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Kentron

Revue pluridisciplinaire du monde antique

34 | 2018
Jeux et jouets

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/kentron/2414
DOI : 10.4000/kentron.2414
ISSN : 2264-1459

Éditeur
Presses universitaires de Caen

Édition imprimée
Date de publication : 18 décembre 2018
ISBN : 978-2-84133-902-0
ISSN : 0765-0590

Référence électronique
Kentron, 34 | 2018, « Jeux et jouets » [En ligne], mis en ligne le 20 décembre 2018, consulté le 21
décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/kentron/2414 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
kentron.2414

Kentron is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 3.0


International License.
KENTRON
revue pluridisciplinaire
du monde antique
Ce numéro a été réalisé avec le concours du Centre Michel de Boüard – UMR 6273
de l’université de Caen Normandie

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction,


sous quelque forme que ce soit, réservés pour tous pays.

issn : 0765-0590
isbn : 978-2-84133-902-0

© Presses universitaires de Caen, 2018


14032 Caen Cedex - France
KENTRON
revue pluridisciplinaire
du monde antique

Volume 34

2018

Université de Caen Normandie


Directrices : Caroline Blonce et Typhaine Haziza.

Comité scientifique : Eugenio Amato (Université de Nantes) ; Richard Bodéüs (Université


de Montréal) ; Luc Brisson (CNRS, UPR 76, Villejuif) ; David Konstan (Brown University,
USA) ; Diego Lanza (Università degli Studi di Pavia) ; Carlos Lévy (Université Paris IV) ;
Françoise Ruzé (Université de Caen Normandie) ; John Scheid (Collège de France) ; Aldo
Setaioli (Università degli Studi di Perugia).

Comité de lecture : Caroline Blonce ; Jean-Baptiste Bonnard ; Gabriel de Bruyn ; Christine


Delaplace ; Olivier Desbordes ; Christine Dumas-Reungoat ; Typhaine Haziza ; Luciana
Romeri.

Fondée en 1985 par François Hinard (†), professeur d’histoire romaine, Kentron est une revue
pluridisciplinaire qui s’appuie sur une trentaine d’années d’expérience et d’évolutions, mais
dont l’objectif premier est toujours demeuré le même : la volonté de faire dialoguer des
disciplines différentes et d’enrichir l’étude de l’Antiquité en croisant les modes d’approche
et en multipliant les perspectives. En 1994, Bernard Deforge, professeur de langue et de
littérature grecques, et Jacquy Chemouni, professeur de psychologie clinique et de
psychopathologie à l’université de Caen, ont repris la direction de la revue, en insistant plus
particulièrement sur la matière mythique et ses interprétations, notamment, mais pas
exclusivement, psychanalytiques. Sur le plan éditorial, la revue a aussi connu une évolution
notable : éditée d’abord de manière assez artisanale, elle est publiée, depuis 2000, par les
Presses universitaires de Caen. En 2008, Pierre Sineux (†), professeur d’histoire grecque, a
pris le relais, en renouvelant complètement le conseil scientifique de Kentron et en dotant la
revue d’un comité de lecture. Après sa mort prématurée en 2016, Typhaine Haziza et Caroline
Blonce, toutes deux maîtres de conférences en histoire ancienne à l’université de Caen
Normandie – l’une en histoire du monde grec et de l’Égypte antique, l’autre en histoire
romaine –, ont repris le flambeau, animées du même souci de favoriser le croisement des
approches de l’Antiquité. C’est ainsi que Kentron, revue pluridisciplinaire du monde antique,
annuelle, ouvre toujours ses pages aux littéraires, historiens, philosophes, ethnologues,
anthropologues, linguistes, philologues, archéologues… Elle accueille des contributions en
langue étrangère (anglais, allemand, espagnol, italien). Chaque volume est constitué d’un
dossier thématique, de Varia et de comptes rendus d’ouvrages.

Les anciens numéros de la revue (du no 10 au no 15) sont consultables par article et dans leur
intégralité sur le site des Presses universitaires de Caen (https://www.unicaen.fr/puc/html/
spip848a.html?rubrique142).
Les numéros les plus récents sont disponibles sur OpenEdition Journals (https://journals.
openedition.org/kentron/).
Appel à contribution (n° 35, 2019)
Dossier thématique : Alimentation & Identité(s), regards croisés
Le lancement, en juin 2017, des États généraux de l’alimentation par le gouvernement
français souligne, avec acuité, à quel point la question de l’alimentation est au centre de
nombreux enjeux actuels : politiques, écologiques, nutritionnels et de santé, religieux… De
nouveaux défis s’offrent aux mangeurs contemporains et aux politiques publiques. Dans un
contexte de mutations des pratiques alimentaires, le champ d’étude des Food Studies s’est
développé dans le monde anglo-saxon, particulièrement depuis les années 2000, soulignant
l’importance du fait alimentaire dans l’étude d’une société, qu’elle soit ancienne ou actuelle.
En effet, l’alimentation n’est pas seulement un acte de simple nutrition, mais elle joue un
rôle essentiel en termes de construction de l’identité, tant individuelle que collective. En
France, depuis les années 1970, cette thématique a créé de nouveaux territoires de recherche
au sein des disciplines de SHS, notamment en Histoire, Sociologie, Anthropologie et
Géographie. À l’heure actuelle, si ces recherches disciplinaires sont en expansion, les
initiatives structurantes d’approches pluri et interdisciplinaires, sont encore peu nombreuses,
nécessitant des innovations épistémologiques et méthodologiques. Dans la continuité
du colloque qui s’est tenu du 11 au 13 octobre 2018 à Caen (MRSH, Campus 1 de l’UCN ;
Mémorial de Caen et Musée archéologique de Vieux-la-Romaine ; www.unicaen.fr/recherche/
mrsh/histeme/5458), la revue Kentron souhaite apporter sa contribution à la réflexion en
ouvrant son prochain dossier thématique à la question des liens entre l’alimentation et
les identités. Afin de contribuer à un dialogue heuristique entre les disciplines, le numéro
non seulement sera consacré aux études sur l’Antiquité, mais ouvrira aussi ses portes aux
études sociologiques sur le fait alimentaire en lien avec les questions identitaires.

Recommandations aux auteurs


Les articles en langue étrangère sont acceptés (anglais, allemand, espagnol, italien).
Les propositions d’article pour les deux rubriques « Dossier thématique » et « Varia », ainsi
que les comptes rendus, sont à adresser, avant le 15 février 2019, à l’adresse suivante :
Christine Dumas-Reungoat, secrétaire de rédaction de la revue Kentron
Université de Caen Normandie, Campus 1, Bâtiment N, bureau SB 027
Esplanade de la Paix, 14032 Caen cedex
et en version électronique à christine.dumas-reungoat@unicaen.fr, sous deux formats,
PDF et .odt ou .doc.

La revue Kentron, dotée d’un Comité de lecture, soumet chaque article envoyé à la rédaction
à l’expertise de deux spécialistes, qui rendent un rapport écrit.

Deux résumés, un dans la langue de l’article et un second en anglais, ainsi qu’une liste bilingue
de mots-clés (10 au maximum) sont demandés.
Si les articles comportent des caractères grecs, ils doivent être composés en police unicode.

Concernant les références bibliographiques, la revue a retenu le système auteur / date.

Les notes figurent en bas de page.

Les recommandations aux auteurs sont celles des PUC, consultables sur le site des PUC
(http://www.unicaen.fr/services/puc) à la rubrique « Informations aux auteurs ».

Les illustrations devront être fournies au format jpg ou tif, dans une qualité suffisante pour une
reproduction à une résolution de 300 dpi, et accompagnées des autorisations de reproduction
nécessaires.

Composer l’article en Times 12, interligne 1,5.


ABRÉVIATIONS

En ce qui concerne l’Antiquité, chaque auteur a adopté pour les sources anciennes (auteurs
et œuvres) les abréviations en usage dans la communauté scientifique des antiquisants. Les
abréviations des revues sont celles de L’Année philologique. Pour les corpus et collections
ainsi que les revues non répertoriées dans L’Année philologique, le lecteur se reportera à
la liste des abréviations suivante. Cette liste est tirée des Directives pour la préparation des
manuscrits des Sources chrétiennes (Paris, Éditions du Cerf, 2001), et complétée.

Liste de sigles (hors titres de revues listés dans L’Année philologique)

AASS : Acta Sanctorum, Bruxelles


ACW : Ancient Christian Writers, Westminster (Maryl.).
ANRW : Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, Berlin – New York, W. de Gruyter.
AT : Ancien Testament.
BA : Bible d’Alexandrie, Paris.
BAug : Bibliothèque Augustinienne, Paris.
BP : Biblia Patristica, Paris.
BPatr : Biblioteca Patristica, Florence.
BHG : Bibliotheca Hagiographica Graeca, Bruxelles.
BHL : Bibliotheca Hagiographica Latina, Bruxelles.
BT : Bibliotheca Scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana, Leipzig, puis
Stuttgart, B.G. Teubner, Munich, K.G. Saur, aujourd’hui Berlin, W. de Gruyter.
Bull. épigr. : Bulletin épigraphique.
CCCM : Corpus Christianorum, Continuatio Mediaeualis, Turnhout.
CCSA : Corpus Christianorum, Series Apocryphorum, Turnhout.
CCSG : Corpus Christianorum, Series Graeca, Turnhout.
CCSL : Corpus Christianorum, Series Latina, Turnhout.
CFHB : Corpus Fontium Historiae Byzantinae.
CIG : Corpus Inscriptionum Graecarum, Berlin.
CIL : Corpus Inscriptionum Latinarum, Berlin.

9
Kentron, no 34 – 2018

CLCLT : Cetedoc Library of Christian Latin Texts (CD-Rom), Louvain-la-Neuve –


Turnhout.
CPG : Corpus Paroemiographorum Graecorum (Leutsch & Schneidewin 1839-1851), E. L.
von Leutsch, F.G. Schneidewin (éd.), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2 vol.
CSEL : Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, Vienne, Hölder – Pichler –
Tempsky.
CSHB : Corpus Scriptorum Historiae Byzantinae.
CUF : Collection des Universités de France, Paris, Les Belles Lettres.
DACL : Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, Paris (col.).
DECA : Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, Paris.
DELG : Chantraine P., Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des
mots, Paris, 1968-1980, Suppl., 1999.
DHGE : Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Paris (col.).
Di Marco : Timone di Fliunte. Silli, M. Di Marco (éd.), Rome, Ed. Dell’Ateneo, 1989.
DK : Diels H. et Kranz W., Die Fragmente der Vorsokratiker, I-III, 12e éd., Dublin –
Zurich, 1967-1969.
DSp : Dictionnaire de spiritualité, Paris (col.).
DTC : Dictionnaire de théologie catholique, Paris (col.).
FC : Fontes Christiani, Fribourg-en-Brisgau – Bâle – Vienne – Barcelone – Rome –
New York.
FGrH : Die Fragmente der griechischen Historiker, F. Jacoby (éd.), Berlin, 1923-1930,
Leyde, 1940-.
FHG : Fragmenta Historicorum Graecorum, C. & Th. Müller (éd.), Paris, 1841-1870, 5 vol.
FP : Fuentes Patristicas, Madrid.
GCS : Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten (drei) Jahrhunderte, Berlin –
Leipzig.
GNO : Gregorii Nysseni Opera, Leyde.
IC : Inscriptiones Creticae, Rome.
IG : Inscriptiones Graecae, Berlin.
IGUR : Inscriptiones Graecae Urbis Romae, Rome.
K.-A. : Kassel R. et Austin C., Poetae Comici Graeci, I-IX, Berlin – New York, 1983-.
LÄ : Lexicon der Ägyptologie.
LCL : Loeb Classical Library, Harvard (Mass.) – Londres, Harvard University Press
– Heinemann.
LfgrE : Lexicon des frühgriechischen Epos, B. Snell et H. Erbse (éd.), Göttingen, 1955-.
LIMC : Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, Zurich – Munich, 1981-1999, 12 vol.

10
Abréviations

LSJ : Liddell H.G., Scott R., A Greek-English Lexicon. Revised and augmented through-
out by S. Jones, with the assistance of R. McKenzie, Oxford, 1940, Suppl., 1968,
Revised Suppl., 1996.
LXX : Septante.
MGH : Monumenta Germaniae Historica, Berlin.
NT : Nouveau Testament.
OCT : Oxford Classical Texts, Oxford, Clarendon Press.
OPA : Œuvres de Philon d’Alexandrie, Paris.
PG : Patrologia Graeca (J.-P. Migne), Paris.
PL : Patrologia Latina (J.-P. Migne), Paris.
PLS : Patrologiae Latinae Supplementum (A. Hamman), Paris.
PMG : Page D., Poetae Graeci Melici, Oxford, 1962.
PMGC : Davies M., Poetarum Melicorum Graecorum Corpus, I, Oxford.
PO : Patrologia Orientalis, Paris.
POC : Proche-Orient chrétien, Jérusalem.
PTS : Patristische Texte und Studien, Berlin.
SC : Sources chrétiennes, Paris, Les Éditions du Cerf.
SEG : Supplementum epigraphicum Graecum.
StT : Studi e Testi, Città del Vaticano.
Syll 3 : Sylloge inscriptionum Graecarum, 3e éd., Leipzig.
ThesCRA : J. Paul Getty Museum, Thesaurus Cultus et Rituum Antiquorum.
TGL : Estienne H., Thesaurus Graecae Linguae, rééd. K. Hase, W. et L. Dindorf, Paris.
TLG : Thesaurus Linguae Graecae, The University of California, Irvine.
TLL : Thesaurus Linguae Latinae, Leipzig, B.G. Teubner, puis Munich, K.G. Saur,
maintenant Berlin, W. de Gruyter, 1900-.
TM : Texte massorétique.
TrGF : Tragicorum Graecorum Fragmenta, 1, Didascaliae tragicae. Catalogi tragico-
rum et tragoediarum, testimonia et fragmenta tragicorum minorum, B. Snell
(éd.), 1986 ; 2, Fragmenta adespota, B. Snell, R. Kannicht (éd.), 1981 ; 3, Aeschylus,
S. Radt (éd.), 1985 ; 4, Sophocles, S. Radt (éd.), Göttingen, 1977.
TU : Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur, Leipzig.
Vg : Vulgate.

11
AVANT-PROPOS

Cette nouvelle livraison de Kentron constitue le premier numéro entièrement


conçu et réalisé par la nouvelle équipe de direction qui a repris la tête de la revue
après la disparition soudaine de Pierre Sineux (†). Si ce numéro s’inscrit bien
dans la continuité des livraisons antérieures et a toujours pour objet principal
l’étude du monde antique, il marque néanmoins une certaine inflexion, avec une
encore plus grande volonté d’ouverture à la transdisciplinarité et, surtout, aux
dialogues transpériodiques.
Cette orientation se retrouve particulièrement à l’œuvre dans le dossier
thématique proposé dans ce numéro. Axé sur le jeu dans l’Antiquité, de l’objet à
la pratique, le dossier thématique du volume 34, 2018, a aussi accueilli un article
portant sur la période médiévale, parce qu’il se trouvait en cohérence avec les autres
contributions, centrées sur l’Antiquité. Le thème de ce dossier renvoie à l’étude
de la culture matérielle, qui connaît un regain d’intérêt récent en même temps
qu’un renouvellement de sa définition. Si, dans les années 1960-1970, la culture
matérielle était surtout convoquée par les archéologues et les historiens pour
l’étude des « oubliés » de l’histoire – humbles, exclus, marginaux –, l’expression est
« désormais utilisée pour aborder la question de la consommation et des compor-
tements des élites et parler de leur environnement de biens meubles et d’objets »,
et plus largement pour aborder « l’histoire économique en se fondant sur ce qu’il
y a de plus concret et de plus visible », comme le soulignent les organisateurs du
colloque « La culture matérielle : un objet en question », qui a eu lieu à Caen les
9 et 10 octobre 2015 (« La culture matérielle : un objet en question », colloque,
Calenda, publié le mercredi 1er juillet 2015, https://calenda.org/334214). Au-delà du
volet économique, l’étude de la culture matérielle peut aussi offrir une clé d’accès
privilégiée à l’histoire des sociétés dans des domaines aussi divers que les rapports
de genre, les normes sociales ou les excès, l’éducation ou encore les rapports
intergénérationnels. Étudier les jouets et les jeux est donc une affaire sérieuse…

Caroline Blonce et Typhaine Haziza

13
DOSSIER THÉMATIQUE :
JEUX ET JOUETS
INTRODUCTION.
DE L’EXPOSITION AU DOSSIER THÉMATIQUE
DANS KENTRON

Du 20 mai au 3 décembre 2017, le Musée archéologique de Vieux-la-Romaine a


accueilli l’exposition Veni, Vidi, Ludique, consacrée aux jeux et aux jouets dans
l’Antiquité. Créée en 2014 en Suisse, où elle a été déclinée en trois volets, d’abord
au Musée romain de Nyon (Le jeu de la vie), puis au Musée suisse du Jeu de La
Tour-de-Peilz (Jouer avec l’Antiquité), enfin au Musée romain de Vallon (Les jeux
sont faits), cette exposition était soutenue par un projet Agora (Fonds national
suisse de la recherche), dirigé par Véronique Dasen, professeure d’archéologie
classique à l’université de Fribourg, en collaboration avec ces trois institutions. La
préparation de cette exposition a permis de réaliser le potentiel et la complexité
d’un sujet qui, loin d’être anecdotique, offre une clé d’accès privilégiée à l’histoire
des sociétés anciennes. En effet, l’étude des jeux et jouets fait entrer au cœur
d’une dynamique sociale. Elle permet de saisir une façon culturelle de penser
l’éducation, les relations intergénérationnelles, entre enfants et adultes, parents et
grands-parents, les rapports de genre, entre garçons et filles, femmes et hommes.
Les pratiques ludiques nous renseignent aussi sur les transformations des normes
sociales et religieuses, ainsi que sur les formes de mémoire collective et leur
transmission. Ces recherches connaissent maintenant de nouveaux approfon-
dissements grâce à l’obtention d’un projet européen de cinq ans (ERC advanced
grant : Locus Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity),
qui a débuté le 1er octobre 2017, toujours sous la direction de Véronique Dasen
(locusludi.unifr.ch). La reprise présentée à Vieux-la-Romaine a ainsi pleinement
contribué au développement d’une nouvelle étape de nos connaissances depuis
la grande exposition Jouer dans l’Antiquité à Marseille en 1991.
La venue de cette exposition sur le sol normand a été le point de départ d’une
manifestation scientifique organisée les 13 et 14 octobre 2017 par Typhaine Haziza,
maître de conférences en Histoire ancienne à l’université de Caen Normandie, en
collaboration avec Véronique Dasen et en partenariat avec le Musée archéologique
de Vieux-la-Romaine, le Mémorial de Caen, le laboratoire du CRHQ (dont le nom
s’est transformé depuis en HisTeMé, EA 7455) et celui du CRAHAM (UMR 6273).

Kentron, no 34 – 2018, p. 17-22


Véronique Dasen et Typhaine Haziza

Adossée à deux séminaires d’histoire et ouverte au public, la manifestation a été


un vrai succès, puisqu’elle a pu se prévaloir de près de deux cents entrées sur les
deux jours, avec de nombreux temps d’échange très fructueux avec le public. Une
quinzaine de chercheurs, venus non seulement de France, mais aussi de Suisse, de
Belgique, de Grèce et des États-Unis, ont ainsi proposé des regards croisés sur le jeu,
à travers les âges et les civilisations. L’objectif était non seulement d’approfondir les
questions que soulèvent les pratiques ludiques et leurs objets associés, mais aussi de
partager avec un public plus large que les spécialistes pointus des problématiques
qui trouvent un écho dans notre société contemporaine de manière comparatiste.
Si le goût de jouer traverse les siècles, les pratiques évoluent. Le sujet est d’une
grande actualité à l’heure des mutations associées au développement fulgurant des
jeux vidéo, dont la composante virtuelle semble avoir modifié nos comportements
et les façons de vivre la sociabilité – ou n’est-ce qu’une apparence ?
L’étude de la dimension historique des jeux et jouets reste à approfondir. L’entrée
de l’exposition du Musée archéologique de Vieux-la-Romaine se faisait par une
descente dans le temps en longeant une grande vitrine présentant une sélection de
jeux et jouets emblématiques dont la date de création est connue, comme l’ours en
peluche (inventé en 1902 par Steiff pour les Allemands, en 1903, en l’honneur de
Théodore Roosevelt, pour les Américains), Barbie (1959) ou Sophie la girafe (1961).
Certains de ces jeux peuvent être aussi analysés comme de précieux témoins de
la réception, voire de l’instrumentalisation de l’histoire. Une exposition montée
par Ulrich Schädler au Musée suisse du Jeu en 2014 a ainsi montré l’impact de la
Première Guerre mondiale dans les jeux des enfants (et des plus grands), où elle
servait la propagande en transmettant des valeurs nationalistes. De nombreux jeux
actuels ont pour thème l’Antiquité. Le Musée suisse du Jeu en a recensé près de sept
cents pour Jouer avec l’Antiquité. La plupart ont été édités après les années 2000.
Leur nombre croissant ne correspond cependant pas à la promotion du savoir.
Ils véhiculent souvent une image rudimentaire de l’Antiquité, qui sert de simple
prétexte à un scénario séduisant. Les créateurs ne s’embarrassent pas de recherche
scientifique préalable, mais visent à créer un univers attractif métissé avec l’imaginaire
de l’heroic fantasy. L’inspiration que procure toujours l’Antiquité ne va donc pas de
pair avec un souci de vraisemblance historique, contrairement aux premiers jeux
éducatifs inspirés de l’Antiquité, dans les années 1800, qui visaient à instruire tout
en amusant. Un des plus célèbres éditeurs de jeux d’alors, Victor-Joseph Étienne
de Jouy (1764-1846), s’inscrit dans la mouvance d’une pédagogie nouvelle initiée
entre autres par Jean-Jacques Rousseau. Il crée en 1804 les quatorze étuis du Jeu de
cartes instructives, dans lequel chaque homme illustre de l’Antiquité a son portrait
accompagné d’une description de ses hauts faits. En 1815, V.-J. É. de Jouy crée aussi le
Jeu des fables d’Ésope ou Grand jeu de l’histoire ancienne de la Grèce qui fait connaître
les œuvres littéraires antiques et les principaux événements de l’histoire grecque.

18
Introduction. De l’exposition au dossier thématique dans Kentron

Les jeux contemporains présentés dans l’exposition se rapportent à de grands


thèmes (les découvertes archéologiques, l’organisation d’une cité, la mythologie, le
commerce, les grandes batailles, le cirque et les gladiateurs), qui alimentent aussi les
jeux vidéo contemporains en prenant beaucoup de liberté avec les faits historiques.
La manifestation avait pour objet de croiser les regards et les époques, par le biais
d’interventions aussi bien d’historiens de l’Antiquité, du Moyen Âge, des époques
moderne et contemporaine, que d’archéologues, d’anthropologues, de sociologues
et d’historiens des sciences et de l’art.
Le premier jour, au Mémorial de Caen, les interventions étaient regroupées
autour de deux sessions, composées de trois communications chacune. La première
visait à présenter des réflexions diachroniques sur le jeu et le jouet, du Moyen
Âge (Luc Bourgeois, « Du char de guerre à la tour, le destin d’une pièce du jeu
d’échecs dans l’Occident médiéval ») à la Seconde Guerre mondiale (Christophe
Prime, « Conditionner les jeunes esprits par le jeu pendant la Seconde Guerre
mondiale »), en passant par la Renaissance (Pascal Brioist, « “Les jeux des enfants
ne sont pas jeux, et les faut juger en eux comme leurs plus sérieuses actions” : jouets
futiles et sérieux de la Renaissance »), alors que la seconde apportait des éclairages
transdisciplinaires à la thématique, avec les interventions d’un spécialiste d’histoire
de l’art (Jean-Pierre Le Goff, « Jouer avec son corps et celui des autres : autour de
quelques culs-de-lampe historiés des enluminures du Livre d’heures de la famille
Ango »), d’une sociologue, spécialiste du genre (Clotilde Lemarchant, « Les jouets
attrapent-ils un sexe ? ») et d’un anthropologue de terrain (Jean-Pierre Rossie,
« Culture ludique des enfants de l’Anti-Atlas marocain : recherches transdiscipli-
naires sur les jouets et les pratiques du jeu »).
Le samedi, à Vieux-la-Romaine, le programme était davantage centré sur
l’Antiquité, autour de l’exposition présentée par le Musée, agrémenté d’un buffet
romain, moment fort de la journée, organisé par Pierre Moussaoui, cuisinier
créateur, dont les recherches visent à retrouver les saveurs antiques. Le matin,
deux conférences introductives et plus générales (de Véronique Dasen, « Histoire
et archéologie de la culture ludique dans le monde gréco-romain » et d’Amandine
Marshall, « Jouer au pays des pharaons ») ont eu pour objectif de dresser un bilan
historiographique et de présenter les enjeux actuels de la recherche, développés
dans l’après-midi par des études de cas (Maia Pomadère, « Jeux et jouets à l’âge
du bronze récent dans le monde égéen » ; Irini Papaikonomou, « Astragale et
jeunesse en Grèce ancienne : jeux et enjeux » ; Ulrich Schädler, « La marelle ronde :
le jeu le plus populaire des Romains ou une invention des archéologues ? » et Alex
de Voogt, « How dice throw light on Eurasian history : an exploratory study in
the Netherlands »). Après une conclusion générale, prononcée par Véronique
Dasen et Ulrich Schädler, ce dernier a proposé, au grand bonheur du public, une
initiation aux jeux antiques.

19
Véronique Dasen et Typhaine Haziza

Le dossier thématique que nous proposons dans cette nouvelle livraison de


Kentron, ne constitue pas, à proprement parler, la publication des actes de ce colloque,
mais il en est le prolongement. Centré plus particulièrement sur l’Antiquité, il
présente une sélection augmentée des communications entendues lors de cette
manifestation. Véronique Dasen ouvre la réflexion non seulement en dressant un
premier bilan des travaux en cours sur l’histoire et l’archéologie de la culture ludique,
un vaste champ de recherche pluridisciplinaire en partie inexploré, mais aussi en
soulevant des questions méthodologiques essentielles relatives à l’identification des
jeux et jouets. Ce questionnement est prolongé par Michel Casevitz, qui s’intéresse
aux noms du jeu et du jouet en grec. L’examen attentif du vocabulaire permet de
saisir une façon émique, propre au système de pensée grec, de concevoir le ludique.
Les Anciens n’ont ainsi jamais utilisé le verbe παίζω et ses dérivés pour décrire
les performances athlétiques que nous appelons de manière trompeuse « Jeux »
Olympiques ou Néméens, désignés en grec comme agônes, des concours. L’analyse
du champ lexical révèle combien la παιδιά grecque est intimement chevillée à
l’univers de l’enfant, παῖς, et de l’éducation, παιδεία. Le « jouer », pour reprendre le
titre de l’important ouvrage de Roberte Hamayon (Jouer. Une étude anthropologique
à partir d’exemples sibériens, Paris, La Découverte, 2012), contribue à la formation
des plus jeunes, en pratiquant la danse, un instrument de musique, ou un jeu qui
stimule son intelligence. Dans l’article suivant, Maia Pomadère présente un bilan
des connaissances sur les jouets et les jeux dans le monde égéen aux âges du bronze
moyen et récent, en s’intéressant aussi de manière historiographique au regard
posé par les archéologues sur cette thématique. Une difficulté majeure est due à
l’absence de textes et de scènes de jeux pour cette période historique, ce qui rend
l’identification du matériel très hypothétique. Maia Pomadère insiste notamment
sur l’ambiguïté de certaines catégories d’objets, comme les figurines et miniatures
mycéniennes, ou les pierres à cupule minoennes, et sur la tendance, peut-être
excessive, à les interpréter dans un sens cultuel ou magique, en négligeant d’autres
pistes d’interprétation, comme celles des pratiques ludiques. Les traces matérielles
d’activités ludiques sont aussi au cœur de l’analyse d’Ulrich Schädler, mais cette
fois pour la période romaine et à travers un exemple particulier : celui de la marelle
ronde. Là encore, il s’agit tout autant de faire le point sur les connaissances que
de bousculer les habitudes des spécialistes de ces traces matérielles. Le directeur
du Musée suisse du Jeu remet en cause l’interprétation traditionnelle – celle d’une
marelle ronde – donnée au très fréquent motif circulaire gravé sur le sol en marbre
des cités romaines. Constituées d’un cercle traversé de quatre lignes qui se coupent
en son centre, ces « roues » n’ont cependant pas pu servir de plateaux de jeu de
pions. La règle communément proposée depuis la reconstitution de Carl Blümlein
(1918) ne fonctionne pas. Ulrich Schädler en propose différentes interprétations, du
symbole apotropaïque au marqueur topographique. Il n’exclut pas que les cercles de

20
Introduction. De l’exposition au dossier thématique dans Kentron

grande taille aient pu servir de plateau pour le jeu similaire au « franc du carreau »,
décrit par Rabelais au XVIe s., consistant à lancer des palets. L’article suivant livre
les résultats d’une enquête sur la longue durée réalisée par Alex de Voogt et Jelmer
W. Eerkens sur la chronotypologie des dés cubiques. Ils montrent comment une
étude attentive du type de gravure et de la configuration des points peut permettre
de reconstituer des processus de transmission et de standardisation encore mal
connus à large échelle. Certains exemplaires se sont révélés être de véritables Pierre
de Rosette, comme les dés en marbre inscrits qui ont permis de faire progresser la
connaissance de la langue et des chiffres étrusques.
Afin de garder le caractère diachronique de la manifestation scientifique
d’octobre 2017, nous avons décidé de publier l’article issu de la communication de
Luc Bourgeois sur le destin d’une figure du jeu d’échecs dans l’Occident médiéval :
d’abord char de guerre de l’armée indienne, puis roc schématisé dans le monde
islamique, enfin marquis ou comte, bateau, guerrier d’élite ou Janus bifrons,
cette pièce a pris sa forme actuelle – celle de la tour – progressivement au fil du
Moyen Âge. Ces différentes transformations témoignent des nombreuses difficultés
rencontrées par les Occidentaux pour adapter une représentation qui leur était
étrangère, le jeu d’échecs ayant été inventé en Inde vers le VIe siècle de notre ère
et transmis à l’Occident chrétien par l’intermédiaire de l’espace musulman dans
le courant du Xe siècle. Notre tour témoigne ainsi à sa manière du processus
continu de réinterprétation des jeux et de la valeur exceptionnelle du monde
ludique comme observatoire des transferts culturels.

Véronique Dasen et Typhaine Haziza

21
HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE DE LA CULTURE
LUDIQUE DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN.
QUESTIONS MÉTHODOLOGIQUES 1

Une histoire en marge ?


Longtemps les jeux et les jouets antiques ont été considérés comme un domaine
de recherche anecdotique, tout comme le jeu lui-même, tenu pour un simple
passe-temps – voire une perte de temps – réservé aux enfants, c’est-à-dire d’une
importance mineure. En 1869, Louis Becq de Fouquières (1831-1887) publie Les
jeux des Anciens, qui constitue la première étude approfondie sur le sujet, avec
une somme remarquable de connaissances fondées essentiellement sur les sources
écrites grecques et latines. Sa démarche renvoie au nouveau modèle de famille
bourgeoise qui se met en place à la fin du XVIIIe siècle, valorisant l’intimité et le
loisir. C’est dans ce milieu qu’émerge le concept moderne de « jeu des familles »,
réunissant l’ensemble de la maisonnée, enfants et adultes, ainsi que celui de « jeux
éducatifs » qui doivent instruire en amusant 2. L. Becq de Fouquières entend aborder
l’histoire au travers d’un thème de la vie quotidienne, éloigné des institutions, afin
de saisir « sous un jour plus vif et surtout plus vrai les hommes et les choses du
passé ». Cette histoire de l’intime concerne les activités des femmes et des enfants,
« au sein même de la vie privée », mais pas exclusivement :

« […] et ce ne sont pas seulement les enfants, les jeunes filles et les femmes que nous
contemplerons dans toute la grâce et dans toute l’ardeur de leurs jeux, ce sont encore
les hommes de tous âges que nous surprendrons dans les loisirs que leur laissent les
événements et la vie publique et où l’histoire ne peut pas toujours les suivre » 3.

1. Cet article est issu des recherches soutenues par le projet ERC (European Research Council)
Locus Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity implanté à l’université
de Fribourg, http://locusludi.unifr.ch.
2. Cf. les Jeux de cartes instructives de Victor-Joseph Étienne de Jouy (1764-1846). Sur cette période,
Ariès 1960 ; Freundlich 1995 ; Netchine 2009 ; Schädler & Strouhal 2010 ; Strouhal et al. 2012.
3. Becq de Fouquières 1869, 11.

Kentron, no 34 – 2018, p. 23-50


Véronique Dasen

Cette œuvre ambitieuse de 456 pages constitue encore aujourd’hui une


référence sur les jeux grecs et romains par l’étendue de son érudition philologique,
à une époque où la culture matérielle ludique est encore inédite ou très mal
connue. Elle va cependant rester longtemps isolée 4. À la fin du XIXe siècle, les
épigraphistes sont les premiers à s’intéresser aux inscriptions sur les jeux gravés
dans la pierre ; ils en constituent peu à peu le corpus, sans pouvoir encore identifier
de manière assurée les différents types de jeux 5. Les recherches en archéologie
et iconographie ludiques se développent dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Parmi les antiquisants francophones, le sujet suscite relativement peu d’intérêt,
à l’exception de Michel Manson qui soutient en 1978 une thèse de doctorat pion-
nière sur les poupées grecques et romaines, malheureusement jamais publiée
dans son intégralité, avant de se dédier au monde des jeux et jouets à l’époque
moderne 6. Chez les archéologues, Gérard Coulon est le premier à donner leur
place aux jeux et jouets dans des publications qui démontrent la richesse de la
culture matérielle des enfants gallo-romains 7. Plus sensibles à une histoire sociale,
les antiquisants anglo-saxons et germanophones restent toutefois centrés sur les
sources littéraires, hormis dans quelques petits catalogues de musées et études
sur des sujets spécifiques, principalement en iconographie 8.
Un regain d’intérêt démarre dans les années 1990, en partie grâce au renouveau
que connaissent les recherches sur l’enfant dans l’Antiquité 9. En 1991, l’exposi-
tion Jouer dans l’Antiquité au musée de la Vieille Charité à Marseille présente un
ensemble remarquable de jeux et jouets mésopotamiens, égyptiens, grecs et romains,
qui fait prendre conscience de l’importance de ce patrimoine 10, tout comme le
colloque sur les jeux de plateau organisé par Irving Finkel au British Museum l’année
précédente 11. Ces deux événements ne sont cependant pas relayés par de nouveaux

4. Voir aussi Falkener 1892 pour une première proposition de reconstitution des règles de jeux
antiques, et le chapitre sur les jeux dans la vie quotidienne in Marquardt 1879, 811-838.
5. Sur les jeux de plateau, voir par exemple Ihm 1891 ; Austin 1934, 1935 et 1940 ; Ferrua 2001
(fondé sur ses travaux antérieurs, commencés dans les années 1940). Voir aussi les articles de
G. Humbert, G. Lafaye et E. Saglio in Daremberg & Saglio 1877-1919, s.u. Alea, Alveus, Duodecim
Scripta, Fritillus, Latrunculi, Ludi Lusoria, Tabula, Micatio, Nuces, Par Impar, Pente Grammai,
Pentelitha, Petteia, Talus, Trochus, Tropa, Tessera.
6. Manson 1978 et 1991. Sur ses recherches sur l’époque moderne, par exemple Manson 2001.
7. Coulon 19941.
8. Par exemple Deubner 1930 ; Schauenburg 1976a ; Schauenburg 1976b. Parmi les spécialistes de
l’enfant qui parlent de leurs jeux, Herter 1961 ; Wiedemann 1989 ; Golden 19901 ; Beaumont 2012.
Musées, par exemple : Schmidt 1971 ; Väterlein 1976 ; Rieche 1984.
9. Sur ce tournant, Dasen et al. 2001 ; Lett et al. 2015 ; Golden 2016 ; Lafargue 2017 ; Vuolanto & Laes
2017.
10. May et al. 1991.
11. Finkel 2007 et recension de Schädler 2009b.

24
Histoire et archéologie de la culture ludique…

projets scientifiques, à l’exception de la création de l’International Toy Research


Association (ITRA) en 1993 et de l’International Board Game Studies Association
(IBGSA) en 1995, dont les colloques périodiques permettent un échange scientifique
sur les jouets, les jeux et leurs règles dans une perspective diachronique. Parmi les
membres fondateurs, signalons les avancées régulières d’Ulrich Schädler sur les
jeux de plateau grecs et romains, d’Irving Finkel sur les jeux mésopotamiens, d’Alex
de Voogt et d’Anne Dunn-Vaturi sur le monde égyptien et proche-oriental 12.
Le début du XXIe siècle voit la recherche se développer de manière pluri-
disciplinaire. Les expositions en constituent à nouveau un moteur important. Si
Lockender Lorbeer à Munich (2004) associe de manière classique la dimension
agonistique du jeu au sport 13, d’autres expositions explorent de nouveaux axes
de recherche. À Paris, Des jouets et des hommes (Grand Palais, 2011-2012) déploie
un parcours original sur la dimension genrée du jouet, de l’Antiquité à nos jours,
mais sans développer le volet de l’Antiquité 14, tout comme Art du jeu, jeu dans
l’art. De Babylone à l’Occident médiéval (Cluny, 2012-2013), centré sur le Moyen
Âge, avec un bilan en première partie des jeux de l’Égypte ancienne, du Proche-
Orient et de la Grèce antique, suivi d’un traitement thématique 15. En 2012 aussi,
une exposition de G. Sambon au Museo Teatrale à Milan révèle la richesse de la
collection de jeux et jouets grecs et romains 16. Elle est cette fois associée aux travaux
du groupe de recherche créé en 2010 à l’université de Milan par C. Lambrugo et
F. Slavazzi, Il gioco e i giochi nel mondo antico tra cultura materiale e immateriale.
En 2012 débute également en Suisse la mise sur pied d’une exposition en trois
volets, Veni, Vidi, Ludique, qui s’ouvre en 2014 au Musée romain de Nyon (Le jeu
de la vie) sur la place des jeux et jouets dans le cycle de la vie, puis au Musée suisse
du Jeu de La Tour-de-Peilz (Jouer avec l’Antiquité) sur la réception de l’Antiquité
du XVIIIe siècle à l’époque contemporaine, enfin au Musée romain de Vallon
(Les jeux sont faits) sur la question des lieux de jeu et de la reconstitution des

12. Par exemple, Schädler 1994 (ludus latrunculorum), Schädler 1995 (ludus duodecim scriptorum), Schädler
1996 (osselets), Schädler 2002 (polis), Schädler 2009a (pente grammai) ; Schädler & Dunn-Vaturi 2009 ;
Finkel 2007 ; Crist et al. 2016 ; Kidd 2017d.
13. Wünsche & Knauss, 2004. Sur les jeux et sports, voir aussi Vanhove 1992. La belle exposition
Coming of Age in Ancient Greece au Dartmouth College en 2003 doit être aussi signalée ; elle
était dédiée aux traces de l’enfant en Grèce ancienne, mais avec peu de commentaires sur le jeu ;
Neils & Oakley 2003.
14. Charles & Girveau 2011. Voir aussi l’ouvrage Jeux et jouets des musées d’Ile-de-France, issu de
trois expositions (2004-2005) ; Jouer à l’histoire (musée du Jouet de Poissy), Quoi de neuf au
Pays du Jouet ? (musée des Pays de Seine-et-Marne à Saint-Cyr-sur-Morin), L’histoire par les
jeux (musée français de la Carte à jouer à Issy-les-Moulineaux).
15. Bardiès-Fronty & Dunn-Vaturi 2012.
16. Ceresa Mori et al. 2012 ; Lambrugo & Torre 2013 ; Lambrugo et al. 2015.

25
Véronique Dasen

règles, avec passage à la pratique, associée au colloque Jeux et multiculturalité


ainsi qu’à plusieurs manifestations et publications 17. Après une reprise au Forum
antique de Bavay en 2015-2016, au musée d’Art et d’Histoire de Cholet en 2016,
à Vieux-la-Romaine en 2017, cette exposition s’ouvrira en juin 2019 au musée
Lugdunum, Musée et Théâtres romains à Lyon. Signalons aussi Kinder ? Kinder !
Auf Spurensuche in Augusta Raurica au Musée d’Augusta Raurica (2014-2017) et
Hide and Seek. Looking for Children in the Past à Cambridge (2016-2017), où les
jeux et jouets sont mis en valeur dans la culture matérielle enfantine 18. À la mul-
tiplication des expositions correspond celle des colloques, souvent diachroniques,
qui inscrivent dans un temps long les débats actuels sur les nouvelles formes de
sociabilité qu’engendre le développement des jeux numériques 19.
Dans la foulée de ces événements, la plupart des publications sont destinées soit
à un public pointu sous la forme d’actes de colloque, soit à un public élargi sous
la forme de catalogues ou de brèves synthèses, sans rendre compte de la com-
plexité méthodologique du sujet 20. Une synthèse scientifique approfondie fait
encore défaut. Elle doit être livrée par le projet européen (ERC) Locus Ludi.
The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity, qui a débuté en
octobre 2017 à l’université de Fribourg (Suisse) 21. Il couvre une large période, de
la Grèce des cités, vers 800 av. J.-C., à la fin de l’Empire romain occidental, vers
500 apr. J.-C., et réunit une équipe pluridisciplinaire de chercheurs. L’objectif
méthodologique est de réunir pour la première fois de la manière la plus exhaustive
possible les sources écrites, archéologiques et iconographiques, afin d’identifier,
classer et reconstruire l’univers ludique des Anciens dans toutes ses dimensions :
pédagogiques, religieuses, oraculaires, amoureuses, économiques, juridiques
et politiques. L’ambition est de générer une nouvelle vision de la dynamique
socio-religieuse antique. Plusieurs collaborations sont aussi menées avec des
spécialistes de sciences de l’éducation, comme Gilles Brougère, Jean Retschitzki
et David Whitebread 22, ainsi que des anthropologues, comme Roberte Hamayon
et Thierry Wendling, afin de renouveler un champ théorique longtemps régi
par les quatre principes du jeu définis par Roger Caillois (agôn, la compétition,

17. Dasen 2014 ; Dasen & Schädler 2013 ; Dasen & Schädler 2019 (à paraître). Voir le site http://
venividiludique.ch.
18. Pfäffli 2013 ; Joy et al. 2016.
19. En 2017, Jouer à l’adolescence. Du Jeu au Je (Bordeaux, 2017) ; Giocare tra medioevo ed età moderna.
Modelli etici ed estetici per l’Europa (Treviso, 2017).
20. Publications grand public, par exemple Fittà 1997 ; De’ Siena 2009. Voir aussi Breyer 2010 et la
base Jocari, « Site francophone de référence sur les jeux et jouets des époques antique, médiévale
et renaissante issu de la recherche scientifique », http://www.jocari.be/search.php.
21. https://locusludi.unifr.ch/ (2017-2022).
22. Par exemple Brougère 2005 ; Retschitzki & Haddad-Zubel 2002 ; Whitebread et al. 2012.

26
Histoire et archéologie de la culture ludique…

alea, le hasard, mimicry, le mimétisme, ilinx, le vertige) et les théories de Johan


Huizinga ou de Brian Sutton-Smith 23, qui doivent être adaptées au contexte
antique où les dieux patronnent chaque lancer de dés ou d’osselets 24. De premiers
mémoires et thèses sur le sujet ouvrent déjà la voie à d’autres manières de penser
le phénomène ludique antique 25. Les travaux récents de Stephen Kidd montrent
ainsi que la notion de jeu, paidia, en Grèce ancienne englobe un champ différent
de notre « jeu ». La paidia grecque possède une forte dimension émotionnelle, où
la notion de plaisir et de performance corporelle a un rôle important, en incluant
le chant et la danse 26.

Sur les traces de la culture ludique


Dans l’Antiquité, comme aujourd’hui, les jeux sont omniprésents dans la vie
quotidienne. Le terme grec, paidia, suggère un rapport privilégié avec paideia,
qui désigne soit l’enfance, soit l’éducation des enfants 27. Les jeux concernent
aussi l’ensemble de la population, des plus jeunes aux plus âgés, libres et esclaves,
femmes et hommes, quel que soit le milieu, urbain ou rural. Même les dieux jouent.
Mais ces jeux diffèrent selon l’âge, le sexe, le statut social, l’origine ethnique, et
se déclinent avec des variantes dans l’espace et le temps. Les joueurs forment
aussi des équipes dont la composition varie. Jusqu’à quel âge les enfants des deux
sexes jouent-ils ensemble ? Dans quelle mesure interagissent-ils avec les adultes,
apparentés ou non, et dans quels espaces ? Chez les adultes, les jeux sont-ils aussi
pratiqués entre hommes et femmes, individus libres et esclaves ? Dans quels
contextes, amoureux, festifs, religieux… ? Toutes ces questions et bien d’autres
encore sont ouvertes. Loin d’être futile, l’étude des jeux et jouets peut être abordée
comme une clé d’accès privilégiée à l’histoire des normes, valeurs et imaginaire
de toute une société, comme L. Becq de Fouquières l’avait bien pressenti. Les jeux
forgent des compétences qui construisent l’identité culturelle des joueurs, enfants
et adultes, tout en témoignant des mutations socio-religieuses au fil des siècles 28.
Nous dresserons ici un premier bilan des principales questions méthodologiques
relatives aux questions d’identification des jeux et jouets.

23. Huizinga 1938 ; Caillois 1958 ; Sutton-Smith 1997 ; Hamayon 2012. Sur le conflit qui oppose R. Caillois
et C. Lévi-Strauss, Wendling 2010. Voir aussi par exemple Rossie 2008.
24. Nollé 2007.
25. Par exemple Mérieux 2016. Pour l’Antiquité, Schamber 2009 ; Chavagnac 2015. Sur le corps acrobatique,
Vickers 2016.
26. Kidd 2016, 2017b, 2017c, 2017e, 2019.
27. Voir l’article de M. Casevitz dans ce numéro, p. 51-60.
28. Sur le jeu et la sociabilité en Grèce, Goldhill 2017. Sur le monde romain, Purcell 2007 et Purcell 2013 ;
Toner 2017.

27
Véronique Dasen

Les sources écrites


Un des obstacles à surmonter est l’absence de transmission des consignes régissant
les jeux. Tout jeu se définit par l’existence de règles, mais celles-ci nous échappent.
Les sources littéraires antiques ne les mentionnent d’ordinaire que de manière
allusive, car elles appartiennent à un patrimoine en partie oral et immatériel, souvent
géré de manière autonome par les enfants, des acteurs qui n’ont laissé que des
traces indirectes. À la fin de l’Antiquité, la mauvaise réputation des jeux de hasard
pourrait aussi expliquer l’absence de transmission écrite de leurs règles en dépit
de leur extraordinaire popularité. Les autorités ecclésiastiques les condamnent,
comme Augustin ou Isidore de Séville, qui les associent à la tricherie et fustigent le
désordre qu’ils engendrent 29. Des recherches récentes montrent toutefois que les
chrétiens ont continué de jouer en substituant aux signes et divinités païennes le
Christ et ses symboles sur les plateaux de jeu 30.
Parmi les ouvrages disparus qui étaient consacrés aux jeux dans l’Antiquité,
signalons le traité Sur les jeux des Grecs de Suétone 31 et L’art de jouer aux dés de
l’empereur Claude. Selon Suétone, Claude était même si féru de jeux de hasard
qu’il aurait fait aménager sa voiture afin de pouvoir jouer en voyage sans que les
cahots dérangent l’ordre des pions sur le plateau de jeu 32. Aucune des règles qu’il
devait décrire n’est préservée. Toutes sortes de détails nous échappent, comme le
nombre usuel de dés : un, deux ou trois ? La seule règle conservée est transmise par
Suétone avec suffisamment de précisions pour être reconstituée. Elle concerne le
jeu d’osselets, tali, pratiqué par l’empereur Auguste avec ses amis. Selon la lettre
que Suétone reproduit, à chaque lancer du chien (qui vaut un) ou du six, il fallait
ajouter un denier à l’enjeu. Le gagnant était celui qui obtenait le « coup de Vénus »,
où chaque osselet retombe sur une face différente, ce qui implique qu’ils jouaient
avec quatre osselets 33.
L’unique source écrite conservée est l’Onomasticon de Julius Pollux (IIe s.
apr. J.-C.), né à Naucratis, en Égypte, puis élevé à Athènes, où il tient la chaire de
rhétorique vers 180 apr. J.-C. Il écrit un lexique organisé de manière thématique
afin d’enseigner la beauté de la langue grecque au futur empereur Commode. De
cet ouvrage ne subsiste qu’un abrégé réalisé probablement avant le IXe siècle. Une
cinquantaine de jeux y sont décrits, principalement dans la section du livre IX
consacrée aux activités des plus jeunes. Ses informations se réduisent au nom du

29. Étymologies, XVIII, 68. Voir aussi Goncalves 2013 sur la critique d’Ammien Marcellin.
30. Goncalves 2014.
31. Taillardat 1967.
32. Suétone, Claude, 33.
33. Suétone, Auguste, 71. Sur les noms de coups, voir Schädler 1996 et Kidd 2017a.

28
Histoire et archéologie de la culture ludique…

jeu avec une courte description typologique. Parfois les paroles et comptines qui
en structurent le déroulement sont rapportées, comme dans le jeu de la tortue,
chelichelônê 34.

Des textes aux images


Le texte de Pollux ne permet toutefois pas de reconstituer aisément les jeux des
Anciens. D’une part, Pollux vit à l’époque romaine impériale, et ses descriptions
ne peuvent pas être appliquées sans prudence aux scènes de jeu dans la céramique
grecque du Ve siècle av. J.-C., comme si les jeux étaient intemporels 35. D’autre part,
les correspondances entre texte et scène figurée sont difficiles à établir, même quand
la représentation est plus ou moins contemporaine de l’œuvre de Pollux, car l’objectif
du peintre n’est pas de transmettre des règles. Un tableautin du cryptoportique de la
Maison des cerfs à Herculanum dépeint ainsi une scène extérieure de cache-cache
avec trois amours ailés, nus, un mantelet sur l’épaule (fig. 1) 36. À droite, l’un des
enfants se tient debout, les mains posées sur ses yeux fermés. Au centre, un deuxième
court se cacher : il se retourne comme pour s’assurer que son camarade tient ses yeux
clos. Un troisième amour semble s’être déjà glissé dans une maison et guigne par la
porte entrebâillée. Comment mettre cette scène en rapport avec les jeux décrits par
Pollux ? Il est impossible de trancher. Au livre IX, l’auteur détaille quatre variantes
de cache-cache où l’enfant est assis ou debout, garde les yeux fermés ou les rouvre
pour partir à la recherche de ses camarades :

113. La myinda (« jeu de l’aveugle »), c’est quand quelqu’un, fermant ses yeux, s’écrie :
« Prends garde ! », et quand il attrape un des compagnons qui s’est enfui, il l’oblige
à fermer les yeux à son tour. Ou encore celui qui a fermé les yeux, soit qu’il touche,
soit qu’il désigne de son doigt un de ses compagnons, doit deviner de qui il s’agit.
117. L’apodidraskinda (« jeu des fuyards »), c’est quand un des joueurs est assis au
milieu du groupe avec les yeux fermés, à moins que quelqu’un ne les lui tienne
fermés, les autres prennent la fuite ; quand il se relève pour se mettre à la recherche
de ses compagnons de jeu, ceux-ci sont chargés de le devancer au camp.
123. La mouche d’airain (chalkê muia), c’est quand on couvre les yeux d’un enfant
avec un bandeau et celui-ci se retourne et s’écrie : « Je chasse la mouche d’airain ! »,
tandis que les autres lui répondent : « Tu la chasses, mais tu ne la prends pas ! ». Et
ils le tapent avec des bandelettes de papyrus, jusqu’à ce qu’il attrape l’un d’eux 37.

34. Pour une étude de cette comptine, voir en dernier lieu Karanika 2012, Karanika 2014 et Costanza 2017.
Sur les comptines des enfants, voir aussi Lambin 1975 et Lambin 1977.
35. Sur l’œuvre de Pollux, Bearzot et al. 2007 ; Mauduit 2013.
36. Callisto 1249 ; Tran Tam Tinh 1988, 66, fig. 112.
37. Trad. S. Costanza : Pollux, édition, traduction et commentaire, en préparation.

