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Gynécologie Obstétrique & Fertilité 32 (2004) 721–724

www.elsevier.com/locate/gyobfe

Psychosomatique et sexualité

Attachement et mères en souffrance


Attachment and suffering mothers
A.-L. Sutter *, E. Glatigny-Dallay, S. Sammut
Service universitaire de psychiatrie, réseau de psychiatrie périnatale, CH Charles-Perrens, 121, rue de la Béchade, 33046 Bordeaux cedex, France
Reçu le 15 juin 2004 ; accepté le 9 juillet 2004

Disponible sur internet le 19 août 2004

Résumé

L’attachement entre un enfant et ses parents est un processus instinctuel et vital pour son développement psychoaffectif. Ce processus est
fragile, et nécessite des capacités d’adaptation constantes de la part des parents. Il est donc nécessaire qu’ils aient une bonne santé psychique
pour accueillir leur enfant, et développer les interactions qui permettront au bébé d’acquérir un sentiment de sécurité interne. Lorsque des
troubles mentaux, notamment maternels, surviennent dans cette période cruciale qu’est la période périnatale, la stabilité relationnelle
parents–enfant risque d’être entravée, et les processus d’attachement peuvent être altérés.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Attachment between an infant and his/her parents is instinctive and vital for the psychoaffective development of the child. This process is
fragile, and parents have to present with adaptive capacities. They need a good mental health to be able to welcome their child and to develop
the interactions that will enable the baby to acquire an internal security. When mental disorders, especially maternal disorders, appear during
this crucial perinatal period, the relationship between the parents and their baby may become unstable, and the attachment process can be
disturbed.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Attachement ; Interactions ; Sécurité interne ; Troubles mentaux maternels

