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2020/1 N° 51 | pages 69 à 90
ISSN 1254-7689
ISBN 9782749266893
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-contraste-2020-1-page-69.htm
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Dorothée Leunen et Catherine Grosmaitre
Résumé
Classiquement, l’évaluation neuropsychologique vise à une compréhension
globale du fonctionnement cognitif de l’enfant dans une perspective dévelop-
pementale. La nouvelle version du dsm introduit des changements dans l’ap-
proche conceptuelle et clinique des troubles neurodéveloppementaux dans
la pratique neuropsychologique. Le premier changement concerne le carac-
tère développemental et la survenue potentiellement précoce des troubles. La
neuropsychologie s’est toujours intéressée aux trajectoires développementales
propres à chaque enfant en mettant en évidence une variabilité de la sémiologie
clinique des troubles cognitifs avec l’âge. Il s’avère toutefois désormais essen-
tiel de proposer des explorations cognitives dès les premières plaintes expri-
mées par l’enfant ou son entourage. L’approche dimensionnelle, et non plus
critériologique des troubles, constitue un autre changement majeur apporté par
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et l’établissement de définitions plus spécifiques des troubles cognitifs selon les
tableaux cliniques présentés par certains enfants et adolescents.
Mots-clés
Neuropsychologie, dsm-5, diagnostic, troubles neurodéveloppementaux, troubles
cognitifs.
L
es troubles neurodéveloppementaux désignent des perturbations
hétérogènes du développement cognitif ou affectif, survenant
le plus souvent précocement durant l’enfance et résultant d’un
développement cérébral atypique (Yeargin-Allsopp et Boyle, 2002 ;
Mullin et coll., 2013). Définis pour la première fois dans la cinquième
édition du dsm (apa, 2013), les troubles neurodéveloppementaux
entraînent des répercussions notables sur le fonctionnement adap-
tatif personnel, social, scolaire et familial des personnes concernées.
Ces troubles se manifestent à des degrés variables, allant de déficits
spécifiques (limités par exemple aux apprentissages, à l’attention ou à
la communication) à des désordres plus globaux des fonctions intel-
lectuelles ou des interactions sociales. Jusqu’alors considérés comme
distincts au sein des précédentes versions du dsm, ces regroupements
sémiologiques supposent que des mécanismes communs s’expriment
donc au cours du développement de l’enfant. Par ailleurs, avec le dsm-5,
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dans les troubles cognitifs de l’enfant
Initialement développée pour déterminer les relations potentielles entre
une fonction cognitive dysfonctionnelle et une localisation cérébrale,
la neuropsychologie contemporaine s’extrait progressivement de cette
première quête des relations anatomo-cliniques. En effet, elle s’en-
richit aujourd’hui de nombreuses activités et compétences, jusqu’à
jouer un rôle essentiel dans les représentations médico-psychologiques
des pathologies et de leurs manifestations. L’évaluation neuropsycho-
logique constitue une part importante de l’activité du psychologue-
neuropsychologue ; elle représente d’ailleurs probablement la facette
la plus connue de ce métier. Plusieurs raisons justifient la réalisation
d’un bilan neuropsychologique chez un enfant ou un adolescent. De
façon non exhaustive, nous pouvons retenir :
– le besoin de disposer d’une vision globale du fonctionnement
de l’enfant pour mieux comprendre et analyser ses difficultés et
ses besoins ;
– les obligations administratives, en particulier pour la recon-
naissance du handicap (dossier mdph, orientation scolaire en
dispositif spécialisé, etc.) ;
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l’impact d’un dysfonctionnement sur le répertoire cognitif.
L’évaluation neuropsychologique débute systématiquement par un
entretien anamnestique rigoureux réalisé auprès de la famille et de
l’enfant. Cet entretien vise, d’une part, à comprendre quelles sont
les plaintes et les difficultés de l’enfant et, d’autre part, à cerner leurs
retentissements sur le fonctionnement familial, social et scolaire.