29
Véronique Dasen

Des jeux sans texte


Des hypothèses peuvent être proposées en croisant les textes avec d’autres sortes
de témoignages, iconographiques et archéologiques, ainsi qu’en comparant avec
l’ergonomie de jeux dont les règles sont bien attestées. Toutefois, les ressem-
blances formelles peuvent être trompeuses. Parfois le jeu figuré n’est décrit par
aucun auteur, et son nom paraît être inconnu. Une série de vases grecs attiques
et italiotes représentent ainsi des jeunes gens, principalement des garçons, qui
manipulent une sorte de disque suspendu à une ficelle à la manière de notre yo-yo.
Sur le médaillon d’une coupe conservée à Berlin, le joueur debout, drapé dans son
himation, la tête ceinte d’un bandeau, tourne le dos à un autel (fig. 2) 38. Si aucun
auteur ne fait allusion à ce genre d’exercice, une série de disques peints en terre
cuite, réunis par un cylindre formant l’axe, pourraient en représenter la trace
matérielle 39. Des détails font cependant douter d’un usage ludique banal. Leur
matériau, la terre cuite, est relativement fragile, leur fourchette chronologique
étroite, dans le deuxième quart du Ve s. av. J.-C., leurs motifs peints se rapportent
au monde d’Éros et de la séduction. Dans plusieurs publications, cependant, l’objet
est assimilé au yo-yo moderne 40. D’autres explications sont possibles. Ludwig
Deubner, le premier, a proposé d’y reconnaître une forme de iynx, ce disque que
l’on faisait tournoyer dans le cadre de procédures magiques pour attirer la chance
en amour 41. Selon lui, l’objet pourrait être identifié à l’énigmatique rhombos,
tantôt traduit par « toupie », tantôt par iynx, caractérisé par le son produit par le
tournoiement 42. Comme pour le iynx, les mouvements réguliers du disque seraient
un moyen de se propitier la puissance divine. Son mode d’utilisation précis reste
cependant à reconstituer ; le mouvement se faisait-il de bas en haut comme pour
le yo-yo moderne ou autrement ? Quoi qu’il en soit, si l’on suit cette hypothèse,
le rhombos que dédie Philoclès dans la fameuse épigramme votive de Léonidas de
Tarente pourrait ne pas être une toupie, comme on le traduit d’ordinaire, mais ce
type d’objet circulaire : « Philoclès a consacré à Hermès son ballon renommé, ces
bruyantes castagnettes de buis, les osselets qu’il a aimés à la folie et le rhombos
qu’il faisait tournoyer : tous les jouets, paignia, de son enfance » 43.

38. Beazley Archive 3407 ; Callisto 1109 ; May et al. 1991, 77, fig. 67 ; Fittà 1997, 78, fig. 145.
39. Wehgartner 1983, 154-160, pl. 52-54 ; Weiss & Buhl 1990, 494-505 ; Wünsche & Knauss 2004, 417-418
(cat. 234-235).
40. Par exemple May et al. 1991, 77 ; Fittà 1997, 78-79.
41. Deubner 1930, 167-168.
42. Cf. le rhombos que fait tourner une magicienne chez Théocrite, Idylles, II, 30. Sur le rhombos
qu’utilisent les Titans pour capturer le petit Dionysos, Levaniouk 2007, 180.
43. Waltz 1931, 309. Sur cette épigramme, Brulé 1996.

30
Histoire et archéologie de la culture ludique…

Des jeux métaphoriques


La représentation de jeux peut aussi posséder un sens métaphorique. Comme on
le sait, les imagiers n’illustrent pas la vie quotidienne, mais opèrent des choix et
des détournements pour transmettre un imaginaire. Une série de vases attiques et
italiotes mettent ainsi en scène le double sens du verbe paizô, désignant à la fois
le divertissement et le jeu érotique 44. Le jonglage de la jeune fille avec des balles,
pommes ou pelotes de laine, souvent en présence du garçon qui la courtise, ne
cherche pas à montrer un jeu réel (fig. 3) 45. L’imagier transpose dans un univers
virtuel le prélude des relations amoureuses en utilisant la métaphore visuelle de la
balle comme image du cœur et des émotions qui l’agitent. Le jonglage traduit leur
monde intérieur fait de hauts et de bas, comme le mouvement des balles, sous le
patronage d’Éros et d’Aphrodite. Il révèle aussi une façon de penser les jeunes filles
actives dans la gestion de leur destin, invitant les garçons à une relation réciproque.
D’autres joueuses sont dépeintes engagées dans des compétitions, agônes, à la
manière des garçons, mais de nature différente, comme les jeux d’équilibre sur une
planche à bascule 46.

Vrai ou faux ?
Le faible intérêt scientifique qui a longtemps entouré le monde ludique se traduit par
la circulation d’illustrations sans références dans plusieurs publications. Certaines
images sont réduites à des dessins au trait sans information sur le vase qui porte la
scène, sur sa provenance, sa date, sa forme ou son lieu de conservation. Les activités
représentées sont de surcroît uniques. Tout dessin est une interprétation, et, tant
que le document original ne sera pas identifié, l’authenticité de ce type de document
doit être considérée comme douteuse. Le jeu du cerf-volant est ainsi régulièrement
illustré par un dessin qui montre une jeune fille debout, tenant d’une main une corde
à laquelle semble attaché un élément de forme triangulaire qui s’envole – à moins
qu’il ne s’agisse d’une quenouille (fig. 4) 47. De même, plusieurs publications illustrent
le jeu du cheval bâton, décrit à l’époque romaine par Horace et Plutarque 48, par le
dessin d’un enfant nu chevauchant un long roseau en tenant une bride et un fouet
sur un vase grec à figures rouges dont l’original n’a jusqu’ici pas été identifié (fig. 5) 49.

44. Dasen 2016. Voir aussi Mandel 1999 sur l’ephedrismos ou jeu du porteur.
45. Beazley Archive 209053 ; Callisto 1251 ; Dasen 2016, 76, fig. 2.
46. Green 2014 ; Dasen 2016. Sur l’agôn au masculin, exprimant un idéal aristocrate au travers de la
fameuse scène de jeu d’Achille et Ajax, Dasen 2015b.
47. Callisto 1250 ; Deubner 1930, 170, fig. 19.
48. Horace, Satires, II, 3, 247 ; Plutarque, Agésilas, XXV, 11.
49. Callisto 1247 ; Deubner 1930, 169, fig. 16 ; Fittà 1997, 35, fig. 48.

31
Véronique Dasen

Une archéologie ludique


Le matériel ludique associé aux enfants et aux adultes appartient à la catégorie des
« petits objets », souvent publiés sans commentaire particulier sur leur contribution
à une histoire culturelle. Beaucoup d’objets sont encore inédits, ou mal identifiés.
Aucune typologie de pions, jetons, osselets ou dés n’est disponible, alors que ce
matériel abonde dans les réserves des musées 50. Il reste à l’étudier à différents niveaux,
en reconstituant les modes et lieux de production, en identifiant les animaux dont
les objets en os sont issus, et en tentant de définir l’évolution des types. L’étude des
lieux de trouvaille est aussi importante pour reconstituer les espaces de jeux, privés
ou publics. Les textes grecs font ainsi allusion à des « maisons de jeux », kubeuteria
ou skirapheia, qui seraient dans ou à proximité de sanctuaires, comme celui d’Athéna
Skiras à Athènes 51. De nouvelles informations importantes pourraient être livrées
par l’établissement de cartes SIG situant de manière précise leur distribution dans
l’espace. Les conditions de leur étude se transforment peu à peu, notamment grâce aux
groupes de recherche comme Instrumentum, associé à la base de données Artefacts,
qui encourage leur étude et leur valorisation 52.
Les plateaux de jeu en matière périssable ont d’ordinaire disparu53. Seuls subsistent
les jeux gravés dans la pierre, comme ceux qui sont inscrits dans le sol en marbre des
cités d’Asie mineure. Leurs inscriptions à caractère agonistique ont fait l’objet de
premières études éclairant la dimension sociale et identitaire de ces jeux 54. L’identifi-
cation des décors géométriques symétriques gravés par terre demande cependant des
précautions 55. Plusieurs chercheurs ont ainsi démontré que le motif de la marelle ronde,
retrouvé en grand nombre à Ephèse, Aphrodisias et d’autres sites d’époque romaine
(fig. 6), est en réalité inadapté à un usage ludique 56. Certains jeux sont dépourvus à la
fois de nom, de description et de représentations figurées, comme les pistes de billes
répertoriées par Ulrich Schädler dans différentes régions de l’Empire romain (fig. 7) 57.

50. Voir les études de matériel réunies par Lambrugo et al. 2015 et les réflexions méthodologiques de Cool
2016 au sujet de Pompéi, l’article de A. de Voogt, J.W. Eerkens dans ce numéro, p. 99-108, et le projet
ERC Token Communities in the Ancient Mediterranean dirigé par C. Rowen, université de Warwick.
51. Pollux, Onomasticon, VII, 203 et IX, 96 ; Fisher 2004.
52. Cf. http://artefacts.mom.fr/.
53. Sur les tours de jeu conservées, Horn 1989. Cf. Schädler 2007 sur le plateau de jeu (détruit, mais
dont la structure était conservée) de la tombe du médecin de Stanway (GB). Un plateau de jeu en
bois a aussi été récemment découvert dans une tombe du Bas-Empire (vers 375 apr. J.-C.) à Poprad
(Slovaquie) avec des pions en verre, publication en préparation.
54. Par exemple, Purcell 2013.
55. Schädler 2013b. Voir la typologie de Roueché & Bell 2007, disponible sur le site Locus Ludi :
http://bit.ly/locusludi-roueche.
56. Behling 2013 ; Schädler 2013b.
57. Schädler 2013c.

32
Histoire et archéologie de la culture ludique…

Jouer pour grandir


Quelques textes permettent de connaître les valeurs et les compétences que les
jeux devaient transmettre aux enfants. Les discours normatifs de Platon et Aristote
traversent toute l’Antiquité. Dans Les Lois, La République et La Politique, le jeu ne
doit pas répondre aux besoins affectifs des enfants, mais favoriser le développement
de leurs compétences et leur formation de futurs citoyens 58.
Dans la cité idéale de Platon, garçons et filles jouent ensemble jusqu’à l’âge
de six ans, puis sont séparés 59. Platon n’indique pas la nature de leurs jeux, mais
insiste à plusieurs reprises sur l’apprentissage qu’ils permettent de faire d’un futur
métier. Il mentionne l’usage d’objets miniatures, adaptés à l’ergonomie des enfants :

« […] je déclare que quiconque veut exceller un jour en quoi que ce soit, doit
s’appliquer à cet objet dès l’enfance, en trouvant à la fois son amusement et son
occupation dans tout ce qui s’y rapporte. Par exemple, ceux qui veulent devenir un
bon agriculteur ou encore un architecte doivent s’amuser soit à bâtir quelqu’une de
ces maisons que construisent les enfants, soit à travailler la terre, et leur éducateur à
tous deux doit fournir à chacun et à l’autre de petits outils qui imitent les vrais » 60.

Dans sa Politique, Aristote recommande que des pédonomes surveillent les jeux
des enfants (sans y participer), notamment afin d’écarter les esclaves, sans doute
pour éviter toute contamination des vertus morales par mimétisme 61. On relèvera
que ces descriptions se rapportent à la formation des garçons, aucun auteur ne
décrit celle attendue des filles.
La culture matérielle peut à sa manière compenser le silence des textes. Son
étude demande cependant beaucoup de précautions afin d’éviter d’y projeter nos
concepts modernes, comme le montre l’exemple décrit plus haut du yo-yo / rhombos.
Les ressemblances formelles avec des jouets modernes constituent autant de pièges.
Les dînettes miniatures en plomb, fabriquées en série dans le monde romain, ne
sont ainsi pas des jouets au sens contemporain, mais semblent avoir constitué des
doubles de la dot et de la maisonnée de la future domina 62.
Les limites de l’investigation sont nombreuses. Les enfants fabriquaient eux-
mêmes des jouets dans des matériaux périssables (bois, paille, écorce, cire, mie de

58. Sur le rôle du hochet dans ce contexte éducatif, Dasen 2017.


59. Platon, Lois, VII, 794c ; Müller-Tragin 2018.
60. Platon, Lois, I, 643b-d (Des Places 1951). Voir aussi Dasen 2012.
61. Aristote, Politique, VII, 1336a.
62. Sur la dînette de Julia Graphis, Dasen 2011 et 2014. Voir les miniatures découvertes dans le
sanctuaire de Vénus à Anxur, Barbera 1991 ; Fittà 1997, 59-65, fig. 90, 92, 94, 05 ; Schädler 2013a.
Dînette grecque : Hasselin Rous 2013.

33
Véronique Dasen

pain…) qui ont aujourd’hui disparu, mais que les textes décrivent. Dans les Nuées
d’Aristophane, Strépsiade énumère les merveilles éphémères qui sortaient des
mains de son fils :

« Il était encore tout mioche, pas plus haut que cela, qu’il modelait chez nous des
maisons, sculptait des bateaux, construisait de petits chariots de cuir, et, avec l’écorce
des grenades, faisait des grenouilles à merveille » 63.

Sans oublier tous les objets que l’enfant pouvait détourner du monde des adultes
et qui resteront à jamais impossibles à identifier en tant que jouets. Les objets
conservés ont donc été fabriqués dans des matériaux qui ont résisté au temps (terre
cuite, métal, os, ivoire, ambre), le plus souvent par des adultes pour des enfants.
Leurs lieux de production et leurs modes de diffusion sont encore inconnus. Seul un
passage d’Aristophane mentionne le coût d’un chariot, une obole (mais chez quel
type de marchand et en quelle matière ?), et les circonstances de l’achat, à l’occasion
d’une fête en l’honneur de Zeus 64.
Parmi les questions ouvertes, nous examinerons ici l’existence et la fonction
d’objets spécifiques aux enfants, qui n’imitent pas l’univers matériel des adultes en
miniature, ainsi que d’objets spécifiques à un sexe, féminin ou masculin, en prenant
deux exemples récemment étudiés pour le monde grec, le hochet et la « poupée ».

Le hochet
Le hochet, cet idiophone qui produit un son quand on l’agite, est l’un des plus
anciens objets identifiés comme associés à la petite enfance. Au-delà d’une approche
typo-chronologique encore à faire 65, un examen des textes et des images permet
de saisir comment sa fonction peut s’investir de sens spécifiques selon les époques.
Dans la Politique, Aristote éclaire ainsi l’importance éducative qu’on lui confère à
l’époque classique, dès le premier âge de la vie. Il attribue à Archytas de Tarente
l’invention du hochet, platagê : « Il faut considérer comme une belle invention
le hochet d’Archytas, que l’on donne aux petits enfants pour que, grâce à elle,
ils ne cassent rien dans la maison, car la gent enfantine n’est pas capable de
rester tranquille » 66. La découverte se rapporte au concept éducatif de la musique
prôné par Archytas, un Pythagoricien et ami de Platon, qui aurait écrit un traité

63. Aristophane, Nuées, 787-884 (Coulon 1923), 878-884. Voir aussi les petits objets en cire et en argile
que décrit Lucien, Alcyon, 4.
64. Aristophane, Nuées, 863-864 (Coulon 1923) : « La première obole que je reçus comme héliaste, je
l’employai à t’acheter, aux Diasies [fête en l’honneur de Zeus Meilichios], un petit chariot ».
65. Voir Pfäffli 2014 sur les hochets romains.
66. Aristote, Politique, 1340b (Aubonnet 1971).

34
Histoire et archéologie de la culture ludique…

sur les percussions 67. Loin d’être un simple objet de divertissement, « le hochet
d’Archytas » devait contribuer au processus d’apprentissage de la raison. Le rythme
et la musique structurent l’âme de l’enfant, qui y prend plaisir dès la naissance 68,
en le détournant d’activités désordonnées qui font prendre de mauvaises habitudes
pour toute la vie 69. Son usage témoigne d’un souci éducatif et d’une gamme de soins
qui inclut les berceuses afin d’assurer une croissance en bonne santé. Un cruchon
à vin miniature attique (fig. 8 ; vers 440-425 av. J.-C.) 70 représente un enfant assis
sur son pot, brandissant un hochet, entouré d’un bâton à roulettes et d’une cruche.
La scène résume visuellement le programme de teknopoiêisis du futur citoyen : il
associe l’apprentissage de la propreté, de la marche, des rites religieux de la cité,
à la formation de l’âme par le rythme musical du hochet.

La poupée
Replacés dans la communauté, le lieu et l’époque qui les a produits, les jouets
peuvent offrir accès aux compétences attendues des garçons et des filles, ainsi
qu’aux étapes de leur croissance, marquées par des rites et des fêtes. L’exemple
le mieux étudié à ce jour est celui des « poupées » grecques classiques. Au-delà
de leur grande variété typologique, plusieurs points communs ressortent. Elles
sont d’ordinaire fabriquées en terre cuite et représentent une femme adulte, aux
membres articulés. Le type le plus ancien, de fabrication corinthienne, apparaît
au début du Ve siècle av. J.-C. Les bras et les jambes sont articulés au niveau des
épaules et des hanches. La figurine est coiffée d’un polos percé qui permet de la
suspendre. Vêtue d’un chiton peint, elle tient souvent dans chaque main des crotales
qui font référence aux fonctions chorégiques des jeunes filles dans le sanctuaire.
Les modèles produits en Attique dès le troisième quart du Ve siècle av. J.-C. sont
plus élaborés, avec une articulation au niveau des genoux. Un autre type, sans bras,
ni jambes au-dessous des genoux et des coudes, apparaît au milieu du Ve siècle
av. J.-C. (fig. 9 ; vers 340-320 av. J.-C.) 71. Au IVe siècle av. J.-C. se développe le type
de la femme assise, aux bras mobiles, nue ou vêtue (fig. 10 ; vers 370-350 av. J.-C.),
la tête souvent coiffée d’une haute couronne.

67. Pour la démonstration complète de la nature de l’« invention » d’Archytas, Dasen 2017.
68. Pseudo-Aristote, Problèmes, XIX, 38, 902b.
69. Ce souci traverse toute l’Antiquité. Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, 1103b, 23-25 (Bodéüs
2004) : « L’importance de contracter telle ou telle habitude dès la prime jeunesse n’est donc pas
négligeable, mais tout à fait décisive » ; Plutarque, Œuvres morales. De l’éducation des enfants, 3F
(Philippon & Sirinelli 1987) : « Et il y a toute chance que le poète Phocylide donne un bon conseil
quand il dit : “Il faudrait, dès l’enfance, enseigner à bien faire” ».
70. Beazley Archive 11041 ; Callisto 84 ; Dasen 2017, fig. 1, avec bibliographie antérieure.
71. Callisto 21.

35
Véronique Dasen

Leur analogie de taille et de forme avec les poupées modernes du type de la


Barbie pourrait inviter à y reconnaître des objets ludiques. Depuis une quinzaine
d’années, plusieurs recherches ont révisé cette interprétation. Joan Reilly 72, la pre-
mière, a suggéré d’interpréter les exemplaires au corps tronqué comme des sortes
d’ex-voto anatomiques, mettant en valeur les seins et le sexe, les parties du corps
essentielles pour la reproduction. Cette nouvelle interprétation est aujourd’hui
étendue à l’ensemble du groupe. L’étude du vocabulaire confirme leur destination
religieuse. Les termes numphê, korê, korokosmion ou kosmion, traduits par « poupée »,
apparaissent dans des contextes qui les désignent comme des offrandes votives
anthropomorphes 73. C’est par dizaines, voire par centaines qu’on les retrouve dans
les sanctuaires de divinités qui patronnent les passages des jeunes filles, la santé et
la fécondité 74. Plusieurs ont aussi été retrouvées dans des tombes de jeunes filles
mortes avant de s’être mariées.
Certaines figurines renvoient de manière explicite aux rites nuptiaux, comme
celles assises sur un siège à haut dossier, exposant la beauté, charis, de la mariée
à la vue de toute l’assistance, parenté, amis et voisinage, le jour des noces. Des
exemplaires possèdent un trousseau miniature qui symbolise les cadeaux offerts
le jour suivant le mariage (epaulia) et les activités de la future épouse, comme
l’epinêtron, l’objet de forme cylindrique que les femmes plaçaient sur le genou
pour filer la laine, sans oublier la paire de bottines portées au passage dans sa
nouvelle maison 75. La poupée se décline aussi sous une forme masculine, encore
peu étudiée. Le couple assis retrouvé dans une tombe de Tanagra (IVe siècle) se
rapporte probablement aussi aux rites de mariage 76.

Conclusion : Une histoire en construction


Ce bref inventaire non exhaustif des principales questions méthodologiques invite
à poursuivre l’exploration du champ très vaste de la culture ludique antique, en
l’utilisant comme une grille de lecture susceptible de renouveler notre compré-
hension de la dynamique sociale et religieuse grecque et romaine. L’importance du
sujet se traduit par son omniprésence dans la langue, l’iconographie et la culture
matérielle, sa capacité à se transformer en s’adaptant sans cesse à de nouveaux
contextes sociaux, tout en conservant sa puissance métaphorique. Dans la vie

72. Reilly 1997.


73. Par exemple Platon, Phèdre, 230c.
74. Dasen 2005, 2011, 2015a, 319-334 ; Schwarzmaier 2006. Sur le type à l’époque byzantine, Pitarakis 2009,
sur sa fonction sociale à Rome, Dolanski 2017.
75. Londres, British Museum GR 1906,0314.4 ; Dasen 2015a, 324-325, fig. 11.4.
76. Dasen 2011 ; Huysecom-Haxhi et al. 2012 ; Griesbach 2014.

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Histoire et archéologie de la culture ludique…

comme dans la mort, le jeu est « bon à penser » l’identité et le destin, ainsi que le
montre l’épigramme d’Antipater de Sidon (IIe s. av. J.-C.), fondée sur les noms
des différents coups obtenus en lançant les osselets :

« Cette stèle, que je vois, allons, quel mort elle recouvre. Mais je n’aperçois nulle
part d’inscription gravée sur la pierre, seulement neuf osselets renversés : les
quatre premiers désignent le coup d’Alexandre ; les suivants, la fleur de la jeunesse
adolescente, l’éphèbe ; le dernier, isolé, signifie plus humblement le coup de Chios.
Veulent-ils donc dire ceci : “Et celui qui se glorifie du sceptre et celui dont la
jeunesse est en fleur ont pour terme le néant” ? Ou plutôt non : je crois que je vais
lancer au but un trait direct, comme un archer crétois. Le mort était de Chios, il
avait reçu le nom d’Alexandros et périt à l’âge des éphèbes. Avec quelle habileté
on a désigné par des osselets muets le jeune homme enlevé aveuglément et sa vie
répandue comme les osselets ! » 77.

Véronique Dasen
ERC Locus Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity
Université de Fribourg

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77. Anthologie grecque, VII, 427 (Waltz 1941, trad. modifiée). Sur la présence métaphorique du jeu dans
des contextes funéraires grecs, voir aussi Dasen 2018, et d’époque romaine, Schädler 2013d.

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Véronique Dasen

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Véronique Dasen

Fig. 1 – Peinture murale du cryptoportique


de la Maison des cerfs, Herculanum.
Tableautin 23 x 36 cm. Naples, Musée national, inv. 9178.
D’après Tran Tam Tinh 1988, fig. 112

Fig. 2 – Coupe attique à figures rouges.


Antikensammlung, Staatliche Museen zu Berlin-Preussischer Kulturbesitz F 2549.
Photo J. Laurentius

46
Histoire et archéologie de la culture ludique…

Fig. 4

Fig. 5

Fig. 4 – Vase perdu, dessin.


D’après Deubner 1930, fig. 9
Fig. 3 – Lécythe attique à figures rouges.
New York, Metropolitan Museum of Art
41.162.147. Rogers Fund, 1941. Fig. 5 – Vase perdu, dessin.
Photo du musée D’après Deubner 1930, fig. 16

47
Véronique Dasen

Fig. 6 – Dessin de roue


avec une inscription grecque
sur la rue Arkadiane, Ephèse.
Photo C.M. Behling, reproduit
avec l’aimable autorisation
de S. Ladstätter, Vienne

Fig. 7 – Piste de billes, Rome,


temple de Vénus et de Rome.
Photo U. Schädler

48
Histoire et archéologie de la culture ludique…

Fig. 8 – Chous attique à figures rouges.


Londres, British Museum 1910.6-15.4.
Photo du musée

Fig. 9 – Stèle attique en marbre.


Munich, Antikensammlungen GL 199.
Photo V. Dasen

49
Véronique Dasen

Fig. 10 – Poupée assise aux bras articulés


en terre cuite (H. 21,5 cm), de Thèbes.
Munich, Antikensammlungen NI 6660.
Photo A. Tuor

50
LES NOMS DU JEU ET DU JOUET EN GREC 1

À qui essaie d’étudier les mots désignant le jeu et les jouets en grec, une remarque
s’impose d’emblée : il n’y a pas de mot indo-européen pour désigner l’un ou les autres.
Ainsi en latin, on a deux noms, jocus (avec le verbe jocor, -ari) et ludus (avec le
verbe ludo, -is, lusi, lusum, -ere), pour désigner l’un « le jeu, la plaisanterie, le badi-
nage », l’autre « l’amusement, le jeu », mais aussi « l’école » (le lieu d’apprentissage).
Le magister ludi, c’était « le maître d’école » mais de la petite école, comme on disait
naguère, l’école maternelle aujourd’hui, et aussi l’école élémentaire. Le Dictionnaire
étymologique de la langue latine. Histoire des mots (DELL) d’Ernout et Meillet 2, s.u.
ludus, parle d’une étymologie obscure et évoque l’hypothèse étrusque, terme lié à
une institution religieuse ; il évoque aussi une glose d’Hésychius λίζει · παίζει pour
supposer une racine commune au latin et au grec, mais ce n’est pas convaincant. Par
ailleurs, J.-L. Perpillou 3 a rappelé que la base *loido-, qui a fourni le latin ludus et en
grec le premier terme du composé de dépendance *λοιδο-δόρος, « donneur de gestes
ou de paroles tranchants, d’injures », devenu par haplologie λοίδορος, désigne « un
jeu d’armes où l’effusion de sang marque la victoire ». Quant à jocus, le DELL évoque
des rapprochements avec des mots lituaniens signifiant « rire » ou « plaisanterie », ou
des mots ombriens signifiant « prière, mots », ou encore avec du gallois « langue », et
aussi en vieil haut allemand « prononcer une formule » : sens éloignés… Le mot est
à l’origine du français jeu, qui désigne dès les premières attestations le jeu comme
amusement libre et aussi l’activité ludique organisée 4.
En grec, il y a un bel ensemble à partir du mot signifiant « enfant », dont
l’étymologie est claire, mais, on le verra, il y a aussi un verbe et un dérivé archaïques
dont l’étymologie donne lieu à des hypothèses que Chantraine 5, dans le Dictionnaire
étymologique de la langue grecque (DELG), dit être « en l’air ». Sans compter un autre
mot, lui aussi d’origine obscure…

1. Cet article est issu d’une communication prononcée lors du colloque ERC Locus Ludi « Jeu et
apprentissage » (26-27 octobre 2017), organisé par V. Dasen à l’université de Fribourg (Suisse).
2. Ernout & Meillet 2001.
3. Perpillou 1996, 121 ; voir aussi la reconstruction étymologique, 212.
4. Ray 1998, s.u. jeu.
5. Chantraine 2009, s.u. παῖς, ἀθύρω, ἑψία.

Kentron, no 34 – 2018, p. 51-60


Michel Casevitz

Voyons l’ensemble annoncé : très courant, le verbe παίζω est formé à partir du
radical *paid- + *-ye/o suffixe de dérivation verbale primaire originel *paw- qui a
été élargi avec un -i, et aussi avec un -d- qui a protégé celui-ci et lui a permis de
s’insérer dans une déclinaison. À noter que le radical *paw- se retrouve au degré zéro
(sans voyelle) dans la première syllabe du latin puer, « enfant » ; voir aussi le sanskrit
putra-, « fils ». Le nom *pa(w)id-s (avec le sigma du nominatif) a donné normalement
παῖς, génitif παιδός (noter que le mot a l’accentuation des noms-racines, mono-
syllabes qui deviennent plurisyllabiques au cours de la flexion : παῖς, παῖδα et aux
cas obliques παιδός, παιδί ; au pluriel παίδων est anormal mais παῖδες, παῖδας et
παισί sont normaux). Le nom, on le sait, signifie l’« enfant », indépendamment de
sa gestation (à la différence du neutre τέκνον, qui est le produit de l’enfantement).
Παῖς signifie « le garçon », plus souvent que « la fille », il signifie « le jeune, le petit »
et aussi en attique « le serviteur » ou « l’esclave ».
Le verbe παίζω a une signification originelle 6 : « jouer, jouer comme un enfant,
agir en enfant » ; on peut se reporter sur ce point à l’article de Meerwalt 7, et l’autre
verbe dérivé de pais est παιδεύω, « former » (en particulier un enfant), « éduquer ».
Comme l’aime le grec, il y a un jeu de mots étymologique dans l’expression formée
avec le dérivé nominal παιδιά, « jeu » : παιδιάν τινα παίζειν, c’est « jouer à un jeu ». Le
jeu est libre, mais attention : ceux que nous appelons les jeux, tels les Jeux olympiques,
ou Néméens, ou Pythiques, etc., sont désignés par le mot agôn, signifiant « concours ».
On joue également d’un instrument ; prenons par exemple Aristophane, Grenouilles,
230 : Πάν, ὁ καλαμόφθογγα παίζων « Pan […], qui s’amuse à jouer du chalumeau » 8,
avec habileté (δεξιότης, σοφία), avec expérience (ἐμπειρία) ou science (ἐπιστήμη).
Le verbe παίζω est attesté dès les poèmes homériques. Mais on notera que les cinq
exemples homériques sont tous dans l’Odyssée : quatre formes tirées du thème du
présent et un exemple de l’impératif aoriste 2e personne du plur. : « jouez » (παίσατε).
On ajoutera six exemples dans les Hymnes homériques, tous sur le thème du présent :
H. Ap. 201 ; 206 ; H. Dém. 5 et 426 ; H. Aphrod. 120 ; H. Gè. (XXX) 15. Dans ce dernier
exemple on lit παίζουσαι χαίρουσι, mais la correction de Rühnken, σκαίρουσι, « elles
sautent, bondissent », est adoptée comme « certaine » par Allen-Sikes-Halliday et
Humbert mais non par Càssola 9 :

(παρθενικαί τε)
15 παίζουσαι σκαίρουσι κατ’ ἄνθεα μαλθακὰ ποίης…

6. Chantraine 2009, s.u. παῖς.


7. Meerwaldt 1928. La dérivation telle que l’auteur la décrit (παίζω = παίσδω) n’est pas satisfaisante,
mais le sens « faire comme un enfant » n’est pas erroné.
8. Trad. Van Daele dans Coulon 1928.
9. Allen et al. 1936 ; Humbert 1936 ; Càssola 1975.

52
Les noms du jeu et du jouet en grec

« Et les jeunes filles en jouant bondissent par les douces fleurs de l’herbe… » 10.
De tous les exemples homériques, c’est celui de l’Odyssée 8, 251 (après les jeux
offerts par Alcinoos) qui est le plus instructif :

241 ἀλλ’ ἄγε νῦν ἐμέθεν ξυνίει ἔπος, ὄφρα καὶ ἄλλῳ
εἴπῃς ἡρώων, ὅτε κεν σοῖσ’ ἐν μεγάροισι
δαινύῃ παρὰ σῇ τ’ ἀλόχῳ καὶ σοῖσι τέκεσσιν,
ἡμετέρης ἀρετῆς μεμνημένος, οἷα καὶ ἡμῖν
245 Ζεὺς ἐπὶ ἔργα τίθησι διαμπερὲς ἐξ ἔτι πατρῶν.
οὐ γὰρ πυγμάχοι εἰμὲν ἀμύμονες οὐδὲ παλαισταί,
ἀλλὰ ποσὶ κραιπνῶς θέομεν καὶ νηυσὶν ἄριστοι,
αἰεὶ δ’ ἡμῖν δαίς τε φίλη κίθαρίς τε χοροί τε
εἵματά τ’ ἐξημοιβὰ λοετρά τε θερμὰ καὶ εὐναί.
250 ἀλλ’ ἄγε, Φαιήκων βητάρμονες ὅσσοι ἄριστοι,
παίσατε, ὥς χ᾽ ὁ ξεῖνος ἐνίσπῃ οἷσι φίλοισιν.
οἴκαδε νοστήσας, ὅσσον περιγινόμεθ’ ἄλλων
ναυτιλίῃ καὶ ποσσὶ καὶ ὀρχηστυῖ καὶ ἀοιδῇ.

« Mais comprends mes raisons : quand, ayant retrouvé tes enfants et ta femme,
tu auras à ta table un héros qui voudra connaître nos mérites, il faut que tu lui
dises en quels travaux Zeus nous maintient de père en fils. Non, la boxe n’est pas
notre fort, ni la lutte : nous sommes bons coureurs et marins excellents ; mais pour
nous, en tout temps, rien ne vaut le festin, la cithare et la danse, les bains chauds
et l’amour… Allons ! Entrez au jeu, toute la fleur de nos danseurs de Phéacie ! De
retour au logis, je voudrais que notre hôte pût dire à tous les siens qu’à la rame, à
la course, au chant et à la danse, nous sommes sans rivaux » 11.
Le verbe παίζω apparaît aussi dans le domaine dorien avec un radical terminé
en gutturale (παιξοῦμαι au futur, aoriste infinitif παῖξαι, parfait πέπαιχα, aoriste
passif ἐπαίχθην, parfait πέπαγμαι) et s’emploie aussi pour « jouer un jeu, danser,
jouer d’un instrument > plaisanter » et plus rarement avec le sens de « railler,
se moquer ». Avec des préverbes (δια-, έκ-, ἐμ-, ἐπι-, κατα-, συμ-), c’est le sens
de « se moquer, railler » et même « tromper » qui est le plus fréquent. Parmi les
auteurs qui emploient le verbe, il y a surtout Aristophane et aussi Platon, puis la
Septante et les auteurs tardifs.
À partir du dérivé en gutturale neutre παῖγμα, -ατος « jeu » (d’un instrument), on
trouve des composés, par exemple : φιλοπαίγμων, -ονος « qui aime le jeu », hapax dans
Odyssée 23, 134, épithète de ὀρχηθμοῖο (au génitif), quand Ulysse dit à Télémaque :

10. Trad. personnelle.


11. Trad. Bérard 1924.

53
Michel Casevitz

133 αὐτὰρ θεῖος ἀοιδὸς ἔχων φόρμιγγα λίγειαν


ὑμῖν ἡγείσθω φιλοπαίγμονος ὀρχηθμοῖο…

« […] et, pour vous entraîner, que le divin aède, sur sa lyre au chant clair, joue
quelque danse alerte » 12.
Il y a quelque quatre-vingt-douze exemples du mot (et sept exemples de son dou-
blet φιλοπαίσμων). On trouve quelques exemples dans la poésie archaïque, classique
ou tardive (Nonnos), et quelques exemples en prose. Le dérivé abstrait παιγμοσύνη au
pluriel (Stésichore, poète sicilien, VIe siècle av. J.-C., fr. 232, 2 Campbell = 55, 2 Page)
désigne « les jeux ». Un autre dérivé de παῖς est le neutre παίγνιον « jouet, jeu » (qui
peut être aussi bien le dérivé de παῖς que de παίζω) ; il existe aussi, παιγνία, -ας (ίη,
-ίης en ionien), même sens (quatre exemples chez Hérodote ; Hérondas, Mime 3,
55), sur lequel a été formé l’adjectif παιγνιήμων « badin, joueur » (Hérodote, 2, 173),
et παιγνία en attique signifie « la fête ». Ainsi, dans Aristophane, Lysistrata, 698-702 :

(La Coryphée) : Οὐ γὰρ ἔσται δύναμις, οὐδ’ ἢν ἑπτάκις σὺ ψηφίσῃ,


ὅστις, ὦ δύστην’, ἀπήχθου πᾶσι καὶ τοῖς γείτοσιν.
700 Ὥστε κἀχθὲς θἠκάτῃ ποιοῦσα παιγνίαν ἐγὼ
ταῖσι παισὶ τὴν ἑταίραν ἐκάλεσ’ ἐκ τῶν γειτόνων,
παῖδα χρηστὴν κἀγαπητὴν ἐκ Βοιωτῶν ἔγχελυν·

« Tu ne pourras rien (contre nous), même si tu faisais sept décrets, malheureux,


toi qui t’es fait haïr de tous et des voisins. C’est au point qu’hier encore, comme
je donnais une fête en l’honneur d’Hécate, j’avais invité dans le voisinage la
camarade de mes enfants, une bonne et aimable fille, une anguille de Béotie [du
lac Copaïs, cf. v. 36] […] » 13.
À côté du verbe παίζω, il y a un autre verbe dérivé de παῖς, mais avec un suffixe
composite *-εύω, suffixe formé à l’origine à partir des noms en -εύς, -έως, noms de
fonction tels βασιλεύς « qui exerce la fonction de roi », βραβεύς « arbitre ». Chantraine
(ibid.) dit que « le champ sémantique (de παιδεύω) est complètement différent de celui
de παίζω » 14. Παιδεύω signifie « former des jeunes, des élèves, pour faire qu’ils soient
des πεπαιδευμένοι, des êtres cultivés, éduquer », non pas « élever » – ou rarement –,
ce qui est exprimé par τρέφω, « favoriser la croissance de ce qui est susceptible de
développement » (définition due à Benveniste 15, et « donner une culture » ; parfois
« châtier, punir », cf. « corriger » en français). Voici les dérivés : παιδεία « éducation,

12. Trad. Bérard 1924.


13. Trad. Van Daele 1946, modifiée.
14. Chantraine 2009, 819.
15. Benveniste 1966, 293 : « favoriser (par des soins appropriés) le développement de ce qui est soumis
à croissance ».

54
Les noms du jeu et du jouet en grec

formation, culture » ; παίδευσις, « éducation », nettement lié à l’action verbale. Παίδευμα,


-ατος désigne « la matière enseignée », mais aussi « celui qui est formé, l’élève ». Le
nom d’agent παιδευτής, -ου, est plus brillant que διδάσκαλος…
Si l’on regarde ce que disent les lexicographes, on est confirmé dans l’idée que
παῖς et παίζω ne sont pas absents de παιδεύω ; à l’origine, c’est aussi former des
enfants ; les maîtres leur apprennent à jouer, à un jeu, au sport ou à un instrument
de musique, à la danse, etc.
Il reste à examiner encore deux mots signifiant « jeu » ou « jouet » et que les
études sur le sujet oublient presque toujours 16. Le premier est un vieux mot : ἀθύρω
(avec u long) qui signifie « jouer », attesté chez Homère (hapax Il. 15, 364 ; Hymn.
Hermès, 152 ; Hymn. à Pan, 15) et les poètes (Euripide, Ion, 53 ; Oppien, Hal., 4, 451),
rare en prose : Hippocrate, Platon, Philostrate (deux exemples : un dans les Images,
un dans la Vie d’Apollonios).
Homère, Il. 15, 360-364 (le texte présente dans la même phrase le nom instrumental
et le participe présent) :

360 […] πρὸ δ’ Ἀπόλλων


αἰγίδ’ ἔχων ἐρίτιμον· ἔρειπε δὲ τεῖχος Ἀχαιῶν
ῥεῖα μάλ’, ὡς ὅτε τις ψάμαθον πάϊς ἄγχι θαλάσσης,
ὅς τ’ ἐπεὶ οὖν ποιήσῃ ἀθύρματα νηπιέῃσιν
ἂψ αὖτις συνέχευε ποσὶν καὶ χερσὶν ἀθύρων.
365 ὥς ῥα σὺ ἤϊε Φοῖβε πολὺν κάματον καὶ ὀϊζὺν
σύγχεας Ἀργείων, αὐτοῖσι δὲ φύζαν ἐνῶρσας.

« Devant (les Troyens), Apollon tenait la précieuse égide. Il abattit le mur


achéen aussi aisément qu’un enfant, sur le sable, au bord de la mer, quand il a fait
des constructions pour s’amuser, les renverse des pieds et des mains, en se jouant.
Ainsi, ô tireur Phébus, tant de peines et de misères des Argiens, tu les renversas, et
parmi eux tu excitas la fuite » 17.
Dans l’Odyssée, il y a deux autres exemples du nom, au pluriel : 15, 416 (ornements,
parures) et 18, 323.
On trouve aussi le verbe chez Platon, Lois, 7, 796 b :

(b) Oὐδ’ ὅσα ἐν τοῖς χοροῖς ἐστιν αὖ μιμήματα προσήκοντα μιμεῖσθαι παρετέον,
κατὰ μὲν τὸν τόπον τόνδε Κουρήτων ἐνόπλια παίγνια, κατὰ δὲ Λακεδαίμονα
Διοσκόρων. Ἡ δὲ αὖ που παρ’ ἡμῖν κόρη καὶ δέσποινα, εὐφρανθεῖσα τῇ τῆς χορείας
παιδιᾷ, κεναῖς χερσὶν οὐκ ᾠήθη δεῖν ἀθύρειν, (c) πανοπλίᾳ δὲ παντελεῖ κοσμηθεῖσα,
οὕτω τὴν ὄρχησιν διαπεραίνειν.

16. Schmidt 1878 et 1886.


17. Trad. personnelle.

55
Michel Casevitz

(l’Athénien) — « Il ne faut pas négliger davantage tout ce qu’offrent les chœurs de


danse comme sujets d’imitation décente, telles ici les danses armées des Courètes et,
à Lacédémone, celles des Dioscures. Chez nous de même, la vierge notre souveraine,
se plaisant aux jeux choriques, ne crut point devoir les jouer les mains vides, mais
s’arma de pied en cap, et c’est ainsi parée qu’elle dansa toute sa danse » 18.
Le diminutif ἀθυρμάτιον se rencontre dans la prose tardive. Le nom d’action
ἄθυρσις, chez Bacchylide 12, 93, signifie « la fête ».
Chez Hésychius, il y a une glose (α1639 Latte) fournissant le déverbatif
ἀθυρεύεσθαι, glosé παίζειν, μιγνύειν, σκιρτᾶν. Il y a aussi un composé ἀθυρονόμος
(α1642 Latte), glosé ὡς ἔτυχε χρώμενος τοῖς νόμοις « observant les lois comme ça
se trouvait, au hasard ».
La proximité de cette famille avec celle de θύρα, la porte, a peut-être gêné son
développement ; en tout cas, le sens originel en est obscur, comme l’étymologie.
La dernière famille de mots, qui se rencontre presque uniquement en poésie,
a pour point de départ un verbe qui se trouve dans l’Odyssée, ἑψιάομαι « s’amuser,
jouer » (deux formes distendues, en fin de vers) 17, 530 :

« Tὸν δ’ αὖτε προσέειπε περίφρων Πηνελόπεια·


“ἔρχεο, δεῦρο κάλεσσον, ἵν’ ἀντίον αὐτὸς ἐνίσπῃ.
οὗτοι δ’ ἠὲ θύρῃσι καθήμενοι ἑψιαάσθων
ἢ αὐτοῦ κατὰ δώματ’, ἐπεί σφισι θυμὸς ἐΰφρων”».

« La plus sage des femmes, Pénélope, reprit [en disant à Eumée] : “Va donc
et me l’amène [l’étranger : Ulysse] ! Face à face, je veux qu’en personne il me
parle ; assis devant la porte ou restés dans la salle, qu’ils s’amusent, nos gens :
ils ont le cœur léger !” » 19 ; et 21, 429 :

« […] ἔτι μοι μένος ἔμπεδόν ἐστιν,


οὐχ ὥς με μνηστῆρες ἀτιμάζοντες ὄνονται.
νῦν δ’ ὥρη καὶ δόρπον Ἀχαιοῖσιν τετυκέσθαι
ἐν φάει, αὐτὰρ ἔπειτα καὶ ἄλλως ἑψιάασθαι
430 μολπῇ καὶ φόρμιγγι· τὰ γάρ τ’ ἀναθήματα δαιτός ».

(Ulysse, qui vient de réussir le tir à l’arc, à Télémaque) : « Ah ! Ma force


est intacte, quoi que les prétendants m’aient pu crier d’insultes ! Mais voici le
moment ! Avant qu’il fasse nuit, servons aux Achéens un souper que suivront
tous les jeux de la voix et ceux de la cithare, ces atours du festin ! » 20.

18. Trad. Diès 1956.


19. Trad. Bérard 1924.
20. Trad. ibid.

56
Les noms du jeu et du jouet en grec

Il y a deux autres formes du verbe dans la même œuvre. En 19, 331 ἐφεψιόωνται :

« ὃς μὲν ἀπηνὴς αὐτὸς ἔῃ καὶ ἀπηνέα εἰδῇ,


τῷ δὲ καταρῶνται πάντες βροτοὶ ἄλγε’ ὀπίσσω
ζωῷ, ἀτὰρ τεθνεῶτί γ’ ἐφεψιόωνται ἅπαντες· ».

(Pénélope à Ulysse, qui est encore seulement l’hôte) : « À vivre sans pitié pour
soi-même et les autres, l’homme durant sa vie ne reçoit en paiement que malédictions,
et, mort, tous le méprisent » 21, c’est-à-dire, « s’en moquent, le raillent ».
Et aussi en 19, 370 : avec ἐπι- (railler) et aussi κατα- (mépriser) :

« νῦν δέ τοι οἴῳ πάμπαν ἀφείλετο νόστιμον ἦμαρ.


οὕτω που καὶ κείνῳ ἐφεψιόωντο γυναῖκες
ξείνων τηλεδαπῶν, ὅτε τευ κλυτὰ δώμαθ’ ἵκοιτο,
ὡς σέθεν αἱ κύνες αἵδε καθεψιόωνται ἅπασαι ».

(Euryclée évoque l’absent en présence de Pénélope et de l’hôte) : « C’est à toi,


à toi seul que Zeus a refusé la journée du retour ! […] Ah ! Comme toi, notre hôte,
peut-être a-t-il connu, en des manoirs fameux, chez des hôtes lointains, le mépris
de servantes pareilles à ces chiennes qui toutes te méprisent ! » 22.
On remarquera aussi un fragment de Sophocle (Anténorides, fr. 138 Radt), sans
contexte : ἀφεψιασάμην. « J’ai évité de rire (avec quelqu’un) » (cf. ἀφομιλέω « éviter
de fréquenter untel »).
Par dérivation inverse, a été créé le nom ἑψία,-ίας « jeu », Sophocle (Athamas,
fr. 3 Radt) sans contexte. Nous trouvons aussi chez Nicandre, Ther. 880 : ἥ θ᾽ ἑψίη
ἔπλετο κούροις « et les jeunes gens s’amusèrent ». Les lexicographes glosent le mot
par différents termes, que nous avons vus pour la plupart, avec des explications sur
la dérivation et l’étymologie sans fondement. Par exemple, Hésychius glose ainsi
ἑψία (ε7709) : γέλως, παιδιά, χλεύη, ἔφοδος· ἀπὸ τοῦ ἕπεσθαι. « rire, amusement,
moquerie, attaque : vient de suivre… ». L’étymologie ici proposée n’est guère
convaincante.
Cette famille est réduite : citons l’anthroponyme composé Φιλέψιος « qui
aime les jeux, les amusements » (Ar. Plut. 177). Nonnos emploie ὁμέψιος « qui
joue avec, ensemble », et une épigramme attribuée à Platon contient ce mot 23.
Avec aphérèse, Aristophane, dans Lysistrata, met dans la bouche du Laconien
(en 1302) ψιάδδειν = παίζειν dans la strophe lyrique finale :

21. Trad. ibid.


22. Trad. ibid.
23. Plat., Épigr. 19, 3 Diehl.

57
Michel Casevitz

1296 Ταΰγετον αὖτ᾽ἐραννὸν ἐκλιπῶἁ


Μῶἁ μόλε, < μόλε, > Λάκαινα, πρεπτὸν ἁμὶν
κλέωἁ τὸν Ἀμύκλαις σιὸν
καὶ Χαλκίοικον ἄνασσαν,
1300 Τυνδαρίδας τ’ ἀγασώς,
τοὶ δὴ πὰρ Εὐρώταν ψιάδδοντι.
Εἶα μάλ’ ἔμβη,
ὢ εἶα, κοῦφα πᾶλον,
ὡς[…].

« Quitte encore l’aimable Taygète, Muse laconienne, et viens glorifier le dieu


d’Amyclées [où il y avait un temple d’Apollon] digne de notre respect, et Athéna
au temple de bronze, et les vaillants Tyndarides [Castor et Pollux], qui le long de
l’Eurôtas prennent leurs ébats. Allons ferme, fais un pas ; oh ! Allons, bondis avec
légèreté, pour que […] » 24.
Il y a aussi une glose d’Hésychius (ψ 67) avec cette aphérèse : ψιά · χαρά,
γελοίασμα, παίγνια. (L’accent de ψιά est étonnant).
Il n’y a pas non plus d’étymologie établie pour cette famille de mots.
En conclusion, soulignons le poids énorme de la famille autour de παῖς « l’enfant,
le jeune ». Les deux verbes παίζω et παιδεύω expriment ensemble l’idée que le παῖς
fait l’enfant, en jouant, et que ce παῖς est à former, à hisser vers la maturité. C’est un
apprenti. Ajoutons enfin que ces familles exprimant le jeu s’opposent aux notions
qui expriment l’effort, la peine, le labeur (πόνος, ἔργον, πονέω, ἐργάζομαι). Mais
il y a des mots qui font le pont entre ces deux pôles : ce sont la τέχνη « art » et la
σοφία « habileté », peut-être la δεινότης « ingéniosité », qui sont communs ; le sérieux
σπουδαῖος, -α, -ον, n’est étranger ni au jeu ni au travail… La σεμνότης « solennité »
et la βαρύτης « gravité » sont peut-être, si on peut dire, hors-jeu.

Michel Casevitz
Professeur émérite
Université Paris Ouest

24. Trad. Van Daele 1946.

58
Les noms du jeu et du jouet en grec

Références bibliographiques
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Benveniste É. (1966), Problèmes de linguistique générale, t. I, Paris, Gallimard (Bibliothèque
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Chantraine P. (2009), Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des
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Perpillou J.-L. (1996), Recherches lexicales en grec ancien. Étymologie, analogie,
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no 171 (1 ; 3).
Van Daele H. (1946), Aristophane. Comédies, t. III : Les Oiseaux. Lysistrata, H. Van
Daele (éd. et trad.), Paris, Les Belles Lettres (CUF ; 49).

59
AMBIGUÏTÉ DES JEUX ET JOUETS
DANS LA CULTURE MATÉRIELLE DU MONDE ÉGÉEN
AUX ÂGES DU BRONZE MOYEN ET RÉCENT 1

L’âge du bronze moyen et récent (XXe-XIIe s. av. n. è.) 2 correspond dans le monde
égéen au développement des civilisations de la Crète minoenne (ca. XXe-XVIe s.) et
des royaumes mycéniens sur le continent (ca. XVe-XIIIe s.). Il s’agit de sociétés qui
ont produit une riche culture matérielle et une masse abondante d’objets à décor
figuré. Toutefois, la documentation sur les jeux pour cette période est, à première
vue, plutôt décevante si on la compare à celle de civilisations contemporaines en
Méditerranée orientale. Les données iconographiques et matérielles semblent
rarement se rapporter à cette sphère d’activités et les textes déchiffrés, inscrits en
Linéaire B sur les tablettes des palais mycéniens, se composent d’inventaires dont
le contenu ne fournit aucune information sur les pratiques ludiques.
On peut soutenir, en toute vraisemblance, que les Minoens et les Mycéniens
jouaient au cours de leur vie, notamment dans l’enfance, mais comment restituer
cette activité à partir des sources archéologiques ? L’enquête est assez ardue et
doit s’appuyer sur une méthode rigoureuse : l’identification d’objets comme des
jouets ou éléments de jeux exige de prendre en considération leurs caractéristiques
morphologiques, leurs dimensions, ainsi que leur(s) contexte(s) de découverte.
Toutefois, ces paramètres sont souvent insuffisants pour définir de façon
assurée la fonction des objets, souvent discutée entre partisans d’une orientation
religieuse d’une part et d’usages ludiques d’autre part. L’ambiguïté des jouets
entre ces deux domaines a souvent été soulignée 3, d’autant que les ethnologues

1. Je souhaite remercier pour leur relecture et leurs commentaires avisés Charlotte Langohr ainsi que
les deux rapporteurs, Athina Tsingarida et Laetitia Phialon.
2. Phases abrégées en BM et BR et subdivisées en trois grandes phases chronologiques ; on utilise une
terminologie distincte pour le continent grec (Helladique moyen et Helladique récent, abrégés HM
et HR) et la Crète (Minoen moyen et Minoen récent, abrégés MM et MR).
3. Lillehammer 1989, 99-100 ; Sofaer Derevenski 1994, 10 ; Baxter 2005, 47-50.

Kentron, no 34 – 2018, p. 61-86


Maia Pomadère

considèrent fréquemment le jeu comme un vestige de rites antérieurs dans les


sociétés traditionnelles 4. La prédilection pour une grille de lecture religieuse des
sociétés, par les ethnologues comme par les archéologues, a cependant pu conduire
à surestimer la valeur cultuelle des jouets et des jeux 5. Le sujet amène ainsi un
double questionnement :
1) les jouets et les jeux sont-ils représentés dans la culture matérielle égéenne
qui nous est parvenue – une faible part cependant, puisque tous les matériaux
organiques, périssables, ont disparu ?
2) les archéologues considèrent-ils le jeu comme une clé d’interprétation au
même titre que la sphère religieuse pour des objets dont le sens n’est pas évident ?
Je m’intéresserai en premier lieu à des catégories d’objets liées à l’enfance
qui proviennent surtout du monde mycénien. La première d’entre elles est celle
des figurines mycéniennes, dont la fonction et les usages sont depuis longtemps
débattus 6 ; les coquillages de l’espèce conus constituent un deuxième type de
possible vestige de jeux enfantins pour l’HR III. Nous nous pencherons en second
lieu sur les nombreux artefacts que l’on peut associer à la pratique des jeux de
plateau en Crète minoenne. Précisons d’emblée que les jeux « immatériels » ne
sont pas inclus dans cette analyse, en raison de la vaste bibliographie qui nous
entraînerait trop loin de notre sujet 7. Les mieux attestés appartiennent au domaine
du « sport » dans la sphère minoenne : la « boxe », connue par l’affrontement de
deux jeunes garçons peints sur une fresque d’Akrotiri à Santorin au BR I (Maison
Ouest, env. XVIIe s. av. n. è.), pouvait relever d’un entraînement quotidien ou d’un
rite particulier ; les deux dimensions y étaient probablement enchevêtrées, plus ou
moins fortement en fonction des occasions. Dans tous les cas, elle n’apparaît pas
comme un jeu typiquement enfantin : de jeunes hommes boxant sont visibles sur
le « Vase aux boxeurs » d’Haghia Triada (Crète) ainsi que sur d’autres supports 8.
Ces « jeux sportifs » pratiqués par les jeunes Crétois comprenaient aussi les célèbres
sauts de taureaux (taurokathapsies) principalement attestés à Knossos, que je
laisse ici de côté afin de nous concentrer sur les jeux « matériels ».

