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Serge Tisseron
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https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2021-1-page-22.htm
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L’utilisation des écrans par les enfants peut, et doit, être contrôlée
par les parents grâce à des règles simples. Avant l’âge de trois ans,
la télévision est non seulement inutile, mais nocive. Au-delà, il
faut adapter la consommation des écrans à chaque âge en fonction
des différents risques de la surconsommation. Enfin, l’utilisation
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raisonnée de leurs propres écrans par les parents constitue non
seulement un modèle éducatif décisif pour l’enfant, mais libère
aussi un temps précieux à passer en famille.
Hélas, le risque d’un usage excessif des outils numériques est d’autant plus grand
qu’ils proposent à notre attention des produits aussi attractifs pour notre cerveau
que le sont les barres chocolatées et les sodas pour notre alimentation. Ils ne
sont pas « trop gras, trop salés, et trop sucrés », pour reprendre les termes de la
fameuse campagne de l’ancien Institut national de prévention et d’éducation
pour la santé (Inpes) (1) en faveur d’une alimentation équilibrée, mais ils sont
« trop colorés, trop mouvementés et finalement trop émouvants ». Au risque
C’est la raison pour laquelle j’ai conçu en 2008 les « balises 3-6-9-12 », calées
sur les âges de 3 ans, 6 ans, 9 ans et 12 ans, afin de guider les parents dans leurs
choix éducatifs en prenant en compte les données scientifiques disponibles (2).
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passent de temps devant la télévision, moins ils en ont pour le jeu créatif, des
activités interactives et d’autres expériences cognitives sociales fondamentales.
En effet, pour un enfant de moins de 24 mois, il est impossible de parler de
programmes « adaptés » (Tisseron, 2007). Seul compte le nombre d’heures
passées devant l’écran, ce qui se fait toujours au détriment d’activités essentielles
à cet âge. Chaque heure passée par un jeune enfant devant un écran lui est volée
sur le temps des acquisitions légitimes, et les conséquences s’en font sentir bien
au-delà des premières années.
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Les premières années de la vie constituent un moment particulièrement critique
pour le développement des zones du cerveau impliquées dans l’autorégulation
de l’intelligence émotionnelle. C’est à cet âge que l’enfant apprend à constituer
le visage de l’autre comme support de construction émotionnelle partagée. Or
chaque heure passée devant un écran est perdue pour un échange en face-à-
face, avec un adulte ou un autre enfant (Pagani et al., 2016).
Le second problème posé par la lumière bleue des LED concerne leur pouvoir
d’inhiber la sécrétion de mélatonine, hormone clé de l’endormissement. Ces
lumières bleues trompent en quelque sorte le cerveau en lui faisant croire qu’il
fait grand jour, de telle façon que la vigilance est exacerbée. La personne qui
se trouve devant un écran la nuit est ainsi amenée à ne pas ressentir le besoin
d’aller dormir. Il en résulte une restriction du temps de sommeil, mais aussi une
perturbation des rythmes de sommeil qui peuvent entraîner une fatigue, des
troubles de l’attention et affecter les résultats scolaires et la vie sociale (Anses,
2019).
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Il en résulte quatre conseils généraux :
> Avant 3 ans, l’enfant a besoin de découvrir avec un adulte ses sensorialités
et ses repères : jouer, parler, arrêter la télé
De la naissance à 2 ans, mieux vaut éviter toute forme d’écran, sauf des logiciels
de visio-téléphonie comme Skype et encore, lorsque l’enfant peut y interagir
avec une personne qu’il a l’occasion de côtoyer dans la réalité, ne serait-ce
qu’épisodiquement. Entre deux et trois ans, mieux vaut éviter le plus possible
la télévision, même en bruit de fond quand un enfant est dans la pièce : elle
l’empêche de se concentrer sur ses jeux spontanés, ce qui signifie, à cet âge,
qu’elle l’empêche de construire ses capacités d’attention et de concentration. Ne
laissons alors jamais un enfant devant un écran ou dans une pièce où un écran
est allumé. Cela est d’ailleurs rappelé maintenant dans les carnets de santé.
Quant aux tablettes, il est conseillé de les réserver aux usages accompagnés,
sur des périodes courtes et uniquement pour un usage distractif, sans l’intention
de vouloir développer à cet âge des compétences particulières. Cela n’empêche
pas de jouer de temps en temps avec un jeune enfant en utilisant une appli
amusante, à condition que ce soit pendant une période évidemment courte et en
complémentarité avec les jeux traditionnels.
