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Les relations financières entre l'État et les collectivités

territoriales : un sauvetage des conseils généraux orchestré


au prix fort
Patrick Le Lidec
Dans Informations sociales 2010/6 (n° 162),
162) pages 32 à 40
Éditions Caisse nationale d'allocations familiales
ISSN 0046-9459
DOI 10.3917/inso.162.0032
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Décentralisation dans le champ social : où en est-on ?
Évolutions en cours et à venir

Les relations financières entre


l’État et les collectivités
territoriales : un sauvetage
des conseils généraux
orchestré au prix fort
Patrick Le Lidec – politologue

Le transfert aux conseils généraux, dans les années 2000, d’une


 part des compétences de l’État en matière d’aide et d’action
sociales continue d’être la source de conflits entre ceux-ci et
le gouvernement. D’une part, la compensation de ressources
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n’est pas toujours à la hauteur des nouvelles charges ; d’autre
part, l’attribution de fonctions de solidarité nationale à des
collectivités locales, qui apparaît comme une mesure de
sauvetage des conseils généraux menacés par le développement
de l’intercommunalité, ne va pas sans poser de problèmes
politiques.

Si, dans une acception minimale, la décentralisation désigne un transfert de


compétences de l’État à des collectivités territoriales, dont les organes diri-
geants sont élus, elle s’accompagne souvent, mais pas toujours, du transfert
de différentes ressources censées leur permettre de faire face à l’augmen-
tation des dépenses qu’implique l’exercice de ces compétences. L’article 9
de la charte européenne de l’autonomie locale, ratifiée par la France en 2007,
reconnaît l’importance de ce principe en prévoyant que « les systèmes finan-
ciers sur lesquels reposent les ressources dont disposent les collectivités locales doivent être
de nature suffisamment diversifiée et évolutive pour leur permettre de suivre, autant que
possible dans la pratique, l’évolution réelle des coûts de l’exercice de leurs compétences ».
Dans le champ de l’aide et de l’action sociales, l’ensemble des transferts ou
des créations de compétences mis à la charge des conseils généraux au
cours de la décennie passée a donné naissance au développement de conflits
permanents entre les responsables de ces collectivités et les gouverne-
ments qui se sont succédé durant cette période. L’ampleur des conten-

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tieux relatifs à l’insuffisance des ressources transférées par l’État pour


compenser le coût de ces transferts a conduit de nombreux acteurs et
observateurs à interpréter cette politique de « décentralisation » tantôt
comme une manœuvre de désengagement des gouvernements centraux,


tantôt comme une stratégie réussie pour se
délester de compétences inflationnistes sur Le train de réformes des années 2000 (...)
les gouvernements locaux, tantôt comme ne se comprend qu’à la lumière
un transfert du « mauvais risque » (Le Lidec,
2007). Si cette grille de lecture apparaît, à
de la menace majeure qui pèse
alors sur les conseils généraux.

bien des égards, pertinente au regard de
l’impact budgétaire négatif de ces transferts pour les conseils généraux, elle
se révèle insuffisante. Une bonne compréhension des relations financières
entre l’État et les conseils généraux dans le champ de l’aide et de l’action
sociales au cours de la décennie passée suppose de faire un détour par
l’histoire. Celle-ci révèle alors en creux un bricolage ambigu qui a consisté
à confier aux conseils généraux des compétences relevant de la solidarité
nationale en vertu d’une rationalité plus institutionnelle que substantielle.
Si ces transferts ont permis aux gouvernants de sauver provisoirement les
conseils généraux d’une disparition annoncée, ils n’ont pas été inscrits dans
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une architecture institutionnelle, claire et équilibrée, gage de pérennité.

