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MASOCHISME FÉMININ ET RELATION SEXUELLE

Jacqueline Schaeffer

In Press | « Le Divan familial »

2002/2 N° 9 | pages 47 à 60
ISSN 1292-668X
ISBN 9782912404930
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Jacqueline Schaeffer, « Masochisme féminin et relation sexuelle », Le Divan familial
2002/2 (N° 9), p. 47-60.
DOI 10.3917/difa.009.0047
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L a théorie
de la différence sexuelle

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aujourd’hui
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Masochisme féminin
et relation sexuelle
JACQUELINE SCHAEFFER

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L E MASOCHISME a toujours eu et a toujours mauvaise presse. Il est
considéré comme un scandale. Comment peut-on jouir et souffrir
dans le même lieu, à l’intérieur d’une même instance psychique, à savoir
le moi ?
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Freud aussi l’a d’abord considéré comme une « énigme », un danger


pour notre vie psychique, dans la mesure où il met en échec, paralyse le
«tout-puissant principe de plaisir», qui régit notre fonctionnement mental.

Le masochisme érogène primaire


Après le tournant théorique de 1920, dans « Le problème économique
du masochisme » 1, Freud non seulement va accepter le paradoxe du
masochisme mais en faire la pierre angulaire de sa dernière dualité
pulsionnelle. Il théorise un masochisme érogène primaire, dont il fait
une défense vitale contre la destructivité interne, une première liaison
de la pulsion de mort par la pulsion de vie. Il est, dit Freud, « cette partie
de la pulsion de mort qui ne participe pas au déplacement vers l’exté-
rieur (sous la forme de pulsion de destruction, d’emprise, de volonté de
puissance), mais demeure dans l’organisme où elle se trouve liée libidi-
nalement par la coexcitation sexuelle. » Toute intrication pulsionnelle en

1. Freud S. (1924), « Le problème économique du masochisme », Névrose, psychose et


perversion, Paris, PUF, 1973.
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tant que telle est donc d’essence masochiste 2. Les augmentations de


tension d’excitation qui sont de l’ordre de la douleur et du déplaisir,
peuvent alors être vécues en même temps comme plaisir, ou, plus encore,
comme jouissance.
Ce qui importe : non seulement cette dernière théorie destitue le règne
du principe de plaisir, mais elle modifie la nature de la pulsion sexuelle
et la définition de la liaison. La liaison avait d’abord comme sens la
maîtrise de l’énergie libre, celle de la libido, dont Freud disait « qu’elle
n’en fait qu’à sa tête », qu’elle est « inéducable », d’où l’angoisse qu’elle
suscite, et le moi avait pour tâche de la maîtriser, de la dompter. Après
1920, la libido, alliée à l’autoconservation, au lieu d’en être antagoniste,
n’est plus définie que comme une force de liaison, opposée à la force de
déliaison de la pulsion de mort. Son énergie libre est devenue énergie
conservatrice. La libido qui était à lier, par le moi anal négociateur, par
la mise en représentations affectées, est devenue liante d’une dite pulsion
de mort. Elle a perdu tout son aspect effracteur.

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Pour théoriser le féminin et le refus du féminin, nous avons éprouvé,
avec C. Goldstein 3, la nécessité de revenir à une libido de première défi-
nition, déliante, à poussée constante, à la fois effractrice et nourricière,
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et faisant violence au moi.


Un nourrisson, soumis à la poussée constante, n’a pas de fuite possible.
Il ne peut la lier qu’en érotisant la souffrance. La poussée constante,
inévitable, oblige au masochisme. Le masochisme primaire érogène rend
possible au petit humain de supporter la détresse primaire. C’est aussi
la première apparition de la coexcitation, c’est-à-dire la possibilité d’éro-
tisation de toute excitation.
Je définis donc le masochisme érogène primaire comme une première
liaison de l’effraction de la poussée constante de la libido. Le maso-
chisme primaire, qualifié par Daniel Rosé 4 d’« endurance primaire »,
permet d’investir érotiquement la tension douloureuse, de soutenir l’in-
satisfaction d’une pulsion par nature impossible à satisfaire, et sert de
point de fixation et de butée à la désorganisation mortifère. Il ne s’ap-
préhende en clinique que par défaut.

