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Pierre Gressens
Érès | « Contraste »
2020/1 N° 51 | pages 11 à 20
ISSN 1254-7689
ISBN 9782749266893
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-contraste-2020-1-page-11.htm
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Résumé
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Les troubles du neurodéveloppement doivent être appréhendés de façon dimen-
sionnelle plutôt que catégorielle. Leur dimension génétique (certainement
complexe) est évidente mais des facteurs d’environnement (notamment l’in-
flammation/neuro-inflammation et ce, par exemple, dans le cadre de la grande
prématurité) jouent vraisemblablement un rôle important dans de nombreux
cas. De plus des modifications épigénétiques pourraient expliquer certains
dysfonctionnements persistant à long terme et représentent une nouvelle
voie de recherche pouvant potentiellement déboucher sur de nouvelles pistes
thérapeutiques.
Mots-clés
Neuro-inflammation, microglie, synapses, interneurones, autisme.
L
e développement du cerveau est un élément-clé de tous les
processus de maturation et est essentiel pour assurer l’intégra-
tion de l’enfant et du futur adulte dans la société. Les troubles
du neurodéveloppement (tnds) comprennent un grand groupe de
dysfonctionnements cérébraux (troubles du spectre autistique – tsa –,
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Les caractéristiques spécifiques du développement du cerveau humain
expliquent que les tnds sont multiples et globalement fréquents ;
variables dans leur expression clinique et modulés par le stade de
développement et les facteurs environnementaux ; complexes dans
leurs mécanismes physiopathologiques (avec les contributions des
gènes et de facteurs environnementaux) et leurs conséquences sur
les fonctions cérébrales ; potentiellement améliorables par une inter-
vention précoce.
Les tnds englobent les maladies affectant divers mécanismes-clés du
développement : la production des neurones (microcéphalies d’origine
génétique et environnementale), la migration neuronale (saf, cmv),
l’équipement en interneurones (tsa, prématurité, restriction de la crois-
sance fœtale), la production de myéline (leucodystrophies, prématurité,
restriction de la croissance fœtale), la synaptogenèse (tsa, prématu-
rité, restriction de la croissance fœtale), le contrôle de la formation/
élimination et du fonctionnement des synapses (tsa, épilepsies), la
neurosécrétion (troubles neuroendocriniens) et le métabolisme (poten-
tiellement impliqué dans de nombreux tnds).
Les coûts directs et indirects de la maladie mentale ont été estimés à
107 milliards d’euros par an en France. Le coût annuel de la prise en
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moteurs, cognitifs, sensoriels et sociaux. Leur coût médico-social à vie
est estimé à 150 000 euros par an et par patient.
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Une synapse est formée d’un élément présynaptique (extrémité distale
d’un axone) qui est capable de libérer un ou plusieurs neurotrans-
metteurs (excitateurs ou inhibiteurs) et d’un élément post-synaptique.
Ces éléments post-synaptiques sont concentrés au niveau des épines
dendritiques. Ils sont composés de récepteurs aux neurotransmetteurs
ainsi que d’un complexe protéique relié au récepteur et ayant pour
fonction d’intégrer le signal synaptique. Ce complexe comprend des
protéines d’échafaudage comme psd95 (« post-synaptic density protein
of 95 kDa ») qui permettent d’arrimer au complexe différentes pro
téines fonctionnelles.
Au niveau du néocortex occipital du primate non humain, cinq vagues
successives de synaptogenèse ont été décrites. Sur la base de données
obtenues dans le cortex occipital humain, la chronologie suivante est
proposée pour le cortex humain :
– une première phase débutant aux environs de la sixième-
huitième semaine de grossesse et limitée aux couches profondes telles
la sous-plaque ;
– une deuxième phase débutant vers douze-dix-sept semaines de gros-
sesse avec relativement peu de synapses produites dans le cortex ;
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synapses non stabilisées), il existe des phases successives de surproduc-
tion de synapses labiles, aboutissant à des connexions redondantes et
ce de façon assez aléatoire. Cette étape est largement contrôlée par des
facteurs génétiques. Chaque vague de surproduction est suivie par une
période de stabilisation des synapses qui ont une valeur fonctionnelle
et une élimination des synapses redondantes ou inutiles. Cette période
de stabilisation et d’élimination est fortement influencée par les stimuli
environnementaux et l’expérience.
