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Les Livres des maîtres de Sorbonne

Histoire et rayonnement du collège et de ses bibliothèques du XIIIe siècle à la Renaissance

Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai (dir.)

DOI : 10.4000/books.psorbonne.28921
Éditeur : Éditions de la Sorbonne
Année d'édition : 2017
Date de mise en ligne : 29 juillet 2019
Collection : Histoire ancienne et médiévale
ISBN électronique : 9791035101367

http://books.openedition.org

Édition imprimée
ISBN : 9782859449933
Nombre de pages : 376
 

Référence électronique
ANGOTTI, Claire (dir.) ; FOURNIER, Gilbert (dir.) ; et NEBBIAI, Donatella (dir.). Les Livres des maîtres de
Sorbonne : Histoire et rayonnement du collège et de ses bibliothèques du XIIIe siècle à la Renaissance.
Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2017 (généré le 01 octobre 2019).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/psorbonne/28921>. ISBN : 9791035101367.
DOI : 10.4000/books.psorbonne.28921.

© Éditions de la Sorbonne, 2017


Conditions d’utilisation :
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Histoire ancienne et médiévale – 145
collection dirigée par Geneviève Bührer-Thierry et Violaine Sebillotte
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Les livres des maîtres de Sorbonne


Histoire et rayonnement
du collège et de ses bibliothèques
du xiiie siècle à la Renaissance

sous la direction de
Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai

Ouvrage publié avec le concours de la Commission de la recherche


de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
de l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT/CNRS),
du laboratoire d’excellence HASTEC,
du Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris (LAMOP)
et du Centre d’études et de recherche en histoire culturelle (CERHIC)
de l’université de Reims Champagne-Ardenne

publications de la sorbonne
2017

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Illustration de couverture : Héraclite (?), La Mer des histoires. La Mer des hystoires, Pierre Le Rouge, Paris,
1488, BNF, Réserve des livres rares, vélin 677, fol. C4v.

© Publications de la Sorbonne, 2017


212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris
www.publications-sorbonne.fr – publisor@univ-paris1.fr

ISBN : 978-2-85944-993-3
ISSN : 0290-4500

Les opinions exprimées dans cet ouvrage n’engagent que leurs auteurs.
« Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou
partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage,
scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause
est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la pro-
priété intellectuelle. Il est rappelé également que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger
l’équilibre économique des circuits du livre. »

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Préface
Jean-Philippe Genet

L ’histoire du livre et des bibliothèques est l’un des champs les plus impor-
tants de l’histoire culturelle dans la mesure où il est indispensable d’an-
crer un texte, avec sa langue, avec les idées qu’il porte, dans l’environnement
humain et matériel qui a permis sa naissance, son usage et sa transmission.
Dans le domaine médiéval, le fer de lance de cette histoire a longtemps été
le Comité international de paléographie, fondé en 1953 (devenu en 1985 le
Comité international de paléographie latine) et que préside aujourd’hui Marc
Smith, dont l’œuvre majeure est la publication des catalogues nationaux
des manuscrits datés conservés dans nos modernes bibliothèques1 : plus de
soixante volumes publiés dans les collections nationales, auxquels s’ajoutent
aujourd’hui plus d’une trentaine de volumes dont la visée est régionale ou
même locale, comme ceux qui ont été publiés pour la France pour les biblio-
thèques de Cambrai, Laon, Saint-Quentin et Soissons2.
Cette œuvre magnifique est loin d’avoir fini de porter ses fruits, mais l’in-
térêt s’est aussi porté vers les bibliothèques médiévales, et notamment vers
leurs catalogues. Cela a particulièrement été le cas en Angleterre, et il m’a
semblé qu’il n’était pas inutile, pour présenter le présent volume, d’esquisser
une comparaison entre les orientations de l’histoire du livre dans ce domaine
entre la France et l’Angleterre, où beaucoup de bibliothèques ont une longue
histoire pratiquement ininterrompue depuis leurs lointaines origines : pour
avoir passé plusieurs années à travailler dans la magnifique salle de lecture
de la Duke Humphrey’s Library à la Bodleian d’Oxford, j’ai pu mesurer à quel
point les bibliothèques anglaises ont conservé leur identité en même temps
qu’une atmosphère quasi médiévale. Les bibliothèques des collèges ont
aussi conservé beaucoup de leurs manuscrits in situ, que ce soit à Oxford ou à
Cambridge, mais elles ont aussi souvent conservé, sinon leurs catalogues, du
moins beaucoup de ressources permettant de suivre leur évolution au cours
des siècles. Si, comme les collèges, les cathédrales ont également gardé une

1. http://www.palaeographia.org/cipl/cmd.htm.
2. D. Muzerelle et al., Manuscrits des bibliothèques de France, I, Cambrai, Paris, 2000 et II, Laon, Saint-
Quentin, Soissons, Paris, 2013.

Les livres des maîtres de Sorbonne, sous la direction de Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2017

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6 Préface

bonne part de leurs manuscrits médiévaux, les établissements monastiques


ont au contraire vu leurs manuscrits dispersés au moment de leur dissolution,
mais les principaux prédateurs, agents d’Henry VIII ou de Thomas Cranmer,
ce qui revient à peu près au même, en ont accaparé beaucoup qui se retrouvent
aujourd’hui notamment à Londres, à la British Library (plus de 1 200) ou à
Lambeth (environ 200), à Oxford à la Bodleian (plus de 800) ou à Cambridge.
(Corpus Christi College et Trinity College en ont chacun plus de 200)3.
Nombre de ces institutions avaient aussi des catalogues, et les érudits anglais
ont systématiquement publié tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin
à un inventaire ou à un catalogue depuis la fin du xixe siècle jusqu’au milieu
du xxe. Les publications de testaments, denrée rare en France, ont également
été assez systématiques outre-Manche4.
Cette abondance de biens n’a pourtant pas découragé les historiens des
bibliothèques britanniques de remettre sur le métier leur ouvrage, en lançant,
sous les auspices de la British Academy, ce qui est sans doute aujourd’hui le
plus ambitieux des projets dans ce domaine, celui du Corpus of British Medieval
Library Catalogues. Combinant un site web5 et la publication de volumes impri-
més6, le projet vise à republier l’ensemble des catalogues médiévaux, avec le
maximum d’identifications possibles des auteurs, des œuvres, des donateurs
et des manuscrits conservés aujourd’hui. Il s’agit là d’un long Moyen âge qui
se prolonge pratiquement jusqu’à la Réforme, notamment avec les catalogues
des collections royales d’Henry VII et d’Henry VIII7, et ceux de Syon, sources
exceptionnelles pour la connaissance de la littérature mystique8. Cet ensemble
abrite une pépite qui rend de grands services aux chercheurs, l’index des iden-
tifications des auteurs, des livres ou des œuvres : il ne sera complet qu’une
fois le projet terminé, mais une version provisoire de plus de 900 pages est
dès aujourd’hui consultable en ligne9. Un autre outil de travail est aussi à

3. Voir N. R. Ker, Medieval Libraries of Great Britain. A List of Surviving Books, Londres, 2e éd., 1964,
et A. G. Watson, Medieval Libraries of Great Britain, A List of Surviving Books. Supplement to the Second
Edition, Londres, 1987.
4. Elles sont bien exploitées dans S. Cavanaugh, A Study of Books Privately Owned in England, 1300-
1540, University of Pennsylvania Ph.D. diss., 1980.
5. http://www.history.ox.ac.uk/research/project/british-medieval-library-catalogues.html ou
http://www.history.ox.ac.uk/research/project/british-medieval-library-catalogues.html.
6. Dix-huit volumes sont parus sous la direction de Richard Sharpe, et plusieurs sont en prépa-
ration, dont celui (ou ceux) concernant les catalogues d’Oxford.
7. J. P. Carley, The Libraries of King Henry VIII, Londres, 2000.
8. V. Gillespie, Syon Abbey, Londres, 2001.
9. http://www.history.ox.ac.uk/faculty/staff/profile/sharpe/research.html, arrêté au mois de
novembre 2013.

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Jean-Philippe Genet 7

rapprocher de ce projet, le répertoire des auteurs britanniques médiévaux


latins réalisé par Richard Sharpe10.
La situation a été fort différente en France, où l’on est loin de disposer
de tels instruments de travail et où l’on semble après les travaux de Léopold
Delisle s’être détourné de l’histoire des bibliothèques, sans doute pour mieux
se concentrer sur le catalogage des manuscrits, qu’il s’agisse de ceux de la
Bibliothèque nationale de France ou de ceux des bibliothèques publiques de
France. Le livre et les bibliothèques ne sont revenus au premier plan de l’his-
toire culturelle qu’avec l’œuvre de Lucien Febvre et d’Henri-Jean Martin qui
en ont fait un sujet de recherche légitime à l’université11 : des travaux remar-
quables l’attestent, et, sous l’impulsion d’Henri-Jean Martin et de Roger
Chartier entre autres, de grandes entreprises éditoriales ont donné à l’histoire
du livre et des bibliothèques ses lettres de noblesse et lui ont donné une place
de choix dans les recherches12. Les Britanniques, si en avance pour les catalo-
gues anciens, n’ont ici fait que prendre la suite des Français13.
Mais ces publications françaises pouvaient s’appuyer, au moins pour ce
qui concerne la période médiévale, sur un intense travail de fond, car depuis
la fin des années trente, et plus particulièrement dans le cadre de l’Institut
de Recherche et d’Histoire des Textes, les recherches sur la transmission des
manuscrits et l’histoire des bibliothèques anciennes avaient repris14. Il faut ici
rappeler l’œuvre d’Élisabeth Pellegrin dont les bibliothèques anciennes ont
été l’une des préoccupations : Gilbert Ouy n’hésita pas à dire que son livre
sur celle des Visconti et des Sforza était « le meilleur travail qui ait jamais été
consacré à une grande collection ancienne15 ». C’est aussi à elle que l’on doit

10. R. Sharpe, A Handlist of the Latin Writers of Great Britain and Ireland before 1540 (Publications of
the Journal of Medieval Latin, 1), Turnhout, 1997 et Additions and Corrections, Turnhout, 2001.
11. L. Febvre et H. J. Martin, L’apparition du livre, Paris, 1958.
12. Pour la France, l’Histoire de l’édition française, quatre volumes publiés de 1982 à 1986 sous
la direction de Roger Chartier et d’Henri-Jean Martin et en 1989-1991, puis sous celle d’An-
dré Vernet pour la période médiévale, l’Histoire des bibliothèques françaises, 4 volumes publiés de
1988 à 1992, réédités en 2008-2009.
13. The Cambridge History of Libraries in Britain and Ireland, 3 volumes publiés en 2006 par
Cambridge University Press et The Cambridge History of the Book in Britain, 6 volumes publiés entre
1999 et 2011 par la même maison d’édition.
14. Sur les débuts et les développements actuels des recherches de l’IRHT, voir M. Peyrafort-
Huin et A. M. Turcan-Verkerk, « Les inventaires des bibliothèques médiévales françaises. Bilan
des travaux et perspectives », dans F. Henryot, L’historien face au manuscrit : du parchemin à la biblio-
thèques numérique, Louvain-la-Neuve, 2013, p. 149-166 (en ligne : http://books.openedition.org/
pucl/1261).
15. É. Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza, ducs de Milan, au xve siècle, Paris, 1955 ; le
long compte rendu de Gilbert Ouy est un véritable discours de la méthode pour l’étude des

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8 Préface

le regain d’intérêt pour les bibliothèques des collèges universitaires parisiens


autres que celle de la Sorbonne16.
Grâce à l’IRHT, un flot ininterrompu de publications a été consacré à
l’étude des bibliothèques anciennes, aujourd’hui pour la plupart publiées
dans la collection « Bibliothèques médiévales » que dirige Donatella Nebbiai.
Si les bibliothèques des laïcs demeurent encore largement sous-explorées 17,
les bibliothèques ecclésiastiques ont fait l’objet de nombreuses recherches
nouvelles. Dans le prolongement des travaux menés sur la bibliothèque de
Clairvaux sous la direction d’André Vernet18, les bibliothèques cisterciennes
se sont taillées la part du lion19, mais celles des chanoines de Prémontré20 et
des Bénédictins, avec l’étude des bibliothèques de deux de leurs plus presti-
gieuses abbayes, Saint-Denis en France et Saint-Victor de Marseille21, n’ont
pas été oubliées. D’autres catégories de bibliothèques ecclésiastiques ont
également été abordées22, et l’ample moisson réalisée par Daniel Williman
dans des archives pontificales nourries par le droit de dépouille n’a pas fini
de rendre de précieux services à tous les médiévistes23. Parallèlement, un
inventaire systématique et informatisé des inventaires et des catalogues de

bibliothèques anciennes : Bibliothèque de l’École des chartes, 114 (1), 1956, p. 258-268, citation à
la p. 258.
16. É. Pellegrin, Bibliothèques retrouvées. Manuscrits, bibliothèques et bibliophiles du Moyen Âge et de la
Renaissance, Paris, 1980. Elle a notamment étudié les bibliothèques des collèges de Dormans-
Beauvais, de Hubant (l’Ave Maria) et de Fortet.
17. Cf. pour les parlementaires (clercs et laïcs) F. Autrand, « Les librairies des gens du Parlement
au temps de Charles VI », Annales ESC, 28 (5), 1973, p. 241-701 et en général les indications
bibliographiques données par A. Tournieroux, « Les livres d’étudiants et de maîtres séculiers
de l’université de Paris au xve siècle », dans A. Mairey, S. Abélès et F. Madeline, dir., « Contre-
Champs ». Études offertes à Jean-Philippe Genet, Paris, 2016, p. 377-399.
18. A. Vernet, dir., La bibliothèque de l’abbaye de Clairvaux du xiie au xviiie siècle, Paris, 2 vol., 1979
et 1997.
19. A. Bondéelle-Souchier, Bibliothèques cisterciennes de la France médiévale. Répertoire des abbayes
d’hommes, Paris, 1991 ; A. M. Turcan-Verkerk, Les manuscrits de La Charité, Cheminon et Montier-en-
Argonne, Paris, 2000 ; M. Peyrafort, dir., La bibliothèque de l’abbaye de Pontigny (xiie-xixe siècle), Paris,
2001 ; F. Bougard et P. Petitmengin, dir., La bibliothèque de l’abbaye cistercienne de Vauluisant, Paris,
2012.
20. A. Bondéelle-Souchier, Bibliothèques de l’ordre de Prémontré dans la France d’Ancien Régime, Paris,
2 vol., 2000-2006.
21. D. Nebbiai, La bibliothèque de l’abbaye de Saint-Denis en France du ixe au xviiie siècle, Paris, 1985 et
La bibliothèque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille (xie-xve siècle), Paris, 2005.
22. Par exemple A. Chalandon, La bibliothèque des ecclésiastiques de Troyes, Paris, 2001.
23. D. Williman, Bibliothèques ecclésiastiques au temps de la papauté d’Avignon, Paris, 1980 et
D. Williman, J. Monfrin et M. H. Jullien de Pommerol, Inventaires de bibliothèques et mentions de
livres dans les Archives du Vatican, Paris, 1980.

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manuscrits médiévaux était entrepris : il a abouti à une première publication


en 198724 qui, elle aussi, a été en son temps très utile, mais qui est aujourd’hui
obsolète. La section de codicologie a relevé le défi et a entrepris dans son axe
BMF que dirige Monique Peyrafort le relevé systématique des catalogues,
des inventaires et des listes divers de manuscrits médiévaux. Les données
recueillies, notamment les éditions d’inventaires en ligne, sont consultables
en ligne dans la base Libraria25 tandis que les informations sur le contenu et
la transmission des manuscrits sont accessibles sur Bibale, une nouvelle base
conçue et développée par Hanno Wijsman26 qui bénéficie de son insertion
dans le cluster Biblissima27. La répartition entre les deux bases n’est pas tou-
jours évidente pour le commun des mortels mais, même si l’on est encore loin
de ce qu’ont réussi à faire nos collègues anglais, les progrès accomplis sont
déjà considérables.
Mais, et c’est un peu un paradoxe, étant donné la richesse des collections
de manuscrits des collèges d’Oxford et de Cambridge, étant donné aussi qu’il
existe au moins pour l’université d’Oxford des répertoires biographiques et
une histoire d’une grande qualité dont on chercherait en vain l’équivalent
pour Paris28, c’est dans le domaine universitaire que les travaux des histo-
riens du livre en France se distinguent le plus. Ils le doivent à leurs mérites,
sans doute, mais surtout au fait que la bibliothèque de la Sorbonne est la plus
importante bibliothèque universitaire médiévale. L’un des documents les
plus exceptionnels qu’elle a produit, son registre de prêt, depuis longtemps
célèbre, a fait l’objet d’une publication par les soins de l’IRHT29. Mais il existe
beaucoup d’autres sources importantes, notamment d’autres catalogues30,
et surtout un grand nombre de manuscrits de la Sorbonne qui sont encore
aujourd’hui conservés dans les bibliothèques publiques et permettent, bien

24. A. M. Genevois, J. Fr. Genest, A. Chalandon, M.-J. Beaud et A. Guillaumont, Bibliothèques des


manuscrits médiévaux en France. Relevé des inventaires du viiie au xviiie siècle, Paris, 1987.
25. http://www.libraria.fr/fr/bmf/repertoire-bmf.
26. http://bibale.irht.cnrs.fr//.
27. http://www.biblissima-condorcet.fr/fr/ressources/ressources-biblissima.
28. A. B. Emden, A Biographical Register of the University of Oxford to A.D. 1500, 3 vol., Oxford,
1957-1959 et les trois premiers volumes de T. H. Aston, éd., The history of the University of Oxford,
Oxford, 1986-1992.
29. J. Vielliard et M.-H. Jullien de Pommerol, Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne
(1402-1536). Diarium Bibliothecae Sorbonae, Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 3323, Paris, 2000.
30. Voir notamment G. Fournier, « Listes, énumérations, inventaires. Les sources médiévales
et modernes de la bibliothèque du collège de Sorbonne (Première partie : les sources médié-
vales) », Scriptorium, 64, 2011, p. 158-215 et « Livre après livre. Un catalogue inédit de la biblio-
thèque de la Sorbonne (milieu xvie siècle) », Scriptorium, 67, 2013, p. 184-217 et pl. 23-24.

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10 Préface

avant la période couverte par le registre et les catalogues, de comprendre avec


beaucoup de précision comment travaillaient les maîtres de la faculté de théo-
logie : il suffit de jeter un coup d’œil à la liste de plus de 1 200 manuscrits
qui contiennent des œuvres de Gilles de Rome pour s’apercevoir que ceux
qui proviennent de la Sorbonne forment un ensemble exceptionnel, puisqu’il
s’agit d’au moins vingt-huit manuscrits, dons de maîtres aussi illustres que
Godefroid de Fontaines, Pierre de Limoges, Gérard d’Utrecht, Thomas Le
Myésier, Thomas l’Irlandais et bien d’autres 31. Aucun autre ensemble de
manuscrits, même ceux des grands couvents augustins, ne contient de res-
sources comparables. La même opération pourrait être renouvelée pour la
plupart des grands maîtres de la scolastique médiévale.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il est intéressant de tra-
vailler sur l’ensemble Oxford-Paris, comme William Courtenay est l’un des
seuls à avoir su le faire. Les sources parisiennes permettent de découvrir de
façon précise comment les maîtres et les étudiants médiévaux travaillaient
avec leurs livres, et la codicologie et l’histoire du livre ouvrent dans le cadre
parisien des perspectives nouvelles dans lesquelles toute une nouvelle géné-
ration d’historiens de la culture ont su s’engager. L’étude de la théologie et
de la philosophie médiévales et d’une façon générale l’histoire intellectuelle
s’emparent ainsi des méthodologies propres à l’histoire du livre, qu’il s’agisse
de recherches portant sur les bibliothèques32 ou sur les livres eux-mêmes : le
travail en cours sur le Liber Sententiarum de Pierre Lombard33, les recherches
menées depuis plusieurs années sur les quodlibeta parisiens et qui a débouché,
entre autres, sur une base de données en ligne Quodlibase34 et d’importantes
publications35, le programme lancé récemment par Dominique Poirel, Claire
Angotti et Sophie Delmas sur Alexandre de Halès36 sont autant d’indices de la
place nouvelle que les spécialistes de l’histoire intellectuelle accordent désor-
mais aux conditions de la production manuscrite et au rôle des bibliothèques
à l’université.

31. C. Luna, Aegidii Romani. Opera Omnia I, Catalogo dei Manoscritti (293-372) 1/3**, Francia, Parigi,
Florence, 1998 ; voir pour l’ensemble des oeuvres et des manuscrits, la base Studium (cf. infra) :
http://lamop-vs3.univ-paris1.fr/studium/ sous « Aegidius Romanus ».
32. G. Fournier, Une bibliothèque vivante : la libraria communis du collège de Sorbonne (xiiie-xve siècle),
Thèse EPHE, 2007.
33. C. Angotti, La lectio des Sentences au collège de Sorbonne, Turnhout, à paraître, 2016.
34. http://quodlibase.ehess.fr/.
35. Par exemple, E. Marmursztejn, L’autorité des maîtres. Scolastique, normes et société au xiiie siècle,
Paris, 2007 ; Ch. Schabel, éd., Theological Quodlibeta in the Middle Ages. The Thirteenth Century,
Leyde/Boston, 2006 et Id., The Fourteenth Century, Leyde-Boston, 2007.
36. Présentation sur http://www.irht.cnrs.fr/fr/agenda/autour-d-alexandre-de-hales.

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Par ailleurs, deux grands projets ont entrepris d’élargir la base des connais-
sances dont nous disposons aujourd’hui pour l’université de Paris : dans le
cadre du Gabriel Project dont Thierry Kouamé est le maître d’œuvre, on se pro-
pose d’éditer ou de rééditer tous les statuts de tous les collèges parisiens37,
tandis que le projet Studium s’efforce de construire un répertoire bio-biblio-
graphique des membres des écoles et de l’université parisienne jusque vers
1500 et propose dès aujourd’hui plus de 10 000 biographies en ligne38. Dans
le cas des auteurs et des traducteurs, l’intention est d’indiquer la totalité des
manuscrits subsistant : il n’est malheureusement pas possible d’être exhaus-
tif, mais les listes dores et déjà réalisées montrent une nette augmentation
des références par rapport aux listes qui figuraient dans les répertoires de
Monseigneur Glorieux.
Aussi bien, grâce aux directions qu’ont su tracer ses initiateurs, le présent
volume innove par rapport à l’historiographie traditionnelle de la Sorbonne
dans la mesure où il cherche – et parvient – à resituer précisément la « maison
de maître Robert » dans l’ensemble parisien, au milieu des autres collèges
parisiens et au cœur d’une vaste communauté de maîtres et d’étudiants. Ce
faisant, et tout en constituant un remarquable instrument de travail, il est
un jalon important à la fois dans le domaine des méthodologies de l’histoire
intellectuelle et dans celle de l’histoire des bibliothèques anciennes.

37. Th. Kouamé, « L’édition des sources médiévales des collèges parisiens. Bilan et pers-
pectives », dans A. Sohn et J. Verger, Die universitären Kollegien im Europa des Mittelalters und
die Renaissance, Bochum, 2011, p. 91-05 : voir aussi https://hal-paris1.archives-ouvertes.fr/
hal-00786535/document.
38. http://lamop-vs3.univ-paris1.fr/studium/ : voir J.-P. Genet, H. Idabal, Th. Kouamé,
S. Lamassé, Cl. Priol et A. Tournieroux, « General introduction to the Studium project »,
Medieval Prosopography, 31, 2016, p.155-170.

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Introduction
Claire Angotti

L es présentations, les manifestations, les expositions (virtuelles comme


réelles) autour des manuscrits médiévaux à destination d’un large public
connaissent un très grand succès1. Ce succès renforce l’effort de diffusion et
de préservation du patrimoine manuscrit amorcé dans de nombreuses biblio-
thèques européennes2, via la numérisation massive des volumes qu’elles
conservent, et coïncide avec le dynamisme de la communauté des spécia-
listes de l’histoire des textes manuscrits et de l’histoire des bibliothèques,
communauté qui produit des études de plus en plus fouillées, de plus en
plus précises, éclairant tel ou tel aspect du livre médiéval3, ou qui propose
diverses synthèses4.

1. Il serait trop long d’en dresser une liste exhaustive, mais l’on peut par exemple évoquer le
succès du cycle de conférences intitulé « Trésors du patrimoine écrit », organisé conjointe-
ment par la BNF, l’Institut national du patrimoine et les Archives nationales, en partenariat
avec Connaissance des Arts ; voir par exemple les Trésors carolingiens, exposition virtuelle qui
fait suite à une exposition ayant eu lieu en 2007 (http://expositions.bnf.fr/carolingiens/index.
htm) ; ou encore l’exposition Lumières de la sagesse, qui présentait de très nombreux manuscrits
des écoles d’Orient et d’Occident et s’est tenue en 2013 à l’Institut du monde arabe à Paris, voir
Lumières de la sagesse : écoles médiévales d’Orient et d’Occident, E. Vallet, S. Aube et T. Kouamé, dir.,
Paris, 2013 ; ou l’exposition concernant les catalogues, organisée par la bibliothèque Mazarine
et la bibliothèque de Genève (Paris, 13 mars-13 mai 2015, Genève, 18 septembre-21 novembre
2015), présentée dans : De l’argile au nuage, une archéologie des catalogues : IIe millénaire av. J.-C.
-xxie siècle, F. Barbier, T. Dubois et Y. Sordet, dir., Paris, 2015.
2. On peut mentionner les numérisations de nombreux manuscrits de la BNF, sur le site
Gallica (http://gallica.bnf.fr/), mais aussi le projet Europeana regia qui offre la numérisation
de 1 000 manuscrits conservés dans cinq bibliothèques européennes (la BNF, la Bayerische
Staatsbibliothek à Munich, l’Universitat de València Biblioteca Històrica, la Herzog August
Bibliothek à Wolfenbuttel et la Bibliothèque royale de Belgique) : http://www.europeanaregia.eu/fr.
3. On peut évoquer le développement de la collection des « Reliures médiévales des biblio-
thèques de France », publiée par Brepols, ou mentionner le succès de la collection « Documents,
Études et Répertoires », touchant à l’histoire des bibliothèques, éditée par le CNRS.
4. Parmi une multitude d’ouvrages, on peut citer : P. Géhin, Lire le manuscrit médiéval, Paris,
2005 ; D. Nebbiai, Le discours des livres. Bibliothèques et manuscrits en Europe ixe-xve siècle, Rennes,
2013 ; K. Ueltschi, dir., L’univers du livre médiéval. Substance, lettre, signe, Paris, 2014.

Les livres des maîtres de Sorbonne, sous la direction de Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai, Paris,
Publications de la Sorbonne, 2017

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 13 10/04/2017 16:31


14 Introduction

Parmi les collections de livres les moins explorées par les chercheurs, les
moins mises en valeur par les numérisations, les moins connues par un public
de non-spécialistes, on trouve les bibliothèques universitaires médiévales, ou
plus précisément les bibliothèques abritées par les institutions logeant maîtres
et étudiants, membres de l’Université, à savoir les collèges. Dès l’époque
moderne, elles sont moins décrites, moins chantées que les bibliothèques
monastiques (pensons par exemple à la description parodique de la collection
de l’abbaye de Saint-Victor à laquelle se livre Rabelais, en 1532-1533, lorsqu’il
raconte l’arrivée de Pantagruel à Paris5, ou, plus sérieusement, à l’éloge auquel
se livre Corneille Gérard6, chanoine de la congrégation de Windesheim venu
réformer l’abbaye en 1497-1498), moins fréquentées aussi par les érudits
modernes qui s’intéressent surtout aux trésors des bibliothèques cathédrales,
monastiques et royales7, moins admirées que les bibliothèques princières,
bien souvent considérées par leur propriétaire comme un instrument de pro-
pagande et de mise en scène d’une autorité sociale, religieuse, politique. Il est
vrai que les manuscrits émanant du monde des écoles et de l’Université n’ont
pas le caractère vénérable des volumes issus des collections monastiques et
possèdent un décor bien austère face à certains somptueux manuscrits possé-
dés par les grands, laïcs comme ecclésiastiques.
Les collections de livres liées à l’Université sont pourtant d’une importance
capitale : leur contenu permet, tout d’abord, de saisir les fondations du tra-
vail intellectuel propres à l’enseignement universitaire dont nous sommes,
aujourd’hui encore, les héritiers ; leur usage témoigne ensuite des formes du
« maniement du savoir » (Olga Weijers) en œuvre à la fin du Moyen Âge et
établit la proximité des liens entre érudition scolastique et érudition moderne
– liens que les hommes de la Renaissance ont souvent délibérément oubliés.
Enfin, et surtout, les bibliothèques universitaires médiévales, par leur orga-
nisation, la mise au point d’instruments bibliothéconomiques efficaces

5. Voir F. Rabelais, Pantagruel, chapitre VII, « Comment Pantagruel vint à Paris, et des beaux
livres de la librairie de Sainct-Victor » (F. Bon, éd., d’après les éditions de 1532 et 1533).
6. Voir Éloge de la bibliothèque de Saint-Victor, figurant dans le Mazarine ms. 3797, f. de garde
verso (éd. et trad. dans Le rayonnement de l’école de Saint-Victor, Manuscrits de la bibliothèque Mazarine,
22 septembre-7 novembre 2008, Paris) : « Garde bien cela en ton cœur : ce que Victor n’a pas,
aucun autre endroit ne le possède. »
7. Ainsi, pour la préparation de son ouvrage Scriptores Ordinis Praedicatorum, le Dominicain
Jacques Échard (1699-1719) axe une grande partie de ses dépouillements sur les manuscrits
de la bibliothèque du roi et sur celle de Colbert (dossier 1 et dossier 2 du AN M801a), sur
les manuscrits de la bibliothèque de Notre-Dame (dossier 6). Les dossiers de bibliothèques
universitaires ou « para »-universitaires sont plus minces (bibliothèque des Ermites de Saint-
Augustin, bibliothèque des collèges de Navarre et de Maître Gervais) ou ont disparu (biblio-
thèque de Sorbonne).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 14 10/04/2017 16:31


Claire Angotti 15

(catalogues, registres de prêt, mais aussi ex-libris, estimation, cotation sys-


tématique, fonds aux usages différenciés), sont les véritables créatrices de
nos modernes bibliothèques. Parmi les diverses bibliothèques universitaires,
il en est une qui joue un rôle fondateur : la bibliothèque (ou bien plutôt les
bibliothèques – nous y reviendrons) du collège de Sorbonne. Sans être l’in-
venteur d’un certain nombre de procédés bibliothéconomiques, le collège a
su construire, systématiser et formaliser un certain nombre de procédures,
si efficaces dans la gestion des ouvrages, en particulier la mise au point de
collections différentes – dont les principales sont la parva libraria, collection
de livres pouvant être empruntés, et la libraria communis (puis magna libraria),
pièce dans laquelle les volumes étaient enchaînés et qui formait, pour ainsi
dire, le fonds d’usuels et d’ouvrages de référence du collège –, que cette orga-
nisation a été reprise dans nombre de bibliothèques de la fin du Moyen Âge.

Les Livres des maîtres de Sorbonne s’adressent d’abord à un public de spécia-


listes du manuscrit médiéval et de l’histoire des bibliothèques, qu’il s’agisse
de chercheurs ou de conservateurs. Ce projet d’ouvrage est né du séminaire
« Histoire des bibliothèques anciennes » de 2010-2011, organisé par Donatella
Nebbiai, Gilbert Fournier et moi-même à l’Institut de recherche et d’histoire
des textes. Il était consacré aux collections de la Sorbonne et couronné par
l’organisation d’une journée d’étude8, le 1er juin 2012. À l’issue du sémi-
naire et de la journée d’étude, certains des participants ont été sollicités pour
contribuer à un volume permettant d’éclairer l’histoire et le rayonnement du
collège et de ses bibliothèques, du xiiie siècle à la Renaissance. Cet ouvrage
a en outre été conçu comme un instrument de travail et s’adresse à un public
d’étudiants non seulement en histoire mais aussi en lettres, en philosophie et
en théologie, qui s’intéressent plus largement à l’histoire intellectuelle. Les
bibliothèques sont en effet au cœur de ce champ de recherche : elles touchent
à l’histoire des idées, à l’histoire des méthodes intellectuelles, à l’histoire des
intellectuels, producteurs, diffuseurs, lecteurs des volumes qui peuplent ces
collections. Les manuscrits sont les témoins privilégiés de la circulation des
idées et des œuvres, des modalités de consultation et d’appropriation intel-
lectuelle des ouvrages, de la formation au sein de l’Université d’une « com-
munauté textuelle » (au sens employé par Alain Boureau) et, plus largement,
de la naissance du groupe des « gens de savoir » (Jacques Verger), bref de la
constitution d’une élite sociale, religieuse et politique au sein de l’Occident
médiéval. Les Livres des maîtres de Sorbonne s’adressent enfin à un public plus
large, intéressé par l’histoire du collège, lointain ancêtre de la Sorbonne

8. La journée d’étude a été organisée par l’IRHT, avec la contribution du Labex Hastec.

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16 Introduction

contemporaine. Notre but est en effet aussi de faire découvrir le poids qu’ont
eu les collections de livres dans l’histoire même du collège. Ce sont elles qui
font l’originalité véritable de la fondation de Robert de Sorbon, parachevée
vers 1257 et destinée aux étudiants se formant en théologie, elles qui contri-
buent à la pérennité et au rayonnement du collège jusqu’à la Renaissance, et
qui conduisent à confondre la maison de maître Robert d’abord avec la faculté
de théologie puis avec toute l’Université.
Cet ouvrage s’inscrit dans le renouveau des études portant sur l’histoire
des collèges, encouragées et encadrées par Jacques Verger, en France : les col-
lèges de Navarre, de Laon, de Dormans-Beauvais, de Maître Gervais ont été
ainsi l’objet, depuis vingt ans, de travaux de recherche de taille et d’ampleur
variées9. Un projet d’envergure, en cours, le Gabriel Project, s’inscrivant dans la
lignée des travaux pionniers du chanoine Astrik L. Gabriel, dirigé par Thierry
Kouamé (Paris 1) et Kent Emery (Notre-Dame University), proposera une édi-
tion des chartes de fondation des collèges parisiens médiévaux séculiers : il
permettra d’avoir un panorama précis des modalités de fondation et de fonc-
tionnement de maisons d’accueil des maîtres et des étudiants membres de
l’Université médiévale. La maison de Sorbonne est bien sûr touchée par le
dynamisme des études autour des collèges : le Liber prioris de Sorbonne sera
l’objet d’une édition nouvelle au sein du Gabriel Project10. De plus, les débuts
de la fondation de la « maison des pauvres maîtres » de Robert de Sorbon
viennent d’être analysés par Denis Gabriel11. Jacques Verger soulignait dès
1997 qu’il ne fallait pas « se contenter de juxtaposer des monographies de
collèges, qui seraient présentés chacun comme un petit monde12 », il sug-
gérait, parmi d’autres pistes, d’étudier leurs bibliothèques afin de mieux
apprécier le poids de ces maisons dans l’Université des xive et xve siècles, de
mesurer leur ouverture à l’égard des gens extérieurs, bien souvent reçus dans

9. Deux ouvrages sont le fruit d’une thèse : N. Gorochov, Le collège de Navarre de sa fondation
(1305) au début du xve s. (1418). Histoire de l’institution, de sa vie intellectuelle et de son recrutement, Paris,
1997 ; T. Kouamé, Le collège de Dormans-Beauvais à la fin du Moyen Âge : stratégies politiques et par-
cours individuels à l’Université de Paris (1370-1458), Leyde, 2005 ; la monographie sur le collège de
Laon est le fruit d’une thèse soutenue à l’École des chartes : C. Fabris, Étudier et vivre à Paris
au Moyen Âge : le collège de Laon, xive-xve siècles, Paris, 2005 ; le quatrième travail est une thèse de
l’École des chartes, encore inédite, M. Bernard, Le collège de Notre-Dame-de-Bayeux, dit de Maître
Gervais : Centre intellectuel et lieu de vie à Paris, xive-xve siècles, s. l., 2010.
10. C. Angotti est chargée de cette nouvelle édition.
11. D. Gabriel, La « maison des pauvres maîtres » de Robert de Sorbon. Les débuts de la Sorbonne (1254-
1274), Paris, 2014.
12. J.-P. Genet, « Rapport de la table ronde : le cadre institutionnel », dans O. Weijers et
L. Holz, éd., L’enseignement des disciplines à la faculté des arts (Paris et Oxford xiiie-xve siècles). Actes du
colloque international, Turnhout, 1997, p. 83-93, précisément p. 92.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 16 10/04/2017 16:31


Claire Angotti 17

les bibliothèques afin, insistait-il, de donner une « image plus dynamique du


phénomène des collèges13 ». Deux récentes études au moins méritent d’être
signalées, car elles témoignent de la volonté de ne pas circonscrire les travaux
à des monographies et s’inscrivent largement dans une perspective compa-
ratiste : la thèse inédite de Karine Rebmeister-Klein sur les bibliothèques des
petits collèges (ici auteur d’une contribution) et le livre d’Aurélie Perraut sur
l’architecture des collèges parisiens au Moyen Âge14.

La relance de différents travaux sur la bibliothèque du collège de Sorbonne


dans les années 2000 s’inscrit parfaitement dans les recommandations
formulées par Jacques Verger. Ces dernières constituent même le point de
convergence de recherches très variées15. Les Livres des maîtres de Sorbonne affir-
ment une volonté identique : souligner le poids des bibliothèques du collège
de Sorbonne au sein de l’Université, ne pas faire de la maison de maître Robert
un « petit monde » clos sur lui-même, mais démontrer son insertion dans
le contexte de l’Université, mettre en valeur le poids des différentes biblio-
thèques dans les stratégies de lecture de maîtres fréquentant le collège.
Depuis quelques années, les études sur les collections de manuscrits du
collège se multiplient, et d’autres travaux majeurs sont annoncés, comme le
prouve la bibliographie fournie dans le chapitre 5 du volume16. Ce dynamisme
est lié à l’abondance des sources qui documentent la vie des collections de
la maison de Sorbonne : les manuscrits d’abord, qui nous sont parvenus en
grand nombre et qui constituent la raison même de l’organisation bibliothé-
conomique du collège, et dont l’essentiel est conservé au département des

13. Ibid.
14. K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges à Paris aux xive et xve siècles, thèse de doc-
torat, 3 vol., dactyl., université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2005 ; A. Perraut, L’architecture des
collèges parisiens au Moyen Âge, Paris, 2009 ; Id., « Les chapelles des collèges médiévaux de Paris »,
dans Die universitären Kollegien im Europa des Mittelalters und der Renaissance/Les collèges universitaires
en Europe au Moyen Âge et à la Renaissance, A. Sohn et J. Verger, éd., Bochum, 2011, p. 77-89.
15. Deux thèses ont déjà été soutenues et leur publication est en cours : G. Fournier, Une
« bibliothèque vivante ». La libraria communis du collège de Sorbonne (xiiie-xve siècle), thèse de docto-
rat, École pratique des hautes études, Ve section, Paris, 2007 ; C. Angotti, Lectiones Sententiarum.
Étude de manuscrits de la bibliothèque du collège de Sorbonne : la formation des étudiants en théologie à
l’Université de Paris à partir des annotations et des commentaires sur le Livre des Sentences de Pierre Lombard
(xiiie-xve siècles), thèse de doctorat, École pratique des hautes études, IVe section, Paris, 2008.
Une thèse est en cours d’achèvement : L. Miolo, Le fonds scientifique d’un collège de théologie : le
cas de la bibliothèque du collège de Sorbonne (1257-1500), Lyon II (sous la dir. de L. Moulinier).
16. Une première version de cette bibliographie qui a fait suite au séminaire de 2009-2010
est accessible en ligne : http://www.libraria.fr/sites/default/files/BIBLIOGRAPHIE%20
SORBONNE_0.pdf

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18 Introduction

Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, mais aussi plusieurs cata-


logues, des registres de prêt, des délibérations de sociétaires portant sur leurs
bibliothèques17.
Si l’on s’attarde sur les temps forts de l’historiographie – en particulier les
ouvrages offrant une édition de sources –, il faut bien sûr évoquer les travaux
pionniers (1874) de Léopold Delisle qui a fourni des instruments de travail
essentiels pour étudier la bibliothèque en proposant une édition des prin-
cipaux catalogues médiévaux, en signalant et en éditant des fragments du
registre de prêt du xive siècle, en faisant le point sur les bibliothèques per-
sonnelles des bienfaiteurs18. Après les travaux de Palémon Glorieux, en 1965-
1966, qui complètent (et parfois compliquent) les informations livrées par
Léopold Delisle19, c’est Richard H. Rouse, qui, en 1967, dans un article magis-
tral, a proposé une analyse renouvelée de l’histoire des catalogues publiés
par Delisle et a offert l’édition d’un fragment du (probablement) tout pre-
mier catalogue du collège20. En 1987, Robert Marichal édite Le livre des prieurs
de Sorbonne du xve siècle qui contient plusieurs délibérations importantes
concernant les manuscrits du collège21. Enfin, en 2000, l’édition de longue
haleine des registres de prêt du xve siècle, préparée par Jacques Monfrin

17. Gilbert Fournier en a livré une présentation minutieuse pour l’époque médiévale, la pré-
sentation des sources modernes du même est annoncée. Voir G. Fournier, « Listes, énu-
mérations, inventaires. Les sources médiévales et modernes de la bibliothèque du collège de
Sorbonne (Première partie : Les sources médiévales) », Scriptorium, 65, 2011, p. 158-215 ; Id.,
« Listes, énumérations, inventaires. Les sources médiévales et modernes de la bibliothèque du
collège de Sorbonne (Seconde partie : Les sources modernes) », Scriptorium, à paraître. La partie
des sources médiévales présentées est aujourd’hui en ligne sur le site Libraria de l’IRHT (http://
www.libraria.fr/fr/BMF/possesseurs/paris-sorbonne-college) et sera disponible à terme, sur la
base Bibale.
18. L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale. Étude sur la formation de ce dépôt
comprenant les éléments d’une histoire de la calligraphie, de la miniature, de la reliure, et du commerce des
livres à Paris avant l’invention de l’imprimerie, II, Paris, 1874, p. 142-208.
19. P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne, II, Le cartulaire, Paris, 1965 : il édite quelques tes-
taments qui permettent de saisir la constitution de la bibliothèque du collège ; Id., Aux origines
de la Sorbonne, I, Robert de Sorbon. L’homme – Le collège – Les documents, Paris, 1966 : sur la prudence
qui s’impose dans le maniement des informations et des sources proposées par Id., voir la
bibliographie commentée infra, chapitre 5.
20. R. H. Rouse, « The Early Library of the Sorbonne », Scriptorium, 21, p. 42-71 et 227-251 et
pl. 5, 17-18 ; repris dans M. A. Rouse et R. H. Rouse, Authentic Witnesses: Approaches to Medieval
Texts and Manuscripts, Notre Dame, 1991, p. 341-408.
21. R. Marichal, Le livre des prieurs de Sorbonne (1431-1485). Texte critique avec introduction, notes et
index, Paris, 1987, à compléter avec le compte rendu de Z. Kaluza, paru dans la Revue des sciences
philosophiques et théologiques, 79 (1995), p. 114-117.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 18 10/04/2017 16:31


Claire Angotti 19

et surtout Jeanne Vielliard, est menée à terme par Marie-Henriette Jullien


de Pommerol22.
Les deux derniers ouvrages de cette liste sont encore sous-exploités : Le livre
des prieurs, en raison d’un index trop général et de l’introduction de Robert
Marichal qui sous-estime l’apport de ce document pour l’histoire des col-
lections de Sorbonne, Le registre de prêt, en raison de la complexité même du
manuscrit dont il rend compte. Il convient de souligner, au-delà de la très
grande rareté de cette dernière source, l’éclairage extraordinaire qu’apporte
le registre de prêt sur les pratiques bibliothéconomiques du collège à la fin
du Moyen Âge, sur les stratégies de lecture des hommes fréquentant la biblio-
thèque, sur le contenu d’une partie des collections, dont l’accroissement nous
aurait échappé faute d’un catalogue décrivant les fonds pour la fin du Moyen
Âge. L’édition de cette source – qui posait d’importantes difficultés paléogra-
phiques puisque chaque emprunt était cancellé, une fois le volume rendu à la
bibliothèque – constitue un apport énorme, qui est encore loin d’être épuisé,
pour l’étude des collections de la Sorbonne. Une autre source, enfin, ne va
pas tarder à être mise à la disposition de l’ensemble des spécialistes : Gilbert
Fournier a découvert un catalogue de la première moitié du xvie siècle concer-
nant les livres (imprimés et manuscrits) du collège23.

Les Livres des maîtres de Sorbonne paraissent donc à un moment clé de l’histo-
riographie sur les bibliothèques de la Sorbonne. L’ouvrage tente de dresser le
bilan des recherches actuelles et de dessiner les pistes à venir d’explorations
nous paraissant nécessairement collectives et s’étendant de la fondation du
collège (ca. 1257) jusqu’au versement de ses livres dans les collections de la
Bibliothèque nationale, en 1796. En cela, il n’est qu’un jalon à partir duquel
s’élaboreront des travaux plus approfondis qui éclaireront tel ou tel aspect
ou exploiteront telle ou telle source, à peine effleurés dans les chapitres
qui suivent.
Le plan adopté pour cet ouvrage accorde une place importante au contexte :
la place institutionnelle du collège de Sorbonne au sein de la galaxie des col-
lèges séculiers parisiens est d’abord étudiée (chapitre 1), puis il a semblé

22. J. Vielliard, éd. et ann., et M.-H. Jullien de Pommerol, collab., Le registre de prêt de


la bibliothèque du collège de Sorbonne [1402-1536]. Diarium Bibliothecae Sorbonae. Paris, bibliothèque
Mazarine, ms. 3323, Paris, 2000.
23. G. Fournier, « Livre après livre. Un catalogue inédit de la bibliothèque du collège de
Sorbonne (milieu xvie siècle) », Scriptorium, 67, 2013, p. 184-217 et pl. 23-24. Cette édition se
fera dans le cadre de l’Equipex Biblissima. L’édition à nouveaux frais et en ligne des catalogues
de la parva libraria et de la libraria communis est prévue, elle sera disponible en décembre 2017 sur
le site Libraria (http://www.libraria.fr/).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 19 10/04/2017 16:31


20 Introduction

nécessaire d’apporter un éclairage sur ce qui constitue le cœur de la biblio-


thèque d’un collège, à savoir des collections léguées par des maîtres, et d’in-
sister sur les principes qui régissent les bibliothèques des maisons séculières
en général (chapitre 2). Les deux chapitres suivants traitent à la fois des struc-
tures et des contenus des bibliothèques de la Sorbonne (chapitre 3), et pro-
posent des portraits contrastés de lecteurs de la fin du Moyen Âge (chapitre 4).
Le cinquième et dernier chapitre a été conçu comme un instrument de travail
qui facilite toute enquête sur les collections du collège, qu’il s’agisse d’une
enquête codicologique ou bibliographique.