2. Rosenberg B. (1991), « Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie »,


Monographies de la Revue française de psychanalyse, Paris, PUF.
3. Schaeffer J. (1997b), Le refus du féminin (La sphinge et son âme en peine), Coll. Épîtres,
Paris, PUF.
4. Rosé D. (1997), L’endurance primaire, Paris, PUF, Coll. « Le fil rouge ».
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Ce masochisme érogène primaire participe aux premières assises de


la construction du moi, à son étayage narcissique, et nécessite la fonc-
tion d’un objet suffisamment fiable. Il est alors gardien de la vie psychique.
Il inaugure un processus d’introjection pulsionnelle, qui permet au moi
de jouir de l’effraction, sans désorganisation traumatique. Il ne s’agit
alors ni d’attaquer la pulsion, ni de la réprimer, ni de la contrôler mais
de la prendre en soi. Le moi, dans certaines expériences, peut se défaire,
et admettre l’entrée en lui de grandes quantités d’excitations non liées,
c’est-à-dire libidinales. Cela lui permet de s’abandonner à des expé-
riences de possession, d’extase, de perte et d’effacement des limites, de
passivité, et donc de jouissance sexuelle. L’« extase de la tétée », selon
les termes de Winnicott, préfigure, comme le dit Freud, l’extase sexuelle.
À la condition qu’il puisse se ressaisir, le moi élargit alors considé-
rablement son territoire de représentations affectées.

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Le masochisme dit « féminin »
Freud décrit ensuite un masochisme dit « féminin », et bien qu’il précise
qu’il est « l’expression de l’être de la femme », il ne l’envisage que sous
un aspect pervers chez des hommes qui utilisent, pour obtenir un plaisir
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orgastique, certains fantasmes concernant le «féminin», érotique et mater-


nel, et les souffrances qui peuvent lui être infligées. Il décline divers
fantasmes : un féminin souffrant, « subir le coït ou accoucher » ; un fémi-
nin équivalent à « être castré » ; un féminin assimilé à l’infantile maltraité :
« être bâillonné, attaché, battu douloureusement, fouetté, forcé à une
obéissance inconditionnelle ». Et enfin, un féminin « fécalisé » : « être
souillé, abaissé ».
Il apparaît que ce qui est ainsi érotisé, chez ces hommes, dans un
retournement masochiste, porte davantage sur des fantasmes de maso-
chisme moral chez les femmes.
On peut en inférer : ou bien que la théorie sexuelle adulte de la femme
« châtrée » est nécessaire à la constitution sexuelle défensive de certains
hommes, ou bien que le couple phallique-châtré, renforcé par le modèle
anal ou fécal ne cède pas facilement place au couple masculin-féminin.

Le masochisme moral
Freud décrit enfin un masochisme moral. Selon lui, il est dû à la resexua-
lisation du surmoi œdipien, lequel ne parvient jamais à être tout à fait
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impersonnalisé chez la femme, du fait de sa dépendance à l’objet. Il est


donc très souvent à l’œuvre chez les femmes.
La mise en avant d’un sentiment de culpabilité n’est que le masque
d’une réalité de jouissance masochique de la punition. Dans la relation
sexuelle, il témoigne d’une impossibilité d’élaborer le masochisme
érotique féminin, et tous deux sont antagonistes. La femme n’a pas le
choix. Si son masochisme érotique n’est pas exalté, c’est son masochisme
moral qui sera exploité, par elle-même et par son entourage : elle se fera
humilier, mépriser, accuser, châtier. Ce qui se rencontre fréquemment
dans la relation de couple, dans l’« ordinaire » de la relation sexuelle.

