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Mémoire de recherche
La transmission transgénérationnelle du
traumatisme chez les exilés.
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Remerciements
Je désire aussi remercier les psychologues qui ont participé à cette recherche, pour avoir
répondu à mes questions et pour m’avoir consacré ces temps précieux.
Ces remerciements ne seraient pas complets sans une attention personnelle pour mes
camarades de promotion et amis, Giulia, Mélina, Pierre-André qui ont su me soutenir tout au
long de cette année.
Mes sincères remerciements à Hugo, pour ses conseils, sa relecture et ses encouragements.
Enfin, je tiens à témoigner toute ma reconnaissance à mes parents, pour leurs relectures ainsi
que leur soutien moral et économique, qui m’a permis de réaliser ces études et donc ce
mémoire.
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Sommaire :
Introduction : ...........................................................................................................................................5
1) Le traumatisme et sa transmission chez les exilés ..............................................................................6
1.1 Le traumatisme et ses différentes conceptions ............................................................................6
1.2 La population des exilés .................................................................................................................7
1.3 Transmission transgénérationnelle et intergénérationnelle .........................................................8
1.4 Les mécanismes de transmission transgénérationnelle ................................................................9
Le style de communication ............................................................................................................10
L’impact des symptômes sur les capacités de parentalité ............................................................11
Le rôle de la génétique ..................................................................................................................12
Les répercussions de la migration .................................................................................................12
2) Problématique et hypothèse de la recherche : .................................................................................14
3) Méthodologie. ...................................................................................................................................15
4) Résultats ............................................................................................................................................16
Le traumatisme ..................................................................................................................................17
La transmission transgénérationnelle du traumatisme chez les exilés .............................................18
Les spécificités du traumatisme lié au parcours migratoire ..........................................................21
L’impact des conditions d’accueil dans le pays d’arrivé. ...............................................................22
L’impact des symptômes parentaux ..............................................................................................24
5) Discussion ..........................................................................................................................................25
Le traumatisme chez les exilés ..........................................................................................................25
La transmission transgénérationnelle du TSPT .................................................................................25
Les mécanismes de transmission transgénérationnelle ....................................................................26
Conclusion : ............................................................................................................................................31
Bibliographie : ........................................................................................................................................32
Annexes :............................................................................................................................................13
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Résumé : Les recherches ont démontré que le traumatisme d’un parent pouvait impacter les
générations suivantes, ses enfants et/ou ses petits-enfants. L’objectif de notre travail, est
d’étudier les mécanismes de transmission transgénérationnelle du traumatisme chez les
exilés. Effectivement, notre population cible est celle des exilés, car en raison de leurs
parcours migratoires ils sont très fréquemment exposés à des événements potentiellement
traumatiques. Nous avons commencé par définir ce qu’on entend par traumatisme, par exilés,
puis nous avons étudié les mécanismes de transmission. Ces recherches nous ont permis
d’émettre plusieurs hypothèses sur les mécanismes de transmission, à savoir le style de
communication, l’impact des symptômes parentaux et les conditions de vie dans le pays
d’accueil. Afin de voir si nos hypothèses étaient cohérentes, nous avons mené des entretiens
semi-directifs avec des psychologues travaillant auprès des exilés. Les résultats que nous
avons obtenus via une analyse qualitative vont dans le sens de nos hypothèses.
Abstract : Research has shown that the trauma of a parent can impact the following
generations, their children and/or grandchildren. The objective of our work is to study the
mechanisms of transgenerational transmission of trauma among exiles. Indeed, our target
population is exiles, because due to their migratory paths they are frequently exposed to
potentially traumatic events. We began by defining what is meant by trauma, by exiles, and
then we studied the transmission mechanisms. This research allowed us to put forward several
hypotheses on the mechanisms of transmission, namely the communication style, the impact
of parental symptoms and the living conditions in the host country. In order to see if our
hypotheses were consistent, we conducted semi-structured interviews with psychologists
working with exiles. The results we obtained through qualitative analysis are consistent with
our hypotheses.
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Introduction :
“ Sur les neuf millions de Juifs qui vivaient en Europe avant le début du conflit, plus de cinq
millions ont été exterminés. Cinquante ans plus tard, ces vécus d’anéantissement psychique
restent ancrés en eux, de manière extrêmement vive, comme des souvenirs traumatiques […].
Presque tous ont fondé, ou refondé une famille. Ils ont eu des enfants. Ces derniers, bien que
nés après la guerre et n’ayant pas connu les frayeurs du passé, souffrent aujourd’hui
d’angoisses qu’ils relient aux angoisses de leurs parents. Ils ne comprennent pas ce qui les fait
souffrir, n’ayant jamais eux-mêmes été confrontés au traumatisme de la persécution. Pourtant,
ils ont des craintes et des réactions qui s’assimilent à de réels vécus traumatiques. Comment
se constituent de telles souffrances ? Pourquoi se transmettent-elles ?” (Zadje, 2005, p. 33)
Le traumatisme psychique suscite l’intérêt des chercheurs depuis des années, il a donc fait
l’objet de nombreuses études (Croq, 2014; Womersley & Kloetzer, 2018, Dozio et Kedia 2018;
Pestre 2019). Il en existe bien des définitions, de névrose traumatique (Oppenheim 1888, cité
par Croq 2014) à trouble de stress-post traumatique (American Psychiatric Association et al.,
2015) l’appellation de cette pathologie ne fait pas consensus. Toutefois, il y a un fait
incontestable, le traumatisme laisse des traces, et a un impact sur la vie psychique de l’individu.
Depuis quelques années, les chercheurs ont commencé à se demander si ce traumatisme pouvait
également impacter les générations suivantes, les enfants et petits-enfants des victimes
(Tisseron et al., 2012; Roose-Beauprez & Danis, 2019; Solomon & Zerach, 2020). Ces
recherches se sont particulièrement développées après la seconde guerre mondiale quand on a
commencé à s’intéresser à la santé mentale des enfants de survivants de la Shoah (Zajde, 2005,
; Mathier, 2006). Grace à ces différents travaux, force a été de constater que des enfants non
exposés directement à des événements traumatiques présentent pourtant des signes de
traumatismes. Cette découverte a permis d’étendre ce champ d’étude à d’autres types de
traumatismes et de population et notamment aux traumatismes liés aux parcours migratoires
(Kelstrup & Carlsson, 2022; Dalgaard et al., 2015). Nous nous intéressons donc ici aux exilés
en raison du parcours d’exil souvent jonchés d’évènements potentiellement traumatiques,
qu’ils ont à surmonter. Si nous avons choisi de nous intéresser à ce type de traumatisme plutôt
qu’au traumatisme physique par exemple, c’est car le traumatisme psychique n’impacte pas
seulement l’individu touché, mais peut aussi avoir des répercussions sur sa descendance. C’est
l’aspect encore méconnu et mystérieux de la transmission de la mémoire traumatique qui nous
a donné envie d’en savoir plus. Les théories sur les mécanismes de transmissions sont multiples
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(Almqvist & Broberg, 2003; Feldman, 2020; Kelstrup & Carlsson, 2022), mais les études sont
encore en cours et les avancées de la science permettent aujourd’hui de penser également une
influence des facteurs épigénétiques (Zammatteo & Botman, 2019). En étudiant à notre tour la
transmission du traumatisme psychique, nous nous inscrivons dans un champ de recherche
encore en développement, et en nous intéressant à la population des exilés, ce sujet devient
d’autant plus novateur et passionnant.
