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Dessins Cléa Favre

© ODILE JACOB, JUIN 2022


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www.odilejacob.fr

ISBN : 978-2-7381-5567-2

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Avertissement

Tout au long du XXe siècle et depuis le début du XXIe, le thème de la


paternité a intéressé non seulement les écrivains – essayistes et
romanciers –, mais aussi les chercheurs en sciences sociales (histoire,
sociologie, ethnologie) et en sciences humaines (psychologie, psychiatrie,
psychanalyse). Nous partageons cette curiosité que nous allons développer
en réduisant considérablement la focale : réduction temporelle, puisque
notre regard embrassera la période qui va du milieu du XXe siècle à nos
jours ; réduction du champ scientifique aussi, puisque nous nous
positionnerons comme psychologues de l’enfant en harmonisant, autant que
faire se peut, l’approche de la clinicienne et celle du chercheur. Le fait que
nous ayons été, il y a bien longtemps et avec un décalage temporel
qu’explique notre différence d’âge, parmi les élèves de Philippe Malrieu –
professeur de psychologie à l’université Toulouse-Jean-Jaurès et fondateur
du laboratoire « Personnalisation et changements sociaux » (PCS) – n’est
pas étranger à cette tentative de rapprochement. Nous avons donc, Monique
Eizenberg et moi-même, un enracinement intellectuel commun. Par ailleurs,
nos parcours professionnels respectifs nous ont amenés à collaborer à
plusieurs reprises.
Introduction

Jean Le Camus

En préambule, je voudrais ici expliquer pourquoi mes travaux se sont


focalisés sur le père et plus spécialement encore sur le père du jeune enfant.
Ma double appartenance au monde des acteurs de la motricité humaine (en
qualité de professeur d’éducation physique et sportive, j’ai exercé pendant
une douzaine d’années à l’UFR STAPS) et au monde de la psychologie
universitaire (en qualité de professeur à l’UFR Toulouse-Jean-Jaurès, j’ai
enseigné pendant vingt-trois ans) m’a convaincu de l’importance du
développement moteur précoce de l’enfant : Henri Wallon m’avait fait
comprendre que dans la phase préverbale du développement de l’enfant, le
mouvement constitue « le premier instrument et la première expression du
psychisme ». J’étais convaincu aussi par l’importance des relations que
l’enfant tisse très tôt au sein de sa famille, et, pour commencer, avec sa
mère et son père. Ces deux croyances consolidées par les contributions de
quelques personnalités scientifiques de haut rang (Julian de Ajuriaguerra et
Serge Lebovici, par exemple) m’ont conduit à créer une équipe de
psychologie du jeune enfant au sein du laboratoire PCS. J’ai eu la chance
aussi d’assister à l’éclosion des « nouveaux pères » : cette apparition
localisée principalement en Amérique et en Europe a représenté, pour les
témoins de l’époque, un phénomène culturel historique. Je dois préciser
enfin que mes avancées dans le domaine de la recherche ont été stimulées
par la présence de coéquipiers talentueux, et je ne dirai jamais assez
combien je dois à la créativité et à l’ardeur au travail de ces jeunes
chercheurs… aujourd’hui proches de la retraite. Leurs productions au cours
des années 1990 méritent encore la citation.
À cette heure, et alors que j’ai déjà vécu vingt-deux années de réflexion
postuniversitaires, mes convictions d’enseignant-chercheur, père et grand-
père de surcroît, n’ont pas subi l’usure du temps. Il me semble toujours
aussi évident que les deux parents, la mère et le père, contribuent fortement
et de manière complémentaire au développement de l’enfant, et ce dès son
plus jeune âge. Évident que, dans la mesure du possible, ils doivent être
présents au même titre et avec la même assiduité auprès du bébé et de
l’enfant. Évident que leur mission est pour une part commune (ils sont
également pourvoyeurs d’amour et d’autorité), pour une part différente (ils
sont – le plus souvent – homme et femme et ils ont aussi affaire à des
garçons et/ou à des filles, c’est-à-dire à des personnes sexuées). Cette
dernière affirmation, fruit d’une expérience scientifique de longue durée,
n’a fait que se clarifier et se renforcer au fil des échanges qui m’ont ouvert
aux idées de ma collègue praticienne, Monique Eizenberg. Me familiariser
avec l’idée de « sexualité psychique » et avec la démarche thérapeutique
préconisée par la psychanalyse d’aujourd’hui ne m’a pas effarouché, loin de
là : au contraire, je suis ressorti du dialogue plus lucide et plus tolérant.

Monique Eizenberg

La traversée de l’histoire, les guerres, les progrès scientifiques, les


grandes découvertes, les lois de l’évolution nous ramènent toujours au
constat que quelle que soit l’époque, il faut un homme et une femme pour
concevoir un autre être humain, ou, au minimum, un spermatozoïde et un
ovule. Mais cela suffit-il à lancer dans l’aventure un autre être muni des
capacités nécessaires à son adaptation au monde ?
Le projet de concevoir un enfant s’inscrit, du moins dans notre culture
européenne, dans une réflexion approfondie dont les conclusions ne sont
pas si évidentes car, aujourd’hui, la continuité narcissique
intergénérationnelle n’en est plus la seule justification.
Les angoisses sur l’avenir freinent la réalisation d’un projet d’enfant,
d’autant que chaque homme, chaque femme peut contrôler ce désir dans sa
mise en acte ou non. Malgré cette maîtrise théorique de la fécondité, les lois
internes au psychisme humain nous montrent que « le moi n’est pas maître
en sa demeure » et qu’il y a toujours des avortements spontanés, provoqués,
des interruptions médicales de grossesse, ce que j’appelle des accidents de
la vie.
Aujourd’hui, pendant que j’écris ces lignes, une extraordinaire et
gravissime crise sanitaire touche l’humanité tout entière, de par le
coronavirus, un fantôme capable de semer la mort à la plus grande échelle.
Cependant, toute crise, tout danger ouvre des questionnements nouveaux et
à ce jour, la question de l’enfant, des places et fonctions parentales est
encore plus prégnante et nous interroge, en tant que psychanalyste, face à la
souffrance psychique sous tous ses aspects.
Il me semble que, depuis Freud, l’évolution et le questionnement autour
des parentalités se sont fortement accélérés.
Le terme « parentalité » est inventé par Paul-Claude Racamier en 1961
et introduit dans le Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis
(nous en reparlerons plus loin). Il inclut le père et la mère, en produisant la
cellule sociale, qui a une incidence considérable sur le devenir de notre
civilisation : elle peut être facteur de progrès extraordinaire comme facteur
de destruction de l’ordre établi jusque-là. Plus la civilisation se complexifie,
plus l’équilibre entre pulsions de vie et pulsions de mort est fragile.
Dans la pratique clinique, je constate que depuis de nombreuses années,
et cela insidieusement, les pères prennent une place nouvelle dans la
relation avec leur(s) enfant(s). Le fait qu’un couple sur deux en moyenne se
sépare favorise la prise de responsabilités des pères, dans un pourcentage
cependant trop faible encore (30 %).
Pour Freud, son père eut un rôle identificatoire fondamental bien qu’un
écart d’âge non négligeable existât entre eux ; il le vit subir des humiliations
en tant que juif, ce qui eut pour effet de dégrader l’image qu’il avait de lui
en même temps qu’un désir de réparation pour préserver l’intégrité de ce
modèle identificatoire. C’est la perte de son père qui, le plongeant dans un
état dépressif, lui ouvrit la voie de son autoanalyse et de la psychanalyse.
Pour lui, la mère, première séductrice de l’infans, enfant avant le
langage, a une fonction si évidente par nature qu’elle n’est pratiquement
jamais remise en question. Et pourtant, à cause d’une histoire personnelle
traumatique, une mère peut être maltraitante, physiquement et
psychiquement.
Avant de développer la question du père dans la construction des tout
premiers liens avec le bébé, je voudrais attirer l’attention du lecteur sur le
fait que la majorité des séparations conjugales adviennent peu de temps
après la naissance du premier enfant. C’est un constat douloureux car cette
situation n’offre pas à l’enfant le bénéfice de vivre au sein d’une triade
solide et le fragilise dans sa construction psychique. Par ailleurs, les
systèmes actuels de garde en alternance posent aussi la question de leur
impact éventuel sur l’enfant selon son âge, et celle de la santé
psychologique des parents, etc. Nous y reviendrons au cours de cet ouvrage.
Il n’est pas possible de passer en revue toutes les situations quotidiennes
dans lesquelles se joue la question de la parentalité, cependant des points
cruciaux ressortent de mes constats d’analyste :
Dans la bataille pour l’égalité des sexes, une place était demeurée
vacante ou écartée volontairement par le sexe féminin : celle de
l’exercice des fonctions affectives et éducatives. Les pères peuvent
enfin les expérimenter aujourd’hui, notamment dans les situations de
séparation. Même si d’autres problèmes émergent, il n’est pas inutile
d’y regarder de plus près. De ce fait, nous pouvons enfin parler de la
fonction du père dès les tout premiers moments après la naissance, voire
bien avant celle-ci.
L’homme aurait moins peur de montrer que nous avons une bisexualité
psychique et que la relation avec un petit permet d’exprimer cette part
féminine chez le père, sans pour autant porter atteinte à sa virilité ; elle
lui fait revivre également, inconsciemment, sa propre venue au monde
avec ses aléas et ses découvertes émerveillées du monde qui l’entoure.
Comme les femmes peuvent aujourd’hui accéder à des postes à
responsabilités, même si des inégalités persistent encore comme les
écarts de salaire, les hommes devenus pères peuvent choisir en toute
conscience de rester à la maison pour s’occuper des tâches qui, jusque-
là, étaient traditionnellement dévolues aux femmes.
L’évolution sociale va si vite aujourd’hui qu’il est possible de
rencontrer tous les cas imaginables de configurations familiales.
Il reste, en toile de fond, l’intérêt pour l’enfant : que les meilleures
conditions lui soient assurées pour son développement tant physique
que psychique.
Lorsque je suis sollicitée pour la prise en charge d’un jeune enfant, je
rencontre toujours les parents et je peux constater avec bonheur que de
plus en plus de pères conduisent leur enfant aux séances.
Enfin, j’essaierai de développer mon intime conviction, depuis ma
longue pratique en libéral, que les tout premiers moments de la vie d’un
enfant dépendent fondamentalement de la création des liens entre son père,
sa mère et lui-même. Et nous devrions être de plus en plus attentifs à une
action préventive à ce niveau-là, qui détermine la santé pour le reste de la
vie. Même si des thérapeutiques peuvent venir panser, et penser, elles ne
peuvent jamais effacer les manques, les traumatismes premiers qui sont
marqués émotionnellement chez le petit enfant. Nous pouvons affirmer que
plus les traumatismes interviennent tôt dans la vie d’un enfant, plus leur
impact est redoutable, pour son avenir. Précisons qu’il s’agit de plus
souvent de microtraumas. C’est leur accumulation qui semblerait délétère.
L’observation dans la nature du comportement animal, en particulier les
mammifères avec leurs petits, montre comment les soins s’organisent,
répartis entre les deux parents, principalement dans le cas de la monogamie
sociale. Des codes génétiques déterminent les fonctions parentales,
néanmoins nous en sommes les héritiers en partie et ce contexte est la
preuve d’une réconciliation possible entre l’homme et le règne animal.
C’est aussi une source d’inspiration.
Nous aborderons également d’un point de vue analytique les questions
soulevées par les nouvelles méthodes de procréation. Nous manquons de
recul pour juger ou évaluer leurs effets sur le devenir des enfants, tout
comme les nouvelles configurations familiales pour lesquelles aucun
vocabulaire n’a encore été inventé qui définirait la place de chacun et la
nommerait avec un mot précis. À voir, avoir… deux mamans, deux papas,
des sœurs qui ne sont même pas des demi-… marâtre, parâtre, belle-mère,
beau-père, copain de ma mère ou copine de mon père. Curieux, n’est-ce
pas ?
Pour terminer la présentation introductive de ce livre écrit en
collaboration avec Jean Le Camus, je tiens à le remercier de nous avoir
donné l’occasion de réunir deux approches complémentaires qui devraient
plus fréquemment mettre en commun leurs réflexions.
Si autrefois la psychanalyse pouvait donner l’impression d’une société
secrète de savants, impénétrable par le commun des mortels, elle a
aujourd’hui fait ses preuves théoriques et cliniques. Elle a subi un
mouvement de rejet, comme le mauvais objet à abattre, face à des
thérapeutiques plus ciblées, plus rapides. Mais, telle Pénélope, on revient
toujours sur l’ouvrage qu’est le décryptage de la pensée. Décryptage de la
pensée inconsciente qui constitue le soin, en permettant au patient d’accéder
à son moi conscient. Aujourd’hui, les psychanalystes sont sortis du mutisme
qu’on pouvait leur reprocher, pas toujours à tort. Il semble qu’enfin ils
prennent davantage part à la vie de la cité. Et la psychanalyse de l’enfant et
de l’adolescent recouvre ses lettres de noblesse.
N’oublions pas qu’avant de devenir adultes, nous avons tous été des
enfants et en gardons les marques au plus profond de nous.
Pour compléter cette introduction, osons quelques confidences. J’ai eu
la chance d’être la dernière doctorante de Philippe Malrieu. Pour des
raisons inconscientes à l’époque, j’étais passionnée par la question de la
subjectivation et de son importance dans l’avènement du langage.
L’observation de bébés pendant les deux premières années dans leurs
interactions et leur environnement a permis de formuler l’hypothèse que
l’intersubjectivité précède et conditionne l’intrasubjectivité. Si
l’intersubjectivité est une condition de l’intrasubjectivité, alors ces
processus dépendent de la qualité relationnelle de l’enfant avec ses parents
et plus largement avec son entourage. Parler des pères dans cet ouvrage,
c’est bien regarder ce qui est de l’ordre de la relation à l’autre,
concomitante de la relation à soi.
La vox populi dit qu’on revient toujours à ses premières amours. Voilà
qui est fait. Je crois également que nous avons en nous un fil conducteur qui
nous guide et qui est peut-être le résultat de nos identifications à des imagos
parentales.
L’originalité de l’ouvrage ne réside pas vraiment dans la nature du
questionnement : comme d’autres avant nous, nous nous sommes demandé
ce que signifie être père, ce qu’un garçon et une fille peuvent attendre d’un
père, en quoi sa contribution parentale se rapproche et s’écarte de la
contribution de la mère, etc. La nouveauté réside d’abord dans le fait que
nous avons esquissé une approche historique de ces problèmes : à ce titre,
nous pouvons qualifier notre étude de longitudinale. Par ailleurs, nous
avons essayé de nous placer à la fois dans la perspective de la psychologie
du développement et dans celle de la psychanalyse. Non pas pour mélanger
les deux disciplines (ce serait une faiblesse épistémologique évidente !),
mais pour démontrer que les deux approches peuvent s’articuler et se
compléter. Ce projet peut paraître ambitieux, il l’est sûrement puisque, à
notre connaissance, une telle tentative de mise en correspondance n’a
jamais été explicitement envisagée en France. Disons plus sûrement et plus
modestement qu’il n’est pas banal et qu’il s’annonce assez difficile compte
tenu de la disparité des fondements théoriques et des méthodes qui
caractérisent les deux disciplines ! C’est presque comme si, toutes
proportions gardées, on voulait articuler la pensée de Freud et celle de
Wallon, alors même que ces deux maîtres à penser n’ont jamais tenté de se
comprendre ! Nous sommes conscients de faire face à une gageure, mais
l’occasion de confronter les deux points de vue nous a séduits.
Notre démarche consistera à présenter dans un premier temps le
paradigme classique de la paternité, et pour l’essentiel la thèse qui avait
cours dans les années 1950-1960 chez les psychologues et les psychiatres
de l’enfant d’une part, chez les psychanalystes d’autre part. Une thèse qui
se proposait d’opposer radicalement un rôle maternel précoce et un rôle
paternel tardif et, plus fondamentalement, l’apport d’amour de la mère
versus l’apport d’autorité du père. Les fonctions parentales étaient conçues
comme liées au sexe.
Nous aborderons ensuite la vision quasi révolutionnaire des
années 1975-2000 au cours desquelles a été défendue l’utilité de
l’« engagement accru » du père, plus précisément la présence précoce du
père auprès de l’enfant. Nous verrons comment cette idée s’est introduite
dans le cadre des théories et des techniques, ce qu’elle a révélé de nouveau
dans la recherche et dans la pratique clinique, quels ont été à la fois sa
portée, son incontestable intérêt et… ses limites.
Enfin, nous exposerons ce que nous appelons l’« émergence d’un
nouveau paradigme », c’est-à-dire le principe qui, à nos yeux, devrait
permettre de dépasser l’antinomie amour maternel/autorité paternelle et qui
s’appuie en priorité sur le respect des besoins de l’enfant. Ce principe
pourrait trouver sa validation dans les secteurs de la recherche, de
l’éducation familiale et de la clinique de l’enfant, quelles que soient les
configurations familiales : biparentales, monoparentales, pluriparentales et
homoparentales.
PARTIE I

L’opposition des rôles


parentaux :
prestige et déclin du modèle
classique (1950-1975)
Il y a encore soixante-dix ou quatre-vingts ans, les psychologues de
l’enfant et les pédopsychiatres, d’une part, les psychanalystes, d’autre part,
pouvaient opposer sans sourciller un temps de la mère et un temps du père
et, plus précisément encore, l’amour maternel et l’autorité paternelle.
Quelle est l’origine de cette distinction fondatrice ? C’est ce que nous allons
tenter de cerner au cours de cette première partie. Nous utiliserons le terme
paradigme au sens de modèle théorique de pensée qui oriente la recherche
et la réflexion scientifique : dans cette partie, nous avons fait le choix de
qualifier de classique le modèle étudié.
CHAPITRE 1

Les pratiques traditionnelles des mères


et des pères

Nous ne nous attarderons pas sur l’examen des pratiques familiales de


soin et d’éducation précoce dans les sociétés dites primitives (ou, si l’on
préfère, « sans écriture »). En effet, les chercheurs spécialisés sont
quasiment unanimes à qualifier de constante interculturelle la division
sexuée des attributions. C’est ce que nous ont appris des ethnologues
comme Suzanne Lallemand, Françoise Zonabend, Martine Segalen ou des
anthropologues comme Françoise Héritier. De façon générale, c’est la mère
qui assume le rôle essentiel du nourrissage et du gardiennage du bébé et du
jeune enfant, et c’est au père que reviennent les tâches plus tardives de
l’éducation sociale : initiations rituelles, apprentissages d’ordre utilitaire ou
professionnel, guidance morale. Tel est l’invariant. Les écrits relatifs à des
exceptions partielles ou temporaires n’ont pas de valeur probante : nous
pensons par exemple aux cas des Na de Chine, qui vivent « sans père ni
mari », ou des Aka africains, chez qui les pères s’occupent des enfants
pendant que les mères « se livrent à la chasse », ou encore des Mossi du
Burkina, qui sont organisés avec « une surabondance de pères ». Nous
devons prendre ces comptes rendus comme des anecdotes, car, s’ils font état
de variations dans le répertoire des tâches remplies auprès de l’enfant, ils ne
remettent pas en cause le dimorphisme sexué des rôles et, pour l’essentiel,
la règle de l’intervention précoce de la mère et de la contribution plus
tardive du père. Bref, nous retiendrons le modèle biphasique de la
dissociation temporelle des fonctions parentales. Toutefois, dans certaines
de ces sociétés dites primitives, le père n’est pas celui qui possède
sexuellement la mère. Il serait intéressant, bien que cela ne soit pas notre
propos ici, de comparer l’impact de cet usage au regard des nouvelles
méthodes de procréation dans lesquelles, effectivement, il n’y a pas de
rapport sexuel…
Venons-en plutôt aux mœurs domestiques traditionnelles décrites par les
historiens. Nous percevons ainsi que les pratiques parentales constituent
une préfiguration du paradigme classique. Nous l’avons déjà dit dans
d’autres ouvrages, notamment dans Le Père éducateur du jeune enfant 1, et
nous nous limiterons ici à quelques illustrations représentatives.
C’est ainsi que, au cours du Moyen Âge, la règle dominante est que les
femmes gardent la responsabilité des soins et de l’éducation précoce de
l’enfant, et que les relations père-enfant restent sous le signe de la distance
et de la sévérité. Au cours de la première modernité (de la fin du XVe siècle
au début du XVIIe), l’allaitement maternel est généralisé, l’évolution de
l’enfant de 2 à 7 ans s’opère sous la direction de la mère et, après cet âge,
commence la période de l’ouverture sociale où le père assume souvent
l’initiation aux techniques du métier. Pour des questions de survie
économique, les enfants étaient mis au travail à un âge précoce. L’époque
de la Renaissance laisse présager l’avènement d’une paternité assumée et
épanouie, mais la responsabilité envers les tout-petits est toujours réservée à
la mère. À l’âge classique, on revient à la conception d’une paternité stricte,
de type despotique (certains ont évoqué une « monarchie paternelle »), et
l’autorité du père est considérée comme un « droit naturel ». À partir de la
Révolution de 1789, la puissance paternelle est abolie, l’ancien droit de
correction est limité (abolition des « lettres de cachet ») et le devoir
d’instruction est renforcé même si la différenciation ancienne des rôles
persiste en cas de divorce : la mère doit prendre en charge les filles et les
garçons de moins de 7 ans, le père a la garde des enfants de plus de 7 ans.
Le Code civil napoléonien a pu être considéré, à cet égard du moins,
comme une régression, en ce sens que le père est défini comme « celui que
le mariage désigne » (même s’il n’est pas le géniteur !). De plus, le père
retrouve le droit de faire emprisonner son enfant sur simple demande.
Quant à la phase d’industrialisation et d’urbanisation du XIXe siècle, elle
apparaît comme celle de la « fin des patriarches » et du transfert de la
fonction éducative du père vers l’école : on en trouve le symbole dans le
fait que le père peut être déchu de la puissance paternelle s’il est reconnu
comme indigne. On ne peut pas dire pour autant que cette loi sonne la fin de
la vision ancienne des rôles familiaux et notamment du rôle dominant du
père. C’est si vrai que Balzac est allé jusqu’à écrire au milieu du
e
XIX siècle : « La patrie périra si les pères sont foulés aux pieds. Cela est

clair. La société, le monde roulent sur la paternité, tout croule si les enfants
n’aiment pas leur père. » Propos qui semblent faire écho à ceux des
infatigables laudateurs de la patria potestas…
Cette brève évocation des coutumes du passé met en évidence une sorte
de constante historique : c’est au père que revient la charge fondamentale
d’exercer l’autorité au sein de la cellule familiale et cette obligation dévolue
au chef de la petite communauté apparaît comme un impératif catégorique.
Si elle n’est pas assurée, on estime que la société court à sa perte !
CHAPITRE 2

Les apports décisifs des sciences de la psyché


à la parentalité

Avant d’aller plus loin, quelques considérations générales et historiques


concernant la parentalité.
La parentalité recouvre un ensemble de notions, de fonctions qui
diffèrent et qui ont évolué au fil du temps : ce mot polysémique prend un
sens différent selon l’époque et selon l’idéologie sociale.
Déjà dans les années 1990, Didier Houzel distinguait trois dimensions
dans le fait d’être parent : juridique, pratique et subjective. C’est d’ailleurs
au cours de cette décennie que les regards sur la famille changent avec une
préoccupation marquée qui apparaît déjà en filigrane pour la santé et le
bien-être de l’enfant.
Dans ce sens, apparaîtront des aides à la parentalité sous diverses
formes institutionnelles.
Ce moment de grandes mutations prend en compte les transformations
de la famille dans nos sociétés.
La parentalité devient alors un terme générique pour désigner les
diverses formes de structures familiales rencontrées aujourd’hui :
parentalité adoptive, parentalité recomposée, homoparentalité,
pluriparentalité.
Au cours de cette même décennie, les progrès des méthodes de
procréation et l’accès à l’égalité dans ce domaine deviennent un enjeu
politique et économique important. On observe en même temps une
libération et un contrôle étatique, qui prend des formes différentes.
Cependant, le changement remarquable dans ce nouveau paysage social
est la dissociation de la conjugalité et de la parentalité. C’est ainsi que nous
constatons une sérieuse évolution des conflits conjugaux et des
recompositions parentales.

Donner une place au père


La psychologie de l’enfant de cette époque n’a pas réservé une place
centrale à la thématique de la paternité, mais l’un de ses représentants les
plus éminents, Henri Wallon, a régulièrement abordé le problème du rôle du
père dans le développement de l’enfant. Les idées de ce médecin et ancien
professeur du Collège de France étaient proches de celles des
pédopsychiatres que nous présenterons par la suite avec plus de précisions.
Mais que dit Wallon précisément ? Dans un texte publié en 1952 1, « Les
étapes de la sociabilité chez l’enfant », il soutient la thèse de la dissociation
temporelle des interventions de la mère et du père : l’enfant est d’abord lié à
la mère (phase de symbiose affective) puis « arrive le moment où certaines
personnes de l’entourage sont distinguées par lui, non pas peut-être en tant
qu’individus, mais en tant qu’elles jouent dans son ambiance un certain
rôle. Le rôle par exemple qui est tenu par le père ». Un peu plus tard, en
1954 2, il met l’accent sur l’importance fonctionnelle du père, garant de
l’autorité : « Il est contraire à la structure de la famille et à son équilibre
nécessaire que le père mette son autorité en sommeil ou qu’il laisse un autre
s’en emparer. » Les rôles de la mère et du père sont vus comme
pareillement essentiels et non interchangeables. L’absence de l’apport
paternel est jugée préjudiciable à l’enfant et la carence du père est conçue
comme « pouvant provoquer des troubles plus graves que celle de la
mère ». L’expression aujourd’hui couramment entendue, « père manquant,
fils manqué », en atteste ; elle est loin d’être un abus de langage et est
souvent vérifiée dans notre clinique.
Il est à remarquer que Wallon utilisait le terme « rôle », comme les
psychiatres et les sociologues, pour désigner les contributions parentales.
Au même moment (1950-1960), les psychanalystes préféraient parler de
« fonction » – surtout quand il s’agissait du père –, pour signifier qu’à leurs
yeux ces contributions ne se limitaient pas à des actions concrètes,
observables in situ, mais qu’elles comportaient aussi une dimension
symbolique (cf. notamment les écrits de Daniel Widlöcher).

Mère et père dans la psychiatrie de l’enfant


« La famille est un microcosme caractérisé par un toit commun et un
même sang. […] il n’y a pas de société véritable sans équilibre permanent
entre l’amour et l’autorité, entre la solidarité et la rivalité […]. Dans la
société familiale, les quatre rôles sont tenus par les quatre personnages [que
sont] la mère, le père, les enfants, le foyer : le père doit incarner l’autorité,
la mère l’affection, les frères et les sœurs la rivalité et le foyer la
solidarité », écrit le psychiatre Maurice Porot 3.
On considère que la psychiatrie de l’enfant a été fondée en France et en
Europe par Georges Heuyer : ce médecin a été nommé à la chaire de
neuropsychiatrie infantile en 1948.
Dès 1952, dans son Introduction à la psychiatrie infantile 4, il affirme
que la petite enfance doit être considérée comme la « prolongation du stade
fœtal » et donc comme le stade de la mère, pourvoyeuse désignée des soins
matériels et des soins affectifs. Selon ce professeur, c’est seulement vers
l’âge de 3 ans que l’enfant rencontre le père et que ce dernier commence à
représenter l’autorité. Les bases doctrinales sont déjà posées, mais c’est
sans doute Maurice Porot qui, quelques années plus tard, a le plus nettement
théorisé les modalités de la contribution de la mère et du père au
développement de l’enfant. En 1954 5, celui-ci soutient que l’intervention de
la mère a comme principale caractéristique d’être immédiate et directe alors
qu’on peut qualifier l’intervention du père de tardive et indirecte. La mère
du nouveau-né va en quelque sorte prolonger l’état de la grossesse avec le
contact peau à peau lors de l’allaitement (le nourrissage au sein était alors
fortement recommandé et fréquemment mis en pratique) et grâce à la
communication sensorielle de l’olfaction, de la vision (le fameux œil à œil)
et de l’audition. Il écrit aussi que, par opposition, le rôle du père apparaît
comme temporellement décalé et comme médiatisé par la mère. Porot
ajoute que « pendant les toutes premières années de l’enfant […] la mère
occupe pratiquement tout le champ de l’affectivité infantile et le
comportement paternel vis-à-vis de l’enfant n’a plus guère d’importance
que tout autre familier bienveillant : grand-mère, domestique. » Le
psychiatre disait encore que, durant la première enfance, l’existence du père
n’opère que par la pensée et la parole de la mère au cours de ces années, le
rôle du père est conçu comme « indispensable indirectement, comme
élément du foyer et surtout comme soutien matériel de celui-ci ». Une
dizaine d’années plus tard, M. Porot soulignait : « Quand la mère est le
personnage essentiel pour l’enfant, le père peut, par le soutien affectueux
qu’il apporte à sa femme, avoir une action importante quoique indirecte sur
le développement de l’enfant ; une femme aimée et heureuse, sans souci
majeur pour son foyer, a toutes les chances de donner à son enfant une
affection saine, sereine, équilibrée, sans excès. »
Le moment du père viendra plus tardivement, après la petite enfance,
c’est-à-dire au-delà des 3 ans de l’enfant, et c’est seulement vers l’âge de 7
ans que l’importance des rôles maternel et paternel devient à peu près égale.
On ne saurait être plus clair.
Qu’en est-il de la nature exacte des contributions des deux parents ?
Dans la décennie 1950-1960, il était d’usage, comme tout au long des
décennies précédentes, d’opposer amour maternel et autorité paternelle. La
période de la mère, c’est celle de la symbiose physiologique puis affective ;
l’âge du père, c’est celui où l’exercice d’une autorité manifeste et assumée
va permettre à l’enfant, garçon ou fille, d’acquérir une « personnalité
robuste ». Les cliniciens vont donner du poids à cette conviction en
recourant à une métaphore alimentaire : la mère et le père sont conçus
comme assurant des apports nutritifs différents. L’affection maternelle, c’est
par analogie le lait, liquide nourricier apporté au tout début de la vie ;
l’autorité paternelle, c’est le pain, nourriture solide donnée plus tard. La
pertinence de cette affirmation se révèle pleinement au travers des
déficiences entraînées par le manque d’apport, par ce qu’on appelait alors
les carences. En effet, le déficit de soins maternels, étudié particulièrement
en France par le trio féminin Myriam David, Geneviève Appell et Jenny
Aubry, entraîne chez l’enfant des « désordres psychotoxiques » appelés,
selon la terminologie inventée par Spitz, « dépression anaclitique » et
« hospitalisme ». Le déficit d’autorité paternelle, notamment examiné par
Sutter 6, provoque chez l’enfant et l’adolescent des difficultés de
développement caractérisées par « la faiblesse du moi, l’organisation
capricieuse, le sentiment d’insécurité ». Dans les deux formes de carence,
on a certainement exagéré la gravité des conséquences (en s’appuyant sur
des cas extrêmes), mais il était opportun de démontrer que la présence de la
mère (ou de son substitut) comme celle du père (ou de son substitut)
trouvent leur fondement et leur justification dans la référence à des
observations cliniques irréfutables.
N’oublions pas que la plupart de ces études sont arrivées après la
Seconde Guerre mondiale, qui avait fait des dégâts considérables dans les
familles, et, encore bien avant cela, l’influence de la mortalité infantile et de
celle des jeunes femmes à l’accouchement. Ce sont là des éléments non
négligeables dans la construction identitaire des parents.
Les mises en garde des pédopsychiatres ont été renforcées par certaines
conclusions des éthologistes et des sociologues. Les premières, inspirées
par les travaux de Harlow sur le macaque rhésus, prouvaient, parfois au
mépris de la déontologie élémentaire, que l’animal jeune isolé préfère le
contact douillet d’une mère en peluche à la nourriture pourtant garante de sa
survie biologique. Les secondes se fondaient sur des travaux d’enquête et
soutenaient que les rôles parentaux devaient être compris comme des
composantes des rôles sociaux masculins et féminins. Les rôles de sexe se
partageaient alors en deux catégories bien distinctes : la mère se révélait
comme épouse, nourrice et éducatrice de l’enfant (houseworker) ; le père
comme pourvoyeur économique (breadwinner). Cette opposition se
durcissait avec la dualité conceptuelle de Parsons : le pôle investi par la
mère est celui de l’expressivité (affection, réconfort, indulgence) et le pôle
investi par le père est celui de l’instrumentalité (règle, contrôle, sanction).
Une distinction que l’on retrouve presque à l’identique chez Bakan : celui-
ci qualifie le premier pôle de « communial » et le second d’« agentique »,
qualificatifs raffinés qui traduisent l’opposition plus banale entre le registre
féminin du cœur et le registre masculin de la tête. Bref, les stratégies de
recherche et les conclusions des sociologues confortaient remarquablement
les présupposés et les principes doctrinaux des psychiatres : le consensus
scientifique de la période 1950-1970 s’ordonnait autour de l’idée que la
mère et le père tiennent des rôles radicalement différents mais pareillement
indispensables à l’enfant.