Le masochisme érotique féminin


Ce n’est pas un hasard si on retrouve un lien chez Freud entre l’« énigme
du féminin » et une autre énigme : « les mystérieuses tendances maso-
chistes ».

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J’ai sollicité (1997 b), à propos de la transmission de mère à fille, le
conte de La Belle au Bois dormant. Si la mère, messagère de la castra-
tion, selon Freud, dit au petit garçon qui fonce, tout pénis en avant : « Fais
bien attention, sinon il t’arrivera des ennuis ! », à la fille elle dira :
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« Attends, tu verras, un jour ton Prince viendra ! » La mère « suffisam-


ment bonne », c’est-à-dire « adéquate, sans plus » est donc messagère de
l’attente, et du masochisme érotique gardien de la jouissance.
Cela consiste à mettre l’érogénéité du vagin de la fillette à l’abri du
refoulement primaire du vagin. Son corps développera ainsi des capaci-
tés érotiques diffuses. Cependant, l’attente est excitation douloureuse,
et son investissement va mobiliser l’entrée en scène du noyau d’organi-
sation qu’est le masochisme primaire, érogène.
Le lien entre l’excitation érotique, la violence faite au moi, et la douleur
de la perte discontinue de l’objet primaire maternel, inscrit définitive-
ment le désir sexuel dans cet investissement du rapport jouissance-douleur,
de l’écart de la satisfaction hallucinatoire du désir par rapport à l’attente
de la satisfaction réelle, et ceci sous le sceau du masochisme primaire.
Le garçon, destiné à une sexualité de conquête, c’est-à-dire à la péné-
tration, s’organisera le plus souvent, bien appuyé sur son analité et son
angoisse de castration, dans l’activité et la maîtrise de l’attente. La fille,
elle, est vouée à l’attente : elle attend d’abord un pénis, puis ses seins,
ses « règles », la première fois, puis tous les mois, elle attend la pénétra-
tion, puis un enfant, puis l’accouchement, puis le sevrage, etc. Elle n’en
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finit pas d’attendre. Et comme ces attentes sont pour la plupart liées à
des expériences non maîtrisables de pertes réelles de parties d’elle-même
ou de ses objets – qu’elle ne peut symboliser, comme le garçon, en
angoisse de perte d’un organe, jamais perdu dans la réalité – ainsi qu’à
des bouleversements de son économie narcissique, il lui faut l’ancrage
d’un solide masochisme primaire.
La coexcitation libidinale est pour la fille une nécessité permanente
de réappropriation de son corps, dont les successives modifications
sexuelles féminines sont davantage liées au féminin maternel, et donc
au danger de confusion avec le corps maternel. Cette relation de la même
à la même constitue l’essence du narcissisme féminin.
Mais cette réappropriation se situe du côté de l’auto-érotisme. Il faudra
un infléchissement, vers le père, du mouvement masochique, pour que
tout ce qui advient au corps sexuel de la fille puisse être attendu et attri-
bué au pénis de l’homme. Le changement d’objet fera de ce masochisme
primaire, nécessaire à la différenciation du corps maternel, un maso-

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chisme érotique secondaire qui conduira la fille au désir d’être pénétrée
par le pénis du père. La culpabilité de ce désir œdipien amène la petite
fille à l’exprimer, sur un mode régressif, dans le fantasme d’être battue,
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fouettée, violée par le père, fantasme masochiste masturbatoire typi-


quement féminin, celui de « Un enfant est battu » 5, longuement analysé
par Freud.
Le changement d’objet de l’investissement de l’attente et du maso-
chisme est la condition pour que la Belle soit vraiment réveillée par le
Prince Charmant, dans le plaisir-douleur de la jouissance féminine. C’est
alors que pourra se produire l’effraction nourricière de la pénétration par
l’amant de jouissance. S’il advient…
Celle-ci s’inscrit dans la retrouvaille de ce moment d’effraction, de
« défaite » du narcissisme violenté par la pulsion érotique, ce moment
fondateur du désir sexuel créé par l’identification hystérique primaire.
C’est ce qui lie définitivement, par la coexcitation libidinale de la menace
d’effraction séductrice de l’enfant par l’adulte, la révélation du vagin et
la jouissance féminine au fantasme masochique d’être l’objet d’une
effraction, d’une possession, d’un abus de pouvoir par l’amant. Et ceci
lors de chaque relation sexuelle, car le refoulement du vagin se repro-