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Nous avons donc choisi le terme exilé pour englober, réfugiés, demandeurs d’asile, sans
papiers… en soit toute personne qui a dû quitter son pays contre son gré. Le terme exilé est
également revendiqué par de nombreuses associations de défenses des droits des exilés, car le
terme migrant est source de nombreuses polémiques et il est déshumanisant. D’après Pestre
(2019), on comptait 42 millions de réfugiés et de demandeurs d’asile à travers le monde, c’est-
à-dire des exilés en quête de refuge.
Selon les données du Centre Primo Levi, (la plus importante structure en France
spécifiquement dédiée au soin des victimes de la torture et de la violence politique réfugiées),
parmi les personnes exilées diagnostiquées avec un trouble psychique grave, 60% sont atteintes
de syndrome psycho traumatique (en particulier les femmes et les jeunes adultes entre 20 et 25
ans). Après ces quelques définitions, nous allons maintenant nous concentrer sur la
transmission de ces traumatismes chez les exilés.
Le transgénérationnel est un concept de plus en plus répandu qui est lié à la transmission,
l’héritage, qui suscite donc l’intérêt des recherches théoriques, mais qui pose aussi question
dans la pratique clinique. Le générationnel renverrait ainsi « à la transmission-transformation,
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à des degrés infiniment variables, des matériaux psychiques, entre les sujets des générations
successives » (Carel, 1997, cité par Roose-Beauprez & Danis, 2019). Nous interrogeons donc
ce qui se transmet telle une empreinte entre les différentes générations. Transmission et
transgénérationnel ont en commun le préfixe « trans », du latin « transitio » signifiant « aller
au-delà, passer d’un endroit à un autre ». On peut également le rapprocher du latin « transire »
« transe ». Ainsi, cela nous aide à comprendre le principe de mouvement, de traversée mais
également la notion d’inquiétude, d’étrangeté via le mot « transe » « être en trance »
Le style de communication
Les styles de communication au sujet des événements traumatiques au sein de la famille
peuvent être définis comme la façon dont les parents parlent à leurs enfants de leurs expériences
traumatisantes passées et comment ils interprètent leurs symptômes actuels de SSPT. C’est
donc la manière dont les parents vont parler du parcours migratoire traumatique à leurs enfants
et à leurs petits-enfants. C’est-à-dire s’ils vont communiquer librement sur ce sujet, s’ils ne
vont rien en dire et garder le secret, si l’enfant va entendre des conversations à ce sujet sans
qu’il ne soit intégré à cette conversation… Historiquement, la question de savoir comment les
parents devraient communiquer des histoires traumatisantes à leurs enfants découle de la
recherche sur les survivants de la Shoah et leurs descendants (Dalgaard et al., 2015).
Effectivement, la façon dont l’enfant va entendre parler ou non de ces traumatismes va avoir
un impact important sur son psychisme.
Un phénomène connu sous le nom de « conspiration du silence » est identifié comme un facteur
de risque central (Dalgaard et al., 2015). Ce concept trouve sa source au sein de la théorie
psychodynamique postulant que le traumatisme se transmettrait d’une génération à l’autre via
des émotions déplacées de manière inconsciente. Le postulat clé est que le traumatisme passe
de l’inconscient des parents à l’inconscient de l’enfant s’il n’est pas verbalisé. Ce style de
communication est répandu sous le nom de Silence. Le silence peut être adopté consciemment
comme une façon de protéger son enfant, ou il peut refléter le fait que les parents ne parlent
jamais à personne de ces questions (Dalgaard et al., 2015). Ces parcours traumatiques, transmis
à l’insu de façon « silencée » peuvent devenir émotionnellement bruyants et être criées par la
descendance (Cherki, 2006 cité par Feldman, 2020). Dans cette optique transgénérationnelle,
Abraham et Torok (1978) ont mis en lumière les répercussions sur les descendants des silences
et des deuils non accomplis. Ils identifient les mécanismes de transmission d’un trauma de
parents à enfants en montrant que si l’élaboration psychique d’un traumatisme n’est pas réalisée
par une génération, il en découle un clivage chez le sujet du fait d’un événement « indicible ».
La génération qui suit doit alors faire avec le clivage partiel de la génération précédente en
mettant en place un nouveau clivage et devient ainsi porteuse d’un « fantôme ». L’événement
devient alors « innommable », il ne peut faire l’objet d’aucune représentation verbale, le
contenu du secret est ignoré, seule son existence est pressentie. À la troisième génération,
l’événement devient « impensable », et l’existence même du secret est ignorée. (cité par
Feldman, 2020).
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Concernant les autres styles de communication, on a la communication ouverte (tout peut se
dire et les parents répondent aux questions des enfants), le discours non filtré (incongruité entre
l’histoire vécue et l’histoire racontée, différences entre ce que les parents pensent que l’enfant
sait et ce que l’enfant sait réellement) et la divulgation modulée. Ce dernier terme est focalisé
sur le moment et la manière dont la divulgation a lieu plutôt que sur le contenu exact de ce qui
est divulgué. Cette divulgation varie selon la sensibilité des parents aux besoins émotionnels
de l’enfant, et ce style semble être le plus adapté. Dans une étude qualitative portant sur 15
familles de réfugiés, il a été conclu que la divulgation modulée parentale des traumatismes de
guerre était positivement associée à la capacité de l’enfant à jouer de manière créative
(Measham et Rousseau, 2010, cité par Dalgaard et al., 2015). Le style de communication choisi
influence donc de manière importante sur la transmission du traumatisme entre les générations
d’exilés. La divulgation modulée est bien plus souhaitable que le discours non filtré car s’il y
a un manque de congruence entre l’histoire vécue et l’histoire racontée, les enfants n’ont plus
que leurs imaginations pour attribuer un sens aux événements qu’ils vivent au sein de leurs
familles y compris les symptômes post-traumatiques parentaux.