Le père vu par la psychanalyse


Psychiatrie, psychologie et psychanalyse sont des sciences humaines
imbriquées l’une dans l’autre. Elles trouvent leur origine principalement
dans la philosophie. Elles travaillent le plus souvent de concert, surtout dans
le cadre hospitalier et institutionnel, pour comprendre, soigner et soulager
les souffrances humaines. S’y ajoutent aujourd’hui les éclairages précieux
des neurosciences ; Freud lui-même avait compris l’importance des
découvertes dans ce domaine. Il pensait qu’à la faveur de découvertes
futures beaucoup de réponses seraient données concernant le traitement des
maladies mentales. C’était un neurologue de formation, un scientifique
rigoureux et il ne doutait pas de l’arrivée prochaine de psychotropes pour
améliorer certaines maladies mentales. Lui-même était addict de la cocaïne
qui, sur lui, avait un effet stimulant et antidépresseur. Freud étant son propre
cobaye, on pourrait voir dans cette expérience les débuts de la pharmacopée
au service de la maladie mentale. Mais n’est-il pas étrange de s’interroger
alors que dans nos pays dits hautement civilisés le marché des drogues
(dures ou « molles », ou dites « douces ») constitue une des plus
importantes sources de blanchiment d’argent ? que beaucoup de jeunes, de
plus en plus tôt, fument de l’« herbe » sans en connaître ni les risques ni les
conséquences ? Ce problème parental est terriblement compliqué à gérer.
Nous sommes, par cet exemple, à la limite de l’individuel et du collectif en
question de responsabilité.
Dans le sillage de Freud, quelques décennies seront nécessaires pour
que la psychanalyse de l’adulte laisse une place à la psychanalyse de
l’enfant et de l’adolescent. En France, il faudra attendre l’après-guerre pour
voir la psychanalyse de l’enfant se développer.
En ce qui concerne le tout jeune enfant, c’est la découverte de ses
compétences précoces qui a prouvé que la communication émotionnelle et
affective est d’emblée opérationnelle chez le bébé 7. Parallèlement, la
découverte de ces compétences par les parents facilite les interactions et le
processus d’attachement. En conséquence, si les réponses de l’entourage au
besoin de l’enfant sont adéquates, il développera une base de sécurité avec
un sentiment d’exister comme être individualisé.
Freud n’a jamais fait directement de psychanalyse d’enfants ; celle-ci
doit principalement son existence à l’observation de cas cliniques d’adultes
qui lui ont permis d’identifier les différentes étapes de la construction
psychique. Néanmoins, il a relaté deux observations à propos d’enfants :
celle de son petit-fils tout d’abord, Ernst Freud, l’enfant au fort-da ou jeu de
la bobine, conceptualisé en 1920 dans Au-delà du principe de plaisir 8. Dans
cette observation, il montre l’importance de la recherche de plaisir dans le
jeu de l’enfant, comme une maîtrise possible de l’angoisse de la perte de
l’objet maternel. Ernst avait une mère qui s’absentait beaucoup lorsqu’il
était petit. L’enfant utilisait une ficelle pour faire apparaître et disparaître
une bobine, en ponctuant ses actions par fort/da. L’importance de la ficelle
comme symbolique du lien est ici remarquable.
Le cas du « petit Hans », bien connu, qui présentait une phobie des
chevaux, fut traité par Freud par l’intermédiaire de son père. Par les
situations cliniques scrupuleusement rapportées par le père, Freud a pu
comprendre les mécanismes psychiques inconscients en jeu chez l’enfant.
Ce cas est exposé dans Cinq psychanalyses 9.
En 1905, avec Trois essais sur la théorie sexuelle 10, il se produit un
effondrement de toute une mythologie de l’enfance pure et innocente, ce qui
a valu à son auteur d’acerbes critiques de la part des bien-pensants de
l’époque. Dire que l’inconscient est marqué par le désir et l’importance de
la sexualité infantile était pour le moins scandaleux, dans la société
bourgeoise viennoise de l’époque.
Malgré toutes ces tentatives à l’époque, et encore aujourd’hui, pour
désavouer ce corpus théorique, il n’en reste pas moins le constat d’une
appropriation d’un vocabulaire qui est entré dans le langage courant.
Rappelons que la psychanalyse est : 1) un procédé d’investigation des
phénomènes psychiques ; 2) une méthode de traitement des troubles
névrotiques ou psychotiques fondée sur cette investigation : la « cure
psychanalytique » ; 3) une série de concepts sur le psychisme (la première
topique, puis la seconde topique) qui aboutit à un corpus théorique.
À partir des névroses de l’adulte, par la compréhension du
dysfonctionnement névrotique, le père de la psychanalyse a construit sa
théorie en affirmant la complexité du développement psychique de l’enfant
et l’existence de conflits psychiques entre les pulsions et les normes
parentales dans une recherche de satisfaction immédiate.
Aujourd’hui, la psychanalyse de l’enfant s’est considérablement
développée et enrichie dans ses prolongements théoriques et ses
applications cliniques, car majoritairement les souffrances de l’adulte
trouvent leurs origines dans l’histoire infantile.

Le père, la triade œdipienne et la fonction


de séparation
Malgré leurs divergences, les psychanalystes attribuent un rôle
fondamental à la triade œdipienne, enfant-mère-père. L’élaboration
psychique et la construction de l’enfant se font au mieux à l’intérieur de
cette triade dont la résultante est le complexe d’Œdipe et sa résolution plus
ou moins bien réussie. Le complexe d’Œdipe est une notion
psychanalytique essentielle, parfois battue en brèche devant les notions de
séparation, par exemple.
En 1938, dans l’Abrégé de psychanalyse 11, Freud écrit : « Le complexe
d’Œdipe est le corrélat psychique de deux faits biologiques fondamentaux :
la longue dépendance infantile de l’être humain et la manière remarquable
dont la vie sexuelle atteint, de la troisième à la cinquième année, un premier
point culminant, pour ensuite, après une période d’inhibition, entrer en jeu à
nouveau, avec la puberté. » Cette période se caractérise par un biphasisme,
c’est-à-dire deux temps séparés par une période de latence, elle-même
marquée par l’amnésie infantile, et qui permet l’accès à la sublimation et à
la socialisation.
Dans cette triade primaire, la mère est le premier objet d’amour du bébé
et sa première séductrice ; elle est pourvoyeuse de soins physiques et
psychiques et anticipe avec justesse les besoins de son bébé. Le père, lui,
est en arrière-plan, porteur d’une autorité naturelle qui s’exerce au fur et à
mesure de la croissance de l’enfant. Cette dynamique interactionnelle, dans
un cadre sécurisant, permet à l’enfant, très tôt, d’intégrer la différence des
générations et des sexes.
En théorie, la fonction du père consiste en un travail de séparation de la
symbiose du bébé avec la mère et réciproquement, car la mère n’est pas un
objet sexuel appartenant à la toute-puissance infantile. C’est ce travail de
« décollement », de distanciation de la fusion primaire, qui facilite la
rencontre du couple par l’enfant, autre étape importante.
S’ensuit le processus d’identification aux deux parents, ou plutôt aux
imagos parentales sexuées. C’est un phénomène inconscient dont le surmoi
est un des produits ainsi que la bisexualité psychique. Bisexualité psychique
qui permet d’intégrer par le processus d’identification les caractéristiques
des deux parents, quel que soit le sexe de l’enfant.
Le père est aussi transmetteur d’un surmoi conscient qui permet à
l’enfant de s’adapter à la réalité et d’intégrer les règles sociales (instance
psychique qui intègre les interdits, la morale, etc.). C’est par le surmoi que
l’être humain accède à la culture.
Au fur et à mesure des recherches, les psychanalystes se sont de plus en
plus intéressés à la question des formations primaires, des stades
préœdipiens. De ce fait, la fonction paternelle a pris aussi une autre
dimension.

Le père chez les psychanalystes


Des psychanalystes pionnières (majoritairement des femmes) se sont
penchées sur ces questions. Anna Freud, analysée par son père, eut une
influence considérable et fit un énorme travail dans la théorisation des
mécanismes de défense 12.
N’oublions pas la toute première psychanalyste : Sabina Spielrein, qui
fut également la première psychanalyste d’enfants. Elle découvre en 1912 la
pulsion de mort.
Elle a vu sa vie dérobée par les hommes autour d’elle. Principalement
par Freud et Jung, qui n’admettaient pas qu’une femme brillante puisse les
dépasser !
À 18 ans, elle est soignée pour de graves crises hystériques dans une
clinique suisse, par Eugen Bleuler qui est le médecin. Il la présente à Jung,
avec lequel elle aura une courte liaison. Guérie, elle entreprend ses études
de médecine et devient psychiatre, membre de la Société psychanalytique
de Vienne. Réduite au silence par ses deux mentors, et étant russe d’origine,
elle émigra ensuite en Russie, pensant y promouvoir plus facilement la
pratique de l’analyse, mais se heurta au régime communiste stalinien.
Pendant son enfance, elle avait été maltraitée par un père extrêmement
violent et qui la battait. En tant que juive, elle sera assassinée avec ses deux
filles par les nazis lors de la Shoah par balles. Elle fut la première à
conceptualiser la pulsion de mort, reprise par Freud, et a écrit de nombreux
articles qui manifestement dérangeaient et sont restés à l’écart du
mouvement analytique ! L’égalité ne s’était pas encore frayé un chemin,
même dans les milieux très intellectuels. En tout cas, Sabina Spielrein
influença considérablement Anna Freud, Melanie Klein, Donald Winnicott,
Jean Piaget, etc.
René Spitz, psychiatre et psychanalyste d’origine hongroise et de
nationalité américaine, a décrit les premiers stades de la relation à l’objet et
les conséquences catastrophiques de la perte de l’objet libidinal (cf.
l’hospitalisme et l’anaclitisme). De ce fait, il s’est peu intéressé à la place
du père, en qui il voyait la première incarnation de l’angoisse du huitième
mois, face à l’étranger !
D’autres psychanalystes se sont penchés sur les relations familiales
précoces et ont le plus souvent souligné le rôle majeur de la mère. Par
exemple, Margaret Mahler, psychiatre et psychanalyste d’origine hongroise
et américaine, fut la théoricienne du processus de séparation-individuation.
Elle a distingué deux stades dans la construction de l’identité en se fondant
sur le recueil d’observations naturalistes en crèche et donc sur la seule prise
en compte des comportements préverbaux. Elle a ainsi défini la séparation
comme « étape de l’émergence de l’enfant hors de la fusion symbiotique »
et l’individuation comme « étape de l’assomption par l’enfant de ses
propres caractéristiques individuelles 13 ».
L’intérêt de ces observations et théorisations est sans limite, car il ouvre
un champ immense à explorer sur les conditions de naissance de
l’individualité humaine. Cependant, la question du père semble être restée
en suspens, attendant peut-être des jours plus propices à son exploration…
L’évolution de la société ces dernières décennies a interrogé les
changements de la cellule sociale que représente une famille et a constaté
l’effacement progressif du rôle du père. La raison en est que la famille est
surtout de plus en plus nettement définie et déterminée par le couple sexuel
marié ou non, et non plus par la filiation.
Si la question œdipienne reste centrale dans la construction du sujet,
nous pouvons imaginer que les changements de société ont été plus rapides
que l’approfondissement de la recherche en psychanalyse. Cette dernière
s’est trouvée dépassée et a été très critiquée au regard d’autres approches,
disons plus modernes, davantage dans l’air du temps.
Pourtant, Freud a toujours constamment réinterrogé ses concepts
théoriques tout au long de sa vie.
Winnicott, pédiatre et psychanalyste anglais, est plus connu en France
que Mahler en raison sans doute de son talent de clinicien. Il disait : « Mon
père m’a laissé trop longtemps seul avec mes trois mères. » Il considérait
que la création de la vie psychique se transmettait par la mère à ses enfants
des deux sexes – option affirmée pour le « féminin pur ». Nous comprenons
son insistance sur l’importance des « soins maternels ». Pour lui, c’est la
mère qui assure au bébé « le sentiment de la continuité d’être ». On peut
regretter que le père ne soit évoqué qu’en sourdine : « Il dépend de la mère
que le père en vienne ou non à connaître son bébé » et lorsque le père arrive
dans la vie de l’enfant, il se révèle nécessaire « pour aider la mère à se
sentir bien dans son corps et heureuse en esprit » et ensuite « pour donner à
la mère un soutien moral, pour la soutenir dans son autorité, pour être
l’incarnation de la loi et de l’ordre que la mère introduit dans la vie de
l’enfant », enfin, « à cause de ses qualités positives et des éléments qui le
différencient des autres hommes 14 ». Sans faire d’interprétation sauvage,
Winnicott semble réactualiser des éléments biographiques. Toute théorie ne
renvoie-t-elle pas à des histoires de vie ?
La théorisation et surtout la compétence clinique de Winnicott ne font
aucun doute et ont permis de faire progresser la compréhension des
premiers liens, mais au risque d’une désexualisation.
Par ailleurs, contrairement à Freud, il ne craignait nullement le transfert
maternel de ses patients.
Dans La Haine dans le contre-transfert, il écrit : « L’analyste est dans
une situation comparable à celle de la mère d’un enfant à naître ou d’un
nouveau-né. »
À la théorie des pulsions, il associe la prise en compte de
l’environnement et de la psyché maternelle. Il met l’accent sur la relation
d’objet, l’amour, le lien.
C’est Serge Lebovici qui a divulgué en France l’œuvre winnicottienne,
principalement dans son livre : Le Nourrisson, sa mère et le psychanalyste 15
paru en 1983. Il a beaucoup mis en valeur le rôle du miroir de la mère et la
réciprocité de celui-ci. Ce qui fait écho à Winnicott lorsqu’il souligne
l’importance du regard de la mère dans lequel le bébé se reconnaît et
reconnaît sa mère qui le regarde. Il énonce ainsi que l’objet est investi avant
d’être perçu. En effet, le narcissisme primaire ne peut se constituer sans
objet, sans l’autre. Ce qui rejoint la notion d’intersubjectivité primaire au
sens de premier.
C’est ainsi que l’on peut penser que le sourire de la mère est la plus
belle des manifestations physiques adressées à l’enfant qui fait dire à Julia
Kristeva dans « Des madones aux nus » : « Le miracle de la beauté
féminine s’inscrit dans cette visibilité du sourire qui fait voir l’intime tout
en réservant sa part d’énigme 16. »
Nous devons reconnaître à Serge Lebovici non seulement son œuvre
fondamentale en psychanalyse de l’enfant, dont il est l’un des fondateurs en
France, mais aussi son souci majeur d’établir un pont nécessaire entre la
psychanalyse de l’adulte et la psychanalyse de l’enfant.

Le père, oublié des théories de l’attachement


Pour en finir avec l’orientation des outre-mères, nous évoquerons
l’apport de Bowlby, psychiatre et psychanalyste anglais. Remarqué d’abord
pour ses travaux sur les carences de soins maternels et son rapport à l’OMS
Maternal Care and Mental Health 17, il a plus tard été influencé par les
éthologues Lorenz et Hinde. C’est ainsi qu’il en est venu à décrire les
conduites de demande de contact et de protection du bébé en direction de sa
mère (ou de celle qui en tient lieu) : pleurs, sourire, succion non
nutritionnelle, étreinte, poursuite oculaire puis locomotrice. En 1958, ces
schèmes prirent le nom de « comportements d’attachement », expression
qui désignait un besoin primaire (non dérivé d’un autre besoin), le besoin de
sécurité, celui-là même que l’éthologue Harlow avait étudié à la même
époque chez le macaque rhésus. L’œuvre de Bowlby a été divulguée en
France grâce au psychologue René Zazzo et au psychanalyste Serge
Lebovici 18, et ce malgré l’opposition explicite des psychanalystes lacaniens
peu disposés à encourager l’incursion de l’éthologie, science naturelle, dans
les sciences de la psyché. Nous retiendrons que, en 1958, Bowlby n’avait
porté attention qu’au « lien de l’enfant à sa mère », à celle qui avait porté et
allaité le bébé, sans jamais faire la moindre allusion au père. C’est tellement
vrai qu’il avait évoqué à cet égard une relation de monotropie ! Idée
soutenue sur la base des observations de Lorenz concernant le
comportement d’attachement des oies cendrées. À la manière de Spitz, de
Mahler et de Winnicott, Bowlby était profondément convaincu de
l’importance capitale du lien de l’enfant à sa mère et mérite à ce titre,
comme eux, le qualificatif de materno-centré.
En ce qui concerne Bowlby, Didier Anzieu, psychiatre et psychanalyste
renommé de la Société psychanalytique de Paris, a repris et développé le
concept d’attachement de cet auteur.
Je le cite dans L’Épiderme nomade et la Peau psychique 19 : « Bowlby a
mis en évidence cinq critères qu’il me paraît nécessaire de compléter par un
sixième, leur réunion conditionnant la réussite de l’attachement mutuel
entre la mère (ou l’environnement maternant) et le tout-petit, c’est-à-dire
qu’elle apporte à celui-ci l’expérience structurante d’un échange de
tendresse. Il s’agit d’un accomplissement pulsionnel non libidinalisé,
indépendant de l’investissement des zones érogènes et qui a conduit
Bowlby à l’hypothèse d’une pulsion spécifique d’attachement,
intermédiaire entre la pulsion d’autoconservation et la pulsion sexuelle. »
Les cinq critères sont l’échange de sourires, la solidité du portage, la
chaleur de l’étreinte, la douceur du toucher et l’interaction des signaux
sensoriels et moteurs lors de l’allaitement, auxquels Didier Anzieu ajoute la
concordance des rythmes.
Il est probable que la surestimation de la fonction maternelle s’explique,
en partie du moins, par le fait que la Seconde Guerre mondiale avait
contribué à évincer les hommes de leur foyer et, par voie de conséquence,
de leur possible implication en tant que pères. Sans oublier que la forte
mortalité des soldats a dû laisser nombre d’enfants sans père : chez ces
enfants orphelins, l’image d’un père décédé n’a pu que rendre l’influence
de la mère plus déterminante.
Dans L’Interprétation du rêve 20, Freud dit que « la mort du père est
l’événement le plus important et le plus déchirant dans une vie d’homme ».
Cette citation freudienne nous recentre sur la focale « père/hyperpère » que
nous allons aborder maintenant.
Pour Freud, la place du père a une valeur dans la psychogenèse qui est
incontestable. On constate un déséquilibre marqué entre l’homme et la
femme, à tel point que Freud redoutait qu’en analyse, il y ait sur lui un
transfert trop maternel… Pour lui, le destin de la femme est déterminé par
la nature, c’est-à-dire la biologie (« son anatomie ferait d’elle une
amoureuse adulée pendant la jeunesse et une épouse bien-aimée pendant la
maturité »). À l’opposé, c’est un mâle puissant qui fait figure de père dans
Totem et tabou 21.
Plus tard, dans L’Homme Moïse et la Religion monothéiste 22, Freud
s’est montré encore plus audacieux (ou plus injuste !) en évoquant le
passage d’une organisation matriarcale à une organisation patriarcale de la
société, passage présenté comme « un progrès de la spiritualité sur la
sensualité et par là un progrès de la civilisation ». Et encore : « La paternité,
bien que les sens ne la puissent déceler, est plus importante que la
maternité. C’est pourquoi le fils porte le nom de son père et en hérite. » Des
propos qui nous mettent sur la voie du phallocratisme.
Phallocentrisme largement reproché à Freud. Melanie Klein et jusqu’à
sa propre fille, Anna, n’ont pas manqué de contester ce complexe de
masculinité.
Cependant, n’oublions pas que, dans Inhibition, symptôme et angoisse 23
(1926), il énonce l’importance de la séparation d’avec la mère comme
source d’angoisse autant que la castration.
On assiste donc à un déplacement majeur du paradigme analytique du
père vers la mère, de la castration vers la séparation, de l’autorité vers la
dépendance.

La figure paternelle valorisée


Avec Lacan, « fils » rebelle de Freud et fondateur français de l’École de
la Cause freudienne, ces principes se sont confirmés, voire renforcés. La
fonction paternelle est qualifiée par lui de « fonction de puissance et de
tempérament » et elle est comprise comme fondamentale, alors que la mère,
« salutaire à l’origine », devient ensuite « facteur de mort ». Mais
progressivement, Lacan a évolué vers une conception de plus en plus
désincarnée de la paternité : dans les années 1950-1960, l’imago du père est
devenue « fonction symbolique », « métaphore paternelle » et enfin « nom-
du-père », comme si le père concret n’avait plus aucune importance. Cette
option nominaliste a été partagée et magnifiée par les descendants spirituels
de Lacan puisqu’on les entendait proclamer alors : « Le père est celui qui
n’est pas là, n’importe qui peut le remplacer ; il n’est pas nécessaire qu’il y
ait un homme pour qu’il y ait un père… Le meilleur père, c’est le père
mort. » Comprenne qui pourra !
Aldo Naouri est pédiatre, mais il a été conquis depuis longtemps par les
écrits de Lacan et de Legendre : on pourrait le classer comme pédiatre
d’orientation psychanalytique. C’est en se situant dans leur lignée qu’il a
souvent pris la parole et la plume, car il a beaucoup écrit (avec succès).
Pour suggérer d’abord une réelle hiérarchie des sexes : en défenseur assumé
des rôles de la mère et du père, il estime notamment que les fonctions
maternelles et les fonctions paternelles sont très directement dépendantes de
l’appartenance au sexe féminin et au sexe masculin. La mère-femme est
assignée à ses rôles de génitrice et de nourrice, le père-homme élevé à ceux
de législateur et de séparateur. La nature des deux fonctions se dessine déjà
dans Une place pour le père 24 : la mère est un acquis (du fait qu’elle porte
l’enfant), le père est un dû (du fait qu’il ne le porte pas). Comme aurait pu
l’écrire Lacan, ce dernier devra offrir à l’enfant « l’autre terme d’une
dialectique qui le hissera hors du système dyadique aux bénéfices
épuisés » ; il devra donc « renoncer à être mère », le père est
essentiellement un « pas mère ». Dans cet ordre d’idées, une autre charge a
été portée en 2004 dans Les Pères et les Mères 25 : la mère est inscrite dans
la « logique de la grossesse », le père dans la « logique du coït ». On
pourrait en venir selon lui à concevoir les hommes et les femmes comme
« deux sous-espèces nettement différenciées d’une espèce commune ». Et
en guise de conclusion : « La mère, c’est celle qui dit oui (oui à tout), le
père, celui qui dit toujours non (non à tout). » Du Lacan traduit de manière
plus concrète.
On peut soutenir que dans les théorisations de Freud et de Lacan, la
figure de la mère est pour le moins dévalorisée (sa présence et son
intervention précoces sont vues comme allant de soi, comme naturelles) et
celle du père mise en exergue, magnifiée. Cette différence de traitement de
la mère et du père n’a pas été sans alimenter la pensée dominante qui,
pendant des décennies et jusqu’à aujourd’hui encore, tend à attribuer à
l’homme une importance psychologique supérieure à celle de la femme.

Un besoin de père ?
Avant de clore ce chapitre sur les tenants et aboutissants du paradigme
classique, il convient de se demander pourquoi la différence radicale entre
les rôles prescrits aux deux parents a persisté au travers des transformations
d’ordre politique, économique, sociétal, etc. Se demander pourquoi le
schéma d’organisation des places au sein de la famille est resté quasiment
identique au travers des siècles et jusqu’aux années 1950-1970. Il nous
semble que si cette structure est restée si imperméable au changement, c’est
parce qu’elle s’inspirait d’une conception de l’humain qui alors faisait
consensus : toutes les sensibilités philosophiques, religieuses, idéologiques
se rassemblaient autour du socle commun de l’humanisme rationaliste. La
structure précédemment analysée pouvait rallier à la fois ceux qui voyaient
en l’être humain un simple animal, un mammifère supérieur soumis aux lois
de la biologie, et ceux qui le considéraient comme pourvu d’un « esprit »
voire d’une « âme » immortelle, en somme ceux qui croyaient au Ciel et
ceux qui n’y croyaient pas. À l’intérieur du cadre de pensée spiritualiste, le
christianisme et les autres religions du Livre (judaïsme, islam) ont convergé
pour sacraliser le mariage et créer des codes relatifs à l’éducation des
enfants (et aussi, bien sûr, au travail et à la vie sociale). Le catholicisme est
allé jusqu’à définir comme idéal le modèle de la Sainte Famille, une famille
qu’on peut qualifier de triangulaire ou de triadique (père-mère-enfant)
puisqu’elle comprend trois personnes : le Père (Dieu créateur), la Mère (la
Vierge Marie) et le Fils (Jésus-Christ)… Joseph ayant le statut particulier et
annexe de père nourricier. On sait combien cette religion bimillénaire a eu
d’influence sur les croyances, les conceptions de vie et l’organisation des
sociétés. Combien la valorisation d’une mère protectrice et aimante, d’un
père législateur et justicier a imprégné les mœurs des générations
successives. À notre avis, le paradigme classique s’inscrit dans le droit-fil
de cet article de foi et nous sommes étonnés de remarquer que cette filiation
historique est très souvent ignorée par les chercheurs en sciences de
l’éducation.
Il faut ajouter que les trois monothéismes ont en commun la
responsabilité d’avoir favorisé une organisation familiale de type patriarcal
et, en conséquence, la tendance quasi universelle à instaurer la domination
masculine. Dans les trois cas, le père occupe la place de chef de famille.
C’est la règle commune, à ceci près que, dans le judaïsme orthodoxe, on est
juif par sa mère : un enfant est juif si sa mère est juive au moment de sa
conception, que le père soit juif ou non, ou inconnu. Ce mode de filiation
explique en partie que la mère juive occupe une place sans doute plus
importante que celle que lui attribuent le christianisme et l’islam.
L’archétype de la mère juive, c’est de façon représentative celle qui pense
que son enfant est le plus beau, le plus intelligent… et plus
fondamentalement celle que les cliniciens qualifient volontiers de
« dévorante », « héroïque », « intraitable », « possessive ». Bref, ils la
considèrent comme une figure particulièrement forte.
À ces influences d’ordre religieux s’ajoutait probablement l’effet plus
général de la ferveur persistante que traditionnellement les humains ont
vouée aux représentants de l’autorité. En 1950, la plupart des peuples de la
Terre avaient renoncé à confier la forme de cette autorité à un seul homme,
le roi ou l’empereur, détenteurs désignés du pouvoir absolu (le dernier roi
de France de l’Ancien Régime, Louis XVI, est mort guillotiné en 1793
depuis plus de deux siècles !), mais le culte des présidents de la République
avait dans une certaine mesure pris le relais. De même que la nation devait
se donner un chef suprême, le Père, de même les familles devaient
s’organiser autour d’un petit chef, le père !
Cette famille traditionnelle serait qualifiée aujourd’hui de biparentale
puisqu’elle réunissait les deux parents autour de ou des enfants, mais cette
appellation serait finalement peu justifiée puisque la configuration
traditionnelle n’avait pas alors de concurrence. Le divorce était rare et, au
sens strict, les familles monoparentales, multiparentales et homoparentales,
dont nous reparlerons assez longuement, n’avaient pas d’existence, pas
d’existence légale en tout cas. Évitons donc l’anachronisme et restons-en à
la désignation déjà proposée : famille triangulaire ou triadique (PME).
En conclusion, il n’est pas trop osé de dire que la psychanalyse, à ses
débuts, a été peu préparée à la révolution sociétale ; elle est même restée en
marge de la psychiatrie académique qui aujourd’hui a un besoin urgent de
recherche, car le paysage psychiatrique est devenu très hétéroclite,
prodiguant des soins pas toujours adaptés. Malgré son isolement
scientifique, Freud affirmait que la psychanalyse pouvait rendre possible
une psychiatrie scientifique d’avenir.
La résistance au changement n’est sans doute pas étrangère à la lenteur
des progrès et ce quel que soit le domaine considéré. Même si la libération
sexuelle est, de nos jours, prônée haut et fort, elle n’en demeure pas moins
un sujet tabou dans beaucoup de familles. On peut même penser que cette
libéralisation de surface est d’autant plus défensive qu’elle est exposée !
Freud avait un profond respect de l’homme, de la loi, des règles
sociales. Aujourd’hui, beaucoup de ces contraintes morales et civilisatrices
ont été mises au pilori : il est probable que cette levée d’écrou produira de
nouveaux progrès et un éclairage plus authentique apporté aux enfants sur
leurs origines, sur ce qui se transmet de génération en génération, à la fois
inconsciemment et consciemment. En attendant, les enfants, les parents du
e
XXI siècle manquent de repères et ont bien du mal à se situer dans un

paysage constamment mouvant. La réaction pourrait être de revenir


défensivement à un système familial plus restrictif et/ou plus rigide. N’est-
ce pas ce que donne à constater la montée des extrémismes de toutes
obédiences ?
PARTIE II

L’entrée en scène des pères


précoces, directs
et chaleureux : un électrochoc
Électrochoc, tsunami… c’est comme on voudra, mais il s’agit bien d’un
épisode quasi révolutionnaire qu’ont traversé les psychologues de l’enfant
et plus largement les chercheurs en sciences humaines et sociales lorsque,
dans les années 1970, le « père présent » a fait son entrée en scène.
CHAPITRE 3

Pères précoces, pères présents

L’apparition du père est saluée par beaucoup comme un rattrapage et


comme une promesse. Lamb n’est-il pas allé jusqu’à qualifier le père
d’agent oublié du développement dans son article « Fathers : Forgotten
contributors to child development 1 » ? Clarke-Stewart lui faisait écho dans
un article titré « And daddy makes three » (1978) et se réjouissait de
l’arrivée chez les chercheurs du troisième personnage de la famille. Au
même moment, Parke écrivait The Father’s Role in Infancy : A Re-
evaluation (1978). Ce père qualifié de présent, c’est un père d’apparition
précoce (et non plus tardive), un père direct (et non plus médiatisé par la
mère) et surtout un père aimant (et non plus distant).
On pourrait croire avec quelque raison que ce charivari scientifique a
été contemporain de la « tornade libertaire » de Mai 68 (formule empruntée
à Jean-Paul Dubois, le prix Goncourt), cette secousse qui a tout changé : les
universités, les usines, mais aussi les idées et les mœurs des populations
européennes. On se tromperait néanmoins si on reliait directement les deux
phénomènes. En effet un intervalle d’une dizaine d’années (pour les États-
Unis), et même d’une quinzaine d’années (pour la France), a séparé les
deux séries de manifestations. Il ne s’agit pas d’un simple rapport de cause
à effet et on peut seulement soutenir que les innovations scientifiques dont
il va être question ont été annoncées et portées par certaines revendications
énoncées dix ou quinze ans auparavant : libération des mœurs, égalité des
sexes, désir d’accéder à une existence plus autonome et moins dépendante
de la tradition.
Ce qui est certain, c’est que la représentation communément admise
d’une mère confinée dans l’allaitement et le pouponnage, d’un père
indifférent au bébé, uniquement attaché aux responsabilités du travail
rémunéré (à l’extérieur) et du maintien de l’ordre (à l’intérieur), a
désormais perdu sa toute-puissance et son efficacité. La pensée nouvelle va
orienter les femmes et les hommes sur une représentation qui préconisera
une ouverture des mères vers d’autres domaines que les soins à l’enfant et
qui va orienter les pères vers une autre relation avec ce même enfant. C’est
en cela qu’on peut évoquer un changement quasi révolutionnaire.

