générale et
de mon isolement.
Soixante-douze heures durant, j’eus droit à une attention toute particulière jusqu’à enfin
retrouver la femme qui m’avait donné la vie. Cette dernière, complètement désemparée
initialement par sa grossesse, se retrouva malgré elle face au contenu qui avait élu domicile au
sein de ses entrailles, pour lequel un simple contact physique était encore inconcevable tant à
ses yeux je ne pouvais que lui évoquer un corps étranger dont elle avait pensé, qui sait, pouvoir
s’en décharger. Le premier contact fût donc visuel, sans que pour autant mes regards insistants
me soient rendus. Les contacts physiques, eux, étaient maladroits, inexpérimentés, dédaigneux.
Bien que cette femme ait eu le temps de prendre conscience de sa maternité, l’indifférence à
l’égard du fruit de son erreur de jeunesse n’a fait que fomenter le dédain porté à ce rejeton ;
peut-être cette fois-ci la pomme serait-elle tombée trop loin de l’arbre. Il n’empêche que j’eus
développé à nouveau un ictère me renvoyant en isolement pour quelques jours, mettant fin aux
maladresses tactiles et au calvaire physique de la mère porteuse.
C’est donc au bout de six jours que la maternité s’acheva, sans conseils de puériculture, sans
réels contacts physiques, sans relation structurée, sans suivi, rien.
Et c’est ainsi que la mère et son enfant quittèrent donc la maternité pour s’en aller charpenter
leur nouvel avenir ensemble.
CHAPITRE 2

L’histoire prend maintenant place dans une ville de taille moyenne, ni trop grande ni trop petite,
avec ses quartiers favorisés et défavorisés, aisés et moins aisés, tranquilles et agités, abritant
une population de toutes classes socio-professionnelles confondues ; bref, une ville française ni
plus ni moins banale, bien qu’appréciée par Charlemagne en personne.
Une petite forteresse dont les frontières sont délimitées par ces imposantes murailles que sont
les nombreux HLM qui composent ce fief.
Ma mère vivait donc dans l’un de ces quartiers considérés comme « malfamés », dans un petit
appartement situé juste sous celui de sa mère, ma grand-mère.
Dans un quartier aussi populaire, être mère à dix-neuf ans n’est pas de tout repos, même malgré
l’extrême solidarité que l’on retrouve au sein de ces « zones de non droit ».
En effet, à cette époque et dans ce climat, la famille est d’une importance capitale, certes, mais
fait surtout l’objet d’un traditionalisme et d’un conservatisme quasi extrémistes.
Tout commence par des brimades, des insultes, de la violence, du dédain, et l’on finit par se
replier sur soi-même et se cloîtrer chez soi.
Mais une fois chez soi, l’impact fracassant des responsabilités parentales ressurgissent avec
véhémence. Je n’étais qu’un nourrisson qui demandait un minimum d’affection, je me
manifestais donc de la seule manière qui m’était accessible, comme tout bébé qui se respecte,
les pleurs.
Ma mère, ayant très peu d’attrait pour la puériculture en général, voire un désintérêt total,
expliquera bien plus tard n’avoir aucune connaissance des besoins et des réactions d’un bébé.
J’étais, d’après ses propres mots, « un enfant peu gratifiant, pleurant beaucoup, exigeant avec
elle, cherchant trop souvent ses bras ». Elle avouera également « couvrir les pleurs en
augmentant le son de la chaîne stéréo et en m’isolant seul dans ma chambre ».
Rapidement, j’apparus comme un frein, une entrave, une charge contraignante la limitant dans
ses sorties et dérangeant sa vie insouciante de jeune femme. Elle en vint même à se demander
si je n’étais pas suffisamment - malgré mes quelques jours – intellectuellement conscient de
mes actes, cherchant volontairement à l’ennuyer et à la persécuter par mes « caprices ».
Ajoutons à cela un climat familial et personnel oppressant et chaotique, puis vous obtenez une
bombe à retardement.
Avec du recul, mon âge actuel, mes différentes expériences et ma récente paternité, je pense et
j’ose dire qu’il y a eu une faille dans le suivi à la maternité. Bien qu’en aucun cas je ne défende
ou accepte les lignes qui vont suivre.
Comme je le disais plus haut, une bombe à retardement. Et le minuteur n’a pas laissé
suffisamment de temps pour ne pas être victime de la déflagration.
15 janvier 1991, un soir comme tout autre, l’heure du bain. Une scène trouble, sans détails
précis, sans souvenirs personnels pour ma part, et de nombreux témoignages ne dissipant pas
clairement le brouillard autour du tableau qui va suivre.
Ma mère m’a toujours dépeint cette histoire comme un banal accident domestique : d’après son
inexpérience, elle a toujours pensé que les bébés adoraient flotter dans l’eau – ce qui je suppose
n’est pas complètement faux – et qu’elle aurait préparé le bain en conséquence. Ce bain, ou
devrais-je dire cette piscine à mes yeux, a donc été le théâtre d’un accident malencontreux pour
ma mère, qui se solda par une noyade. La réaction de la sœur de ma mère, ma tante, fut sans
appel : elle me saisit contre le gré de ma mère et m’emmena sans attente aux urgences
pédiatriques à l’hôpital se trouvant à quelques cinq-cents mètres du domicile et dans lequel
cette dernière était salariée en tant qu’employée technique de laboratoire.
La version de ma tante, quant à elle, pencherait plus vers une version moins accidentelle : ma
mère aurait été en train de me donner un bain brutalement durant lequel cette dernière me
retenait intentionnellement la tête sous l’eau ; bref, une tentative d’infanticide, n’ayons pas peur
des mots. S’ensuivit une altercation entre sœurs à l’issue de laquelle ma tante réussit tant bien
que mal à saisir mon petit corps chétif afin de m’emmener aux urgences pédiatriques.
Enfin, pour ce qui est de la version purement médicale, il semblerait que lors de mon admission
aux urgences, il aurait bien été établi que j’avais fait sans aucun doute l’objet d’une tentative
de noyade, les nombreuses ecchymoses retrouvées sur mon corps laissant présager d’une
certaine cruauté envers ce petit être, devenu un patient malgré lui.
S’ensuivit donc ma toute première hospitalisation.
Je fus alors hospitalisé en service de néonatalogie pour négligence et violences faites sur
mineur.
Premières constations : suspicion d’un syndrome de Silverman au vu des ecchymoses, de mon
teint « marbré », pour reprendre les termes de mon dossier médical, et d’une absorption
conséquente d’eau savonneuse.
Durant cette hospitalisation, ce qui a interpellé le corps médical a été - plutôt que les sévices
corporels - les dégâts psychologiques inattendus sur un patient de cet âge.
En effet, des troubles du comportement ont été mis en évidence, notamment la fuite de tout
contact visuel avec l’adulte, un comportement inquiet et constamment agité, accompagnés de
pleurs incessants.
Ma remise sur pieds – si j’ose dire, pour cet âge – a été relativement rapide et efficace. Je pus
donc être à nouveau confié à ma mère au bout d’environ deux mois.
A cet instant, je me permets à nouveau une parenthèse pour dénoncer les failles du système de
la protection de l’enfance, département apparaissant en grande difficulté et mis de côté par
l’Etat malgré l’urgence de la situation actuelle, à mon humble avis. En effet, après mes
nombreuses enquêtes, à aucun moment je n’ai pu vérifier ou confirmer si une assistante
maternelle ou éducative avait pu être mandatée pour venir en aide à ma mère, toujours aussi
désemparée à l’idée de s’occuper de moi et de répondre correctement à mes besoins sans risque
pour ma santé ou bien même ma vie.
Seule une date semble se détacher du reste : le 12 février 1991, date à laquelle une enquête
sociale aurait été ouverte, sans plus d’informations à ce sujet.
Mon hospitalisation, vu mon très jeune âge, s’apparenta donc plus à du maternage qu’à
prodiguer des soins. Grossière erreur que de dire cela ! Les marques physiques sur mon corps
et les pathologies dont j’étais victime ont dû faire l’objet d’un suivi et d’un traitement médical
qui ont été d’une exceptionnelle efficacité.
Mais remontons un peu dans le temps. Il n’a jamais été question jusqu’à présent de réelles
négligence ou maltraitance, rien n’avait été finalement réellement établi, le raccourci a été fait
par le corps médical au vu des « indices » retrouvés sur mon corps, mais pas seulement.
À la suite de mes nombreuses recherches, j’ai pu apprendre que du 19 décembre 1990 au 1er
janvier 1991, fête de la St Sylvestre, je fus « confié » à ma grand-mère maternelle afin de laisser
à ma mère l’occasion de « s’aérer ». Traduction : continuer à vivre pleinement son adolescence.
De retour au domicile maternel, le constat fut sans appel : amaigrissement, perte de masse,
ecchymoses apparaissant sur le corps – dus à de regrettables « accidents » d’après les
explications de ma mère – et notamment une sur la joue gauche précisément ; c’est donc cette
dernière qui alerta les médecins et donc les instances sociales.
Un amalgame grossier pourrait être fait et n’hésitons pas à le faire : quatorze jours sans incidents
et avec un développement normal pour un bébé qui tout à coup, de retour chez la mère, se
retrouve à être hospitalisé. En commerce, l’indice de corrélation en serait à son paroxysme.
La parenthèse achevée, revenons-en à cette hospitalisation si déconcertante pour un enfant de
cet âge : une fois les pathologies traitées, le vrai travail allait pouvoir démarrer.
J’ai été suivi durant tout mon séjour par une spécialiste en psychomotricité infantile en raison
de ma méfiance à l’égard des adultes et de la tonicité physique anormale dont je faisais preuve.
Impossible de « m’abandonner » dans les bras d’un adulte, impossible de reposer ma tête en
position couchée, impossible d’agripper mon regard tellement ce dernier était fuyant ; seuls les
objets semblaient attiser ma curiosité.
Tout un processus a donc été mis en place afin d’éviter que je me perde dans les méandres de
l’autisme, j’ai été constamment stimulé, bousculé, confronté aux adultes et à un environnement
agressif pour ma part. Tant et si bien que la docteure à réaliser un travail formidable et m’a
ouvert au monde extérieur.
Dorénavant, mettons de côté l’aspect médical et les traitements, et concentrons-nous sur le
déroulement social – si j’ose dire – de cette séparation du domicile maternel.
Les visites allaient bon train. Ma mère se déplaçait régulièrement – pour ne pas non plus dire
quotidiennement – afin d’apprendre à s’occuper d’un enfant : le bain, le biberon, les couches,
toutes ces choses contraignantes à ces yeux mais qu’elle accepta d’effectuer sans aucune
réticence.
Cela paraîtrait normal pour toute mère, pourquoi devrais-je préciser qu’une femme, dans son
rôle de mère, vienne visiter son enfant ? Simplement pour prouver sa bonne foi et ne pas en
arriver à une conséquence sociale du fait de la gravité de l’événement. Oui, ma mère craignait
qu’on lui retire ma garde et que l’on me place, sachant que cette solution, dans ce cas précis,
était inévitable.
L’assistante sociale a évidemment été mise au courant des faits et des propositions de suivis
psychologiques ont été formulées auprès de ma mère, refusant catégoriquement chaque main
tendue, chaque solution, chaque dialogue, chaque conseil.
Dans son esprit perturbé, j’étais son enfant, sa poupée, sa chose, personne n’avait le droit ou le
privilège de prendre sa place.
Peu à peu je pris de la masse, souris et réagis aux autres, gazouillai. Ma mère s’impliquait, mais
toujours avec un certain recul. Elle apprenait les gestes, elle apprenait le bain, elle apprenait le
change, mais elle n’apprenait pas à être une mère. Elle aurait certainement pu valider des
compétences d’assistante maternelle grâce à toutes ces connaissances acquises, mais ce qu’on
lui demandait était bien plus complexe et abstrait pour elle : être mère demande à avoir de
l’affection d’une part, mais surtout de créer une vraie complicité mère-enfant, qui a toujours été
inexistante.
Les visites quotidiennes n’étaient donc qu’un stratagème pour me garder en sa possession.
Bien loin d’être dupes, les médecins ont chaque fois proposé des suivis psychologiques, ont
chaque fois proposé de participer aux séances de psychomotricité, ont chaque fois bien insisté
sur la nécessité d’établir un vrai lien avec moi. Sans succès, toujours réfractaire.
À la suite de ces nombreuses sollicitations du corps médical, nous pourrions même affirmer
qu’une certaine paranoïa s’installa progressivement en elle : on allait lui enlever la seule chose
qu’elle avait parvenu à mener à terme jusqu’à présent, dans sa courte existence.
Heureusement pour moi je pus m’accrocher à ma tante et à ma grand-mère, qui elles m’ont
stimulé, m’ont donné de l’attention. Avec elles, je souriais, je communiquai, tant et si bien que
ma mère en devint même jalouse. Personne, je ne dis bien personne, à ses yeux, n’avait le droit
mise à part elle de réussir là où elle échouait sans cesse, ne comprenant pas que la stimulation
de l’enfant était bien plus importante que d’apprendre à simplement me torcher.
25 février 1991, second retour au domicile.
CHAPITRE 3

7 mars 1991, seconde hospitalisation. Ma mère, dans un élan de conscience rare si l’on s’en
réfère au portrait psychologique dressé par le personnel hospitalier et la caractérisant – « jeune
et immature, instable, isolée, fragile psychologiquement, violente à l’égard de son enfant » - a
envisagé cette seconde séparation comme étant bénéfique autant pour moi que pour elle-même.
Les troubles relationnels constatés entre la mère et l’enfant m’ont conduit à me retrouver,
d’après les termes médicaux, dans un état « apathique » et en « hypotonie générale ». C’est
alors que j’en vins à me faire réadmettre en service de néonatalité avec à nouveau un suivi
particulier en psychomotricité.
Ce suivi, bien que motivé par les symptômes évoqués ci-dessus, a été surtout décidé très
rapidement en raison d’un autisme naissant à la suite des nombreuses négligences et violences
subies.
A nouveau, une psychomotricienne – ou plutôt une héroïne pour ma part - me pris donc en
charge.
Ne serait-ce qu’au bout d’un mois les progrès furent apparemment spectaculaires : je remuais,
répondais aux regards, souriais et balbutiais.
Malgré ces nombreux progrès et le maintien de suivi en psychomotricité, un seul détail
manquait toujours à l’appel : le lien psycho-affectif mère-enfant, le vrai et impérissable lien
maternel.
Tout simplement avais-je peut-être déjà coupé le cordon ? Nul ne le sut, ne le sait, ou ne le
saura.
Je ne m’attarderai pas plus sur cette seconde attention médicale particulière car le même
scénario se répéta et aucune seconde chance ne fût accordée à ma mère pour cette fois.
Et c’est ainsi que cette seconde alerte ancra le point de départ de ma vie future.
Pourtant, ce n’est pas encore le moment de conter ces futures tribulations.
En effet, si votre lecture a bien été attentive, vous aurez certainement remarqué qu’il manque
un protagoniste essentiel à cette histoire : le géniteur.
