Vous êtes sur la page 1sur 7

TRAVAIL PRÉCAIRE ET PAUVRETÉ DES FAMILLES

Un constat du Secours catholique

Gilbert Lagouanelle

Caisse nationale d'allocations familiales | « Informations sociales »

2007/6 n° 142 | pages 54 à 59


ISSN 0046-9459
DOI 10.3917/inso.142.0054
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2007-6-page-54.htm
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales.


© Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Protection sociale et emploi
DES P O P U L AT I O N S E M B L É M AT I Q U E S , D E S S I T U AT I O N S P R O B L É M AT I Q U E S

Gilbert Lagouanelle – directeur de l’Action institutionnelle France, Secours catholique

Travail précaire et pauvreté des familles


Un constat du Secours catholique


Les rapports annuels du Secours catholique révèlent les situations concrètes
(et souvent extrêmes) des familles en demande d’aide. Pas de travail ou un
travail fragile, mal rémunéré, aux horaires atypiques, qui place les femmes
en charge d’enfants dans des situations inextricables. Le Secours catholique
accueille et soutient des travailleurs pauvres ou des pauvres sans travail.
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)
Selon son rapport de 2005, le Secours catholique a
accueilli et accompagné 689 500 situations de pauvreté.
En un an, la progression a été de 5,65 %. Compte tenu de
la composition moyenne des familles, ce sont 1,57 million
de personnes qui sont concernées. Ce rapport permet
d’avoir une analyse et une approche significatives de la
grande pauvreté. C’est un indicateur, un révélateur. Mais
le Secours catholique, qui rencontre souvent des situa-
tions extrêmes, repérées par ses 4 100 équipes sur le ter-
ritoire, ne prétend aucunement couvrir la totalité de la
pauvreté en France (1). Les personnes seules et isolées
progressent. Les familles avec enfants ne représentent
plus que 49 % des situations. Ce pourcentage est en dimi-
nution lente mais régulière. Parmi elles, les familles
monoparentales sont majoritaires (59 %). Plus de la moi-
tié des enfants vivent dans ce type de famille (53 %).

Les formes particulières d’emploi


Le chômage gangrène la vie des personnes rencontrées.
44 % sont au chômage. Les deux tiers ne sont pas
indemnisées (+ 5 % en deux ans). Le pourcentage de per-
sonnes qui ont un emploi est en baisse constante (18 %,
soit – 1 % en deux ans). Parmi elles, deux sur trois dispo-

54 Informations sociales n° 142


Protection sociale et emploi
DES P O P U L AT I O N S E M B L É M AT I Q U E S , D E S S I T U AT I O N S P R O B L É M AT I Q U E S

sent d’une “forme particulière d’emploi” (intérim, sai-


sonnier, temps partiel, contrat aidé…). 8 % vivent d’em-
plois dissimulés et donc très aléatoires. Près d’un emploi
sur dix est en contrat à durée déterminée, deux sur cinq
sont en intérim. Les emplois à temps partiel, souvent
subis, sont en progression régulière : 17 % en 2003 ; 18 %
en 2005. Inversement, le pourcentage de salariés en
contrat à durée indéterminée est en baisse constante : de
27 % en 2003, ils sont passés à 25 % en 2005.
Une étude réalisée en 2003 dans un précédent rapport du
Secours catholique a permis de calculer un indice de fra-
gilité (2) par type d’emploi, en rapprochant ceux dont
bénéficiaient les accueillis de l’association de l’ensemble
des statuts des emplois occupés dans la population active
en France. Ainsi, l’indice de fragilité était de 9,1 pour un
intérim et de 0,4 pour un contrat à durée indéterminée.