Les principaux facteurs du changement


Nous pensons que la prise en considération du père au cours des
premières années de la vie de l’enfant est due à deux séries de facteurs : les
changements relatifs aux attitudes des principaux intéressés, les femmes et
les hommes et, à un moindre degré, à des changements d’ordre
institutionnel.

Les attitudes des femmes et des hommes


évoluent

LA DEMANDE DES FEMMES

D’un côté, les femmes ont fermement exprimé le désir de partager plus
équitablement les tâches domestiques (et en particulier les soins aux
enfants) avec leurs compagnons. L’usage voulait jusque-là que la plus
grosse partie de ces occupations soit prise en charge par les femmes
(invariablement, toutes les enquêtes sociologiques le confirment).
Désormais, de plus en plus de citoyennes affirment qu’il y a là une
injustice. En 1975, cette protestation n’est pas nouvelle et on sait que des
esprits lucides tels que Condorcet ou Olympe de Gouges avaient déjà
bousculé l’ordre établi dès la fin du XVIIIe siècle et que, plus d’un siècle
après, en 1949, Simone de Beauvoir avait écrit Le Deuxième Sexe, un des
ouvrages que les féministes considéreront comme un texte fondateur.
Cependant, ce courant de pensée se renforce avec la prise de parole de
nouvelles égéries : Françoise Giroud, Julia Kristeva, Gisèle Halimi, Hélène
Cixous, Benoîte Groult, Élisabeth Badinter, etc. De la même façon que les
femmes avaient sollicité et obtenu le droit de contrôler les naissances (avec
le libre accès à la contraception d’abord, à la possibilité d’avorter ensuite),
de même il se trouve de plus en plus de mères pour demander ouvertement
aux pères de « mettre la main à la pâte », voire de respecter une égale
répartition des temps de travail. Chez les femmes, la demande est claire et
nette.

L’OFFRE DES HOMMES

De l’autre côté, les hommes – certains d’entre eux tout au moins – ont
commencé à prendre conscience de leur « moi nourricier » (d’où le succès
des expressions anglaises new nurturant father, increase involvement) et
ont, de plus en plus fréquemment, accepté l’idée qu’il n’y avait aucune
honte, aucun abaissement, aucun renoncement à leur masculinité dans le
fait qu’ils se prêtent au partage des tâches domestiques et notamment dans
le fait qu’ils prennent en charge une partie plus ou moins importante du
nursing ou, comme on préfère dire alors, le caregiving.
Il est probable aussi que les découvertes relatives aux compétences du
nourrisson (travaux de Brazelton aux États-Unis, de Lécuyer en France) ont
incité un certain nombre de pères à s’approcher des bébés et à se rendre
compte par eux-mêmes de ce que ces bébés étaient réellement capables de
faire. Pour certains jeunes hommes, le stéréotype du nourrisson
pleurnichard et inintéressant a été bousculé par les découvertes de ceux et
de celles qui pouvaient soutenir, preuves à l’appui, que le bébé était « une
personne » (expression chère à Françoise Dolto).
On est en droit d’évoquer, pour la première fois dans l’histoire sans
doute, une nouvelle offre de la part de la gent masculine. Cette offre est
venue plus tardivement que l’appel des femmes et elle n’a pas atteint le
niveau de réponse qu’elles attendaient, mais c’était tout de même le signe
d’un changement appréciable.

Autres phénomènes sociaux et culturels

LES PRATIQUES PROFESSIONNELLES ÉVOLUENT

La nécessité de faire participer les pères au caregiving s’est imposée


dans certains cas en raison de l’indisponibilité des mères. Beaucoup d’entre
elles sont occupées à l’extérieur de la maison par un travail professionnel :
le pourcentage des femmes âgées de 25 à 49 ans salariées a nettement
augmenté au fil des années. Ce taux est passé de 43 % en 1968 à 62 % en
1982, 77 % en 1993 et 81 % en 2007. Pendant cette période, le nombre de
places en crèche a augmenté, mais pas au point de combler totalement
l’absence de la mère au foyer. Il est évident que, de ce fait, les pères ont été
davantage sollicités pour prendre part aux activités domestiques.

LE DROIT DE LA FAMILLE ÉVOLUE


Diverses lois ont contribué à consolider le lien père-enfant : en 1970
l’« autorité parentale » se substitue à la « puissance paternelle », un pouvoir
de sinistre mémoire ; en 1975 le divorce par « consentement mutuel » est
instauré dans le but d’éviter les ruptures conflictuelles toujours
dommageables pour l’enfant et de promouvoir un « pouvoir partagé destiné
à protéger l’enfant » ; en 1987 est instaurée l’« autorité parentale
conjointe », disposition qui devait permettre aux pères de continuer à
assumer leurs responsabilités après la rupture du couple conjugal. Toutes
ces lois ont eu pour finalité première de sauvegarder au mieux l’intérêt de
l’enfant.

LA POLITIQUE FAMILIALE ÉVOLUE

La politique de l’État s’est efforcée de réguler au mieux le rapport


travail rémunéré/vie familiale : les mesures prises ont accompagné tantôt
les mères, tantôt les pères.
Pour les premières, il faut signaler le système des congés qui les
concerne directement (congé de maternité rémunéré à 100 % du salaire et
d’une durée de 16 semaines) et le système des allocations qui les concerne
indirectement puisque ces prestations sont qualifiées de parentales ou
familiales : allocation de parent isolé, sous condition de ressources (créée
en 1976), allocation parentale d’éducation et allocation pour jeune enfant
(1985), allocation de garde d’enfant à domicile, l’AGED (1986).
Pour les seconds, on peut faire référence aux aménagements destinés à
les encourager à partager les tâches du ménage et à passer plus de temps
avec leur(s) enfant(s) : congé parental d’éducation ouvert à chacun des deux
parents sans distinction de sexe (1977 et 1984). Ces mesures ont été
considérées comme positives, mais, en France comme dans la plupart des
pays d’Europe, les pères n’y ont pas eu recours comme ils auraient pu et dû
le faire.
LA CONTRIBUTION DE LA CRÉATION ARTISTIQUE

Le renouvellement des idées et des pratiques en matière de paternité a


été ponctué par une floraison d’œuvres artistiques particulièrement toniques
et rafraîchissantes. C’est le cas notamment dans le domaine de la chanson
(Daniel Balavoine, « Mon fils, ma bataille », 1980 ; Renaud, « En cloque »,
1983), du cinéma (Coline Serreau, Trois hommes et un couffin, 1985 ;
Patrick Braoudé, Neuf mois, 1994) et plus encore de la littérature (Jean-
Claude Snyders, Paroles perdues, 1999 ; Alain Etchegoyen, Jean-Jacques
Goldman, Les pères ont des enfants, 1999 ; Philippe Claudel, J’abandonne,
2002 ; Denis Marquet, Père, 2003 ; etc.). Cette joyeuse et émouvante
effervescence n’a évidemment pas déclenché les innovations scientifiques
des psys, mais il ne fait aucun doute qu’elle les a accompagnées et qu’elle
les a prolongées.
CHAPITRE 4

La distinction mère-père et la différenciation


des pères,
deux concepts innovants
e
(1975-fin du XX siècle)

Pour mesurer les évolutions des rôles parentaux, il manque des données
relatives aux comportements ou aux discours des pères lors de la phase
d’attente de l’enfant (séances d’échographie, séances d’haptonomie
notamment) ainsi qu’au moment de la naissance ou de l’immédiat après-
naissance. Nous nous limiterons à suivre le père aux côtés de l’enfant
pendant les trois premières années de la vie. À cette fin, nous nous
référerons à des psychologues du développement (au premier rang desquels
nous situons Michael E. Lamb) mais aussi à des pédiatres renommés (tels
Michael Yogman, Thomas B. Brazelton) ou à des psychanalystes du bébé
(tel Serge Lebovici). Les travaux de l’équipe toulousaine de « psychologie
du jeune enfant » – composante du Laboratoire associé au CNRS
« Personnalisation et changements sociaux » – ont été inspirés au début par
ces recherches pionnières fondées sur la comparaison des comportements
de la mère et ceux du père en interaction avec l’enfant, avant de s’orienter
vers des dispositifs prenant en considération les différents types de paternité
(sans oublier le type « papa poule » !). Notre anthologie scientifique
totalisera les résultats obtenus avec les deux méthodologies.

La distinction mère-père
Le principe de la démarche des chercheurs a consisté à comparer les
modalités du comportement des deux parents considérés comme
représentants de l’une ou l’autre des deux catégories de sexe et à comparer
les comportements de l’enfant selon qu’il se trouve en présence de sa mère
ou de son père (ou plus rarement des deux).

Les interactions parents-enfant au cours


du jeu libre
Plusieurs auteurs ont observé les parents et leur enfant en situation de
jeu avec des objets (sans consigne de réalisation d’une tâche précise) et ce à
différentes périodes des deux premières années de la vie (chez Clarke-
Stewart par exemple : à 15, 20 et 30 mois). Parmi les résultats obtenus, on
remarque certaines différences significatives entre le comportement
maternel et le comportement paternel : la mère a tendance à se montrer plus
« didactique » (en utilisant davantage le jeu exploratoire) et le père plus
« social » (en s’engageant davantage dans des interactions du type
stimulation). À Paris, Florence Labrell a répliqué les études de Power
(1985) en observant des enfants de 16 mois dans différents types de jeux
parentaux (jeux de focalisation, jeux fonctionnels, jeux de mise en relation,
jeux de création, jeux de récréation).
Elle a retrouvé que les deux types de comportement présentaient
beaucoup de ressemblances en termes d’adaptation au niveau de
développement de l’enfant, c’est-à-dire en ajustement parental. Mais elle a
également remarqué que les pères réalisent plus de création que les mères et
qu’ils ont tendance à se montrer plus « taquins » qu’elles – les taquineries
sont définies comme des « épisodes interactifs au cours desquels le parent
cherche à déstabiliser l’enfant en contrariant ses activités en cours ou ses
attentes » (1994). Par exemple : empêcher l’action de l’enfant, simuler une
agression, créer une situation incongrue génératrice de surprise.
Dans notre équipe, nous avons choisi un autre contexte pour étudier les
interactions précoces entre les parents et l’enfant : le milieu aquatique.
Notre objectif était de contribuer à l’étude des modalités et des effets des
pratiques aquatiques d’éveil organisées par les associations de bébés-
nageurs. Nous ne reviendrons pas en détail sur des résultats déjà publiés 1 et
nous rappellerons seulement que l’observation filmée a concerné 11 dyades
parent-enfant, 6 filles et 5 garçons, tous âgés de 12 mois (± 2 mois) et que
le suivi des dyades s’est déroulé sur 5 séances consécutives. Ces séances
étaient d’une durée totale de 10 minutes (en excluant 1 minute de mise en
train), 5 minutes avec la mère, 5 minutes avec le père, en alternant l’ordre
de passage des parents à l’intérieur de chaque duo (plan tournant). Ce
dispositif nous a permis de disposer de 550 minutes d’observation
(11 enfants, 5 séances par enfant, 10 minutes par séance). Adoptant la
démarche éthologique à laquelle nous avions été initiés par Raymond
Campan, nous avons visionné et décrypté les interactions au moyen d’un
« répertoire comportemental » incluant deux catégories d’actes moteurs :
Chez le parent : actes ayant la signification d’une stimulation, d’une
incitation à l’action que ce soit sous forme expressive (exemple : faire
bravo pour encourager) ou sous forme instrumentale (actions de
stimulation directe par contact physique), d’une action par
l’intermédiaire d’un objet (tapis, bouée) ou encore d’une stimulation
sociale (ouverture à d’autres personnes extérieures au duo).
Chez l’enfant : actes ayant la signification d’une tentative
d’éloignement, d’exploration du milieu aquatique ou même d’une prise
de risque.
Le double visionnement des 55 vidéocassettes a été réalisé en faisant
défiler les images à vitesse normale et en arrêtant le défilement après
chaque apparition d’un acte répertorié. Il a suffi ensuite de totaliser les
occurrences d’actes et de procéder aux comparaisons habituelles. Compte
tenu du petit nombre de dyades et du petit nombre de séances, on ne peut
pas parvenir à des conclusions irréfutables : on évoquera seulement des
tendances.
Il ressort que les pères se montrent légèrement plus stimulants que les
mères (au total : 2 330 occurrences contre 2 133) en raison notamment de la
plus fréquente apparition de la catégorie « stimulation sociale » (194 contre
142). Dans 8 cas sur 11, le total des occurrences pour l’item « tourner
l’enfant vers l’environnement » est à l’avantage des pères. On remarque
aussi que les enfants sont plus sensibles à la stimulation du père qu’à la
stimulation de la mère, comme si l’action activatrice du père était plus
efficace pour déclencher l’exploration.

La situation de séparation
et les comportements d’attachement
Nous avons déjà évoqué la contribution majeure de Bowlby classé
comme « psychanalyste materniste » et surtout inventeur de la théorie de
l’attachement diffusée en 1958 : rappelons que les comportements
d’attachement sont déterminés par un besoin primaire, qu’ils sont au service
de la protection du bébé et qu’ils sont dirigés vers la « figure maternelle »
(monotropie). À partir de ces prémisses, c’est surtout Mary Ainsworth qui a
mis en pratique le concept, grâce à l’observation des dyades mère-enfant.
En introduisant d’abord la notion de « base de sécurité », le lieu à partir
duquel l’enfant explore le monde et vers lequel il retourne quand il est
alarmé (1967 en Ouganda). En mettant au point ensuite (en 1977 à
Baltimore) le protocole de la « situation étrange » : série de 7 épisodes de
3 minutes au cours desquels l’enfant est soumis à des séparations et des
réunions avec sa mère et qui introduisent aussi, à certains moments précis,
la présence d’une personne étrangère (phases 2, 3, 6, et 7). Voici le déroulé
des 7 épisodes :

Phase 1 Mère + enfant Entrée de l’étrangère


Phase 2 Mère + étrangère + enfant Sortie de la mère (première
séparation)
Phase 3 Étrangère + enfant Entrée de la mère (première
réunion)
Sortie de l’étrangère
Phase 4 Mère + enfant Sortie de la mère (deuxième
séparation)
Phase 5 Enfant seul Entrée de l’étrangère
Phase 6 Étrangère + enfant Entrée de la mère (deuxième
réunion)
Phase 7 Mère + étrangère + enfant

Ce scénario était décrit par l’auteure comme susceptible d’activer deux


systèmes de comportements antagonistes et complémentaires, la
sécurisation et l’exploration. C’est à partir de l’application répétée de ce
protocole et plus particulièrement de l’objectivation des façons de réagir à
l’arrivée (réunion) et au départ de la mère (séparation) qu’Ainsworth en est
venue à proposer une classification des enfants en trois catégories : enfants
sécurisés, à savoir ceux qui réagissent négativement quand la mère les
quitte et positivement quand elle les retrouve (catégorie B : sécure) ; enfants
insécurisés évitants (catégorie A : insécure évitant) : enfants non affectés
par la séparation d’avec la mère ; et enfants insécurisés ambivalents
(catégorie C : insécure résistant) : lors des réunions avec la mère, ces
enfants se montrent désireux d’être près d’elle et en même temps en colère
contre elle. Les premiers se retrouvaient dans deux tiers des cas environ, les
deux autres dans le tiers restant. Des recherches ultérieures ont montré que
la répartition pouvait varier selon la culture ; par exemple, on a relevé une
fréquence plus élevée du type A en Allemagne et du type C au Japon ou en
Israël.
Quelle place a-t-on laissée au père dans ce cadre théorico-pratique ?
À l’origine de ses recherches, Ainsworth admettait (dès 1967 donc) que
l’enfant pouvait s’attacher à une autre figure que sa mère et elle évoquait
une « hiérarchie » des figures, la mère occupant habituellement la place
principale et le père pouvant faire partie des figures secondaires. Il
s’agissait alors d’une première entorse au dogme de son mentor, la
monotropie. En 1972, Kotelchuck se révélait plus iconoclaste encore et
allait, en parodiant Bowlby, jusqu’à s’interroger sur la nature « du lien de
l’enfant à son père » (sic). Entre 1972 et 1975, plusieurs recherches
américaines utilisant le critère des manifestations de détresse provoquées
par la séparation parvenaient à la conclusion que les enfants de 12 et de
18 mois se montrent attachés aux deux parents même si sur certains
paramètres comportementaux la mère apparaît comme plus efficace
(meilleure base de sécurité) que le père. Cette supériorité de la mère était
apparue assez nettement dans une étude de Lamb (1976) qui faisait interagir
des enfants âgés de 1 an non pas avec un seul parent mais avec les deux
parents ensemble au cours de la même séance (variante de la situation
étrange). Le chercheur avait démontré que le pouvoir de sécurisation de
chaque parent est équivalent dans une situation non stressante (épisode 1 :
père et mère réunis avec l’enfant ; épisode 2 : mère seule avec l’enfant ;
épisode 3 : père seul avec l’enfant) mais que ce pouvoir est supérieur chez
la mère lorsque la situation s’avère plus difficile à vivre pour l’enfant, à
savoir l’épisode 4 qui réunit les deux parents, l’étrangère et l’enfant. Dans
cette phase où s’ajoutent l’ennui, la fatigue, le désagrément lié à l’arrivée
d’une étrangère, l’enfant marque sa préférence pour la base de sécurité
maternelle : les comportements d’attachement de proximité (se diriger vers,
demander à être pris dans les bras, toucher et caresser…) sont adressés de
façon plus intense à la mère. Quoi qu’il en soit, la brèche ouverte par
Kotelchuck était désormais clairement béante. Schaffer (1981) se fondant
lui aussi sur le critère de la protestation à la séparation plaidait pour
l’existence d’une « pluralité » des figures : une enquête réalisée auprès des
familles avait révélé que vers l’âge de 1 an et plus nettement encore vers 1
an et demi les enfants entretenaient plusieurs liens (c’était le cas de 87 %
d’entre eux à 18 mois) et l’attachement était dirigé vers les grands-parents,
les frères et les sœurs aînés, les voisins et surtout les pères. Plus personne
ne pouvait mettre en doute le fait que le père représentait le plus souvent
une figure d’attachement fiable.
Une autre question restait posée cependant : l’attachement qu’un enfant
manifeste à l’égard de sa mère et celui à l’égard de son père sont-ils
équivalents ou différents ? Pour répondre, Main (1981) a comptabilisé le
nombre de sujets qui affichaient un type d’attachement identique avec la
mère et avec le père à deux âges différents : 49 sujets avec la mère à
12 mois et les mêmes sujets avec le père à 18 mois. Les résultats de cette
vaste recherche sont les suivants : il y a sensiblement le même nombre de
sujets qui réagissent de la même manière avec les deux parents (c’est le cas
pour 25 d’entre eux : 9 évitants, 15 insécurisés et 1 ambivalent) que de
sujets qui réagissent différemment (c’est le cas pour 24 sujets). Cette étude
semblait montrer que le type d’attachement d’un enfant ne doit pas être pris
pour un trait de caractère, une caractéristique individuelle invariable (c’est-
à-dire indépendante du contexte interactif qui a servi à l’établir et à
l’étiqueter) mais plutôt comme un mode de relation relatif à un partenaire
déterminé. Belsky, en 1984 et en 1987, a confirmé cette thèse de la causalité
liée à l’expérience et soutenu que le type de sécurité affiché par l’enfant A,
B ou C avec un parent donné est le résultat de l’histoire interactionnelle que
l’enfant a vécue avec ce parent. Il n’y a pas cependant unanimité autour de
cette interprétation.
Les travaux sur l’attachement ont connu une grande faveur chez les
chercheurs, notamment chez Lamb 2. Nous devons avouer que tout en
restant séduits par l’ingéniosité de beaucoup d’entre eux, nous n’avons
jamais appliqué le protocole de la situation étrange au cours de nos
recherches, tout simplement parce que nous l’avons jugé trop barbare pour
l’enfant. Provoquer l’isolement d’un bébé pour le déstabiliser et ainsi
activer les comportements d’attachement nous semble peu conforme au
code de déontologie du chercheur.

Les interactions enfant-adulte


et la construction de l’intelligence
Ces interactions ont été étudiées avec des enfants un peu plus âgés,
disons au cours de la deuxième année et au-delà. Dans ces situations
l’enfant (le novice) est mis face à un problème à résoudre, par exemple
réaliser un encastrement de pièces, et l’adulte (le tuteur) l’aide à progresser
et à trouver la solution. En 1981, Bruner décrit cette coopération en termes
d’« étayage » : il a observé que « l’adulte restreint la complexité de la tâche
pour permettre à l’enfant de résoudre des problèmes qu’il ne peut accomplir
tout seul ». Dans ces cas, les responsabilités sont donc partagées entre deux
individus constituant un système social élémentaire.
Les chercheurs ont opéré le plus souvent avec des dyades mère-enfant.
C’est le cas de Heckhausen (1987), qui a proposé la notion de stratégie
d’instruction optimale chez des mères qui encadraient des enfants âgés de
14 et 22 mois dans un jeu de construction : l’action la plus efficace de la
tutrice, la plus ajustée aux capacités de l’enfant, est celle qui se situe juste
au-dessus de la performance réalisée, un cran au-dessus (one-step-ahead).
On parle alors de changements contingents.
L’idée de comparer les tutelles des mères et celles des pères s’est
imposée rapidement. Florence Labrell, qui a présenté une revue de la
question dans un ouvrage collectif auquel nous avons participé, conclut que
les stratégies parentales sont assez ressemblantes dans les deuxième et
troisième années (Pratt, 1988) et que les différences n’apparaissent qu’au
cours de la première année : « La spécificité paternelle correspondant à une
sollicitation plus importante de l’autonomie du jeune enfant s’estomperait
au fur et à mesure du développement de celui-ci » (Labrell, 1997). Résultat
qui reste à confirmer au dire même de l’auteur.
La recherche a progressé lorsque Pratt a eu l’idée de mettre en rapport
le style éducatif parental et la compétence cognitive de l’enfant évaluée par
le taux de réussite dans les tâches 3. Cette mise en relation concernait des
enfants de 3 ans (N = 24) mis en situation de résolution de trois types de
tâches : construction à l’aide de blocs, mémorisation d’une histoire et
classification. Trois styles éducatifs parentaux avaient été retenus : style
autoritaire (pour ceux qui exigent l’obéissance et appliquent des règles
immuables), style laxiste (pour ceux qui laissent l’enfant livré à lui-même),
style permissif (pour ceux qui refusent d’exercer un contrôle), style
structurant (pour ceux qui orientent souplement l’activité de l’enfant tout en
sollicitant son autonomie de fonctionnement). Comme attendu dans le corps
d’hypothèses, ce sont les parents structurants qui font usage du mode de
tutelle le plus efficace : c’est avec ceux-là que le taux de réussite de l’enfant
a été le plus élevé. Le type d’aide qu’ils déploient se caractérise par une
plus grande utilisation de la région de sensibilité et par un taux
d’ajustements contingents plus important.
Les interactions langagières entre le père et le jeune enfant ont donné
lieu à bon nombre d’études chez les développementalistes. Ce courant
rassemble des théories qui s’attachent à expliquer comment les enfants
changent et grandissent tout au long de la vie, en prenant en compte les
aspects sociaux, émotionnels et cognitifs.
Nous nous limiterons à souligner les conclusions principales. En disant
d’abord que les langages maternel et paternel se ressemblent fortement pour
ce qui est de la longueur et du contenu des énoncés même si les mères ont
tendance à se montrer plus didactiques, plus ajustées au niveau de
compétence de l’enfant. En disant ensuite que la principale différence mise
en avant est relative aux caractéristiques conversationnelles. La spécificité
des pères se révélerait dans le fait qu’ils constituent des sortes de « ponts
linguistiques » (Gleason, 1975) : ils sont considérés comme des partenaires
plus exigeants que les mères par le fait qu’ils émettent plus de demandes de
clarification (« Je ne comprends pas, que dis-tu ? ») et ainsi incitent l’enfant
à produire un langage correct au plan linguistique (Tomasello, 1983).

Le père et la socialisation de l’enfant


Nous avons déjà abordé la question de la conquête de l’autonomie en
évoquant les travaux de Mahler sur les débuts du processus de séparation-
individuation mais il faut aller au-delà de cette description et s’interroger
sur les modalités de la construction du sujet, ce qu’on appelle la
subjectivation, en soulignant ce que peut être la contribution du père. Il est
certain que les deux parents ont un rôle à jouer dans la prise de conscience
et l’estime de soi du jeune enfant, garçon ou fille. Par la considération qu’ils
lui portent, par leurs incitations à oser et à réussir, par leurs encouragements
à poursuivre son effort en cas d’échec, ils l’aident à progresser dans ce
qu’on pourrait appeler l’identisation, soit la construction de son identité.
Quelle action particulière peut-on attribuer au père dans ce processus ? Pour
répondre, nous nous référons à trois études :
L’étude de Yarrow (1984) qui a consisté à comparer le désir de réussite
d’enfants observés en interaction avec leur mère et avec leur père au
domicile et au laboratoire, à 6 mois et à 12 mois. Parmi les
enseignements tirés de la recherche, on relève que les pères semblent
peser plus que les mères sur l’acquisition du pouvoir de maîtrise de
l’environnement, tout au moins dans le cas du garçon.
L’étude de Kromelow (1990) 4 : ici les chercheurs ont voulu savoir
comment se comporteraient des enfants – garçons et filles, âgés de 18 à
21 mois – dans une situation stressante (épisode 2 de la situation
étrange), selon qu’ils seraient mis en présence de leur mère ou en
présence de leur père. On avait vérifié que tous les enfants étaient
attachés de façon sécure aux deux parents. Dans ces conditions, on n’a
obtenu aucune différence de réaction liée au sexe des parents chez les
filles. Par contre, chez les 19 garçons, on a observé un phénomène assez
intéressant : 10 d’entre eux se sont montrés plus sociables en présence
de leur père (pour 5 d’entre eux il n’y avait pas de différence entre les
deux contextes et pour 4 seulement le score était meilleur en contexte
féminin). Plus sociables signifie moins craintifs, plus acceptants vis-à-
vis de l’étrangère, plus engagés dans l’interaction ludique et l’offrande
spontanée avec elle avant même que celle-ci ait fait le premier pas vers
l’enfant. En conséquence, les chercheurs ont qualifié le père
d’incitateur, de catalyseur de prise de risques – cette « supériorité » du
père s’exprimant plus particulièrement vis-à-vis des garçons.
Enfin, l’un des chercheurs qui s’est le plus penché sur cette question est
enseignant-chercheur au Canada : il s’agit de Daniel Paquette 5. On
retrouve chez ce spécialiste d’éthologie humaine la notion d’activation
déjà suggérée par Kromelow mais l’auteur va au-delà de cette notion.
La spécificité du père serait en effet de contribuer à la dynamisation du
jeune enfant par la médiation, notamment par des jeux de compétition
(rough and tumble play). À la différence de la situation étrange, ce
dispositif n’est pas induit par le modèle théorique d’Ainsworth (stress
de séparation ou comportements de sécurisation) et il serait adéquat
pour « étudier le besoin d’activation » de l’enfant. Dès la deuxième
année, celui-ci éprouverait la tendance à rechercher avec son père des
situations de jeu qui lui permettraient « d’être activé et de se
surpasser ». Dans ces circonstances, l’enfant apprend à croire en ses
propres capacités, « à faire face aux menaces et à l’étrangeté de son
environnement physique et social puisque son père l’incite à oser aller
plus loin dans son exploration et ce, dans un contexte serein ». L’auteur
en vient à recommander les jeux de lutte père-enfant et l’initiation à la
compétition socialisée (sans agresser autrui). Même si nous n’adhérons
pas au modèle évolutionniste du dimorphisme sexuel du comportement
(mère protectrice versus père activateur), nous estimons que le
soulignement de l’importance des jeux de compétition ludique est une
excellente initiative. Apprendre à l’enfant à « être avec et à être contre »
dans le jeu constitue une préparation lointaine aux jeux sportifs
collectifs que nous défendons sans réserve.