Petit rappel de science : il est biologiquement établi depuis la nuit des temps que la reproduction
d’une espèce ne peut être obtenue que par la fusion d’un spermatozoïde – apporté par le genre
masculin – et d’un ovule – apporté par le genre féminin -. Du fait de leur fusion, ces derniers
se transforment en une cellule-œuf, laquelle, par de nombreuses phases complexes, va se
développer en un petit embryon qui deviendra un bébé au terme de la gestation.
Il existe donc un père, quelque part, ne prenant pas ses responsabilités, qui n’a toujours pas fait
son apparition dans le récit, ni même avant ni même après l’accouchement.
Cette figure paternelle aurait visiblement tenté de me rencontrer, de me rendre visite, de venir
me voir. Mais à ce sujet, que très peu d’informations n’ont pu être retrouvées ou m’être
confiées.
Tout ce dont il faut retenir, c’est que la paternité de ce jeune homme, même sans test génétique,
était bien plus qu’avérée, comme ont pu me le conter les différents membres de sa famille
paternelle. Comment ses ascendants auraient-ils pu avoir des soupçons sur la situation et pas
même leur propre fils ? J’estime être en droit de me questionner sur une possible préméditation
d’abandon ; encore faut-il que pour abandonner il reste nécessaire de reconnaître l’enfant avant.
Je resitue donc la situation : une mère désemparée et instable, deux hospitalisations - avec
pronostics vitaux engagés - sans lesquelles un autisme se serait développé, une figure paternelle
inexistante mais pourtant bien au fait de sa paternité – qu’il ne souhaitait clairement pas assumer
- et des difficultés socio-psychologiques rencontrées par ma mère.
Qu’a donc fait ledit géniteur ? Et bien tout simplement, aucune reconnaissance à la mairie donc
aucune responsabilité paternelle envers moi, et une continuité de vie d’adolescent quotidienne
bien plus que banale et dénuée de toute culpabilité envers son « fils », malgré son évidente
participation à ma conception.
Sans compter que bien plus tard tout le monde me répondra que s’ils avaient su, rien de tout
cela ne serait arrivé. Mais nous sommes là face à un véritable secret de polichinelle, personne
ne l’ignorait, bien au contraire, mais personne n’a réagi. Bref, une abominable hypocrisie
parfaitement orchestrée.
C’est donc au terme de cette seconde hospitalisation que je finis par être confié à une famille
d’accueil, dont la mère était une assistante maternelle reconnue et agréée par l’Aide Sociale à
l’Enfance, lorsque j’avais approximativement six mois d’existence, en avril 1991.
C’était une famille somme toute ordinaire, un couple marié, deux enfants, un garçon et une fille,
cette dernière étant l’aînée.
Cette aînée - encore une fois d’après certains témoignages oraux - m’avait réellement et
sincèrement accepté comme second « petit frère ».
C’est ainsi que je passai deux années au sein de cette famille honnête, simple, et bien sous tous
rapports.
Je n’ai malheureusement aucuns souvenirs de cette période, seuls de brefs « flash » que je ne
saurais déterminer si ces derniers sont réels ou purement issus de mon imagination, c’est
pourquoi je ne pourrai m’attarder sur cette période brumeuse de mon enfance.
Si je ne pouvais me fier qu’à mes souvenirs, il m’a donc fallu mener l’enquête. Une
investigation me permettant de retrouver le « père » de substitution qui m’avait accepté tel un
« fils ».
Cette période de ma vie m’a été racontée de nombreuses fois par ma mère en des termes
extrêmement négatifs. D’après elle, je manquais de tout : nourriture, vêtements, affection, etc…
Je me rappelle qu’elle me racontait qu’à cette époque elle passait tout son temps libre, en dehors
de ses cours, avec moi, pour me promener, créer des liens, me parler, m’enlacer, toutes ces
attentions qu’elle n’avait jamais eues pour moi et qu’on lui avait conseillé de faire. Toutefois,
sans la partie « contraignante » de devoir subvenir à mes besoins matériels et nutritionnels.
Comme je tiens à le rappeler, je relate des faits recoupés par des témoignages de différents
acteurs de ce récit.
Si par ailleurs l’on s’attarde sur les différents comptes-rendus de l’Aide Sociale à l’Enfance,
ma mère se désintéressait totalement de moi et refusait tout rendez-vous ou toute solution
d’accompagnement, tant psychologique que maternel.
Cette mère souhaitait être très présente – du moins aux prémices de ce placement – mais n’a
finalement donné signe de vie que 5 à 6 fois sur une période de 3 à 4 semaines alors que la
décision qui avait été prise concernant ce placement avait été d’une visite de deux heures
hebdomadaires convenues les samedis. Il n’empêche qu’une très jeune adulte, voire
adolescente, a bien entendu d’autres projets plus intéressants que de perdre deux heures avec
un bébé non désiré et trop contraignant dans les besoins exprimés par ce dernier. Certainement,
selon elle, deux heures de pouponnage sacrifiées au profit d’un pomponnage en vue de ses
soirées Saturday Night Fever.
Comme je le soulignais donc, « l’investissement » de la « mère » envers son « enfant » a été un
échec complet.
Ce désintérêt total de sa part a fini par avoir une certaine conséquence, et pas des moindres :
mon premier mot aurait été « maman » - comme le rêve de toute mère - mais adressé à ma mère
d’accueil et non à ma mère biologique.
Paradoxalement, cette nouvelle a eu un écho incroyablement douloureux pour ma mère, d’une
violence inouïe mais méritée. Ma mère développa donc une jalousie malsaine envers cette
femme qui ne faisait que son travail et qui par ailleurs m’expliquait déjà bien à l’époque, malgré
mon jeune âge, qu’elle n’était pas ma « vraie » mère, en tout cas pas ma mère biologique. Déjà
à l’époque on me poussait dans les méandres incompréhensibles d’une maternité multiple :
mère biologique, mère d’accueil provisoire, etc…
Je ne sais si cet événement a déclenché la stupidité déconcertante des agissements à venir de
ma mère, mais il y eut un jour où ma famille d’accueil reçu un appel téléphonique d’un ami de
ma mère – probablement mon père présumé – le 6 mars 1992 précisément, très inquiet de la
nouvelle apportée par ma mère l’ayant informé de mon décès à la suite d’une chute accidentelle
au domicile de ma famille d’accueil. Bien entendu il n’en était rien, je ne serais pas en train de
maltraiter les touches de mon clavier à cet instant précis dans ce cas.
Cet événement soulève des questions : l’état psychologique de ma mère tout d’abord – souffrant
d’épisodes psychotiques, mais nous y reviendrons plus tard -, puis la raison de ce mensonge :
cherchait-elle à me rendre présumé mort afin de me garder égoïstement et mettre fin à toutes
les pressions subies par les enquêtes sociales ? Je ne lui ai jamais posé la question, mais il est
clair que cet événement découle naturellement de la jalousie et de la rivalité – dans l’esprit
dérangé de ma mère - entre cette dernière et l’assistante maternelle.
Il n’empêche que cet ami ayant prévenu la famille d’accueil aurait été informé par ma mère que
ma tombe se trouvait au Luxembourg, lieu auquel il se rendra pour se recueillir, sans jamais
retrouver cette fameuse sépulture. Cela soulève encore une fois la question de savoir s’il avait
conscience de sa paternité. Pourquoi s’y être rendu s’il ne se sentait pas concerné ?
À la suite de toutes ces informations, que j’ai souhaité confirmer et alimenter, j’ai donc tout
bonnement cherché et retrouvé l’homme qui à cette époque fut mon père de substitution du fait
de la profession de sa conjointe, cette dernière malheureusement décédée peu avant.
Ces retrouvailles ont été riches en informations : j’étais un membre à part entière de la famille,
j’ai grandi entouré d’amour, on pourrait même dire qu’une jalousie s’était installé entre
« frères » comme dans toute famille normale.
J’étais face à cet homme, inconnu pour ma part mais avec une expression sur son visage
incroyablement sereine et fière, des yeux non pas larmoyants mais brillants de joie, parfois
même quelques sanglots dans sa voix lorsque ce dernier me racontait quelque anecdote que ce
soit de ces deux années que nous avons partagées.
Toutefois, un fait certain est que j’ai été retiré de cette famille en juillet 1994 pour faute
professionnelle grave. Je cite les propos de l’Aide Sociale à l’Enfance pour justifier de ce
renvoi : « l’enfant est retiré à la famille à l’âge de trois ans et demi pour des raisons de
négligences et de maltraitances ». Je tiens à préciser qu’en aucun cas je n’ai appliqué le pluriel
à ces termes de ma propre initiative, ces propos ayant été repris tels qu’ils ont été mentionnés
dans mon dossier.
Il s’avère toutefois que certaines négligences auraient en effet été commises, mais rien ne
pouvant me mettre en danger. La maison était quelque peu vétuste en raison de travaux de
réaménagement et de remises aux normes, tout simplement. Mais ce fût un motif suffisant pour
me retirer de cette famille aimante. Je me demande encore et toujours quelle aurait été ma vie
si tous ces raccourcis n’avaient pas été pris.
D’une rapidité déconcertante, informée le matin même, ma famille d’accueil a dû se séparer de
moi l’après-midi même, sans aucune préparation, aucun temps d’échange, un meuble que l’on
déménage.
Toutefois, il m’a paru nécessaire de vérifier toutes ces informations et ce témoignage.
Mon enquête me permis de retrouver la trace d’un second dossier me concernant disponible aux
archives départementales, auprès desquelles je fis naturellement une demande de consultation
desdites archives.
A l’arrivée, quelle ne fut ma surprise en constatant qu’effectivement un second dossier – au
moins aussi épais que le premier – existait bien et recensait toutes les enquêtes et décisions de
l’Aide Sociale à l’Enfance.
Nous voici donc à la version moins édulcorée de l’ASE, extrêmement factuelle mais tellement
perturbante. Lire sa propre vie dont on n’a aucun souvenir et apprendre sans préparation
préalable la vérité simple mais la vérité brute.
De nombreux constats et signalements auraient été faits par l’établissement scolaire s’inquiétant
de ma situation au domicile. D’après le personnel éducatif, j’étais forcé de venir en classe en
étant malade ou alors je ne venais pas sans raison apparente pour l’école. Il s’avère que cela
était une punition lorsque je ne déjeunais pas ou que j’urinais au lit.
De plus, ils auraient également remarqué que malgré un comportement tout à fait singulier en
classe j’apparaissais comme négligé, d’une hygiène douteuse assortie de vêtements usagés et
de chaussures trop petites et douloureuses, une alimentation carencée et même jusqu’à des
hématomes.
Une visite impromptue du 8 avril 1994 sera également préjudiciable pour ma mère d’accueil
car je n’étais pas au domicile depuis plus d’une semaine, et cela sans en avoir informé les
services sociaux alors que chacun de mes déplacements doit être au préalable demandé et
déclaré à l’ASE.
À la suite de cela, l’ASE réagit et vint au domicile le 25 juin 1994 pour aborder ces différentes
problématiques, notamment celles recensées par l’école. Cette visite se termina par la
conclusion que ma relation avec l’assistante maternelle comportait une dimension pathologique
qui me serait préjudiciable, incapable d’aborder sa relation avec moi et les services sociaux sans
autre mode que celui du rapport de force.
Depuis cette visite, je ne fus plus scolarisé et les services sociaux décidèrent donc de stopper
net le contrat qui les liait avec ma famille d’accueil le 25 juillet 1994.
Mon existence prit alors une toute nouvelle tournure.
CHAPITRE 4

Je fus donc déporté le jour même, 25 juillet 1994, au foyer AMC Saint Michel, dans
l’agglomération de communes du chef-lieu du département de la Moselle, en la commune de
Scy-Chazelles.
Ce chapitre prend donc place dans une partie floue, fragmentée et morcelée, dont aucun
souvenir ne pourrait se vanter d’apporter suffisamment de matière utile à l’écriture de cette
partie.
Je me baserai donc principalement et majoritairement sur les écrits et comptes-rendus de
l’équipe pédagogique de cet établissement.
Il apparait qu’en début de placement dans cet établissement j’étais un enfant plutôt sociable tant
avec les autres enfants qu’avec les adultes mais dévoilant un certain stress vis-à-vis de la vie en
collectivité ; normal lorsque l’on réfléchit à la manière dont on m’a déménagé dans cette
institution encore inconnue pour un enfant de 4 ans au vu, apparemment, des 3 dernières années
passées dans un cadre familial.
J’étais donc à mon arrivée « très docile, calme, réservé, obéissant ». Voilà les termes employés
à mon égard par le personnel pédagogique, le terme « obéissant » étant déjà à cette époque – et
pour mon âge - plutôt révélateur, les autres y compris. Etant moi-même père à l’instant où
j’écris d’une jeune fille de 5 ans, je peux vous assurer qu’aucun de ces adjectifs ne peut pour le
moment s’employer pour elle, un enfant de cet âge tendant plutôt vers un côté turbulent, voire
espiègle même, passant par des phases de « test » pour connaître les limites à ne pas franchir.
Rien de tout cela pour ma part, je me souviens surtout que les peu de « no children’s land »
étaient mes endroits préférés entre tous.
J’étais en demande d’une famille et j’entretenais des rapports particuliers avec mon référent au
sein de l’ASE, si bien qu’il a prit la décision de se tenir un peu plus à l’écart, ce que je pris
extrêmement mal, tel un second abandon, et me perturba au plus haut point.
Après quelques mois, je me suis révélé impétueux, ayant de grosses difficultés à retrouver mon
calme et paraissant beaucoup plus angoissé qu’à mon arrivée, étant sujet à de nombreux
cauchemars récurrents. La cause de ces changements m’est totalement inconnue, je pense
simplement que ce genre de structure collective, quasi carcérale, a un impact certain sur la
psyché d’un enfant de cet âge.
Les jours, les semaines, les mois passent. Passent et se ressemblent. Me transformant peu à peu
et faisant de moi, malgré mon jeune âge, le plus ancien, le doyen de la structure sociale.
Je fus ensuite sujet à de fortes régressions comportementales, passant d’une énurésie nocturne
et diurne importante à des troubles du langage, d’un syndrome dépressif à de nombreuses et
fréquentes crises d’angoisse. Cet état dépressif me fatiguait, je m’endormais durant les repas.
Petit à petit, des symptômes physiques se sont fait ressentir.
Afin de resituer le récit, cela fait maintenant plusieurs mois que je côtoie au quotidien d’autres
enfants avec de nombreux problèmes également. Un effet de mimétisme se serait appliqué et
afin de « m’intégrer », les manifestations violentes restaient le seul moyen d’entrer dans un
cercle et de recevoir en retour une reconnaissance de ses pairs. Oui, la violence est omniprésente
dans ce genre d’institutions et la loi du plus fort est donc la seule loi autorisée entre enfants afin
de hiérarchiser le pouvoir en place.