4. Guidetti et al. 2000, 54.


5. R. Caillois a bien montré que le jeu ne résultait pas simplement de la « dégradation d’une activité
sérieuse en amusement enfantin », mais que ces activités relevaient de registres différents :
Caillois 1967, 123-136.
6. Les figurines crétoises, très nombreuses au Minoen moyen et au Minoen récent, ne sont pas prises
en considération, car leurs contextes de découverte indiquent clairement des usages cultuels sans
lien particulier avec l’enfance : Morris 2009 ; Rethemiotakis 2001.
7. Références dans Rutter 2003, n. 57-60 ; Rutter 2014.
8. Coulomb 1981. Pour un panorama des sports minoens : Rutter 2014.

62
Ambiguïté des jeux et jouets…

Les jouets et jeux des enfants à la période mycénienne

Les figurines en terre cuite mycéniennes


L’historiographie montre une évolution des points de vue sur ces objets entre la
première partie du XXe s., où les chercheurs tenaient volontiers ces figurines pour
de possibles poupées, alors qu’elles apparaissent aujourd’hui dans la bibliographie
plutôt comme un accessoire rituel.
La production de ces figurines en terre cuite date principalement des XIVe-
XIIIe s. av. n. è. et accompagne donc le développement des royaumes mycéniens,
mais elle est attestée plus sporadiquement au-delà, jusqu’au XIe s. Les figurines
anthropomorphes en forment la majorité ; tous les exemplaires connus dans le
monde mycénien sont féminins 9, préfigurant un phénomène bien attesté pour la
petite plastique de terre cuite dans le monde grec. Chaque type anthropomorphe
est identifié par une lettre de l’alphabet grec, suggérée par la position des bras
de la femme (fig. 1). Celles dont les bras sont repliés sur la poitrine ou le ventre,
position ensuite schématisée par un corps rond rappelant la lettre grecque « Φ »
(Phi), datent de l’HR III A2-B1. Le type dit « Tau », dans lequel les bras sont réduits
à des moignons horizontaux, est plus rare et limité à l’HR III B. Pendant cette
phase, se développe également le type des figurines en « Ψ » (Psi), aux bras levés,
qui se subdivise en formes variées 10. Les Mycéniens produisent également des
figurines zoomorphes, quadrupèdes (surtout des bovidés 11) et, plus rarement, des
figurines complexes (cavaliers ou laboureurs menant leurs bœufs) (fig. 2) ; figurines
assises sur un siège ; figurines portant un enfant et dites « courotrophes » ; groupe
associant trois personnages.
Ces figurines étaient modelées en argile, façonnées simplement, mais avec
soin, puis peintes de lignes droites ou ondulées sombres sur un fond clair. Le
décor peint des représentations anthropomorphes figurerait un vêtement couvrant
l’ensemble du corps, souvent quelques éléments de parure (collier), une longue
chevelure ou, parfois, une coiffe conique (polos) ; seuls quelques détails anatomiques
étaient peints (yeux, arête nasale) ou modelés en relief (poitrine, nez). Toutes les
figurines mycéniennes sont de dimensions réduites, leur hauteur étant généra-
lement comprise entre huit et douze centimètres. Leur forme et leur décor sont
très standardisés, ce qui les rattache à une production de masse ; plusieurs sont
quasiment identiques. On doit donc les rapprocher de la production céramique

9. Si l’on excepte les groupes du type des cavaliers, une seule figurine masculine est connue et
mentionnée dans French 1971, 148.
10. French 1971, 126-142 ; 1981 ; 2009 ; Tzonou-Herbst 2002, 60-64.
11. French 1971, 151-158.

63
Maia Pomadère

pendant la période palatiale (HR III A2-B) ; elles sont d’ailleurs fabriquées avec
le même type d’argile et, probablement, par les mêmes artisans plus ou moins
spécialisés 12.
Morphologiquement, ces figurines sont adaptées à la manipulation par des mains
enfantines et correspondent à l’équipement attendu dans des jeux d’imitation, de
simulacre 13. Les sujets représentés sont en effet issus des réalités quotidiennes, miniatu-
risées. Comme dans le cas des poupées conçues universellement (représentant le plus
souvent une jeune mariée dans les sociétés traditionnelles, l’état le plus enviable pour
les petites filles 14), la grande majorité des figurines anthropomorphes est féminine ; les
figurines zoomorphes représentent des animaux domestiques, tandis que les autres
reproduisent des moyens de transport familiers (chars et chariots), reflets des activités
adultes (élevage, guerre) vraisemblablement valorisées 15 (fig. 2).
En outre, les contextes de découverte ont, dans un premier temps, orienté
l’interprétation vers une association à la sphère enfantine.

Les figurines dans les tombes d’immatures


Lors des fouilles de grandes nécropoles de tombes à chambre mycéniennes, les
archéologues mirent en évidence une association préférentielle des figurines
féminines aux sépultures d’enfants. Elle est effectivement manifeste dans plusieurs
cimetières attiques (l’Agora d’Athènes, Voula, Éleusis) et dans celui de Pylos 16.
Il ne s’agit pas d’un dépôt conventionnel dans l’ensemble du monde mycénien,
où elles n’ont été mises au jour que dans environ 15 % des tombes d’immatures
HR III A-B ; il faut donc restituer des coutumes régionales diverses 17. Si l’âge de
ces immatures lors de leur décès a trop rarement été estimé, les figurines semblent
essentiellement destinées aux nourrissons et jeunes enfants d’âge inférieur à six ans.
Dans les publications des nécropoles, ces figurines féminines sont alternativement
considérées comme des jouets, des objets apotropaïques ou religieux (infra).

12. Vraisemblablement dans un nombre d’ateliers limité. Le nombre d’ateliers de potiers identifiés est
très faible en Grèce mycénienne, mais l’Argolide semble être le principal centre de production :
Shelton 2009, 58-59 ; il est vraisemblable que les figurines découvertes près de l’atelier de potier de
Mastos à Berbati y furent fabriquées, mais leur nombre est largement inférieur à celui des vases :
Weiberg 2009, 61-75 ; Petrović 2009, 77-84 ; Schallin 2015.
13. Caillois 1967 ; Baxter 2005, 47.
14. Au Maghreb : Rossie 1993, 197 ; 2005, 61.
15. Rossie 2005, 89.
16. Blegen et al. 1973, 180-192 ; Immerwahr 1971, 109 ; Mylonas 1975, 249 ; Papadimitriou 1955, 31-32,
80, 90, 96.
17. Vetters 2016, 46.

64
Ambiguïté des jeux et jouets…

Malgré les prises de position de plusieurs chercheurs en ce sens 18, une association
exclusive aux sépultures d’enfants n’est pas toujours claire, surtout hors de l’Attique.
Les tombes mycéniennes étaient utilisées pour des inhumations successives, sur
de longues périodes, ce qui a engendré un grand désordre dans les chambres
funéraires, périodiquement nettoyées et subissant des « réductions » perturbant
les dépôts anciens. Rien ne permet d’assigner systématiquement une figurine à un
sujet immature découvert parmi d’autres sépultures dans une tombe, puisque l’on
dénombre quelques cas dans lesquels les figurines appartenaient clairement, en
dépôt primaire, au mobilier funéraire d’un adulte 19.
Les figurines animales et les chars miniatures sont rares dans les tombes
d’enfants mycéniennes 20. Pourtant, ils ont souvent été identifiés comme des jouets
en raison de leur aspect rappelant celui de jouets plus tardifs ou actuels, ce qui
traduit donc surtout les idées préconçues des archéologues. Cette interprétation
est d’autant plus discutable que le seul cas recensé in situ semble accompagner
un sujet adulte 21. Deux assemblages sont néanmoins remarquables dans une
tombe de la nécropole de Prosymna, non loin de Mycènes : deux amas de mobilier
réunissaient chacun des récipients en céramique de petites dimensions (compre-
nant un à deux « biberons », vases souvent associés à des enfants), quatre à cinq
figurines zoomorphes et un char miniature. K. Shelton, soulignant la similarité
des deux assemblages, a proposé d’y voir le reflet d’une certaine normalisation des
biens appropriés à une sépulture d’enfant (de garçon ?) dans cette communauté à
l’HR III B1 22. L’hypothèse est séduisante car il est clair que certains habitus (qui
peuvent varier selon les régions) codifient les pratiques funéraires mycéniennes,
mais elle doit encore être étayée par la découverte d’assemblages similaires auprès
de sujets immatures dûment identifiés par l’ostéologie. L’association préférentielle
des chars miniatures et des figurines zoomorphes aux enfants en contexte funé-
raire et, de ce fait, leur identification comme jouets, demeurent donc largement
à démontrer.
Pour pallier ces incertitudes, l’interprétation a pu se fonder sur l’étude plus
récente des figurines dans d’autres contextes.

18. Blegen 1937, 255-256 ; Polychronakou-Sgouritsa 1987, 23 ; Gates 1992, 168-169 ; Leuven 1994.
19. Tzonou-Herbst 2002, 203.
20. Contra Gates 1992, 170. Sur les cinq occurrences recensées dans les tombes d’enfants, n’apparaît
qu’un seul bovin (deux figurines ne sont pas formellement identifiées et les deux autres représentent
un volatile) ; certaines sont douteuses : un char découvert au centre de la tombe 3 du cimetière
d’Aspropilia à Rhodes, contenant deux individus adultes et un immature, est associé par l’inventeur
à l’enfant : Karantzali 2001, 23.
21. Tombe XXVII du cimetière de la Deiras à Argos (sépulture d’une femme) : Deshayes 1966, 83-85.
22. Shelton 1996, 290-291. Les deux groupes de mobilier HR III B1 n’appartiennent manifestement pas
à l’adulte inhumé à l’HR III B2 sur le sol de la chambre.

65
Maia Pomadère

Les figurines dans l’habitat et dans les espaces cultuels


Les recherches de I. Tzonou-Herbst ont mis en évidence le fait que les figurines
étaient plus nombreuses dans les secteurs d’habitat que dans les tombes : l’étude
précise des contextes de découverte sur les sites de Mycènes et de Prosymna fait
état de 4 381 figurines en contexte domestique pour seulement 212 figurines dans
les espaces funéraires 23. Dans l’habitat, la plupart des figurines se trouvaient
en position secondaire, brisées et fragmentaires, dans les types d’espaces les
plus divers et aux fonctions variées, domestiques et / ou artisanales, dans des
canalisations, remblais ou fosses / dépotoirs 24. D’après l’étude contextuelle minu-
tieuse réalisée par M. Vetters à Tirynthe, les figurines animales ou composites
ont été localisées à proximité de lieux de passage (seuils, escaliers). À la suite de
K. Kilian, elle leur attribue ainsi un rôle protecteur de ces espaces liminaux 25, une
fonction apotropaïque qui pourrait également concerner les espaces de production
artisanale, notamment métallurgique.
D’autres contextes orientent plus nettement l’interprétation vers une utilisation
cultuelle des figurines. Sur certains sites, la concentration d’un nombre important
de figurines ne peut résulter que de dépôts votifs, par exemple dans la pièce A du
complexe de Méthana en Argolide, où 150 figurines, parmi lesquelles les exemplaires
zoomorphes sont prédominants, ont été retrouvées 26. La présence dans cet assemblage
de dix chars tirés par des chevaux et d’autres groupes (cavaliers, bœufs et laboureur)
est remarquable, puisque j’ai relevé leur rareté dans les tombes. Ces animaux minia-
tures apparaissent donc plutôt comme des ex-voto. Dans ce cas, les chars comme les
bovidés auraient pu constituer la marque visuelle d’une classe sociale 27, les seconds
se substituant éventuellement au sacrifice de l’animal. Toutefois, même dans ces
dépôts clairement attribuables à un culte, on ne peut exclure un premier usage comme
jouets d’imitation, secondairement offerts à la divinité, ou déposés comme symboles
d’un avenir qui ne se réalisera pas (cavalier, laboureur), selon un processus connu
plus tardivement en Grèce dans des rituels dramatisant la fin de l’enfance 28. Ce type
d’offrande n’intervenait cependant pas dans tous les lieux de culte : les figurines sont

23. Tzonou-Herbst 2002, 109 ; également Tzonou-Herbst 2009.


24. Darcque 2005, 250 ; Tzonou-Herbst 2002, 192-195.
25. Kilian 1988, 148 ; Vetters 2015, 345.
26. Une seule figurine en Psi, l’ensemble se rattachant à l’HR III A-B : Konsolaki-Yannopoulou 2002,
25-36 ; 2016. Une concentration de figurines féminines et animales, associées à des statuettes,
provient des strates sous le sanctuaire d’Apollon Maleatas à Épidaure (Mont Kynortion) et du
mont voisin d’Arachnaion, identifiés comme des sanctuaires de sommet : Lambrinudakis 1981 ;
Psychoyos & Karatzikos 2015.
27. Konsolaki-Yannopoulou 2002, 33 ; 2016 ; Vetters 2016, 42 ; plus généralement, Crouwel 1981.
28. Wardle & Wardle 2007, 32 ; Schwarzmaier 2015.

66
Ambiguïté des jeux et jouets…

en nombre négligeable dans les pièces à banquettes considérées comme des sanctuaires
à Mycènes ou Phylakopi (Mélos), où l’on a, en revanche, mis au jour des statuettes de
terre cuite de dimensions supérieures, fabriquées au tour de potier 29.
La forme d’une partie des figurines, en Psi, fut en outre vraisemblablement
empruntée aux statuettes aux bras levés, d’origine crétoise, dont la nature religieuse
est bien avérée dans les sphères minoennes et mycéniennes 30 ; leur nature (effigie
d’une divinité ou représentation d’une dédicante) est toujours discutée, le geste
renvoyant plutôt à l’adoration par une mortelle 31. Cette connotation religieuse
suggère que les figurines en Psi, découvertes dans les tombes d’enfants, peuvent
être identifiées comme des êtres protecteurs de l’enfance, humains ou divins 32,
mais aussi comme une projection des rites que l’enfant ne pourra réaliser 33. Dans
tous les cas, l’opinion dominante restitue ces figurines mycéniennes dans des
rituels qui prennent place dans le cadre de cultes populaires et domestiques (au
contraire des statuettes, plus soignées, associées à la « religion palatiale ») 34, sans
que l’hypothèse ludique ait perdu tous ses défenseurs 35. Il paraît aujourd’hui vain
de tenter de distinguer ces usages : la documentation ethnologique montre qu’en
des lieux et en des temps très divers, les poupées sont chargées de significations
multiples ; leur intégration dans les jeux d’enfants n’est nullement contradictoire
avec un usage dans des rituels magiques 36 ou avec leur dépôt votif à d’autres

29. À Phylakopi, les figurines féminines de petites dimensions appartiendraient à des dépôts postérieurs
à celui des statuettes faites au tour : French 1985, 276. Seules deux figurines féminines en Phi
ont été mises au jour dans le complexe cultuel de Mycènes : Moore & Taylour 1999, 50 et 63. En
revanche, six figurines accompagnaient la statuette du « Lord » d’Asinè, mais elles s’inscrivent dans
des pratiques postpalatiales (HR IIIC) : Frödin et al. 1938, 308-310. Je laisse de côté les amas de
figurines découverts sous des sanctuaires du premier millénaire, qui soulèvent d’autres questions,
puisqu’ils ont parfois été réunis au début de l’âge du fer, lors de l’implantation du lieu de culte :
voir par exemple Darcque 2005, 296-298. La concentration de figurines courotrophes sur le site
d’Aphaia à Égine (HR IIIA-B) pourrait cependant signaler le culte d’une divinité mycénienne
de la fertilité : Pilafidis-Williams 1998, 4 et 135.
30. Ce type de statuette est bien connu dans la Crète néopalatiale et surtout postpalatiale : Alexiou 1958 ;
Nicholls 1970 ; Wright 1994, 75.
31. Whittaker 2009 ; Gaignerot-Driessen 2014.
32. Blegen 1937, 256 ; Mylonas 1956, 112, 119-120 ; Iakovidis 1966, 45. On a aussi proposé de les voir
comme des déesses de la fertilité : Leuven 1994, 51.
33. Pour des figurines placées à l’époque classique dans les tombes d’immatures : Schwarzmaier 2015 ;
Huysecom-Haxhi & Muller 2015, 434-435.
34. Nicholls 1970, 8 ; Hägg 1981 ; Renfrew 1985, 419 ; Kilian 1990, 196 ; Wright 1994 ; Pilali-Papastériou 1998 ;
Gallou 2005, 52-56.
35. Tamvaki 1973 et Tamvaki 1975 ; Gates 1992, 169 ; Wardle & Wardle 2007.
36. Pour des exemples de poupées-fétiches confondues avec les poupées-jouets en Afrique : Béart
1955, 81-121 ; Ucko 1968, 25, 436-437 ; chez les Mossi du Burkina, la « poupée de fertilité » de la
femme enceinte peut être transmise à l’enfant, après qu’elle a perdu tout son pouvoir magique :

67
Maia Pomadère

moments 37. Cette question méritera d’être reprise à nouveaux frais lorsque des
découvertes renouvelleront nos connaissances sur le contexte d’utilisation et,
éventuellement, les utilisateurs eux-mêmes.
Un paramètre important me semble toutefois négligé par les spécialistes des
figurines mycéniennes : leur fabrication de masse, normalisée, par des artisans (plus
ou moins spécialisés, puisqu’il pouvait s’agir de potiers) pour une fonction ludique
et un public enfantin, en somme une sorte d’« industrie des jouets », me paraîtrait
témoigner d’une attitude relativement moderne vis-à-vis de l’enfance 38. L’émer-
gence d’une culture matérielle spécifique aux enfants produite par les adultes serait
surprenante dans cette société mycénienne qui leur accorde par ailleurs très peu de
place dans l’iconographie ; les textes en Linéaire B ne mentionnent que de jeunes
travailleurs (enfants ouvriers et ouvrières textiles) au service des palais, indiquant
que l’enfance et ses jeux ne formaient qu’une courte phase dans la vie, au moins pour
une part de la population. La production de ces petits objets s’inscrit mieux dans le
contexte de nouvelles pratiques rituelles et cultuelles développées dans les royaumes
de l’HR III que dans le cadre d’un éventuel intérêt pour les activités enfantines.
En définitive, on ne peut écarter un usage possible, et selon moi probable, des
figurines mycéniennes, en particulier féminines, comme poupées, mais il ne s’agit
vraisemblablement pas de leur destination première. La diversité des contextes conduit
à privilégier une nature polysémique pour ces objets qui pouvaient être chargés d’un
sens différent selon le lieu, le moment, la région (l’association à l’enfance est plus
nette en Attique) et l’utilisateur 39. On ne peut donc exclure que leur production fût
générique et adaptée à des besoins variés selon les consommateurs.
Certains récipients en terre cuite miniatures modelés de l’HR III (classe FS 126,
surtout des bols et des cruches) présentent certaines analogies formelles avec les
figurines et peuvent vraisemblablement être analysés selon cette grille de lecture ;
leur rareté en contextes votifs et leur dépôt privilégié dans les sépultures d’enfants
en contexte funéraire rendent leur usage ludique plus vraisemblable encore que
pour les figurines 40. Ces récipients nécessitent toutefois une étude technologique

Guidetti et al. 2000, 56 ; chez les Pueblos du Nouveau-Mexique, des poupées imitant les divinités
Katchinas sont spécifiquement fabriquées pour l’amusement des enfants : Caillois 1967, 131-132 ;
dans le monde grec : Manson 1986, 10.
37. Manson 1992, 57.
38. Un artisanat de la poupée (articulée) se développe en Grèce aux périodes classique et, surtout,
hellénistique, ce que l’on peut mettre en parallèle avec un intérêt croissant pour l’enfance :
Manson 1992, 53 ; 1998, 435.
39. French 2009 ; Tzonou-Herbst 2009. Sur les problèmes posés par une polysémie des figurines de
terre cuite dans la Grèce archaïque et classique, voir Huysecom-Haxhi & Muller 2015, 422.
40. Lewartowski 2000, 118, tab. 24 ; Moore & Taylour 1999, 32-34 ; Mountjoy 1985, 151-208 ;
Wardle & Wardle 2007, 31 ; Pomadère 2007.

68
Ambiguïté des jeux et jouets…

approfondie pour mieux cerner leurs rapports de production avec les figurines
et les vases « canoniques » 41 : les ateliers fabriquaient-ils, en plus de la vaisselle
fonctionnelle et de la petite plastique, de petits pots pour les jeux des enfants ?

Les coquillages conus, un substitut des astragales et des dés ?


Dans le monde mycénien, les coquillages constituent une catégorie tout à fait diffé-
rente d’objets parfois mise en relation avec la sphère enfantine 42. Pourtant, ils sont
rares dans les tombes d’immatures mycéniennes, sauf peut-être dans la nécropole
de Pérati au sud de l’Attique, en usage à la fin de la période mycénienne (phase
postpalatiale, HR IIIC). S. Iakovidis y mit en évidence leur présence dans plusieurs
sépultures d’immatures, mais l’association n’est pas toujours assurée 43. Les coquillages
de l’espèce conus mediterraneus y sont prédominants, un trait également observé
dans la nécropole de Prosymna en Argolide, où le grand nombre d’ossements dans
les tombes et l’absence d’observations anthropologiques n’ont toutefois pas permis
d’établir un lien avec une catégorie d’âge (supra). Un lot de vingt-cinq coquillages
de la même espèce découvert dans l’habitat de Xéropolis (Lefkandi, Eubée) dans
un askos d’un type spécifique aux enfants en contexte funéraire (FS 194) semble
néanmoins confirmer la relation entre les conus et les enfants (fig. 3) 44. Il s’agit d’une
espèce consommée, mais le faible nombre de conus dans les tombes comme dans
les habitats ne suggère pas qu’ils résultent de repas ou d’offrandes alimentaires ; en
revanche, leur forme régulière et le travail sur une face externe, lissée, ont laissé
penser que ces cônes auraient pu constituer les éléments de jeux 45, semblables aux
astragales surtout attestés en Grèce au premier millénaire : ces derniers possédaient
en effet une face plane dotée d’une valeur numérique différente de celle des autres 46.

41. Furumark 1941, 604 ; Mountjoy 1986, 93 et 101 ; Darcque 2005, 205-232, fig. 55-71. L’intérêt pour
les objets miniatures s’est récemment développé dans le monde égéen, mais la bibliographie
concerne surtout les productions minoennes, où les vases miniatures ont le plus souvent une
fonction cultuelle indubitable : Smith & Bergeron 2011 ; Hammond 2009 ; Tournavitou 2009 ;
Simandiraki 2011 ; Knappett 2012.
42. Polychronakou-Sgouritsa 1987, 24.
43. La moitié (quatorze groupes) proviendrait de tombes d’immatures, alors qu’ils n’accompagneraient
qu’un seul adulte : Iakovidis 1969-1970, 364. L’association coquillages-enfants est assurée dans les
tombes 37, 46α, Σ 23α ; elle est fort probable dans les tombes 7, 33, 104 et 116 ; peu assurée en Σ 3 :
Iakovidis 1969-1970, 364 ; une occurrence à Paros : Koukounariès, T. 1 ; Lewartowski 2000, 42.
44. Sur cette forme céramique : Furumark 1941, 68 ; Pomadère 2007, 411 ; Evely 2006, 28, 147-148 ;
Reese 2006, CD-25-28. S’agissait-il du « trésor » d’un enfant placé dans ce petit vase, dont le décor
rappelle celui des figurines ?
45. Reese 1983, 356. L’abrasion a parfois entraîné un percement : Karali 1999, 42 ; l’usage comme élément
de parure est ainsi une autre hypothèse : Reese 2006.
46. Becq de Fouquières 1869, 330-331. On jouait normalement avec quatre osselets, nombre de cônes
que l’on retrouve également dans deux tombes de Pérati : Becq de Fouquières 1869, 334.

69
Maia Pomadère

Quelques cônes de Pérati étaient remplis de plomb ; c’est aussi le cas de huit
exemplaires mis au jour dans le « centre cultuel » de Mycènes parmi plus de 500 cônes,
et de quelques autres exemples dans des tombes mycéniennes 47. L’adjonction de
plomb lestait les coquillages, peut-être de façon à les utiliser de la même manière
que des osselets 48. L’alourdissement de certains d’entre eux est une pratique attestée
pour les astragales provenant de diverses régions de Méditerranée orientale aux
second et premier millénaires av. n. è. ; cela permettait en effet de renverser ou
d’écarter les autres osselets au cours des jeux 49. La règle du jeu appliquée aux cônes
aurait ainsi pu être comparable, même si ce type de « pion » peut donner lieu à des
jeux d’adresse ou de hasard très divers 50.
Les contextes funéraire et religieux des cônes mycéniens sont similaires à ceux
des astragales de la Grèce classique, consacrés dans des sanctuaires (notamment
l’Antre corycien) ou placés dans des tombes, le plus souvent d’enfants. Il semble que
le jeu des astragales n’était en revanche pas répandu dans le monde égéen durant
le second millénaire : l’un des seuls exemplaires connus provient d’une tombe cré-
toise « palatiale finale » (Katsamba, MR II-IIIA) 51, alors qu’ils sont bien attestés de
l’Anatolie au Levant aux âges du bronze moyen et récent 52. L’unique dé clairement
identifié en Égée date également de la période mycénienne et provient aussi de
Crète : il s’agit d’une pièce cubique en ivoire découverte à Chania 53. Ces éléments,
comme les conus du continent, pourraient signaler un développement des jeux de
hasard au BR III. Malheureusement, pour cette période, nous ne connaissons aucun
tablier de jeu ni aucune représentation iconographique de cette activité.
Pour les jeux de table ou de plateau, il faut se tourner vers des indices égéens
antérieurs, principalement localisés en Crète et dans l’aire d’influence des Minoens.

Les jeux de plateau en Crète minoenne


La Crète du Minoen moyen-Minoen récent I offre en effet d’autres témoignages
de jeux pratiqués au-delà de l’enfance. Les pierres à cupules forment une catégorie
d’artefacts bien représentée sur les sites de l’île, objets de discussions nourries entre

47. D’autres exemplaires remplis de plomb proviennent de divers sites continentaux, des Cyclades et
du Dodécanèse : Karali 1999, 42.
48. Karali 1979, 273 ; Karali 1999, 42.
49. Amandry 1984, 370 ; Gilmour 1997.
50. Les coquillages pourraient aussi être des pions de jeux de plateau : Hillbom 2005, 280.
51. Les marques numériques percées sur les faces authentifient une fonction analogue à celle d’un dé :
Hillbom 2011, 313-314.
52. Gilmour 1997.
53. Hallager & Hallager 2003, 70 (HR IIIB, mais il n’est pas impossible que le dé appartienne plutôt
au niveau HR IIIC) ; Hillbom 2011, 316-317.

70
Ambiguïté des jeux et jouets…

partisans d’un usage ludique et ceux qui y voient un équipement religieux, destiné
à des rites d’offrandes et / ou de libations, du type de la « panspermia » (offrande des
premiers fruits) 54. Elles sont alors qualifiées de façon plus tendancieuse de « kernos »
ou « tables à offrandes ». À la suite d’A. Evans, les chercheurs semblent aujourd’hui
privilégier l’hypothèse de plateaux de jeu, même si de nouvelles identifications, plus
ou moins fondées, sont périodiquement proposées 55.
Ces dalles de pierre sont creusées de petites cupules formant généralement un
cercle, mais parfois réparties selon des lignes parallèles. Elles ont été trouvées par
dizaines dans les villes de Crète (un peu moins de 200 sont recensées par l’auteur
de la principale étude sur le sujet) 56. La plupart proviennent d’espaces ouverts ou
publics (places, rues) où elles constituaient des dispositifs fixes, souvent insérés
dans le sol (dallage, trottoir). Leur facture est très hétérogène, la plupart des pierres
étant seulement ébauchées alors que d’autres exemplaires ont été soigneusement
taillés. Le nombre de cavités varie également, ces dernières oscillant le plus souvent
entre dix et vingt.
Certains de ces aspects orientent l’interprétation en faveur du jeu : leur fréquence
dans plusieurs agglomérations indique un usage quotidien et pour des catégories
sociales variées ; H. Whittaker a bien montré que la présence de certaines dans les
cimetières s’accordait également avec leur fonction ludique, si les Minoens associaient
les jeux de hasard à la mort, comme en Égypte 57 ; la très faible profondeur des cupules
pour de nombreux exemplaires est inadaptée pour recevoir une offrande alimentaire
(solide ou liquide), alors que la simple marque permet de jouer 58. Une dalle épaisse
en marbre ébauché (0,58 × 0,34 × 0,20 m) dotée de cupules superficielles (vingt
et une marques piquetées, encadrant une cupule centrale, correspondant au type
A2 d’Hillbom) a été découverte en 2008 dans une maison de Malia (bâtiment Pi,
pièce 12, fig. 4) : la dalle, solidement calée par des moellons, se trouvait en position
centrale dans une petite pièce aux fonctions polyvalentes (préparation alimentaire,
débitage d’obsidienne), près d’un foyer et de grands mortiers 59. Je l’identifierais
volontiers comme une table de travail, en raison des traces d’usure observables sur
la surface. Cet équipement du travail domestique aurait ainsi pu occasionnellement

54. Chapouthier 1928 ; Van Effenterre 1955 ; Whittaker 2002 ; pour la bibliographie : Hillbom 2011.
55. « Pavement games », Evans 1930, 390-396. L’interprétation religieuse a été récemment relancée par
Cucuzza 2010, qui propose en outre d’y voir un équipement lié à la redistribution des biens. L’idée
d’objets symboles des lieux de transition / transformation présentée par Q. Letesson me semble
une construction théorique assez fragile : Letesson 2015.
56. Hillbom 2003. Certains blocs dotés de large(s) cavité(s) utilisés dans des sanctuaires de sommet
appartiennent plutôt à la catégorie des tables à offrandes / kernoi, cf. Karetsou 2012.
57. Whittaker 2002, 80-81.
58. Hillbom 2003, 31
59. Pomadère 2009, 639.

71
Maia Pomadère

être transformé en plateau de jeu. Aucun objet adjacent n’a pu être formellement
identifié comme jeton, mais il est évident que de simples cailloux, des coquillages
ou des graines auraient pu revêtir cette fonction. Un jeton en terre cuite et des
galets ont par ailleurs été identifiés à proximité de trois à quatre pierres à cupules
en Crète 60, donnant une idée des objets peut-être spécifiquement recueillis et / ou
fabriqués pour ces jeux de plateau. En revanche, aucun dé ou groupe d’astragales,
destinés à faire avancer les pions dans les jeux de plateau du même type en Orient,
n’a été signalé auprès de ces pierres à cupules crétoises, puisque nous avons déjà
souligné leur absence avant le BR II/III 61. Pour appuyer l’idée de leur usage ludique,
les dalles à cupules minoennes ont été comparées à des jeux de plateau égyptiens (le
Senet, le Mehen ou le jeu des cinquante-huit trous), en raison des relations établies
entre ces régions à l’âge du bronze ; ces jeux égyptiens connus dès le IVe millénaire
se sont diffusés dans une large zone de la Méditerranée orientale, surtout au second
millénaire 62. Toutefois, ils ne sont pas attestés en Crète, ce qui signale certainement
des échanges de plus faible intensité, et peut-être aussi la popularité précoce d’un
jeu local sur les pierres à cupules, attestées à partir du Minoen ancien II. Les pierres
à cupules crétoises ressemblent surtout à des exemplaires chypriotes, mais ces
derniers dessinent le plus souvent des spirales indiquant l’adoption du jeu égyptien
du Mehen, ou 3 rangées de 10 cupules pour jouer au Senet 63 : il serait curieux que
les Crétois aient adapté ces jeux sans que leur introduction sur l’île n’ait laissé
de traces. Un aspect qui rapproche toutefois les dalles à cupules minoennes du
Mehen est la variabilité du nombre des cupules. Si les jeux de société attestés en
Méditerranée orientale au second millénaire se composent le plus souvent d’un
nombre de cases standardisé (3 × 10 trous pour le Senet par exemple), une impor-
tante variabilité a été observée dans le cas du Mehen, populaire en Égypte pendant
l’Ancien Empire 64. Le « jeu des pierres à cupules » était-il régi par une règle fixe,

60. Q. Letesson signale la découverte en 2013 d’un amas de galets auprès d’une table à cupules à
Palaikastro : Letesson 2015, n. 15.
61. Sur la variété des objets utilisés comme pions : Hillbom 2005. N. Cucuzza a signalé l’association
de douze astragales à neuf cupules creusées sur une pierre, dans un niveau du Néolithique final, à
Phaistos : Cucuzza 2010, 137.
62. Whittaker 2002, 76-77 ; Hillbom 2003, 29 ; Tenu 2012, 135. D’autres pierres à cupules proviennent
des régions syro-mésopotamiennes, de Chypre et du monde hittite, où elles sont, comme en Crète
(et souvent en référence à cette dernière), alternativement interprétées comme des plateaux de jeu
ou des tables à offrandes : Voogt et al. 2013.
63. Crist et al. 2016, 34-36.
64. Comptant quarante-neuf à quatre cents cases, le Mehen disparaît cependant assez tôt, au troisième
millénaire : Crist et al. 2016, 17, 32-33. Le nombre de cases du jeu de mancala, dont on peut rapprocher
les pierres à cupules, affiche également une certaine variabilité : Voogt 1999 ; Voogt et al. 2013,
1720-1721 ; l’ancienneté des jeux de mancala est discutée, pour des exemplaires néolithiques au
Levant (?) : Simpson 2007.

72
Ambiguïté des jeux et jouets…

quel que soit le nombre de cases ? Des baguettes à lancer (en bois ?) étaient-elles
utilisées, comme en Égypte, en l’absence d’astragales (les coquillages conus n’étant
pas présents dans ces contextes crétois 65) ? Il reste donc certains mystères autour
des règles et des modalités pratiques du jeu, dont on peut douter qu’ils ne puissent
jamais être résolus 66.
Du fait de ces incertitudes, on ne peut écarter d’autres usages : en particulier, la
destination des cupules pour recevoir des petits vases, telles les coupelles coniques si
abondantes dans l’habitat néopalatial en Crète, pourrait être envisagée, mais elles sont
parfois si rapprochées qu’un alignement des récipients devient impossible (fig. 5) 67.
L’hypothèse ludique paraît ainsi, à ce jour, la plus vraisemblable. Les habitants de
Malia et d’autres villes minoennes auraient pu s’installer dans des espaces privés ou
publics variés pour s’adonner à des « jeux de société ». Quatre exemplaires maliotes
formés de blocs monumentaux aux finitions très soignées étaient certainement
destinés à l’élite locale, trois provenant du palais lui-même. Leur forme identique
indique l’existence d’une référence commune, mais le nombre de cupules est là
encore différent. On imagine souvent pour ces pierres à cupules plus élégantes des
jeux à connotation symbolique, religieuse, ou divinatoire 68, comme si la « simple »
pratique du jeu comme loisir n’était pas envisageable pour les occupants des palais.
La localisation de la plus grande, face à un banc en bordure de la cour centrale
du palais de Malia, semble pourtant adaptée au jeu. Ce loisir aurait, en outre, pu
constituer un marqueur social. L’aspect monumental de cette pierre à cupules
plaide moins, en revanche, pour l’usage ludique, car l’agrandissement du circuit et
l’approfondissement des cupules ne facilitent pas le jeu de parcours.
La pratique des jeux de plateau dans l’élite palatiale est attestée à Knossos, où
le palais a livré un tablier de jeu extrêmement luxueux, composé d’une marqueterie
combinant l’ivoire, l’argent, le verre, l’or et le cristal de roche ; des pions coniques
en ivoire y étaient associés 69. D’autres pions zoomorphes en ivoire proviennent du
premier palais de Phaistos et l’on peut se demander si certains sceaux-cachets (dits
« petschaft ») en ivoire ou en pierre du MA-MM I, dont la forme animale rappelle
celle des pions, n’auraient pas pu avoir le même usage 70. Un sceau protopalatial

65. Les baguettes, qui pouvaient être en os ou en ivoire, ne sont jusqu’à maintenant pas attestées hors
de l’Égypte et d’Ougarit : Gachet-Bizollon 2007, 212.
66. N. Hillbom avance différentes propositions de règles : Hillbom 2003, 45-50.
67. L’exemple du bâtiment Pi de Malia, en contexte domestique, s’accorde cependant difficilement
avec un usage des pierres à cupules pour une « redistribution palatiale » via de petites rations, telle
que proposée par Cucuzza 2010, 139-140. Sur la dalle illustrée provenant du trottoir de la « rue de
la mer » à Malia, la distance entre les cupules est de deux à trois centimètres.
68. Van Effenterre 1955, 544-546 ; Hillbom 2003, 52-54.
69. Hillbom 2004.
70. Pour des exemples de pions protopalatiaux : Levi 1952-1954, 408 et 414, fig. 36 ; Whittaker 2002, 82-83.

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Maia Pomadère

pourrait figurer un individu jouant, face à un tablier rectangulaire qui semble doté
de deux pieds (en bois ?) 71, rappelant l’exemplaire de Knossos, mobile, plutôt que
les dalles à cupules (fig. 6). On peut toutefois se demander pourquoi les Minoens
n’ont pas davantage représenté le jeu sur pierre à cupules, si l’engouement pour ce
dernier était bien réel. Rappelons enfin que, bien que les Mycéniens aient adopté
certains traits culturels minoens ainsi que les premiers dés égéens (supra), les
sites continentaux n’ont pas encore révélé de vestiges attribuables à des jeux de
plateau analogues 72.

En conclusion, jeux et jouets forment une catégorie difficilement détectable par


l’archéologie dans le monde égéen en l’absence de textes ou d’images qui y réfèrent.
L’ambiguïté des jouets dans ces sociétés où les sphères religieuse et profane ne
sont pas cloisonnées peut décourager l’interprétation. Les analyses contextuelles
et celles des modes de production, de plus en plus fines, permettent néanmoins de
progresser dans la compréhension des usages de différents artefacts : les figurines
mycéniennes présentent d’évidentes caractéristiques cultuelles qui interdisent d’y voir
d’abord ou seulement des poupées, même si leur usage dans des jeux de simulacre est
vraisemblable. Les jeux des enfants devaient surtout être fabriqués par eux-mêmes et
dans des matériaux organiques, perdus 73. Il faut en revanche probablement restituer
une place au jeu dans les activités quotidiennes des Crétois au bronze moyen et
récent I : bien que les jeux de plateau y semblent moins développés qu’en Égypte,
cet aspect – comme de nombreux autres – rattache la Crète minoenne à l’ensemble
de la Méditerranée orientale. Ces activités quotidiennes, qui pouvaient être mêlées
de rituels ou de magie, pourraient ainsi constituer une facette complémentaire de
la pratique religieuse dans ces sociétés.

Maia Pomadère
UMR 7041 – ArScAn
Université Paris I Panthéon-Sorbonne

71. Evans 1921, 125 ; CMS VI 045a (Tourloti, Sitia ?). Un tablier à damier orthogonal apparaît également
sur un sceau prépalatial portant le signe égyptien du Men : Evans 1921, 126. A. Evans interpréta
en outre un fragment de fresque miniature du palais de Knossos comme une scène figurant des
enfants jouant, à genoux sur le sol, mais aucun élément de jeu de plateau n’y est visible : Evans
1930, pl. XXV.
72. S. Hiller mentionne deux kernoi ou « gaming boards » minoens à Kolonna à Égine, vraisemblablement
dans des niveaux du bronze moyen : Hiller 2009, 37 ; pour quelques occurrences à Théra et Naxos,
voir Hillbom 2011, n. 147-148.
73. La fabrication du jouet est alors souvent plus importante dans le jeu que le produit fini : Rossie 2005,
27-38. Les rares représentations d’enfants semblent liées à des contextes religieux.

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Ambiguïté des jeux et jouets…

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82
Ambiguïté des jeux et jouets…

Fig. 1 – Figurines en Tau, Psi et Phi HR IIIA-B.


British Museum, Wikimedia Commons

Fig. 2 – Figurines de bœuf et laboureur (PM 5502)


et d’un personnage sur un char tiré par un cheval (PM 5486).
Sanctuaire d’Ayios Konstantinos à Methana.
D’après Konsolaki-Yannopoulou 2016, pl. XXIa et XIXe

83
Maia Pomadère

Fig. 3 – Coquillages conus.


Askos P4 (65/P156) et les coquillages conus qu’il contenait.
Lefkandi, d’après Evely 2006, pl. 21.5

Fig. 4 – Dalle à cupules (US 4.119),


Malia, bâtiment Pi, espace 12.
Dessin T. Gomrée

84
Ambiguïté des jeux et jouets…

Fig. 5 – Dalle à cupules, Malia, « rue de la mer »,


recharge du trottoir devant la maison Delta gamma.
Photo M. Pomadère

Fig. 6 – Sceau prismatique, dessin,


Corpus der Minoischen und mykenischen Siegel VI, 045a.
Avec l’aimable autorisation du CMS,
Institute of Classical Archaeology, University of Heidelberg

85
ENCORE SUR
LA « MARELLE RONDE » :
CENT ANS APRÈS CARL BLÜMLEIN 1

Parmi les nombreux motifs gravés dans les pavés marbrés des villes romaines, le
cercle traversé de quatre lignes qui se coupent en son centre est certainement le
motif le plus fréquent 2. Pendant longtemps, on ne savait pas comment interpréter
ces « roues à rayons ». Il y a un peu plus d’un siècle, l’idée est née qu’il s’agit là
d’une version ronde de la petite marelle (ou mérelle) à trois pions (« three men’s
morris »). Ce jeu, paraît-il, a été décrit brièvement par Ovide, qui en parle dans
Ars amatoria III, 365-366, et Tristia, II, 480-481. Dans son Libro de los juegos de
1284, Alphonse X en donne une description plus détaillée ainsi qu’une illustration
au fol. 95a 3. Cependant, la petite marelle se joue sur un plateau carré.
L’idée de la petite marelle ronde est née autour de 1900. Par exemple, pour Émile
Boeswillwald, une « roue » inscrite dans les dalles du forum de Timgad était sans
doute un « jeu de marelle » (fig. 1, page suivante) : « Pour terminer, nous signalerons,
gravé sur le dallage en m, un jeu de marelle, dont nous donnons le dessin ci-contre.
Le diamètre du cercle est à peu près de 0 m. 60. On sait que le sol de la basilique
julienne, sur le forum romain, offre de nombreux exemples de figures semblables.
Il fallait bien, à Timgad comme à Rome, que les désœuvrés s’occupassent ; dans les
provinces aussi bien que dans la capitale il y avait des gens “assez pervers, comme
disait Cicéron, pour oser jouer aux dés même au forum” » 4.
Toutefois, encore en 1913, Harold J.R. Murray ne voyait pas quelle interprétation
on pouvait donner à ces dessins : il plaçait le modèle circulaire à côté de la
version carrée avec la légende « Boards for the Smaller Merels », mais avouait que

1. Cet article est issu des recherches soutenues par le projet ERC (European Research Council) Locus
Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity, implanté à l’université de
Fribourg, http://locusludi.unifr.ch.
2. Voir Schädler 2012, 21-22.
3. Schädler & Calvo 2009, 295-296 ; 298-299.
4. Boeswillwald et al. 1905, 27.

Kentron, no 34 – 2018, p. 87-98


Ulrich Schädler

Fig. 1 – « Jeu de marelle » à Timgad,


d’après Boeswillwald et al. 1905, p. 27

« their purpose is unknown » 5. C’est Carl Blümlein qui donne finalement les
règles de ce jeu et un exemple de partie (fig. 2), inspiré de Becq de Fouquières,
qui l’avait proposé pour la version carrée – une interprétation qui a tout de suite
convaincu (fig. 3) 6.
Ainsi, Hans Lamer écrivait en 1927 que la petite marelle ronde était le seul jeu
de pions antique dont les règles étaient conservées 7. Aujourd’hui, la petite marelle
ronde est souvent considérée comme le jeu de pions le plus populaire des Romains ;
les médiateurs et médiatrices culturelles des musées archéologiques y jouent avec
leurs jeunes visiteurs, et de nombreuses éditions commerciales sont mises en vente.
En 2007, dans une conférence intitulée « Ashtapada and round smaller merels :
two newly invented “ancient” board games ? », donnée à l’occasion du Xe colloque
« Board Game Studies » à Sankt Pölten (Autriche), j’ai exprimé mes doutes concernant
l’interprétation des « wheel patterns » comme plateaux de jeu pour une version ronde
de la petite marelle à trois pions. J’ai relevé que ce jeu n’est attesté nulle part dans le
monde et que des « roues » d’entre 70 et 120 cm de diamètre gravées dans les dalles de
la Basilica Iulia ne permettent certainement pas de placer trois petits pions en ligne.
J’avançais l’hypothèse que ce jeu était plutôt une invention des archéologues modernes.

Fig. 2 – Exemple de partie de la « marelle Fig. 3 – Exemple de partie de la petite


ronde », d’après Blümlein 1918, p. 101 marelle, d’après Becq de Fouquières
1869, p. 390

5. Murray 1913, 614 ; à comparer avec Murray 1952, 38-42, mais voir 18, note 3, avec fig. 7B.
6. Blümlein 1918, 101. À comparer avec Becq de Fouquières 1869, 389-390.
7. Lamer 1927.

88
Encore sur la « marelle ronde » : cent ans après Carl Blümlein

Fig. 4 – Jeu de lancer, Villa del Casale,


Piazza Armerina (photo U. Schädler)

J’étais conforté dans mon opinion par une étude que Florian Heimann avait sou-
mise au Board Game Studies Journal en 2005, mais publiée, à cause de l’arrêt de
la publication de la revue au format papier, seulement en 2014 dans sa version en
ligne 8. Il a montré que la règle proposée par Carl Blümlein en 1918 avait de graves
défauts, qui ont pour conséquence que le jeu, en réalité, ne fonctionne pas.
Indépendamment de Heimann, Claudia-Maria Behling est arrivée aux mêmes
conclusions et a suggéré que les « roues » auraient servi de plateaux pour un jeu
similaire au « franc du carreau » 9. Ce jeu, mentionné entre autres par Rabelais au
XVIe siècle et illustré par Stella un siècle plus tard 10, consiste effectivement à lancer
des pièces de monnaie ou des palets sur un plateau identique à la petite marelle : un
carré divisé par quatre lignes verticales, horizontales et diagonales. Le but du jeu est
de les lancer avec l’intention de trouver le centre ou de placer la pièce le plus proche
du centre sans qu’elle touche une ligne (ou bien, comme l’explique le Dictionnaire
de Trévoux, « sur l’endroit le plus éloigné des raies ou bords du carreau » 11). Le terme
« franc » ne fait bien sûr pas référence au type de monnaie ; c’était ce placement
dégagé à l’intérieur du carré que l’on appelait « franc ».
Cette proposition de Behling est effectivement confirmée par la représentation
de ce jeu sur une des mosaïques de la Villa del Casale à Piazza Armerina, une
représentation qui lui a échappé (fig. 4).

8. Heimann 2014.
9. Behling 2013 ; Behling 2014, part. 65.
10. Esmangart & Johanneau 1823, 406 avec note 56 ; Bouzonnet Stella & Stella, 1657, 17.
11. Brillant 1771, 290.

89
Ulrich Schädler

Fig. 5 – Topos marker de Paulos Theodoros,


Samos, sanctuaire de Héra (photo U. Schädler)

Sur la mosaïque, sont représentés deux jeux différents. À droite, un garçon lance
des palets pour qu’ils forment une ligne droite. À gauche, en revanche, un autre
garçon lance des palets dans un cercle divisé par deux lignes, dessiné par terre. Les
quatre sections créées par les lignes à l’intérieur du cercle sont déjà occupées par
quatre palets, qui ne touchent pas les lignes et donc se trouvent exactement dans
une position « franche ». Le garçon vient de lancer le cinquième palet au centre du
plateau, là où les lignes se croisent. La position des palets correspond parfaitement
aux descriptions et règles du « franc du carreau », dont on identifie ici une version
ronde. Il est évident qu’une variante plus difficile consisterait à jouer avec un plateau
traversé par huit rayons au lieu de quatre.
Cependant, les « roues » sont effectivement trop nombreuses pour avoir servi
exclusivement comme plateau pour le « franc du carreau ». D’autres fonctions sont
fort probables ; j’en évoque ici quelques-unes, sans vouloir traiter cette thématique
de façon exhaustive. Ainsi, Charlotte Roueché a proposé de voir dans certains de ces
motifs des « topos markers » 12. Il s’agirait de symboles gravés dans le pavement pour
indiquer la place destinée à une personne, comme, par exemple, à un marchand, ou
à des participants à des cérémonies ou à d’autres manifestations. Deux exemples
portant des inscriptions confirment cette interprétation : sur le marché de Philippes,
on trouve une « roue » avec l’inscription ΙΩΑΝΝΟΥ ΜΑΓΡΟΥ, c’est-à-dire « (la
place de) Jean le boucher » 13. Et, dans le sanctuaire de Héra de Samos, se trouve
une « roue » estampillée ΠΑΥΛΟΥ ΘΕΩΔΟΡΟΥ, c’est-à-dire « (la place de) Paulos
Theodoros » (fig. 5).

12. Roueché & Chaisemartin 1993.


13. Coupry 1946.

90
Encore sur la « marelle ronde » : cent ans après Carl Blümlein

Fig. 6 – Plaque en marbre, plateau du Ludus duodecim scriptorum ?


Musei Capitolini, d’après Lanciani 1876, Tav. XXI, fig. 1

Le motif de la roue apparaît aussi dans des contextes liés à une symbolique de
bonheur ou de victoire. Sur la fameuse plaque de marbre – s’agit-il d’un véritable
plateau de jeu ou bien n’est-ce qu’un panneau utilisé comme plateau de jeu ? – servant
pour le jeu des XII Scripta/Alea des venatores 14, conservée aux musées du Capitole
et portant l’hexagramme « ABEMUS IN CENA / PULLUM PISCEM / PERNAM
PAONEM », les symboles séparant les couples de mots au milieu sont les suivants :
un rameau de palmier, une feuille et une « roue » (fig. 6) 15. Le palmier, symbole par
excellence de la victoire, est offert aux auriges vainqueurs des courses au cirque.
Les feuilles représentent une forme abrégée de la couronne de laurier et se trouvent
dans le contexte de représentations de gladiateurs victorieux. Parmi les graffitis
trouvés en 1904 sous la Via Nazionale à Rome, deux gladiateurs lèvent une feuille
avec la main droite 16. Les deux mosaïques des gladiateurs provenant de la Voie
Appienne et conservées au Musée archéologique national de Madrid en donnent un
autre exemple : la phrase « Astyanax vicit » sur MAN 3600 ainsi que l’acclamation
« Symmachi homo felix » sur MAN 3601 sont accentuées par une feuille 17. Avec le
rameau de palmier, les feuilles de laurier forment le couple « palma et laurus » 18. Il
est donc fort probable que, sur le plateau des venatores, la « roue » serve également
de symbole de victoire et de bonheur.

14. La plaque est « signée » par les « benatores » : « venatores ».


15. Lanciani 1876, Tav. XXI, fig. 1. Voir la description de cette figure, 188-189.
16. Gatti 1904, fig. 2 et 4.
17. Blake 1940, 112-113 ; Oliver 1957, 13 ; Fagan 2011, 138. Les inscriptions : CIL VI 10205 = VI 33979 = ILS
5140 = EAOR 1.114.
18. Marrou 1941 ; Coche de la Ferté 1961, 139.