Le père et la construction de l’identité sexuée


de l’enfant
Cette construction dépend à n’en pas douter des deux parents : il s’agit
de sujets sexués, femmes ou hommes, qui, par leur seule présence et surtout
par leurs interventions dans la vie de tous les jours, contribuent l’un et
l’autre à faire que leurs enfants – garçon ou fille – se reconnaissent,
s’acceptent et se comportent également comme des sujets sexués, c’est-à-
dire comme des individus qui ont le sentiment puis la représentation de leur
appartenance à un sexe. Comme dans la rubrique précédente, nous nous
focaliserons sur le rôle du père même si les mères ont été le plus souvent
impliquées dans les protocoles de recherche.
Le dispositif qui se prête le mieux à l’étude de la question est celui où
l’on demande à l’enfant, garçon ou fille, de choisir ou de manipuler des
objets qui sont caractérisés par des stéréotypes sexués, qui sont comme on
dit aujourd’hui genrés (le genre étant défini comme ce qui désigne les
composantes non physiologiques du sexe), dit autrement définis par ses
caractéristiques socialement prescrites. Les protocoles s’appliquent le plus
souvent à des enfants de 2 ans ou plus. Nous allons rendre compte
cependant de quelques recherches qui concernent des enfants plus jeunes et
qui s’inscrivent donc dans la période où il est pertinent d’évoquer la
fonction primaire du père.

UN EXEMPLE D’ÉTIQUETAGE

Frisch 6 a projeté d’examiner les effets de l’étiquetage de rôle lié au sexe


en enregistrant les comportements d’adultes à qui on a présenté des enfants
comme fille ou comme garçon (sans qu’ils connaissent le vrai sexe
biologique). L’effectif était de 24 enfants et l’âge des enfants de 14 mois.
Les résultats indiquent que les adultes encouragent davantage à pratiquer
une activité et à choisir des jouets masculins quand ils jouent avec des
enfants désignés comme garçons. Ces adultes vont plus vers les jeux de
soins (poupée, dînette) quand ils jouent avec des enfants désignés comme
filles. On peut penser que ce qu’on a observé chez des « hommes » serait
valable aussi pour des « pères » ! C’est Luria qui a introduit la notion
d’étiquetage : cet auteur estimait que « le simple fait d’étiqueter un enfant,
associé à des méthodes d’éducation suivies et conformes au sexe étiqueté,
produira un “homme” ou une “femme” » (1978).

UN EXEMPLE DE SOCIALISATION DIFFÉRENCIÉE

Fagot 7 a observé 24 enfants âgés de 20 et 24 mois situés chez eux avec


leurs parents. Il est apparu des différences claires dans les réponses qu’ils
accordent aux activités de leurs filles et de leurs garçons. Les filles sont
encouragées à danser, à s’habiller avec des vêtements féminins, à jouer à la
poupée et à demander de l’aide. Les garçons sont sermonnés quand ils
pratiquent des activités considérées comme féminines (jouer à la poupée) et
ils sont encouragés à jouer à des jeux considérés comme masculins,
appropriés à leur sexe (faire rouler des petites voitures). Cela démontre que
les comportements jugés conformes au groupe de sexe de l’enfant sont
renforcés positivement et ceux jugés comme non conformes (contre-
stéréotypés) sont sanctionnés. L’action de socialisation différenciée selon le
sexe de l’enfant a été reconnue comme plus marquée chez les pères que
chez les mères.
Ces études apportent des informations non négligeables, mais elles ne
permettent pas d’épuiser la question de la construction de l’identité sexuée.
Il faudra s’appuyer sur le modèle psychanalytique pour avancer dans
l’étude de ce thème (nous le ferons dans la troisième partie de l’ouvrage).

Différents pères, différents rôles


Depuis l’année 1993, nous avons estimé que la simple comparaison
mère-enfant et père-enfant n’était pas tout à fait judicieuse pour répondre à
la question : quel est le rôle du père dans le développement de l’enfant ? En
effet, la quasi-totalité des dispositifs de recherche utilisés ont certes permis,
comme on l’a vu, de montrer en quoi l’action du père était supérieure,
inférieure ou différente de celle de la mère. Ce n’est pas négligeable mais
c’est insuffisant. La preuve la plus évidente de cette affirmation nous est
fournie par l’usage de la situation étrange : en l’appliquant au père, on
découvre que le père est moins bon consolateur que la mère, mais on oublie
les présupposés de l’attachement, théorie du lien de l’enfant… à sa mère.
On peut en dire autant sur la question des interactions de tutelle. Compte
tenu de cette réserve, nous avons pensé que nous ne devions plus considérer
comme homogène la catégorie des pères et qu’il fallait les comparer entre
eux.
Cette réorientation s’est concrétisée d’abord dans la recherche de
Véronique Bourçois, dans le cadre de sa thèse de doctorat : L’Influence du
mode d’engagement du père sur le développement affectif et social de
l’enfant 8. Le style d’implication du père est défini par deux variables : sa
participation dans le caregiving et la différenciation de rôle d’avec celui de
la mère. Il était supposé que la configuration la plus favorable au
développement de l’enfant serait celle où le père participe aux soins et aux
jeux tout en assumant la fonction qui correspond à son statut psychosexuel
– notamment énoncé et respect des interdits ; ouverture à la vie sociale
élémentaire. La recherche a consisté à comparer 3 groupes de 10 enfants
âgés de 3 ans, 5 garçons et 5 filles par groupe, tous préscolarisés en école
maternelle et issus de familles biparentales. Les couples ont été répartis en
3 catégories qui se distinguaient les unes des autres par la modalité
d’engagement des pères :
G1 : groupe des pères non engagés ;
G2 : groupe des pères engagés dans un couple où les fonctions
parentales pouvaient être qualifiées d’indifférenciées (donc avec un père
qu’on pourrait qualifier de papa poule) ;
G3 : groupe des pères engagés dans un couple où les fonctions
pouvaient être qualifiées de différenciées.
Les 30 enfants furent filmés dans le cadre scolaire lors de situations se
prêtant à l’analyse de leurs comportements d’attachement (au moment des
séparations et des réunions avec la mère, une fois pour chaque enfant) et de
leurs comportements sociaux au moment de jeux libres en classe, 4 fois
10 minutes pour chaque enfant. Des répertoires ont été construits pour
permettre les opérations habituelles de dépouillement et de quantification.
Pour valider ces observations et les données de l’enquête extensive, un
questionnaire a été rempli par les institutrices et un entretien a été proposé
aux parents. L’analyse des résultats a permis d’affirmer :
que les enfants du groupe G1 (pères non impliqués) avaient tendance à
se montrer plus anxieux et plus dépendants de leur mère à la séparation
que les enfants dont le père est précocement engagé (G2 et G3) ;
que parmi les enfants dont le père est précocement impliqué, ceux dont
le père a une fonction spécifique, différenciée de celle de la mère
(groupe G3), paraissent avoir un attachement plus assuré, plus
indépendant que les autres (groupe G2) ;
enfin que parmi les enfants dont le père est engagé, ceux du groupe G3
(pères différenciés) sont plus ouverts aux pairs que ceux du groupe G2
(pères indifférenciés).
Cet ensemble de résultats porte à croire qu’il ne suffit pas que les pères
fassent « acte de présence » : il est hautement souhaitable aussi qu’ils soient
présents en tant que parent au masculin, dans l’affirmation de leur identité
de sexe.
Encore dans notre équipe, c’est Geneviève Bergonnier 9, aujourd’hui
professeure à l’université de Nanterre, qui a abordé la question du rôle du
père dans le développement de l’intelligence en prenant en compte le style
éducatif des parents. À partir d’un questionnaire et d’un entretien, elle a pu
en définir trois : parents dits organisateurs, « ceux qui privilégient la
structure de l’environnement et le rythme de vie de l’enfant » ; parents
stimulateurs, « ceux qui manifestent une présence active et attentive »
auprès de l’enfant et pour qui il est important de favoriser « la réciprocité
dans les relations parents-enfant » ; parents attentistes (« qui ne disposent
pas de stratégie éducative à moyen et à long terme »). Avec des enfants âgés
de 3 ans, elle a montré que les différences manifestées dans les stratégies
éducatives des pères se traduisaient dans les scores des enfants dans le jeu
cognitif, en l’occurrence la reproduction d’une image-modèle à l’aide de
pièces s’emboîtant sur une grille. En d’autres termes, les pères dits ici
« organisateurs » étaient conjointement ceux qui privilégiaient la
structuration de l’environnement familial et le rythme de vie de l’enfant,
planifiaient ses activités, cherchaient à encourager son autonomie… et aussi
ceux qui se révélaient les meilleurs tuteurs, ceux dont les enfants obtenaient
la meilleure performance dans la résolution des problèmes. On sait bien que
les performances cognitives de l’enfant dépendent d’une pluralité de
facteurs (génétiques et épigénétiques), cependant il est à peu près certain
que les stratégies éducatives des parents font partie de cette pluralité.
Au sein de notre équipe enfin, Chantal Zaouche 10, aujourd’hui
professeure à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès, a introduit une variable
déjà mise au jour par Bourçois : le mode d’implication du père auprès de
l’enfant. À partir d’un questionnaire d’enquête distribué à des parents
d’enfants de crèche premiers-nés, elle a retenu uniquement ceux qui
apparaissaient comme des pères impliqués dans le caregiving. Parmi ceux-
ci, 36 ont accepté de poursuivre l’exploration et notamment de répondre à
un questionnaire semi-directif relatif à leurs façons de faire avec le bébé. 10
d’entre eux furent qualifiés de différenciés de la mère (parce qu’ils
assumaient convenablement la fonction d’autorité, qu’ils avaient le souci
d’ouvrir leur enfant au monde, etc.) et 10 autres comme indifférenciés (de
type papa poule). Les enfants des deux groupes ont été appariés au regard
de l’âge, du rang de naissance, du type de famille (toutes étaient de la
catégorie biparentale) et de l’origine culturelle (il n’y avait pas parmi elles
de familles étrangères). Il y avait dans chaque groupe 5 garçons et 5 filles.
À l’âge de 9 mois, les enfants ont été observés au domicile en compagnie
du père dans une interaction qui faisait se succéder un temps de jeu
(5 minutes environ) et un temps où le père quittait la pièce (phase inspirée
de l’épisode de séparation dans la situation étrange mais plus brève). Deux
séries de conclusions ont été tirées. L’auteur a noté d’abord que pendant le
jeu les pères différenciés sont plus enclins que les autres à soutenir l’intérêt
de l’enfant, à répondre à ses demandes et à considérer le jouet comme un
objet social (et pas seulement physique). Corrélativement, ils apparaissent
plus ouverts au monde environnant et moins « collés » à l’adulte (ils
préfèrent les situations nouvelles aux situations familières). Par ailleurs, lors
de la séparation momentanée, les enfants des pères différenciés présentent
des comportements de recherche du parent disparu plus élaborés (des
regards vers la porte plutôt que des pleurs, par exemple). Ils paraissent
moins insécurisés et, en conséquence, leurs comportements d’exploration
sont plus apparents (par exemple ils sont plus attirés que les autres par les
jouets nouveaux). Au total, il ressort que, dès l’âge de 9 mois,
la différenciation paternelle et le niveau de défusionnement de l’enfant
d’avec sa mère semblent liés : par sa position de « tiers » le père présent et
différencié « introduit la distance nécessaire entre l’enfant et sa mère,
l’enfant et lui-même ».
Chantal Zaouche s’est également intéressée au rôle du père dans la
construction de l’identité sexuée chez le jeune enfant. Elle a pensé pouvoir
réexaminer à l’âge de 20 mois l’effectif des 20 enfants qu’elle avait
rencontrés avec leur père à l’âge de 9 mois dans le but d’étudier le
processus de subjectivation. Mais à objectif différent, dispositif
expérimental différent ! Les enfants des deux groupes (10 de père
différencié, 10 de père indifférencié) ont été confrontés à 3 types de jouets
sexués pendant une durée de 5 minutes à chaque fois : jouets contre-
stéréotypés, jouets stéréotypés et les deux catégories simultanément. Les
observations étaient filmées et les films ont été décryptés selon le mode
« seconde par seconde ». Les comportements décryptés ont été rangés dans
trois catégories : retrait du jeu, engagement minimal, engagement adapté.
Quels sont les principaux résultats ? Alors que les enfants des deux groupes
ne se comportent pas différemment quand ils sont en présence de jouets
contre-stéréotypés (ils ont tous eu tendance à se montrer indifférents à cette
caractéristique des jouets), on observe de nettes différences entre les deux
groupes dans la situation « jouets stéréotypés » : ce sont les enfants de pères
différenciés qui choisissent le plus les jouets conformes à leur sexe. On peut
donc penser que les pères impliqués et différenciés contribuent très tôt à cet
aspect de la sexuation de l’enfant.

La révolution scientifique des années 1970-


1980
L’entrée en scène du nouveau père a provoqué deux sortes d’effets : le
plus souvent, des bénéfices incontestables pour l’enfant, mais aussi parfois
quelques effets secondaires regrettables dans le monde de la psychologie.

LA PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT ENRICHIE

La mise au jour de la paternité primaire a été suivie de conséquences


indiscutablement utiles. En effet, c’est tout un domaine ignoré de la
psychologie qui a commencé à être investi et grâce aux chercheurs de cette
époque notre savoir s’est élargi et approfondi : les pionniers ont en quelque
sorte découvert un des « chaînons manquants » de la psychologie de
l’enfant. À coup sûr, le changement initié par Lamb, Clarke-Stewart, Parke,
etc., a été scientifiquement productif. Nous avons vu que l’introduction du
père dans les protocoles d’investigation avait enrichi la compréhension du
comportement de l’enfant au cours des premières années de la vie : toutes
proportions gardées, on pourrait écrire aujourd’hui, en parodiant Wallon ou
Piaget, un ouvrage sur « les origines » de la relation père-enfant.
De plus, c’est grâce aux données « savantes » dont nous avons présenté
un large aperçu que l’on a pu remettre en cause le modèle du tout-à-la-mère
et comprendre tous les avantages pratiques de l’implication précoce accrue
du père. Il faut rendre hommage aux gynécologues, aux pédiatres, aux
pédopsychiatres, aux psychologues cliniciens, aux paramédicaux divers,
aux puéricultrices (et aux puériculteurs encore peu nombreux hélas), aux
assistantes maternelles (et aux assistants récemment apparus) qui ont
déclenché, encouragé ou encadré la mise en application des enseignements
des chercheurs. C’est pour une grande partie à cette armée de l’ombre qu’on
doit le changement effectif des pratiques des parents concernés.
Avec des avantages pour la mère, qui souvent a pu voir ses tâches de
soins et d’éducation précoces allégées, qui a pu découvrir un compagnon
attentionné, partageur, enthousiaste.
Avec aussi des avantages pour le père, qui souvent est passé d’un statut
d’absent à un statut de participant, celui de parent actif et bien accepté par
la mère et par l’enfant.
L’enfant a pu tirer profit de la présence enrichissante de ses deux
parents lorsque, nous l’avons déjà dit, les pères ont su se montrer à la fois
suffisamment impliqués et suffisamment différenciés de la mère.
Avec du recul, on peut soutenir qu’il y a eu un avant et un après de ces
découvertes, soutenir en somme que bon nombre d’avancées peuvent être
considérées comme définitivement acquises, bref comme des vérités sur
lesquelles on ne reviendra pas.

QUELQUES CRITIQUES ET DES EXCÈS

Comme cela s’est produit parfois avec d’autres bouleversements


scientifiques, sociaux ou culturels, on n’a pas pu éviter certains effets
secondaires regrettables. En France, ces « contrecoups » ont été repérés,
voire majorés, par quelques personnalités probablement blessées d’avoir vu
leurs thèses remises en question et qui, de ce fait, se sont senties
déstabilisées. Nous ne reviendrons pas sur Aldo Naouri, en profond
désaccord avec l’apparition des nouveaux pères, mais nous retiendrons
l’avertissement de Françoise Dolto, plus modérée dans ses critiques.
Françoise Dolto, psychanalyste de l’enfant qui avait jusqu’alors
largement fait ses preuves, n’a pas accepté l’apparition des pères impliqués
sur la scène publique et elle l’a fait savoir haut et fort à plusieurs reprises au
cours de la période 1980-1990. D’abord dans La Cause des enfants 11 : « Je
soupçonne les “nouveaux pères” qui ont envie pas seulement d’aider leur
femme, mais de se substituer à la mère auprès de leur enfant, d’être enceints
par cette espèce de désir vague de materner, d’être un peu des cannibales. »
Ensuite dans Quand les parents se séparent 12 : « Il est dans l’ordre des
choses qu’un père ne s’occupe pas de son enfant bébé : ce n’est pas le rôle
d’un homme… C’est lorsque l’enfant atteint l’âge de la marche – à 18
mois – que les hommes normalement virils [sic] commencent à s’occuper
de lui. Ceux qui s’occupent des bébés sont généralement en grande partie
marqués de féminité et, pour ainsi dire, jaloux que ce soient les mères les
porteuses. » Des accusations dont la rudesse surprend un peu ! Sans doute
voulait-elle nous mettre en garde contre certains débordements consécutifs
à l’entrée en scène du « papa poule », des dérapages que nous avons
toujours dénoncés.
Il y a eu quelques excès à n’en pas douter et nous ne craignons pas de
les stigmatiser :
présence trop envahissante du père auprès de la femme enceinte (lors de
l’échographie du cinquième mois, lors des séances d’haptonomie…) ;
fébrilité mal contrôlée dans les moments qui entourent la naissance ;
volonté de se montrer aussi (ou plus) habile que la mère dans les tâches
relatives au pouponnage ou encore dans les manifestations de tendresse.
Il faut surtout reconnaître qu’une infime minorité de gynécologues, de
pédiatres, de psychologues n’ont pas su raison garder et qu’ils ont été
débordés par leur enthousiasme militant. Nous pensons en particulier à
l’engouement suscité par certaines pratiques insolites comme
l’accouchement assisté en baignoire. Nous pensons à certains discours sur
la pratique exotique de la « couvade » (l’alitement du père pendant la
grossesse de la femme). Nous pensons à la publicité organisée en faveur des
groupes mixtes de chant berceur ou en faveur des groupes de « formation à
la paternité ». Il est vraisemblable que certains pères ont voulu « trop en
faire » et qu’ils ont vécu le coparentage comme une compétition plutôt que
comme une coopération. C’est vrai qu’il y a eu des excès, mais ce n’est pas
une raison pour renoncer au principe d’une participation paternelle accrue.
Non, madame Dolto, les pères engagés (et différenciés de la mère) ne
mettent pas les enfants en danger. Bien au contraire, ils grandissent et aident
leurs enfants à grandir dans l’échange et la joie de vivre. Ce sont de vrais
accélérateurs de croissance.

L’apport de la psychanalyse
à la psychologie de l’enfant

À propos des situations expérimentales


Cette question de la paternité, au regard des changements constatés,
changements qui se montrent très hétérogènes, justifie pleinement de faire
appel à la psychanalyse pour en comprendre les tenants et les aboutissants.
Le moment est favorable pour essayer d’établir un lien constructif, une
alliance théorico-pratique entre l’approche psychologique et la
psychanalyse.
Nous laisserons de côté, et à un passé largement révolu, les apports du
courant lacanien, pour s’en référer principalement à une vue plus classique
tout en étant académique (cf. Société psychanalytique de Paris).
La revue détaillée des situations d’observation a un grand intérêt car
elles montrent les individualités dans leurs interactions habituelles et
naturelles, ce qui minimise l’impact d’éventuels artefacts.
Le psychologue du comportement de l’enfant doit être capable
d’observation flottante à l’image du psychanalyste qui écoute son analysant.
Tous deux sont dans une posture dans laquelle ils s’efforcent de rester
constamment disposés à voir, ou à entendre pour l’analyste, ce à quoi ils ne
s’attendent pas.
Cependant, l’approche naturaliste a ses limites. Elle sous-tend, qu’on le
veuille ou non, une théorie du sujet quand bien même il s’agit de
l’interaction entre le parent et l’enfant comme sujet de l’observation.
La dimension psychanalytique dans la psychologie de l’enfant trouve sa
place dans le sens où elle est amenée à prendre en compte, dans de telles
observations, ce qui se passe aussi à l’intérieur des sujets observés.
Ces situations expérimentales offrent une galerie de portraits des acteurs
que sont les parents et l’enfant. C’est l’endroit du décor. L’envers serait
constitué des enjeux, des motivations, des mécanismes psychiques à
l’origine des comportements. Ceux-là mêmes que la psychanalyse se
propose d’interpréter. Les processus conscients et inconscients sont
présents. Ils induisent des changements dont la lecture est rendue possible
et enrichissante.

Du point de vue de la psychanalyse


Malgré ses détracteurs, la psychanalyse a réussi à s’imposer dans tous
les milieux intellectuels et médicaux et à les sensibiliser à une autre
approche. En ce qui concerne plus spécifiquement la parentalité, elle a
permis aux parents de s’interroger sur leurs rôles, leurs fonctions, sur une
préoccupation plus satisfaisante de la relation avec l’enfant. Freud lui-
même recommandait vivement à toute personne susceptible de s’occuper
d’enfants, parent ou éducateur, d’entreprendre une analyse personnelle et
affirmait qu’elle en tirerait bénéfice.
Si aujourd’hui encore la psychanalyse fait l’objet de critiques, c’est
principalement parce qu’elle touche aux illusions (intégration des principes
de plaisir et de réalité). On dit de Freud qu’il fut un pourfendeur d’illusions.
L’efflorescence de courants « psy » n’empêche pas qu’elle a toute sa
légitimité dans notre société contemporaine et est absolument déterminante
pour comprendre l’être humain ; je dirais qu’elle contribue à l’humaniser
davantage. Son langage est parfois galvaudé, utilisé dans des conversations
de salon, peu importe, cela montre que l’inconscient affleure aux abords du
préconscient. De ce fait, il fait moins peur aussi.
Qu’est-ce qui a changé dans la cellule familiale depuis la découverte
freudienne ?
Si le père a pu entrer en scène dans ce nouveau contexte : est-ce la
psychanalyse qui a ouvert les portes du changement et d’un changement
radical ? Ces changements étaient-ils déjà en germe dans le contexte de
l’époque ?
Freud a vécu enfant au sein d’une famille nombreuse, qui s’étalait sur
plusieurs générations. Il y a eu, avant lui, un frère mort en bas âge
(événement extrêmement important dans son histoire).
Lui-même fut père de six enfants auxquels il était très attaché,
notamment sa fille Sophie, qui fut victime de la grippe espagnole.
Il fut un observateur attentif des relations intrafamiliales, faisant preuve
d’une grande acuité qui lui permit de comprendre et de conceptualiser la vie
psychique. Il appréhendait les changements profonds de la société, du fait
de la place nouvelle donnée à la sexualité et de l’enfant et de l’adulte.
Déjà, en 1900, sur la paternité, il dit « le reste de potestas patris
familias [pouvoir paternel], qui est devenu bien obsolète dans notre société
contemporaine, tout père s’y cramponne habituellement ».
On peut dire que tout était prêt pour l’avènement de nouvelles figures
paternelles. En 1932, dans les Nouvelles conférences, il dit : « Le passé
continue à vivre, la tradition de la race et du peuple ne cède que lentement
la place aux influences du présent, aux nouvelles modifications ; aussi
longtemps que passé et tradition agissent à travers le surmoi, ils jouent dans
la vie humaine un rôle puissant, indépendant des conditions économiques. »
Cependant dans le paysage français, la mort de Freud et le début de la
Seconde Guerre mondiale provoquèrent au sein de la Société
psychanalytique de Paris des mouvements conflictuels et de scission
importants qui laisseront des traces pendant de nombreuses années. On
assiste là aux conséquences de la mort d’une figure paternelle sur laquelle
les psychanalystes s’appuyaient.
Freud était pour ses disciples un modèle indestructible, autorisant des
querelles fraternelles.
Mais un père mort, c’est une autre question.
Vivant, Freud était la référence indiscutable qui lui fait dire dès 1914 :
« Dans les pages qui suivent, je me propose d’apporter une contribution à
l’histoire du mouvement psychanalytique. Cette contribution présente un
caractère subjectif qui, je l’espère, n’étonnera personne, de même qu’on ne
trouvera sans doute pas étonnant que j’y parle du rôle que j’ai moi-même
joué dans cette histoire. C’est que la psychanalyse est ma création : pendant
dix ans c’est sur ma tête que s’abattaient les critiques par lesquelles les
contemporains exprimaient leur mécontentement envers la psychanalyse et
leur mauvaise humeur à son égard. Je crois même pouvoir affirmer
qu’aujourd’hui encore, où je suis loin d’être le seul psychanalyste, personne
n’est à même de savoir mieux que moi ce qu’est la psychanalyse, en quoi
elle diffère d’autres modes d’exploration de la vie psychique, ce qui peut
être désigné par ce terme ou ce qui pourrait être mieux désigné
autrement 13 ».
Après le 23 septembre 1939, deux femmes s’affrontèrent à propos de
divergences théoriques : Melanie Klein et Anna Freud ; leur affrontement
aboutit à un consensus démocratique dans la mesure où ces deux
personnages féminins n’avaient pas de prétention de carrière à l’instar de
certains hommes. Elles exprimèrent leurs théories respectives, concernant la
psychanalyse de l’enfant.
Pour Melanie Klein, le transfert, négatif ou positif, est central et le jeu
de l’enfant est traité comme les associations libres de l’adulte, ce qui rend
possible l’interprétation.
Pour Anna Freud, l’analyse d’enfant est bien différente de celle de
l’adulte : elle prend en considération le rôle des parents et souligne leur
importance dans le soin avec l’enfant, ce que les psychanalystes appellent
l’alliance thérapeutique.
Il ne faut pas oublier par ailleurs que la guerre fut à l’origine de
bouleversements importants qui vont modifier les institutions, les rapports
humains, etc. Beaucoup de psychanalystes, d’origine juive, ayant échappé
aux nazis, émigrèrent, principalement aux États-Unis, et y développèrent
des courants de pensée porteurs.
En France, en 1953, la scission de la Société psychanalytique de Paris
va remettre en question des aspects théoriques et cliniques essentiels tels
que l’analyse profane, la formation des analystes, le cadre, etc., mêlés à des
enjeux de pouvoir interpersonnels.
On pourrait dire : « Le roi est mort, vive le roi ! »
Après ces dernières considérations, revenons au corpus observé.

Les stades de développement du bébé


Je me suis interrogée sur les raisons du choix de l’âge des bébés.
D’une part, la période de 6 à 9 mois est une période sensible pour le
bébé, caractérisée par l’angoisse, la peur face à une figure de l’étranger.
C’est une angoisse de séparation qui se manifeste plus ou moins fortement
selon l’enfant. Elle marque une période de maturation psychique et de
progrès. Le bébé a construit ses repères dans ses figures d’attachement et
tout changement est susceptible de le paniquer.
L’autre point est la représentation psychique de l’objet d’attachement ;
l’enfant n’acquiert véritablement la permanence de l’objet qu’au cours de la
deuxième année. En cas de séparation prolongée, l’enfant ne pouvant pas
faire appel à cette représentation psychique peut plonger dans un état
mélancolique profond. Un tel événement peut laisser des traces importantes
qui se retrouveront plus tard à la faveur des aléas de la vie et qui peuvent
entraîner le sujet dans des angoisses apparemment incompréhensibles. Ce
sont là des phénomènes d’après-coup.
Pour l’anecdote, il m’est arrivé dans le cadre de mon cabinet d’interdire
à de jeunes parents de partir en vacances en laissant leur bébé pour
plusieurs jours aux grands-parents, etc. Une espèce de frénésie s’était
emparée de ces parents, se traduisant par l’idée de partir à tout prix en
vacances en couple, des fois que le couple se perde dans cette nouvelle
parentalité ! Ce qui est étonnant, c’est qu’au premier abord, la mère
n’éprouve aucune culpabilité à l’idée de laisser son jeune bébé, la plupart
du temps à sa propre mère. Quel sens y trouver ? Un cadeau de la fille à sa
mère ? Revivre inconsciemment son propre vécu « bébé » ? Ne pas prendre
le risque d’un éloignement du partenaire sexuel ?
Après un moment d’agressivité à mon égard en réponse à cette
injonction (de quoi je me mêle ?), ces mères m’ont remerciée !
Pour clore cette parenthèse, certains psychanalystes établissent une
analogie entre l’angoisse du huitième mois et le temps passé à l’intérieur du
ventre maternel. Il est alors conseillé à la mère de raconter son
accouchement à son enfant.
Il en aura fallu du temps pour que le petit d’homme soit enfin considéré
comme une personne. Le langage a sans doute un impact dans cette
attribution au nouveau-né de qualités proprement humaines. Par exemple,
chez les Inuits, c’est seulement lorsque le nouveau-né reçoit un nom de la
part de ses parents qu’il acquiert sa place dans la société qui l’accueille :
tant qu’il n’a pas de nom, la communauté peut décider de sa vie ou de sa
mort. Ce qui a pu faire dire à Lacan que l’homme n’est qu’un nom sur une
pierre tombale et que par ailleurs, il n’existe qu’en tant que « parlêtre ».
En Europe, c’est relativement récemment, après la Seconde Guerre
mondiale, qu’un regard différent a été porté sur l’enfant.
Avant cela, par exemple, le corps médical pratiquait des actes de
chirurgie sans anesthésie convaincu qu’un bébé ne ressentait pas la douleur,
c’est-à-dire n’avait pas conscience d’avoir mal. Là aussi, il y a un effet du
langage : tant que l’enfant est infans, c’est-à-dire sans langage, sans mot
pour exprimer ses émotions, il se trouve dans cette période de néoténie (où
il conserve des spécificités juvéniles) – cette même néoténie qui a un rôle à
jouer dans le cadre de l’évolution darwinienne ; la psychanalyse a
énormément aidé à reconsidérer les façons de voir l’enfant et de prendre en
considération son développement dans un continuum d’évolution jusqu’à
l’âge adulte, jusqu’à la fin de la vie, dirions-nous.
Ainsi, même avant d’être conçu, chaque enfant a une place unique dans
la tête de ses parents, il leur préexiste fantasmatiquement et les prépare à
l’accession à la parentalité.
Il s’inscrit dans leurs histoires individuelles d’enfant et donne une
perspective transgénérationnelle pourvoyeuse de sens. Ce phénomène est
plus marqué et marquant lorsqu’il s’agit du premier-né.
Lorsqu’un accident vient interrompre ce projet, c’est un trauma qui
suspend le travail psychique de la parentalisation. Trauma qu’on retrouve
dans la difficulté de faire le deuil, même si d’autres enfants sont nés après
l’événement.
C’est pour cette raison qu’il est coutumier de dire que chaque enfant
d’une même fratrie n’a pas les mêmes parents. Chaque naissance est une
nouvelle rencontre avec sa nécessaire élaboration. Chaque nouvel enfant
prend une place dans la succession des générations.