Par ailleurs, la psychopathologie des parents est un facteur de risque connu depuis longtemps,
effectivement, la psychopathologie parentale a été associée à des résultats négatifs chez les
enfants tels que la psychopathologie infantile (Berg-Nielsen et al,. 2002, cité par Dalgaard et
al., 2015). Les séquelles des enfants liées aux symptômes parentaux du SSPT sont multiples et
comprennent la dépression, les problèmes de comportement, les altérations biologiques et
même des symptômes de stress post-traumatique élevés lorsque les enfants n’ont pas été
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exposés eux-mêmes (Leen-Feldner et al., 2013, cité par Kelstrup et al,. 2022). En outre, d’après
Mathier (2006), certaines attitudes parentales sont retrouvées chez les parents survivants, une
surprotection, de la méfiance et de l’insécurité. Tout cela est ressentie par l’enfant et de surcroit,
le besoin de « bonheur » et d’unité familiale parfaite du parent survivant empêche l’enfant de
se plaindre ou d’exprimer un quelconque mal-être. L’enfant imagine qu’il doit être parfait, car
il idéalise son parent survivant, ce qui peut générer une mauvaise estime de lui-même et une
forte anxiété.
Le rôle de la génétique
Les chercheurs se focalisent aujourd’hui de plus en plus sur le rôle de l’épigénétique dans la
transmission transgénérationnel, ce qui accentue donc son caractère inconscient. Le
traumatisme ne toucherait pas l’ADN, mais son « expression ». Un traumatisme pourrait donc
se transmettre des parents aux enfants par la voie biologique. Une expérience de Dias & Ressler
(2014 ), suggérerait cette hypothèse. Les chercheurs ont conditionné des souris à avoir peur
d’une odeur à laquelle un léger choc électrique était associé. Ils ont utilisé le sperme de ces
souris mâles pour féconder des femelles éloignées, afin d’éviter tout contact entre les mâles
effrayés et leur descendance. Ils constatent que les descendants sursautaient eux aussi si on les
exposait à une odeur similaire. Ils ont donc postulé que des changements épigénétiques se
seraient produits chez les parents et auraient été transmis aux enfants, et même aux petits-
enfants. Ils le formulent ainsi « Nos constatations fournissent un cadre pour examiner comment
l’information environnementale peut être héritée de manière transgénérationnelle aux niveaux
comportementaux, neuro-anatomique et épigénétique » (cité par de Bucquois, 2019). Nader
Perroud et al. ont réalisé une étude chez des femmes enceintes ayant été exposées au génocide
des Tutsi au Rwanda. La transmission du trauma à la descendance était associée à la
transmission d’altérations biologiques de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS).
Les mères exposées au génocide ainsi que leurs enfants présentaient des taux de cortisol
inférieurs à ceux des mères non exposées et leurs enfants. Ceci laisse entrevoir la manière dont
un psycho traumatisme sévère peut avoir des effets transgénérationnels. En s'appuyant sur les
nouvelles découvertes épigénétiques, ces observations suggèrent que la transmission
transgénérationnelle de la personnalité et de la biologie peut fonctionner en parallèle pour
prédisposer les enfants nés après le traumatisme à un traumatisme secondaire.
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des risques d’exposition à des événements traumatiques, qu’ils soient dans le pays d’origine,
pendant le trajet ou dans le pays d’accueil (Hebebrand et al., 2016, cité par Delporte, 2020).
Nous nous focalisons ici sur l’impact des conditions d’accueil sur le psychisme des exilés.
D’après Nathan et Moro « la migration, en tant qu’expérience subjective, ne peut se réduire au
simple passage d’une frontière géographique à une autre » (1989). La migration entraîne un
déracinement, des pertes réelles et symboliques qui impactent les capacités de liaison. L’exilé
est bousculé dans la relation avec ses signifiants fondamentaux, dans son rapport au groupe et
à la société et dans sa manière d’interpréter l’environnement extérieur. Effectivement, « migrer
» exige « des réaménagements psychiques et des remaniements identitaires profonds et risquent
de mettre en péril l’intégrité même du sujet » (Thibaudeau, 2006, cité par Delporte 2020). Ces
individus sont ôtés de leur environnement social et relationnel, qui faisait fonction d’enveloppe
contenante et protectrice. La question du traumatisme chez les exilés fait naître des
interrogations paradoxales : « se souvenir ou oublier [...] favoriser ou non la levée du
refoulement niché derrière des « écrans » protecteurs ; traverser la douleur de la mémoire
traumatique pour parvenir à la métaboliser et à élaborer une défense plus solide contre ses
résurgences, voire s’appuyer sur elle pour la transcender, ou renoncer et trouver refuge derrière
des remparts... » (Corcos, 2020, p. 23, cité par Delporte 2020). Pour traiter le traumatisme, « Il
s’agit alors de pouvoir réinscrire le sujet dans une temporalité en lui offrant un espace dans
lequel il pourra être à même d’articuler les souffrances passées, le présent marqué par l’ombre
du trou du trauma et le futur, de fait, toujours incertain » (Saguin, 2020, p. 37 cité par Delporte,
2020). Effectivement, la question de la temporalité est cruciale dans la prise en charge des
exilés. Toutefois, la violence institutionnelle, engendrée par le paradoxe de l’accueil entre
protection et insécurité (Gaultier, 2014, cité par Delporte 2020) provoque un sentiment
d’insécurité interne, déjà fortement abrasé empêchant le travail thérapeutique (Woestelandt et
al., 2018, cité par Delporte 2020). Premièrement, les entretiens sous forme d’interrogatoire sont
le lieu où les exilés doivent énoncer leurs récits de vie, de manière détaillée et cohérente. Leur
histoire est parsemée d’évènements traumatiques pour lesquels la majorité n’en n’ont jamais
rien dit. « Ce processus lent et douloureux a évidemment des conséquences parfois lourdes sur
l’expression des symptômes, leur renforcement, et va à l’encontre du processus même
d’élaboration du trauma » (Watters et Ingleby, 2004, cité par Delporte 2020) . Nous l’avons
vu, les traumatismes non élaborés sont davantage susceptibles de se transmettre aux enfants,
ainsi, le non-respect de la temporalité du trauma induit par le processus administratif peut avoir
des répercussions dramatiques. Ils seront ensuite confrontés au racisme et à la discrimination,
à la difficulté d’accès aux soins et à l’insertion socioprofessionnelle « Aux difficultés de la
migration viendrait s’ajouter une hostilité en provenance de la société d’accueil, signifiant
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clairement que la présence des étrangers est plus tolérée qu’acceptée » (Goguikian Ratcliff,
2012, cité par Delporte 2020). L’idéalisation laisse place à la désillusion et à la déception. “Les
difficultés sociales ne sont pas traumatiques en elles-mêmes, mais ce qui l’est davantage pour
peu qu’on ait déjà une certaine vulnérabilité, c’est le réveil brutal, le décalage entre les attentes,
les espoirs d’une vie meilleure et la réalité rencontrée à l’arrivée, la découverte des barrières à
franchir pour y parvenir » (Ibid, 2012, cité par Delporte 2020). La précarité, les conditions de
logements et la crainte d’être débouté viennent rajouter de la vulnérabilité et empêcher l’exilé
d’être suffisamment disponible psychiquement pour élaborer le trauma.