91
Ulrich Schädler

Fig. 7 – « Roue à rayons », Éphèse, Arkadiané


(photo U. Schädler)

Apparemment, cette même signification est indiquée par l’inscription « ΝΙΚΑ


Η ΤΥΧΗ ΟΛΥΜ[…]ΔΟΣ » autour d’une « roue » se trouvant à Éphèse, dans la rue
qui mène du port au théâtre, appelée l’Arkadiané 19. Sur l’Embolos, autre grande voie
d’Éphèse, à l’est de la fontaine de Trajan et sur le côté nord de la rue, se trouvent une
petite « roue » et, juste à côté, l’acclamation « ΝΙΚΑ Η ΤΥΧΗ ΠΡΑΣΙΝΩΝ » en faveur
de la faction des verts 20. Une autre, de nouveau dans l’Arkadiané, porte la prière
ΚΥΡΙΕ ΒΟΗΘΕΣΟΝ 21. Le motif de la roue accompagne donc des acclamations et
des prières et place même les affaires de Jean et Paul 22 sous de bons auspices. Outre
cette symbolique positive, les roues pouvaient également, semble-t-il, assumer une
fonction apotropaïque : en effet, on les trouve souvent placées directement devant
des entrées ou bien gravées dans des seuils. Peut-être que l’on peut associer aussi
un motif de roue sur les gradins de la Basilica Iulia à Rome. Un cercle, dont les
huit rayons ne sont indiqués que par des traits courts, entoure l’inscription « Sena-
tus populus(que) [Romanus ex] oraculo » (CIL VI 29850) 23. Ce graffito, tracé de
manière improvisée par un inconnu, reprend le texte d’un groupe d’inscriptions
bilingues trouvé à proximité et se référant également à un oracle (IGUR 94-97).
Deux de ces inscriptions font appel aux ἀποσίκακοι θεοί et à Ἀθάνα ἀποτροπαία,
et sont donc clairement liées à une crise ou à un désastre, peut-être la peste de 166.

19. Schädler 2012, 22, fig. 7.


20. Engelmann et al. 1980, no 1198. Rappelons que la faction des verts désigne l’écurie des verts dans le
cirque, pour les courses de chars ; les autres factions étant celles des blancs, des rouges et des bleus.
21. Lessing & Oberleitner 1978, fig. 62.
22. Jean et Paul étant les deux personnages mentionnés dans les « topos markers » décrits plus haut :
Johannes le boucher à Philippes, et Paulos Theodoros à Samos (cf. p. 4).
23. Huelsen 1894, 91-92 ; Aronen 1983 ; Kajava 2007.

92
Encore sur la « marelle ronde » : cent ans après Carl Blümlein

Fig. 8 – « Roue à rayons » interprétée par des guides touristiques,


Éphèse, Staatsmarkt (Wikimédia Commons)

Le motif de la roue entourant ce graffito semble avoir eu la fonction de renforcer


l’effet des mesures prises à la suite de l’oracle et confirmerait sa signification apotro-
païque et sotériologique. Cet exemple ne peut donc pas être utilisé pour soutenir
l’hypothèse d’une fonction des « roues » comme supports d’« oracles informels »,
proposée par Olaf Höckmann pour les motifs gravés dans le stylobate du temple
d’Apollon à Didyme 24. Même s’il est difficile de prouver cette hypothèse sans indica-
tions complémentaires, certaines procédures ou rituels semblent avoir été exécutés
autour de ces dessins. À Éphèse, on observe, sur l’Arkadiané, le cas d’un motif de
roue gravé avec un outil pointu, comme c’est le cas normalement. Mais autour et
à l’intérieur de cette « roue » se trouvent deux autres cercles tracés avec l’aide d’un
objet plutôt émoussé, probablement déplacé maintes fois pour produire ce creux
dans le marbre (fig. 7). De plus, la concentration de plusieurs de ces « roues » sur
une surface limitée, que l’on trouve souvent dans les villes d’Éphèse, d’Aphrodisias
et d’Éleusis 25 entre autres, laisse à penser qu’il était important de ne pas seulement
« utiliser », le moment donné, une « roue » déjà existante, mais de produire un tel
motif de nouveau, si besoin était.
On ne peut pas non plus exclure une symbolique chrétienne pour certains de
ces motifs. Les guides touristiques à Éphèse expliquent aux visiteurs qu’il s’agit d’un
monogramme symbolisant ΙΧΘΥC ou ΙΧΘΥΣ (fig. 8), obtenu par la superposition
des lettres. Cette idée semble étayée par une grande plaque ronde en alabastre
trouvée dans la Villa dei Quintili sur la Voie Appienne et exposée dans le musée
du site (inv. 67693) 26 : une « roue » à huit rayons et, en dessous, la légende ΙΧΘΥC
dans une tabula ansata sont soigneusement gravées dans la plaque.

24. Höckmann 1996, en part. 257-258 ; Widura 2015, 73.


25. Roueché 2007 ; Widura 2015, 77-81, Abb. 17.
26. Schädler 1998, 114 no 104.

93
Ulrich Schädler

Fig. 9 – « Roue à rayons » et croix chrétiennes,


Didyme, temple d’Apollon (photo U. Schädler)

Une autre piste serait indiquée par des dédicaces à Hélios trouvées à Épidaure
portant comme symbole du dieu soleil un cercle avec huit rayons – tout à fait
similaire à une « roue » 27. Même si le chrisme consiste normalement en un cercle
divisé par des lettres X et Rho superposées, qui font donc six rayons au lieu de huit,
on peut imaginer que par l’association Hélios-Christus 28 les « roues » pourraient
avoir eu une signification chrétienne. À Didyme, par exemple, une « roue » avec,
dans les tranches, des lettres difficilement déchiffrables, est entourée de trois croix
chrétiennes (fig. 9).
En conclusion, les nombreuses « roues » gravées dans les pavements de marbre
des villes antiques avaient certainement des fonctions et valeurs symboliques
différentes. Parmi ces fonctions, celle d’un plateau de jeu pour un jeu de lancer
similaire au « franc du carreau » est très vraisemblable, car attestée par l’iconographie.
Cent ans après Blümlein, l’hypothèse d’une « marelle ronde » devrait donc être
définitivement écartée.

Ulrich Schädler
Musée suisse du Jeu, La Tour-de-Peilz
ERC Locus Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity
Université de Fribourg

27. Blinkenberg 1899, p. 386 nos 152 et 258.


28. Voir, par exemple, Knipp 1998, 41 sq. ; Michel 2004, 118 Anm. 626.

94
Encore sur la « marelle ronde » : cent ans après Carl Blümlein

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96
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Kontexten, Rahden, Marie Leidorf.

97
CUBIC DICE:
ARCHAEOLOGICAL MATERIAL
FOR UNDERSTANDING HISTORICAL PROCESSES

In research on the history and archaeology of games, dice are typically auxiliary
finds that provide some, but often incomplete, information about which games were
played, or how people played them. Cubic dice first appear in the archaeological
record in the third millennium BCE, and even though they spread quickly to other
parts of the world 1, the information that has been gleaned from their presence has,
to date, been minimal.
This state of affairs may be partly explained by the abstract nature of the numeral
signs and the regular shape of cubic dice that reveal little in terms of culturally or
site-specific human behavior. Alternatively, it may be the lack of systematic studies
on cubic dice that prohibits detection of patterns over time and/or space. Yet, a few
notable studies have already demonstrated that dice can reveal important historical
and culturally specific information. Below, we highlight attributes of dice to illustrate
their potential in archaeological analyses.

Die Attributes Defined


The significance of dice for the understanding of gaming history, archaeological
site chronology, and human behavior in general has largely been predicated on
the identification of relevant die attributes. These attributes have been used in
comparative studies that included historical and/or contemporary dice collections
as well as in experimental studies of dice production.
In these studies, “configuration” is the arrangement of numbers on a die
with respect to one another. Two configurations have shown to be historically
significant 2. For example, the dominant configuration today is where opposite sides
add to seven (1 opposite 6, 2 opposite 5, and 3 opposite 4). This configuration is

1. During-Caspers 1973.
2. See, e.g., Poplin 2004; Artioli et al. 2011, 1039.

Kentron, no 34 – 2018, p. 99-108


Alex de Voogt et Jelmer W. Eerkens

referred to here as “Sevens”. A second dominant pattern has opposites in sequential


order (1 opposite 2, 3 opposite 4, and 5 opposite 6). Since the opposites add up
to prime numbers, this configuration is called “Primes”. A quick calculation
reveals that thirty different configurations are possible, though half of these are
mirror images of one another (where the same sets of numbers are opposite one
another, but two have been transposed). As discussed below, all of the fifteen
configurations are found in ancient dice, but only a small subset dominates the
majority of known examples.
It is also possible to look at the “orientation” of particular pips patterns, which
is only relevant if the pips are not symmetrical. The six, three and two need to be
applied in a specific direction in relation to each other. For instance, the three
may be applied from top left to bottom right or from top right to bottom left in
relation to the other numbers on the die (see fig. 1). The orientation of dice pips
has been noted in several other studies 3, but the historical relevance remains
unclear. The American Museum of Natural History in New York has several
dice with the same configuration, but a different orientation collected from the
same venue in Hong Kong (Catalog No: 70.3/ 7668 A-G, I-L). Note that in these
examples the orientation refers to a diagonal three. Three pips can also be placed
orthogonally, or as the nodes of a triangle. These latter options are known as dot
patterns 4. Unlike configuration and dot pattern, variation in orientation has not
been shown to carry historical or cultural significance.

Fig. 1 – Three configurations of “Sevens” (A/B/C), with two contrasting orientations


of the number 3 (A vs B/C) and two contrasting dot patterns for the number 5 (A/B vs C).
Illustration by Alex de Voogt, 2018

3. Béal 1983, 47, 345-346, 349-354; Poplin 2004; Heijdt 2005.


4. Voogt et al. 2015, 152.

100
Cubic Dice…

Pip style refers to the convention ancient die makers used to label sides.
Today, most dice display pips that are comprised of between one and six dots on
each face. Other pip styles are more common in Antiquity, such as dots with one
or more rings surrounding them. As well, examples showing Roman or Arabic
numerals, or even text, are also attested. As discussed below, pip style shows
significant variation over time and space.
Die symmetry refers to how closely a die represents a true cube, where all sides
are of the same size and shape. Most ancient dice are cuboid in shape, but not true
cubes, with some dimensions up to 50% larger than others. Similarly, die size varies
among ancient examples, a preference that changes markedly over time.

Dice as Chronological Markers


The main advance in archaeological analyses of dice has been their use as chronological
markers. For example, a study by Paul Perdrizet 5 of Alexandrian twenty-sided
dice showed Greek letters on each of its sides. Through a paleographic analysis, it
was possible to date the otherwise elusive finds of these gaming implements to the
second century BCE or the end of the Hellenistic period in Egypt. Later, twenty-sided
dice with Roman numerals attest to the continued use of these artifacts but there
are no examples that predate the Egyptian ones. Subsequently, this knowledge of
twenty-sided dice was used to assist in dating the El-Hesa skeletal material in Egypt 6.
But apart from dice being subjected to paleographic analysis or other methods such
as carbon-dating, systematic changes of dice-specific attributes show additional
possibilities of dating dice.
In paleography, the visible elements of handwritten script are compared
over time and across regions. Gradual changes in the appearance of a script help
to date or locate writing samples. Dice occasionally show written numerals, but
more often have pips or dots in varying styles. When comparing these styles over
time or across regions, pips appear similarly informative to writing styles. The
shape and size of the pips as well as the shape and size of the cube itself have been
shown to vary in similar ways from Roman times onward in the Netherlands
and United Kingdom, showing that dice attributes can be used as chronological
markers in northwest Europe 7.
In the Dutch case, the configuration of numerals on dice also followed a specific
pattern. Configurations changed from predominantly “Sevens” in Roman times, to
“Primes” in the Early Medieval period, and back to Sevens after 1450 CE, while pip

5. Perdrizet 1930.
6. Voogt et al. 2014, 8.
7. Voogt & Eerkens 2018.

101
Alex de Voogt et Jelmer W. Eerkens

style was simplified over time from a dot-ring-ring pattern to dot-ring pattern to
simple dots. The shape (symmetry and size), configuration, and pip style changed
significantly for bone and antler dice from the Roman to the recent historical
period. Dice pre-dating 650 CE were found to be highly variable in all attributes,
while those dating between 1100 and 1450 were highly standardized, and those
post-dating 1450 CE were standardized for some attributes, such as symmetry and
configuration, but were variable for others, such as material type and size. It became
possible to discern three distinctive time periods that each featured a different set
of dice characteristics 8: Roman times, the Medieval and the post-Medieval periods.
Such a study requires well-dated dice so that the characteristics can be paired with
time periods. The dice from the Netherlands follow a similar pattern to those of the
United Kingdom for the same period but both here and in other parts of Europe
and Asia, a larger set of dice is needed to allow for a more fine-grained analysis.
This type of study may be repeated for multiple regions across Europe and Asia so
that these characteristics can define dice over time and space.

Dice as Rosetta Stones


The Alexandrian dice mentioned above often use letters or even texts, as some of
the bronze twenty-sided dice had full words inscribed for the pips. Such examples
are particularly rare but in the case of two Etruscan dice it was possible to use dice
configuration to better understand the text. Two marble cubic dice with inscribed
Etruscan words are in the Bibliothèque nationale de France, Paris. Four out of
these six words for numerals were known by today’s epigraphists, but the words
for “four” and “six” were not. Their position on the cube could assist in further
decipherment of Etruscan texts.
In order to decipher the remaining text on the Etruscan dice, it was first
necessary to know the dominant configuration of Etruscan dice. Artioli, Nociti and
Angelini 9 analyzed ninety-one samples of Etruscan dice and found that “During
the fifth century BC there was a marked shift from the typical (1–2, 3–4, 5–6)
combination used in the early seventh– to fifth-century BC dice to the (1–6, 2–5, 3–4)
combination used at later times”. The late date of the marble dice with texts made
only one configuration possible, Sevens, and hence, provided a specific translation
of the words for “four” /sa/ and “six” /huth/ as a result. Although a unique example,
dice with a known cultural preference for configurations provided new insight
into the decipherment of the Etruscan language.

8. Voogt & Eerkens 2018, 166.


9. Artioli et al. 2011, 1031.

102
Cubic Dice…

Fig. 2 – The sides for the number 4 (A) and 6 (B)


on one of the Etruscan dice (BnF Luynes 816).
Courtesy, Bibliothèque nationale de France, Paris

Dice as Insight into Cultural Transmission and Standardization


The configuration of numerals on dice gave inspiration for experimental and
archaeological research trying to explain patterning in die attributes in the
archaeological record. The appearance of different configurations on cubic dice
is not well understood. As mentioned, the common configuration today (1–6, 2–5,
3–4), where opposite sides add to seven, has been attested as early as the third
millennium BCE. The second most common configuration (1–2, 3–4, 5–6) in
which opposite sides are sequential and which represents the only configuration
where opposite sides tally to prime numbers, has been found in Etruscan times,
as mentioned, but is also dominant in the Medieval period of northwest Europe.
In both cases this configuration changed again to “Sevens” in that same region,
though this shift happened at different points in time (500 BCE vs 1450 CE). Since
there are fifteen configurations possible, the preference of just these two patterns
for nearly 90% of examples in one survey of ancient dice 10 has remained largely
unexplained. Few other configurations regularly appear in the archaeological or
contemporary record, with few exceptions.
One region in the world today appears to have a preference for “Nines”. Tibetan
monks from Bhutan to Mongolia use cubic dice for divination 11. A group of them
prefers a configuration in which the six is opposite the three 12.

10. Voogt et al. 2015.


11. Dotson 2015.
12. See AMNH collections, Catalog No: 70.3/ 7709 A, B, C; 70.3/ 7711 A, B.

103
Alex de Voogt et Jelmer W. Eerkens

Fig. 3 – Three dice with a configuration of 6 opposite 3 and 5 opposite 4


as used in the Druk Choeding temple, Paro, Bhutan.
Illustration by Alex de Voogt, 2015

The opposites make nine, which can be referred to as “Nines”, a preferred number
in their divination practice to the extent that some dice even feature nine dots on
one side 13. Mostly the six is found opposite the three and in some cases the five is
also placed opposite the four, but since not all opposites can make nine, it is often
just limited to the six and three 14.
Apart from the Tibetan examples, we are unaware of other regional preferences for
configurations other than “Sevens” and “Primes”. There is also no literature explaining
why one or the other configuration was preferred by one of the many groups that
adopted them. The contemporary Tibetan example suggests that configurations can
be consciously chosen and that opposites seem especially relevant. If that is the case,
then few configurations out of the fifteen that are possible have opposites that are
easily described other than the two most often found in the archaeological record.
In other words, the instruction sets that are part of the transmission process of dice
production are especially simple in the case of “Sevens” (i.e., opposite sides must
add to seven) and “Primes” (i.e., opposite sides must add to a prime number, or all
numbers on opposite sides are in sequence).

13. Róna Tas 1956, 172, n. 50.


14. Mynak Rimpoche Tulku, pers. comm. 2015.

104
Cubic Dice…

Fig. 4 – Two Mongolian dice from the region of Bayanhangor with number 6 and 3
on opposite sides. Also note the different orientation of the numbers.
American Museum of Natural History, New York, Catalog No: 70.3/ 7711A, B

Pip or dot style has varied over time, as mentioned earlier, but also has some
regional variation. Pips or dots are the marks on a cubic die that are repeated on
each side to indicate a value. For example, Chinese dice are commonly found with
red colored pips for the numbers one and four. Also, the pip for the number one
is commonly enlarged. The number two, although not colored red, mostly shows
its pips in an orthogonal pattern as opposed to a diagonal pattern in Western dice.
The configuration, however, is identical and consistently “Sevens”.

Dice as Insight into Production Bias


In an experiment on die production using novices unfamiliar with norms in
configuration, in this case children between the ages of three and six, it was
found that configurations are not randomly applied to unmarked dice 15. Instead,
children show a strong bias for one particular configuration that is best explained
by the way they produce the dice, a process known as production bias. With each
additional number, they turn the die in their hand in the same direction. As a
result, almost half of all the dice that the children produced has a configuration that

15. Voogt et al. 2015, 155.

105
Alex de Voogt et Jelmer W. Eerkens

has the one opposite the three and the two opposite the four. This configuration
is named “Turned” because the die is turned as sequential numbers are placed
on the unmarked surfaces, and it appears to be typical for people unfamiliar with
existing dice configurations. Adults were also found following this same production
bias if they were uncertain how else to apply the pips.
Subsequent analysis of archaeological dice 16 showed that after “Sevens” and
“Primes”, “Turned” is the third most common configuration, and appears in
higher-than-expected frequencies if configuration was randomly assigned. Both the
children and the archaeological record show many, if not all of the other remaining
twelve configurations but not in significant numbers. These latter examples appear
to be randomly distributed and in the case of the archaeological dice they are without
a preference based on region or time period. Instead, “Turned” and other irregular
configurations pattern strongly with material type. They are most often found on
metal and ceramic dice (versus bone and antler), in NW Europe. This may indicate
that novices were the dominant producers of metal and ceramic dice.
The pattern of pips, such as the contrasting Chinese number two, has a regional
significance today and experiments show that pip patterns in general are subject to
production bias. The children mentioned above, preferred the pattern of the four and
the six as it is found today but differed with the pattern of the three and five. These
novices more commonly clustered the three pips in a triangle and presented the
five dots in one row of two and one row of three. This suggests that the dot pattern
on today’s Western dice are not determined by production bias but at least in two
instances have been deliberately chosen. An analysis of archaeological examples
showed that dice with “Turned” configurations were also more likely to have dot
patterns governed by production bias. In other words, novice dice producers reveal
themselves in their choice of dot pattern and configuration 17.
When applying pips to each side and following the “Sevens” configuration,
participants commonly applied the numbers as opposites, so first a one and then a six
when opposites make seven. This may affect the way that the numbers are oriented
on the dice. For instance, the six, three and two are oriented in a certain way as they
are not perfectly symmetrical compared to the four, five and one. Both the study
of hand movements and an inventory of orientations found on archaeological dice
did not reveal a production bias or any significant preference.
While the concept of production bias emphasizes that the “Sevens” and “Primes”
configurations have been deliberately chosen and applied (i.e., they do not emerge
from the simplest way to draw on a die), it does not explain why only these two

16. Voogt et al. 2015, 156.


17. Ibid., 158.

106
Cubic Dice…

configurations dominate the archaeological record. Contemporary examples


showing the relevance of opposite numbers suggest that configurations featuring
an idea about the application of numbers opposite from each other are perhaps
more likely to be transmitted across regions and time periods, but this idea needs
to be tested with empirical data. A quick examination of the remaining twelve
configurations (after Sevens, Primes, and Turned have been removed) does not
reveal any obvious or simple rule that would describe the relationship of opposite
pips. Cultural transmission theory predicts that there should be a preference for
transmission of the simplest instruction sets to describe a technology 18.
The archaeological relevance of configurations and dot patterns is twofold. First,
it can be suggested that “Turned” configurations or biased dot patterns represent
conditions where the dice maker was unfamiliar with normative styles for making
dice. Such characteristics largely rule out regionally or culturally specific styles that
would over-ride simpler production modes. Second, the “Primes” configuration is
specific to certain regions and time periods and may help in the dating process. For
the latter, a number of additional characteristics may be added as well. It is possible
that biased dot patterns are combined with regionally specific configurations.
Alternatively, a “Turned” configuration combined with a normative dot pattern
likely indicates that the die maker was familiar with one part but not with the other.
Our future research will seek to elucidate these patterns with larger sample sizes of
dice from a broader range of geographic and temporal contexts.

Cubic Dice for Archaeology


The combination of configuration, pip style, and die shape has created a set of
characteristics that allows cubic dice to be of increasing value to archaeology. While
the finding of dice also has relevance for the interpretation of a site or grave in
terms of playing practices 19, the use of dice as separate tools for the dating of sites
or particular graves makes their presence of much broader relevance. The analysis
of dice in specific regions and time periods may refine this tool in future studies
while the study of non-cubic dice may broaden this approach for other frequently
occurring randomizing devices.

Alex de Voogt
American Museum of Natural History, New York
Jelmer W. Eerkens
University of California, Davis

18. Eerkens & Lipo 2007.


19. See, e.g., Hall 2016.

107
Alex de Voogt et Jelmer W. Eerkens

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Post-Medieval Period in the Netherlands”, Acta Archaeologica, vol. 88, n. 1, p. 163-173.

108
DU CHAR DE GUERRE À LA TOUR :
LE DESTIN D’UNE FIGURE DU JEU D’ÉCHECS
EN OCCIDENT

Origines et diffusion du jeu d’échecs


Le jeu d’échecs est né dans le sous-continent indien vers le VIe s. de notre ère.
Les trente-deux pièces figurent les différentes composantes des armées indiennes
– éléphants et chars de guerre, cavaliers et piétons – dirigées par un roi accompagné
d’un conseiller. Le jeu se diffuse rapidement en Perse, et c’est la conquête par les
Arabes d’un empire sassanide affaibli, entre 638 et 651, qui permit la diffusion des
échecs vers l’ouest. Dans les décennies suivantes, la foudroyante expansion arabe
vers le Maghreb et l’Espagne amena probablement son apparition en Méditerranée
occidentale.
L’introduction des échecs dans l’Occident chrétien se place nettement plus tard,
au cours du Xe s. Elle s’est logiquement effectuée à partir de régions en contact
avec le monde musulman : d’une part, l’Italie du Sud et l’Empire germanique et,
d’autre part, la Catalogne. L’archéologie fournit désormais de nombreux jalons
illustrant la progression du jeu à travers l’Europe : il est présent dès l’an mil dans
l’ensemble des espaces français et germanique, mais ne semble introduit dans les
Îles britanniques qu’avec la conquête normande. À l’est, il apparaît progressivement
dans tout le monde slave à partir des environs de 1100, puis gagne la Scandinavie
dans la seconde moitié du XIIe s.
Lorsqu’il fit son apparition dans ces diverses régions d’Europe, le jeu d’échecs
exerça immédiatement une fascination qui ne s’est pas éteinte aujourd’hui, mais il
apparut à la fois proche et lointain. Proche, parce que ce jeu aristocratique reflétait
d’autres élites guerrières et qu’il avait été précédé par des jeux de table apparentés ;
lointain, parce qu’il illustrait une armée fort exotique aux yeux d’un Occidental,
avec ses éléphants et ses chars de guerre. De plus, le lexique persan ou arabe des
pièces entraîna des adaptations linguistiques parfois étranges.

Kentron, no 34 – 2018, p. 109-126


Luc Bourgeois

Enfin, le jeu a été introduit en Occident sous deux formes : des pièces réalistes,
relativement faciles à identifier, mais surtout des figures fortement schématisées,
issues de la prohibition des images pratiquée par certains courants musulmans.
Il devenait évidemment beaucoup plus difficile d’identifier un éléphant réduit à
deux défenses sortant d’un tronc de cône ou un roi dont ne subsistait plus qu’un
approximatif trône. Les joueurs occidentaux ont donc multiplié pendant plusieurs
siècles les cheminements interprétatifs, jusqu’à réinventer en grande partie le jeu 1.

Les vicissitudes du char de guerre


Le destin du char de guerre, à l’évidence la figure du jeu qui rappelle le plus les
pratiques de l’Antiquité, va nous permettre de détailler l’une de ces trajectoires.
La version figurative du char est attestée par un petit nombre d’exemplaires dans
l’Orient des VIIe-IXe s. Il prend la forme d’un bige ou d’un quadrige, parfois monté
par deux personnages. Sur la route de la soie, il apparaît entre autres au début du
VIIIe s. à Afrosiab, la cité qui précéda Samarcande 2 et, à une date probablement
antérieure, dans l’oasis de Gaochang, aujourd’hui en territoire chinois (pl. I, 1) 3.
En Perse, un exemplaire mal daté, mais probablement précoce, provient de la
région de Nishapur 4. Plus tard probablement, des exemplaires semi-figuratifs ont
également été produits dans l’espace islamisé, mais leur contexte de découverte
demeure incertain 5.
Lors de la diffusion du jeu dans l’espace islamique, le char constituait déjà un
archaïsme, puisque les armées indiennes ne l’utilisaient plus et qu’il n’entrait pas
dans la tradition des espaces persan ou arabe. S’il subsiste tardivement dans certains
jeux du sud de l’Inde ou chez certains peuples d’Asie centrale, la nature réelle de la
pièce, et même la signification de son nom, semblent souvent oubliées plus à l’ouest 6.
Les occurrences de chars réalistes sont encore plus rares en Occident. Le jeu
d’échecs dit « de Charlemagne », longtemps conservé dans le trésor de l’abbaye
de Saint-Denis, comprenait trois biges en ivoire d’éléphant. Ils furent produits au
cours du troisième quart du XIe s. dans l’un des ports multiculturels d’Italie du Sud,
probablement Amalfi ou Salerne (pl. I, 2) 7. L’exemplaire en bois de cerf découvert

1. Pour une présentation plus détaillée des origines du jeu, nous nous permettons de renvoyer à
Bourgeois 2012.
2. Londres, British Museum, Department Middle East, 1980, 0730.1.
3. Le Coq 1913, 217-218.
4. Londres, British Museum, Department Middle East, 1991, 1012.1.
5. New York, Metropolitan Museum of Art, 64.262.2.
6. Murray 1913, 370-371.
7. Pastoureau 1990, fig. 11.

110
Du char de guerre à la tour…

sur la motte de Loisy (Saône-et-Loire) est, lui, totalement déconnecté de l’espace


islamique et sa datation aux alentours de l’an mil apparaît particulièrement précoce
(pl. I, 3) 8. Ces biges réalistes n’apparaissent plus au nord de la Méditerranée après la
fin du XIe s. Dans l’iconographie de l’Occident médiéval, les figurations de chars sont
d’ailleurs rares et souvent fort éloignées des prototypes. Elles relèvent de traditions
antiquisantes illustrant, en particulier, les chars de la Bible 9, l’Intempérance ou la
Luxure dans la Psychomachie de Prudence 10 ou la constellation du Cocher 11.
La version schématique élaborée dans le monde islamique connut un succès
beaucoup plus large en Occident, puisque plus d’une centaine de pièces de ce
type ont été recensées à ce jour. La pièce prend la forme d’un corps plus ou moins
parallélépipédique dont le sommet porte deux pointes rappelant la tête des chevaux,
parfois séparées par une ou plusieurs excroissances plus courtes. Quelques luxueux
prototypes en cristal de roche produits dans l’Égypte ou l’Irak fatimide avant le
milieu du XIe s. étaient parvenus en Europe et furent longtemps conservés dans des
trésors d’églises (pl. I, 4) 12. Très vite, des imitations locales, plus ou moins proches
des modèles, ont été confectionnées en Europe, comme les pièces en bois de cerf
des environs de l’an mil découvertes dans les castra d’Andone et de Boves (pl. I, 5
et 6) 13, ou les exemplaires en bois de noisetier et en calcaire issus de l’habitat fortifié
de Charavines, déserté en 1039 (pl. I, 7) 14.
La bibliothèque du monastère suisse d’Einsiedeln conserve un court poème
rédigé dans la seconde moitié du Xe s. et connu sous le nom de Versus de scachis 15.
Cette œuvre livre la plus ancienne occurrence du jeu dans un texte occidental. S’il suit
globalement les règles héritées du monde islamique, le jeu a déjà subi des adaptations
majeures, qui concernent en particulier l’apparition de la reine à la place du vizir,
l’adoption d’un échiquier alternant des cases bicolores et la dénomination des pièces.

8. Goret & Poplin 2004-2005.


9. Par exemple Pharaon poursuivant les Hébreux (du rouleau d’Exultet de Fondi, 1136, Paris, BnF,
nll. acq. lat. 710) ou l’ascension du prophète Élie du bible de la cathédrale de Rochester (vers 1130,
Londres, British Library, MS Royal 1 C VII, fol. 154v).
10. L’Intempérance : Paris, BnF, latin 8318, fol. 52, Tours, IXe-Xe s. ; départ de Luxuria pour la
guerre : recueil de dessins d’Adémar de Chabannes, Saint-Martial de Limoges, avant 1034, Leyde,
Universiteitbibliothek, ms. Voss. lat. 8o-15.
11. Paris, BnF, latin 12117, fol. 133, Paris, Saint-Germain-des-Prés, milieu du XIe s.
12. Sur la production et le destin de ces pièces, voir, entre autres, Casamar & Valdès Fernandez 1999 ;
Cordez 2007-2008.
13. Bourgeois 2009, fig. 3.77, no 1854-1956 ; Goret & Grandet 2012, 88-89.
14. Colardelle & Verdel 1993, p. 263-265.
15. Einsiedeln, Stiftbibliothek, MS 365 (220), fragment XVIII, fol. 95r-94v (Volume composite réalisé
à l’époque moderne. Le feuillet doit provenir du MS 125 du même fonds). Copie partielle à peine
postérieure dans le MS Einsiedeln 319 (645), fol. 298r. Silagi & Bischoff 1979, 652-655. Pour la
description et la datation de ces manuscrits, voir Gamer 1954, 734-750.

111
Luc Bourgeois

La sémantique du char primitif y apparaît particulièrement fluctuante. Il est d’abord


qualifié de bige ou de roc, vocable sur lequel il nous faudra revenir. La difficulté à
qualifier cette pièce est confirmée par l’apparition de deux autres dénominations :
le marchio (marquis) et le magis, peut-être pour magister, qui désigne parfois un
maître de cavalerie en latin classique. Dans l’empire carolingien puis dans l’empire
germanique, le terme marquis s’applique à un comte revêtu d’un certain prestige
et cantonné sur une frontière, tout en jouissant de la proximité royale 16. Dans les
Vers sur les échecs, il ne qualifie pas seulement des chefs militaires juchés sur leur
char, mais des aristocrates placés par le roi dans les marges de l’échiquier, aux deux
extrémités de l’armée. Les sources italiennes précoces empruntent une voie proche
lorsqu’elles qualifient cette figure du jeu de rector ou de comes 17.
Le char, comme le marquis ou le comte, n’a pas connu de postérité en Occident.
C’est en croisant le nom arabe du char, rukh, à la forme schématique de la pièce que
va s’imposer une qualification plus stable. Par une proximité phonétique, rukh 18
est assimilé à roca, terme latin qui, dès le Xe s., désigne les châteaux perchés sur des
éperons rocheux d’Italie, du sud de la France ou de Catalogne et dont nous avons
noté la première occurrence dans les Vers sur les échecs. Cette translittération est
facilitée par la forme stylisée, qui permet, sans faire preuve de trop d’imagination,
d’identifier le volume inférieur à un bâtiment et les pointes à un crénelage.
Seules quelques pièces de musée, à l’origine mal connue et attribuées sur des
arguments stylistiques assez fragiles aux XIe-XIIe s., figurent clairement une fortification.
C’est le cas d’un château d’origine germanique (pl. I, 8) 19 ou d’une tour présentant
un décor d’hommes sauvages ou de géants combattant avec des bâtons, inspirés des
chansons de gestes 20, comme d’une pièce plus tardive représentant plus clairement
une tour et découverte aux Pays-Bas, dans le château d’Utrecht 21.
Le roc schématique d’origine islamique va connaître d’autres réinterprétations
dans le temps et dans l’espace. Dans un premier temps, les deux têtes schématiques
divergent progressivement. Si l’on excepte une pièce en ivoire d’éléphant mal localisée
et mal datée 22, c’est principalement l’iconographie qui marque cette mutation, à la

16. Kupper 2014.


17. Murray 1913, 422-423.
18. Murray 1913, 395. Le terme emprunté par le latin est probablement pris à un original dont la
prononciation est celle de l’arabe occidental parlé au Maroc et dans l’Espagne musulmane
(prononciation de la voyelle damma comme un [o], alors qu’en Arabie, en Égypte ou en Syrie,
elle a la valeur phonétique [ū] ou [ŭ]).
19. Goldschmidt 1926, fig. 18.
20. Sanvito 2000, 38-39.
21. https://sites.google.com/site/caroluschess/medieval-european-pieces/medieval-dutch-pieces.
22. Sanvito 2000, 23.

112
Du char de guerre à la tour…

fin du XIIe ou au XIIIe s. (pl. I, 9 et 10) 23. À partir de la même époque, on rencontre
des pointes en forme de crosses plus marquées ou qui forment des enroulements
circulaires 24 et vont devenir de véritables volutes dans toute l’Europe occidentale des
derniers siècles du Moyen Âge (pl. I, 11 à 13) 25. Cette mutation aboutit dans certains
cas à des feuillages plus réalistes (pl. I, 14) 26, dans d’autres à des ailettes remontant
à la verticale (pl. I, 15). Les tours d’un jeu d’échecs en cuivre doré, cristal de roche
et topaze des collections royales françaises, réalisé vers 1400, fournissent un bon
exemple de cette dernière variante 27.
À ce stade d’évolution, les chevaux du char primitif semblent totalement
oubliés. Pourtant, on voit réapparaître dans l’iconographie échiquéenne et héraldique
de la fin du Moyen Âge des tours dont les pointes figurent deux têtes de chevaux

23. Ce type est représenté sur l’une des tours de l’exemplaire des Carmina burana de l’abbaye bénédictine
de Beuern (Bavière, 1220-1250, Munich, Bayerische Staatbibliothek, ms. Clm 4660 et 4660a, fol. 92r)
et constitue également l’unique forme figurée sur le Libro de ajedrex d’Alponse X de Castille (Séville,
1283, Orellana Calderón 2007). Il apparaît au début du XIVe s. sur un Gieu des eskies de Nicholes de
S. Nicholaï, texte d’origine lombarde copié à Paris (Paris, BnF, français 1173, fol. 3). Il est également
figuré sur une gravure du Das Goldene Spiel du maître Ingold, imprimé à Augsbourg en 1472 (Paris,
BnF, Imprimés, Rés. y2. 281).
24. Lübeck, Allemagne, fin du XIIe-XIIIe s., bois, Heinrich der Löwe (Luckhardt & Niehoff 1995,
F25/03c) ; armes parlantes du roi du Maroc sur le rôle d’armes de Zürich (Zurich, vers 1330-1335,
http://www.e-codices.unifr.ch/fr/list/one/snm/AG002760) et tapisserie du Jardin d’amour (Bâle,
vers 1460-1480, Wichmann & Wichmann 1960, pl. 79).
25. Ce type est attesté dans l’iconographie italienne des XIVe et XVe s., en particulier dans les traités d’échecs
qui se multiplient au cours de cette période : mélanges contenant un Giuocho degli scacchi (XIVe-XVe s.,
Florence, Biblioteca Roccardiana, Ms. cart. 2871, fol. 34r-57v), peinture sur bois de Liberale da Verona
figurant des joueurs d’échecs (vers 1475, New York, MET, inv. 43.98), Ars memoria, Publicus 1482.
Les rocs héraldiques français figurent aussi cette forme dès la seconde moitié du XIVe s. (Armorial
Bellenville, vers 1364-1386, Paris, BnF, français 5230, fol. 54v) ; armes de Jean III Bernard, archevêque
de Tours de 1442 à 1466 (Tours, Bibl. mun., ms. 390, fol. 1). En Angleterre, un manuscrit de l’abbaye
d’Abbotsbury fournit une attestation précoce du type, de peu postérieure à 1273 (Londres, British
Library, MS Cotton Cleop. B IX), mais il n’est pas certain que les extrémités en forme de crosses
d’évêques soient totalement réalistes. Il se retrouve plus tard sur un incunable anglais du jeu d’échecs,
le Game and Playe of the Chesse, édité par William Caxton et paru en 1474. L’espace germanique livre
aussi des occurrences au XVe s., comme le roc assez schématisé d’un exemplaire de Jacques de Cessoles,
produit en Autriche ou en Allemagne en 1464-1465 (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Ms.
2801, fol. 52r), ou celui figuré dans J. Mennel et C. Egenolff (Mennel & Egenolff 1536, frontispice).
Cette forme subsiste au XVIe s. sur plusieurs documents iconographiques (par exemple Hans Muelich,
Livres des joyaux de la duchesse Anne de Bavière, 1552-1555, Munich, Bayerisches Staatsbibliothek,
Cod. icon. 429, fol. 3).
26. Volutes divergentes (Helmont, Pays-Bas, XIIe s., ivoire de narval, Kluge-Pinsker 1991, A34) ou
convergentes (Oslo, Norvège, Lund 2014, 274).
27. Cette variante apparaît également sur un exemplaire de Jacques de Cessoles copié en Allemagne
entre 1390 et 1408 (Cambridge Harvard, University Houghton Library, Ms Typ. 045, fol. 75v) et
sur un incunable de Luis Ramírez de Lucena édité à Salamanque vers 1497 : Repeticion de amores
y arte de ajedrez con CI juegos de partido.

113
Luc Bourgeois

(pl. II, 16) 28. Enfin, l’espace germanique et scandinave nous livre des interprétations
encore plus libres, telles des pièces au sommet en forme de papillon (pl. II, 18) 29.
Un autre moyen d’adapter la pièce schématique consista à la décorer de figurations
chrétiennes ou chevaleresques. Ce fut, par exemple, le cas de ce roc en ivoire d’éléphant
des années 1120-1140, pourvu d’un décor représentant Adam et Ève et deux chevaliers
s’affrontant (pl. II, 17) 30.
Dans un passage de son traité encyclopédique De natura rerum, rédigé entre 1200
et 1204, l’anglais Alexandre Neckam fournit une définition savante très divergente du
roc : « Le roc symbolise un soldat légèrement équipé, qui était originellement appelé
Janus biceps, et comportait en conséquence deux têtes » 31. Au début du XIIe s. déjà, une
autre source anglaise, le Poème de Winchester, décrivait la figure comme un bifrons
rochus 32. Quelques pièces du XIIe ou du XIIIe s. peuvent transcrire ces descriptions. Les
deux personnages armés peuplant des rinceaux d’un exemplaire en ivoire de morse
découvert en Écosse en fournissent une version réaliste (pl. II, 19) 33. Le roc apparaît
également figuré sous la forme de deux cavaliers dans les nombreux exemplaires d’un
ouvrage à succès des XIVe et XVe s. : le Jeu des échecs moralisé du dominicain gênois
Jacques de Cessoles 34. Un roc schématique dont les pointes se terminent par deux
têtes humaines semble relever de cette interprétation (pl. II, 20) 35.
Assez logiquement, la figure symbolisant le château occidental n’a pas non plus
connu un grand succès dans les régions d’Europe où ce type d’architecture n’était
pas encore en usage. Ce sont aussi celles où les échecs firent plus tardivement leur
apparition. Au cours du XIIe s., on voit apparaître dans deux sites biélorusses des
embarcations figuratives à coque en forme de croissant, disposées sur un pied et
portant des archers et un pilote (pl. II, 21) 36. Ces figurations correspondent à des

28. Cette variante, figurée sur un burin du maître B.R. (Rhin inférieur, fin des années 1480) et sur
un manuscrit contenant des traités d’un moine de Tegernsee au XVe s., Mauritius, est également
utilisée à la fin du Moyen Âge dans l’héraldique germanique (Murray 1913, 704-705).
29. Ce type est figuré dans le traité d’échecs germanique de Jakob Mennel, Jacob Köbel et Johan
Schäffler (Mennel et al. 1507) comme dans celui de Jakob Mennel et Christian Egenolff (Mennel
& Egenolff 1536). Il faut peut-être lui rattacher un exemplaire mal localisé et mal daté (Scandinavie ?,
Linder 1979, 76).
30. Gaborit-Chopin 2003, no 77.
31. Murray 1913, 511-512.
32. Ibid., 514-515.
33. Loch Saint Columba (Kilmuir Parish) : Goldschmidt 1926, pl. LXXI, no 256a-c.
34. Jacques de Cessoles, Liber de moribus hominum vel officiis nobilium sive super ludo scacchorum, éd.
et trad. Mehl 1995. Parmi les nombreuses miniatures figurant cette iconographie, voir, par exemple,
Besançon, Bibl. Mun., ms. 434, fol. 261 (Douai ? 1372) ; Paris, BnF, français 1166 (Paris, fin du XIVe
ou début du XVe s.) et français 2000 (France, vers 1480-1485).
35. Château de Fréteval (Loir-et-Cher) : Goret & Grandet 2012, 121, no 3.
36. Grodno et Volkovysk (Biélorussie) : Linder 1979, 81.

114
Du char de guerre à la tour…

bateaux à proue et poupe surélevées, décrits dans les sources russes contemporaines
sous le nom de nasad 37, mais c’est un vocable plus littéraire qui s’est imposé pour
dénommer la pièce du jeu d’échecs : lad’ia, c’est-à-dire « bateau » 38.
Contrairement à l’évolution reconnue plus à l’ouest, ce n’est pas le nom arabe
de la pièce qui a guidé ici sa réinterprétation, mais la forme générale de sa version
schématique, rapprochée d’un mode de combat qui avait plus de sens dans le monde
slave et marque l’importance primordiale de grands fleuves, de la Mer caspienne ou de
la Mer noire dans le développement de la Russie médiévale 39. Cette réinterprétation
inattendue du char suscita à son tour de nombreuses formes schématiques. Les
pièces les plus simples finirent par revenir à une forme proche du roc schématique
de l’espace musulman : leur base disparaît et leur sommet se limite à une échancrure
ou à deux appendices sinueux (pl. II, 22 à 25) 40. Ces diverses variantes ne semblent
pas dessiner une évolution linéaire allant du bateau réaliste vers des formes de plus
en plus simples, puisqu’elles coexistent au moins depuis la fin du XIIIe s.
Tournons-nous maintenant vers la Scandinavie. Le célèbre dépôt de pièces
d’échecs de l’île de Lewis, au nord de l’Écosse, a probablement été produit dans
l’archevêché norvégien de Trondheim vers 1200 41. Dans cette collection de
soixante-dix-huit figures en ivoire de morse ou de cachalot, on ne rencontre
pas de tour. Deux types de fantassins viennent les remplacer. La première caté-
gorie a donné lieu à une abondante littérature. Il s’agit de quatre guerriers aux
yeux exorbités et qui mordent à belles dents le sommet de leur bouclier (pl. II,
26). Ces étranges représentations ont été identifiées comme des guerriers d’élite
scandinaves dénommés berserkir 42, expression imparfaitement rendue en français
par la formule « guerriers-fauves ». L’auteur islandais de l’Histoire des rois de
Norvège, Snorri Sturluson, décrit au début du XIIIe s. l’étrange comportement
de ces hommes qui allaient au combat ou participaient à des parades martiales
avec d’impressionnantes manifestations de sauvagerie. Dans la Saga d’Egils, un
personnage « saisi par la fureur des guerriers-fauves au moment de rejoindre
l’enclos d’un duel, se met à hurler affreusement et à mordre son bouclier » 43.

37. Chronique laurentienne, compilée en 1377, à l’année 6659 (1151), citée par Linder 1979, 81.
38. Ce terme est fréquemment utilisé pour des bateaux de guerre dans les chroniques russes à partir
du Xe s. (ibid.).
39. Plus vers l’est, cette forme se retrouve dans des lieux aussi éloignés que le Siam, le Bengale et Java
(Murray 1913, 386-387).
40. Novgorod, Russie, 1270-1299 (Rybina 1992, pl. V.5, no 9) ; Kopys, Biélorussie, XIe-XIIIe s. (Linder 1979,
61 et 63-65).
41. Voir, en dernier lieu, Caldwell et al. 2009.
42. Sur ces combattants, voir les synthèses récentes de Malinowski 2009 et de Samson 2011, ainsi que
Price 2014.
43. Samson 2011, 230.

115
Luc Bourgeois

Les guerriers-fauves appartiennent pourtant à un passé déjà lointain lorsque les


auteurs de sagas couchent par écrit les traditions nordiques. L’Histoire de saint
Olaf leur attribue encore un rôle décisif lors d’une victoire remportée vers 1030 44,
mais il s’agit de l’ultime mention de ces combattants dont le Christianisme amena
bientôt l’extinction et dont les jeux de Lewis fournissent d’ultimes réminiscences.
La seconde catégorie comprend huit fantassins barbus portant le même équi-
pement que les précédents : casque, épée et bouclier en forme d’écu, et qui sont
qualifiés de gardiens (Warders) par les chercheurs anglais (pl. II, 27). Trois autres
exemplaires, respectivement islandais, suédois et probablement danois 45, peuvent
leur être comparés. Aucune de ces variantes n’aura de postérité 46. Les sources
scandinaves ne fournissent une terminologie du jeu qu’un siècle plus tard et, vers
1300, les tours sont appelées rocs, comme dans les pays d’Europe occidentale 47.
Pourtant, sur les rives de la Baltique, les formes schématiques qui se diffusent alors
semblent plus empruntées au bateau slave qu’aux rocs occidentaux.
Tous ces tâtonnements vont s’interrompre à la fin du Moyen Âge en raison d’une
évolution technique somme toute modeste : on prit de plus en plus l’habitude de
réaliser les pièces d’échecs au tour à bois. Désormais, le roc s’inscrit dans un cylindre
mouluré dont le sommet porte un crénelage (pl. II, 28-29). Ce type, dont dérive la
forme conventionnelle actuelle, apparaît au plus tard dès la seconde moitié du XVe s.
L’iconographie italienne de la fin du Quattrocento figure une autre variante, dont la
haute base moulurée supporte une demi-sphère ou une corolla (pl. II, 30) 48. Aucun
élément matériel ne semble confirmer l’existence réelle de cette dernière forme, mais
ces pièces tournées étant le plus souvent confectionnées en bois, leur conservation
demeure plus exceptionnelle que celle des pièces antérieures.

Un observatoire des transferts culturels


Achevons ce panorama qui nous a conduits d’un char très antiquisant à des relec-
tures parfois inattendues, adaptées à chaque culture européenne. Dans les langues
européennes actuelles, cette pièce du jeu d’échecs est partout appelée roc ou tour.

44. Samson 2011, 261-262.


45. Siglunes (Islande), https://sites.google.com/site/caroluschess/medieval-european-pieces/island ;
Gräsgård (Suède), Ferm & Honemann 2005, 33 ; Copenhague, Nationalmuseet. Des pièces extérieures
à l’espace scandinave leur sont apparentées, telles qu’un fantassin de Cracovie (Niemiec 2011), mais
rien ne permet de dire qu’il ne s’agit pas de pions figuratifs.
46. La plus ancienne tour schématique découverte en Scandinavie provient de Bergen (Norvège) et
son contexte est daté entre 1170-1171 et 1198 : Lund 2010, 57 et 69.
47. Nedoma 2014, 248-250.
48. Ramírez de Lucena ca. 1497 ; Luca Pacioli, Gioco degli schacchi, vers 1500 (Gorizia, Biblioteca della
Fondazione Palazzo Coronini Cronberg).

116
Du char de guerre à la tour…

La langue française a privilégié la tour, mais le vocabulaire des échecs a conservé


un coup appelé roque, qui consiste à déplacer en même temps le roi et la tour de
leur case primitive.
L’histoire du jeu d’échecs est évidemment un modeste sujet d’étude, mais il
constitue un bon observatoire pour comprendre les modalités selon lesquelles
s’opèrent les transferts culturels. Réinterpréter les différents aspects de son chemi-
nement depuis l’Orient permet en effet de déconstruire des adaptations qui n’ont
pas été uniformes dans le temps et dans l’espace et ont atteint successivement
différents aspects, que les Occidentaux ont adaptés à leurs pratiques et à leur
imaginaire. Nous n’avons abordé ici que la forme et la dénomination de la tour.
Les autres pièces du jeu ont connu des tâtonnements identiques lorsque le vizir
se transforma en reine et l’éléphant de guerre en évêque ou en fou. L’Occident
a également mis en œuvre d’autres adaptations : celle des teintes marquant les
deux camps et les cases de l’échiquier, le code de couleurs oriental n’ayant pas
grand sens dans les cultures européennes 49 ; celle des matériaux, puisque l’ivoire
de morse ou le bois de cerf ne sont pas attachés à la même symbolique que l’ivoire
d’éléphant ou le cristal de roche. En dernier lieu, la réinvention occidentale toucha
les règles du jeu, afin de mettre en œuvre dans les dernières décennies du Moyen
Âge le jeu rapide que nous connaissons aujourd’hui 50.
Cette dernière mutation n’a pas atteint la tour qui, comme à l’origine, continue
à se déplacer horizontalement ou verticalement d’un nombre illimité de cases.
Mais, si elle constitua jusqu’à la fin du XVe s. la pièce la plus forte des échecs,
la tour fut alors éclipsée par les nouvelles possibilités accordées à la reine, qui
devint l’élément central d’un jeu ressemblant désormais plus à une cour royale
qu’à une armée 51.

Luc Bourgeois
CRAHAM (UMR 6273)
Université de Caen Normandie

49. Bourgeois 2015, 269-277.


50. Calvo 1998.
51. Yalom 2005, 195-199 et 213-224.

117
Luc Bourgeois

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Du char de guerre à la tour…

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120
PLANCHES
(Échelles diverses)

Mise en page réalisée par


J.-C. Fossey/CRAHAM
Luc Bourgeois

1|2 3

4 5

7

8 9

6 10

11 12

13 | 14 15

122
Du char de guerre à la tour…

Planche I

1. Oasis de Goachang (Chine).


D’après Le Coq 1913, p. 217
2. Ancien trésor de l’abbaye de Saint-Denis (Italie du Sud).
D’après Pastoureau 1990, fig. 11
3. Motte de Loisy (Saône-et-Loire).
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
4. Trésor du monastère de Celanova (Espagne).
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
5. Castrum d’Andone, Villejoubert (Charente).
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
6. Château de Boves (Somme).
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
7. Colletière (Charavines, Isère).
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
8. Production ottonienne ?
Staatliche Museen, Berlin, d’après Goldschmidt 1918, pl. XXVI, no 81
9. Libro de ajedrez, dados y tablas, Séville, 1283.
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
10. Nicholes de S. Nicholaï, Le Gieu des eskies, Paris, début du XIVe s.
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
11-12. Lübeck (Allemagne).
Dessins J.-C. Fossey/CRAHAM
13. Armorial Bellenville, ca. 1364-1386.
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
14. Helmond (Pays-Bas).
D’après Kluge-Pinsker 1991, no A34
15. D’après Ramírez de Lucena ca. 1497.
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM

123
Luc Bourgeois

16 | 17 18

19 20 | 21

22 23 | 24

26 25 | 27

28 29 | 30

124
Du char de guerre à la tour…

Planche II

16. Maître B.R., Rhin inférieur, fin des années 1480.


Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
17. Paris, Musée du Louvre.
D’après Goldschmidt 1926, pl. LXIII, no 180-d
18. France du Nord ou Angleterre.
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
19. Loch St Columba (Écosse). Édimbourg, Musée national.
D’après Goldschmidt 1926, pl. LXXI, no 256-b
20. Château de Fréteval (Loir-et-Cher).
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
21. Grodno (Biélorussie).
D’après Linder 1979, p. 80
22-25. Novgorod (Russie).
Dessins J.-C. Fossey/CRAHAM
26-27. Dépôt de l’île de Lewis (Hébrides extérieures, Écosse).
Dessins J.-C. Fossey/CRAHAM
28. Château de Borgholm (Räpplinge, Suède).
Cliché I. Rodet-Belarbi
29. Manuel dit de Philippe VI de Valois, Paris, 1416.
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM
30. D’après Ramírez de Lucena ca. 1497.
Dessin J.-C. Fossey/CRAHAM

125
VARIA
LES SEPT SAGES ET L’ÉGYPTE 1

Dans un passage de son livre I, consacré à l’Égypte, Diodore de Sicile dresse un


inventaire de « tous les personnages qui, célébrés chez les Grecs pour leur intelligence
et leur culture, ont abordé en Égypte dans les temps anciens pour se frotter aux règles
en usage dans ce pays et à sa culture » 2. En s’appuyant sur le témoignage des prêtres
égyptiens, « d’après le récit des livres sacrés », Diodore mentionne ainsi : Orphée,
Musée, Mélampous, Dédale, Homère, Lycurgue le Spartiate, Solon d’Athènes,
Platon, Pythagore de Samos, Eudoxe le mathématicien, Démocrite d’Abdère et
Oinopide de Chios. Or, Diodore est loin d’être le seul, parmi les auteurs classiques,
à citer des Grecs, généralement réputés pour leur sagesse ou leur exemplarité, qui
soient crédités d’un voyage au pays du Nil. Rien que pour les périodes archaïque et
classique, il est possible d’en recenser au moins une cinquantaine 3. De nombreux
doutes pèsent sur la venue de beaucoup d’entre eux, voire sur leur existence réelle,
comme dans le cas d’Orphée 4, de Mélampous 5 ou encore de Lycurgue 6. Et même
pour les Grecs de cette liste historiquement attestés, il est bien rare que l’on puisse
affirmer avec certitude la réalité du voyage en Égypte, les débats à ce sujet étant a
priori insolubles 7. Abandonnant le terrain des realia pour celui des représentations,

1. Cet article procède d’une communication présentée le 6 avril 2018 dans le cadre du séminaire
culture d’HisTeMé (ex-CRHQ, EA 7455), co-organisé par S. Haffemayer, T. Haziza, T. Hippler et
S. Loncle. Le programme 2017-2018 portait sur les migrations intellectuelles de l’Antiquité à nos
jours. Je remercie M. Dana (Université Paris 1/ANHIMA) pour sa présentation lors de cette séance
d’une communication intitulée : « Les voyages méditerranéens des intellectuels du Pont-Euxin aux
époques hellénistique et impériale ». Je remercie également pour sa relecture attentive et son aide
précieuse, concernant en particulier les recherches dans le TLG, C. Dumas-Reungoat, sans qui la
revue Kentron ne serait pas ce qu’elle est.
2. Diodore de Sicile, I, 96 (trad. Casevitz 1991).
3. Voir Defrasne 1947.
4. Pour une présentation d’Orphée et de son mythe, voir par exemple Gantz 2004, 1267-1274.
5. Sur Mélampous, fils d’Amythaon, voir ibid., 330-336 et 555.
6. Sur les incertitudes qui pèsent sur le personnage de Lycurgue, voir en dernier lieu la synthèse sur
Sparte de Richer 2018, en particulier 37-59.
7. Pour l’exemple de la question du voyage de Platon, voir en particulier : Godel 1956 ; Mathieu 1987 ;
Joly 1992 ; Brisson 2000.