Pour ma part, je n’ai aucun souvenir d’une certaine violence de ma part, sauf d’un épisode –
pur produit de mon imagination peut-être – où je me revois à califourchon sur l’un de mes
camarades et l’asséner de coups toujours plus violents. C’était un bon camarade, on jouait
ensemble à se confectionner des arcs et des flèches à partir de branches que l’on retrouvait à
terre. J’avais mis tout mon cœur dans la confection et la taille de mes flèches. Jaloux de la
« qualité » de mon travail, il se saisit de ces dernières, ce qui entraina une montée brûlante en
moi que je ne saurais expliquer ou détailler. Mais il en ressort que je me retrouvai la seconde
d’après sur lui, le frappant encore et encore, avec mon arc en main, jusqu’à lui atteindre l’œil.
Mon souvenir est certainement quelque peu différent de la réalité mais je peux affirmer que
cette violence fulgurante a été l’une des conséquences de la vie dans cet établissement.
Les brimades, les coups, la collectivité, la privation d’intimité, tout cela façonna le garçon
violent que je devins.
Sans compter les sanctions appliquées. Un autre souvenir, ou « flash », où je me rappelle avoir
pris une sacrée douche froide lorsque le veilleur de nuit m’a puni pour avoir discuté avec l’un
de mes camarades durant le coucher. Lorsque je parle d’avoir pris une sacrée douche froide,
c’est bien entendu au sens propre du terme : nu, sous la douche, arrosé de toute part par de l’eau
glacée sous la bienveillance du veilleur de nuit. Toutefois, on peut tout de même noter qu’aucun
sévice « physique » ne nous a été appliqué. Je me demande si cet acte serait répréhensible de
nos jours, puisque nous allons jusqu’à interdire la fessée, chose absurde même pour une
personne avec mon expérience, c’est dire l’inutilité des décisions prises par l’état et leur
inefficacité concernant la protection des enfants.
Il s’avère donc que d’un enfant tout à fait docile et heureux, je devins – si nous faisions la
comparaison – manager dans l’organigramme de notre système hiérarchique bien à nous, donc
un bourreau à mon tour.
Mais plutôt que de dresser un portrait négatif de ces institutions, nous pouvons également mettre
l’accent sur le travail formidable et sans demi-mesure effectué par les éducateurs spécialisés.
Et puis des moments cocasses aussi, pour lesquels j’en ris aujourd’hui. Je me rappelle un Noël
en particulier car j’avais demandé un ordinateur Vtech. L’impatience me gagnait de plus en
plus, jusqu’à l’arrivée du « Père Noël » : un homme noir, lunettes de soleil sur le nez et baskets
aux pieds. Bon, avouons-le, le mythe du Père Noël était brisé depuis bien longtemps pour ma
part, mais sa présence signifiait que l’objet tant attendu allait enfin arriver. Vint mon tour de
déballer mon ordinateur Vtech. Quelle ne fut ma déception lorsqu’une fois le paquet ouvert je
trouvai à l’intérieur de celui-ci un set Polly Pocket, jouets féminins par excellence à l’époque.
Je crois que c’est en partie depuis ce jour que je déteste Noël et toutes les fêtes en général.
Aimer et offrir n’a pas besoin de date précise.
Après ce petit interlude, revenons à l’enfant et au placement.
Ayant donc été arraché à ma famille d’accueil et placé en établissement aussitôt, j’étais
complètement perdu entre le fait d’avoir pris « perpette » ou de retrouver une famille un jour.
Le plus perturbant c’est qu’à aucun moment je ne pensais à ma famille biologique mais bien à
une nouvelle famille d’adoption tout en recherchant l’amour et l’intérêt de ma mère. C’est cette
ambivalence qui a entrainé un dégoût et une indifférence complète envers les autres, et par la
suite ma mère.
En effet, ma mère avait refait sa vie et n’avait plus donné signe de vie de janvier 1993 à février
1995, se désintéressant complètement de son premier enfant. Ce désintérêt a alerté l’équipe
pédagogique et une proposition d’article 350 du Code Civil a été mis en place. Cet article me
permettant d’être reconnu comme enfant abandonné et me donnant droit au statut d’enfant
adoptable.
Il est rapporté dans mon dossier que je réclamais constamment une « nouvelle maman », que je
garderais « pour toujours », cette procédure mise en place m’ayant comme par enchantement
changé à nouveau et la perspective d’un nouvel avenir loin de ce foyer m’enchantant réellement.
Mais il n’en fallait pas plus pour que l’administration empêche la réalisation de ce projet, ma
mère ayant bien entendu reçu une copie de la demande d’abandon. Et par miracle cette dernière
m’envoya un courrier en février 1995, se remanifestant à nouveau et montrant un regain
d’intérêt me concernant. L’équipe pédagogique m’a donc remis la lettre avec laquelle des
photos de ma mère et de mon frère, pur inconnu m’ayant remplacé, étaient jointes. Photos
détruites sous mes yeux par un autre enfant de l’établissement. Aucune émotion. Aucune
réponse de ma part. Désintérêt total pour cette femme et cet enfant, ce « frère ».
Malheureusement pour moi, malgré le combat mené par les équipes pédagogiques pour
concrétiser la procédure d’abandon, le Tribunal de Grande Instance a statué, en raison de la re-
manifestation de ma mère et son soudain nouvel intérêt pour moi, d’un abandon du fameux
article 350. L’abandon irraisonné d’un abandon raisonné. Tout cela à cause d’un courrier
inutile, une mine anti-personnelle, que ma mère a eu la bonne idée de m’envoyer, tentant donc
de renouer des liens mère-enfant avec moi selon l’Aide Sociale à l’Enfance et le Tribunal de
Grande Instance. Malgré le combat des éducateurs pour le maintien de la procédure, cette mine
m’a explosé à la figure et je n’ai eu d’autre choix que de rester à nouveau un détenu, un
prisonnier du système.
Les visites de ma mère reprirent donc peu à peu et la perspective d’un retour en famille, la
mienne qui plus est, commençait petit à petit à éclore dans mon esprit. La possibilité de
retourner chez ma mère devint une réalité que j’acceptais de plus en plus et que je commençais
à souhaiter.
Transféré donc d’un pénitencier à un autre le 2 septembre 1996, nouvelle déportation pour me
rapprocher géographiquement de ma mère.
CHAPITRE 5

Le récit prend donc maintenant place au foyer Océanie de la ville de Thionville, en Moselle
toujours mais plus proche de la ville de Rodemack dans laquelle ma mère avait refait sa vie,
avec encore un nouvel homme et une nouvelle grossesse.
A mon arrivée, nouvel établissement, nouveaux résidents, nouvelle hiérarchie.
Il paraitrait que je donnais l’image d’un enfant timide et réservé, étant ou souhaitant être
ailleurs, dans mon monde.
Exprimant mes besoins d’une manière très analogique, les crises étaient multiples lorsqu’un
refus m’était formulé.
Un avantage certain était que l’une des têtes de l’hydre, un des « généraux » de notre précédente
hiérarchie m’avait suivi dans cet établissement, ce qui facilita grandement par la suite ma
nouvelle intégration.
D’un enfant prostré dans le mutisme, je passai à un enfant sociable et participant à la vie
éducative. Mon énurésie ayant pratiquement disparue fût un indice de mon amélioration selon
l’équipe pédagogique, mais les cauchemars récurrents restèrent toujours présents puis
s’ajoutèrent même des crises de somnambulisme.
Ce cauchemar. Anodin. Sans monstre. Seulement une sensation : une entrave.
Ce cauchemar, je continue toujours aujourd’hui de le faire.
Un soir comme un autre, ma mère qui me parle, et d’un coup des mains qui m’agrippent et me
tirent pour m’emmener avec elles. A qui appartiennent ces mains, je ne l’ai jamais su. Seules
les mains posées sur mes épaules et se cramponnant d’une telle force étaient visibles. Des mains
inhumaines mais indescriptibles. Jusque-là, rien de réellement effrayant ou approchant d’un
cauchemar d’un enfant de cet âge, généralement habité par des monstres et autres créatures.
Seules ces mains me tiraillant vers l’arrière et ma mère paniquée face à moi me retenant de
toutes ses forces. Puis le réveil brutal. Toujours à ce même instant. Je ne suis jamais emporté,
je me demande encore aujourd’hui qu’elle serait la continuité de ce cauchemar si ce dernier
allait jusqu’à son aboutissement.
Le cauchemar en soit est anecdotique. La réelle panique à retenir est la sensation douloureuse
et effrayante de ces mêmes mains toujours agrippées à mes épaules même après le réveil. Le
cauchemar continuait dans ma réalité consciente. Cela me paraissait de longues et interminables
minutes durant lesquels je ne pouvais ni bouger, ni crier, ni respirer, jusqu’à ce que ces mains
se retirent enfin.
Avec le recul, ce cauchemar pourrait vouloir dire beaucoup de choses, notamment sur le fait
d’avoir la chance illusoire et l’envie de reconstruire un cadre familial avec ma mère mais que
Celui-ci me semblait peut-être déjà inconsciemment inatteignable et impossible.
Peu à peu je dus m’acclimater une fois de plus à un nouvel établissement, de nouvelles règles,
un nouveau personnel, une nouvelle école.
Je commençais donc ma rentrée en école primaire en Cours Préparatoire en septembre 1996.
J’étais très bon élève, avec des capacités bien au-dessus de la moyenne, mais constamment
ailleurs.
Je développai à cette époque toutefois un intérêt particulier pour la lecture et la signification
des mots, un moment privilégié que j’adorais partager avec les éducateurs de l’établissement.
Mes facilités en lecture ont été extrêmement importantes dans mon développement : je pouvais
enfin avoir accès à un monde illimité d’informations, mon appétit de connaissances étant
insatiable durant cette partie de ma scolarité.
Je présentais une certaine ambivalence dans cette lecture : très attiré par toutes les revues
scientifiques pour comprendre le monde, cela était un moyen de me permettre de tenir des
conversations avec les adultes, ne me reconnaissant pas dans les autres enfants ; toutefois
j’affectionnais particulièrement les contes afin de pouvoir me réfugier dans un imaginaire dans
lequel les relations et les sentiments entre les protagonistes n’avaient rien d’ambigus.
Pour ces instants de lecture, je sollicitais chaque fois l’une de mes éducatrices. Ces moments,
que je considérais comme privilégiés, m’apportaient certainement je pense un éventuel lien
maternel que je cherchais par-dessus tout.
Ma vie scolaire était donc des plus banales mais des plus nécessaires dans mon émancipation
des adultes, les nouvelles capacités acquises me permettant de m’autonomiser.
Ma scolarité a donc été plutôt bonne, voire très bonne, même si mon institutrice de CP m’a
laissé des souvenirs impérissables : une époque différente où la liberté des enseignants n’était
pas remise en cause et où les punitions pouvaient être physiques. Je retiens surtout d’elle que
plutôt que de tirer les oreilles, cette dernière nous tirait par les pattes des cheveux. Bien plus
efficace que les oreilles, je vous le garantis.
Mais en dehors de la vie scolaire, il y avait la vie au foyer.
Comme je le disais, ma mère avait refait sa vie et sentimentalement tout se passait pour le
mieux : mariée et une troisième grossesse, une fille cette fois. Mais également
professionnellement et financièrement une certaine stabilité avait l’air de s’être mise en place
pour elle.
Il n’en fallu pas plus pour que le personnel pédagogique ait tout de suite entrevu une chance
pour moi de me réinsérer au niveau familial.
S’ensuivit donc de nombreuses visites, entretiens, en présence ou non de ma mère. Cette
promiscuité avec elle durant ses visites me rapprochèrent d’elle et un retour progressif au
domicile familial fût envisagé.
Au départ, tout semblait tellement naturel et simple. Je me souviens qu’à cette époque ma mère
vivait donc dans la cité médiévale de Rodemack, la petite Carcassonne comme celle-ci est
surnommée en Moselle. Une maison de fonction je pense car celle-ci se situait juste au-dessus
d’une ancienne école dont sa fonction première avait été délaissée au profit d’une structure
scolaire plus moderne.
Je n’ai pas vraiment de souvenirs précis de cet endroit. Quelques bribes, comme le parcours du
combattant pour ne serait-ce qu’aller aux toilettes : quelque peu arachnophobe, je me souviens
encore effectuer toujours cette même chorégraphie pour éviter les toiles et les sujets de ma
phobie pour enfin me retrouver face à l’objet de confort m’ayant amené ici. Même combat pour
la sortie.
Des soirées devant la télévision aussi : un film en particulier m’ayant marqué puisque des
immortels devaient s’entretuer et se décapiter avec une épée afin d’absorber l’énergie vitale de
la victime. Les cinéphiles auront reconnu ce film.
Des sorties chez des amis aussi, d’où en ressortent des souvenirs auditifs et encore une fois
cinéphiles. Agréables. Simples. Sans aucune crainte.
Les devoirs pour l’école aussi. Ma mère ne m’a jamais vraiment aidé je crois, mais une fois en
particulier la consigne de l’institutrice l’avait inspirée : dessiner un arbre le plus réaliste
possible.
Ayant un talent tout particulier pour le dessin, ma mère fût enjouée de pouvoir me réaliser un
chef d’œuvre. Son arbre était magnifique, coloré, fourni, un bel arbre de printemps. De retour
à l’école, j’étais fier de montrer pas mon mais notre dessin à ma mère et moi. A ce moment
précis, l’institutrice, non née de la dernière pluie, me posa une simple question, me mettant face
à un choix : mentir pour m’attribuer tous les lauriers ou dire la vérité quitte à avoir une mauvaise
note. Étonnamment, je dis la vérité et avoua l’avoir fait avec ma mère, principalement par elle
d’ailleurs. Quelle ne fût ma surprise de voir que mon honnêteté soit autant récompensée : grâce
au talent de ma mère et au partage de ce moment scolaire, associés à cette honnêteté, j’eus la
meilleure note et je fus cité en exemple auprès de mes autres camarades de classe.
Mais le souvenir le plus beau de cette époque reste d’une simplicité mais d’une chaleur
incroyable. Je me rappelle être endormi, ma mère venant me réveiller avec une douceur qui lui
était encore jusque là inconnue. Rien qu’en ouvrant les yeux, je fus submergé d’un sentiment
de bien-être : aucune crainte envers ma mère et une couleur orangeâtre et chaude baignant toute
la chambre en raison du soleil levant. Ouvrir les yeux, en toute sérénité, et voir cette expression
de béatitude sur son visage. Bien plus qu’une plage et des cocotiers, lorsque je cherche un peu
de chaleur, je pense à ce souvenir.
Cela prouve bien que je touchais presque du doigt la vie simple et normale dont je rêvais depuis
tant d’années.
Mais malgré cela, je me souviens très bien que j’appelais ma mère par son prénom. Quel ne fût
le nombre de fois où elle essayait en vain de me corriger afin de l’appeler par sa fonction et non
plus son prénom. Je ne saurai dire quand j’y suis arrivé, mais cette habitude verbale avait un
écho particulier venant d’un enfant qui rêvait pourtant d’une famille.