Les travaux antérieurs (Zajde, 2005; Mathier, 2006; Tisseron et al., 2012; Roose-Beauprez &
Danis, 2019; Solomon & Zerach, 2020) ont montré que la transmission transgénérationnelle du
traumatisme n’était plus inconcevable, même sans avoir vécu l’évènement traumatique on peut
hériter de celui de nos ancêtres. Notre objectif ici, est donc d’étudier comment le fait d’être
élevé par des parents exilés qui sont atteints de TSPT, impacte-t-il les descendants sans
antécédents d’exposition à un traumatisme ? La transmission transgénérationnelle a commencé
à faire l’objet de recherches à la suite du génocide arménien, de la Shoah, et on s’intéresse de
plus en plus aux victimes d’autres formes de traumatismes, notamment les traumatismes liés
aux parcours migratoires.
Notre souhait est donc d’identifier les mécanismes potentiels par lesquels pourraient se
transmettre le traumatisme des parents exilés aux enfants exilés. Nos hypothèses s’inspirent
des recherches ultérieures antérieurs (Dalgaard et al., 2015; Kelstrup & Carlsson, 2022) et de
nos réflexions.
L’hypothèse de base est la suivante ; on peut retrouver des signes de traumatisme chez les
enfants d’exilés alors qu’ils n’ont pas été directement exposés au traumatisme. Il y a un fort
consensus des chercheurs à ce sujet (Tisseron et al., 2012; Roose-Beauprez & Danis, 2019;
Solomon & Zerach, 2020), la transmission transgénérationnelle n’est plus à prouver, nous
chercherons donc simplement à apporter des éléments allants dans le sens de cette première
hypothèse afin de pouvoir approfondir sur les mécanismes.
Ensuite, nous postulons que la manière dont les parents parlent ou ne parlent pas des
évènements traumatiques vécus lors du parcours migratoires à un impact sur la présence de
traumatisme chez les enfants d’exilés. En effet, plusieurs recherches (Dalgaard et al., 2015;
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Ancelin Schützenberger, 2004) se sont intéressées à l’impact du style de communication, nous
allons donc confronter ces résultats à nos observations.
Puis, nous poserons l’hypothèse que les symptômes de traumatisme parentaux, jouent un rôle
sur la santé mentale des enfants, et plus précisément sur la transmission du traumatisme
Enfin, nous pensons que les conditions de vie des exilés sur le territoire d’accueil jouent sur la
transmission de ce traumatisme, peu d’études portent sur ce sujet, nous chercherons donc à
mettre à l’épreuve cette nouvelle hypothèse. Pour apporter des éléments de réponses à nos
hypothèses, nous avons mené une recherche dont nous allons présenter la méthodologie.
3) Méthodologie.
Initialement, nous souhaitions mettre nos hypothèses à l’épreuve en menant des entretiens avec
des enfants ou des petits-enfants d’exilés atteints de trouble de stress post traumatiques.
Toutefois, après réflexion, nous nous sommes rendu compte que ce sujet était particulièrement
sensible, interroger des personnes sur leurs symptômes, le parcours d’exil des parents, expose
à des risques de résurgence du traumatisme, de reviviscence, ce qui peut être délétère pour la
santé mentale des personnes interrogées. Dans le cadre de mon stage dans un centre d’accueil
de demandeurs d’asile, j’avais accès à cette population, toutefois, il n’y avait pas de
psychologue présent pour échanger après ces entretiens, je n’ai donc pas voulu prendre ce
risque. Nous avons donc décidé de réaliser des entretiens de type semi-directif avec des
professionnels de la santé mentale travaillant auprès des exilés. Effectivement, nous avons
décidé de garder cette problématique qui nous tient à cœur en l’abordant sous un autre angle,
celle des professionnels de la santé mentale. Par conséquent, nous ne pourrons pas répondre de
manière directe à nos hypothèses, mais nous pourrons apporter des éléments de réponses allant
dans le sens ou non de nos hypothèses.
Nous allons préciser maintenant comment nous avons choisi les professionnels, quelle
procédure avons-nous suivie et avec quels outils avons-nous travaillés.
Participants :
Nos critères d’inclusion étaient les suivants : les professionnels devaient être des psychologues,
l’orientation théorique n’avait pas d’importance, et ils devaient exercer (ou avoir exercé) auprès
des exilés.
Nous avons cherché des associations spécialisées dans la santé mentale des exilés, puis nous
les avons contactés, nous avons également utilisé le réseau social LinkedIn, et nos contacts
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issus de notre stage dans un centre d’accueil de demandeurs d’asile. Nous avons pu réaliser
cinq entretiens, avec 5 psychologues exerçant en France ou à l’étranger.
Nous avons informé les psychologues que l’entretien durerait entre 30 minutes et 1 heure. Cet
entretien s’est réalisé en visioconférence pour quatre professionnelles et le cinquième a eu lieu
en face-à-face. Ces entretiens étaient enregistrés, après avoir eu le consentement de
l’interviewé à l’oral et via un formulaire de consentement, dans le but de respecter l’éthique et
la déontologie nécessaire à tout travail de recherche. L’entretien semi-directif a été en amont
préparé à l’aide d’un guide d’entretien composé de quatre thématiques (cf Annexe 1). Lors
d’échanges de ce type, une grande part est laissée à la spontanéité dans les échanges, et à la
réactivité de l’investigateur, toutes les questions ne sont donc pas forcément abordées. Afin de
vérifier si notre guide d’entretien était pertinent, nous avons réalisé un pré-test lors de notre
premier échange avec une psychologue. Ce premier entretien ne sera donc pas analysé par la
suite. A l’issue de ce pré-test, nous avons validé nos quatre thématiques qui sont :
Toutes ces thématiques comportées plusieurs questions qui ont étaient posés ou non, selon la
réponse de l’interlocuteur. Les entretiens ont été retranscrits afin de faire état des échanges qui
ont eu lieu, et d’exploiter les réponses données. Afin d’analyser les données recueillies, nous
avons choisi de faire une analyse de contenu par thématique. Cette méthode nous a paru être la
plus pertinente car d’après Mucchielli (2006, p24) « l'analyse de contenu se veut une méthode
capable d’effectuer l’exploitation totale et objective des données informationnelles. » Cette
méthode d’analyse, ainsi que la population que nous avons choisi d’interroger ne nous
permettra pas de prouver nos hypothèses, mais nous pourrons quand même tester leurs
cohérences au travers de nos résultats.
4) Résultats
Analyses qualitatives :
Ces entretiens furent riches d’apprentissages, et les psychologues ayant tous des orientations
théoriques et des pratiques différentes cela a permis d’avoir des réponses variées et d’explorer
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les multiples thématiques citées plus haut. Grace à cette analyse des résultats, nous pourrons,
dans la partie discussion, voir s’ils vont ou non dans le sens de nos hypothèses.
