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LES TROUBLES DES APPRENTISSAGES EN 2020

Michèle Mazeau

Érès | « Contraste »

2020/1 N° 51 | pages 139 à 159


ISSN 1254-7689
ISBN 9782749266893
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https://www.cairn.info/revue-contraste-2020-1-page-139.htm
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Les troubles des apprentissages en 2020
Michèle Mazeau

Résumé
Le cerveau de l’enfant est organisé d’emblée en réseaux spécialisés, certes massi-
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vement interconnectés, mais chacun de ces systèmes spécifiquement dédié à
une fonction cognitive peut dysfonctionner, donnant lieu alors à un trouble des
apprentissages. Les plus fréquents (5 à 15 % selon l’intensité prise en compte)
touchent la lecture et l’orthographe (dyslexie-dysorthographie), les gestes et le
graphisme manuel (dyspraxie) ou l’arithmétique (dyscalculie). Tous entraînent
une lenteur et des difficultés dans les situations de double tâche.
Les apprentissages, les rééducations et les remédiations modifient le cerveau de
l’enfant (plasticité cérébrale) mais ne permettent cependant pas de retrouver
une organisation typique, parfaitement fonctionnelle. C’est pourquoi la prise
en charge devra rapidement viser à développer des adaptations et des compen-
sations du handicap pour favoriser les apprentissages et préserver l’avenir de ces
jeunes, intelligents et motivés.
Enfin, il ne faut pas confondre la spécificité du trouble neurodéveloppemental
et les symptômes qu’il induit. Il est donc nécessaire d’identifier les méca-
nismes sous-jacents aux difficultés rencontrées par l’enfant, ce qui nécessite une
démarche diagnostique rigoureuse.
Mots-clés
Développement cognitif, handicap, dyspraxie, dyslexie, dyscalculie, diagnostic,
remédiation, lenteur, double tâche.

Michèle Mazeau, médecin de rééducation, pratiquant la neuropsychologie infantile, auteur de


nombreux ouvrages sur le sujet, https://dr-michele-mazeau.wixsite.com/dr-michele-mazeau

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L
es troubles des apprentissages prennent des formes très variées.
Les plus habituels touchent le graphisme manuel (dysgraphies 1),
la lecture et l’orthographe (dyslexies-dysorthographies) ou l’arith-
métique (dyscalculies [Mazeau, 2017]). Ils sont fréquents (env. 5 à
15 %, selon le type de trouble et l’intensité pris en compte) et consti-
tuent un handicap au sens de la loi du 11 février 2005 2.
Ils font partie du grand groupe des troubles neurodéveloppementaux
(figure 1), car ils résultent d’atypies du développement cérébral de
l’enfant dans certains domaines d’apprentissage. Ils se distinguent des
troubles aux répercussions plus globales, telles les déficience mentales
(di) ou les troubles du spectre de l’autisme (tsa).
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Figure 1. Les troubles neurodéveloppementaux, ou tnd

1. NB. Beaucoup de dysgraphies sont liées à une dyspraxie, mais pas toutes : elles
peuvent ressortir de nombreuses autres causes.
2. Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées, souvent dite « loi handicap », https://www.legifrance.
gouv.fr/. « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation
d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son envi-
ronnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou
définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cogni-
tives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »

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Les troubles des apprentissages en 2020

Les apprentissages modifient notre cerveau


Pour comprendre précisément de quoi nous parlons, il faut revenir aux
sources du développement cognitif chez l’enfant. En effet celui-ci se
déroule selon deux grandes modalités.

Les acquisitions
Dès la conception, le cerveau du bébé fait l’objet d’une organisation
rigoureuse, génétiquement programmée. Le bébé dispose de réseaux
de neurones spécialisés, dédiés à des fonctions cérébrales précises. Ces
véritables « boîtes à outils », présentes d’emblée, sont certes très imma-
tures, mais elles lui permettent d’analyser de nombreux éléments de
son environnement et, en spirale, d’alimenter, modifier, complexifier
ces tout premiers modules cérébraux, de les faire évoluer spontanément
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au contact de son environnement physique, sensoriel, social et affectif.
C’est le cas par exemple en ce qui concerne le développement des
coordinations motrices, du langage, de l’attention, etc.
On reconnaît ces acquisitions à deux éléments :
– d’une part, les enfants n’ont pas besoin d’enseignement pour faire les
acquisitions fondamentales dans ces domaines (généralement entre
0 et 3 ans) ; l’évolution se fait « spontanément » sous l’influence des
interactions (sensorielles, motrices, expérientielles, affectives,…) avec
le milieu ;
– d’autre part, partout dans le monde et depuis toujours la chronologie
de ces acquisitions est universelle, servant de repère fiable pour suivre le
développement initial de l’enfant (étapes du développement psycho-
moteur, du développement langagier).