La place de la Sorbonne au cœur de l’institution collégiale


Dans la lignée des recommandations de Jacques Verger, Thierry Kouamé
(« La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens ») inscrit la
Sorbonne dans l’ensemble du système collégial parisien. Cette contribution
s’articule en quatre étapes qui permettent de nuancer fortement la place
traditionnellement attribuée à la Sorbonne par l’historiographie. L’auteur
s’intéresse tout d’abord à la terminologie du collège, comme révélatrice de
la perception de l’institution collégiale, et complète les analyses antérieures
d’Olga Weijers. Le deuxième temps de la réflexion est fondé sur une évalua-
tion méticuleuse des archives du collège par rapport aux sources des autres
maisons parisiennes. Dressant la liste des différentes sources concernant le
collège, Thierry Kouamé relève surtout deux sources originales : le Liber prioris,
véritable « registre de législation vivante », dont la confection est entreprise
tardivement, au cours du xive siècle, puis Le livre des prieurs de Sorbonne, dont il
ne nous reste malheureusement qu’un seul volume. Ce bilan sur les sources
diplomatiques documentant le collège permet à l’auteur de replacer dans son
contexte institutionnel et pragmatique la confection des différents catalogues
du collège. Il s’interroge, dans un troisième temps, sur l’influence réelle des
statuts de la Sorbonne sur les autres fondations séculières (en annexe, il four-
nit les références à la Sorbonne dans les statuts des collèges parisiens). Il a
ainsi retrouvé deux copies des statuts, certes remaniés, mais qui paraissent
démontrer que les statuts de la Sorbonne pouvaient être considérés comme
susceptibles de répondre à un projet éducatif. Il nuance toutefois cette
remarque préliminaire en démontrant que la Sorbonne est rarement citée
comme seul modèle. Le modèle monastique reste peut-être le plus prégnant
dans de nombreuses fondations. Surtout, les dispositions de certains collèges
vont à l’encontre de l’idéal universel et cosmopolite qui présidait à la fonda-
tion de maître Robert. Ces trois points conduisent enfin Thierry Kouamé à
réévaluer la place de la Sorbonne dans le système d’enseignement parisien. Il

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 20 10/04/2017 16:31


Claire Angotti 21

insiste sur l’émulation, et même la concurrence, entre les différents collèges


pour la collation des bénéfices, pour la promotion à la licence de théologie : la
Sorbonne est clairement dépassée sur ces deux points. Là où la maison fondée
par maître Robert affirme sa prééminence et sa domination incontestables,
c’est précisement dans le lien innovant qu’elle parvient à établir entre le déve-
loppement d’un enseignement public, caractéristique des collèges à l’époque
moderne, et son extraordinaire bibliothèque, qui devient véritablement la
bibliothèque de l’université.

Des bibliothèques des maîtres séculiers


aux bibliothèques des collèges
Le poids qu’ont acquis les collections de la maison se fonde d’abord sur une
série de dons et de legs d’amis, de collègues, de disciples de maître Robert. Ce
mécanisme est commun aux autres bibliothèques des collèges séculiers. Deux
contributions proposent un éclairage sur ce phénomène et permettent ainsi
de comprendre comment se sont constituées et organisées les différentes
bibliothèques de Sorbonne.
Nombreuses sont les bibliothèques magistrales constitutives des fonds
du collège qui ont été l’objet d’une analyse24. Christopher Lucken (« La
Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival, un idéal du savoir et sa
réalisation ») étudie une figure importante qui a constitué l’une des plus fasci-
nantes bibliothèques du xiiie siècle, parvenue, par l’intermédiaire de Gérard
d’Abbeville, à la Sorbonne. L’ensemble de la contribution a pour objectif de
démontrer à quel point la Biblionomia est la description d’une bibliothèque
réelle, dont certains volumes sont repérables dans les catalogues du collège
et nous sont parvenus. Christopher Lucken présente d’abord rapidement
Richard de Fournival et le projet qui sous-tendait la confection du catalogue et
le développement de sa bibliothèque, une fois arrivé à la charge de chancelier
épiscopal à Amiens (1240). L’auteur analyse le contenu de cette bibliothèque
tel qu’il est décrit dans la Biblionomia (rédigée vers 1250), présentée comme un
véritable « moteur de recherches » pour les lecteurs. Il insiste sur l’ampleur de
l’objectif : la Biblionomia dépasse les guides de lecture antérieurs pour donner
la clé d’une bibliothèque qui propose la totalité du savoir. Puis il souligne le

24. Voir bibliographie commentée au chapitre 5 : parmi les maîtres dont la bibliothèque a été
préservée par le versement de la collection au collège de Sorbonne et qui ont été l’objet d’une
étude, on peut mentionner Robert de Sorbon, Gérard d’Abbeville, Thomas Le Myésier, Henri
Pistor de Lewis, Bernier de Nivelle, Nicolas de Bar-le-Duc, Siger de Courtrai, Étienne d’Abbe-
ville, Gérard de Bruine (dit de Reims), Jean d’Essomes, Gérard d’Utrecht, Pierre de Limoges,
Godefroid de Fontaines.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 21 10/04/2017 16:31


22 Introduction

rôle majeur de la bibliothèque de Richard de Fournival dans la constitution


des collections de Sorbonne, en particulier pour les ouvrages portant sur le
quadrivium ou contenant l’œuvre d’Aristote. Près d’un quart des manuscrits du
collège décrits dans les catalogues peuvent être rapprochés de volumes men-
tionnés dans la Biblionomia (pour les disciplines où les titres des œuvres sont
indiqués par Richard de Fournival). Inversement, si l’on part des descriptions
de la Biblionomia, sur les 132 manuscrits du compartiment de philosophie
pourvus d’une description, entre 73 et 113 ont laissé une trace dans les catalo-
gues. Enfin, Christopher Lucken revient sur le contenu de cette bibliothèque :
certains textes, très répandus, sont absents, d’autres, très rares, y figurent.
C’est l’occasion de saisir les procédés intellectuels comme matériels employés
par Richard de Fournival pour concevoir puis donner vie à sa bibliothèque afin
de faire de sa collection une véritable université où les maîtres sont devenus
des livres.
Le cas extraordinaire de la bibliothèque de Richard de Fournival ne doit pas
occulter des collections magistrales plus modestes qui sont parvenues au col-
lège. Toutes ont contribué à la construction d’un fonds d’exception, comme
le montre la contribution de Karine Klein (« Les bibliothèques des collèges
séculiers parisiens et la Sorbonne »). Elle compare les fonds du collège et
leur organisation avec ceux d’autres collèges séculiers parisiens (collège de
Navarre mis à part). Sa présentation consiste d’abord en une analyse com-
parée entre les pratiques bibliothéconomiques en cours dans la maison de
maître Robert et celles des petits collèges : si le développement des collections
aux manuscrits enchaînés est indéniable, il est difficile de dire si la Sorbonne
a effectivement servi de modèle. Il en va de même pour les prêts concédés aux
sociétaires. La pratique des mots-repères et la prisée semblent être les procé-
dés ayant été les plus largement adoptés par l’ensemble des bibliothèques des
maisons, bien qu’avec plus de lenteur qu’à la Sorbonne, qui a formalisé en
1321 une pratique qu’elle avait systématisée dès le xiiie siècle. Karine Klein
compare ensuite les contenus de différentes collections, tout en soulignant
la complexité d’une telle comparaison, eu égard à la variété des tailles des
bibliothèques considérées. Elle propose quelques pistes encore inexplorées
pour mieux saisir le rôle de la maison de maître Robert comme modèle dans
le contenu des autres bibliothèques des collèges séculiers : les annotations et
les copies. Enfin, elle présente les échanges et circulations entre les collèges
en analysant le phénomène d’émiettement des dons qui a lieu au cours du
xive siècle et qui illustre la mobilité des universitaires, fréquentant plusieurs
institutions (et donc plusieurs bibliothèques) au cours de leur carrière. La
question des emprunts auprès de la Sorbonne effectués par des lecteurs liés à
d’autres maisons – pas moins de 75 – demeure difficile à interpréter. Karine

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 22 10/04/2017 16:31


Claire Angotti 23

Klein insiste donc sur l’importance des innovations bibliothéconomiques en


Sorbonne, sans pouvoir conclure sur leur rôle de modèle dans les collections
des petits collèges qui devaient les connaître mais les adaptaient en fonction
de l’intérêt et des moyens qu’ils consacraient à leurs livres.

Développement des bibliothèques et pluralité des textes au collège


Ce chapitre permet de pénétrer dans le cœur des collections. Les deux
contributions ont pour point commun de ne considérer qu’un corpus de
textes relativement modeste. Mais ne nous y trompons pas, la contribution de
Gilbert Fournier comme celle de Marie-Laure Savoye démontrent l’extrême
richesse de la collection de la maison de Sorbonne. Cette bibliothèque plu-
rielle rassemble des textes multiples, dépasse le strict champ disciplinaire de
la théologie et, par l’entremise de ses catalogues, donne une cohérence, une
unité à des savoirs variés.
Gilbert Fournier (« Lire l’archive. Les commentaires sur l’Éthique à
Nicomaque au collège de Sorbonne à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance »)
exploite les informations fournies par les sources médiévales et modernes sur
les collections du collège pour approcher, en historien, les faits intellectuels
et concilier l’histoire de la philosophie et celle de la philologie. L’auteur se
propose de mesurer la diffusion des commentaires sur l’Éthique à Nicomaque,
leurs usages au sein du collège, tout particulièrement dans la libraria commu-
nis. Après avoir dressé un tableau des modalités d’enseignement de l’Éthique à
l’université de Paris, des statuts de Robert de Courson (1215) à la suppression
de cet enseignement en 1509, Gilbert Fournier procède méthodiquement : la
structure de son article est guidée par la chronologie des sources. Après un
bref rappel des principes sous-tendant la réorganisation de la libraria communis
et son catalogue en 1321-1338, l’auteur présente d’abord les différentes tra-
ductions, les commentaires de l’Éthique et signale aussi les extraits, les abrégés
présents dans le collège à partir de cette date. Il souligne le poids de la traduc-
tion de Robert Grosseteste, révisée par Guillaume de Moerbecke. Les com-
mentaires de l’Éthique présents au collège sont alors ceux d’Eustrate de Nicée
et de Thomas d’Aquin. Il analyse ensuite les éléments fournis par le catalogue
général de 1338 : les volumes y figurant sont tous signalés comme enchaînés,
qu’il s’agisse du commentaire de Thomas d’Aquin ou d’instruments de tra-
vail sur l’Éthique. Les principaux bienfaiteurs en ce domaine sont Étienne et
Gérard d’Abbeville. Dans les deux points suivants, l’auteur s’appuie sur les
témoignages de manuscrits : d’abord, sur de discrètes mentions figurant dans
le ms. BNF lat. 16090, qui contient en particulier la Tabula moralium Aristotelis
de Bernier de Fayt, pour démontrer que les bancs de la libraria communis

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 23 10/04/2017 16:31


24 Introduction

étaient passés de 26 à 34, après 1360 (la tabula était en effet enchaînée au banc
AM) ; ensuite, il analyse une brève mention dans le ms. BNF lat. 16681 qui
révèle la présence d’un volume contenant les Questiones in Aristotelis Ethicam
de Jean Buridan, enchaîné dans la libraria communis. Le devenir du legs de
Jacques de Padoue est l’objet de l’analyse du point suivant : deux volumes qui
« témoigne[nt] d’une curiosité soutenue pour l’Éthique » sont enchaînés dans
la magna libraria (terme en cours au collège à partir de 1391). Gilbert Fournier
exploite ensuite les données livrées par le registre de prêt du xve siècle : on
retrouve les commentaires de Thomas et d’Eustrate de Nicée empruntés
par les lecteurs fréquentant la bibliothèque du collège, mais d’autres appa-
raissent, les Sententia et expositio cum questionibus super librum Ethicorum de Guiral
Ot. Les différents emprunteurs sont chargés, au sein du collège, de la lecture
sur l’Éthique, comme l’avait démontré Zénon Kaluza25. L’auteur, soucieux de
souligner le poids de la libraria communis, nuance certaines conclusions de
Zénon Kaluza : il ne faut ni négliger le poids des ouvrages enchaînés dans la
préparation des lectures sur l’Éthique ni se fier au seul registre de prêt. Dans
l’avant-dernier point de sa contribution, Gilbert Fournier exploite sa toute
récente découverte : le catalogue établi vers 1550, qui témoigne des fonds de
la nova libraria du collège, bâtie dans les années 1480. Il souligne la péren-
nité des commentaires médiévaux sur l’Éthique mais rappelle qu’il est difficile
de savoir s’il s’agit alors de manuscrits ou d’imprimés. La Sorbonne a aussi
modernisé ses fonds en proposant une traduction de l’Éthique en français
et plusieurs nouvelles traductions latines humanistes. La dernière partie de
l’article tire plusieurs conclusions : le « socle » des collections du collège est
constitué de la traduction de Robert Grosseteste, des commentaires d’Eus-
trate et de Thomas, auxquels s’ajoutent d’abord différents instruments de
travail puis les commentaires de Buridan et d’Ot. L’auteur insiste sur l’ef-
fort soutenu d’actualisation des autorités par le collège, souligne quelques
absences significatives : la traduction d’Hermann l’Allemand du commentaire
moyen d’Averroès, le commentaire d’Albert le Grand. Il conclut à la faiblesse
de leur influence au collège, comme en témoignent les commentaires sub-
sistants de certains sorbonnistes (Jean Dumont, Louis Ber) ; en revanche,
Gilbert Fournier nuance le déclin de l’école buridaniste au profit du courant
réaliste : le commentaire de Buridan pouvait être consulté au collège dans la
libraria communis, et les commentaires des sorbonistes le prouvent. En annexe
de cette riche et dense contribution, un tableau synthétique permet de saisir

25. Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque à l’université de Paris », dans « Ad
ingenii acuitionem ». Studies in Honour of Alfonso Maierù, S. Caroti, R. Imbach, Z. Kaluza,
G. Stabile et L. Sturlese, éd., Louvain-la-Neuve, 2006, p. 147-181.

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Claire Angotti 25

le contenu « éthique » des collections du collège et établit des liens entre cotes
anciennes et modernes des différents volumes.
La contribution de Marie-Laure Savoye (« Les textes vernaculaires dans la
bibliothèque du collège de Sorbonne ») dépasse l’objectif liminaire qu’elle
se fixe : « établir un bilan sur la présence des textes français dans la biblio-
thèque ». L’auteur procède en cinq étapes : elle recense d’abord les différents
témoignages des sources du collège (catalogues du xive siècle, registres de
prêt du xve siècle, catalogue du xvie siècle), signalant des textes in gallico
dans les fonds. Elle remarque d’ailleurs que les catalographes du collège ont
jugé que ces livres avaient atteint un seuil suffisant pour bénéficier, en 1338,
d’une section de catalogue. Les deux étapes suivantes lui permettent d’éta-
blir (ou non) des correspondances entres les différentes sources, puis entre
les sources et des manuscrits subsistants. Marie-Laure Savoye signale enfin
deux manuscrits qu’elle n’a pu lier avec les sources médiévales. Le quatrième
point de la démonstration consiste dans l’identification des textes vernacu-
laires. L’auteur propose plusieurs pistes intéressantes pour retrouver certains
des volumes perdus du collège et, par sa connaissance du contenu ordinaire
des recueils abritant les textes qu’elle a identifiés, elle offre une sorte de des-
cription théorique des volumes qui devaient être disponibles dans les fonds
du collège. Le cinquième et dernier point de cette contribution porte sur les
principales thématiques des textes en vernaculaire dans la bibliothèque :
première dominante, les sciences du quadrivium dans lesquelles est intégré
le Roman de la rose de Jean de Meung, dont le collège possédait un exemplaire
enchaîné, aujourd’hui non identifié ; deuxième dominante, l’enseignement
moral illustré, entre autres, par un volume de La Somme le roi de frère Laurent.
Marie-Laure Savoye souligne le rôle probablement joué par Pierre de Limoges.
Avec ce sorboniste, émerge, pour la partie morale, la figure de Raymond Lulle
(dont le collège possédait de très nombreuses œuvres latines) et se précisent
les liens entre la Sorbonne et la chartreuse de Vauvert, autre centre de diffu-
sion du lullisme en France. Cette contribution conduit à s’interroger sur le
rôle du collège dans la diffusion de l’œuvre vernaculaire du maître catalan.

Lecteurs de la fin du Moyen Âge, des portraits contrastés


Les maîtres de la fin du Moyen Âge fréquentant les bibliothèques du collège
méritent une présentation approfondie : leur carrière est souvent connue26

26. Tous bénéficient de notices prosopographiques synthétiques fournies en annexe du registre


de prêt. Voir J. Vielliard, éd. et ann., et M.-H. Jullien de Pommerol, collab., Le registre de
prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne [1402-1536]. Diarium Bibliothecae Sorbonae. Paris, biblio-
thèque Mazarine, ms. 3323, Paris, 2000, p. 571-690. Pour une première approche, voir le travail

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26 Introduction

mais, grâce au registre de prêt, il est possible de connaître leur stratégies de


lecture en les inscrivant dans le contexte complexe du xve siècle, contexte
ecclésiologique (résolution du Grand Schisme, conciliarisme, réforme…),
spirituel (devotio moderna, mystique…), intellectuel (thomisme, albertisme,
nominalisme, réalisme, humanisme…), politique (conflit avec l’Angleterre,
construction de l’État, gallicanisme…). Deux contributions l’illustrent : celle
de Donatella Nebbiai (« Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes
Tinctoris († 1469), son réseau, ses œuvres ») et celle de Beat von Scarpatetti
(« Johannes Heynlin de Lapide (ca. 1430-1496), “scolastique” et humaniste,
bibliothécaire du collège de Sorbonne et recteur de l’université de Paris »).
Donatella Nebbiai présente trois facettes de maître Jean Tinctor (l’universi-
taire, le pasteur, le mystique), dont l’appartenance au collège est attestée par
une source moderne et l’ex-dono de deux volumes médiévaux du collège : elle
démontre que cette célèbre figure magistrale de la fin du Moyen Âge a contri-
bué au rayonnement international du collège. Tinctor a fréquenté la biblio-
thèque. En annexe, l’auteur dresse la liste de ses œuvres, donne les extraits du
registre de prêt le concernant, signale enfin les manuscrits qu’il a conservés,
consultés et possédés. Il a eu des liens avec plusieurs sorbonistes et d’autres
maîtres parisiens, en particulier Gilles Charlier, navarriste. La première
facette (l’universitaire) est, pour Donatella Nebbiai, l’occasion d’analyser les
emprunts relativement classiques auxquels se livre Tinctor. Elle les met en
rapport avec certaines de ses œuvres scolaires (commentaires philosophiques
et théologiques, qui trahissent le poids de la pensée de Thomas d’Aquin). La
deuxième facette présente Jean Tinctor comme auteur de deux principales
œuvres pastorales. L’une témoigne de son implication contre les Vaudois
d’Arras : Tinctor semble se charger lui-même de la diffusion de cette œuvre,
en latin comme en français. L’autre, perdue, prouve son implication dans la
réforme du monastère de Hasnon. La dernière facette de ce sorboniste est son
intérêt pour la mystique, qu’il convient de lier à son activité pastorale et à ses
rapports avec Gilles Charlier, et, par l’intermédiaire de ce dernier, avec Jean de
Eecoute, autre sorboniste. Son attrait pour la mystique explique pourquoi ce
thomiste convaincu a offert au collège de Sorbonne la Summa de bono d’Ulrich
de Strasbourg, œuvre qui est le trait d’union entre l’albertisme et la mystique
rhénane du xve siècle.

antérieur et complémentaire au registre de Z. Kaluza, « Les débuts de l’albertisme tardif (Paris


et Cologne) », M. J. F. M. Hoenen et A. de Libera, éd., Albertus Magnus und der Albertismus.
Deutsche Philosophische Kultur des Mittelalters, Leyde-New York- Cologne, 1995, p. 207-295. On se
reportera de plus à la base Prosop développée dans le projet Studium Parisiense par le LAMOP :
http://lamop-vs3.univ-paris1.fr/studium/faces/find.xhtml.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 26 10/04/2017 16:31


Claire Angotti 27

Beat von Scarpatetti s’attache à présenter Jean Heynlin, membre du col-


lège, célèbre pour avoir installé, avec Guillaume Fichet27, la première impri-
merie du royaume, dans les locaux de Sorbonne. Excellent connaisseur de
la bibliothèque d’Heynlin, conservée aujourd’hui à la bibliothèque universi-
taire de Bâle, Beat von Scarpatetti reconstitue par son intermédiaire le pro-
fil intellectuel et spirituel de la personnalité de Heynlin, à cheval sur deux
époques, déchirée entre différentes valeurs. La contribution est structurée en
cinq points : le premier point consiste en une mise au point sur la biogra-
phie de Heynlin, à propos de laquelle subsistent quelques zones d’ombre.
Il est toutefois clair que ce maître a fréquenté de multiples centres universi-
taires (Leipzig, Louvain, Paris, Bâle, puis retour à Paris). Beat von Scarpatetti
reconstitue son parcours universitaire (lieux et dates où il a acquis ses grades)
et indique la date (1462) à laquelle il est reçu comme sociétaire du collège
de Sorbonne dont il devient prieur, en 1470. Le deuxième point est une ana-
lyse des emprunts de Heynlin quand il fréquentait la bibliothèque : certains
témoignent de sa préparation de la licence de théologie, d’autres révèlent un
intérêt pour la prédication et, quelques-uns, pour le latin classique. L’auteur
souligne qu’il est difficile d’interpréter ces emprunts, dans la mesure où
Heylin avait déjà une bibliothèque personnelle. Celle-ci est l’objet, dans le
troisième point de la contribution, d’une présentation synthétique illustrée de
plusieurs reproductions, en annexe. Selon Beat von Scarpatetti, l’ampleur et
le prestige de cette bibliothèque personnelle trahiraient les origines nobles de
Heynlin. Le quatrième point insiste sur le « paradoxe » de cette bibliothèque, à
la croisée de la scolastique et de l’humanisme : certains manuscrits de Heynlin
témoignent des exercices effectués au collège (parmi les premiers imprimés
acquis par Heynlin, on trouve la Somme théologique de Thomas d’Aquin), mais le
premier imprimé produit par les presses de Sorbonne est un ouvrage typique-
ment humaniste. Le cinquième et dernier point de cette contribution s’inter-
roge sur les raisons du départ de Heynlin de Paris (1473), probablement lié à
une conversion personnelle. Les annotations qu’il effectue sur les manuscrits
qu’il acquiert après cette date sont le reflet de ce tournant ascétique.

27. Voir J. Veyrin-Forrer, « Aux origines de l’imprimerie française. L’atelier de la Sorbonne


et ses mécènes », La lettre et le texte. Trente années de recherches sur l’histoire du livre, Paris, 1987,
p. 161-187.

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28 Introduction

Enquêter sur les manuscrits du collège de Sorbonne


Le cinquième chapitre des Livres des maîtres de Sorbonne a été conçu comme
un véritable instrument de travail, permettant de faciliter la plongée dans la
complexité des manuscrits du collège comme de son historiographie.
La contribution de Claire Angotti (« Les manuscrits du collège de
Sorbonne : une enquête codicologique ») est conçue comme un guide à
l’usage de ceux qui, confrontés aux manuscrits du collège, souhaitent repé-
rer et exploiter les informations que livrent ces derniers sur leur insertion,
leur circulation, leur usage, leur statut dans les collections de la Sorbonne,
du xiiie siècle jusqu’à l’époque moderne. Ce vade-mecum est construit en huit
questions et procède d’une double démarche, à la fois codicologique et archi-
vistique. La première question aborde le lieu des indices bibliothéconomiques
dans un volume. La deuxième question présente les différentes bibliothèques
du collège telles qu’elles apparaissent dans les manuscrits : après une mise au
point terminologique générale, Claire Angotti présente les indices permettant
de dire si un manuscrit a appartenu à la parva libraria (une première annexe
permet de connaître la désignation des différentes sections des catalogues),
s’il a été enchaîné, par le biais de diverses mentions et cotes. La troisième
question s’interroge sur les enjeux de l’estimation des volumes au sein du
collège et insiste sur la fonction catalographique d’une telle pratique. La
quatrième question aborde le problème du statut des noms propres figurant
dans les volumes : noms d’emprunteurs (dont une liste provisoire est four-
nie en annexe 2), noms des donateurs et du légataire du volume au sein des
ex-libris. Claire Angotti attire ensuite l’attention (cinquième question) sur
les reliures et les étiquettes anciennes des volumes : grande est leur variété,
complexe et délicate est leur interprétation. Il s’agit probablement de l’un des
domaines d’exploration à venir les plus fructueux, tout comme la question
de l’enchaînement concret des volumes (sixième question – une troisième
annexe reprend et traduit la célèbre description de la bibliothèque fournie par
Héméré). Les deux dernières questions concernent de façon stricte la période
moderne du collège : la datation des estampilles et des cotes modernes (sep-
tième question), la description et l’évaluation des notes du dernier bibliothé-
caire du collège, Gayet de Sansale (huitième question). Ces notes témoignent
de l’importance que les membres du collèges accordaient à leurs manuscrits
aux xviie et xviiie siècles. Cette contribution est accompagnée d’un impor-
tant dossier d’illustrations (annexe 4) permettant d’éclairer le propos.
Le chapitre se termine par une bibliographie commentée par les éditeurs
du présent volume. Elle propose un classement chronologique des travaux
concernant les collections et les manuscrits de la maison de Sorbonne. Les

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 28 10/04/2017 16:31


Claire Angotti 29

travaux les plus importants sont accompagnés d’un commentaire destiné à


guider l’usage qu’en auront leurs lecteurs : le classement chronologique per-
met de mesurer les progrès de l’historiographie dans la datation et l’identi-
fication des différentes sources concernant les bibliothèques du collège. La
bibliographie annonce aussi les différents travaux devant paraître à brève
échéance. Il a enfin paru utile de faire suivre le volume de différents indices :
index des manuscrits cités, index des auteurs anciens et des auteurs modernes.

Le choix des rédacteurs des chapitres de cet ouvrage est emblématique du


caractère interdisciplinaire que les trois éditeurs souhaitent donner aux Livres
des maîtres. Conservateurs ou chercheurs dans des domaines de spécialité
variés (littérature latine ou vernaculaire, histoire de l’Université, histoire des
bibliothèques, histoire intellectuelle), tous apportent leur lumière propre sur
l’histoire du collège et de ses bibliothèques. Les différents chapitres mettent
en valeur le rôle des livres de la Sorbonne qui contribuent d’abord à insérer la
maison dans le système d’enseignement constitué par l’Université au Moyen
Âge puis concourent à son rayonnement à l’époque moderne. L’apport des
sciences de l’érudition (philologie, paléographie, codicologie) permet de
rendre compte de la richesse des collections possédées et organisées par le
collège. Les Livres des maîtres participent ainsi à la construction d’une histoire
des intellectuels et de l’usage qu’ils avaient de leurs livres : ils offrent l’éclai-
rage matériel indispensable et souvent négligé qui permet de saisir les sou-
bassements de la culture scolastique.

Claire Angotti

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CHAPITRE 1

La place de la Sorbonne au cœur


de l’institution collégiale

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La Sorbonne médiévale dans l’univers
des collèges parisiens
Thierry Kouamé

L ’histoire de la Sorbonne illustre, s’il en est, la réussite d’une fondation


universitaire : créée à l’origine pour héberger des étudiants pauvres, en
marge des écoles, elle finit par devenir le symbole même de la faculté de théo-
logie, puis de l’université tout entière. Mais le prestige de cet établissement
a souvent fait oublier qu’il n’était qu’un collège parisien parmi d’autres et
que, à ce titre, il gagnait à être étudié en relation avec les autres fondations du
Quartier latin. En effet, comme le rappelait Hastings Rashdall, Paris est the
true home of the collegiate system1. Les premiers collèges universitaires naissent
dans cette ville à la fin du xiie siècle pour répondre aux graves difficultés
de logement que rencontraient les étudiants. Mais la nature de l’institution
change au cours du xiiie siècle, avec l’arrivée des frères mendiants à l’Univer-
sité. Dominicains et Franciscains fondent des studia dans les grands centres
d’étude d’Europe occidentale pour parfaire leur formation théologique. Ce
phénomène a entraîné la distinction entre deux types d’établissements : d’un
côté, les collèges séculiers, qui se contentaient d’accueillir de pauvres étu-
diants, dans l’esprit des premières fondations charitables ; de l’autre, les col-
lèges réguliers des Mendiants, entièrement orientés vers l’enseignement, et
qui, dans le cas de Paris, ont même fini par devenir de grandes écoles théolo-
giques. Selon l’historiographie traditionnelle, les séculiers réagirent au pres-
tige des Mendiants en fondant la Sorbonne, vers 1257, sur le modèle d’un cou-
vent réservé aux théologiens séculiers. On assiste alors à un nouvel essor des
collèges séculiers : le nombre de bourses offertes à Paris est multiplié par dix
en l’espace d’un siècle2. On dénombre ainsi trente-trois fondations de collèges

1. H. Rashdall, The Universities of Europe in the Middle Ages, 2e éd., Oxford, 1936, I, p. 498.
2. Lorsque Robert de Sorbon fonda son collège, il n’existait qu’une cinquantaine de bourses à
Paris, alors qu’on en dénombre déjà près de six cents au milieu du xive siècle, si l’on s’en tient
aux effectifs théoriques spécifiés par les statuts (T. Kouamé, « Les collèges de l’université de
Paris : de la charité privée à l’enseignement public (xiie-xvie siècle) », dans Collegiate Learning
in the Middle Ages and Beyond. 2nd Coimbra Group Birthday Seminar, A. Savini, éd., Milan, 2012,
p. 25-34, ici p. 31).

Les livres des maîtres de Sorbonne, sous la direction de Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2017

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 33 10/04/2017 16:31


34 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

pour le seul xive siècle, contre vingt et une dans tout le reste du Moyen Âge,
de sorte qu’à la fin du xve siècle, plus de quarante collèges séculiers étaient
encore en activité dans la seule ville de Paris, contre vingt-trois établissements
de ce type dans les deux universités d’Oxford et de Cambridge3. Ainsi, l’his-
toire de la Sorbonne ne prend son véritable sens qu’en étant replacée dans
celle des collèges parisiens4. Pour ce faire, il convient d’abord de revenir sur
le rôle, communément admis, du collège de Sorbonne dans la mutation de
l’institution collégiale. Nous évoquerons ensuite la place particulière de ses
archives dans le corpus de sources des collèges parisiens, avant d’évaluer
l’influence réelle des statuts de la Sorbonne sur ceux des autres fondations
séculières. Cette immersion dans l’univers des collèges permettra, en dernier
lieu, de cerner de manière plus précise la place de la Sorbonne dans le système
universitaire parisien.

Le rôle de la Sorbonne dans la perception de l’institution collégiale


La volonté de réglementer la vie commune des étudiants se manifeste au
milieu du xiiie siècle, dans un contexte de réforme de l’institution universi-
taire. Entre 1252 et 1290, un violent conflit oppose, à Paris, les maîtres sécu-
liers et leurs homologues mendiants. Ces derniers ayant toujours été soutenus
par le pape, les crises se sont toujours soldées par un recul des séculiers5. Ce
constat d’échec finit par imposer l’idée, dans l’esprit de certains prélats, que
la meilleure façon de répondre au défi des Mendiants ne résidait pas dans le
rejet, mais plutôt dans l’adoption des valeurs de leurs adversaires. On ne sau-
rait être plus clair que Guillaume de Saâne, fondateur du collège du Trésorier,
qui explique sans ambages en 1280 : « Nous n’entendons pas pourvoir les
dépravés, les voluptueux, les ribauds, les joueurs ou les tenanciers de bor-
dels et de tavernes, mais les bons et vrais écoliers susceptibles de pourvoir

3. T. Kouamé, « Rex Fundator. Royal Interventions in University Colleges: Paris, Oxford,


Cambridge (Fourteenth-Fifteenth Centuries) », History of Universities, 25/1, 2010, p. 1-25, ici p. 1.
4. Il n’y a pas de synthèse récente sur le système collégial parisien au Moyen Âge. En dehors
des travaux vieillis de Rashdall (The Universities of Europe, op. cit., I, p. 497-539), les études
pionnières de l’après-guerre concernent en fait autant les collèges parisiens que leurs homo-
logues anglais : A. L. Gabriel, « The College System in the Fourteenth Century Universities »,
dans The Forward Movement of the Fourteenth Century, F. L. Utley, éd., Columbus (Ohio), 1961,
p. 79-124 ; Id., « Motivation of the Founders of Mediaeval Colleges », dans Garlandia. Studies in
the History of the Mediaeval University, Notre Dame (Ind.)-Francfort/Main, 1969, p. 211-223. Pour
un aperçu des travaux qui abordent ce système d’un point de vue spécifique, voir T. Kouamé,
« Les collèges de l’université de Paris », art. cité, p. 25-26, n. 3 et 4.
5. M.-M. Dufeil, Guillaume de Saint-Amour et la polémique universitaire parisienne, 1250-1259, Paris,
1972.

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Thierry Kouamé 35

à l’Église et au salut des âmes6. » Cette vision de l’étudiant débauché, par


opposition au religieux honnête et studieux, hante l’esprit d’un Jean Cholet
(† 1292), d’un Raoul d’Harcourt († 1307) et, bien sûr, d’un Robert de Sorbon
(† 1274), lorsqu’ils fondent leurs propres collèges. Leur but est d’offrir aux
clercs séculiers un environnement propice aux études, afin que l’étudiant
modèle puisse vivre, selon la devise de la Sorbonne, socialiter et collegialiter et
moraliter et scholariter, en un tout où l’on ne fait plus le partage entre la socia-
bilité, la morale et l’étude. Pour autant, on ne peut réduire les statuts de tous
les collèges séculiers au règlement d’un conflit qui n’occupe que la seconde
moitié du xiiie siècle. Au xive siècle, l’opposition entre séculiers et Mendiants
est beaucoup moins frontale, et, pourtant, les fondations de collèges n’ont
jamais été aussi nombreuses. La rédaction des statuts devient presque
un genre en soi, objet de compilations, et l’on peut suivre, tout au long du
siècle, les chaînes de références qui renvoient aux règles des collèges les plus
célèbres, ou même tout simplement à celles que l’on considère comme les
plus achevées7. La mise en perspective de la Sorbonne au sein du système col-
légial parisien permet ainsi de comprendre en quoi l’existence même de cette
institution a pu influencer les autres collèges.
L’évolution de la terminologie est, de ce point de vue, révélatrice. Au milieu
du xiiie siècle, le terme collegium ne s’appliquait pas à l’institution tout entière,
mais à la seule communauté des boursiers. Les chartes de fondation définis-
saient le collège séculier comme une domus pauperum scolarium, un hospice
pour étudiants pauvres8. Or, dès la fin du xive siècle, le terme collegium désigne
communément l’établissement dans son ensemble. Comme l’a montré Olga
Weijers au sujet du vocabulaire de la Sorbonne, cette évolution connaît trois
phases9. Dans un premier temps, les deux mots coexistent sans confusion :
domus qualifie l’institution, tandis que collegium désigne la seule communauté
des boursiers, au même titre que consortium ou congregatio. Collegium tend
ensuite à remplacer domus, sans pour autant changer de signification. Mais, en
1292, le mot s’applique pour la première fois à l’ensemble de l’établissement

6. Non intendimus providere perversis et discolis et ribaldis et lusoribus vel prosecutoribus meretricum et taber-
narum, sed bonis et veris scholaribus per quos Ecclesiae possit provideri et animarum saluti (M. Félibien
et G.-A. Lobineau, Histoire de la ville de Paris, Paris, 1725, III, p. 287).
7. Ainsi, les statuts du collège d’Autun (1341 et 1345), qui avaient été rédigés par le célèbre
canoniste Pierre Bertrand († 1348), influencèrent ceux des collèges de Boissy (1366), Maître
Gervais (1378), Montaigu (1402) et Saint-Michel (1405) : D. Sanderlin, The Mediaeval Statutes
of the College of Autun at the University of Paris, Notre Dame (Ind.), 1971, p. 20-24.
8. O. Weijers, « Collège, une institution avant la lettre », Vivarium, 21, 1983, p. 73-82 ; Id.,
Terminologie des universités au xiiie siècle, Rome, 1987, p. 80-84, 88
9. Id., « Collège », art. cité, p. 75-76.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 35 10/04/2017 16:31


36 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

dans une lettre de l’évêque de Beauvais, qui recommande la Sorbonne à la


charité des fidèles de son diocèse10. Ce glissement terminologique inaugure
une période durant laquelle les deux termes illustrent, chacun à sa manière,
une seule et même réalité, avant que l’emploi de collegium ne s’impose défini-
tivement dans le langage courant. Or, cette mutation semble avoir constitué
un modèle pour les fondations séculières ultérieures.
La terminologie appliquée aux autres collèges parisiens évolue dans le
courant du xive siècle, au moment où l’institution se généralise au sein de
l’Université. Si le collège Saint-Nicolas du Louvre (1186/7) était encore appelé
domus pauperum scolarium, dans une sentence de 1305, ou simplement domus
scolarium, dans un testament de 134711, l’équivalence entre domus et collegium
est attestée dès 1350 dans un acte de vente12. Quant au collège d’Autun, de
fondation plus récente (1341), il change de dénomination entre 1371 et 1397,
sous la plume de deux bienfaiteurs successifs13. La nouvelle appellation est
toujours employée par des personnes extérieures à l’institution, avant d’être
adoptée par le collège lui-même, les instances universitaires étant, de ce point
de vue, plus conservatrices que les autorités civiles et religieuses. La mutation,
si elle existe, intervient donc d’abord dans le regard des autres. La confusion
du collège séculier avec d’autres institutions parisiennes peut expliquer la
métonymie consistant à désigner la domus scolarium par l’une de ses parties
(collegium). Selon Olga Weijers, ce glissement sémantique aurait été inspiré
par le fonctionnement de la Sorbonne, collège le plus proche des établisse-
ments religieux, qui étaient couramment appelés collegia dans les sources14.
En menant cette analyse jusqu’à son terme, on peut aussi considérer que la
réduction de l’institution à son seul collegium consacrait l’adoption par la
société civile du corps des boursiers en tant qu’interlocuteur à part entière.

10. Universitatem vestram monemus, rogamus et exhortamur in Domino quod […] dictos subditos vestros
salutaribus monitis inducere studeatis ut de bonis sibi a Deo collatis dicte domui seu dicto collegio pias ele-
mosinas largiantur (P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne, Paris, 1965-1966, II, p. 478, no 388).
11. Il s’agit d’une sentence arbitrale de l’évêque de Paris et du testament de Gilles de Ravières
(Arch. nat., L 614, no 8 et 11).
12. Jean de Gournay déclare vendre une maison aux magistris et scolaribus domorum seu collegio-
rum Sancti Nicholay de Lupera, prope Parisius, et Bonorum Puerorum de Porta Sancti Victoris (Arch. nat.,
L 614, no 12).
13. En 1371, Pierre Lecomte et sa femme lèguent leur maison « en consideration au service
divin et autres bienfais et prieres, qui en l’ostel et chapelle des escoliers du cardinal d’Ostun
[…] se font de jour en jour par iceulz escoliers » (Arch. nat., M 80, no 101), tandis que, dans
son codicille de 1397, Oudard de Moulins déclare simplement fonder trois bourses au « coleige
d’Ostun », comme l’atteste l’extrait contenu dans l’acceptation de la fondation (Arch. nat.,
M 80, no 13).
14. O. Weijers, « Collège », art. cité, p. 81-82.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 36 10/04/2017 16:31


Thierry Kouamé 37

Dans cette hypothèse, l’usage de la nouvelle dénomination renverrait donc


plutôt à la reconnaissance du statut social de l’établissement dans son envi-
ronnement urbain. Certes, la communauté des sorbonistes fut l’une des pre-
mières à obtenir une telle reconnaissance, mais, pour les autres collèges, cette
mutation relevait davantage des rapports que l’établissement entretenait avec
son espace local, selon une chronologie propre à chaque fondation.

Les archives de la Sorbonne dans les sources des collèges parisiens


Comparer la Sorbonne aux autres collèges conduit d’abord à s’interroger
sur la particularité de ses archives par rapport au reste du corpus parisien. On
a ainsi pu reconstituer quarante-deux fonds de collèges parisiens, contenant
en proportions variables des sources normatives (fondations et statuts) et des
actes de la pratique, produits par le fonctionnement des collèges et la ges-
tion de leur temporel. Une première constatation s’impose : contrairement à
nombre d’établissements parisiens, la Sorbonne ne dispose pas d’un acte de
fondation en bonne et due forme. En effet, la date de création communément
admise correspond à une charte de février 1257 (n. st.), dans laquelle Louis IX
donne à Robert de Sorbon une maison et des étables, rue Coupe-Gueule, « au
profit des écoliers qui devront y habiter15 ». Mais il ne s’agit pas là, à propre-
ment parler, d’une charte de fondation, et l’on ne trouve nulle part la trace
d’un acte du fondateur créant lui-même son collège. Il en va de même des pre-
miers statuts de la Sorbonne. Là encore, Robert de Sorbon n’a pas jugé bon
de les enregistrer par acte authentique, comme le font, par la suite, la quasi-
totalité des fondateurs de collèges parisiens. Ce premier règlement reste une
compilation non datée, de nature privée, qui n’est parvenue jusqu’à nous que
par la volonté des autorités du collège16. Rédigés avant 1274, les statuts de
Robert de Sorbon furent d’abord conservés dans ce que les sources appellent
le rotulus, avant d’être transcrits, entre 1335 et 1344, dans le Liber prioris, qui
comprenait alors deux cahiers – un quaternion (fol. 1-5v, 7-9v) et un ternion
(fol. 10-15v) – où avaient été consignées une série de dispositions prises du
vivant du fondateur et après sa mort17. À partir de 1344, on ajouta un feuillet
(fol. 6-v) au premier cahier et, après 1356, un second quaternion (fol. 16-23v)

15. Notum facimus quod nos magistro Roberto de Sorbone, canonico Cameracensi, dedimus et concessimus ad
opus scolarium qui inibi moraturi sunt… (H. Denifle et É. Chatelain, Chartularium Universitatis
Parisiensis, Paris, 1889-1897, I, p. 349, no 302).
16. H. Denifle et É. Chatelain, Chartularium, op. cit., I, p. 505-514, no 448.
17. BNF, lat. 16574. Une analyse codicologique sommaire du manuscrit est donnée par
P. Glorieux, Aux origines, op. cit., I, p. 189-191. Le dernier acte transcrit par la première main
date du 13 octobre 1335 (lat. 16574, fol. 12).

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38 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

au volume initial, avant de relier l’ensemble avec un calendrier-obituaire


(fol. 24-49) dans le troisième quart du xive siècle18. Les espaces laissés libres
dans les cahiers initiaux ainsi que les feuillets qui leur furent ajoutés servirent
ensuite à consigner des dispositions prises entre 1344 et 1432, faisant du Liber
prioris de la Sorbonne un véritable registre de législation vivante19. Il s’agit,
là encore, d’un cas unique parmi les collèges parisiens, qui ne disposent pas
d’une réglementation aussi abondante, réunie en un seul volume. L’examen
des sources normatives montre que la Sorbonne constitue une sorte d’inter-
médiaire entre l’ancien modèle institutionnel du collège universitaire et le
nouveau. De ce point de vue, l’établissement est beaucoup plus proche des
fondations qui l’ont précédé, telle la plus ancienne d’entre elles, le collège
des Dix-Huit (1180), qui ne possédait pas de charte délivrée par son fondateur
et dont le fonctionnement reposa longtemps sur la coutume. En effet, ce que
l’on qualifie habituellement d’acte de fondation pour cette institution n’est
que la reconnaissance, par le chapitre cathédral, de l’affectation d’une pièce
de l’Hôtel-Dieu aux pauvres étudiants de Paris, grâce aux libéralités de Josse
de Londres20. Il a d’ailleurs fallu attendre le 14 mai 1330 pour que ces dix-
huit clercs transcrivent leurs coutumes sous forme de règlement, et encore
de manière informelle, à l’instar de la Sorbonne21. En fait, la première charte
de statuts fut promulguée le 18 août 1280 pour le collège du Trésorier (1268).
Vinrent ensuite les statuts des collèges des Cholets (1295 et 1301), de Navarre
(1305 et 1316) et d’Harcourt (1311). Il est donc fort possible que la volonté
des sorbonistes d’enregistrer leurs coutumes dans un Liber prioris n’ait pas été
étrangère à la multiplication des chartes de statuts de collèges entre la fin du
xiiie siècle et le début du xive siècle.
Les actes de la pratique, pour leur part, sont très bien représentés dans les
archives des collèges parisiens, qui les conservent dans neuf cas sur dix22.
Mais ce chiffre dissimule mal un déséquilibre manifeste entre les documents
produits par le gouvernement de l’institution et ceux issus de la gestion du

18. L’analyse paléographique de Palémon Glorieux est trop imprécise pour que l’on puisse
pousser plus loin les hypothèses de datation : une deuxième main aurait servi, selon lui, à
transcrire deux actes de 1344 (lat. 16574, fol. 6 et 14v-15v), mais, au vu du manuscrit, cette
identification est plus que douteuse. Surtout, aucune des autres mains n’a été individualisée,
alors que le volume est parcouru par un grand nombre d’écritures différentes.
19. BNF, lat. 16574, fol. 1-23v, en partie édité par P. Glorieux, Aux origines, op. cit., I,
p. 203-236.
20. H. Denifle et É. Chatelain, Chartularium, op. cit., I, p. 49-50, no 50.
21. E. Coyecque, « Notice sur l’ancien collège des Dix-Huit (1180-1529) », Bulletin de la Société
de l’histoire de Paris, 14, 1887, p. 176-186.
22. Ce type d’actes est conservé dans 39 des 42 fonds recensés.

