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AUTORITÉ PARENTALE LÉGALE, AUTORITÉ PARENTALE LÉGITIME

L'autorité et le lien
Pierre Benghozi

In Press | « Le Divan familial »

2001/1 N° 6 | pages 43 à 55
ISSN 1292-668X
ISBN 9782912404497
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Autorité parentale légale,


autorité parentale légitime
L’autorité et le lien*

PIERRE BENGHOZI

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OMMENT ESSAYER D’APPRÉHENDER la notion d’autorité parentale
C en la resituant dans la perspective psychanalytique et anthropolo-
gique de la « clinique du lien » ? Nous approcherons les enjeux de l’au-
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torité parentale, telle qu’elle peut se poser pour nous en pratique, à partir
de situations cliniques particulièrement en thérapie familiale psychana-
lytique, mais aussi à propos de situations psychosociales, en distinguant
l’autorité parentale légitime de l’autorité parentale légale.
Nous définissons l’autorité parentale légitime comme celle qui se
fonde sur le lien généalogique, alors que l’autorité parentale légale est
celle qui s’institue en référence au code légal de la juridiction sociale,
dans la diversité des contextes.
Nous insisterons sur les impasses qui traduisent une confusion entre
la nature du lien de filiation et du lien d’affiliation. Cela se met en jeu
dans l’expression de l’autorité parentale à l’égard des enfants. Il peut
s’agir du vécu d’une disqualification de l’autorité parentale légitime d’un
parent à qui on refuse une visite de son enfant placé en foyer à la suite
d’une mesure judiciaire. L’écart entre la légitimité de l’autorité paren-
tale fondée sur le lien et la limitation de l’autorité parentale légale doit

* Ce texte est une version complétée d’une conférence présentée le 17 novembre 1999 à
la journée sur « Parentalité, les enjeux de l’autorité. 10e anniversaire de la convention
internationale des droits de l’enfant » organisée par le Conseil général du Val-de-Marne.
Actes Enfance et Famille.
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être reconnu. C’est, par ailleurs, non seulement l’interdit selon la loi
sociale qui est transgressé, mais encore l’axe symbolique du lien de filia-
tion qui est attaqué lorsqu’un parent abuse et pervertit l’autorité paren-
tale légitime par des pratiques incestueuses. Avec la disqualification des
liens généalogiques, nous retrouvons révélés par des manifestations de
violence, les effets d’une défaillance de la fonction contenante familiale
généalogique. Ainsi l’autorité parentale légale peut être soit disquali-
fiante de l’autorité parentale légitime, soit converger vers la restauration
d’une autorité légitime défaillante.

Un exemple de thérapie familiale psychanalytique


à propos d’une situation incestueuse
Nous recevons en consultation familiale en co-thérapie avec Christiane
Bonnaud à l’intersecteur psychothérapique du couple et de la famille de
Chantilly, centre spécialisé sur l’approche clinique du lien, une famille

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qui a pris rendez-vous sur les conseils d’une assistante sociale et du
psychiatre de Madame.
La famille se présente d’emblée en situation de crise. La jeune Aline,
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une enfant de 12 ans a été victime d’un inceste de la part de son grand-
père paternel. En fait, Aline a appris, quelques jours avant la rencontre
avec nous, qu’elle n’est pas l’enfant biologique de celui qu’elle croyait
être son père. Le grand-père abuseur est donc le père de celui dont elle
porte le nom et qui est marié avec sa mère. Elle a le même père biolo-
gique que son frère aîné alors que ses deux plus jeunes sœurs sont nées
de la même mère et du père qui l’a reconnue.

M. B.
grand-père abuseur
Génogramme

Madame B.
M. B.

