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L'autorité et le lien
Pierre Benghozi
2001/1 N° 6 | pages 43 à 55
ISSN 1292-668X
ISBN 9782912404497
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-le-divan-familial-2001-1-page-43.htm
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PIERRE BENGHOZI
torité parentale, telle qu’elle peut se poser pour nous en pratique, à partir
de situations cliniques particulièrement en thérapie familiale psychana-
lytique, mais aussi à propos de situations psychosociales, en distinguant
l’autorité parentale légitime de l’autorité parentale légale.
Nous définissons l’autorité parentale légitime comme celle qui se
fonde sur le lien généalogique, alors que l’autorité parentale légale est
celle qui s’institue en référence au code légal de la juridiction sociale,
dans la diversité des contextes.
Nous insisterons sur les impasses qui traduisent une confusion entre
la nature du lien de filiation et du lien d’affiliation. Cela se met en jeu
dans l’expression de l’autorité parentale à l’égard des enfants. Il peut
s’agir du vécu d’une disqualification de l’autorité parentale légitime d’un
parent à qui on refuse une visite de son enfant placé en foyer à la suite
d’une mesure judiciaire. L’écart entre la légitimité de l’autorité paren-
tale fondée sur le lien et la limitation de l’autorité parentale légale doit
* Ce texte est une version complétée d’une conférence présentée le 17 novembre 1999 à
la journée sur « Parentalité, les enjeux de l’autorité. 10e anniversaire de la convention
internationale des droits de l’enfant » organisée par le Conseil général du Val-de-Marne.
Actes Enfance et Famille.
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être reconnu. C’est, par ailleurs, non seulement l’interdit selon la loi
sociale qui est transgressé, mais encore l’axe symbolique du lien de filia-
tion qui est attaqué lorsqu’un parent abuse et pervertit l’autorité paren-
tale légitime par des pratiques incestueuses. Avec la disqualification des
liens généalogiques, nous retrouvons révélés par des manifestations de
violence, les effets d’une défaillance de la fonction contenante familiale
généalogique. Ainsi l’autorité parentale légale peut être soit disquali-
fiante de l’autorité parentale légitime, soit converger vers la restauration
d’une autorité légitime défaillante.
une enfant de 12 ans a été victime d’un inceste de la part de son grand-
père paternel. En fait, Aline a appris, quelques jours avant la rencontre
avec nous, qu’elle n’est pas l’enfant biologique de celui qu’elle croyait
être son père. Le grand-père abuseur est donc le père de celui dont elle
porte le nom et qui est marié avec sa mère. Elle a le même père biolo-
gique que son frère aîné alors que ses deux plus jeunes sœurs sont nées
de la même mère et du père qui l’a reconnue.
M. B.
grand-père abuseur
Génogramme
Madame B.
M. B.
Aline B.
12 ans
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Tous sont présents aux premiers entretiens sauf l’aîné qui accuse son
père adoptif d’être « le fils du salaud » qui a abusé de sa sœur. Il y a une
grave crise conjugale. La mère accuse son mari d’avoir freiné la démarche
de signalement. Il faut dire que le médecin généraliste qu’ils avaient
contacté alors leur avait déconseillé de faire un signalement prétextant
que « cela risquerait de faire exploser la famille ». Cependant, sur les
conseils d’une assistante sociale et du médecin psychiatre qui suivait
Madame, elle-même déprimée, le signalement sera fait à la police par la
mère accompagnée de son mari. Du point de vue de son mari, à partir
du moment où il a été au courant de ces abus, il lui a fallu prendre une
décision radicale, celle d’assurer d’abord la protection de ses enfants.
Pour lui c’était comme si « une partie de son corps était gangrenée ».
Il lui fallait « l’amputer ». Sa vie est séparée en deux, celle où il avait un
père qui était un homme pour lequel il avait beaucoup d’affection et celle
où il n’a plus de père. Il fait « une croix dessus ». Il est allé voir ses parents
père, soutenu par sa mère et deux autres de ses frères a nié les alléga-
tions d’abus et tous se sont ligués contre lui.