Nous allons donc analyser quatre entretiens, le cinquième étant le pré-test de la grille
d’entretien. Pour réaliser l’analyse de contenu par thématique nous allons reprendre les
thématiques définis dans notre grille d’entretien, afin d’étudier la question du traumatisme et
de ces mécanismes de transmission chez les personnes exilées. Les différents psychologues
seront appelés P1, P2, P3 et P4.
Le traumatisme
Premièrement, afin de vérifier si les exilés sont particulièrement enclins à développer des
traumatismes, notre première thématique est celle du traumatisme en général et, de ses
symptômes.
Sur nos 4 entretiens, les 4 professionnels ont effectivement à faire à une population porteuse
d’état de stress-post-traumatique, de psycho traumatisme ou de troubles de stress post-
traumatique, les termes varient selon l’orientation théorique de nos interviewés.
P1 : “j’ai presque envie de dire même uniquement, car c’est bien le projet de santé, c’est pour
les victimes de persécution et de tortures et en tout cas des personnes qui sont après dans des
parcours d’exil donc oui, oui bien sur”
P2 : “Alors ehh oui. Même si, même si, tous les migrants n’ont pas forcément de syndrome
traumatique comme on appelle ça. Ehh, il y en a quand même beaucoup, et de plus en plus,
moi je dirai au cours de ces dernières dizaines d’années.”
P3 “Oh Oui, c’est même la grande majorité, je dirais facilement 90 % étant donné que nous
travaillons avec des victimes de tortures, des réfugiés de guerre, des victimes par exemple de
l’attentat de Beyrouth, il y a très souvent des traumatismes.”
P4 : “Oui bien sûr, je dirai que la moitié de mes patients présentent au premier plan un état de
stress-post-traumatique.”
Les quatre professionnels ont répondu “oui” à notre question, ils sont donc tous confrontés à
des victimes de traumatismes psychiques, et cela représente d’ailleurs une grande partie de
leurs cliniques.
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Au sujet des symptômes, nous allons nous intéresser à ce qui semble le plus fréquemment
retrouver :
P1: ” c’est beaucoup autour des troubles du sommeil. On a beaucoup de demandes à ce niveau-
là, qui se traduit par des insomnies, des cauchemars, etc, donc des questions de reviviscence”
P2: “On va souvent plutôt, eh essayer d’aller atténuer les symptômes, donc les crises
d’angoisse, les troubles du sommeil...”
On note également des “reviviscences” ou encore des “flashbacks” cités par : P1, P3 et P4;
P1: “très abîmés et physiquement et psychiquement […] des douleurs somatiques variés.”
Voilà, les symptômes retrouvés par nos professionnels, nous allons maintenant passer au cœur
de notre sujet, c’est-à-dire la transmission et ses mécanismes.
Tout d’abord, le traumatisme psychique apparaît comme se transmettant par le discours des
parents aux enfants, ou à contrario le non-dit. Le style de communication au sujet du
traumatisme se retrouve dans les propos des psychologues :
P1: “ ... y’a des parents qui peuvent être un peu trop eh, comment dire, tellement inquiet sur
ces questions-là, qui vont se lancer sur des grandes explications mais finalement avec des
enfants qui sont trop petits. Qui n’ont pas la maturité de comprendre, d’en faire quelque chose
pour eux-mêmes, par contre, il y a des ados qui sont beaucoup plus curieux, mais ils ont des
parents qui sont tellement blessés, honteux, tellement en difficulté eux-mêmes, qu’ils
n’obtiennent pas même l’embryon d’une réponse”
“J’apprécie beaucoup les travaux de Nathalie Zadier, en effet si on ne parle pas, si on n'en
dit rien, si ça reste un trauma, ça a des répercussions sur les descendants qui sont tout à fait
18
néfastes. Donc évidemment faut en dire quelque chose de cette histoire mais comment, est-ce
qu’il faut tout dire ? Ça je n’en suis pas persuadé non plus” “
“Dans un entretien, y’avait une maman, qui n’arrivait pas à dire à son enfant, alors je sais
plus si son papa était décédé, ou en prison... En gros, elle faisait appeler le voisin au téléphone,
et le voisin se faisait passer par le papa, avec une fausse voix. Évidemment, que c’est un
comportement qui est tout à fait délétère, qui peut avoir des conséquences tout à fait délétères”
P2 “Et oui sur la transmission du trauma évidemment qu’il y a plein, plein de choses, et plein
de recherches qui ont été faite là-dessus et notamment comment ça pouvait se transmettre aux
enfants. Surtout quand eh, quand le trauma il n’est pas encore élaboré de la part des parents.
Il y a des choses de l’ordre de l’indicible [… Ils ne peuvent pas comprendre un peu ce qu’il se
passe, l’histoire, parfois même l’histoire migratoire elle n’a pas été dite donc eh évidemment
que c’est une question cruciale de la transmission intergénérationnelle du trauma. Parfois, ça
peut même remonter à des générations au-dessus et c’est tout-à-fait intéressant de travailler
là-dessus continue, parce que parfois, les enfants peuvent présenter des symptômes eh dont on
n’en comprend pas trop le sens et en fait on voit bien que parfois c’est vraiment ancré dans
l’histoire familiale et même des parents”
P3 : “Alors, je dirai que premièrement le fait d’être exposé aux discours des parents à un
impact fort, entendre les parents parler de la guerre, des violences, des souvenirs. Souvent, ici
au Liban, il y a grandes familles qui vivent dans une seule pièce, ce qui implique peu d’intimités
donc tout s’entend."
” Il faut un entre deux, quand on n’explique pas l’enfant insère ses fantasmes, il élabore des
théories, laisse parler son imaginaire mais de manière tout à fait inadaptée. Il peut aussi
ressentir de la culpabilité il pense que si ses parents vont mal c’est de sa faute, il voit ses
parents tristes, insécurisés, anxieux, son estime de soi risque d’en être impacté.”
P4 : “Je pars d’un principe simple, si l’enfant pose des questions, c’est qu’il est préparé à
entendre la réponse. Bien sûr, il faut une réponse adaptée au niveau de l’enfant, sans forcément
rentrer dans les détails de l’horreur et de la torture. Si on ne dit rien, l’enfant va faire des
suppositions, des hypothèses, qui n’ont peut-être rien à voir avec la vérité. Les effets de ces
hypothèses peuvent entrainer des passages à l’acte, une impression de destinée, comme si leurs
vies étaient déjà décidées, qu’ils ne peuvent en maîtriser les enjeux.
La question de la transmission du récit familial, fait consensus chez les professionnels, d’après
eux, les non-dits peuvent être facteur de transmission du traumatisme des parents aux enfants.