Les apprentissages
Il s’agit là au contraire d’acquérir des capacités pour lesquelles les
humains ne disposent pas initialement d’une « boîte à outils cérébrale »
toute prête pour ces activités. Il nous faut la construire de novo. C’est

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le cas en ce qui concerne les apprentissages scolaires : langage élaboré,


langage écrit, mathématiques, connaissances générales.
Bien sûr tous les apprentissages modifient notre cerveau. Cependant,
lorsque le cerveau n’est pas préparé d’emblée pour ces activités, la
réorganisation des connexions et la création de nouveaux réseaux de
neurones nécessitent un important travail dont le résultat n’est pas
assuré pour tous.
Contrairement au cas précédent – les acquisitions pour lesquelles nous
sommes parfaitement équipés et qui se produisent « spontanément » au
contact de notre environnement – il faut alors déployer des stratégies
volontaristes et de gros efforts (figure 2) :
– de la part des adultes : il est indispensable de dispenser un enseignement
en direction des enfants ;
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– de la part des enfants : des observations, des explications, des exer-
cices, des entraînements, des révisions sont nécessaires, sans lesquels ce
« recyclage neuronal » (Dehaene, 2007) ne se produirait pas.

Lorsqu’on va d’un point à un autre en


traversant un champ de hautes herbes
(le foisonnement neuronal), on y trace
d’abord un petit sentier flou et tortueux.
Si l’on fait et refait ce même chemin à de
nombreuses reprises (entraînements, appren-
tissage), peu à peu le chemin se dessine de
façon de plus en plus nette, il est de plus
en plus direct, facile et rapide à parcourir.
In fine, on peut parcourir cette nouvelle
route ainsi créée à la course et en pensant
à autre chose : le trajet est automatisé, on
Renoir, Chemin montant n’a plus besoin d’attention ni de contrôle,
dans les hautes herbes l’apprentissage est réussi et terminé.

Figure 2. La plasticité cérébrale : créer de nouvelles habiletés

Ces réorganisations cérébrales lors des apprentissages scolaires font poser


une question : « que perd-on quand on apprend à lire ? » (ibid.). Les
neurosciences y ont répondu, en étudiant les modifications cérébrales

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dans les régions visuelles : certains réseaux initialement destinés à la


reconnaissance des visages se convertissent à la reconnaissance de mots
écrits, et donc, oui, en apprenant à lire, l’on crée et on « perd » (en
partie !) d’autres capacités.
On peut aussi montrer quelles modifications se produisent dans
­l’­­hémisphère gauche d’un enfant au cours de l’apprentissage de la
lecture. On peut mettre en évidence les modifications de l’activation
cérébrale lors de la présentation de mots écrits : en fin de grande section
de maternelle il n’y a pas de réponse visible ; en fin de cp l’aire de la
« boîte aux lettres des mots » est visible, avec en même temps une
importante activité des aires de contrôle (aires frontales), traduisant
le fait que l’enfant lit avec effort ; en fin de ce1 on note une nette
réduction des aires concernées marquant la fin de l’apprentissage (en
ce2 pour certains élèves) avec l’accès à une lecture courante, facile et
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sans fatigue, sans effort ni contrôle (Dehaene-Lambertz et coll., 2018).
Ces exemples issus des neurosciences cognitives – et plus parti-
culièrement des études sur la lecture, les plus anciennes et les plus
nombreuses – nous permettent non seulement de comprendre les
mécanismes qui sous-tendent les apprentissages, mais aussi de mieux
en comprendre les éventuels « ratés » ou les « pannes ».

Troubles des apprentissages : quels handicaps ?


Les troubles des apprentissages peuvent donc résulter d’une atypie
qui touche spécifiquement les réseaux dédiés à telle fonction ou sous-­
fonction cognitive et/ou l’impossibilité d’automatiser le nouvel appren-
tissage qui reste lent, laborieux, générant une « charge mentale » trop
importante, un « coût cognitif » prohibitif (responsable de situations
dites « de double tâche », cf. plus loin).
D’ailleurs, on a montré (toujours dans le cadre de la lecture) que les
cerveaux des jeunes dyslexiques diffèrent de ceux des lecteurs stan-
dards : ils ne construisent pas l’aire de la forme visuelle des mots et,
au contraire, leurs tentatives de compensation les conduisent à activer
de façon anormale leur hémisphère droit.

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Cela confirme l’expérience clinique : lorsqu’il y a une atypie ou une


anomalie cérébrale, la plasticité cérébrale joue son rôle, certes, mais elle
ne permet pas de retrouver une organisation cérébrale typique, harmo-
nieuse et efficace. L’apprentissage – y compris les rééducations – aboutit
à une performance atypique, moins efficace et plus « coûteuse » que la
norme. C’est la raison pour laquelle, en dépit de leurs progrès indis-
cutables, on dit qu’un enfant dys le reste toute sa vie puisqu’il souffre
d’une particularité cérébrale, constitutionnelle. Cela induit deux handi-
caps particulièrement délétères en situation scolaire : la lenteur et une
difficulté à gérer la double tâche.