L’ambivalence des sentiments parentaux


Par ailleurs, un statut est assigné à chaque enfant, inconsciemment, par
ses parents, avec le cortège de ressemblances, de projections ou non, ainsi
qu’une mission à accomplir.
De ce fait, il n’est pas outrageant de penser et de dire que l’accès à la
parentalité représente une situation de traumatisme ordinaire, comme la
folie maternelle ordinaire est indispensable à l’établissement du lien avec le
bébé. C’est souligner qu’être, devenir père ou devenir mère produit une
désorganisation psychique qui nécessite une réorganisation avec ses enjeux
narcissiques et œdipiens.
On retrouve là toutes les formes de la pathologie du post-partum, qui
sont le plus souvent négligées alors qu’elles devraient être considérées
comme les signes d’alarme qu’il est grand temps d’engager un travail
thérapeutique pour élaborer cette difficulté. Difficulté qui actualise un
conflit psychique ancien. Du baby-blues à la psychose puerpérale, aucune
de ces formes ne doit être négligée. Malheureusement, elles sont souvent
minimisées, banalisées (n’entend-on pas : « C’est les hormones ! » ?). C’est
alors qu’elles laissent des marques indélébiles dans la relation avec le bébé
et aussi dans la psyché maternelle.
On retrouve également dans ce contexte les raisons profondes qui
poussent un couple à se séparer après l’arrivée d’un enfant.
Nous l’avons dit, le bébé se trouve engagé dès sa conception et, malgré
lui, dans une mission de réparation et d’assurance narcissique auprès de ses
parents.
Il ne faut pas qu’il déçoive trop… « Sa Majesté le bébé » doit accomplir
tous les rêves et désirs de ses parents. Ce point soulève la question de
l’ambivalence, ce sentiment profondément humain, attaché à tout lien de
nature objectale et libidinale.
Il est vraiment parfois extrêmement douloureux pour un parent de
réaliser que sa progéniture est décevante. Cela conditionne les attitudes
éducatives qui s’ensuivent. Toute cette relation étant teintée de la manière
dont lui-même, le parent, a été pris en compte lorsqu’il était lui-même
enfant. Il n’y a pas d’amour sans son versant négatif qu’est la haine, pulsion
contraire nécessaire à l’équilibre pulsionnel pour préserver l’individu dans
son intégrité. C’est ce qu’on appelle le sentiment d’ambivalence.
Lorsque ce sentiment d’ambivalence est évoqué il est souvent connoté
négativement. C’est Eugen Bleuler, psychiatre contemporain de Freud, qui
a proposé ce terme pour décrire l’existence de sentiments contradictoires.
Freud, à sa suite, a développé une clinique de l’ambivalence tenant compte
des aspects positifs et négatifs, d’amour et de haine dans tout
investissement humain, affectif.
Pour Melanie Klein, la pulsion est d’emblée ambivalente (notion de bon
et mauvais objet).
Ces mouvements de haine viennent du sentiment de déception ressenti
vis-à-vis du bébé.
Il est indispensable de reconnaître cette haine, elle fait partie de
l’éducation et du travail que chaque sujet/parent doit accomplir. Amour-
haine participent de la genèse de la construction du surmoi et du sentiment
de culpabilité et contribuent à la résolution du conflit œdipien. Ces
émotions parfois contradictoires chez les parents provoquent un
questionnement et une maturation ; c’est le bébé qui permet aux parents de
s’inscrire dans la parentalité.
La psychanalyse a montré et montre que plus le parent – père ou mère –
a connu une enfance traumatique, plus il va attendre une réparation de la
part de son enfant. Prenons par exemple la question de l’enfant de
remplacement ; un enfant peut venir remplacer un enfant mort, ce qui
permet au parent de dénier la perte mais qui empêche en contrepartie un
authentique investissement réel. Il y a perte soudaine d’amour avec perte de
sens. Imaginons Salvador Dalí se rendant sur la tombe familiale avec ses
parents. Il est soudain envahi par un sentiment d’inquiétante étrangeté, en
voyant ses nom et prénom écrits à l’identique sur la pierre tombale ! C’est
ainsi qu’il a découvert que ses parents avaient eu avant lui un autre enfant,
un garçon, et que pour atténuer cette douleur il fallait que Dalí remplace en
tout point ce premier enfant. On comprend pourquoi Dalí a conçu un musée
rempli de faux !
Ce fait dramatique dans l’histoire de Dalí nous rappelle la place du deuil
dans l’histoire de la parentalité et de la relation avec un jeune enfant. En
effet, le deuil est un élément perturbant dans la relation précoce. Une mère
qui n’a pas pu faire un deuil qui précède l’arrivée de son bébé est entraînée
dans une forme de dépression. C’est ce qu’André Green nomme le
« complexe syndrome de la mère morte » : la mère est incapable de porter
un intérêt soutenu à son bébé ; c’est une catastrophe car, aucun mot n’étant
dit, il y a perte de sens. C’est comme si la mère était morte psychiquement
pour l’enfant. Il y a « désaccordage » de la communication entre elle et lui.
Défensivement, l’enfant est trop tôt confronté à une triangulation œdipienne
précoce, et peut porter sa haine sur le père, dans le but fantasmatique de se
maintenir en vie et de sauver cette mère qui échappe à son omnipotence.
Car c’est l’empreinte de la mère qui fonde la pensée dans une alternance de
satisfaction hallucinatoire, de frustration, d’attente et de désirs réalisés. On
peut facilement imaginer l’impact psychique des secrets familiaux et des
effets délétères des « cryptes » (Sandor Ferenczi).
Dans tous les cas, une mère vivante est rêvée, elle doit pouvoir contenir
les pensées de son enfant qui autrement seraient dévastatrices. La perte ne
doit pas être définitive.
C’est là, à ces moments fondateurs de la vie psychique, que se situent
les origines de la créativité, car toute œuvre aurait et a pour rôle de rétablir
cette mère vivante. C’est un point essentiel que j’ai eu l’occasion de vérifier
dans ma pratique clinique et qui est une voie d’entrée passionnante pour
saisir l’acte créateur.
Toutes ces considérations nous conduisent à faire le constat que père et
mère sont liés dès le début dans le projet de parentalité (un tiers est
d’emblée présent, même s’il n’a pas encore été identifié comme image
paternelle).
Le père est bien là.

Différenciation du père et de la mère


Il n’en reste pas moins qu’il existe une différence fondamentale entre
l’homme et la femme.
Symboliquement il n’y a pas de mot pour définir un homme attendant
un bébé ou pour dire qu’il s’occupe principalement de son enfant. Il existe
des décalages qui peuvent produire des incompréhensions parce que les
rôles sont différents : la mère restera toujours protectrice, le père sera
séparateur, même si c’est un peu plus tard, car il ouvre l’enfant sur le
monde extérieur. Nous voyons aujourd’hui que la société pousse l’homme à
être plus maternant et protecteur ; attitude résultant du déclin de l’autorité
paternelle, il assume apparemment mieux ses traits féminins, une certaine
passivité, tous ces aspects psychologiques qui sont eux-mêmes hérités de
l’identification aux deux parents. Leur expression dans la relation à l’enfant
est-elle le produit d’une évolution, d’une compensation en rapport avec
l’impossibilité de réaliser le fantasme de grossesse ? Ce point nous paraît
important pour préciser les termes de rôle et de fonction, qui ont tendance à
être confondus selon les auteurs. Le rôle est relatif et interchangeable, il
varie selon les modes alors que la fonction est pour partie inconsciente.
À partir de quand un homme se sent-il père ? Est-ce parce qu’une
femme l’a désigné comme le père de son enfant ? La mère, elle, sait
toujours qui est le géniteur de son enfant.
Il arrive parfois que les femmes disent avoir choisi leur partenaire car
elles pressentaient qu’à défaut d’être un bon mari ou compagnon il serait à
coup sûr un bon père ! Voilà qui a le mérite de la clarté ; c’est aussi prendre
le risque de laisser de côté le questionnement sur la féminité. Être, devenir
mère principalement, être femme plus tard, quand les enfants seront partis
du nid ; voilà une assertion entendue dans l’intimité de mon cabinet avec
pour conséquence une absence de désir et de vie sexuelle. Que penser ?
Ce qui me fait associer sur le fait qu’au temps de Freud, dans les
milieux bien-pensants, il était conseillé aux femmes de sortir de la salle
quand un psychanalyste allait prendre la parole ! Pansexualisme, pruderie
etc.
La parentalité renvoie à la question de l’attachement qui imprègne tous
les domaines de la vie. Cependant, on constate également une
méconnaissance de son importance, ce qui pourrait expliquer nombre de
souffrances émotionnelles. En 1988, Bowlby remarquait que les sociétés les
plus riches ignoraient les principes de base de l’attachement.
La préoccupation du bonheur passe après la production de biens
matériels. Selon cet auteur, nous avons créé un monde sens dessus dessous.
Et pourtant le lien ne signifie pas dépendance mais au contraire aide à
l’ouverture et à la socialisation du petit d’homme. Une des premières
intuitions de ce psychiatre fut de lier la déprivation affective maternelle et le
risque de délinquance. Idée soutenue également par Winnicott : « La tâche
ultime de la mère est de désillusionner progressivement l’enfant car elle ne
peut espérer réussir que si elle s’est montrée capable de donner des
possibilités suffisantes d’illusion. »
Au cours de ces dernières décennies, les recherches en psychanalyse
furent plutôt centrées sur la question œdipienne, pierre angulaire de la
théorie freudienne.
Mais les impasses cliniques ont amené les psychanalystes à regarder
plutôt du côté des relations primaires mère-enfant, laissant toutefois le père
de côté ; puis, au vu de la rareté des écrits concernant la paternité, et avec
les changements sociaux actuels, il devint urgent de se pencher sur les
relations précoces père-enfant.
Ce que l’on peut constater d’essentiel est que, parallèlement à l’héritage
d’un père archaïque plus communément appelé le père de la horde
primitive, il y a aussi le père de la quotidienneté que l’enfant rencontre très
tôt aujourd’hui, encore plus dans le contexte des « nouveaux » pères. De par
cette tiercéité primaire, terme cher à André Green, le bébé a la possibilité
d’engrammer des expériences émotionnelles et sensorielles. Il semblerait
que cette relation précoce au père ne soit pas contradictoire avec la
symbiose primaire mère-enfant. J’en suis également convaincue.
Si la différenciation mère-père n’est pas encore pleinement effective,
car pas encore intériorisée au début de la vie psychique, le bébé peut
percevoir la différence du fait de relations corporelles, sensorielles,
affectives et psychiques qui sont exprimées différemment selon qu’il s’agit
de la mère ou du père (cf. les expériences citées, p. 66 et suiv.).
Pourquoi aujourd’hui est-il si difficile de trouver une place au père ?
Dans notre culture, le père est effectivement bien présent dans des
configurations familiales très variées et c’est pour cette raison notamment
qu’il est difficile de le représenter selon un modèle unique.
Au cours des observations effectuées, le père n’est pas le même dans sa
relation avec un bébé garçon qu’avec un bébé fille ; quelles sont ces
différences ? Nous pensons que de même qu’il n’y a pas d’instinct
maternel, il n’existe pas d’instinct paternel. C’est la relation et la qualité de
cette relation à trois, configurée par la triade, qui est déterminante. Elle se
développe progressivement. Le père d’aujourd’hui est un père qui accueille
l’enfant à sa naissance, coupable d’avoir « engrossé » « sa » femme. Il sait
porter son bébé, comme lui-même fut porté par sa propre mère. Mais dans
ce mouvement actif-passif il peut y avoir un retour du refoulé avec des
angoisses incestuelles. Par contre, la paternité diminue les angoisses de
castration.
Il est certain que la psychanalyse a permis de prendre en compte la
dimension affective et émotionnelle au sein de la famille, dans le respect et
la reconnaissance de chaque individualité. Toutes les fondations de la
famille reposent symboliquement sur la « chambre des parents », lieu de
l’intime, de l’articulation du sexuel adulte au sexuel infantile. Le couple
sexué se trouve au sein de l’organisation familiale. Il permet à l’enfant
d’organiser une représentation interne de l’objet couple qui va réguler une
partie de sa vie pulsionnelle, réalisée dans sa capacité à être seul face à sa
famille d’origine.

L’autorité
Toute la structure familiale s’appuie aussi sur une autorité. Mais celle-ci
traverse, semble-t-il, une crise, partie intégrante de la crise que traverse
notre culture contemporaine qui, de manière plus générale, disqualifie la
valeur de l’autorité. Or les dysfonctionnements de l’autorité sont source de
souffrance pour l’enfant.
Freud écrit : « Nous savons qu’il existe dans la masse humaine le fort
besoin d’une autorité que l’on puisse admirer, au-devant de laquelle on
s’incline, par laquelle on est dominé et même éventuellement maltraité. »
Aujourd’hui, pour le père, ou la mère, l’acte d’autorité génère chez le
parent un sentiment de culpabilité qui donne l’occasion à l’enfant de se
dérober aux exigences parentales ; il cherche alors à s’imposer. Et il est lui-
même gagné par la culpabilité d’avoir inversé l’ordre générationnel. Cela
peut se produire dès la fin de la première année (enfant roi, tyran).
On assiste à des mouvements de séduction du parent envers l’enfant, par
exemple au travers d’un discours-fleuve d’explications fournies à l’enfant.
L’enfant en réclame toujours plus car cela lui donne un sentiment de
maîtrise sur ses parents mais en même temps cela l’insécurise.
La persuasion, l’influence, la séduction, toutes ces armes utilisées pour
essayer de convaincre l’enfant d’obéir provoquent un nivellement des
différences entre adultes et enfants. On remarque qu’au fil du temps, le
fossé des générations, nécessaire, est beaucoup moins marqué.
Les pères d’aujourd’hui, étant dans le trop ou le pas assez, ont bien du
mal à dire non et, en conséquence, l’enfant a plus de mal à s’identifier à
celui qui incarne l’autorité, ce qu’on appelle dans le jargon analytique
l’« identification à l’agresseur », étape nécessaire dans le processus de
subjectivation.
Freud voyait fort juste en disant : « La crédulité de l’amour devient une
source importante, sinon la source originelle de l’autorité. » Dans
l’environnement de l’enfant, un personnage sera ressenti en tant que père,
c’est-à-dire celui auquel il attribue une autorité.
Père et mère sont parents et jouent chacun leur fonction vis-à-vis de
l’enfant ; la mère invite son enfant à faire des allers-retours entre régression
et progression. Elle se conjugue à la fonction paternelle afin que l’enfant
instaure son objectalité, étayée sur la résolution du complexe d’Œdipe.
Pour que l’enfant puisse être confronté à cette situation, le père l’exclut
de la dyade première, souhaitant retrouver sa partenaire. La mère introduit
la fonction paternelle en réinvestissant le père érotiquement, excluant aussi
son enfant de la scène primitive. D’où la dangerosité pour celui-ci de
n’avoir qu’une figure maternelle « absolument, exclusivement mère ». C’est
un passage dirions-nous mutatif car, souvent, les mères ont du mal à faire
cette transition, ayant le sentiment d’abandonner leur bébé.
Nous constatons que la psychanalyse a infiltré nos modes de pensée ;
même si ses concepts sont utilisés à but défensif, ils permettent de penser
autrement les relations humaines et se conjuguent aux autres changements
sociaux, culturels, familiaux qui bousculent nos façons d’être et d’exister,
notamment en tant que parents. Tout cela donne à constater qu’il y a dans
notre vie contemporaine une multitude de figures de père entraînant des
attitudes éducatives variées, sur fond idéologique de liberté, de non-
interdiction, de non-violence, etc. À tout progrès se conjuguent des revers.
Je constate que nous vivons dans une époque où les pathologies dépressives
sont au premier rang et entraînent une consommation de psychotropes,
parfois abusivement prescrits, qui évite le travail de penser. Pathologies
dépressives, difficultés narcissiques essentielles, le spectre des névroses
classiques s’éloigne et conduit les psychanalystes à travailler autrement
avec leurs patients, en suppléant le parent défaillant de la toute première
enfance.
Pour conclure ce chapitre, nous pourrions nous référer au livre d’Aldous
Huxley, Le Meilleur des mondes, écrit en 1932. Il y est question d’une
société très évoluée ayant aboli la famille, jugée délétère. La naissance s’y
fait par clonage et l’élevage dans des nurseries. Toute forme d’attachement
a été bannie afin d’éviter tout retour en arrière. Quelle que soit la
souffrance, les neuroleptiques prennent le relais. Un miroir tendu à notre
époque ?
PARTIE III

Les besoins de l’enfant


au cœur de la parentalité
En partant du constat que l’enfant donne la possibilité à ses géniteurs
d’accéder à la parentalité, et à une coparentalité idéalement, nous pensons
qu’il est pertinent de se pencher sur l’articulation des besoins de l’enfant
avec le devenir des parents, le devenir père/mère. Il faut pour cela accepter
que la paternité, comme l’ensemble de ce qui constitue la parentalité, n’est
pas d’emblée fonctionnelle, parce que c’est une construction intersubjective
et émotionnelle, affective, qui se fait dans le temps. C’est un travail qui
engage autant l’adulte que le bébé/enfant qui, par ses compétences
précoces, va être à l’initiative d’une aventure : la relation affective.
Les conséquences de cette entreprise sont immenses et constituent des
indicateurs possibles de prévention, de soin, des troubles susceptibles
d’apparaître au fil de la croissance de l’enfant.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de resituer le
contexte dans lequel les interactions enfant-parents s’exercent dans le temps
présent.
CHAPITRE 5

Les nouvelles configurations familiales

Quand on opère un retour sur le passé et sur le paysage social des


années 1950-1975 ou des années 2000 jusqu’à 2020, il est aisé de constater
que les conditions de vie, les conceptions de vie, les modes de vie ont
tellement changé qu’ils ont bouleversé nos façons d’être et d’exercer les
fonctions parentales. Nous avons affaire à une autre réalité culturelle,
sociologique, juridique qui a impacté la cellule familiale. La conséquence
en est que le rôle du père apparaît plus complexe, polymorphe, plus
mouvant, à tel point qu’il est difficile de le saisir dans sa permanence et son
identité.

L’égalité des sexes en devenir


Le premier requis préalable pour que les fonctions de la mère et du père
s’exercent convenablement, c’est de vivre dans un État démocratique qui
garantit en droit et en fait l’égalité des sexes. Sans cette égalité, la
parentalité sera bancale et menacée d’atrophie. L’égalité des sexes ne
signifie pas l’abolition ou le déni des différences. L’égalité des sexes
renvoie à une question de droit et de légitimité alors que la reconnaissance
des différences liées au sexe ouvre la question de l’identité et de la place de
chacun dans le monde.
D’un point de vue psychanalytique, la prise en compte de ces
différences contraint au renoncement au mythe de l’androgyne. Ce mythe
de la bisexualité originaire demeure un fantasme de fusion qui, s’il aimante
l’attirance pour l’un ou l’autre sexe, hanté par la nostalgie de l’un, est aussi
potentiellement dangereux.
On peut imaginer que le souci de marquer une hiérarchie entre les sexes
au cours de l’histoire pouvait représenter une défense par rapport à la peur
d’une telle fusion.
Heureusement, cette époque est révolue et, en France, nous n’en
sommes plus au temps où l’on pouvait s’interroger sur l’appartenance de la
femme au genre humain (le concile de Mâcon en 1585 aurait abordé ce
thème et c’est à partir de cette date que certains individus ou certains
groupes ont pu affirmer que la femme n’avait pas d’âme). En fait, il semble
que l’Église catholique a toujours professé l’égale dignité de l’homme et de
la femme sans jamais soutenir explicitement que la femme n’avait pas
d’âme. Il est certain, par contre, que cette religion a toujours défendu la
différence radicale des fonctions de l’homme et de la femme. Cette
différence n’aurait rien d’arbitraire, elle serait fondée sur la nature : le fait
que les femmes soient biologiquement pourvues de la capacité d’engendrer
entraînerait des dispositions à tenir – mieux que les hommes – les rôles en
rapport avec les relations humaines : aptitude à l’écoute, à la sollicitude, à
l’oblation. Par la même occasion, cette religion les écarte de la prêtrise et à
plus forte raison des responsabilités de l’enseignement et du gouvernement,
fonctions essentiellement réservées aux hommes. La domination masculine
sévit donc aussi dans la sphère des hauts responsables religieux de l’Église
catholique (il n’existe pas non plus d’imams de sexe féminin, sauf une, à ce
jour, qui vient d’être nommée 1, et les pasteurs femmes ou les rabbins
femmes sont rares). L’irréductible distinction entre la mère dispensatrice
d’amour et le père garant d’autorité (cf. chapitre 1) s’enracine donc dans le
dogme des religions monothéistes et en particulier dans le christianisme.
Cette inégalité consubstantielle des croyances s’est en quelque sorte
transposée dans l’univers des opinions puisque notre législation n’a reconnu
le droit de vote des femmes qu’aux lendemains de la Seconde Guerre
mondiale : jusque-là (et depuis 1848) seuls les hommes disposaient du droit
d’élire les représentants des citoyens et c’est l’ordonnance du 21 avril 1944
qui a élargi le droit de vote et d’éligibilité aux femmes. On pourra faire
remarquer que depuis 1981 les citoyennes ont vu se créer un ministère ou
un secrétariat d’État des Droits de la femme. Qu’elles bénéficient désormais
de la parité de représentation dans certains organismes publics (exemple :
conseil municipal, général, régional, etc.). Que les filles peuvent piloter des
avions, pratiquer des sports qu’on disait jusqu’ici « virils » comme le judo,
la boxe, le football ou le rugby au même titre que les garçons… Cependant,
dans la vie de tous les jours, il reste encore beaucoup à faire pour que
l’égalité des sexes devienne réalité. Sans évoquer certains pays où la
condition de la femme est scandaleusement méprisée.
Les preuves de l’inégalité des sexes en France sont encore légion.
Citons quelques aspects d’une triste réalité :
les écarts de salaire dans le secteur privé ou les entreprises publiques
persistent, de l’ordre de 20 % environ à l’avantage des hommes ;
les femmes ont du mal à accéder aux postes à hautes responsabilités
notamment dans les grandes entreprises (c’est le fameux « plafond de
verre ») ; cependant, un début timide s’observe au sein de grandes
entreprises ;
les disparités portent aussi sur la distribution de l’emploi : en 2013,
67 % des femmes étaient au travail contre 75 % des hommes ; 80 % des
emplois à temps partiel étaient occupés par des femmes ; les femmes
qui travaillaient étaient beaucoup plus souvent que les hommes en
situation de sous-emploi ; les emplois sous-qualifiés étaient deux fois
plus fréquents chez les femmes (enquête Dares) ;
le partage des tâches domestiques reste inégalitaire ; en 2011 une
enquête de l’Insee a montré que les femmes assument encore l’essentiel
des tâches : 64 % contre 69 % dans les années 1980 ainsi que 71 % des
activités parentales contre 80 % dans les années 1980.
Une autre enquête réalisée par l’Ifop entre 2015 et 2019 confirme que
les inégalités de genre persistent : les femmes françaises affirment que dans
75 % des cas, elles en font « plus que » leur mari, 21 % « à peu près
autant » et 4 %, « moins ». En Europe, seules les Italiennes sont plus mal
loties. Bref, les inégalités de répartition demeurent toujours nettes.
En dehors du monde du travail, on relève aussi des manifestations de
déclassement des femmes qui donnent froid dans le dos. La fréquence des
agressions sexuelles faites aux femmes et aux jeunes filles ne baisse
toujours pas : les derniers scandales qui ont éclaboussé les mondes du sport,
du cinéma se sont produits au cours de ces dernières années, de 2017
(mouvement #MeToo) à 2019, au jour où nous écrivons.
Les violences conjugales restent une abomination, on s’étonne encore et
toujours de l’ampleur du phénomène. La police enregistre un féminicide
tous les deux jours environ (au total 150 en 2019).
Tant que l’inégalité des sexes persistera, les hommes devenus pères
auront toujours tendance à se réserver les rôles nobles de gardiens de la loi
et d’approvisionneurs économiques tandis que les femmes resteront
confinées dans l’accomplissement de leurs tâches de nourrices et de
ménagères. La distribution traditionnelle des rôles ne change pas ou se
modifie à la marge. À n’en pas douter les fonctions essentielles de mère et
de père seront mieux remplies quand la société aura réussi à faire régner
non pas l’égalité parfaite (faut pas rêver !) mais aura permis au moins
quelques progrès dans l’égalité des sexes. Il est plus facile d’être un bon
père et une bonne mère dans un rapport d’égale dignité !
Les relations de couple
Le paradigme classique s’ajustait, avons-nous dit, à la structure
familiale triangulaire (PME : un père, une mère, un ou des enfants),
structure conçue comme intangible, comme résistant à l’épreuve du temps.
Or, à l’heure actuelle, cette configuration est devenue beaucoup moins
systématique et la sociologie familiale nous invite à compter avec
l’éphémère et la diversité. C’est si vrai qu’il faut évoquer non pas LA
famille mais une typologie familiale. Ces transformations ont
nécessairement affecté la distribution et le jeu des rôles parentaux ainsi que
le sens de leurs fonctions.
Les unions ont tendance à se fonder de plus en plus souvent sur
l’attirance réciproque et non pas sur l’appariement des lignées
généalogiques, des fortunes ou des origines sociales et culturelles. Même si
celles-ci interviennent inconsciemment dans le choix du partenaire,
l’homogamie a tendance à diminuer dans le temps. C’est l’amour qui
préside au « choix du conjoint », qui fait qu’on vit « ensemble », et c’est le
désamour qui fait que, le cas échéant, on se sépare. Par ailleurs, le
mouvement de désinstitutionnalisation de la vie maritale qui s’est
développé tout au long du dernier siècle se poursuit. Limitons-nous au cas
de la France d’aujourd’hui.
Le mariage s’est non seulement désacralisé (on se contente souvent de
passer à la mairie sans passer par l’église) mais il se voit aussi menacé de
tomber en désuétude. Beaucoup de couples (90 %) ont cohabité avant de se
décider pour une des trois solutions possibles : l’union libre, le Pacs ou le
mariage. Il faut savoir qu’en 2016 le concubinage concernait 1 personne sur
5 vivant en couple, soit plus de 6 millions de personnes. Il faut savoir
également qu’on se marie de moins en moins (en 1970, on dénombrait
393 000 mariages par an ; en 2000, seulement 297 000 et en 2017, 228 000)
et qu’on se pacse de plus en plus au point qu’on doit compter aujourd’hui
4 Pacs pour 5 mariages. Le Pacs concerne surtout la catégorie d’âge des 25
à 34 ans et il est surreprésenté chez les diplômés du supérieur et les cadres.
Le mariage est vécu comme un moyen de contrôle et ne donne pas
l’assurance de la pérennité d’une union. Par contre se situer hors mariage
donne un sentiment de liberté, ou de transgression. Il n’en demeure pas
moins que le contrôle social se fait aujourd’hui à travers la libération
sexuelle.
Le divorce atteint toujours une fréquence élevée : 130 000 divorces par
an environ aujourd’hui alors que le nombre était de 44 000 en 1972. Il est
possible d’affirmer que, au cours des vingt dernières années, on avait
tendance à divorcer moins : en effet, en 2005 on avait comptabilisé
152 000 divorces au lieu des 130 000 actuels mais, dans le même temps, on
se séparait plus (155 000 séparations en 1995 et 253 000 en 2010).
Quelle que soit la proportion entre divorces et séparations, la rupture
des couples est devenue de plus en plus fréquente et ce phénomène a eu
comme conséquence première de provoquer une augmentation du nombre
de familles monoparentales et de familles recomposées.
En 2013, 19 % des enfants (2,6 millions sur 13,7 millions) vivaient en
situation de monoparentalité et dans 84 % des cas ils résidaient
principalement avec la mère.