L’avènement du « département-providence »
comme stratégie de sauvetage des conseils généraux
Le train de réformes des années 2000, attribuant à des institutions locales
des fonctions relevant de la solidarité nationale, ne se comprend qu’à la
lumière de la menace majeure qui pèse alors sur les conseils généraux. Ces
institutions, qui doivent en grande partie leur place et leur légitimité dans
l’architecture territoriale française à l’exceptionnel émiettement communal
qu’elles visent à compenser, sont profondément bousculées par le déve-
loppement de la « révolution intercommunale ». La perspective d’une
couverture de tout le territoire français par des communautés conçues
comme des espaces de solidarité vient directement concurrencer les conseils
généraux sur le terrain de la péréquation intercommunale.
Cette dynamique intercommunale, initiée par la loi du 6 février 1992 relative
à l’administration territoriale de la République, et renforcée par la loi du
12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de l’inter-
communalité, porte en germe une suppression des conseils généraux, de
plus en plus fréquemment évoquée (Le Lidec, 2007). En raison des tensions
budgétaires croissantes – qui condamnent le coût du « modèle français »
caractérisé par une superposition de quatre niveaux institutionnels (com-
munes, intercommunalités, départements, régions) – et en convergence
avec une Europe qui privilégie le niveau régional, une part croissante des
experts et des administrations centrales se rallie à l’idée d’un renforcement

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rapide des régions et des intercommunalités, envisagées comme les échelons


d’avenir, et à la perspective d’un dépérissement progressif des conseils
généraux. Si l’État privilégie, en cohérence avec ces orientations, le
renforcement de l’échelon régional pour sa propre organisation, cette
régionalisation ne fait pas consensus chez les élus locaux et heurte de front
des sénateurs arc-boutés à la défense des conseils généraux (Le Lidec,
2008). Au début des années 2000, le transfert massif de compétences
relatives à l’aide et à l’action sociales au sens large, appartenant au bloc des
fonctions de solidarité nationale, apparaît alors comme une manœuvre de
retardement de l’extinction programmée des conseils généraux, sinon

“ (...) cette régionalisation ne fait pas


consensus chez les élus locaux (...).
“ comme une alternative explicite à celle-ci.
En écartant la constitution d’une cin-
quième branche de la Sécurité sociale, et en
choisissant de confier la gestion de
l’allocation personnalisée d’autonomie (Apa) aux conseils généraux par la
loi du 20 juillet 2001, le gouvernement Jospin refuse de tirer tous les
enseignements de la relance de l’intercommunalité qu’il vient pourtant de
décider, préférant éviter de faire un pas de plus en direction de la
suppression des conseils généraux (Frinault, 2005). Loin de s’affranchir
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des ces ambiguïtés, la politique du Gouvernement Raffarin va au contraire
les exacerber : en dépit des accents régionalistes et du projet fédéraliste qu’il
nourrit, il tend paradoxalement à faire émerger un « département-
providence » (Lafore, 2004), qui ne sera pas remis en question par ses
successeurs. Diverses lois, transférant la gestion du Revenu minimum
d’insertion (RMI) (18 décembre 2003), poursuivant celle de l’action sociale
(13 août 2004) ou créant la Prestation de compensation du handicap (PCH)
(11 février 2005), confiant le rôle de chef de file de la protection de
l’enfance aux conseils généraux (5 mars 2007) ou encore généralisant la
gestion du Revenu de solidarité active (RSA) à cet échelon (1er décembre
2008) s’inscrivent alors dans une perspective de contre-réforme visant à
reconstruire la légitimité du conseil général. Le paradoxe des gouvernements
consiste alors à consolider par la voie des transferts et des créations de
compétences une institution, le conseil général, qu’ils condamnent pourtant
dans le même temps en développant parallèlement des communautés
appelées à la doublonner, et donc, à terme, à s’y substituer.

Une consolidation départementale


doublée d’une fragilisation budgétaire
Si la consécration de leur rôle de chef de file dans le domaine de l’aide et
de l’action sociales a été accueillie par les conseils généraux avec soulage-
ment, celui-ci a été de très courte durée, dès lors que ce nouveau rôle
comportait deux conséquences négatives. D’une part, la nature de ces
transferts tourne le dos à une logique de décentralisation. Elle suit plutôt