Aline B.
12 ans
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Tous sont présents aux premiers entretiens sauf l’aîné qui accuse son
père adoptif d’être « le fils du salaud » qui a abusé de sa sœur. Il y a une
grave crise conjugale. La mère accuse son mari d’avoir freiné la démarche
de signalement. Il faut dire que le médecin généraliste qu’ils avaient
contacté alors leur avait déconseillé de faire un signalement prétextant
que « cela risquerait de faire exploser la famille ». Cependant, sur les
conseils d’une assistante sociale et du médecin psychiatre qui suivait
Madame, elle-même déprimée, le signalement sera fait à la police par la
mère accompagnée de son mari. Du point de vue de son mari, à partir
du moment où il a été au courant de ces abus, il lui a fallu prendre une
décision radicale, celle d’assurer d’abord la protection de ses enfants.
Pour lui c’était comme si « une partie de son corps était gangrenée ».
Il lui fallait « l’amputer ». Sa vie est séparée en deux, celle où il avait un
père qui était un homme pour lequel il avait beaucoup d’affection et celle
où il n’a plus de père. Il fait « une croix dessus ». Il est allé voir ses parents

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dont le domicile était à proximité et a exigé, pour assurer la protection
de ses enfants, que ses parents changent de domicile et de région. Cette
démarche lui apparaissait essentielle. Il lui était trop difficile alors d’en
faire plus et d’imaginer envoyer son père en prison, d’autant que son
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père, soutenu par sa mère et deux autres de ses frères a nié les alléga-
tions d’abus et tous se sont ligués contre lui.
Comment pour lui, en effet, situer son autorité parentale légale ? Il
se sent écartelé entre des conflits de loyauté vis-à-vis de son père légi-
time, de sa mère et du reste de sa famille d’origine, alors que sa femme
le présente comme père défaillant vis-à-vis de sa fille légalement recon-
nue. L’infamie qui touche le grand-père abuseur contamine son fils. La
honte s’étend en tache d’huile sur la filiation. L’image du corps familial
est souillée.
Comment la mère se retrouve-t-elle mise à l’épreuve d’une fonction
parentale légitime, vis-à-vis de sa fille abusée et de ses autres filles pour
lesquelles le doute d’abus sexuels subsiste aussi ? De quelle manière
peut-elle en être affectée, alors que cette histoire réactualise en elle une
situation infantile où elle a aussi été agressée sexuellement ? Elle reproche
également à son père de ne pas avoir alors été assez vigilant et protec-
teur vis-à-vis d’elle quand elle était enfant.
Nous ressentions, ma collègue cothérapeute et moi-même, un certain
malaise en écoutant cette histoire familiale où se trouvaient mêlés un
discours œdipien de séduction galante de la mère vis-à-vis de ce grand-
père, père de son mari, l’existence d’un secret familial, et l’histoire d’un
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enfant abusé. En outre un médecin aurait suggéré le maintien du silence,


hors des juges.
La mère de l’enfant abusé se présentait elle-même comme très atta-
chée au père de son mari. C’est avec une certaine admiration teintée
actuellement de regrets et de dépit qu’elle parle de celui qui est pourtant
l’abuseur de sa fille. Nous partagions une réelle perplexité en constatant
que toutes ces confusions d’objets d’amour glissaient dans le discours
sans honte ni culpabilité.
Cela nous interrogeait aussi sur la place qu’occupe la révélation, juste
avant le début de la thérapie, du secret de la naissance des deux premiers
enfants de la mère, et du discours de négation d’une fonction tierce que
pourrait occuper le père biologique de ces enfants. Cette instance tierce
nous sera transférentiellement assignée et sera clairement verbalisée à
partir des associations faites à partir des dessins déjà très explicites que
la plus jeune enfant réalise en séance.

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Comment ne pas encore interroger ici la paradoxalité de la construc-
tion du pacte d’alliance conjugale remaillant avec le lien de cette femme
et son mari les contenants généalogiques troués des familles d’origine
de chaque partenaire ?
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La loi, c’est nous


Nous avions l’impression que le secret familial concernant l’adoption
de ces deux premiers enfants s’inscrivait dans les hontes inavouables et
non élaborées de la filiation qui se transmettent en creux de génération
en génération. C’est là une manifestation de ce que j’appelle la trans-
mission généalogique de l’empreinte. Ainsi la mère avait-elle trouvé dans
la famille de son mari une « bonne famille adoptante » et dans ce père
abuseur de sa propre fille « un bon père adoptant » pour elle-même.
L’adoption est un lien affiliatif qui ne devrait pas se substituer au lien
filiatif. Pour l’enfant, l’adoption est un lien double “filiatif” à sa famille
d’origine et “affiliatif” à la famille adoptante. Elle ne devient un double
lien, au sens d’une double contrainte, que si elle traduit un conflit lui-
même dénié et non élaboré. Cette substitution peut être associée à la
tentation de nier la filiation biologique et la famille d’origine de l’en-
fant. Le déni peut être présent même quand, en apparence, il n’y a pas
de non-dit sur l’origine. Il est d’autant mieux entretenu lorsqu’il existe
un secret de famille, comme ici celui de la naissance des deux premiers
enfants d’un autre père biologique. Nous constatons donc, à propos de
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l’attitude vis-à-vis du signalement, une logique familiale avec la réfé-