Comment pour lui, en effet, situer son autorité parentale légale ? Il
se sent écartelé entre des conflits de loyauté vis-à-vis de son père légi-
time, de sa mère et du reste de sa famille d’origine, alors que sa femme
le présente comme père défaillant vis-à-vis de sa fille légalement recon-
nue. L’infamie qui touche le grand-père abuseur contamine son fils. La
honte s’étend en tache d’huile sur la filiation. L’image du corps familial
est souillée.
Comment la mère se retrouve-t-elle mise à l’épreuve d’une fonction
parentale légitime, vis-à-vis de sa fille abusée et de ses autres filles pour
lesquelles le doute d’abus sexuels subsiste aussi ? De quelle manière
peut-elle en être affectée, alors que cette histoire réactualise en elle une
situation infantile où elle a aussi été agressée sexuellement ? Elle reproche
également à son père de ne pas avoir alors été assez vigilant et protec-
teur vis-à-vis d’elle quand elle était enfant.
Nous ressentions, ma collègue cothérapeute et moi-même, un certain
malaise en écoutant cette histoire familiale où se trouvaient mêlés un
discours œdipien de séduction galante de la mère vis-à-vis de ce grand-
père, père de son mari, l’existence d’un secret familial, et l’histoire d’un
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On enlève un enfant
Je décris à présent un événement particulièrement significatif de la disqua-
lification des fonctions d’autorité parentale. La crise familiale est réac-
tualisée par l’annonce de l’imminence du procès et l’angoisse de la
confrontation avec le grand-père abuseur. À cette phase de tension
extrême, le père et le garçon aîné se disputent violemment, traduisant
l’impasse du non-dit sur l’adoption et le conflit de chacun vis-à-vis de
leurs loyautés d’appartenance filiative. Les parents en difficulté décident,
l’après-midi, d’aller consulter le service de pédiatrie à l’hôpital général,
avec les enfants. La pédiatre qui les reçoit, elle-même pourtant particu-
lièrement sensibilisée au traumatisme des actions d’abus sexuels, réagit
par une attitude intempestive, considérant a priori que le père est sans
doute lui-même aussi un abuseur sexuel.
Elle contacte sur-le-champ le procureur en faisant un signalement en
urgence avec une demande immédiate de protection des enfants qu’elle
considère comme en danger. À la stupéfaction des parents, venus de leur
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propre gré demander de l’aide, les enfants leur ont été retirés. Les trois
filles doivent dormir sur place à l’hôpital. Une demande de placement
en urgence dans un foyer est formulée par le procureur, en attendant que
le juge pour enfants puisse prendre une nouvelle décision.
La famille est dans une situation de crise catastrophique. C’est comme
une dégringolade infernale. Un destin tragique semble s’abattre inexo-
rablement et de façon irréversible. L’autorité parentale des parents est
massivement disqualifiée. Effondrés, ils reviennent le lendemain et tentent
de reprendre les enfants à l’hôpital. Ils peuvent à peine les voir. Les
enfants pleurent, la mère crie, le service médical de pédiatrie est sens
dessus-dessous. L’administration de l’hôpital général insiste pour que le
placement en foyer soit assuré le plus vite possible. La mère accuse son
mari d’impuissance face à cette situation ; très agitée, elle se retrouve
hospitalisée malgré elle aux urgences, avec des prescriptions d’anxioly-
tiques. Le psychiatre sollicité envisage son internement à l’hôpital psychia-
Justice menaçante ?
La famille semble retrouver une certaine sérénité, malgré la série d’évé-
nements catastrophiques qui se sont succédés, au prix cependant de soma-
tisations multiples (problèmes d’estomac, migraines, céphalées, épuise-
ment). Le père se retrouve au chômage et perd le procès qu’il mène contre
son patron, la signature qui aurait dû sceller le nouveau contrat de travail
prévu n’a pu se faire en raison de la mutation soudaine du PDG avec
lequel s’était engagée la négociation.