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Thierry Kouamé 39

temporel. Les archives politiques, qui auraient dû garder la trace des déci-
sions prises par la communauté, ne couvrent en effet qu’un dixième des fonds
médiévaux : seuls deux collèges ont conservé des pièces relatives à la nomi-
nation de leurs membres23 ; un autre a gardé un procès-verbal de visite24. Là
encore, la Sorbonne fait exception, puisqu’elle offre le seul registre de déli-
bérations d’un collège parisien pour tout le Moyen Âge25. Il s’agit du Livre
des prieurs de Sorbonne (1431-1485), distinct du Liber prioris déjà évoqué26. On a
d’abord pensé que le premier faisait suite au second, à partir d’une mention
du Livre des prieurs indiquant que les délibérations des mois de mars à octobre
1431 figuraient dans un « ancien livre » de conclusions des prieurs, qui précé-
dait immédiatement celui-là27. Or, la comparaison des deux volumes montre
au contraire que le Liber prioris et le Livre des prieurs appartenaient à deux séries
parallèles : le premier (sur parchemin) était censé recevoir la copie des actes
les plus importants parmi ceux enregistrés au fil des jours dans le second
(sur papier)28. Tout porte donc à croire qu’il existait au moins un registre de
conclusions antérieur à celui que nous connaissons, mais qu’il a depuis

23. Il s’agit du collège du Plessis, qui possédait une lettre de 1497 pour la présentation à une
bourse (Arch. nat., M 183, no 7), et du collège d’Autun, qui gardait une provision de bourse de
1469 et une dispense de 1395 pour l’office de maître (Arch. nat., H3 2566). Le chapitre cathé-
dral de Beauvais avait par ailleurs conservé les nominations aux dignités et bourses du collège
des Cholets (Arch. dép. de l’Oise, G 767 et 768), mais ces sources ne figuraient pas dans les
archives du collège.
24. Il s’agit d’une visite des chanoines de Notre-Dame au collège de Fortet en 1482 (Arch. nat.,
M 131, no 4).
25. Pour être exceptionnel, ce type de sources n’est pas totalement absent des archives de col-
lèges en général. On conserve en effet de tels registres pour deux collèges d’Oxford : Registrum
Annalium Collegii Mertonensis, 1483-1521, H. E. Salter, éd., Oxford, 1923 ; The Dean’s Register of
Oriel, 1446-1661, G. C. Richards, H. E. Salter, éd., Oxford, 1926.
26. BNF, lat. 5494A, édité par R. Marichal, Le Livre des prieurs de Sorbonne (1431-1485), Paris, 1987.
27. BNF, lat. 5494A, fol. 2 : Que vero facta fuerunt a prenominata die electionis sue [25 mars 1431]
usque ad dictum tempus inicii octobris scripta sunt in antiquo libro in [quo] priores conclusiones collegii
immediate ante istum scripserunt, sicut patet in eodem (ibid., p. 28). Cette thèse avait été défendue par
P. Glorieux, Aux origines, op. cit., I, p. 79.
28. Si le Liber prioris ne contient aucun acte produit entre le 25 mars et le début du mois d’oc-
tobre 1431, il renferme en revanche le statut du 28 janvier 1432 (lat. 16574, fol. 19v), qui fait
explicitement référence à l’autre volume : Insuper, ut dicta ordinatio inviolabiliter observaretur, […]
voluerunt secundo hanc ordinationem [signis] suis manualibus signare, sicut eciam signaverunt in libro
papireo prioris, in quo inscribuntur conclusiones cotidiane, ne quis in futurum de hac ordinatione pretendere
valeat ignoranciam, eciam in confirmacionem prescripte veritatis (ibid., p. 235, no 46, édition complétée
d’après l’original). On retrouve naturellement la transcription de ce statut dans le Livre des prieurs
(lat. 5494A, fol. 4v). Elle est suivie de huit seings manuels et ne contient, bien entendu, aucun
renvoi au libro papireo prioris (R. Marichal, Le Livre des prieurs, op. cit., p. 36).

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40 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

longtemps disparu, tout comme celui (ou ceux) couvrant les années 1485 à
153929. Si, au milieu du xive siècle, la conservation des décisions de la com-
munauté se faisait encore sous la forme de pièces signées ou scellées, gardées
au coffre du collège et éventuellement copiées dans le Liber prioris, il semble
qu’au début du xve siècle, ces statuts aient commencé à être enregistrés avec
les procès-verbaux des assemblées, à la manière de minutes permettant au
prieur de produire une expédition authentique de l’acte30.
Si les archives politiques des collèges parisiens se distinguent par leur
rareté, il en va autrement des sources produites par la gestion de leur tempo-
rel. Les titres de rentes et de propriété se retrouvent ainsi dans neuf dixièmes
des fonds et constituent la catégorie la mieux représentée de tous les actes de
la pratique, loin devant les pièces de procédures (deux cinquièmes des fonds),
la comptabilité (un tiers des fonds) et les cartulaires, quittances et inventaires
de biens (environ un sixième des fonds chacun). Comme la plupart des grands
établissements du Quartier latin, la Sorbonne a composé, dès le xiiie siècle,
de véritables séries d’archives afin de gérer son patrimoine. Il en va ainsi de
son chartrier en grande partie conservé31. Il en est de même du cartulaire
médiéval, compilé au tout début du xive siècle et qui contient 383 copies
d’actes datés de 1228 à 1305, auxquels un copiste a ajouté un acte de 131532.
C’est aussi le cas de ses deux obituaires, qui conservaient la mémoire des
fondations pieuses : le premier, commencé avant la mort du fondateur et

29. C’est la conclusion à laquelle était parvenu R. Marichal, ibid., p. 7. La série des conclu-
sions des prieurs de Sorbonne ne reprend qu’en 1540 avec le registre MM 268 des Arch. nat.
30. L’ancien mode de conservation est évoqué à la fin d’une sentence de 1344 : Quequidem senten-
tia, sic in papiro scripta et signata, posita fuit in archa ubi est sigillum domus (P. Glorieux, Aux ori-
gines, op. cit., I, p. 223, no 34). Plus tard, le statut du 18 avril 1379 (n. st.) prescrit qu’il doit être
enregistré dans le Liber prioris afin qu’on en conserve la mémoire, ce qui laisserait entendre qu’il
n’existait pas à cette date de registre de délibérations ou que ces procès-verbaux n’avaient pas
encore pris la forme d’un registre : et quod istud in libro prioris scriberetur ad perpetuam rei memoriam
(BNF, lat. 16574, fol. 17v). Un peu plus loin, le Liber prioris contient le procès-verbal de l’assem-
blée du 25 mars 1412 (n. st.), mais on ne saisit pas clairement s’il s’agit déjà d’un extrait du
registre de délibérations qui aurait disparu ou si ce compte rendu fut directement transcrit dans
le volume (BNF, lat. 16574, fol. 18v).
31. Les chartes médiévales de la Sorbonne sont principalement conservées dans les séries M et
S des Arch. nat. (M 74-75, S 6211-6229). Mais certaines bulles pontificales adressées au collège
ont été classées au xixe siècle dans le bullaire des papes (L 220-366). La BNF possède par ail-
leurs un certain nombre de titres originaux de la Sorbonne (1265-1577), réunis dans un recueil
factice avec des chartes du collège de Dormans-Beauvais (nouv. acq. fr. 21285). On ne sait pas
à quel moment ces actes furent soustraits à leurs chartriers respectifs pour aboutir à la BNF en
passant par la collection Phillipps (anc. ms. 2975).
32. BNF, lat. 16069, P. Glorieux, éd., Aux origines, op. cit., II. Si l’on tient compte des copies en
doublons, le cartulaire renferme en fait la transcription de 340 actes différents.

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Thierry Kouamé 41

complété jusqu’au xvie siècle, avait été réuni dès le xive siècle au Liber prio-
ris33 ; le second était au xiiie siècle le missel à l’usage du collège, mais son
calendrier reçut vers 1415 des mentions de fondations provenant du premier
obituaire34. Ces archives s’imposent par leur taille, mais n’ont rien d’unique
dans le cadre parisien. En effet, plusieurs collèges médiévaux possédaient des
cartulaires, et on trouve même aux Cholets une série comparable à celle de la
Sorbonne35. L’absence d’archives comptables est en revanche plus étonnante
pour une institution aussi riche que la Sorbonne, d’autant que les statuts
médiévaux stipulaient clairement l’existence de telles pièces36. Il faut toutefois
préciser que ces instruments de gestion ne nous sont parvenus que pour un
tiers des collèges parisiens. Les registres conservés présentent par ailleurs de
sérieuses lacunes et ne remontent guère au-delà du milieu du xive siècle37. En
réalité, la Sorbonne a bien disposé d’une comptabilité écrite au Moyen Âge,
mais celle-ci n’a pas résisté aux destructions muettes de l’époque moderne.
L’inventaire général de 1716 mentionne en effet l’existence de 29 registres
de comptes établis par les procureurs du collège entre 1357 et 1709, mais ils
semblent avoir presque tous disparu38. En ce qui concerne les autres fonds,
les comptabilités conservées proviennent de communautés modestes, qui ne

33. BNF, lat. 16574, fol. 24-47v, ibid., I, p. 149-185.


34. BNF, lat. 15615, fol. 6-11v. Sur la relation entre les deux obituaires, voir ibid., I, p. 151-154.
35. On conserve trois cartulaires médiévaux du collège de Laon (Arch. nat., MM 416 et 418 ; bibl.
de la Sorbonne, ms. 1577), deux pour celui d’Autun (Arch. nat., MM 337 ; bibl. de la Sorbonne,
ms. 966), un pour Dormans-Beauvais (Arch. nat., MM 356) et un pour Maître Gervais (Arch.
nat., MM 346). Quant au collège des Cholets, il possédait un cartulaire (Arch. nat., MM 374) et
deux obituaires médiévaux (Arch. nat., M 112, no 38 ; bibl. de la Sorbonne, ms. 177).
36. Un statut de 1318 impose au prévôt semainier d’inscrire les dépenses des procureurs
majeurs dans un liber specialis qu’il doit transmettre à son successeur (ibid., I, p. 211, no 17). Par
la suite, le statut du 18 avril 1379 (n. st.) évoque un liber parve procurationis ou un papyrus parvorum
procuratorum (BNF, lat. 16574, fol. 17v).
37. Si le plus ancien registre remonte à 1348, avec les comptes abrégés du collège de Laon,
il faut attendre les dernières années du xive siècle pour voir se constituer des séries plus ou
moins régulières mais déjà bien organisées dans les collèges de Laon ( 1373), Dormans-
Beauvais (1375), Presles (1391), Dainville (1394) et Autun (1397). Au xve siècle, on trouve en
outre quelques séries comptables pour les collèges de Bayeux, Fortet, Justice, Maître Gervais,
Tours et Tréguier. Pour l’inventaire de ces sources, voir V. Weiss, Cens et rentes à Paris au Moyen
Âge. Documents et méthodes de gestion domaniale, Paris, 2009, I, p. 669-699.
38. Arch. nat., MM 280, fol. 1040v. Seuls subsistent dans les archives les comptes de 1633-1634
(Arch. nat., H3 *2633), 1645-1646 (Arch. nat., M 74, no 30), 1661-1664 (Arch. nat., MM 278),
1694-1701 et 1701-1709 (Arch. nat., H3 *2736 et 2737). On trouve par ailleurs des extraits de
comptes de 1386-1415, 1459-1489 et 1520-1552 dans un recueil de pièces copiées au xviie siècle
pour servir à l’histoire de la Sorbonne (bibl. de l’Arsenal, ms. 1228, fol. 16-26v, 70v-71). Nous
remercions Gilbert Fournier d’avoir attiré notre attention sur cette source.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 41 10/04/2017 16:31


42 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

peuvent être comparées avec les grandes maisons du Quartier latin. Or, tout
porte à croire que ce souci de conservation n’est pas étranger à un contrôle
accru du Parlement de Paris sur ces institutions39. Si une telle relation devait se
confirmer, on comprendrait mieux pourquoi la Sorbonne n’a finalement pas
gardé ce type d’archives : indépendante et reconnue comme telle, elle n’avait,
au sens propre, de comptes à rendre à personne.
Parmi les actes de la pratique, il convient enfin d’évoquer les documents
produits par et pour la bibliothèque du collège, laquelle constitue le thème
central du présent ouvrage40. Les catalogues de la parva libraria et de la libraria
communis occupent ici une place à part41. Si ces deux instruments de gestion ne
furent réunis qu’au xviie siècle, ils datent, l’un comme l’autre, de la première
moitié du xive siècle : le catalogue de la « petite bibliothèque » est précisé-
ment daté de l’année 1338, tandis que le catalogue double de la « bibliothèque
commune » ne peut avoir été rédigé qu’après le règlement de 1321, qui le pré-
conise, et avant le catalogue de 1338, qui s’appuie sur lui42. Ces documents ne
sont pas exceptionnels par leur nature – on trouve des inventaires de même
type dans d’autres collèges parisiens43 –, mais par l’ampleur du fonds réper-
torié. En effet, les catalogues de la Sorbonne décrivent quelque 1 825 volumes,
ce qui dépasse de très loin la taille ordinaire des bibliothèques universitaires
médiévales44. Mais, en termes de rareté, c’est plutôt le registre de prêt de la

39. T. Kouamé, « Les collèges parisiens, acteurs de l’écriture : livres et registres au collège de
Dormans-Beauvais (xive-xve siècle) », Paris et Île-de-France. Mémoires, 63, 2012, p. 228-229.
40. En dehors des contributions réunies dans ce volume, nous renvoyons à l’étude de
G. Fournier, « Listes, énumérations, inventaires. Les sources médiévales et modernes de la
bibliothèque du collège de Sorbonne (Première partie : Les sources médiévales) », Scriptorium,
65, 2011, p. 158-215.
41. BNF, nouv. acq. lat. 99, édité par L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque natio-
nale, Paris, 1868-1881, III, p. 8-114. Ce manuscrit, acquis par la Bibliothèque nationale entre
1924 et 1928, faisait autrefois partie des collections de la bibliothèque de l’Arsenal (ms. 1223).
42. Sur ces sources très commentées, nous renvoyons aux travaux de R. H. Rouse, « The Early
Library of the Sorbonne », Scriptorium, 21, 1967, p. 42-71 et 227-251 ; M. A. et R. H. Rouse, « La
bibliothèque du collège de Sorbonne », dans Histoire des bibliothèques françaises, I, A. Vernet,
dir., Les bibliothèques médiévales. Du vie siècle à 1530, Paris, 1989, p. 113-123 ; G. Fournier,
« Listes, énumérations, inventaires », art. cité, en part. p. 164-170, 187-195.
43. Voir la contribution de Karine Klein dans le présent volume. Pour les xive et xve siècles,
on conserve les inventaires de bibliothèques de six collèges parisiens, en plus de la Sorbonne
et des facultés de médecine et de décret, sans compter ceux de cinq collèges du Midi et d’une
université de province (M.-H. Jullien de Pommerol, « Livres d’étudiants, bibliothèques de
collèges et d’universités », dans Histoire des bibliothèques françaises, op. cit., I, p. 93-111, ici p. 97).
44. L. Grenier-Braunschweig, « La prisée des manuscrits du collège de Sorbonne au
Moyen Âge », dans Mélanges offerts à Gérard Oberlé pour ses 25 ans de librairie : 1967-1992, s. l.,
1992, p. 327-341, ici p. 329. Pour une comparaison avec les autres bibliothèques européennes,

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Thierry Kouamé 43

bibliothèque de la Sorbonne (1402-1536) qui constitue une exception45. Cet


instrument de gestion est en fait composé de deux registres, reliés ensemble
dans le premier quart du xvie siècle : le premier avait été utilisé de 1404 à 1530
et le second de 1522 à 153646. L’enregistrement régulier des emprunts de livres
dans un volume à part et sur une si longue période est un cas unique pour les
collèges médiévaux47. Ainsi, à la Sorbonne comme ailleurs, les archives du
temporel se trouvent partagées entre une série de sources omniprésentes et
pléthoriques – les titres en tous genres – et des documents rares ou même
uniques, qui présentent, semble-t-il, un plus grand intérêt historique. La
manière dont furent dispersées ces archives médiévales rend d’ailleurs par-
faitement compte de cette dichotomie. En effet, à l’instar des autres collèges
parisiens, les archives de la Sorbonne furent saisies à la Révolution française
et versées en grande partie aux Archives nationales. Or, certains registres, déjà
conservés à la bibliothèque du collège, rejoignirent le fonds de la Sorbonne
à la Bibliothèque nationale (lat. 15176-16718)48. D’autres enfin, qui avaient
excité la convoitise des érudits modernes, furent soustraits aux collections du
collège avant même la Révolution. Ainsi, les catalogues des bibliothèques,
les registres de prêt et le Livre des prieurs échouèrent, dès l’époque moderne,
à l’Arsenal, à la Mazarine et à la Bibliothèque du roi49. Mais ces subtilisations
révélaient, en fin de compte, l’originalité archivistique et l’importance

voir C. Angotti, « Naissance des bibliothèques universitaires », dans É. Vallet, S. Aube


et T. Kouamé, dir., Lumières de la sagesse. Écoles médiévales d’Orient et d’Occident, Paris, 20 13,
p. 239-245.
45. Bibl. Mazarine, ms. 3323, édité par J. Vielliard et M.-H. Jullien de Pommerol, Le
registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, 1402-1536, Paris, 2000.
46. Ibid., p. 63. Sur ces deux registres, voir en dernier lieu G. Fournier, « Listes, énuméra-
tions, inventaires », art. cité, p. 210-214.
47. Le « registre de prêt » de Merton College couvre une période beaucoup plus courte (1408-
1436) et ne contient qu’une liste récapitulative et non l’inscription des emprunts au fur et à
mesure des sorties de livres (J. Vielliard et M.-H. Jullien de Pommerol, Le registre de prêt,
op. cit., p. 43-44).
48. Il s’agit en particulier du cartulaire médiéval (lat. 16069) et du Liber prioris (lat. 16574). On
sait qu’au milieu du xviiie siècle, Jean-Baptiste Ladvocat († 1765) fit transférer à la biblio-
thèque l’original du Liber prioris, comme l’atteste le titre de la copie qui prit sa place aux
archives : « Copie des statuts de Robert de Sorbonne. L’original a été mis avec les manuscrits
par M. Ladvocat, bibliothécaire » (BNF, lat. 9961, plat avant).
49. Le parcours du Livre des prieurs nous est connu grâce à Gayet de Sansale, le dernier bibliothé-
caire du collège de Sorbonne (R. Marichal, Le Livre des prieurs, op. cit., p. 10). Imprudemment
prêté aux frères Dupuy, il fut légué à la Bibliothèque du roi avec les autres livres de Jacques
Dupuy († 1656). Ne pouvant plus récupérer l’original (lat. 5494A), la Sorbonne dut se résoudre
à en faire exécuter une copie dans la seconde moitié du xviiie siècle (lat. 16070).

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44 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

historique d’un collège qui avait fini par devenir le siège de la faculté de théo-
logie de Paris.

L’influence des statuts de la Sorbonne sur ceux des autres collèges


Les statuts des collèges parisiens ne peuvent être interprétés qu’en lien
avec le développement considérable de la réglementation collégiale à la
fin du Moyen Âge. Or, on sait qu’à cette époque, les statuts de Robert de
Sorbon étaient connus des fondateurs de collèges et pouvaient constituer un
modèle institutionnel. Mais on peine à identifier le cheminement exact de ces
emprunts. Il est en effet difficile de déterminer s’il s’agissait de copies littérales
des statuts ou d’une inspiration plus indirecte, peut-être tirée d’une expérience
vécue du règlement de la Sorbonne. Il semble en outre qu’assez peu de copies
médiévales de ce texte soient parvenues jusqu’à nous. En dehors de la version
transmise par le Liber prioris, on ne peut en effet en citer que deux. Il s’agit
tout d’abord d’une version des statuts de Robert de Sorbon copiée dans un
manuscrit du xive siècle, contenant des traités de comput et des tables astro-
nomiques50. Ce volume, qui avait appartenu au président Jacques-Auguste
de Thou († 1617), fut acquis par Colbert en 1679, avant d’échoir en 1732 à la
Bibliothèque du roi51. Il n’est pas exclu que ce manuscrit ait été soustrait aux
collections de la Sorbonne pendant les dispersions du xvie siècle52. Mais nous
ne sommes parvenu à retrouver cet exemplaire ni dans les catalogues, ni dans

50. BNF, lat. 7422, fol. 31-35. Ce manuscrit sur parchemin est en fait constitué de deux
membra disjecta reliés ensemble. La première partie (A) est elle-même composée de plusieurs
cahiers écrits par des mains du début du xive siècle : on y trouve la Compilatio elucidans compu-
tum manualem (1289) de Johannes de Pulchro Rivo ou de Brunswick (fol. 1ra-4vb), la table de
Gerland, précédée de son canon et suivie du Cisiojanus (fol. 5ra-6v), le commentaire du même
Jean de Brunswick sur le Computus manualis « absque cifra » (fol. 7ra-16rb), un commentaire sur
le Computus de Johannes de Sacrobosco (fol. 17ra-29va), un autre sur l’Algorismus du même
Sacrobosco (fol. 29va-30va) et les statuts de la Sorbonne (fol. 31ra-35rb), qui, bien qu’écrits
d’une autre main, appartiennent à la même unité codicologique que les deux traités précédents
(à savoir un quaternion et un quinion, auquel a été rajouté le fol. 25). Quant à la seconde partie
(B), qui semble plutôt dater de la première moitié du xiiie siècle, elle contient une variante de
la version Quoniam cujusque actionis des canons des tables de Tolède (fol. 36-54), suivie desdites
tables (fol. 55v-91) et d’un calendrier sans doute méridional (fol. 92v-98), qui occupe le dernier
cahier du volume. Pour la description du manuscrit, voir F. S. Pedersen, The Toledan Tables: A
Review of the Manuscripts and the Textual Versions with an Edition, Copenhague, 2002, I, p. 161-162 ;
II, p. 349 ; III, p. 801.
51. L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., I, p. 471 et 485.
52. De Thou avait notamment acquis la plupart des anciens manuscrits de Pierre Pithou (ibid.,
I, p. 470). On sait par ailleurs que les moines de Corbie l’avaient accusé de s’être allègrement
servi dans leur bibliothèque (ibid., II, p. 133-134).

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Thierry Kouamé 45

les registres de prêt de la bibliothèque du collège. L’identification par inci-


pit/explicit ou par indication de prisée est d’autant plus délicate que la partie
du volume contenant les statuts de Robert de Sorbon était reliée, à l’origine,
avec un autre manuscrit qui n’a pas non plus été retrouvé53. Lorsqu’on observe
le plan initial du volume qui se terminait par les statuts de la Sorbonne, on
est frappé par la grande cohérence du programme suggéré par cette collec-
tion : d’abord les articles de la foi, puis l’ontologie, avec les traités de base
de Thomas d’Aquin († 1274) et Gilles de Rome († 1316), la géométrie, avec
Johannes de Sacrobosco († vers 1250) et Campanus Novariensis († 1296),
l’arithmétique et le comput, avec Jean de Brunswick (fin du xiiie siècle) et
Johannes de Sacrobosco54. Il s’agit donc d’un florilège d’auteurs en vogue à
l’université de Paris au tournant des xiiie et xive siècles, structuré par un pro-
jet éducatif artien, clairement orienté vers le quadrivium. On peut imaginer que
le possesseur de ce manuscrit portatif (180 × 130 mm) avait souhaité rappor-
ter de son séjour parisien une série de petits traités pouvant servir de base à un
enseignement des arts dans une école capitulaire ou un couvent mendiant55.
Si tel était le cas, il est intéressant de noter qu’on a jugé utile de joindre à
cette collection les statuts de Robert de Sorbon, qui, bien que destinés à un
collège de théologiens, devaient déjà être considérés comme un modèle de
vie commune dans le milieu universitaire parisien56. La seconde copie des
statuts de la Sorbonne se trouve dans un manuscrit composé au xve siècle

53. La table des matières de la partie (A) décrit ainsi le contenu de ce membrum disjectum dis-
paru : le volume originel débutait par un Liber de probationibus articulorum fidei, qui pourrait cor-
respondre au Liber de articulis fidei (1296) ou au Liber ad probandum aliquos articulos fidei catholicae
(1304) de Raymond Lulle, suivi par le De peccato originali (1271-1278) de Gilles de Rome, le De
ente et essentia (1252-1256) de Thomas d’Aquin, les Theoremata de esse et essentia (1278-1286) de
Gilles de Rome, un commentaire du De sphera de Johannes de Sacrobosco et le De quadratura cir-
culi de Campanus Novariensis (BNF, lat. 7422, fol. 35v). Or nous n’avons trouvé aucun manus-
crit contenant la combinaison de ces œuvres dans les listes dressées par leurs éditeurs : Sancti
Thomae de Aquino opera omnia jussu Leonis XIII P. M. edita, XLIII, Rome, 1976, p. 322-333 (De ente
et essentia) ; Aegidii Romani Theoremata de esse et essentia, E. Hocedez, éd., Louvain, 1930, p. 117-
127 ; F. del Punta, dir., Aegidii Romani opera omnia, I, Prolegomena, 1, Catalogo dei manoscritti,
Florence, 1987-1998, 1, 2*, 2**, 3*, 3** et 5*. Nous tenons à remercier Claire Angotti, Monica
Brînzei, Gilbert Fournier et Martin Morard pour les renseignements qu’ils nous ont fournis.
54. Voir, dans l’ordre, les n. 53 et 50 pour la description des œuvres du volume originel.
55. Cette hypothèse nous a été suggérée par Monica Brînzei que nous remercions pour ses
conseils.
56. La description des statuts dans la table des matières est, de ce point de vue, tout à fait signi-
ficative : Statuta a bonorum consilio instituta domus de Sorbona, consuetudines pacis ac regule honestatis ad
famam provisoris (sous la ligne : bonam) sociorumque domus observandam (BNF, lat. 7422, fol. 35v).

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46 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

pour les procureurs mineurs du collège 57. Le volume faisait sans doute
encore partie des archives du collège, lorsque le bureau du triage des titres
le confia le 22 février 1798 (4 ventôse an VI) au conservateur des manuscrits
de la Bibliothèque nationale58. Il reste que, dans un cas comme dans l’autre,
ces deux manuscrits ne renferment que des copies partielles et remaniées du
texte transcrit dans le Liber prioris. Le lat. 7422 offre une version différente
de la 1re partie des statuts primitifs, à laquelle le scribe a joint une copie de
l’ordonnance de juin 1293 sur la surveillance et la bonne tenue du personnel
domestique. Quant au lat. 10983, il ne contient que les 2e et 3e parties de ces
mêmes statuts, complétées par des extraits des ordonnances de juin 1293 et
juin 129759. Mais, quel que soit l’usage effectif de ces deux manuscrits, ils ne
peuvent expliquer à eux seuls la diffusion des règlements de la Sorbonne, dont
on trouve des mentions explicites dans les statuts d’autres collèges parisiens.
Entre le xive et le xve siècle, on connaît en effet au moins sept textes sta-
tutaires faisant explicitement référence à la Sorbonne. Il s’agit des statuts
des collèges d’Harcourt (1311), de Bayeux (1315), de Tours (1339), de Justice
(1358), de Maître Gervais (1378), des Lombards (av. 1392) et de Sées (1428).
Les règlements des collèges d’Harcourt, de Justice, de Maître Gervais et des
Lombards renvoient aux dispositions de la pars secunda des statuts primitifs
qui prescrivent une collecte auprès des sociétaires pour les dépenses com-
munes60. Quant aux collèges de Bayeux, de Tours et de Sées, ils évoquent la
Sorbonne comme un modèle statutaire auquel on pourrait se référer en cas
d’ambiguïté ou de silence des statuts61. On peut d’ores et déjà remarquer
que les statuts d’Harcourt, de Justice, de Maître Gervais et des Lombards
mentionnent la Sorbonne seule, alors que les autres l’associent au collège
d’Harcourt62. Surtout, ces références semblent souvent indirectes. En ce qui
concerne les collectae, les statuts des collèges de Justice, de Maître Gervais et

57. BNF, lat. 10983, fol. 9-20v. La destination du volume est révélée par son colophon : Iste libel-
lus est ad usum parvorum procuratorum collegii de Sorbona (ibid., fol. 21v).
58. BNF, département des Manuscrits, Arch. modernes 4921, fol. 23. La portion de la liste où
figure ce volume a pour titre « Augustins déchaussés », ce qui laisserait entendre qu’il serait
issu de la bibliothèque des Petits-Pères de Notre-Dame-des-Victoires. Mais ce couvent, désaf-
fecté depuis 1791, aurait tout aussi bien pu servir de dépôt pour des saisies provenant d’autres
établissements parisiens. Cette liste mentionne d’ailleurs une seconde copie des statuts de la
Sorbonne (fol. 22v), dont la description correspond à celle du manuscrit lat. 9961, qui avait
lui-même appartenu aux archives du collège (voir supra, n. 48).
59. Les statuts de la Sorbonne doivent faire l’objet d’une réédition complète dans le cadre du
Gabriel Project (voir infra, n. 105).
60. Annexe, no 1, 4, 5 (cap. XVII), 6.
61. Annexe, no 2, 3, 7.
62. Annexe, no 2, 3, 5 (cap. XII), 7.

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Thierry Kouamé 47

des Lombards citent presque mot pour mot ceux du collège d’Harcourt. Il en
va de même pour les statuts du collège de Tours, qui reprennent ceux du col-
lège de Bayeux63. En fait, il s’agit moins d’une citation directe des statuts de
la Sorbonne que d’une chaîne de références à l’intérieur de la règlementation
collégiale parisienne64. Dans le cas présent, une logique régionale semble en
plus présider à ces citations. Les collèges de Bayeux, Justice, Maître Gervais et
Sées ont en effet été fondés par des prélats normands et, plus que l’autorité
de la Sorbonne, c’est celle du collège d’Harcourt, siège de la nation normande
de l’université de Paris, qui est ici invoquée. On le voit clairement avec les sta-
tuts du collège de Sées, qui évoquent non seulement la Sorbonne, mais aussi
deux autres fondations normandes : les collèges d’Harcourt et de Bayeux. Il
convient donc d’interpréter ces mentions explicites avec beaucoup de pru-
dence, même s’il est probable que la Sorbonne ait inspiré directement ou
indirectement nombre d’établissements parisiens. Pour autant, son influence
généralement supposée n’est pas toujours univoque, comme on peut le voir à
travers quelques exemples.
À l’instar de Robert de Sorbon, plusieurs fondateurs de collèges ont limité
au maximum les occasions données aux boursiers de manger à part. En effet,
les premiers statuts de la Sorbonne encadraient strictement les repas pris
en chambre : ils devaient être exceptionnels, ne pas nuire à la communauté,
être soumis au contrôle du prieur et ne pas perturber les études, même si des
dérogations étaient prévues pour les hôtes de marque et les boursiers malades
ou convalescents65. On trouve les mêmes dispositions dans les statuts des
collèges d’Harcourt (1311), de Bayeux (1315), de Navarre (1316) et de Laon
(1327)66. Quant à ceux du collège d’Autun (1341), ils prévoyaient encore des
sanctions pour les boursiers qui mangeaient en chambre ou en ville, ou qui
arrivaient à table après les grâces67. Mais force est de constater que, dans ce
domaine, les collèges séculiers s’inspiraient surtout de la pratique monas-
tique, représentée à l’Université par les collèges réguliers. Ainsi, dans nombre
d’établissements, les boursiers devaient manger en silence, pendant que l’un
d’eux était désigné chaque semaine pour lire la Bible, comme le prescrivait

63. Annexe, no 2, 3.


64. Voir supra, n. 7.
65. P. Glorieux, Aux origines, op. cit., I, p. 193-194, no 1.
66. Henri-Louis Bouquet, L’ancien collège d’Harcourt et le lycée Saint-Louis, Paris, 1891, p. 583-584 ;
M. Félibien et G.-A. Lobineau, Histoire de la ville de Paris, op. cit., V, p. 627 ; J. de Launoy,
Regii Navarrae gymnasii Parisiensis historia, Paris, 1677, p. 29-30 ; C. Fabris, Étudier et vivre à Paris
au Moyen Âge. Le collège de Laon (xive-xve siècles), Paris, 2005, p. 314.
67. D. Sanderlin, The Mediaeval Statutes, op. cit., p. 50-51.

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48 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

déjà le chapitre 38 de la règle bénédictine68. Robert de Sorbon apparaît donc


ici plus comme un précurseur que comme l’unique inspirateur de cette muta-
tion culturelle qui tendit à faire du modèle monastique le paradigme de la vie
commune des boursiers. On assiste à un phénomène comparable en ce qui
concerne la gestion des revenus et des biens.
Dans la plupart des collèges parisiens, les boursiers géraient eux-mêmes
les dépenses courantes de la communauté, à la manière des sorbonistes, qui
élisaient, trois fois par an, leurs procureurs mineurs et assuraient à tour de
rôle la charge de prévôt semainier69. Mais, si les statuts de la Sorbonne contri-
buèrent à diffuser cette pratique dans les établissements séculiers, il s’agis-
sait, là encore, d’un modèle d’origine monastique70. De même, l’obligation
pour ces gestionnaires de dresser des inventaires de biens apparut dans les
statuts de Robert de Sorbon avant d’être largement répandue dans la plu-
part des collèges des xive et xve siècles71. En revanche, l’exigence de rendre
publiquement des comptes fut introduite plus tard : sa première mention
parisienne remonte aux statuts du collège du Cardinal Lemoine ( 1302), qui
prévoyaient deux redditions annuelles devant le prieur et les boursiers théo-
logiens72. Cette mesure fut notamment reprise par les statuts des collèges

68. Si le silence à table et le lecteur de semaine figurent dans les statuts de la Sorbonne
(P. Glorieux, Aux origines, op. cit., I, p. 196, no 1, p. 198, no 2), on rencontre aussi de tels lec-
teurs aux collèges du Cardinal Lemoine (M. Félibien et G.-A. Lobineau, Histoire de la ville de
Paris, op. cit., V, p. 610), d’Harcourt (H.-L. Bouquet, L’ancien collège d’Harcourt, op. cit., p. 582),
d’Autun (D. Sanderlin, The Mediaeval Statutes, op. cit., p. 54), de l’Ave Maria (A. L. Gabriel,
Student Life in Ave Maria College, Mediaeval Paris. History and Chartulary of the College, Notre Dame
(Ind.), 1955, p. 329), de Boncourt (M. Félibien et G.-A. Lobineau, Histoire de la ville de
Paris, op. cit., III, p. 442), de Boissy (P. Féret, La faculté de théologie de Paris et ses docteurs les plus
célèbres. Moyen Âge, Paris, 1894-1897, III, p. 617), de Dormans-Beauvais (T. Kouamé, Le collège de
Dormans-Beauvais à la fin du Moyen Âge. Stratégies politiques et parcours individuels à l’université de Paris
(1370-1458), Leyde-Boston, 2005, p. 619) et des Lombards (annexe, no 6).
69. P. Glorieux, Aux origines, op. cit., I, p. 197-201, no 2.
70. On pense aux charges hebdomadaires que se répartissaient les moines : hebdomadier de
l’office, chantre de semaine ou semainier de la cuisine (G. Le Bras, dir., Histoire du droit et des
institutions de l’Église en Occident, X, J. Hourlier, L’âge classique, 1140-1378. Les religieux, Paris,
1971, p. 335).
71. Les procureurs mineurs devaient faire l’inventaire écrit de la vaisselle et des ustensiles
qu’ils recevaient de leurs prédécesseurs, afin de les restituer intégralement à leurs successeurs
(P. Glorieux, Aux origines, op. cit., I, p. 198, no 2). Les statuts du collège d’Autun (1341) préci-
saient que le maître devait réaliser son inventaire devant une personne publique, dans les six
jours suivant son investiture (D. Sanderlin, The Mediaeval Statutes, op. cit., p. 52-53). Quant à
ceux de l’Ave Maria (1346), ils exigeaient non seulement que le chapelain fasse un inventaire
détaillé du mobilier à son entrée et à sa sortie de charge, mais imposaient en plus une ostensio
hebdomadaire des livres du collège (A. L. Gabriel, Student Life, op. cit., p. 331, 359).
72. M. Félibien et G.-A. Lobineau, Histoire de la ville de Paris, op. cit., V, p. 609.

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Thierry Kouamé 49

d’Harcourt (1311), de Laon (1327), d’Autun (1341) et de Dormans-Beauvais


(1370)73. Dans l’intervalle, deux règlements de la Sorbonne avaient imposé
des redditions hebdomadaires (1304) et l’enregistrement de ces comptes par
les prévôts semainiers (1318)74. Si les sorbonistes avaient lancé le mouvement,
ils s’adaptèrent donc, eux aussi, à ces nouvelles exigences de gestion. L’intérêt
croissant pour l’administration financière des collèges séculiers s’inscrivait
en effet dans le développement concomitant de la législation pontificale en
matière hospitalière. La constitution Quia contingit (1312) exigeait notam-
ment que les recteurs d’hôpitaux dressent des inventaires de biens et rendent
compte annuellement de leur administration, à la manière des tuteurs et des
curateurs75. Clément V généralisait en fait des pratiques déjà bien diffusées
dans les hôpitaux du début du xive siècle, la reddition annuelle des comptes
ayant été prescrite dès 1260, au concile d’Arles76. Or, d’un point de vue stric-
tement canonique, le collège séculier n’était rien d’autre que l’équivalent uni-
versitaire de la domus pauperum. Ainsi, même en restant fidèles au modèle de
la Sorbonne, les fondateurs de collèges parisiens ne restaient pas insensibles
aux évolutions du siècle.
Si l’influence sorboniste est généralement admise, il faut toutefois noter
que, dans certains cas, les statuts du xive siècle allaient à l’encontre des pra-
tiques du plus célèbre établissement de Paris. On le voit notamment avec la
rémunération des officiers. En effet, jusqu’au premier tiers du xive siècle,
la plupart des collèges parisiens fonctionnaient suivant la coutume de la
Sorbonne, où régnait le principe de la gratuité des offices. À cette date, il
n’y avait guère qu’une fondation aussi riche que celle de Jeanne de Navarre
(† 1305) pour offrir au grand maître de son collège une bourse hebdomadaire
de 20 sous parisis, alors que les simples boursiers devaient se contenter de 4 à
8 sous par semaine77. Les statuts du collège d’Harcourt (1311) n’accordaient,
dans le même temps, que des gratifications modiques aux boursiers assumant

73. H.-L. Bouquet, L’ancien collège d’Harcourt, op. cit., p. 588 ; C. Fabris, Étudier et vivre à Paris,
op. cit., p. 316 ; D. Sanderlin, The Mediaeval Statutes, op. cit., p. 48 ; T. Kouamé, Le collège de
Dormans-Beauvais, op. cit., p. 616-617.
74. P. Glorieux, Aux origines, op. cit., I, p. 207, no 10, p. 211-212, no 17. Voir supra, n. 36.
75. Conc. Vienne (1311-1312), c. 17 (G. Alberigo et al., Les conciles œcuméniques, Paris, 1994,
II1, p. 774-778), inséré dans Clem., 3, 11, 2 (Corpus Juris Canonici, E. Friedberg, éd., Leipzig,
1879, II, col. 1170-1171).
76. J. Imbert, Les hôpitaux en droit canonique (du décret de Gratien à la sécularisation de l’administration
de l’Hôtel-Dieu de Paris en 1505), Paris, 1947, p. 246-247, 255.
77. Cette disposition figure dans les statuts de 1316 (J. de Launoy, Regii Navarrae gymnasii,
op. cit., p. 25).

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50 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

des charges pour la communauté78. La revalorisation s’amorce dans les statuts


du collège de Bourgogne (1332), qui fixent la bourse hebdomadaire du maître
à 6 sous parisis, soit le double de celle d’un simple boursier79. Ceux du collège
d’Autun (1341) confirment cette tendance en accordant au maître 5 sous pari-
sis de plus que les 5 sous dépensés pour son entretien80. Le rapport du simple
au double entre la bourse de l’écolier et celle du maître semble ainsi s’imposer
dans les statuts de la fin du Moyen Âge81. Si ces sommes n’ont rien d’excessif,
la perception d’une bourse n’interdisait pas celle d’autres revenus, ce qui pou-
vait faire des offices de collèges des charges lucratives. Dans le même ordre
d’idée, les fondateurs du xive siècle ne cessèrent de réduire le domaine de
recrutement de leurs boursiers, ce qui entrait en totale contradiction avec le
modèle cosmopolite de la Sorbonne. Si le recrutement du collège de Navarre
(1305) s’étendait en principe à l’ensemble du royaume82, le collège de Boncourt
(1357) ne recrutait, quant à lui, que dans le seul diocèse de Thérouanne,
amputé, de surcroît, de tout le pays flamand83. Certains fondateurs pous-
saient même la caricature à réserver leurs bourses aux seuls membres de leur
famille ou aux rares habitants de leur village natal84. Ce localisme, en partie
lié à la taille modeste des fondations du xive siècle, n’en révélait pas moins les
limites de l’idéal sorboniste d’un recrutement universel, tout en mettant l’ac-
cent sur son caractère exceptionnel dans le cadre parisien. L’image contras-
tée de l’influence de la Sorbonne sur les statuts des autres collèges invite
donc à s’interroger sur la place de cette institution au sein de l’Université.

78. Le prieur et le procureur majeur des théologiens recevaient 20 deniers parisis de plus par
semaine, le principal et le procureur majeur des artiens 12 deniers, le procureur mineur des
théologiens 10 deniers et le procureur mineur des artiens 6 deniers (H.-L. Bouquet, L’ancien
collège d’Harcourt, op. cit., p. 588-589).
79. M. Félibien et G.-A. Lobineau, Histoire de la ville de Paris, op. cit., V, p. 638.
80. D. Sanderlin, The Mediaeval Statutes, op. cit., p. 49.
81. C’était encore le cas au collège de Dormans-Beauvais (1370), où la bourse hebdomadaire
du maître s’élevait à 8 sous parisis, alors que celle du simple boursier était fixée à 4 sous
(T. Kouamé, Le collège de Dormans-Beauvais, op. cit., p. 58).
82. Les statuts de 1316 avaient toutefois prévu des quotas de recrutement par province :
15 boursiers devaient être originaires de Champagne, 12 du reste de la province de Sens, 10 du
reste de la partie française de la province de Reims, 10 de la province de Rouen, 11 de la pro-
vince de Tours, 6 de la province de Bourges, 4 de la partie française de la province de Lyon et 2
de la province de Narbonne (N. Gorochov, Le collège de Navarre de sa fondation (1305) au début du
xve siècle (1418). Histoire de l’institution, de sa vie intellectuelle et de son recrutement, Paris, 1997, p. 156).
83. M. Félibien et G.-A. Lobineau, Histoire de la ville de Paris, op. cit., III, p. 441.
84. Comme on peut le voir dans les chartes de fondation du collège Mignon (P. Guyard, « La
fondation du collège Mignon », BEC, 151, 1993, p. 275-288, ici p. 286) et du collège de Boissy
(C. Égasse du Boulay, Historia Universitatis Parisiensis, Paris, 1665-1673, IV, p. 354).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 50 10/04/2017 16:31


Thierry Kouamé 51

La place de la Sorbonne dans le système universitaire parisien


Il convient tout d’abord de rappeler que, pour être prestigieuse, la fondation
de Robert de Sorbon n’était pas la plus importante du Quartier latin. On peine
à connaître exactement les effectifs du collège dans la mesure où, en dehors
des officiers, les premiers statuts n’indiquent que la présence de sociétaires,
boursiers ou non-boursiers, sans en préciser le nombre. C’est pourquoi les
historiens n’avancent jamais de chiffres précis, leurs estimations variant de
16 à 36 sociétaires, selon les auteurs85. Il est probable que l’indétermination
des statuts permettait à la communauté d’adapter son effectif au montant réel
de ses revenus. Le compte d’une collecte levée par l’Université en 1329-1330
permet toutefois de connaître, à cette date, les effectifs de la Sorbonne avec
certitude : l’établissement y déclare 38 sociétaires, dont 19 boursiers86. Or,
à la même époque, on comptait 24 boursiers au collège du Trésorier, 36 aux
Cholets, 40 à Harcourt et 70 à Navarre87. Par la suite, d’autres fondations
comprirent plus de 20 boursiers, comme les collèges de Dormans-Beauvais
(24 boursiers), de Maître Gervais (26 boursiers) ou de Lisieux (36 boursiers).
On peut bien sûr objecter que la Sorbonne restait le premier collège en nombre
de théologiens, puisqu’il n’y avait en fait que 16 bourses en théologie aux
Cholets et 12 dans les collèges d’Harcourt, de Lisieux ou du Trésorier. Mais,
en se limitant aux seuls boursiers, la Sorbonne du début du xive siècle passait
encore derrière le collège de Navarre, qui disposait de 20 bourses en théologie.
Cette concurrence entre collèges de théologiens n’a pas manqué d’entrete-
nir une émulation dans l’accès aux grâces pontificales. Sur les treize rotuli sou-
mis aux papes par des collèges parisiens, seuls deux le furent par la Sorbonne :
l’un, daté de 1343, comptait 23 suppliques ; l’autre, de 1378, en contenait 21.
Mais cette institution ne fut ni la première à le faire, ni celle qui en envoya le
plus, ni même celle qui se vit accorder le plus grand nombre de grâces. En
effet, le collège du Trésorier composa son premier rotulus dès 1342. Quant à

85. Les comparaisons sont d’autant plus délicates que les auteurs n’adoptent pas toujours
la même unité de mesure (chambres, sociétaires, boursiers), si tant est qu’elle soit explicite.
Ainsi, le nombre de chambres serait passé de 25 à 36, selon O. Gréard (Nos adieux à la vieille
Sorbonne, Paris, 1893, p. 30), tandis que le nombre de boursiers aurait oscillé entre 16 et 36,
selon P. Glorieux (Aux origines, op. cit., I, p. 95).
86. W. J. Courtenay, Parisian Scholars in the Early Fourteenth Century. A Social Portrait, Cambridge,
1999, p. 221. Ce document avait déjà été indiqué par P. Glorieux, Aux origines, op. cit., I, p. 95,
n. 11.
87. Il s’agit ici des effectifs statutaires, sauf pour le collège de Navarre dont le nombre de bour-
siers est confirmé par le computus de 1329-1330 (W. J. Courtenay, Parisian Scholars, op. cit.,
p. 230). Pour les effectifs des collèges parisiens, voir le tableau récapitulatif de J.-P. Babelon,
Nouvelle histoire de Paris. Paris au xvie siècle, Paris, 1986, p. 519-522.