Kentron, no 34 – 2018, p. 129-160


Typhaine Haziza

il m’a semblé intéressant de reprendre la question du “voyage obligé” en Égypte en


m’attachant à un groupe emblématique de ces Grecs “voyageurs”, celui des Sept
Sages. Si les Sept ont des profils assez divers, ils ont tous en commun d’être des
hommes censés avoir vécu au VIIe ou VIe siècle et « réputés et reconnus pour leur
sens pratique et leur habileté (sophia) politique » 8. Ce sont donc principalement
des hommes d’État, des législateurs et / ou des philosophes, ainsi que des poètes.
Dans cet article, il s’agira donc de tenter de cerner et de comprendre les liens qui
les rattachent à l’Égypte et, en particulier, à Amasis, le pharaon philhellène.

Le monde grec à l’école de la sagesse égyptienne


Dans un article, déjà ancien 9, repris presque intégralement dans un chapitre de son
livre Mémoire d’Ulysse, paru en 1996, François Hartog a donné quelques pistes de
réflexion sur les raisons qui ont poussé les Grecs à considérer le voyage en Égypte
comme un passage quasi obligé dans la trajectoire d’un intellectuel grec :

Voyager en Égypte signifiera pour un intellectuel grec remonter le temps et entrevoir


les commencements, pouvoir recueillir un récit ou tenir un discours vraisemblable
sur les débuts de la vie civilisée en général ou de telle ou telle pratique culturelle.
[…] En somme, faire le voyage d’Égypte, c’est pour le Grec le moyen d’avoir “plus
de souvenirs que s’il avait mille ans !” Trouver la mémoire qu’il n’a pas ou retrouver
celle qu’il n’a plus 10.

Le récit de Critias, rapporté par Platon dans le Timée, est, à ce titre, tout à fait
explicite :

« Son voyage l’ayant amené dans cette ville [Saïs], Solon m’a raconté qu’il y fut reçu
avec de grands honneurs, puis qu’ayant un jour interrogé sur les antiquités les prêtres
les plus versés dans cette matière, il avait découvert que ni lui, ni aucun autre Grec
n’en avait pour ainsi dire aucune connaissance » […] « Solon m’a rapporté qu’en
entendant cela, il fut saisi d’étonnement et pria instamment les prêtres de lui raconter
exactement et de suite tout ce qui concernait ses concitoyens d’autrefois » 11.

Ce célèbre passage est en lien avec le mythe de l’Atlandide et, à ce titre, a déjà suscité
de longs commentaires 12. Je me contenterai de rappeler à ce propos quelques remarques

8. Dorion 2005, 2001. Pour une présentation récente des Sept Sages, voir Schwab 2014.
9. Hartog 1986.
10. Hartog 1996, 55.
11. Platon, Timée, 21e-22a et 23d (trad. Chambry 1969). Il est intéressant de relever que Platon parle
de la ville de Saïs comme étant la patrie d’Amasis.
12. Sur le mythe de l’Atlantide, outre l’ouvrage de Vidal-Naquet 2005, voir Foucrier 2004.

130
Les Sept Sages et l’Égypte

importantes pour notre sujet. D’abord, comme le souligne Pierre Vidal-Naquet, il


ne faut pas chercher une quelconque vraisemblance dans ce récit : « ce prétendu dia-
logue est un dialogue des morts dont les protagonistes ne se sont sans doute jamais
rencontrés » 13. S’il ne faut pas considérer le dialogue rapporté dans le Timée comme
ayant réellement eu lieu, il ne faut pas davantage prendre pour argent comptant les
propos prêtés par les prêtres égyptiens à un Solon “fictif”, dans un entretien tout à
fait hypothétique. L’intérêt de ce texte ne se place donc pas du côté des realia, mais
bien plutôt de celui des représentations et, en particulier pour notre propos, celui des
représentations grecques sur l’Égypte ou, comme le dit Pierre Vidal-Naquet, « plus
précisément des prêtres égyptiens qui, chez Platon comme chez Hérodote, sont les
témoins de l’ancienneté de l’histoire humaine » 14.
Dans certains de mes travaux antérieurs, j’ai montré comment le regard grec sur
l’Égypte pouvait être frappé d’un paradoxe : si l’Égypte fait partie des terres barbares
– et à ce titre, les Égyptiens peuvent se voir créditer de tous les travers associés
généralement depuis les Guerres Médiques aux Barbares et, en particulier, aux
Perses –, elle fait aussi figure d’exception 15. Depuis Homère s’est en effet créé ce que
Christian Froidefond a pu appeler “le mirage égyptien” 16. Proche de l’Autre Monde,
l’Égypte est aussi un pays merveilleux et fascinant. Dans cette longue construction
continue, Hérodote, le premier historien, constitue assurément un jalon essentiel.
Parcourant le monde connu afin de conserver à la postérité « les grands exploits
accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares » 17, il visite l’Égypte vers le milieu
du Ve s. av. J.-C. Manifestement très impressionné par le pays du Nil, il en fait le
sujet de la plus importante des digressions de ses Histoires. Si l’Autre y est perçu
comme un contre-Grec, adoptant « presque en toutes choses des mœurs et des
coutumes à l’inverse des autres hommes » 18, entendons des Grecs, les Égyptiens se
distinguent par l’ancienneté de leur civilisation. Véritable école de la Grèce pour
bien des choses 19, en particulier dans le domaine religieux, l’Égypte devient, avec
Hérodote, une terre de sagesse, modèle presque parfait et précurseur d’une morale
et de valeurs universelles, ce qui passe, bien souvent, pour l’historien, par la démons-
tration de la supériorité égyptienne sur les autres peuples, y compris parfois sur les

13. Vidal-Naquet 2005, 25.


14. Ibid., 27. Sur Hérodote, je renvoie à mes travaux antérieurs, en particulier à Haziza 2009.
15. Ce qui suit est repris de Haziza 2016.
16. Froidefond 1971.
17. Hérodote, préface (trad. Barguet 1985, 38).
18. Hérodote, II, 35 (trad. Legrand 1936, 89). Sur cette figure d’inversion, voir Hartog 1980.
19. Toutefois, chez Hérodote, l’Égypte n’est pas encore considérée comme l’origine de la civilisation
dans son ensemble (cf. Froidefond 1971, 163-169). Sur le thème du « premier inventeur », voir
Kleingünther 1933. Nous remercions Aude Busine d’avoir attiré notre attention sur cette référence.

131
Typhaine Haziza

Grecs eux-mêmes 20. Rien d’étonnant alors à ce que le Père de l’Histoire présente
un Solon débiteur de l’Égypte (II, 177), même si, d’un point de vue historique, tout
cela est totalement impossible puisque le législateur athénien avait promulgué ses
lois à Athènes depuis plus de vingt ans quand Amasis arriva au pouvoir en 570.
Cette reconnaissance de la sagesse égyptienne trouve ses origines dans un
courant préexistant à Hérodote, qui avait pris toute sa consistance au sein des Grecs
d’Ionie, ceux-ci ayant largement bénéficié de la politique globalement philhellène des
souverains de la XXVIe dynastie égyptienne (essentiellement de 664 à 525 av. J.-C.)
– j’y reviendrai. Elle connaît cependant une nouvelle ampleur avec l’historien
d’Halicarnasse. Si l’enthousiasme d’Hérodote est loin d’avoir fait l’unanimité dans
l’Antiquité, le Père de l’Histoire ayant même été traité avec mépris de philobarbaros
(« ami des barbares »), son influence est certaine, chez des auteurs comme Euripide,
mais surtout sur les philosophes Platon et Aristote. Le voyage en Égypte devient, du
reste, une étape incontournable pour tous ceux qui recherchent la sagesse dont les
prêtres égyptiens sont vus désormais comme les dépositaires privilégiés.
Or, c’est aussi à l’époque de Platon que semble se constituer ce qu’on appelle
la syllogè, c’est-à-dire cette assemblée de Sept Sages reliés entre eux, non seulement
par des anecdotes, mais aussi, de plus en plus, par une sagesse commune 21.

La formation d’une légende


La légende des Sept Sages n’est pas apparue d’un seul coup, loin s’en faut. Elle a
connu une longue gestation, des réélaborations, tributaires des contextes et des
périodes auxquelles elles étaient effectuées, même si des permanences existent.
Dans un petit livre tout à fait éclairant 22, Aude Busine s’est attachée à reconstituer
le “parcours historique” suivi par les récits autour des Sept Sages, depuis l’époque
d’Hérodote jusqu’à celle de Plutarque. Dans un premier chapitre, elle montre tout
d’abord qu’Hérodote permet de saisir « les prémices d’une légende qui, lentement,
se met en place » 23. Si le Père de l’Histoire introduit bien dans son récit des motifs
sur certains des Sept Sages, il ne semble néanmoins pas connaître la « légende des

20. À ce sujet, voir le traitement de la légende de Protée et celle de Busiris par Hérodote (cf. Haziza 2014).
21. Stricto sensu, le terme syllogè signifie « rassemblement d’hommes, assemblée » (cf. Bailly, s.u. συλλογή,
I, 3).
22. Cf. Busine 2002 avec bibliographie.
23. Busine 2002, 17. Hérodote parle des rapports entretenus entre plusieurs “Sages” et Crésus : en
I, 29-30, de manière générale et plus particulièrement pour Solon ; en I, 75, pour Thalès, dont la
capacité à donner des conseils politiques est aussi développée en I, 170 ; en I, 27, pour Bias et Pittacos.
D’autres futurs membres de la syllogè se retrouvent chez Hérodote : Chilon (I, 59) ; Anacharsis (IV,
46-47 et 76) ou encore Périandre (III, 48-51 et V, 92, V, 95), sans qu’il les présente spécifiquement
comme des “Sages”.

132
Les Sept Sages et l’Égypte

Sept » (la syllogè). « L’idéologie de son élaboration et le cadre dans lequel elle évoluera
semblent toutefois déjà partiellement établis » 24. Néanmoins, les rôles de Bias, Pittacos
et Thalès paraissent encore réduits à côté de la description du personnage de Solon.
Par contraste avec la plupart des poètes archaïques, nous possédons des infor-
mations relativement développées sur la vie de Solon, personnage historiquement
attesté – et dont nous avons conservé quelques-uns des poèmes –, même si la légende
s’est rapidement emparée du personnage 25. Alors qu’Athènes connaissait une
crise politique et sociale, Solon aurait été choisi pour arbitrer les conflits. Devenu
archonte dans les premières années du VIe siècle (on retient en général la date de
594-593), il aurait donc promulgué un certain nombre de lois afin de résoudre
la crise. Après son archontat, Solon aurait, selon nos sources, quitté Athènes et
voyagé pendant une dizaine d’années, en particulier en Égypte, à Chypre et peut-
être aussi en Lydie. Revenu à Athènes, il aurait essayé, selon Aristote, de lutter
contre la montée au pouvoir de Pisistrate et serait mort à Chypre à quatre-vingts
ans (vers 560 av. J.-C.). Si les circonstances de la crise et le comportement de Solon
nous sont en partie connus par le propre témoignage du législateur, à travers ses
poèmes, son action a largement été magnifiée, à partir de la fin du Ve siècle et
surtout au IVe siècle, par les Athéniens qui ont fait de lui le « père fondateur de la
démocratie, d’une démocratie qui n’était pas le régime radical et excessif dénoncé
par les philosophes, mais un régime sage et équilibré où, tout en respectant la
souveraineté du dèmos, on veillait à la contenir dans des limites strictes », pour
reprendre les propos de Claude Mossé 26. Solon s’est ainsi vu attribuer une série de
faits et gestes légendaires qui le représentent comme l’homme politique athénien
idéal. Considéré très tôt comme un sage, il est donc logique de lui voir tenir une
place centrale dans la légende des Sept Sages. Dans la syllogè, la place de Solon
traduit « la réappropriation athénienne du thème des Sept Sages dans le contexte
anti-tyrannique de la cité du Ve siècle. C’est au départ de ce modèle athénien qu’une
sorte d’universalisation de la légende se fera jour par la suite » 27. Dans le contexte
de la ligue de Délos, qu’Athènes avait besoin de légitimer, « on pouvait alors se
targuer de ce que les Sages venus de toute la Grèce, continentale et asiatique, se
côtoyaient déjà au siècle précédent autour du grand Solon. Selon la version véhiculée
à Athènes, les Sept Sages participèrent d’une idéalisation de la Grèce archaïque
par la cité athénienne au faîte de sa puissance » 28.

24. Busine 2002, 25.


25. Sur Solon, nous renvoyons aux études récentes suivantes : Owens 2010 ; Noussia-Fantuzzi 2010 ;
Blok & Lardinois 2014 ; Psilakis 2014 ; Tell 2015 ; Leão & Rhodes 2016 et Dmitriev 2018.
26. Mossé 1979, 425. Voir aussi Leduc 1998.
27. Pirenne-Delforge 2003, 373.
28. Busine 2002, 39.

133
Typhaine Haziza

Par la suite, dans l’élaboration de la syllogè et notamment en ce qui concerne la


renommée des autres sages, Platon semble avoir été un jalon important. La première
mention d’une liste des Sept Sages figure dans le Protagoras 29. De plus, Platon instaura
« un lien privilégié entre les Sages, Sparte et Delphes » 30, s’inspirant sans doute d’autres
développements de la légende qui s’était élaborée à Athènes. Si le personnage de Solon
occupe toujours une place centrale, Platon, par la bouche de Socrate, utilise les Sages
pour promouvoir l’idéologie spartiate. Ainsi s’explique sans doute le choix qu’il fait
de clôturer son énumération des Sept par Chilon de Lacédémone – certainement
parmi divers prétendants possibles, issus de listes concurrentes et révélatrices de leurs
origines. Par ailleurs, il est le premier à associer directement les Sages au sanctuaire
d’Apollon. Néanmoins, ce rapport entre la légende des Sept Sages et Delphes n’est
pas une simple création du philosophe. Il a, semble-t-il, été impulsé, dès le VIe siècle,
par le sanctuaire d’Apollon pythien lui-même, quand « Delphes chercha à fédérer
les “sagesses locales” pour la plus grande gloire de son Apollon et pour l’affirmation
de son statut de centre de la culture grecque » 31.
Aristote, quant à lui, joua un rôle important dans la valorisation du personnage
de Thalès 32. Aucun écrit n’est conservé de Thalès de Milet. Il serait né vers 640 et mort
en 548 av. notre ère. Considéré comme le premier philosophe, il aurait proposé, selon
Aristote, l’eau comme matière originelle, en ouvrant ainsi une réflexion nouvelle, qui
veut qu’à des phénomènes naturels on cherche une explication dans la nature même.
Il fait partie des philosophes ioniens présocratiques. Réputé pour ses compétences
politiques – selon Hérodote, il aurait conseillé aux Ioniens d’instituer un conseil
délibératif unique à Téos – et pour ses actions de conseiller avisé – il aurait ainsi
conseillé à bon escient Crésus –, il est surtout présenté comme l’un des fondateurs de
l’astronomie – il aurait ainsi prédit une éclipse solaire au cours de l’année 585 – et de la
géométrie, après son voyage en Égypte, où il aurait étudié les techniques d’arpentage
des terres, qu’il aurait ensuite généralisées. Ce séjour en Égypte expliquerait aussi ses
tentatives de compréhension de la crue du Nil.
À l’époque hellénistique, la légende des Sept Sages garde ses principales
caractéristiques, mais elle s’enrichit de nouveaux motifs significatifs – en particulier
celui de l’agôn des Sept Sages – et se voit récupérée par de nombreuses cités, qui
trouvaient en elle une manière de se valoriser.

29. Dans ce passage du Protagoras, 343a, sont nommés : Thalès de Milet, Pittacos de Mytilène, Bias
de Priène, Solon d’Athènes, Cléobule de Lindos, Myson de Chénée et, en septième place, Chilon
de Lacédémone.
30. Busine 2002, 37.
31. Pirenne-Delforge 2003, 373.
32. Aristote, Du ciel, II, 13, et Métaphysique, I, 3. Sur Thalès, voir Laurent & Pradeau 2012 ; Laurent 2013 ;
Graham 2014 ; Schwab 2015.

134
Les Sept Sages et l’Égypte

A priori, on pourrait s’attendre, à la suite de Platon, à ce que la tradition eût


fait émerger une liste arrêtée de sept personnages réputés pour leur sagesse. Les
choses ne sont toutefois pas aussi simples, d’une part parce que la liste continue
d’évoluer d’un auteur à un autre et, d’autre part, parce que la sagesse de certains
peut sembler relative – c’est le cas, par exemple, du tyran Périandre de Corinthe 33.
Pour les auteurs de l’époque hellénistique qui se sont penchés sur la syllogè, il ne
nous reste malheureusement que des fragments et des témoignages indirects, en
particulier issus de Diogène Laërce. Ce compilateur, qui vécut probablement dans la
première moitié du IIIe siècle de notre ère 34, est pratiquement la seule source antique
nous permettant d’accéder aux différentes versions hellénistiques concernant la
légende. Voici le passage de Diogène consacré aux Sept :

Sur les Sept – il convient en effet de faire mention d’eux en termes généraux en
cet endroit –, on rapporte les choses suivantes.
Damon de Cyrène, qui a écrit Sur les philosophes, les prend tous à partie, mais
surtout les Sept.
Anaximène dit que tous se sont appliqués à la poésie.
Dicéarque dit qu’ils ne furent ni sages ni philosophes, mais des hommes avisés
et des législateurs.
Archétimos de Syracuse a consigné un échange tenu entre eux chez Cypsélos,
où lui-même se trouvait être présent ; Éphore cependant (situe cet échange)
chez Crésus sans Thalès. Certains disent qu’ils se sont rencontrés à Paniônion,
à Corinthe et à Delphes.
41 On constate des désaccords concernant les déclarations (qui leur sont attribuées)
et la même est prêtée à l’un ou à l’autre […].
On discute également au sujet de leur nombre. Car Léandrios retient, à la place
de Cléobule et Myson, Léophantos, fils de Gorsiadas, de Lébédée ou d’Éphèse,
et Épiménide le Crétois. Platon dans le Protagoras met Myson à la place de
Périandre. Éphore, lui, (met) à la place de Myson Anacharsis. Certains inscrivent
aussi (dans la liste) le nom de Pythagore.
Quant à Dicéarque, il nous transmet quatre (noms) unanimement acceptés : Thalès,
Bias, Pittacos, Solon. Il en nomme six autres parmi lesquels trois sont choisis :
Aristodème, Pamphylos, Chilôn de Sparte, Cléobule, Anacharsis, Périandre.
Certains ajoutent Acousilaos, fils de Caba ou de Scabra, d’Argos.

33. Sur Périandre de Corinthe, voir Skržinskaja 1974 ; Vernant 1981, repris et complété dans Vernant
& Vidal-Naquet 1986.
34. Sur ses Vies et doctrines des philosophes illustres, voir en particulier l’édition de Goulet-Cazé 1999,
avec notes et commentaires. Voir aussi Goulet 1992.

135
Typhaine Haziza

42 Hermippe, dans son ouvrage Sur les Sages, dit (qu’on en a connu) dix-sept, parmi
lesquels on a choisi différents groupes de sept. Il s’agit de Solon, Thalès, Pittacos,
Bias, Chilôn, <Myson,> Cléobule, Périandre, Anacharsis, Acousilaos, Épiménides,
Léophantos, Phérécyde, Aristodème, Pythagore, Lasos, fils de Charmantidès ou
de Sisymbrinos – ou encore, selon Aristoxène, de Chabrinos –, d’Hermione,
Anaxagore.
Mais Hippobote dans son Registre des philosophes (donne les noms suivants) :
Orphée, Linos, Solon, Périandre, Anacharsis, Cléobule, Myson, Thalès, Bias,
Pittacos, Épicharme, Pythagore 35.

Au total, vingt et un noms sont donc mentionnés dans ce passage de Diogène


Laërce, qui, lui-même, choisit de développer la vie de onze d’entre eux seulement.
Comme on peut le constater, certains sont plus populaires que d’autres et se retrouvent
cités dans pratiquement toutes les listes 36, si bien que l’on peut considérer que les
Sages reconnus, plus tard, par Plutarque 37, dans son Banquet des Sept Sages – Solon,
Bias, Thalès, Anacharsis, Cléobule, Pittacos et Chilon, qui sont, notons-le, reçus
chez Périandre, lequel n’est donc pas ici compris dans la liste –, constituent bien
la liste la plus traditionnelle, à l’exception peut-être de la mention d’Anacharsis 38.
Comme le souligne Louis-André Dorion dans sa notice consacrée aux Sept Sages du
Dictionnaire de l’Antiquité, « en vérité, six noms figurent sur la très grande majorité
des listes ; il s’agit de Thalès, Solon, Pittacos, Cléobule, Chilon et Bias. C’est donc
surtout le septième nom qui est le principal objet des fluctuations » 39.

Des Sages liés à l’Égypte


Sur ces six noms, cinq d’entre eux ont, selon nos sources antiques, un lien avec
l’Égypte 40. Comme nous l’avons vu, le premier qui fut crédité d’un voyage en Égypte

35. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, I, 40-42 (trad. Goulet, in Goulet-Cazé 1999).
J’ai souligné les passages particulièrement importants pour la présentation des Sept Sages.
36. Sur le degré de stabilité des personnages constituant le “Canon des Sept Sages”, voir l’article récent
de Maltomini 2015.
37. La troisième partie de l’ouvrage d’Aude Busine (Busine 2002) – soit les trois derniers chapitres – est
réservée à l’œuvre de Plutarque, comme il se doit, puisque celui-ci a, d’une part, consacré tout un traité
au banquet des Sept Sages et, d’autre part, écrit une Vie de Solon dans laquelle il reprend naturellement
certains aspects de la légende, tout comme dans son traité l’Epsilon de Delphes. Sur Plutarque, parmi
une bibliographie pléthorique, voir aussi en dernier lieu Boudon 2016 et Frazier 2016.
38. Sur Anacharsis, voir Kindstrand 1981 et, en dernier lieu, Terzopoulou 2015. Sur l’intégration de
figures de barbares hellénisés, tel Anacharsis, dans la légende des Sept Sages, voir Schwab 2014.
39. Dorion 2005, 2001. Et, comme nous le voyons mentionné dans l’extrait de Diogène Laërce, quatre
sont systématiquement retenus : Thalès, Bias, Pittacos et Solon.
40. Notons que d’autres Sages, parfois considérés comme faisant partie des Sept Sages, peuvent aussi être
crédités d’un lien avec l’Égypte. C’est le cas, par exemple, de Phérécyde de Syros (sur ce personnage,

136
Les Sept Sages et l’Égypte

est incontestablement Solon, puisque ce séjour est déjà mentionné par Hérodote 41.
Bien qu’il ne le dise pas explicitement 42, il est possible que le Père de l’Histoire soit
aussi à l’origine de la tradition d’un voyage de Thalès sur les bords du Nil. En tout
cas, il paraissait évident aux auteurs plus tardifs 43 que Thalès n’avait pu élaborer
ses théories sur la crue du Nil qu’après un voyage en Égypte. Cette croyance s’est
sans doute d’autant plus ancrée qu’à l’époque hellénistique les Sages deviennent
presque interchangeables dans leur attitude ou leurs propos. Il ne me paraît pas
surprenant alors que le thème du voyage en Égypte, qui était initialement attribué
à Solon, ait été étendu à d’autres Sages grecs, à commencer par ceux qu’on estimait
appartenir aux Sept. Cléobule 44 est ainsi manifestement touché par le phénomène.
Généralement présenté comme originaire de Lindos – mais une autre tradition le
dit originaire de Carie –, Cléobule, fils d’Évagoras, est connu pour ses chants, ses
énigmes et ses conseils. On ne sait néanmoins pas grand-chose de ce personnage,
largement légendaire, dont la famille prétendait remonter à celle d’Héraclès. Il
aurait “régné”, en tant que tyran, sur Lindos un long laps de temps vers le milieu

voir Toye 1997, Palù 2004, Granger 2007) ou encore de Pythagore de Samos. La bibliographie sur
Pythagore est pléthorique, mais concerne surtout des études sur le pythagorisme. Sur la place historique
de ce personnage, voir Morrison 1956 et, de manière générale, la très récente mise au point de Macris
2018. Il faut également rajouter que deux “Égyptiens” ont pu, aux époques tardives, être classés parmi
les Sept Sages. Il s’agit d’Hermès Trismégiste, que la tradition néo-platonicienne considérait comme
l’un des sages anciens (voir par exemple Jamblique, Les mystères d’Égypte, I, 1 et 2), et de Thoulis (roi
d’Égypte qui apparaît pour la première fois dans la Souda).
41. Hérodote, I, 29-30, et II, 177. Notons que cette tradition est développée par un grand nombre
d’auteurs antiques, en particulier Platon (Timée, 21), Aristote (Ath. Pol., 11, 1), Diodore de Sicile
(I, 69 et 96-98), Strabon (Géographie, II, 3, 6), Plutarque (Vie de Solon, 26, et Isis et Osiris, 10),
Héraclide du Pont (FHG II, p. 208, 1, 5) ou encore Proclus (Commentaire sur le Timée, 31 D).
42. Une allusion aux théories de Thalès concernant la crue du Nil se cache sans doute derrière la critique
de « certains Grecs, voulant se faire une réputation de science, [qui] ont proposé de ce mouvement
des eaux trois explications différentes » (II, 20 ; trad. Legrand 1936, 79). En effet, on peut sans doute
reconnaître, dans la première des explications démontées par Hérodote, les explications données par
Thalès, telles que Diodore de Sicile, I, 38, les énonce : « L’une prétend que les vents étésiens sont la
cause du gonflement du fleuve, parce qu’ils empêcheraient le Nil de se déverser dans la mer » (ibid.).
43. Le voyage en Égypte de Thalès est clairement mentionné par Flavius Josèphe (Contre Apion, I, 2),
Plutarque (Isis et Osiris, 10 ; 34 ; De Plac. phil. I, 3), Clément d’Alexandrie (Stromates, I, 15, 45) ou
encore Diogène Laërce (Vies et doctrines des philosophes illustres, I, 3, 5, 15).
44. À ma connaissance, il n’existe pas d’études spécifiquement centrées sur ce personnage, à l’exception
de la brève notice de la Neue Pauly (s.u. « Kleobulos, Κλεόβουλος », de Albiani, Engels, Welwei et
Ameling, accessible en ligne ; Albiani et al. 2005). L’article annoncé par Eric David Francis sous le
titre « Cleobulus, Ruler of Lindos » (cf. Francis & Vickers 1984, 127, n. 2) ne semble pas avoir vu le
jour, sans doute en raison de la mort de son auteur en 1987. Il existe, en revanche, une étude sur la
fille de Cléobule, Cléoboulinè ; cf. Capellà 1993-1995. Pour une présentation du contexte de la tyrannie
de Cléobule à Lindos, je renvoie donc à Berve 1967, en particulier t. I, 38 et 119. Plus largement, sur la
figure du tyran archaïque et les ambiguïtés de son image, nous renvoyons, entre autres, à Yerly 1992 ;
Sanchez de la Torre 1999 ; Mossé 2004 ; Oliveira Gomes 2007 ; Gastaldi & Pradeau 2009 ; Damet 2012.

137
Typhaine Haziza

du VIe siècle av. notre ère et serait le contemporain du tyran Pisistrate d’Athènes 45.
Lilian Hamilton Jeffery considère qu’il pourrait avoir été à l’origine de la prospérité
de la cité, qui saisit l’opportunité offerte par le développement naissant du commerce
entre le monde grec et l’Orient 46. Selon Diogène Laërce, il aurait eu une fille du nom
de Cléoboulinè, réputée elle aussi pour ses « énigmes poétiques en hexamètres » 47.
Dans le même passage, l’auteur des Vies et doctrines des philosophes illustres précise
qu’il se « distinguait par la force – mais certaines versions du texte de Diogène
mentionnent plutôt ici son jugement – et la beauté, et qu’il avait eu part à la philo-
sophie qui est (pratiquée) en Égypte » 48.
La contagion ne s’arrête visiblement pas là, puisqu’elle semble concerner
également – il est vrai, de manière plus indirecte, puisqu’il n’est plus question à
proprement parler de voyage, mais de relations avec un souverain égyptien – Bias 49
et Pittacos 50. Nous ne disposons pas de sources historiques sérieuses au sujet de
Bias, les témoignages sur lui provenant essentiellement de sources disparates
compilées à l’époque hellénistique ou même encore plus tard 51. Diogène Laërce
lui consacre une partie – mais ne mentionne pas son voyage en Égypte. Fils d’un
certain Teutamos, de Priène, sans doute riche, il aurait contribué par ses ruses
avisées à ce qu’Alyattès (Allyate II qui régna environ de 610 à 561), le père de
Crésus, fît la paix avec la cité de Priène, qu’il assiégeait. Certains commentateurs
préfèrent toutefois considérer que cet épisode renverrait plutôt au règne de son
père, Ardys (ca 652-615), dans la mesure où Hérodote, I, 15, mentionne que ce
roi aurait pris Priène 52. Pourtant, le Père de l’Histoire le fait intervenir à la cour
de Crésus, qui régna de 561 à 547 ou 546 av. J.-C. (I, 27), tout comme Diodore
de Sicile (IX, 27, 3), et, dans son Banquet des Sept Sages, Plutarque lie le Sage de
Priène au pharaon Amasis (570-526), ce qui ne peut concorder chronologiquement
avec les éléments précédents. Auteur d’énigmes réputées, conseiller avisé et rusé,
fin négociateur, Bias est aussi présenté comme « un orateur des plus habiles dans
les causes judiciaires ; toutefois il mettait la force de ses discours au service du
bien » 53. Mentionné dans l’ensemble des listes qui nous sont parvenues des Sept

45. Ainsi que de Lygdamis de Naxos ou encore de Polycrate de Samos (cf. Francis & Vickers 1984, 119).
46. Jeffery 1976, 198.
47. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, I, 89 (trad. Goulet, in Goulet-Cazé 1999). Sur
cette tradition qui fait de Cléobule et de sa fille les “inventeurs” de l’énigme, voir Berra 2012, 430-432.
48. Outre Diogène Laërce (Vies et doctrines des philosophes illustres, I, 89 ; trad. Goulet, in Goulet-Cazé 1999),
la Souda fait état de son voyage en Égypte (cf. http://www.stoa.org/sol-entries/kappa/1719).
49. Sur Bias, nous renvoyons aux études suivantes : Mühll 1965 ; Pòrtulas 1993 ; Schirren 2005.
50. Sur Pittacos, voir en particulier Heintze 1977 ; Lapini 2007.
51. Voir Obradović 2011.
52. McNicoll 1997, 49.
53. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, I, 84 (trad. Goulet, in Goulet-Cazé 1999).

138
Les Sept Sages et l’Égypte

Sages, Bias est parfois considéré comme le plus grand d’entre eux 54, cette version
de la légende ayant sans doute été forgée dans sa région d’origine.
Quant à Pittacos, son lien avec l’Égypte n’apparaît que dans le dialogue de
Plutarque Du bavardage, dans lequel celui-ci lui attribue la réponse à l’énigme
posée par le pharaon 55, qu’il porte pourtant au crédit de Bias dans son Banquet
des Sept Sages (146F-147A), ainsi que le fait également une scolie à Hésiode, où
cette fois le nom du pharaon, Amasis, est clairement mentionné 56. Originaire de
Mytilène à Lesbos, Pittacos se serait beaucoup investi dans la vie politique de sa
cité, entre le milieu du VIIe s. et les environs de 570, date que l’on retient tradi-
tionnellement pour sa mort. Associé aux frères du poète Alcée, il aurait participé
à la chute du tyran de Lesbos, Mélanchros, avant d’accepter de gouverner la cité
de Mytilène pendant dix ans, ce qui lui valut de se fâcher avec Alcée. Diogène
Laërce, à la suite de Strabon (XIII, 1, 38), rapporte également que,

au temps de la guerre entre les Athéniens et les Mytiléniens à propos du territoire de


l’Achillétide, il commandait (aux Mytiléniens), alors que commandait aux Athéniens
le pancratiaste Phrynôn, champion olympique. Or, il fut convenu qu’il combattrait
contre ce dernier en combat singulier. En gardant caché un filet sous son bouclier,
il en enveloppa Phrynôn et, l’ayant tué, il récupéra le territoire 57.

Comme la plupart des autres Sages, il est aussi crédité de chants, de poèmes et
de maximes. Notons enfin que, dans nos sources anciennes, Pittacos est aussi en
relation avec Crésus, bien que les chronologies de sa vie et du règne du roi lydien
semblent incompatibles : Diogène Laërce rapporte, en effet, une lettre qu’il aurait
envoyée à Crésus dans laquelle il acceptait de venir en Lydie « s’entretenir avec lui,
en l’ayant comme hôte » 58.
Développé de manière relativement tardive, il est possible que ce tropisme des
Sages pour l’Égypte soit à mettre en relation avec l’essor d’Alexandrie à l’époque

54. Konstantakos 2005, 24.


55. « Aussi Pittacos n’eut pas tort, lorsque le roi d’Égypte lui envoya une victime à sacrifier et lui prescrivit
de prélever le meilleur et le pire morceau, de prélever et d’envoyer la langue, instrument selon lui
des plus grands biens, mais instrument aussi des plus grands maux » (Du bavardage, 506C, fr. 89,
trad. Dumortier & Defradas 1975).
56. ὡς Πιττακόν φασι, πέμψαντος αὐτῷ τοῦ Ἀμάσιδος ἱερεῖον καὶ ἀξιώσαντος ἀντιπέμψαι τῶν μορίων
αὐτοῦ τὸ κάλλιστον ἃμα καὶ χείριστον, ἐξελόντα τὴν γλῶσσαν ἀποστεῖλαι. Fr. 89 (= Sch. Hes., Op.
719-721 Sandbach) : « On raconte que Pittacos, une fois qu’Amasis lui avait envoyé une victime et
qu’il lui avait demandé de lui renvoyer sa partie la plus belle et en même temps la plus mauvaise,
trancha la langue [de l’animal] et la lui envoya » (je remercie Luciana Romeri pour cette traduction
inédite, ainsi que pour sa relecture et ses conseils avisés).
57. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, I, 74 (trad. Goulet, in Goulet-Cazé 1999).
58. Ibid., I, 81 (trad. ibid.).

139
Typhaine Haziza

hellénistique. Comme le rappelle Aude Busine 59, le milieu alexandrin a en effet été actif
dans l’évolution de la légende des Sept Sages. On sait, par exemple, que Callimaque 60
chercha à couper la légende de ses attaches delphiques pour mieux valoriser ses
protecteurs lagides. Mais, parmi les intellectuels présents à la cour d’Alexandrie, c’est
surtout Démétrios de Phalère 61 qui eut la plus grande influence sur l’élaboration de
la légende. Élève du philosophe aristotélicien Théophraste, philosophe lui-même,
Démétrios de Phalère gouverna Athènes pour le compte de Cassandre de Macédoine
entre 318 et 307, date à laquelle, Athènes venant d’être prise par le rival de Cassandre,
Démétrios Poliorcète, il se réfugia à la cour de Ptolémée Ier Sôter et devint sans doute
un de ses principaux conseillers culturels ; on pense par exemple qu’il eut un rôle
important dans la fondation de la Bibliothèque et peut-être également du Musée,
sur l’exemple du Lycée athénien. Concernant les Sept Sages, Démétrios de Phalère
est celui qui non seulement donna une dimension historique à la légende, mais fut le
premier à établir un recueil de maximes attribuées aux Sept 62. Vers la même époque,
Hécatée d’Abdère est chargé par Ptolémée Ier d’écrire une histoire de l’Égypte, par
laquelle « il applique de façon systématique la théorie faisant dépendre la culture et la
religion grecques de l’Orient, en l’occurrence de l’Égypte. Le but de cette entreprise
était éminemment politique : d’une part, il s’agissait de fournir au pouvoir en place
des outils efficaces pour contrôler les peuples dominés ; de l’autre, la mise en valeur
des Égyptiens permet[tait] d’attirer l’attention sur le royaume des Ptolémées dans
un contexte d’âpre rivalité entre les différents royaumes des Diadoques » 63. Avec la
création du Musée et de la Bibliothèque d’Alexandrie, avec la politique culturelle des
premiers Lagides 64, l’attrait de l’Égypte sur les intellectuels s’en est trouvé renforcé,
ce qui a pu jouer dans l’idée que l’on se faisait d’un voyage “obligé” au pays du Nil
pour tout intellectuel et, à plus forte raison, pour quiconque était à la recherche d’une
antique sagesse 65.
Si la piste alexandrine est donc une hypothèse possible, un autre élément
d’explication, qui n’a peut-être pas été souligné suffisamment par les commenta-
teurs, me semble devoir être développé dans le cadre de l’étude des liens entre les
Sages et l’Égypte, c’est la part que prend un pharaon particulier, Amasis, dernier
grand souverain saïte, qui régna de 570 à 526 av. J.-C.

59. Busine 2002, 65-71.


60. Sur Callimaque, voir Meillier 1979, Ferguson 1980 et, en dernier lieu, Acosta-Hughes et al. 2011 et
Acosta-Hughes & Stephens 2012, Durbec 2014.
61. Sur Démétrios de Phalère, voir Mossé 1992 ; Azoulay 2009 ; Meyer 2010.
62. Sur l’œuvre de Démétrios de Phalère, voir en particulier Wehrli 1968 et Fortenbaugh & Schütrumpf 2000.
63. Broze et al. 2006, 133.
64. À ce sujet, voir l’ouvrage toujours valable de Jacob & Polignac 1992.
65. Sur l’attrait d’Alexandrie, voir en particulier l’ouvrage récent en deux volumes de Méla et al. 2014.

140
Les Sept Sages et l’Égypte

Amasis et les Sept Sages


Par le biais de deux articles passionnants 66, Ioannis M. Konstantakos s’est déjà
penché, de manière assez convaincante, sur la légende des rapports entre Amasis et
l’un des Sept Sages, Bias, telle qu’elle est présentée par Plutarque dans son Banquet
des Sept Sages. Résumons l’histoire développée par Plutarque, ainsi que les thèses
principales de ces deux articles qui concernent notre sujet.
Dans ce dialogue, jugé souvent maladroit, Plutarque met en scène un banquet,
organisé par Périandre à Corinthe, réunissant non seulement les Sept Sages – en
l’occurrence Solon, Bias, Thalès, Anacharsis, Cléobule, Pittacos et Chilon –, mais aussi
d’autres personnages, comme Ésope ou encore Cléoboulinè, la fille de Cléobule. Le
dialogue commence par l’arrivée de Thalès, accompagné d’un certain Niloxénos,
un Grec de Naucratis, le célèbre comptoir grec en Égypte 67. Amasis l’a en effet
chargé de demander l’aide de Bias pour résoudre une énigme qui lui a été envoyée
par le souverain de l’Éthiopie. Le préambule du dialogue rappelle, au passage,
d’une part que Bias a déjà été sollicité par Amasis et, d’autre part, que Solon et
Thalès se sont rendus en Égypte. La scène est censée être rapportée par Dioclès
qui s’adresse à Nicarque :

Ainsi nous cheminâmes, à l’écart de la grand-route, à travers champs, tranquillement ;


un tiers s’était joint à nous, Niloxénos de Naucratis, homme de valeur, qui avait
fréquenté en Égypte Solon et Thalès. Il se trouvait pour la seconde fois en mission
auprès de Bias : à quel propos, il n’en savait rien lui-même, mais il supposait que
c’était un deuxième problème qu’il lui apportait dans un pli cacheté. Il avait reçu
l’ordre en effet, au cas où Bias renoncerait à répondre, de montrer ce message aux
plus sages d’entre les Grecs. “C’est une chance pour moi, dit Niloxénos, de vous
trouver ici tous réunis, et, comme tu le vois, j’apporte le message au banquet”. En
même temps il nous le montrait, et Thalès dit en riant : “Quelque chose ne va pas ?
On reprend le chemin de Priène ; Bias trouvera la solution, comme il l’a déjà trouvée
la première fois”. “Mais quelle était, dis-je, la première question ?” “Il lui avait
envoyé une bête, répondit-il, en lui demandant de la renvoyer après avoir prélevé le
morceau le plus mauvais et le meilleur. Or, notre ami lui fit une excellente réponse,
en la lui renvoyant après avoir prélevé la langue : telle est l’origine de l’estime et de
l’admiration qu’on lui montre”. “Ce n’est pas la seule raison, ajouta Niloxénos ; c’est
aussi qu’il ne craint pas d’être l’ami des rois, ni d’être réputé tel, comme vous le
faites. Car toi aussi, tu as bien des titres à l’admiration de mon maître, et il a surtout
aimé merveilleusement ta façon de mesurer la pyramide […]” 68.

66. Il s’agit de Konstantakos 2004 et 2005.


67. Sur le statut de Naucratis, voir Bresson 2000, ainsi que les propositions d’Agut-Labordère 2012a.
68. Plutarque, Le banquet des Sept Sages, 2 (146E-F) (trad. Defradas et al. 1985).

141
Typhaine Haziza

Un peu plus loin dans le dialogue – juste au début du banquet –, Niloxénos


donne lecture de la lettre d’Amasis porteuse de l’énigme à résoudre :

“Amasis, roi des Égyptiens, à Bias, le plus sage des Grecs. Le roi des Éthiopiens
fait avec moi un concours de sagesse : ayant eu le dessous jusqu’ici dans toutes
les épreuves, il m’a, en fin de compte, fixé une tâche absurde et effrayante, en
m’ordonnant de boire la mer jusqu’à la dernière goutte. Voici l’enjeu : si je résous
la difficulté, un grand nombre de bourgades et de villes de son royaume sont à moi ;
si je ne la résous pas, en revanche, je me retire de la région d’Éléphantine. Examine
donc la question et renvoie tout de suite Niloxénos. Si tes amis ou tes concitoyens
ont besoin de nous, ils ne rencontreront de ma part aucun obstacle”. Cette lecture
terminée, Bias n’attendit pas longtemps : après un moment de recueillement et
quelques mots échangés avec Cléoboulos, son voisin de table, il dit : “Que nous
dis-tu là, citoyen de Naucratis ? Amasis, qui règne sur un si grand peuple et qui
possède un si beau pays, consentira, pour des bourgades obscures et misérables,
à boire jusqu’au bout la mer, qui est si grande ?” “Fais comme s’il y consentait, dit
Niloxénos en riant, et réfléchis à ce qu’il est possible de faire”. “Eh bien ! répondit
Bias, qu’il dise seulement à l’Éthiopien d’arrêter les fleuves qui se jettent dans la
mer, aussi longtemps que lui-même il boit jusqu’à la dernière goutte la mer telle
qu’elle est actuellement : car c’est d’elle qu’il s’agit dans la tâche imposée, et non
de la mer à venir”. À ces mots, Niloxénos, de joie, ne put se retenir d’embrasser
Bias ; les autres le félicitèrent et l’approuvèrent 69.

Plus loin dans le dialogue, Niloxénos, sur la demande de Périandre, revient sur
les questions posées, cette fois, par Amasis à l’Éthiopien et sur les réponses faites
par ce dernier, qui sont critiquées par Thalès 70.

69. Plutarque, Le banquet des Sept Sages, 6 (151A-E) (trad. Defradas et al. 1985).
70. “En vérité, dit Niloxénos, la tâche imposée par l’Éthiopien n’est rien d’autre, pourrait-on dire,
qu’une ‘lamentable missive’, selon le mot d’Archiloque ; mais Amasis, ton hôte, s’est montré
bien plus civilisé et bien plus cultivé en proposant les questions suivantes : il lui a demandé de
lui dire ce qui est le plus vieux, le plus beau, le plus grand, le plus sage, le plus commun, et de
plus, oui, par Zeus, le plus utile, le plus nuisible, le plus puissant et le plus facile.” “A-t-il trouvé
une solution pour chacune de ces questions ?” “Voilà ses réponses, dit Niloxénos : jugez-les
vous-mêmes quand vous les aurez entendues. Le roi attache beaucoup d’importance à ne pas
être convaincu de mauvaise foi vis-à-vis de ces réponses ; mais il ne veut pas non plus, si son
adversaire y commet des erreurs, qu’elles puissent échapper sans être relevées. Je vais vous lire
ce qu’il a répondu.
Ce qui est le plus vieux ? — Le temps. — Le plus grand ? — Le monde. — Le plus sage ? — La
vérité. — Le plus beau ? — La lumière. — Le plus commun ? — La mort. — Le plus utile ? — La
divinité. — Le plus nuisible ? — Un mauvais génie. — Le plus puissant ? — La fortune. — Le plus
facile ? — Le plaisir.”
Une fois ces réponses lues à leur tour, mon cher Nicarque, le silence se fit, et Thalès demanda à
Niloxénos si Amasis avait admis ces solutions. Celui-ci répondit que les unes lui avaient agréé,

142
Les Sept Sages et l’Égypte

Dans son article de 2004, Ioannis M. Konstantakos démontre que la légende


telle qu’elle est développée par Plutarque s’appuie en fait très vraisemblablement sur
une histoire d’origine égyptienne reprise, comme de nombreuses autres histoires
concernant Amasis, par des narrateurs grecs 71, lesquels l’ont ensuite intégrée à
la tradition narrative autour des Sept Sages, avant que Plutarque à son tour s’en
serve pour son dialogue. Certes, aucune source antérieure à Plutarque ne nous
livre exactement la même histoire que celle qui est rapportée par le moraliste,
lequel a sans doute rajouté certains éléments pour adapter l’histoire au contexte
du banquet des Sept Sages à Corinthe 72 ; mais, pour Ioannis M. Konstantakos, il
n’y a pas de raison de penser qu’elle serait une pure invention de Plutarque, alors
que son Banquet est truffé d’anecdotes à propos des personnages présents chez
Périandre pour lesquelles nous avons les preuves que Plutarque ne fait que puiser
dans la tradition 73. Du reste, certains éléments de l’histoire se rencontrent dans
d’autres sources, mais associés à d’autres personnages ou dans un autre contexte.
C’est le cas, par exemple, du motif de la langue ou même de l’adynaton – une figure
de style qui consiste en une hyperbole inconcevable ; une tâche impossible –, vider
la mer, que l’on retrouve dans un contexte similaire et avec la même solution,
dans la Vie d’Ésope, une « biographie fantaisiste d’un auteur semi-légendaire »,
pour reprendre l’expression de Corinne Jouanno, traductrice en français de la
version la plus ancienne, assemblage composite d’éléments dont les plus antiques
remontent à l’époque classique et qui a pris sa forme actuelle au début de notre
ère 74. Mais, surtout, le thème du combat d’énigmes entre deux souverains qui
se disputent par ce biais des territoires ou des richesses matérielles est un motif

mais que les autres lui avaient déplu. “En vérité, reprit Thalès, il n’en est pas une qui ne soit sujette
à la critique : il n’y a partout qu’erreur et grave ignorance.”
(Plutarque, Le banquet des Sept Sages, 8-9 [152E-153E] [trad. Defradas et al. 1985]).
71. Pour Ioannis M. Konstantakos, ce passage dans la tradition grecque d’un récit égyptien a pu se
produire dès le Ve s. av. J.-C. En tout cas, il paraît très probable qu’à l’époque hellénistique au moins
le récit avait grosso modo pris la forme que l’on peut voir chez Plutarque (cf. Konstantakos 2005, 11).
72. C’est vraisemblablement le cas, par exemple, du personnage de Niloxénos, présenté comme un Grec
de Naucratis, dont le nom même semble indiquer son caractère fictionnel : littéralement, son nom
peut signifier « étranger en provenance du Nil », mais le terme qui compose la deuxième partie de
son nom, xénos, peut aussi prendre le sens d’hôte / ami. Son nom peut alors également être traduit
de la sorte : « hôte / ami dans le pays du Nil », ce qui peut se rapporter au fait qu’il a préalablement
rencontré Solon et Thalès, lors de leur voyage en Égypte. Sur cette interprétation, voir ibid., 12.
73. Pour Ioannis M. Konstantakos, « The fact that the story about Amasis and Bias does not occur as
a whole in other sources may simply be an accident of transmission, given that many of the ancient
writings about the Seven Sages have been lost. Anyhow, particular elements of the story do recur in
other sources » (Konstantakos 2004, 88).
74. Voir Jouanno 2005 et 2006. Sur les similitudes et les différences entre les versions du Banquet des
Sept Sages et celles de la Vie d’Ésope, voir Konstantakos 2004, 101-103.

143
Typhaine Haziza

courant dans la tradition narrative du Proche-Orient ancien 75 et se retrouve en


particulier en Égypte. On pense, par exemple, au conte qui nous est parvenu de
manière incomplète par un papyrus du XIIIe siècle – précisément du règne de
Mineptah, sous la XIXe dynastie –, La querelle d’Apopi et de Séqenenrê 76, dans
lequel un adynaton est lancé au souverain thébain par le roi hyksôs qui domine une
partie de l’Égypte. Un autre cas d’adynaton se rencontre dans un conte égyptien
plus tardif : Setné et les prodiges de son fils Siousir. Dans la troisième partie du
récit, il est question d’un sorcier nubien qui vient lancer un défi à Pharaon dans
son palais, défi qui est relevé par Siousir 77.
Pour Ioannis M. Konstantakos, tous ces éléments tendent donc à confirmer
l’idée que Plutarque n’aurait fait, dans son Banquet, qu’adapter une histoire qui
devait déjà exister dans la tradition grecque, sous une forme sans doute légèrement
différente – il est fort probable, en effet, que la scène devait se passer en Égypte
même. Cette première version aurait été formée à partir d’un matériau narratif
d’origine égyptienne, dans lequel Bias n’apparaissait pas et qui mettait en scène
Amasis aux prises avec un roi éthiopien. Cela est d’autant plus probable qu’Amasis
est justement un pharaon qui a suscité de nombreux récits populaires, parfois
proches du conte, dont nous avons gardé trace tant dans la littérature démotique 78
que dans celle des Grecs, à commencer par les Histoires d’Hérodote 79.
Cela n’est sans doute pas un hasard, en effet, si l’histoire rapportée par Plutarque
met en scène un des Sept Sages et le souverain égyptien Amasis. Or, si dans son

75. Nous pouvons citer, par exemple, à la suite de Ioannis M. Konstantakos, l’épopée sumérienne
Enmerkar et le Seigneur d’Aratta, le conte hébreu du concours d’énigmes entre Salomon et la
reine de Sabba, les légendes juives et phéniciennes qui rapportent un concours d’énigmes entre
Salomon et Hiram de Tyr, etc. Pour les références et la bibliographie de ces différents récits, voir
Konstantakos 2004, 87, n. 3.
76. Ce conte, dont nous ne possédons que le début, est reproduit sur le Papyrus Sallier I (British
Museum, 10185), p. 1, 2 et le début de la p. 3 (dont le texte est répété au verso des p. 2 et 3). Pour
l’édition du texte, voir Maspéro 1879, 195-216 (transcription et traduction commentée). Pour une
traduction française récente, voir Barbotin 2008, 231-235.
77. Sur ce texte, copié au verso de deux registres fonciers rédigés en grec et datés du règne de
l’empereur Claude, sur le P. British Museum 604, voir en particulier la traduction récente de
Damien Agut-Labordère et Michel Chauveau dans Agut-Labordère & Chauveau 2011. Sur les
similitudes entre ce conte et l’histoire de l’adynaton posé par le roi éthiopien à Amasis, voir
Konstantakos 2004, 115-116.
78. Voir, par exemple, Agut-Labordère & Chauveau 2011, 13-15 (papyrus démotique du IIIe s. apr. J.-C. :
P. Bn Égypte 215, édité par Spiegelberg 1914, 26-27). Sur l’image d’Amasis dans la littérature démotique,
voir aussi Zauzich 1988 ; Quaegebeur 1990 ; Hoffmann 1992-1993 ; Agut-Labordère 2011-2012.
79. Voir par exemple Hérodote, II, 172-174 ou Hellanikos, FGrHist 4 F 55 = Ath. XV 680B-C. Pour une
étude de la figure d’Amasis chez Hérodote, en particulier concernant l’anecdote de Ladiké, nous
renvoyons à Haziza 2013. Sur le rôle d’Amasis dans l’anecdote de l’anneau de Polycrate (Hérodote,
III, 39-41), voir Delattre 2009, 127, et Kaplan 2016.