Avec tout cela, la famille se retrouve unie plus que jamais. Au « Ouf ! »
qu’Aline exprimait en thérapie familiale dans son premier dessin, suite
au signalement à la police de l’abus dont elle était victime, et aux nuages
noirs des premiers dessins de la petite sœur, succèdent un arc-en-ciel
puis les éclats d’un soleil rayonnant dans la prairie. Nous sommes inves-
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tis, dans le transfert projeté sur un dessin d’une des deux sœurs d’Aline,
comme un coq protecteur témoin du déchaînement des éléments, un para-
tonnerre qui semble les aider à éviter la foudre. Nous rencontrons dans
cette situation la mise en jeu de différents niveaux de parentalité et d’au-
torité parentale.
Nous avons vu comment le père était en conflit de loyauté, d’une part
avec son père, d’autre part avec femme et enfants. En disant : « C’est une
gangrène, il a fallu m’amputer le bras » ; « plus qu’un bras, c’est la moitié
de moi-même que j’ai coupée, elle ne repoussera pas », il expose une
rupture du lien de filiation, avec un clivage qui le touche au niveau indi-
viduel et au niveau familial et dans son image du corps.
Comment autrement rester crédible dans l’exercice de son autorité
parentale et assurer sa responsabilité par rapport au lien affiliatif pour
lequel il s’est engagé en choisissant de reconnaître la fille de sa femme ?
Cette autorité a été interpellée par sa femme. Elle est disqualifiée par le
aux petits-enfants et même à ceux qui ne sont pas encore nés, présents
dans l’anticipation psychique familiale.
Cette légitimité de naissance est différente de l’autorité parentale
légale qui peut être codifiée selon la décision d’un juge. L’autorité légale
sera attribuée, par exemple, à un parent, ou aux deux, et sera associée,
selon le cas, à des droits de visite et d’hébergement.
Ainsi, il peut y avoir congruence ou non entre l’autorité légitime liée
au lien et l’autorité légale désignée selon l’application d’une décision de
justice. Ces interrogations à propos du lien de filiation posent des ques-
tions fondamentales sur la nature du lien lors des assistances médicales
à la procréation, dans les différentes formes d’adoptions. Elles se posent
avec une nouvelle actualité quand se légalisent, par exemple, avec le
PACS de couples homosexuels, de nouvelles figures de l’autorité paren-
tale légale ou quand on légifère sur les informations minimales à trans-
mettre tout en maintenant le secret de la filiation dans les accouchements
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Bibliographie
Benghozi P. (1994), Porte la Honte et maillage des contenants généalogiques, in
Revue de Psychothérapie psychanalytique de groupe.
Benghozi P. (1995), Effraction des contenants généalogiques familiaux, transfert
catastrophique, rêveries et néosecrets. in Revue de Psychothérapie psychana-
lytique de groupe, n° 24.
Benghozi P., sous la dir. de (1999), Adolescence et Sexualité, Liens et Maillage
réseau, préface Lebovici S., Paris, L’Harmattan.
Guyotat J. (1980), Mort, naissance et filiation. Études psychopathologiques sur le
lien de filiation, Paris, Masson.
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RÉSUMÉ
« Autorité parentale légitime, autorité parentale légale. » Après avoir distingué la notion
MOTS CLÉS
SUMMARY
“Legitimate parental authority, legal parental authority.” After having distinguished the
concept of “legitimate parental authority” from the one of “legal parental authority” in
the psychoanalytical context of the family relationship, we will illustrate the importance
of such a distinction when dealing with the comprehension of the institutional and inter-
family violence process. Examples chosen among various psychoanalytical family thera-
pies and socio-psychological situations will help us elucidate this distinction. We will
then clarify the family secrets stakes facing both the relationship construction and the
reference to the law among incestuous families.
KEY WORDS
RESUMEN
PALABRAS CLAVE