rence complexe à l’autorité parentale du père, qui est pris entre loyauté
à son propre père et à la fille qu’il a adopté.
Un temps, ils avaient imaginé pouvoir gérer la transgression inces-
tueuse en famille, dans le silence, sans signalement à la police. La règle
interne familiale se substituerait ainsi à l’autorité de la loi sociale. Il y a
défaillance de l’ordre symbolique lorsque la loi sociale disparaît au profit
de la seule règle familiale. Le rapport à l’autorité est alors auto-référencé.
La famille fonctionne comme un clan soumis à l’autorité patriarcale
avec des frontières rigides vis-à-vis de l’extérieur. C’est ce que nous
retrouvons dans les familles à transaction incestueuse. La démarche de
signalement conjointe et celle d’une demande d’aide pour la famille par
des consultations dans notre centre de thérapie, témoignent cependant
d’un travail sur la mise en jeu des références d’autorité au moment où
la famille en crise se sent débordée. Dans cette famille, la fonction pare-

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excitatrice du contenant familial a été particulièrement fragilisée par la
convocation qu’ils ont reçue pour témoigner comme accusateurs au procès
du grand-père incestueux. Se posera en séance la question, en écho à la
fonction témoin que nous occupons dans le mouvement transférentiel :
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« Qui va être présent au tribunal lors du procès et témoigner ? La mère,


le mari, la fille ? »

On enlève un enfant
Je décris à présent un événement particulièrement significatif de la disqua-
lification des fonctions d’autorité parentale. La crise familiale est réac-
tualisée par l’annonce de l’imminence du procès et l’angoisse de la
confrontation avec le grand-père abuseur. À cette phase de tension
extrême, le père et le garçon aîné se disputent violemment, traduisant
l’impasse du non-dit sur l’adoption et le conflit de chacun vis-à-vis de
leurs loyautés d’appartenance filiative. Les parents en difficulté décident,
l’après-midi, d’aller consulter le service de pédiatrie à l’hôpital général,
avec les enfants. La pédiatre qui les reçoit, elle-même pourtant particu-
lièrement sensibilisée au traumatisme des actions d’abus sexuels, réagit
par une attitude intempestive, considérant a priori que le père est sans
doute lui-même aussi un abuseur sexuel.
Elle contacte sur-le-champ le procureur en faisant un signalement en
urgence avec une demande immédiate de protection des enfants qu’elle
considère comme en danger. À la stupéfaction des parents, venus de leur
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propre gré demander de l’aide, les enfants leur ont été retirés. Les trois
filles doivent dormir sur place à l’hôpital. Une demande de placement
en urgence dans un foyer est formulée par le procureur, en attendant que
le juge pour enfants puisse prendre une nouvelle décision.
La famille est dans une situation de crise catastrophique. C’est comme
une dégringolade infernale. Un destin tragique semble s’abattre inexo-
rablement et de façon irréversible. L’autorité parentale des parents est
massivement disqualifiée. Effondrés, ils reviennent le lendemain et tentent
de reprendre les enfants à l’hôpital. Ils peuvent à peine les voir. Les
enfants pleurent, la mère crie, le service médical de pédiatrie est sens
dessus-dessous. L’administration de l’hôpital général insiste pour que le
placement en foyer soit assuré le plus vite possible. La mère accuse son
mari d’impuissance face à cette situation ; très agitée, elle se retrouve
hospitalisée malgré elle aux urgences, avec des prescriptions d’anxioly-
tiques. Le psychiatre sollicité envisage son internement à l’hôpital psychia-