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une logique de délégation de compétences puisque les responsabilités qui


sont confiées aux conseils généraux ne sont, dans le meilleur des cas, que
marginalement assortie d’une autonomie de gestion ; ces transferts tendent
donc à inscrire les conseils généraux dans un schéma qui fait d’eux des
« agences » ou des opérateurs agissant pour le compte d’un État prescrip-
teur (Estèbe, 2007 ; Igas, 2008). D’autre part, et surtout, les modalités de
la compensation financière retenues par le gouvernement en 2003 sont
lourdes de menaces budgétaires. Elles contredisent ses promesses anté-
rieures d’autonomie fiscale et génèrent, au contraire, un impact financier
négatif plus ou moins marqué pour chacun des conseils généraux. Les
principes inscrits dans la Constitution par la loi du 28 mars 2003, et préci-
sés par la loi organique du 29 juillet 2004, ne sont aucunement de nature
à garantir aux collectivités une compensation durable du coût des compé-
tences transférées.
En effet, en cas de création ou d’extension des compétences ayant pour
conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités, la Constitution
oblige l’État à attribuer des ressources à ces dernières mais sans garantir
qu’elles couvriront le coût intégral. De même, si tout transfert de compé-
tence entre l’État et les collectivités doit s’accompagner de l’attribution de
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ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice,
aucune garantie n’est apportée aux collectivités quant à leur évolution. La
garantie du maintien d’un seuil minimal de ressources propres accordée aux


collectivités, censée leur permettre d’ajus-
ter leurs ressources à l’évolution du coût La garantie du maintien d’un seuil
des compétences transférées, s’avère fictive
dès lors que les parts ou fractions d’impôts
minimal de ressources propres accordée
aux collectivités (...) s’avère fictive (...).

nationaux, sur lesquelles les collectivités
ne disposent d’aucun pouvoir de modulation, sont considérées comme
des ressources propres. Ayant imposé l’inscription de ces principes défa-
vorables aux collectivités dans la Constitution et la loi organique, le
Gouvernement a choisi de compenser les transferts réalisés à partir de la
loi du 18 décembre 2003 par l’attribution aux conseils généraux de fractions
d’impôts nationaux non modulables (taxe sur les conventions d’assurances,
ou TSCA, taxe intérieure sur les produits pétroliers, ou Tipp) dotées d’une
assiette que l’on savait moins dynamique que les dépenses qu’elles étaient
censées couvrir.

L’impact négatif des transferts de compétences


sur les finances départementales
Les dépenses d’aide sociale des départements (action sociale, RMI, alloca-
tion personnalisée d’autonomie, PCH, etc.) sont passées de 14 milliards
d’euros en 2001 à 28,8 milliards en 2008. La déconnexion entre le coût des
compétences et le montant des recettes transférées est apparue d’emblée,

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suscitant les protestations des élus. À propos du financement de l’Apa, la


Cour des comptes note ainsi : « Sur la période 2002-2007, l’effort des conseils géné-
raux a été multiplié par trois quand celui de l’État, qui croît de 90 %, fait un peu moins
que doubler » (Cour des comptes, 2009, p. 41). Les recettes de Tipp affectées
aux conseils généraux, calculées sur la base des dépenses consacrées par
l’État en 2003, se sont révélées insuffisantes pour couvrir les coûts, compte
tenu de la hausse du nombre de RMistes (Sénat, 2007). Devant les
protestations des conseils généraux, le Gouvernement a créé un fonds de
mobilisation pour l’insertion, qui a permis de résorber une partie du
décalage entre le coût d’exercice des compétences et les recettes transférées.
L’Igas a émis des critiques sur « la manière dont la compensation des transferts de
compétence a été effectuée par l’État » (Igas, 2008, p. 11).
Les contentieux se sont multipliés entre les gouvernements successifs et les
conseils généraux à propos d’autres transferts, à moindre impact budgétaire,
mal voire pas compensés. Dans le premier registre, les conseils généraux ont
pu être contraints de procéder à des embauches pour exercer les compéten-
ces transférées, soit pour améliorer les services, soit en raison d’un transfert
insuffisant des agents dédiés par l’État (IGF, IGA, Igas, 2007 ; Igas, 2008).
Dans le second registre, l’État a pu faire preuve d’une certaine inertie.
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Il n’y a guère que pour le financement de la prestation de compensation du
handicap que l’État se soit montré plus généreux les deux premières années,
en accordant une compensation supérieure aux coûts initiaux de la
prestation en 2006 et 2007 (pour un total de 710 millions d’euros [OFL,
2009, p. 136]). Cependant, à partir de 2008, le taux de couverture s’est
également dégradé et la Cour des comptes s’est alarmée des incertitudes
dues aux perspectives démographiques de vieillissement de la population.