La recomposition familiale
Comme le soulignent les sociologues, les familles originelles du type
père-mère-enfant(s) n’ont plus nécessairement la durée de vie qu’elles
avaient au milieu ou à la fin du XXe siècle. Le divorce ou la séparation mais
aussi le concubinage, la maternité célibataire font que les mères et les pères
ne restent pas « à vie » auprès de leur(s) enfant(s) éventuel(s) et rencontrent
d’autres partenaires, avec ou sans enfants, hommes ou femmes avec qui ils
vont « faire famille ». Les enfants d’aujourd’hui se voient donc exposés à
l’éventualité de la venue de beaux-parents mais aussi de quasi-frères ou de
quasi-sœurs. La recomposition peut prendre de multiples modalités.
En 2013, 1 famille sur 10 pouvait être répertoriée comme
« recomposée » : dans 63 % des cas la mère vivait avec un nouveau
compagnon, et dans 37 % des cas c’était le père qui vivait avec une
nouvelle compagne.
Les dernières statistiques, en 2021, montrent que 66 % des familles sont
dites traditionnelles, 25 % sont des familles monoparentales et 9 % sont des
familles recomposées.
Sans se montrer outrageusement alarmiste, on peut mettre en avant le
fait que, en 2020, le paysage familial s’est passablement transformé et que
pour un nombre élevé d’enfants le vécu de la vie familiale n’a plus grand-
chose à voir avec celui des années 1950 ou même des années 1990-2000. Si
l’on veut éviter l’ostracisme, il faudra prendre acte de ces réalités.
Une dernière innovation doit être repérée aussi, même si elle ne
concerne qu’un nombre assez faible de parents et d’enfants. Nous voulons
parler de l’homoparentalité. Depuis 2013, le mariage homosexuel a été
légalisé. Cette éventualité est devenue une réalité non négligeable puisque,
en 2017, on a comptabilisé 7 000 mariages homosexuels sur un total de
228 000. Les statistiques relatives au nombre d’enfants concernés ne sont
pas encore bien établies : il y aurait 31 000 enfants (dont 20 000 mineurs)
qui vivraient avec un couple de même sexe.
Le constat est que quelque chose a changé dans la notion de famille ;
que revenir vers des schémas anciens et obsolètes est inconcevable ;
quelque chose est à inventer pour permettre à chaque acteur social, enfant,
parent, adulte, de trouver sa place dans le respect et les différences qui ne
sont pas ou plus seulement des inégalités.
Cette revue non exhaustive du cadre sociologique, économique,
idéologique dans lequel la famille trouve plus ou moins sa place nous
conduit à nous décentrer de la paternité elle-même pour prendre en compte
les besoins fondamentaux de l’enfant du XXIe siècle. Sont-ils identiques à
ceux d’autrefois ? Et quels regards la psychanalyse permet-elle de porter sur
cette question des besoins fondamentaux dans l’idée d’une prévention
possible des pathologies de l’enfance et celle d’une formation au métier
parental, car c’est un métier au sens plein du terme ?
Les réponses que nous allons essayer d’élaborer vont nous permettre de
revenir à la question de la paternité-paternalité dans une tentative de
réconciliation nouvelle des partenaires en situation.
CHAPITRE 6

Du côté des besoins fondamentaux


de l’enfant

Avant tout, il est nécessaire d’adopter une définition du besoin. Le


Larousse définit le besoin comme l’exigence née d’un sentiment de
manque, de privation de quelque chose qui est nécessaire à la vie organique.
Il y a évidemment une corrélation entre les besoins d’un enfant et son
état de développement. Un nouveau-né est en état d’immaturité organique
qui le rend complètement dépendant de son environnement. Je cite
Brazelton : « Satisfaire les besoins de l’enfant sans lesquels il ne peut ni
grandir, ni apprendre, ni s’épanouir. » Un certain nombre d’auteurs, dans les
pays européens, ont tenté d’établir des listes de besoins fondamentaux de
l’être humain. Nous avons retenu l’énumération établie par les médecins
Brazelton et Greenspan en 2003. Ils définissent sept besoins comme des
expériences et des soins que tout enfant est en droit d’avoir.
Ces besoins sont les suivants :
relations chaleureuses et stables ;
protection physique, sécurité et régulation des émotions ;
expériences adaptées aux différences individuelles ;
expériences adaptées au développement ;
besoin de limites, de structure et d’attentes ;
besoin d’une communauté stable, de son soutien, de sa culture ;
besoin de protection de son avenir.

Quelles réponses apporter à ces besoins ?


Nous commencerons par le début de la vie, voire par le temps de la
gestation : l’enfant est là, fantasmatiquement représenté souvent comme
étant déjà grand alors qu’il n’est que quelques cellules en train de s’agiter !
Aujourd’hui, les parturientes sont soucieuses de créer les meilleures
conditions possibles de grossesse pour le développement de leur bébé :
calme, ambiance zen, avec musique douce et sans stress sont à l’ordre du
jour. Il est évident que le bébé à naître ne peut qu’en retirer des bénéfices.
Si comme s’accordent à le penser les psychanalystes la naissance est le
premier traumatisme, savoir que le temps de la grossesse a été sans heurt
peut atténuer ce choc d’être projeté dans le monde. Choc également de la
première rencontre avec l’« autre » qui n’est pas encore reconnu, mais qui
est le caregiver indispensable à la survie du bébé.
Fantasmatiquement, vie et mort sont liées à ce moment inaugural de la
mise au monde ; autrefois, dans des temps heureusement anciens, beaucoup
de femmes et d’enfants y perdaient la vie. De telles angoisses ancestrales
sont toujours en toile de fond et susceptibles de ressurgir.
La douleur de l’enfantement est masochiquement valorisée : « Tu
enfanteras dans la douleur. » Aujourd’hui, la péridurale et les techniques
d’accouchement sans douleur maîtrisées par le corps médical permettent de
rassurer tous les acteurs en jeu.
Freud affirme : « Pour ce qui est de l’angoisse, on doit garder à l’esprit
que l’enfant ressent de l’angoisse consécutive à la naissance. » Dans une
note de L’Interprétation du rêve, il écrit : « La naissance est d’ailleurs le
premier fait d’angoisse et par conséquent la source et le modèle de toute
angoisse. » D’où l’intérêt de prévenir des situations anxiogènes pour le
bébé.
La naissance est un acte initiatique qui ouvre la voie de l’humanisation
pour le petit d’homme. Enfant désiré ou non, enfant voulu ou pas sont bien
sûr des critères à prendre en compte et représentent une mise au monde
dans un contexte affectif, psychologique particulier. Il va sans dire que la
plupart des psychanalystes sont d’accord sur ce point.
En 1923, Otto Rank publie Le Traumatisme de la naissance, qu’il dédie
à Freud dont il fut l’élève et le protégé. À la suite de cette publication,
Freud s’est senti dépossédé de sa théorie par son fils fidèle. C’est en partant
aux États-Unis à la suite de la rupture avec son père spirituel que Rank
poursuivra sa carrière et y connaîtra un franc succès.
Actuellement, les connaissances en neurophysiologie plaident pour un
continuum entre le milieu utérin et le milieu aérien, tout en prenant en
compte la discontinuité de ce passage entre deux mondes traumatique. La
variable distinctive entre les deux est la « continuité d’existence du soi ». Si
le bébé subit un stress répété, il y aura des risques que celui-ci pèse plus
tard sur les capacités cérébrales de l’enfant à gérer la colère, l’agressivité,
l’impulsivité, etc. Aujourd’hui, nous connaissons l’impact, parfois
désastreux, d’un événement traumatique pendant la grossesse ; événements
tels qu’un accident corporel, la perte d’un être cher, ce trauma faisant
oublier à la mère la présence du fœtus dans son ventre – on évoque la
notion de « blanc d’enfant » – et, selon le moment de la grossesse où cela
intervient, les conséquences possibles sont à prendre en considération.
Pour Winnicott, en 1966, lorsque les conditions sont favorables, la
naissance renvoie davantage au changement qui se produit chez la mère ou
les parents qu’à celui qui se produit chez le nouveau-né.
Tous ces besoins fondamentaux sont interdépendants les uns des autres
avec une prévalence d’un besoin de sécurité qui contribue au sentiment
« continu d’exister ». Il y a donc comme préalable un sentiment de sécurité
de base (expression chère à Frans Veldman, le fondateur de l’haptonomie)
qui intervient dès la mise au monde et qui conditionne l’efficience des
autres besoins.
L’expression de ces besoins est aussi fonction de l’âge de l’enfant. Il
ressort bien évidemment de toutes les connaissances et expériences fournies
par la littérature que le besoin premier est un besoin de relation dans lequel
« l’autre » est indispensable à l’enfant. Il rejoint le besoin d’attachement
dont nous avons déjà parlé plus haut dans ce travail. Mais ce n’est pas
seulement cela, car dès qu’il y a de la vie, il y a de la pulsionnalité. Dès le
premier âge, l’enfant a surtout besoin d’être rassuré, avant même que de se
sentir aimé. Nous pouvons dire que le besoin de sécurité est un méta-besoin
dans le sens où il est premier, fondamental ; qu’il s’agisse du besoin de
sécurité interne ou de sécurité externe.
Nous accordons une plus grande attention au bébé, parce que c’est l’être
le plus dépendant et le plus vulnérable. On sait que les tout-petits sont
davantage touchés par la maltraitance. Aujourd’hui, nous connaissons
l’importance d’un bon début de vie, sans trop d’embûches !
La naissance inaugure la rencontre. Elle n’a lieu qu’une fois. La qualité,
la tonalité émotionnelle de cette rencontre déterminera ce que Daniel Stern
a appelé l’accordage. Il décrit l’ajustement des comportements du bébé à
celui de ses figures d’attachement, et réciproquement. Il parle aussi
d’accordages émotionnels, rythmiques (danse). Il s’agit d’un accordage
affectif, qui manifeste la compréhension intime par l’adulte de l’expérience
subjective du bébé. Cet accordage intersubjectif permet l’émergence des
pensées, c’est l’« autre » qui, sur la base de la perception, va traduire les
pensées du bébé. Pensées qui seront reprises par l’enfant pour son propre
compte. Ici, je fais référence à Wilfred Bion. La théorie de Bion porte sur la
genèse de l’appareil psychique et l’assimilation du monde extérieur. La
fonction alpha est un processus de mentalisation du monde. Les éléments
alpha sont des éléments de pensée et les éléments bêta sont des impressions
sensorielles ; ces éléments sont toxiques pour la psyché car indicibles.
Quand le bébé vient au monde, il est assailli par des sensations
effrayantes mais il ne peut les transformer du fait de son immaturité. Par ses
paroles, ses propres capacités de rêverie, la mère va tempérer cette
explosion et va donner du sens aux éprouvés corporels de son bébé.
L’appareil psychique doit grandir dans un cadre suffisamment sécurisé pour
introjecter la fonction alpha. C’est ainsi que le parent maternel ou paternel
se décale dans le sens d’un progrès pour permettre à l’enfant d’y accéder
par lui-même. Harmonie de l’accordage ne veut pas dire fusion, qui, si
c’était le cas, empêcherait ou ralentirait les progrès chez l’enfant. C’est
l’attachement de bonne qualité, dirions-nous, qui permet le détachement
dans l’accession à l’autonomie. On ne peut grandir, se développer, être, sans
l’Autre.
Cette notion d’accordage est extraordinairement bien adaptée pour
décrire cette danse réciproque entre le bébé et son environnement. Celui-ci
et le bébé s’influencent l’un l’autre dans un processus continu de
développement et de changement (spirale transactionnelle d’Escalona,
1968). Il y a ainsi un ensemble d’interactions réelles qui s’instaurent et qui
concernent le corps, le regard et la voix et qui régulent de manière plus ou
moins harmonieuse la relation mère, père/bébé. Cela se déroule dans le
climat émotionnel et affectif pour lequel Stern parle d’harmonisation
affective. Ces interactions comportementales et affectives de l’ordre du
conscient sont cependant nourries par une activité fantasmatique sous-
jacente et inconsciente. Cette dernière a été étudiée par Kreisler, Cramer et
Lebovici. Cette qualité fantasmatique de l’interaction montre
l’investissement des objets par les pulsions et les désirs.
Je cite Lebovici : le bébé est l’objet d’un « mandat familial qui peut
confirmer les vertus ou réparer les drames », et, plus loin : « Les soins
maternels et leurs vicissitudes sont pourvoyeurs de fantasmes chez le
bébé. »
Il est évident qu’au fur et à mesure de la croissance de l’enfant,
l’expression et la satisfaction de ces besoins fondamentaux vont prendre des
formes d’expression différentes dont tout enfant peut faire l’expérience.
Néanmoins, deux autres besoins sont des dénominateurs communs et
restent constants : ce sont l’amour et l’autorité, que nous allons aborder : ils
s’avèrent indispensables pour répondre aux autres besoins.

Le besoin d’amour
Cette forme d’amour correspond au sentiment qui porte l’adulte à se
tourner vers l’enfant pour lui garantir la chaleur, la nourriture, l’hygiène
corporelle ; puis pour l’aider à grandir, à maîtriser son corps,
l’environnement, les objets et l’accompagner vers le savoir, l’autonomie, la
socialisation.
Cependant, l’amour pour un enfant est différemment exprimé selon sa
place au sein de la fratrie ou bien s’il est enfant unique. En effet, cet amour
est teinté de tout l’inconscient qui le gouverne, d’autant plus fortement si
l’enfant en question est perçu comme un rival narcissique ou ayant une
mission de réparation pour le, les parent(s).
L’amour parental est oblation, c’est-à-dire qu’il a un caractère
d’ouverture qui le différencie de l’amour sexuel de l’adulte, qui est en outre
et peut-être d’abord possession : aimer, pour le parent, c’est offrir au
nourrisson puis à l’enfant de lui porter assistance et de le promouvoir. En ce
sens, l’amour parental se rapproche de la « considération positive
inconditionnelle » que le psychothérapeute Carl Rogers considérait comme
constitutive de la fameuse « attitude non directive » adoptée dans les
relations d’aide. Selon ce théoricien, l’enfant, quel qu’il soit, devrait être
accepté totalement et sans condition. On peut s’inspirer de ce point de vue
mais en précisant que l’acceptation ne doit pas aller sans limite : elle doit
être bornée par la prise en compte de ce que les magistrats appellent
l’intérêt de l’enfant, c’est-à-dire, au bout du compte, le souci « de sa
sécurité, de sa santé et de sa moralité ». Il est évident aussi que le terme
d’amour recouvre plusieurs composantes dont la nature évolue à mesure
que l’enfant se développe : protection et sollicitude ajustées au premier âge,
tendresse appliquée aux différentes étapes de l’âge préscolaire et de l’âge
scolaire, bienveillance appliquée à l’âge du collège et de l’adolescence.
Les psychologues des années 1950-1960 prêtaient ce sentiment à la
mère parce que le plus souvent, c’est elle qui pourvoyait aux besoins
primaires du bébé et notamment au besoin d’une alimentation lactée avec le
nourrissage au sein (ce mode d’allaitement pouvait durer une année ou
plus).
Par ailleurs, un auteur comme Bowlby allait jusqu’à soutenir que la
mère était biologiquement pourvue d’une sensibilité particulière pour
répondre aux comportements d’attachement du nouveau-né. Mais de nos
jours, même si c’est encore le plus souvent la mère qui se situe en première
ligne auprès du nourrisson (primary caregiver), il ne serait guère
raisonnable de considérer cette forme d’amour comme une exclusivité
maternelle.
L’allaitement au sein n’a pas disparu : une enquête de 2017 indiquait
que, dans le cadre de la maternité, 70 % des bébés étaient nourris au sein
(59 % exclusivement, 11 % avec un complément au biberon), mais il faut
préciser que ce taux baissait rapidement au sortir de la maternité : 38 % des
18 000 bébés recensés étaient encore allaités à 4 mois, 19 % à 6 mois, 5,3 %
à 1 an. Ces pourcentages indiquent que la France reste loin des objectifs
fixés par l’OMS, qui recommande un allaitement maternel exclusif de
6 mois et une diversification alimentaire entre 4 et 6 mois. Les experts de
l’OMS ont sans doute raison (la médecine préconise un « démarrage »
alimentaire au sein) mais leur conseil de bonne hygiène ne dit pas que la
mère est seule habilitée à se charger du nourrissage précoce : les pères sont
eux aussi capables de tenir un biberon !
Par ailleurs, on rencontre des mères qui ne ressentent pas le besoin de
prendre en charge les soins et le développement précoce de l’enfant, ou bien
qui se trouvent dans l’impossibilité de le faire ; c’est par exemple, le cas de
certaines femmes qui accouchent sous X ou qui décident de confier leur
enfant à une mère-substitut (une nourrice ou une assistante maternelle). Ces
attitudes sont peu habituelles, mais elles ne méritent pas pour autant d’être
ignorées et encore moins d’être jugées comme indignes ! L’amour maternel
n’est pas instinctif. Pour une part au moins, la mère apprend à aimer.
On sait que des pères peuvent en cas de besoin (mère souffrante
notamment) se charger de la protection initiale du nouveau-né et assurer
convenablement la survie de celui-ci. C’est le cas des « pères-kangourous »
qui assument le portage de l’enfant prématuré à même leur poitrine.
On a dit et répété que la sollicitude envers l’enfant nouveau-né est une
nécessité du fait de l’impuissance de celui-ci mais il n’est pas nécessaire
que le caregiver soit la mère (les femmes adoptantes ont existé de tout
temps et en tout pays), ni nécessaire non plus que ce soit une femme.
L’amour parental n’est pas une affaire d’hormones, pas que, tout au moins !
Élisabeth Badinter a remarquablement soutenu cette thèse dans L’Amour en
plus (1998).
Compte tenu de ces préliminaires, on peut concevoir que les deux
parents soient invités à partager les responsabilités du caregiving… et du
don de tendresse. Les modalités de ce partage doivent être établies par les
deux parents sans qu’il soit nécessaire que la répartition soit parfaitement
égale. Les actes d’amour ne s’évaluent pas au trébuchet ! Le dosage peut
dépendre de plusieurs facteurs et notamment des goûts personnels et de
l’emploi du temps de chaque parent (degré de liberté hors travail). On a vu
qu’un certain nombre de pères parmi les « nouveaux » ont prouvé qu’ils
étaient en mesure non seulement d’entretenir une relation chaleureuse avec
leur bébé mais aussi d’assumer convenablement les activités de soin (bain,
change, repas…) à l’exception, bien sûr, du nourrissage au sein. C’est
encore le cas aujourd’hui et il faut s’en réjouir !
Le sentiment de sécurité externe et interne – les deux aspects sont
étroitement corrélés l’un à l’autre – permet l’expression et le libre-échange
entre les partenaires de l’amour parental et de l’autorité parentale.
Les besoins du nourrisson, du jeune enfant et de l’adolescent ne sont
pas les mêmes, ils nécessitent une adaptation en fonction de l’âge. L’âge est
un indicateur du degré de développement, toutefois les enfants se
développent chacun à son rythme. Et il semble que ce serait une erreur de
chercher à mettre tous les enfants d’un âge donné au même niveau.

Le besoin d’autorité
C’est d’abord la capacité de faire respecter les règles qui régissent
l’organisation et le fonctionnement de la société et pour commencer de la
société familiale. C’est, pour une part, le pouvoir de limiter les désirs de
l’enfant tant qu’il n’est pas lui-même en mesure de s’imposer les
obligations nécessaires (âge du discernement et, plus tard, âge de la
majorité). Mais c’est aussi le pouvoir de donner des droits, c’est clairement
permettre de faire. Cette double valence est déjà inscrite, de façon
subliminaire, dans la législation française d’aujourd’hui, celle que suivent
les magistrats : « L’autorité parentale est l’ensemble des droits et des
devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. »
L’autorité est essentiellement autorisation et coercition : faire autorité,
c’est exercer le droit d’obliger l’enfant à rester à l’intérieur du cadre du
permis et de l’interdit. C’est en ce sens qu’il faut admettre que l’adulte
parent est pour l’enfant source de frustration ; cette limitation doit s’exercer
bien sûr en évitant l’arbitraire et en respectant le mieux possible la justice,
l’équité.
Comme c’est le cas avec l’amour, l’autorité s’exprime dans des formes
différentes selon les âges. Le rappel à la loi nécessite quelquefois d’exercer
des remontrances à l’encontre de l’enfant ou de l’adolescent. Ce qu’on
appelle communément le « recadrage ».
Les psychologues des années 1950-1960 prêtaient ce pouvoir au père
parce que c’est en lui qu’ils concentraient les ressorts et les atouts de la
« puissance masculine », c’est-à-dire, au bout du compte, le pouvoir
exprimé au travers des caractères sexuels secondaires : stature et force plus
imposantes que chez la femme, voix généralement plus grave, implantation
des poils sur le visage, bref, les signes visibles de la virilité. Par ailleurs, le
poids de la tradition et la force des stéréotypes permettaient aux pères de
faire bonne mesure.
Toutefois, il convient aujourd’hui de découpler le concept de
masculinité de celui d’autorité. Certains hommes se révèlent peu adroits ou
trop timorés pour exercer l’autorité nécessaire : ils ne savent pas ou ne
peuvent pas poser les interdits. Ils laissent à d’autres (à leur compagne
notamment) le soin de fixer les limites et le cas échéant de sanctionner.
Ainsi, qu’on le veuille ou non, c’est un fait d’observation et pas
obligatoirement une catastrophe ! À l’inverse, certaines femmes se
montrent capables d’occuper des postes d’autorité dans le cadre
professionnel et de la vie sociale, à commencer par la vie de la famille !
C’est également un fait ! Et il n’est pas pour autant justifié d’invoquer une
inversion de la place des deux adultes ou un risque de difficulté
d’adaptation pour l’enfant.
Rappelons la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale : il est
stipulé dans l’article 371-1 du Code civil que l’autorité parentale est un
ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant,
pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa moralité, pour assurer son
éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne.
La question de l’autorité parentale interpelle non seulement les attendus
sociétaux, les savoir-faire, savoir-être, mais elle questionne aussi le
processus maturatif psychique individuel du devenir parent avec ses
mouvements conscients et inconscients. L’autorité est un grand sujet de
débat. Elle rejoint la question de la frustration qui en fait partie intégrante.
Aujourd’hui, il serait presque interdit de frustrer un enfant (cf. le slogan de
Mai 68 : « Il est interdit d’interdire »). Il y a dans l’esprit de nos sociétés
occidentales l’idée que si un enfant a tout il ne peut pas ne pas réussir. Il
n’aura donc plus besoin de faire d’effort parce qu’il aura tout avant même
d’en faire la demande.
Or la frustration est, dès le plus jeune âge, l’instrument majeur de
l’éducation. Elle est devenue un mot clé des dernières décennies. C’est un
sentiment désagréable mais indispensable à expérimenter. La frustration
permet à l’enfant de faire l’expérience du temps, des contraintes, de
l’autonomie. Pendant le temps de l’enfance et de l’adolescence, elle est
générée par l’autorité naturelle dont pourrait faire preuve un parent. Si elle
ne s’exerce pas à bon escient, l’enfant prend le pouvoir sur ses parents
(enfant tyran). Quand la séduction vient en lieu et place d’une affirmation
parentale, l’enfant est en danger de développer des attitudes perverses, une
culpabilité ou un faux self. Les parents d’aujourd’hui ont très souvent des
difficultés à poser des limites sécurisantes, car cette action génère de la
culpabilité. Or l’enfant ressent très bien les failles dans la façon de poser
des limites. Il ira toujours dans le sens des failles parentales.
En résumé : la sécurité de base, l’amour, l’autorité sont les trois axes
autour desquels s’articulent les réponses aux besoins fondamentaux et qui
permettent leur réalisation. La croissance, les crises de la vie traversées par
les parents et les enfants selon leur âge, vont modifier sensiblement
l’expression de ces trois axes. Il est évident que le conflit a un effet
structurant pour chaque membre d’une famille ; en dehors de discorde
profonde qui crée des situations paradoxales, il est un facteur non
négligeable de progrès et de croissance car il oblige les partenaires à se
dépasser pour créer un nouveau consensus.
L’enfant, sur la voie de la socialisation, a des investissements objectaux
qui sont régulés par des mouvements de désexualisation, exprimés sous
forme de tendresse et de sublimation ; l’entrée à l’école primaire, qui
correspond aussi au début de la période de latence, est propice au
refoulement des pulsions sexuelles pour laisser œuvrer la sublimation
accompagnant l’établissement du surmoi et de l’idéal du moi. Avant
l’émergence de la puberté et de l’adolescence, la latence est la plus grande
période, à mon sens, de l’exercice de la parentalité dans les buts définis plus
haut. Après, nous pouvons presque dire que tout est joué…

Le besoin de repères sexués


Nous considérons comme fondamental pour l’enfant le besoin de
disposer de deux figures sexuées qui incarnent le masculin et le féminin.
Classiquement, on concevait que ces deux modèles complémentaires étaient
incarnés presque toujours par la mère et par le père.
L’un qui permettait au garçon ou à la fille de trouver un support
identificatoire, l’autre qui tenait lieu de complément de différence. Mais de
plus en plus fréquemment aujourd’hui ces modèles sexués sont incarnés par
des personnes qui ne sont pas les parents biologiques : beau-père et belle-
mère, ami(e) du père ou de la mère, oncle ou tante, grand-père ou grand-
mère, frère ou sœur aîné(e). Ces situations ne sont plus exceptionnelles et la
recrudescence des séparations les rend de plus en plus courantes. Faut-il
s’en attrister ? Non, car elles ne sont pas nécessairement dommageables
pour l’enfant qui les vit ; à défaut de se référer à son vrai père ou à sa vraie
mère, le garçon ou la fille peuvent disposer à proximité de figures
masculines ou féminines qui assureront honorablement la « fonction
paternelle » ou la « fonction maternelle ». Nous ne souhaitons pas bien sûr
que ces modalités deviennent des usages habituels, mais on ne doit pas
s’offusquer a priori si ces dispositifs se mettent en place. L’attitude à
adopter est plutôt celle qui consiste à apporter de l’aide psychologique si
celle-ci s’avère nécessaire.
CHAPITRE 7

Pour une authentique parentalité

Eh oui ! rendons-nous à l’heureuse évidence : le bébé est une personne.


Voilà la conclusion des cinquante dernières années de la recherche en
psychologie. Dès sa naissance, il est acteur de son propre développement.
La parentalité devient le médium malléable qui accompagne et favorise
le développement de l’enfant. Elle s’appuie exclusivement sur l’évaluation
de son bien-être. La parentalité consiste en un travail exigeant, en empathie,
en qualité de présence et en priorité par rapport aux besoins de l’enfant.
Parallèlement, cette considération conduit à voir autrement le parent
(cf. travaux surtout anglo-saxons portant sur le caregiving). En France, vers
les années 1950, on assiste à une mutation au cours de laquelle le parent
n’est plus celui qui rend compte de l’ordre des générations, des droits et des
devoirs mais celui dont les compétences et le travail psychique avec
l’enfant ont été reconnus dans cette nouvelle fonction parentale qu’est la
parentalité. L’historicité des travaux, tels ceux de Spitz, montre que ce qui
est en jeu pour l’enfant, ce n’est pas tant la condition matérielle de vie que
la forme de relation que l’adulte, les adultes mettent en place avec lui. Cela
veut dire que le syndrome d’hospitalisme ou de carence affective peut aussi
se rencontrer à la maison, dans l’espace privé. Toutes les sciences humaines
ont fortement contribué à ce jour à mettre en lumière les besoins essentiels
de l’enfant auxquels les proches de son environnement doivent s’appliquer,
autant que faire se peut, à répondre, et à satisfaire dans la mesure de
l’éthique propre à chaque adulte.
L’hospitalisme concerne des enfants abandonnés par leur mère ou bien
privés de relation affective. C’est Louis XIV qui, en rattachant l’hospice des
enfants à l’hôpital général, a permis à ces enfants de bénéficier de visites de
médecins. La mortalité resta cependant très forte.
Cependant, dès la fin du XVIIIe siècle, la nécessité de bonnes conditions
affectives ne fait plus de doute pour assurer la survie des bébés abandonnés.
Pour René Spitz, l’hospitalisme décrit un état de carence affective totale
qui entraîne la mort de plus d’un tiers des enfants orphelins.
Aujourd’hui, la famille ne peut plus être seulement une petite institution
sociale.
Elle est devenue le lieu de refuge, de repli protecteur. Dans un monde
en mouvance, parfois inquiétant, elle reste le dernier retranchement
possible. L’expérience du confinement de ces trois dernières années a
montré l’importance de ce repli défensif. Cependant, un tel repli protecteur
a permis de développer d’autres liens, de la solidarité mais aussi, a
contrario, une méfiance devant le monde extérieur.

L’intérêt porté au développement


de l’enfant, ciment du couple
C’est le couple qui définit la cellule familiale dans sa forme, dans ses
diversités. Le couple est devenu un espace de développement personnel, qui
est le théâtre de négociations continuelles pour préserver l’individualité de
chacun des partenaires.
Ce qui a rendu possibles ces nouvelles configurations « familiales »,
c’est l’intérêt porté, surtout dans les milieux culturels, à la psyché, donc au
développement psychique de l’enfant. La motivation a été aussi de faire
mieux que les générations précédentes en matière éducative. La
psychanalyse s’est introduite dans ce déclin du pater familias et vice versa.
La multiplicité des modes de vie a créé des formes différentes de paternité,
de même que les conceptions de la paternité n’ont cessé de changer selon
les théories, les époques, l’anthropologie. Aujourd’hui, l’amour parental ose
s’exprimer avec des mots.
La paternité est une institution en reconstruction puisque le modèle
ancien ne fonctionne plus. Cependant, il y a des invariants incontournables
qui tiennent essentiellement à la construction psychique soutenue par les
mécanismes inconscients ; il s’agit principalement des fantasmes
originaires, qui sont au nombre de 5 : le retour au ventre maternel, la scène
primitive, la castration, la séduction, le roman familial. Ils ont une origine
phylogénétique et une fonction ontogénétique. Pour Sylvie Faure-Pragier
(psychanalyste affiliée à la Société psychanalytique de Paris, ou SPP), ces
fantasmes fondamentaux représentent l’ensemble des solutions que
l’homme peut inventer face aux énigmes du monde 1. Ces invariants font
que la castration, l’inceste, la loi et la société sont solidaires. L’œdipe est
par exemple construit sur le socle des fantasmes originaires de la scène
primitive, de la séduction et de la castration.
Il y a un lien structurel entre l’histoire de l’humanité et l’histoire du
sujet qui rend obsolète l’opposition entre l’évolution de l’individu et celle
d’une société. Une nouvelle ère relationnelle apparaît dans un contexte
caractérisé par une différence des générations moins marquée, sans doute
du fait de la précarité des couples ; dans ces configurations, les enfants
deviennent prématurément adultes et les adultes restent d’interminables
adolescents. Dans les Nouvelles conférences d’introduction à la
psychanalyse, en 1932, au sujet des idéologies du surmoi, Freud dit : « Le
passé continue à vivre, la tradition de la race et du peuple ne cède que
lentement la place aux influences du présent, aux nouvelles modifications ;
aussi longtemps que passé et tradition agissent à travers le surmoi, ils jouent
dans la vie humaine un rôle puissant, indépendant des conditions
économiques. » Les adultes d’aujourd’hui s’intéressent davantage à la
psychologie de l’enfant, même s’il leur est parfois difficile de répondre aux
questions de l’enfant concernant la sexualité, la procréation, la mort. Les
parents ont encore besoin d’enjoliver la réalité ou bien préfèrent ne rien
dire…
Toutefois, leur attitude se caractérise encore par le « trop » ou le « pas
assez », alors que la constance et l’équilibre sont idéalement nécessaires.
Les deux dernières générations d’après Mai 68 ont réussi à lever les tabous
sur la sexualité des parents mais il leur est compliqué de définir d’autres
limites, et les légendes ne jouent plus leur rôle de relais symbolique. Il n’y a
pas si longtemps, la sexualité était le domaine, la chose des hommes ; aux
femmes étaient dévolus le sacrifice, le plaisir feint, la frigidité. Maintenant,
la sexualité a un caractère compulsif, comme la sexualité infantile du petit
enfant qui se masturbe… et qui par culpabilité naissante va refouler, sous la
menace parentale. Aristote disait que « la femme est un mâle mutilé ».
Ladite infériorité des femmes semble être une exigence de l’inconscient
masculin, de leur libido incestueuse, car derrière la femme rabaissée, c’est
la mère qui est élevée. Le sexuel est résorbé dans le procréatif (cf. l’image
de la Vierge Marie).