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52 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

celui des Cholets, il en présenta trois pour un total de 59 suppliques88. Cette


compétition était encore plus rude pour obtenir les meilleures places à la
licence en théologie. Entre 1373 et 1500, on connaît le classement de 74 pro-
motions de licence et l’établissement d’origine de 37 majors89. Parmi eux,
trois venaient du collège des Cholets, quatre du collège d’Harcourt, sept de la
Sorbonne, mais vingt du collège de Navarre, soit plus de la moitié des majors
identifiés90. Or, l’écrasante domination des navarristes parmi les premiers à la
licence n’était pas seulement due au fait qu’ils fournissaient plus de candidats
que les autres. Les licenciés de Navarre étaient en effet moins nombreux que
ceux de la Sorbonne : sur les 461 licenciés séculiers de la période, 122 à 127
étaient issus de la Sorbonne (27 %) et 109 de Navarre (24 %)91. Mais les navar-
ristes bénéficiaient au xve siècle d’une réputation d’excellence, fondée sur
le prestige d’anciens maîtres ou boursiers tels que Nicole Oresme († 1382),
Pierre d’Ailly († 1420) ou Jean Gerson († 1429). Si le collège de Navarre sur-
passait de loin la Sorbonne dans la réussite à la licence en théologie, il n’est
pas étonnant que la direction de cet établissement ait elle-même attiré les
meilleurs licenciés : entre 1422 et 1500, sur les onze majors de la licence qui
gouvernèrent un collège parisien, cinq officièrent à Navarre et seulement un
à la Sorbonne92. La domination de cette dernière sur le monde universitaire
parisien, et en particulier sur les autres grandes maisons du Quartier latin,
était donc plus partagée qu’on s’est longtemps plu à le croire93.

88. On sait qu’au moins huit établissements parisiens ont envoyé des rotuli aux papes : en
dehors de la Sorbonne (1343 et 1378), il s’agit des collèges du Trésorier (1342, 1364 et 1365),
des Cholets (1364, 1387 et 1394), d’Harcourt (1365), de Navarre (1394), de Tréguier (1395), de
Laon (1403) et de Dormans-Beauvais (1403). Les rotuli datés de 1342 à 1387 ont été édités par
W. J. Courtenay et E. D. Goddard, Rotuli Parisienses. Supplications to the Pope from the University
of Paris, Leyde-Boston, 2002-2013, I, p. 175-176, 191-199 ; II, p. 260-270 ; III, p. 31-36, 725-733.
Ceux de 1394 à 1403 ont été indiqués par J. Verger, Les registres des suppliques comme source de
l’histoire des universités. Introduction et essai d’inventaire pour la période du Grand Schisme (1378-1417),
mémoire de l’EFR, Rome, 1972, p. 118.
89. T. Sullivan, Parisian Licentiates in Theology, A.D. 1373-1500. A Biographical Register, Leyde-
Boston, 2004-2011, II, p. 9-44.
90. Les trois majors restants venaient des collèges du Cardinal Lemoine, de Maître Gervais et
du Trésorier.
91. T. Sullivan, Parisian Licentiates, op. cit., II, p. 558-560. Ces effectifs peuvent toutefois être
révisés à la marge, car les listes de Thomas Sullivan comprennent parfois des affiliations à deux
collèges ou des affiliations postérieures à l’obtention de la licence.
92. Id., « Merit Ranking and Career Patterns: The Parisian Faculty of Theology in the Late Middle
Ages », dans Universities and Schooling in Medieval Society, W. J. Courtenay et J. Miethke, éd.,
Leyde, 2000, p. 127-163, ici p. 143.
93. Pour compléter ce tableau, il faudrait dresser la liste des procureurs, doyens et recteurs issus
des différents collèges parisiens, mais ce travail prosopographique n’a pas encore été réalisé.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 52 10/04/2017 16:31


Thierry Kouamé 53

Il reste néanmoins un domaine dans lequel la prééminence de la fonda-


tion de Robert de Sorbon ne fut jamais contestée. Il s’agit de sa monumen-
tale bibliothèque, conçue très tôt comme un bien au service de l’ensemble
de l’Université94. L’existence d’un tel instrument de travail est pour beaucoup
dans la place occupée par l’établissement au sein de la faculté de théolo-
gie, mais aussi dans l’influence qu’ont pu avoir ses pratiques pédagogiques
sur la mutation des collèges parisiens en institutions d’enseignement. Au
xive siècle, en effet, rares étaient les collèges séculiers qui pouvaient offrir des
cours à leurs propres boursiers. Si l’on se limite aux statuts de fondation, seuls
six établissements prévoyaient un tel enseignement, ce qui ne signifie pas que
des lectiones y avaient effectivement lieu95. Surtout, il a fallu attendre la fin du
xive siècle pour voir la première mention explicite du système de l’externat
dans un texte statutaire. En effet, les statuts du collège de Dormans-Beauvais
(1370) autorisent explicitement le maître et le sous-maître à accueillir des
auditeurs externes au collège : ces étudiants pouvaient suivre en journée les
cours normalement donnés aux seuls boursiers, contre le paiement d’un droit
annuel au procureur, en plus des honoraires qu’ils étaient libres de verser
aux enseignants96. On retrouve cette pratique, quelques années plus tard, au
collège de Navarre : si l’on en croit le témoignage d’un ancien boursier en
1448, ce serait Pierre du Parroy, maître des grammairiens à partir de 1396, qui
aurait ouvert les classes du collège à des étudiants extérieurs97. Or, l’externat,
qui préfigure le fonctionnement du collège moderne, s’inspirait très certai-
nement des usages de la Sorbonne, qui était parvenue, dès le xive siècle, à
transformer les repetitiones de ses sociétaires en exercices entrant dans le cur-
sus de la faculté de théologie – la fameuse dispute dite « sorbonique » – et en

94. C. Angotti, « Bonum commune divinius est quam bonum unius. Le collège de la Sorbonne et
sa bibliothèque, place et rôle dans l’université de Paris au xive siècle », dans Die universitären
Kollegien im Europa des Mittelalters und der Renaissance/Les collèges universitaires en Europe au Moyen Âge
et à la Renaissance, A. Sohn et J. Verger, éd., Bochum, 2011, p. 91-105.
95. Il s’agissait des collèges du Cardinal Lemoine (M. Félibien et G.-A. Lobineau, Histoire de
la ville de Paris, op. cit., V, p. 609), de Navarre, de Presles, de Bourgogne, de Dormans-Beauvais
et de Maître Gervais (S. Lusignan, « L’enseignement des arts dans les collèges parisiens au
Moyen Âge », dans L’enseignement des disciplines à la faculté des arts (Paris et Oxford, xiiie-xve siècles),
O. Weijers et L. Holtz, éd., Turnhout, 1997, p. 43-54, ici p. 53-54).
96. T. Kouamé, Le collège de Dormans-Beauvais, op. cit., p. 88.
97. J. de Launoy, Regii Navarrae gymnasii, op. cit., p. 159-160. Pierre du Parroy était par ailleurs
possesseur de plusieurs manuscrits qu’il légua aux théologiens du collège de Navarre (BNF,
lat. 16944 et 17975, nouv. acq. lat. 787 ; bibl. de l’Arsenal, mss 145 et 257 ; bibl. Mazarine,
ms. 89, 985, 1713 et 1717). Sa signature figure aussi sur des manuscrits provenant de l’abbaye
de Haute-Fontaine dans la Marne (bibl. Sainte-Geneviève, mss 49, 50, 51, 52, 53, 220 et 221).
Nous remercions Donatella Nebbiai pour tous ces renseignements.

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54 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

lectiones qui semblent avoir eu une certaine audience au sein de l’Université98.


En effet, la Sorbonne est sans nul doute le premier collège à avoir accueilli
un enseignement public à Paris, comme l’atteste une mention furtive dans
un rotulus de 136599. Cette pratique est encadrée, trois ans plus tard, par le
règlement du 26 avril 1368, qui fixe les tarifs auxquels sont désormais soumis
les sociétaires pour la location des écoles du collège100. L’exposé de l’acte est,
de ce point de vue, tout à fait significatif : ce statut entend mettre fin aux dis-
cordes naissant régulièrement entre les sorbonistes à cause de ces locations,
ce qui suppose que l’usage n’était pas nouveau ; il vise à conduire les maîtres
de la Sorbonne à ne plus enseigner en chambre, c’est-à-dire à titre privé, alors
que des écoles restent inoccupées, ce qui confirme que l’organisation d’un
enseignement public au sein de la maison procède bien d’une politique volon-
tariste ; surtout, il affecte le revenu des locations à l’entretien du mobilier de
la bibliothèque, créant ainsi un lien explicite entre la transformation du col-
lège en institution d’enseignement et la mise à disposition de sa bibliothèque
au profit de toute l’Université101. On comprend mieux, dans ces conditions,
que la Sorbonne ait très tôt été associée au prestige de la faculté de théologie.
Bien que n’étant pas le collège de théologiens le plus performant de Paris au
xve siècle, l’ancienneté de son enseignement et l’ampleur de sa bibliothèque
justifiaient à elles seules que Guillaume Fichet et Jean Heynlin y installent
la première imprimerie française (1470), trois ans avant celle de Lyon102.
Une quinzaine d’années plus tard, c’est encore à la Sorbonne que Pic de la

98. C. Angotti, « Présence d’un enseignement au sein du collège de Sorbonne : collationes,


disputationes, lectiones (xiiie-xive siècle). Bilan et hypothèses », Cahiers de recherches médiévales, 18,
2009, p. 89-111.
99. Dans leur rotulus du 14 juin 1365, les régents en théologie de Paris demandent à Urbain V
d’accorder une grâce à Johanni de Falisca, presbytero de Insula, Tornacensis diocesis, magistro in
artibus Parisius a xxiiii annis et ad presens in sacra theologia ibidem actu regenti in collegio de Sorbona
(W. J. Courtenay et E. D. Goddard, Rotuli Parisienses, op. cit., II, p. 281). Ce rotulus place
d’ailleurs sur le même plan le collège de Sorbonne et, à la supplique suivante, le couvent des
Cordeliers, comme lieux d’enseignement de la théologie à Paris.
100. BNF, lat. 16574, fol. 48v. Ce statut a été recopié au verso d’un feuillet de garde à la fin de
l’obituaire.
101. Une copie moderne de cet acte a été éditée par C. Jourdain, Index chronologicus charta-
rum pertinentium ad historiam Universitatis Parisiensis, Paris, 1862, p. 165, no 717, d’après BNF,
lat. 5493, fol. 241v-242.
102. J. Veyrin-Forrer, « Aux origines de l’imprimerie française. L’atelier de la Sorbonne et
ses mécènes (1470-1473) », dans Id., La lettre et le texte. Trente années de recherches sur l’histoire du
livre, Paris, 1987, p. 161-187.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 54 10/04/2017 16:31


Thierry Kouamé 55

Mirandole († 1494) vient s’initier à l’art de la dispute103. On peut donc penser


que c’est aux traditions de cette maison que l’illustre humaniste italien rend
ce vibrant hommage dans le prologue de ses Neuf cents conclusions (1486) : « Ce
n’est pas l’éclat de la langue romaine qui est imité dans ces leçons, mais l’art
oratoire des plus célèbres maîtres parisiens, puisque c’est celui qu’utilisent
presque tous les philosophes de notre temps104. »

Ce détour par le monde des collèges parisiens permet de mieux cerner la


place réelle de la Sorbonne dans la mutation de l’institution collégiale à la
fin du Moyen Âge. Contrairement au rôle traditionnel que lui assignait l’his-
toriographie, la force de l’établissement ne reposait pas essentiellement sur
une domination institutionnelle. En effet, l’importance prise par la vie com-
mune des boursiers dans la définition même du collège universitaire, qui se
traduisit notamment par l’identification de l’ensemble de l’institution à son
collegium, ne peut être imputée au seul modèle de la Sorbonne. Cette évolu-
tion révèle davantage la reconnaissance du statut social de ces communautés
dans leur espace urbain, selon une chronologie propre à chaque fondation.
Son influence supposée sur la règlementation des autres collèges est par ail-
leurs beaucoup moins univoque qu’on s’est plu à le croire. En l’absence d’une
édition complète et homogène des textes statutaires, il est souvent difficile
de déterminer si les emprunts relevaient de copies directes ou d’une inspi-
ration plus indirecte des coutumes de la Sorbonne105. Or, qu’il s’agisse de
l’obligation de faire table commune ou de gérer collectivement les dépenses
courantes, les solutions adoptées par Robert de Sorbon et ses successeurs
s’inscrivaient finalement dans un mouvement plus général d’acculturation
des communautés de boursiers au mode de vie monastique. Les sorbonistes
ont tantôt précédé, tantôt suivi cette évolution institutionnelle, de sorte qu’on

103. Il assiste aux disputationes de la Sorbonne entre l’été 1485 et le début de l’année 1486, ce qui
lui vaut plus tard d’être défendu par les théologiens de la Sorbonne, qui le considéraient comme
l’un des leurs (J. Pic de la Mirandole, Œuvres philosophiques, O. Boulnois et G. Tognon,
éd. et trad., 3e éd., Paris, 2004, p. xxix).
104. In quibus recitandis, non Romanae linguae nitorem, sed celebratissimorum Parisiensium disputatorum
dicendi genus est imitatus, propterea quod eo nostri temporis philosophi plerique omnes utuntur (J. Pic de
la Mirandole, 900 conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques, B. Schefer, éd. et
trad., Paris, 1999, p. 18). Nous avons légèrement modifié la traduction de Bertrand Schefer.
105. L’édition scientifique des statuts médiévaux de l’ensemble des collèges parisiens fait l’ob-
jet d’un projet collectif, mené en collaboration avec l’université de Notre Dame (Indiana). Sur ce
Gabriel Project, voir T. Kouamé, « L’édition des sources médiévales des collèges parisiens. Bilan
et perspectives », dans Die universitären Kollegien, op. cit., p. 39-55, ici p. 44-45.

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56 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

ne peut les considérer comme les seuls inspirateurs d’une mutation culturelle
qui s’est accomplie entre le milieu du xiiie siècle et le milieu du xive siècle.
L’examen des sources normatives montre que la Sorbonne constituait une
sorte d’intermédiaire entre le modèle traditionnel du collège séculier, dont
le fonctionnement reposait avant tout sur la coutume, et un nouveau modèle
de fondation, symbolisé par la promulgation de chartes de statuts. Le déve-
loppement de cette législation collégiale explique sûrement qu’à partir du
début du xive siècle, les sorbonistes aient à leur tour décidé d’enregistrer
leur propre règlementation dans un Liber prioris. Enfin, bien qu’elle fût l’un
des plus anciens collèges de théologiens de Paris, la Sorbonne n’en était pas
moins soumise à la concurrence des autres grandes maisons du Quartier
latin, comme en témoignent, au xve siècle, les performances bien supérieures
des boursiers du collège de Navarre à la licence en théologie. Loin de la relec-
ture téléologique lui attribuant, dès l’origine, une domination incontestée sur
l’université de Paris, l’établissement n’a donc pas constitué le modèle exclu-
sif des institutions séculières à la fin du Moyen Âge, le collège d’Harcourt
exerçant, par exemple, une influence notable sur les statuts des fondations
normandes. Le seul domaine dans lequel la Sorbonne se soit finalement dis-
tinguée est la place unique de sa bibliothèque dans le système universitaire
parisien. Dans la première moitié du xive siècle, les autorités du collège en
firent un instrument au service de l’ensemble de l’Université et s’appuyèrent
sur cette notoriété pour engager la transformation de leur maison en une
véritable école théologique, à l’instar des studia mendiants. Cette mutation
profonde, qui préfigure la naissance du collège moderne, est sans nul doute la
plus importante contribution de la Sorbonne médiévale à l’histoire de l’éduca-
tion occidentale et l’une des plus belles manifestations du rôle fondamental
de sa bibliothèque.

Thierry Kouamé
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
LAMOP (UMR 8589)

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Thierry Kouamé 57

ANNEXE

Les références à la Sorbonne


dans les statuts des collèges parisiens

NB : les passages en italiques signalent les remplois textuels.

1. Statuts du collège d’Harcourt (9 septembre 1311)

LXXVIII. Item statuimus quod annuatim, circa Purificationem, fiat collecta


super socios pro solvendis in aula consumptis et deperditione vinorum, si qua
fuerit, et renovatione mapparum et talium, sicut est in Sorbona fieri consue-
tum, et etiam pro locagio famulorum, et illam colliget prior ab utraque domo
et illam tradet procuratoribus antedictis.
LXXIX. Item quilibet tenebitur eam solvere infra octo dies postquam inter
socios fuerit ordinatum sub poena substractionis bursarum106.

2. Statuts du collège de Bayeux (30 novembre 1315)


LIII. Item, si sint in praedictis aliqua obscura vel pro domus ordinatione
minus dicta, domibus Constantiensi107 et Sorbonae in casibus quibuslibet se
conforment108.

3. Statuts du collège de Tours (23 février 1339, n. st.)


Item, si sint in praedictis aliqua obscura vel pro domus ordinatione minus declarata,
domibus Constantiensi et Sorbonae in casibus similibus se conforment [cf. supra, no 2]109.

4. Statuts du collège de Justice (15 novembre 1358)


Item annuatim, circa Purificationem, fiat collecta super socios pro solvendis in aula
consumptis et pro perditione vinorum, si quae fuerit, et renovatione mapparum et talium,

106. H.-L. Bouquet, L’ancien collège d’Harcourt, op. cit., p. 589.


107. C’est-à-dire le collège d’Harcourt, fondé par un archidiacre et un évêque de Coutances.
108. M. Félibien et G.-A. Lobineau, Histoire de la ville de Paris, op. cit., V, p. 629.
109. H. Sauval, Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, Paris, 1724, III, Preuves, p. 117.
La date fautive donnée par Sauval (die 4 martis ante Purificationem beatae Mariae anno 1308) a été
corrigée d’après C. Jourdain, Index chronologicus, op. cit., p. 124, no 557.

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58 La Sorbonne médiévale dans l’univers des collèges parisiens

sicut est in Sorbona similiter consuetum, et etiam pro locagio famulorum, et istam colliget
principalis et tradet procuratori, et tenebitur quolibet solvere infra octo dies, postquam
inter socios fuerit ordinatum, sub poena substractionis bursarum [cf. supra, no 1]110.

5. Statuts du collège de Maître Gervais (5 mai 1378)


[Cap. XII : De hospitibus et sociis]
Item scolares non bursarii solvant locagia suarum camerarum in festis
Nativitatis et Pasche, de moneta currente illis terminis, et ad solvendum hoc
et tenendum per priorem et principalem compellantur per arrestacionem
et detencionem omnium bonorum suorum que habebunt in dicta domo vel
alias, prout sit in Haricuria et Sorbona.
[Cap. XVII : De dispensatione vinorum]
Item annuatim, circa Purificacionem, fiat collecta super socios pro solvendo in aula
consumpta et pro deperdicione vinorum, si que fuerit, et renovacione mapparum et tail-
lium, sicut est in Sorbona fieri consuetum, et eciam pro locagiis famulorum, et illam
colliget vel colligi faciet prior ab utraque domo et eam tradet procuratoribus, et tenebitur
quilibet qui debebit solvere infra octo dies, postquam inter socios fuerit ordinatum, sub
pena substracionis bursarum [cf. supra, no 1] et sub eadem pena solvere tenebitur
de lignis et de vino in terminis supradictis111.

6. Statuts du collège des Lombards (avant le 20 mai 1392)


De computo super salario famuli
Item statuimus quod annuatim, circa Purificationem beatae Mariae virginis, fiat col-
lecta super et inter socios pro solvendis lignis et aliis in aula consumptis et deperditione
vinorum, si quae fuerint, et renovatione mapparum et aliorum utensilium, sicut est
consuetudo fieri in Sorbona, et etiam pro locagio famulorum, et illam colliget prior a
sociis domus et eam tradet procuratori pro omnibus supradictis.
Item quilibet socius teneatur solvere dictam collectam infra octo dies postquam inter
socios fuerit ordinatum, sub poena substractionis bursarum [cf. supra, no 1]112.
De lectore tempore mensae

110. Arch. nat., M 137, no 8B. Les rédacteurs des statuts du collège de Justice ont fusionné les
art. LXXVIII et LXXIX de leur modèle.
111. P. Féret, La faculté de théologie, op. cit., III, p. 649 et 654. Les titres de chapitres sont emprun-
tés à l’édition de P. de Longuemare, « Le collège de Maître Gervais Chrétien à Paris », Bulletin
de la Société des antiquaires de Normandie, 31, 1916, p. 182-329, ici p. 300 et 311.
112. R. Manno Tolu, Scolari italiani nello Studio di Parigi. Il « Collège des Lombards » dal xiv al xvi
secolo ed i suoi ospiti pistoiesi, Rome, 1989, p. 137.

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Thierry Kouamé 59

Item primo statuimus quod in mensa, tempore quo comedunt socii, sit
unus lector cujus officium sit tale videlicet quod juret legere et legat de Biblia
a principio mensae, quando socii incipiunt comedere et in fine mensae gra-
tiae dicantur, prout est in aliis locis fieri consuetum et maxime in Sorbona,
nisi per priorem sibi tempus fuerit abbreviatum, cui priori domus potestatem
abbreviandi tempus lectori non tamen totaliter dispensandi113.

7. Statuts du collège de Sées (24 février 1428, n. st.)


54. Item statuimus et ordinamus quod nullus ordinetur magister seu prin-
cipalis collegii, nisi sit ad minus gradum magisterii in artibus adeptus […]
Et quia non valent omnia exprimi, volumus quod in minus expressis quoad
regimen collegii conformet se aliis collegiis, scilicet Sorbonae, Harcuriae et
collegii Bajocensis : agens in omnibus tanquam principaliter rationem Deo
redditurus114.

113. Ibid., p. 143.


114. M. Félibien et G.-A. Lobineau, Histoire de la ville de Paris, op. cit., V, p. 698-699.

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CHAPITRE 2

Des bibliothèques
des maîtres séculiers
aux bibliothèques des collèges

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La Biblionomia
et la bibliothèque de Richard de Fournival
Un idéal du savoir et sa réalisation
Christopher Lucken

«
I l serait difficile de dire si tous ces volumes ont jamais été réunis ailleurs
que dans l’imagination de Richard de Fournival », estime Léopold Delisle
en introduction à son édition de la Biblionomia parue en 1874 dans Le cabinet
des manuscrits de la Bibliothèque nationale1. S’agit-il « d’une bibliothèque réelle
ou d’une bibliothèque idéale » ? Si Delisle ne tranche pas entre les deux
pôles de cette alternative, il offre un premier élément de réponse en notant
quelques années plus tard dans ses « Additions et corrections », à propos de
l’« article 66 de la Biblionomie », que celui-ci « répond bien au ms. latin 16613
de la Bibliothèque nationale, lequel est venu de la Sorbonne2 ».
C’est grâce à la bibliothèque du collège de Sorbonne que nous pouvons
savoir que la Biblionomia décrit bien une « bibliothèque réelle » et non une
simple bibliothèque imaginaire. Elle en conserve en effet de nombreuses
traces, à travers les notices des deux catalogues rédigés dans la première moitié
du xive siècle ou les manuscrits qui nous en sont parvenus. Gérard d’Abbeville
n’aurait jamais pu léguer 300 manuscrits au collège créé vers 1257 par Robert
de Sorbon, et la bibliothèque de cette institution n’aurait pas été aussi bien
fournie à la suite de la mort de Gérard d’Abbeville, en 1272, si la bibliothèque
de Richard de Fournival n’avait été qu’un idéal. On semble pourtant encore
en douter. Nous commencerons donc par revenir sur cette question en souli-
gnant que la Biblionomia est à la fois une cartographie idéale du savoir, total et
ordonné, et le catalogue d’une bibliothèque bien réelle (serait-elle encore en
partie incomplète et en devenir). Nous nous appuierons principalement sur
la bibliothèque du collège de Sorbonne afin de voir ce qu’elle peut nous en
dire, ce qu’elle en a retenu, ce qu’elle semble avoir négligé ou ce qui n’a jamais

1. L. Delisle, éd., « La Biblionomie de Richard de Fournival », dans Le Cabinet des manuscrits de la
Bibliothèque nationale, t. II, Paris, 1874, p. 518-535 (cit. p. 520).
2. Id., « Additions et corrections », dans Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale,
op. cit., t. III, Paris, 1881, p. 387.

Les livres des maîtres de Sorbonne, sous la direction de Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2017

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 63 10/04/2017 16:31


64 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

dû y entrer. Nous tenterons du même coup de préciser comment Richard de


Fournival a procédé pour traduire cet idéal du savoir sous la forme concrète
de manuscrits. Nous constaterons qu’il a certainement subi des échecs et que
sa bibliothèque ne devait pas détenir tous les ouvrages qu’il avait l’intention
d’y rassembler. Mais s’il est vraisemblable qu’il n’est pas parvenu à accomplir
entièrement le programme que trace la Biblionomia, il en avait très probable-
ment l’intention et a dû approcher autant que possible de sa réalisation.

Une bibliothèque universitaire pour les étudiants d’Amiens


La question autrefois posée par Delisle a été récemment reprise par Thomas
Haye dans une étude intitulée « Canon ou catalogue ? Perspectives historico-
littéraires dans la Biblionomia de Richard de Fournival » : « On a beaucoup
débattu pour savoir si ce catalogue qui, selon la déclaration de l’auteur,
a été écrit pour des élèves à Amiens, représente vraiment une bibliothèque
réelle ou bien s’il s’agit d’une présentation plutôt idéalisée de livres réels3. »
S’appuyant en particulier sur l’introduction de la Biblionomia où Richard de
Fournival apparente sa bibliothèque à un jardin dont les livres sont les fruits,
T. Haye croit pouvoir affirmer que « la Biblionomia ne constitue pas […] une
description, mais une exhortation. Elle n’expose pas une typologie de textes
existants, mais mentionne les textes qu’il faut lire pour arriver à la philosophia.
De par son type et son intention, il ne s’agit donc pas d’un catalogue de ce que
Richard aurait pu rassembler, mais d’une recommandation de lectures dans
la tradition littéraire des Institutiones de Cassiodore et du Didascalicon d’Hugues
de Saint-Victor ». C’est un « guide de lecture » plutôt qu’un véritable « cata-
logue de bibliothèque4 ».
T. Haye semble pourtant connaître les travaux d’Aleksander Birkenmajer5.
À la suite de la brève remarque de Delisle et des recherches non publiées
de Henri Omont6, Birkenmajer est parvenu à rapprocher plusieurs notices
de la Biblionomia de certains des 300 manuscrits légués en 1272 au collège

3. T. Haye, « Canon ou catalogue ? Perspectives historico-littéraires dans la Biblionomia de


Richard de Fournival », Romania, 128, 2010, p. 213-233 (cit. p. 215).
4. Ibid., p. 215, 217 et 224.
5. A. Birkenmajer, « La bibliothèque de Richard de Fournival, poète et érudit français du
début du xiiie siècle et son sort ultérieur » [1922], dans Id., Études d’histoire des sciences et
de la philosophie du moyen âge, Krakow, 1970, p. 117-210, suivi du résumé en français de cette
étude paru au même moment que la version originale, p. 211-215.
6. Les travaux de Henri Omont relatifs à la Biblionomia sont conservés à la Bibliothèque natio-
nale de France (Don 18845), désormais cotés Paris, BNF, n.a.f. 28513.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 64 10/04/2017 16:31


Christopher Lucken 65

de Sorbonne par Gérard d’Abbeville (ca 1220-1272)7. Ces derniers manus-


crits peuvent être repérés au moyen des différents inventaires, répertoires
ou catalogues que la bibliothèque du collège de Sorbonne réalisa à la fin du
xiiie siècle et dans la première moitié du xive siècle, en particulier du cata-
logue général établi en 13388. Grâce aux notices relativement détaillées des

7. L. Delisle, « La bibliothèque de la Sorbonne », dans Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque


nationale, op. cit., t. II, p. 142-200 (en part. p. 148-149) ; P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne,
Paris, 1965-1966 (en part. t. II, p. 354-358, no 301, où se trouve une édition du testament
de Gérard d’Abbeville) ; R. H. Rouse, « The Early Library of the Sorbonne », Scriptorium,
21, 1967, p. 42-71 et 227-251 [repris dans Authentic Witnesses: Approaches to Medieval Texts and
Manuscripts, Notre Dame (Ind.), 1991 p. 341-408 (en part. p. 348-351 et n. 27)] ; P. Glorieux,
« Bibliothèques de maîtres parisiens. Gérard d’Abbeville », Recherches de théologie ancienne
et médiévale, 36, 1969, p. 148-183 ; R. H. Rouse, « Manuscripts Belonging to Richard de
Fournival », Revue d’histoire des textes, 3, 1973, p. 253-269 (en part. p. 257, no 5) [repris avec
quelques additions dans R. H. et M. A. Rouse, Bound Fast with Letters. Medieval Writers, Readers,
and Texts, Notre Dame (Ind.), 2013, p. 115-38]. On peut ajouter à cet ensemble de 300 manus-
crits ceux que Gérard d’Abbeville a donnés au collège de Sorbonne le 26 avril 1260 afin d’apurer
les comptes de la succession de Robert de Douai († 1258) dont il était l’exécuteur testamen-
taire : Item voluit et ordinavit quod dicti pauperes magistri habeant et percipiant quandam partem librorum
de qua fecit mentionem dicto magistro Roberto canonico parisiensi pro sexaginta et decem libris paris. (cité
d’après P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne, op. cit., t. II, no 189, p. 217 ; voir t. I, p. 239) ;
ces manuscrits, dont l’identité et le nombre ne sont pas précisés, pouvaient également provenir
en partie de la bibliothèque de Richard de Fournival qui venait alors de décéder. Sur Gérard
d’Abbeville, qui était chanoine de la cathédrale d’Amiens en 1260 puis archidiacre de Ponthieu,
voir notamment L. Bongianino, « Le questioni quodlibetali di Gerardo di Abbeville contro
i mendicanti », Collectanea Franciscana, 32, 1962, p. 5-55 (en part. p. 5-27) ; P. Grand, « Le
quodlibet XIV de Gérard d’Abbeville. La vie de Gérard d’Abbeville », Archives d’histoire doctrinale et
littéraire du Moyen Âge, 39, 1964, p. 207-219.
8. L. Delisle, éd., « Bibliothèque de la Sorbonne – xiiie et xive siècle », dans Le Cabinet des
manuscrits de la Bibliothèque nationale, op. cit., t. III, p. 8-114 (p. 9-72 pour le catalogue de 1338
et p. 79-114 pour le catalogue de la Libraria communis), ainsi que P. Glorieux, Aux origines de
la Sorbonne, op. cit., t. I, p. 248-289 (pour une reconstitution des manuscrits de la Libraria com-
munis). Sur la bibliothèque du collège de Sorbonne, voir L. Delisle, « La bibliothèque de la
Sorbonne », op. cit. ; B. L. Ullman, « The Library of the Sorbonne in the Fourteenth Century »,
dans The Septicentennial Celebration of the Founding of the Sorbonne College in the University of Paris,
Chapel Hill, 1953, p. 33-47 [repris sous le titre de « The Sorbonne Library and the Italian
Renaissance », dans Studies in Italian Renaissance, Rome, 1955 et 1973] ; P. Glorieux, Aux ori-
gines de la Sorbonne, op. cit., t. I, p. 237-247 ; R. H. Rouse, « The Early Library of the Sorbonne »,
art. cité ; A. Tuilier, « La bibliothèque de la Sorbonne médiévale et ses livres enchaînés »,
Mélanges de l’université de la Sorbonne, 2, 1981, p. 7-41 ; L. Grenier-Braunschweig, « La pri-
sée des manuscrits du collège de Sorbonne au Moyen Âge », dans Mélanges offerts à Gérard Oberlé
pour ses 25 ans de librairie. 1967-1992, s. l. n. d., p. 327-341 ; Gilbert Fournier, Une « bibliothèque
vivante ». La Libraria communis du collège de Sorbonne (xiiie-xve siècle), thèse de l’École pratique
des hautes études, Paris, 2007 ; Id., « Listes, énumération, inventaires. Les sources médiévales
et modernes de la bibliothèque du collège de Sorbonne (première partie : les sources médié-
vales) », Scriptorium, 64, 2011, p. 158-215.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 65 10/04/2017 16:31


66 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

manuscrits qui s’y trouvent décrits (brève description du contenu, citation


de l’incipit du deuxième folio et de l’avant-dernier folio, mention du prix
et, le plus souvent, ce qui est particulièrement important ici, du donateur),
Birkenmajer a pu constater qu’ils présentaient un certain nombre de ressem-
blances importantes avec différents recueils de la Biblionomia. Il en a déduit
qu’ils sont identiques et que Gérard d’Abbeville a dû hériter d’une manière ou
d’une autre des manuscrits de la bibliothèque de Richard de Fournival lorsque
celui-ci est décédé le 1er mars 12609. Il retrouva en outre 17 de ces manuscrits
au sein de la Bibliothèque nationale de France (qui conserve la plupart des
manuscrits ayant appartenu au collège de Sorbonne et qui contient désormais
plus de 130 des manuscrits légués par Gérard d’Abbeville, presque tous munis
d’un ex-libris – ou d’un ex-legato – précisant le nom du légataire10). Birkenmajer
en conclut qu’il n’est plus possible de « douter que la Biblionomia donne la
description d’une bibliothèque qui existait réellement11 ».
T. Haye ne semble pas convaincu par les découvertes de Birkenmajer et
la conclusion qu’il en tire. Mais il n’en dit pas grand-chose et, s’il men-
tionne en note l’étude que Palémon Glorieux a consacrée en 1 963 à la
Biblionomia 12, il semble ignorer totalement les autres travaux qui ont
été réalisés depuis sur ce catalogue et sur les manuscrits de Richard de
Fournival, en particulier ceux de Berthold L. Ullman13, Richard H. Rouse14,

9. M. l’abbé Roze, « Nécrologe de l’Église d’Amiens suivi des distributions aux fêtes », Mémoires
de la Société des Antiquaires de Picardie, 8, 1885, p. 291-503 (en part. p. 321).
10. Sur le rôle mémoriel des ex-libris dont sont pourvus les manuscrits du collège de Sorbonne
et le rôle fondateur qu’on peut attribuer pour cela aux manuscrits léguées par Gérard d’Abbe-
ville, voir G. Fournier, « Les conditions d’une réussite : le livre et la memoria au collège de
Sorbonne (xiiie-xve siècle) », dans Scriptoria e bibliotheche nel basso medioevo medioevo (secoli xii-xv).
Atti del LI Convegno storico internazionale, Spoleto, 2015, p. 475-504 (en part. p. 483-493).
11. A. Birkenmajer, « La bibliothèque de Richard de Fournival », art. cité, p. 121.
12. P. Glorieux, « Études sur la Biblionomia de Richard de Fournival », Recherches de théologie
ancienne et médiévale, 30, 1963, p. 205-231 (qui ajoute 4 nouveaux manuscrits à ceux qu’avait
identifiés A. Birkenmajer).
13. B. L. Ullman, « Petrarch’s Acquaintance with Catullus, Tibullus, Propertius », dans Studies
in Italian Renaissance, op. cit., p. 177-196 ; Id., « Geometry in the Mediaeval Quadrivium », dans
Studi de bibliografia e di storia in onore di Tammaro de Marinis, t. IV, Florence, 1964, p. 263-285.
14. R. H. Rouse, « Manuscripts Belonging to Richard de Fournival », art. cité. Ce dernier a
identifié de nouveaux manuscrits de Richard de Fournival dans différentes études ultérieures,
en particulier « The A Text of Seneca’s Tragedies in the Thirteenth Century », Revue d’histoire des
textes, 1, 1971, p. 93-121 ; « The Florilegium Angelicum : Its Origin, Content, and Influence », dans
Medieval Learning and Literature. Essays presented to R. W. Hunt, J. G. Alexander et M. T. Gibson,
éd., Oxford, 1976, p. 66-114 [repris dans Authentic Witnesses, op. cit., p. 101-152] ; « Florilegia
and Latin Classical Authors in Twelfth- and Thirteenth-Century Orléans », dans Authentic
Witnesses, op. cit., p. 153-188 (en part. p. 162, n. 31) ; et avec M. A. Rouse, « The Medieval

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Christopher Lucken 67

Sonia Scott-Fleming15 et Patricia Stirnemann16, qui ont porté le nombre de


manuscrits de Richard de Fournival qu’on a retrouvés à une cinquantaine,
soit plus d’un tiers des 132 manuscrits du compartiment de philosophie
décrits par la Biblionomia, et qui ont pu montrer qu’environ la moitié d’entre
eux ont été copiés pour Richard de Fournival lui-même. Certes, concède
T. Haye, « il est vrai qu’à partir de plusieurs détails l’on peut supposer que,
dans son œuvre, Richard a décrit de nombreux manuscrits réels qu’il possé-
dait véritablement ; par conséquent, sa bibliothèque n’est pas exclusivement
virtuelle. Mais – poursuit-il – l’organisation et la présentation des manus-
crits et des textes dans la Biblionomia relèvent probablement très largement
de l’idéalisation, comme le titre l’indique déjà17 ». Le caractère idéal de la
bibliothèque de Richard de Fournival s’appliquerait principalement à la
première section de ce catalogue, soit celle qui est consacrée aux livres de
philosophie, qui a fait l’objet de la description la plus structurée et la plus
détaillée (et à laquelle appartient de plus la grande majorité des manus-
crits qu’on a retrouvés…). La Biblionomia se présenterait donc comme « une
œuvre hétérogène : dans la première partie, qui concerne les philosophica,
elle mentionne bien des manuscrits réels, mais des manuscrits qui font par-
tie d’une bibliothèque idéale et parfaite, qui se refuse à tout changement.
Il est probable qu’un écrivain et un savant comme Richard de Fournival
possédait beaucoup plus de manuscrits qu’il n’en est mentionné dans la
Biblionomia [qui en décrit pourtant près de 200 et qui laisse supposer, si l’on
prend en compte toutes les cotes prévues, qu’il pourrait y en avoir environ
300, soit bien davantage que dans la plupart des institutions ecclésiastiques
de son époque, ou que le nombre de manuscrits que léguèrent au collège de
Sorbonne ses différents bienfaiteurs, à l’exception bien sûr de Gérard d’Ab-
beville !]. […] En revanche, la deuxième partie [consacrée à la médecine et
au droit] est plus explicitement réaliste : elle contient des livres réels, placés

Circulation of Cicero’s Posterior Academics and the De finibus bonorum et malorum », dans Medieval
Scribes, Manuscripts and Libraries: Essays Presented to N. R. Ker, M. B. Parkes et A. G. Watson, éd.,
Londres, 1978, p. 333-367 [repris dans Authentic Witnesses, op. cit., p. 61-98].
15. S. Scott-Fleming, Pen Flourishing in Thirteenth-Century Manuscripts, Leyde, 1989, en part.
p. 11-12, 30, 34-36, 39-42, 44-49, 51-54, 57-58 et 79-83.
16. F. Avril et P. Stirnemann, Les manuscrits enluminés d’origine insulaire. viie-xxe siècle, Paris,
1987, p. 69-71, no 111, 112 et 113, et pl. XXXVI ; P. Stirnemann, « Les bibliothèques princières
et privées aux xiie et xiiie siècles », dans Histoire des bibliothèques françaises, t. I, André Vernet,
éd., Paris, 1989, p. 173-191 (en part. p. 181-184 et 190, n. 54-61) ; et plus récemment Ead.,
« Private Libraries Privately Made », dans Medieval Manuscripts, their Makers and Users. A Special Issue
of Viator in Honor of Richard and Mary Rouse, Turnhout, 2011, p. 185-198.
17. T. Haye, « Canon ou catalogue ? », art. cité, p. 224.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 67 10/04/2017 16:31


68 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

et catalogués comme dans une bibliothèque réelle. La troisième partie, qui


porte sur la théologie, n’est ni réaliste ni idéale, il s’agit seulement d’un
fragment18 ». Tout cela paraît particulièrement confus. En tout cas, je ne vois
pas en quoi le titre de Biblionomia s’opposerait à ce que nous ayons affaire
à un catalogue, ni ce qui empêcherait une « description » d’être aussi une
« exhortation », ni une bibliothèque réelle de vouloir correspondre à une
bibliothèque « idéale19 ». Il s’agit au contraire de faire l’un et l’autre.
Richard de Fournival affirme dans le prologue de la Biblionomia avoir décidé
d’œuvrer en faveur de sa ville, non pas en rédigeant simplement ce catalogue,
comme le dit T. Haye, mais en y créant un jardin – c’est-à-dire une biblio-
thèque – dans lequel les élèves [alumni] de sa cité pourront trouver toutes
sortes d’ouvrages qui, une fois qu’ils les auront goûtés, leur donneront « le
plus grand désir d’être introduits dans la chambre secrète de Philosophie20 ».
La raison invoquée par Richard pour accomplir une telle entreprise est qu’il a
constaté que son signe ascendant est semblable à celui de la première fonda-
tion de sa ville natale. D’après la Nativitas, soit l’autobiographie astrologique
dans laquelle il établit que sa naissance eut lieu sous le signe ascendant de la
Vierge, Richard est né à Amiens le 10 octobre 120121, soit un jour après Robert
de Sorbon22. À l’instar de ce dernier, il étudia vraisemblablement à la faculté
des arts de l’université de Paris à partir de 1215 et dut y obtenir le titre de

18. Ibid., p. 225-226.


19. Souvent approximative ou fautive et très mal informée, l’étude de T. Haye se révèle large-
ment inutile et, pour tout dire, indigne de la revue où elle est parue. Sur le catalogue de Richard
de Fournival, on peut encore citer V. Laudadio, « La Biblionomia di Richart di Fournival »,
Immagini della memoria storica, 13, 2008, p. 169-303, C. Lucken, « La Biblionomia de Richard
de Fournival : un programme d’enseignement par le livre. Le cas du trivium », dans Les débuts de
l’enseignement universitaire à Paris (1200-1245 environ), J. Verger et O. Weijers, éd., Turnhout,
2013, p. 85-121 (à laquelle je renvoie pour certains développements omis ici), et Paolo Vian,
« La bibliotheca di un scienziato sui generis : Riccardo di Fournival. Un status quaestionis », dans
Scriptoria e bibliotheche nel basso medioevo (secoli xii-xv), op. cit., p. 609-674 (publication parue au
moment de mettre la dernière main à cette étude et que je n’ai pu prendre en compte).
20. Toutes mes citations et mes traductions de la Biblionomia se fondent sur l’édition proposée
par L. Delisle dans « La Biblionomie de Richard de Fournival », op. cit., à laquelle je renvoie
ici une fois pour toute.
21. A. Birkenmajer, « Pierre de Limoges commentateur de Richard de Fournival », Isis, 40,
1949, p. 18-31. Pour une présentation générale de Richard de Fournival, voir C. Lucken,
« Richard de Fournival ou le clerc de l’amour », dans Le clerc au Moyen Âge, Senefiance, 37, 1995,
p. 399-416 ; Id., « Entre amour et savoir. Conflits de mémoire chez Richard de Fournival », dans
La mémoire du temps au Moyen Âge, A. Paravicini Bagliani, éd., Florence, 2005, p. 141-162.
22. P. Glorieux, « Essai de biographie », Aux origines de la Sorbonne, op. cit., t. I, Robert de Sorbon,
p. 9-67.

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Christopher Lucken 69

maître dans les années 1222-122323. Tandis que Robert de Sorbon entra par la
suite à la faculté de théologie, Richard entreprit vraisemblablement des études
de médecine, suivant ainsi la voie de son père, Roger de Fournival, médecin
auprès de Philippe Auguste (1180-1223). Il exerça aussi la chirurgie et put s’y
consacrer aussi longtemps qu’il n’était pas diacre. Il fut à la fois chanoine de
la cathédrale Notre-Dame de Rouen et chanoine de la cathédrale Notre-Dame
d’Amiens24, cumulant les prébendes qui, ajoutées aux honoraires que devait
lui rapporter son activité de médecin et de chirurgien, ont dû lui fournir une
partie des revenus nécessaires à la fabrication des nombreux manuscrits de
sa bibliothèque. En 1240, après un séjour à la cour papale et avec le soutien
de Grégoire IX (1227-1241), il devint chancelier de la cathédrale d’Amiens (où
son demi-frère, Arnoul de la Pierre († 1247), était évêque depuis 1236). À ce
titre, il était chargé non seulement d’assurer la rédaction et la conservation
des archives du diocèse, mais aussi de superviser l’école cathédrale et la for-
mation des clercs (bien que le chancelier de la cathédrale d’Amiens fût relayé
dans cette activité par la création en 1218 de la fonction d’écolâtre). C’est
vraisemblablement à partir de cette date que Richard décida de réunir ou de
faire copier les manuscrits que décrit la Biblionomia afin de les mettre à la dis-
position des étudiants de sa ville et de leur offrir ainsi une sorte d’université
qui puisse rivaliser avec celle qui faisait le prestige de Paris et leur permettre
d’acquérir les principales connaissances constitutives du savoir médiéval25.
Composée vers 1250, la Biblionomia est la « clé » de ce jardin. Comme l’in-
dique son nom, elle en détient la règle (nomos), soit le principe organisateur
sans lequel ce lieu resterait fermé et voué à la confusion. C’est grâce à cette clé
que nous pouvons encore aujourd’hui pénétrer dans cet hortulus, alors même
qu’il a désormais disparu, et y découvrir non seulement la manière dont le
savoir y est organisé et la liste des œuvres représentant chaque discipline,
mais aussi la première trace des manuscrits qui s’y trouvaient disposés. Ce
catalogue n’est donc pas un simple inventaire, contrairement à la plupart des

23. Id., La faculté des arts et ses maîtres au xiiie siècle, Paris, 1971, no 387, p. 315-317 ; O. Weijers et
M. B. Calma, Le travail intellectuel à la faculté des arts de Paris : textes et maîtres (ca 1200-1500), t. VIII,
Turnhout, 2010, p. 10-11.
24. P. Desportes et H. Millet, Diocèse d’Amiens, Fasti Ecclesiae Gallicanae. Répertoire prosopogra-
phique des évêques, dignitaires et chanoines de France de 1200 à 1500, t. I, Turnhout, 1996, no 447,
p. 199 ; V. Tabbagh, Diocèse de Rouen, Fasti Ecclesiae Gallicanae, t. II, Turnhout, 1998, no 4133,
p. 342.
25. Comme le souligne A. Birkenmajer, « La bibliothèque de Richard de Fournival », art.
cité, p. 122.