5. Freud S. (1919b), « Un enfant est battu », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF,
1973.
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duit dans l’intervalle, du fait de la culpabilité de ce masochisme érotique


héritier des désirs incestueux infantiles.
L’apport du masochisme érotique dans la relation sexuelle subit un
contre-investissement, aussi bien dans la vie quotidienne qu’en psycha-
nalyse. Pourquoi est-ce si difficile d’admettre que chaque pénétration
soit une effraction, fût-elle nourricière ? Et que c’est une épreuve, pour
le moi d’une femme, de chuter, d’être pénétrée par un étranger ? Cette
blessure-là, le sens populaire la connaît bien, mais dans l’anal : «Il faudrait
me passer sur le corps. »
Freud n’a nié ni la blessure du moi ni la blessure sexuelle. Il a théo-
risé des événements tels que le fantasme de mutilation du sexe féminin,
le sentiment de préjudice, l’envie du pénis, la blessure de la défloration,
tous sous l’angle de l’angoisse et du complexe de castration. Mais il n’a
pas envisagé le masochisme dans l’expérience de la relation sexuelle et
dans la jouissance.

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Le masochisme féminin dans la relation sexuelle
Je m’éloigne donc de la conception d’un féminin assimilé à « châtré » ou
à « infantile », pour définir un masochisme érotique féminin, génital, qui
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contribue à la relation sexuelle de jouissance entre un masculin et un


féminin adultes.
Il s’agit d’un masochisme érotique psychique, ni pervers ni agi. Il est
renforcé par le masochisme érogène primaire et il contre-investit le maso-
chisme moral. Dans la déliaison, il assure la liaison nécessaire à la cohé-
sion du moi pour qu’il puisse se défaire et admettre de très fortes quantités
d’excitation non liées. Par ce masochisme érotique le moi de la femme
peut s’approprier l’arrachement de la jouissance et trouver enfin un sexe
féminin, qui jusque-là, selon Lou Andréas Salomé 6, était « loué à l’anus ».
Ce masochisme, chez la femme, est soumis à l’objet sexuel. Il n’est
nullement un appel à un sadisme agi, dans une relation sadomasochiste,
ni un rituel préliminaire, mais une capacité d’ouverture et d’abandon à
de fortes quantités libidinales et à la possession par l’objet sexuel. Il dit
«fais de moi ce que tu veux!», à condition d’avoir une profonde confiance
en l’objet et que celui-ci soit fiable. Ce masochisme érotique féminin est
le gardien de la jouissance sexuelle.

6. Andreas-Salomé L. (1915), « “Anal” et “Sexuel” », L’amour du narcissisme, Paris,


Gallimard, NRF, 1980.
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La levée du refus du féminin


Le « féminin » de la femme réside dans le dépassement, toujours à recon-
quérir, d’un conflit constitutif, qu’elle le dénie ou non, de la sexualité
féminine. « Che vuoi ? » La femme veut deux choses antagonistes. Son
moi déteste, hait la défaite, mais son sexe la demande et, plus encore,
l’exige. Il veut la chute, le « masculin » de l’homme, c’est-à-dire l’anta-
goniste du « phallique » – une théorie sexuelle infantile qui prône la fuite
de la différence des sexes, et donc son « féminin ». Il veut des grandes
quantités de libido et du masochisme érotique. C’est là le scandale du
« féminin ».
Autant, dans les domaines social, politique et économique, le combat
pour l’égalité entre les sexes est impérieux et à mener constamment,
autant il est néfaste, dans le domaine sexuel, s’il tend à se confondre avec
l’abolition de la différence des sexes, laquelle doit être exaltée, du fait
de l’antagonisme entre le moi et la libido.

