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Michèle Mazeau
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Résumé
Le cerveau de l’enfant est organisé d’emblée en réseaux spécialisés, certes massi-
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vement interconnectés, mais chacun de ces systèmes spécifiquement dédié à
une fonction cognitive peut dysfonctionner, donnant lieu alors à un trouble des
apprentissages. Les plus fréquents (5 à 15 % selon l’intensité prise en compte)
touchent la lecture et l’orthographe (dyslexie-dysorthographie), les gestes et le
graphisme manuel (dyspraxie) ou l’arithmétique (dyscalculie). Tous entraînent
une lenteur et des difficultés dans les situations de double tâche.
Les apprentissages, les rééducations et les remédiations modifient le cerveau de
l’enfant (plasticité cérébrale) mais ne permettent cependant pas de retrouver
une organisation typique, parfaitement fonctionnelle. C’est pourquoi la prise
en charge devra rapidement viser à développer des adaptations et des compen-
sations du handicap pour favoriser les apprentissages et préserver l’avenir de ces
jeunes, intelligents et motivés.
Enfin, il ne faut pas confondre la spécificité du trouble neurodéveloppemental
et les symptômes qu’il induit. Il est donc nécessaire d’identifier les méca-
nismes sous-jacents aux difficultés rencontrées par l’enfant, ce qui nécessite une
démarche diagnostique rigoureuse.
Mots-clés
Développement cognitif, handicap, dyspraxie, dyslexie, dyscalculie, diagnostic,
remédiation, lenteur, double tâche.
139
L
es troubles des apprentissages prennent des formes très variées.
Les plus habituels touchent le graphisme manuel (dysgraphies 1),
la lecture et l’orthographe (dyslexies-dysorthographies) ou l’arith-
métique (dyscalculies [Mazeau, 2017]). Ils sont fréquents (env. 5 à
15 %, selon le type de trouble et l’intensité pris en compte) et consti-
tuent un handicap au sens de la loi du 11 février 2005 2.
Ils font partie du grand groupe des troubles neurodéveloppementaux
(figure 1), car ils résultent d’atypies du développement cérébral de
l’enfant dans certains domaines d’apprentissage. Ils se distinguent des
troubles aux répercussions plus globales, telles les déficience mentales
(di) ou les troubles du spectre de l’autisme (tsa).
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Figure 1. Les troubles neurodéveloppementaux, ou tnd
1. NB. Beaucoup de dysgraphies sont liées à une dyspraxie, mais pas toutes : elles
peuvent ressortir de nombreuses autres causes.
2. Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées, souvent dite « loi handicap », https://www.legifrance.
gouv.fr/. « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation
d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son envi-
ronnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou
définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cogni-
tives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »
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Les acquisitions
Dès la conception, le cerveau du bébé fait l’objet d’une organisation
rigoureuse, génétiquement programmée. Le bébé dispose de réseaux
de neurones spécialisés, dédiés à des fonctions cérébrales précises. Ces
véritables « boîtes à outils », présentes d’emblée, sont certes très imma-
tures, mais elles lui permettent d’analyser de nombreux éléments de
son environnement et, en spirale, d’alimenter, modifier, complexifier
ces tout premiers modules cérébraux, de les faire évoluer spontanément
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au contact de son environnement physique, sensoriel, social et affectif.
C’est le cas par exemple en ce qui concerne le développement des
coordinations motrices, du langage, de l’attention, etc.
On reconnaît ces acquisitions à deux éléments :
– d’une part, les enfants n’ont pas besoin d’enseignement pour faire les
acquisitions fondamentales dans ces domaines (généralement entre
0 et 3 ans) ; l’évolution se fait « spontanément » sous l’influence des
interactions (sensorielles, motrices, expérientielles, affectives,…) avec
le milieu ;
– d’autre part, partout dans le monde et depuis toujours la chronologie
de ces acquisitions est universelle, servant de repère fiable pour suivre le
développement initial de l’enfant (étapes du développement psycho-
moteur, du développement langagier).
Les apprentissages
Il s’agit là au contraire d’acquérir des capacités pour lesquelles les
humains ne disposent pas initialement d’une « boîte à outils cérébrale »
toute prête pour ces activités. Il nous faut la construire de novo. C’est
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– de la part des enfants : des observations, des explications, des exer-
cices, des entraînements, des révisions sont nécessaires, sans lesquels ce
« recyclage neuronal » (Dehaene, 2007) ne se produirait pas.