De son union maritale, j’eus donc l’incroyable chance d’avoir un demi-frère de mon âge
environ. Quand je parle de chance, tout cela est d’un ton sarcastique bien sûr. J’étais en quelque
sorte le souffre-douleur de ce demi-frère imposé. Tant et si bien qu’un jour, à force de brimades
et de coups, une rage sanguine me consuma et je me souviens que la seconde d’après je me
retrouvai à cheval sur ce tortionnaire à le ruer de coups sans pouvoir m’arrêter.
Cet événement, bien que je ne le cautionne pas nécessairement, m’apporta la tranquillité et le
respect – ou la terreur – de ce demi-frère. Toutefois, cet événement ne fût pas anodin non plus
quant à ma vision des choses sur les relations humaines, le respect se gagnant par le sang.
Quant au quotidien, malheureusement, celui-ci fût à nouveau entaché par un nouvel événement
tragique. Les histoires relationnelles de ma mère ont toujours influé sur son comportement
envers moi. Sa dernière union de dégradant de jour en jour, le comportement de ma mère suivit
la cadence.
Cela ne commença pas par des coups, mais plutôt une sorte de dédain envers moi, un rejet du
lien maternel, me désignant chaque fois comme cible.
Comme un soir parmi tant d’autre. Nous prenions le bain avec mon demi-frère lorsque celui-ci
déféqua dans l’eau. Ce dernier appela à l’aide, et lorsque ma mère arriva il m’accusa d’avoir
été l’architecte de cet étron. Bien entendu je me défendis, en vain. Ma mère avait fait un choix,
avait choisi son camp et donc prit partie pour mon demi-frère.
Depuis lors, chaque événement négatif était de mon fait.
Comme lorsqu’un jour, en voiture, un usager venant d’en face et trop proche de la ligne médiane
arracha le rétroviseur extérieur gauche de ma mère. Ni une ni deux, elle fit demi-tour comme
une furie et rattrapa le responsable. N’arrivant pas à ses fins, de retour dans la voiture, elle
m’assailli de nombreux reproches, m’accusa d’être responsable de tous ses malheurs, regrettant
de m’avoir mis au monde alors même qu’elle n’avait jamais souhaité m’avoir, que ma mort ne
lui en serait que plus bénéfique.
L’instant tragique le voici. Un soir, le drame. Nous étions avec mon demi-frère dans la chambre,
tous deux couchés et endormis, lorsque que tout à coup nous nous réveillâmes tous deux en
sursaut par des cris et de grands fracas. Je ne sais plus combien de temps cela dura, mais c’était
effrayant et interminable. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun bruit. Puis des pas rapides se
rapprochant de la chambre. Qui était-ce ? Que s’était-il passé ? Etions-nous en danger ?
Finalement, ce fût ma mère qui ouvra la porte et entra comme une furie dans la chambre, nous
sommant de nous habiller pour partir au beau milieu de la nuit, tout cela le bras en sang.
Depuis ce jour, la descente aux enfers commença. Jusque-là, je n’avais jamais réellement été
victime d’aucuns sévices physiques, mais depuis ce jour, tout changea.
De Rodemack, dont je ne saurais citer plus de souvenirs, nous déménageâmes à Bertrange, une
petite commune proche de Thionville, sous-préfecture de Moselle.
Cette nouvelle maison sonnait comme un nouveau départ.
Pour l’équipe éducative également cela présageait un retour au domicile sous les meilleurs
auspices. Un travail éducatif important avec un suivi régulier a donc été mis en place.
Ma mère se présentait régulièrement, la cadence des retours au domicile est devenue de plus en
plus fréquente.
De plus, un indice important laisser entendre à l’équipe éducative que la situation était
redevenue normale en raison de la baisse importante de mon énurésie.
Au fil des mois, le travail a porté ses fruits. J’étais complètement intégré, un petit garçon comme
les autres. Seuls quelques cauchemars et une énurésie faible persistaient, mais rien d’alertant
pour les éducateurs.
A la suite de ces constations, il a donc été décidé un retour permanent au domicile en date du
25 juillet 1998.
Pourtant la situation n’était pas ce qu’elle laissait paraître.
CHAPITRE 6

Enfin de retour définitivement à la maison, avec une famille. J’avais enfin une chambre, un
espace. Un jardin avec une cabane qui deviendra un repère. Scolarisé comme un enfant normal,
me rendant à l’école comme un enfant normal.
Pourtant des difficultés importantes se mirent en travers de notre réinsertion familiale.
Ma mère était toujours avec son mari de l’époque je crois. Je me souviens dans cette même
maison avoir passé plusieurs soirs à entendre des cris et des grands coups de fracas.
Plusieurs fois je surpris ma mère enfermer son mari dans la chambre à la suite d’échanges plus
qu’houleux, pour se protéger et nous protéger.
Dans cette partie du récit, je pense avoir oublié de mentionner que ma petite sœur, fruit de
l’union de ma mère et de son mari, était également présente mais encore trop jeune pour se
rendre compte de quoi que ce soit.
Durant cette période, ma mère était très protectrice, je ne peux lui enlever ça. Elle a parfois su
faire preuve de lucidité et de bon sens lors de situation grave et hors de contrôle.
Tout cela dura jusqu’à la séparation et le départ du mari de mère. Je ne sais si le divorce avait
déjà été prononcé mais en tous les cas nous arrivons à la partie du récit ou cet homme n’est plus
un des protagonistes de ce récit.
Durant les semaines ou les mois qui suivirent la séparation, nous étions plus que jamais soudés
ma mère, ma sœur et moi. A cet époque ma mère avait deux chiens que j’adorais, un mâle et
une femelle je crois, dont les noms m’échappent.
Ma mère fût face à un nouveau choix, garder ses chiens ou s’en séparer pour nous acheter du
fioul car la maison possédait une chaudière au fioul à l’époque. Malheureusement à cours de
combustible et donc de chauffage et d’eau chaude, ma mère eu à nouveau la présence d’esprit
de faire le bon choix pour la seconde fois. Nous nous séparâmes donc de nos compagnons pour
notre propre survie.
Puis un jour, à la suite d’une sortie au restaurant, ma mère fit la connaissance d’un homme qui
deviendra son nouveau compagnon. Je m’entendais très bien avec ce dernier et celui-ci me
rassurait simplement par sa présence lorsqu’il était à la maison.
Il me rassurait car sa présence était une entrave aux agissements de ma mère. Laquelle ne
souhaitait pas qu’une personne extérieure à nos activités ne soit au courant.
Je ne sais plus quand les coups ont commencé, mais j’en ai la certitude, c’était bien avant cette
nouvelle venue dans le cercle familial.
Si les premiers temps se passèrent passablement bien, le changement a été radical dès ma rentrée
scolaire en CE2 dans l’école de la commune, à moins de 500 mètres de la maison.
Ma mère avait retrouvé un emploi dans une usine si je me souviens bien, elle était donc absente
du matin jusqu’au soir. Conséquence, j’ai dû m’autonomiser seul, je me levais tous les matins
seul, je me faisais mon petit-déjeuner seul, j’allais seul à l’école, je rentrais seul à midi et me
préparais seul mon déjeuner, puis retour à l’école seul et fin de journée à la maison en attendant
seul le retour de ma mère.
Loin d’être un cordon bleu à 8 ans et les finances étant restreintes, mon petit-déjeuner consistait
en un bol de lait en poudre accompagné d’un gros gâteau sec et mon repas de midi consistait à
me réchauffer des boîtes de conserves. Malgré le retour de ma mère le soir, le repas n’en était
pas pour autant plus élaboré : chaque soir, soupe accompagnée de deux tartines de tartinette ou
de fromage à tartiner. Rien de bien plus copieux ou équilibré que le reste des repas de la journée.
Je disais donc que le calme avant la tempête n’avait que très peu duré. En effet, mon énurésie
revint subitement et de manière quasi quotidienne. Ma mère n’ayant jamais été patiente avec ce
type d’accident, les punitions physiques ont commencé à s’installer progressivement. Tant et si
bien que je finissais par cacher mes draps et mon pyjama souillés au fond de l’armoire, alors
que je savais pertinemment que ma mère les trouverait et que la sanction n’en serait que plus
terrible.
Bref, petit à petit, les hurlements se transformèrent en gifles, les gifles se transformèrent en
coups de pieds et poings, les coups de pieds et de poings se transformèrent en coups à l’aide
d’objets tels que la cuillère en bois ou la ceinture. Pourquoi cette ascension ? Simplement car à
force, ma mère m’avoua m’avoir trop tanné le cuir et que cela lui faisait également mal de me
frapper, le comble. Tant et si bien qu’elle avait même investi dans un martinet dont elle avait
tressé les lanières fixées entre elles par de gros nœuds à leurs extrémités pour plus d’efficacité.
Peu à peu la peur s’installe et chaque jour je redoute le retour de ma mère du travail. A tel point
que je me mets même à tout nettoyer dans ma chambre quotidiennement, jusqu’à nettoyer
intégralement le tapis de ma chambre avec les doigts. Mais rien ne suffisait pour la satisfaire et
la calmer, toujours dans l’impatience et la violence.
Je l’entendais souvent monter les marches, la ceinture à la main, la faisant claquer tout du long
de son parcours, pour me permettre d’entendre la sentence avant même qu’elle ne soit
prononcée.
Les coups de ceintures étaient donc légions, souvent sur les fesses, quelque fois certains sur le
dos. Toutefois, je remercie tout de même ma mère d’avoir encore une fois eu la présence
d’esprit et le bon sens de ne jamais me frapper avec le côté de la boucle, fort heureusement pour
moi.
J’étais un élève doué, ce que ma mère adorait répéter à tout le monde, elle voulait sans cesse et
me répétait sans cesse que je devais être parfait. Mais atteindre la perfection, ou en tout cas s’en
approcher, demande de savoir encaisser les coups du point de vue de ma mère.
Pour l’exemple donc, j’effectuais tranquillement ma conjugaison sous la surveillance de ma
mère, et une fois fini je lui montre. Là, elle m’indique qu’il y a une faute, je cherche. Je cherche
et cherche encore, je ne trouve rien. Pour me motiver, petit passage claustrophobe enfermé dans
le placard pendant suffisamment de temps pour réfléchir à ma faute. De retour devant ma
feuille, je cherche. Je cherche encore cette maudite faute qui ne m’apparaît nulle part. Nouveau
séjour dans le placard. Ce manège a duré plusieurs heures avant que ma mère ne daigne
m’informer de ma faute. Et bien sachez que l’erreur qui m’a valu plusieurs heures au placard
n’était pas dans les terminaisons de mes conjugaisons mais simplement parce que j’avais oublié
la lettre « s » aux pronoms personnels de la troisième personne du pluriel. Rien à voir avec la
conjugaison…
L’année scolaire n’était pas encore terminée que ma mère était déjà adepte des coups divers et
variés et de la séquestration. L’année s’annonçait mouvementée…
Au-delà des coups et de la séquestration, une maltraitance que je ne connaissais pas s’est mise
en place tout naturellement et efficacement : la maltraitance psychologique.
J’entendais à tout va que j’étais une merde, que je ne servais à rien, que je n’aurais jamais dû
venir au monde, qu’elle aurait ma peau un jour, etc…
Jusqu’à aller, par des actes, m’effacer totalement et symboliquement de sa vie. Comme lorsque
une fois, sans raison apparente, d’autant que je ne me souviens pas que cet épisode avait été
précédé de reproches, de coups ou autres ; un moment calme pour une fois. C’est alors que ma
mère fit irruption devant moi et, d’un calme presque surnaturel, elle se mit à découper devant
moi et une à une toutes les photos sur lesquelles j’apparaissais. Jusqu’à y mettre le feu ensuite
je crois. Associer mon image à ce vandalisme et ces flammes m’a toujours paru comme une
crémation symbolique, donnant d’autant plus de poids à tous les propos mortifères que ma mère
choisissait soigneusement pour moi.
Tout cela associé à l’humiliation des coups, l’esprit en prend un coup. Tant et si bien que l’on
en vient à s’auto-culpabiliser pour tous les événements négatifs du quotidien, étant de mon fait
ou non, plus aucune distinction, on accepte les coups sans broncher, et on tend l’autre joue
comme disait un certain barbu. Et bien ça ne fonctionne pas, ça encourage !
Un jour parmi tant d’autre, un camarade de classe me demande innocemment à quoi sont dus
les hématomes que j’exhibais malgré moi. Quelle bonne idée j’ai eu de lui dire la vérité. Il en a
immédiatement informé l’institutrice qui contacta donc la gendarmerie sans même me prévenir.
Quelle ne fût ma surprise lorsqu’après l’école je retrouvai les gendarmes chez moi en plein
entretien avec ma mère. Mais surtout, quelle angoisse immense s’empara de moi. Qu’allait-il
se passer ? Qu’est-ce que ma mère me ferait après tout ça ? J’ai donc tout bonnement donné
une version dédouanant ma mère auprès des gendarmes, faisant passer la raison de leur présence
pour une raison accidentelle.
L’histoire est simple. Une nuit, je me suis levé pour aller aux toilettes, ce qui est plutôt
exceptionnel dans mon cas. Une fois fini j’ai remonté les escaliers. Arrivé en haut je suis tombé
nez à nez avec ma mère qui me demanda pourquoi j’étais debout, ce à quoi je lui répondis. Puis,
sans raison apparente, sans comprendre, ma mère me poussa d’un coup en arrière dans les
escaliers que je dévalai jusqu’au bout.
Ma mère, inquiète, descendit comme une furie en me demandant si tout allait bien. Mais
finalement elle me posa cette question uniquement pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de risque
pour elle. En effet, une fois reçu la confirmation que j’allais bien, elle se rua sur moi en me
frappant de ses poings. Je tombai par terre et elle continua de plus belle en enchainant avec une
rage et sans essoufflement, les coups de pieds m’étant adressés. Je me souviens qu’un petit
tabouret surmonté d’un vase avec des fleurs se situait à côté de ma carcasse étendue sur le sol.
Avec les coups, mon corps buta sur le tabouret et le vase se brisa à terre. Face à cette bêtise de
ma part, elle repartit de plus belle avec les coups de pieds, dans le ventre, dans le dos,
heureusement aucun dans la figure. Puis une fois bien défoulée, elle me congédia tout
simplement et le plus normalement du monde dans ma chambre.
Face au gendarme qui m’a interrogé, pour protéger ma mère, et surtout par peur des représailles,
je décidai donc de faire l’impasse sur certains détails et d’expliquer que la chute était
accidentelle.
Bien entendu, ma mère ne fût pas inquiétée, mais la seule présence des gendarmes à la maison,
même sans conséquence pour elle, lui suffit amplement pour que j’en subisse les représailles.
Cette année-là a été riche en événements brutaux, tant physiques que psychologiques, je ne
savais plus à quoi me rattacher pour tenir. D’autant plus que le nouveau compagnon de ma
mère, rassurant du fait de sa présence car devant lui ma mère se retenait, fût endoctriné par cette
dernière et je ne pouvais donc plus compter sur sa présence pour éviter les coups. Mais les
traumatismes m’ont fait oublier de nombreux événements, seuls quelques souvenirs plus
marquants que d’autres sont restés.