Dans un second temps, lors de l’évaluation à proprement parler, une
exploration cognitive est proposée, par le biais d’épreuves, standardisées
et validées auprès de larges populations de référence, et qui servent alors
de médiateurs pour définir le fonctionnement et les apprentissages d’un
enfant. La neuropsychologie trouve, en effet, ses principaux fondements
dans la psychométrie, véritable science de la mesure en psychologie.
Celle-ci offre notamment la possibilité de saisir les difficultés d’un
enfant en les considérant selon des critères spécifiques d’âge, de niveau
scolaire, de sexe et/ou de catégorie socio-économique.
Le choix des tests repose essentiellement sur les difficultés décrites
par l’enfant et son entourage mais se poursuit usuellement selon
une démarche hypothético-déductive. Celle-ci permet, en effet, au
neuropsychologue de corroborer ou d’infirmer les hypothèses émises
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L’évaluation neuropsychologique doit reposer sur l’interprétation
d’une exploration cognitive complète. Classiquement, l’analyse
des résultats suppose alors, d’une part, de considérer les éventuelles
dissociations ou asynchronies cognitives présentées par un enfant
entre plusieurs de ses performances (en constatant, par exemple,
que ses compétences verbales sont meilleures que ses habiletés non
verbales, que son attention auditive est plus fragile que son atten-
tion visuelle, etc.). Cette analyse nécessite, d’autre part, de soustraire
chaque étape de traitement de l’information et du comportement
pour isoler adéquatement celle qui pose problème à l’enfant (par
exemple, l’enfant échoue au test d’attention auditive car il présente,
avant tout, des difficultés langagières).
Par ailleurs, et au-delà des aspects normatifs et quantitatifs du fonc-
tionnement cognitif, l’évaluation neuropsychologique se centre égale-
ment sur une observation du comportement de l’enfant pour en
apporter une compréhension dynamique et intégrative. Il ne s’agit
plus là de mesurer seulement une performance mais de chercher à
comprendre comment l’enfant s’y prend. Chaque performance indivi-
duelle est ainsi appréciée selon des critères qualitatifs supplémentaires,
dévoilant ainsi les « outils » cognitifs dont l’enfant dispose ou non :
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(tsa), le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité
(tda/h), les troubles des apprentissages, les troubles moteurs ainsi
qu’un ensemble d’autres troubles neurodéveloppementaux spécifiés ou
non. Cette nouvelle classification nécessite une adaptation clinique et
conceptuelle de la part des professionnels de la santé, dont les neuro
psychologues. Nous en présentons ici les principaux changements pour
l’exploration cognitive des enfants et des adolescents.
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apparus les symptômes a lui aussi été modifié : auparavant fixé à 7 ans,
il est désormais élevé à 12 ans.
Ces modifications amènent les professionnels, dont les neuropsycho-
logues, à ne pas écarter des troubles cognitifs d’apparition plus tardive.
Néanmoins, depuis toujours, la démarche évaluative en neuropsycho-
logie pédiatrique s’attache à prendre en considération la trajectoire
développementale dans laquelle s’inscrivent les troubles d’un enfant.
Il est ainsi classiquement conçu que la sémiologie neuropsychologique
peut varier, se modifier ou s’enrichir avec l’âge et avoir un caractère
composite du fait des phénomènes de compensation et de plasticité
cérébrale (Johnston et coll., 2009 ; Ismail et coll., 2017).
À titre d’exemple, un tda/h ne se caractérise pas toujours par la même
symptomatologie ni la même intensité chez tous les enfants, avec des
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variances notables selon les âges. Notamment, il n’est pas rare que les
troubles attentionnels ne soient visibles ou ne fassent l’objet d’une
plainte que lorsque les exigences scolaires, sociales et/ou cognitives
sont plus soutenues. En particulier, les troubles attentionnels peuvent
n’apparaître qu’en présence de tâches longues et monotones, auxquelles
l’enfant est davantage exposé avec l’avancée de sa scolarité, et ainsi être
jugés comme étant « d’apparition différée » (Roy, 2015) alors même
que l’enfant avait sûrement, au préalable, développé des stratégies
compensatoires pour masquer ses difficultés.