Une grande fragilité


© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)
Pourtant, qu’il s’agisse de “formes particulières d’em-
ploi” ou de contrat à durée indéterminée, les emplois des
salariés rencontrés par le Secours catholique révèlent au
grand jour la fragilité et la pauvreté des familles. Celles
qui bénéficient de “formes particulières d’emploi” vivent
dans la précarité et dans l’absence de sécurité. Elles sont
dans l’impossibilité de se projeter dans l’avenir, même
immédiat. Tout projet de vie est mort-né. Cette insécurité
a essentiellement deux sources : la précarité des statuts de
l’emploi ainsi que l’insuffisance et l’irrégularité des
revenus. Ces personnes ont souvent une formation faible
ou inexistante. 9,3 % rencontrent des difficultés à lire
ou/et à écrire et sont en situation d’illettrisme. 7 sur
10 ont un niveau d’études inférieur à la classe de cin-
quième, au niveau VI.
L’emploi intérimaire et saisonnier de courte durée sert
d’ajustement lorsque la conjoncture de l’emploi s’amé-
liore dans notre pays. Mais il ne se traduit que rarement
par une amélioration durable de la situation des personnes
employées. Dès que la conjoncture se dégrade, celles-ci se
retrouvent aussitôt sans emploi. On pourrait pourtant espé-
rer que l’intérim, le contrat aidé, le contrat à durée déter-
minée permettent progressivement d’accéder à un emploi
plus durable. Il n’en est rien pour la plupart d’entre elles.
L’absence paralysante de formation scolaire et profes-

n° 142 Informations sociales 55


Protection sociale et emploi
DES P O P U L AT I O N S E M B L É M AT I Q U E S , D E S S I T U AT I O N S P R O B L É M AT I Q U E S

sionnelle et la très grande fragilité sociale sont des facteurs


aggravants qui les rendent particulièrement vulnérables.

Les femmes et les jeunes les plus touchés


Les femmes et les jeunes sont les plus touchés par la pau-
vreté liée aux “formes particulières d’emploi”. Ces fem-
mes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à
avoir un emploi régulier. Mais ces emplois sont le plus
souvent à temps partiel ou des contrats aidés. Les
mères isolées y sont très majoritaires. Il leur revient
d’assumer seules l’éducation des enfants. Elles doivent
nécessairement trouver des emplois adaptés à cette dou-
ble contrainte : disposer d’un revenu pour faire vivre leur
famille et être présentes auprès de leurs enfants. Si cer-
taines parviennent à répartir leurs journées de travail sur
la semaine de façon à se rendre disponibles aux enfants,
en réalité, bien des femmes n’ont pas le choix et sont
dans l’obligation vitale d’accepter des emplois à temps
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)
partiel subi, à pénibilité très importante, mais réguliers, à
faible rémunération et à horaires décalés, peu compati-
bles avec leurs responsabilités de mères de famille. Les
emplois dans les grandes surfaces commerciales, de ser-
vice à la personne ou encore dans les entreprises de net-
toyage sont souvent les seules possibilités pour ces per-
sonnes. La garde des enfants devient une réelle difficulté.
Les horaires des crèches – quand elles existent – sont le
plus souvent inadaptés. Les assistantes maternelles ne
sont pas toujours disponibles pour accueillir des enfants
dont les parents sont contraints par une grande amplitude
d’horaires de travail. Les conditions de transport en com-
mun sont harassantes en zone urbaine. En zone rurale, la
faible densité des réseaux de transports collectifs oblige
souvent les familles à utiliser la voiture qui a un coût
important pour de très faibles budgets. Aussi, les équipes
du Secours catholique constatent très fréquemment que
les familles renoncent à prendre une police d’assurance
pour leur véhicule, faute de moyens suffisants. Il faut
choisir entre vivre à minima et l’infraction.

Les faibles salaires des CDI


Les personnes qui sont en contrat à durée indéterminée
devraient être théoriquement plus sécurisées et ne pas
avoir à faire à une association caritative. Pourtant, parmi

56 Informations sociales n° 142


celles qui viennent au Secours catholique et qui ont un
emploi, 25,42 % bénéficient de ce type de contrat. Certes,
ce pourcentage est en léger recul depuis quelques années,
mais le nombre de personnes concernées est encore
important. Leurs revenus ne permettent pas de vivre
décemment. Ce sont de très petits salaires (voir dans ce
dossier l’article de Julien Damon).