Je n’étais donc plus à l’abris de rien. Même les voisins n’ont jamais signalé quoi que ce soit
alors qu’ils ont pu être témoins de nombreuses choses, autant visuellement qu’auditivement.
Un fait marquant m’est resté, comme une encre indélébile, une sensation d’effroi, d’angoisse
et un lâcher-prise comme si la mort allait enfin vous délivrer. Une fois, un week-end
certainement, à l’heure du repas de midi, ma mère avait préparé des choux de Bruxelles, pire
légume au monde selon moi. Je mis donc un temps astronomique à finir, petit à petit, chou par
chou, mon assiette.
Face au temps mis pour manger et impatiente de nature me concernant, ma mère fit irruption
dans la cuisine, s’énervant et tirant d’un coup puissant sur un tiroir, si bien qu’il tomba à terre,
lui et tout son contenu. Ne connaissant pas le contenu de ce tiroir au moment de la chute, je
l’appris rapidement lorsque ma mère, dans un élan de rage, se releva avec un énorme couteau
de cuisine qu’elle me glissa sous la gorge, non sans une certaine rapidité.
A cet instant, dans ce genre de situation, je peux vous assurer que vous ne voyez pas défiler
votre vie, non, on reste tétanisé, ne sachant quoi faire et priant tous les dieux pour rester en vie
cette fois-là aussi. Ou alors on accepte en espérant être délivré de toutes ces souffrances, ce qui
fût mon cas lors de cet épisode. Manqué.
Les jours s’enchaînent et se ressemblent, jusqu’à ce que je réussisse à atteindre les vacances
scolaires.
A cette période de l’année, ma mère m’avait proposé de séjourner dans le jardin et de dormir
seul dehors dans une tente installée dans le jardin. Je trouvais cette idée géniale, d’autant plus
que j’étais seul et dehors, donc loin de mon bourreau toute la nuit, et souvent la journée aussi.
Mais cela ne l’empêchait pas de continuer à me frapper sans raison.
Un matin, je me lève et sors de la tente car ma mère m’avait appelé, sans que je ne l’entende
immédiatement. Son impatience ne s’est pas faite attendre car une fois devant elle, un manche
à balai dans les mains, je n’avais même pas passé la porte d’entrée que le coup était déjà parti.
Mais cette fois, mal visé, en plein sur le visage. Je sens mon arcade sourcilière gauche qui
gonfle jusqu’à ne plus voir que d’un seul œil. L’arcade avait tellement gonflée qu’elle
recouvrait totalement mon œil. L’endroit touché et sa conséquence plus que visible ont tout de
suite fait paniquer ma mère. Qu’arriverait-il si quelqu’un remarquait mon visage ? Elle fit donc
le maximum pour faire désenfler mon arcade sourcilière, en vain. Je fus donc interdit de sortir
de l’enceinte de la maison pour que personne ne puisse me voir.
Pourtant paradoxalement de bons souvenirs de cette époque existent. Je n’arrive pas à tous me
les remémorer mais je sais qu’il y en a, comme la fois où durant cet été-là on avait passé une
soirée dehors avec un grand feu de joie. On a sauté dans la piscine complètement habillés, on a
plaisanté, rigolé. C’était une soirée merveilleuse de simplicité durant laquelle je savourais
chaque instant présent sans me soucier pour une fois des problèmes relationnels mère-enfant.
La dernière chose particulière arrivée cette année-là, c’était l’absence de ma mère, je crois,
durant des journées complètes et moi enfermé dehors toute la journée, jour après jour, à devoir
faire mes commissions dans la forêt et m’essuyer avec des feuilles d’arbres. Sans rien à boire
ni à manger durant toutes ces journées. Si bien qu’un jour j’ai même dû sonner chez une dame
qui m’a gentiment servi un verre de sirop. Paradoxalement, cette période durant laquelle j’étais
livré à moi-même des journées entières fût, malgré la solitude et la chaleur étouffante, l’une des
meilleures de ces vacances d’été, bien que la difficulté à s’occuper et à se nourrir ou s’hydrater
était une épreuve au vu des températures importantes. Si bien que je passais mes journées
entières à me balader, souvent dans la forêt communale, et à tenir tant bien que mal jusqu’au
soir afin de pouvoir enfin me sustenter et m’hydrater.
Etant un grand fan des bandes dessinées Disney, j’adorais me prendre pour un Castor Junior et
me confectionner des cabanes, tenter de m’orienter dans la forêt en retrouvant le nord, etc…
Heureusement pour moi, c’est cette « identification » qui m’a permis de tenir des journées
entières, sans eau ni nourriture, à l’ombre de mon territoire sylvestre.
Toutefois, j’ai toujours eu la chance de bénéficier d’un suivi d’Action Educative en Milieu
Ouvert (AEMO), consistant en un maintien du suivi éducatif de l’enfant à son domicile. Celui-
ci pris malheureusement fin le 20 août 1999 à la suite d’un accord avec le tribunal. C’est après
cette décision du tribunal que je fus confié à ma tante maternelle pour une nouvelle année
scolaire complète afin de m’éloigner du cadre traumatisant du domicile familial.
CHAPITRE 7

Une nouvelle année scolaire commençait enfin loin de toutes brutalités, maltraitances et
manipulations.
Je partis donc séjourner chez ma tante maternelle, dans un tout petit village du département de
l’Yonne. Je ne me rappelle que très peu de choses, je crois savoir en tout cas que ma tante était
agent de la paix et mariée à un homme extrêmement sympathique avec tout le monde.
Je me trouvais donc dans un milieu enfin stable, dans une grande maison avec un vaste jardin,
accompagné d’un chien et de quelques chats, la tendresse et l’amour émanant de ce foyer grâce
à toutes ces vies animant chaque jour ce nouveau foyer.
Je me souviens que j’y étais déjà pour l’éclipse de 1999, cela est resté pour moi un fait marquant,
surtout étant donné ma curiosité pour l’astronomie. A la suite de cela, je me souviens que ma
tante m’avait encouragé en ce sens en m’offrant de nombreuses encyclopédies sur l’astronomie
et bien d’autres choses. Elle avait naturellement remarqué et compris ma curiosité insatiable, et
faisait donc toujours en sorte que je puisse me nourrir intellectuellement.
Le cadre était alors idyllique et suffisamment stable pour un développement social et familial
réussi.
Toutefois, comme une part d’ombre enfuie, une double personnalité, quelque chose que je ne
saurais qualifier s’est à nouveau manifesté en moi et ma tendance naturelle à détruire et
repousser toutes les bonnes choses a commencé à s’exacerber jusqu’à réussir à me faire rejeter
à nouveau.
Comme si je m’interdisais le bonheur, comme si je cherchais à me punir de quelque chose.
L’année scolaire en soi était plutôt normale et sereine si je crois bien m’en souvenir. Je
réussissais tout de même toujours à me faire des « amis ». Je mets ce terme entre guillemets car
du plus loin que je me souvienne, les relations sociales que j’entretenais n’étaient pas réelles.
J’avais acquis une certaine capacité à me faire apprécier, à force de mimétisme, et mes
camarades finissaient en retour par m’apprécier et à faire généralement ce que je souhaitais.
Par exemple, je me souviens que tous les mercredis, une certaine Mégane me ramenait un
énorme sachet de bonbons. Anodin mais une révélation pour moi. J’ai donc toujours continué
à fonctionner de la sorte depuis : créer de fausses amitiés par intérêt, voilà ce que je faisais
réellement.
J’étais en CM1 à cette époque et plutôt bon élève je pense. Toutefois, je ne participais que très
peu en classe, souvent dans mon coin durant les cours, trop intimidé pour oser dire quoi que ce
soit qui puisse être faux et dévoiler à tous que je ne suis pas infaillible. Cette idée m’obsédait.
Bêtement, pendant les récréations, j’allais toujours plus loin et plus haut, je franchissais toujours
les limites, quand bien même si cela pouvait être dangereux. Au contraire, plus cela l’était et
plus je brillais aux yeux de tous. Un exemple ridicule mais révélateur, au bâton-sauteur, je
sautais de toujours plus haut depuis une estrade en escalier. Et je réussissais toujours. Et lorsque
je me blessais à la suite d’autres « exploits » - comme lorsqu’une fois je me suis ouvert le crâne
à cause d’un morceau de métal dépassant du rebord d’une fenêtre par exemple - je ne laissais
jamais rien paraître : aucune douleur, aucune émotion, un ersatz de moi-même.
Avec le temps, il me paraît évident que la recherche de perfection que ma mère m’imposait
avait complètement faussé ma manière de m’adapter en société. Et je finis automatiquement à
continuer de procéder ainsi, de manière malhonnête, simplement pour paraître le plus parfait
aux yeux de tous.
A la maison c’était tout autre chose. Tout se passait très bien, je ne jouais aucun rôle mais mes
réflexes antérieurs persistaient. Mon énurésie continua et moi-même je continuais à le cacher.
De peur que ma tante me frappe elle aussi je pense. Dans mon esprit, l’énurésie était devenue
une bêtise impardonnable. Si bien que je le cachais à ma tante aussi. Il est arrivé que je me
recouche plusieurs jours avec le même pyjama imbibé d’urine dans des draps tout aussi imbibés.
Les réflexes de « défense » acquis chez ma mère m’avaient donc suivi jusque chez ma tante
malgré l’environnement favorable dans lequel je me trouvais.
Je volais. J’ai une fois subtilisé la carte bancaire de ma tante, mais je n’ai pas su quoi en faire à
mon âge et puis Internet n’était pas ce qu’il est maintenant. Donc je n’ai pas pu m’en servir
mais le geste était là. Puis une autre fois, j’accompagnais ma tante à la banque et je l’ai entendu
prononcer son numéro de compte que j’ai immédiatement retenu en pensant que cela pourrait
me servir. Et bien non, je ne m’en suis jamais servi. Malhonnêtement en tout cas, car je m’en
sers toujours aujourd’hui comme mot de passe. Mais voilà, dès qu’une information sensible ou
qu’un objet pouvait me servir, je m’arrangeais pour l’avoir ou pour le retenir.
Un autre exemple aussi. Ma tante et son mari avait une borne de jeu d’arcade ou de casino
électronique. En fouillant un peu, j’ai découvert qu’il était rempli de pièces de dix et vingt
francs (les pièces existaient encore) et j’ai trouvé le moyen de pouvoir me servir. Ce que je
n’hésitais pas à faire parfois, à petite dose, pour me constituer une cagnotte. Jusqu’à ce que ma
tante le découvre.
Je ne sais plus quelle a été la punition, mais je suis sûr que cela n’était rien comparé à ma mère.
J’étais pyromane. Je trouvais des paquets d’allumettes un peu partout et je les subtilisais pour
m’en servir. C’est comme ça que j’ai pu développer mon amour pour les flammes. Cela
commençait par des petits feux maitrisés avec du bois, du papier, tout ce que je pouvais brûler,
mais toujours à l’extérieur.
Si bien qu’une fois, allez savoir pourquoi, j’ai essayé à l’intérieur de la maison et j’ai commencé
à mettre le feu à un coussin. Le coussin a commencé à prendre trop rapidement et j’ai paniqué.
Un flacon de désodorisant ou autre était à côté à ma portée. Je ne sais pas si j’ai cru que c’était
un brumisateur ou si je connaissais en mon plus fort intérieur le résultat et que je souhaitais le
voir, mais je me suis saisi du flacon et j’en ai aspergé les flammes. Cela a provoqué un lance
flamme.
Je ne me souviens ni de la suite ni de la punition, c’est pourquoi je me demande toujours si
j’étais bien conscient de ce que je faisais ou non.
J’étais cruel. Un autre de mes talents était la chasse. Je passais des heures dans une vieille cave
et la vieille grange au fond du jardin pour dénicher pleins de trucs. J’ai retrouvé de vieux
journaux d’époques par exemple. Mais ce n’était pas l’histoire qui m’amenait là, pas du tout, je
venais pour la chasse. Je me souviens la première fois que j’ai attrapé une musaraigne. Au début
j’étais fasciné et je jouais avec ce petit mammifère fragile, jusqu’à ce que ma curiosité aille plus
loin. Je pris une pierre que j’éclatai sur ce petit morceau de chair afin de voir sa composition.
Et j’ai continué comme cela avec tous les rongeurs que je trouvais. Heureusement pour moi,
c’est le seul comportement que ma tante n’a jamais remarqué. Heureusement aussi, j’aime
toutes les espèces d’animaux peuplant cette planète dorénavant, même si mon régime
alimentaire n’a en rien changé.
Et cela a continué toute l’année scolaire, avec des phases durant lesquelles j’étais calme, où j’ai
pu me construire des souvenirs heureux avec ma tante, et ces fameuses phases durant lesquelles
je faisais toutes les choses mentionnées plus tôt.
Mais ma tante n’était pas parfaite non plus et son travail lui prenait du temps. Il arrivait donc
que je me retrouve seul, livré à moi-même durant des heures.
Une fois, un soir, seul, j’ai pris l’initiative de nourrir le chien vu l’heure tardive qu’il
commençait à être. D’autant plus que j’ai su seulement après que ce n’était pas le jour de la
pâtée. Bref, après m’être lavé les mains, je me mets au travail et me saisis de la boîte de conserve
pour l’ouvrir.
Mauvaise idée. Mes mains encore mouillées ont glissé directement sur le tranchant de
l’opercule et mon index fût ouvert jusqu’à l’os.
Etrangement, aucune panique, j’ai simplement pris un torchon dans lequel j’ai enroulé mon
doigt.
A la vue du sang qui ne cessait de couler, je pris l’initiative d’aller sonner chez la voisine que
ma tante connaissait bien. Elle a pu m’ouvrir et s’occuper de moi. L’heure toujours aussi tardive
et aucune nouvelle de ma tante, la voisine prit l’initiative de m’emmener à l’hôpital. Ce n’est
que sur le chemin des urgences que l’on croisa ma tante en voiture qui prit immédiatement le
relais pour finir le trajet jusqu’à l’hôpital. Souvenir traumatisant pour un enfant de neuf ans
après avoir été recousu à vif par six points de suture.
Même s’il n’y a aucune conséquence de cette soirée là – mise à part une jolie cicatrice
facilement reconnaissable par un dactylogramme – je ne cesse de me poser la question si la
faute revient à ma tante ou non. Y a-t-il eu du laxisme de sa part ? Aurait-elle dû me confier à
un tiers jusqu’à son retour ? Je ne sais pas vraiment quelle aurait dû être l’attitude de ma tante,
je me le demande toujours, je ne sais si inconsciemment je lui en ai voulu, expliquant peut-être
certains de mes comportements.
Un peu avant juin, à l’école, il y a toujours la confection d’un cadeau pour la fête des mères.
Difficile pour moi vu la relation entretenue avec la mienne et difficile de l’offrir à la personne
concernée si celle-ci est absente de ma vie.
Le projet pour la fête des mères consistait en une grosse affiche format A3 décorée par les soins
de chaque élève, sur laquelle un poème fort de sens concernant la parentalité maternelle était
inscrit.