La situation de double tâche


On désigne sous ce terme la situation, très habituelle, qui nécessite
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d’effectuer simultanément deux traitements cognitifs (ou plus !). Le
cerveau est assez mal équipé pour ça et ces situations réclament des habi-
letés – en particulier en termes de rapidité et d’automatisation – qui
sont souvent très loin de celles dont peuvent disposer les jeunes dys.
– Si les deux tâches réclament attention et contrôle volontaire (par
exemple, écouter l’enseignant et regarder le schéma et lire, copier la
phrase qui est au tableau), elles seront le plus souvent réalisées en
alternance rapide, le sujet passant très vite de l’une à l’autre. Évidem-
ment, cela n’est possible que si chacune des deux tâches peut être
réalisée très rapidement… ce qui n’est justement pas le cas de la lecture
pour le jeune dyslexique, ni de l’écriture manuelle pour le jeune dys­­
graphique, ni de l’interprétation du schéma pour le jeune dyspraxique
visuo-­spatial, etc.
– Plus l’une des deux tâches est automatisée – généralement la tâche
dite « de bas niveau », telle la lecture, le graphisme, etc. –, plus le
sujet dispose de ressources pour la tâche seconde, de « haut niveau »
(comprendre, calculer, faire des liens sémantiques, raisonner, déduire,
mémoriser,…).
À l’inverse, si la tâche de bas niveau n’est pas automatisée – ce qui est
le cas du jeune dys – absorbant toute la charge mentale disponible,

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Les troubles des apprentissages en 2020

il ne lui restera plus assez de ressources pour la tâche seconde qui est
généralement la tâche cible lors d’un apprentissage. Pourtant, hors le
domaine spécifique dans lequel il est en difficulté, dans tous les autres
domaines l’enfant dys est capable : cette tâche de haut niveau (souvent,
le cœur de l’apprentissage proprement dit) aurait pu être réussie si on
avait libéré l’enfant de la tâche « dys », si on avait levé l’obstacle que
constitue le dys.
C’est la raison pour laquelle adaptation de la tâche et compensation du
handicap doivent être mis en place précocement, dès que le diagnostic
est affirmé, dès le début de la scolarisation.
Exemples
– L’enfant dysgraphique ne peut pas en même temps écrire sous la
dictée (tâche qui réclame de sa part une charge mentale impor-
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tante) et réfléchir à l’orthographe. Mais il peut réaliser une tâche
orthographique si on le libère de la tâche graphique (écriture clavier,
épellation, choix d’un mot en choix multiple, dictée à trous limitant
la charge graphique…).
– L’enfant dyslexique ne peut pas lire (déchiffrer) lentement et labo-
rieusement, et comprendre, répondre aux questions sur le texte, le
mémoriser. Mais il est capable de tout cela si on le libère du déchif-
frage du texte (lecture du texte par un adulte, ou en autonomie par
une tablette ou la synthèse vocale d’un ordinateur).
– De même l’enfant dyscalculique ne peut pas effectuer de calculs,
mais il pourra réfléchir, exercer son raisonnement logique et faire
preuve de sa compréhension de la signification des opérations s’il
est autorisé à utiliser une calculette.

La lenteur
La lenteur (Mazeau, 2018) – de lecture, d’écriture, de calcul, etc. selon
le dys considéré, ou globale – est un handicap majeur, dont les consé-
quences délétères sont très sous-estimées. Or la lenteur a un impact
dans toutes les disciplines, toute la journée.

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– Chronique, la lenteur induit une importante perte d’information,


pratiquement constante. Les explications, conseils ou mises en garde
de l’enseignant tombent à contre-temps, empêchant très fréquemment
l’enfant d’en profiter.
– Perturbant la mémoire de travail, la lenteur gène considérablement
la compréhension des textes longs et des cours que délivre l’enseignant.
– Dans une spirale infernale, la lenteur aggrave la situation de double
tâche qui, en retour, aggrave la lenteur.
– Les efforts pour « faire vite » aboutissent seulement à renforcer les
erreurs ou maladresses liées au dys : le jeune dyslexique qui veut « lire
vite » fait encore plus d’erreurs et comprend tout de travers ; le jeune
dysgraphique devient de plus en plus illisible, etc.
– Limitant drastiquement la possibilité de pauses informelles, la
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lenteur est cause d’une grande fatigabilité, souvent considérée à tort
comme un trouble attentionnel. En effet, outre les interclasses et les
récréations permettant à tous de recharger les « réservoirs attention-
nels », les enfants standard s’octroient de très nombreuses mini-pauses
informelles – de quelques secondes à quelques minutes – qui passent
totalement inaperçues et leur permettent de poursuivre leur tâche :
le moment où l’on range le cahier rouge, où l’on prend sa règle dans
sa trousse, où l’on ramasse la gomme tombée, où l’on dit un mot à
son voisin, etc. Ces mini-pauses – normales et indispensables – sont
soit interdites à l’enfant lent (« dépêche-toi »), soit considérées comme
un signe répréhensible d’inattention. L’épuisement attentionnel et la
fatigabilité s’accumulent inéluctablement.
On comprend à quel point l’accumulation de ces perturbations va
altérer des apprentissages qui, pourtant, auraient été à la portée de
l’enfant si sa lenteur et sa fatigabilité avaient été réellement prises en
compte.