Un problème de financement structurel


amorti par des causes conjoncturelles
Si les règles de compensation ont contribué à une dégradation globale des
marges de manœuvre des conseils généraux, le choc budgétaire induit a été
très fortement amorti par le dynamisme de certaines de leurs anciennes
recettes, en particulier par l’explosion des droits de mutation à titre onéreux
(DMTO), liée à la flambée de l’immobilier. Sur la période 2000-2003, les
DMTO perçus par les départements ont crû de 36 %, et ce dynamisme ne
s’est pas démenti jusqu’en 2008.
Les recettes retirées par les conseils généraux des DMTO, qui s’élevaient à
4,3 milliards d’euros en 2003, ont atteint 8,1 milliards en 2007, permettant
ainsi de couvrir en moyenne 15 % de leurs dépenses de fonctionnement
cette année-là (avec de fortes variations, de 5 à 40 %, selon les conseils géné-
raux). Les bénéfices de la flambée de l’immobilier retirés par les conseils
généraux, couplés à une hausse moyenne de leurs bases de fiscalité directe
de 3,4 % par an et à un accroissement de leurs taux de fiscalité directe de

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3,6 %, leur ont permis d’absorber l’impact de la sous-compensation des


transferts sur la période 2004-2007. Compte tenu de la dégradation du
déficit public et de l’accroissement de la dette consolidée, l’État a implici-
tement considéré que la sous-compensation des transferts n’était pas illé-
gitime au regard de leur « richesse » relative. Pour autant, du côté des
responsables de l’État comme des collectivités, chacun était bien cons-
cient que les dépenses mises à la charge des conseils généraux avaient plus
de chances d’être pérennes que les ressources qui devaient les financer
(Fitch Ratings, 2006). C’est pourquoi les conseils généraux se sont engagés
dans la contestation du caractère inéquitable des règles de compensation dès
que celles-ci furent adoptées. Avec le retournement de la conjoncture éco-
nomique en 2008, le problème a gagné en acuité.

Les poids des prestations sociales des départements en 2008


selon l’Assemblée des départements de France (ADF) (en euros)
Ressources Déficit pour
Dépenses affectées les conseils
ou transférées généraux
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 Allocation
personnalisée
4 854 587 193 1 598 898 495 – 3 255 688 698
d’autonomie
(Apa)

 Prestation de
compensation
568 793 869 550 767 671 – 18 026 198
du handicap
(PCH)

 Revenu
minimum
5 983 456 317 5 441 824 606 – 541 631 711
d’insertion
(RMI)

Total 11 406 837 379 7 591 490 772 – 3 815 346 607

La crise comme révélateur


et comme amplificateur du déséquilibre
À partir de 2008 et de l’entrée dans la crise, certains conseils généraux ont
été plus fortement affectés par un effet de ciseaux (Jamet, 2010 ; Cour des
comptes, 2010). Leurs dépenses d’aide et d’action sociales ont continué
à croître de manière linéaire (dépenses d’Apa liées au vieillissement,

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surtout en zone rurale), d’autres ont été amplifiées par la montée du


chômage (dépenses de RSA, pour les départements urbanisés à popula-
tion jeune). Leurs ressources ont été amputées, tant par la chute brutale
des recettes de DMTO que par les réformes fiscales décidées par le
Gouvernement face à la crise. La suppression de la taxe professionnelle
(TP) a réduit les capacités départementales à réagir à l’accroissement de
leurs dépenses par un recours accru à la fiscalité, en divisant par trois le
pouvoir fiscal des assemblées départementales : leur pouvoir de modulation
a chuté de 35 % à 16 % de leurs dépenses totales (Carrez et Thénault, 2010,
p. 16). Réduit, ce levier fiscal devient d’autant plus difficile à utiliser qu’il
se concentre désormais sur les ménages, exposant davantage ses utilisa-
teurs aux risques de sanctions électorales. Enfin, il intervient dans un
contexte de renforcement programmé de l’effet de ciseaux sur les finan-
ces départementales, le Premier ministre ayant annoncé un gel en valeur
des dotations pour 2011-2013.