Enfin, à cet âge, les écrans sont à utiliser comme les livres : lorsqu’un parent
ouvre un livre illustré avec un enfant, ce n’est pas pour se contenter de le regarder
en silence ; le tout-petit attend du parent qu’il mette sur les images regardées
ensemble des mots qui l’introduisent à leur compréhension. Les parents doivent
apprendre à regarder les écrans qui les entourent de la même façon, en parlant
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de ce qu’ils y voient et en comprennent. Pour donner à leurs enfants le goût de
l’échange vivant.
Par ailleurs, les écrans doivent être dans une pièce commune et les outils
numériques doivent être familiaux. Il faut éviter d’acheter une tablette à l’enfant,
il considérerait à juste titre qu’elle lui appartient et il serait très difficile d’en
gérer la consommation. Avec une tablette familiale, il sera beaucoup plus facile
d’en réguler les usages. Il est également important de fixer une tranche horaire
quotidienne à l’enfant pour ses usages d’écrans, de préférence avant une activité
qu’il n’est pas possible de retarder. Par exemple, l’enfant peut regarder un DVD
entre 17 heures et 18 heures, et après il prend son bain. Cela l’habitue à associer
les écrans à une durée et lui apprend à attendre, ce qui lui sera bien utile plus
tard. Ne jamais utiliser les outils numériques dans les cas suivants : pendant
les repas, pour calmer l’enfant ou pour le récompenser. Enfin, ne pas oublier
d’encourager les activités physiques et toutes les créations manuelles comme le
pliage, le découpage, le collage, la cuisine, le bricolage…
> De 6 à 9 ans, l’enfant a besoin de découvrir les règles du jeu social : créer
avec les écrans et lui expliquer Internet
De 6 à 9 ans, c’est l’apprentissage des règles du jeu social. C’est aussi l’âge à
partir duquel l’enfant commence à utiliser des outils de création : photographie
numérique, initiation au codage comme le logiciel Scratch, logiciels de création
de vidéos d’animation (Stop Motion)… Cela permet d’inviter l’enfant à créer avec
les écrans. On peut aussi commencer à parler avec lui de l’âge où il aura son
premier téléphone mobile et fixer des règles familiales qui interdisent notamment
les mobiles pendant les repas pris en commun et dans les chambres la nuit. Et
pour que l’enfant accepte cette contrainte dès qu’il aura son premier téléphone,
il est possible d’acheter un réveil pour chaque membre de la famille bien avant
cet événement, afin que l’enfant s’habitue à avoir le sien, et s’habitue aussi à voir
ses parents utiliser le leur.
C’est aussi l’âge où il faut évoquer avec lui ce que j’appelle « les quatre jungles
d’Internet » :
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- la jungle des réseaux sociaux centrés sur l’économie de l’attention, avec le
risque de surexposition de soi et de harcèlement ainsi que d’aggravation d’un
sentiment de solitude et de dépression ;
- la jungle des modèles sexuels contraignants, omniprésents sur Internet ainsi que
dans la publicité et au cinéma, qui fait courir à l’enfant le risque d’être exposé à
des contenus problématiques tels que violences sexuelles et préjugés sexistes ;
- la jungle de l’information, en expliquant l’importance des sources et de la
hiérarchie de l’information, la place des « fake news » mais aussi la toxicité
de l’information en direct : trop émotionnelle, trop peu informée et induisant
un sentiment d’impuissance suscité par l’incapacité d’agir sur les drames
représentés.
> Après 12 ans, l’enfant s’affranchit de plus en plus des repères familiaux :
mais les adultes doivent rester disponibles, il a encore besoin d’eux
Plusieurs études indiquent que l’utilisation des réseaux sociaux par les
adolescents est plutôt bénéfique (Unicef, 2017). Ces effets positifs concernent
notamment la socialisation par l’utilisation des sites de réseaux sociaux, ceux-
ci étant crédités d’augmenter le sentiment d’être en lien avec les camarades
(Spies Shapiro et al., 2014), de réduire la sensation d’isolement (Teppers et al.,
2014) et de favoriser les amitiés existantes (Kardefelt-Winther, 2017). Les usages
pathologiques correspondraient à une fuite face à une situation réelle vécue
comme insurmontable. L’écran fonctionne alors comme une « potion d’oubli ».