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Les troubles des apprentissages en 2020

Le handicap spécifique selon le dys


Outre les situations de double tâche, la lenteur et la fatigabilité qui,
quel que soit le dys considéré, diffusent dans tous les apprentissages,
l’enfant avec dys présente un handicap fondamental dans un secteur
cognitif, fonction du trouble des apprentissages dont il souffre.
Mais il ne faut pas confondre la spécificité du trouble neurodéveloppe-
mental et le ou les symptômes, c’est-à‑dire la ou les manifestations du
tnd. C’est malheureusement souvent cette confusion qui conduit à des
appellations de « multi-dys ». Constater que l’enfant est en difficulté en
lecture, en écriture, en orthographe et en calcul, ne fait pas de lui un
« dyslexique + dysgraphique + dysorthographique + dyscalculique » !
Cela, c’est bien ce que l’on observe (symptômes multiples), mais il faut
rechercher, en amont, quel est le mécanisme commun à la racine de ces
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différents symptômes, leur cause commune (diagnostic). Juxtaposer
des rééducations et des adaptations sans aucune cohérence entre elles
n’a aucune efficacité à terme et conduit sûrement au découragement
de tous, enfant et adulte.
Exemples
– Dyslexies. Beaucoup s’accompagnent de dysorthographie, certaines
de dysgraphie, d’autres encore de dyscalculies. Presque toutes ont
aussi pour conséquence de grandes difficultés pour acquérir du
vocabulaire nouveau (termes spécifiques dans de nombreuses disci-
plines) et pour l’apprentissage de l’anglais. Il ne s’agit cependant pas
de « multi-dys » mais des conséquences attendues d’un trouble unique,
la dyslexie, conséquences différentes selon la nature (phonologique,
visuelle, mixte) et l’intensité de la dyslexie.
– Dyspraxies ou trouble du développement de la coordination (tdc).
Les conséquences des dyspraxies visuo-spatiales (les plus fréquentes)
peuvent être multiples : dysgraphie, dyscalculie spatiale, dyslexie
visuelle… Il ne s’agit pourtant pas du tout de « multi-dys », tous
ces symptômes doivent être rapportés à la dyspraxie (diagnostic
unique) et c’est la prise en compte unique de cette dernière, de
façon adaptée et ciblée, qui permettra de limiter le handicap dans

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les domaines du graphisme, du lexique, du calcul, de la géométrie,


de la géographie, etc.
Devant une cascade de difficultés dans différents secteurs des appren-
tissages, il est très important d’en rechercher la source, le plus souvent
unique. Cela implique obligatoirement une synthèse des différents
bilans pratiqués par l’ensemble des professionnels au fil du dévoilement
des difficultés.

Au total
Les troubles des apprentissages sont à l’origine de handicaps multi-
formes, dont l’expression est très variable en fonction du type de trouble
et de ses conséquences. C’est pourquoi ils sont aussi déroutants.
Les troubles des apprentissages sont d’autant plus graves qu’ils privent
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ces enfants intelligents de la possibilité d’apprendre, de se sentir
« capables de », les mettant en situation d’échec dans des domaines
où ils sont pourtant compétents, et ce souvent à l’insu des adultes.
C’est tout l’objet des adaptations et des compensations que d’éviter
ces échecs indus, de lever le handicap lié au dys, de rétablir l’égalité
des chances avec leurs pairs au développement standard.

Quelles sont les aides pertinentes ?


La plasticité cérébrale ne permettant pas de retrouver une organisation
cérébrale typique (ne permettant pas une « guérison »), il va donc falloir
apprendre « à faire avec » un handicap résiduel. Cela a une implication
fondamentale dans le plan d’action, puisque cela oblige à concevoir
d’emblée et simultanément : certes, des actions rééducatives au sens
réducteur du terme, c’est-à‑dire visant à réduire le déficit, mais aussi des
adaptations et des compensations du (ou des) handicap(s), en situation
de vie quotidienne et en situation scolaire (entre 4 et 16-20 ans, dans
nos cultures, l’essentiel de la vie des jeunes se passe à l’école).

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Les troubles des apprentissages en 2020

Réduire le trouble, entraîner la fonction déficitaire


C’est bien sûr le souhait des parents, le rêve de l’enfant et le désir de
l’enseignant. C’est aussi quelquefois celui du rééducateur, voire du
médecin… Et bien sûr aussi, entraîner l’enfant avec des stratégies parti-
culières (les rééducateurs disposent de méthodes éprouvées) lui permet
de progresser, d’être « moins dys ». II faut cependant prendre la mesure
de ce « moins », en évaluer l’efficacité et l’impact dans la vie de l’enfant.
Car dans beaucoup de domaines, les exigences sociales et/ou scolaires
progressent plus vite que l’enfant. En dépit de ses progrès (figure 3 : en
T2, il a triplé sa performance par rapport au moment du diagnostic,
en T1), l’enfant ne récolte pas les bénéfices de ses efforts, sa situation
scolaire ne s’améliore pas, il ne peut pas faire la preuve de ses talents.
Pire : sa situation s’aggrave.
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Figure 3. L’interprétation des progrès de l’enfant

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Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

C’est malheureusement souvent le cas, car les progrès de l’enfant dys


sont lents au regard de l’évolution de l’enfant standard. Or la scola-
rité, comme la société, organise ses programmes, ses exigences, ses
attentes en fonction du plus grand nombre. Par exemple, un enfant
dyspraxique qui ne sait pas s’habiller n’est pas vraiment handicapé
jusque vers 4-5 ans (on tolère que les adultes l’aident) mais alors même
qu’il a fait de notables progrès en ce domaine, il peut être beaucoup
plus handicapé à 14 ans car il est alors très humiliant de se faire aider
(fermetures éclair, pull mis à l’envers, allure négligée…).