Plein de courage et de bons sentiments, je décidai tout de même, malgré l’absence de ma mère,
de m’atteler à ce projet du mieux que je pouvais car finalement je souhaitais l’offrir à ma tante
pour la remercier de s’être tant donnée pour moi.
Je rebroussai chemin une fois de retour à la maison, et ce projet me parut finalement très bête
et inutile à présenter à ma tante. Je finis par cacher ce que je considérais comme une horreur et
une erreur, au fin fond de la grange située dans le jardin, allumettes dans les mains afin de brûler
l’objet de ma honte. Finalement, étrangement, je ne pus me résilier à brûler ce travail. Toutefois,
je n’ai jamais eu le courage de l’offrir à ma tante et ce cadeau de fête des mères a fini aux
oubliettes au fin fond de la grange. Je ne sais toujours pas à ce jour ce qu’il en est advenu.
Cette année qui devait être bénéfique s’est finalement transformée en expérience ratée.
Vers la fin de l’année scolaire, ma mère a fait le déplacement. Je ne me souviens que d’une
chose de cette journée : la menace de ma mère. Cette dernière m’avait glissé qu’à la rentrée
prochaine elle m’enverrait « chez les sœurs », me détaillant tous les mauvais sévices que l’on
peut avoir comme punitions là-bas. Mon esprit d’enfant y a cru immédiatement et il fallait que
j’évite à tout prix de me retrouver dans cet établissement effrayant.
J’avais donc prévu minutieusement mon évasion. Enfin je le croyais.
Durant plusieurs semaines j’ai observé les comportements de ma tante, ce qui m’a permis de
mettre un plan à exécution. Un matin, avant de partir à l’école, j’avais laissé une ouverture
discrète pour accéder à la maison. En rentrant de ma journée de cours, j’ai escaladé le portail et
je suis rentré dans la maison par l’ouverture que je m’étais laissé. Une fois entré, j’ai pu
récupérer les clés. Je me suis préparé un sac avec quelques vêtements, des gâteaux pour manger,
à boire, même un jeu de carte pour ne pas m’ennuyer et une grosse lampe torche métallique que
ma tante avait au travail.
Une fois prêt, ma quête débutait.
Mon plan me paraissait simple : je me rappelais qu’il se trouvait une écurie pas très loin du
village, en tout cas en voiture. Mon but, aussi fou soit-il, était de retrouver l’écurie, attendre la
nuit et voler un cheval pour partir ailleurs, je ne sais où, mais loin de tout et tout le monde.
J’entrepris donc mon périple jusqu’à l’écurie. Plus je marchais, plus je m’éloignais de ce à quoi
je voulais échapper, mais pourtant je ne me rapprochais toujours pas de l’écurie.
Cela m’a paru des heures, je ne sais plus combien de temps j’ai marché mais je finis par décider
de faire demi-tour et de réfléchir à un autre plan.
Enfin de retour à la maison, ma tante arriva pile au même moment et se gara devant la maison.
Elle me vit et me demanda ce que je faisais là. Je ne sais plus ce que je lui ai raconté mais je
suis persuadé que cela n’a pas du tout été crédible.
J’en suis persuadé car une fois rentré, ma tante m’a arraché le sac du dos et a commencé à en
sortir tout le contenu. Jusqu’à en sortir la lampe torche métallique. Tout à coup, sans rien y
comprendre et pour la première fois ma tante a levé la main sur moi. Elle commença à me
frapper férocement avec la lampe torche. En essayant de me protéger j’ai reçu de nombreux
coups un peu partout, un en particulier m’a marqué, c’était à la hanche, je m’en souviens car
celui-ci était affreusement douloureux à m’en faire boîter.
C’est par ce dernier événement que mes souvenirs s’arrêtent chez ma tante. Je ne me souviens
plus de la fin de l’année scolaire, de la fin du séjour chez ma tante, et encore moins du retour
chez ma mère.
Le noir complet, plus aucun souvenir avec ma mère avant que ne viennent les vacances.
Puis elles sont arrivées, les vraies vacances ! Je suis parti en colonie de vacances, loin de tout
et sans ma mère. Quel bol d’air se fût ! Durant près d’un mois j’étais un enfant normal, entouré
d’enfants normaux avec lesquels je passais de supers moments et activités.
Cet interlude m’a permis de récupérer sereinement de mon année mouvementée et douloureuse,
j’étais déterminé à passer les meilleurs instants possibles et ce fût des vacances formidables.
Vint le jour du retour à la maison, tout le trajet fût angoissant, à chaque arrêt du car je me
rapprochais de plus en plus du retour chez ma mère et surtout de la « promesse » de ma mère
de m’envoyer « chez les sœurs ».
CHAPITRE 8

Ma mère tint sa parole et m’envoya en pensionnat. Mais heureusement pour moi, rien de
semblable à ce qu’elle m’avait décrit, cela ressemblait à un foyer comme un autre mise à part
que ce sont les parents qui y placent leurs enfants.
Cet internat se trouvait en Belgique, c’était un grand manoir qui avait été un don à la commune
puis est devenu un pensionnat. La façade et les vieilles pierres étaient grandioses, l’architecture
incroyable, je me croyais dans un château, rien à voir avec les menaces de ma mère. Le manoir
possédait également un terrain de plusieurs hectares avec des parties boisées, un petit marais,
une fontaine, un court de tennis, un terrain de volley/badminton. Un lieu exceptionnel.
Me trouvant en Belgique, j’étais donc en classe de 5ème qui correspond au CM2 en France. Cela
a été une expérience enrichissante, j’ai vécu comme un belge et j’ai fini par être belge au bout
d’un an, l’accent et le dialecte compris. Bon, il y avait quand même quelque chose de négatif,
rien ne peut être parfait à l’école : l’apprentissage du flamand. Je ne conseille cette langue à
personne, aussi compliquée que le luxembourgeois pour un simple français comme moi.
Je sais que la scolarité à l’année a été plus que normale, je me suis toujours senti bien à l’école,
seul lieu réellement éloigné de toute la complexité de ma vie, dans lequel je m’épanouissais
grâce aux connaissances acquises.
Pour le reste, le pensionnat fonctionnait comme je le disais comme les foyers d’accueil. On y
vivait en collectivité, on y avait des heures d’études, on y avait des activités, rien de différent
pour moi.
L’insertion a été compliquée au départ, puis je me suis familiarisé avec ce nouveau lieu, je m’y
suis approprié les règles et la vie en collectivité a pu prendre son cours, mais avec les mauvais
côtés de la collectivité aussi.
Lorsque que l’on met ensemble de nombreux ados, pré-ados et enfants, il faut s’attendre à de
nombreuses frictions, et moi-même j’en ai eu.
Malheureusement, même dans un pensionnat classique, comme en prison, deux conditions
permettent de s’en sortir sans embrouilles : être le plus fort ou bien s’entourer.
Je ne cache pas que je n’ai jamais été un très grand bagarreur, je préférais l’approche
intellectuelle et réussissait à bien m’entourer, facilitant mon insertion.
Puis mon alter-ego a refait surface. La violence est réapparue, les manipulations, les plans et
les vols, les humiliations.
Au départ, j’ai été la cible, étant le petit nouveau, mais après je fus très vite à la place des
bourreaux, encouragé par les plus grands qui menaient la danse.
Puis la vie a été plus confortable, ma mère envoyait parfois de l’argent de poche, et l’avantage
d’être un français en Belgique à l’époque était que la devise française était six fois plus forte
que la devise belge, j’étais donc très avantagé financièrement durant cette année.
On faisait régulièrement des sorties piscine ou cinéma. Pour la première, je ne me rappelle que
d’une fois où j’ai pu apprendre l’anatomie féminine seul en observant à travers un trou dans la
cabine. Pas très glorieux mais ce fait a été marquant pour que je ne me souvienne que de celui-
ci. Enfin, j’ai parlé de deux souvenirs par rapport à cette sortie piscine. Malgré ma richesse six
fois plus importante que les autres, rien ne m’empêcha de dévaliser les magasins de bonbons
tout en faisant en sorte que l’un de mes camarades se fasse prendre afin qu’aucun soupçon ne
se porte sur moi et que je puisse partir avec mon butin tranquillement. Pas glorieux non plus.
Encore une fois cette facette de ma personnalité qui refaisait surface, je ne contrôlais rien, tout
était plus fort que moi, je ne pouvais pas respecter quiconque, peut-être parce que moi-même
je subissais des humiliations de ma mère. C’est à cette époque que j’ai développé une forte
misanthropie qui m’a suivi durant toutes ces années, parfois même encore maintenant mais à
faible dose.
Sans compter les nombreuses zones d’ombres que cachent ces établissements collectifs. Petit
retour en arrière pour comprendre pourquoi les comportements peuvent changer si facilement
vers le côté obscur si je puis dire, en raison d’événements déviants. Pour ma première nuit, je
partageais une chambre avec deux autres jeunes. Cette nuit-là, l’un d’eux était parti
frénétiquement dans une séance de masturbation. Une fois son affaire proche de la fin, il se
tourna vers moi et l’autre locataire, puis nous demanda de lui donner notre main. Pour quelle
raison ? Pour qu’il puisse les utiliser afin de terminer son acte et éjaculer sur nous.
Il est malheureusement coutume dans ce genre d’établissement qu’il y ait des dérives à caractère
sexuel, les âges et les sexes étant variés dans ce pensionnat. Mais ce ne fut ni la première ni la
dernière fois que ce type d’acte surgit dans ma vie.
Toutefois, un autre fait marquant mais positif cette fois. Lors d’une sortie au cinéma, je me
souviens que nous étions allés voir « Yamakasi ». Moi qui aimais déjà grimper un peu partout,
ce film a été une révélation pour moi. Pas pour son excellence scénaristique, je vous rassure,
mais plutôt pour la liberté que ce film dégage. C’est à partir de là que j’ai développé une passion
pour l’escalade urbaine. Passion que je mis directement à l’œuvre une fois de retour au
pensionnat.
Je n’arrêtais plus de grimper sur les façades et les toits de cette demeure immense. C’était un
vrai terrain de jeu avec des prises nombreuses.
Plusieurs fois je me suis fait prendre, mais j’y allais principalement la nuit, ayant un accès par
un velux depuis ma chambre située dans l’aile secondaire du manoir.
J’appréciais particulièrement ces sorties nocturnes car je dominais le monde, j’étais au-dessus
de tout et tous et rien ne pouvait m’atteindre. J’avais trouvé le moyen d’approcher une certaine
plénitude.
Malgré très peu de souvenirs, j’ai une sensation profonde en moi lorsque je repense à cette
époque, des difficultés oui, mais aussi le fait que cette année, j’en suis sûr, a été exceptionnelle
et salutaire pour moi.
D’autant plus que j’étais réellement loin de ma mère et qu’elle ne me récupérait jamais pour les
vacances scolaires, ou une seule fois peut-être.
Bref, encore une partie brumeuse de ma vie dont je n’ai aucune trace ni aucun témoignage
pouvant m’aider à me rappeler. Un chapitre très court de mon existence.
Malgré mes nombreuses enquêtes, aucune information pertinente n’a pu m’aider à me souvenir
ou retrouver des épisodes précis de cette année scolaire. C’est pourquoi je ne pourrai développer
davantage ce chapitre au vu de la difficulté de mêler des souvenirs – réels ou non – aux
témoignages recueillis. Aucune trace administrative n’ayant été retrouvé au fil de mes
recherches.
Et un retour au domicile familial toujours absent de ma mémoire.
Ma mère m’a toujours dit que si je n’étais pas retourné l’année suivante dans ce même
établissement c’est parce que ce dernier refusait de m’accueillir à nouveau selon elle. Je ne le
saurai jamais réellement, je me contente donc de cette seule explication.
Je ne sais si ce fût à la suite de ce refus du pensionnat de me reprendre pour une année qui
perturba ma mère, cette dernière certainement effrayée à l’idée de devoir s’occuper de moi à
nouveau. La perturba sûrement car sa haine grandissante envers moi se matérialisa par des
sanctions de plus en plus violentes, allant même jusqu’à de nouvelles tentatives d’infanticide.
Un jour elle fit irruption dans ma chambre, je ne me souviens plus sur quoi portait notre
échange, lorsque soudain la seconde d’après je me retrouvai avec un cousin sur le visage et le
poids de ma mère sur moi. Je me rappelle avoir fait le mort pour qu’elle arrête enfin. Mauvaise
idée. Trompée, elle décida de me faire comprendre sa rage par de violents coups de pieds dans
le thorax, me coupant totalement la respiration. En pleine suffocation, cherchant à tout prix mon
souffle mais n’y parvenant pas, de petits gémissements sortaient parfois de ma bouche.
Gémissements repris par ma mère sur le ton de la moquerie, me laissant sur place, manquant
d’oxygène, peut-être à attendre de voir si finalement elle serait débarrassée de moi ou pas.
Cet épisode a été l’un des plus traumatisants. Pas du fait de sa violence, plutôt modérée
comparée à d’habitude, mais surtout par la sensation de suffocation et l’idée que l’on caresse la
mort du bout des doigts…
Un retour mouvementé, la violence étant proportionnelle à mon âge et à ma capacité à encaisser
de plus en plus aisément les coups.
CHAPITRE 9

Donc de nouveau chez ma mère pour de nouvelles vacances d’été, nous sommes dorénavant en
2001, j’ai bientôt 11 ans, et mes souvenirs deviennent peu à peu plus clairs et détaillés, même
si quelques peu mélangés je crois.
Je me rappelle que cet été-là je devais à nouveau partir en colonie de vacances.
Pour cela, un deal avait été passé avec ma mère : je m’occupais de certaines tâches et cela me
permettrait d’avoir de l’argent de poche, plus ou moins conséquent en fonction du travail fourni.
Ledit travail était plutôt correct de prime abord : tondre la pelouse. Mais dans mon cas, aucune
tonte possible. Ma mère me donna une paire de ciseaux afin de couper l’herbe à la main, donc
pas de tonte mais un travail de longue haleine que j’acceptai malgré tout.
De plus, ayant attrapé des poux à cette époque – peut-être dus au fait que je passais mes journées
et nuits dehors – ma mère décida tout d’abord de me plonger les cheveux dans du vinaigre
blanc. Mais finalement, pour plus d’efficacité, ma mère fît un calcul rapide : cheveux = poux,
pas de cheveux = pas de poux. C’est alors qu’elle se mit à me raser complètement la tête, me
donnant l’apparence d’un enfant malade sous chimiothérapie.
Ce qu’elle ne savait pas, c’est que des visites d’une éducatrice ou assistante sociale de secteur
avaient été réinstaurés à la suite d’un signalement le 9 août 2001.
C’est alors que cette professionnelle dans le social fît irruption chez nous le même jour où je
m’étais retrouvé chauve et accroupi dans le jardin à couper l’herbe aux ciseaux. Première
constatation négative de la part de cette dernière.
Malheureusement ce système de visite est généralement mis en place par des rendez-vous au
domicile pris à l’avance. A chaque visite donc, ma mère était bien entendu toujours cordiale et
sereine avec moi, se portant même en victime en précisant qu’elle ne savait plus comment faire
avec moi, qu’elle ne se sentais plus capable de s’occuper de moi.