Chaque parent porte en soi une part


de père et de mère
La fonction paternelle, différente de « l’être père », est d’être un support
de la fonction maternelle, elle offre un étayage et une confirmation
narcissique à la mère. Père et mère, en apportant à l’enfant des choses
différentes, se complètent l’un l’autre. Le lien parental s’articule au lien
conjugal. Cette articulation est supportée par la dimension de tiercéité et
ouvre à la symbolisation. Enfin, les fonctions maternelles et paternelles se
retrouvent à l’intérieur de chaque sujet dans le jeu de la bisexualité
psychique.
Le père d’aujourd’hui est capable d’inventer de nouvelles formes d’être
père. Cependant, il reste prégnant que, pour un homme, vouloir un enfant
est toujours transgressif. Le fils détrône son propre père en devenant lui
aussi père, ce qui n’est pas sans engendrer des effets œdipiens de
culpabilité.
On peut donc concevoir que les deux adultes qui entourent l’enfant
partagent la responsabilité du leadership familial. Le souci d’un partage du
pouvoir à parts égales n’est pas nécessaire, car cette charge obéit à des
facteurs particuliers comme la personnalité, l’activité, la disponibilité.
L’essentiel est qu’il y ait accord entre les deux parents sur le contenu des
règles transmises à l’enfant et le respect de la décision commune. Avec
concertation, il peut y avoir égalité de responsabilité entre les deux parents.
Chacun doit se voir reconnu par l’autre parent et par l’enfant comme
capable d’intervenir avec la même pertinence dans les moments où il faut
dire « oui » et dans ceux où il faut dire « non ». Il est néanmoins nécessaire
de faire jouer la différence des sexes, même si on peut admettre une certaine
interchangeabilité des rôles. Au regard de tout ce qui a été évoqué, il ressort
que le souci essentiel des besoins de l’enfant constitue le nouveau
paradigme autour duquel s’articule une diversité de paternalités.

Les nouvelles formes de parentalité


Cette meilleure prise en compte des besoins essentiels de l’enfant doit
être aussi regardée à l’aune des configurations familiales, fréquentes
aujourd’hui, que sont :
la PMA (procréation médicale assistée) ;
la famille monoparentale ;
la famille recomposée, hétéroparentale et multiparentale.

La PMA ou AMP
(assistance médicale à la procréation)
En 2010, 22 401 enfants sont nés grâce à la PMA. Jusqu’alors, seuls les
couples hétérosexuels, souffrant d’une infertilité avérée, pouvaient
bénéficier d’une PMA après 12 à 24 mois de tentatives. Un couple peut
bénéficier de 6 FIV qui sont prises en charge par la Sécurité sociale. La
PMA est désormais accessible aux femmes célibataires et aux femmes
homosexuelles (Conseil national consultatif d’éthique).
Les techniques modernes de procréation ne sont pas sans bouleverser
les filiations, le couple et la famille. Dans le cas de l’IAD (insémination
avec donneur), c’est souvent un acte qui atteint la fécondité masculine et
provoque un sentiment d’humiliation, de castration, qui oblige au secret. La
question de l’identité de l’enfant, de sa véritable filiation reste alors
préoccupante. Le secret est par définition traumatique, pour les parents
comme pour l’enfant. Intervient aussi le facteur famille élargie (parents,
grands-parents). Ces techniques donnent aussi aux femmes la possibilité
d’enfanter en dehors de tout acte sexuel. La place du père est d’autant plus
interrogée dans ces configurations familiales nouvelles et ce n’est
certainement pas sans toucher et désorganiser les repères psychiques.
Si l’homosexualité féminine est liée à la haine des hommes, cela
complique d’autant le processus d’identification au père, si c’est un garçon.
Si c’est une fille, l’œdipe échoue à séparer la fille de sa mère, à cause du
lien archaïque à la mère, sans la fonction séparatrice du père, qui est
déprécié.
Dans le don d’ovocytes, c’est souvent une anomalie génétique qui en est
l’indication. Il répare psychiquement la fécondité. Une patiente a eu recours
au don d’ovocytes, à l’étranger, car sa mère, souffrant d’une maladie
bipolaire, s’était suicidée. Elle craignait qu’il y ait transmission génétique
de cette bipolarité.
En ce qui concerne l’adoption, un couple hétérosexuel et une femme
célibataire peuvent y prétendre. Pour un couple homosexuel, pouvons-nous
considérer qu’il y a deux célibataires ? et donc qu’ils peuvent prétendre
également à l’adoption ?
Sans oublier le choix cornélien lorsqu’il faut pratiquer une réduction
embryonnaire, car finalement la FIV a trop bien marché !

HOMOSEXUALITÉ PSYCHIQUE ET HOMOSEXUALITÉ


AGIE

L’homosexualité fait couler beaucoup d’encre depuis l’Antiquité. Elle a


alimenté bien des mouvements homophobes qui perdurent aujourd’hui, et
qui ont mené au cours de l’histoire à la persécution des homosexuels. En
Ouganda, en 2013, le Parlement a adopté une loi qui criminalise les
homosexuels. À noter que cette loi a été inspirée et soutenue par des
groupes chrétiens évangélistes.
Pour Freud, l’homosexualité est la conséquence de la bisexualité
psychique. Elle existe à l’état latent chez tous les hétérosexuels. C’est une
perversion en ce sens que c’est une déviation des pulsions sexuelles quant
aux buts et au choix d’objet sexuel. Le terme « perversion » est à entendre
dans le sens du processus psychique en cause (un arrêt dans le
développement sexuel). Dans le cas de l’homosexualité féminine, elle
s’origine dans une fixation infantile à la mère et dans une déception à
l’égard du père. Dans le cas de l’homosexualité masculine, le garçon
cherche à retrouver l’amour qu’il a connu avec sa mère dans l’enfance. Il
désire retrouver ce type de relation avec son partenaire. La mère du garçon
homosexuel est une mère phallique qui surinvestit fantasmatiquement le
pénis de son fils (défense contre sa propre castration).
Freud a combattu pour dégager l’homosexualité de l’idée de tare et de
péché. L’homophobie sait s’infiltrer en utilisant les voies les plus
sournoises, y compris chez les psychanalystes. Néanmoins, pour Freud,
l’homosexualité est une tragédie. C’est dans son ouvrage sur Léonard de
Vinci, publié en 1910, qu’il décide de renoncer au mot « inverti » au profit
de celui d’« homosexuel ». Cependant, dans la période de l’après Seconde
Guerre mondiale, la répression de l’homosexualité devient de plus en plus
importante, notamment en Angleterre où elle fut terrible ; citons l’exemple
d’Alan Turing, mathématicien, inventeur de l’ordinateur. L’opprobre social
et le rejet le conduisirent au suicide. L’origine de la pomme choisie comme
symbole d’Apple est la pomme empoisonnée que Turing croqua pour
disparaître. Aujourd’hui, certains pays, comme l’Arabie saoudite et
l’Égypte par exemple, continuent la chasse aux sorcières.
Pour les psychanalystes d’inspiration kleinienne, les homosexuels sont
des déviants, présentant des troubles schizoïdes ; pour Lacan, ce sont des
pervers sublimes de la civilisation.
Même Anna Freud s’est opposée à son père en rangeant les
homosexualités dans la catégorie des maladies mentales. On peut voir bien
sûr dans cette classification l’expression de sa propre homosexualité
refoulée, sachant qu’elle n’a jamais eu de relation charnelle avec un homme
et n’a eu que des amitiés féminines. Son père, dans un amour œdipien très
fusionnel, a su écarter de sa fille tout prétendant possible. Par ailleurs, il
n’ignorait sans doute pas le penchant sexuel de sa fille, qui a vécu de
nombreuses années avec une femme, Dorothy Burlingham, et ses quatre
enfants. Il a accepté la famille recomposée et homoparentale. Anna Freud et
sa compagne vécurent plus de 55 ans ensemble, affichant la plus stricte
neutralité afin de se protéger, notamment de l’IPA (Association
internationale de psychanalyse) qui s’élevait contre la pratique de la
psychanalyse par des homosexuels. Ce fut une belle histoire d’amour tenue
secrète et cautionnée par le père de la psychanalyse.
Aujourd’hui, nous assistons à un désir de normalisation des couples et
des familles homosexuelles par le Pacs, le mariage, l’accès à l’adoption, à la
PMA et à la GPA (gestation pour autrui, interdite en France). Il y a
l’expression du désir d’être reconnu au même titre et avec les mêmes droits
que les hétérosexuels. Le premier mariage homosexuel eut lieu en
mai 2013, entre deux femmes. Nous pouvons nous interroger sur la
nécessité pour les homosexuels de rejoindre une « normalité » dans
l’anormalité, reconnue socialement.

Famille monoparentale
Dans la majorité des cas, on entend par monoparentalité la structure
familiale définie par la présence d’un seul parent (matricentrique). On
observe une multiplicité de modes d’entrée dans une telle structure
familiale : le premier facteur est consécutif à la séparation, au divorce ;
ensuite, vient le choix délibéré de la monoparentalité. Cette situation de
monoparentalité a des impacts à plusieurs niveaux qui commencent depuis
quelques années à faire l’objet d’études.
La famille monoparentale va souvent de pair avec une situation de
fragilité permanente : sur le plan économique, elle représente un risque
accru d’appauvrissement. Les femmes sont majoritairement représentées
dans cette configuration et elles ont moins d’opportunités pour faire des
rencontres, du fait de leurs charges familiales. Même si le père est présent et
assume ses responsabilités de père, ce qu’on appelle « charge mentale »
n’est pas la même pour lui que pour la mère qui a le quotidien avec le ou les
enfants.
Le divorce ou la séparation des parents est une forme violente et
paradoxale de confrontation à la scène primitive (relation sexuelle
fantasmée du couple parental). Le couple est alors plus important que la
responsabilité d’avoir engendré un ou des enfants.
Dans la situation monoparentale consécutive au divorce, la question se
pose du mode de garde, notamment celle de la garde alternée, qui selon
nous doit prendre en considération l’âge de l’enfant. Plus il est jeune, plus il
a besoin de repères stables. Le passage d’une « maison » à une autre
demande toujours à l’enfant un temps d’adaptation, plus ou moins
problématique selon la situation parentale.
La question de la garde alternée interroge la bisexualité psychique :
comment la différence des sexes se vit-elle au sein des nouvelles
compositions familiales ? Les deux genres ne sont pas interchangeables ;
féminin et masculin s’équilibrent dans les représentations de l’enfant.
C’est la loi du mois de mars 2002 qui légalise la résidence alternée
(association de pères : égalité homme-femme) ; cependant aucun avis de
« psy » n’a été sollicité.
Les réformes récentes du droit de la famille visent principalement la
mise en relief de la coparentalité, pour restaurer la place du père.
Cependant, on oublie parfois, voire souvent, que la finalité de l’autorité
parentale est l’intérêt de l’enfant. Ce qui est essentiel pour l’enfant c’est la
qualité de la mise en place des liens, qui prime par rapport à la quantité.
Voilà un point de discorde entre les parents séparés : cette revendication de
dosage peut faire fi de la réalité et du besoin de l’enfant, d’autant plus qu’il
est plus jeune. Par exemple, nous savons que la période de 3 à 6 ans est
sensible en raison des éléments œdipiens qui prédominent et donnent de
quoi nourrir culpabilité et symptômes névrotiques (phobies, tics, anxiété,
difficulté de séparation, régression, difficulté d’endormissement, etc.). Cet
aspect de l’âge de l’enfant au moment de la mise en place de la garde
alternée n’est pas du tout pris en compte par les parents ou les juges qui
statuent ; c’est éminemment regrettable et préjudiciable pour le jeune
enfant, qui peut en éprouver des perturbations sérieuses. On serait en droit
de se demander si l’intérêt de l’enfant ne passe pas après celui des parents
et leur droit à l’enfant. Les gardes alternées des petits ne sont pas
majoritaires, mais elles ne sont pas rares non plus. La systématicité de la
garde alternée n’est pas justifiée ; c’est au juge aux affaires familiales
d’apprécier au cas par cas quelles sont les meilleures conditions de
résidence pour l’enfant. L’intérêt de l’enfant ne devrait pas être utilisé
comme alibi pour satisfaire les adultes – avec un « temps égal, parent
égal ». Quand se préoccupe-t-on réellement de l’équilibre affectif de
l’enfant ? Il y a bien souvent des cas où l’enfant est pris en otage
psychologiquement pour régler le conflit du couple. Il se trouve
instrumentalisé, une situation hautement anxiogène pour l’enfant, qui aura
bien du mal à s’individuer. Parfois, le symptôme d’aliénation parentale
n’est pas un vain mot.
C’est un cas rencontré dernièrement : pour des raisons de grave conflit,
une mère a renoncé à la garde alternée pour son bébé, qu’elle a laissé au
père. L’enfant, au seuil de l’adolescence, traverse une période d’agressivité
majeure ; il retrouve la vie quotidienne avec une mère dont il exige tout,
histoire de rattraper le temps perdu de la petite enfance, aidé en cela par la
culpabilité massive maternelle. Cette mère, qui elle-même a été privée de
cette période primaire, avait tendance à compenser matériellement et à
céder au chantage affectif.
Afin de minimiser les risques, il est important que les deux parents
préservent leur confiance réciproque dans les compétences parentales de
l’autre. Car quel que soit l’âge de l’enfant, c’est un coût pour lui d’avoir à
composer avec un environnement discontinu et insécure. Le paradoxe est
là : un couple séparé en tant qu’amoureux mais vivant une entente de
qualité en tant que parents ne permet pas à l’enfant d’éviter d’endosser en
silence la responsabilité de cette dissociation : il pense n’avoir pas été un
« assez bon enfant » pour qu’ils restent unis. C’est la raison qui explique
que pour sa sauvegarde identitaire, l’enfant cherchera par tous les moyens à
créer des situations au cours desquelles ses parents seront amenés à se
rencontrer. Plus tard, le principe de réalité fait son travail, mais cette
projection est toujours et pour longtemps en toile de fond.
Du côté des femmes, leur blessure consécutive à une rupture amoureuse
est parfois telle qu’elles préfèrent écarter le père de la gestion éducative,
quitte à renoncer aux avantages matériels, quitte à ne faire aucune requête
auprès du juge des familles. Insidieusement, le père disparaît de la scène.
Très souvent les pères lâchent prise face à ce constat ; pour la grande
majorité, ils ont reconstruit une cellule familiale et décident de ne plus se
battre pour faire respecter leurs droits.
Pour un garçon, cette situation laisse des traces profondes : il se sent
être un fils abandonné dans ce désaveu de paternité, qui pourra se traduire à
l’adolescence par toutes les dérives addictives sur fond de dépression.
Souvent, les mères se trouvent psychiquement désarmées face à de telles
situations.
On pourrait presque dire qu’il n’y a pas d’âge idéal pour qu’un couple
avec des enfants se sépare. Nous dirions que la période la moins mauvaise
serait celle de la latence, c’est-à-dire entre 7 ans et 12 ans, jusqu’aux débuts
de la puberté. L’enfant a investi l’école, le savoir, le plaisir d’apprendre, la
socialisation avec les amitiés et amours scolaires, ses rapports à ses parents
sont teintés de tendresse. Il s’inscrit volontiers dans un avenir qu’il construit
de ses désirs de réalisation personnelle.
Beaucoup de parents, soucieux de la santé psychique de leur
progéniture, décident de consulter, à des fins d’aide, d’accompagnement
pour eux-mêmes et leurs enfants. Nous constatons une égalité grandissante
entre hommes et femmes dans cette démarche. Dans ce contexte, les
attitudes éducatives, les règles, les interdits ont l’occasion d’être revus et
corrigés si nécessaire.
Le danger est que, dans la situation de monoparentalité, chaque parent
reprenne plus ou moins consciemment son fonctionnement psychique tel
qu’il a été construit à l’origine avec ses propres parents. L’émulation du
couple qui ouvre la voie aux compromis n’est plus…
Par ailleurs, l’enfant a besoin de connaître sa filiation – d’où il vient –,
il a besoin d’être relié aux autres générations qui l’ont précédé. Et nous
pensons qu’il faut autant de père que de mère dans la structuration
identitaire sinon il risque d’y avoir des failles. La filiation peut être
comparée à un patient qui a su assez tard que son père n’était pas son père
biologique, alors qu’enfant il avait l’intuition d’être l’objet d’un secret
familial. La conséquence principale de cette confirmation de ses origines fut
de réunir ses deux pères, biologique et éducateur, dans un double patronyme
réunissant les deux noms paternels.
Être parent, être père, c’est aussi accepter de transmettre ; il n’y a pas
que le nom aujourd’hui à transmettre. Cette notion de transmission (filiation
paternelle et filiation maternelle) est tout aussi importante que la notion de
bisexualité psychique.

Familles recomposées,
hétéroparentales et multiparentales
De par l’allongement de la durée de vie, plusieurs configurations
familiales peuvent être « expérimentées » au cours d’une vie d’adulte.
C’est en 1993 que l’expression « famille recomposée » a été introduite
dans le langage courant à partir de recherches menées par des sociologues.
Aujourd’hui, 1 enfant sur 10 vit au sein d’une famille recomposée. Une
famille recomposée est constituée d’un couple de parents, d’adultes, mariés
ou non, et d’au moins un enfant né d’une union précédente, ce qu’on
appelait autrefois un « premier lit ». D’autres enfants peuvent vivre avec
leurs parents et des demi-frères ou demi-sœurs et former aussi une famille
recomposée. Dans notre monde contemporain, qui évolue à une vitesse
vertigineuse, nous pouvons rencontrer des structures familiales différentes
qui sont également des familles recomposées. Ces familles ont des contours
incertains car les formes de recomposition varient.
Les familles recomposées ont souvent été d’abord des familles
monoparentales ou des familles traditionnelles. Avant la Seconde Guerre
mondiale, elles se formaient consécutivement aux décès subis ; après
guerre, aujourd’hui, c’est sous l’effet du divorce et/ou des séparations.
Souvent la famille hétéroparentale est la première des structures familiales.
Ensuite, les situations se transforment au gré (ou non) des accidents de la
vie, de la maturation personnelle, d’éventuels coming-out, etc. Il y a une
multitude de situations possibles et imaginables.
Aujourd’hui, c’est l’enfant (principalement mineur) qui fait la famille et
non le mariage. C’est l’enfant qui définit la famille recomposée. Souvent la
présence des enfants d’un des membres du couple rend les débuts de la
nouvelle famille particulièrement difficiles. L’acceptation des enfants de
l’autre est nécessaire.
Plusieurs questions se posent :
Quelle place prend l’ex-parent (l’autre parent, l’ex-conjoint, le parent
décédé…) ?
Comment les rivalités dans les différentes fratries s’expriment-elles ou
se répriment-elles, laissant chaque acteur isolé dans sa problématique ?
Quels termes consacrer pour définir la place de chacun des membres
d’une famille recomposée ? En effet, il y a un manque de mots pour
garantir la préservation de la loi de l’interdit de l’inceste (loi qui
s’applique à toute famille, recomposée ou non). Le cas est différent
lorsque les enfants d’une famille recomposée sont majeurs. Cela appelle
une illustration : un homme en instance de divorce retrouve son amour
de jeunesse pendant la maladie mortelle de son mari. Chacun d’eux a
des enfants majeurs. Il s’avère qu’un couple s’est formé entre le fils de
l’un et la fille de l’autre. Dans ce cas, il n’y a pas transgression de la loi.
Cependant, comme nous allons le voir dans la vignette clinique (ici), en
dehors des aléas de la vie, la famille recomposée hétéroparentale semble
rassembler tous les éléments nécessaires à la construction de l’identité, de la
bisexualité psychique. La psychanalyse a depuis des décennies mis en
lumière l’importance essentielle du processus de sexuation dans le devenir
psychique de l’enfant. Malgré toutes les tentatives pour laisser de côté le
travail du complexe œdipien dans l’élaboration de l’identité, l’existence
irréfutable de deux genres impose de revenir à l’œdipe, toujours actif et
présent de plus en plus tôt selon des auteurs et des observations. La
présence active du père dans la relation primaire amorce sans doute ce
travail de l’œdipe de manière plus marquée aujourd’hui. Un complexe
œdipien mal élaboré chez un parent peut être à l’origine d’une rupture dans
le couple, ou du moins le fragiliser à l’arrivée de l’enfant. Qu’il s’agisse de
la fille ou du garçon, l’ouverture vers le père est un tournant essentiel car
c’est le lien entre l’homme et la femme, dans l’intimité d’un couple, qui
peut s’opposer au désir incestueux de l’enfant et son désir fusionnel avec la
mère. Il soutient le processus de séparation et d’individuation qui permet à
l’enfant de faire l’expérience de sa capacité d’être seul, expression chère à
Winnicott. Je pense que dans le cas de la famille recomposée, belle-mère
(marâtre) et/ou beau-père (parâtre) ont leur rôle à jouer dans leur
positionnement de couple pour aider les enfants et beaux-enfants dans la
résolution œdipienne.
Il existe une grande diversité de situations familiales recomposées au
sein desquelles la position de chacun des membres de la famille reste figée :
une mère divorcée d’un premier mariage avec un fils, un père divorcé avec
deux enfants ; une fille qui ne veut plus voir son père depuis qu’il a créé un
nouveau couple, et un fils avec lequel les relations sont bonnes mais qui est
assez distant du fils de sa belle-mère. La mère privilégie nettement la
relation à son fils au détriment de son nouveau couple, ce qui n’aide en rien
son fils, ni son compagnon qui est en grande souffrance, très conscient des
enjeux de cette famille. Un des risques de la famille recomposée est de
réactualiser un complexe œdipien mal réglé auparavant, en prenant les
enfants en otages dans cette problématique dont les enjeux narcissiques
prennent la place d’une élaboration, d’une symbolisation de meilleur aloi.
Depuis des millénaires, et à travers des formes variées qu’elle a
revêtues, c’est à partir de la scène primitive (sexualité des parents que
l’enfant sait mais dont il ne veut rien savoir) que la bisexualité trouve sa
place dans l’expression du désir et de l’amour : au fil de l’histoire de
l’humanité, la famille hétéroparentale devient le lieu de l’intime qui essaie
de s’extraire du contrôle social. Il y a deux sexes supposés capables de
procréer. Or les deux genres ne sont pas interchangeables, car masculin et
féminin s’équilibrent dans les représentations de l’enfant. Comme on le
verra dans l’exemple clinique au chapitre suivant, la place du père dans le
cadre œdipien permet au psychisme de s’ouvrir à la fois à la différence des
sexes et à la différence des générations. C’est ce qui instaure une filiation.
L’évolution du mode de vie, les pressions diverses professionnelles et
sociétales ont fragilisé le lien conjugal, qui s’est effrité. Il semblerait qu’il y
ait davantage de souffrance dans ces structures familiales (hétéroparentales)
que dans les nouvelles familles. Cependant, on manque de recul dans le
temps pour envisager les effets sur les enfants des autres configurations. Par
ailleurs, il semble y avoir peu de demandes d’aide de la part de ces familles
(discrétion, honte, culpabilité).
Qu’en est-il des conséquences sur l’enfant de l’absence du père ?
Il est absolument certain que la sécurité interne dont nous parlions plus
haut découle d’une articulation des aspects maternels et paternels, qui sont
liés à la bisexualité psychique.
CHAPITRE 8