De même, dans le cadre des tsa, il est désormais admis que les « symp-
tômes doivent être présents depuis la petite enfance mais qu’ils peuvent
ne devenir totalement manifestes que lorsque la demande sociale excède
les limites des compétences » (dsm-5).
Au final, un développement initial qui apparaît plutôt satisfaisant au
cours des premières années de vie ne suffit pas à garantir une poursuite
normale du processus développemental. Par ailleurs, même lorsqu’un
enfant obtient un niveau normal de performance, cela ne prouve pas
que la fonction testée se soit développée selon les mêmes mécanismes
qu’au cours du développement ordinaire.
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Multiplier les sources d’information (famille, enseignants, théra-
peutes, etc.), notamment par le biais de questionnaires de compor-
tement, est par ailleurs essentiel pour mieux cerner les difficultés de
l’enfant dans une perspective plus écologique que celle proposée en
situation restrictive d’évaluation. Cela est particulièrement vrai pour
l’évaluation des troubles attentionnels et des troubles des fonctions
exécutives, qui ne sont pas toujours révélés par les tests cognitifs,
et alors même qu’il existe parfois d’importantes plaintes familiales
ou scolaires (Wallisch et coll., 2018 ; Chaytor et coll. 2003 ; 2006 ;
Burgess et coll., 1998 ; Shallice et Burgess, 1991 ; Odhuba, Broek et
Johns, 2005). De même, le travail pluridisciplinaire a un rôle primor-
dial pour assurer une observation de l’enfant à travers le prisme des
différentes spécialités cliniques.
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ploration cognitive peut y servir. En effet, le bilan neuropsychologique
a toujours eu pour objectif d’évaluer la nature des troubles cognitifs
présentés par un enfant mais, aussi, d’en estimer leurs impacts au
quotidien, notamment par le biais d’une mesure des comportements
adaptatifs. Avec le dsm-5 sont désormais ajoutés la notion de niveaux
d’atteintes, impliquant une estimation du degré de soutien nécessaire
à l’enfant. Par exemple, le handicap intellectuel doit être jugé comme
étant de degré « léger », « moyen », « grave » ou « profond ». De même,
dans les tsa, le degré de sévérité doit être évalué en fonction du besoin
d’accompagnement de l’enfant, selon les deux facteurs qui contribuent
au diagnostic (communication sociale et intérêts restreints/comporte-
ments répétitifs), allant d’un niveau 1 (un accompagnement est néces-
saire) à 3 (nécessite un accompagnement très important).
L’approche dimensionnelle notifiée dans le dsm-5 a toutefois fait l’objet
de vives polémiques, notamment au sujet du risque de « pathologiser »
des comportements normaux ou typiques. Inversement, a été critiquée
l’idée d’une « neurodiversité », sous-entendue par la notion de spectre
d’atteintes cliniques ainsi que par la représentation volontairement
« quantitative » des troubles, et dans laquelle des pathologies psychia-
triques au pronostic sévère peuvent être désormais interprétées comme
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que l’exploration cognitive par des moyens psychométriques occupe
une place importante en neuropsychologie, cette dernière ne saurait être
uniquement réduite à la seule administration de tests psychométriques
ni à situer l’enfant selon une seule dimension psychologique : mesurer
n’est pas comprendre, « la psychométrie ne peut expliquer ni comment
ni pourquoi » (Tourette, 2001). Ainsi, le bilan neuropsychologique doit
non seulement fournir l’évaluation nécessaire à un diagnostic précis
mais doit aussi contribuer à expliquer ce que ce diagnostic suppose
pour l’enfant. En effet, c’est en comprenant le fonctionnement singu-
lier d’un enfant, et les contraintes auxquelles il est soumis dans son
développement, qu’il est possible de l’accompagner au mieux dans ses
apprentissages ultérieurs.