19
Effectivement, le non-dit laisserait un espace mystérieux que l’enfant va chercher à remplir par
son imagination, il créait donc des histoires pouvant être très loin de la réalité. Par ailleurs,
comme les parents n’expliquent pas à l’enfant la cause de leurs souffrances, ils peuvent penser
que c’est de leurs fautes et culpabiliser. Toutefois, les récits trop violents et inadaptés à l'âge
de l’enfant ont également des conséquences délétères pour leurs santés mentales. Si l’enfant à
trop de détails sur les tortures, les violences, il risque de se faire des images mentales, de faire
des cauchemars, d’être traumatisés à son tour.
P1 : “un parent qui est traumatisé, n’est pas sécurisant pour son enfant, ça créer une
insécurité, le parent dans sa manière d’être, il est angoissé […] il oublie d’aller chercher son
enfant à l’école, il a des comportements qui sont parfois inquiétants pour l’enfant, et
évidemment dans une cellule familiale, ça peut avoir un effet sur l’enfant du fait de ce que ce
parent incarne finalement. D’ailleurs, les parents le disent, qu’est-ce que mon enfant va
penser de moi, j’ai un comportement, je suis comme fou. Et voilà les parents sont honteux,
s’en veulent, ils cherchent, enfin, ils sont conscients de de, je ne sais pas quel terme utiliser,
de leur défaillance, car c’est une certaine défaillance parentale”
P2 : “Eh c’est la justement ou tout se transmet par le corps, par les affects des parents qui
sont empreints de ça et qui ne peuvent rien en dire, et là les enfants ba c’est des éponges,
hein, ça ressent.”
P3 : “Les parents ne sont donc pas en mesure d’élaborer le traumatisme et il reste figé, les
enfants ressentent tout ça. Dans la même idée ils sont dans un état d’insécurité
permanente...”
P4 : “ça fait partie des symptômes de l’ESPT, ils peuvent être très irritable donc crier sur les
enfants, parfois frapper, la parentalité est très perturbée. Par exemple, j’ai un patient qui
m’a dit “j’en peux plus de mes enfants, alors qu’ils ne font rien, je m’énerve et après ma
femme me traite de fou”. Du côté de l’enfant, même s’il n’est pas témoin direct, il va y avoir
un vide, une énigme en lui, “pourquoi mes parents ne sont pas heureux ?””
Ce qui ressort le plus est donc l’anxiété et l’insécurité des parents que l’enfant va ressentir
ainsi que des parents irritables avec un comportement inadapté voir parfois violent.
20
Deux psychologues ont également observé des symptômes directement chez les enfants
d’exilés :
P2 : “On va plus être parfois dans un mutisme, dans un repli parfois presque, on pourrait
appeler ça un repli autistique. C’est des signes de trauma qui justement n’arrivent pas à
s’élaborer, notamment de la part des parents et on a beaucoup, on a beaucoup d’enfants,
dont l’indication en transculturelles c’est le mutisme.”
P3 : “...certains enfants qui n’ont pas étaient exposés à l’événement traumatique vont par
exemple, avoir peur des claquements de portes, ou des bruits forts, ainsi que de
l’hypervigilance. Ils sont toujours très sensibles à l’environnement, ils sont sensibles aux
bruits, sans comprendre pourquoi ils ont tendance à sursauter dès qu’il y a un stimuli
inattendu. On va également retrouver des troubles de sommeil, ces enfants vont faire des
cauchemars d’événements qu’ils n’ont pourtant pas vécus. En résumé, ce sont des enfants
très anxieux.”
Par la suite, afin d’étudier les particularités du traumatisme chez notre population, les exilés,
nous avons voulu nous intéresser au rôle que peut jouer le parcours migratoire dans la
transmission transgénérationnelle.
Notre question est de savoir en quoi cette population est plus à risque de transmission
traumatique que la population générale.
P1: “Les traumatismes touchant la population générale, ils peuvent vraiment être de nature
tout à fait variée évidemment. Moi ce qui me frappe, au niveau du public qu’on reçoit, c’est
le cumul. Ça peut être des histoires déjà transgénérationnel, les grands parents qui avaient
déjà des troubles, on se demande finalement s’il y a eu des moments un peu apaisés dans
l’histoire familiale, quand il a toujours eu la guerre […] Donc voilà, les traumatismes, ils
sont déjà là depuis longtemps […]. On peut rajouter à ça des histoires politiques ou autres,
un trajet d’exil avec le passage compliqué, la traversée de la méditerrané avec le naufrage,
les cris, le voisin mort etc. Se rajoute après des histoires en Europe, qui sont traumatiques,
avec de la traite, des agressions dans la rue, des humiliations, de la prostitution...”
Nous pouvons remarquer que ces 3 psychologues soulignent la même spécificité, c’est à dire
le cumul des évènements traumatiques lors du parcours migratoire. La première personne
interviewée rajoute l’aspect transgénérationnelle, l’histoire familiale peut déjà être empreinte
d’évènement traumatique.
Nous nous focalisons maintenant sur la dernière partie du parcours migratoire, à savoir
l’arrivée dans le pays d’accueil. Effectivement, il est absurde de penser qu’une fois arrivée
sur le nouveau territoire, l’exilé est en sécurité et va enfin pouvoir avoir des conditions de vie
dignes. Dans la réalité, ces adultes, ces enfants, ces familles, vont devoir faire face à la
procédure d’asile, à la précarité et au rejet.
La procédure d’asile
P1 : “...quoi qu’il en soit moi je pense que la demande d’asile est, pas forcément
traumatogène en soi, mais en tout cas, ne permet pas de bien traiter les traumas, pour nous
thérapeute. Pendant toute la période de demande d’asile, et de passage aux instances etc, le
traumatisme il doit être maintenu un peu chaud aussi car il y a une injonction d’en dire, d’en
faire quelque chose etc. Donc, ça ne nous permet pas de refermer, ça ne permet pas la
guérison, car il faut dire, repréciser, il faut bien se rappeler donc voilà on ne permet pas de
passer à autres choses. “
“Ehh voilà, sur les effets de retraumatisation, y’a beaucoup de travail qui a été fait ces
dernières années, au niveau des conditions d’entretien au moment des récits au passage à
l’OFPRA, de la CNDA, y’a beaucoup de travail de formation à faire”
P2 : “ C’est un peu le parcours aussi pour les familles ou ehh, ou y’a tout le parcours
administratif, la demande d’asile, la demande de papiers, les CADA etc. C’est tout ça, ça ne
va pas, ça va paaas ehh résorber les traumas qu’il va y avoir avant, ça se cumule”
“Parce que, quand on est dans une démarche administrative etc, etc, c’est très compliqué de
s’occuper du trauma, en tout cas du cœur du trauma si je peux dire ça comme ça”
P4 : “Premièrement, quand c’est le premier acte de prise de parole oui ça peut même faire
naître l’ESPT, car il est contraint de raconter les choses, la temporalité n’est pas respectée.”
22
“En France, on peut dire que l’accueil est plutôt maltraitant, enfaite on rajoute de la
violence sur la violence.”