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En effet, tout ce qui est insupportable pour le moi est précisément ce
qui contribue à la jouissance sexuelle : à savoir l’effraction, l’abus de
pouvoir, la perte du contrôle, l’effacement des limites, la possession, la
soumission, bref, la « défaite », dans toute la polysémie du terme.
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L’énigme féminine se définit ainsi : plus elle est blessée plus elle a
besoin d’être désirée ; plus elle chute, plus elle rend son amant puissant ;
plus elle est soumise, plus elle est puissante sur son amant. Et plus elle
est vaincue, plus elle a de plaisir et plus elle est aimée. La défaite fémi-
nine c’est la puissance de la femme.

Le travail du féminin
L’amant est à la sexualité de la femme ce que la pulsion a été pour le
moi : l’exigence d’accepter l’étranger, à la fois inquiétant et familier.
Elle est donc, malgré elle, contrainte à un travail de féminin. Aucune
femme ne peut se laisser pénétrer si elle n’a réussi à transformer ses
angoisses d’intrusion prégénitales en angoisses de pénétration génitales.
Le fantasme de viol, très érotisé, vient souvent marquer le passage d’un
mode d’angoisse à l’autre.
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Le double changement d’objet


La domination de l’homme, incontestable dans l’organisation de toutes
les sociétés, renvoie, du point de vue psychanalytique, à la nécessaire
fonction phallique paternelle, symbolique, laquelle instaure la loi, qui
permet au père de séparer l’enfant de sa mère et de le faire entrer dans
le monde social.
Je dirai que l’amant de jouissance vient aussi en position de tiers sépa-
rateur pour arracher la femme à sa relation archaïque à sa mère. Si la
mère n’a pas donné de pénis à la fille, ce n’est pas elle non plus qui lui
donne un vagin. C’est en créant, révélant son vagin que l’homme pourra
arracher la femme à son auto-érotisme et à sa mère prégénitale. Le chan-
gement d’objet est un changement de soumission : la soumission anale
à la mère, à laquelle la fille a tenté d’échapper par l’envie du pénis, devient
alors soumission libidinale à l’amant.
La relation génitale, lorsque la jouissance sexuelle est arrachée à la

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femme par l’amant, permet d’accomplir le degré le plus évolué du chan-
gement d’objet, réalisant, grâce à un nouvel objet, les promesses du père
œdipien. Il s’agit donc d’un double changement d’objet, celui de la mère
prégénitale vers le père œdipien, c’est-à-dire vers la mère génitale, et
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celui du père œdipien vers l’amant de jouissance. Depuis la nuit des


temps, les hommes doivent venir arracher les filles à la nuit des femmes,
aux « reines de la nuit ».

Le travail de masculin

Le travail de masculin de l’homme consiste à laisser la poussée constante


s’emparer de son pénis, alors que son principe de plaisir peut l’amener
à se contenter de fonctionner selon un régime périodique, de tension et
de décharge, d’orgasme. Bien évidemment, cela ne signifie pas avoir une
activité sexuelle constante, mais la capacité, pour l’homme, de pouvoir
désirer constamment une femme, avec un pénis libidinal, que sa peur de
sa propre mère archaïque, de sa propre jouissance ou de celle de la femme
ne conduisent pas seulement à la décharge, mais à la découverte et à la
création du « féminin » de la femme. C’est-à-dire de se démettre, pour
un temps, du contrôle de son moi. Et de pouvoir surmonter les fantasmes
d’un pénis qui tend surtout à vérifier sa solidité dans la relation sexuelle,
ou de ne pas être terrorisé par des fantasmes liés au danger du corps de
la femme-mère. C’est alors – à condition que son angoisse de castration
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THÉORIE DE LA DIFFÉRENCE SEXUELLE AUJOURD’HUI 57