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psychologique, l’hypothèse d’un tda/h est néanmoins retenue. En effet,
l’analyse approfondie du style cognitif de Matthieu témoigne d’un profil
relativement typique d’un tel diagnostic avec la mise en lumière de disso-
ciations spécifiques entre le rendement intellectuel global de Matthieu et
ses habiletés attentionnelles (mémoire de travail, vitesse de traitement,
attention divisée, fragilité de l’inhibition et de la flexibilité mentale), qui
le mettent en souffrance dans son quotidien scolaire et familial.
Ce n’est pas donc pas la validation stricto sensu de l’aspect pathologique
ou non de chaque score qui conduit à un diagnostic mais surtout l’analyse
approfondie du répertoire cognitif et comportemental de l’enfant. Des
prises en charge adaptées lui ont, dès lors, permis d’investir pleinement
sa scolarité.
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se satisfaire de ces modifications apportées par le dsm-5. En effet, la
conception hypothético-déductive sous-jacente à l’exploration cogni-
tive suppose de partir de manifestations cognitives spécifiques, non
exclusives les unes des autres, pour soutenir un diagnostic particulier.
De surcroît, l’altération d’une fonction peut avoir un effet délétère sur
l’organisation d’autres activités cognitives en raison de la relative inter-
dépendance entre les composantes cognitives durant le développement.
Ainsi, un trouble neurodéveloppemental peut désormais être iden-
tifié conjointement à une pathologie neurologique, génétique ou à
des déficits neurosensoriels. Par exemple, il est désormais admis qu’un
tda/h ou une dyslexie peuvent être diagnostiqués dans un contexte
d’épilepsie si les difficultés décrites ne sont pas mieux expliquées par la
pathologie médicale elle-même. Inversement, si l’épilepsie ou une autre
étiologie connue expliquent à elles seules les difficultés de l’enfant, un
diagnostic de trouble non spécifié sera alors privilégié. Cette termino-
logie éclaire davantage sur la nature primaire ou secondaire de certains
troubles cognitifs, qui doit être clairement définie en conclusion de
toute évaluation cognitive.
La nature plurielle et « tentaculaire » des troubles neurodéveloppe-
mentaux présume, par ailleurs, l’existence d’un socle commun entre
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évaluations cognitives exhaustives pour tous les enfants avec suspicion
d’un trouble neurodéveloppemental. Au sein du bilan neuropsycho-
logique, il est désormais crucial de raisonner en termes d’associations
comorbides et l’identification d’un symptôme doit nécessairement faire
rechercher d’autres manifestations cognitives associées. Dans cette pers-
pective, nous pouvons toutefois nous interroger sur la pertinence de
certains outils cognitifs utilisés par les neuropsychologues. Surtout,
à l’ère du dsm-5, il apparaît essentiel de développer des tests plus
spécifiques à l’évaluation des fonctions transversales pour le diagnostic
des troubles neurodéveloppementaux (attention, fonctions exécutives,
mémoire, cognition sociale). En effet, l’exploration cognitive doit
permettre de définir précisément des caractéristiques cliniques et cogni-
tives, alors même que certaines fonctions peuvent être communément
altérées dans plusieurs troubles neurodéveloppementaux.
Le concept de durabilité
Le concept de durabilité est régulièrement évoqué pour faire la
distinction entre un retard simple d’acquisition (pouvant être relié
à une variante individuelle du développement et/ou favorisé par un
environnement psychosocial peu stimulant) et un trouble spécifique
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l’enfant à l’école, à partir du moment où les difficultés sont décrites
depuis plus de six mois.
Le diagnostic d’un trouble neurodéveloppemental est donc un
processus dynamique qui nécessite la prise en compte de l’évolution des
troubles dans un contexte adapté. À cet escient, l’exploration cognitive
peut permettre de mieux définir la trajectoire développementale des
enfants en proposant, dès les premiers signes ou plaintes, une évaluation
neuropsychologique complète. De même, celle-ci peut être proposée
en suivi longitudinal, à des moments-clés dans le développement et la
scolarité de l’enfant.