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sans fatigue, sans effort ni contrôle (Dehaene-Lambertz et coll., 2018).
Ces exemples issus des neurosciences cognitives – et plus parti-
culièrement des études sur la lecture, les plus anciennes et les plus
nombreuses – nous permettent non seulement de comprendre les
mécanismes qui sous-tendent les apprentissages, mais aussi de mieux
en comprendre les éventuels « ratés » ou les « pannes ».
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d’effectuer simultanément deux traitements cognitifs (ou plus !). Le
cerveau est assez mal équipé pour ça et ces situations réclament des habi-
letés – en particulier en termes de rapidité et d’automatisation – qui
sont souvent très loin de celles dont peuvent disposer les jeunes dys.
– Si les deux tâches réclament attention et contrôle volontaire (par
exemple, écouter l’enseignant et regarder le schéma et lire, copier la
phrase qui est au tableau), elles seront le plus souvent réalisées en
alternance rapide, le sujet passant très vite de l’une à l’autre. Évidem-
ment, cela n’est possible que si chacune des deux tâches peut être
réalisée très rapidement… ce qui n’est justement pas le cas de la lecture
pour le jeune dyslexique, ni de l’écriture manuelle pour le jeune dys
graphique, ni de l’interprétation du schéma pour le jeune dyspraxique
visuo-spatial, etc.
– Plus l’une des deux tâches est automatisée – généralement la tâche
dite « de bas niveau », telle la lecture, le graphisme, etc. –, plus le
sujet dispose de ressources pour la tâche seconde, de « haut niveau »
(comprendre, calculer, faire des liens sémantiques, raisonner, déduire,
mémoriser,…).
À l’inverse, si la tâche de bas niveau n’est pas automatisée – ce qui est
le cas du jeune dys – absorbant toute la charge mentale disponible,
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il ne lui restera plus assez de ressources pour la tâche seconde qui est
généralement la tâche cible lors d’un apprentissage. Pourtant, hors le
domaine spécifique dans lequel il est en difficulté, dans tous les autres
domaines l’enfant dys est capable : cette tâche de haut niveau (souvent,
le cœur de l’apprentissage proprement dit) aurait pu être réussie si on
avait libéré l’enfant de la tâche « dys », si on avait levé l’obstacle que
constitue le dys.
C’est la raison pour laquelle adaptation de la tâche et compensation du
handicap doivent être mis en place précocement, dès que le diagnostic
est affirmé, dès le début de la scolarisation.
Exemples
– L’enfant dysgraphique ne peut pas en même temps écrire sous la
dictée (tâche qui réclame de sa part une charge mentale impor-
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tante) et réfléchir à l’orthographe. Mais il peut réaliser une tâche
orthographique si on le libère de la tâche graphique (écriture clavier,
épellation, choix d’un mot en choix multiple, dictée à trous limitant
la charge graphique…).
– L’enfant dyslexique ne peut pas lire (déchiffrer) lentement et labo-
rieusement, et comprendre, répondre aux questions sur le texte, le
mémoriser. Mais il est capable de tout cela si on le libère du déchif-
frage du texte (lecture du texte par un adulte, ou en autonomie par
une tablette ou la synthèse vocale d’un ordinateur).
– De même l’enfant dyscalculique ne peut pas effectuer de calculs,
mais il pourra réfléchir, exercer son raisonnement logique et faire
preuve de sa compréhension de la signification des opérations s’il
est autorisé à utiliser une calculette.
La lenteur
La lenteur (Mazeau, 2018) – de lecture, d’écriture, de calcul, etc. selon
le dys considéré, ou globale – est un handicap majeur, dont les consé-
quences délétères sont très sous-estimées. Or la lenteur a un impact
dans toutes les disciplines, toute la journée.
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lenteur est cause d’une grande fatigabilité, souvent considérée à tort
comme un trouble attentionnel. En effet, outre les interclasses et les
récréations permettant à tous de recharger les « réservoirs attention-
nels », les enfants standard s’octroient de très nombreuses mini-pauses
informelles – de quelques secondes à quelques minutes – qui passent
totalement inaperçues et leur permettent de poursuivre leur tâche :
le moment où l’on range le cahier rouge, où l’on prend sa règle dans
sa trousse, où l’on ramasse la gomme tombée, où l’on dit un mot à
son voisin, etc. Ces mini-pauses – normales et indispensables – sont
soit interdites à l’enfant lent (« dépêche-toi »), soit considérées comme
un signe répréhensible d’inattention. L’épuisement attentionnel et la
fatigabilité s’accumulent inéluctablement.