Dans ce processus d’élimination synaptique, les cellules de la micro-
glie (cellule immunitaire innée du système nerveux central, équivalent
dans le cerveau du macrophage périphérique) semblent jouer un rôle
central (Hong et coll., 2016). Au cours du développement cérébral, ces
microglies vont reconnaître, grâce à différents codes moléculaires (la
microglie exprimant des récepteurs à certaines chimiokines ou éléments
du complément, les synapses à éliminer exprimant un ligand de ces
récepteurs reconnu par la microglie comme un signal « eat me »), les
synapses peu ou mal utilisées. À l’inverse, les synapses qui doivent être
maintenues expriment des molécules reconnues par la microglie comme
des signaux « do not eat me ». Dans le cerveau mature, les microglies
continuent à avoir une influence sur la neurotransmission en modulant
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de cellules uniques réalisée sur des cerveaux d’enfants décédés avec
tsa a montré que les cellules dont les perturbations du transcriptome
(ensemble des arn messagers d’une cellule) étaient significativement
corrélées avec les signes cliniques, sont les neurones des couches super
ficielles du cortex (couches 2-3), certains groupes d’interneurones (dont
ceux exprimant la parvalbumine ou la somatostatine) et les cellules
microgliales (Velmeshev et coll., 2019). Parmi les voies moléculaires
perturbées dans ces cellules, on retrouve la synaptogenèse et la trans-
mission synaptique ainsi que divers processus développementaux.
Une étude neuropathologique réalisée chez des enfants avec tsa a égale-
ment montré une réduction de la densité corticale de certains groupes
d’interneurones (dont ceux exprimant la parvalbumine ou la calréti-
nine) [Adorjan et coll., 2017]. Les interneurones sont pour la plupart
des neurones inhibiteurs, qui permettent de maintenir la balance
excitation-inhibition et donc un fonctionnement cérébral adéquat. Un
défaut dans cette balance peut entraîner des crises convulsives mais aussi
des déficits cognitifs et comportementaux. De plus, il a été montré que
les interneurones exprimant la parvalbumine jouent un rôle-clé dans la
plasticité cérébrale au cours du développement (Batista et Hensch, 2019).
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Prématurité et tnds
Les différentes étapes du développement cérébral sont finement contrô-
lées par divers programmes génétiques. Cependant l’expérience, l’en-
vironnement et la stimulation pourront moduler, adapter, affiner le
patron initial pour rendre le cerveau adapté à l’environnement. Ces
processus adaptatifs sont l’expression de la grande plasticité du cerveau
en développement et permettent l’apprentissage de nouvelles compé-
tences tout au long de l’enfance et de l’adolescence. L’environnement
peut aussi avoir des effets délétères sur la maturation cérébrale. En
particulier le nouveau-né prématuré est exposé à de nombreux stimuli
qui n’existent que peu ou prou chez un fœtus de même âge, telles des
inflammations (liées par exemple à une chorioamniotite, une souf-
france per partum, une ventilation mécanique, un sepsis ou une entéro
colite nécrosante), des stimulations sensorielles excessives et répétées,
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des stimulations douloureuses, le stress, de multiples médicaments
neuroactifs, ainsi que la perte brutale des facteurs d’origine maternelle
et placentaire. Tout facteur d’environnement ou médicament ayant
un effet cérébral est susceptible d’altérer certaines ou plusieurs étapes
du développement cérébral. Les mécanismes majeurs par lesquels ces
facteurs d’environnement peuvent agir sur la maturation cérébrale
impliquent souvent une neuro-inflammation. De plus certaines consé-
quences à long terme pourraient impliquer des facteurs épigénétiques
qui contrôlent l’organisation et la compaction du génome et donc
l’expression des gènes.
Une des cellules-clés dans la neuro-inflammation est la microglie. La
microglie constitue 5 % à 15 % du nombre total des cellules céré-
brales. Des travaux récents chez le rongeur suggèrent que les microglies
cérébrales dérivent d’un pool de précurseurs monocytaires qui enva-
hissent précocement le sac amniotique et le cerveau en développement.
Durant le premier trimestre de la grossesse chez l’homme, les micro-
glies qui pénètrent dans le cerveau ont une morphologie amiboïde.
Cette morphologie évolue progressivement vers un phénotype inter-
médiaire puis mature avec un petit corps cellulaire et de longs prolon-
gements. À la moitié de la grossesse, les populations de microglies sont
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de grossesse. Cependant des travaux récents suggèrent que l’équipement
en interneurones gabaergiques du néocortex continue à s’enrichir prati-
quement jusqu’au terme. Dès lors une naissance prématurée pourrait
avoir un impact sur cette migration tardive. De façon intéressante, des
études expérimentales dans des modèles de lésions cérébrales associées
à la prématurité (souris et primates non humains) ainsi qu’une étude
neuropathologique chez des enfants nés prématurément ont montré
une raréfaction de certains groupes d’interneurones (notamment ceux
exprimant la parvalbumine) [Stolp et coll., 2019].
Conclusion et perspectives
Les tnds doivent être appréhendés de façon dimensionnelle plutôt
que catégorielle. Leur dimension génétique (certainement complexe)
est évidente mais des facteurs d’environnement (notamment
l’inflammation/neuro-inflammation et ce par exemple dans le cadre
de la grande prématurité) jouent vraisemblablement un rôle important
dans de nombreux cas. De plus des modifications épigénétiques pour-
raient expliquer certains dysfonctionnements persistant à long terme et
représentent une nouvelle voie de recherche pouvant potentiellement
déboucher sur de nouvelles pistes thérapeutiques.
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