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70 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

catalogues de bibliothèques médiévales antérieures ou contemporaines26. La


bibliothèque qu’il décrit répond en effet à un véritable classement du savoir27.
Je me contenterai d’en rappeler ici les grandes lignes28.
Constituée de trois compartiments, dont l’un est lui-même divisé en deux
parties, la bibliothèque de Richard est organisée sur le modèle des quatre
facultés de l’université médiévale. À la faculté des arts correspond tout
d’abord le compartiment de philosophie. Celui-ci commence par les sept
arts libéraux, suivis par la « physique » et la métaphysique aristotéliciennes,
la « métaphysique » (ou la philosophie) cicéronienne et l’éthique. Viennent
ensuite les libri vagi philosophorum, ouvrages qui se partagent entre plusieurs
disciplines, et les œuvres poétiques, écrites en vers (elles-mêmes divisées
en ouvrages historiques, épigrammes, poésies amoureuses, élégies, invec-
tives, satires, sentences morales, apologues, tragédies, comédies, centons et
poèmes religieux). Les œuvres et les manuscrits se suivent de manière ordon-
née. Chaque section commence par l’œuvre fondatrice ou l’œuvre de référence
de la discipline. Les textes suivants se succèdent selon un ordre plus ou moins

26. J. de Ghellinck, « En marge des catalogues des bibliothèques médiévales », dans
Miscellanea Francesco Ehrle. Scritti di storia e paleografia, t. V, Rome, 1924, p. 331-363 ; J. S. Beddie,
« Libraries in the Twelfth Century : Their Catalogues and Contents », dans Anniversary Essays
in Mediaeval History by students of Charles Homer Haskins, Boston-New York, 1929, p. 1-24 ;
D. M. Norris, A History of Cataloguing and Cataloguing Methods, 1100-1850 : With an Introductory
Survey of Ancient Times, Londres, 1939 ; A. Derolez, Les catalogues de bibliothèques, Turnhout,
1979 ; A. Besson, Medieval Classification and Cataloguing. Classifications Practices and Cataloguing
Methods in France from the 12th. to the 15th. Centuries, Biggleswede (UK), 1980 ; B. Munk Olsen,
« Le biblioteche del XII secolo negli inventari dell’epoca », dans Le Biblioteche nel mondo antico e
medievale, G. Cavallo, éd., Rome-Bari, 1988, p. 137-162 ; D. Nebbiai Dalla Guarda, « Les
inventaires des bibliothèques médiévales », dans Le livre au Moyen Âge, Jean Glénisson, éd.,
Paris, 1988, p. 88-91 ; Ead., « Classifications et classements », dans Histoire des bibliothèques
françaises, op. cit., t. I, p. 373-393 ; B. M. Russell, « Hidden Wisdom and Unseen Treasure:
Revisiting Cataloguing in Medieval Libraries », Cataloguing and Classification Quarterly, 26, 1998,
p. 21-30 ; D. Nebbiai Dalla Guarda, Le discours des livres. Bibliothèques et manuscrits en Europe.
ixe-xve siècle, Rennes, 2013.
27. Que l’on peut rapprocher bien sûr des différents classements du savoir qu’on trouve alors :
voir J. Mariétan, Problème de la classification des sciences d’Aristote à saint Thomas, Paris, 1901 ;
J. A. Weisheipl, « The Classication of the Sciences in Medieval Thought », Mediaeval Studies,
27, 1965, p. 54-90 ; Id., « The Nature, Scope, and Classification of the Sciences », dans Science
in the Middle Ages, Science in the Middle Ages, D. C. Lindberg, éd., Chicago, 1978, p. 461-82 ;
R. McKeon, « The Organization of Sciences and the Relations of Cultures in the Twelfth
and Thirteenth Century », dans The Cultural Context of Medieval Learning, J. E. Murdoch et
E. D. Sylla, éd., Dordrecht-Boston, 1975, p. 151-92 ; G. Dahan, « Les classifications du savoir
aux xiie et xiiie siècles », L’enseignement philosophique, 40/4, 1990, p. 5-27.
28. En renvoyant notamment, pour plus de détails, à mon étude déjà citée : « La Biblionomia de
Richard de Fournival : un programme d’enseignement par le livre. Le cas du trivium ».

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Christopher Lucken 71

chronologique qui peut correspondre au développement de la discipline. Le


classement peut aussi traduire les différents aspects d’une même discipline :
par exemple, les derniers manuscrits sont souvent consacrés aux traités por-
tant sur ses applications pratiques, tandis que les premiers concernent davan-
tage son fondement théorique.
En plus de ces onze rayons de 12 manuscrits décrits de manière détaillée
(soit 132 manuscrits), le compartiment de philosophie comporte encore
deux sections dont le contenu n’est pas identifié (et dont on ne comprendrait
pas ici la mention si l’on avait affaire à une bibliothèque idéale). La première
contient 24 manuscrits de grand format relevant des disciplines précédentes.
La seconde comprend 36 manuscrits réunissant des « traités secrets dont la
profondeur refuse d’être exposée aux yeux de tous » : c’est pourquoi Richard
les a rangés dans un endroit spécifique « où personne ne devra être admis
à l’exception de leur propriétaire » et n’en propose aucune description. Ces
tractati secreti portaient très certainement sur des disciplines qui demeuraient
en marge de l’enseignement universitaire car elles pouvaient faire l’objet de
condamnations par les autorités ecclésiastiques, comme l’astrologie et l’alchi-
mie (toutes deux pratiquées par Richard). C’est ce que confirment la dizaine
de manuscrits appartenant à ce groupe dont on a pu retrouver la trace, notam-
ment les manuscrits Paris, BNF, lat. 16204 et lat. 16208, qui contiennent cha-
cun une remarquable collection de traités astrologiques29.

29. L. Thorndike, « Notes on Some Astronomical, Astrological and Mathematical


Manuscripts of the Bibliothèque nationale, Paris », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes,
20, 1957, p. 112-172 (en part. p. 150-155). Alors que P. Zambelli remarquait d’importantes
similitudes entre les ouvrages astronomiques répertoriés dans la Biblionomia et les œuvres
décrites dans le chapitre du Speculum astronomiae consacré à l’astronomie (« Da Aristotele a Abū
Ma’shar, da R. de Fournival a G. de Pastrengo. Un’opera astrologica controversa di Alberto
Magno », Physis, 15, 1973, p. 378-381, et The “Speculum Astronomiae” and its Enigma, Boston,
1992, p. 49 et 106-111), Bruno Roy propose de faire du Speculum astronomiae lui-même le
catalogue de ces « traités secrets » (« Richard de Fournival, auteur du Speculum Astronomiae ? »,
Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 67, 2000, p. 159-180). Cette hypothèse sédui-
sante doit être davantage étayée, cependant, pour être tout à fait convaincante. T. Haye affirme
quant à lui que, si « on pourrait d’abord supposer que ces codices qui ne sont pas destinés au
public et qui sont thésaurisés dans un endroit secret contiennent des traités rares concernant
l’astrologie et l’alchimie », « selon la logique du système, il s’agit probablement plutôt de livres
relevant du domaine de la philosophie. On peut envisager qu’ils concernent les lettres secrètes
de rois-prêtres pseudo-indiens ou d’autres choses semblables » (« Canon ou catalogue ? », art.
cité, p. 217). Outre qu’on ne voit pas très bien comment on pourrait remplir 36 manuscrits à
l’aide d’ouvrages ou de lettres comme celles du prêtre Jean (si je comprends bien de quoi il
s’agit), T. Haye ne semble pas se rendre compte que l’astrologie et l’alchimie ne sont pas alors
étrangères à la philosophie, et une fois encore semble ignorer complètement les différents tra-
vaux pouvant porter sur cette partie de la bibliothèque de Richard.

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72 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

Après la faculté des arts, vient la faculté de médecine, à laquelle correspond


la première partie du compartiment des « sciences lucratives », consacrée à la
médecine et formée de huit rayons comprenant 36 manuscrits30. Vient ensuite
la faculté de droit, à laquelle correspond la seconde partie du compartiment
des « sciences lucratives », consacrée au droit civil et au droit canon. Ce par-
cours s’achève avec la faculté de théologie, à laquelle correspond le troisième
compartiment, consacré à la théologie et composé notamment du texte
biblique, des originalia des Pères de l’Église et des postilles (ou apostilles),
dont Richard ne précise cependant ni le nombre ni l’identité.
Si la bibliothèque de Richard est organisée sur le modèle des quatre facul-
tés de l’université médiévale, la faculté des arts et celle de médecine sont
manifestement privilégiées. Sur les 300 manuscrits ou plus qu’elle devait
pouvoir contenir, le compartiment de philosophie en comprend 192, soit plus
de 60 %, tandis que le compartiment de médecine en comprend 36, soit plus
de 10 %. 162 manuscrits appartenant à ces deux ensembles font l’objet d’une
description détaillée, tandis que les manuscrits appartenant aux deux autres
ensembles sont présentés de manière beaucoup plus succincte. La biblio-
thèque du collège de Sorbonne, en revanche, contient surtout des traités de
théologie, ce qui n’est guère étonnant dans la mesure où cette institution était
destinée aux étudiants de théologie. Certaines disciplines y seraient d’ailleurs
très peu représentées si elle n’avait pas hérité des manuscrits de Richard. En
témoigne a contrario la médecine, qui n’est représentée en 1338 qu’à travers un
peu plus de 30 manuscrits (soit moins que le nombre de manuscrits consacrés
à cette discipline que Richard possédait près d’un siècle auparavant), Gérard
d’Abbeville ayant demandé qu’on vende ses manuscrits de médecine plutôt
que de les léguer au collège de Sorbonne31.
Les 132 manuscrits de « philosophie » décrits par la Biblionomia contiennent
environ 360 textes différents. Les 30 manuscrits de médecine en contiennent
plus de 140. Ce catalogue mentionne donc plus de 500 textes « philoso-
phiques » et médicaux (sans compter la dizaine de textes relatifs au droit et
à la théologie qui sont également cités). Si la Biblionomia peut s’apparenter à
un « guide de lecture », soit à un de ces textes « didascaliques » qui se multi-
plient au cours du xiiie siècle dans les milieux universitaires (qu’il s’agisse
de programmes scolaires, de « guides de l’étudiant » ou d’« introductions à la

30. Voir à ce sujet E. Seidler, « Die Medizin in der Biblionomia des Richard de Fournival »,
Sudhoffs Archiv, 51, 1967, p. 44-54.
31. Voir infra n. 44.

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Christopher Lucken 73

philosophie »)32, elle ne se contente pas de prescrire les principales lectures


que les étudiants d’Amiens doivent effectuer pour obtenir la licence ou la maî-
trise. C’est la totalité du savoir qu’elle leur propose d’atteindre, qu’il s’agisse
d’une discipline singulière ou de l’ensemble des connaissances représen-
tées dans la bibliothèque dont elle constitue la clé et auxquelles elle permet
d’avoir accès.
Il ne suffit pas d’énumérer une telle liste de textes. Encore faut-il pouvoir
les trouver dans la bibliothèque où ils sont rangés. Richard précise à ce pro-
pos que chaque rayon contient un nombre plus ou moins grand de volumes,
« de sorte qu’on puisse en ajouter sur le côté selon ce que permet leur dimen-
sion. Une fois répartis, les volumes sur un même sujet occupent un même
endroit, tantôt seuls, tantôt deux par deux, le plus petit évidemment placé le
plus souvent sur le plus grand. Les volumes aussi bien que les rayons eux-
mêmes sont disposés horizontalement ; ils sont distingués à l’aide des lettres
de l’alphabet ».
La disposition régulière de douze manuscrits sur chacun des seize rayons
du compartiment de philosophie et la disposition plus ou moins régulière
de quatre (ou six) manuscrits sur chacun des rayons du compartiment des
« sciences lucratives » et du compartiment de théologie permettent de souli-
gner le caractère harmonieux et la perfection formelle de l’organisation pro-
posée par la Biblionomia, chaque ensemble paraissant rassembler la totalité
du savoir relatif à la discipline concernée. Mais une telle organisation a aussi
une visée pratique. Elle doit faciliter en effet l’accès aux textes recherchés.
C’est pourquoi chaque manuscrit est pourvu d’une cote. Richard utilise pour
cela les 23 lettres de l’alphabet alors en usage et l’abréviation &. Le nombre
de cotes est accru par l’utilisation de graphies et de couleurs différentes. Les
manuscrits du compartiment de philosophie sont différenciés par des cotes
bleues, rouges, violettes et vertes (si l’on se fonde sur les couleurs utilisées

32. P. O. Lewry, « Tirteenth-Century Examination Compendia from the Faculty of Arts », dans
Les genres littéraires dans les sources théologiques et philosophiques médiévales. Définition, critique et exploi-
tation, Louvain-la-Neuve, 1982, p. 101-116 ; C. Lafleur et J. Carrier, « La réglementation
“curriculaire” (de forma) dans les introductions à la philosophie et les guides de l’étudiant de la
faculté des arts de Paris : une mise en contexte », suivi d’un « Post-scriptum aux de forma didas-
caliques », dans L’enseignement de la philosophie au xiiie siècle. Autour du « Guide de l’étudiant »
du ms. Ripoll 109, C. Lafleur et J. Carrier, éd., Turnhout, 1997, p. 521-559 ; C. Lafleur,
« Transformations et permanences dans le programme des études à la faculté des arts de
l’université de Paris au xiiie siècle : Le témoignage des “introductions à la philosophie” et des
“guides de l’étudiant” », Laval théologique et philosophique, 54, 1998, p. 387-410 ; C. Lafleur et
J. Carrier, « L’enseignement philosophique à la faculté des arts de l’université de Paris en
la première moitié du xiiie siècle dans le miroir des textes didascaliques », Laval théologique et
philosophique, 60, 2004, p. 409-448.

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74 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

dans le manuscrit qui nous a transmis le texte de la Biblionomia). Les manus-


crits du compartiment de « sciences lucratives » sont identifiés par des cotes
de couleur argentée (ce qui est conforme à la nature des disciplines concer-
nées). Et les manuscrits du compartiment de théologie sont identifiés par des
cotes dorées et des cotes noires et jaunes.
Ayant présenté l’organisation générale de la bibliothèque de Richard de
Fournival, la Biblionomia peut alors énumérer « les titres des livres renfermés
dans les volumes de chaque rayon, avec les lettres qui leur servent de cotes,
afin que, lorsque l’œil chasseur d’une âme avide d’apprendre accédera à l’ar-
moire de la bibliothèque, il puisse trouver immédiatement (statim invenire) de
quoi mettre un terme à son jeûne, en sorte qu’un petit moment de retard ou
d’errance ne puisse engendrer une lassitude susceptible d’affecter celui qui
se trouve tant soit peu obligé d’attendre ». Grâce à ce catalogue, les étudiants
d’Amiens pourront suivre le programme qu’il leur trace dans chaque disci-
pline et tenter de lire les uns après les autres les différents manuscrits que
leur propriétaire a rangés sur les rayons de sa bibliothèque. Mais ils peuvent
également découvrir aussi rapidement que possible le texte qu’ils souhaitent
lire ou consulter, plutôt que de perdre leur temps à le chercher au sein d’une
armoire remplie de recueils mal classés dont ils ignorent le contenu et qui
demeurent à la fois sans ordre et sans loi33. Ayant vocation à la fois program-
matique et utilitaire, la Biblionomia fonctionne comme un véritable moteur de
recherches. Elle participe en cela au développement des instruments de travail
et des différents dispositifs destinés à accélérer et à faciliter l’acquisition des
connaissances qui s’affirme à partir du xiie siècle et principalement au cours
du xiiie siècle, comme les concordances et les index alphabétiques. Si la
bibliothèque de Richard de Fournival peut être comparée à l’une de ces ency-
clopédies caractéristiques de cette période, son catalogue en est en quelque
sorte la table des matières – ou la table d’orientation.

La bibliothèque de Richard de Fournival


au sein du collège de Sorbonne
Non seulement la sagesse est dissimulée dans le cœur des sages, affirme
Jean, bibliothécaire du collège de Sorbonne et auteur du répertoire métho-
dique de la libraria communis établi entre 1321 et 1338 et de la doctrina tabule qui

33. R. H. Rouse, « Statim invenire: Schools, Preachers, and New Attitudes to the Page », dans
The Renaissance of the Twelfth Century, R. L. Benson et G. Constable, éd., Cambridge (Mass.),
1982, p. 201-225 [repris dans Authentic Witnesses, op. cit., p. 191-219] ; Mise en page et mise en texte
du livre manuscrit, H.-J. Martin et J. Vézin, éd., Paris, 1990.

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Christopher Lucken 75

lui sert d’introduction, mais la sagesse et le savoir sont également dissimu-


lés dans les manuscrits et les bibliothèques où ils ont été entreposés. Leurs
propriétaires ignorent en effet ce qu’ils ont, soit parce qu’ils possèdent une
grande quantité de livres, soit parce qu’il y a de nombreuses œuvres diffé-
rentes dans un même manuscrit, soit parce que leurs titres sont défectueux34.
Les propos de Jean font écho à ceux de Richard de Fournival35. De même que la
Biblionomia doit permettre aux étudiants d’Amiens dont l’âme est assoiffée du
désir d’apprendre de découvrir aussi aisément que possible les ouvrages qui
pourront mettre un terme à leur ignorance, de même le répertoire de la libraria
communis du collège de Sorbonne (librarie tabulam) doit permettre à ceux qui
s’intéressent à une discipline ou un auteur particulier de connaître le contenu
des manuscrits enchaînés que cette institution a réunis dans sa salle de lecture
et d’y trouver rapidement et facilement (facile et cito invenire) les textes qu’ils
veulent consulter sans avoir à les chercher trop longtemps36. C’est encore le

34. « Sapiencia abscondita et thesaurus invisus, que utilitas in utrisque ? » [Eccles. XX, 32] – Absconditur
autem sapientia non solum in cordibus sapientum, qui de accepto sapientie talento aliis prodesse non curant,
sed absconditur etiam multiplex sapientia et scientia in codicibus antiquorum doctorum, qui non solum homi-
nibus sui temporis sed et insuper futuris sue doctrine rivulos ob majus consequendum premium conati sunt
scribendo multis laboribus et vigiliis impertiri ; quorum quidem libri licet apud multos et a multis in suis
bibliothecis habentur, attamen, vel propter multitudinem voluminum, vel propter multorum librorum in uno
sepe volumine contentorum, vel etiam ob defectum tituli librorum, ab habentibus ignorantur ; quos tamen, vel
aliquos illorum, si se habere noscerent et ubi, ardentius in eis studerent et memorie diligentius commendarent
(L. Delisle, éd., « Bibliothèque de la Sorbonne – xiiie et xive siècle », op. cit., p. 79).
35. On peut penser que le texte de la Biblionomia a accompagné les manuscrits de Richard de
Fournival lorsqu’ils sont entrés au collège de Sorbonne et qu’il a pu jouer un rôle aussi bien sur
les directives que Gérard d’Abbeville a laissées dans son testament à propos du soin qu’il faut
accorder à ses livres, sur la rédaction de différents inventaires à partir de 1274, sur l’organisa-
tion du répertoire de la libraria communis et sur celle du catalogue de la parva libraria et, enfin,
sur les propos de Jean en tête du répertoire. On pourrait même se demander si le manuscrit
actuel de la Biblionomia n’a pas été copié au sein même du collège de Sorbonne dans le cadre
des entreprises de réorganisation et de catalogage qui ont suivi le règlement édicté en 1321 en
vue d’une « meilleure conservation des livres » (voir P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne,
op. cit., t. I, no 22, p. 214-215), contribuant ainsi à la « dimension mémorielle » de ce travail d’in-
ventaire dont G. Fournier a souligné l’importance (Une « bibliothèque vivante », op. cit., p. 33-86,
« Listes, énumération, inventaires… », art. cité, en part. p. 185, n. 143, et « Les conditions d’une
réussite : le livre et la memoria au collège de Sorbonne (xiiie-xve siècle) », art. cité). La biblio-
thèque de Richard de Fournival et son catalogue se situeraient non seulement à l’origine de la
bibliothèque du collège de Sorbonne et de ses catalogues (du moins en partie), mais seraient
aussi (toujours en partie) le produit de sa mémoire. Il faudrait alors se demander, cependant,
comment ce manuscrit a fait pour entrer ensuite au collège des Cholets, où il se trouvait avant
d’entrer au xixe siècle dans la bibliothèque de la Sorbonne.
36. Quod ego Johannes, presentis collegii de Sorbona quondam inter ejus cetera membra unum de minimis
ac minus utile ad officia corporis exsequenda, in presenti domo videns accidere, et quod minus tolerabile erat
in libraria communi, in qua, licet multitudo librorum quasi de qualibet sciencia esset omnibus exposita ad

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76 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

cas aujourd’hui, alors même qu’il ne s’agit plus de pénétrer dans la libraria
communis du collège de Sorbonne, mais d’identifier et d’analyser le contenu
des manuscrits qu’elle comprenait afin d’acquérir une meilleure connaissance
de cette institution. Ce répertoire et le catalogue général de 1338 permettent
du même coup de retrouver une partie des manuscrits de Richard dissimulés
dans l’une ou l’autre des deux composantes de la bibliothèque du collège de
Sorbonne à la suite du legs de Gérard d’Abbeville.
De même que la Biblionomia, le catalogue général et le répertoire de la
libraria communis sont divisés en plusieurs sections : 59 pour le premier et 52
pour le second. La grande majorité de ces sections concernent toutefois les
écrits bibliques et théologiques (44 pour chacun des deux catalogues). En ce
qui concerne les autres sections (consacrées aux arts libéraux, aux différents
aspects de la production philosophique, à la médecine et au droit), la réparti-
tion de leur contenu ne repose pas sur une organisation du savoir aussi précise
et élaborée que celle dont témoigne la Biblionomia. Chaque section regroupe
de plus un ensemble de manuscrits et de textes qui apparaissent sans ordre
véritable (sinon qu’ils semblent suivre l’ordre dans lequel les manuscrits sont
entrés au collège de Sorbonne). Certains textes sont d’ailleurs représentés en
plusieurs exemplaires (alors qu’on constate par ailleurs des manques surpre-
nants). Si ces deux catalogues doivent servir à trouver les textes ou les manus-
crits contenus à l’intérieur de cette double bibliothèque, ils en constituent
également un inventaire, alors que la Biblionomia ne répond pas vraiment à un
tel objectif. En tout cas, ils n’ont pas le même caractère programmatique que
le catalogue de Richard de Fournival.
Le catalogue général de 1338 comptabilise 1 722 volumes contenus dans
l’ensemble de la bibliothèque du collège de Sorbonne. Par rapport au catalogue
de 1290 (qui ne nous est pas parvenu), 289 semblent perdus ou manquer à
leur place (comme le précise parfois l’indication defficit) et ne font l’objet d’au-
cune description. 344 sont enchaînés au sein de la libraria communis (comme le
précise l’indication cathenatus ou defficit quia cathenatus) et peuvent se retrouver

studendum, difficile tamen quilibet invenire potuit quod querebat, huic difficultati vel defectui remedium
desiderans adhibere et viam ad inveniendum in dicta libraria cuilibet librum vel scienciam de qua quereret
cupiens si quoquo modo fieri posset commode preparare, non veritus utilitatem propriam communi utilitati
postponere, sciens quod bonum quanto communius tanto divinius, et quoniam quod michi laboro mecum
moritur, quod vero laboro aliis non moritur in eternum, aggressus sum solus modus meliore quem excogitare
poteram super multitudine librorum dicte librarie tabulam ordinare, in qua, ut reor, quilibet, si tamen pre-
sentis tabule sciverit processum, facile et cito poterit invenire de quacunque sciencia sibi studere placuerit, et
cujus modi vel cujus auctoris librum videre voluerit, dum tamen sit in presenti libraria, per proprium titulum
vel dicti libri principium, inspecta presenti tabula, sine longa inquisitione poterit reperire (L. Delisle, éd.,
« Bibliothèque de la Sorbonne – xiiie et xive siècle », op. cit., p. 79).

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Christopher Lucken 77

dans son répertoire. Restent 1 089 manuscrits faisant l’objet d’une descrip-


tion. Si l’on s’en tient aux disciplines que la Biblionomia associe à la philoso-
phie, sans prendre en considération les sections consacrées à la théologie, au
droit (puisque ces deux sections sont à peine décrites par la Biblionomia), à la
médecine (puisque le testament de Gérard d’Abbeville avait prévu qu’on vende
ses ouvrages de médecine et qu’ils ne se retrouvent pas dans la bibliothèque
du collège de Sorbonne), à Raymond Lulle et aux ouvrages en langue française
(qui ne peuvent qu’être étrangers à la Biblionomia), le catalogue général comp-
tabilise 423 volumes, alors que la bibliothèque de Richard en compte 192. 156
d’entre eux sont manquants ou enchaînés. Restent 267 manuscrits pourvus
d’une description qui permet d’en connaître à peu près le contenu.
Lorsque le collège de Sorbonne hérita en 1272 des 300 manuscrits de
Gérard d’Abbeville, on peut penser qu’il vit le nombre de volumes en sa pos-
session tripler ou même quadrupler, au point qu’on a pu considérer Gérard
« comme le véritable fondateur de la bibliothèque du collège37 ». C’est dire
l’importance de la bibliothèque créée par Richard de Fournival en faveur des
étudiants d’Amiens pour le développement de la bibliothèque du collège créé
par Robert de Sorbon en faveur des étudiants de théologie de Paris. Si les dons
ne cessèrent d’accroître le nombre de livres détenus par cette bibliothèque, les
manuscrits légués par Gérard continuaient à en former une part non négli-
geable. Sur les 1 722 volumes du collège de Sorbonne comptabilisés par le
catalogue général de 1338, on peut estimer que 234 proviennent de son legs,
soit environ 13 %38. On peut le savoir grâce à la mention du donateur par les
notices du catalogue de la parva libraria et/ou grâce à l’ex-libris du manuscrit
lorsque celui-ci nous est parvenu (qu’il provienne de la parva libraria ou de la
libraria communis). Mais la bibliothèque du collège de Sorbonne pouvait com-
prendre davantage de manuscrits de Gérard d’Abbeville. D’une part, toutes les
notices du catalogue général n’indiquent pas le nom du donateur et certaines
d’entre elles pourraient également s’appliquer à des manuscrits provenant

37. L. Grenier-Braunschweig, « La prisée des manuscrits du collège de Sorbonne au


Moyen Âge », art. cité, p. 327. Sur le legs de Gérard d’Abbeville, outre les études déjà citées,
voir C. Angotti, « Les bibliothèques des couvents mendiants, un modèle pour les séculiers ?
L’exemple de deux premiers bienfaiteurs de la bibliothèque du collège de Sorbonne (Robert de
Sorbon, Gérard d’Abbeville) », dans Entre stabilité et itinérance. Livres et culture des ordres mendiants.
xiiie-xve siècle, N. Bériou, M. Morard, et D. Nebbiai, éd., Turnhout, 2014, p. 31-72 (en part.
p. 36-39, 60-72).
38. A. Birkenmajer, « La bibliothèque de Richard de Fournival », art. cité, passim ;
P. Glorieux, « Bibliothèques de maîtres parisiens. Gérard d’Abbeville », art. cité, en part.
p. 153-163. J’ai repris à nouveaux frais l’étude de cette question, mais ne puis en fournir ici les
détails. Il demeure bien sûr de nombreuses conjectures et bien des incertitudes. Mais il s’agit
principalement de proposer un aperçu général et un ordre de grandeur.

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78 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

de ce dernier (même si la plupart doivent concerner des manuscrits achetés


ou copiés directement par le collège de Sorbonne)39. D’autre part, tous les
manuscrits qui semblent provenir de Richard de Fournival et avoir appartenu
à Gérard ne sont pas pourvus d’un ex-libris précisant qu’ils ont été légués par
ce dernier40. Certains manuscrits de la libraria communis dont l’origine n’est
pas précisée pourraient aussi provenir de Gérard (qu’ils nous soient parvenus
ou pas)41. Aussi, non seulement la quasi-totalité des manuscrits de « philo-
sophie », dont on sait qu’ils ont été légués par Gérard, peuvent être apparen-
tés aux manuscrits de la Biblionomia, mais il est aussi possible que certains
manuscrits du collège de Sorbonne dont le donateur est inconnu proviennent
également de Richard (qu’ils soient ou non décrits par la Biblionomia).
Si l’on s’en tient aux différentes sections du catalogue général que l’on
peut rapprocher des disciplines que la Biblionomia associe à la philosophie,
les manuscrits qui proviennent avec plus ou moins de certitude de Gérard
d’Abbeville et/ou Richard de Fournival forment environ 25 des 70 Libri gram-
maticales, 4 des 20 Libri loycales, 12 des 44 Libri naturales non commentati, 1 des
11 Libri naturales commentati, 1 ou 2 des 18 Libri morales Aristotelis, 3 des 7 Libri
Senece, 19 des 44 Libri Tullii et Boecii, 13 des 22 Libri Socratis, Platonis, Ciceronis,
Valerii, Solini, Cassiodori, Plini et aliorum actorum, 13 des 46 Libri mixti philosopho-
rum, 1 des 61 Scripta et questiones super libro Aristotelis, et à peu près 45 des 80 Libri

39. C’est le cas, par exemple, du no 11 de la section LI, Libri Tullii et Boecii, du catalogue général
(Rethorica Tullii. Incipit in 2o fol. “tum odii”, in pen. “in animatas”. Precium viii sol.), qui correspond
au ms. Leiden, Bibliotheek der Rijksuniversiteit, Vossianus, lat. Q. 103, et à la notice 27 de la
Biblionomia (Ejusdem liber priorum rhetoricorum, et item posteriorum ad Herennium, in uno volumine cujus
signum est littera C), du no 25 de cette même section (Tullius de accusacione. Incipit in 2o fol. “lega”, in
pen. “severitate”. Precium vi sol.), qui correspond au ms. Paris, BNF, lat. 6602 II, f. 48-124, et à la
notice 31 de la Biblionomia (Ejusdem accusatio in Antonium Philippensem, que sunt Invective Philippice
vel Antoniane. Item ejusdem accusatio in Catylinam, que sunt Invective Catylinarie Tulliane. In uno volu-
mine cujus signum est littera D). C’est aussi le cas du no 12 de la section LVI, Libri quadriviales, du
catalogue général (Tabula astronomie cum pluribus libris de judiciis astrorum. Incipit in 2o fol. “fuerit”, in
pen. “facies”. Precium lx sol.), qui correspond au ms. Paris, BNF, lat. 16208 et qui devait se trouver
parmi les « livres secrets » de la bibliothèque de Richard de Fournival.
40. C’est le cas, par exemple, du no 12 cité à la note précédente, ou du ms. P.f. de la libraria
communis, qui correspond au ms. Paris, BNF, lat. 16204, qui devait se trouver parmi les « livres
secrets » de la bibliothèque de Richard de Fournival et avoir transité par Gérard d’Abbeville.
41. C’est le cas, par exemple, du ms. P.f. de la libraria communis cité à la note précédente, qui
nous est parvenu, ou du ms. P.l. (Disputationes Tullii vel liber achademicorum ejusdem. “Non eram nes-
cius Brute” – Thymeus ejusdem de universitate. “Multa sunt a nobis et in achademis scripta”), qui ne nous
est pas parvenu mais qui correspond selon toute vraisemblance à la notice 75 de la Biblionomia
(Ejusdem liber Achademicarum disputationum, in quo ostendit quod genus phylozophizandi arbitrandum
sit minime et arrogans maximeque et constans et elegans. Item ejusdem liber de universalitate, qui vocatur
Thimeus Tullii. In uno volumine cujus signum est littera I).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 78 10/04/2017 16:31


Christopher Lucken 79

quadriviales. Ce qui fait 137 des 423 manuscrits contenus dans ces différentes
sections, soit plus d’un quart.
Si l’on procède cette fois en suivant les sections retenues par la Biblionomia,
on peut repérer dans les deux catalogues de la bibliothèque du collège de
Sorbonne entre 3 et 9 manuscrits pouvant provenir avec plus ou moins de cer-
titude de la section de grammaire de la bibliothèque de Richard de Fournival
(sur 12, dont aucun n’a été conservé), entre 9 et 10 pouvant provenir de la
section de dialectique (sur 12, dont 3 ont été conservés), entre 6 et 7 pou-
vant provenir de la section de rhétorique (sur 12, dont 4 ont été conservés),
8 pouvant provenir de la section de géométrie (sur 8, dont 5 ont été conser-
vés), 4 pouvant provenir de la section d’arithmétique (sur 4, dont 2 ont été
conservés), 4 pouvant provenir de la section de musique (sur 4, dont 2 ont
été conservés), 7 pouvant provenir de la section d’astronomie (sur 8, dont 6
ont été conservés), entre 9 et 11 pouvant provenir de la section de physique
et de métaphysique (sur 12, dont 6 ont été conservés), entre 6 et 11 pouvant
provenir de la section d’éthique (sur 12, dont 5 ont été conservés), entre 5 et
21 pouvant provenir de la section de philosophie variée (sur 24, dont 4 à 10
ont été conservés), et entre 12 et 21 pouvant provenir de la section de poésie
(sur 24, dont 5 ou 6 ont été conservés). Sur les 132 manuscrits du compar-
timent de philosophie pourvus d’une description, entre 73 (au minimum)
et 113 ont laissé une trace dans les catalogues de la bibliothèque du collège
de Sorbonne, soit plus de la moitié. Enfin, plus de 30 manuscrits sur les 60
appartenant aux livres secrets ou aux recueils de grand format semblent pou-
voir être identifiés (dont une quinzaine ont été retrouvés).
Manifestement, les manuscrits de Richard de Fournival contenant des
ouvrages appartenant au quadrivium semblent avoir été nettement mieux
conservés que les autres et avoir contribué de manière particulièrement
significative à enrichir le fonds de la bibliothèque du collège de Sorbonne.
Les ouvrages d’Aristote et de ses divers commentateurs, qu’ils concernent la
logique, la physique, la métaphysique ou l’éthique, sont également relative-
ment bien conservés. En revanche, les ouvrages de grammaire ou de rhéto-
rique ne semblent pas avoir bénéficié du même destin ni du même rôle. Pour
les ouvrages de philosophie variée et les ouvrages poétiques, il demeure trop
d’incertitudes pour tirer des conclusions précises.
Ainsi, plus de la moitié des manuscrits de la section de philosophie de
la bibliothèque de Richard de Fournival se retrouvent dans la bibliothèque
du collège de Sorbonne (qu’ils soient mentionnés dans le catalogue géné-
ral ou dans le répertoire de la Libraria communis). Il en est probablement de
même si l’on poursuit la recherche à propos du droit et de la théologie. Si
la bibliothèque de Richard se présente à travers la Biblionomia comme une

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80 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

« bibliothèque idéale », elle apparaît à travers les catalogues de la bibliothèque


du collège de Sorbonne, qui conservent la trace du legs de Gérard d’Abbeville,
comme une bibliothèque parfaitement « réelle ».
Qu’en est-il cependant des manuscrits de la Biblionomia dont on ne retrouve
aucune trace ? Il est possible, tout d’abord, que certains d’entre eux ne soient
pas parvenus à Gérard d’Abbeville, mais qu’ils aient été légués à d’autres per-
sonnes42. Il est aussi possible que Gérard ait vendu ou cédé certains de ses
manuscrits avant sa mort43. Ce dernier avait en outre prévu que l’on vende non
seulement ses ouvrages de médecine pour apurer ses dettes, mais aussi des
ouvrages de philosophie ou d’autres ouvrages dont l’identité n’est pas préci-
sée44. Les décisions relatives à la réorganisation de la bibliothèque du collège
de Sorbonne édictées en 1321 remarquent de plus que de nombreux livres ont
été prêtés, sans qu’on puisse savoir où ils se trouvent, ou qu’ils sont désormais
perdus45. Elles proposent également de vendre aux sociétaires ou à d’autres
certains manuscrits, en particulier des « livres de peu de valeur qui ne sont
pas reliés », comme les notes d’étudiants (reportationes) et d’anciens sermons,

42. A. Birkenmajer, « La bibliothèque de Richard de Fournival », art. cité, p. 137. D’après
l’inventaire de la bibliothèque du chapitre de la cathédrale d’Amiens (1348), on sait par exemple
que Thomas Greffin († 1275), neveu de Richard de Fournival et médecin comme lui, a légué
au chapitre de la cathédrale d’Amiens son Papias : cet ouvrage n’est pas mentionné dans la
Biblionomia, mais pourrait très bien provenir de la bibliothèque de Richard et avoir été rangé
parmi les manuscrits de grand format. On trouve également dans cet inventaire deux ouvrages
qui diffèrent nettement du reste de son contenu et pourraient bien provenir de la bibliothèque
de Richard : le De naturis rerum de Sénèque et le De mirabilibus mundi et situ terrarum de Solin (voir
E. Coyecque, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, Départements,
t. XIX, Paris, 1893, p. lxxx-xcvii, en part. p. lxxxiv, nos 87, 81 et 82 ; G. Lanoë, « Les livres de
Notre-Dame d’Amiens », dans P. Desportes et H. Millet, Diocèse d’Amiens, op. cit., p. 11-15). Il
est possible aussi qu’Étienne d’Abbeville, chanoine de la cathédrale d’Amiens, qui fut peut-être
apparenté à Gérard d’Abbeville et qui légua à sa mort, vers 1288, une quarantaine de manus-
crits au collège de Sorbonne, ait reçu lui aussi certains manuscrits de Richard de Fournival.
Voir ibid., no 56, p. 208 ; L. Delisle, « La bibliothèque de la Sorbonne », op. cit., p. 174-175 ;
M. Mabille, « Les manuscrits d’Étienne d’Abbeville à la Bibliothèque nationale », BEC, 132,
1974, p. 245-266.
43. L. Delisle, « La bibliothèque de la Sorbonne », op. cit., p. 148, no 5 ; A. Birkenmajer,
« La bibliothèque de Richard de Fournival », art. cité, p. 125.
44. Et omnes libri medicine quos habeo depositos qpud eos [scolares domus magistri Roberti de Sorbonio]
mixtos cum libris philosophie et aliis libri, vendantur et inde debita mea, se necesse fuerit, reddantur (cité
d’après P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne, op. cit., t. II, no 301, p. 355).
45. Item circa custodiam librorum vagantium per socios fuit ordinatum quod custodes illorum eligerentur per
socios et non quilibet alteri daret clavem ad voluntatem cuam ; et quod aliquam rationem redderent de libris
tempore sue custodie perditis ; aliter frustra dicuntur custodes (cité d’après ibid., t. I, no 22, p. 214-215 ;
voir p. 244).

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Christopher Lucken 81

afin de pouvoir acheter des ouvrages qui manquent46. Les manuscrits qui ne
sont pas décrits dans le catalogue général de 1338 ou qui font défaut (defficit)
témoignent à leur tour de la disparition d’un certain nombre d’ouvrages. Il est
probable que, parmi ces manuscrits dont on a désormais perdu la trace, il s’en
trouvait plusieurs qui avaient appartenu à Richard de Fournival.

D’une bibliothèque idéale à une bibliothèque réelle


Bien que la Biblionomia ait toutes les apparences d’une bibliothèque
« idéale », qui n’existerait que sur le papier, les nombreux manuscrits qui s’y
trouvent décrits que l’on peut repérer dans les catalogues de la bibliothèque
du collège de Sorbonne témoignent qu’il s’agit bel et bien du catalogue d’une
bibliothèque réelle. D’ailleurs, si tel n’était pas le cas, pourquoi Richard de
Fournival aurait-il destiné cette dernière aux étudiants de sa ville ? Pourquoi
préciserait-il que les manuscrits sont rangés par groupes de douze et posés
à plat, le plus petit sur le plus grand ? Pourquoi aurait-il mentionné l’exis-
tence d’une section de 24 manuscrits de « grand format » et une section de
36 « livres secrets » qu’il ne décrit pas ? Pourquoi aurait-il noté que le compar-
timent de médecine comprend un rayon sur lequel se trouvent six manuscrits
contenant des œuvres magistrales, « comme les gloses ou la pratique », dont
l’identité n’est pas précisée ? Pourquoi aurait-il indiqué brièvement la présence
de manuscrits consacrés au droit canon et au droit civil sans en détailler le
contenu, alors qu’ils sont pourvus de cotes ? Pourquoi aurait-il omis d’énumé-
rer le contenu des manuscrits consacrés aux originalia et aux postilles, alors
qu’il mentionne leur existence et qu’il les pourvoit eux aussi de cotes ? Et pour-
quoi se serait-il « amusé » à décrire des manuscrits (dont certains semblent
se soumettre aisément à l’ordonnancement des textes proposé pour chaque
discipline, alors que d’autres présentent des ensembles d’ouvrages moins
adaptés à un semblable classement), plutôt que de se contenter d’énumérer
simplement une série de textes propres à chaque discipline, comme le font par
exemple Alexandre Neckam dans le Sacerdos ad altare (composé vers 1210)47,

46. Item, quia multi ibi iacent libri parvi valoris, non ligati, occupantes locum, sicut reportationes et antiqui
sermones, fuit ordinatum quod darentur beneficiariis nostris qui possent esse ad usum eorum, et alii iuxta
ordinationem sociorum ad hoc deputatorum venderentur sociis de domo vel aliis si aliquid offeretur pro eis ; et
de illa pecunia emerentur alii libri deficientes nobis (ibid.).
47. C. H. Haskins, éd., « A List of Text-Books from the Close of the Twelfth Century », Studies
in the History of Mediaeval Science, 1924, p. 356-376 ; T. Hunt, éd., Teaching and Learning Latin in
Thirteenth-Century England, t. I, Woodbridge (Suffolk)-Rochester (New York), 1991, p. 250-273.
Une traduction anglaise de ce texte a été donnée par R. Copeland et I. Sluiter, Medieval
Grammar and Rhetoric. Language Arts and Literary Theory, AD 300-1475, Oxford, 2009, p. 536-541.

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82 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

Évrard l’Allemand dans le Laborintus (composé entre 1220 et 1250)48 et la plu-


part des textes « didascaliques » rédigés au cours du xiiie siècle dans le cadre
de la faculté des arts de l’université de Paris, notamment les programmes sco-
laires officiels, comme celui qu’édicta le cardinal-légat Robert de Courçon en
1215 ou celui que rédigèrent l’ensemble des maîtres ès arts de la faculté des
arts de Paris en 1255, ou encore les introductions à la philosophie, comme
le fameux Guide de l’étudiant ou Compendium du manuscrit Ripoll de Barcelone ?
Enfin, pourquoi ne s’est-il pas contenté de proposer des ouvrages canoniques,
plutôt que de mentionner également des ouvrages ignorés de la plupart de
ses contemporains ou très peu diffusés, dont certains même ne nous sont
connus qu’à travers son catalogue49 ? Et pourtant, si la plus grande partie des
300 manuscrits légués par Gérard d’Abbeville au collège de Sorbonne semble
provenir de Richard de Fournival, si plus d’un tiers des manuscrits que ce der-
nier semble avoir possédé ont laissé une trace parfaitement identifiable dans
les catalogues de la bibliothèque du collège de Sorbonne, si l’on ne saurait
considérer par conséquent la bibliothèque du chancelier d’Amiens comme
une simple « bibliothèque idéale », est-on bien certain que tous les manuscrits
mentionnés par la Biblionomia ont existé ?
On pourrait penser que Richard de Fournival a réussi à acquérir ou à faire
copier les œuvres les plus connues et les plus diffusées, et que c’est elles qu’on
retrouve en grande majorité dans la bibliothèque du collège de Sorbonne. Ce
n’est pas le cas. Bien sûr, parmi les œuvres qui proviennent probablement
de Richard, certaines ont bénéficié d’une importante tradition manuscrite50,
comme c’est le cas par exemple du Doctrinale d’Alexandre de Villedieu (B. 7 ;
conservé dans 400 manuscrits)51, des Tables de Tolède d’Al-Zarqālī (B. 60 ;

48. Évrard l’Allemand, Laborintus, v. 599-686, E. Faral, éd., Les arts poétiques du xiie et du
xiiie siècle. Recherches et documents sur la technique poétique du Moyen Âge, Paris, 1924,
p. 358-361.
49. C’est le cas, par exemple, de l’Abbreviatio utriusque operis Prisciani d’un certain Andreas (B. 6),
qui semble se retrouver dans le catalogue général de la bibliothèque du collège de Sorbonne
(XLV, Libri grammaticales, 9 ou 34), mais qui ne nous est pas parvenu et dont nous n’avons
aucune autre attestation.
50. Pour la tradition manuscrite des textes mentionnés ici, voir Catalogus Translationum et
Commentariorum, P. O. Kristeller et al., éd., Washington, 1960-2011 (9 vol.) ; Texts and
Transmission. A Survey of the Latin Classics, L. D. Reynolds, éd., Oxford, 1983 ; B. Munk Olsen,
L’étude des auteurs classiques latins aux xie et xiie siècles, Paris, 1982-2009 (4 tomes), et les diverses
études qui leur ont été consacrées.
51. Auquel semble correspondre le no 14 de la section XLV, Libri grammaticales, du catalogue de
1338.

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Christopher Lucken 83

conservé dans une centaine de manuscrits)52, ou des comédies de Térence


(B. 130 ; conservées dans plusieurs centaines de manuscrits, dont une cen-
taine antérieurs au xiiie siècle)53.
Pourtant, la bibliothèque du collège de Sorbonne ne contient pas certains
manuscrits de la Biblionomia consacrés à des ouvrages bien connus. C’est le
cas par exemple de B. 11, qui contient une série de traités de poétique : le De
arte metrica de Bède (conservé dans 70 manuscrits), la Poetica d’Horace (conser-
vée dans 250 manuscrits)54, la Poetica nova de Geoffroi de Vinsauf (conservée
dans plus de 100 manuscrits), auxquels sont associés deux traités de lexico-
graphie moins connus, le De utensilibus ad domum regendam pertinentibus d’Adam
de Balsham (conservé dans 15 manuscrits) et le De utensilibus d’Alexandre
Neckam (conservé dans 9 manuscrits seulement). C’est aussi le cas de B. 25,
qui contient l’Institutio oratoria de Quintilien (conservé dans 250 manuscrits),
de B. 94, qui contient des extraits du De architectura de Vitruve (conservé dans
une centaine de manuscrits) et le De re militaria de Végèce (conservé dans
270 manuscrits), de B. 113, qui contient l’Alexandreis de Gauthier de Châtillon
(conservé dans plus de 200 manuscrits), ou encore de B. 131, qui contient
l’Historia apostolica d’Arator (conservé dans plus de 100 manuscrits) et le Liber
de Tobie de Mathieu de Vendôme (conservé dans plus de 90 manuscrits)55. Il
est probable que certains de ces manuscrits font partie des livres de la biblio-
thèque du collège de Sorbonne qui ont disparu. Mais il est aussi possible que
certaines disciplines et certains textes n’aient pas suscité un très grand intérêt
de la part des sociétaires du collège de Sorbonne et qu’on n’ait pas veillé à ce
qu’ils soient bien représentés.
En même temps, certains ouvrages particulièrement rares de la Biblionomia
se retrouvent dans la bibliothèque du collège de Sorbonne (et certains nous
sont même parvenus) : c’est le cas par exemple de l’Epitoma ou Abbreviatio de
l’Institution grammaticale de Priscien, réalisée par un certain Gosbertus (B. 6 ;
conservée dans 4 manuscrits)56, de l’Abbreviatio du même ouvrage, réalisée par

52. Auquel correspond très probablement le no 15 de la section LVI, Libri quadriviales, du cata-
logue de 1338, et le ms. Paris, BNF, lat. 16209.
53. Auquel pourrait correspondre le no 23 de la section XLV, Libri grammaticales, du catalogue
de 1338.
54. Qu’on trouve toutefois dans le no 3 de la section XLV, Libri grammaticales, du catalogue de
1338 (manuscrit qui correspond à B. 125 et qui contient presque l’ensemble des œuvres de
Horace). La Biblionomia comprend en effet deux exemplaires de la Poetica d’Horace.
55. Poème qui est toutefois contenu dans le no 44 de la section XLV, Libri grammaticales, du cata-
logue de 1338.
56. Auquel correspond probablement le no 9 de la section XLV, Libri grammaticales, du catalogue
de 1338.