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trique. La jeune fille abusée et ses sœurs se sentent punies, déchirées de
voir leurs parents dans un tel désarroi et soumis à la toute-puissance de
l’autorité médico-judiciaire.
Contactés par le service de pédiatrie, nous nous retrouvons dans une
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situation très difficile. En effet, comment rester garants de notre cadre


thérapeutique qui impose le respect du secret des contenus des entre-
tiens familiaux, la non-intervention sur le plan de la réalité, alors que
nous constatons que cette famille est dans une situation de détresse et
que s’engage un scénario familial catastrophique dont nous sommes
témoins ?
Nous nous disons qu’il y a là exigence d’assistance à personne en
danger et nous prenons contact avec le procureur pour préciser la conti-
nuité du cadre psychothérapique et pour lui témoigner notre perplexité.
Nous rappelons que nous sommes engagés dans une démarche où il nous
apparaît plutôt essentiel que soit soutenu le maintien des liens et des rela-
tions, que l’autorité parentale soit respectée et que la famille puisse gérer
au moins mal la situation de catastrophe dans laquelle elle se trouve.
Nous décidons d’organiser un nouvel entretien familial, en invitant le
procureur à autoriser la présence des enfants accompagnés par les éduca-
teurs du foyer où ils sont placés.
Ceci n’a été possible que grâce au travail de réseau que nous réali-
sons avec l’ensemble des partenaires médico-psycho-sociaux et juri-
diques du département. C’est là une fonction thérapeutique d’étayage
contenant que nous appelons le maillage-réseau. Nous nous connaissons
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personnellement, nous organisons un séminaire ouvert à l’ensemble des


partenaires du réseau. Le travail de réseau a facilité la création d’un climat
de confiance, la crédibilité du travail engagé dans le respect du secret
correspondant à chaque espace et le respect de la différence des démarches
engagées. La dérision dans cette histoire est que justement nous avions,
la semaine suivante, un colloque ayant pour thème : « Les familles parte-
naires ou comment travailler avec les familles dans la pluralité des
contextes médico-psycho-sociaux ? ! »
Les travailleurs sociaux ont pu témoigner auprès du juge de l’intérêt
d’un retour des enfants dans leur famille, ce qui a pu être décidé dans
les trois jours par le juge. La famille n’a cependant pas supporté la déci-
sion d’une AEMO (Aide éducative en milieu ouvert) d’Aline de la part
d’une éducatrice. Les parents se sentaient dévalorisés dans leur fonction
éducative protectrice des enfants. Ils avaient l’impression d’une présence
intrusive qui venait les surveiller, les contrôler. Le week-end précédant

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la première visite, ils ont passé leur temps à tout nettoyer dans la maison
et l’éducatrice a été reçue presque sur le pas de la porte. Sa présence était
associée, dans les représentations familiales, à celle de la justice qui leur
avait rapté les enfants.
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Le procès a eu lieu. Père, mère et Aline ont témoigné. Le grand-père


a été condamné à de la prison avec sursis. Aline et le père sont satisfaits.
La mère s’insurge contre l’absence de mesure de soins à l’égard du grand-
père abuseur, avec le risque qu’il puisse ainsi en toute liberté continuer
ses pratiques pédophiles.

Justice menaçante ?
La famille semble retrouver une certaine sérénité, malgré la série d’évé-
nements catastrophiques qui se sont succédés, au prix cependant de soma-
tisations multiples (problèmes d’estomac, migraines, céphalées, épuise-
ment). Le père se retrouve au chômage et perd le procès qu’il mène contre
son patron, la signature qui aurait dû sceller le nouveau contrat de travail
prévu n’a pu se faire en raison de la mutation soudaine du PDG avec
lequel s’était engagée la négociation.
Avec tout cela, la famille se retrouve unie plus que jamais. Au « Ouf ! »
qu’Aline exprimait en thérapie familiale dans son premier dessin, suite
au signalement à la police de l’abus dont elle était victime, et aux nuages
noirs des premiers dessins de la petite sœur, succèdent un arc-en-ciel
puis les éclats d’un soleil rayonnant dans la prairie. Nous sommes inves-
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tis, dans le transfert projeté sur un dessin d’une des deux sœurs d’Aline,
comme un coq protecteur témoin du déchaînement des éléments, un para-
tonnerre qui semble les aider à éviter la foudre. Nous rencontrons dans
cette situation la mise en jeu de différents niveaux de parentalité et d’au-
torité parentale.
Nous avons vu comment le père était en conflit de loyauté, d’une part
avec son père, d’autre part avec femme et enfants. En disant : « C’est une
gangrène, il a fallu m’amputer le bras » ; « plus qu’un bras, c’est la moitié
de moi-même que j’ai coupée, elle ne repoussera pas », il expose une
rupture du lien de filiation, avec un clivage qui le touche au niveau indi-
viduel et au niveau familial et dans son image du corps.
Comment autrement rester crédible dans l’exercice de son autorité
parentale et assurer sa responsabilité par rapport au lien affiliatif pour
lequel il s’est engagé en choisissant de reconnaître la fille de sa femme ?
Cette autorité a été interpellée par sa femme. Elle est disqualifiée par le