Les coups, les maltraitances, les humiliations n’ont donc jamais pu être constatées directement
malheureusement. Et cet été fût tout aussi difficile et douloureux que les précédents.
Vint enfin le départ en colonie de vacances. Cette colonie a été la dernière que j’ai faite, et la
seule que je n’oublierais pas, ou en partie en tout cas. Notamment parce que c’est durant cette
colonie que je me suis cassé le poignet pour la première fois. Un matin ordinaire, on jouait au
football avec les copains, moi dans les cages de but, plutôt bon dans cette discipline. J’enchaîne
les arrêts, je prends confiance, jusqu’à un tir puissant de l’un de mes camarades. Je le vois, me
prépare, tends les mains pour arrêter le ballon, puis un gros crac sourd suivi d’un hurlement tel,
le premier véritable hurlement de douleur de toute ma vie, bien plus douloureux que les coups
répétés de ma mère, qui à force de tanner ma peau l’a endurcie telle du cuir.
Cette douleur donc, intense, impossible à calmer, j’ai dû la tenir toute une journée.
En effet, l’Organisme Privé de Centre de Vacances n’avait pas l’air d’être complètement formés
dans ce genre de situation.
J’ai donc pu aller enfin faire des radiographies en début d’après-midi dans un centre de
radiologie privé. Le résultat ne s’est pas fait attendre et le verdict fût sans appel : un poignet
fracturé de part en part. Je vous laisse imaginer ensuite, au vu de l’organisation des moniteurs,
la journée atroce que j’ai dû passer avec un poignet fracturé et sans maintien.
Il m’a fallu patienter jusqu’au soir pour enfin finir plâtré du poignet jusqu’à l’épaule,
extrêmement pratique pour la continuité de mes vacances et très handicapant dans la plupart
des activités.
Mais au-delà de cet événement, les vacances étaient incroyables. Je me suis fait de nombreux
amis, quelques petites copines durant le séjour, et les activités n’étaient certes pas folichonnes
mais très intéressantes. Nous faisions de nombreuses randonnées, ce que j’adorais, accompagné
d’un guide forestier qui au-delà de la marche était d’une pédagogie et d’un intérêt exceptionnel
pour ma part. Il nous apprenait à reconnaître les traces des différents passages des animaux tout
en nous expliquant quel était cet animal et de quelle façon il le reconnaissait.
Ce sont surtout ces escapades qui m’ont marqué, d’autant plus pour un enfant aussi intéressé
que moi par ce qui l’entoure.
Toutefois, l’événement majeur de cette colonie était la fameuse boum hebdomadaire. Rien de
tel pour se rapprocher des filles et se trouver des copines.
Sans vantardise, étant plutôt un beau jeune garçon, j’ai pu avoir plusieurs copines durant le
séjour, dont une en particulier qui m’a marqué. Pourquoi ? Et bien parce que c’est cette dernière
qui m’a lâchement quitté en plein sur un slow de Céline Dion. Musique inoubliable grâce à cet
événement.
Bref, grâce à cette colonie de vacances, j’ai pu expérimenter d’autres interactions sociales, mais
véritables cette fois, tout en baissant ma garde. Ce fût encore une fois une excellente expérience
mais qui malheureusement renforcera mes déviances concernant la vie en société et l’amitié :
je décidai de continuer à me faire des amis plutôt par intérêt que par réelle amitié.
Vint la fin du séjour, retour à la maison, toujours cette même angoisse durant le trajet…
Enfin de retour, je descends du car, retrouve ma mère en pensant qu’elle allait s’inquiéter à la
vue de mon plâtre. Qu’elle ne fût ma surprise lorsque ces premiers mots ont été pour m’assaillir
de reproches quant à ma fracture. Elle me tenait pour responsable et trouvait la situation plus
que contraignante pour elle. Elle me reprocha même d’avoir laissé mes camarades me signer ce
plâtre - pratique pourtant très répandue à cette époque – et m’accabla de sa désapprobation
quant à l’état graphique de mon plâtre, en m’assurant que cela était un manque de respect envers
les médecins, renforçant mon sentiment profond de culpabilité.
Quelle ne fût ma surprise et ma satisfaction lorsque vint le jour de retirer mon plâtre. Le médecin
me lança une petite réflexion sympathique quant à la quantité de signatures, trouvant cela très
amusant.
Le visage de ma mère se décomposa, je fus satisfait mais ne dis rien, je n’allais pas prendre le
risque d’un retour violent à la maison.
Toutefois, vivant toujours dehors durant les vacances d’été, j’avais continué à barouder et ne
pas faire attention à mon poignet malgré les activités pratiquées telles que du vélo ou de la
trottinette, du sport et autre. Si bien que je dus garder une partie de mon plâtre durant encore un
certain temps.
Ce prolongement m’arrangeait car je croyais que cela retiendrait les coups de ma mère, étant
blessé. Mais j’étais loin de réellement la connaître, elle et ses capacités à toujours innover
lorsqu’il s’agissait de violence.
CHAPITRE 10

Le 20 septembre 2001, à la suite du signalement du 9 août 2001 et des différentes visites au


domicile des éducateurs et assistants sociaux, une mesure d’IOE – une mesure d’investigation
et d’orientation éducative – fut instaurée par le juge.
A cette partie du récit, je tiens à repréciser qu’au départ je fus pupille de l’Etat, mais que depuis
mon départ à l’internat de Belgique je sortis directement du système de l’Aide Sociale à
l’Enfance. Enorme faute pour ce qui est de mon avis car il avait été avéré que l’environnement
familial était déséquilibré et dangereux pour moi, sans compter que ma mère avait été
diagnostiquée psychotique. Généralement, dans le social, lorsque l’on remet un enfant à sa mère
alors qu’un diagnostic psychologique défaillant a été mis en évidence, une sorte de contrat est
établi. C’est-à-dire que la garde est accordée sous certaines conditions à suivre par le parent.
Pour ma mère, en l’occurrence, le contrat le plus judicieux aurait été d’établir un contrat avec
elle la forçant de suivre une thérapie pour obtenir ma garde. Ce qui n’a jamais été fait alors que
cela aurait pu me protéger. Je considère donc qu’une faille importante du système est à mettre
en évidence : premièrement on m’a rendu à une mère psychotique sans suivi psychologique,
puis en second j’ai été rejeté du système de l’Aide Sociale à l’Enfance, sans conserver aucun
suivi, durant mon année en Belgique. Soit deux fautes selon moi qui auraient pu être évitées et
changer peut-être le fil de mon existence.
S’ensuivit donc ma nouvelle rentrée en classe de 6ème au collège René Cassin de Guénange.
J’allais enfin découvrir l’école des grands, j’avais hâte. Toutefois, ma rentrée fut gâchée par
quelques détails. Le premier était purement esthétique : je me rendis compte que tout le monde
portait un sac à dos, style collège, et non pas un cartable comme moi, style école élémentaire.
Premier sentiment de honte. Le deuxième fut vestimentaire si je puis dire : ma mère me forçait
à porter des couches lorsque je me rendais au collège. Et enfin le dernier fut matériel : par peur
de je ne sais quoi, ma mère m’avait acheté des fournitures assez particulières pour un collégien.
C’est comme cela que je me retrouvai avec un compas et une paire de ciseaux en plastiques,
franchement pas évidents pour la géométrie ou l’art plastique.
Cette rentrée fut exceptionnellement dérangeante pour moi. J’avais l’impression de sentir tous
les regards sur moi, j’avais l’impression que tout le monde voyait à travers moi, je n’osais pas
marcher par peur de faire trop de bruit avec ma couche, etc… Les passages aux toilettes étaient
toujours les pires. En raison de la couche que je portais chaque jour, dès que je me trouvai aux
toilettes, je vérifiais qu’il n’y avait personne avant tout. Pourquoi ? Tout d’abord à cause du
bruit produit par le frottement de la couche, mais également car les toilettes n’étaient que de
simples parois laissant un espace vide en bas et en haut de la cloison. J’angoissais donc toujours
de me faire repérer avec cet humiliant accessoire.
Malheureusement, cette crainte là persista car le port de la couche n’était pas destiné qu’à la
rentrée scolaire, mais bien à ma scolarité toute entière.
De retour le soir, commencement de ma routine quotidienne, en semi-liberté, à ne pouvoir sortir
que la journée pour aller travailler mais toujours de retour le soir dans ma cellule.
Toutefois, une chose avait changé. En plus d’un lit de camp, d’une simple armoire, d’un bureau
et de volets cadenassés, j’avais amené avec moi des trésors de connaissances : les manuels
scolaires.
C’est alors que je commençai mon apprentissage seul, chaque soir en rentrant du collège, me
permettant de m’évader dans des choses simples sans ambiguïté. Les mathématiques, les
sciences, les arts, la littérature étaient ce qu’ils étaient, il n’y avait pas de place aux doutes, tout
était simple et c’était un fait, aucunes nuances. Un moyen exceptionnel d’évasion dans un
monde de connaissances pour nourrir mon insatiable curiosité. Si mon corps devait être meurtri,
je me devais de forger et renforcer mon esprit et mes connaissances.
C’est comme cela qu’en l’espace de trois mois j’avais accumulé seul tout le programme de 6ème
dans toutes les matières. Les résultats ont suivi, exceptionnels mais intriguants.
Je peux donc dire que ma scolarité lors de cette période était vraiment agréable. Je me faisais
une réputation d’intello mais petit à petit cela m’a rapproché de certaines personnes et je réussis
presque à me faire de vrais amis. Si seulement j’en avais eu le temps.
Toutefois, durant cette période, un autre attrait de ma personnalité s’est développé : être le
meilleur et dominer. Si bien qu’au-delà des notes, je m’investissais dans toutes les élections,
que je remportais chaque fois, jusqu’à gagner même une place au côté du maire de la commune
en tant que représentant du collège en quelque sorte.
Rien ne m’effrayait au vu de ce qui m’attendait à la maison. J’en allais même jusqu’à chercher
plus d’un lycéen. Comme une fois à la cantine lorsque l’un d’eux passa devant moi, je ne sais
plus ce que j’ai dit et fait, mais je me souviens qu’il m’attrapa par le col et me souleva du sol
alors même que je me mettais à lui sourire et à en rire. Mes souvenirs ne me disent plus comment
se termina cette histoire. Bref, un nouvel attrait de ma personnalité avait fait surface.
Mais les journées de classes ne durent pas vingt-quatre heures, et forcément il y avait tout le
reste. Les coups et blessures continuels.
Le 119 existait bien sûr, j’en avais l’entière connaissance – comment oublier un nombre dont
la somme de ses 4 diviseurs est le carré de 12 et qui s’écrit d’une parfaite symétrie en système
binaire ? – mais de quelle manière aurais-je pu l’utiliser ? L’idée m’ayant bien évidemment
traversé l’esprit, encore plus facile à retenir que le numéro du Père Noël qui lui n’a rien de
mathématiquement intéressant, seulement un jingle qui me hante à nouveau. Bref, la parenthèse
étant close, revenons à la manière de contacter les Supermans de la maltraitance infantile ! Ou
tout du moins des opérateurs dont leur fonction n’était pas clairement établie, pour un enfant.
Du plus lointain que je me souvienne, à cet âge, je n’avais aucun moyen de communication en
dehors du domicile carcéral. Je ne possédais pas non plus ces énormes machines que l’on osait
nommer « téléphone » à cette époque. Il ne me restait donc qu’une seule solution : emprunter
le téléphone de quelqu’un ou chez quelqu’un, ne garantissant aucun anonymat et donc étant
source d’angoisse profonde quant aux informations qui pouvaient être interceptées ou
interprétées, mais surtout répétées. Il n’existait donc pour moi aucun moyen, pour mon jeune
âge toujours, de pouvoir me libérer de ces atrocités. Ah si ! Que dis-je ? Le 119 était un numéro
d’urgence gratuit, et donc gratuit également à partir d’une cabine téléphonique, tout comme le
112. Mais le sait-on à seulement à dix ans ? Nous l’apprend-on ? Sommes-nous éduqués
correctement sur l’attitude et les moyens à employer ? Et bien non, rien de tout cela, même le
personnel pédagogique ne faisait aucune prévention ou sensibilisation sur ce sujet.
Heureusement, au milieu de toutes ces péripéties je pouvais continuer de passer plus de huit
heures par jour au sein même de mon Eden : le collège.
Au départ, je prenais le bus et j’étais inscrit à la cantine. Par la suite, je n’avais plus de carte de
bus ne même la cantine je crois. Je venais donc à pied et ne mangeait peut-être pas durant la
pause midi. C’est à la suite nombreux retards je crois que je finis par sympathiser avec une
pionne. C’est cette dernière qui remarqua petit à petit le manque de nourriture, ne serait-ce que
lors de la récréation de dix heures, alors que tous mes autres camardes avaient leurs goûters.
Ce serait hypocrite et malvenu de ma part d’aduler le collège est d’en faire ensuite son procès,
mais je vais plutôt cibler le système en général. Le système scolaire suffoque – ou en tout cas
avait l’air de suffoquer- l’Education Nationale ne faisait rien mis à part présenter des « projets »,
des « actions », des « plans », mais aucune réelle initiative n’avait été prise de leur part jusqu’à
aujourd’hui, au moment où j’écris ces quelques lignes, où les débats actuels parlent de
harcèlement scolaire et de suicides d’élèves, sans action du gouvernement pour autant alors que
ces infections gangrènent le milieu scolaire depuis plusieurs décennies déjà.
C’est certainement pour cela qu’il n’y a jamais eu de signalement de la part du collège et du
personnel pédagogique, notamment l’assistante sociale scolaire. Pourtant tous les signes étaient
réunis pour alerter, ou au moins ne serait-ce que se poser la question sur la situation au domicile.
Mais il n’en fut rien, mise à part la pionne avec laquelle une confiance mutuelle s’était installée.
Je pense qu’elle doit y être pour beaucoup dans mon sauvetage.
Tous les matins elle me tendait un goûter, tous les midis elle m’accompagnait, tous les jours
elle restait en permanence jusqu’à la fermeture de l’établissement aux élèves. Une bouffée d’air
et de liberté dont je me délectais avant ma brutale indigestion quotidienne : le retour à la dure
réalité.
Les jours continuent de passer et de se ressembler : les coups, les cours, les coups, les cours,
toujours le même rythme et la même rengaine. Si bien que l’on s’y fait.
Mais au milieu de tout cela, quelques extravagances venaient compléter le tableau.
Un soir précis par exemple, comme tous les soirs initialement, j’entendis le grincement du
plancher situé sur le parvis – si j’ose dire – de ma chambre. S’en suit un cliquetis dans le verrou
de la porte et le bruit sourd de l’ouverture de celle-ci. Quelle ne fut ma surprise lorsque je vis
face à moi ma mère, une expression bienveillante, sans geste brusque, s’approcher de moi et
m’inviter à rejoindre la salle de bain. Comme à mon habitude, je m’exécute, me rends dans la
salle de bain, me déshabille immédiatement et me précipite vers la baignoire. Je me souviens
que c’était encore ces vieilles et petites baignoires avec assise. J’étais donc fin prêt pour le
décrassage. Plus j’approchais mon pied de l’eau et plus la chaleur envahissait mes extrémités.