Keywords: Attachment; Interactions; Internal security; Maternal mental disorders

1. Introduction dans cette période cruciale qu’est la période périnatale, le


développement de l’attachement entre la mère, le père et le
L’attachement est un lien fondamental qui se construit en nouveau-né peut se trouver entravé.
interaction entre les besoins du bébé et les réactions de son
environnement, dans un processus continuel d’adaptation 2. L’attachement de la mère
réciproque. Les modalités de développement de l’attache-
ment de chaque être humain aboutissent à un système per- L’attachement en période périnatale est généralement
sonnel de représentations psychiques, qui organise la percep- considéré de façon unilatérale, c’est-à-dire du point de vue de
tion que chacun d’entre nous a du monde extérieur. Lorsque l’enfant. Mais l’attachement d’une mère à son enfant est
des troubles psychiques maternels existent ou apparaissent également un processus maturatif, évolutif, qui nécessite des
conditions spécifiques pour pouvoir se développer de façon
* Auteur correspondant. satisfaisante, notamment sur le plan psychique. C’est cet état
Adresse e-mail : alsutter@perrens.acquisante.fr (A.-L. Sutter). psychique particulier que Winnicott [1] a nommé « préoccu-
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doi:10.1016/j.gyobfe.2004.07.010
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pation maternelle primaire » et qu’il décrit ainsi : un « état qui réflexes primaires recherchés lors des premiers examens pé-
se développe graduellement pour atteindre un degré de sen- diatriques, et qui ont tous pour finalité commune de s’assurer
sibilité accrue pendant la grossesse et spécialement à la fin la proximité de la mère : les pleurs, la succion, l’agrippe-
(...) dure encore quelques semaines après la naissance de ment... Les personnes qui répondent de façon systématique à
l’enfant » « (...) serait une maladie, n’était la grossesse et (...) ces comportements d’attachement en deviennent petit à petit
[ne pense pas] qu’il soit possible de comprendre l’attitude de la cible privilégiée, et aux environs de son sixième mois de
la mère au début de la vie du nourrisson, si l’on n’admet pas vie, l’enfant a défini un certain nombre de « figures d’atta-
qu’il faut qu’elle soit capable d’atteindre ce stade d’hyper- chement » qui sont devenus des interlocuteurs relationnels
sensibilité — presque une maladie — pour s’en remettre privilégiés.
ensuite. » « La mère qui a atteint cet état (...) fournit à l’enfant Ainsi, l’environnement et le bébé s’influencent l’un
des conditions dans lesquelles sa constitution pourra com- l’autre dans un processus continu de développement et de
mencer à se manifester ». changement. Ce processus qui lie l’enfant et ses figures
Cet état psychique particulier des suites de couches est d’attachement est porté par ce que l’on appelle les « interac-
accompagné de variations de l’acuité des fonctions sensoriel- tions » parents–enfants. Une interaction est la réaction réci-
les. Par exemple, il semblerait que durant les sept premiers proque de deux phénomènes qui évoluent dans un même
jours du post-partum, l’acuité auditive maternelle soit aug- système. On peu ici se référer superficiellement à la théorie
mentée spécifiquement pour les sons aigus, c’est-à-dire ceux des systèmes : le système parents–enfants est un tout, et son
qui composent les cris des nourrissons [2]. De même, le équilibre répond au concept « d’homéostasie » tel qu’il est
pouvoir des pleurs d’enfants à réveiller une nouvelle mère est défini en médecine : « le maintien à des valeurs normales des
amplifié [3]. Le seuil de détection olfactive pourrait aussi être différentes constantes physiologiques (ici capacités relation-
accru [4], et l’on sait également que les mères reconnaissent nelles) de l’individu (ici du système). »
la « signature » olfactive de leur enfant dans un délai bref Le processus interactif qui se développe entre un enfant et
après l’accouchement. Cet état d’hypersensibilité émotion- ses figures d’attachement est bien connu [7,8] et l’on décrit
nelle et sensorielle très particulier, que l’on appelle le « post- classiquement trois grands types d’interaction :
partum blues » a été décrit par Guedeney et al. [5] : « Le • les interactions comportementales ;
post-partum blues est l’un des dispositifs biologiques qui • les interactions affectives ;
aident à la terminaison de la grossesse, et qui permet la mise • les interactions fantasmatiques.
en relation, la présentation réciproque des compétences de la
mère et celles de l’enfant. (...). On peut imaginer qu’il existe Les interactions comportementales peuvent être corporel-
un dispositif biologique, dont la mise en œuvre dans le les, vocales, visuelles. Elles se déroulent sous forme de
post-partum immédiat viserait à favoriser l’échange affectif cycles, qui correspondent aux capacités d’attention du bébé,
précoce entre la mère et l’enfant ». et les adultes doivent pouvoir s’adapter au rythme de l’enfant
pour que ces interactions se déroulent correctement. Des
Ainsi, pour que l’attachement entre un nouveau-né et sa interactions comportementales satisfaisantes doivent répon-
mère puisse commencer à se développer, il faut que celle-ci dre à des critères de synchronie, de continuité et respecter le
atteigne cet état très particulier, et que sa santé mentale soit niveau de stimulation que l’enfant peut supporter, qui est très
d’assez bonne qualité pour qu’elle puisse s’adapter à ces variable d’un nouveau-né à l’autre.
phénomènes d’hypersensibilité affectifs et sensoriels.
Les interactions affectives concernent l’influence récipro-
que de la vie émotionnelle du nourrisson et de celle de la
3. L’attachement du nouveau-né mère. Les affects et les émotions s’échangent au travers des
paroles des expressions et des comportements : la mère met
en mots son vécu ainsi que celui de son enfant. Ainsi, l’accor-
Nous ferons ici référence de façon succincte à la théorie de dage affectif, qui permet à la mère, par le biais de l’empathie
l’attachement telle qu’elle a été élaborée par Bowlby (1951) qu’elle développe envers son enfant, de percevoir le ressenti
et Ainsworth (1979) car elle est développée par ailleurs par de celui-ci, et de le traduire en mots, en gestes, la recherche
H. Montagner [6]. de références sociales à travers le comportement de la mère
L’attachement qu’un nourrisson développe envers sa mère face à des situations que l’enfant n’est pas capable de maîtri-
(ou envers la personne qui s’occupera de façon privilégiée de ser seul, l’utilisation du sourire dans la relation sociale, sont
lui) est un comportement inné, non dérivé d’un autre besoin autant de reflets des interactions affectives entre un bébé et
primaire comme la soif, la faim... Le schéma général selon ses parents. Enfin, les interactions fantasmatiques représen-
lequel l’attachement se développe est caractéristique de l’es- tent l’influence réciproque du déroulement de la vie psychi-