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frère aîné d’Aline. À l’extérieur de la famille, les références de l’auto-
rité sont représentées par l’école, les travailleurs sociaux, les médecins,
la justice et l’employeur. Comment ce père peut-il tenir sa place ? Globa-
lement la figure surmoïque du père et de l’autorité est défaillante : compor-
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tements incestueux de son père, pratique frauduleuse envers lui de la part


de son patron qu’il respectait, médecin qu’il va consulter en confiance
qui lui rapte ses enfants…
Comment se positionner vis-à-vis de l’autorité de la loi ? La loi est
réclamée pour faire justice face au délit de l’abus incestueux, mais elle
est aussi menaçante pour l’intégrité du groupe familial. Le même juge
pour enfants s’est trouvé concerné d’abord par l’abus sexuel, et ensuite
par la mesure de placement des enfants en urgence en foyer. La justice
devient à la fois protectrice et persécutrice.

Autorité légale, autorité légitime


Nous constatons dans cet exemple qu’il y a une différence entre ce que
je propose d’appeler une autorité parentale légitime, en référence avec
le lien, et une autorité parentale légale en rapport avec la loi.
Le lien, c’est à la fois le lien de filiation et le lien d’affiliation. Leur
intrication forme un maillage généalogique contenant l’autorité paren-
tale légitime, celle qui se réfère au lien de filiation. La filiation renvoie,
au niveau vertical ascendant, aux parents/grands-parents/arrière-grands-
parents jusqu’à la figure de l’ancêtre et au niveau descendant aux enfants,
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aux petits-enfants et même à ceux qui ne sont pas encore nés, présents
dans l’anticipation psychique familiale.
Cette légitimité de naissance est différente de l’autorité parentale
légale qui peut être codifiée selon la décision d’un juge. L’autorité légale
sera attribuée, par exemple, à un parent, ou aux deux, et sera associée,
selon le cas, à des droits de visite et d’hébergement.
Ainsi, il peut y avoir congruence ou non entre l’autorité légitime liée
au lien et l’autorité légale désignée selon l’application d’une décision de
justice. Ces interrogations à propos du lien de filiation posent des ques-
tions fondamentales sur la nature du lien lors des assistances médicales
à la procréation, dans les différentes formes d’adoptions. Elles se posent
avec une nouvelle actualité quand se légalisent, par exemple, avec le
PACS de couples homosexuels, de nouvelles figures de l’autorité paren-
tale légale ou quand on légifère sur les informations minimales à trans-
mettre tout en maintenant le secret de la filiation dans les accouchements

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sous X.
La prise de conscience de ces références différentes de l’autorité paren-
tale a des incidences cliniques majeures dans la pratique médico-sociale.
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Décisions de justice à propos de placement d’enfant