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84 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

un certain Andreas (B. 6 ; inconnue par ailleurs)57, du Liber commentariorum in


Analecticos posteriores Aristotelis de Themistius, traduit par Gérard de Crémone
(B. 16 ; conservé dans 5 manuscrits)58, des Verrines de Cicéron (B. 30 ; conser-
vées dans une dizaine manuscrits antérieurs au xiiie siècle, mais dont un seul
est complet)59, de la traduction par Hermann de Carinthie des Éléments d’Eu-
clide (B. 37 ; conservée dans le seul manuscrit de la Biblionomia)60, de la tra-
duction anonyme de l’Epistola de intellectu d’Averroès Junior (B. 70 ; conservée
dans 2 manuscrits)61, de la traduction par Henri Aristippe du Phédon de Platon
(B. 86 ; conservée dans 9 manuscrits)62, de la Chronique de Nicolas d’Amiens
(B. 104)63, de trois œuvres de Richard de Gerberoy (B. 114 ; qui ne nous sont
pas parvenues)64, des Élégies de Tibulle (B. 115 ; conservées dans 5 manus-
crits antérieurs au xve siècle)65, des Élégies de Properce (B. 116 ; conservées
dans 150 manuscrits, mais un seul est plus ancien que celui de Richard de
Fournival)66, et enfin des Tragédies de Sénèque (B. 129 ; conservées dans
plusieurs manuscrits, mais très peu sont plus anciens que celui de Richard
de Fournival)67.

57. Voir la note précédente.


58. Auquel pourrait correspondre l’ouvrage contenue sous la cote C.n. du répertoire de la
Libraria communis (Temistius super librum posteriorum. [“Scio quod si intendero”]).
59. Auquel correspond le no 6 de la section LI, Libri Tullii et Boecii, du catalogue de 1338, et le ms.
Paris, BNF, lat. 7775 (daté du milieu du xiie siècle).
60. Auquel correspond le no 48 de la section LVI, Libri quadriviales, du catalogue de 1338, et le
ms. Paris, BNF, lat. 16646.
61. Contenu avec une série d’œuvres analogues dans un recueil qui correspond au ms. AD.k. du
répertoire de la libraria communis.
62. Auquel correspond le no 17 de la section LII, Libri Socratis, Platonis, Ciceronis, Valerii, Solini,
Cassiodori, Plini et aliorum actorum, du catalogue de 1338 (conservé dans la libraria communis sous
la cote Z.f.) et le ms. Paris, BNF, lat. 16581 II, f. 94-162.
63. Auquel correspond le no 3 de la section XL, Cronice, du catalogue de 1338, et le ms. Città del
Vaticano, B. A.V., Reg. Lat. 454.
64. Conservées avec d’autres textes dans le ms. G.h. du répertoire de la Libraria communis.
65. Auquel correspond le no 35 de la section LVI, Libri quadriviales, du catalogue de 1338.
66. Auquel correspond le no 14 de la section LII, Libri Socratis, Platonis, Ciceronis, Valerii, Solini,
Cassiodori, Plini et aliorum actorum, du catalogue de 1338 et le ms. Leiden, Bibliotheek der
Rijksuniversiteit, Vossianus, O. 38. Il semble d’ailleurs que ce soit à partir d’une copie de ce
manuscrit que Pétrarque ait lu et annoté les Élégies de Properce et qu’il ait joué un grand rôle
dans la diffusion de ce texte en Italie. Voir B. L. Ullman, « The Manuscripts of Propertius »,
CP, 6, 1911, p. 282-301 ; Id., « Petrarch’s Acquaintance with Catullus, Tibullus, Propertius »,
art. cité ; A. C. de la Mare, « The Return of Propertius to Italy », dans Medieval Learning and
Literature. Essays Presented to R. W. Hunt, op. cit., p. 220-254.
67. Auquel correspond le ms. X.l. du répertoire de la libraria communis et le ms. Paris, BNF,
lat. 8260.

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Christopher Lucken 85

La bibliothèque de Richard de Fournival a manifestement joué un rôle


particulièrement important dans la transmission de la littérature classique et
du savoir issus de l’Antiquité gréco-latine et du monde arabe, en particulier
pour un certain nombre de textes relativement rares qui se retrouvent dans
la bibliothèque du collège de Sorbonne et dont quelques-uns nous sont par-
venus. Cela signifie-t-il pour autant que tous les manuscrits décrits par la
Biblionomia ont été acquis ou copiés par Richard ? Comme nous l’avons vu,
il est possible que certains de es manuscrits ne soient pas parvenus à Gérard
d’Abbeville ou qu’ils fassent partie des livres de la bibliothèque du collège de
Sorbonne qui ont disparu, en particulier ceux qui contenaient des ouvrages
relativement courants. Mais tous les manuscrits de la Biblionomia n’ont pas
forcément subi un tel destin.
Voyons le cas pour commencer de B. 28, qui se trouve dans la section
consacrée à la rhétorique, entre un manuscrit comprenant le De inventione de
Cicéron et la Rhetorica ad Herennium (qui nous est parvenu), et un manuscrit
comprenant un ensemble de lettres de Cicéron (et qui semble se retrouver
dans la bibliothèque du collège de Sorbonne). Il est décrit de la façon sui-
vante : Ejusdem [Marci Tullii Ciceronis] de oratore libri tres, et quartus Brutus, et quin-
tus Orator, in uno volumine cujus signum est littera C. Ces trois traités nous sont
principalement connus désormais grâce au célèbre Codex Laudensis (retrouvé
au xve siècle mais qui a disparu). Il est possible que Richard de Fournival ait
possédé une version plus ou moins mutilée du De oratore et de l’Orator (qui
nous sont également parvenus à travers quelques manuscrits mutilés). Mais
pouvait-il vraiment détenir un exemplaire du Brutus (dont on ne connaît qu’un
bref fragment antérieur au Codex Laudensis) ?
On constate tout d’abord que ce manuscrit et les trois textes qu’il contient
ne sont pas mentionnés dans les catalogues de la bibliothèque du collège de
Sorbonne. Il semble étonnant que cette institution n’ait pas conservé avec un
soin tout particulier des ouvrages aussi rares, alors que son catalogue général
comprend une section consacrée aux Libri Tullii et Boecii (qui décrit 16 manus-
crits contenant des ouvrages de Cicéron) et une autre consacrée aux Libri
Socratis, Platonis, Ciceronis, Valerii, Solini, Cassiodori, Plini et aliorum actorum (qui ne
mentionne aucune œuvre de Cicéron, mais la libraria communis en contient qui
pourraient en provenir). Les trois traités de Cicéron se suivent de plus dans un
ordre différent de celui du Codex Laudensis : le manuscrit de la Biblionomia ne
semble donc pas pouvoir lui être apparenté68. Enfin, Richard de Fournival a

68. R. Sabbadini, Le Scoperte dei codici latini e greci nei secoli xiv e xv, Firenze, 1905 ; P. Scarcia
Piacentini, « La tradizione laudense di Cicerone e un inesplorato manuscritto della
Biblioteca Vaticana (Vat. lat. 3237) », Revue d’histoire des textes, 11, 1981, p. 123-146.

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86 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

manifestement rédigé la notice de son catalogue en copiant ce que Cicéron dit


lui-même à propos de ces trois textes dans le passage du De divinatione (B. 74) :
Ita tres erunt de oratore, quartus Brutus, quintus Orator69. Comme l’ont souligné à
ce propos Michael Winterbottom, Richard H. Rouse et Michael D. Reeve :
Fournival seems frequently to have gone to the De divinatione for the “authentic” titles
of his Cicero works ; and such a source would explain the inversion of Brutus and Orator,
in comparison with their positions in the Lodi codex. In short, rather than an early copy
of the Lodi codex, Fournival probably had nothing more than a mutilus of De oratore
and Orator70. Richard a pu s’appuyer sur le De divinatione pour associer ces
deux derniers traités au Brutus et les présenter dans cet ordre. Mais on peut se
demander s’il les possédait vraiment. J’aurais tendance à penser qu’il n’était
pas encore parvenu à mettre la main sur ces trois textes dont il connaissait
l’existence grâce au De divinatione, mais qu’il espérait pouvoir se les procurer
et qu’il a rédigé cette notice en l’insérant à l’endroit qui lui semblait le plus
adapté en attendant de les trouver – tel un fantôme qu’on place sur un rayon
de bibliothèque.
Si une telle hypothèse prive la collection de Richard de Fournival d’un
manuscrit et des trois textes qu’il contient, elle compense cet inconvénient en
nous montrant comment, en l’occurrence, ce dernier a procédé pour consti-
tuer sa bibliothèque. Comme l’ont encore noté M. Winterbottom, R. H. Rouse
et M. D. Reeve, Richard semble souvent s’être référé au De divinatione pour
les titres des ouvrages de Cicéron que mentionne la Biblionomia. C’est le cas
en particulier pour les Academica71 et pour l’Hortensius (appelé aussi, d’après
la Biblionomia, Luculus)72. Mais quels ouvrages sont désignés sous ces deux

69. Cicéron, De la divination. De divinatione, II, i, 4, J. Kany-Turpin, éd. et trad., Paris, 2004,
p. 199.
70. M. Winterbottom, R. H. Rouse et M. D. Reeve, « De oratore, Orator, Brutus », dans
Texts and Transmission, op. cit., p. 102-109 (en part. p. 108-109). Voir aussi M. D. Reeve, « The
Circulation of Classical Works on Rhetoric from the 12th to the 14th Century », dans Retorica
e poetica tra i secoli xii e xiv, C. Leonardi et E. Menesto, éd., Florence, 1988, p. 108-124 ;
R. Taylor-Briggs, « Reading Between the Lines: The Textual History and Manuscript
Transmission of Cicero’s Rhetorical Works », dans The Rhetoric of Cicero in its Medieval and
Renaissance Commentary Tradition, V. Cox et J. O. Ward, éd., Leyde-Boston, 2006, p. 77-108 (en
part. p. 101-107 et n. 95).
71. Liber Achademicarum disputationum, in quo ostendit quod genus phylozophizandi arbitrandum sit
minime et arrogans maximeque et constans et elegans (B. 75), à comparer avec : […] et, eo quod genus
philosophandi minime adrogans maximeque et constans et elegans arbitraremur, quattuor Academicis libris
ostendimus (Cicéron, De la divination, II, i, 1, éd. cit., p. 196). Ce texte est relié ici au Timée de
Cicéron, mais je n’en tiendrai pas compte.
72. Liber ad Hortensium de cohortatione ad phylosophie studium, qui inscribitur Luculus et interdum
Hortensius (B. 76), à comparer avec : Nam et cohortati sumus, ut maxime potuimus, ad philosophiae
studium eo libro, qui est inscriptus Hortensius (Cicéron, De la divination, II, i, 1, éd. cit., p. 196).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 86 10/04/2017 16:31


Christopher Lucken 87

titres ? Seul le début du premier livre (intitulé Catulus) sur les quatre livres des
Academica posteriora nous est parvenu (avec quelques fragments)73, alors que
l’on ne connaît de l’Hortensius que les citations que l’on en a faites (notam-
ment saint Augustin)74.
Ces deux ouvrages paraissent pourtant se retrouver dans la bibliothèque du
collège de Sorbonne. Le premier est contenu dans la libraria communis sous la
cote P.l. avec le titre suivant : Disputationes Tullii vel liber achademicorum ejusdem.
“Non eram nescius Brute”. L’incipit proposé s’avère être en fait celui du De finibus
bonorum et malorum. Aussi peut-on penser, avec M. A. Rouse et R. H. Rouse,
que le Liber Achademicarum disputationum désigne la réunion du De finibus et
d’un fragment des Academica posteriora (deux traités dont le De divinatione sou-
ligne d’ailleurs la complémentarité)75. L. D. Reynolds estime toutefois que
ce manuscrit ne contenait que le De finibus76. On peut en tout cas penser que
Richard de Fournival a confondu (aux deux sens du terme) le De finibus avec les
Academica (comme s’il s’agissait du même ouvrage, alors même qu’ils ne sont
pas composés du même nombre de livres)77.
Quant au second ouvrage, il se trouve mentionné dans le catalogue géné-
ral de 1338 sous le titre suivant : Tullius ad Lucillum, ex legato magistri G. de
Abbatisvilla […]. Ce catalogue ne retient que le second des deux titres avan-
cés par la Biblionomia. Ce titre correspond en fait à celui du deuxième livre
de la première version des Academica (soit les Academica priora, composées de
deux livres), qui seul nous est parvenu. Le personnage d’Hortensius est d’ail-
leurs présent dans ce texte : c’est à lui en effet, accompagné de Catulus et de
Cicéron, que Lucullus expose les thèses sceptiques du philosophe Antiochus,
représentant de la Nouvelle Académie. Aussi peut-on penser que la Biblionomia
ne contient pas l’Hortensius, mais le second livre des premiers Académiques, inti-
tulé Lucullus. Richard de Fournival a donc dû confondre à nouveau l’Hortensius,

73. T. J. Hunt, A Textual History of Cicero’s Academici Libri, Leyde-Boston, 1998.


74. M. Ruch, L’Hortensius de Cicéron. Histoire et reconstitution, Paris, 1958.
75. M. A. Rouse et R. H. Rouse, « The Medieval Circulation of Cicero’s “Posterior Academics”
and the De finibus bonorum et malorum », art. cité, p. 78-79.
76. L. D. Reynolds, « The Transmission of the De finibus », Italia Medioevale e Umanistica, 35,
1992, p. 1-30 (en part. p. 15-16).
77. Cicéron présente le De finibus immédiatement après les Académiques : Cumque fundamentum
esset philosophiae positum in finibus bonorum et malorum, perpugatus est is locus a nobis quinque libris ut,
quid a quoque, et quid contra quemque philosophum diceretur, intellegi posset (De la divination, II, i, 2,
éd. cit., p. 196). On peut d’ailleurs noter que Richard de Fournival suit d’assez près le De divina-
tione pour décrire les Academica, mais qu’il ne précise pas qu’ils sont composés de quatre livres,
comme l’indique Cicéron. Voir supra n. 71.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 87 10/04/2017 16:31


88 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

dont il connaît l’existence grâce au De divinatione, avec le Lucullus que ne men-


tionne pas ce traité mais qu’il devait avoir rencontré par ailleurs.
Pour connaître les œuvres composées par Cicéron et les réunir dans sa
bibliothèque, Richard de Fournival s’est donc appuyé en grande partie sur le
passage du De divinatione qui présente les principaux traités philosophiques
de cet auteur. Quasiment tous ceux qu’il mentionne se retrouvent dans la
Biblionomia : l’Hortensius remplacé par le Lucullus (B. 76), les Academica et le De
finibus confondus l’un avec l’autre (B. 75), les Tusculanes (B. 80), le De natura
deorum (B. 73), le De divinatione (B. 74), le De fato (B. 74), le De senectute (B. 79) et
les trois traités dont il a été question pour commencer, le De oratore, le Brutus et
l’Orator (B. 28). Seuls manquent les six livres du De republica (mais Richard en
connaissait bien sûr l’existence à travers le Liber Commentariorum in sompnium
Scipionis de Macrobe (B. 87), précisant d’ailleurs à propos de cet ouvrage que
le songe qu’il commente est extrait du sixième livre du De Republica) et le De
consolatione écrit par Cicéron après la mort de sa fille, deux ouvrages qui ne
nous sont parvenus que sous forme fragmentaire et que Richard ne devait pas
penser pouvoir retrouver. Quant aux autres œuvres de Cicéron que contient la
Biblionomia mais que ne mentionne pas le De divinatione – soit parce qu’il s’agit
de traités de rhétorique, comme le De inventione (B. 27), les Topica (B. 21), les
Paradoxa stoicorum (B. 79) et la Rhetorica ad Herennium attribuée au Moyen Âge à
cet auteur (B. 27), soit parce qu’il s’agit d’œuvres épistolaires, comme le Liber
epistolarum qui devait contenir l’une des deux parties des Epistolae ad familiares
(B. 29), soit parce qu’il s’agit d’œuvres oratoires, comme les Verrines (B. 30),
les Catilinaires (B. 31), les Philippiques (B. 31), les trois Caesarianae (B. 32), ce
Liber declamationum dont le contenu n’est pas précisé (B. 32), ou encore l’apo-
cryphe Invectio Salusti in Tullium et responsio Tullii ad Sallustium (B. 32), soit parce
qu’il s’agit plutôt d’une traduction, comme le Timaeus (B. 75), soit parce
qu’ils ne devaient pas encore avoir été écrits au moment où Cicéron rédi-
gea ce texte, comme le De legibus (B. 26), le De amicitia (B. 79) et le De officiis
(B. 79), sans parler de l’énigmatique De judiciis et figuris (B. 4) –, Richard de
Fournival a dû connaître leur existence par différents biais que je ne puis ten-
ter ici de préciser78.

78. On peut noter à ce propos que Cicéron n’est guère présent dans l’Accessus ad auctores et le
Dialogus super auctores de Conrad d’Hirsau, tous deux édités par R. B.C. Huygens (Leyde,
1970). Dans le Sacerdos ad altare, Alexandre Neckam conseille la lecture du De oratore, des
Tusculanes, du De amicitia, du De senectute, du De fato, des Paradoxa stoicorum, du De natura deo-
rum (mais avec des réserves) et du De officiis (éd. cit., T. Hunt, Teaching and Learning Latin in
Thirteenth-Century England, op. cit., t. I, p. 270). On demeure loin du corpus de textes contenus
dans la Biblionomia.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 88 10/04/2017 16:31


Christopher Lucken 89

Si Richard de Fournival s’est appuyé sur le De divinatione pour connaître


en partie l’œuvre de Cicéron, il n’a pas suivi l’ordre proposé par ce traité
au moment de disposer ses nombreux ouvrages dans sa bibliothèque. Il ne
semble pas même en tenir compte à propos de la section consacrée à l’œuvre
« métaphysique » de cet auteur. Il ne suit pas non plus l’ordre du Corpus de
Leiden (De natura deorum, De divinatione, Timaeus, De fato, Topica, Paradoxa, Lucullus
et De legibus), même si la section consacrée à son œuvre « métaphysique » com-
mence par les deux premiers textes de ce Corpus et qu’elle comprend trois des
autres textes qui s’y trouvent contenus (soit le De fato, le Timaeus et le Lucullus).
Richard de Fournival a plutôt choisi de suivre l’ordre dicté par le classement
que propose son catalogue et de répartir l’œuvre de Cicéron entre les sections
de grammaire (pour le De judiciis et figuris), de dialectique (pour les Topica), de
rhétorique, de métaphysique et d’éthique. L’ordre dans lequel se présentent
les ouvrages de cet auteur au sein de chaque section n’est dû, à nouveau, ni au
De divinatione ni au hasard : c’est manifestement le résultat d’une disposition
interne à chaque discipline fondée non seulement sur son histoire, mais aussi
sur ses caractéristiques propres et ses enjeux.
La notice du manuscrit comprenant le De oratore, le Brutus et l’Orator n’est
certainement pas la seule que Richard de Fournival a dû introduire en atten-
tant de découvrir et de faire copier les textes qui s’y trouvent décrits. D’autres
ouvrages relativement rares qui n’ont laissé aucune trace dans les catalogues
de la bibliothèque du collège de Sorbonne sont probablement dans la même
situation. C’est notamment le cas de deux traités de la section de dialectique
attribués à Alexandre d’Aphrodise, le Alexandri Affrodisii liber commentariorum
in sophysticos elenchos Aristotelis, in uno volumine cujus signum est littera C (B. 22)
et le Ejusdem liber commentariorum in posteriores analecticos ejusdem Aristotelis, in
uno volumine cujus signum est littera C (B. 23). Le premier a vraisemblablement
été composé par Michel d’Éphèse (ca. 1040-ca. 1138), philosophe byzan-
tin chargé en 1118 par Anne Comnène de composer un commentaire sur
Aristote, et traduit entre 1225 et 1240 par Jacques de Venise. Généralement
attribué par la tradition médiévale à un certain Alexandre (identifié habituel-
lement avec Alexandre d’Aphrodise), ce traité ne nous est toutefois parvenu
qu’à travers des fragments et des scolies79. Le second a vraisemblablement

79. L. Minio-Paluello, « Note sull’Aristotele medievale. IX. Gli Elenchi sofistici : redazioni
contaminate colla ignota versione di Giacomo Veneto (?) ; frammenti dello ignoto commento
d’Alessandro d’Afrodisia tradotti in latino », Rivista di Filologia Neo-Scolastica, 46, 1954, p. 223-
231 [repris dans Opuscula. The Latin Aristotle, Amsterdam, 1972, p. 241-249] ; S. Ebbesen,
Commentators and Commentaries on Aristotle’s Sophistici Elenchi. A Study of Post-Aristotelian and Medieval
Writings on Fallacies, Leyde, 1981, t. I, p. 242-244 et 286-289, et t. II, p. 331-555 (pour l’édition
du « Textus Latini sive “Alexandri” in Aristotelis Sophisticos Elenchos commentarii in latinum

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 89 10/04/2017 16:31


90 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

été composé par Jean Philopon (ca. 490-ca. 575), philosophe et théologien
chrétien d’Alexandrie, commentateur d’Aristote, et traduit également par
Jacques de Venise. Généralement attribué lui aussi par la tradition médié-
vale à Alexandre (d’Aphrodise), ce traité ne nous est parvenu à son tour qu’à
travers des fragments et des scolies80. Richard de Fournival a dû prendre
connaissance de ces deux traités à travers des gloses ou des commentaires
qu’il a pu lire en même temps qu’il étudiait les deux traités d’Aristote sur les-
quels portent ces ouvrages ou dont il a pu entendre parler. Il a dû éprouver
le désir de se les procurer pour les ranger dans sa bibliothèque, raison pour
laquelle ils sont mentionnés dans la Biblionomia. Il est toutefois probable
qu’il n’y soit pas parvenu. Il devait détenir en revanche le Commentarium in
Isagogas Porphyrii de Marius Victorinus, contenu en B. 18 avec l’editio minor et
l’editio maior du Commentarium in Isagogas Porphyrii de Boèce. Ce manuscrit se
retrouve en effet dans le catalogue général de la bibliothèque du collège de
Sorbonne parmi les Libri mixti philosophorum, avec la description suivante (LIII,
no 6) : Commentum Victorini super Porphirium, due ediciones Boecii supra Porphirium,
ex legato magistri G. de Abbatisvilla […]. Mais de quoi peut-il bien s’agir ? On ne
connaît pas de commentaire que Marius Victorinus aurait consacré à l’Isagoge
de Porphyre. Peut-être a-t-on affaire à un autre commentaire de l’Isagoge, qui
aurait été attribué par erreur à Marius Victorinus ? Mais je ne vois pas ce que
cela pourrait être. Il pourrait aussi s’agir de la traduction de l’Isagoge réalisée
par cet auteur, traduction ou adaptation qui ne nous est pas parvenue mais
qui est attestée à travers les citations qu’en donne Boèce dans l’editio minor
de son commentaire contenu à la suite de cet ouvrage dans le manuscrit de
la Biblionomia et à laquelle Richard de Fournival (ou quelqu’un d’autre) aurait

translati fragmenta ») ; Id., « New Fragments of “Alexander”s’ Commentaries on Analytica


Posteriora and Sophisti Elenchi », Cahiers de l’Institut du Moyen Âge grec et latin, 60, 1990, p. 113-
120, repris et corrigés sous le titre de « Fragments of “Alexander”s’ Commentary on Analytica
Posteriora and Sophistici Elenchi », dans Id., Greek-Latin Philosophical Interaction. Collected Essays of Sten
Ebbesen, t. I, Aldershot, 2008, p. 187-201.
80. M. Grabmann, Mittelalterliche lateinische Übersetzung von Schriften des Aristoteleskommentatoren
Iohannes Philoponos, Alexander von Aphrodisias und Themistois, Munich, 1929 ; L. Minio-Paluello,
« Note sull’Aristotele medievale. XIV. Frammenti del commento perduto d’Alessandro d’Afro-
disia ai Secondi Analitici tradotto da Giacomo Veneto, in un codice di Goffredo di Fontaines
(Parigi, B.N. lat. 16080) », Rivista di Filologia Neo-Scolastica, 54, 1962, p. 13 1- 137 [repris
dans Opuscula, op. cit., p. 442- 448] ; S. Ebbesen, « Anonymus Aurelianensis II, Aristotle,
Alexander, Porphyry and Boethius. Ancient Scholasticism and 12th Century Western Europe »,
Cahiers de l’Institut du Moyen Âge grec et latin, 16, 1976, p. 1-28 ; Id., « Philoponus, “Alexander”
and the Origins of Medieval Logic », dans Aristotle Transformed. The Ancient Commentators and
their Influence, R. Sorabji, éd., Ithaca-New York, 1990, p. 445-461 [repris dans Greek-Latin
Philosophical Interaction. Collected Essays of Sten Ebbesen, op. cit., t. I, p. 157- 170] ; Id., « New
Fragments of “Alexander”s’ Commentaries on Analytica Posteriora and Sophisti Elenchi », art. cité.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 90 10/04/2017 16:31


Christopher Lucken 91

donné ici le nom de Commentarium81. Si l’on s’en tenait à ce catalogue, on


pourrait penser que Richard a mentionné ici ce texte dont il a pu connaître
l’existence grâce au commentaire de Boèce, en espérant pouvoir en découvrir
un jour un exemplaire, comme c’est vraisemblablement le cas pour les deux
commentaires attribués à Alexandre d’Aphrodise. Mais sa présence dans le
catalogue de la bibliothèque du collège de Sorbonne implique que Richard
devait posséder un ouvrage correspondant à ce titre, bien qu’il ne nous soit
pas parvenu et qu’il doive être particulièrement rare.
Afin de réunir dans sa bibliothèque les principaux ouvrages représentatifs
des différentes disciplines retenues et de constituer ce qui peut apparaître
comme une bibliothèque « idéale », Richard de Fournival a certainement uti-
lisé toutes sortes de moyens. Nous avons vu qu’il connaissait le passage du De
divinatione où Cicéron décrit les ouvrages philosophiques qu’il a composés et
qu’il a pu prendre connaissance d’ouvrages peu connus par l’intermédiaire de
scolies ou de commentaires. Il s’est probablement servi des Accessus ad auctores
et de textes « didascaliques » comme le Sacerdos ad altare d’Alexandre Neckam.
Il est évidemment difficile de l’établir avec précision. Le manuscrit B. 26 de
la Biblionomia présente toutefois à ce propos un témoignage particulièrement
intéressant. Il est décrit de la manière suivante : Censorini Catonis et Theodori libri
ethici. Aviani et Esopi libri apologici. Maximiani, Pamphili et Gete libri amatorii. In uno
volumine cujus signum est littera P. Ce manuscrit, qui se retrouve dans la libraria
communis du collège de Sorbonne sous la cote V.n., s’apparente au groupement
de textes à vocation morale et scolaire connu sous le nom de Liber Catonianus,
titre emprunté aux Disticha Catonis du Pseudo-Caton, régulièrement placé en
position initiale. La tradition manuscrite en offre plusieurs variantes, mais
aucune ne correspond à ce manuscrit (qui a donc dû disparaître de la biblio-
thèque du collège de Sorbonne avant qu’on en rédige les catalogues). Il semble
cependant avoir été composé à partir du Laborintus d’Évrard l’Allemand82. Les
sept textes que contient ce manuscrit correspondent en effet, dans le même
ordre, aux sept premiers textes que ce traité énumère à propos des auteurs

81. L. Minio-Paluello et B. G. Dod, éd., Categoriarum supplementa. Porphyrii Isagoge, translatio


Boethii. Isagoges Fragmenta M. Victorino interprete, Bruges-Paris, 1966, p. xxxvi-xxxix et 63-68 ;
P. Monceaux, « L’Isagoge latine de Marius Victorinus », dans Philologie et linguistique. Mélanges
offerts à Louis Havet, Paris, 1909, p. 291-310 ; L. Adamo, « Boezio e Mario Vittorino traduttori
e interpreti dell’Isagoge di Porfirio », Rivista Critica di Storia della Filosofia, 22, 1967, p. 141-164 ;
P. Hadot, Porphyre et Victorinus, Paris, 1968.
82. Qui aurait ainsi un terminus ante quem fixé en 1250 plutôt qu’en 1280, comme on le propose
habituellement : à moins de penser que c’est Évrard l’Allemand qui a copié l’ordre fourni par la
Biblionomia et/ou son manuscrit.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 91 10/04/2017 16:31


92 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

qu’il faut étudier83. Sur les 35 ouvrages environ qu’énumère par la suite Évrard
l’Allemand, seuls quatre ne se retrouvent pas dans la Biblionomia : le Solimarus
de Gunther de Paris, dont nous n’avons conservé qu’un fragment, la rédaction
en vers de la Lettre d’Evax attribuée à Marbode, le Carmen paschale de Sedulius,
et le Sententiarum ex operibus Augustini delibatarum liber de Prosper, suivi de son
Epigrammatum liber84. Si Richard de Fournival connaissait le Laborintus, comme
cela est vraisemblable (bien qu’il ne le mentionne pas dans la Biblionomia), il
a très bien pu estimer que ces quatre textes n’avaient pas leur place dans sa
bibliothèque ou dans le compartiment de son catalogue consacré à la philoso-
phie (bien qu’on y trouve d’autres œuvres poétiques appartenant à la tradition
chrétienne, comme l’Historia apostolica d’Arator et l’Aurora de Pierre Riga, que
mentionne également le Laborintus). Mais il a pu aussi choisir de ranger ces
différents textes (du moins ceux qui sont les plus connus) dans d’autres sec-
tions de sa bibliothèque, par exemple avec les originalia. La rédaction en vers
de la Lettre d’Evax attribuée à Marbode se trouve en tout cas comprise parmi les
Summe morales et tractatus modernorum doctorum de la libraria communis du collège
de Sorbonne sous la cote G.k. (il s’agit du manuscrit Paris, BNF, lat. 16079,
qui se trouve au no 4 de la section XL du catalogue général de la bibliothèque
du collège de Sorbonne consacrée aux Cronice), alors que les ouvrages de
Prosper sont compris parmi les Originalia Origenis, Prudencii, Paschasii, Prosperii
et Procli de la libraria communis sous la cote Q.m. (il s’agit du manuscrit Paris,
BNF, lat. 16382, qui se trouve au no 7 de la section XXXVII du catalogue géné-
ral de la bibliothèque du collège de Sorbonne consacrée aux Originalia mixta
sanctorum, manuscrit légué par Gérard d’Abbeville).
Bien que Richard de Fournival ait utilisé le Laborintus d’Évrard l’Allemand
pour choisir les ouvrages qu’il allait introduire dans sa bibliothèque, il ne s’est
pas contenté de suivre l’ordre qu’il proposait, même s’il a pu le faire pour les
sept premiers textes qu’il a réunis au sein du manuscrit relevant de la tradition
du Liber Catonianus et que l’agencement des textes cités par le Laborintus dans
son propre catalogue présente un certain nombre d’analogies avec celui que

83. Évrard l’Allemand, Laborintus, op. cit., v. 603-16 (il s’agit donc des Distiques du Pseudo-
Caton, des Églogues de Theodolus, des Fables d’Avien, des Fables du Pseudo-Ésope, des fables
de l’Anonyme de Nevelet attribuées aussi à Walter l’Anglais, des Élégies de Maximianus, du
Pamphile et du Geta de Vital de Blois). Voir E. M. Sanford, « The Use of Classical Authors in
the Libri Manuales », TAPA, 55, 1924, p. 190-248 ; M. Boas, « De librorum Catonianum historia atque
compositione », Mnemosyne, 42, 1944, p. 17-42 (en part. p. 27 et 35-37) ; P. M. Clogan, « Literary
Genres in a Medieval Textbook », Medievalia et Humanistica, 11, 1982, p. 199- 209 ; T. Hunt,
Teaching and Learning Latin in Thirteenth-Century England, op. cit., t. I, p. 59-79, et t. II, p. 3-212
(« The Auctores and the Liber Catonianus »).
84. Évrard l’Allemand, Laborintus, op. cit., v. 616-686.

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Christopher Lucken 93

propose ce traité. Comme nous l’avons vu, la disposition des ouvrages qui
composent les différentes sections de la Biblionomia possède une cohérence à
laquelle Richard de Fournival a évidemment réfléchi.
Si les ouvrages rassemblés dans la Biblionomia répondent à une organi-
sation précise du savoir, celle-ci est-elle pour autant inamovible, « achevée,
statique et parfaite », comme le pense T. Haye, au point que « l’acquisition de
nouveaux livres serait exclue85 » ? Comme l’a montré P. Stirnemann à partir de
l’étude codicologique des manuscrits de Richard de Fournival qui nous sont
parvenus, ce dernier les a confectionnés en plusieurs étapes86. Ses recueils
sont en effet composés soit d’une série de cahiers ou de groupes de cahiers
relativement indépendants, consacrés à une œuvre ou à un ensemble d’œuvres
apparentées, soit de fascicules réalisés le plus souvent à des moments dif-
férents au cours d’une période qui va de 1240 à 1260 et réunis progressive-
ment les uns aux autres. Chaque manuscrit pouvait ainsi se présenter, dans
un premier temps, comme un ensemble mobile formé de cahiers non reliés,
cousus de manière légère ou maintenus à l’aide d’une ficelle, et conservés
dans une sorte de chemise qui leur servait de protection87. Il était donc tout à
fait possible d’ajouter à un premier recueil un nouveau cahier ou un nouveau
groupe de cahiers contenant une ou plusieurs œuvres nouvelles. Cela permet
d’ailleurs d’expliquer que certains manuscrits de Richard de Fournival qui
nous sont parvenus aient pu être réunis ensemble ou réunis à d’autres manus-
crits88, qu’on ait pu intervertir leurs parties89, qu’on ait pu leur ajouter par
la suite de nouveaux cahiers qui ne semblent pas avoir été réalisés pour leur
propriétaire90, ou qu’ils aient perdu un cahier ou un groupe de cahiers com-

85. T. Haye, « Canon ou catalogue ? », art. cité, p. 224 (voir aussi p. 225).
86. P. Stirnemann, « Private Libraries Privately Made », art. cité.
87. Ibid., p. 186 et 187. Ces recueils pourraient s’apparenter d’une certaine façon à ces libri […]
non ligati que mentionnent en 1321 les directives relatives à la réorganisation de la bibliothèque
du collège de Sorbonne. Voir supra n. 46.
88. Comme c’est le cas, par exemple, de B. 78, B. 86 et B. 24, qui forment dans cet ordre un seul
et même manuscrit conservé dans la libraria communis du collège de Sorbonne (sous la cote Z.f.,
à laquelle correspond le ms. Paris, BNF lat. 16581).
89. Comme c’est le cas, par exemple, de B. 46, qui mentionne dans cet ordre le Liber de arithme-
tica de Boèce et le De rithmomachia attribué au Pseudo-Abélard, mais dont les textes se présentent
dans l’ordre inverse au sein du no 34 des Libri quadriviales (LVI) de la parva libraria du collège de
Sorbonne et du ms. Paris, BNF, lat. 14065 (première partie) qui lui correspond.
90. Comme c’est le cas, par exemple, de B. 59, qui comprend un ensemble de traités relatifs
à l’astrolabe, auquel correspond le ms. Paris, BNF, lat. 16652 (première partie), f. 2-42, qui
s’achève désormais sur un cahier indépendant contenant les Demonstrationes pro astrolapsu, com-
posé peut-être par Campanus de Novare, œuvre qui n’est pas mentionnée par la Biblionomia
ni par la notice correspondante de la section LVI, Libri quadriviales, de la parva libraria (no 19),

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 93 10/04/2017 16:31


94 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

portant un ou plusieurs textes distincts91. Certes, cela nécessitait de corriger


le classement proposé par la Biblionomia. On constate toutefois que certains
manuscrits de Richard de Fournival qui nous sont parvenus contiennent des
ouvrages qui ne sont pas décrits par ce catalogue92. Il est possible que Richard
n’ait pas estimé nécessaire de mentionner la présence de ces ouvrages, qui
sont le plus souvent relativement mineurs. Mais il est aussi possible que ceux-
ci aient été introduits après la rédaction de la Biblionomia ou que le manuscrit
dans lequel ils se trouvent soit postérieur à ce catalogue et que Richard de
Fournival n’ait pas prévu dans un premier temps de les copier. On peut aussi
penser que la Biblionomia a fait l’objet de versions antérieures ou que Richard
de Fournival a modifié certains de ces recueils pour répondre à la disposi-
tion prévue par ce catalogue en fonction des ajouts qu’il a pu y apporter ou de
nouvelles acquisitions. C’est ce que suggère le manuscrit B. 63 qui nous est
parvenu (Paris, BNF, lat. 16604).
Ce dernier recueil est composé de deux parties distinctes, consacrée l’une
au Liber de causis et principiis naturalium d’Avicenne, l’autre au Liber de caeli et mundi
du Pseudo-Avicenne. Ces deux parties sont constituées de cahiers séparés et

et qui ne semble pas avoir été composée avant la mort de Richard de Fournival (on ne saurait
donc prendre ce cahier en considération à propos de la confection de ce manuscrit par Richard
de Fournival, comme le fait P. Stirnemann, « Private Libraries Privately Made », art. cité,
p. 193-194).
91. Comme c’est le cas, par exemple, de B. 21, qui comprend un ensemble de traités de dialec-
tique qui s’achève sur le De interpretatione attribué à Apulée : ce dernier texte a en effet disparu du
ms. Paris, BNF, lat. 16598 qui correspond à ce recueil, mais il en faisait encore partie lorsqu’il
se trouvait dans la libraria communis du collège de Sorbonne (sous la cote Z.o.). Il est possible
que ce texte soit rattaché désormais à un autre recueil ou qu’il forme un manuscrit indépen-
dant. C’est aussi le cas de B. 59 dont il a été question à la note précédente. Le ms. Paris, BNF,
lat. 16652 (première partie), f. 2-42, qui lui correspond, s’achève comme nous l’avons vu sur
un cahier supplémentaire qui s’avère étranger à la Biblionomia, mais il ne contient pas le dernier
texte mentionné par ce catalogue (soit les Suppletiones plane sphaere, cum quibusdam demonstratio-
nibus compositionis ejusdem de Jourdain de Nemore). Ce texte n’est pas présent non plus dans la
description qu’en donne le no 19 des Libri quadrivilaes (LVI) de la parva libraria. Il est mentionné
en revanche parmi les Libri quadruviales du répertoire de la Libraria communis (mais sans cote) :
Planisperium. “Speram in plano describere est singula in plano quolibet ordinare” (incipit qui correspond
à celui du texte concerné). On peut donc penser que ce texte s’est détaché du reste du manuscrit
pour se retrouver seul.
92. Comme c’est le cas, par exemple, de B. 50, qui correspond au ms. Paris, BNF, lat. 16662,
manuscrit composé par un seul et même scribe, et qui comprend, entre le De musica de saint
Augustin et une série de traités musicaux associés à saint Bernard de Clairvaux, tous mention-
nés par la Biblionomia, le De musica d’Isidore de Séville, soit la section des Étymologies consacrée
à cet art (qui fait partie du même cahier que les textes suivants) : s’il n’est pas mentionné par
la Biblionomia, ce texte l’est en revanche par le catalogue de la libraria communis du collège de
Sorbonne (où ce manuscrit apparaît sous la cote P.c.).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 94 10/04/2017 16:31


Christopher Lucken 95

ont été copiées par deux scribes différents93. Au bas du dernier folio de la pre-
mière partie se trouve la réclame suivante : postquam auxilio (fo 49v). Ces mots
ne correspondent pas au début du texte auquel est consacrée la seconde partie
de ce manuscrit. Ils correspondent en revanche aux deux premiers mots de
la Metaphysica d’Avicenne, texte qui se trouve en tête de B. 70, un manuscrit
qui nous est également parvenu (Paris, BNF, lat. 16602) et dont la première
partie (celle qui contient la Metaphysica d’Avicenne) a été copiée par le même
scribe que celui qui a rédigé la première partie de B. 63 (soit le Liber de causis
et principiis naturalium du même auteur)94. Il est donc probable que ces deux
textes constituaient dans un premier temps un seul et même recueil, mais que
Richard de Fournival a décidé de les séparer afin d’organiser autrement les
œuvres qu’il avait rassemblées – ou qu’il avait prévu de rassembler – dans la
section de son catalogue consacrée à la « physique » et à la métaphysique. Le
Liber de caeli et mundi se rattache en effet à la « physique », comme c’est égale-
ment le cas du Liber de causis et principiis naturalium, composé dans le prolonge-
ment de la Physique d’Aristote (B. 61), et trouve logiquement sa place à la suite
de ce texte ; alors que la Metaphysica appartient davantage à la deuxième partie
de cette section, celle qui est consacrée à la métaphysique et qui s’achève avec
deux exemplaires de la Metaphysica d’Aristote (B. 71 et B. 72). Si la Biblionomia
décrit un ensemble de textes établi à un moment donné, dont on ne saurait
évidemment modifier l’agencement, la bibliothèque de Richard de Fournival
n’a cessé de s’enrichir et de se transformer au gré des découvertes effectuées
par ce dernier et des différents ouvrages qu’il a fait copier.

Bien qu’un certain nombre des manuscrits décrits par la Biblionomia n’aient
probablement jamais fait partie de la bibliothèque de Richard de Fournival, on
ne saurait en conclure qu’il s’agit du catalogue d’une bibliothèque « idéale »,
énumérant dans les principales disciplines du savoir médiéval une série de
textes canoniques. Qu’il s’agisse d’une bibliothèque idéale, au sens où elle
répond à une véritable organisation des connaissances et où elle présente
dans les différentes disciplines concernées une collection de textes représen-
tatifs qui se suivent de manière ordonnée, cela est certain. Mais la Biblionomia
n’est pas seulement un « guide de lecture », c’est aussi un programme établi
pour la fabrication de manuscrits. Si Richard de Fournival avait l’intention
de fournir aux étudiants d’Amiens une sorte de plan d’étude, il avait égale-
ment celle de mettre à leur disposition les manuscrits contenant les textes
concernés afin de leur permettre d’accéder au savoir qu’ils recèlent au sein

93. P. Stirnemann, « Private Libraries Privately Made », art. cité, p. 187, 193-195 et 197.
94. Ibid., p. 187 et 193-198.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 95 10/04/2017 16:31


96 La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival

d’une bibliothèque qui prend l’apparence d’une université où les maîtres sont
devenus des livres. Nous avons vu quelques exemples de la manière dont il a
pu procéder pour identifier les œuvres qui allaient faire partie de son fonds. Il
s’est probablement appuyé sur diverses listes d’ouvrages canoniques et autres
textes « didascaliques ». Mais il a aussi retenu des ouvrages plus rares dont il
a pu prendre connaissance par l’intermédiaire de diverses lectures et dont il
pouvait penser qu’il était important de les posséder – sans parler de ce qu’il
a pu apprendre au cours de ses études ou au contact de ses contemporains.
Même les ouvrages qu’il n’est pas parvenu à trouver témoignent de sa volonté
de constituer une bibliothèque réelle – quitte à remplacer certains textes par
d’autres, comme c’est le cas avec l’Hortensius, ou de les confondre, comme
c’est probablement le cas avec les Academica et le De finibus. On peut d’ailleurs
penser que, tel un chasseur (et à l’instar d’un Loup de Ferrières), il a recherché
avec zèle les ouvrages qu’il souhaitait acquérir ou faire copier, que ce soit dans
la bibliothèque de l’abbaye de Corbie (située tout près d’Amiens), à Paris, dans
les écoles d’Orléans, ou encore en Italie où il a séjourné, d’où il a dû rapporter
certains de ses manuscrits et où il a probablement conservé des liens. Il n’a
certainement pas découvert tout ce qu’il voulait posséder et il a certainement
éprouvé les difficultés rencontrées par ceux qui sont à la recherche d’ouvrages
dissimulés dans des manuscrits mal rangés, que signale le bibliothécaire du
collège de Sorbonne dans l’introduction du catalogue de la libraria communis.
Aussi comprend-on que non seulement il ait rassemblé une quantité impres-
sionnante de manuscrits dans sa bibliothèque, mais qu’il les ait aussi classés
de manière précise et qu’il ait rédigé un catalogue qui en définit la règle et
permet à ses utilisateurs de trouver aussi rapidement que possible la nour-
riture susceptible de satisfaire leur âme avide de savoir et d’accéder ainsi à la
chambre secrète de Philosophie.

Christopher Lucken
Université Paris 8 et Genève

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 96 10/04/2017 16:31


Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens
et la Sorbonne
Karine Klein

D ans la présente contribution, il s’agit de remettre le collège de Sorbonne


dans son contexte, celui des collèges séculiers fondés à Paris au Moyen
Âge dans la mouvance de l’Université. Il ne sera pas question ici des collèges
réguliers1.
On dénombre à Paris entre la fin du xiie siècle et la fin du xve siècle environ
soixante collèges séculiers2. Tous n’ont cependant pas existé en même temps,
certains ayant déjà disparu quand d’autres se créaient. Une quinzaine ont été
fondés aux xiie et xiiie siècles. La plus grande vague de fondations a eu lieu
au cours du xive siècle, qui a vu naître une quarantaine de collèges. Dans ce
contexte, la fondation du collège de Sorbonne, en 1257, apparaît comme pré-
coce. L’on connaît moins d’une dizaine de collèges fondés antérieurement à
Paris (voir tableau 1).
Si la fondation du collège de Sorbonne s’inscrit dans un mouvement plus
ample, il est néanmoins admis qu’elle marque un tournant dans l’histoire des
collèges séculiers parisiens3. En effet, le collège fondé par Robert de Sorbon

1. Pour un rapprochement du collège de Sorbonne, et notamment de sa bibliothèque, avec


les collèges réguliers, voir Claire Angotti, « Les bibliothèques des couvents mendiants, un
modèle pour les séculiers ? L’exemple de deux premiers bienfaiteurs de la bibliothèque du
collège de Sorbonne (Robert de Sorbon, Gérard d’Abbeville) », dans Entre stabilité et itinérance.
Livres et culture des ordres mendiants xiiie-xve siècle, N. Bériou, M. Morard et D. Nebbiai, éd.,
Turhhout, 2014, p. 29-70.
2. Les listes des collèges séculiers médiévaux de l’université de Paris se trouvent princi-
palement dans H. Rashdall, The Universities of Europe in the Middle Age, I, Oxford, 1936,
p. 536-539 ; J.-P. Babelon, Nouvelle histoire de Paris. Paris au xvie siècle, Paris, 1986, p. 519-
522 ; A. L. Gabriel, The College System in the Fourteenth-Century Universities, Baltimore-Notre
Dame, 1969, p. 32-33. J’ai pour ma part repris les listes et les dates de fondations données
par T. Kouamé dans Les collèges séculiers de l’université de Paris au Moyen Âge, DEA d’histoire des
sociétés préindustrielles du monde occidental, sous la dir. de C. Gauvard, université Paris 1
Panthéon-Sorbonne, 1996.
3. Voir en particulier N. Gorochov, Le collège de Navarre de sa fondation (1305) au début du xve siècle
(1418), Paris, 1997, p. 126-129.