On comprend à quel point l’accumulation de ces perturbations va
altérer des apprentissages qui, pourtant, auraient été à la portée de
l’enfant si sa lenteur et sa fatigabilité avaient été réellement prises en
compte.
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différents symptômes, leur cause commune (diagnostic). Juxtaposer
des rééducations et des adaptations sans aucune cohérence entre elles
n’a aucune efficacité à terme et conduit sûrement au découragement
de tous, enfant et adulte.
Exemples
– Dyslexies. Beaucoup s’accompagnent de dysorthographie, certaines
de dysgraphie, d’autres encore de dyscalculies. Presque toutes ont
aussi pour conséquence de grandes difficultés pour acquérir du
vocabulaire nouveau (termes spécifiques dans de nombreuses disci-
plines) et pour l’apprentissage de l’anglais. Il ne s’agit cependant pas
de « multi-dys » mais des conséquences attendues d’un trouble unique,
la dyslexie, conséquences différentes selon la nature (phonologique,
visuelle, mixte) et l’intensité de la dyslexie.
– Dyspraxies ou trouble du développement de la coordination (tdc).
Les conséquences des dyspraxies visuo-spatiales (les plus fréquentes)
peuvent être multiples : dysgraphie, dyscalculie spatiale, dyslexie
visuelle… Il ne s’agit pourtant pas du tout de « multi-dys », tous
ces symptômes doivent être rapportés à la dyspraxie (diagnostic
unique) et c’est la prise en compte unique de cette dernière, de
façon adaptée et ciblée, qui permettra de limiter le handicap dans
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Au total
Les troubles des apprentissages sont à l’origine de handicaps multi-
formes, dont l’expression est très variable en fonction du type de trouble
et de ses conséquences. C’est pourquoi ils sont aussi déroutants.
Les troubles des apprentissages sont d’autant plus graves qu’ils privent
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ces enfants intelligents de la possibilité d’apprendre, de se sentir
« capables de », les mettant en situation d’échec dans des domaines
où ils sont pourtant compétents, et ce souvent à l’insu des adultes.
C’est tout l’objet des adaptations et des compensations que d’éviter
ces échecs indus, de lever le handicap lié au dys, de rétablir l’égalité
des chances avec leurs pairs au développement standard.
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antérieures) ne sont pas suffisants pour être fonctionnels. Il en est de
même de la lecture, du graphisme, du calcul… C’est pourquoi la cible
principale des prises en charge doit être le handicap (figure 4), et non
le déficit (et encore moins le diagnostic !). C’est d’ailleurs l’esprit et la
lettre de la loi du 11 février 2005.
Exemple
Il y avait, au Moyen Âge, autant de cerveaux potentiellement
dyslexiques qu’aujourd’hui. Mais la société d’alors n’exigeait nulle-
ment que chacun sache lire ! Il n’y avait pas donc pas de handicap
lié à cette particularité cérébrale. Au contraire, aujourd’hui, dans
nos sociétés occidentales, ne pas savoir lire de façon fluide repré-
sente un handicap majeur, faisant obstacle à la quasi-totalité de la
scolarité et de la vie sociale (journaux, plan du métro, documents
administratifs, modes d’emploi, consignes de sécurité, utilisation
d’Internet…). L’oralisation des écrits permet de lever l’obstacle.
L’objectif (du rééducateur, de l’enseignant, des parents) est donc
double : compenser et/ou contourner au mieux le handicap secondaire
au trouble ; valoriser toutes les capacités intactes qui seront le terreau
sur lequel l’enfant pourra construire estime de lui, confiance en l’avenir
et orientation professionnelle satisfaisante.
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Figure 4. Du trouble au handicap : de la rééducation à la compensation
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ment aux exigences scolaires et de préconiser les compensations utiles.
Cela suppose qu’ils les connaissent, suivent l’évolution (souvent rapide)
de ces matériels et en enseignent l’usage aux enfants (Loty, 2020).