Évoquons ici les disqualifications parentales auxquelles sont confron-
tées les familles dans des décisions de justice, par exemple à propos de
placement d’enfant dans un foyer d’accueil et d’urgence.
Il est essentiel de différencier nettement l’autorité décisionnelle du
juge de celle de l’institution. Dans l’institution, il doit y avoir des diffé-
rences claires entre le statut, la fonction et le rôle de chacun. Quel est le
champ de responsabilité de chaque intervenant sans confusion des niveaux
hiérarchiques ? De ce point de vue, famille et institution se trouvent
concernées par une situation de fait, à la suite d’une décision de justice
de placement, par exemple. C’est dire l’importance, dès l’admission,
d’un projet construit en commun avec les parents pour définir, dans un
partenariat réciproque respectueux de la compétence de chacun, des direc-
tions, des objectifs qui permettent d’élaborer les conditions de sortie de
l’institution en même temps que le soutien à la parentalité en souffrance.
Autrement, nous nous retrouvons dans des escalades symétriques violentes
entre les parents disqualifiés et les institutions qui risquent progressive-
ment de se substituer aux premiers en tant que références néoparentales
adoptantes.
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52 LE DIVAN FAMILIAL

L’institution devient rivale adoptante


Par rapport à la légitimité de la parentalité, le contre-transfert insti-
tutionnel mobilise un rejet des parents rivaux, et l’exclusion de cette
famille vécue comme insuffisamment bonne, voire comme mauvaise
pour l’enfant. Les situations peuvent se chroniciser dans la frilosité, tout
projet de sortie pouvant inconsciemment être mis en échec.
Comment par ailleurs ne pas penser ici à un discours qui se développe
même chez certains thérapeutes familiaux psychanalytiques 1 et qui
prétend dénoncer une supposée « idéologie du lien », pour soutenir, y
compris par des mesures juridiques, la prolongation du placement « dans
de bonnes institutions et familles d’accueil » ?
Lorsque l’autorité parentale légitime et l’autorité parentale légale sont
menacées, cela se traduit par une souffrance des liens et une vulnérabi-
lité de la fonction contenante des familles. C’est une source de violence.

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Le rejet réactualise souvent des disqualifications. L’histoire familiale et
ce qui n’a pu s’y élaborer se transmet de génération en génération. Le
destin tragique « catastrophique » (Benghozi, 1995) de la famille semble
s’imposer comme un « deus ex machina ». Les familles sont désenga-
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gées, dépassées par leurs angoisses catastrophiques et incapables de solli-


citer de l’aide ou, au contraire, débordées, elles ne cessent de tirer des
sonnettes d’alarme. Dépossédées de leur compétence psychique, elles
régressent et sont de plus en plus dépendantes, dans l’attente d’une assis-
tance qui se substitue à la création de mécanismes de défense, plutôt que
de favoriser le recours à ce que nous appelons « la résilience familiale ».
Il y a enchevêtrement entre l’implication du juridique dans l’écoute
des familles, les références d’autorité et les représentations confuses que
la famille a de l’institution et que l’institution a des familles. Quelles
représentations les familles se font-elles des représentations que nous
avons d’elles-mêmes ? Comment vivent-elles les représentations qu’elles
imaginent que les intervenants médico-psycho-sociaux ont de leur
famille ? Avec cette dialectique des représentations se met en jeu l’in-
supportable de la honte et de l’humiliation que vivent les familles lorsque
la légitimité du lien est disqualifiée. La légitimité du lien ne concerne
pas seulement le rapport des parents vis-à-vis des enfants. Elle situe

1. D’après eux, l’idéologie du lien conduirait à l’erreur de favoriser le travail de recons-


truction de liens familiaux détruits.
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également l’enfant, les descendants dans la chaîne filiative et donc à


l’égard des parents, des ascendants.
Pour être au plus près de la loyauté des enfants vis-à-vis des parents,
cela ne nous invite-t-il pas, dans la clinique, à un travail constant, impli-
quant nos contre-attitudes, notre propre subjectivité contre-transféren-
tielle afin de considérer l’autorité légitime des parents dans le respect
fondamental de la dignité de l’humain ?