Réduire et/ou compenser le handicap


Les exigences sociales diffèrent selon l’âge de l’enfant et ses « progrès »
(pourtant réels, par rapport à lui-même, par rapport à ses performances
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antérieures) ne sont pas suffisants pour être fonctionnels. Il en est de
même de la lecture, du graphisme, du calcul… C’est pourquoi la cible
principale des prises en charge doit être le handicap (figure 4), et non
le déficit (et encore moins le diagnostic !). C’est d’ailleurs l’esprit et la
lettre de la loi du 11 février 2005.
Exemple
Il y avait, au Moyen Âge, autant de cerveaux potentiellement
dyslexiques qu’aujourd’hui. Mais la société d’alors n’exigeait nulle-
ment que chacun sache lire ! Il n’y avait pas donc pas de handicap
lié à cette particularité cérébrale. Au contraire, aujourd’hui, dans
nos sociétés occidentales, ne pas savoir lire de façon fluide repré-
sente un handicap majeur, faisant obstacle à la quasi-totalité de la
scolarité et de la vie sociale (journaux, plan du métro, documents
administratifs, modes d’emploi, consignes de sécurité, utilisation
d’Internet…). L’oralisation des écrits permet de lever l’obstacle.
L’objectif (du rééducateur, de l’enseignant, des parents) est donc
double : compenser et/ou contourner au mieux le handicap secondaire
au trouble ; valoriser toutes les capacités intactes qui seront le terreau
sur lequel l’enfant pourra construire estime de lui, confiance en l’avenir
et orientation professionnelle satisfaisante.

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Les troubles des apprentissages en 2020
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Figure 4. Du trouble au handicap : de la rééducation à la compensation

Réduire le handicap c’est permettre à l’enfant – tel qu’il est – d’ap-


prendre, de grandir, de valoriser ses talents, de s’épanouir. C’est d’ail-
leurs aussi le sens de l’inclusion scolaire, qui enjoint à l’école d’accueillir
tous les enfants et de donner à tous connaissances sur le monde, bien-
être et qualité de vie. Cela prend principalement deux formes, plus ou
moins complémentaires : adapter la situation, l’environnement (par
exemple, concernant le handicap moteur : prévoir un plan incliné
ou un ascenseur chaque fois qu’il y a des marches), et compenser le
handicap (par exemple, concernant le handicap moteur : prescrire un
fauteuil roulant si la marche est impossible ou très limitée).
– Adapter, c’est modifier la situation pour la rendre accessible à tous
(ou au plus grand nombre). Lire à haute voix tout ce qui est écrit (au
tableau, le texte du problème, la consigne de l’exercice…) facilitera
grandement la vie des jeunes dyslexiques mais aussi celle des faibles
lecteurs (15 % en moyenne). Autoriser qu’un exposé se présente sous
n’importe quelle forme « de surface » (texte écrit à la main, schémas
et dessins, écriture clavier, diapositives PowerPoint, exposé oral…)
selon les préférences et facilités des uns et des autres, permettra que

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Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

dyslexiques, dyspraxiques et autres jeunes simplement « en difficulté »


fassent preuve de leurs compétences. D’une façon générale, cela suppose
d’utiliser ou de faciliter l’usage de différents supports, afin que chacun
puisse s’emparer du savoir ou montrer des connaissances.
– Compenser, c’est donner un moyen qui permet de répondre aux
exigences de l’environnement – scolaire et/ou social – en dépit du
handicap. Les nouvelles technologies, en particulier l’informatique,
sont des moyens pratiques, faciles, actuellement banalisés (du moins
hors l’école) qui permettent à la grande majorité d’enfants avec un dys
de se faire lire un texte (dyslexiques), de le dicter (dysgraphiques), de le
corriger (dysorthographiques), de réaliser des calculs (dyscalculiques),
des schémas (dyspraxiques), etc. De plus, ces outils – une fois que l’en-
fant en a appris et maîtrisé l’usage – lui rendent une bonne autonomie.
Aussi, le rôle des rééducateurs est-il désormais de s’intéresser précoce-
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ment aux exigences scolaires et de préconiser les compensations utiles.
Cela suppose qu’ils les connaissent, suivent l’évolution (souvent rapide)
de ces matériels et en enseignent l’usage aux enfants (Loty, 2020).
Ces derniers doivent en connaître les possibilités et les limites, les
circonstances où cela leur sera utile, et surtout ils doivent en acquérir
un usage suffisamment automatisé. Les rééducateurs, spécialistes du
handicap, doivent aussi travailler en synergie avec l’enseignant, d’une
part pour coller au plus près des besoins du pédagogue, d’autre part
pour prendre en compte le fait que certaines adaptations ciblées ne sont
de fait guère utilisables en grand groupe. Le trouble d’apprentissage,
par définition, se traduit par une difficulté en situation scolaire. C’est
donc là, à l’école, que la situation de handicap doit d’abord être prise
en compte. C’est donc là aussi que doivent intervenir d’emblée à la
fois les professionnels du soin et les pédagogues, autant que possible
en complémentarité.
Il y a bien sûr de nombreux obstacles à ces adaptations et compensations,
dont la plupart tiennent au fait que ces aménagements restent malheu-
reusement encore très exceptionnels, donnant à l’enfant le sentiment
d’une différence irréductible par rapport à ses pairs. Une meilleure prise
en compte des adaptations et compensations par les rééducateurs, et