Si la réduction du temps de sommeil a des conséquences problématiques
sur la mémorisation, l’humeur, les capacités d’attention et de concentration,
l’alimentation et bien entendu les performances scolaires, dans ces situations une
réduction contrainte du temps d’écran a peu de chances de réussir. L’important
est de comprendre le problème sous-jacent (Griffiths et al., 2016).
(…) le conseil à donner aux Par précaution, le conseil à donner aux parents est
parents est de retarder le plus de retarder le plus longtemps possible le moment
longtemps possible le moment d’acheter un téléphone mobile à leur enfant, de
d’acheter un téléphone mobile préférer un appareil aux fonctions limitées – téléphone
à leur enfant (…). à clapet sans Internet ni écran tactile – et d’installer
une application qui limite le temps qu’il peut passer
dessus. Il est également recommandé de faire passer la communication avec
leurs enfants avant l’utilisation de leur propre téléphone mobile ! En effet, le fait
que les parents utilisent leur téléphone mobile quand ils interagissent avec un
jeune enfant perturbe celui-ci (Kildare et Middlemiss, 2017).
D’ailleurs, en France, en 2017, 26 % des jeunes dans la tranche d’âge des 12
à 14 ans trouvent que leurs parents utilisent trop leur téléphone (Observatoire
des pratiques du numérique, 2018). Que diraient-ils si, à un ou deux ans, ils
pouvaient parler ? Les règles de bon usage du mobile ne sont efficaces que si
les parents donnent le bon exemple. Ceux-ci doivent s’efforcer d’utiliser leurs
propres appareils technologiques de manière ciblée, pour des activités précises
et non par ennui, et à ne pas manger devant les écrans.
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En résumé, avant trois ans, les écrans non seulement ne sont strictement d’aucune
utilité pour l’enfant mais ils présentent de nombreux risques. Ils nuisent à la fois
à la construction du langage, à la reconnaissance des mimiques et aux capacités
de concentration, le défilement très rapide d’images, de sons et d’informations
habituant l’enfant à zapper d’un espace à l’autre. Ils nuisent aussi à la capacité
d’autorégulation, dans la mesure où ils ne favorisent ni la prise de recul ni la mise
en place du contrôle inhibiteur. Mais au-delà de trois ans, les conséquences des
écrans sur le développement ne peuvent pas être estimés seulement en fonction
du temps passé. Il est essentiel de les contextualiser, c’est-à-dire de prendre en
compte ce que chacun fait avec eux.
C’est pourquoi les parents doivent se poser plusieurs questions au sujet des
écrans. Leur place physique tout d’abord : où sont-ils, l’enfant y a-t-il un libre
accès ? Leur place dans l’emploi du temps de chacun ensuite : combien de
temps l’enfant passe-t-il par jour à les regarder ? Et enfin, leur place dans les
échanges familiaux : le repas du soir est-il pris sans télévision, ni téléphone
mobile, ni smartphone, pour en faire un moment convivial ? Parle-t-on des
écrans en famille pour aider les enfants à construire du sens autour de ce
qu’ils montrent et à développer leurs compétences narratives ? Par ailleurs,
si mettre un jeune enfant devant un écran peut nuire à son développement
psychomoteur et affectif, l’utilisation par les parents de leur propre téléphone
mobile pendant qu’ils s’occupent de lui est tout aussi problématique : nos
jeunes enfants ont besoin de notre regard, n’interposons pas notre téléphone
mobile entre eux et nous.
Enfin, rappelons-nous que l’on n’éduque jamais mieux que par l’exemple.
Les parents ont un rôle essentiel à jouer pour le bon usage des écrans et la
construction de l’enfant, aussi bien en tant qu’autorité éducatrice que comme
modèle d’imitation.
Les écrans posent un problème de santé publique qui nous concerne tous. Il
revient aux adultes de ne pas laisser s’installer des situations qui deviendront très
difficiles à gérer lorsqu’elles se seront figées en habitudes partagées.
Notes
1 – L’Inpes a été intégré au sein de l’agence Santé publique France en 2016.
2 – Les conseils pour chacune des tranches d’âge sont présentés dans le flyer et l’affiche disponibles
sur le site www.3-6-9-12.org
Bibliographie
■ Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du
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travail (Anses), 2019, Effets sur la santé humaine et sur l’environnement (faune et flore)
des diodes électroluminescentes (LED), avis et rapports, https://www.anses.fr/fr/content/
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responsabilité, blog de Serge Tisseron, posté le 18 février, https://sergetisseron.com/blog/
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