Les conséquences du transfert de la responsabilité


des arbitrages impopulaires sur les élus départementaux
Ces effets de ciseaux exposent, très inégalement, les élus départementaux
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à la prise en charge locale d’arbitrages impopulaires résultant de décisions
nationales. Face à la déconnexion entre les évolutions des dépenses
sociales nationales mises à leur charge et les recettes allouées, ils dispo-
sent de trois stratégies : assumer cette impopularité, prendre la parole pour
protester ou refuser de participer (Hirschman, 1970). La première
implique une diminution de leurs dépenses facultatives (réduction des sub-
ventions aux communes, au secteur culturel ou sportif, remise en cause
d’investissements, recherche de gisements d’économies de fonctionnement,
etc.) et un accroissement de leur pression fiscale, éventuellement couplé
à une hausse de leur endettement. La deuxième consiste à protester et peut
être nationale (recours devant le Conseil d’État, dépôts de propositions
de lois et d’amendements au Parlement, interpellations directes du
Premier ministre par l’Assemblée des départements de France (ADF)
ou par voie de presse, mise en place de sites Internet, commande de
rapports d’expertise, etc.) et/ou locale (envoi de motions aux maires et aux
associations pénalisées financièrement mettant en avant la responsabilité
du pouvoir central dans les diminutions des subventions allouées). La der-
nière renvoie à une logique de défection qui peut être aussi bien nationale
(refus de participer à la conférence des déficits publics) que locale (refus
du conseil général de voter son budget en équilibre réel, au risque de voir
le préfet exercer son pouvoir de substitution). Toutes ces stratégies ont
été utilisées dans des proportions variables par les élus départementaux,
les plus protestataires étant à la fois les plus affectés budgétairement par
ces réformes et les plus touchés par leurs effets inégalitaires (Mauguin, 2007 ;

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Igas, 2008 ; Jamet, 2010). En réponse à cette contestation, le


Gouvernement a annoncé en juin 2010 que des mesures seraient prises
pour soulager leurs finances, que ce soit par le biais d’une rallonge des dota-
tions, d’un renforcement de la péréquation ou de l’annonce d’une
réforme de la dépendance pour 2011.

Vers une refondation ?


Au total, il paraît toutefois difficile de croire que le Gouvernement pourra
durablement se contenter d’user d’ajustements ponctuels, tant les moda-
lités de compensation adoptées suscitent de critiques, que ce soit au
regard des contradictions théoriques inhérentes à leur conception ou de
leurs effets inégalitaires. Les rapports des corps de contrôle de l’État, tels
l’Igas et la Cour des comptes, soulignent la particularité de la situation
française. Ainsi, l’Igas écrit dans son rapport 2008 : « Le législateur n’a pas
choisi entre deux modèles théoriques : le modèle de l’État tutélaire dans lequel les
collectivités sont de simples opérateurs (…) et le modèle de l’État décentralisé, dans
lequel il appartient aux collectivités territoriales de définir leurs politiques et de choi-
sir leur modèle d’intervention » (Igas, 2008, p. 12-13). Ce constat est partagé
par la Cour des comptes (Cour des comptes, 2009). Le Conseil national
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des prélèvements obligatoires, émanation partielle de la Cour des comp-
tes, appelait récemment à trancher ces contradictions et à clarifier la
situation. Il s’est prononcé en faveur d’une suppression des conseils
généraux assortie d’un retour dans le giron national des fonctions de
solidarité nationales, jugeant implicitement que celles-ci leur avaient été
indûment confiées (Cour des comptes, 2010). Reste que, quelle que soit
l’option choisie, la réforme d’un « modèle territorial français » pourtant à
bout de souffle est éminemment délicate à entreprendre, tant les obsta-
cles constitutionnels et politiques qui s’y opposent demeurent nomb-
reux (Le Lidec, 2009).

Bibliographie
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2007, « Rapport de synthèse sur la gestion du RMI », Igas, novembre ; 2006,
« Évaluation de la loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003 décentralisant le RMI
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Solidarité, 2007, « Rapport sur l’impact de la décentralisation sur les adminis-
trations d’État – mission d’audit de modernisation », IGF, Igas, IGA, janvier.
 Observatoire des finances locales (OFL), 2009, rapport 2009.
 Standard & Poor’s, 2010, « Les départements français : un système de finan-
cement à réinventer », 19 avril.
 Sénat, 2007, « Rapport d’information fait au nom de l’Observatoire de la
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