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Les troubles des apprentissages en 2020

l’utilisation plus systématique de stratégies inclusives par les pédagogues


devraient, dans l’avenir, faciliter grandement la vie des jeunes dys.
Ces stratégies, qui doivent être déployées tant à l’école qu’au domicile
et quelquefois dans tous les secteurs de la vie de l’enfant (cantine,
loisirs…), réclament du temps, de l’énergie, des formations, voire des
financements, et elles ont toujours un réel coût psychologique. C’est
dire toute l’importance, en amont, qu’elles soient appuyées sur un
diagnostic solide, fiable, sans ambiguïté.

De l’importance d’un diagnostic fiable


Or ces diagnostics sont très délicats. Il faut en effet éviter à la fois de
médicaliser les enfants qui seraient en « difficulté » scolaire et de bana-
liser les troubles authentiques, niant le handicap de l’enfant, ce qui
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serait d’une grande violence, les conduirait d’échec en échec, soit à la
révolte, soit à la dépression/anxiété.
Ces diagnostics demandent donc une démarche rigoureuse et
systématique :
– repérage du problème, en général par l’enseignant ou la famille ;
– élimination de troubles sensoriels ou moteurs ;
– élimination d’une difficulté psycho-éducative ou psychosociale ;
– objectivation d’un décalage à la norme : premier bilan dit « de
débrouillage », par le psychomotricien, l’ergothérapeute ou l’ortho-
phoniste selon le problème en cause ;
– élimination d’une déficience mentale (échelles de Wechsler adaptées
à l’âge 3) ;
– bilans complémentaires éventuels ;
– confrontation et synthèse de tous les bilans, ce qui aboutit (enfin !)
au diagnostic ;

3. Cela est indispensable pour tout diagnostic de dys, sauf pour les dyslexies clas-
siques et modérées sans comorbidité (le bilan orthophonique est suffisant pour
attester de la dyslexie).

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– alors, il convient d’en évaluer les répercussions dans la vie de l’enfant


(handicap), de faire les préconisations adéquates… et de les mettre
en œuvre.
On imagine bien que cette démarche, si exigeante, peut souvent être
mise en échec. En particulier, deux grands écueils guettent : d’une part
la confusion entre « difficulté scolaire » et trouble neurodéveloppe-
mental, d’autre part le pseudo-diagnostic de « multi-dys ».

Écarter une « difficulté scolaire » :


la réponse à l’intervention 4
Les problèmes d’apprentissages sont fréquents (environ 15 % d’une
classe d’âge), tantôt ponctuels, tantôt plus durables se concentrant sur
telle ou telle discipline, tantôt fluctuant d’une période à l’autre chez un
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même enfant. C’est le lot habituel des enseignants. Lorsqu’un problème
d’apprentissage se fait jour, il ne s’agit donc pas toujours d’un trouble
neurodéveloppemental ! On sait aussi de longue date qu’un faible niveau
de langage (milieu socioculturel, enfant allophone ou malentendant,
etc.) augure mal d’une bonne scolarité. C’est d’ailleurs cette constatation
qui fait conseiller une scolarisation précoce dans les zones d’éducation
prioritaire (zep) et a conduit à la rendre obligatoire dès 3 ans.
C’est aussi la raison pour laquelle, une fois le problème repéré, il faut
toujours proposer, en première intention, un renforcement pédago-
gique de quelques mois : plus d’entraînements, plus d’exercices, plus
d’explications, plus de temps,… Cela peut se faire en classe, sous forme
d’un tuteur ou au sein d’un rased (Réseau d’aides spécialisées aux élèves
en difficulté), ou même quelquefois lors de la mise en route d’une
rééducation « non spécifique » avant la fin de la démarche diagnos-
tique (reprise d’exercices graphiques chez un jeune qui écrit « mal », de
l’automatisation des conversions graphophonologiques chez un autre

4. Cf. par exemple, « Le modèle de réponse à l’intervention et la prévention


des difficultés d’apprentissage de la lecture au préscolaire et au primaire »,
A. Desrochers et coll. (Canada), http://hdl.handle.net/11143/10274