En conclusion, le légal n’est pas le légitime


Ces deux axes sont organisateurs à l’interface entre l’individuel et le
groupal familial ou le groupal. La loi sociale est l’expression du codage
des règles et des interdits qui gèrent les relations entre l’individu et le
socius dans un contexte donné. Elle est ritualisée avec la mise en jeu du
juridique. L’interdit, les droits, les devoirs sont d’un autre registre que

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celui du désir inconscient. Cependant, le rapport à l’autorité et à la trans-
gression sollicite le surmoi groupal. D’autre part, l’idéal du moi grou-
pal au niveau inconscient et la référence aux valeurs structurent, avec le
mythe fondateur, le lien généalogique. Une autre manière de le dire
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consiste à dénoncer le malentendu et les conséquences cliniques parfois


dramatiques d’une confusion entre l’écoute de la culpabilité et celle de
la honte. La reconnaissance de ces différences à propos de l’autorité
parentale est essentielle à la fois dans notre approche psychanalytique
du lien, mais encore d’un point de vue éthique.
Je terminerai en inscrivant la dimension de l’autorité sous l’angle de
la responsabilité, dans une perspective éthique avec cette phrase du philo-
sophe Emmanuel Levinas dans Éthique et infini, « Je me sens respon-
sable de l’autre, du simple fait que je rencontre son visage ».

Bibliographie
Benghozi P. (1994), Porte la Honte et maillage des contenants généalogiques, in
Revue de Psychothérapie psychanalytique de groupe.
Benghozi P. (1995), Effraction des contenants généalogiques familiaux, transfert
catastrophique, rêveries et néosecrets. in Revue de Psychothérapie psychana-
lytique de groupe, n° 24.
Benghozi P., sous la dir. de (1999), Adolescence et Sexualité, Liens et Maillage
réseau, préface Lebovici S., Paris, L’Harmattan.
Guyotat J. (1980), Mort, naissance et filiation. Études psychopathologiques sur le
lien de filiation, Paris, Masson.
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de thérapie familiale psychanalytique, in Le groupe familial en psychothérapie,
Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 22.
Levinas E. (1982), Éthique et infini, Paris, Le livre de poche.
Théry I. (1998), Couples, filiation et parenté aujourd’hui. Le droit face aux muta-
tions de la famille et de la vie privée, Paris, Odile Jacob.



RÉSUMÉ

« Autorité parentale légitime, autorité parentale légale. » Après avoir distingué la notion

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d’autorité parentale légitime par rapport à l’autorité parentale légale dans une référence
psychanalytique du lien, l’auteur illustre, à partir d’exemples de TFP et de situations
psychosociales, l’intérêt de l’écoute d’une telle distinction dans la compréhension de
l’émergence des processus de violence intra-familiale et institutionnelle. L’auteur expli-
cite les enjeux des secrets familiaux à l’interface entre la construction du lien et la réfé-
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rence à la loi dans les familles incestueuses.

MOTS CLÉS

Autorité parentale légitime — Autorité parentale légale — Parentalité — Secrets familiaux


— Familles incestueuses — Thérapie familiale psychanalytique.

SUMMARY

“Legitimate parental authority, legal parental authority.” After having distinguished the
concept of “legitimate parental authority” from the one of “legal parental authority” in
the psychoanalytical context of the family relationship, we will illustrate the importance
of such a distinction when dealing with the comprehension of the institutional and inter-
family violence process. Examples chosen among various psychoanalytical family thera-
pies and socio-psychological situations will help us elucidate this distinction. We will
then clarify the family secrets stakes facing both the relationship construction and the
reference to the law among incestuous families.

KEY WORDS

Parenthood — Legitimate parental authority — Legal parental authority — Psycho-


analytical family therapy — Family secrets — Incestuous family.
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RESUMEN

« Autoridad parental legítima y legal. » Luego de haber diferenciado la noción de auto-


ridad legítima en relación con la autoridad parental legal, en una referencia psicoanalí-
tica del vínculo, el autor ilustra, a partir de ejemplos de TFP y de situaciones sociales,
el interés de la escucha de esta distinción para la comprensión de la emergencia de los
procesos de violencia intrafamilial y institucional. El autor explicita l’importancia de los
secretos de familia en la interface entre la construcción del vínculo y la referencia a la
ley en las familias incestuosas.

PALABRAS CLAVE

Autoridad parental legítima y legal — Parentalidad — Secretos familiales — Familias


incestuosas — Terapia familial psicoanalítica.



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DOCTEUR PIERRE BENGHOZI
psychiatre, psychanalyste,
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Intersecteur psychothérapique du couple et de la famille,


secrétaire de la Société française de psychothérapie
psychanalytique de groupe, SFTFP
3, villa de la Croix-Nivert, 75015 Paris

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