Si le père m’était conté

Pour décrire la vignette clinique qui fait l’objet de cet exposé dans
laquelle la réhabilitation d’un père ouvre la possibilité de sortir d’une
névrose grâce au travail analytique, j’ai choisi la forme littéraire du conte.
Ce choix permet de retranscrire les efforts déployés, la souffrance
psychique, les hésitations, les impasses parfois et le plaisir partagé de
l’analysant et de l’analyste dans cette aventure de plusieurs années qu’est
une psychanalyse. Il a aussi répondu au plaisir de l’écriture ou plutôt de la
réécriture de cette cure.
Le conte est un genre narratif, le plus souvent merveilleux. Il peut se
lire ou se raconter. Il est un temps hors du temps. Il est vivant et laisse la
place à la réappropriation par celui qui l’écoute.
Il était une fois un petit garçon qui vivait parmi ses frères, ses sœurs et
ses parents une vie qui lui paraissait paisible et qui le laissait disponible
pour exploiter sa curiosité à l’égard du monde environnant et des grandes
questions de la vie. Des souvenirs et des rêves très précis se fixèrent dans sa
mémoire dès sa plus tendre enfance : les « nounous » qui le gardaient, ses
parents dans leur lit au milieu d’ébats amoureux qui excitaient sa curiosité
en même temps que son sentiment de petitesse, les lieux, les odeurs, etc.
La vie se passa ainsi à grandir, à regarder autour de lui, à apprendre. Vers
l’âge de 4 ans, le déménagement de la famille pour une autre contrée
bouleversa ses repères et rendit plus aiguës les absences professionnelles
d’un père aimé et admiré.
Le temps passa et les scènes de dispute entre ses parents se multiplièrent
et ne l’épargnèrent pas. Un jour, le drame eut lieu. Alors que son père était
parti en claquant la porte, sa mère le supplia de le rattraper et de le ramener.
Le jeune garçon partit, courut à sa recherche mais en vain. Il en revint
désespéré et se retrouva seul face à sa mère. Il avait perdu son père, il
n’avait pas su le retrouver et en éprouvait un immense chagrin. À la suite de
cet événement, il ne revit son père que très épisodiquement : après le
divorce parental, à l’enterrement de son grand-père paternel et puis ce fut le
silence, un silence de mort.
Devenu un jeune adolescent, adulé par une mère possessive, il ne lui
restait plus que le devoir de satisfaire cette mère en étant un fils sage et
timide mais nostalgique de ce père dont l’image d’aventurier et de
séducteur s’était peu à peu construite dans sa tête. Il se demanda s’il n’était
pas un peu responsable de tout cela. Le monde féminin dans lequel il
évoluait entretenait une excitation sexuelle importante qui n’était pas
limitée par des règles d’interdit d’inceste ou de différence générationnelle.
Il connut des expériences de jeux sexuels avec ses sœurs, avec des femmes
adultes et avec des garçons, jusqu’au moment où il eut très peur de lui-
même dans ses agissements. Il avait une grande curiosité sexuelle qu’il
satisfaisait par sa vie imaginaire et par tout ce qu’il pouvait entrevoir de la
féminité.
Il était le premier fils de sa mère, son homme de substitution en quelque
sorte.
Celle-ci avait des aventures masculines dont il était confusément jaloux.
Il fallait qu’il soit le fils gentil, obéissant, serviable qui répare par son
attitude filiale une image de père disqualifiée, père à qui la justice avait
retiré tous ses droits parentaux. Il partageait avec ses copains les
interrogations sur l’avenir : comment devenir un homme, comment s’y
prendre avec les filles. Ils se racontaient leurs fantasmes et leurs exploits de
conquérants.
La grande question de notre héros devenu étudiant était de savoir si son
sexe masculin serait efficient avec une jeune femme alors que jusque-là il se
contentait de regarder, de toucher avec les yeux, de photographier mais aller
plus loin était trop difficile encore, trop risqué. Un jour, il alla chercher la
réponse à cette question auprès d’une prostituée, qui sut intelligemment le
rassurer non par une relation sexuelle, mais en le confirmant sur ses
capacités physiques de jeune homme : il avait « un beau sexe ». La question
était là au fond de lui : être ou n’être pas le fils de son père ? Comme son
père et parce qu’il en était le fils, il était raillé par ses sœurs, contraint par sa
mère à répondre à ses exigences et sa jeunesse adolescente en était
douloureuse. Renier son père l’obligeait à être comme sa mère et ses sœurs
et alors il ne se sentait plus vraiment un homme. En même temps, il avait un
grand besoin de l’affection de sa famille.
Fort heureusement ses études l’éloignèrent géographiquement de sa
mère. Le départ fut un déchirement, comme un deuil à faire d’une enfance
pleine d’espoirs comme de désillusions. Il partit en faisant le rêve que tout
devenait possible à la manière de la pensée magique du petit enfant qui
découvre le monde. Pour lui, tout était possible, il suffisait de le désirer et
d’y penser très fort. Que de déboires l’attendaient !
Ses études furent brillantes. Durant cette période, il retrouva sa grand-
mère paternelle, qui lui permit de renouer symboliquement avec l’histoire
de son père. Assez seul dans cette ville universitaire, poussé par sa sexualité
débordante et son besoin d’attachement, il rencontra une jeune fille, timide,
réservée, peu exubérante, peu féminine : le contraire de sa mère en quelque
sorte. Il pensait qu’ainsi elle serait mieux acceptée par cette dernière, dont
la place était toujours là. Ce n’est pas ce qui se passa. Sa mère accepta très
mal sa bru au point de refuser d’assister à leur mariage. Parallèlement, elle
continua d’essayer d’entretenir des relations intimes et privilégiées avec son
fils. Des petits mots d’amour parsemaient le discours maternel. Son fils ne
voyait pas en quoi cette chose pouvait être anormale et gêner sa femme. Il
en avait même besoin car il disait avoir manqué de marques d’affection
lorsqu’il était plus jeune.
Quelques années plus tard, notre héros rencontra des difficultés
relationnelles avec des hommes dans le cadre de son travail. Il se sentit si
déprimé dans ce climat qu’il démissionna. C’est alors qu’un troisième
enfant naquit. Ce second fils le sortit de son marasme intérieur. Une relation
privilégiée s’installa entre eux, qui dure encore aujourd’hui. C’était comme
une possibilité qui s’offrait à lui de se réparer à travers cet enfant dans
lequel il se reconnaissait tellement. Un nouveau poste dans une autre
société lui permit de reprendre pied socialement. Mais le contact avec les
autres collègues hommes restait difficile et il se sentait très handicapé vis-à-
vis d’eux, très inférieur à l’image qu’il se faisait de ses collègues.
Entre-temps, il apprit que son père était mort au loin depuis de
nombreuses années dans des circonstances mystérieuses et qu’il était
enterré dans un lieu inconnu. C’est comme s’il n’avait pas de sépulture,
peut-être une simple fosse commune sans nom.
Il n’en éprouva pas vraiment de chagrin. Par ailleurs, il savait que son
père avait eu un enfant naturel et il imaginait que lui-même n’avait pas dû
avoir une grande place dans le cœur de ce père absent.
Les années passèrent… Il entretenait de loin en loin des liens avec sa
grand-mère paternelle, elle-même divorcée depuis fort longtemps. Ses
enfants grandissaient et s’approchaient à leur tour de l’adolescence. Dans
son rôle de père, il ne savait pas très bien s’y prendre et il gardait une
position passive vis-à-vis de l’autorité de son épouse. Un jour, la grand-
mère paternelle mourut. Elle lui laissa un héritage à partager entre ses frère,
sœurs et demi-sœur. Et puis, signe du destin ou non, près de chez cette
grand-mère, sa voiture prit feu, et là, signe encore du destin, grâce à cette
voiture, il rencontra et il tomba fou amoureux d’une femme, d’un sentiment
d’amour qu’il avait éprouvé quand il était enfant.
La crise était là. Ce sentiment réveilla en lui le petit garçon qu’il fut et
qu’il était toujours au fond de lui. Il lui sembla retrouver dans cet amour
platonique l’amour maternel qu’il aurait rêvé d’avoir. Il ne savait que faire,
tiraillé entre une femme jalouse et une mère trop présente : laquelle trahir
pour l’autre, car tous les registres étaient alors confondus ? Notre homme
avait trop mal pour rester seul à se débattre dans ses problèmes affectifs.
C’est alors que la rencontre avec l’analyste se produisit. Il lui exposa ce qui
lui arrivait : un amour platonique qui le harcelait de l’intérieur, une épouse
jalouse de cette femme et de sa belle-mère et un attachement d’enfant à sa
mère et à ses sœurs. Il imaginait alors que tout venait de son histoire avec sa
mère. Son père absent, sa mort lointaine et inconnue n’auraient pas
véritablement un impact dans l’affaire. L’analyste lui proposa une cure à
raison de trois fois par semaine. L’aventure analytique dura plus de quatre
années. Il se soumit à la cure et à ses règles avec une régularité et une
rigueur scrupuleuses. Il découvrit ainsi qu’il pouvait avoir des rêves
tellement symboliques que son histoire infantile était là, à portée de ses
associations, qu’il avait une vie intérieure psychique qu’il était devenu
inutile de vérifier dans une réalité aléatoire. Il pensait, il ressentait et il
commença à exister pour lui-même et par lui-même.
Son analyste femme fut tour à tour sa mère aux mille et un visages, sa
putain qu’il payait, ses parents réunis au détour du film de son histoire
d’enfant émaillé de rêves et de tentatives magiques d’aller vérifier dans la
réalité ce qu’il avait compris de lui-même tout en voulant échapper à cette
nouvelle emprise de son analyste, encore une femme. Il lui était parfois bien
difficile de renoncer à une idée de toute-puissance pour se protéger d’une
menace de castration qui aurait pu devenir réelle.
Après les premières années qui virent dans sa réalité les turbulences
d’un couple bancal aboutir à une procédure de divorce, à la rencontre d’une
autre femme plus âgée que lui qui le harcela, un troisième personnage entra
sur la scène transférentielle : l’analyste père. « Ah, tiens ! celui-là, je ne
pensais pas qu’il pointerait son nez. » Mais finalement ce n’était pas
inintéressant de le faire revenir. Un revenant qui ne restait pas caché
dangereusement dans un placard, cela faisait moins peur qu’un fantôme
toujours prêt à ressurgir.
Son père disparu reprit peu à peu sa place dans le cours de son histoire :
notre héros chercha à savoir de plus près qui était vraiment cet homme qui
l’avait engendré, qui était si beau, si attiré par de lointaines aventures, et
malgré cela si aimant pour lui quand il était tout petit. Peu à peu les
souvenirs avec ce père revenaient, chargés de leurs émotions. Pourquoi
l’avait-il ainsi oublié ou « remisé » au fond de sa mémoire ? Alors que
grâce à lui, enfin, il pouvait imaginer et intérioriser ce que représentait
l’interdit d’inceste, il comprenait psychiquement ce qu’étaient la loi, la
castration et le fossé des générations. Ce père symbolique, fantasmé
d’autant plus qu’il fut absent, pouvait dans la bouche de l’analyste père
devenu son « professeur » poser des lois et être aussi critiqué pour ses
propres écarts et son abandon. Accepter de s’identifier à lui pour s’inscrire
enfin dans sa filiation et pouvoir être ainsi le père de ses fils, de sa fille, qui
avaient besoin d’un vrai père. Mais le père et les femmes, qu’en faire ?
L’analyste professeur, l’analyste femme dont il est secrètement amoureux
sans jamais l’avouer car maintenant l’intérieur et l’extérieur étaient bien
différents.
Ces deux aspects du transfert s’affrontèrent et coexistèrent, lui
permettant de s’identifier à son père. Le père conquérant était bien en lui et
l’autorisa à se sentir peu à peu l’égal des autres hommes. De nouvelles
amitiés masculines se créèrent dans son travail et en dehors. Elles n’étaient
plus dangereuses. Il en vint à désirer rencontrer une femme qu’il pourrait
aimer et désirer aussi.
Quelle fut la fin de l’histoire ? Enfin devenu homme, il renonça à la
toute-puissance de l’enfant et accepta de n’être que lui-même. Ne fallait-il
pas qu’il enterre symboliquement ses parents pour mieux être identifié à
eux en tant qu’homme et femme dans une bisexualité psychique bien
intégrée ?
La fin de l’analyse approchait. Les choses de la réalité étaient à leur
place. Il pouvait vivre seul et heureux entre des amis et ses enfants dont il
s’occupait bien davantage. Le père de notre héros n’avait de sépulture
qu’inconnue, peut-être une fosse quelque part dans des terres étrangères.
Cette idée devenait intolérable. Un enterrement en bonne et due forme
s’imposa pour pouvoir en faire le deuil et permettre de faire vivre en lui
l’amour pour ce père disparu. Le rituel eut lieu. Il décida qu’il se passerait à
la fin de la dernière séance. L’analyste fut le témoin de la cérémonie
d’enterrement. Du sable rapporté du désert symbolisa les cendres qui furent
déposées dans une urne peinte sur laquelle étaient représentés une mère et
un enfant lové dans ses bras. L’émotion était immensément prégnante tant
pour lui-même que pour le témoin qui malgré tout essaya de rester à une
bonne distance. Il avoua son amour à son père en même temps qu’il lui
disait adieu. La séparation et l’enterrement de l’analyse et de l’analyste
eurent lieu aussi symboliquement au travers de ce rituel. Quelque chose de
paisible flottait dans le bureau : l’idée d’un chemin accompli, de choses
enfin à leur place. Notre héros emporta avec lui l’urne et son père et laissa
là, dans l’analyste et le cadre, tout ce qu’il y avait déposé. Le temps passa,
temps qui n’était plus celui de l’analyse. Il écrivit à sa psychanalyste. La
lettre témoignait du travail qui continuait de se faire et annonçait qu’il avait
remis à sa mère l’urne contenant les cendres de son père. La boucle était
bouclée. Son analyste pouvait être définitivement « remerciée » au sens
propre et au sens figuré.
Ce que le petit garçon n’avait pas pu faire parce qu’il n’avait pas couru
assez vite, il avait pu enfin l’accomplir symboliquement bien des années
plus tard, réunissant ainsi ses parents pour continuer sa vie d’homme.

Retrouver le père par l’analyse


Cette analyse est l’exemple d’un parcours remarquable. Dans la relation
contre-transférentielle avec un patient, le travail de pensée continue
longtemps encore après la fin de la cure comme une remise à l’ouvrage du
travail psychique accompli avec ses limites ou ses insuffisances. Cette
traversée de ces années d’analyse croise aussi la vie interne et les deuils
réels de l’analyste. Cela participe aussi des mouvements mutatifs qui
peuvent avoir lieu. Et puis un jour, sans crier gare, le deuil de l’analysant est
fait et les choses sont bien ainsi.
La cure fut un parcours remarquable d’un être humain qui était a priori
très éloigné de la psychanalyse et qui a pu l’approcher par la confiance et
l’authenticité. Résistant à l’idéalisation d’après-coup, je n’omets pas les
mouvements d’agressivité structurante qui sont apparus en cours de travail
et les transferts latéraux qu’il fallait gérer quand le transfert sur l’analyste
devenait trop intense. Parfois aussi il y eut de la lassitude de ma part quand
le fonctionnement associatif n’était pas assez foisonnant à mon gré, ce qui
n’était qu’une défense ou qu’une résistance bien protectrice. Être analyste
exige de la patience, de l’humilité et une réelle croyance en la vie psychique
sans lesquels l’exercice serait impossible. En outre, la progression se
produit quand le substrat est prêt à émerger. Puis les choses arrivent quand
elles sont là sous-jacentes. De manière préconsciente, l’analyste anticipe ce
qui va advenir, à l’instar d’une mère bienveillante vis-à-vis des progrès de
son enfant ; cela n’exclut en rien l’ambivalence. En évoquant la mère, il est
indéniable que dans un premier temps de la cure le transfert fut de type
maternel phallique et tout le travail fait autour de cette problématique l’a
beaucoup aidé à se restaurer narcissiquement. Tout au long du processus de
cette cure, sans entrer trop dans les détails, les différents niveaux de
structuration psychique ont été abordés, à des degrés divers comme dans
toute analyse. L’analyse n’existe pas pour tout régler, elle dévoile le
fonctionnement psychique et permet au patient de se l’approprier en
reconstruisant son histoire au travers de ses fantasmes, d’où cette
« chimère », chère à Michel de M’Uzan, qui rend bien compte de ce travail
et qui peut se décrire à travers un conte auquel les deux partenaires de
l’analyse croient. Dans ce cas, l’analyse a permis à cet homme de se
construire une représentation paternelle dans sa fonction œdipienne et c’est
cela qui a changé sa vie intérieure et son rapport à la réalité.
Défensivement, il s’était construit dans une structure de type phallique
narcissique, au sens de Michel Fain, avec à certains moments des défenses
opératoires qui en début de cure auraient pu faire douter de la bonne
indication d’une analyse. Cependant, au fil des mois, peu à peu une
véritable névrose de transfert s’est mise en place et lui a permis de
retravailler ou de revisiter des éléments de sa névrose infantile et de se
stabiliser psychiquement dans une authentique structure névrotique, de type
obsessionnel. Pour l’illustrer, je citerai une partie de rêve qui montre
l’installation de cette névrose de transfert qui s’est accompagnée d’une
défense par un transfert latéral sur une femme de son entourage : « Il est en
compagnie d’une femme, entouré de monde avec qui il vit de manière
harmonieuse. Il entretient des relations contractuelles avec cette femme.
Elle lui vend des assurances. Il lui signe un contrat alors que ce n’est pas
indispensable mais c’est l’occasion de se voir plus ou moins
régulièrement… »
Le premier mouvement, de « réalité » pour le définir ainsi, a été le
réveil pulsionnel infantile effectué par cette rencontre inouïe avec cette
femme « de la voiture brûlée ». Cet événement a repositionné le sujet face à
sa problématique œdipienne non résolue et l’a donc reconflictualisée
psychiquement.
En dehors des mouvements psychiques propres et communs aussi à
chaque cure-type, ce qui fut essentiellement mutatif est le repérage, à un
moment donné, d’un transfert de type paternel dans lequel le patient
s’adressait à moi avec des dénominatifs masculins tels que son professeur,
son maître, son guide. J’ai pu saisir dans cette période de l’analyse que je
pouvais lui ramener son père comme lui n’avait pu le faire quand sa mère
l’avait supplié et que, par ce mouvement contre-transférentiel, tout pouvait
basculer dans l’analyse. Fantasmatiquement je devenais tout à la fois un
homme, son père, le mari de sa mère, les autres hommes auxquels il avait à
se confronter dans la réalité. Il y avait réactualisation du traumatique mais
cette fois avec la possibilité d’y donner du sens et d’organiser le complexe
de castration avec toute la culpabilité surmoïque de bonne qualité qui
l’accompagne. Il me semble que ce mouvement mutatif a pu se réaliser
parce que parallèlement et de manière préconsciente s’opérait une
érotisation de la relation transférentielle qui ne l’effrayait plus bien qu’il
l’ait maintenue à distance.
La meilleure qualité relationnelle qui s’est installée vis-à-vis des
hommes montre l’intégration réussie d’une homosexualité structurante dans
laquelle la peur d’une position passive était tout à fait atténuée. S’approcher
de trop près des hommes réveillait l’angoisse de castration du petit garçon
curieux et voyeur. La fonction bisexuelle pouvait commencer à enrichir son
fonctionnement psychique.
Je citerai simplement un ou deux moments se situant dans un
mouvement transférentiel mutatif ainsi qu’une de mes interprétations. Notre
« héros », pour continuer de le nommer ainsi, avait imposé à sa fille de ne
pas dormir dans le même lit que son cousin (des adolescents). Cet interdit a
été transgressé avec l’accord de la tante (sa sœur). Il s’est mis en colère et a
expliqué à sa fille à quel point c’était inadmissible. Dans ce mouvement,
installé depuis quelques mois dans un transfert paternel, il peut donc créer
un père absent accompagné d’un fantasme d’identification à celui-ci et
défendre alors la loi paternelle. Ce moment particulier de l’analyse, parmi
bien d’autres, montre comment à partir d’une imago mal construite peut se
construire une imago paternelle solide. Un jour où il m’appelait son
professeur, je lui ai dit : « Oui, moi, votre professeur, un père qui vous dirait
ce qui est permis, ce qui est interdit. Ce père que vous n’avez pas eu pour
vous guider. » Lui : « C’est exactement cela, maintenant je vais vivre avec
moi, d’homme à homme, et cela me rend heureux. » Moi : « Vivre
d’homme à homme avec à l’intérieur de vous une représentation de père. »
Il confirma.
Comment penser cette ultime séquence ? Peut-on parler de pensée
« agie » ? Était-ce une dernière satisfaction infantile de toute-puissance
dans laquelle il réunirait ses parents au-delà de la mort ? Peut-on y voir un
parricide qui entraîne l’interdit d’inceste ? J’opterai pour une pensée
« agie ». Le besoin de matérialiser les pensées par des « agirs » a été à
certains moments de l’analyse une défense contre un transfert trop
important et trop lourd à gérer ; l’envahissement par des fantasmes
nécessitait pour cet homme le besoin de décharger à l’extérieur ce trop de
l’intérieur. La dernière séance était terminée. L’analyse aussi. Le patient a
évoqué la belle image d’un « fil de soie/soi » qui s’est tissé le long de ces
années. Il dit aussi : « Ce que j’aime chez vous, c’est moi et vice versa. »
Je voudrais terminer par une phrase de D. H. Lawrence : « C’est dans la
tension des opposés que tout a son être. » Cet auteur, proche de la
psychanalyse, il faisait des émotions, de la sexualité, la pierre de touche de
la vie et de l’art.
Conclusion

Si le père a renoncé à se parer de la puissance du pater familias et si


l’exercice de sa charge a perdu en solennité, en rigidité aussi ; si, par
ailleurs, il a gagné en proximité et en bienveillance, on peut se demander ce
qu’il reste aujourd’hui de la paternité, ce que signifie encore « être père ».
Dans le couple contemporain, père et mère tendent désormais vers
l’exercice du même mode d’autorité.
S’il est vrai que deux figures de paternité se sont détachées nettement au
cours du dernier siècle, le père « garant de l’autorité » d’abord, le père
« impliqué » ensuite, on a plus de mal aujourd’hui à discerner une figure
qui s’imposerait à l’ensemble des chercheurs et des cliniciens dans ce
domaine. On aurait même plutôt tendance à insister sur la multiplicité des
figures possibles. Disons quand même que le principe de la coparentalité
semble recueillir l’adhésion du plus grand nombre de spécialistes. Pourrait-
on s’avancer au-delà de cette conviction ? Ce n’est pas certain !
Nous constatons la fragilité du monde nouveau dans lequel nous
évoluons actuellement : fragilité de par la menace des pandémies, fragilité
des repères sur lesquels s’appuyer, liens affectifs éphémères, société en
mouvement instable, insécurité individuelle et groupale, etc.
Ce qui tient, ce qui fonde espoir dans la réalité, c’est l’enfant. À le voir
s’inscrire dans la vie, dans le mouvement qui le porte vers l’autre, c’est lui
qui doit nous montrer comment être à la hauteur de ce petit d’homme qui
sait déjà tout intuitivement, émotionnellement avant de savoir parler.
Devenir adulte, c’est bien intégrer sainement l’enfant qui est en soi et qui
sert de guide vers l’égalité et aussi la différence, les écarts de générations.
Tout ce qui relève de la paternité, de la parentalité et de la paternalité
doit s’inspirer et s’organiser autour de la construction psychique de l’enfant.
C’est la seule voie pour que ce dernier ne soit pas objet du désir de l’autre.
C’est bien ce que la psychanalyse a voulu aussi défendre en décryptant tous
ces mécanismes.
Ce travail d’écriture nous a permis de mesurer ce changement de
paradigme radical qui met l’enfant au premier plan et ce dès sa conception.
Cela n’enlève rien à la valeur d’être père ou d’être mère, bien au contraire.
Car le développement du bébé et la conscience de la parentalité vont de
pair. Leurs manifestations constituent des zones intersubjectives dans
lesquelles s’effectuent des expériences de séparation psychique,
d’intégration de la réalité et de l’altérité.
S’il m’est permis de finir sur une note plus personnelle et plus positive,
je suggérerai d’accorder une attention particulière à la figure du père-
dynamiseur. Le modèle de père qui me paraît actuellement le plus
souhaitable c’est celui de l’entraîneur sportif ou artistique : un père à la
fois exigeant et bienveillant, celui qui comme l’écrivait magnifiquement
Albert Camus dans Le Premier Homme « montre la voie et donne à l’enfant
blâme et louange, non selon le pouvoir mais selon l’autorité ». Je reste
persuadé qu’idéalement le père est celui qui encourage l’enfant, qui l’invite
à se dépasser, qui le soutient dans la difficulté, qui le met « en confiance »
et lui permet de progresser. Bref, c’est celui qui, pour l’enfant, fille ou
garçon, se révèle comme un propulseur, ou comme on l’a déjà écrit « un
catalyseur de prise de risques ».
Épilogue

Au terme d’une étude qui se voulait, comme il est de règle, objective et


distanciée, nous nous autoriserons à exprimer un sentiment personnel, à
savoir la cordiale admiration qu’a suscitée en nous la lecture d’un rapport
récemment publié : Les 1 000 Premiers Jours (les premiers jours de la vie
bien sûr). Ce texte de 125 pages est le compte rendu d’une mission
commandée par le président de la République. Il se présente avec la
garantie d’un double patronage : une caution officielle concrétisée par les
préfaces du ministre de la Santé et de son secrétaire d’État ; une caution
scientifique illustrée par les mots d’ouverture de Boris Cyrulnik et de ses
deux adjointes, Alexandra Bénachi, professeure de gynécologie-obstétrique,
Isabelle Filliozat, psychothérapeute.
Ce document mérite à nos yeux d’être pris comme un traité moderne de
parentologie, car il rassemble et totalise les contributions de dix-huit experts
appliqués à rendre compte des dernières avancées de leur discipline :
gynécologues, pédiatres, pédopsychiatres, psychologues du développement,
psychologues cliniciens, psychanalystes. On peut se réjouir de voir
mobilisés ceux et celles qui œuvrent jour après jour auprès des enfants pour
les protéger, les soigner en cas de besoin, les accompagner dans leur
trajectoire de vie et les aider à se réaliser au mieux. Le nombre de parents
qui liront ce répertoire d’informations et de propositions sera probablement
assez limité et ceux qui le consulteront ne seront pas nécessairement à
même de tout comprendre et de tout mettre en application mais le message
qui va se diffuser jusqu’aux praticiens de terrain, et, par voie de
conséquence, jusqu’aux acteurs destinataires, vaut d’être entendu. C’est un
message fort, clair, bien documenté et suffisamment pragmatique. On ne
peut que féliciter et remercier les dix-huit membres de la Commission, qu’il
s’agisse de chercheurs, de cliniciens ou de professionnels de l’action
sanitaire et sociale.
Parmi les recommandations listées dans le rapport, il en est une qui
rejoint directement l’un des axes majeurs de notre ouvrage : pour grandir
dans les meilleures conditions possible, l’enfant a besoin de ses deux
parents : sa mère et son père (ou, très rarement, sa mère ou son père uni(e) à
un second parent). On comprendra facilement que nous nous réjouissons de
la mise en application de l’allongement du congé de paternité : celui-ci
passera de 14 jours à 28 jours (dont 7 obligatoires). Cette durée est moindre
que celle en vigueur dans certains pays européens comme la Finlande
(7 mois), la Norvège (15 à 19 semaines pour la mère, 15 à 19 semaines pour
le père, 16 à 18 semaines à partager). Elle est moindre aussi que celle que
préconisait la Commission (9 semaines), mais c’est la marque d’une
véritable prise de conscience et la promesse d’un progrès social
considérable. On ne s’étonnera pas du fait que ces nouvelles dispositions
aient été adoptées à la quasi-unanimité par la Chambre des députés d’abord,
par le Sénat ensuite. Il y a là l’indice d’une très forte adhésion de nos
parlementaires à une réforme qui s’imposait.
Les pères français ne vont pas être transfigurés comme par magie, mais
ils auront au moins la possibilité de mieux faire connaissance et d’interagir
davantage avec leur bébé, de soulager leur compagne et surtout de
s’engager plus sensiblement dans le coparentage et la coparentalité.
Autant de paliers à gravir pour s’approcher de l’égalité des sexes ! Nous
faisons partie depuis une trentaine d’années de ceux et de celles qui
attendaient de telles réformes et les propositions contenues dans le rapport
Les 1 000 Premiers Jours viennent justifier ces espoirs. La route est ouverte
désormais pour l’accomplissement d’une paternité plus riche et plus
authentique.
Annexe à « Si mon père m’était conté »

Remarques concernant la « pensée agie »


dans le traitement d'un conflit névrotique
Dans la pensée « agie », il y a pensée et acte. Bien évidemment le sens
caché ne manque pas à la mise en acte, qui a certainement une fonction de
décharge et de comportement adressé au psychanalyste. Certains auteurs
évoquent le terme de « représentation motrice ». Lacan disait que la cure est
une mise en acte de l’Inconscient. Il semblerait que ce soient les parties les
moins élaborées du psychisme qui seraient « agies » dans le cadre
analytique. Donc nous ressentons toujours une certaine ambiguïté vis-à-vis
de l’acte quel qu’il soit et parfois l’analyste le vit comme une véritable
transgression.
Dans Totem et tabou, Freud énonce qu’« au commencement était
l’acte ». Et que, par ailleurs, « nul ne peut être tué in absentia ou in
effigie ». Que dire alors de cette pensée agie ?
Dans un petit chapitre sur les fondements des images parentales de son
livre Propédeutique, André Green évoque que, outre la prohibition de
l’inceste, le complexe d’Œdipe a une face complémentaire. Il fait référence
d’un point de vue anthropologique à la célébration du père mort dans le
rituel funéraire. Je le cite : « Le rituel funéraire rétablit les liens avec le
disparu, liens que la mort a abolis et que la mémoire célèbre. » Ce rituel
aurait économiquement un effet d’apaisement comparable à un processus de
pensée. Par ailleurs, ce rituel permet que l’absence devienne une « absence
consacrée ». Ce rituel, mis en acte, André Green le lie à « l’identification
primordiale au père, évocatrice d’un principe de parenté, qui agit
comparablement à l’inhibition du but à l’égard de la mère ». Il pense qu’à
cette identification primordiale suit, lors de la phase œdipienne,
l’identification secondaire qui elle se rapporte au père de la castration. Je le
cite : « Le déclin du complexe d’Œdipe conférera alors le principe de
parenté, par transfert à l’Idéal du moi selon les voies de la sublimation,
faisant sombrer l’image du père de la castration dans l’oubli du
refoulement… » Et plus loin : « Vocation génitale et vocation parentale se
rejoignent à l’âge adulte, si l’intensité du conflit n’a pas démantelé toute
cette organisation. »
Pour conclure, le père est bien une référence projective de
l’agrandissement du sujet qui lui permet de « visionner » l’avenir. Il me
semble qu’à travers ce rituel funéraire le patient a pu réactualiser toute la
charge affective liée à ce père afin de la restituer dans sa vie subjective et
lui permettre effectivement de s’approprier cette fonction
d’« agrandissement du sujet ».
Bibliographie

Monique Eizenberg
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Winnicott D., L’Enfant et sa famille, Paris, Payot, 1975.
SOMMAIRE
Avertissement

Introduction

PARTIE I - L'opposition des rôles parentaux : prestige et déclin du modèle classique (1950-1975)
CHAPITRE 1 - Les pratiques traditionnelles des mères et des pères

CHAPITRE 2 - Les apports décisifs des sciences de la psyché à la parentalité

Donner une place au père

Le père vu par la psychanalyse

PARTIE II - L'entrée en scène des pères précoces, directs et chaleureux : un électrochoc


CHAPITRE 3 - Pères précoces, pères présents

Les principaux facteurs du changement

CHAPITRE 4 - La distinction mère-père et la différenciation des pères, deux concepts innovants


(1975-fin du xxe siècle)

La distinction mère-père

Différents pères, différents rôles


L'apport de la psychanalyse à la psychologie de l'enfant

PARTIE III - Les besoins de l'enfant au cœur de la parentalité


CHAPITRE 5 - Les nouvelles configurations familiales

L'égalité des sexes en devenir

Les relations de couple

La recomposition familiale
CHAPITRE 6 - Du côté des besoins fondamentaux de l'enfant

Quelles réponses apporter à ces besoins ?

Le besoin d'amour

Le besoin d'autorité

Le besoin de repères sexués


CHAPITRE 7 - Pour une authentique parentalité

L'intérêt porté au développement de l'enfant, ciment du couple

Chaque parent porte en soi une part de père et de mère

Les nouvelles formes de parentalité

CHAPITRE 8 - Si le père m'était conté

Retrouver le père par l'analyse

Conclusion

Épilogue

Annexe à « Si mon père m'était conté »

Remarques concernant la « pensée agie » dans le traitement d'un conflit névrotique

Bibliographie

Ouvrages de Jean Le Camus chez Odile Jacob


OUVRAGES DE JEAN LE CAMUS
CHEZ ODILE JACOB

Le Père et l’Enfant. À l’épreuve de la séparation (avec Michèle Laborde), 2009.


Comment être père aujourd’hui, 2005.
Le Vrai Rôle du père, 2000.
Ouvrage proposé par Boris Cyrulnik
www.odilejacob.fr

Suivez nous sur :


1. J. Le Camus, Le Père éducateur du jeune enfant, Paris, PUF, 1999.
1. H. Wallon, « Les étapes de la sociabilité chez l’enfant », L’École libérée, 1952, réédité in
Enfance, 1959, 3-4, p. 309-323.
2. H. Wallon, « Les milieux, les groupes et la psychogenèse de l’enfant », Les Cahiers
internationaux de sociologie, 1954, 16, p. 2-13.
3. M. Porot, L’Enfant et les Relations familiales, Paris, PUF, 1954.
4. G. Heuyer, Introduction à la psychiatrie de l’enfant, Paris, PUF, 1952.
5. M. Porot, L’Enfant et les Relations familiales, op. cit.
6. J.-M. Sutter, H. Luccioni, « Le syndrome de la carence d’autorité », Annales médico-
psychologiques, 1957, 115-I, p. 897-901.
7. T. B. Brazelton, B. Cramer, Les Premiers Liens, Paris, Le Livre de poche, 1997.
8. S. Freud, Au-delà du principe de plaisir, Paris, Payot, 2010.
9. S. Freud, Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 2014.
10. S. Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Payot, 2014.
11. S. Freud, Abrégé de psychanalyse, Paris, PUF, 2001.
12. A. Freud, Le Moi et les Mécanismes de défense, Paris, PUF, 1990.
13. J. Le Camus, Le Père éducateur du jeune enfant, Paris, PUF, 1999.
14. D. Winnicott, L’Enfant et sa famille, Paris, Payot, 1975.
15. S. Lebovici, S. Stoléru, Le Nourrisson, sa mère et le psychanalyste. Interactions précoces,
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17. J. Bowlby, Soins maternels et santé mentale, OMS, 1954.
18. S. Lebovici, S. Stoléru, Le Nourrisson, sa mère et le psychanalyste, op. cit.
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Incidence de la stratégie éducative et des différents modes d’interaction de tutelle sur les
compétences cognitives de l’enfant de 3 ans, thèse de doctorat nouveau régime, université
Toulouse-Le Mirail, 1995.
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11. F. Dolto, La Cause des enfants, Paris, Robert Laffont, 1985.
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13. S. Freud, Cinq leçons de la psychanalyse, Paris, PUF, 2014.
1. Le Monde, 3 avril 2021.
1. S. Faure-Pragier, G. Pragier, « Complétude des fantasmes originaires », Revue française de
psychanalyse, 1991, 55 (5), p. 1177-1183.

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