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tel que proposé par le dsm-5, soutient l’idée de difficultés survenant
précocement au cours de la vie. Il existe néanmoins de nombreuses
difficultés inhérentes à l’établissement d’un diagnostic chez le très jeune
enfant et certains éléments diagnostiques des classifications apparaissent
ainsi peu spécifiques de la petite enfance.
Au cœur des troubles neurodéveloppementaux, il est notamment diffi-
cile de poser une limite franche entre ce qui relève des difficultés propres
au jeune enfant et ce qui est induit par l’environnement dans lequel
il grandit (entourage, stimulations pédagogiques, éducation, etc.).
D’autre part, la variabilité inter et intra-individuelle étant très impor-
tante chez le petit enfant, il n’est pas aisé d’objectiver un seuil au-delà
duquel le comportement de l’enfant ou l’évolution de ses compétences
signe un trouble spécifique et non pas seulement une variation de son
développement par rapport à une norme.
Pourtant, le diagnostic précoce des troubles neurodéveloppemen-
taux est essentiel. Il assure la mise en place d’interventions précoces,
primordiales pour soutenir le développement de l’enfant et diminuer
la survenue de symptômes secondaires. Il permet aussi un meilleur
accompagnement au sein de la dynamique familiale, en améliorant la
compréhension des difficultés de l’enfant.
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développementaux peut déjà être estimée sur la base d’observations
comportementales quantifiées. De même, le recours à des tests spéci-
fiques (tels que le Bayley Scales of Infant Development ou les Mullen
Scales) peut déjà servir de base pour définir une trajectoire dévelop-
pementale dès le plus jeune âge.
La systématisation des évaluations neuropsychologiques chez le jeune
enfant est ainsi à renforcer pour améliorer l’expertise clinique et
médicale.
Amine, âgé de 2 ans 10 mois, est reçu en évaluation pour une suspi-
cion de tsa. La demande est motivée par la crèche devant un enfant
décrit comme « différent ». Durant l’entretien, les parents rapportent
une exposition excessive aux écrans depuis l’âge de 1 an et demi (12 h/
jour). Amine est sinon décrit comme un garçon « surdoué » (sait compter
jusqu’à 100 en différentes langues, commence à lire, fait des additions).
Les éléments anamnestiques mettent en avant un développement psycho-
moteur hétérogène, avec de bonnes capacités en motricité fine mais un
retard dans la maîtrise de la motrice globale et du langage. Il est égale-
ment noté des comportements stéréotypés, des intérêts répétitifs, un
manque de réciprocité dans la relation et des difficultés dans l’initiation
des échanges avec les pairs.
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de l’adulte sont volontiers initiés mais sont autocentrés sur des inté-
rêts spécifiques. Le langage d’Amine s’est, par contre, considérablement
développé depuis la précédente rencontre, avec un discours qui apparaît
souvent plaqué mais qui est également informatif et bien construit. Les
progrès d’Amine apparaissent à la faveur d’un arrêt strict de l’exposition
aux écrans et d’une récente prise en charge rééducative pluridisciplinaire
(psychomotricité, orthophonie, orthoptie, psychologie).
Le bilan cognitif témoigne, pour sa part, d’un rendement intellectuel
hétérogène, marqué par des résultats supérieurs à la norme sur le plan du
raisonnement mais des fragilités, non pathologiques, dans les domaines
de la mémoire de travail et de la vitesse de traitement. Il apparaît ainsi
qu’Amine présente des compétences exceptionnelles dès lors que la charge
attentionnelle et exécutive est nettement diminuée. Les premiers acquis
en théorie de l’esprit (cognitive et affective) semblent également dissociés
des autres performances d’Amine.