et son « horror feminæ » ne l’empêchent pas d’emmener sa partenaire


jusque-là et de s’y aventurer avec elle, par identification –, que lui aussi
peut accéder à la jouissance sexuelle.
« Quel est celui qui, au nom du plaisir, ne mollit pas dès les premiers
pas un peu sérieux vers sa jouissance ? », écrit Jacques Lacan. J’ajouterai :
vers la jouissance de l’autre ?
La terreur profonde, pour les deux sexes, c’est la proximité du sexe
de la mère dont ils sont issus. Cette avidité de la poussée pulsionnelle,
toujours insatisfaite, ne peut que terrifier si elle renvoie à la dévoration,
à l’engloutissement dans le corps de la mère, objet de terreur et paradis
perdu de la fusion-confusion. C’est pourtant à affronter et à vaincre ces
terreurs que se crée la jouissance sexuelle. « Pour être, dans la vie amou-
reuse, vraiment libre et, par là, heureux, écrit Freud, il faut avoir surmonté
le respect pour la femme et s’être familiarisé avec la représentation de
l’inceste avec la mère ou la sœur » 7. Sic !
Je pose que c’est dans cette expérience que se créent mutuellement

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le masculin et le féminin, arrachés aux défenses prégénitales phalliques,
anales et fécales, celles de la femme comme celles de l’homme.
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Le masochisme érogène pervers


Je terminerai par la fonction de mise en scène des représentations que
représente le scénario fantasmatique. On peut dire que la rencontre amou-
reuse est celle de deux scénarios fantasmatiques, par l’autosuggestion
de chacun, ou par la suggestion de l’un par l’autre, en relation avec les
prototypes infantiles. L’amour, comme l’a noté Freud, rend toujours
l’amoureux très réceptif à la suggestion.
La mise en scène fantasmatique est un mode de liaison de la libido
qui participe à l’émergence du désir et à son maintien dans la déliaison
de la jouissance. La communication des scénarios fantasmatiques, avant
l’amour, est du ressort de la séduction. Pendant l’acte amoureux, cette
communication est plus difficile, car il s’agit de dévoiler, de faire parta-
ger ou d’imposer érotiquement des fantasmes pervers polymorphes,
souvent incestueux et masochistes, qui contribuent à la jouissance. Après
l’amour, il est plus rare que les amants continuent à parler d’amour. Et
pourtant, parallèlement à la tendresse, la mise en scène de nouvelles

7. Freud S. (1912), «Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse. Contributions
à la psychologie de la vie amoureuse », La vie sexuelle, Paris, PUF, 1970.
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58 LE DIVAN FAMILIAL

représentations affectées peut maintenir le pôle libidinal de la poussée


constante, et le désir. Mais il s’agit d’un art qui n’a plus cours dans notre
civilisation de fast-love.
Jusque-là il ne s’agit que de la composante perverse polymorphe,
normale et souhaitable, de toute psychosexualité humaine. C’est quand
le scénario devient contrainte à l’agir, impérieux, compulsif, répétitif,
pour le sujet qui le vit, et qui l’impose au partenaire, qu’on entre dans la
version perverse du masochisme érogène. Le sujet subit l’emprise de but
d’une pulsion délibidinalisée, fécalisée et la fait subir au partenaire, réduit
au statut d’objet fétichisé. Tous deux sont alors enchaînés, et il ne s’agit
pas d’un lien, mais d’un « contrat ». La relation, souvent très forte, est
subordonnée à l’observation et à la durée du contrat. L’amour est rare-
ment au rendez-vous. L’altérité subjective est déniée.
Une femme peut se laisser entraîner dans un scénario pervers par un
homme pervers, lorsque celui-ci a su tout au début, sous le masque d’un
amant de jouissance et de la promesse d’amour, ouvrir son féminin et en