Nous voyons donc que le système de demande d’asile Français, ne permet pas de traiter
correctement le traumatisme, du fait de l’injonction à témoigner, de l’attente, et de
l’incapacité de travailler facteur potentiel d’aliénation et de dépendance.
La précarité
P1: “des situations extrêmement précaires en France” “alors qu’on dort dehors, alors qu’on
ne mange pas toujours à sa faim, et ba évidemment ça constitue aussi du traumatisme,” “déjà
sur notre territoire qu’il y ait un meilleur accueil, un hébergement pour tous, ce qui
permettrait d’éviter des agressions ou de se prostituer en France pour avoir de quoi dormir
ou des choses comme ça. Ça c’est tout à fait néfaste évidemment, des conditions d’accueil
suffisamment stables et protectrices pour pas qu’il y ait des traumatismes en France déjà
peut-être que ce serait le minimum des choses” “...qu’il y ait une offre de santé suffisamment
nombreuse et suffisamment accessible...”
P2: “C’est-à-dire le manque d’accueil (fait des guillemets avec ses mains) avec un grand A,
en France. Manque de réponses à ses besoins...” “...l’accueil des migrants, des réfugiés en
France, plus c’est favorable, meilleure sera la chance de résorption du trauma ou en tout cas
d’une meilleure santé mentale de manière générale. Ça il y a plein, plein d’études qui le
disent, eh plus les, la situation socio-économique, la précarité etc, plus ça s’est travaillé, plus
les gens sont dans une bonne disposition, meilleure seront leur santé mentale d’une manière
générale.”
P3: “...il y a la précarité, les conditions de vie sont très difficiles, les parents cherchent à
répondre aux besoins primaires en priorité […] nourrir les enfants, avoir un logement, ce
sont de très mauvaises conditions pour travailler sur le trauma […] ils sont dans un état
d’insécurité permanente, ils n’ont pas d’espace pour se poser réellement et se sentir en
sécurité, les enfants grandissent dans ce même environnement insécurisant.” “la précarité
est un gros problème, diminuer la précarité c’est donner aux personnes la possibilité d’être
dans un environnement stable et sécurisant leurs permettant de s’occuper de leur santé
mentale. Cela dit, il faudrait également augmenter les financements liés à la santé
mentale...”
P4: “Les conditions matérielles d’accueils sont très limitées.” “Et du côté de la santé, le
système français est très opaque, c’est déjà compliqué pour nous, alors imaginez quand vous
23
ne parlez pas la langue. Pour la santé mentale, c’est pire encore, les délais en CMP sont de 6
mois minimums, et pour les enfants en CMPP c’est 2 ans d’attente. Ils ont donc un vécu de
rejet qui contribue au malheur et qui peut entraîner l’ajout d’un syndrome anxieux, d’un
syndrome dépressif ou d’un syndrome anxieux-dépressifs, en plus de l’ESPT.”
Les professionnels sont tous en accord, les exilés sont confrontés à des conditions de vie très
précaires, au niveau du logement, de la santé, et au niveau économique en général. Si la
France n’offre pas de conditions de vie décentes aux exilés, quand est-il de leurs intégrations
sociales ?
Rejet et racisme
P1 : “Des humiliations”
P2: “quand on ne se sent pas bien accueilli, quand on est victime de discrimination et bien ça
renforce des choses[...]c’est la question de la différence, je suis ici, je ne suis pas chez moi,
tous les jours on me renvoie que je ne suis pas chez moi, donc ça me rappelle un petit à
chaque fois que je ne viens pas d’ici.”
P4 : “En arrivant les DA perçoivent la France comme un pays pas raciste, avec des règles,
mais dans les faits, ils se rendent vite compte que oui, le racisme est présent. Les gens ont
peur de ce qui est différent de « l’étranger ». Ils ne parlent pas notre langue, qu’est-ce qu’ils
se disent ? Bien sûr que oui tout ça, ça contribue au mal-être des parents, et quand les
enfants entendent les parents se plaindre qu’ils n’ont pas les mêmes droits que les autres, ça
peut redoubler l’effet du trauma. Les parents se rendent compte qu’ils n’ont pas de droit non
plus ici, que ce n’est pas mieux, alors pourquoi ils ont fait tout ça, il y a une perte de sens.”
Le style de
L’impact des La Précarité
communication Rejet et
symptômes procédure
au sujet du racisme
parentaux d’asile
traumatisme
P1 X X X X X
P2 X X X X X
24
P3 X X X
P4 X X X X X
Tableau récapitulatif des facteurs de risques identifiés dans les témoignages des 4 psychologues interrogés.
5) Discussion
Il va maintenant s’agir de confronter nos résultats avec la littérature et avec nos hypothèses.
L’objectif de cette partie n’est non pas de valider nos hypothèses, mais simplement de voir si
nos résultats vont, ou non, dans leurs sens.
25
transgénérationnelle du traumatisme, toutefois, tous y croient, et certains semble y avoir été
confronté. Effectivement, “un mutisme” a été relevé, chez des enfants d’exilés traumatisés,
définis comme une forme de “repli autistique” et qui serait représentatif d’un trauma non
élaboré des parents. Par ailleurs, la troisième personne interviewée souligne une
hypervigilance “ certains enfants qui n’ont pas étaient exposés à l’événement traumatique
vont par exemple, avoir peur des claquements de portes, ou des bruits forts.. Ils sont toujours
très sensibles à l’environnement” Elle relève aussi des troubles “ces enfants vont faire des
cauchemars d’événements qu’ils n’ont pourtant pas vécus”. Ces propos montrent qu’il y a
des impacts du traumatisme psychique chez les enfants n’ayant pas vécu l’évènement
traumatique. Les enfants d’exilés traumatisés sont plus susceptibles de souffrir d’effets
psychologiques indésirables, en effet il existe des preuves solides de taux plus élevés de
maladie mentale chez les enfants de parents atteints de SSPT (Back Nielsen et al., 2019, cités
par Kelstrup & Carlsson, 2022).
Le style de communication
P4“Je pars d’un principe simple, si l’enfant pose des questions, c’est qu’il est préparé à
entendre la réponse. Bien sûr, il faut une réponse adaptée au niveau de l’enfant (…)
P1: “ ... y’a des parents (…) vont se lancer sur des grandes explications mais finalement avec
des enfants qui sont trop petits. Qui n’ont pas la maturité de comprendre (…)
Cette stratégie revient à celle de “divulgation modulé” que nous avons vue dans la partie
théorique. L’important est le moment et la manière de divulguer le récit plutôt que le contenu
exact de ce qui est divulgué. Cette divulgation peut varier selon la sensibilité des parents aux
besoins émotionnels de l’enfant. Ce style semble être le plus pertinent car, dans l’étude
qualitative vue précédemment, portant sur les familles de réfugiés, il a été conclu que la
divulgation modulée parentale des traumatismes de guerre, était positivement associée à la
capacité de l’enfant à jouer de manière créative (Measham et Rousseau, 2010, cité par Dalgaard
27
et al., 2015). Le style de communication choisi influe donc de manière importante sur la
transmission du traumatisme entre les générations d’exilé. La question de la transmission du
récit familial, fait consensus chez les professionnels que nous avons interrogés, et corrobore la
littérature.