De nombreux impayés
Près des deux tiers des personnes ou familles rencontrées
en 2005 par le Secours catholique ont des impayés
(63,6 %). Cela représente une augmentation de trois
points par rapport à l’année précédente. En revanche,
le montant moyen de ces impayés (1 382 euros) est net-
tement inférieur à celui de 2004 (1 646 euros). Il repré-
sente, en 2005, 1,7 mois de revenus contre 2 mois l’an-
née précédente. La diffusion des impayés sur un plus
grand nombre de ménages qu’auparavant explique cette
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)
évolution. Davantage de ménages ont des impayés, mais
ces derniers sont moins dispersés sur plusieurs postes de
dépenses. Ils sont d’un montant moins élevé. Leur nature
est le plus souvent liée au logement. Les dettes de loyer
touchent 36 % des familles, celles d’électricité et de gaz,
31 % des foyers, et les dettes d’eau, 14 %. Ces familles
ont des crédits à la consommation dans 12 % des situa-
tions. 17 % ont des découverts bancaires.

L’appauvrissement des familles


Le Secours catholique constate un appauvrissement des
familles. Deux indicateurs sont particulièrement significa-
tifs : le paiement du loyer et le reste à vivre. En deux ans,
l’évolution du taux d’effort (3) brut pour le loyer est passé
de 41 % à 42 % en HLM (après prise en compte de l’aide
au logement, l’effort net passe de 17,1 % à 17,4 %). En
secteur privé, l’accroissement est significatif. Le taux
d’effort brut passe de 47,5 % à 49,7 % (après prise en
compte de l’aide au logement, l’effort net passe de 22,6 %
à 24,3 %). Les familles en HLM représentent 40,4 % des
situations rencontrées. 31,3 % sont en location privée.
L’accroissement du taux d’effort montre que les loyers
ont augmenté plus vite que les revenus. Les aides au
logement n’ont pas compensé cette hausse. Les familles
qui ne bénéficient pas de l’aide au logement parce que les

n° 142 Informations sociales 57


conditions ne sont pas réunies se trouvent dans une situa-
tion intenable (4).
Nombre d’entre elles, faute de ressources suffisantes
et/ou régulières, ayant un emploi peu sécurisant pour
le bailleur, se retrouvent contraintes d’être hébergées
en logements précaires. Elles sont 20,5 %, soit plus de
140 000 parmi les situations rencontrées par le Secours
catholique, à loger chez des amis, en squat, en hôtel, en
foyer ou en hébergement de fortune, dans des cabanes,
dans des campings, dans des bungalows, dans des cara-
vanes et même à la rue, tout en ayant un travail. Emplois
précaires et faibles salaires ne permettent pas d’accéder
au logement et de s’y maintenir dans la sérénité et la
dignité. Aussi faut-il s’interroger sur le sens du travail
lorsqu’il ne permet pas au salarié de faire vivre digne-
ment les siens et d’accéder à un logement autonome.
Les personnes et familles en situation de précarité et de
pauvreté ont un désir profond et vif de dignité. Avoir un
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)
emploi, pouvoir nourrir sa famille, c’est être respecté vis-
à-vis de soi-même et des autres. C’est sortir de la honte.
Les dépenses connexes liées à l’emploi (transport, frais
de garde des enfants, habillement…) sont à prendre en
compte dans le budget familial. Le travail peut être ainsi
source d’appauvrissement lorsque les rémunérations sont
trop faibles. Les démarches engagées actuellement
autour de l’intéressement ou du Revenu de solidarité
active (RSA) se trouvent justifiées par les situations des
salariés accueillis par le Secours catholique et employés
dans des “formes particulières d’emploi”. En 2005,
l’augmentation des prix à la consommation a été de
1,8 % en moyenne annuelle. Dans le parc social, le reste
à vivre pour les familles rencontrées par le Secours
catholique était de 686 euros ; dans le parc privé, il était
de 606 euros. Depuis plusieurs années, la hausse des
loyers est désastreuse. Elle absorbe plus que les aug-
mentations des revenus. Le revenu moyen par unité
de consommation était de 489 euros. Le rapport 2003
montrait que parmi les personnes rencontrées, seuls les
couples sans enfant ayant un contrat à durée indéterminée
se trouvaient au-dessus du seuil de pauvreté européen
(60 % du revenu médian). Ainsi, pour une famille avec
deux enfants, le niveau de vie moyen allait de 620 euros
avec un emploi en contrat à durée indéterminée (à temps