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faire vibrer la composante masochiste. Il se fait passer pour un initia-
teur, celui qui est le seul à connaître la vérité sur la jouissance de la
femme, et ce n’est que l’escalade, la contrainte, le malaise croissant, et
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le sentiment de souillure, d’abjection qui la mettra sur la voie de la féca-


lisation dont elle est l’objet. Ce cas est fort bien illustré par un roman
autobiographique, Neuf semaines et demi 8, où l’héroïne portée à l’es-
calade de sa jouissance par un amant pervers se retrouve en fin de parcours
à l’hôpital psychiatrique. Le film d’A. Lyne qui en a été tiré, a une fin
plus heureuse.
Mais cela reste valable dans le cas où le pervers masochiste c’est
l’homme qui, par le biais du scénario, délègue à la femme le pouvoir de
désavouer la différence des sexes, et d’être l’agent de la castration qui,
seule, la mène à la jouissance.

En conclusion
C’est donc bien la différence des sexes qui est le principal effracteur
nourricier faisant violence au moi et à son narcissisme. C’est le féminin
qui fait problème dans cette différence, car il échappe à une logique phal-
lique ou anale. Le refus du féminin dans les deux sexes est la principale

8. Mc Neil E. (1978), Neuf semaines et demi, Paris, J’ai lu.


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THÉORIE DE LA DIFFÉRENCE SEXUELLE AUJOURD’HUI 59

résistance dans la relation du couple. C’est la prise en compte du maso-


chisme érotique féminin et de l’ouverture introjective à la libido dans
les deux sexes qui permet de dépasser ce que Freud a désigné comme
un roc.



RÉSUMÉ

« Masochisme féminin et relation sexuelle. » Le masochisme, dans la relation sexuelle,


est ici défini en fonction de la poussée constante de la pulsion sexuelle et de son carac-
tère effracteur et nourricier. Ce qui amène à décrire un masochisme érotique féminin,
apte à admettre dans le moi de grandes quantités de libido, favorisant la jouissance
sexuelle de la femme et la création de son féminin par le masculin de l’homme. C’est la
prise en compte de ce masochisme et de l’ouverture à la libido dans les deux sexes qui

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peut permettre le dépassement de ce que Freud a désigné comme le roc du refus du fémi-
nin dans les deux sexes.

MOTS CLÉS
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Poussée constante libidinale – Effraction nourricière – Masochisme érotique féminin –


Refus du féminin – Relation sexuelle de jouissance.

SUMMARY

« Feminine masochism and the sexual relationship. » The author defines masochism in
the sexual relationship in terms of the constant pressure of the sex drives, with their
double impact of « break-through » and « nourishment ». This leads to a model of femi-
nine erotic masochism characterized by the fact that the ego can admit great quantities
of libido, thereby enhancing the woman’s experience of sexual ecstasy and creating her
feminine sphere with the help of her male partner’s own masculine dimension. When
this form of masochism is taken into account, together with the fact that both sexes can
then open up to libidinal influx, it becomes possible to progress beyond what Freud
described as an underlying bedrock : repudiation of femininity in both men and women.

KEYWORDS

Constant pressure of the libido — Nourishing break-through — Feminine erotic


masochism — Repudiation of femininity — Ecstasy in the sexual relationship.
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60 LE DIVAN FAMILIAL

RESUMEN

« Masoquismo femenino y relación sexual. » El masoquismo en la relación sexual es aquí


definido en función del flujo constante de la pulsión sexual y de su carácter disruptivo
y nutricio. Ello conduce a describir un masoquismo erótico femenino, apto a admitir en
el yo grandes cantidades de líbido, lo que favoriza el goce sexual de la mujer y la crea-
ción de lo femenino por lo masculino del hombre. Es la toma en consideración de este
masoquismo y de la abertura a la líbido en ambos sexos lo que permite superar lo que
Freud designa como el lecho de roca del rechazo de lo femenino en ambos sexos.

PALABRAS CLAVE

Flujo constante de la líbido — Disrupción nutricia — Masoquismo erótico femenino —


Rechazo de lo femenino — Relación sexual de goce.



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JACQUELINE SCHAEFFER
psychanalyste,
membre titulaire de la SPP
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13, rue des Petits Champs


75001 Paris

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