Jusqu’à cette foudroyante révélation lorsque mon orteil effleura seulement la surface : si elle
n’avait pas été liquide, j’aurais juré que l’eau était gelée.
Face à mon hésitation, ni une ni deux ma mère me poussa violemment dans la baignoire, se
saisit de la pomme de douche et m’arrosa d’eau glaciale. Devant la résistance manifeste et
inconsciente de mon corps à ne pas s’immerger, tentant en vain d’éviter le jet d’eau glacée,
qu’elle ne fut sa bonne idée de me frapper avec ladite pomme de douche afin de me donner
soigneusement le bain. Malheureusement, à force de coups répétés, l’objet ne résista pas et fini
par se désolidariser du tuyau de douche. Mais il en faut plus pour décourager la frénésie de ma
mère et l’arrêter. A la vue de ce malencontreux et irresponsable incident, elle reprit donc les
coups de plus belle, avec l’embout de tuyau cassé restant. Mon quart d’heure de souffrance
passé, elle me renvoya nu et trempé dans ma chambre, me balançant presque à travers le couloir,
puis me brisant un orteil au passage contre le chambranle de la porte, et refermant aussi, avec
le même et intelligible cliquetis, la porte de ma cellule. Après peut-être deux mois sans bain, je
fus enfin propre. Frigorifié, nu, trempé et blessé, mais propre, enfin.
Le lendemain, silencieusement, presque invisible, je m’efforce de ne pas croiser ma mère avant
de partir pour le collège. Une fois dehors, ma mère m’interpella depuis la fenêtre car elle avait
remarqué que je boitais. Peut-être un élan de compassion encore une fois motivé par la peur
d’une nouvelle visite des gendarmes à la suite des blessures provoquées à mon égard. Je ne sais
plus ce que je lui ai répondu mais je continuai ma route vers l’école.
Au-delà du fait de boiter, les coups répétés avec la pomme de douche puis le tuyau en métal
m’avaient complètement lacéré et cassé mon majeur et mon annulaire droits. Difficile aussi de
cacher cette blessure. Il fallut donc que je trouve une excuse. Ni une ni deux, je réponds
rapidement que mes doigts se sont coincés violemment dans la porte de ma chambre, pensant
que cette version conviendrait à tout le personnel scolaire. Ce qui fut certainement le cas comme
aucun signalement de l’école n’a été retrouvé à la suite de mes enquêtes.
D’autres épisodes intéressants ce sont passés. Un en particulier car ce dernier témoigne de
l’inaction et de la lâcheté de l’espèce humaine. J’étais un soir seul, ma mère absente de la
maison, enfermé à clé dans ma chambre et les volets toujours cadenassés. Je commençai à avoir
extrêmement mal au ventre en raison d’une envie véritablement pressante et critique d’aller à
la selle. Enfermé, ne pouvant sortir, devant supporter cette douleur jusqu’au retour de ma mère,
mes gémissements de douleur alertèrent les voisins qui se trouvaient à cet instant dans leur
jardin. Ils décidèrent de me demander ce qu’il se passait, je me mis à leur expliquer, entre deux
gémissements de douleur. Ils étaient donc au courant de ma situation : enfermés à clé dans ma
chambre, seul, pas d’accès aux commodités – n’ayant plus mon pot de chambre à cette époque
là - et les volets cadenassés. Pourtant aucun signalement n’a été fait par ce couple qui me
semblait salutaire à cet instant. Je dus donc souffrir jusqu’au retour de ma mère, mais bien trop
tard car mon corps avait déjà expulsé l’objet de ma douleur. Difficile de cacher un tel événement
et la sanction ne tarda pas. Encore aujourd’hui j’avoue vouer une haine sans précédent envers
tous ces témoins qui n’ont jamais osé parler ou signaler, même anonymement.
Quand l’hiver approcha, en décembre, je n’avais en guise de manteau qu’un simple et très fin
K-way, je n’apportais toujours pas de collation, je restais toujours en salle de permanence alors
que les cours étaient terminés. Même les jours de grève je passais mes journées en permanence.
Il n’a suffi que de ces quelques événements pour que ma pionne devienne de plus en plus une
confidente, une nourricière, une sentinelle, une amie, un salut.
Je parlais donc de friperies et de saison. Comme je n’avais plus de carte de bus, j’avais pris
l’habitude de me rendre à pied au collège le matin et de rentrer le soir à pied également. Soit
l’équivalent de quatre kilomètres à pied par jour je pense. Cette distance, je la parcourais donc
tous les jours, toujours vêtu au fil des mois de ce fameux K-way qui me servait de manteau.
Mais en décembre, les températures commencent à chuter drastiquement, et je me souviens que
les trajets devenaient de plus en plus pénibles et épuisants.
Un matin en particulier, peut-être plus froid que d’autres, je partis vaillamment comme tous les
jours au collège. Au fil de mon périple, je sentais de moins en moins mes extrémités, ma
cadence en fut affectée et je ralentis mais continuai mon chemin, n’ayant qu’un but en tête : le
collège.
Après la perte de sensation, déjà désagréable en soit, vient la douleur. Mes extrémités étaient
tellement gelées qu’elles se mirent tout à coup à me brûler de l’intérieur, à réellement me
consumer. La marche s’en retrouve encore plus affectées, la cadence diminue encore,
ralentissant le trajet mais rallongeant mon exposition au froid.
Malgré les douleurs, les difficultés à respirer et les morsures brûlantes du froid, je parvins à
mon but, au collège. Personne ne me remarqua à mon arrivée malgré mon retard. Je partis donc
directement en classe. Je toque, je rentre et m’assoit, personne ne réagit. Je m’installai à côté
d’un radiateur et petit à petit, mes frissons continuels malgré le chauffage alertèrent la
professeure qui m’accompagna directement à l’infirmerie.
L’infirmière de l’école alertée, moi emmitouflé dans des couvertures et les pieds plongés dans
de l’eau chaude mais paraissant bouillante de part la différence de température entre mes pieds
et le liquide, cette dernière conclue à une crise d’hypothermie.
Il aura donc fallu que j’approche dangereusement d’une hospitalisation pour enfin faire l’objet
d’une attention particulière par le personnel pédagogique du collège. Malheureusement, ce
genre de sujet est tellement sensible qu’aucun n’ose prendre de décision sans preuve suffisante,
risquant au passage la vie, l’existence des victimes.
En sus des coups journaliers et de la pression psychologique constante, je pense que ce fut cet
événement qui influa sur la suite de mon existence.
Bien que j’apprenne après enquête que ce fut avec l’accord de ma mère, je fus placé à nouveau
dans un troisième foyer, toujours à Thionville, le 26 décembre 2001.
Je précise avec l’accord de ma mère car cela m’a profondément choqué que, malgré tous les
événements passés sur cette période et malgré la mesure d’Assistance Educative en Milieu
Ouvert instaurée, à aucun moment il n’a été jugé utile, pour me protéger, de me placer en
urgence.
Non, il a fallu patienter, souffrir et demander de surcroît l’accord de ma mère pour me placer.
Bref, absurde.
CHAPITRE 11

16 décembre 2001, ce qui restera mon dernier placement jusqu’à ma majorité débuta.
C’était un foyer ce qu’il y a de plus banal, l’architecture très géométrique du bâtiment rappelait
l’architecture de mes précédents établissements sociaux. Une façade claire, parsemée de
balcons pour chaque chambre, sur deux étages dit de vie. Au rez-de-chaussée se trouvait la
majorité des espaces communs tels que les salles télévision, les réfectoires, la salle
informatique ; mais également les espaces pédagogiques et sociaux réservés au personnel tels
que les bureaux, la cuisine, la lingerie, l’espace médical et psychologique. Tout était donc prévu
et mis en place pour une acclimatation et un développement personnel serein.
Par ma nature introvertie, l’arrivée dans ce nouvel environnement resta tout de même très
compliquée au départ. J’étais enfermé dans un mutisme profond, je ne me mélangeais jamais
avec mes camarades, sauf durant les heures de repas. Mes réflexes pavloviens me gâchaient
également mon quotidien : il était quasi impossible de m’approcher sans que je ne me mette en
position de protection, chaque geste brusque effectué proche de moi entrainait une réaction de
défense instantanée de ma part. Bref, l’adaptation à cette nouvelle vie ne démarrait pas de bon
pied.
Je me rappelle ma première nuit. J’eus la chance d’être installée dans une chambre que je
partageais avec un ancien camarade que j’avais connu vers l’âge de 4 ans lorsque je vivais dans
mon premier foyer. Heureusement que ce dernier était là, ce fut mon phare, mon guide pour
comprendre les rouages de cette nouvelle machine.
Pour cette première soirée donc, au moment du coucher, je m’installe dans le lit et pose le
casque de mon walkman sur les oreilles. Appareil offert par ma grand-mère paternelle
(considérée déjà avec ce statut auprès de la justice sans même qu’une paternité n’ait été
reconnue me concernant) accompagné de quelques cassettes audios de best of des années 70’s
et 80’s.
Bercé par ce seul lien me raccrochant à l’extérieur ou à un semblant de famille, je finis par
m’endormir tranquillement jusqu’au lendemain matin, premier jour de collège dans un nouvel
établissement.
Le réveil de ce matin-là restera l’un des événements les plus gravé dans ma mémoire en raison
d’une situation toute bête. En entendant la porte s’ouvrir, et du fait de mes expériences passées,
je me réveille immédiatement. Quelle ne fut ma surprise lorsque la silhouette se tenant à la
porte, dans la pénombre, les cheveux longs d’un blond éclatant, se mit à parler. Pensant avoir à
faire avec une éducatrice, la voix perçue me fit un choc : une voix d’homme. M’attendant à une
femme, ce premier réveil reste l’un de mes plus mémorables en raison du choc très matinal de
l’inadéquation entre la voix et la silhouette, entre l’ouïe et la vue, pensant au premier abord que
mes sens me jouaient des tours. Mais il n’en fut rien.
Une fois au réfectoire pour le petit-déjeuner, en pleine lumière, je comprends que l’éducatrice
en question s’avère bien être un éducateur. Il aura été l’un des premiers éducateurs avec qui
j’eus l’une de mes premières interactions, aussi minime soit-elle.
Ce dernier était un éducateur d’une patience exceptionnelle, d’un calme olympien, il dégageait
une certaine sérénité et je sentis au plus profond de moi que cet individu pouvait être d’une
confiance inaliénable.
Une fois les préparations matinales effectuées, direction le collège. Celui-ci se trouvait à
environ dix minutes à pied. Un très ancien établissement daté de 1910 apparemment si l’on en
croît sa célèbre entrée : la porte 1910. Porte qui changera d’année bien des années plus tard par
mes soins, mais passons.
J’étais dans la classe de 6ème4. La coutume veut qu’un nouvel élève arrivant se présente à toute
la classe. Quelle épreuve ! Je ne sais même plus ce que j’ai dû bredouiller mais cette étape fût
un vrai calvaire. C’est de cette façon que j’entamais une fois encore une nouvelle année scolaire
dans un nouvel établissement. Et toujours avec cette même honte vis-à-vis de mes fournitures
d’école élémentaire.
Les premiers mois furent réellement difficiles. J’avais quitté les seuls vrais amis que je n’avais
jamais eu. D’autant plus qu’un jour, sur accord du juge, ma pionne a pu me rendre visite au
foyer, m’amenant avant tout quelques cadeaux, mais surtout une carte énorme signée par tous
mes anciens camarades de classe. Je crois que ce fut la première fois que je sentais une telle
chaleur et une telle tristesse. Mais le Graal aura été je pense, lorsque cela existait encore, une
carte à puce me permettant d’appeler depuis la cabine téléphonique du foyer. Cela m’a permis
de garder contact pendant quelques temps avec une amie particulière, jusqu’à ce que le temps
fasse son travail, efface les mémoires, et m’éloigne de tout mon passé.
Sans compter qu’au-delà de l’éloignement de mes anciens camarades, tombant peu à peu dans
l’oubli, ma mère mettait un point d’honneur à continuer de me tourmenter au sein même du
foyer. A la naissance de ma dernière sœur, j’eus l’envie fraternelle de lui offrir un petit quelque
chose pour son arrivée parmi nous. Mon choix s’était posé machinalement sur un petit ourson
en peluche, d’une taille et d’une douceur parfaites pour un bébé selon moi à l’époque. Cette
peluche, ce présent pour ma sœur, avait été transmis à ma mère à destination de cette dernière.
Mais cela n’ayant pas été du goût de ma mère, ou peut-être est-ce simplement son envie de me
détruire qui a engendré ce comportement, cette dernière vint un soir au foyer pour me voir. A
la simple annonce de sa présence, je me pétrifie. Malgré tout je descends, accompagné d’un
éducateur, refusant de rester seul. Une fois devant ma mère, le contact visuel fut bref mais
terriblement glacial. Elle mit la main dans son sac et en sorti la peluche offerte bien plus tôt à
ma sœur et m’affirmant haut et fort, devant même l’équipe pédagogique, que ma sœur n’en
avait rien à foutre de cette peluche, qu’elle la repoussait et la rejetait sans cesse, qu’elle ne
l’aimait tout simplement pas. Normal selon elle, car c’était un présent d’un marginal, d’un
gangréné, et d’un fantôme aux yeux de ma petite sœur.
Durant cette première période d’acclimatation au foyer, j’eus la chance de participer à un séjour
d’une semaine au ski organisé par l’établissement. Comme tous les jeunes ne participaient pas
à ce séjour, la majorité rentrant dans leur famille les week-ends et les vacances, cela me permis
de pouvoir tenter de me sociabiliser avec les autres membres du foyer que j’accompagnais.
De plus, mon camarade de chambre et camarade depuis mes 4 ans faisait partie de cette épopée.
Si bien que lorsqu’il a fallu évaluer le niveau de chacun, je mentis en affirmant que j’avais déjà
skié pour me retrouver avec ce fameux camarade. Ce dernier me glissa discrètement à l’oreille
qu’il fallait simplement que je fasse le fameux chasse-neige pour être accepté dans le groupe
des initiés et donc avoir la possibilité de skier librement sans moniteur.
Ce qui fut le meilleur apprentissage. A la fin du séjour, malgré le fait de n’avoir jamais skié de
toute ma vie, je réussis tout de même à obtenir ma première étoile. Même malgré ma
mésaventure lorsque je m’étais engagé trop rapidement dans un virage, m’envoyant directement
dans les filets délimitant les précipices, me retrouvant suspendu et coincé dans le vide. Sacrée
expérience.
De retour de ce séjour, quelques liens avaient donc commencé à se créer avec certains de mes
camarades. Bien que nous n’en fussions qu’aux prémices de mon évolution.
Les choses se précipitèrent ensuite dès le deuxième trimestre de l’année 2002, des changements
comportementaux aux évolutions judiciaires et familiales me concernant.

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