58 Informations sociales n° 142


Protection sociale et emploi
DES P O P U L AT I O N S E M B L É M AT I Q U E S , D E S S I T U AT I O N S P R O B L É M AT I Q U E S

plein) du chef de famille, à 444 euros avec un temps NOTES

partiel, 447 euros avec un emploi aidé et 413 euros avec


1 - Pour les situations autres, le rapport
un emploi intérimaire. 2005-2006 de l’Observatoire national de la
pauvreté et de l’exclusion sociale renvoie
Entre emplois précaires et chômage, au chiffre du rapport de l’année 2003, à
un va-et-vient permanent savoir 7 millions de personnes en dessous
du seuil de pauvreté européen (60 % du
Beaucoup de personnes victimes des emplois précaires revenu médian).
font l’aller et retour entre chômage et emploi. Ce “yo-yo” 2 - En rapprochant la répartition par type
permanent entre activité et inactivité est usant et décou- d’emploi chez les accueillis du Secours
catholique de cette même répartition dans
rageant pour les personnes. Il génère aussi une embolie l’ensemble de la population française, on
administrative et une complexité des dossiers sociaux peut calculer un indice de fragilité, ou d’ex-
position à la pauvreté, qui permet de classer
pour les familles. Les ruptures de droits sont fréquentes. les emplois entre eux : la valeur 1 de l’in-
La multiplication des justificatifs demandés et des démar- dice marque la neutralité, une valeur plus
faible que 1 marque une moindre exposi-
ches à entreprendre, l’attente d’un rendez-vous sont tion à la pauvreté de ce type de travail, une
décourageantes, épuisantes et frustrantes pour les per- valeur plus grande que 1 marque une plus
sonnes. Elles ne contribuent pas à aborder un nouvel forte exposition à la pauvreté.

emploi sereinement, sachant qu’il faudra, dans un délai 3 - Le taux d’effort est le rapport entre le
loyer et le revenu du ménage. Il mesure la
plus ou moins court, recommencer le circuit des guichets part du loyer dans le revenu. On peut cal-
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)
et de la recherche d’emploi. Les ruptures de revenus sont culer un taux d’effort brut, c’est-à-dire avant
encore trop fréquentes. En 2005, 11,5 % des personnes déduction de l’aide au logement, et un taux
d’effort net, après déduction de cette aide.
ou des familles n’avaient aucune ressource au moment
4 - Les conditions d’attribution de l’aide au
de leur rencontre avec le Secours catholique. logement ne sont pas toujours remplies par
les personnes rencontrées par le Secours
La confiance catholique. Ou bien ces personnes ne
disposent pas d’un logement décent au sens
Le dernier rapport de l’association, réalisé à partir d’en- du Code de la Sécurité sociale (à savoir :
tretiens individuels effectués auprès de 10 452 personnes, insalubrité, manque d’installations sanitai-
res, étroitesse du logement…), ou bien elles
rend compte d’un isolement largement ressenti. Lutter ne remplissent pas les conditions de natio-
contre la pauvreté et l’exclusion passe par la lutte contre nalité ou de séjour régulier.
l’isolement de nombreuses familles taraudées par la peur
du regard, du mépris, de l’humiliation. Ces familles ont
besoin non pas de méfiance, mais de confiance. Les
accompagner est une nécessité, une obligation morale
et sociale.

n° 142 Informations sociales 59

Vous aimerez peut-être aussi