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Les troubles des apprentissages en 2020

lent à accéder à une lecture fluide, des principes de la numération chez


un jeune qui peine en maths, etc.) Ces interventions aident tous les
enfants faibles dans un domaine ou un autre. Évaluer les résultats de
cette intervention (la « réponse » de l’enfant) donne des informations
irremplaçables sur la nature de ses difficultés.
Si des progrès notables se font jour en quelques mois (deux-quatre mois),
rapprochant l’enfant de la norme de son âge et de son niveau scolaire,
alors, il s’agissait d’une « difficulté ». Il n’y a pas lieu de faire des bilans
complémentaires (dans le listing des huit étapes diagnostiques ci-dessus,
on s’arrête au palier 3) ni de faire appel à des professionnels du soin.
Cette stratégie évite ainsi beaucoup de surdiagnostics de dys.
Au contraire, si les progrès (car il y a toujours une amélioration) ne
permettent pas un « rattrapage » net par rapport à la norme, alors, il faut
référer l’enfant au secteur médical et entamer une démarche complète
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de diagnostic. Cette stratégie sert véritablement de filtre pour repérer
précocement, et avec une bonne fiabilité, les enfants pour lesquels il
est légitime de proposer des bilans complémentaires (l’ensemble de la
démarche en huit points).
Attention : le renforcement pédagogique doit être de courte durée
et les progrès attendus doivent être précisés et mesurés (« réponse à
l’intervention »). Sinon, il y a un risque réel de méconnaître le dys et
de proposer « toujours plus de la même chose qui ne marche pas ».
Enfin, les difficultés socio-économiques ou psychosociales ne protègent
pas d’un dys ! L’accumulation de ces deux conditions représente un
sur-handicap à deux titres : le diagnostic de dys est souvent très (trop)
tardif, car les difficultés sociales et/ou psychologiques font longtemps
écran ; la famille peut être dans l’impossibilité de se situer en partenaire
des professionnels et en recours pour l’enfant.

Toujours réinterroger les diagnostics de « multi-dys »


Toutes les étapes diagnostiques sollicitent de nombreux professionnels
du soin, rééducateurs, psychologues et médecins : chacun va, légiti-
mement, faire « son » bilan qui va montrer un éventail de réussites et

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Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

d’échecs. Il y a alors grand risque que chacun, constatant des défail-


lances, des anomalies, des contre-performances dans tel ou tel secteur
de son évaluation, propose une prise en charge dans le but de réduire
le ou les déficits constatés. La situation, malheureusement fréquente
lorsqu’il s’agit de consultations en libéral, risque bien de se résumer
ainsi : un symptôme observé = une rééducation. Au fil du dévoilement
de telle ou telle difficulté scolaire, les rééducations s’accumulent (en
psychomotricité, en ergothérapie, en orthophonie, en orthoptie, en
« aide aux devoirs »…) sans que l’enfant en bénéficie réellement : sa
situation scolaire ne s’améliore pas. Cela devrait conduire à questionner
les choix thérapeutiques, mais c’est malheureusement rarement le cas…
On voit bien dans ces situations combien l’enfant est en permanence
confronté à ses difficultés et à des efforts pour les « dépasser », sans
qu’il lui soit réellement possible d’investir ses compétences préservées.
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Ces pseudo-diagnostics de multi-dys se rencontrent dans diverses situa-
tions, très fréquentes.
– Une déficience mentale qu’on ne veut pas nommer, ou dont le diagnostic
n’a pas été fait.
On rappelle que le diagnostic de dys ne peut pas se faire sans que soient
pratiquées les échelles de Wechsler (sauf pour des dyslexies isolées). D’une
façon générale, étant donné l’hétérogénéité des scores des jeunes présen-
tant un dys, la dynamique intellectuelle doit être évaluée en s’appuyant
essentiellement sur les notes standard obtenues aux épreuves très « satu-
rées » en facteur g (intelligence générale) telles les « similitudes » (sur
le plan verbal) ou les « matrices » (en non verbal). Enfin, il est possible
qu’un enfant présentant une déficience légère soit aussi dys : c’est le cas
lorsque, dans un secteur de la cognition ou des apprentissages, la perfor-
mance du jeune se révèle significativement plus faible que celle attendue
du fait de sa déficience (de son niveau « en facteur g »). Ainsi (de façon
schématique), on pourrait évoquer une dyslexie « dans le contexte d’une
déficience intellectuelle », chez un enfant de 12 ans, d’âge mental de 9 ans
et dont le niveau de lecture serait celui d’un début de cp.