pèce, mais les détails restent propres à chaque individu. que de la mère et de celle du bébé dans leurs aspects imagi-
Bowlby et Ainsworth ont décrit chez les nouveau-nés ce naires, conscients, fantasmatiques et inconscients. Ce sont
qu’ils ont appelé les « comportement d’attachement ». Il ces types de processus qui sont abordés lors des psychothé-
s’agit de comportements innés, qui sont entre autres les rapies mère–bébé.
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Les interactions peuvent bien sûr être perturbées, soit que 5. Un exemple de travail : résultats du suivi à six mois
les figures d’attachement présentent des difficultés person- des patientes de l’unité d’hospitalisation conjointe du
nelles, par exemple des troubles psychiques, soit que le bébé réseau de psychiatrie périnatale de Bordeaux
soit lui-même en difficulté pour communiquer, par exemple
de façon caricaturale dans les troubles autistiques. Les inter-
L’unité mère–enfant (UME) du réseau de psychiatrie péri-
actions peuvent être perturbées quantitativement, et envisa-
natale du Centre hospitalier Charles-Perrens, à Bordeaux, est
gées dans une perspective synchronique avec excès, manque
une unité de cinq lits d’hospitalisation à temps plein, pour des
ou caractère paradoxal, ou bien être atteintes dans leur qua-
mères présentant une pathologie psychique durant la gros-
lité, et être alors placées dans une perspective longitudinale,
sesse ou en suites de couches, où elles sont alors accompa-
où elles seront soit fixées, et ne s’adapteront pas au cours du
gnées de leur enfant.
temps, soit oscillantes, soit enfin totalement incohérentes.
L’attachement se développe donc par le biais des interac- Un travail rétrospectif (2000–2002) [9] a permis une éva-
tions entre le bébé et ses partenaires privilégiés. Lorsque, luation du devenir de la relation de la dyade mère–enfant six
pour une raison psychique, les interactions sont entravées, le mois après leur sortie de l’unité, en fonction du type de
pronostic psychique de l’enfant est en jeu. En effet, si la pathologie maternelle. Les mères présentant des troubles
sécurité physique de l’enfant peut dans des cas extrêmes de psychiatriques aigus, par exemple des troubles bipolaires de
troubles psychiatriques être menacée, la sécurité psychique l’humeur, des psychoses puerpérales, sont hospitalisées de
reste le principal enjeu. manière plus précoce (moyenne : un mois et une semaine) et
ce très majoritairement à cause des troubles de la mère. En
revanche, les motifs d’hospitalisation des patientes présen-
4. Interactions, attachement et sécurité tant des pathologies chroniques, comme des troubles de la
personnalité ou des abus de substances, sont de façon quasi-
Les troubles de l’adaptation de l’environnement précoce constante des demandes d’évaluation des compétences pa-
et les traumatismes qui risquent d’en découler peuvent avoir rentales et donc de la sécurité du lien parents–enfants. Dans
des conséquences sur le développement de l’attachement et ce second cas de figure, l’hospitalisation est plus tardive
notamment sur l’une de ses dimensions majeures : celle de la (moyenne : deux mois et une semaine).
notion de base de sécurité. En effet, lorsque les liens entre un
La comparaison de l’évolution du lien parents–enfants
bébé et ses parents se déroulent selon une norme, l’enfant
entre ces deux groupes de patientes montre que les mères
développe ce que Bowlby et Ainsworth ont appelé une « base
présentant des pathologies aiguës voient leurs enfants moins
de sécurité ». Il s’agit de la confiance interne que l’enfant a
souvent confiés à des tiers à la sortie, que celles qui présen-
dans l’idée qu’une figure de soutien sera accessible et dispo-
tent des troubles chroniques dont les enfants sont plus fré-
nible. Le développement de cette base de sécurité internali-
quemment accueillis en dehors de la famille déjà avant l’ad-
sée passe par la sécurité qui lui a été fournie dans les premiers
mission et six mois après. Ces patientes présentant des
temps de sa vie, au cours des interactions, et notamment à
travers la proximité physique et les interactions comporte- troubles chroniques nécessitent donc un étayage plus impor-
mentales, affectives et fantasmatiques que la dyade mère– tant de la relation parents–enfants, que celles qui présentent
enfant va développer. Si ces échanges précoces ont été em- un épisode aigu, et accèdent pourtant aux soins bien plus
preints de cohérence, de continuité et de stabilité, l’enfant tard. Ce travail souligne bien toute la nécessité de l’évolution
pourra progressivement se construire une base de sécurité des troubles psychiques parentaux, ainsi que l’entrave qu’ils
interne à travers la confiance qu’il aura dans la disponibilité, peuvent représenter à une relation physique et psychique
la compréhension et la capacité de réagir de ses figures sécure pour l’enfant.
d’attachement. Ces processus lui permettront de réguler ses
émotions, et, par là, ouvrent une voie d’accès à l’autonomi-
sation. 6. Conclusion
Lorsqu’une mère présente des troubles psychiques durant
la période périnatale, la question centrale qui se pose vis-à- Winnicott disait : « Au stade le plus primitif, le nourrisson
vis de l’enfant est : « Est-ce que ces troubles représentent une et les soins maternels dépendent l’un de l’autre et ne peuvent
entrave passagère à une relation sécurisée avec l’enfant ou être démêlés. » Grâce aux « soins qu’il reçoit de sa mère,
bien, est-ce un trouble qui risque d’avoir des conséquences chaque enfant est en mesure d’avoir une existence person-
interactionnelles au long cours ? » L’étayage à fournir à nelle et commence donc à édifier ce que l’on pourrait appeler
l’enfant pour la sécurité de son développement mental dé- le sentiment d’une continuité d’être. » Les processus d’atta-
pendra donc de l’évaluation de l’entrave que représente la chement entre une mère qui présente un trouble psychique et
maladie mentale parentale au développement des capacités son enfant étant presque systématiquement entravés, le déve-
de la mère, du père et de l’entourage proche à procurer à loppement psychoaffectif de ces enfants est en péril, et il est
l’enfant une sécurité de relation qui permette un développe- donc nécessaire de pouvoir repérer les difficultés maternelles
ment physique et psychique satisfaisant. au plus tôt, si possible durant la grossesse, pour permettre la
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mise en place d’un réseau de soins et de soutien autour de la [4] Schaal B. Contributions olfactives à l’établissement du lien mère-
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1985.
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data. Journal of Psychosomatic Obstetrics and Gynaecology 1993;14: [8] Lebovici S. Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Paris: Le
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