Ces derniers doivent en connaître les possibilités et les limites, les
circonstances où cela leur sera utile, et surtout ils doivent en acquérir
un usage suffisamment automatisé. Les rééducateurs, spécialistes du
handicap, doivent aussi travailler en synergie avec l’enseignant, d’une
part pour coller au plus près des besoins du pédagogue, d’autre part
pour prendre en compte le fait que certaines adaptations ciblées ne sont
de fait guère utilisables en grand groupe. Le trouble d’apprentissage,
par définition, se traduit par une difficulté en situation scolaire. C’est
donc là, à l’école, que la situation de handicap doit d’abord être prise
en compte. C’est donc là aussi que doivent intervenir d’emblée à la
fois les professionnels du soin et les pédagogues, autant que possible
en complémentarité.
Il y a bien sûr de nombreux obstacles à ces adaptations et compensations,
dont la plupart tiennent au fait que ces aménagements restent malheu-
reusement encore très exceptionnels, donnant à l’enfant le sentiment
d’une différence irréductible par rapport à ses pairs. Une meilleure prise
en compte des adaptations et compensations par les rééducateurs, et
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serait d’une grande violence, les conduirait d’échec en échec, soit à la
révolte, soit à la dépression/anxiété.
Ces diagnostics demandent donc une démarche rigoureuse et
systématique :
– repérage du problème, en général par l’enseignant ou la famille ;
– élimination de troubles sensoriels ou moteurs ;
– élimination d’une difficulté psycho-éducative ou psychosociale ;
– objectivation d’un décalage à la norme : premier bilan dit « de
débrouillage », par le psychomotricien, l’ergothérapeute ou l’ortho-
phoniste selon le problème en cause ;
– élimination d’une déficience mentale (échelles de Wechsler adaptées
à l’âge 3) ;
– bilans complémentaires éventuels ;
– confrontation et synthèse de tous les bilans, ce qui aboutit (enfin !)
au diagnostic ;
3. Cela est indispensable pour tout diagnostic de dys, sauf pour les dyslexies clas-
siques et modérées sans comorbidité (le bilan orthophonique est suffisant pour
attester de la dyslexie).
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même enfant. C’est le lot habituel des enseignants. Lorsqu’un problème
d’apprentissage se fait jour, il ne s’agit donc pas toujours d’un trouble
neurodéveloppemental ! On sait aussi de longue date qu’un faible niveau
de langage (milieu socioculturel, enfant allophone ou malentendant,
etc.) augure mal d’une bonne scolarité. C’est d’ailleurs cette constatation
qui fait conseiller une scolarisation précoce dans les zones d’éducation
prioritaire (zep) et a conduit à la rendre obligatoire dès 3 ans.
C’est aussi la raison pour laquelle, une fois le problème repéré, il faut
toujours proposer, en première intention, un renforcement pédago-
gique de quelques mois : plus d’entraînements, plus d’exercices, plus
d’explications, plus de temps,… Cela peut se faire en classe, sous forme
d’un tuteur ou au sein d’un rased (Réseau d’aides spécialisées aux élèves
en difficulté), ou même quelquefois lors de la mise en route d’une
rééducation « non spécifique » avant la fin de la démarche diagnos-
tique (reprise d’exercices graphiques chez un jeune qui écrit « mal », de
l’automatisation des conversions graphophonologiques chez un autre
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de diagnostic. Cette stratégie sert véritablement de filtre pour repérer
précocement, et avec une bonne fiabilité, les enfants pour lesquels il
est légitime de proposer des bilans complémentaires (l’ensemble de la
démarche en huit points).
Attention : le renforcement pédagogique doit être de courte durée
et les progrès attendus doivent être précisés et mesurés (« réponse à
l’intervention »). Sinon, il y a un risque réel de méconnaître le dys et
de proposer « toujours plus de la même chose qui ne marche pas ».
Enfin, les difficultés socio-économiques ou psychosociales ne protègent
pas d’un dys ! L’accumulation de ces deux conditions représente un
sur-handicap à deux titres : le diagnostic de dys est souvent très (trop)
tardif, car les difficultés sociales et/ou psychologiques font longtemps
écran ; la famille peut être dans l’impossibilité de se situer en partenaire
des professionnels et en recours pour l’enfant.
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Ces pseudo-diagnostics de multi-dys se rencontrent dans diverses situa-
tions, très fréquentes.
– Une déficience mentale qu’on ne veut pas nommer, ou dont le diagnostic
n’a pas été fait.