144
Les Sept Sages et l’Égypte

deuxième article sur le sujet, Ioannis M. Konstantakos a longuement analysé le


choix de Bias, il me semble qu’il est passé un peu vite sur celui du pharaon, lequel,
dans nos sources grecques, peut être mis en relation avec, outre Bias, au moins
quatre autres figures récurrentes des Sept Sages. C’est en effet le cas, de manière
explicite, pour Solon et Thalès, mais sans doute aussi pour Pittacos, comme semble
l’indiquer une scolie à Hésiode 80, et même pour Cléobule, puisque ce dernier aurait,
selon nos sources tardives 81, visité l’Égypte à l’époque d’Amasis et, surtout, que les
liens entre l’Égypte d’Amasis et Lindos, à l’époque de Cléobule, semblent effectifs 82
– nous allons y revenir.
La première raison qui pourrait être évoquée pour expliquer les liens soulignés
par les sources entre Amasis et les Sept Sages est celle de la relative concordance
chronologique. Les Sept Sages sont censés avoir vécu au VIe s. av. J.-C. Or, Amasis
est le pharaon dont le règne couvre une grande partie de ce siècle 83. Sur le trône
d’Égypte de 570 à 526 av. J.-C., Amasis peut donc faire figure de Pharaon archétypal
du VIe s. av. J.-C., d’autant que son prédécesseur, Apriès (589-570), est connu pour
avoir fait la guerre, aux côtés des indigènes libyens, à Cyrène, ce qui lui a valu du
reste, par contrecoup de sa défaite, la perte du pouvoir 84. Quant à son successeur,
Psammétique III, il ne reste au pouvoir qu’une année, avant d’être vaincu et mis à
mort par Cambyse, défaite qui ouvre une longue période de domination perse en
Égypte – de 525 à 404, pour la première domination perse. Peu importe donc si,
dans le détail, la chronologie n’est pas concordante. Solon ne peut, par exemple,
avoir calqué une de ses lois sur la législation d’Amasis, puisque ce dernier n’était
pas encore au pouvoir quand Solon a occupé la fonction d’archonte à Athènes,
sans doute en 594-593 av. J.-C. Dans la scholie à Hésiode 85, Pittacos semble avoir
pris la place de Bias dans le rôle de conseiller d’Amasis, mais cela paraît bien
peu probable, si l’on considère qu’il serait mort vers 570 av. J.-C., date à laquelle
Amasis ne fait qu’arriver au pouvoir en Égypte, dans un contexte de guerre civile
de surcroît. Sans se préoccuper d’une exacte chronologie, qu’ils ne devaient de
toute façon pas maîtriser, les Grecs qui ont construit ou relayé la légende des Sept
Sages n’ont donc retenu que le fait qu’Amasis pouvait être considéré comme le
dernier grand pharaon indigène, avant la domination perse de l’Égypte. Face à

80. Fr. 89 (= Sch. Hes., Op. 719-21 Sandbach).


81. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, I, 89 ; Souda, kappa, 1719 (cf. http://
www.stoa.org/sol-entries/kappa/1719).
82. Sur ce point, voir Francis & Vickers 1984.
83. Pour une présentation récente de l’histoire égyptienne de cette époque, voir Perdu 2010 et
Agut-Labordère & Moreno-Garcia 2017, 577-627.
84. Voir le récit détaillé de cet épisode dans Hérodote, II, 161-163, et III, 159.
85. Sch. Hes., Op. 719-21 Sandbach.

145
Typhaine Haziza

l’ennemi commun perse, Amasis a donc été perçu comme le dernier représentant
de la grandeur de l’Égypte, tant pour les Égyptiens que pour les Grecs 86.
Cet argument était sans doute d’autant plus déterminant que, devant le danger
perse, Amasis a développé des alliances avec les Grecs 87. Bien qu’il soit arrivé dans
un contexte de réaction nationale face au poids croissant que devaient prendre les
Grecs d’Égypte, en particulier dans le domaine militaire, Amasis ne pouvait pas
se passer des Grecs, tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur 88. Porté au
pouvoir par les Égyptiens, mécontents qu’une partie des leurs se soit fait tuer dans
la bataille contre les Cyrénéens, alors qu’Apriès n’avait pas envoyé ses mercenaires
grecs au massacre 89, Amasis est pourtant devenu un pharaon “philhellène”, tel que
le récit d’Hérodote le souligne :

Ami des Grecs, Amasis donna à quelques-uns d’entre eux des marques de sa
bienveillance ; notamment, à ceux qui venaient en Égypte, il concéda pour y
habiter la ville de Naucratis ; à ceux qui ne voulaient par habiter là, mais que la
navigation y amenait, il concéda des emplacements pour y élever des autels et des
sanctuaires à leurs dieux. Le plus grand de ces sanctuaires, le plus célèbre et le
plus fréquenté, appelé Hellénion, a été fondé en commun par les cités que voici :
les cités ioniennes de Chios, Téos, Phocée et Clazomène ; les cités doriennes de
Rhodes, Cnide, Halicarnasse, Phasélis ; et une seule cité éolienne, celle de Mytilène.
Telles sont les cités à qui appartient le sanctuaire, celles qui fournissent aussi
les contrôleurs du marché ; toutes les autres cités qui prétendent y avoir part
prétendent cela sans y avoir aucun droit. Indépendamment de ce sanctuaire, les
Éginètes en leur particulier ont fondé un sanctuaire de Zeus ; les Samiens, un
autre d’Héra ; les Milésiens, un d’Apollon 90.

Mais une étude plus fine de l’action du dernier grand souverain saïte montre
que ses réformes peuvent aussi être vues comme une réponse aux revendications
des makhimoi – c’est-à-dire des indigènes intégrés dans les troupes – et de tous
ceux qui étaient inquiets du poids croissant pris par les Grecs en Égypte. En effet,
comme l’a démontré Alain Bresson, la concession d’Amasis à Naucratis est en réalité
une remise en ordre de l’activité des commerçants grecs dans le Delta, qui avaient

86. Le sentiment ambivalent des Grecs vis-à-vis des Perses, après l’épreuve des Guerres Médiques, est
bien connu ; cf., par exemple, la synthèse de Picard 1980 ou Lenfant 2011, avec bibliographie. Sur
le regard négatif porté par les Égyptiens sur les Perses, voir Devauchelle 1995.
87. Voir Agut-Labordère 2012b.
88. Sur cet aspect, voir Haziza 2013.
89. Sur la “peur” que les Égyptiens devaient ressentir face au poids croissant des mercenaires grecs,
que le récit hérodotéen peut traduire, voir Haziza (à paraître).
90. Hérodote, II, 178 (trad. Legrand 1936, 192, légèrement modifiée).

146
Les Sept Sages et l’Égypte

« pu se joindre aux bandes d’aventuriers grecs qui soutenaient Apriès, alors que la
région, sinon la ville de Naucratis elle-même, semble avoir été le foyer initial du
soulèvement » 91. D’une manière habile, Amasis a accompagné cette reprise en main
d’avantages, en particulier religieux, qui permettaient de s’attacher la communauté
grecque dont il avait besoin aussi bien pour le commerce que pour son armée, tout
en satisfaisant sa base nationale. L’intérêt d’Amasis pour les Grecs est toutefois bien
réel. Hérodote poursuit son récit en développant les bienfaits ou les alliances du
souverain saïte en direction des Grecs :

Lorsque les Amphictyons adjugèrent au prix de trois cents talents la construction


du temple qui existe aujourd’hui à Delphes, celui qui existait auparavant ayant
brûlé pour une cause fortuite, il incombait aux Delphiens de fournir le quart
de la somme. Allant de ville en ville, ils firent une collecte ; et, au cours de cette
collecte, ce n’est pas en Égypte qu’ils recueillirent le moins : Amasis leur fit don
de mille talents d’alun, et les Grecs qui habitaient l’Égypte de vingt mines. Amasis
conclut avec les Cyrénéens amitié et alliance. […] Amasis a aussi consacré des
offrandes en pays grec : à Cyrène, une statue dorée d’Athéna et une image de
lui-même en peinture ; à Lindos, il dédia à Athéna deux statues divines en pierre
et une cuirasse de lin qui mérite d’être vue ; à Samos, à Héra, deux images de lui-
même en bois, qui, de mon temps encore, étaient placées dans le grand temple, en
arrière des portes. Il fit des offrandes à Samos à cause des relations d’hospitalité
qui existaient entre lui et Polycrate fils d’Aiakès ; à Lindos, non pas à cause de
relations d’hospitalité, mais parce que le temple d’Athéna à Lindos a été fondé, à
ce qu’on dit, par les filles de Danaos, qui abordèrent là en fuyant les fils d’Égyptos.
Telles sont les offrandes qu’a faites Amasis 92.

Comme nous pouvons le visualiser à travers la carte tirée de l’article récent


de Damien Agut-Labordère 93, Amasis a très sérieusement renforcé les relations
entre l’Égypte et le monde grec. Des liens avec les cités grecques d’Asie avaient
déjà été noués par les premiers souverains saïtes, qui recrutaient dans ces cités une
bonne partie de leurs mercenaires ; mais Amasis donna une nouvelle impulsion à
ces relations avec le monde grec, surtout après la chute de son allié lydien, Cyrus
(561-547), face aux Perses, aux alentours de 547 av. J.-C. 94. Il est, en effet, tout à
fait remarquable qu’Amasis soit présenté parmi les principaux donateurs pour la
reconstruction du temple de Delphes, lequel avait précisément brûlé pratiquement

91. Bresson 2000, 19 ; sur ce point, voir aussi 56. Sur le statut égyptien de Naucratis, voir également
les propositions d’Agut-Labordère 2012a.
92. Hérodote, II, 180-182 (trad. Legrand 1936, 193 sq.).
93. Agut-Labordère 2012b (cf. Annexes).
94. Agut-Labordère & Moreno-Garcia 2016, 618.

147
Typhaine Haziza

la même année que la prise de Sardes par les Perses 95. Or, le don d’Amasis est
tout à fait considérable. L’alun dont il est question ici était vraisemblablement
extrait des mines des oasis libyques, contrôlées par l’Égypte, Dakhla et Kharga.
Alan B. Lloyd a calculé que la contribution d’Amasis reviendrait grosso modo à
26 196 tonnes, ce qui correspond à plus de la moitié de la production annuelle qui
était envoyée des oasis au Caire, à l’époque médiévale, pour laquelle nous avons
une indication. Produit très recherché – l’alun égyptien était considéré par Pline
comme le meilleur 96 –, l’alun envoyé par Amasis a pu être vendu par les Delphiens,
qui en ont certainement obtenu un montant très important pour le financement
de la reconstruction de leur temple, comme l’a bien souligné Alan B. Lloyd 97.
Nul doute qu’après un don aussi important, les prêtres de Delphes aient eu une
image tout à fait positive du souverain égyptien, à un moment où – nous l’avons
vu – Delphes aurait, selon l’expression d’Aude Busine, « échafaudé une légende
qui faisait graviter les fameux Sages autour du grand temple apollinien » 98. Il
me semble que nous pouvons alors soutenir l’hypothèse selon laquelle la pro-
pagande delphique pourrait être à l’origine de cette focalisation sur Amasis des
relations entre les Sages et l’Égypte, développées par certains récits grecs locaux,
qui ne mentionnaient peut-être pas forcément Amasis à l’origine. Une trace de ces
récits parallèles pourrait se trouver chez Hérodote, qui rapporte que les Éléens
seraient venus demander conseil à Psammétique II pour élaborer le règlement
d’un concours olympique 99.
Si l’ensemble des Saïtes peuvent être perçus comme des souverains sages – sans
doute également sous l’influence de la communauté grecque d’Égypte, auprès de
laquelle Hérodote a vraisemblablement recueilli une grande partie des anecdotes
les concernant –, il est clair qu’Amasis a progressivement rassemblé autour de
sa figure l’essentiel des récits mettant en scène cet aspect des Saïtes 100. Il n’est

95. Pausanias (X, 5, 13) date l’incendie de la cinquante-huitième olympiade, soit en 548/547 av. J.-C., mais les
indications d’Eusèbe pourraient rabaisser la datation à l’année 547/546 : cf. La Coste-Messelière 1946,
271, n. 1. Sur l’histoire de l’oracle de Delphes, voir la commode mise au point de Rougemont 2013,
en particulier 46.
96. Pline, nat. 35, 184 : laudatissimum in Aegypto.
97. « We can be confident that it realized an unusually hight price » (Lloyd 1988, 233).
98. Busine 2002, 38.
99. Hérodote, II, 160.
100. Ce phénomène de concentration sur un personnage-type est très courant. Il est par exemple à
l’œuvre pour Sésostris : cf. Obsomer 1989. Notons également qu’une confusion entre Sésostris
et Amasis, les deux pharaons sans doute les plus légendaires, semble s’être produite à l’époque
byzantine. C’est ainsi que le chroniqueur byzantin de la fin du XI e s. apr. J.-C., Georges Cédrène,
mentionne une statue d’Athéna Lindia offerte par Amasis comme étant un cadeau de Sésostris
à Cléobule ! Cf. Francis & Vickers 1984.

148
Les Sept Sages et l’Égypte

pas étonnant alors que ce soit lui qui ait fini par devenir l’unique intermédiaire
égyptien des Sept Sages, d’autant qu’il avait, en outre, une personnalité – réelle
ou supposée – idéale pour tenir ce rôle.
Amasis, dernier grand pharaon indigène, est particulièrement intéressant,
au-delà de la grandeur de son règne, parce qu’il est rapidement devenu une figure
de légende, tant chez les Égyptiens que chez les Grecs ; mais dans les deux cas, la
tradition n’a pas retenu exactement les mêmes caractéristiques du personnage, dont
l’arrivée inattendue au pouvoir renforçait son caractère extraordinaire 101. Cette
double image 102, pas forcément incompatible, se lit déjà chez Hérodote, en raison sans
doute de ses sources composites 103. Souverain issu du peuple 104, pétri de défauts 105,
Amasis est en même temps porteur d’une filouterie proche de la mètis déployée par
Ulysse 106, comme le manifestent nombre d’anecdotes rapportées par Hérodote 107. À
l’époque hellénistique, le milieu alexandrin a certainement contribué à valoriser la
réputation du pharaon philhellène, d’autant que les nombreux catalogues de peuples
réputés pour leur sagesse qui fleurissent à partir de cette période incluent bien
souvent l’Égypte parmi les « peuples définis comme σοφοί (“sages”) ou φιλόσοφοι
(“philosophes”) » 108. Or, comme le notent Michèle Broze, Aude Busine et Sabrina
Inowlocki, « outre la traditionnelle fascination des Grecs pour l’Orient, il semble que
la renommée d’un individu célèbre pour sa sagesse puisse avoir été, dans certains
cas, à l’origine de l’intégration d’un peuple au catalogue de sagesse » 109. L’inverse

101. Voir en particulier les anecdotes d’Hérodote sur l’arrivée au pouvoir d’Amasis et sur sa façon de
s’occuper des affaires de l’Égypte (Hérodote, II, 162-163 ; 172-182).
102. L’étude de certains points de cette image ambivalente d’Amasis a déjà été ébauchée dans ma thèse
de doctorat, en particulier dans la troisième partie inédite (cf. Haziza 2001).
103. Sur la question des sources d’Hérodote, nous renvoyons à Haziza 2009, en particulier 15-22, ainsi
qu’à Quack 2013 et à Postel 2013.
104. Τὰ μὲν δὴ πρῶτα κατώνοντο τὸν Ἄμασιν Αἰγύπτιοι καὶ ἐν οὐδεμιῇ μοίρῃ μεγάλῃ ἦγον, ἅτε δὴ
δημότην τὸ πρὶν ἐόντα καὶ οἰκίης οὐκ ἐπιφανέος· μετὰ δὲ σοφίῃ αὐτοὺς ὁ Ἄμασις, οὐκ ἀγνωμοσύνῃ,
προσηγάγετο : « Dans les premiers temps, les Égyptiens dédaignaient Amasis et ne faisaient
pas grand cas de lui, parce qu’il était d’origine populaire et qu’il appartenait à une maison sans
illustration ; par la suite, Amasis, avec sagesse et sans emportement, les ramena à lui » (Hérodote,
II, 172 [trad. Legrand 1936, 187, légèrement modifiée]).
105. Non seulement Amasis « aimait à boire, à plaisanter, et n’était pas du tout un homme sérieux »,
avant d’arriver au pouvoir, mais quand « il venait à manquer du nécessaire, il allait de droite et de
gauche et volait » (Hérodote, II, 174 et 189).
106. Sur la mètis, figure de l’intelligence grecque, nous renvoyons à Detienne & Vernant 1974. Sur la
figure d’Ulysse, nous renvoyons à la très belle étude récente de Jouanno 2013.
107. On peut penser à celle du bassin d’or (II, 172) ou encore à la réponse qu’il fit à ses amis qui s’offusquaient
de sa conduite (II, 173).
108. Broze et al. 2006, 132.
109. Ibid., 134.

149
Typhaine Haziza

devait également fonctionner. En ce sens, il n’est pas surprenant qu’Amasis, le plus


“grec” de tous les pharaons égyptiens, en soit arrivé à faire lui-même figure de Sage,
digne de la compagnie des Sept Sages grecs.

Typhaine Haziza
HisTeMé, ex-CRHQ, EA 7455
Université de Caen Normandie

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157
Annexes

Légende de la carte

158
Carte 1 – Le réseau diplomatique d’Amasis (570-526).
D’après Agut-Labordère 2012b, 224

159
L’EXPÉDITION D’ATILIUS REGULUS EN AFRIQUE
(256-255 AV. J.-C.).
UNE REMISE EN CONTEXTE 1

Regulus fait partie de ces personnages de l’histoire romaine restés célèbres pour leur
dévotion à Rome. Ainsi, l’exemplum de Regulus fut cité par de nombreux auteurs
latins et grecs. Son destin inspira même à partir du XVIe siècle de nombreuses
peintures 2 et œuvres littéraires.
Regulus dirigea en effet la première expédition romaine en dehors de l’Italie
et des îles, celle qui eut pour objectif le territoire même de la cité de Carthage. En
256 av. J.-C., pendant la première guerre punique, il fut choisi, avec son collègue
au consulat L. Manlius Vulso Longus, pour mener une expédition sur le territoire
punique. Après une victoire navale près d’Ecnome 3, les consuls prirent pied sur le sol
africain. Le début de cette expédition fut favorable aux Romains, qui remportèrent
plusieurs succès face aux Carthaginois. Après ces premiers épisodes victorieux,
Manlius fut rappelé à Rome par le Sénat pour célébrer un triomphe. Regulus
continua seul les combats, mais ses troupes subirent alors une lourde défaite : deux
mille soldats seulement en réchappèrent et se réfugièrent à Aspis / Clipea, une
cité côtière, où ils patientèrent jusqu’à l’arrivée d’une flotte de secours 4. Regulus,
quant à lui, fut fait prisonnier avec cinq cents de ses hommes 5. Selon la tradition,

1. Je tiens ici à remercier Bertrand Augier, Caroline Blonce et Enora Le Quéré pour leurs avis et
leurs relectures de cet article. Mes remerciements vont aussi à Mathieu Engerbeaud pour ses avis
et conseils précieux concernant la légende de Regulus et le serpent du Bagrada.
2. On peut en donner de multiples exemples : le Regulus retourne à Carthage de Charles Thévenin (1791)
ou encore le Regulus de William Turner, qui peint en 1828 dans un de ses tableaux l’éblouissement
subi par Regulus. Sur les différents auteurs antiques qui relatèrent l’action de Regulus, je renvoie
à Mix 1970.
3. Voir Tipps 1985, 455-464 ; Pol. I, 26-28 ; Oros. IV, 8, 6 ; Liv., Per. XVII, 7.
4. Sur le repli des troupes de Regulus à Aspis / Clipea, voir Pol. I, 34, 11, et App., Lib. 14. Sur la cité
d’Aspis / Clipea, se référer à Fantar 1988.
5. Cf. Pol. I, 34, 8.

Kentron, no 34 – 2018, p. 161-192


Charles-Alban Horvais

il fut envoyé quelques années plus tard à Rome pour négocier un échange de
prisonniers ou une paix 6, en jurant de revenir à Carthage si sa mission échouait.
Alors que les Carthaginois s’attendaient à ce qu’il réussît afin d’épargner sa vie, il
exhorta le Sénat à poursuivre la guerre. Puis, en Romain respectueux de la fides
Romana, il retourna à Carthage, où il trouva la mort après avoir subi d’atroces
tortures 7. Si sa conduite héroïque a fait de Regulus un personnage célèbre dans
l’Antiquité, les chercheurs se trouvent toutefois en désaccord sur l’historicité de
ces données de la tradition 8.
Malgré les nombreux écrits sur Regulus et les débats soulevés par ce personnage,
trop peu d’historiens ont tenté de réaliser une étude poussée sur cette expédi-
tion et, surtout, de replacer les événements dans leur contexte géographique et
sociopolitique 9. Cet article a donc pour objectif de pallier, en partie, ce manque,
en s’intéressant à des éléments de cette expédition trop souvent ignorés ou passés
sous silence et qui, remis dans leur contexte, peuvent être interprétés d’une manière
nouvelle.
Dans un premier temps, il est nécessaire de faire un point sur les sources à
notre disposition. Notons tout d’abord qu’aucune de nos sources littéraires n’est
contemporaine de l’expédition de Regulus. Ainsi, la source la moins éloignée des
événements, qui est aussi considérée comme la plus fiable, est Polybe, en partie parce
qu’il utilise à la fois des sources pro-romaines et des sources pro-carthaginoises afin
de les confronter 10. Il écrit en effet près d’un siècle après les événements, et il a eu
l’occasion d’assister Scipion Émilien lors du siège de Carthage en 146 av. J.-C. L’autre
source importante dont nous disposons est Appien, auteur de l’époque antonine,
et son livre africain, très succinct sur la première guerre punique, mais qui fournit
parfois des informations absentes chez Polybe et semble dériver d’une tradition

6. La datation la plus généralement acceptée pour cet épisode est 251-250 av. J.-C. À ce propos, se
reporter à Minunno 2005, 218.
7. Les sources sur cet épisode sont multiples, tout comme les différents supplices que Regulus aurait
subis : Cic., Off. III, 99-100 ; Diod. XXIII, fr. 16, 4 ; 16 bis, 2 ; Liv., Per. XVIII, 7 ; Val. Max. I, 1, 14 ;
Appien, Lib. 15 ; Gell. VII, 4 ; Florus, I, 18, 17-25 ; Orose, IV, 10, 1. Sur la question des différents
supplices subis par Regulus, voir Minunno 2005, 221-231, et Burgeon 2017, 136-138.
8. Les historiens modernes se divisent sur l’historicité de la mission : d’aucuns y voient un exemplum
sans fondement historique, tels Lancel 1992, 387 ; Moatti 2008, 543-544 ; contra Herrmann 1963,
164 ; Le Bohec 1997, 87-93 ; Minunno 2005, 221-222, et Freyburger 2017, 100-107.
9. Noter cependant l’article de Fantar 1989, lequel, partant du même constat, insiste sur le contexte
géographique africain de l’expédition. On peut aussi citer Le Bohec 1997, 87-93, qui remet en
contexte la question du retour de Regulus à Carthage.
10. Ainsi, Polybe utilise à la fois Fabius Pictor, favorable aux Romains, et Philinos d’Agrigente, qui
défendait un point de vue bienveillant envers les Carthaginois. D’ailleurs, ces deux auteurs, dont il
dénonce la partialité, sont aussi soumis à la critique de Polybe. À ce sujet, se reporter à Pédech 1964,
193 et 358 ; 1969, XX.

162
L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-255 av. J.-C.)…

différente de celle de Tite-Live ou de Polybe 11. Dion Cassius, dont nous n’avons plus
que des fragments, et, à sa suite, Zonaras constituent aussi des sources majeures.
En effet, les recherches récentes ont montré que, pour les deux premières guerres
puniques, Dion Cassius s’appuyait sur d’autres sources que Polybe et Tite-Live et
peut-être antérieures à celles de Polybe 12. De plus, nous pouvons compléter les
fragments conservés de Dion Cassius par Zonaras, qui s’est en grande partie appuyé
sur Dion Cassius pour son récit de la première guerre punique 13. Outre ces auteurs
qui constituent nos sources essentielles, des passages se référant à l’expédition de
Manlius et Regulus se rencontrent chez d’autres auteurs, dont je dresse ici une
liste non exhaustive : Cicéron, l’auteur des Periochae de Tite-Live, Florus, Eutrope,
Orose, le Pseudo-Plutarque, Silius Italicus. Nos sources littéraires sont donc assez
nombreuses, mais toutes postérieures aux événements, et elles se concentrent surtout
sur la mission diplomatique dont fut chargé Regulus par les Carthaginois, le reste de
l’expédition étant le plus souvent éludé. À ces sources littéraires s’ajoutent quelques
sources archéologiques, comme les fouilles menées sur différents sites qui auraient
subi les exactions des troupes romaines en Afrique 14.
Il s’agira d’abord de s’interroger sur l’interprétation à donner à un épisode resté
célèbre, celui de la lutte de Regulus contre un serpent géant, puis de questionner le
rôle des populations locales, libyennes et numides, durant l’expédition de Regulus.
L’étude de ces deux épisodes permettra d’analyser plus largement la figure de Regulus
et d’effectuer, parallèlement et simultanément, une comparaison avec une autre
figure majeure, celle de Scipion l’Africain, dont on verra qu’elle semble apparaître
dans certaines traditions comme un reflet de la personnalité de Regulus et avoir
influencé, souvent négativement, la description de la première expédition romaine
en Afrique. En effet, dans nos sources, c’est bien la famille des Scipions, très liée,
comme nous le verrons, à la figure d’Hercule, qui est présentée comme ayant noué
des liens forts avec les populations numides à travers leurs alliances avec Syphax,
dans un premier temps, puis avec Massinissa. Cette étude, qui portera donc aussi
sur la création et l’évolution des traditions dans l’Antiquité, sera l’occasion de
proposer, grâce à cette remise en contexte, une interprétation nouvelle des deux
éléments présentés ci-dessous.

11. Cf. Goukowsky 2001, XLVI-XLIX.


12. À ce sujet, se référer à Bleckmann 2002, 44-50, et Urso 2016, 155.
13. À ce propos, voir Bellissime & Berbessou-Broustet 2016, 96-97.
14. L’exemple le plus connu est celui de Kerkouane, une cité qui aurait été détruite par les troupes
romaines. En effet, le matériel archéologique retrouvé sur place n’a pas permis de dater des objets
au-delà du milieu du IIIe siècle av. J.-C., ce qui correspond à la date de l’expédition de Regulus en
Afrique. À ce propos, se référer à Fantar 1986b, 241-250 ; 1987, 40 et 207-210 ; 1989, 79. Pour une
étude détaillée de la cité de Kerkouane, se reporter à Fantar 1984 ; 1985 ; 1986a ; 2007a.

163
Charles-Alban Horvais

Regulus et le serpent
Regulus et le serpent du Bagrada
Un épisode qui tient davantage de la fable que de l’histoire nous est parvenu à propos
de l’expédition de 256 av. J.-C., transmis par de très nombreuses sources 15 ; il s’agit
de l’attaque des troupes de Regulus par un serpent géant près du fleuve Bagrada,
l’actuel oued Medjerda 16 :

Tubéron a laissé en écrit dans ses Histoires que lors de la première guerre punique,
le consul Atilius Regulus, qui avait installé son camp près du fleuve Bagrada en
Afrique, livra un combat grand et violent contre un seul serpent, d’une taille inouïe,
qui vivait là ; qu’il l’attaqua longtemps avec grands efforts de toute son armée à
coups de balistes et de catapultes, et qu’après l’avoir tué il envoya à Rome sa peau
longue de cent vingt pieds 17.

À ma connaissance, peu d’études se sont intéressées à cette question, hormis celle


de William Fowler, qui tente, à la manière de Pline, de rendre cette histoire plausible 18,
et celles d’Edward Basset et d’Aurélie Delattre, qui se sont penchés sur l’interpré-
tation à donner de ce passage dans les Punica de Silius Italicus 19. Mon hypothèse
d’interprétation sera ici plus large et mènera à une nouvelle datation de cet épisode.

L’Afrique, un territoire de confins : Regulus et l’imitatio Herculis


Le territoire punique apparaissait encore au IIIe siècle av. J.-C. comme un territoire
de confins 20. Bien que nos sources soient postérieures à la période étudiée, il est
possible d’avoir une idée globale de la vision qu’avaient de l’Africa les Romains du
IIIe siècle en utilisant l’ensemble des témoignages, en particulier ceux des auteurs
grecs, et les recherches récentes.
L’Afrique semble avoir été une terre encore mal connue au IIIe siècle av. J.-C. Ainsi
Polybe, dans le livre XII, met en avant à plusieurs reprises les erreurs de Timée de
Tauroménion sur la faune et la flore de l’Afrique 21. Après lui, Strabon met en lumière

15. Outre Aulu-Gelle VII, 3, 1, on peut citer Florus, I, 18, 20 ; Plin., nat. VIII, 37 ; Val. Max. I, 8, ext.
19 ; Oros. IV, 8, 10-15 ; Liv., Per. XVIII, 1 ; Zon. 8, 13 ; Sil. VI, 140-193. Valère Maxime dit tenir cette
information de Tite-Live ; quant à Aulu-Gelle, il dit l’avoir prise dans les Histoires de Tubéron.
16. Sur le fleuve Bagrada, se référer à Gascou 1981 et Gascou 1991.
17. Gell., VII, 3, 1 (trad. Marache 1978, 87).
18. Voir Fowler 1920 ainsi que Corbier & Griesheimer 2005, 83-85.
19. Basset 1955, 1-20 ; Delattre 2012, 91-104. On pourra aussi se référer à Vinchesi 2008, 1585-1606, et à
Burgeon 2017, 121-123. Ce dernier s’intéresse lui aussi tout particulièrement à l’œuvre de Silius Italicus.
20. Hinard 2000, 74, insiste d’ailleurs sur cette notion de guerre lointaine pour la guerre de Sicile.
21. Voir Pol. XII, 3, 2-6.

164
L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-255 av. J.-C.)…

le fait que de nombreux récits sur la faune africaine étaient gâtés par des mensonges
et la présentation de monstruosités 22. Au Ier siècle av. J.-C., l’espace africain apparaît
chez de nombreux auteurs comme une terre peuplée de créatures démesurées et
étranges 23. Il suffit pour s’en rendre compte de se référer à Strabon, qui offre un
aperçu des descriptions qu’un certain Iphicrate – dont l’identité n’est pas assurée,
mais dont l’œuvre dût être diffusée à la fin du Ier siècle av. J.-C. 24 – donna de la faune
du Sud marocain :

Au-dessus de la Maurousie et sur la mer Extérieure se trouve le pays des Éthiopiens


qu’on appelle Occidentaux, médiocrement peuplé dans sa majeure partie. Iphicrate
rapporte qu’y vivent des girafes, des éléphants et des animaux qu’on appelle des
rhizes – ils ont l’aspect d’un taureau, mais pour ce qui est du mode de vie, de la
taille et de la vigueur au combat, ils ressemblent à des éléphants. Il parle aussi de
serpents si grands que même l’herbe pousse dessus 25.

On notera que nous retrouvons ici la mention de serpents géants, des créatures
africaines dont Lucain aussi fait état 26. Un parallèle paraît pouvoir être établi avec
l’épisode de Regulus, d’autant plus que ces serpents géants sont associés à des territoires
de confins du monde. D’ailleurs, la terre d’Afrique apparaît dans l’Antiquité comme
infestée de serpents 27. Dans un ouvrage récent, G. Bernard, s’intéressant aux monstres
et aux héros des confins occidentaux de l’oikoumène, se penche particulièrement sur
le mythe d’Héraclès en Afrique, dans lequel apparaît aussi un serpent géant, celui
qui est censé garder le jardin des Hespérides 28. Dans le même ouvrage, L. Callegarin
rappelle que l’extrême Occident représentait une extrémité du monde pour les auteurs
d’époque hellénistique 29.

22. Strab. XVII, 3, 3.


23. Sur le bestiaire africain, voir Sennequier & Colonna 2003, 21-25 ; Corbier & Griesheimer 2005,
83-85 ; Delattre 2012.
24. Sur ce sujet, se référer à Amigues 2002, 44.
25. Strab. XVII, 3, 5 (trad. Laudenbach 2014, 6-7).
26. Luc., Phars. IX, 727-732 (trad. Bourgery & Ponchont 1929, 163) : « Vous aussi [sc. les serpents italiens]
qui, dans toutes nos campagnes, rampez en dieux inoffensifs, dragons étincelants des reflets de
l’or, l’ardente Afrique vous rend mortels. Vous y fendez avec des ailes les hautes régions de l’air,
vous suivez des troupeaux entiers, vous étouffez les puissants taureaux dans l’étreinte de vos replis ;
l’éléphant lui-même n’est pas garanti par sa grosseur. »
27. Corbier & Griesheimer 2005, 83-85. Lucain insiste d’ailleurs sur l’importance des serpents en
Afrique. En effet, dans La Pharsale (IX, 619-699), il décrit l’origine mythique des serpents africains,
qui seraient nés des quelques gouttes de sang tombées de la tête tranchée de Méduse alors que
Persée survolait la Libye. À ce sujet, voir Ripoll 2000, 2-17.
28. Cf. Bernard 2013, 75.
29. Cf. Callegarin 2013, 127.

165
Charles-Alban Horvais

J. Desanges, quant à lui, a interrogé les travaux des géographes anciens, en


particulier ceux des Grecs 30. Et au terme de ses différentes recherches, il conclut que
la connaissance globale de l’Afrique du Nord – c’est-à-dire du Maghreb actuel – des
géographes antiques était assez pauvre 31. Ainsi, dans nos sources géographiques,
l’Afrique du Nord, à l’exception de la Cyrénaïque, apparaît comme une terre mal
connue ; même le monde punique apparaît comme un territoire encore mystérieux 32.
Il s’agit aussi d’un espace dans lequel les Anciens situent souvent des événements
mythologiques, en particulier ceux qui sont liés à la geste herculéenne. On sait par
Plutarque que Sertorius, au Ier siècle av. J.-C., aurait cherché et trouvé près de Tingis,
l’actuelle Tanger, les restes du géant Antée 33, fils de Poséidon et de Gaïa, vaincu
par Hercule 34. Le royaume d’Antée a été placé près d’Utique par Lucain 35, et c’est
en Cyrénaïque que Diodore identifie la grotte de Lamia 36, tandis qu’Apollonios de
Rhodes, au IIIe siècle av. J.-C., y situe le jardin des Hespérides 37.
On pourrait donc rapprocher le serpent géant qu’affronte Regulus du serpent
Ladon, le gardien du jardin des Hespérides terrassé par Hercule 38. Le lien paraît
d’autant plus net que Ladon, lui aussi, aurait succombé le corps percé de flèches 39.
Serait-il possible de voir ici une équivalence volontaire entre Regulus et Hercule,

30. Concernant cette idée, se référer à Desanges 1997 ainsi qu’à un recueil d’articles publiés plus
récemment en hommage à Jehan Desanges, Candau Morón et al. 2008.
31. Voir Desanges 1997, 43 : « À l’époque hellénistique, les auteurs grecs qui évoquent l’Afrique du Nord
n’en ont, au mieux, qu’une connaissance limitée, à part Polybe » ; cf. aussi Pédech 1964, 523 : « […]
l’Italie, […] la Gaule, […] l’Espagne et […] l’Afrique du Nord […] étaient mal connu[e]s des Grecs.
Hécatée ne contenait que de vagues indications ; Éphore était largement dépassé au IIe siècle ; Timée
n’offrait qu’une compilation de seconde main, abondante sans doute, mais peu sûre. »
32. Chamoux 1988, 60 : « II est clair que pour Diodore (ou pour la source dont il s’inspire), le monde
punique demeure dans l’ombre, comme tout l’ensemble du Maghreb ». Sur Polybe et sa connaissance
de la géographie de l’Afrique, se référer à Pédech 1955 ; 1964, 560-561 ; Desanges 1978, 121-147.
33. Plut., Sert., 9, 6-7. Sur cet épisode, voir Pailler 2000, 48-52 ; et sur Sertorius et son exploitation des
mythes ibériques, se référer à Moret & Pailler 2002.
34. Concernant le lien entre Hercule et la Maurétanie, se référer à Coltelloni-Trannoy 2002.
35. Luc., Phars. IV, 590. Sur Antée et ses différentes localisations, voir Camps 1988.
36. En effet, selon Diodore de Sicile, XX, 41, Ophélas, roi de Cyrène, aurait longé les Syrtes pour
rejoindre Agathocle, et à cette occasion, il aurait pu observer la grotte que la légende attribuait à
l’ogresse Lamia.
37. Apol. Rh., Arg. IV, 1393-1460. À propos du périple en Libye des Argonautes dans l’œuvre
d’Apollonios de Rhodes, se référer à Vian & Delage 1996, 57-64. Pline l’Ancien mentionne aussi
le souvenir de la localisation en Cyrénaïque, Plin., nat. V, 3 et 31 ; XIX, 41. Concernant ce sujet,
voir Jourdain-Annequin 1992 ; Le Glay 1992 ; Coltelloni-Trannoy 2002 ; Bernard 2013, 83.
38. Cf. Hésiode, Théog., 215-216, 275-276. Sur la question du jardin des Hespérides et du serpent en
Cyrénaïque, voir Diez de Velasco 2000.
39. Apol. Rh., Arg. IV, 1393-1460. Apollonios de Rhodes est d’ailleurs le seul auteur à nommer le serpent
Ladon. Concernant cette question, voir Vian & Delage 1996, 62.

166
L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-255 av. J.-C.)…

celui-ci étant censé avoir terrassé, bien avant le consul, un tel monstre 40 ? Une
telle analogie pouvait en effet être implicite aux Romains, au moins aux membres
des cercles aristocratiques, qui faisaient sans doute le lien entre l’un des travaux
d’Hercule et l’affrontement entre Regulus et le serpent. Basset (1955) a d’ailleurs
bien montré que Silius Italicus établit dans ses Punica un parallèle entre Hercule et
Regulus 41. Cette analogie pourrait d’ailleurs s’inscrire dans le cadre de la compétition
aristocratique qui opposait alors les élites romaines.
Cet épisode du serpent semble servir à caractériser l’expédition de Regulus
comme une campagne se déroulant dans un territoire des fines orbis, là où aucun
général romain ne s’était engagé auparavant. Il permet aussi de donner à Regulus
une dimension héroïque, en se référant à la geste d’Hercule, le héros ordonnateur
des confins – une pratique de l’héroïsation que de nombreux imperatores du Ier siècle,
tels que Pompée ou César, n’hésitèrent pas à utiliser 42. Cependant, il est possible
de pousser plus loin l’interprétation en s’intéressant à l’apparition de cette légende
dans les récits antiques.

L’épisode du serpent du Bagrada : une reconstruction tardive ?


Plusieurs aspects de l’expédition de Regulus ont fait l’objet d’un débat parmi les
chercheurs sur la question de savoir si ces épisodes étaient le fait d’une reconstruction
tardive ou bien s’ils avaient pu avoir lieu au IIIe siècle av. J.-C. 43. Dans le cas présent,
nous allons tenter de retracer le parcours de cette histoire du serpent du Bagrada
dans les traditions antiques afin d’en affiner l’interprétation.
Le premier argument qui permette de défendre une datation tardive de l’épisode
en question est le silence de Polybe. En effet, l’historien de Mégalopolis, qui nous
fournit le récit le plus détaillé de la première guerre punique, ne fait à aucun moment
mention de la lutte des troupes de Regulus contre un serpent géant. Cependant, cet
argument n’est pas décisif : le silence de Polybe ne surprend pas, la proximité de
l’historien avec le cercle des Scipions pouvant expliquer son attitude à l’égard d’une
légende favorable à Regulus. De plus, on sait que Polybe était critique à l’égard de
certains historiens qui recouraient au merveilleux 44.

40. À propos des monstres dans la littérature latine, se référer à Delattre 2012.
41. La possibilité d’un lien entre les actions de Regulus et celles d’Hercule a de nouveau été mise en
avant par Burgeon 2017, 121-123.
42. Voir Nicolet 1996, 47-85, et Villani 2013.
43. Mix 1970. Bartusik 2013 met en avant une légende positive de Regulus qui serait née à partir du
IIe siècle av. J.-C. Voir aussi Leach Winsor 2014, 243-266, et Burgeon 2017, 144-145. Ce dernier
plaide pour une naissance de la geste de Regulus au début du Ier siècle av. J.-C.
44. Cf. Pol. XVI, 12, 5-11, où il aborde une anecdote de Théopompe et critique le recours au merveilleux
chez de nombreux historiens.

167
Charles-Alban Horvais

Plus déterminantes pourraient être l’étude des premières sources mentionnant


cette légende et celle de leur contexte. La plus ancienne mention de l’épisode du
serpent remonterait au Ier siècle av. J.-C., lorsque Q. Aelius Tubero, un historien
mais surtout un juriste, fit paraître des Historiae, une histoire de Rome en au moins
quatorze livres qui débutait à la fondation de la Ville pour aller jusqu’à l’époque
de son auteur 45. Le recours aux écrits de son père par Q. Aelius Tubero pourrait
expliquer la présence de cette légende dans son œuvre. En effet Lucius, le père
de Quintus, était lui aussi un écrivain, et il préparait des Histoires 46. On sait qu’il
était appelé à prendre la tête de l’Africa au moment du déclenchement de la guerre
civile, mais qu’il fut empêché de débarquer par Q. Ligarius et P. Attius Varus, qui
s’étaient illégalement saisis du poste de gouverneur 47. Il existe donc un lien entre
l’Afrique et la gens des Aelii. Ainsi, L. Aelius Tubero, qui fut probablement une
des sources de Quintus, avait dû se renseigner sur l’Afrique avant son départ 48, il a
donc pu trouver cette information dans une source qui ne nous est pas parvenue.
Cependant tout cela reste très hypothétique, car les Nuits attiques d’Aulu-Gelle,
qui nous ont transmis ce passage, ont pour particularité d’être constituées de
faits jugés dignes d’intérêt par leur auteur et que celui-ci tirait du hasard de ses
lectures 49. Tubero n’était donc probablement pas le seul de ses contemporains
à évoquer cette légende, et il n’est pas sûr qu’il ait puisé cette information dans
l’œuvre de son père 50.
Ainsi, l’apparition de cette légende dans l’œuvre de Tubero n’en marque
vraisemblablement pas la naissance 51. Toutefois, cette apparition dans nos sources
au Ier siècle av. J.-C. pourrait trouver plusieurs explications. Tout d’abord, le contexte
des expéditions vers les confins qui débutèrent durant la période augustéenne,
en particulier vers l’Afrique 52. On pense ainsi tout de suite à l’expédition, qui eut
un grand retentissement à Rome, de C. Cornelius Balbus chez les Garamantes
dans les années 21-20 av. J.-C. 53. Cornelius Balbus, nommé à la tête de l’Africa,

45. Gell. VII, 3, 1. Concernant Q. Aelius Tubero, se référer à Arnaud-Lindet 2001, 161 ; Chassignet 2004,
LXXVI-LXXXI ; PIR2 A 0274.
46. Cf. Cic., ad Q. fr. I, 1, 10 ; III, 5, 1 ; Att. IV, 16, 2. Sur L. Aelius Tubero, se reporter à PIR2 A 0273.
47. Cic., Lig. 24.
48. Cf. Cic., ad Q. fr. I, 1, 10.
49. Cf. Gell., praef. 2 ; 11-13 ; Arnaud-Lindet 2001, 255-256.
50. Parmi les sources de Q. Aelius Tubero, on pourrait ainsi trouver Licinius Macer et Valerius Antias.
Concernant ces derniers, voir Arnaud-Lindet 2001, 112 et 158-159 ; Chassignet 2004, L-LXIII et
LXIII-LXXV.
51. Leach Winsor 2014, 259.
52. Nicolet 1996, 125-138.
53. Je remercie ici S. Guédon pour ses conseils concernant la question de l’impact à Rome des expéditions
en Afrique de l’époque augustéenne.

168
L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-255 av. J.-C.)…

lança une expédition au pays des Garamantes qui lui valut un triomphe en 19
av. J.-C. – le dernier triomphe, avant plusieurs siècles, célébré par un général qui
ne fût pas membre de la famille impériale 54. Cette expédition ne dut pas manquer
d’inspirer les écrivains contemporains, et l’épisode de la lutte contre le serpent
géant du Bagrada pourrait donc avoir ressurgi chez les auteurs augustéens dans
le contexte de cette quête des confins qui eut lieu durant le principat. Nous avons
d’ailleurs constaté précédemment la présence de créatures monstrueuses dans
les descriptions de l’Afrique par les auteurs du Ier siècle av. J.-C., un recours au
merveilleux que Strabon dénonce particulièrement pour un autre espace africain,
l’espace maurétanien :

Les auteurs ont débité des inventions sans nombre à propos du littoral extérieur
de la Libye, à commencer par le Périple d’Ophélas 55.

À cela s’ajoute le fait que des imperatores du Ier siècle av. J.-C., comme Pompée,
firent souvent référence à la figure d’Hercule 56. Par ailleurs, on sait que Juba II,
roi de Maurétanie de 25 av. J.-C. à 23 apr. J.-C., mais issu de la famille royale
de Numidie, mit en avant durant son règne la figure d’Héraclès, ce qui montre
bien le lien qui existait alors entre Hercule et l’Afrique 57. Ces différents éléments
purent donc favoriser la réapparition de cet épisode du Bagrada chez les auteurs
du Ier siècle av. J.-C. Ainsi, même si cet épisode semble bien correspondre au
contexte du Ier siècle av. J.-C., on ne se croira pas autorisé à y voir une création
de cette période ; il s’agit plus probablement de la reprise de traditions orales ou
écrites plus anciennes qui ne nous sont pas parvenues et qui ont pu naître, comme
nous le verrons, dès l’époque de l’expédition de Regulus 58.
En effet, le contexte de l’expédition nous permet d’émettre une hypothèse de
datation haute pour la naissance de cet épisode. Ainsi, au nombre des arguments
en faveur d’une telle datation, on relèvera que cette légende du serpent s’intègre
parfaitement aux représentations que les Romains d’alors se faisaient de l’Afrique :
un espace inconnu et hostile, rempli de créatures monstrueuses. Cependant, cet
argument n’est pas décisif : nous avons vu que le Ier siècle av. J.-C. se prêtait tout
autant au développement de telles légendes.

54. À ce sujet, voir Desanges 1978. Sur le triomphe à l’époque républicaine, se référer à Bastien 2007.
55. Strab. XVII, 3, 3 (trad. Laudenbach 2014, 4).
56. Villani 2013.
57. Coltelloni-Trannoy 1997, 174-177.
58. Leach Winsor 2014, 258, émettait déjà l’idée que la forme de la fabula suggérait une origine
remontant aux premières traditions de la guerre. À propos de la question des traditions écrites
et orales à Rome, se référer à Engerbeaud 2017, 463.

169
Charles-Alban Horvais

La référence au mythe herculéen pourrait aussi renvoyer à cette période. En effet,


il faut rappeler que la figure d’Hercule était déjà bien implantée à Rome à la fin du
IVe siècle av. J.-C. 59. On peut rappeler l’exemple de l’Ara Maxima dédié à Hercule sur
le forum Boarium 60. On peut aussi citer la découverte des restes d’un acrotère en terre
cuite figurant Héraclès daté du deuxième quart du VIe siècle av. J.-C. et appartenant
probablement au temple archaïque de Mater Matuta, qui se dressait au pied du
Capitole 61. On sait aussi par Tite-Live qu’une grande statue d’Hercule fut placée sur le
Capitole au IVe siècle 62, non loin de l’endroit où un des parents de Regulus allait bâtir
le temple de Fides. À Rome, la figure d’Hercule suscita sans doute des conflits entre les
différentes gentes 63. Or, les Atilii semblent avoir été, dès la première guerre punique,
opposés aux Scipions. En effet, nous disposons des épitaphes de L. Cornelius Scipio
et d’A. Atilius Calatinus, dont les tombeaux bordent la via Appia : elles paraissent se
répondre, signe probable d’une concurrence entre ces deux gentes 64. De plus, nous
savons que le parallèle entre Scipion l’Africain et Hercule est relativement ancien,
puisqu’il devait s’inscrire dans la lutte idéologique opposant Scipion à Hannibal 65.
D’ailleurs, Polybe et Tite-Live mentionnent tous les deux le fait que Scipion recourait
au merveilleux pour expliquer certaines de ses actions, ce qui signifie que cet usage
était déjà implanté dans la vie politique à la fin du IIIe siècle av. J.-C. 66. On peut alors
se demander si l’usage de la figure d’Hercule par Scipion n’avait pas ici un double
avantage : lutter idéologiquement contre Hannibal et s’imposer à Rome face à d’autres
personnages qui, tel Regulus, avaient tenté de récupérer ce héros à leur profit 67. Ainsi,

59. Bayet 1926, 164-180, 239-332 ; Bastien 2007, 165-171 ; Grandazzi 2017, 296.
60. Cf. Coarelli 1994, 222-223.
61. Cf. Colonna & Pallottino 1977, no 712.
62. Cf. Liv. IX, 44, 16.
63. Les Fabii prétendaient par exemple descendre d’Hercule. À ce propos, se référer à Briquel 1999, qui
défend l’hypothèse d’une apparition de ce lien entre les Fabii et Hercule dès les VIe-Ve siècles av. J.-C.
64. Etcheto 2012, 238.
65. Concernant cette question, voir Torregaray Pagola 1998, 66-68. Sur le discours idéologique mis
en avant par Hannibal, se référer à Briquel 2004, et Miles 2015. Torregaray Pagola 1998, 66-68,
précise cependant que nous ne disposons d’aucune source contemporaine affirmant clairement cette
association. De plus, elle défend l’idée que c’est à Héraclès, non à Hercule, que se référa en premier
lieu Scipion. Il semble que cette association ait commencé à se développer dans nos sources lors de
la prise de Carthago Nova. Ainsi, la première association entre Scipion l’Africain et Héraclès serait
liée aux combats en Espagne. Il n’est pas exclu toutefois que ce lien avec Héraclès se soit renforcé
à l’occasion de la campagne d’Afrique.
66. Pol., X, 2, 5-13 ; X, 11, 7-8 ; X, 14, 12. Liv. XXVI, 19, 3-9. Herrmann 1948, 321-322, se demande même
si l’on ne peut pas trouver une référence à ce lien entre Scipion et Hercule dans l’Amphitryon de
Plaute. Cette référence cependant ne fait pas l’unanimité.
67. En ce qui concerne le lien entre la gens des Scipions et Hercule, on peut aussi ajouter que Scipion
Émilien, celui qui détruisit Carthage, est aussi à l’origine de la création d’un temple à Hercule
Victor au milieu du IIe siècle av. J.-C. Il pourrait ici s’agir d’une référence aux exploits de son

170
L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-255 av. J.-C.)…

cet épisode du serpent du Bagrada aurait pu passer au second plan ou être effacé de
certaines traditions – peut-être en partie à cause de l’association forte qui semble être
apparue entre Scipion et Hercule lors de la seconde guerre punique –, avant d’être
réactivé par les annalistes du Ier siècle av. J.-C. ou par des auteurs plus anciens qui ne
nous sont pas parvenus 68. D’ailleurs, les origines de la famille des Atilii livrent aussi
d’autres indices à ce sujet. En effet, J. Heurgon s’accorde avec F. Münzer pour attribuer
une origine campanienne aux Atilii 69. Or, dans son ouvrage sur la Campanie, il met
bien en avant l’ancienneté du culte d’Hercule en Campanie 70. De plus, l’usage de la
figure d’Hercule par un membre des Atilii paraît tout à fait cohérent, en particulier
dans le cadre d’une expédition en Afrique, terrain de nombreuses aventures de la
geste herculéenne, et surtout dans l’objectif de la lutte contre Carthage, où la figure
de Melqart, souvent associée à celle d’Héraclès, était centrale. Cet épisode du serpent
correspondrait donc à un fragment du discours idéologique mis en avant par les Atilii.
Ainsi, il serait étonnant que M. Atilius Regulus n’eût pas exploité politiquement cette
campagne dans les fines orbis 71.
À cela s’ajoute le fait que Regulus ne fut pas le seul membre de la gens Atilia à
gérer une magistrature supérieure pendant la première guerre punique. C. Atilius
Regulus 72, frère ou cousin de M. Atilius Regulus, fut consul en 257 et réélu en 250
av. J.-C. avec pour collègue au consulat L. Manlius Vulso Longus 73, qui l’accompagna
en Afrique. Le parent de M. Atilius Regulus dut, lors des élections, se retrouver

ascendant, Scipion l’Africain. Contra Torregaray Pagola 1998, 75, qui défend l’idée d’une référence
à son père biologique, Lucius Aemilius Paullus. Notons cependant que ces deux interprétations
ne sont pas contradictoires.
68. On peut d’ailleurs ajouter que Regulus ne fut pas le seul à rencontrer un serpent géant en Afrique
puisque Dion Cassius (XVII, 63) mentionne la présence d’un tel animal durant l’expédition de
Scipion l’Africain en 204 av. J.-C. Ce reptile géant aurait longé le camp tout juste mis en place
par les troupes de Scipion avant de prendre la route menant à Carthage, ce que Scipion aurait
pris pour un présage favorable. Bien que l’épisode relaté ne mentionne pas un combat entre
Scipion et le serpent, la présence même de cet animal de grande dimension ajoute un parallèle
avec l’expédition de Regulus. Il faut cependant faire preuve de prudence avec cette anecdote
dans la mesure où le texte des manuscrits est corrompu et pose des difficultés de lecture. Voir
l’apparat critique de Cary 1961, 238-239.
69. Heurgon 1942, 288 ; Münzer 1999, 58.
70. Cf. Heurgon 1942, 288 et 352. Sur la figure d’Héraclès en Italie et en Campanie, voir aussi Aversa 1999.
71. Sur la compétition aristocratique à l’époque médio-républicaine, voir Rosenstein 1990 ; Rich 1993 ;
Bleckmann 2011, 167-183 ; Rich 2012, 93-112 ; Engerbeaud 2017, 299-315. On peut aussi se demander
si cet épisode épique n’a pas été intégré aux carmina conuiualia, ces chants de banquet vantant les
exploits des Anciens que Caton évoque dans les Origines, bien qu’il faille être prudent : on ne sait
pas s’ils étaient toujours pratiqués à l’époque de Regulus. À ce propos, se référer à Caton, Orig. 118
(= Cic., Tusc. IV, 3) ; voir aussi Cic., Tusc. I, 3 ; Brut. 75, et Val. Max., II, 1, 10.
72. RE II/2, 2084-2085.
73. RE XIV/1, 1223-1224.