Les livres des maîtres de Sorbonne, sous la direction de Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2017

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 97 10/04/2017 16:31


98 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

est régi par un grand nombre de statuts et de règlements qui imposent à ses
membres de strictes règles de vie commune. La volonté de structurer ainsi une
communauté, unie par une même discipline et partageant une identité com-
mune, est nouvelle. Elle n’existait pas dans les collèges précédents, simples
institutions charitables destinées à pallier le coût et les carences du logement
parisien. Elle se généralisera dans les collèges fondés ultérieurement.
Tableau 1 : Les dix premiers collèges séculiers fondés à Paris au Moyen Âge

Nom du collège Date de fondation


Dix-Huit 1180
St-Nicolas du Louvre 1186
Constantinople 1204
Bons-Enfants Saint-Honoré 1208
Bons-Enfants Arras 1250
Bons-Enfants Saint-Victor 1250
Calvi-Petite Sorbonne 1252/1271 (?)
Sorbonne 1257
Trésorier 1268
Abbeville 1271

Non seulement le collège de Sorbonne inaugure une « nouvelle époque4 »


dans l’histoire des collèges parisiens mais, surtout, il se démarque très vite
des autres collèges par son remarquable développement et l’importance qu’il
acquiert dans le paysage universitaire parisien. Rien qu’en ce qui concerne
sa bibliothèque, il se situe, très tôt, à des niveaux que les autres n’atteindront
jamais. Quelques chiffres illustrent bien ce décalage, qui s’instaure dès les
premiers siècles de son existence, entre le collège de Sorbonne et les autres
collèges séculiers parisiens :
• la bibliothèque du collège de Sorbonne comprend plus de 1 700 volumes
au milieu du xive siècle alors que les bibliothèques de collèges contem-
porains ne comportent, au mieux, que quelques centaines de volumes
(300 volumes pour les plus riches d’entre elles)5 ;

4. N. Gorochov, Le collège de Navarre, op. cit., p. 128.


5. M.-H. Jullien de Pommerol, « Livres d’étudiants, bibliothèques de collèges et
d’universités », dans Histoire des bibliothèques françaises, I, Paris, 1989, p. 93-111 (ici p. 97) ;
K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges à Paris aux xive et xve siècles, thèse de doctorat,
sous la dir. de J.-P. Genet, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2005, dactyl., p. 164-175.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 98 10/04/2017 16:31


Karine Klein 99

• il subsiste aujourd’hui plus de 1 000 manuscrits provenant de la biblio-


thèque médiévale du collège de Sorbonne, alors qu’il en subsiste moins
de 300 pour l’ensemble des autres collèges parisiens réunis6 ;
• une riche documentation a été conservée pour le collège de Sorbonne
et pour sa bibliothèque en particulier, alors que nous n’avons qu’une
documentation clairsemée pour les bibliothèques des autres collèges
parisiens7.
Cette disproportion explique que, dans ma thèse, je n’ai pas pris en compte
la bibliothèque du collège de Sorbonne, qui peut à elle seule faire l’objet de
plusieurs études8. Néanmoins, si les bibliothèques des « petits » collèges pari-
siens ne soutiennent pas la comparaison avec celle du collège de Sorbonne,
ce décalage même nous interroge et il est intéressant de se demander si la
bibliothèque du collège de Sorbonne n’a pas constitué un modèle pour les
bibliothèques des autres collèges parisiens et, si oui, dans quelle mesure. Le
fait que le collège de Sorbonne ait été fondé très tôt, avant la grande vague de
fondations du xive siècle, qu’il ait inauguré un nouveau type de collèges et
qu’il ait eu un développement exceptionnel rend cette interrogation légitime.
Pour tenter d’y répondre, il est possible d’examiner le mode d’organisation
et de fonctionnement de la bibliothèque du collège de Sorbonne, et de voir
en quoi il se retrouve dans d’autres bibliothèques de collèges parisiens. Cette
première partie constitue le cœur du sujet. En effet, le collège de Sorbonne
est réputé avoir été à l’origine de pratiques novatrices, notamment en matière
de bibliothéconomie9 : s’il a constitué un modèle pour les bibliothèques des
autres collèges parisiens, c’est bien dans la diffusion de ces pratiques nou-
velles qu’il faut le chercher.

6. 782 mss antérieurs à 1338 auraient été identifiés par L. Grenier-Braunschweig, « La
prisée des manuscrits du collège de Sorbonne au Moyen Âge », dans Mélanges offerts à Gérard
Oberlé pour ses 25 ans de librairie. 1967-1992, s. l.n.d., p. 327-341 (ici p. 329 sq.).
7. Pour le collège de Sorbonne, voir G. Fournier, « Listes, énumérations, inventaires. Les
sources médiévales et modernes de la bibliothèque du collège de Sorbonne (Première partie :
Les sources médiévales) », dans Scriptorium, 65, 2011, p. 158-215. Pour les bibliothèques des
autres collèges parisiens, voir K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit.,
p. 164-175.
8. Sur la bibliothèque du collège de Sorbonne, voir C. Angotti, G. Fournier et
D. Nebbiai, « La bibliothèque du collège parisien de la Sorbonne : une bibliographie »,
dans Libraria, Article, Paris, IRHT, 2012 (Ædilis, Sites de programmes scientifiques, 4)
(En ligne, consulté le 01-06-20 12) http://www.libraria.fr/fr/publications-scientifiques/
la-bibliothèque-du-collège-parisien-de-la-sorbonne-une-bibliographie.
9. Voir entre autres G. Fournier, Une « bibliothèque vivante ». La libraria communis du collège
de Sorbonne (xiiie-xve siècle), thèse de doctorat, sous la dir. d’A. de Libera, École pratique des
hautes études, Ve section, Paris, 2007, dactyl., p. 41.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 99 10/04/2017 16:31


100 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

La deuxième partie, « Les dons et les modèles de lecture », aborde la ques-


tion des contenus. La dernière partie, « Les échanges et les circulations entre
les collèges », insiste surtout sur les réseaux existants entre collèges, qui
expliquent que les pratiques nouvelles se répandent dans les établissements
les plus ouverts à la nouveauté.

L’exportation d’un modèle d’organisation et de fonctionnement


de la bibliothèque
La pratique du double dépôt
L’on sait que, très vite, face à l’afflux de livres issus de nombreux donateurs,
le collège de Sorbonne a été contraint d’organiser sa bibliothèque10. Plusieurs
mesures ont été prises, certaines ont constitué de réelles innovations dans le
domaine de la bibliographie et de la catalographie, tandis que d’autres étaient
simplement la reprise de pratiques plus anciennes. La mesure la plus célèbre,
emblématique aujourd’hui de la bibliothèque du collège de Sorbonne, est la
mise en œuvre du double dépôt. Il s’agit de la distinction de la bibliothèque
en deux fonds, l’un enchaîné pour la consultation sur place, l’autre circulant
pour le prêt.
Cette pratique n’est pas une nouveauté : elle existait avant dans les biblio-
thèques canoniales puis monastiques11. Par ailleurs l’appellation de « double
dépôt » est un peu réductrice même s’il s’agit des deux dépôts les plus impor-
tants, car en réalité le collège abritait plusieurs dépôts de livres, comme
c’était également le cas dans les institutions canoniales ou monastiques : on
trouvait en effet des livres un peu partout, dans les chambres, la chapelle,
le réfectoire…
Néanmoins, l’exemple du collège de Sorbonne est intéressant à double
titre : d’une part, il s’agirait de l’une des plus anciennes attestations de cette
pratique dans le milieu scolaire ; d’autre part, le collège de Sorbonne est l’un
des premiers à l’avoir formalisée en en expliquant le sens12.
La séparation de la bibliothèque en deux fonds a vraisemblablement été
mise en place très tôt, dès la fin xiiie siècle. C’est du moins ce qu’affirme une
note, souvent citée, que l’on trouve à la suite du catalogue de la bibliothèque

10. Voir la bibliographie supra, n. 8, et R. H. et M. A. Rouse, « La bibliothèque du collège de
Sorbonne », dans Histoire des bibliothèques françaises, op. cit., t. I, p. 113-123 (ici p. 116).
11. D. Nebbiai-Dalla Guarda, « Classifications et classements », dans Histoire des biblio-
thèques françaises, op. cit., t. I, p. 373-393 ; Ead., « La bibliothèque commune des institutions
religieuses », Scriptorium, 50, 1996, p. 254-268 et pl. 22-23.
12. G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit., p. 71 n. 236.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 100 10/04/2017 16:31


Karine Klein 101

de 1338 et qui fait remonter à 1289 la mise en place d’un fonds de livres
enchaînés : Nota eciam quod anno Domini Mo CCo LXXXo IXo fuit institutum librarium
in domo ista pro libris cathenatis ad communem sociorum utilitatem13.
Pour les années suivantes, plusieurs documents, inventaires de la biblio-
thèque, règlements, décisions consignées dans Le livre des prieurs14, font
connaître l’organisation finalement adoptée pour la bibliothèque. Elle com-
prenait deux fonds :
• la bibliothèque des livres enchaînés, appelée libraria communis ou magna
libraria, le nom sous lequel elle est le plus connue aujourd’hui ;
• la bibliothèque de livres non enchaînés, destinés au prêt, appelée parva
libraria.
Un règlement ou ordonnance de 1321 explique le rôle de la libraria commu-
nis : le meilleur exemplaire de tout livre possédé par le collège, sans exception,
doit être enchaîné « pour que tous puissent le consulter » ; si le collège n’a
qu’un seul exemplaire, il doit être enchaîné ; si le meilleur exemplaire est, en
1321, en prêt chez un membre du collège, ce dernier doit immédiatement le
rendre pour qu’on l’enchaîne car « le bien commun est plus agréable à Dieu
que le bien d’un seul15 ». Les inventaires montrent en outre que la biblio-
thèque commune contenait un fonds riche et diversifié, qui, loin de se limiter
aux seules disciplines des arts et de la théologie qui correspondaient à la voca-
tion première du collège, couvrait l’ensemble des enseignements dispensés
dans les quatre facultés de l’université de Paris. Son fonds de théologie était
particulièrement bien pourvu en originalia, c’est-à-dire en textes intégraux
d’un même auteur, ayant valeur d’autorité, par opposition aux extraits de ces
mêmes textes. La parva libraria, elle, contenait des ouvrages en double ou plus
pointus16.
Il s’agissait donc de séparer la bibliothèque en deux fonds, aux contenus et
surtout aux fonctions très différents. La libraria communis constituait un fonds
de base, non destiné au prêt, conservant des ouvrages de référence, et elle
jouait en outre un rôle de représentation évident : c’était là que se trouvaient
les plus beaux livres du collège. Elle seule correspondait à un lieu physique,

13. Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 223b ; L. Delisle, Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale,
t. III, Paris, 1881, p. 71.
14. Le livre des prieurs de Sorbonne (1431-1485). Texte critique avec introduction, notes et index par
R. Marichal, s. l., 1987.
15. Paris, BNF, lat. 16574, f. 1-23v. ; P. Glorieux, éd., Aux origines de la Sorbonne, t. I, Paris,
1966, no 22, p. 214-215 ; trad. française de J. Monfrin, « Préface », dans Le registre de prêt de la
bibliothèque du collège de Sorbonne (1402-1536), J. Vielliard et M.-H. Jullien de Pommerol,
éd., Paris, 2000 (Documents, études et répertoires de l’IRHT, 57), p. 11.
16. G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit., en part. p. 137-141.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 101 10/04/2017 16:31


102 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

la salle de lecture, où les ouvrages étaient enchaînés sur des pupitres avec des
bancs pour s’asseoir. La parva libraria constituait un fonds pour le prêt, dont
les livres étaient rangés dans des coffres ou des armoires, moins visibles. Les
dénominations de chaque fonds, magna et parva libraria, se rapportent de fait
à leur importance en termes de prestige et non en quantité, car la parva libraria
contenait bien plus de volumes que la magna : en 1338, la parva libraria conte-
nait ainsi autour de mille cent volumes et la magna environ cinq cents17.
Dans les « petits » collèges parisiens, on trouve dès le xive siècle des men-
tions attestant l’existence d’une salle commune avec des livres enchaînés sur
des pupitres, mais l’organisation des bibliothèques est moins claire qu’elle ne
l’est au collège de Sorbonne et n’est pas explicitée par les sources. Les livres
enchaînés ou la salle qui les abrite sont simplement évoqués au détour d’un
inventaire, d’un compte, d’un statut ou d’un legs, comme dans les exemples
ci-dessous :
Omnes predicti libri sunt ligati cum cathenis ferreis (inventaire de la bibliothèque du
collège de Hubant, 1339-1346)18.
Item volumus quod omnes libri cathenentur quantum fuerit possibile, tam in libraria,
quam in capella vel aula (statuts du collège de Narbonne, 1379)19.
[…] reparacion des livres de la libraierie, pupitres et bans dudit college (usage auquel
doit être affectée la rente donnée au collège des Cholets par Raoul Desmarets,
1394)20.
[…] perpetuo maneant inchatenati […] ad finem quod omnes de dicto collegio in eis studere
et proficere possint (legs de livres au collège de La Marche par Beuves de Winville,
1423)21.
[…] et quod incathenentur in libraria dicti collegii alias non habeant (legs de livres au
collège des Cholets par Jean Fouquerel, 1428)22.

17. D. Nebbiai, « Classifications et classements », art. cité, p. 378 ; R. H. et M. A. Rouse, « La
bibliothèque du collège de Sorbonne », art. cité, parlent de 1 400 et 300 volumes.
18. Versailles, Musée de l’Histoire de France, AE II 408 [ex Paris, AN, MM 406], p. 123 ;
K. Rebmeister-Klein, éd., Les livres des petits collèges…, op. cit., p. 672.
19. M. Félibien, éd., Histoire de la ville de Paris, revue, augmentée et mise à jour par
G.-A. Lobineau, t. V, Paris, 1725, p. 663.
20. Paris, AN, M 111, no 28. Voir K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit.,
p. 258.
21. Paris, AN, M 171, no 35. K. Rebmeister-Klein, éd., Les livres des petits collèges…, op. cit.,
p. 7 19-720. Voir aussi M.-H. Jullien de Pommerol, « Les origines du collège de La
Marche », dans L’écrit dans la société médiévale. Divers aspects de sa pratique du xie au xve siècle. Textes
en hommage à Lucie Fossier, réunis par C. Bourlet et A. Dufour, Paris, 1991, p. 183-194
(ici p. 190).
22. Beauvais, AD Oise, G 612, K. Rebmeister-Klein, éd., Les livres des petits collèges…, op. cit.,
p. 499.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 102 10/04/2017 16:31


Karine Klein 103

Pro emptione duarum cathenarum ad reponendum in libraria [diversa volumina] solvi 4 s.
4 d. (comptes du collège de Laon, 1456-1457)23.
Seuls quelques documents évoquent de façon plus complète ces biblio-
thèques et leur organisation. C’est le cas de la bibliothèque du collège d’Au-
tun. Ce dernier a été fondé en 1341. Nous avons conservé un inventaire de sa
bibliothèque daté de 1462, effectué par deux conseillers au Parlement de Paris
au sein d’un inventaire des biens meubles du collège24. Il décrit 216 volumes :
202 dans la bibliothèque et 14 dans la chapelle. Les volumes de la biblio-
thèque sont enchaînés sur onze pupitres, un pupitre mural et dix pupitres
doubles, avec des bancs de part et d’autre. Plusieurs volumes de la chapelle
sont également enchaînés sur des pupitres25. Le classement topographique
de la bibliothèque tel qu’il ressort de l’inventaire, rédigé en suivant l’ordre
des pupitres, correspond à un classement intellectuel, les arts occupant le
pupitre mural, la théologie les pupitres doubles nos 1 (incomplètement), 7, 8,
9 et 10, et le droit les pupitres doubles nos 2, 3, 4 et 5, le pupitre no 6 étant par-
tagé entre les arts et la théologie. Les livres de la chapelle sont exclusivement
liturgiques. Ce classement suit l’ordre des facultés de l’université de Paris,
arts, théologie et décret, à l’exception de la faculté de médecine qui n’est pas
représentée ici. C’est aussi le classement adopté par la bibliothèque commune
du collège de Sorbonne26. Quant au contenu des ouvrages, il est conforme aux
programmes universitaires de l’époque et constitué essentiellement de textes
de référence27. On ne sait rien en revanche de l’existence potentielle d’un autre
ensemble de livres, non enchaînés, pour le prêt.
La bibliothèque du collège du Trésorier est un exemple de fonctionnement
inspiré par le collège de Sorbonne. Fondé en 1268, le collège du Trésorier est
quasiment contemporain du collège de Sorbonne. Nous avons conservé un
inventaire de sa bibliothèque daté de 1437, effectué au sein d’un inventaire des
biens du collège28. L’inventaire décrit 299 volumes : 145 dans la magna libraria,
147 dans la parva libraria (dans la chapelle) et 7 « livres de la chapelle ». C’est

23. Paris, AN, H3 28032, f. 12, ibid., p. 672, d’après C. Fabris, La maison des écoliers de Laon. Étude
d’un collège parisien aux xive et xve siècles, thèse pour le dipl. d’archiviste paléographe, 2002.
24. Paris, AN, M 80, no 28, f. 1-9, K. Rebmeister-Klein, éd., Les livres des petits collèges…,
op. cit., p. 420-447.
25. Ibid. On ne sait pas si les livres dont l’enchaînement n’est pas précisé étaient rangés dans
des coffres.
26. D. Nebbiai, « Classifications et classements… », art. cité, p. 385-388.
27. K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit., p. 216-217.
28. Paris, AN, M 194, no 5, p. 1-36, ibid., p. 762-805. L’inventaire ne donne ni les noms ni les
qualités de ceux qui l’ont effectué.

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104 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

l’exemple qui se rapproche le plus de celui de la Sorbonne, à commencer par


le vocabulaire utilisé : magna et parva libraria (voir ill. nos 1 et 2). La parva libraria
est aussi importante en quantité que la magna, voire légèrement supérieure.
Les livres qui la composent sont rangés dans des armoires de la chapelle,
mais sont bien distincts des 7 livres dits de la « chapelle », exclusivement litur-
giques. Les livres de la magna libraria sont enchaînés sur neuf pupitres, trois
pupitres simples et six pupitres doubles, avec des bancs de part et d’autre.
Le classement adopté dans l’un et l’autre fonds est moins clair qu’il ne l’est
aux collèges d’Autun et de Sorbonne, en raison de l’écrasante prépondérance
de la théologie, qui constitue l’une des singularités du collège du Trésorier29.
On remarque néanmoins que les livres relevant des disciplines de la faculté
des arts sont peu présents dans la magna libraria (à peine 9 % du fonds) alors
qu’ils représentent 25 % du fonds de la parva libraria. Surtout, ce qui distingue
les deux fonds, c’est la présence d’innombrables doubles dans la parva libra-
ria. Plusieurs titres sont présents à plus de cinq exemplaires, ce qui accrédite
l’hypothèse qu’il s’agirait bien, comme au collège de Sorbonne, d’un fonds
destiné au prêt, même si rien dans l’inventaire ne le précise30. Les doublons
avec les titres présents dans la magna libraria sont également fréquents.
D’autres exemples d’organisation de bibliothèques de collèges nous sont
connus pour les collèges de Dormans-Beauvais et de Maître Gervais. Au col-
lège de Dormans-Beauvais, l’inventaire de la bibliothèque de 1380-138231
donne les livres en suivant l’ordre des facultés de l’université de Paris, comme
nous l’avons déjà vu aux collèges de Sorbonne, d’Autun et dans une moindre
mesure du Trésorier, sans que l’on sache toutefois si cela correspondait à
l’organisation matérielle des pupitres au sein de la bibliothèque32. Au col-
lège de Maître Gervais, la bibliothèque des « théologiens » était séparée de
la bibliothèque des « artiens », la première contenant les livres ad theologos et

29. K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit., p. 218. La théologie représente
plus de 70 % du fonds des deux bibliothèques réunies, magna et parva.
30. Ibid., p. 219-220. On trouve par exemple dans la parva libraria 10 bibles, 8 exemplaires du
Livre des Sentences (en 9 volumes), 6 Expositiones sur les Évangiles de Marc et Matthieu, 5 Priscien…
et ainsi pour pratiquement chaque titre qui y est représenté.
31. Copié dans un registre de comptes du collège (Paris, AN, MM 356, f. 58-58v), ibid., p. 591-
600. Voir É. Pellegrin, « La bibliothèque de l’ancien collège de Dormans-Beauvais à Paris »,
Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1944-1945, p. 99-164,
repris dans Ead., Bibliothèques retrouvées : manuscrits, bibliothèques et bibliophiles du Moyen Âge et de
la Renaissance, Paris, 1988, p. 3-68. Sur l’état des sources de ce collège, voir K. Rebmeister-
Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit., p. 87-88.
32. Dans l’ordre, les Libri facultatis theologie puis les Libri juris canonici, quelques ouvrages de la
faculté des arts mais qui ne sont pas distingués comme tels et enfin l’Inventarium librorum capelle.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 104 10/04/2017 16:31


Karine Klein 105

medicos pertinentes tandis que la seconde abritait les libri logicales et philosophie et
mathematicales33. Elles se trouvaient dans deux bâtiments distincts.
Ces différents exemples permettent de voir que la plupart des collèges,
au cours du xive siècle, adoptèrent le principe d’une bibliothèque de livres
enchaînés, comme l’avait fait le collège de Sorbonne dès 1289. Leur a-t-elle
servi de modèle ? Il est très difficile de répondre à cette question car la pratique
se généralise à l’époque dans toutes les bibliothèques sans qu’il soit vraiment
possible de désigner un modèle unique. Par ailleurs, nous n’avons aucun
exemple avéré de bibliothèque de prêt, sur le modèle de la parva libraria du
collège de Sorbonne, à l’exception peut-être de celle du collège du Trésorier,
qui paraît bien s’inspirer directement de celle de la Sorbonne, jusque dans son
vocabulaire. Est-ce à dire que les collèges ne pratiquaient pas le prêt de livres ?
Non. Si l’on a peu d’exemples de bibliothèques de prêt structurées en tant que
telles, les exemples isolés de prêts de livres, eux, sont très fréquents34, et leur
réglementation présente des similitudes intéressantes avec celle du collège
de Sorbonne.

La réglementation des prêts à l’intérieur et à l’extérieur du collège


C’est un domaine où, à première vue, le collège de Sorbonne est allé beau-
coup plus loin que les autres collèges. Il est le seul pour lequel nous ayons
conservé un règlement concernant le prêt à l’extérieur du collège, le seul éga-
lement pour lequel nous disposons d’un registre de prêt, preuve que ce prêt
était effectif et organisé, le seul enfin à avoir laissé plusieurs traces de sa régle-
mentation concernant les prêts à l’intérieur du collège35.
Dans les autres collèges, on trouve de nombreux exemples isolés de
prêts mais pratiquement aucune réglementation à leur sujet. Cette absence
s’explique sans doute en partie par la différence de taille et d’importance du
collège de Sorbonne et des autres collèges parisiens : ces derniers, moins
sollicités pour des prêts à l’extérieur que ne l’était la Sorbonne, ressentaient
moins la nécessité de réglementer une pratique qui ne présentait pas des flux
importants. De fait, la seule réglementation relative aux prêts conservée pour

33. J.-P. Boudet, « Charles V, Gervais Chrétien et les manuscrits scientifiques du collège de


Maître Gervais », Médiévales, 52, 2007, p. 15-38 (ici p. 30).
34. On trouvera des exemples infra, p. 115 sq., et dans K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits
collèges…, op. cit., p. 286-300.
35. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., en particulier l’« Introduction »,
p. 21-50 ; G. Fournier, « Listes, énumérations, inventaires… », art. cité, p. 207-214. Pour
les prêts à l’extérieur du collège, voir Id., Une « bibliothèque vivante », op. cit., chapitre viii,
p. 341-373.

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106 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

les « petits » collèges parisiens se trouve dans les statuts des collèges et ne
concerne que le prêt en interne aux membres du collège.
On l’a souvent écrit, les statuts des collèges, documents normalisés par
excellence, présentent beaucoup de similitudes entre eux et sont à interpré-
ter avec prudence car ils ne reflètent pas forcément la pratique en usage dans
les établissements36. Il est par ailleurs très difficile d’en trouver la source et
de savoir lequel a pu inspirer les autres – à l’exception de certains cas où la
chronologie ainsi que la connaissance des réseaux d’alliances entre fonda-
teurs de collèges permettent d’avancer quelques hypothèses37. Néanmoins,
étant donné l’antériorité des statuts du collège de Sorbonne et la notoriété de
l’institution, on a souvent pensé que celle-ci avait pu être à l’origine de cer-
tains passages qui se retrouvent dans d’autres statuts de collèges parisiens38.
C’est notamment le cas pour le passage des statuts relatif au prêt de livres
aux membres du collège, à l’intérieur de l’établissement. La nécessité d’en
prendre soin et l’interdiction de sortir les livres du collège se retrouvent dans
de nombreux statuts sous une forme identique à celle des statuts du collège
de Sorbonne.
Ainsi au collège de Sorbonne, vers 1270 :
Item nullus recipiatur in domo nisi fidem prestet quod si contigerit ipsum libros de communi
recipere, quod sicut suos ita fideliter observabit et nullo modo distrahet nec accommodabit
extra domum, et per integrum reddet eos quandocumque exigentur ab eo et quando contigerit
eum villam exire39.

36. N. Gorochov, Le collège de Navarre, op. cit., p. 26-27, 159 et 253-254 ; G. Fournier,


« Listes, énumérations, inventaires… », art. cité, p. 162 et 163 n. 35-36. T. Kouamé tra-
vaille actuellement sur un projet d’édition des statuts des collèges séculiers parisiens. Voir
T. Kouamé, « L’édition des sources médiévales des collèges parisiens. Bilan et perspectives »,
dans Die universitären Kollegien im Europa des Mittelalters und der Renaissance/Les collèges universitaires
en Europe au Moyen Âge et à la Renaissance, A. Sohn et J. Verger, éd., Bochum, 2011, p. 39-55.
37. On sait par exemple que le cardinal Jean Lemoine, fondateur du collège du même nom en
1302, avait été chargé par le pape de poursuivre l’exécution testamentaire de Jean Cholet après
le décès de ses deux exécuteurs testamentaires primitifs. Jean Lemoine a ainsi été à l’origine, en
1301, de la deuxième rédaction des statuts du collège des Cholets. On ne s’étonnera donc pas
de la proximité des statuts du collège du Cardinal Lemoine avec ceux du collège des Cholets.
Des solidarités pouvaient également exister entre collèges de même origine.
38. G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit., p. 347. Pour les passages des statuts du
collège de Navarre qui s’inspirent de ceux du collège de Sorbonne, voir N. Gorochov, Le col-
lège de Navarre, op. cit., p. 151 sq., en particulier p. 162-163.
39. Paris, BNF, lat. 16574, f. 1-23v, P. Glorieux, éd., Aux origines de la Sorbonne, op. cit., t. I,
no 1, p. 193-196 (ici p. 194) ; trad. française de N. Gorochov, dans Former, enseigner, éduquer
dans l’Occident médiéval (1100-1450). Textes et documents, II, réunis par P. Gilli, Paris, 1999, p. 131.

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Karine Klein 107

Ce passage trouve son équivalent exact au collège des Cholets, vers la fin
du xiiie siècle ou au xive siècle (le texte nous est connu par une copie du
xive siècle) :
Item, quicumque receptus fuerit in domo, praestabit fidem quod si ipsum libros habere seu
recipere de communi, quod servabit eos fideliter sicut suos et nullo modo distrahet eos vel
accommodabit extra domum, et reddet eos perintegre quotiens ab eo exigetur, et quando
ipsum contigerit ire extra villam40.
On lit également les mêmes termes, dans une formulation très abrégée,
dans les statuts du collège d’Harcourt en 1311 :
Quilibet jurabit libros domus sicut suos fideliter custodire, nec extra domum alicui
commodare41.
Et dans ceux du collège de Justice en 1358 :
Item quilibet jurabit libros domus sicut suos fideliter custodire nec extra domum alicui
commodare42.
Si les correspondances entre ces passages des statuts sont évidentes, en
attribuer la paternité au collège de Sorbonne demeure hypothétique. En
revanche, il semble avéré que le collège de Sorbonne a initié plusieurs pra-
tiques catalographiques novatrices.

La description des volumes


Parmi les pratiques pour lesquelles la paternité du collège de Sorbonne
peut être invoquée de façon à peu près certaine, figurent en premier lieu celles
qui se rattachent au soin mis à la description des volumes43. Le collège de
Sorbonne serait vraisemblablement à l’origine à Paris de l’indication des
mots-repères ainsi que de la prisée des volumes dans les descriptions de
livres, que ce soit dans les catalogues de sa bibliothèque, les registres de prêt
ou tout autre document. Ses catalogues se distinguent, dès le xiiie siècle,
par une description exhaustive de toutes les œuvres contenues dans chaque
volume et pas seulement celle du ou des premiers titres du recueil. Enfin, le
collège de Sorbonne a instauré très tôt un système de cotes pour retrouver les

40. Paris, Archives de l’Université, carton 20, no 1 : Statuta magistrorum tenenda intus [collegio
Choleteo], § 54.
41. César Égasse Du Boulay, éd., Historia Universitatis Parisiensis a Carolo Magno ad nostra tem-
pora, t. IV, Paris, 1668, p. 152-162.
42. Paris, AN, M 137. Cité par A. Franklin, Les anciennes bibliothèques de Paris. Églises, monastères,
collèges, etc., t. II, Paris, 1870, p. 101. 
43. Voir supra, n. 9.

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108 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

volumes dans sa bibliothèque à partir des catalogues et a veillé à mentionner


de façon systématique le nom des donateurs dans les catalogues ainsi que sur
les volumes. Cette minutie, si nouvelle pour l’époque, a-t-elle essaimé dans
les autres collèges parisiens ? La réponse à cette question est très nuancée,
toutes les innovations n’ont pas été suivies de la même façon, et les réponses
ne sont pas toujours uniformes pour tous les collèges.
L’indication des mots-repères, c’est-à-dire des premiers mots du deuxième
feuillet et de l’avant-dernier feuillet de chaque volume, différents à chaque
exemplaire à une époque où les livres étaient écrits à la main et où chaque
exemplaire était donc unique, représente la principale innovation qui peut
être attribuée au collège de Sorbonne. Comme pour le double dépôt, l’une des
particularités de la Sorbonne est d’avoir formalisé cette pratique de façon très
précise dans le règlement de 1321. Il s’agit ici d’un passage relatif à la tenue
du registre de prêt du collège :
Item non sufficit scribere : talis habet talem librum.vi. librarum, vel huiusmodi, nisi scribat
etiam sic in registro : incipit secundo folio sic vel sic ; ne fiat fraus in commutando
librum maioris precii in librum eiusdem speciei, minoris tamen precii ; vel si perderetur unus
ne restitueretur peior44.
L’indication des mots-repères est sans doute, avec la prisée, la pratique que
l’on retrouve le plus dans les sources des collèges. Elle est davantage présente
dans les actes de vente que dans les inventaires de bibliothèque, quoique le
faible nombre d’inventaires conservés rende cette remarque fragile45. Elle est
aussi plus fréquente au xve siècle qu’au xive siècle, ce qui donne le sentiment
d’une diffusion dans le temps assez lente. Cette pratique dépasse le cadre des
collèges, car on la retrouve dans des actes qui ne sont pas directement pro-
duits dans les collèges, comme les testaments ou les inventaires après décès46.
Les indications de prisée se retrouvent de façon assez logique dans les actes
de vente, les documents passés devant notaire, les exécutions testamentaires

44. Paris, BNF, lat. 16574, f. 1-23v. ; P. Glorieux, éd., Aux origines de la Sorbonne, op. cit., t. I,
no 22, p. 214-215 ; trad. française de J. Monfrin, Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de
Sorbonne, op. cit., p. 11. Sur les mots-repères au collège de Sorbonne, voir R. H. Rouse, « The
Early Library of the Sorbonne », Scriptorium, 21, 1967, p. 42-71 et p. 226-251 (ici p. 53-54) ; R. H.
et M. A. Rouse, « La bibliothèque du collège de Sorbonne », art. cité, p. 116.
45. Seuls 6 collèges, en dehors du collège de Sorbonne, ont conservé un ou plusieurs inven-
taires médiévaux de leur bibliothèque. Pour le détail, voir K. Rebmeister-Klein, Les livres des
petits collèges…, op. cit., p. 174 ; G. Fournier, « Listes, énumérations, inventaires… », art. cité,
p. 161 n. 26.
46. Voir par exemple le testament de Guillaume Vauchis (1414) ou l’inventaire après décès de
Nicolas de Gondrecourt (1418), K. Rebmeister-Klein, éd., Les livres des petits collèges…, op. cit.,
respectivement aux p. 693-695 et 707-718.

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Karine Klein 109

et les registres de comptes. Elles sont présentes dès le xive siècle et semblent,


avec toute la prudence qu’imposent des statistiques faites sur un corpus
réduit, plus fréquentes et plus précoces que les indications des mots-repères47.
La description de la totalité des œuvres d’un volume est très peu répan-
due dans les collèges, à l’exception du collège du Trésorier, collège dont les
pratiques se conforment le plus à celles du collège de Sorbonne, comme
nous l’avons déjà observé48. L’inventaire de la bibliothèque en 1437 fournit
plusieurs exemples de descriptions précises du contenu d’un volume (voir
ill. nos 3 et 4)49. On notera qu’il s’agit principalement de livres de théologie,
point fort de la bibliothèque du collège du Trésorier. Les autres volumes ne
font pas l’objet d’une telle description.
Les collèges semblent avoir ignoré la cotation. Les documents d’archives
conservés sont muets sur la question. Quelques manuscrits subsistants
portent des cotes difficiles à dater (une lettre, un chiffre) ; elles ne paraissent
pas avoir été systématiques50.
L’apposition du nom du donateur semble avoir rencontré peu de succès
dans les autres collèges. Au collège de Sorbonne, le nom du donateur est
mentionné à la fois dans les catalogues et dans les manuscrits eux-mêmes,
où il est partie prenante de l’ex-libris51. Il n’y a aucun exemple dans les autres
collèges de donateur qui soit ainsi mentionné à la fois dans les inventaires et
dans les manuscrits. Quelques donateurs sont évoqués dans les inventaires,
mais cela reste sporadique52. Davantage de manuscrits subsistants gardent
le souvenir d’un donateur, mais sans que l’on puisse parler d’une politique
systématique du collège auquel ils appartenaient53. Par ailleurs, la pratique y
semble plus tardive qu’au collège de Sorbonne, tous les exemples conservés
étant datés de la fin du xve ou du xvie siècle.
Nos considérations indiquent que des rapprochements peuvent facile-
ment être faits sur plusieurs aspects pratiques et d’organisation entre la
bibliothèque du collège de Sorbonne et les bibliothèques des autres collèges

47. Pour la prisée au collège de Sorbonne, voir L. Grenier-Braunschweig, « La prisée des
manuscrits du collège de Sorbonne au Moyen Âge », art. cité, passim.
48. Voir supra, p. 103 sq.
49. Voir supra, n. 28. Une accolade réunit les titres d’un même volume.
50. Voir par exemple K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit., p. 372.
51. G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit., p. 41-70.
52. Voir en particulier les exemples des collèges de Fortet (inventaire de 1412) et Harcourt (cata-
logue de 1696) dans K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit., respectivement
aux p. 651-652 et 664-666.
53. Voir en particulier les exemples des collèges de Maître Gervais et du Trésorier, dans ibid.,
respectivement aux p. 1094-1098 et 1165-1168.

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110 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

parisiens, même si l’influence directe du collège de Sorbonne reste à démon-


trer. D’autres rapprochements existent-ils, en particulier en ce qui concerne
leur mode de constitution et leurs contenus ? Posons quelques jalons.

Les dons et les modèles de lecture


L’importance des dons dans la constitution des bibliothèques de collèges
L’importance des dons est une constante que l’on retrouve aussi bien au
collège de Sorbonne que dans les autres collèges parisiens. Compte tenu du
coût du manuscrit, les collèges ne pouvaient pas constituer de bibliothèque
digne de ce nom uniquement par des achats54. Leur activité de copie est mal
connue et reste sans équivalent avec celle des scriptoria monastiques des siècles
précédents55. En outre, les collèges séculiers ne bénéficiaient pas d’une dota-
tion « institutionnelle » de départ, comme cela pouvait être le cas pour les
collèges réguliers. Ils devaient donc avant tout compter sur la générosité de
donateurs favorables à leur institution. Le plus souvent, le noyau de départ
de la bibliothèque était constitué du don ou du legs du fondateur du collège,
auquel s’ajoutaient le cas échéant une série de dons ultérieurs56. La biblio-
thèque du collège de Sorbonne fonctionnait sur le même principe. Robert de
Sorbon était encore en vie lors de sa fondation. Il paraît avoir mis sa biblio-
thèque personnelle à la disposition du collège57. De surcroît, il veilla à encou-
rager et à susciter des dons en faveur de l’établissement qu’il venait de créer.
Le développement remarquable du collège de Sorbonne dès ses premières
années et le nombre important de dons et legs dont il bénéficia comptent au
nombre des caractéristiques les plus remarquables du collège58. Les dons faits
en faveur de la bibliothèque, en particulier, expliquent l’importance qu’elle
eut très vite : en 1290, soit à peine vingt ans après sa fondation, le collège de

54. Ibid., p. 194-202. Pour le collège de Dormans-Beauvais, voir É. Pellegrin, « La biblio-
thèque de l’ancien collège de Dormans-Beauvais à Paris », art. cité, p. 16-63.
55. K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit., p. 194-202. Sur la question de
la présence d’un scriptorium au collège de Dormans-Beauvais, voir É. Pellegrin, « La biblio-
thèque de l’ancien collège de Dormans-Beauvais à Paris », art. cité, en part. p. 25-37 et 49-59 ; et
au collège de Maître Gervais, voir J.-P. Boudet, « Charles V, Gervais Chrétien et les manuscrits
scientifiques du collège de Maître Gervais », art. cité, p. 31.
56. M.-H. Jullien de Pommerol, « Livres d’étudiants », art. cité, p. 95.
57. C. Angotti, « Les bibliothèques des couvents mendiants, un modèle pour les séculiers ?
L’exemple de deux premiers bienfaiteurs de la bibliothèque du collège de Sorbonne… », art. cité.
58. R. H. Rouse, « The Early Library of the Sorbonne », art. cité, en part. p. 58-59, 65-66, 227
et 242-243 ; R. H. et M. A. Rouse, « La bibliothèque du collège de Sorbonne », art. cité, en part.
p. 113-119.

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Karine Klein 111

Sorbonne avait bénéficié de plus d’une vingtaine de dons, et sa bibliothèque


comptait déjà plus de 1 000 volumes59. En 1338, on comptait plus de cent
bienfaiteurs60.
Sans atteindre de tels chiffres, les bibliothèques des autres collèges ont
elles aussi bénéficié de dons qui représentent une part importante de leurs
fonds. Environ 40 % des volumes connus par les sources (hors manuscrits
subsistants) ayant appartenu à un collège parisien au Moyen Âge proviennent
d’un don ou d’un legs61. Les dons en faveur des collèges se sont multipliés dès
la fin xiiie siècle et au xive siècle. L’exemple du collège de Sorbonne a-t-il pu
jouer en faveur des autres collèges séculiers parisiens ? On l’ignore. Il est vrai
aussi que les collèges se sont multipliés au xive siècle, il y avait donc davan-
tage de choix pour les donateurs. Comme conséquence moins heureuse, cette
multiplication des collèges pourrait expliquer, selon Gilbert Fournier, le taris-
sement des dons en faveur du collège de Sorbonne au xive siècle62.
Le don, premier mode de constitution et d’enrichissement des biblio-
thèques de collèges, est donc un trait commun à la Sorbonne et aux autres
collèges séculiers parisiens. Peut-on pour autant évoquer des modèles com-
muns de lecture ?

Des modèles de lecture ?


Ce développement doit être lu avec précaution, car l’étude compara-
tive des contenus entre la bibliothèque du collège de Sorbonne et celles
des autres collèges séculiers parisiens est, en l’état actuel des sources, très
difficile à mener. L’échelle n’est pas la même entre un ensemble de plus de
1 700 volumes au milieu du xive siècle et des bibliothèques de 10, 20, 50 ou
au mieux 300 volumes. Par ailleurs, les dons importants connus pour le col-
lège de Sorbonne sont souvent précoces (xiiie siècle surtout, déjà moins au
xive siècle), alors que les dons les plus importants connus pour les autres col-
lèges sont plus tardifs63.

59. Une mention apposée à la suite du catalogue de 1338 évoque la présence de 1 017 volumes
dans la bibliothèque en 1290. Voir L. Delisle, Le cabinet des manuscrits, op. cit., p. III, p. 71. Un
don comme celui de Gérard d’Abbeville en 1272 (300 volumes) avait doublé d’un coup la taille
de la bibliothèque, voir R. H. et M. A. Rouse, « La bibliothèque du collège de Sorbonne »,
art. cité, p. 115.
60. R. H. Rouse, « The Early Library of the Sorbonne », art. cité, p. 242 ; M.-H. Jullien de
Pommerol, « Livres d’étudiants », art. cité, p. 100 (lire 1338 au lieu de 1388).
61. K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit., p. 187.
62. G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit., p. 40-41.
63. Ibid., p. 39 n. 121 ; K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit., p. 181-193.

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112 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

Malgré tout, en essayant de comparer entre eux les dons de taille à peu
près équivalente et d’époques relativement proches, il s’en dégage quelques
constantes que l’on peut énumérer comme suit :
• les dons sont souvent adaptés aux enseignements en usage dans les
collèges : il s’agit des auteurs au programme, des œuvres complètes et
de leurs commentaires, dans les disciplines représentées au collège ;
• sans que cela entre en contradiction avec le point précédent, c’est aussi
souvent par les dons que les nouveautés entrent dans les collèges64 ;
• on note une forte présence du droit ;
• et, en lien avec le point précédent, on constate que les dons, très sou-
vent, reflètent la carrière des donateurs65 ;
• les dons peuvent être vendus par les collèges, leur contenu importe par-
fois moins que leur valeur financière, y compris dans l’esprit des dona-
teurs qui offrent un livre comme ils offriraient un capital en argent.
Moins que les contenus eux-mêmes, l’étude de leur répartition au sein du
collège apporte quelques éléments de rapprochement intéressants entre le
collège de Sorbonne et les autres collèges parisiens. Nous avons déjà abordé la
question de la répartition des contenus entre magna libraria et parva libraria : la
magna, fonds de référence, contient une sélection des textes les plus courants,
tandis que la parva, fonds de prêt et d’étude, contient des doubles et des textes
plus spécialisés. Sans que soit opérée une distinction géographique entre les
fonds, l’étude poussée du contenu de la bibliothèque du collège de Dormans-
Beauvais a amené Thierry Kouamé à mettre en évidence une spécialisation des
contenus étroitement liée aux disciplines privilégiées par le collège66. Dans cet
établissement, où les arts dominent, et en leur sein la philosophie, la majorité
des textes de philosophie sont des commentaires sur les œuvres (expositiones
et quaestiones) alors que, pour les autres disciplines, ce sont les auctoritates qui
l’emportent. Malheureusement, peu de collèges offrent des corpus suffisam-
ment étoffés pour permettre une analyse de leur contenu.
L’étude des annotations de manuscrits subsistants est également une
source intéressante pour connaître la réception des œuvres contenues dans
les bibliothèques des collèges et les pratiques de lecture qui y étaient en

64. Ibid., p. 221-231 et 241.


65. Ibid., p. 221-235. Voir en particulier les exemples des collèges de La Marche et de Maître
Gervais (legs de Guillaume Baron).
66. T. Kouamé, Le collège de Dormans-Beauvais à la fin du Moyen Âge. Stratégies politiques et parcours
individuels à l’université de Paris (1370-1458), Leyde, 2005, p. 273-286, en part. p. 284-286.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 112 10/04/2017 16:31


Karine Klein 113

usage67. À ce jour, on manque malheureusement d’éléments et de recherches


approfondies sur le rôle du collège de Sorbonne en tant qu’institution dans
la diffusion de certaines œuvres ou dans l’imposition de grilles de lecture.
Quant aux manuscrits copiés dans les collèges, il s’agit d’une source com-
plexe à appréhender : témoins d’un enseignement particulier pour quelques-
uns, gagne-pain des étudiants pour la plupart, il est difficile d’en tirer des
conclusions sur la circulation des œuvres ou leur réception dans les collèges
et, à ce jour, il est difficile de faire le moindre rapprochement avec le collège
de Sorbonne68.
On le voit à ce qui précède, il est malaisé de mesurer ce que l’existence de
la bibliothèque du collège de Sorbonne a pu apporter aux bibliothèques des
autres collèges parisiens géographiquement très proches d’elle. Pourtant, les
échanges étaient à ce point fréquents entre membres des différents collèges,
et les bibliothèques étaient à ce point ouvertes, en particulier celle du collège
de Sorbonne, que l’on ne peut concevoir qu’il n’y ait pas eu, pour le moins,
une très bonne connaissance dans les autres collèges de son fonctionnement
et de la façon dont elle était gérée.