On rappelle que le diagnostic de dys ne peut pas se faire sans que soient
pratiquées les échelles de Wechsler (sauf pour des dyslexies isolées). D’une
façon générale, étant donné l’hétérogénéité des scores des jeunes présen-
tant un dys, la dynamique intellectuelle doit être évaluée en s’appuyant
essentiellement sur les notes standard obtenues aux épreuves très « satu-
rées » en facteur g (intelligence générale) telles les « similitudes » (sur
le plan verbal) ou les « matrices » (en non verbal). Enfin, il est possible
qu’un enfant présentant une déficience légère soit aussi dys : c’est le cas
lorsque, dans un secteur de la cognition ou des apprentissages, la perfor-
mance du jeune se révèle significativement plus faible que celle attendue
du fait de sa déficience (de son niveau « en facteur g »). Ainsi (de façon
schématique), on pourrait évoquer une dyslexie « dans le contexte d’une
déficience intellectuelle », chez un enfant de 12 ans, d’âge mental de 9 ans
et dont le niveau de lecture serait celui d’un début de cp.
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en évidence le processus commun responsable de cette cascade de
troubles des apprentissages : c’est le trouble praxique et visuo-spatial
qui doit être pris en compte – en rééducation comme en classe – et
lui seul.
– Un trouble déficitaire de l’attention peut se traduire par des retards,
difficultés et incapacités dans à peu près toutes les disciplines et tous
les apprentissages (Mazeau, 2016). Parler de multi-dys et égrener
la litanie des dys (dyslexie, dysgraphie, dyscalculie, dys…) risque
de multiplier les rééducations et les préconisations en classe, sans
aucune efficacité autre que l’épuisement de l’enfant. C’est le trouble
attentionnel qui doit être l’objet des traitements, remédiations,
adaptations et compensations.
On peut éviter ces erreurs en travaillant au sein d’équipes pluridiscipli-
naires, où les échanges entre professionnels et les réunions de synthèse
feront émerger le diagnostic unique qui rend compte de l’ensemble
des signes et défaillances observés.
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plutôt aux alentours de 8-9 ans que l’on considérera que le diagnostic
est précoce. Mais la stratégie de la « réponse à l’intervention » (cf. plus
haut) permet d’être alerté précocement et d’aider l’enfant quelle que
soit la situation, bien avant même que le diagnostic de dys ne soit
affirmé. Lorsque l’accès à ces plateformes diagnostiques pour les tnd
n’est pas possible, il faut absolument que l’ensemble des bilans pratiqués
soient confrontés les uns aux autres par un médecin expérimenté dans
le domaine des tnd afin qu’une synthèse en émerge, qu’un diagnostic
soit posé.
Certes, les diagnostics de multi-dys existent bel et bien. Ils traduisent
la présence de deux troubles « dys » qui n’entretiennent entre eux
aucun lien de cause à effet. Exemples : dysphasie et tdc/dyspraxie,
dyspraxie/tdc et dyslexie phonologique, dyspraxie et tda/h… Dans
ces cas, il convient de hiérarchiser les problèmes – et donc les prises
en charge – en fonction des répercussion actuelles et à venir de chacun
des deux troubles.
5. https://handicap.gouv.fr/autisme-et-troubles-du-neuro-developpement/agir-
pour-l-autisme-au-sein-des-troubles-du-neuro-developpement/la-strategie-
nationale/article/engagement-2-intervenir-precocement-aupres-des-enfants
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Conclusion
Les troubles d’apprentissage peuvent gâcher durablement et irrémé-
diablement l’enfance de ceux qui en souffrent. Nous ne pouvons ni les
ignorer ni les banaliser. Il nous faut être attentifs à repérer précocement
ces enfants, leur éviter un vécu d’échecs récurrents, des propositions
mal adaptées qui les confortent dans leur sentiment d’incompétence,
le découragement et la mésestime de soi. Pour cela, diagnostics et
conception du projet individuel doivent reposer sur une démarche
rigoureuse, qui réclame du temps, des formations, de la pluridisciplina-
rité, des concertations, des synthèses. C’est cette exigence qui permettra
d’améliorer notablement la vie et l’avenir de ces enfants intelligents,
capables d’apprendre autrement.
Bibliographie
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Dehaene, S. 2007. Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob.
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Mazeau, M. 2018. « L’enfant avec tdc ou dyspraxique : réflexions sur la
lenteur », anae, 151, p. 693-700.
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