171
Charles-Alban Horvais

pris entre l’aura qu’apportaient sans aucun doute à sa gens les victoires de Regulus
en Afrique et l’image négative qui s’attachait aux prisonniers dont la uirtus était
dès lors entachée 74. Il est donc tout à fait possible que Gaius ait fait jouer l’image
héroïque de Marcus pour obtenir son élection au consulat 75. La lutte contre une
créature monstrueuse a pu être exploitée aussi afin d’expliquer et de compenser
la défaite et la capture d’Atilius Regulus. Il est d’ailleurs intéressant de préciser
qu’un autre membre de la gens Atilia, A. Atilius Calatinus 76, pourrait avoir utilisé
lui aussi la mémoire de son parent lors de son cursus honorum 77. Nous savons par
Cicéron qu’il fit dédicacer un temple à Fides sur le Capitole 78. Le choix de cette
dédicace à Fides est expliqué par P. Boyancé de deux manières : il y voit la mise en
avant du rôle que ce personnage a joué dans les relations internationales ; ou une
manifestation de la volonté de mettre en avant le rôle de la Fides Romana dans les
relations entre Rome et les autres puissances. Il pourrait aussi s’agir d’une référence
à la haute valeur morale de ce personnage, dont Cicéron fait mention 79. P. Boyancé
évoque encore, sans toutefois trancher, une possible référence à l’épisode du retour
de Regulus. Le choix de la Fides, qui rappellerait le sacrifice de Regulus lors de la
mission diplomatique de 251-250 av. J.-C., pourrait expliquer, en partie, les élections
successives d’A. Atilius Calatinus à des magistratures d’importance à la suite de la
mort de Regulus 80.
Dès lors, on peut supposer que la tradition qui esquissait une comparaison entre
Hercule et Regulus a pu naître dès l’époque de l’expédition elle-même, ou peu de
temps après, dans l’entourage de M. Atilius Regulus. Si tel est le cas, il s’agirait de
l’un des premiers exemples d’exploitation politique par un magistrat, ou par des

74. Sur l’image négative des prisonniers de guerre romains, se référer à Rosenstein 1990, 121, et
Berrendonner 2006.
75. Sur les liens politiques entre les membres d’une même famille à l’époque de la première guerre
punique, voir Bleckmann 2011, 169. Cette interprétation pourrait être renforcée par la date supposée
de la mission diplomatique de M. Atilius Regulus. En effet, cette mission, qui aurait mené à sa
mort, est traditionnellement datée de 251-250 av. J.-C. La datation de cet épisode et son existence
même font cependant débat. Les autres datations proposées pour cette mission sont 250 av. J.-C.
et 249 av. J.-C., voire 241 av. J.-C. À ce propos, se référer à Minunno 2005, 218.
76. Il fut une première fois consul en 258 av. J.-C., préteur en 257 av. J.-C., avant d’être élu consul
une seconde fois en 254 av. J.-C. On sait aussi qu’il fut dictateur en 249 av. J.-C. et censeur en 247
av. J.-C. Voir Broughton 1951, 206, 208, 210, 215-216 ; RE II/2, 2079-2080.
77. Un dernier membre de la gens Atilia a géré le consulat durant la première guerre punique : il s’agit
du fils de Calatinus, Caius Atilius Bulbus, qui fut consul en 245 av. J.-C. ; mais nous ne savons que
peu de chose sur ce consulat.
78. Cf. Cic., Nat. deor. II, 61. Sur le temple de Fides, voir Freyburger 1986, 265-274.
79. Cf. Cic., Fin. II, 116-117.
80. Cette hypothèse a été envisagée, sans être développée, par Boyancé 1972 ; à ce propos, se référer à
Pietilä-Castrén 1987. À propos du lien entre Regulus et la Fides, je renvoie le lecteur à Fröhlich 2000.

172
L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-255 av. J.-C.)…

membres de sa gens, d’une expédition aux confins du monde visant à rehausser le


prestige de la gens ou celui de leur parent et ainsi restaurer sa uirtus, qui était atteinte.
L’exploitation de l’expédition de Regulus à Rome dans le cadre de la compétition
aristocratique, à travers le rôle symbolique et politique du serpent, serait l’une des
premières manifestations des modifications de la compétition aristocratique du
fait des guerres lointaines.
Peut-on cependant aller plus loin et émettre l’hypothèse que Regulus a pu
vouloir s’adresser, tout comme Scipion l’Africain après lui 81, aux populations
locales pour les inciter à cesser leur soutien aux Carthaginois ? Plusieurs indices
pourraient le laisser penser. En effet, si Regulus a bien tenté de s’associer au
personnage d’Héraclès – la référence au héros grec est en effet plus probable
que celle à l’Hercule romain –, il est possible que cette association ait eu des
visées idéologiques hors de Rome 82. Ainsi, la présence de la figure d’Héraclès en
Sicile 83, lieu d’affrontement principal et enjeu majeur pour les belligérants, pourrait
expliquer le recours à cette figure. De plus, certains indices tendent à montrer
qu’une partie des habitants de l’Afrique du Nord d’alors pouvait être réceptive à
cette comparaison. En effet, la présence de Grecs, de Puniques d’origine grecque
ou d’Italiens sur le territoire carthaginois est attestée par plusieurs sources 84. À
cela s’ajoute le fait que, lors de l’expédition de Regulus, des mercenaires grecs
étaient présents, puisque c’est le Spartiate Xanthippe qui mit fin à l’épopée de
Regulus en Afrique ; nous savons par ailleurs que la figure d’Héraclès se retrouve
sur le monnayage choisi par les mercenaires de Carthage, dont certains devaient
être des Grecs, lors de leur révolte en 241 av. J.-C. 85. Ces mercenaires de culture
grecque devaient saisir ces références à Héraclès. De plus, les travaux de Corinne
Bonnet ont montré l’importance de Melqart à Carthage, en particulier dans le
cadre de ses relations avec Tyr 86. Ainsi, une possible exploitation de la figure
d’Hercule / Héraclès à des fins idéologiques lors de la première guerre punique
est une hypothèse à ne pas écarter.

81. À ce propos nous renvoyons aux hypothèses émises par Torregaray Pagola 1998, 68-69. Scipion
l’Africain ne fut pas le premier à utiliser la figure d’Héraclès : Hannibal semble avoir eu recours
à cette figure afin d’influencer les populations locales ; voir Briquel 2004 et Miles 2015. Sur les
parallèles entre Scipion l’Africain et Hannibal chez Tite-Live, se reporter à Mineo 2009.
82. Torregaray Pagola 1998, 66, souligne le fait que la référence aux douze travaux et aux expéditions
de confins semble davantage correspondre à l’image du héros grec. Il faut cependant reconnaître
la difficulté rencontrée par les chercheurs pour clairement différencier Hercule et Héraclès.
83. Sur la présence d’Héraclès en Sicile, se référer à Bonnet 1988, 264-277.
84. Coltelloni-Trannoy 2011b insiste sur l’ancienneté de la présence grecque en Afrique mineure, dont
les premières traces remontent à l’époque archaïque. Voir aussi Bourdin & Crouzet 2009.
85. Voir Alexandropoulos 2007, 379.
86. Cf. Bonnet 1988, 165-186.

173
Charles-Alban Horvais

Par conséquent, on le voit, on peut avancer plus d’un argument en faveur d’une
datation haute de l’épisode du serpent du Bagrada : il remonterait au IIIe siècle
av. J.-C., probablement créé dans le cercle des Atilii. S’il ne réapparaît dans nos
sources que sous le calame d’auteurs de l’époque augustéenne, c’est que ce récit
survécut à travers des sources qui nous sont par ailleurs inconnues.

Le rôle des Numides et des Libyens lors de l’expédition de Regulus


L’expédition d’Agathocle, un précédent marquant
On a vu que l’hypothèse d’un rapprochement ancien entre Hercule et Regulus pouvait
rappeler l’action en Afrique d’un autre commandant romain, Scipion l’Africain. Le
lien fort qui semble avoir existé entre Scipion et Hercule pourrait d’ailleurs avoir
occulté, pendant un temps, la tradition entourant Regulus. L’influence de la tradition
liée aux Scipions, qui en fait les initiateurs de l’alliance avec les Numides, pourrait
expliquer aussi, on le verra, le fait que les liens entre Regulus et les populations
numides et libyennes lors de l’invasion romaine furent minorés dans nos sources
et dans les travaux récents.
Pour mieux comprendre cela, il faut revenir sur la première expédition qui eut
lieu en Afrique ; elle ne fut pas romaine mais grecque. Pour plus de clarté, je vais
reprendre ici les termes de Polybe, pour qui les Libyens désignaient les populations
assujetties à Carthage, alors que les Numides étaient les populations autochtones
non soumises directement à la puissance punique 87.
S. Gsell et M.H. Fantar, après lui, ont déjà mentionné les parallèles existant entre
l’expédition d’Agathocle à la fin du IVe siècle et celle de Regulus, ainsi que le modèle
que constitua le tyran de Syracuse 88. En effet, les Romains ne furent pas les premiers
à envahir le territoire carthaginois. Avant eux, à la fin du IVe siècle, Agathocle avait
décidé de s’attaquer à Carthage. Or, il se trouve que, lors du premier conflit entre
Rome et Carthage, la cité de Syracuse avait choisi, après un retournement d’alliance,
de s’allier à Rome. Nul doute que la cité devait avoir conservé, concernant l’expédi-
tion d’Agathocle, des archives sur lesquelles les autorités romaines purent s’appuyer
après le retournement de Syracuse, lorsqu’ils préparèrent leur propre expédition.
Les Romains purent en outre consulter les œuvres de Timée de Tauroménion,
auteur d’une Histoire de la Sicile et du bassin méditerranéen, et l’ouvrage de Callias
de Syracuse, qui écrivit une Histoire de la Sicile au temps d’Agathocle 89. En effet,

87. Hamdoune 1999, 12-13. Sur la question de la définition des termes « Libyens » et « Numides », voir
Ghaki 2005 ; Zimmermann 2008 et Laporte et al. 2012.
88. Gsell 1928, 82-83 ; Heurgon 1942, 293 ; Fantar 1987, 40 ; 1989, 84.
89. On sait d’ailleurs qu’Agathocle fut cité comme exemple dans le discours que Tite-Live met dans
la bouche de Scipion l’Africain avant son départ pour l’Afrique ; cf. Liv. XXVIII, 43, 21.

174
L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-255 av. J.-C.)…

plusieurs indices, déjà relevés par les historiens, donnent à penser que les Romains
s’inspirèrent de l’expédition du tyran syracusain et qu’ils reçurent des informations
de leur allié grec 90. Les prises d’Aspis / Clipea et de Tunes – la première comme
point de ravitaillement, la seconde comme base pour assiéger Carthage – s’inspirent
en partie de la stratégie mise en œuvre par Agathocle 91. Quant aux archives de
Syracuse, elles devaient faire état de renseignements apportés par les marchands
ou de données tirées de l’expédition d’Agathocle, lesquelles, sans être exhaustives,
apportèrent vraisemblablement aux Romains des informations précises.

L’existence de soutiens locaux ?


L’existence d’ententes locales avec les populations numides ou libyennes lors de
l’expédition de Regulus a souvent été minimisée, voire passée sous silence, par
les historiens. Y. Le Bohec, par exemple, n’en fait pas mention dans son Histoire
militaire des guerres puniques 92. Pourtant, nous savons qu’Agathocle, cinquante
ans plus tôt, avait reçu une aide de la part d’un roi numide du nom d’Aylimas et
que des tribus et cités s’étaient ralliées à lui 93. Il est vrai que seuls Appien, Orose et
Zonaras abordent ce point à propos de l’expédition de Regulus 94 :

90. Sur le rôle des alliés de Rome dans son réseau d’information diplomatique, voir Auliard 2006b,
225-254. On peut cependant nuancer un peu le propos de Claudine Auliard : il est fort probable
que les Romains ne se soient pas limités aux informations provenant de leurs alliés. À propos de
la diplomatie romaine, voir aussi Caire & Pittia 2006 ; Burton 2011 ; Grass & Stouder 2015.
91. Sur le trajet d’Agathocle lors de l’expédition d’Afrique, se référer à Consolo Langher 1996, 237-262, et
Melliti 2016, 141-153. Concernant la cité d’Aspis / Clipea et son rôle stratégique pour Agathocle, voir
Strabon, XVII, 3, 16 (Agathocle y aurait fondé une colonie). Sur la prise de Tunes par Agathocle, voir
Diod., XX, 17, 1. Sur Aspis / Clipea, voir Fantar 1988 et Camps & Fantar 1989. Sur Tunes, voir Fantar
1979. Kerkouane, qui fut rasée par Regulus, aurait été pillée aussi par Agathocle : voir Fantar 1987,
38-40. Il est d’ailleurs possible que la cité de Megalepolis (cf. Diod. XX, 8) dont s’empara Agathocle soit
l’actuelle Kerkouane : se référer à Fantar 1987, 38-40 et 214 ; Melliti 2016, 142 ; D’Andrea 2017, 274-275.
Cela n’est d’ailleurs en rien contradictoire avec le fait que l’Afrique était encore une terre globalement
mal connue. En effet, les récits des auteurs de ces histoires n’étaient pas exempts d’erreurs, si l’on en
croit Polybe, XII, 4c, 2-5 ; XII, 7, 6 , et ils ne cherchaient probablement pas à fournir une vision claire
et exhaustive de ce territoire.
92. Cf. Le Bohec 2014, 87-95.
93. Cf. Diod., XX, 17, 1 ; 18, 3.
94. Cf. Orose, IV, 9, 9 ; App., Lib. 11 ; Zon., 8, 12-13. Il faut cependant noter aussi le manque de précision
d’Appien, déjà souligné par Hamdoune 1999, 17. À la différence de Polybe, il utilise les termes « Libyens »
et « Numides » de manière très générale. Quant à Orose, il mentionne un possible soutien des tribus
de Maurétanie, ce qui paraît très improbable. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’Orose est un
auteur tardif et que les notions de « Maure » et « Maurétanie » ont évolué ; voir Modéran 2003, 445-480.
Plus simplement, il a pu être induit en erreur par sa source, Tite-Live, dont on sait par ailleurs qu’il
qualifiait parfois les Maures de Numides (cf. XXIV, 49, 5). Dans Zonaras aussi, il est bien mentionné
que des cités se seraient rendues et que les voisins de Carthage lui avaient fait défection.

175
Charles-Alban Horvais

Ce furent les Romains qui commencèrent, au cours de la guerre de Sicile, lorsqu’ils


attaquèrent l’Afrique avec une flotte de trois cent cinquante navires, prirent
certaines villes et y laissèrent Attilius [sic] Regulus au commandement de leur
armée ; ce dernier s’assura le concours de deux cents autres villes, passées de son
côté par haine de Carthage 95.

S. Gsell excluait qu’une alliance se fût nouée entre les Romains et les Numides ;
et s’il acceptait l’idée d’une mission punitive menée par les Carthaginois suite à
l’expédition de Regulus, il ne s’agissait pour lui que de mater une des nombreuses
révoltes qui agitèrent ces populations au cours de la première guerre punique 96. Si
je rejoins S. Gsell sur le premier point, en précisant justement qu’aucune source ne
parle formellement d’une alliance – Orose ne mentionne en effet qu’un soutien 97 –,
il me paraît cependant tout à fait cohérent d’imaginer que Regulus ait pu faire
jouer la haine que nourrissaient les populations numides et libyennes contre les
Carthaginois, et que des négociations locales, sur la reddition d’un bourg, d’une
forteresse, voire d’une cité, aient pu avoir lieu.
De plus, il paraît matériellement impossible que Regulus, avec ses quinze mille
fantassins et cinq cents cavaliers, ait pu maintenir une garnison dans toutes les cités
prises 98. Le vocabulaire utilisé par certaines de nos sources laisse également penser que
plusieurs redditions furent négociées 99. Un appui local fut probablement nécessaire,
surtout si l’on songe au fait que le ravitaillement des troupes romaines se réalisa en
partie sur place 100. En effet, quarante navires sur près de trois cents furent laissés à

95. Cf. App., Lib. 11 (trad. Goukowsky 2001, 3).


96. Voir Gsell 1928, 83.
97. Cf. Orose, IV, 9, 9.
98. Les chiffres de quinze mille fantassins et cinq cents cavaliers sont fournis par Polybe, I, 29, 9. Quant
au nombre de places prises par Regulus, il varie selon les sources : Florus, I, 18, 19, parle de « plus de
trois cents castella ». Eutrope, II, 21, 3, parle de la soumission de soixante-quatorze ciuitates après
le départ de Manlius. Appien, Lib. 11, parle de la reddition de deux cents poleis. Quoi qu’il en soit,
et même s’il faut prendre le vocabulaire de nos sources avec précaution, il est certain que plusieurs
cités d’importance se trouvèrent sur le chemin de Regulus.
99. À ces auteurs qui évoquent ouvertement l’appui de certaines populations locales, on ajoutera
l’usage du tour in deditionem par Eutrope (II, 21, 2, à propos de Clypée) et Orose (IV, 8, 16)
qui peut laisser penser que plusieurs cités se rendirent volontairement. S’il faut prendre garde
à l’interprétation de ce terme dans des sources tardives, il n’en reste pas moins que ce scénario
paraît tout à fait plausible. Il est parfois difficile de savoir si une ville fut prise ou non par la force.
Le cas de Clipea est ainsi exemplaire : en effet, Zonaras (8, 12) donne une version différente de
celle de Polybe. Si Polybe (I, 29, 3) décrit une prise de Clipea par l’armée romaine à la suite d’un
siège, Zonaras explique que les Romains s’emparèrent de la cité sans avoir à la prendre d’assaut.
Sur la pratique des deditiones, voir Auliard 2006a.
100. Polybe, d’ailleurs, précise, I, 26, 2, que les Carthaginois craignaient un tel soutien. Et il relate, I, 29,
7, que les opérations de pillage rapportèrent aux Romains, une fois maîtres d’Aspis, « une énorme
quantité de bétail ».

176
L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-255 av. J.-C.)…

Regulus après le départ de son collègue pour l’Italie 101. Or, si l’on suit les chiffres fournis
par P. Erdkamp (2015, 68), une armée consulaire, soit à peu près ce qu’avait conservé
Regulus sur place, consommait quotidiennement trente-cinq tonnes de blé, vingt-
cinq tonnes d’orge et, si cela était possible, cent hectolitres de vin et vingt hectolitres
d’huile d’olive. On sait, par exemple, que l’armée romaine qui assiégea Lilybée en
249 av. J.-C. disposait d’environ huit cents vaisseaux pour son ravitaillement 102. Les
quarante navires laissés à Regulus apparaissent donc bien insuffisants au ravitaillement
de son armée 103. Une grande partie du ravitaillement romain se fit donc sur place 104,
ce que nos sources évoquent à plusieurs reprises 105 :

Regulus se mit en marche quelques jours après, pillant les localités ouvertes dès
qu’il y entrait, donnant l’assaut aux places fortifiées 106.

Si l’armée romaine se ravitaillait bien sur les domaines agricoles, elle devait
pouvoir bénéficier d’une certaine sécurité pour ses fourrageurs ; il est donc probable
que les populations soumises aux Carthaginois durent, à tout le moins, ne pas
opposer de résistance 107. On peut évidemment objecter à cela que les rivages sur
lesquels Regulus et ses hommes avaient débarqué étaient de riches terres à blé et

101. Cf. Pol., I, 29, 9. Le chiffre de “trois cents” est donné par Orose IV, 9, 5.
102. Cf. Pol., I, 52, 6. Sur ce siège de Lilybée, se reporter à Erdkamp 1998, 58 : si cette flotte était
particulièrement nombreuse, c’est à cause du nombre important de marins embarqués ; elle
comprenait en outre de petits navires venant de Sicile et ceux qui « convoyaient des ravitaillements
aux assiégeants de Lilybée ainsi que des marchandises et des fournitures pour l’armée » (Pol. I,
52, 5 [trad. Pédech 1969, 90]). Concernant le ravitaillement des armées en campagne pendant les
guerres puniques, voir Erdkamp 2015, 67-69 : les cibaria qu’emportaient les soldats n’excédant pas
un mois, il était nécessaire de disposer d’une base proche de la zone des combats et d’organiser des
convois. Déjà en 263 av. J.-C., deux armées consulaires envoyées en Sicile avaient dû être amputées
de la moitié de leurs effectifs pour des questions de ravitaillement. Quant à l’acheminement des
vivres par transport maritime, il nécessitait, outre un accès à la mer, une flotte nombreuse de
navires de charge.
103. Le terme ναῦς utilisé par Polybe ne permet pas de savoir s’il s’agit de navires de guerre ou de navires
de transport. Il faut ajouter que le ravitaillement par mer était difficilement praticable pendant
l’hiver. À ce propos, se référer à Erdkamp 1998, 53.
104. Ainsi, bien que Polybe indique, I, 29, 1, que les Romains « complétèrent leur ravitaillement avant
d’appareiller en direction de l’Afrique », il est peu probable que ce ravitaillement ait été suffisant
pour une campagne de plusieurs mois, d’autant plus que cette expédition réunissait deux armées
consulaires totalisant, avant la victoire d’Ecnome, cent quarante mille hommes, marins compris
(cf. Pol. I, 26, 7), à quoi s’ajoutèrent plus de vingt mille esclaves capturés par les Romains une fois
sur place (cf. Pol. I, 29, 7), qu’il fallait bien nourrir.
105. Ce ravitaillement dut être facilité pour les Romains par l’usage de greniers à blé dans les champs
en Afrique du Nord. Voir Fantar 2007b.
106. Cf. Pol. I, 30, 4 (trad. Pédech 1969, 59).
107. Sur les difficultés de ravitaillement des armées, y compris pour des assiégeants, voir Pol. I, 17, 9-10,
dans sa relation du siège d’Agrigente en 262 av. J.-C.

177
Charles-Alban Horvais

qu’il était donc facile de s’y ravitailler par le pillage. Cependant, il est important de
rappeler que cette opération a duré plusieurs mois sur un territoire assez réduit,
que les difficultés de ravitaillement, y compris dans des territoires plus proches de
Rome, étaient fréquentes et que, là encore au dire de Polybe, les Carthaginois ne
laissèrent pas, au moins au début des opérations, les Romains piller sans réagir 108.
De plus, il n’est pas inutile de rappeler, pour percevoir le défi que représentait le
ravitaillement d’une armée en territoire ennemi, les difficultés de ravitaillement
rencontrées par les Romains en Sicile, autre terre d’abondance, lors de cette première
guerre punique. En effet, lors du siège d’Agrigente en 262 av. J.-C., alors que leur base
de ravitaillement d’Herbésos venait de leur être enlevée par Hannon 109, c’est grâce
au concours de Hiéron de Syracuse que, selon Polybe 110, les Romains obtinrent un
ravitaillement suffisant, ce qui n’empêcha pas d’ailleurs les privations et l’apparition
de maladies 111. De plus, rappelons que les Romains n’étaient sûrement pas les seuls à
piller le territoire carthaginois ; Polybe mentionne l’existence d’incursions numides
concomitantes à l’intervention romaine :

[…] car, s’ajoutant à ces échecs, les tribus numides par leurs incursions désolaient
le pays autant et plus que les Romains 112.

Regulus a aussi, très certainement, recouru à des guides locaux. Tite-Live évoque
à de nombreuses reprises l’existence de tels guides lors de la deuxième guerre
punique 113, et Polybe insiste sur la nécessité de connaître le terrain avant de s’y
engager 114. Il est donc tout à fait logique de penser que, même si nos sources ne le
mentionnent pas, Regulus eut recours à des guides issus des populations locales
afin de s’orienter dans le territoire punique ; ce qui vient donc conforter l’idée que
les Romains bénéficièrent d’un certain soutien de la part de ces peuples.
L’utilisation par les Romains des rivalités opposant Carthage et ses sujets
n’a jamais été évoquée par les historiens pour cette expédition, car ces derniers
mettent en avant le fait que Polybe, notre source principale, n’en dit mot 115. En

108. Cf. Pol. I, 30, 3.


109. Cf. Pol. I, 18, 9. Sur le rôle d’Herbésos pour l’approvisionnement de l’armée romaine en Sicile,
cf. Pol. I, 18, 5.
110. Cf. Pol. I, 18, 11.
111. Cf. Pol. I, 19, 1.
112. Cf. Pol., I, 31, 2 (trad. Pédech 1969, 61).
113. Cf. Liv. XXI, 26, 5 ; XXI, 27, 4 ; XXI, 29, 6.
114. Pol. III, 48, 11. Concernant le renseignement, voir Austin & Rankov 1995 et Sheldon 2009.
115. Voir Gsell 1928, 83. Lazenby 1996, 103, se borne à mentionner ces incursions des Numides sans
développer davantage. Le Bohec 2014, 87-95, ne fait même pas mention de cette agitation dans
les pages qu’il consacre à l’expédition de Manlius Vulso et Atilius Regulus. Plus récemment,
Burgeon 2017, 121 et 124, se contente de souligner que les sources se contredisent à propos du rôle

178
L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-255 av. J.-C.)…

effet, Polybe ne mentionne que des incursions numides, et à aucun moment il


ne parle de liens établis entre les Romains et les Numides ni entre les Romains et
les Libyens 116. Cependant, son témoignage, sur ce point, doit être considéré avec
précaution : C. Hamdoune a bien montré dans son étude sur les auxilia externa
africains qu’il avait tendance à minimiser le rôle des soldats africains dans le
conflit opposant Carthage à Rome 117. Le but de Polybe était, en effet, d’opposer
deux types d’armée, l’armée de mercenaires des Carthaginois et l’armée civique
des Romains. D’autre part, il faut rappeler qu’il a conçu ses livres sur la première
guerre punique comme une simple introduction et que ses liens avec la famille
des Scipions, dont deux membres achevèrent les deux guerres puniques suivantes,
ne devaient pas l’inciter à attribuer un grand rôle à Regulus. Je pense donc, à la
différence de S. Gsell, qu’il faut prendre avec davantage de sérieux les témoi-
gnages d’Appien, d’Orose et de Zonaras. Regulus devait avoir une connaissance
assez précise tant des tensions internes existant dans le territoire dominé par les
Carthaginois que des rapports de force locaux. Cela signifie aussi qu’il était en
mesure de communiquer avec ces populations, peut-être par le biais du punique
ou, plus probablement, du grec 118. L’existence de ralliements de soldats africains
aux Romains est de plus attestée par d’autres exemples. Ainsi, Eutrope et Appien
font l’un et l’autre mention de soldats africains – dont il est difficile de savoir s’ils
étaient numides ou libyens 119 – passés du côté des Romains pendant la première

joué par les Libyens et qu’il est peu probable que les Numides aient fait cause commune avec les
Romains. Et pour conforter sa théorie concernant les Numides, reprenant les arguments de Gsell
1928, 83, il s’appuie sur le fait que nos sources ne parlent d’aucun cavalier numide après la défaite
de Regulus et, d’autre part, sur une information tirée d’Hesianax par le Pseudo-Plutarque (Par.
Min., 23). Cet extrait d’Hesianax fait mention, durant l’expédition de Regulus, de l’intervention
en Massylie d’un certain Calpurnius Crassus, qui aurait eu pour mission de prendre Garaïtion,
place forte appartenant à un roi qui serait donc numide. Ces deux arguments sont, à mon avis,
insuffisants. Tout d’abord, l’absence de toute mention de cavaliers numides dans les troupes en
déroute de Regulus n’autorise pas à conclure que des Numides n’apportèrent pas leur soutien au
général romain. Cette absence apparaît d’autant moins décisive lorsqu’on sait que Polybe n’était
pas prompt à mettre en valeur les éléments étrangers de l’armée romaine. Quant à l’anecdote
transmise par le Pseudo-Plutarque, même si elle se révélait fiable, ce qui est très incertain, elle
n’impliquerait pas pour autant que tous les Numides étaient opposés à l’action de Regulus. En
effet, le terme de « Numide » est un vocable très général désignant des peuples qui n’étaient pas
alors unifiés politiquement et dont les Massyles ne formaient qu’une partie. À ce sujet, je renvoie
le lecteur à Ghaki 2005 et à Laporte et al. 2012.
116. Pol., I, 31, 2-3.
117. Hamdoune 1999, 8. Sur la question de la vision des alliés italiens dans nos sources, voir Erdkamp 2007.
118. Concernant l’usage du grec dans l’Afrique antique, voir Coltelloni-Trannoy 2005 ; 2011a.
119. Eutrope II, 24, 1 indique qu’il s’agit de Numides (per Numidas quos in auxilium habebat [sc. Metellus]),
mais Appien, Sic. 2, 3, parle de Libyens. Hamdoune 1999, 17, a bien montré qu’il faut parfois se méfier
des termes qu’Appien utilise concernant les populations africaines.

179
Charles-Alban Horvais

guerre punique 120. Ces mêmes sources, auxquelles s’ajoute Orose, attribuent à
Regulus une armée comptant de trente mille à trente-deux mille cinq cents hommes
au moment de sa défaite, ce qui donne à penser qu’il utilisa des troupes locales
pour compléter ses effectifs 121. Ce point de vue est renforcé par le témoignage de
Zonaras, qui évoque l’arrivée de nombreux déserteurs dans l’armée de Regulus
et de Romains récupérés sur place, probablement d’anciens soldats capturés et
réduits en esclavage dans les riches terres du Cap Bon 122. Même s’il faut se garder
de surinterpréter ces sources – car aucune d’elles, à l’exception de Zonaras, ne
mentionne explicitement la présence de soldats de l’armée carthaginoise parmi les
troupes romaines –, il ne faut pas écarter l’idée que Regulus a pu grossir l’effectif
de ses légions au moyen de troupes locales et de transfuges.
De plus, nous savons qu’Agathocle avait reçu le soutien d’un roi des Lybiens,
probablement un roi numide 123, Aylimas, et de certaines tribus et cités 124. G.K. Tipps
(2002-2003, 383) défend l’idée que, à la différence d’Agathocle, Regulus n’aurait
rien fait pour profiter de cette révolte des populations africaines. Une telle vision
paraît incomplète. En effet, la connaissance du terrain par les élites aristocratiques
romaines était sans doute plus fine qu’on ne l’a parfois pensé. Si Regulus a refusé
une alliance formelle, c’est peut-être à cause de l’image négative des Numides
transmise par les récits de la campagne d’Agathocle. En effet, Diodore de Sicile fait
mention des déboires qu’Agathocle rencontra dans ses alliances avec les Numides.
Ainsi, le roi numide Aylimas, avec qui il s’était allié, se serait ensuite retourné

120. Eutr., II, 24, 1 ; App., Sic. 2, 3. Gsell 1928, 82, n. 4, insiste sur le fait inverse : les cités de Bizerte et
d’Utique étant restées, selon Polybe, I, 82, 8, fidèles à Carthage, il en déduit que les sujets de Carthage
n’ont pas pu faire cause commune avec les Romains. Cet argument ne me paraît pas décisif. En
effet, il est très probable que les deux situations se sont présentées et que des cités restèrent fidèles
à Carthage alors que d’autres étaient prêtes à se livrer aux Romains. On peut d’ailleurs souligner
que, si Appien, Lib. 11, parle de deux cents villes qui se livrèrent « par haine de Carthage », il fait
état aussi de prises de cités. Il faut cependant nuancer le terme de poleis utilisé par Appien : comme
les termes oppidum et castellum dans nos sources latines, il doit désigner des réalités très diverses,
allant de la cité à la simple bourgade en passant par le bourg fortifié. Sur le crédit que méritent les
fragments d’Appien, voir Caire & Pittia 2006, 113-135.
121. Cf. App., Lib. 11 ; Eutr. II, 21, 5 ; Oros. IV, 9, 3. Si Appien parle de trente mille hommes et Orose
de trente mille cinq cents soldats (trente mille morts et cinq cents prisonniers), Eutrope évoque
trente-deux mille cinq cents soldats romains : deux mille survivants, cinq cents prisonniers et trente
mille morts. Il est à noter que Lazenby 1996, 103, n’exclut pas cette possibilité.
122. Cf. Zon. 8, 12.
123. Se pose ici de nouveau la question du vocabulaire utilisé par nos sources : comme nous l’avons vu,
le terme « libyen » est souvent utilisé pour qualifier des sujets de Carthage. Il semble cependant ici
plus crédible d’y voir un roi numide.
124. Cf. Diod. XX, 17, 1 ; 18, 3. Justin, XXII, 6, 12, fait aussi mention de cités passées du côté d’Agathocle
durant son expédition en Afrique. Là encore, la défection des cités est la conséquence des premières
victoires du tyran.

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L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-255 av. J.-C.)…

contre lui 125. À cela s’ajoute la fourberie des alliés numides d’Agathocle qui, lors
d’une bataille, décidèrent, avec les Numides qui servaient dans le camp carthagi-
nois, d’aller piller le camp des Grecs occupés à pourchasser les troupes puniques
en déroute 126. Il convient ici de se méfier de la vision négative du barbare souvent
transmise par les sources gréco-romaines 127. D’ailleurs, la trahison d’Aylimas
n’est pas expliquée ; mais on sait qu’Agathocle était lui-même loin d’être un allié
parfait, comme l’apprirent à leurs dépens les Cyrénéens. Cependant, de tels récits
formaient vraisemblablement une des bases de l’information de Regulus sur les
Numides. L’idée d’une alliance n’était alors peut-être pas la plus raisonnable à ses
yeux 128. On peut aussi émettre l’hypothèse que l’absence, chez Polybe, de traces
de soutiens locaux aux Romains s’explique par sa volonté de mettre en avant – au
détriment de Regulus – le fait que Scipion fut le premier à créer des liens avec les
populations africaines, en particulier avec les Numides.

Conclusion
J’ai tenté de montrer ici qu’il est possible que la légende du serpent du Bagrada soit née
dès le milieu du IIIe siècle av. J.-C. dans l’entourage de Regulus avant d’être reprise,
au plus tard au Ier siècle av. J.-C., par des auteurs d’époque augustéenne. Cependant,
quelle que soit la date retenue, cet épisode marque bien une forme d’héroïsation de
la figure de Regulus, lequel, en faisant face à un monstre dont le rôle symbolique de
marqueur des confins est bien établi, était associé à la figure d’Hercule.
J’ai voulu aussi prouver que la connaissance du terrain par les élites aristocratiques
romaines était sans doute plus fine que ce que les sources laissent transparaître. De
plus, le rôle important joué par les populations locales lors de l’expédition de Regulus
a longtemps été sous-estimé, voire totalement ignoré, par les historiens. Pourtant, les
liens avec les Numides et les Libyens sont vraisemblablement plus précoces que nous
ne l’avons souvent cru, et ils préfigurent peut-être l’alliance avec Massinissa.
Ainsi, entre héroïsation et alliance avec les peuples locaux, on pourrait percevoir
dans Regulus un prédécesseur de Scipion. Pourtant, il est intéressant de constater

125. Diod. XX, 18, 3.


126. Diod. XX, 39, 2.
127. Concernant la vision des barbares par les sources gréco-romaines, voir Dauge 1981, 57-68 ;
Dubuisson 2001.
128. L’aspect peu fiable des Numides est aussi soulevé au moment du départ de Scipion pour l’Africa,
lors du débat qui l’opposa au Sénat à Q. Fabius Maximus : « Te fies-tu à Syphax et aux Numides ?
Qu’il suffise de s’y être fié une fois : la témérité n’attire pas toujours la chance ; la fourberie se met
en frais au début, pour capter la confiance dans les petites choses afin de tromper, quand cela en
vaut la peine, en en tirant un grand bénéfice » (Liv. XXVIII, 42, 7 [trad. Jal 1995, 89]).

181
Charles-Alban Horvais

que les sources opposent ces deux personnages et passent sous silence les aspects qui
pourraient les rapprocher. On peut dès lors défendre l’idée que des auteurs évoluant
dans le cercle des Scipions, comme Polybe, ont tenté de mettre en récit cette opposition
et de promouvoir l’action de Scipion en faisant de lui un Anti-Regulus.

Charles-Alban Horvais
GRHis EA 3831
Université de Rouen Normandie

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191
COMPTES RENDUS
Roman grec et poésie. Dialogue des genres et nouveaux enjeux du poétique
(Actes du colloque international, Nice, 21-22 mars 2013), M. Biraud,
M. Briand (éd.), Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée (Collection
de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée ; 56. Série littéraire et
philosophique ; 22), 2017, 388 p.
Ces actes du colloque international « Roman grec et poésie » qui s’est tenu à Nice
les 21 et 22 mars 2013 s’inscrivent assez largement dans la filiation de ceux des
colloques de Tours publiés dans la même collection. Leur originalité réside dans la
confrontation du roman grec avec la poésie, deux genres littéraires dont la défini-
tion complexe et mouvante, dans le contexte de la Seconde Sophistique, laisse une
importante marge de rencontre entre pratique d’écriture romanesque et critères de
création poétique. Cette recherche poursuit trois objectifs principaux d’investigation :
le repérage des intertextualités et de leurs usages, l’affirmation de principes d’une
poétique formelle de la prose et l’acception de la fiction romanesque comme poésie
et inversement. Elle se répartit entre quatre ensembles, qui traitent respectivement
des figures stylistiques, des références intertextuelles, des effets structurels et des
ouvertures transgénériques. Chacun de ces aspects est envisagé aussi bien sous un
angle théorique qu’à partir d’exemples qui en traduisent l’application. Aussi, cet
ouvrage non seulement fournit un état des lieux critique et un renouvellement
des perspectives, mais apporte également une contribution essentielle aux études
sur l’ancien roman ainsi qu’à notre connaissance des enjeux du dialogue entre les
genres romanesque et poétique.
La première partie concerne les images et figures récurrentes, lisibles comme
étant à la fois poétiques et romanesques. Jean-Philippe Guez explore les « frontières
de la prose » en étudiant chez Chariton les usages de la comparaison et chez Achille
Tatius ceux de la métaphore : pour le premier, les comparaisons – phénomènes
naturels, animaux, activités de paix ou de guerre, univers de la paideia – sont
au service d’une esthétique de la clarté, qui rapproche son roman de la poésie
homérique sans que celui-ci l’atteigne pour autant, tandis que pour le second, la
métaphore permet un éclatement de la prose par un traitement pleinement poétique
des digressions – énigmes, paradoxes, oxymores –, qui font sortir le lecteur de la
narration principale par une esthétique de la surprise. Christophe Cusset et Claire
Vieilleville concentrent leur travail sur l’ouverture du roman d’Achille Tatius,
l’ekphrasis programmatique du tableau de l’enlèvement d’Europe, en le rapprochant
d’un epyllion hellénistique de Moschos, dont elle est inspirée : après avoir dégagé
les points de contact de cet incipit intertextuel – le décor brouillé de la scène, la
posture plus ou moins active d’Europe, celle de ses compagnes ou encore l’image
du dauphin – et l’originalité de l’epyllion de Moschos – sa composition annulaire,
au cœur de laquelle prend place la rencontre mythologique d’Europe et de Zeus –,
Kentron, n° 34 – 2018

ils donnent un éclairage du fonctionnement formel et interprétatif de ce dernier


texte sur la lecture du roman comme jeu sur les codes littéraires. Magdeleine
Clo dresse un inventaire des instruments de musique, en tant qu’ils permettent
la poétisation du texte narratif en prose et constituent souvent eux-mêmes des
symboles poétiques et des éléments structurants du roman : l’aulos, flûte double,
qui évoque le sacré et donne au texte une tonalité mélodique, la salpinx, trompette,
qui évoque la guerre et l’inscrit plutôt dans un registre épique, la syrinx, flûte de
Pan, qui évoque le monde pastoral et dont la fabrication même représente un motif
poétique, la lyre et la cithare, instruments des jeunes femmes et des divertissements,
le tympanon et le rhombos, percussions asiatiques qui renvoient à l’exotisme des
armées éthiopiennes, ou encore la nature conçue comme instrument de musique et
symbole poétique, avec le pouvoir enchanteur ou effrayant des vents, des fleuves et
des animaux et l’affleurement des mythes d’Écho ou d’Orphée. Françoise Létoublon
s’intéresse, quant à elle, aux métaphores poétiques présentes dans les romans.
Empruntées à la tradition poétique de la lyrique archaïque ou hellénistique, elles
font du roman une « chambre d’écho » où résonnent les thèmes et les images de
la poésie grecque : outre le rôle central du dieu Éros, c’est non seulement à des
paradigmes mythologiques – les légendes de Pitys, Syrinx et Écho, trois nymphes
face à Pan, mais aussi de Phatta chez Longus, celles d’Europe, de Térée, Philomèle
et Procné ou de Rhodopis et Euthynicos chez Achille Tatius ou celle de Persée et
Andromède chez Héliodore –, mais encore à des champs métaphoriques divers
– les topoi des exploits héroïques de l’épopée, de l’amour doux-amer, des pirates
et des brigands, et surtout celui de l’aimant, ou pierre de Magnésie, hérité de
nombreux hypotextes – que les romanciers font appel pour mettre en œuvre cette
« symphonie des genres » justifiée par leur thématique érotique.
La deuxième partie envisage les références, lectures et réécritures poétiques
dont le roman grec fait l’objet, sur les plans lexical, syntaxique, stylistique et
pragmatique. Ewen Bowie restreint son étude au plan lexical et propose, en anglais,
au moyen de huit tableaux, une analyse détaillée de l’étendue du « vocabulaire
poétique » de Longus, en reprenant la définition et la classification de Gunnar
Valley et en distinguant les termes du registre épique, ceux de la poésie mélique,
l’impact de l’épigramme, les termes bacchiques et les autres termes techniques :
comparaison avec Achille Tatius et Héliodore à l’appui, il parvient à la conclusion
que dans les romans grecs, le lexique de la prose est toujours bien distinct de
celui de la poésie et que le vocabulaire spécifiquement poétique s’y fait assez
rare. Romain Brethes examine les liens du romancier Achille Tatius, ou plutôt
de son narrateur Clitophon, avec le poète latin Ovide, ses Amours et son Art
d’aimer : le rôle des praeceptores amoris, Satyros, plus direct, et Clinias, plus
raffiné, le développement de l’art des suasoriae et de la controverse, la référence
androcentrique au plaisir féminin, le statut de la jeune fille Leucippé, à la fois très

196
Comptes rendus

surveillée et très libre, ou la dialectique du dedans et du dehors – le lecteur étant


amené à entrer dans le thalamos, et l’espace public servant a contrario de lieu de
la rencontre privée – sont autant d’éléments qui illustrent la correspondance entre
ces œuvres et montrent que, quel que soit le livre qu’il tient en main au moment
où il espionne Leucippé, Clitophon a bien retenu les leçons amoureuses d’Ovide.
Alain Billault traite lui aussi de l’emprunt à Moschos de l’ekphrasis liminaire de
Leucippé et Clitophon sur le rapt d’Europe, en le complétant par un ensemble
d’autres reprises de la poésie hellénistique dans son roman, souvent tirées de
l’Anthologie Palatine, qu’il s’agisse du « je » littéraire des épigrammes, du mythe
de Zeus et Ganymède, déjà présent chez Callimaque, de l’invocation à la lune,
rappelant Séléné et Endymion dans une épigramme de Philodème de Gadara, du
pouvoir d’Éros, tel qu’il est dépeint par Méléagre, de la parure nuptiale, décrite
par Posidippe de Pella, ou bien de la scène de l’échange des coupes, empruntée
aux Idylles de Théocrite : loin d’une imitation systématique, c’est une proximité
implicite et humoristique avec ces poètes hellénistiques qu’Achille Tatius affiche,
afin d’exécuter avec érudition une création littéraire faite à la fois de fidélité à
leurs œuvres et de liberté propre. Christine Kossaifi met en évidence chez Longus
les jeux de perspectives et l’effet d’anamorphose en rapport avec Théocrite, le
créateur du genre bucolique, et Ovide, le maître des Métamorphoses, selon un
« regard oblique », auquel le lecteur se trouve contraint : le lien avec la fiction y est
effectivement inscrit par une combinaison d’anamorphoses et de métamorphoses,
comme le rappel de l’amour de Philétas et d’Amaryllis, l’épisode de Dorcon
changé en loup, évoquant celui d’Actéon changé en cerf, les mythes de Syrinx
et d’Écho, symboles d’une voix musicale réinvestie, mais aussi celui de Phatta,
création originale de l’auteur de Daphnis et Chloé malgré des accents théocritéens
et la présence suggérée de l’Orphée d’Ovide. Élodie Romieux-Brun consacre sa
contribution aux citations de l’Iliade relatives au personnage de Chairéas dans
le roman de Chariton. Elle démontre qu’elles nourrissent l’évolution morale et
la transformation épique progressive de ce héros romanesque grâce au parallèle
mythique établi avec Achille et la guerre de Troie, conformément à la lecture
morale d’Homère recommandée par Plutarque et pratiquée par d’autres auteurs
d’époque impériale. Ainsi, Polycharme, l’indéfectible compagnon de Chairéas,
est l’ombre portée de Patrocle, tandis que les exploits finaux du héros solitaire
rappellent le retour glorieux d’Achille après son retrait du combat et la mort de son
ami, si bien que, même si la comparaison n’est pas systématique ou univoque, elle
met en valeur la mue radicale de Chairéas, initialement incapable de se hisser au
niveau d’un héros épique, jusqu’au renversement final où, par sa posture morale,
il passe de la passivité à l’action et, par sa maîtrise de la parole, du silence à la
narration métapoétique. Gérard Rainart clôt cette deuxième partie en soulevant
la question du pastiche au sujet de la poésie imitée des oracles de Delphes dans

197
Kentron, n° 34 – 2018

les Éthiopiques d’Héliodore, et en dégageant les caractéristiques stylistiques,


sémantiques et pragmatiques propres au style oraculaire, qui relèvent d’un souci
de création esthétique et d’un renforcement paradoxal de la crédibilité du récit
romanesque malgré les invraisemblances historiques : à partir des deux oracles
des livres II et X, il interroge l’attribution à la Pythie de réponses spontanées et
versifiées, le rôle prophétique de la sibylle delphique et du poète dans la production
et l’interprétation chresmologiques, ainsi que la place du romancier dans le pastiche
des oracles, pour en déduire que la poésie oraculaire d’Héliodore, en ménageant
dans la narration un effet à la fois suspensif et proleptique, conserve tout de ce
genre littéraire, conçu comme un jeu d’érudition et une création formelle.
La troisième partie porte sur les effets de style et les jeux de structure grâce
auxquels la prose romanesque s’impose comme le lieu privilégié d’une création
formelle virtuose, quasi musicale. Michèle Biraud part de l’opposition entre les
rythmes anciens, marqués par l’alternance de syllabes longues et de syllabes brèves,
et les rythmes modernes, dépendant plutôt de la récurrence d’écarts semblables
entre syllabes accentuées, pour l’appliquer à la bucolique en prose du discours de
Philétas dans le roman de Longus (II, 3-7) et déduire d’une étude suivie des rythmes
du récit de Philétas et de la réponse d’Éros selon ces deux modes de lecture un usage
différencié de l’un et de l’autre : les rythmes traditionnels sont réservés à l’évocation
du passé de Philétas et de la bucolique ancienne et à la célébration d’Éros comme
dieu cosmique éternel, plus vieux que Cronos lui-même, tandis que les mouve-
ments périodiques traduisent les ébats et gambades de l’enfant Éros, parangon
d’une poétique moderne de la pastorale ; ainsi, la lecture traditionnelle ramène le
lecteur au niveau de la prose soignée, alors que la lecture accentuelle, grâce aux
agencements concentriques des périodes, l’élève à un niveau d’élaboration supé-
rieur, celui d’un authentique poème en prose. Martin Steinrück explique le rapport
entre figure de concomitance et rythme de prose dans d’importants passages des
Éthiopiques d’Héliodore, d’une part en définissant la concomitance comme usage
du discours indirect libre, où la superposition de deux voix – celle du narrateur et
celle du personnage – donne à voir simultanément au lecteur deux objets ou deux
points de vue, et d’autre part en postulant l’héritage de la tradition poétique dont
le rythme de prose est dépositaire en raison non seulement de sa désaffection de
la part des élites à partir du IIe siècle, mais aussi du passage au rythme accentuel
– développé dans le précédent article – et du remplacement de l’opposition entre
prose et poésie par celle qui confronte atticisme et asianisme, selon un schéma de
norme et d’écart ou de supplément par rapport à cette norme : de ces analyses sur
les temps grammaticaux, le style périodique et les nombres d’accents ou de quantités
syllabiques, il dégage deux longs passages qui se démarquent du reste du roman
et où le phénomène de concomitance et de regards enchâssés atteste l’essor du
modèle normatif à l’époque impériale, avec l’écart par rapport à la norme atticiste

198
Comptes rendus

du rythme sériel que représente le rythme périodique, traité comme un supplément


de style, voire comme l’irruption d’une forme de poésie dans la prose. Anne-Iris
Muñoz place aussi son travail dans le prisme des conflits formels à l’œuvre dans
le roman, mais déplace la question de l’atticisme lui-même à celle de sa relation a
priori oxymorique avec la tragédie grecque classique. Prenant pour exemples les
livres II, III et IV de Leucippé et Clitophon, elle affirme que la réflexion sur le roman
passe par la rivalité avec ce genre théâtral défini comme un mythos, organisé autour
d’un renversement qui fait basculer le protagoniste du bonheur dans le malheur,
selon un double mouvement bien établi de desis et de lysis : chez Achille Tatius, ce
mouvement épouse l’évolution de l’intrigue entre trois ruses successives impliquant
chacune un pharmakon – le somnifère administré à Conops et à Panthéia, le faux
sacrifice de Leucippé et son retour à la vie, et le philtre d’amour mal dosé qui conduit
Leucippé à la folie, ainsi que son antidote bien dosé qui la ramène à la raison – et
agencées autour d’un kampter, borne du stade figurant le pivot du style périodique
dans l’esthétique aristotélicienne, en l’occurrence la première « mort » de Leucippé.
À la lumière des théories stylistiques contemporaines, cette « croisée des genres »
conduit à une réflexion sur divers éléments communs à la tragédie et à ce roman,
tels que la catharsis comme art du dosage, la figure métabolique du renversement,
l’impression du style gorgos, avec l’allusion à Gorgias et à la Gorgone, et la solution
stylistique d’Achille Tatius dans ses deux diptyques – comique (les fables d’Ésope)
et tragique (les tableaux d’Andromède et de Prométhée) – et l’image du phénix
ou du paon, dont la roue symboliserait la période rhétorique, antinomique avec
l’atticisme traditionnellement représenté par la chouette d’Athéna.
La quatrième et dernière partie, intitulée « Le roman comme poésie, la poésie
comme roman », revient à un niveau plus général, macrotextuel, pour explorer les
interpénétrations génériques et leurs modalités. Jocelyne Peigney se penche sur les
réminiscences homériques d’Héliodore dans les Éthiopiques et sur la recomposition
d’éléments épiques dans ce roman en s’appuyant sur deux comparaisons animales
tirées du livre II : celle du Grec Cnémon et de l’Égyptien Thermoutis – dont le nom
fait allusion à la vipère, animal qui causera sa mort – à des loups et à des chacals et
celle de Calasiris à un oiseau dont le serpent attaque la couvée, quand le sage parle de
l’enlèvement de ses enfants. Déjà présentes l’une et l’autre dans l’Iliade et l’Odyssée,
auxquelles de constantes allusions prennent place dans le cadre immédiat du récit
comme autant d’annonces, elles s’en distinguent par la façon innovante dont le texte
est fabriqué, en particulier par l’imbrication des registres poétique et prosaïque et le
jeu sur le schéma épique destiné à en confondre l’écart. Hélène Frangoulis développe
a contrario les procédés selon lesquels une œuvre épique extérieure au corpus roma-
nesque canonique, les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis, reprend, reformule et
recontextualise dans sa matière pourtant versifiée des éléments propres aux romans
grecs, tels que l’insertion de mises en abyme narratologiques, de récapitulations

199
Kentron, n° 34 – 2018

intradiégétiques, de digressions gnomiques ou paradoxographiques, de notices


zoologiques ou géographiques, d’ekphraseis proleptiques et autres récits d’invention,
revendiquant ainsi l’originalité de son art poétique fondé sur le mélange des genres :
les épisodes et les sentences qui s’y succèdent – sur les thèmes topiques de l’amour
et de la guerre, la comparaison de la tête de l’éléphant à celle du taureau, l’invention
du vin ou de la pourpre, l’analogie entre le paysan et le marin ou la charrue et la
barque –, fonctionnent comme des indices permettant au lecteur de reconnaître
les modèles de l’auteur réintégrés dans un contexte épique, tout en brouillant les
pistes par un jeu de transferts, de dédoublements et de transpositions littéraires.
Dimitri Kasprzyk présente un rapprochement audacieux entre la « poésie épini-
cique » de Pindare et l’« épinicie romanesque » d’Héliodore, émettant l’hypothèse
d’une influence de l’univers agonistique du premier sur le livre IV des Éthiopiques,
à laquelle s’adjoindrait également le souvenir des concours homériques, où la gloire
du vainqueur rejaillit sur sa patrie : il ne s’agirait pas tant d’un éloge de la victoire
sportive de Théagène lui-même, qui triomphe lors d’un concours pythique en
l’honneur d’Apollon, que de la célébration du couple qu’il forme avec Chariclée
– laquelle, contrairement à la Callirhoé de Chariton, n’est pas seulement le prix de
la lutte que se livrent les prétendants rivaux, mais participe pleinement à l’épreuve,
ce qui la rend tout aussi susceptible que lui d’un discours épinicique – et du nouvel
agôn métaphorisé dont ils sont les athlètes appariés par Éros et où triomphe la vertu
morale. Michel Briand conclut l’ouvrage par une mise en pratique de la distinction
aristotélicienne fondatrice entre poiesis et historia – la première pouvant parado-
xalement correspondre davantage au roman en tant que création littéraire – et de
l’apport de la critique moderne sur le jeu entre la « trame » et le « tableau » ou entre
diction et fiction, en vertu d’une hybridation mutuelle qui conduit à concevoir les
romans sophistiques grecs comme des « trans-fictions » caractérisables par leur
clôture et surtout par leur ouverture, que ce soit le (contre-) modèle topique des
Éphésiaques, antithèse d’une œuvre ouverte, les ambiguïtés de la fiction dramatisée
du roman de Chariton, dont la sphragis initiale oriente le genre vers l’historiographie
classique, le roman pastoral de Longus, dont le prooimion place l’univers sous le
signe de l’alliance entre l’art et la nature, à l’instar d’un ktêma quasi thucydidéen,
le roman cinématique d’Héliodore, dont la première scène, avec ses personnages
encore anonymes et son arrêt sur image, donne à voir un aperçu du récit in medias
res, le roman polyphonique d’Achille Tatius, dont la parenthèse ouverte du début
ne se referme jamais, mais permet un nouveau récit, absent mais possible, ou les
Histoires vraies de Lucien de Samosate, qui se présentent apparemment comme
une historia, mais dont la poiesis est sauvée in extremis par le rapport ironique
à la vérité, l’usage ludique de la fiction en prose et la prétention de l’auteur à la
position démiurgique de poète, produisant l’amorce d’un nouveau récit à inventer
et à réinventer sans cesse.