Passons maintenant à notre deuxième hypothèse concernant les mécanismes, l’impact des
symptômes parentaux.
Nous l’avons vu, un enfant avec un ou des parents présentant des pathologies mentales à plus
de chances de souffrir lui-même de troubles mentaux ((Berg-Nielsen et al,. 2002, cité par
Dalgaard et al., 2015; Leen-Feldner et al., 2013, cité par Kelstrup et al,. 2022). Alors qu’en-
est-il dans le cas du trouble de stress post-traumatique chez les exilés ?
P2 : “On va plus être parfois dans un mutisme, dans un repli parfois presque, on pourrait
appeler ça un repli autistique. C’est des signes de trauma qui justement n’arrivent pas à
s’élaborer, notamment de la part des parents...”
P3 : “...certains enfants qui n’ont pas étaient exposés à l’événement traumatique vont par
exemple, avoir peur des claquements de portes, ou des bruits forts, ils sont hypervigilant (…).
On va également retrouver des troubles de sommeil, ces enfants vont faire des cauchemars
d’événements qu’ils n’ont pourtant pas vécus. En résumé, ce sont des enfants très anxieux.”
Les observations des psychologues semblent donc aller dans le sens de notre deuxième
hypothèse, terminons par notre dernière hypothèse portant sur les conditions de vie dans le
pays d’accueil.
28
L’impact des conditions d’accueil dans le pays d’arrivé.
Nous l’avons souligné, le parcours d’exil ne se termine pas une fois arrivé dans le pays
d’accueil. Nous avons donc voulu interroger les professionnels au sujet de l’impact des
conditions d’accueil sur le TSPT et sa transmission. L’analyse de nos résultats nous a
donné l’occasion d’identifier trois thématiques principales ; la procédure d’asile, la
précarité, et la discrimination.
La procédure d’asile
Les entretiens sont le lieu où les exilés doivent énoncer leurs récits de vie. Leurs histoires
sont constituées d’une suite d’évènements traumatiques, qu’ils doivent détailler « Ce
processus lent et douloureux a évidemment des conséquences parfois lourdes sur l’expression
des symptômes, leur renforcement et va à l’encontre du processus même d’élaboration du
trauma » (Watters et Ingleby, 2004, cité par Delporte 2020). Nous retrouvons ces effets
traumatogènes dans les propos des psychologues interrogés “... la demande d’asile est, pas
forcément traumatogène en soi, mais ne permet pas de bien traiter les traumas, pour nous
thérapeute. Pendant toute la période de demande d’asile, et de passage aux instances etc, le
traumatisme il doit être maintenu un peu chaud aussi car il y a une injonction d’en dire (…)
ça ne permet pas la guérison (…) il faut bien se rappeler donc voilà on ne permet pas de
passer à autres choses. “ Ou encore “sur les effets de retraumatisation (…) au niveau des
conditions d’entretien au moment des récits au passage à l’OFPRA, de la CNDA, y’a
beaucoup de travail de formation à faire”. La procédure d’asile peut donc engendrer une
retraumatisation, du fait de l’accumulation des traumas et de l’injonction de les verbaliser “ça
va paaas ehh résorber les traumas qu’il va y avoir avant, ça se cumule” “quand c’est le
premier acte de prise de parole oui ça peut même faire naître l’ESPT, car il est contraint de
raconter les choses, la temporalité n’est pas respectée.”
La précarité
29
facteur de risques de troubles mentaux pour la population en générale, c’est donc encore plus
vrai pour les exilés qui sont déjà dans une situation de vulnérabilité. “Ça il y a plein, plein
d’études qui le disent, eh plus les, la situation socio-économique, la précarité etc, plus ça
s’est travaillé, plus les gens sont dans une bonne disposition, meilleure seront leurs santés
mentales d’une manière générale. ”la précarité est un gros problème, diminuer la précarité
c’est donner aux personnes la possibilité d’être dans un environnement stable et sécurisant
leurs permettant de s’occuper de leur santé mentale. ”Cette précarité entraine donc une
insécurité et une incapacité de travailler sur les traumatismes, insécurité qui peut se
transmettre aux enfants tout comme le traumatisme non élaboré. Par aileurs, l’accès aux soins
en santé mentale et également très complexe pour les exilés comme le rapporte ce
psychologue : “ Pour la santé mentale, c’est pire encore, les délais en CMP sont de 6 mois
minimums, et pour les enfants en CMPP c’est 2 ans d’attente. Ils ont donc un vécu de rejet
qui contribue au malheur et qui peut entraîner l’ajout d’un syndrome anxieux, d’un syndrome
dépressif ou d’un syndrome anxieux-dépressifs, en plus de l’ESPT.”
Finissons maintenant cette discussion en étudiant un autre aspect sociétal, celui du rejet et de
la discrimination.
Rejet et racisme
30
Ainsi, notre hypothèse concernant les conditions d’accueil semble se vérifier, précarité,
parcours administratif et discrimination peuvent être des facteurs de risques de transmission
du traumatisme entre les générations
Conclusion :
Pour clore, notre étude nous a permis d’identifier des mécanismes potentiels de transmission
transgénérationnels du traumatisme chez les exilés. Nos hypothèses étaient que le style de
communication, les symptômes parentaux et les conditions de vie sur le territoire d’accueil
étaient facteurs de risque à la transmission du traumatisme. L’analyse de nos résultats issus
des entretiens réalisés avec les professionnels semblent aller dans le sens de nos hypothèses.
Cependant, notre étude comporte certaines limites ne permettant pas de valider nos
hypothèses. Effectivement, nous n’avons pas directement interrogés la population cible mais
des psychologues travaillant avec celle-ci. Afin, de valider ces hypothèses il faudrait donc
compléter cette étude en interrogeant des familles d’exilés et réaliser une analyse qualitative
mais aussi quantitative. Il serait également intéressant d’approfondir la question du facteur
génétique, car de plus en plus d’études semblent identifier un rôle de l’épigénétique dans la
question de la transmission transgénérationnelle du traumatisme (Dias & Ressler 2014 ;
Bucquois, 2019; Solomon & Zerach 2020). Travailler sur la problématique de la
transmission est cruciale, afin d’accompagner les parents de façon adaptée, et ainsi épargner
aux enfants de devenir eux-mêmes porteurs de ces histoires traumatiques. Nous n’avons pas
pu traiter la question des traitements du TSPT dans cette recherche, toutefois les
psychologues interrogés nous ont fournis des éléments de réponses, il serait donc intéressant
d’approfondir ce sujet dans une recherche future.
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