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Dr Thierry Cardoso,
THIERRY CARDOSO, KRISTELL DELARUE
Dr Kristell Delarue,
Responsable de l’unité Médecin généraliste
périnatalité petite enfance, en PMI à Paris,
Santé publique France Directrice des rédactions
Pourquoi se focalise-t-on
sur les « 1 000 premiers jours » ?
T. C. : Cette période, qui va de la concep-
tion aux 2 ans révolus, est un moment
clé pour l’enfant. C’est là que son cerveau
est le plus « flexible » et a la plus grande
capacité à se modeler en réponse aux
expériences : ce que le bébé vit alors –
et donc, en particulier, la relation qui
s’installe avec ses parents – joue un rôle
déterminant sur la capacité qu’il aura,
toute sa vie durant, à gérer par exemple
les émotions, le stress, etc. et, in fine, à
s’épanouir.
Cette période est définie sur la base des
connaissances actuelles, mais ce n’est
pas, bien sûr, une date de péremption !
Le message fondamental est que l’expé-
rience de la parentalité commence bien
avant l’accouchement, et qu’il est pos-
sible de s’y préparer : les parents peuvent
poser leurs questions – auxquelles nous,
professionnels de santé, essayons de ré-
pondre au mieux –, se familiariser avec
T. C. ET K. D.
Les 1 000
tachement sûr.
Par les effets de l’épigénétique, les réper-
cussions des événements vécus dès la
vie fœtale sont durables et peuvent être
premiers jours :
modelées en particulier par une relation
parents-enfants adaptée et précoce –
celle-ci peut, par exemple, atténuer
le généraliste est
l’impact d’événements difficiles. C’est
la notion de nurturing care (OMS).
L’établissement de ces liens précoces
aussi concerné !
peut être source de bien des questionne-
ments et d’angoisse pour les (futurs) pa-
rents. Pour les aider dans ce processus,
le médecin est un interlocuteur privilé-
gié : un médecin qui comprend ces en-
jeux et qui sensibilise les parents – sans
Outre le suivi de grossesse et des premières années les culpabiliser –, qui se rend disponible
du bébé, les médecins traitants ont un rôle fondamental pour les soutenir dans leurs premiers
pas, qui développe une écoute leur per-
dans l’accompagnement à la parentalité. Mais comment mettant d’exprimer leurs inquiétudes,
l’aborder dans le temps contraint de la consultation ? de renforcer leur confiance en eux, en
Les conseils très pratiques des Drs Cardoso et Delarue. créant un espace de communication
avec eux, leur apporte une aide fonda-
Par Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien mentale.
Dans certaines situations N’est-il pas contre-productif Enfin, quand le bébé arrive, quels
(précarité, vulnérabilité…), d’adresser des messages anxiogènes messages clés de prévention ? quels
ce processus est plus difficile : aux futurs parents sur les risques drapeaux rouges en consultation ?
comment repérer et orienter environnementaux ? K. D. : En amont de la naissance, il est
ces patientes ? T. C. : Pour que la capacité à entrer en in- essentiel de repérer les vulnérabilités
T. C. : Oui, les soignants doivent avoir teraction et répondre aux besoins du bébé éventuelles, afin d’orienter les parents
conscience que certaines personnes ont soit accomplie, il faut que la grossesse soit au mieux (consultations d’addictologie
besoin davantage d’aide, de motivation le moins perturbée possible par le corti- en maternité, de psychiatrie périnatale,
et d’accompagnement que d’autres. sol ! Or le stress surgit quand on ne maî- unités mère-enfant, service de PMI pour
C’est un enjeu qui tient aux inégalités trise pas une situation : c’est le décalage visites à domicile d’une sage-femme sen-
sociales de santé, car réaliser son « capi- entre notre réalité et les ressources dont sibilisée à l’accompagnement à la paren-
tal biologique » est plus ou moins facile on dispose pour y faire face. talité…). À ce titre, il ne faut pas hésiter à
en fonction de l’environnement, des évé- se mettre en lien avec les maternités dans
nements. lesquelles se tiennent régulièrement des
Dépister certaines fragilités parentales réunions médicosociales pour les situa-
(précarité, vulnérabilité, violences, etc.) tions complexes. Une fois le bébé né, tout
est important en consultation. Le méde- est ainsi en place pour que cela se passe
cin généraliste est un maillon fondamen- au mieux. Mais l’accompagnement se
tal de ce point de vue, car il est souvent poursuit évidemment au-delà.