200
Comptes rendus

Cet ensemble original et constructif d’études sur les liens protéiformes entre
deux genres manifestement étanches, mais en réalité beaucoup plus proches qu’on
ne pourrait le penser de prime abord, saura indubitablement donner au lecteur
qui s’y intéresse, qu’il soit ou non familier de l’ancien roman, la matière nécessaire
pour penser sous un jour nouveau les diverses caractéristiques de ce genre littéraire
particulier, que Boileau, dans une lettre à Charles Perrault, qualifiait de « poèmes
en prose que nous appelons romans ».

Jérôme Bastick

Vinciane Pirenne-Delforge, Gabriella Pironti, L’Héra de Zeus. Ennemie


intime, épouse définitive, Paris, Les Belles Lettres (Mondes anciens ; 3),
2016, 420 p.
Cette étude très riche et très stimulante n’est pas une monographie sur la déesse
Héra. Le but poursuivi par les auteurs, Vinciane Pirenne-Delforge (VPD) et Gabriella
Pironti (GP), n’est pas de constituer un dossier de type encyclopédique sur la déesse
en recensant de manière exhaustive toutes les sources textuelles et les données
cultuelles concernant Héra, mais, à partir de celles d’entre elles qui permettent
une interprétation fiable, d’essayer de comprendre la place que tient Héra parmi
les dieux grecs. Et leur pari est réussi. Dès l’introduction, elles donnent un exemple
des choix de sources qu’elles opèrent pour définir les rôles tenus par Héra. C’est
ainsi qu’en comparant les informations tirées de la lecture de l’Hymne homérique
à Héra et celles de la Porte de Zeus et d’Héra, à l’entrée de la cité de Thasos – sur
le pilier de laquelle Zeus et Héra forment un couple –, on voit apparaître un lien
manifeste entre l’image de l’épouse et celle de la souveraine, que l’on retrouve
dans les épiclèses Teleia, « l’accomplie », et Basileia, « la reine », que porte Héra
dans les cités grecques. Or, quel est le dieu Teleios et Basileus entre tous ? Zeus,
le roi des dieux, son époux. VPD et GP décident donc d’étudier les modalités de
fonctionnement du couple formé par Héra et Zeus, car c’est en cherchant à définir
les relations d’Héra avec les autres dieux qu’il y a quelque chance de mettre au jour
la dimension plurielle de cette divinité.
Ce que montrent les sources étudiées, c’est qu’Héra est « souveraine », Basileia,
cumulant les statuts d’épouse et de sœur de Zeus. Elle devrait donc connaître
par sa naissance et son statut d’épouse du roi de l’Olympe une parfaite isotimia
(« égalité des honneurs ») avec lui ; mais, trop souvent, elle est privée dans les textes
d’une partie de ses honneurs, étant « une souveraine dont le rang n’est pas absolu,
mais relatif à celui du dieu qu’elle côtoie » (p. 11). La présentation qui prédomine
alors est celle d’une déesse en colère à la recherche de ses timai. Quelles sont donc
les raisons de cette colère au sein du couple divin ? Il ne faut pas, avertissent les

201
Kentron, n° 34 – 2018

auteurs, la négliger en la réduisant à un élément stéréotypé des épouses jalouses


et querelleuses ; au contraire, c’est en essayant de comprendre ce qui motive cette
colère et comment elle s’articule avec les autres facettes d’Héra – souveraine et
épouse – que l’on pourra rendre compte de la représentation grecque de la déesse.
La réflexion s’articule alors autour de trois chapitres.
Dans le premier (p. 23-103), intitulé « Sur l’Olympe : le lit et le trône », qui analyse
les traditions d’époque archaïque, Héra apparaît, dans sa relation avec Zeus, sous ses
trois visages : épouse, reine et déesse en colère. Il s’agit de comprendre quels sont les
enjeux et les raisons de sa colère, en repoussant certaines interprétations qui per-
durent. Les sources archaïques mettent également en évidence sa beauté rayonnante
de nymphe, d’épousée, autant que son rôle de reine, à travers notamment les épithètes
qui lui sont attachées, telles leukôlenos ou boôpis ou encore chrysothronos. Trône et
sceptre lui sont souvent aussi attribués dans les représentations iconographiques.
Elle est décrite par Hésiode (Th. 921) comme la toute dernière épouse (loisthotatèn)
de Zeus, soit son « épouse définitive » – expression que les auteurs empruntent à
« L. Séchan et P. Lévêque, qui [l’]ont les premiers utilisé[e] pour désigner Héra en
tant qu’elle est associée pour toujours à la majesté suprême de Zeus » (p. 19, n. 24) –,
ce qui n’empêche pas d’autres unions de Zeus avec des déesses (Maïa) ou des mortelles
(Alcmène). Or, la Théogonie hésiodique expose un mythe de souveraineté, et cela
a son importance. Car, dans ce cadre, « il est particulièrement significatif […] que
Zeus prenne sa sœur comme épouse définitive, à savoir la déesse qui lui est la
plus proche par le lignage » (p. 29), ce double lien du sang et du mariage assurant
l’équilibre du cosmos. Le roi et la reine de l’Olympe ont les mêmes parents, ce qui
donne à Héra une place spécifique par rapport aux autres divinités : le cumul des
statuts de sœur, d’épouse et de souveraine fait qu’elle ne tire pas sa légitimité de
son époux, puisqu’elle n’a pas quitté l’oikos de son père – ce qui peut par ailleurs
expliquer son attachement aux questions de légitimité et d’intégration. Toutefois
les auteurs précisent bien que « Héra n’atteint le rang de Basileia qu’en devenant
l’épouse de Zeus, ce qui implique une subordination de son statut souverain à celui
de son époux, mais en tant que fille presbutatè de Kronos [Il. 4, 59], elle seule parmi
les déesses peut revendiquer ce rang “superlatif” » (p. 33). Les auteurs rappellent
à juste titre, à propos du rôle de « double féminin » (p. 33) de Zeus qu’Héra peut
incarner, une tradition tardive (EM, 434, 49, s. u. « Héra ») rapportant un récit de la
naissance du frère et de la sœur qui a pu exister, parallèlement à la tradition la plus
répandue, à date ancienne (mais à quelle époque ?), représentant Héra comme la
jumelle de Zeus et jouant un rôle décisif de protectrice permettant à Zeus d’échapper
à Kronos pour devenir le souverain.
Outre qu’elle est reine, sœur et épouse de Zeus, Héra est une divinité très belle,
qui suscite le désir : on en veut pour preuve le célèbre épisode de la Dios apatè au
chant XIV de l’Iliade – les auteurs en étudient les traces p. 131-133 et p. 237-243 : il est

202
Comptes rendus

loin d’être unique dans la culture grecque. La relation entre Héra et la beauté n’est
pas confinée aux représentations littéraires : en effet, comme le rappellent VPD et
GP, c’est en l’honneur de la déesse et dans son sanctuaire que les femmes de Lesbos
s’affrontaient lors du concours de beauté appelé Kallisteia. Et c’est autour des filles
en âge de se marier que semble se nouer le lien privilégié entre Héra et Aphrodite,
concernées l’une et l’autre par cette saison de la vie où la beauté signale la maturité
sexuelle et l’aptitude au mariage.
Certes, Héra est définie comme akoitis, parakoitis, alochos de Zeus, qui partage
son lit et son trône. Dans l’Hymne homérique à Héra, elle est qualifiée de reine
que les autres dieux craignent et honorent à l’égal de Zeus, et dans les cultes qui
lui sont rendus, elle a plus d’une fois pour épiclèse Basileia ou Basilis, « la reine ».
Chez Pindare, elle est même qualifiée d’homothronos : elle partage le trône de son
époux, et les versions du jugement de Pâris à l’époque classique, qui montrent Héra
offrant la souveraineté en échange du titre de plus belle des déesses, vont dans le
même sens. Mais elle ne s’efface pas pour autant derrière son époux. « Force est
de constater chez Héra, dans les récits qui la mettent aux prises avec Zeus, une
tension vers le plein exercice du pouvoir et une revendication constante de son
rôle de souveraine face à son divin époux » (p. 51). Elle affirme sa présence et, bien
souvent, son comportement relève « de la colère » – le cholos –, de l’eris et du neikos,
« de la dispute, du conflit ».
Et voici que l’emporte l’image stéréotypée qui se rencontre dans nombre de
dictionnaires de mythologie, celle de l’épouse chaste – éloignée de celle de l’épouse
rayonnante, associée à la puissance érotique de la parthenia –, austère et jalouse,
gardienne inflexible du mariage légitime, épouse en colère après son époux dès qu’elle
apprend ses aventures extraconjugales. VPD et GP remarquent que, si « la colère
d’Héra apparaît comme une conséquence naturelle de ses prérogatives d’épouse
légitime, […] une telle explication, tout en n’étant pas fausse, reste simpliste, dans la
mesure où elle réduit cette puissance divine à la projection, sur le plan divin, d’une
épouse bafouée, et qu’elle néglige de prendre en compte la dimension fonctionnelle
de la colère d’Héra, ainsi que ses compétences en matière de souveraineté » (p. 52).
Reste qu’il est difficile de concilier les deux images contradictoires de la déesse :
d’une part, la femme jalouse sans cesse en conflit avec son époux dans nombre de
traditions narratives, et d’autre part, celle de l’Héra Teleia, l’épouse « accomplie »,
« parfaite », ou de la Basileia, la « reine », que les Grecs honorent dans leurs cités.
Comment appréhender ce décalage entre les représentations de la déesse dans les
textes et dans les pratiques cultuelles ? Il faut se garder d’interprétations plaquées et
schématiques, comme nous en avertissent les auteurs : « c’est le cas […] des explica-
tions qui croient reconnaître dans les récits axés sur les conflits du couple souverain
une transposition sur le plan narratif des frictions entre l’héritière d’une grande
déesse méditerranéenne, habituée jadis à être côtoyée par un parèdre respectueux,

203
Kentron, n° 34 – 2018

et un ordre patriarcal, avec Zeus au sommet, que la déesse aurait du mal à intégrer
parfaitement » (p. 53). Il convient, au contraire, d’analyser en elle-même la représen-
tation des dieux livrée par les récits anciens, « en essayant autant que possible d’éviter
d’y projeter nos propres idées reçues et en restant au plus près des témoignages
anciens » (p. 53). L’analyse des différents passages de l’Hymne homérique à Héra, de
l’Iliade et de la Théogonie hésiodique permet ainsi aux auteurs de rendre compte de
la fonctionnalité de l’eris qui anime Héra : l’Hymne XII énonce l’isotimia des époux
divins (« […] Héra […], que tous les bienheureux à travers le vaste Olympe révèrent
et honorent à l’égal de Zeus qui aime la foudre »). C’est précisément là le moteur de
beaucoup d’affrontements entre Héra et Zeus. En effet, le roi des Olympiens défend
l’autonomie de son pouvoir, tandis qu’Héra aspire à un partage égalitaire de son rang
souverain avec son frère-époux. VPD et GP montrent ainsi qu’Héra, quand Zeus
engendre seul Athéna, réagit en enfantant par parthénogénèse Héphaïstos, moins par
jalousie de femme trompée que parce qu’elle a été tenue à l’écart de ce projet de Zeus,
qui s’éloigne d’elle et agit en solitaire : elle souffre avant tout dans sa timè à cause de
cette mise à l’écart, son couple étant ainsi nié. De même, si Héra lance toutes sortes
d’obstacles sur le chemin d’Héraclès, ce n’est pas tant parce qu’il est né d’une aventure
extraconjugale de Zeus avec une mortelle dont elle voudrait se venger que par souci
de défendre l’intégrité de l’oikos qu’est l’Olympe, car sa timè, par sa naissance et
son mariage, est d’y veiller en présidant à l’intégration de ses nouveaux membres.
D’où l’intérêt qu’elle porte à tout ce qui touche à la filiation. On n’oubliera pas, sur
ce point, que la Théogonie hésiodique (v. 921-923) lui donne comme enfants nés de
son union avec Zeus Arès, Hébè et Ilithyie, et donc que la sphère de l’enfantement
et de la filiation reste l’un des thèmes les plus sensibles de ses relations avec Zeus,
qu’il s’agisse de leurs propres fils ou des enfants nés de Zeus sans elle. De plus, la
naissance d’Héphaïstos, qui répond comme un défi à celle d’Athéna, née de Zeus
seul, peut se lire comme la manifestation d’une eris constructive, dans la mesure
où, dans le panthéon, les sphères d’action des deux dieux, Athéna et Héphaïstos,
dans le domaine de la technique, sont complémentaires. À cet égard, les auteurs ont
raison de rappeler qu’il n’y aurait pas de sens à assimiler Héra, lorsqu’elle donne le
jour à Typhon, à Gaia, en tant que puissance créatrice de forces du chaos, car elle
n’a pas l’intention de renverser l’ordre olympien : au contraire, ses défis ont pour
but de contribuer à structurer l’univers divin, à renouveler l’ordre en vigueur et à
reconfigurer la famille des Olympiens.
Le deuxième chapitre (p. 105-243), qui a pour titre « Dans les cités : la Teleia et la
Basileia », s’appuie sur l’étude de nombreuses sources, traditions narratives locales
et actes rituels de sanctuaires suffisamment documentés – Argos, Samos, Olympie,
Athènes, Délos, Lesbos, Pérachora, Corinthe –, qui montre que, même si sa relation
avec Zeus n’est pas toujours explicite dans un certain nombre de lieux, Héra y est
présentée comme Teleia et Basileia. L’étude prend en compte les lieux où la déesse

204
Comptes rendus

pouvait être une Teleia, puis ceux où apparaît le couple divin d’Héra Teleia et Zeus
Teleios. Et l’on notera avec les auteurs que « Tout se passe comme si l’épiclèse [Teleios],
d’abord marquée du sceau du mariage, avait connu une extension de sens pour le
souverain des dieux et des hommes [« celui qui accomplit toute chose »] quand il
n’était plus associé à Héra, alors qu’elle-même restait Teleia dans son rapport à lui »
(p. 186). D’après une tablette de malédiction macédonienne de la première moitié du
IVe siècle, qui fait une distinction entre telos et gamos – ce dernier terme renvoyant
« à l’union sexuelle des partenaires », tandis que telos « souligne l’engagement officiel
qui constitue “l’accomplissement” auquel aboutit la démarche d’unir un homme
à une femme » –, on comprend que « Zeus Teleios et Héra Teleia sont les garants
d’un accomplissement qui dépasse l’union sexuelle de partenaires. Le couple divin
patronne un engagement officiel et, implicitement, le devoir d’assurer la continuité
de l’oikos, mais aussi de la communauté civique tout entière par la mise au monde
d’enfants légitimes » (p. 187). Et donc, l’Héra Teleia est bien l’Héra de Zeus, puisque
son accomplissement d’épouse passe par lui seulement.
À propos de la présence des cultes d’Héra et de Zeus à Lesbos, les auteurs analysent,
entre autres sources, un des deux nouveaux poèmes de Sappho (D. Obbink, 2014)
et un décret du conseil et du peuple de Mytilène daté de 332 avant notre ère, qui
apportent un éclairage intéressant sur la fonction royale du couple divin et la place
déterminante qu’y joue Héra : en ouverture de ce décret, les instances officielles de la
cité, pour obtenir le retour de la concorde entre les citoyens, invoquent en premier
lieu Zeus, mais en tant qu’époux d’Héra, en lui donnant pour épiclèse un qualificatif
formé sur le nom de son épouse : Héraios. Ce processus de dénomination que permet le
polythéisme « met certes l’accent sur le théonyme, en l’occurrence l’époux divin, mais
cet agencement subtil signifie aussi que Zeus est souverain et maître de la concorde
[il est en effet également nommé dans l’inscription basilès et homonoios] en tant
qu’époux d’Héra » (p. 211). Ces documents de Lesbos « permettent d’entrevoir une
configuration de la souveraineté divine plurielle et relationnelle, articulée autour du
couple formé par Zeus, le roi de l’Olympe, père de tous, et l’Héra locale, génitrice de
tous et reine. Si le dieu est le “Zeus d’Héra” à Lesbos, la déesse y est tout autant l’Héra
de Zeus » (p. 211-212).
Enfin, le troisième chapitre (p. 245-330), intitulé « De la colère à la gloire : pro-
bation et légitimation », a pour objet le cholos d’Héra, à travers l’étude de traditions
rapportant des conflits entre la déesse et certains des fils de Zeus. Il commence par le
rappel des deux types d’explication trop réducteurs qui ont pu être donnés à la colère
d’Héra. On a attribué cette colère soit à l’intégration forcée d’une antique et puissante
déesse dans les cadres du panthéon grec désormais fondés sur le patriarcat, et, dans la
même ligne, Héra produisant un monstre comme Typhon est assimilée à une sorte de
vipère primordiale, et l’on passe à côté du but dans lequel ce monstre est élevé ; soit à
la jalousie d’une épouse légitime dont l’honneur est bafoué par un mari volage – « effet

205
Kentron, n° 34 – 2018

de l’anthropomorphisme moral encore trop souvent à l’œuvre dans la compréhension


des dieux grecs » (p. 248). Certes, ce dernier élément est à prendre en compte, mais
il n’épuise pas le sens à donner à la colère d’Héra, qui, étant une déesse et non une
simple mortelle, revendique par son attitude conflictuelle à l’égard de Zeus sa place
dans ces antagonismes entre puissances dont l’enjeu est le maintien de sa souveraineté
aux côtés de son époux, roi de l’Olympe. Les questions de filiation, de légitimation,
ressurgissent alors quand certains des enfants adultérins de Zeus deviennent la cible
de la colère de la déesse. En effet, ils doivent acquérir leur légitimité et, dans le cas
d’Héraclès, une pleine immortalité et un statut d’Olympien. Mais pourquoi Héra
va-t-elle permettre précisément à Héraclès – et à Dionysos également – d’intégrer
l’oikos dont elle est la maîtresse, alors qu’il est né d’une union illégitime de Zeus ?
VPD et GP étudient le cas exceptionnel de ces deux enfants de Zeus. Héra, fille de
Kronos, appartient au même titre que son frère-époux à l’oikos olympien et va donc
intervenir en antagoniste pour faire gagner leur place dans l’Olympe à ces deux enfants
et les intégrer pleinement dans la famille des immortels. Héra, dans la Théogonie, est
la nourricière de monstres dans le but précis de placer de redoutables adversaires sur
le chemin du héros Héraclès : elle élève ainsi l’hydre de Lerne, créature née d’Échidna
et de Typhon, ainsi que le lion de Némée. L’action de la déesse envers le fils de son
époux prend une tournure plus complexe que la simple accumulation de vexations
ou de pièges mortels destinés à punir un enfant illégitime : chacun des travaux du
héros l’achemine vers la gloire (le kleos) dans une longue probation pour accéder au
statut divin, et sa légitimation est rendue possible grâce à Héra. D’ailleurs, Diodore de
Sicile, 4, 9, 1-5, confirme que la destinée d’Héraclès est bien de devenir un dieu par la
volonté de Zeus, mais après avoir obtenu l’accord d’Héra, qui apparaît ainsi comme
l’instance de légitimation. Un fragment d’Hésiode (fr 25, 26-33 Merkelbach-West)
montre que l’attitude de la déesse n’est pas qu’hostilité à l’égard du fils de Zeus : elle
le prend en affection une fois qu’il a subi des épreuves jusqu’à la mort pour devenir
un dieu. Une fois dans l’Olympe, elle lui donne pour épouse Hébè, pour consacrer
sa gloire chez les immortels. Il existe également une tradition rapportant qu’Héra
aurait allaité Héraclès enfant (Diod. Sic. 4, 9, 6-7 ; Pausanias, 9, 25, 2), que d’aucuns
associent à la légitimation du fils de Zeus : cf. Catastérismes d’Ératosthène, 44, et
Astronomie d’Hygin, II, 43. La tradition narrative de l’allaitement d’Héraclès par Héra
trouve un parallèle dans une série de documents iconographiques provenant de la
péninsule italique et datés du milieu du IVe siècle – reproduits pages 272-274. Mais les
imagiers attiques ne semblent pas avoir recouru au motif de l’allaitement d’Héraclès
pour traduire l’intégration du héros dans l’oikos divin ; ils ont privilégié l’image de
la procession qui montre Athéna conduisant Héraclès sur l’Olympe, où Héra, enfin
réconciliée, donne à celui-ci comme épouse sa fille Hébè, la « Jeunesse immortelle ».
Dionysos, quant à lui, présente un cas également exceptionnel parmi les enfants
illégitimes de Zeus : il est lui aussi l’objet de l’hostilité de la déesse – à la différence des

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Comptes rendus

fils de Io ou de Danaé. Il est né divin malgré son origine mixte, mais il doit gagner
son statut d’Olympien : c’est Héra qui est la cause de sa gestation dans la cuisse de
Zeus, après le foudroiement de Sémélé, sa mère mortelle, et cette proximité inédite
avec Zeus lui confère d’emblée l’immortalité.
Héra est donc concernée au plus haut point par les questions de filiation et de
légitimation. Et les auteurs remarquent judicieusement que le fait qu’elle ait rejeté
hors de l’Olympe son propre fils Héphaïstos et qu’elle l’ait donc privé de son statut
initial, montre que la jalousie n’est pas le seul ressort de sa colère. C’est bien plutôt
une fonction probatoire qu’il faut accorder à son attitude conflictuelle à l’égard de
ces fils de Zeus qui, tout en étant nés de femmes mortelles, franchissent un jour le
seuil de l’oikos, après avoir démontré leur valeur.
À partir de la page 313, dans le développement intitulé « Enjeux héroïques et
crises de souveraineté », les auteurs étudient le rôle de la colère d’Héra dans les
récits concernant l’accession d’Œdipe au trône de Thèbes et l’aventure de Jason
accompagné des Argonautes, sa conquête de Médée, de la Toison d’or et du trône
de Iôlkos. L’étude de la geste des deux héros permet aux auteurs d’éprouver sous un
angle différent la pertinence des composantes du profil d’Héra dessinées jusque-là,
en particulier ce qui concerne colère et gloire. L’étude s’appuie d’une part, en
particulier, sur un « résumé » de la geste thébaine rapporté par Pisandre (16F10
Jacoby), et d’autre part sur le récit d’Apollonios de Rhodes. La colère d’Héra dans le
cas de ces deux héros a bien une valeur probatoire qui mène les héros, non pas aux
portes de l’Olympe, mais à celles du kléos. Toutefois, la gloire obtenue est entachée
par le parricide du roi et l’inceste avec la reine dans le cas d’Œdipe ; et dans celui de
Jason, si le héros obtient Médée après de nombreuses épreuves, c’est à travers elles
qu’Héra en colère se venge des impiétés du roi Pélias. La colère d’Héra est donc le
moteur de ces récits comme de bien d’autres, et lorsqu’une souveraineté chez les
mortels est caractérisée par l’hybris, ce qui est le cas de la famille royale de Thèbes
ou bien celle de Iôlkos, la fonction de l’eris d’Héra est de maintenir le bon ordre
voulu par Zeus en ôtant, si nécessaire, sa légitimité au roi.
L’eris ne disparaît pas pour autant avec l’avènement du dernier roi des dieux, parce
qu’Héra, l’ennemie intime du roi de l’Olympe, dont elle connaît mieux que toute autre
divinité les desseins, « est en quelque sorte le bras armé de cette eris structurante, dont
l’action est fonctionnelle au renouvellement périodique de l’ordre de Zeus » (p. 332).
La bibliographie prend place aux pages 342-373, et l’ouvrage se clôt sur un index des
sources littéraires et épigraphiques (p. 375-384), que suit un index général (p. 385-401).
Très peu de coquilles sont à signaler : il manque, p. 265, note 70, dans la citation du
fragment 25 d’Hésiode (Merkelbach-West), le vers correspondant à la première phrase
de la traduction proposée : καὶ] ̣θ άνε καί ῥ’ Ἀΐδ[αο πολύστονον ἵκε]το δῶμα. On
relèvera également que, page 330, la translittération en caractères latins de ἀτάσθαλος
comporte une inversion du τ et du θ.

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Kentron, n° 34 – 2018

En conclusion, cette étude précisément documentée fait ressortir, en croisant


différents types de sources et en respectant leurs contextes ainsi que la distance qui
existe entre récits traditionnels et pratiques cultuelles, les différentes facettes d’Héra.
En effet, elle enrichit son profil en dépassant les clichés anthropomorphiques de la
« mégère non apprivoisée » (p. 331) et met en évidence les prérogatives et pouvoirs
qui lient la déesse à Zeus et lui donnent sa place dans le panthéon. Héra semble
souvent s’opposer à son époux pour de simples motifs de jalousie conjugale ; en
réalité, elle cherche, par les manifestations de sa colère, à protéger l’oikos divin
qu’est l’Olympe, à en préserver l’intégrité. Elle agit également en vue de rétablir la
bonne distance entre les mortels et les immortels – ce que l’analyse du récit mettant
en scène le couple formé par Aédon et Polytechnos, dans les Métamorphoses XI
d’Antoninus Liberalis, éclaire parfaitement – et, à ce titre aussi, sa colère a un rôle
constructif et structurant. Après cette étude qui fait ressortir la complexité du rôle
d’Héra parmi les puissances divines, on devra désormais considérer la déesse comme
« l’Héra de Zeus, ennemie intime et épouse définitive » du roi de l’Olympe : Vinciane
Pirenne-Delforge et Gabriella Pironti nous en ont convaincue.

Christine Dumas-Reungoat

Claudio William Veloso, Pourquoi la Poétique d’Aristote ? Diagogè,


M. Rashed (préface), Paris, Vrin (Histoire des doctrines de l’Antiquité
classique ; 50), 2018, 432 p.
Bien que trouvant place dans la prestigieuse collection dirigée par Luc Brisson
aux éditions Vrin, Pourquoi la Poétique d’Aristote ? n’est pas seulement un livre
d’histoire de la philosophie ancienne. L’ouvrage, aux enjeux politiques explicites,
est également un grand livre de philosophie de l’art.
Interprétant de manière renouvelée le texte d’Hérodote consacré à la réception
athénienne d’une pièce de théâtre sur la prise de Milet, Claudio Veloso en déduit
qu’une grande partie du public des tragédies athéniennes ne cherchait pas à
pleurer le plus possible au théâtre (p. 49). En effet, si susciter des émotions avait
été la principale fin de la tragédie, Phrynichos n’aurait pas dû être puni pour
avoir tant bouleversé les Athéniens. S’appuyant sur le livre VIII des Politiques,
où Aristote envisage trois fins possibles de la musique – le jeu, l’éducation ou la
diagogè – Claudio Veloso voit dans le « passe-temps intellectuel » la véritable fin
de la tragédie et de la comédie (p. 25-26). L’avantage de cette thèse est de rendre
raison aux textes de la Poétique et de la Rhétorique, faisant du plaisir pris aux
imitations le plaisir intellectuel de la reconnaissance (p. 179 sq.). Or la tragédie, la

208
Comptes rendus

comédie, la peinture et une partie de la musique et de la danse sont des techniques


imitatives dont l’« usage approprié » (p. 181) est la reconnaissance. C’est pourquoi
Aristote ne traite pas de tous les spectacles imitatifs, dans lesquels on pourrait
tout aussi bien ranger les jeux gymniques et hippiques, que Platon décrivait dans
les Lois comme des imitations de la guerre. On ne vient pas aux jeux gymniques
pour reconnaître un combat militaire, mais pour voir un athlète remporter la
compétition (p. 53-54). Au contraire, on vient au théâtre pour le plaisir de la
reconnaissance intellectuelle.
Cette thèse n’est pas en opposition avec le fameux passage du chapitre 6 de la
Poétique sur la catharsis de la crainte et de la pitié, qui ne serait que l’incise d’un
commentaire. Le texte du livre VIII des Politiques faisant également référence à la
catharsis serait lui-même l’incise d’un commentateur zélé. À l’appui de cette thèse
révolutionnaire (quoique ayant déjà été soutenue par d’autres chercheurs 1), Claudio
Veloso apporte une argumentation philologique sérieuse, que Marwan Rashed
discute et soutient ardemment dans la préface (p. 7-18). Une profane ne saurait se
prononcer. Bornons-nous à constater que Claudio Veloso se fait à lui-même les
objections les plus difficiles au seuil de la section consacrée à l’« affaire catharsis ». On
se permettra une simple remarque : si la catharsis est par deux fois une interpolation
– ce qui est incontestablement possible, et semble même probable au lecteur du
livre de Claudio Veloso –, pourquoi continuer à lier si fortement l’exégèse de la
Poétique au livre VIII des Politiques ? L’ombre de l’affaire catharsis ne plane-t-elle
pas toujours sur Claudio Veloso, ne serait-ce qu’à titre de lieu ?
Aristote s’intéresserait donc à l’épopée et au théâtre, selon l’auteur, pour des
raisons noétiques et politiques. Le dernier chapitre du livre, « Poétique et Noétique »,
est ainsi consacré à la manière dont l’usage de l’imitation en tant que telle, au théâtre
comme dans l’épopée, permet de penser l’usage des apparitions par l’intellect, lequel
explique en retour que nous puissions goûter l’imitation (p. 398). Les textes difficiles
des Parva Naturalia, en particulier les textes sur la mémoire et les rêves, s’en trouvent
particulièrement éclairés. Mais c’est surtout la raison politique que met en avant
Claudio Veloso, car la diagogè permettrait de penser de manière aristotélicienne,
contre Aristote lui-même, l’idéal d’un droit à la contemplation intellectuelle pour
tous les habitants de la cité.
L’élévation au rang de concept du « passe-temps intellectuel » doit tout
particulièrement intéresser le philosophe de l’art. Comme le remarque Claudio
Veloso lui-même, il permet de se débarrasser définitivement des difficultés du

1. M.D. Petrusevski, « Pathematôn Katharsin ou bien Pragmatôn Systasin ? », Ziva Antika / Antiquité
vivante, vol. 4, 1954, p. 209-250 ; A. Freire, A Catarse em Aristóteles, Braga, Faculdade de Filosofia
(Pensamento filosófico ; 6), 1982 ; G. Scott, « Purging the Poetics », Oxford Studies in Ancient
Philosophy, vol. 25, 2003, p. 233-263.

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Kentron, n° 34 – 2018

« libre jeu des facultés », sans verser dans le cognitivisme sémiotique goodmanien
(p. 230-242). Il permet également de sortir des ornières démagogiques et relativistes
où nous ont plongés malgré lui John Dewey 2 et, tout à fait sciemment, son émule de
moindre envergure Richard Shusterman 3. Il conforte ceux qui considèrent l’attrait
des philosophes pour le sport comme le dernier snobisme intellectuel à la mode, qui
ferait sourire s’il ne participait de l’extraordinaire valorisation néolibérale du sport.
On pourrait cependant objecter à Claudio Veloso qu’il ne justifie pas totalement
l’application du concept de sport aux jeux gymniques et hippiques de l’Antiquité.
La définition du concept aristotélicien de mimèsis, dont l’auteur d’Aristóteles
mimético 4 défend la traduction de simulation, permet à Claudio Veloso de soutenir
un réalisme de l’imitation (p. 205), ce qui suppose de redonner à la ressemblance, à
l’encontre de Nelson Goodman, une teneur opératoire 5, et d’assumer l’idée selon
laquelle il existe des degrés d’imitation (p. 195). Sans cela, il est impossible de
comprendre que nous puissions reconnaître des objets avec lesquels nous n’avons
aucune familiarité (p. 191).
Mais s’il est un domaine où Pourquoi la Poétique d’Aristote ? fera date, c’est
incontestablement celui de la théorie littéraire. Claudio Veloso distingue, dans la
Poétique, les chapitres consacrés à la composition tragique en tant que telle des
chapitres consacrés à la tragédie dans son ensemble. Ce n’est que par « raccourci »
(p. 252) que l’on peut dire que la composition tragique imite une action. En réalité,
c’est la tragédie dans son ensemble qui imite une action. La composition tragique
imite le type de discours qu’est le récit, lui-même étant susceptible de trois modalités :
selon la narration simple, en insérant directement le discours de quelqu’un ou en
supprimant les phrases introductives. La nouveauté d’Aristote, par rapport au
troisième livre de la République, n’est pas de faire de la narration une imitation
– ce qu’Aristote n’affirme nulle part (p. 256) –, mais de ne plus réduire l’imitation à
l’insertion d’un discours dans la narration (comme le faisait Platon), et de considérer
que les trois modalités de récit sont susceptibles d’une simulation. L’épopée imite
le discours de quelqu’un qui raconte la colère d’Achille (p. 247). Elle n’imite pas
directement la colère d’Achille. De la même façon, la composition tragique, tout
en supprimant les éléments introductifs comme « il dit », imite des discours qui
forment le récit d’une action. Seuls les acteurs, à la rigueur, imitent un personnage,
en imitant non par le langage (ce qui est le fait du poète), mais par la voix (p. 260).

2. J. Dewey, L’art comme expérience, J.-P. Cometti et al. (trad.), Paris, Gallimard (Folio Essais ; 534),
2010.
3. R. Shusterman, L’art à l’état vif. La pensée pragmatiste et l’esthétique populaire, C. Noille (trad.),
Paris, Minuit, 1991.
4. C.W. Veloso, Aristóteles mimético, São Paulo, Discurso editorial – Fapesp, 2004.
5. N. Goodman, Langages de l’art, J. Morizot (trad.), Nîmes, Jacqueline Chambon (Rayon art), 1990.

210
Comptes rendus

Il en découle que l’imitation n’est pas une « mise en intrigue », contrairement à la


thèse de Paul Ricœur (p. 252), bien que l’intrigue, qui simule une action, soit le
fait du compositeur tragique (p. 258-259). Au vu de l’importance qu’a eue Temps
et récit 6, tant en philosophie qu’en théorie littéraire, on regrettera sans doute ici
que Claudio Veloso ne précise pas l’articulation et la différence entre la simulation
de l’action qu’est l’intrigue, et la simulation du récit qu’est l’imitation épique ou
tragique elle-même.
Ce qui semble n’être qu’une précision exégétique mineure a en réalité des
implications considérables pour la théorie littéraire et l’ontologie de la fiction. La
thèse de Claudio Veloso conduit en effet à l’économie du concept de narrateur, en
tant qu’il serait distinct de l’auteur (p. 290). Quoique Claudio Veloso ne s’inscrive
nullement dans une veine wittgensteinienne, il semble bien, à l’issue de Pourquoi
la Poétique d’Aristote ?, que les difficultés de dissociation entre auteur et narrateur
soient un faux problème.
Très logiquement, Claudio Veloso soutient une conception de la fiction
d’inspiration searlienne. Toutefois, aux difficultés d’une définition en termes d’actes
illocutoires « feints » 7, Claudio Veloso revient à une conception aristotélicienne de
la fiction, fondée sur un concept d’imitation bien compris : l’auteur « fait quelque
chose (un texte) qui imite une personne faisant une assertion par écrit » (p. 289).
Si Pourquoi la Poétique d’Aristote ? propose des thèses exégétiques et phi-
losophiques si précises et stimulantes, c’est que son auteur sort de l’opposition
méthodologique stérile entre la philosophie analytique d’une part, où des nains
juchés sur des épaules de géant traitent les textes anciens de manière décontextualisée
et dédaigneuse, et un historicisme d’inspiration plus ou moins foucaldienne, qui
ne se soucie plus de la valeur de vérité des philosophèmes anciens, car il a une
conception discontinuiste de la raison 8. La conception réaliste de l’imitation que
défend Claudio Veloso est l’indice de son réalisme fondamental – ce qui explique
sans doute que la philosophie aristotélicienne soit son sujet de prédilection. Le
réel existe indépendamment de la façon dont il nous apparaît, et une proposition
vraie demeure vraie même si plus personne ne peut la formuler ou la comprendre.
Par conséquent, l’histoire de la philosophie ne vise pas à enfermer les thèses aris-
totéliciennes dans un corpus, mots s’entrechoquant et se renvoyant les uns aux
autres sans jamais se référer, avec vérité ou fausseté, au monde réel. L’historien de

6. P. Ricœur, Temps et récit, t. I, L’intrigue et le récit historique, Paris, Seuil, 1983.


7. J.R. Searle, Sens et expression. Études de théorie des actes de langage, J. Proust (trad.), Paris, Minuit
(Le sens commun), 1982.
8. La philosophie médiévale pâtit tout particulièrement de cette impasse méthodologique : C. Raveton,
« Pourquoi et comment étudier la philosophie médiévale ? », Klêsis. Revue philosophique, no 11,
2009, p. 42-52.

211
Kentron, n° 34 – 2018

la philosophie, armé de son érudition et de sa science, ressaisit le philosophème


dans sa précision, le confronte aux avancées de la recherche, le vérifie, ou n’hésite
pas à le renvoyer à l’idéologie si c’est nécessaire. Pourquoi la Poétique d’Aristote ?
exemplifie la contemplation que Claudio Veloso défend de la première à la dernière
ligne de son livre.

Maud Pouradier

212
RÉSUMÉS ET MOTS-CLÉS
Véronique Dasen, Histoire et archéologie de la culture ludique dans le
monde gréco-romain. Questions méthodologiques
L’histoire et l’archéologie de la culture ludique représentent un vaste champ de
recherches pluridisciplinaires en partie inexploré. Un premier bilan des travaux
en cours peut être dressé en soulevant les principales questions méthodologiques
relatives à l’identification des jeux et jouets.
Mots-clés : jeu, jouets, dés, osselet, Pollux, yoyo, jonglage, dînette, bille, poupée.
The history and the archaeology of ancient play and games represent a vast field
of multidisciplinary research still unexplored. This paper addresses the work in
progress, raising a number of methodological questions relating to the identification
of games and toys.
Keywords : play, games, dices, knucklebone, Pollux, jojo, juggling, toy dining set,
marble, doll.

Michel Casevitz, Les noms du jeu et du jouet en grec


Les noms du jeu et du jouet sont pour une grande part dérivés du nom de l’enfant, pais,
en particulier les verbes paizô et paideuô, ce qui prouve que l’enfant est un apprenti
à éduquer. D’autres mots, à l’étymologie obscure, désignent le jeu ou l’amusement,
les uns autour du verbe athurô, les autres autour de hepsiaomai. Ces trois familles
de mots sont représentées anciennement, depuis Homère.
Mots-clés : jeu, jouet, amusement, grec ancien, culture, formation, enfant.
The words for play and toy are largely derived from pais, the word for child, particularly
the verbs paizô and paideuô. This derivation proves that children are meant to be
taught. Other words, more etymologically obscure, designate play and fun: some are
formed around the verb athurô, while other are derived from hepsiaomai. The three
word families have ancient forms dating from the time of Homer.
Keywords : play, toy, amusement, ancient Greek, culture, training, child.

Maia Pomadère, Ambiguïté des jeux et jouets dans la culture matérielle


du monde égéen aux âges du bronze moyen et récent
Les riches cultures matérielles des civilisations minoenne et mycénienne offrent
pour la période d’entre le XXe et le XIIe s. av. n. è. de rares vestiges clairs de jouets
ou de jeux, exception faite des épreuves sportives ou athlétiques, représentées
sur divers supports. L’ambiguïté de certaines catégories d’objets – figurines et
Kentron, n° 34, 2018

miniatures mycéniennes, pierres à cupules minoennes – est source de débats


entre les chercheurs : depuis les premières découvertes du début du XXe s., les
partisans d’une orientation religieuse s’opposent à ceux qui privilégient un usage
ludique. L’étude contextuelle permet aujourd’hui de préciser la destination de
certains artefacts et leurs variations régionales. Si une bonne part des petits objets
liés à l’enfance semble polysémique, d’autres éléments – coquillages conus sur le
continent, pierres à cupules en Crète – pourraient témoigner de pratiques ludiques
parfois largement diffusées dans ces sociétés, mais souvent sous-estimées dans
la bibliographie.
Mots-clés : âge du bronze, civilisations égéennes, jouets, jeux, figurines, pierres
à cupules, historiographie.
The rich material cultures of the Minoan and Mycenaean civilizations rarely offer clear
remains of toys or games for the period from the XXth to the XIIth century B.C., if we
exclude athletic events depicted in various forms. Researchers have been debating the
ambiguous nature of some categories of objects – Mycenaean figurines and miniatures,
Minoan stones with cupules – since the beginning of the XXth century, opposing
interpretations favouring religious functions against those of play. Today contextual
study allows us to specify the use of some artifacts and their regional variations. If
most of the small objects relating to childhood seem polysemic, other evidence – conus
shells on the mainland, stones with cupules in Crete – could indicate that play activities
were widely disseminated in these societies, but they were often underestimated in
the bibliographies.
Keywords : Bronze Age, Aegean civilizations, toys, games, figurines, kernoi,
historiography.

Ulrich Schädler, Encore sur la « marelle ronde » : cent ans après Carl Blümlein
Pendant longtemps, la signification des nombreuses « roues à rayons » gravées dans
les pavements de marbre de villes romaines restait énigmatique. L’interprétation
qui y voit un jeu de marelle à trois pions, lancée il y a un siècle, a tout de suite été
acceptée. Entre-temps, « la marelle ronde » est souvent considérée, soit comme le seul
jeu de pions de l’Antiquité dont les règles soient connues, soit, vu le grand nombre
de « roues » graffiti, le jeu de pions le plus populaire des Romains. Dernièrement,
cette interprétation a été mise en question par plusieurs auteurs. L’article vise à
fournir des arguments supplémentaires corroborant la conclusion que « la marelle
ronde » est, en effet, une invention des archéologues.
Mots-clés : jeu, pions, marelle, Blümlein, Behling, Heimann, topos marker, Villa
del Casale, Éphèse, franc du carreau, palma et laurus.

216
Résumés et mots-clés

For a long time, the significance of the many “wheel patterns” carved in the marbled
floors of ancient Roman buildings remained enigmatic. A century ago the interpretation
as a game of round “three men’s morris” was launched, an idea that was widely
accepted immediately. In the meantime, “round three men’s morris” or “round smaller
merels” is often considered the only board game from antiquity whose rules are known,
or, given the large number of existing wheel patterns, the most popular board game
of the Romans. Recently, several authors have questioned this interpretation. The
article aims to provide further arguments for the conclusion, that, indeed, “round
three men’s morris” is an invention of archaeologists.
Keywords : board game, merels, three men’s morris, Blümlein, Behling, Heimann,
topos marker, Villa del Casale, Ephesus, franc du carreau, palma et laurus.

Alex de Voogt et Jelmer W. Eerkens, Cubic Dice : Archaeological Material


for Understanding Historical Processes
The characteristics of dice found in archaeological contexts assist in the understanding
of historical processes and human behavior. The dice attributes of configuration and
dot pattern are regionally and/or temporally specific and can be used to help date
dice themselves or the context in which they are found. As well, dice have been used
to decipher Etruscan words and may identify novice and expert dice makers in the
archaeological record. The shape and size of the dots and dice cubes further inform
the distinctive appearance of dice in medieval versus Roman times.
Keywords : dice, board games, cultural transmission, production bias.
Les caractéristiques des dés trouvés en contexte archéologique aident à saisir des
processus historiques et le comportement humain. La configuration des dés et la
disposition des points, étant propres à une région et / ou une époque, peuvent servir
à dater les dés eux-mêmes ou le contexte de leur découverte. En outre, les dés ont
permis de déchiffrer des mots étrusques, et ils peuvent permettre d’identifier dans
la documentation archéologique des fabricants de dés, experts ou novices. D’autre
part, la forme et la taille des points et des dés cubiques sont autant d’éléments qui
distinguent les dés de l’époque médiévale de ceux de l’époque romaine.
Mots-clés : dés, jeux de société, transfert culturel, biais de production.

Luc Bourgeois, Du char de guerre à la tour : le destin d’une figure du jeu


d’échecs en Occident
Le jeu d’échecs, inventé en Inde, a été transmis à l’Occident chrétien dans le
courant du Xe siècle par l’intermédiaire de l’espace musulman. Parmi les pièces du

217
Kentron, n° 34, 2018

jeu, le char de guerre originel fut l’objet de nombreuses interprétations adaptées


aux cultures locales. Marquis ou comte, bateau, guerrier d’élite ou Janus bifrons,
il devint au fil du Moyen Âge le roc ou la tour. Ces relectures témoignent des
nombreuses difficultés que les Occidentaux ont rencontrées en adaptant une
représentation qui leur était étrangère.
Mots-clés : jeu d’échecs, char de guerre, tour, Moyen Âge, Europe, transferts culturels.
The chess game, invented in India, is transmitted to the Christian West through
the Muslim space in the course of the Xth century. Among the pieces of the game,
the original war chariot was the object of numerous interpretations adapted to
local cultures. Marquis or count, boat, elite warrior or Janus bifrons, it became
in the course of the Middle Ages the rock or the tower. These re-readings mark the
many difficulties encountered by Westerners in adapting a representation that was
foreign to them.
Keywords : chess game, war chariot, rook, Middle Ages, Europe, cultural transfers.

Typhaine Haziza, Les Sept Sages et l’Égypte


De nombreux auteurs classiques mettent en relation avec le pays du Nil des Grecs
réputés pour leur sagesse ou leur exemplarité. Les Sept Sages sont de ce nombre,
ce qui peut se comprendre par la valorisation de la sagesse égyptienne, depuis
les présocratiques ioniens, et surtout par Hérodote. L’évolution de la syllogè à
l’époque hellénistique, en particulier sous l’impulsion des Alexandrins, semble s’être
accompagnée d’une tendance à renforcer les contacts reconnus entre les Sept Sages
et l’Égypte et, plus encore, avec le pharaon saïte Amasis (570-526), dernier grand
souverain indépendant d’avant la conquête perse, lui-même devenu une figure de
légende. Le présent article se propose de cerner et comprendre les liens qui rattachent
les Sept Sages à l’Égypte et, en particulier, à Amasis, le pharaon philhellène.
Mots-clés : Égypte, Sept Sages, Amasis, Saïtes, sagesse grecque, syllogè, Alexandrie,
Bias.
Many classical authors draw a parallel between some Greeks, famous for their wisdom
and their exemplarity, and the Nile land. The Seven Sages are no exception to this
phenomenon, which can be compared to the enhancement of the Egyptian wisdom since
the Ionian Pre-socratics, and especially by Herodotus. The development of the sylloge
during the Hellenistic period, particularly under the impulse of the Alexandrians,
seems to have reinforced the acknowledged contacts between the Seven Sages and
Egypt, and even more with Amasis, the Saitic pharaoh (570-526), the last great and
independent sovereign before the Persian conquest, becoming himself a legendary

218
Résumés et mots-clés

figure. Therefore, this article tries to define and clarify the bonds between the Seven
Sages and Egypt, especially with Amasis, the philhellenic pharaoh.
Keywords : Egypt, Seven Sages, Amasis, the Saites, greek wisdom, syllogè, Alexandria,
Bias.

Charles-Alban Horvais, L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique (256-


255 av. J.-C.). Une remise en contexte
Cet article s’intéresse à deux aspects de l’expédition de M. Atilius Regulus en
Afrique en 256-255 av. J.-C. Il se propose d’abord d’examiner la lutte de Regulus
contre le serpent géant du Bagrada et d’avancer un essai d’interprétation et de
datation de cette tradition. Dans un second temps, il se concentre sur le rôle joué
par les populations locales lors de cette expédition.
Mots-clés : Afrique, Bagrada, Carthage, Libyens, Numides, Regulus, première
guerre punique.
The scope of this paper is to explain two aspects of the M. Atilius Regulus’ expedition
in Africa in 256-255 B.C. In a first place, we will study the struggle between Regulus
and the Bagrada’s giant snake and try to interpret and to date this tradition. In a
second place, this article will focus on the role played by local populations during
this expedition.
Keywords : Africa, Bagrada, Carthago, Libyans, Numidians, Regulus, First Punic War.

219
KENTRON

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Volume 34 – 18
Caroline Blonce et Typhaine Haziza : Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
ν τ
Dossier thématique : Jeux et jouets έ

ρ
κ
Véronique Dasen et Typhaine Haziza : Introduction. De l’exposition au dossier REVUE PLURIDISCIPLINAIRE

ο
thématique dans Kentron . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
DU MONDE ANTIQUE

ν
Véronique Dasen : Histoire et archéologie de la culture ludique dans le monde
gréco-romain. Questions méthodologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Michel Casevitz : Les noms du jeu et du jouet en grec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Volume 34 – 18
Maia Pomadère : Ambiguïté des jeux et jouets dans la culture matérielle du
monde égéen aux âges du bronze moyen et récent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Ulrich Schädler : Encore sur la « marelle ronde » : cent ans après Carl Blümlein 87
Alex de Voogt et Jelmer W. Eerkens : Cubic Dice : Archaeological Material for
Understanding Historical Processes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Luc Bourgeois : Du char de guerre à la tour : le destin d’une figure du jeu d’échecs
en Occident . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

Varia
Typhaine Haziza : Les Sept Sages et l’Égypte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Charles-Alban Horvais : L’expédition d’Atilius Regulus en Afrique
(256-255 av. J.-C.). Une remise en contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

Comptes rendus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193


Résumés et mots-clés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213

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25 € de Caen
ISSN : 0765-0590 Sur la page de couverture, la vignette représente un cavalier
ISBN : 978-2-84133-902-0 tenant l’aiguillon ou la cravache (kentron). Le mot
kentron a également un sens figuré, celui de stimulant.

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