Au final, l’intervention diagnostique précoce a permis de modifier la
dynamique éducative proposée jusqu’à présent à Amine par sa famille,
tout en autorisant la mise en place de suivis rééducatifs adaptés. L’analyse
neuropsychologique met, pour sa part, en lumière un développement
atypique, avec des compétences intellectuelles supérieures à la norme
mais des difficultés spécifiques dans les domaines de la cognition sociale
et de l’attention. Sur cette base, l’accompagnement d’Amine s’est précisé
et d’autres symptômes ont considérablement diminué en un court laps
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facteurs, tels que le niveau intellectuel, puissent nettement moduler ce
ratio (Mandy et coll., 2012). Plusieurs études neurobiologiques (liées
à des facteurs génétiques, pour une revue voir Werling et Geschwind,
2013) et psychosociales (liées à la construction du genre et aux attentes
socioculturelles dérivées du sexe de l’enfant, Kreiser et coll., 2013) ont
permis d’avancer dans la compréhension de cette différence mais elles
n’ont pas donné lieu, jusqu’à ce jour, à un véritable consensus.
Dans le cadre du tda/h, le ratio est, pour sa part, évalué de 2 : 1 à
10 : 1 (Mowlem et coll., 2019). Le « sous-diagnostic » des filles est
régulièrement évoqué pour expliquer cette différence de genre dans
la prévalence des troubles (Millichap, 2008). Communément, il est
ainsi accepté l’idée selon laquelle les manifestations du tda/h seraient
plus « bruyantes » chez les garçons (hyperactivité, opposition, provo-
cation). Inversement, les filles présenteraient majoritairement des diffi-
cultés pour soutenir leur attention ainsi que des niveaux plus élevés de
troubles internalisés tels que la dépression ou l’anxiété (Arnold, 1996 ;
Quinn, 2008).
Au final, les bonnes pratiques en neuropsychologie seraient, dans
l’avenir, de développer davantage de méthodes spécifiques pour l’ex-
ploration cognitive, en tenant compte des spécificités liées à l’âge
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Conclusion
Le dsm-5 met en lumière des changements importants par rapport au
dsm-iv. Si certaines modifications peuvent paraître mineures dans la
pratique actuelle de l’évaluation neuropsychologique, l’approche désor-
mais dimensionnelle, considérant les troubles neurodéveloppementaux
selon un continuum de spectres d’atteintes, nécessite des adaptations
cliniques et conceptuelles de la part des neuropsychologues.
Par ailleurs, le regroupement sémiologique de différents troubles au
sein d’une même catégorie des troubles neurodéveloppementaux
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témoigne de l’importance de concevoir les difficultés d’un enfant sous
le prisme d’une possible constellation, avec des déficits qui peuvent
ainsi co-exister au cours de la vie. Au cœur de l’exploration cognitive,
il est ainsi essentiel de raisonner en termes d’associations comorbides.
De plus, afin d’améliorer l’accompagnement de l’enfant dans son devenir,
il s’avère désormais essentiel, lors des explorations cognitives, d’estimer
un degré d’atteinte et d’impact sur les aspects de la vie, selon des critères
spécifiques. Cette nouvelle approche, basée sur des degrés de sévérité, et
non plus sur la simple présence ou absence de symptômes, doit désormais
être au cœur des objectifs de l’évaluation neuropsychologique.
Au final, il en va bien sûr de la volonté des neuropsychologues, comme
des autres professionnels de la santé, de se saisir de cette nouvelle version
du dsm comme outil utilisable dans la pratique clinique. Cette clas-
sification a néanmoins pour avantage de mieux articuler l’évaluation
neuropsychologique autour du diagnostic médical. Elle doit également
servir de base pour certaines formes de recherche clinique. Dans le
champ de la neuropsychologie, il serait notamment important de déve-
lopper des outils cognitifs plus spécifiques pour aider dans la compré-
hension des troubles neurodéveloppementaux et leur émergence au
cours de l’enfance et de l’adolescence.
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