le premier contact lors d’une grossesse, Que des signes de vulnérabilité soient
ce qui est d’autant plus important en cas mis en évidence ou non, tous les parents
d’isolement ou de difficultés… vivent des périodes d’épuisement dans
Si les expositions environnementales sont les premières semaines après la nais-
K. D. : Lorsqu’un couple annonce une si anxiogènes, c’est parce que nous ne les maî- sance – ouragan qui, de plus, déstabilise
grossesse, il est fondamental de s’en- trisonspas.Enrevanche,ceque nouspouvons l’équilibre conjugal. Il est donc essentiel
quérir de ses conditions de logement, maîtriser, ce sont les choix que nous faisons de communiquer de façon préventive
de ses éventuelles difficultés socio chez nous : c’est dans cette mesure que le sur les risques de débordement et de
économiques, de l’existence ou non d’un site « 1 000-premiers-jours.fr » a essayé syndrome du bébé secoué : dire à tous
entourage soutenant (famille, amis…), de donner quelques éclairages avec les les parents, quel que soit leur contexte
des antécédents obstétricaux (deuil péri connaissances actuelles. de vie, que si les pleurs de leur enfant
natal, prématurité, parcours de PMA, Par exemple, sur la question des perturba- deviennent insupportables, ils doivent
IVG…), des antécédents psychiatriques, teurs endocriniens, qui est particulière- le mettre en sécurité (dans son lit vide,
de l’histoire familiale des deux parents ment compliquée – données en évolution, sur le dos) puis aller dans une autre pièce
(placement, mesures éducatives…). expositions multiples –, nous invitons tou- pour hurler leur désarroi ou appeler un
La question des violences doit être posée jours par précaution à la sobriété d’exposi- ami/un proche/la PMI/le numéro vert
à chacun des (futurs) parents (« Avez-vous tion : faire des ajustements quand ceux-ci 0800 00 3456...
déjà été victime ou auteur de violences sont possibles, et sans que cela représente Lorsqu’un parent explique en consul-
durant votre vie ? »). un facteur de stress supplémentaire. tation que son bébé pleure sans arrêt,
De même, la question des consomma- Avec des questions simples comme « Ai-je c’est un signal d’alarme : le risque de se-
tions de toxiques est impérative (drogues, vraiment besoin de telle ou telle chose ? », en couement est majeur. Outre la recherche
alcool, tabac, médicaments). Enfin, il est déléguant (ménage, peinture…), etc. d’une pathologie sous-jacente qui expli-
important de demander si cette gros- Toutefois, cette question des expositions querait les pleurs, proposer de l’aide est
sesse a été désirée ou non, si elle n’a pas environnementales doit être replacée dans alors indispensable. Le service de PMI
été l’objet d’un déni et, bien sûr, si la fu- l’ensemble des déterminants qui influent peut, là encore, être sollicité pour aider
ture mère n’est pas mineure. L’entretien sur le développement du bébé ; il ne faut à la mise en place d’aide (humaine, vi-
prénatal précoce, pris en charge à 100 % pas se focaliser uniquement là-dessus. sites à domicile, ateliers collectifs avec
par la Sécurité sociale (code NGAP C2,5), Finalement, le plus important est que la d’autres parents et enfants…).
doit être obligatoirement proposé à partir mère soit sereine, et que les deux parents se
du quatrième mois de grossesse, en par- sentent en confiance. Un parent bien dans
ticulier pour faire le point sur toutes ces sa peau permet à un bébé de se développer T. Cardoso et K. Delarue déclarent n’avoir
questions. de la façon la plus harmonieuse possible. aucun lien d’intérêts.