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Les troubles des apprentissages en 2020

La prise en charge néanmoins doit être prioritairement adaptée à la


déficience mentale, au sein de laquelle on devra prendre en compte les
anomalies d’accès au langage écrit.
– Un trouble cognitif spécifique méconnu, en amont des troubles des
apprentissages.
La plupart des troubles cognitifs ont pour conséquence des troubles des
apprentissages. Ces derniers ne sont que le signe d’un dysfonctionne-
ment autre, en amont, qu’il faut identifier (en faire le diagnostic) et qui
devra être la véritable cible des rééducations et aides aux apprentissages.
Exemples
– Une dyspraxie visuo-spatiale peut être responsable d’une dys­­
graphie, d’une dyslexie visuelle et d’une dyscalculie spatiale. Parler
de « multi-dys » ne fait que diluer les prises en charge, sans mettre
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en évidence le processus commun responsable de cette cascade de
troubles des apprentissages : c’est le trouble praxique et visuo-spatial
qui doit être pris en compte – en rééducation comme en classe – et
lui seul.
– Un trouble déficitaire de l’attention peut se traduire par des retards,
difficultés et incapacités dans à peu près toutes les disciplines et tous
les apprentissages (Mazeau, 2016). Parler de multi-dys et égrener
la litanie des dys (dyslexie, dysgraphie, dyscalculie, dys…) risque
de multiplier les rééducations et les préconisations en classe, sans
aucune efficacité autre que l’épuisement de l’enfant. C’est le trouble
attentionnel qui doit être l’objet des traitements, remédiations,
adaptations et compensations.
On peut éviter ces erreurs en travaillant au sein d’équipes pluridiscipli-
naires, où les échanges entre professionnels et les réunions de synthèse
feront émerger le diagnostic unique qui rend compte de l’ensemble
des signes et défaillances observés.

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Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

C’est l’objectif des nouvelles « plateformes d’orientation et coordina-


tion ». La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019 5 permet
aujourd’hui de disposer d’un parcours de bilans et d’interventions
précoces pour les enfants de moins de 7 ans présentant des troubles
du neurodéveloppement (tnd). Il se structure autour de « plate-
formes d’intervention précoce » qui seront en capacité d’orienter les
enfants, sur prescription médicale, vers un professionnel qu’elles auront
conventionné. Les bilans pratiqués dans ce cadre seront financés avec
« zéro reste à charge » pour les familles.
Cela doit inciter à des diagnostic précoces, du moins en ce qui concerne
les dysphasies, dysgraphies, tdc/dyspraxies et tda/h. On voit mal en
effet comment les diagnostics de dyslexie, dysorthographie ou dys­­
calculies pourraient être effectués avant 7 ans : pour ces derniers, c’est
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plutôt aux alentours de 8-9 ans que l’on considérera que le diagnostic
est précoce. Mais la stratégie de la « réponse à l’intervention » (cf. plus
haut) permet d’être alerté précocement et d’aider l’enfant quelle que
soit la situation, bien avant même que le diagnostic de dys ne soit
affirmé. Lorsque l’accès à ces plateformes diagnostiques pour les tnd
n’est pas possible, il faut absolument que l’ensemble des bilans pratiqués
soient confrontés les uns aux autres par un médecin expérimenté dans
le domaine des tnd afin qu’une synthèse en émerge, qu’un diagnostic
soit posé.
Certes, les diagnostics de multi-dys existent bel et bien. Ils traduisent
la présence de deux troubles « dys » qui n’entretiennent entre eux
aucun lien de cause à effet. Exemples : dysphasie et tdc/dyspraxie,
dyspraxie/tdc et dyslexie phonologique, dyspraxie et tda/h… Dans
ces cas, il convient de hiérarchiser les problèmes – et donc les prises
en charge – en fonction des répercussion actuelles et à venir de chacun
des deux troubles.

5. https://handicap.gouv.fr/autisme-et-troubles-du-neuro-developpement/agir-
pour-l-autisme-au-sein-des-troubles-du-neuro-developpement/la-strategie-
nationale/article/engagement-2-intervenir-precocement-aupres-des-enfants

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Les troubles des apprentissages en 2020

Conclusion
Les troubles d’apprentissage peuvent gâcher durablement et irrémé-
diablement l’enfance de ceux qui en souffrent. Nous ne pouvons ni les
ignorer ni les banaliser. Il nous faut être attentifs à repérer précocement
ces enfants, leur éviter un vécu d’échecs récurrents, des propositions
mal adaptées qui les confortent dans leur sentiment d’incompétence,
le découragement et la mésestime de soi. Pour cela, diagnostics et
conception du projet individuel doivent reposer sur une démarche
rigoureuse, qui réclame du temps, des formations, de la pluridisciplina-
rité, des concertations, des synthèses. C’est cette exigence qui permettra
d’améliorer notablement la vie et l’avenir de ces enfants intelligents,
capables d’apprendre autrement.

Bibliographie
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Dehaene, S. 2007. Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob.
Dehaene-Lambertz, G. et coll. 2018. « The emergence of the visual word
form: Longitudinal evolution of category-specific ventral visual areas during
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journal.pbio.2004103.
Loty, G. ; Mazeau, M. 2020 (à paraître). Dys : outils et adaptations dans ma
classe, Paris, Retz.
Mazeau, M. 2016. « Du tda au syndrome dys-exécutif », anae, 140,
p. 67-72.
Mazeau, M. 2017. « Du “logico-mathématique” aux dyscalculies », Réédu-
cation orthophonique, 270, p. 13-36.
Mazeau, M. 2018. « L’enfant avec tdc ou dyspraxique : réflexions sur la
lenteur », anae, 151, p. 693-700.

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