Les échanges et les circulations entre les collèges


Les échanges et circulations étaient en effet très nombreux entre les dif-
férents collèges parisiens, et ils concernaient tout autant les personnes que
les biens. Il n’est pas rare de voir une même personne, au cours de sa car-
rière, fréquenter plusieurs collèges, étudiant dans l’un et enseignant dans un
autre69. Nous avons des exemples d’étudiants de collèges parisiens assistant à
des exercices ou des cours au collège de Sorbonne70. Des socii de la Sorbonne
participent également à la fondation ou à l’essor d’un autre collège71. Les dons

67. K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit., p. 231-235. L’édition des anno-
tations en marge des manuscrits subsistants reste à faire.
68. Ibid., p. 134-147 et 233-235.
69. Voir infra, p. 115 sq.
70. Augustin Renaudet, Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d’Italie, 1494-
1517, Paris, 1916, p. 45-46 ; Claire Angotti, « Présence d’un enseignement au sein du collège
de Sorbonne : collationes, disputationes, lectiones (xiiie-xve siècle). Bilan et hypothèses », Cahiers
de recherches médiévales, 18 (2009), p. 89-111 ; Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à
Nicomaque à l’université de Paris », dans Ad ingenii acuitionem. Studies in Honour of Alfonso Maierù,
S. Caroti, R. Imbach, Z. Kaluza, G. Stabile, L. Sturlese, éd., Louvain-la-Neuve, 200,
p. 147-181.
71. Le registre de prêt de la Sorbonne en mentionne quelques-uns, tels Hieronymus Pardo,
socius, cofondateur du collège de Montaigu, et Johannes Pulchripatris (Beaupère), socius, chargé

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 113 10/04/2017 16:31


114 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

et legs montrent eux aussi que des donateurs s’intéressent simultanément à


plusieurs collèges à la fois.

Les dons et les legs


Il n’est pas rare que les dons et legs favorisent plusieurs collèges en même
temps. Nous l’avons vu, cette pratique, qui était moins fréquente dans les pre-
mières années du collège de Sorbonne, peut être perçue comme une évolution
défavorable à ce dernier, puisqu’elle a conduit à diminuer d’autant la part qui
lui revenait directement72. Les quelques exemples ci-dessous, non exhaus-
tifs, témoignent de cet émiettement des dons. En 1289, Jean Cholet, cardi-
nal, dont les exécuteurs testamentaires fonderont après sa mort le collège dit
des Cholets, lègue diverses sommes d’argent en faveur de collèges séculiers
parisiens : les Bons-Enfants, le collège Saint-Thomas du Louvre et le collège
de Sorbonne73.
En 1321, Eudes de Mareuil, chapelain de la cathédrale de Beauvais, lègue
ses livres au collège des Cholets mais aussi quelques sous aux collèges des
Bons-Enfants et de Sorbonne. Il est possible qu’il ait voulu suivre ainsi
l’exemple de Jean Cholet74.
En 1402, Jean Canard lègue une somme d’argent, à venir de la vente de
son hôtel parisien, aux collèges de Navarre, de Sorbonne, de Bourgogne, du
Cardinal Lemoine et de Dainville75.
Toujours en 1402, Guillaume de La Marche favorise plusieurs collèges dans
son testament : les collèges des Bons-Enfants Saint-Victor, des Dix-Huit, des
Bons-Enfants Saint-Honoré, de Saint-Maturin, de Saint-Nicolas du Louvre et
de la Petite Sorbonne76.
La même année 1402, Jean de Neuilly Saint-Front, chanoine de Notre-
Dame et avocat au Parlement de Paris, lègue des livres aux collèges parisiens

en 1411 de composer les statuts du collège de Tréguier. Voir Le registre de prêt de la bibliothèque du
collège de Sorbonne, op. cit., respectivement p. 605 et 636.
72. Voir supra, n. 62.
73. Paris, AN, M 111, no 2 ; A. Paravicini-Bagliani, éd., I Testamenti dei cardinali del Duecento,
Rome, 1980, p. 250-267 (en part. p. 261-262, où sont évoqués les legs aux collèges).
74. Beauvais, AD Oise, G 692 ; V. Leblond, éd., Testament et Inventaires des biens d’Eudes de Mareuil,
chapelain perpétuel de la cathédrale de Beauvais (1321-1324), Beauvais, 1913 ; K. Rebmeister-Klein,
Les livres des petits collèges…, op. cit., p. 489 (éd. partielle du seul legs au collège des Cholets).
75. N. Gorochov, Le collège de Navarre, op. cit., p. 553-554.
76. M.-H. Jullien de Pommerol, « Les origines du collège de La Marche à Paris », art. cité,
p. 185-186.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 114 10/04/2017 16:31


Karine Klein 115

de Dormans-Beauvais, Harcourt, Maître Gervais et Presles, ainsi qu’au collège


Saint-Nicolas de Soissons77.
En 1409, Gilles Deschamp, aumônier et confesseur de Charles V, lègue
quelques livres aux collèges de Harcourt, de Justice, de Navarre et du
Trésorier78.
La liste est longue. On trouve également des dons faits en faveur d’un collège
par des boursiers d’un autre collège : ainsi, vers 1479-1482, Thomas Troussel,
alors socius de la Sorbonne, lègue un manuscrit au collège de Harcourt79. À
côté des dons et des legs, l’étude des prêts, et surtout des emprunteurs et de
leurs carrières, témoigne à son tour de la mobilité des universitaires, qui fré-
quentent souvent au cours de leur carrière plusieurs collèges.

L’accès aux bibliothèques et les emprunts


Bien que très encadrés, les prêts de livres n’étaient pas rares et ils ont laissé
des traces dans plusieurs bibliothèques de collèges. L’exemple le plus connu
est certainement celui de la bibliothèque du collège de Sorbonne, grâce à
son fameux registre de prêt80, document qui n’a pas d’équivalent dans les
sources des « petits » collèges parisiens. Parmi les personnes ayant eu accès à
la bibliothèque du collège de Sorbonne au xve siècle et au début du xvie siècle,
on ne trouve pas moins de 75 emprunteurs liés de près ou de loin à des col-
lèges parisiens. Il s’agit souvent de membres du collège de Sorbonne passés
auparavant par d’autres collèges, ou enseignant dans d’autres collèges, tout
en poursuivant leurs études au collège de Sorbonne. Ainsi Johannes Botbort,
présent en 1407 au collège de Dacie, effectue des emprunts au collège de
Sorbonne entre 1406 et 141281. En 1445, Jean Boucard, confesseur de Louis XI,
emprunte le commentaire du livre IV des Sentences de Thomas d’Aquin au
collège de Sorbonne sans être socius82. Il est également connu pour avoir été
professeur au collège de Maître Gervais, proviseur du collège de Navarre et
bienfaiteur du collège de Harcourt. Jean de Douxmenil, entré au collège de

77. Paris, AN, X1 A 9807, f. 78-81v ; K. Rebmeister-Klein, éd., Les livres des petits collèges…,
op. cit., p. 742-746 (éd. des seuls legs de livres).
78. Paris, BNF, ms. Moreau 1161, f. 754v-756 ; K. Rebmeister-Klein, éd., Les livres des petits
collèges…, op. cit., p. 661 (éd. des seuls legs de livres).
79. Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 253, voir ibid., p. 1061 et 1063.
80. Paris, Bibl. Mazarine, ms. 3323, et supra, n. 35.
81. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., p. 615.
82. Sur le prêt de Jean Boucard, voir G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit., en part.
p. 527-529.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 115 10/04/2017 16:31


116 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

Navarre en 1391, est ensuite socius au collège de Sorbonne et emprunte à la


bibliothèque entre 1404 et 141783.
Un exemple particulièrement intéressant, parce qu’il fait intervenir un col-
lège en tant qu’institution et révèle un échange de livres entre collèges, est
celui du collège de Justice qui, en 1428, effectue un emprunt au collège de
Sorbonne, vraisemblablement à des fins de copie.
Anno Domini Mo CCCCo XXVIIo die XXVIIo marcii habuit de magna libraria, ex deliberacione
aule et consensu subprovisoris, Racionale divinorum officiorum precii XV lb., 2o folio aut
non invenerunt, penultimo quando per XV erit, pro concedendo collegio Justicie usque
ad festum Penthecostis, pro quo tradidit vadio duos libros, scilicet unum librum De figuris
Biblie cum coopertorio rubeo, 2o folio seu arida, penultimo [do]mesticos vios [sic] ; 2us
liber est Bertrandus super Epistolas cum coopertorio viridi, 2o folio in tabula ibidem nota,
penultimo pervenire amen.
Item penultima die julii anni [au-dessus : M] XXVIII, reddidit omnes libros non cancella-
tos cum clave, et librum prius concessum pro collegio Justicie, et rehabuit vadia84.
Dans l’autre sens, il pouvait y avoir des emprunts de membres du collège de
Sorbonne à d’autres collèges parisiens, même si les exemples sont plus rares.
Ainsi celui de Pierre Plaoul, évêque de Senlis, proviseur du collège de Sorbonne
de 1412 à 1415, connu pour avoir été un bienfaiteur de la bibliothèque de
la Sorbonne à laquelle il a légué des ouvrages, et qui en 1412 emprunte 18
volumes au collège des Cholets85. Il s’agit entre autres de livres de liturgie
à l’usage du diocèse de Senlis, qu’il savait trouver au collège des Cholets :
preuve que, tout usager de la bibliothèque du collège de Sorbonne qu’il soit,
il connaissait d’autres bibliothèques et savait où chercher ce qu’il ne trouvait
pas dans le collège qui l’accueillait ou qu’il ne pouvait pas emprunter86.
Les échanges entre collèges servaient aussi, parfois, à enrichir les biblio-
thèques, que ce soit par le biais de copies ou de ventes de livres.

83. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., p. 620-621.


84. Ibid., no 46, 67 et 72, p. 230. Voir K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges…, op. cit.,
p. 674 ; G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit., p. 506-507.
85. Paris, AN, M 112, no 9, K. Rebmeister-Klein, éd., Les livres des petits collèges…, op. cit.,
p. 492-495.
86. Cet emprunt pourrait s’expliquer par l’absence de Pierre Plaoul de la capitale : ne pouvant
sortir les livres de la bibliothèque du collège de Sorbonne, ce qui était formellement interdit, il
emprunte ceux d’un collège qui, compte tenu de sa qualité d’évêque de Senlis, ne pourra le lui
refuser. Voir ibid., p. 297.

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Karine Klein 117

La copie et la vente de livres


On l’a vu avec l’exemple de l’emprunt du collège de Justice, il est possible
que des livres aient été prêtés entre collèges pour être copiés avant d’être
restitués par la suite à leur collège d’origine. Nous avons aussi au moins un
exemple d’un boursier du collège de Sorbonne qui effectue une copie pour un
autre collège parisien : c’est le cas de Georges de Rayn, chapelain du collège
de Dormans-Beauvais en 1389, boursier du collège de Sorbonne entre 1390 et
1401, qui travaille à la copie d’au moins deux livres liturgiques, des graduels,
pour le collège de Dormans-Beauvais entre 1389 et 1399. Il semble bien qu’il
ait commencé le deuxième en 1398, à une époque où il était déjà au collège de
Sorbonne87.
Il existe, enfin, de nombreux exemples de membres de collèges qui vendent
des livres ou en achètent à un autre collège, sans que l’on sache toujours
très bien s’ils le font au nom du collège dont ils se revendiquent ou en leur
nom propre88. C’est le cas de Jean Heynlin (de Lapide)89 qui, en 1471, vend un
imprimé au collège d’Autun alors qu’il est membre du collège de Sorbonne
et le revendique dans l’acte de vente où il se qualifie de socius collegii Sorbonne :
Ego, Johanne de Lapide, diocesis Spirensis, socius collegii Sorbone, in artibus magister et in
theologia bacalarius formatus, confiteor vendidisse magistro et scolaribus venerabilis colle-
gii Eduensis totam Summam fratris Astexani, ordinis Fratrum Minorum, in papiro impres-
sam et in quaternis, absque rubricacione seu illuminacione, incipientem in secundo folio :
dicturi ergo et finientem in antepenultimo ante tabulam : auctorem perjurii papam
ut, precio tredecim scutorum auri, que vere et realiter recepi ab eisdem magistro et scolaribus,
et ipsos quitto et promitto predictam sommam erga et contra omnes garentisare. In cujus
rei testimonium signum meum manuale hic subscripsi et apposui, anno Domini millesimo
quadringentesimo septuagesimo, die vero vicesima nona mensis Januarii.
[signé :] Johannes de Lapide90.
On le voit, le monde des collèges séculiers à Paris au Moyen Âge était un
monde ouvert, dans lequel les hommes, comme les livres ou les idées, circu-
laient. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les modèles, notamment
bibliothéconomiques, mis en place au collège de Sorbonne et ailleurs aient pu
se diffuser. Cependant, il est moins évident de préciser quelles sont les innova-
tions dont la paternité peut réellement être attribuée au collège de Sorbonne et

87. Ibid., p. 607.


88. Ibid., p. 196-203.
89. Voir sur ce personnage la contribution de Beat von Scarpatetti dans le présent volume.
90. Paris, AN, S 6346A, no 1 ; K. Rebmeister-Klein, éd., Les livres des petits collèges…, op. cit.,
p. 458.

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118 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

de mesurer en quoi il a joué un rôle dans leur diffusion. Beaucoup de pratiques


nouvelles étaient en effet en gestation dans de nombreuses bibliothèques, y
compris régulières ou laïques. Quant à la diffusion, elle était certainement
avant tout le fait des hommes qui circulaient et apportaient, en arrivant dans
un collège, les modes de fonctionnement qu’ils avaient vus appliqués avec
succès ailleurs. Peut-être n’avaient-ils pas conscience de diffuser un modèle ?
De la même manière, le collège de Sorbonne, en tant qu’institution, n’a peut-
être pas eu la volonté d’essaimer ? Il n’empêche que, en essayant d’organiser
la masse d’ouvrages qui lui étaient légués, il a été forcé, plus que les autres, à
trouver des solutions qui se sont souvent révélées judicieuses et étonnamment
modernes, et que les « petits » collèges séculiers parisiens, pour la plupart
fondés après lui, connaissaient certainement. Ces « petits » collèges les ont,
par la suite, librement mises en œuvre ou non en fonction de leurs besoins, de
leurs moyens et de l’ambition plus ou moins grande que chacun nourrissait
pour sa bibliothèque.

Karine Klein
Bibliothèque municipale d’Avignon

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Karine Klein 119

Ill. 1. Paris, Arch. nat. M 194, p. 1.

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120 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

Ill. 2. Paris, Arch. nat. M 194, p. 35.

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Karine Klein 121

Ill. 3. Paris, Arch. nat. M 194, p. 3

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122 Les bibliothèques des collèges séculiers parisiens et la Sorbonne

Ill. 4. Paris, Arch. nat. M 194, p. 5.

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CHAPITRE 3

Développement des bibliothèques


et pluralité des textes au collège

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Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 124 10/04/2017 16:32
Lire l’archive
Les commentaires sur l’Éthique à Nicomaque au collège
de Sorbonne à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance1
Gilbert Fournier

«
L e divorce de l’histoire et de la philosophie n’est pas une fatalité », selon
Alain de Libera2. Depuis plusieurs décennies, les tentatives de conci-
liation se sont multipliées en France ; un récit a été tissé, les coupables ont
été désignés, les hérauts loués. On doit à Marie-Dominique Chenu l’« intro-
duction résolue de la méthode historique dans l’étude des textes médiévaux »3
et « le mot “histoire” est sans doute ce qui caractérise le mieux la démarche
de [Paul] Vignaux4 ». Nul ne saurait sacrifier aujourd’hui sans quelques scru-
pules au « vain tournois des idées […] qui ne sont que des idées […] arrachées
hors de leur milieu […] sans racines, comme vidées de leur sève » pour le dire
avec les mots de Lucien Febvre5.

1. Je remercie chaleureusement Luca Bianchi (Università degli Studi del Piemonte Orientale,
Verceil) pour sa lecture et ses suggestions.
2. A. de Libera, Penser au Moyen Âge, Paris, 1991, p. 38-50 (cit. p. 38). Pour une histoire de la
philosophie médiévale dans la deuxième moitié du xxe siècle en France, voir en dernier lieu
C. König-Pralong, « L’histoire de la philosophie médiévale depuis 1950 : méthodes, textes,
débats », Annales. Histoire, Sciences sociales, 64, 2009, p. 143-169.
3. A. de Libera, Penser au Moyen Âge, op. cit., p. 42. Sur Marie-Dominique Chenu (1895-1990),
voir L.-J. Bataillon, « Le Père M.-D. Chenu et la théologie du Moyen Âge », Revue des sciences
philosophiques et théologiques 75, 1991, p. 449-456 ; J. Jolivet, « Les études consacrées par le Père
Chenu au Moyen Âge », dans Marie-Dominique Chenu. Moyen Âge et modernité. Colloque organisé
par le Département de la recherche de l’Institut catholique de Paris et le Centre d’études du
Saulchoir à Paris, les 28 et 29 octobre 1995, J. Doré et J. Fantino, éd., Paris, 1997, p. 67-83.
4. A. de Libera, Penser au Moyen Âge, op. cit., p. 46. Sur Paul Vignaux (1904-1987), voir
R. Imbach, « Paul Vignaux, syndicaliste et historien de la philosophie », dans P. Vignaux,
Philosophie au Moyen Âge, précédé d’une Introduction autobiographique et suivi de Histoire de la pensée
médiévale et problèmes contemporain, Paris, 2004, p. 9-30 (en part. p. 22-27).
5. L. Febvre, « Contre le vain tournois des idées : une étude sur l’esprit politique de la
Réforme » [1926], dans Id., Combats pour l’histoire, Paris, 1953, p. 75-79 (cit. p. 79). On lira des
réflexions analogues dans « Leur histoire et la nôtre » [1938], ibid., p. 276-283 (en part. p. 278-
279) et « Étienne Gilson et la philosophie du xive siècle » [1946], ibid., p. 284-288.

Les livres des maîtres de Sorbonne, sous la direction de Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2017

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 125 10/04/2017 16:32


126 Lire l’archive

L’étude de la philosophie morale d’Aristote à qui nous accordons présen-


tement notre attention n’est pas demeurée en reste. Elle tient en la personne
de René-Antoine Gauthier sa figure tutélaire qui par « l’application d’une
méthode historique sérieuse [a pu] ébranler définitivement les idées reçues,
colportées par des générations d’historiens6 ». Il s’est illustré par plusieurs
éditions de textes, une multitude d’études de détail et une synthèse sur la
réception au long cours de l’Éthique à Nicomaque qui demeure la pierre angu-
laire de toute étude sur le sujet7. Plus près de nous, deux chercheurs ont mis à
profit la démarche historique pour éclairer respectivement l’organisation de
l’enseignement de la philosophie morale à l’université de Paris et le « fonc-
tionnement historique des commentaires » suscités par l’œuvre d’Aristote. À
la suite de Charles Thurot8, Zénon Kaluza étudie ainsi le fonctionnement des
cours communs sur l’Éthique à Nicomaque institués à la faculté des arts vers
la fin du troisième quart du xive siècle jusque dans la première décennie du
xvie siècle, le texte de base et les lectures complémentaires, les qualités des
lecteurs, les conditions et les fruits de leur travail9. Quant à Bénédicte Sère,
elle se propose de « reconstituer l’environnement culturel d[es] texte[s] et
[leur] ancrage historique mais aussi l’horizon historique des discussions et la
mise en place des traditions commentatrices qui les portaient10 ». Elle décline
les milieux les plus divers (mendiants, artiens, princiers et humanistes) pour
décrire au final l’épistémè des commentaires sur l’Éthique à Nicomaque et ses
« mutations » aux accents éminemment foucaldiens.
La présente contribution s’inscrit dans cette approche historienne des
faits intellectuels. Elle concilie l’histoire de la philosophie et la philologie,
comme nous y invite Alain de Libera11, et se prévaut du changement de para-
digme intervenu dans l’histoire du livre et des bibliothèques depuis plusieurs
décennies. Sous les dénominations diverses d’« histoire culturelle du livre »

6. R. Imbach, « La philosophie médiévale », dans Doctrines et concepts. 1937-1987. Rétrospective et


prospective : cinquante ans de philosophie de langue française, A. Robinet, éd., Paris, 1988, p. 114-115.
7. Sur René-Antoine Gauthier (1913-1999), voir L.-J. Bataillon, « In memoriam. Le Père
R.-A. Gauthier O. P. », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 83, 1999, p. 547-556 (biblio-
graphie, p. 548-555).
8. C. Thurot, De l’organisation de l’enseignement dans l’université de Paris au Moyen Âge, Paris, 1850,
p. 79-81.
9. Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque à l’université de Paris », dans
“Ad Ingenii Acuitionem”. Studies in Honour of Alfonso Maierù, S. Caroti, R. Imbach, Z. Kaluza,
G. Stabile et L. Sturlese, éd., Louvain-la-Neuve, 2006, p. 147-181.
10. B. Sère, Penser l’amitié au Moyen Âge. Étude historique des commentaires sur les livres VIII et IX de
l’Éthique à Nicomaque (xiiie-xve siècle), Turnhout, 2007, en part. p. 23-25.
11. A. de Libera, Penser au Moyen Âge, op. cit., p. 73-75.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 126 10/04/2017 16:32


Gilbert Fournier 127

en France, de Bibliography dans les pays anglo-saxons, d’Überlieferungsges-


chichte en Allemagne, l’objectif est à chaque fois le même : aller à la recherche
des significations historiques du livre dans sa double connotation matérielle
et intellectuelle.
Nos investigations sont consacrées à la diffusion des commentaires sur
l’Éthique à Nicomaque dans la bibliothèque commune du collège de Sorbonne à
la fin du Moyen Âge et à la Renaissance. Pour ce faire, elles sollicitent la riche
documentation d’une institution que Robert de Sorbon porta sur les fonts
baptismaux en 1257 et que ses successeurs n’eurent de cesse d’insérer dans la
vie intellectuelle et institutionnelle parisienne, en particulier par l’entremise
de ses bibliothèques, et la non moins riche tradition manuscrite et imprimée
des commentaires sur l’Éthique à Nicomaque. Elles privilégient l’exégèse au
détriment de la lettre aristotélicienne, les médiévaux assimilant l’Éthique par la
pratique du commentaire au lendemain des premières traductions latines12.
À titre d’exemple, Albert le Grand connaît et utilise presque toutes les tra-
ductions dans ses deux commentaires du milieu du xiiie siècle : des traduc-
tions de l’Ethica vetus et de l’Ethica nova de Burgundio de Pise à la traduction
intégrale de Robert Grosseteste, enrichie des notes du traducteur et des com-
mentaires grecs, et au résumé alexandrin traduit par Hermann l’Allemand13.

12. B. Sère, Penser l’amitié au Moyen Âge, op. cit., p. 44. Pour une typologie des commentaires
médiévaux de l’Éthique, voir D. A. Lines, Aristotle’s Ethics in the Italian Renaissance (ca. 1300-1650).
The Universities and the Problem of Moral Education, Leyde-Boston-Cologne, 2002, p. 159-162 ;
O. Weijers, « Un type de commentaire particulier à la faculté des arts : la sententia cum questio-
nibus » [2003], dans Ead., Étude sur la faculté des arts dans les universités médiévales. Recueil d’articles,
Turnhout, 2011, p. 259-270 (ici p. 266-267) et 257-258 (Addenda et corrigenda) ; B. Sère, Penser
l’amitié au Moyen Âge, op. cit., p. 59-63. L’approche systématique, indépendante d’un texte auto-
ritatif, prévaudra dans le champ de la philosophie pratique jusqu’à l’orée du xviie siècle. Voir
L. Bianchi, « Renaissance Readings of the Nicomachean Ethics », dans Rethinking Virtue, Reforming
Society: New Directions in Renaissance Ethics, c. 1350-c. 1650, D. A. Lines et S. Ebbersmeyer, éd.,
Turnhout, 2013, p. 131-167 (ici p. 159-160).
13. Sur les commentaires sur l’Éthique d’Albert le Grand, voir parmi d’autres A. Pelzer, « Le
cours inédit d’Albert le Grand sur la Morale à Nicomaque recueilli et rédigé par S. Thomas
d’Aquin », Revue néo-scolastique de philosophie, 24, 1922, p. 333-361 (ici p. 348-352) et 479-520
(Appendice) [repris dans Id., Études d’histoire littéraire sur la scolastique médiévale. Recueil d’articles
mis à jour à l’aide des notes de l’auteur par A. Pattin et E. Van de Vyver, Louvain-Paris,
1964, p. 272-335 (ici p. 285-289)] ; J. Dunbabin, « The Two Commentaries of Albertus
Magnus on the Nicomachean Ethics », Recherches de théologie ancienne et médiévale, 30, 1963, p. 232-
250 (ici p. 234) ; R.-A. Gauthier et J. Y. Jolif, L’Éthique à Nicomaque. Introduction, traduction
et commentaire, I-1, Louvain-Paris, 1970, p. 122-124 (ici p. 123) ; Albertus Magnus. Zum Gedenken
nach 800 Jahren : Neue Zugänge, Aspekte und Perspektiven, W. Senner, éd., Berlin, 2001, 4e partie :
« Ethik und Politik », p. 275-373 ; J. Müller, Natürliche Moral und philosophische Ethik bei Albertus
Magnus, Munster, 2002, en part. p. 69-73 et 364-376 (où l’auteur s’interroge au sujet de la com-
plémentarité des deux commentaires albertiniens) ; M. Dreyer, « Die Aristoteles-Rezeption

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 127 10/04/2017 16:32


128 Lire l’archive

Bien que l’Organon, les De inventione et De officiis de Cicéron et le De differentiis


topicis de Boèce aient contribué de manière indirecte à la connaissance de
la philosophie morale d’Aristote14, c’est au plus tard avec « la traduction de
Robert Grosseteste [… ; que] s’ouvre le règne de l’Éthique aristotélicienne15 ».
Le premier commentaire d’Albert le Grand est de surcroît le fruit d’un ensei-
gnement. Recueillie par son fidèle auditeur Thomas d’Aquin, l’Ethica est issue
d’un cours professé au studium generale de Cologne entre 1248 et 1252. Sa
méthode et ses idées empruntent aux commentaires sur l’Éthique des maîtres
de la faculté des arts de Paris de la première moitié du xiiie siècle16.
Dès un statut du cardinal légat Robert de Courson (1215), l’Éthique à
Nicomaque est un texte scolaire, dont la lecture est facultative17. En 1255, la
faculté des arts promulgua un statut qui imposait l’étude du corpus intégral
des œuvres d’Aristote. Les quatre premiers livres de l’Éthique entrent alors

und die Ethik-Konzeption Alberts des Großen », dans Albertus Magnus und die Anfänge der
Aristoteles-Rezeption im lateinischen Mittelelalter. Von Richardus Rufus bis zu Franciscus de Mayronis,
L. Honnefelder, R. Wood, M. Dreyer et M.-A. Aris, éd., Münster, 2005, p. 307-323.
Sur le « tournant » qu’aurait constitué le premier commentaire sur l’Éthique (1248-1252) dans
l’œuvre, sinon dans le projet intellectuel et institutionnel, d’Albert le Grand, voir les apprécia-
tions contrastées de L. Sturlese, Die deutsche Philosophie im Mittelalter von Bonifatius bis zu Albert
dem Großen (748-1280), Munich, 1993, p. 332-342, et J. Müller, Natürliche Moral…, op. cit.,
p. 360 sq. (qui privilégie l’hypothèse d’« une évolution continue »).
14. C. J. Nederman, « Aristotelian Ethics before the Nicomachean Ethics: Alternate Sources of
Aristotle’s Concept of Virtue in the Twelfth Century » [1989], dans Id., Medieval Aristotelianism
and its Limits. Classical Traditions in Moral and Political Philosophy, 12th-15th Centuries, Aldershot-
Brookfield/Vermont, 1997, no I, p. 55-75.
15. R.-A. Gauthier, Magnanimité. L’idéal de la grandeur dans la philosophie païenne et dans la théolo-
gie chrétienne, Paris, 1951, p. 302.
16. A. de Libera, Raison et foi. Archéologie d’une crise d’Albert le Grand à Jean-Paul II, Paris, 2003,
p. 268.
17. CUP, I, no 20, p. 78-80 (ici p. 78). Sur l’Éthique à Nicomaque dans le cursus de l’université de
Paris, voir en dernier lieu D. A. Lines, Aristotle’s Ethics in the Italian Renaissance, op. cit., p. 68-74 ;
B. Sère, Penser l’amitié au Moyen Âge, op. cit., p. 38-39 et 41. Sur la réglementation au xiiie siècle,
voir de surcroît R.-A. Gauthier, L’Éthique à Nicomaque, op. cit., I-1, p. 115-116 ; G. Wieland,
Ethica – Scientia practica. Die Anfänge der philosophischen Ethik im 13. Jahrhundert, Munster, 1981,
p. 40-44 ; C. Lafleur, « La réglementation “curriculaire” (de forma) dans les introductions à la
philosophie et les guides de l’étudiant de la faculté des arts de Paris au xiiie siècle : une mise
en contexte », dans L’enseignement de la philosophie au xiiie siècle. Autour du « Guide de l’étudiant » du
ms. Ripoll 109. Actes du colloque international, C. Lafleur, éd., Turnhout, 1997, p. 521-548
(ici p. 523, 525-526 et 544). Rappelons enfin que Robert de Courson est l’auteur d’une Summa
qui contient quelques rares références à l’Éthique. Voir D. Luscombe, « Ethics in the Early
Thirteenth Century », dans Albertus Magnus und die Anfänge der Aristoteles-Rezeption im lateinischen
Mittelelalter, p. 657-683 (ici p. 663 et n. 33).

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Gilbert Fournier 129

dans le cadre des cours ordinaires18. De fait, plusieurs cours sur l’Éthique
donnés par les maîtres de la faculté des arts sont parvenus jusqu’à nous19,
et le texte d’Aristote fait son apparition dans la littérature didascalique qui
fleurit à la faculté des arts sensiblement à la même époque. Ainsi le De com-
munibus artium liberalium (début des années 1250), un abrégé des matières sur
lesquelles étaient tenus de répondre les candidats à la licence ès arts, précise-
t-il que seuls les trois premiers livres de l’Éthique à Nicomaque étaient de forma,
c’est-à-dire des textes prescrits par le programme d’étude20. Le statut rédigé à
l’instigation d’Urbain V par les cardinaux Jean de Blandy et Gilles Aycelin de
Montaigu, ancien proviseur du collège de Sorbonne, et publié à Avignon le
5 juin 1366 sanctionne, après un siècle et demi de lente et continuelle péné-
tration, l’adoption formelle et explicite de l’entière philosophie d’Aristote par
l’Église et a fortiori par l’université de Paris21. Il fait aux candidats à la licence

18. CUP, I, no 246, p. 277-279 (ici p. 278). Voir L. Bianchi et E. Randi, Vérités dissonantes.
Aristote à la fin du Moyen Âge, Fribourg-Paris, 1993, p. 2 ; L. Bianchi, Censure et liberté intellectuelle
à l’université de Paris (xiiie-xive siècle), Paris, 1999, p. 123-124 ; D. A. Lines, « Moral Philosophy in
the Universities of Medieval and Renaissance Europe », History of Universities, 20, 2005, p. 38-80
(ici p. 42).
19. R.-A. Gauthier, L’Éthique…, op. cit., I-1, p. 116-119 ; Id., « Le cours sur l’Ethica nova d’un
maître ès arts de Paris (1235-1240) », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 50,
1975, p. 71-141 (ici p. 75-77) ; G. Wieland, Ethica – Scientia practica, op. cit., p. 44-51 ; Id.,
« L’émergence de l’éthique philosophique au xiiie siècle, avec une attention spéciale pour
le “Guide de l’étudiant parisien” », dans L’enseignement de la philosophie au xiiie siècle, p. 167-180 ;
I. Zavattero, « Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du “Commentaire de Paris” (1235-
1240). Introduction et texte critique », Recherches de théologie et philosophie médiévales 77, 2010,
p. 1-33 ; Ead., « L’acquisition de la vertu morale dans les premiers commentaires latins
de l’Éthique à Nicomaque », dans Universalité de la raison. Pluralité des philosophies au Moyen Âge.
XII Congresso Internazionale di Filosofia Medievale. Palermo, 17-22 settembre 2007, II-1,
A. Musco, C. Compagno, S. D’Agostino et G. Musotto, éd., Palerme, 2012, p. 235-243
(ici p. 235-236).
20. C. Lafleur, « Les “Guides de l’étudiant” de la faculté des arts de l’université de Paris
au xiiie siècle », dans Philosophy and Learning: Universities in the Middle Ages, J. F. M. Hoenen,
J. H. J. Schneider et G. Wieland, éd., Leyde-New York-Cologne, 1995, p. 137-199 (ici
p. 157-169 ; la mention de forma est évoquée p. 165-166 et reproduite p. 198) ; Id., « La régle-
mentation “curriculaire”… », art. cité, p. 537, 544 et 546. Une indétermination demeure quant
au texte prescrit : dans la première contribution, l’auteur évoque la traduction intégrale de
Robert Grosseteste, dans la seconde l’Ethica vetus et l’Ethica nova.
21. CUP, III, no 1319, p. 143-148 (ici p. 145). Sur le statut d’Urbain V, voir B. Michael, Johannes
Buridan: Studien zu seinem Leben, seinen Werken und zur Rezeption seiner Theorien im Europa des späten
Mittelalters. Inaugural-Dissertation zur Erlangung des Grades eines Doktors der Philosophie
des Fachbereiches Geschichtswissenschaften der Freien Universität Berlin, Berlin, 1985,
p. 867-868 ; Id., « Buridans moralphilosophische Schriften, ihre Leser und Benutzer im späten
Mittelalter », dans Das Publikum politischer Theorie im 14. Jahrhundert, J. Miethke, éd., Munich,
1992, p. 139-151 (ici p. 141) ; A. Tuilier, Histoire de l’université de Paris et de la Sorbonne, I, Paris,

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130 Lire l’archive

l’obligation d’étudier les œuvres métaphysiques, physiques et morales (spe-


cialiter librum Ethicorum pro majori parte) du Stagirite. « Au milieu du xive siècle,
Aristote ne semble plus constituer une menace pour la vérité chrétienne et la
tradition des Pères » : au contraire, serait-on tenté de dire à la suite de Luca
Bianchi, car « il apparaît [dorénavant] comme un bastion face aux nouvelles
tendances philosophiques et idéologiques22 ». Dans une lettre à l’université
de Paris datée de 1346, Clément VI invite ainsi les « maîtres et étudiants, qui
se fatiguent […] dans les sciences des arts et de la philosophie » à revenir aux
« textes du Philosophe, des autres maîtres et des commentateurs anciens
[…] ainsi que les commentaires et écrits véridiques sur lesquels se fonde la
science » contre les « sophismes » de la « nouvelle théologie » anglaise23.
En matière aristotélicienne comme en d’autres, le modèle parisien ne tarda
pas à être adopté dans les principaux centres d’étude issus de la seconde
vague de fondations universitaires. L’Éthique à Nicomaque s’imposa dans les
programmes de lecture des artiens à travers le Saint-Empire24. Vers la fin du

1994, p. 170-172. Pour une appréciation de ce statut, à la lumière de la réception d’Aristote à


l’université de Paris au lendemain des statuts et du serment « anti-ockhamistes » de 1339-1341,
voir L. Bianchi, Censure et liberté intellectuelle, op. cit., IIe partie, chap. 2 : « Scientia Okamica ou
Scientia Aristotelis ? », p. 129-162 (ici p. 162). Pour le détail des œuvres d’Aristote utilisées à la
faculté des arts de Paris au milieu du xiiie siècle, voir C. H. Lohr, « The new Aristotle and
“science” in the Paris arts faculty (1255) », L’enseignement des disciplines à la faculté des arts (Paris et
Oxford, xiiie-xve siècles), actes du colloque international, O. Weijers et L. Holtz, éd., Turnhout,
1997, p. 251-269 (ici p. 252-253).
22. L. Bianchi, « La philosophie selon les règlements universitaires », dans Philosophie et
théologie au Moyen Âge. Anthologie, P. Capelle-Dumont, éd., II, Paris, 2009, p. 295-309 (ici
p. 298-299).
23. CUP, II, no 1125, p. 587-590 (ici p. 588) ; trad. fr. L. Bianchi, « La philosophie… »,
art. cité, p. 306-308 (ici p. 306). Sur l’avènement de la « nouvelle théologie » anglaise, voir
W. J. Courtenay, Schools and Scholars in Fourteenth-Century England, Princeton, 1987, chap. 9 :
« Theologica Anglicana », p. 250-306 ; L. Bianchi et E. Randi, Vérités dissonantes, op. cit.,
p. 85-151. Sur son transfert à l’université de Paris, voir W. J. Courtenay, « The Reception of
Ockham’s Thought at the University of Paris » [1984], dans Id., Ockham and Ockhamism. Studies
in the Dissemination and Impact of His Thought, Leyde-Boston, 2008, p. 127-153 (ici p. 138-143).
24. Sur l’Éthique à Nicomaque dans les universités du Saint-Empire aux xive et xve siècles, voir
S. Lorenz, « Libri ordinarie legendi. Eine Skizze zum Lehrplan der mitteleuropäischen
Artistenfakultät um die Wende vom 14. zum 15. Jahrhundert », dans Argumente und Zeugnisse,
W. Hogrebe, éd., Francfort/Main-Berne-New York, 1985, p. 204-258 (ici p. 209, 227 et 229-
236 [Anhang]). L’influence des statuts parisiens est soulignée p. 227-228. Il n’est pas rare que
cette influence s’exerce par l’intermédiaire d’une autre université. Ainsi les statuts de la faculté
des arts de l’université de Cologne (1398) empruntent-ils directement à ceux de la faculté des
arts de l’université de Vienne (1389). Voir A.-D. Van den Brincken, « Die Statuten der
Kölner Artistenfakultät von 1398 », dans Die Kölner Universität im Mittelalter. Geistige Wurzeln und
soziale Wirklichkeit, A. Zimmermann, éd., Berlin-New York, 1989, p. 394-414 (ici p. 396-397,

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Gilbert Fournier 131

troisième quart du xive siècle, la faculté des arts de l’université de Paris décida


la séparation de l’enseignement de la morale du cursus complet de la philoso-
phie et institua un cours sur l’Éthique à Nicomaque commun aux quatre nations
universitaires25. La réforme de l’université de Paris de 1452, dite du cardinal
Guillaume d’Estouteville, réitère les dispositions antérieures. Tout au plus
exige-t-elle l’étude studiose et graviter de la philosophie morale d’Aristote, en
particulier de l’Éthique, pour l’obtention de la licence ès arts26. Au plus tard
en avril 1491, lors du lectorat de Jean Standonck au collège de Montaigu, des
cours de morale sont prodigués dans les collèges de la capitale27. Au début
du xvie siècle, ils n’étaient pas encore monnaie courante28. En 1509, soit au
lendemain du commentaire de Louis Ber29, l’université aurait procédé à la
suppression du cours commun sur l’Éthique à Nicomaque30.
Si l’aristotélisme n’est pas toute la pensée médiévale 31 et l’aris-
totélisme éthique toute l’éthique médiévale 32, l’éthique en tant que

399 et 407-408, ces dernières à propos de la licence et de son programme de lectures qui com-
prend en particulier l’Éthique).
25. Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 149-154.
26. CUP, IV, no 2690, p. 713-734 (ici p. 729).
27. C. Thurot, De l’organisation de l’enseignement dans l’université de Paris au Moyen-Âge, p. 81 ;
Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 153-154. En 1499,
les statuts du collège de Montaigu, dont Jean Standonck fut le principal (1483-1504), men-
tionnent des « exercices philosophiques », sans plus de précision. Voir P. J. J. M. Bakker, « The
Statutes of the Collège de Montaigu: Prelude to a Future Edition », History of Universities, 22,
2007, p. 76-111 (ici p. 88-92).
28. E. Faye et J. Hirstein, « Metaphysica Collecta. Un cours de métaphysique fabriste pris en
note par Beatus Rhenanus. Présentation et édition partielle », dans Chemins de la pensée médiévale.
Études offertes à Zénon Kaluza, P. J. J. M. Bakker, éd., Turnhout, 2002, p. 169-191 (ici p. 169-170
au sujet du collège du Cardinal Lemoine).
29. Sur Louis Ber, voir infra p. 159-160.
30. C. Thurot, De l’organisation de l’enseignement…, op. cit., p. 81 ; M. Reulos, « L’enseignement
d’Aristote dans les collèges au xvie siècle », dans Platon et Aristote à la Renaissance. XVIe colloque
international de Tours, Paris, 1976, p. 147-154 (ici p. 150 ; les deux fois à la suite de Robert
Goulet, Compendium universitatis Parisiensis, Paris, Toussaint Denis, 1517).
31. A. de Libera, La philosophie médiévale, Paris, 1993, p. 363-367 ; L. Bianchi et E. Randi,
Vérités dissonantes, op. cit., p. 149-151.
32. A. de Libera, La philosophie médiévale, Paris, 1989, p. 122 (où l’auteur évoque la « réflexion
patristique sur le mal et le péché »). On trouvera une illustration dans Id., Penser au Moyen Âge,
op. cit., p. 187-188 et 227-235 (au sujet de l’éthique d’Abélard qui « est de part en part chré-
tienne » et de ses détracteurs). Au tournant du xiiie siècle, les théologiens parisiens héritiers
de Philippe le Chancelier et de son enseignement en matière de théologie morale privilégient
pareillement la tradition biblique et patristique, et ignorent l’Éthique à Nicomaque qui était pour-
tant connue. Voir D. Luscombe, « Ethics in the Early Thirteenth Century », art. cité, p. 662-
663. Cependant Philippe le Chancelier cite volontiers l’Ethica vetus « au point que sa Somme

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132 Lire l’archive

discipline universitaire est principalement aristotélicienne au Moyen Âge et à


la Renaissance33. Le matériau livré par le collège de Sorbonne est susceptible
de jeter une lumière nouvelle sur le processus d’institutionnalisation et d’assi-
milation de la philosophie morale d’Aristote à l’université de Paris.
Pour plus de clarté, nous produisons les diverses pièces du dossier dans
l’ordre chronologique de leur versement supposé dans la bibliothèque
commune et non dans celui des sources. En effet, il n’est pas rare que nous
n’ayons qu’une connaissance indirecte de l’enchaînement d’un commentaire
dans la bibliothèque de présence et de référence du collège de Sorbonne. Des
traductions de l’Éthique à Nicomaque, il ne sera question qu’aux deux extrémités
du vecteur chronologique.

Le catalogue double de la bibliothèque commune (1321-1338)


La bibliothèque commune et son catalogue
En 1289, les sociétaires du collège de Sorbonne procédèrent à la partition
des « livres de la communauté » (libri de communi)34. C’est l’acte de naissance
de la « librairie des livres enchaînés pour l’usage commun des sociétaires »
(librarium in domo ista pro libris cathenatis ad communem sociorum utilitatem), dont
la dénomination dit assez bien la vocation35. Elle est la bibliothèque de pré-
sence et de référence de la communauté. Elle demeura dans l’ombre jusqu’à
sa nouvelle fondation à la faveur de la promulgation d’un règlement « pour
l’utilité de la maison et pour une meilleure conservation des livres » en 1321.

se transforme par moment en véritable Commentaire sur l’Éthique » selon R.-A. Gauthier,


Magnanimité, op. cit., p. 271 n. 3 (cit.), 277 n. 2, 297 et 299.
33. J. Kraye, « Moral Philosophy », dans The Cambridge History of Renaissance Philosophy,
C. B. Schmitt, éd., Cambridge et al., 1988, p. 303-386 (ici p. 325-326 et 329).
34. Statuts primitifs du collège de Sorbonne (vers 1270), dans P. Glorieux, Aux origines de la
Sorbonne, I, Paris, 1966, no 1, p. 193-196 (ici p. 194) ; trad. fr. par N. Gorochov dans Former,
enseigner, éduquer dans l’Occident médiéval. 1100-1450, P. Gilli, éd., II, Paris, 1999, p. 129-133 (ici
p. 131).
35. Note transcrite à la suite immédiate du catalogue de bibliothèque (1338) dans le ms. Paris,
BNF, n. a. l. 99, p. 223b : Nota eciam quod anno Domini Mo. CCo. LXXXo IXo fuit primo institutum libra-
rium in domo ista pro libris cathenatis ad communem sociorum utilitatem ; L. Delisle, Le Cabinet des
manuscrits de la Bibliothèque nationale. Étude sur la formation de ce dépôt comprenant les éléments d’une
histoire de la calligraphie, de la miniature, de la reliure, et du commerce des livres à Paris avant l’invention de
l’imprimerie, III, Paris, 1887, p. 71 (désormais : Cabinet). Sur la bibliothèque commune du collège
de Sorbonne, voir R. H. Rouse, « The Early Library of the Sorbonne », Scriptorium, 21, 1967,
p. 42-61 et 227-251 ; G. Fournier, Une « bibliothèque vivante ». La libraria communis du collège de
Sorbonne (xiiie-xve siècle), thèse de doctorat, EPHE, Ve section, Paris, 2007, en part. chap. II : « La
libraria communis du collège de Sorbonne : le “cerveau d’une communauté” », p. 87-141.

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Gilbert Fournier 133

Il y est question parmi d’autres de la « bibliothèque commune » (libraria com-


munis) et de son catalogue :
Item, il est ordonné que, parmi tous les livres de toutes sortes de sciences se
trouvant dans la maison, au moins un exemplaire, le meilleur, soit déposé
dans la bibliothèque commune et enchaîné, afin que tous puissent le consul-
ter, même si cet exemplaire est unique, car le bien commun est plus agréable
à Dieu que le bien d’un seul ; et que quiconque détiendrait un volume de cette
sorte qui devrait être déposé dans la bibliothèque soit astreint à le remettre sans
contestation.
Item, comme beaucoup de livres qui étaient dans la maison ne se retrouvent
plus maintenant, il a été décidé que l’on établirait un nouvel inventaire des livres
actuellement présents, afin qu’ils soient conservés à l’avenir avec plus de soin36.
Le catalogue de la bibliothèque commune vit le jour selon toute vrai-
semblance entre 1321 et 133837. L’œuvre du catalographe Jean répond pré-
cisément aux exigences du catalogue double énoncées par Albert Derolez :
« Réunir dans un catalogue unique les avantages d’un inventaire des livres et
d’un instrument destiné à retrouver des textes38. » L’inventaire sommaire et
le répertoire méthodique du catalogue double de la bibliothèque commune
du collège de Sorbonne, selon une terminologie héritée de Léopold Delisle39,
sont intellectuellement indissociables. Ils appréhendent un seul et même
fonds, la bibliothèque commune, sous l’angle de la topographie, c’est-à-
dire de la localisation spatiale des volumes posés sur les vingt-six pupitres,
pour l’inventaire, sous celui du contenu des manuscrits pour le répertoire.
L’inventaire saisit donc des objets matériels, des volumes, identifiés en règle
générale par l’œuvre ou les œuvres qui ouvrent chacun d’entre eux, le réper-
toire des objets immatériels, des textes, signifiés dans le meilleur des cas par
le nom de l’auteur, le titre de l’ouvrage et l’incipit de l’œuvre. Les textes sont
distribués dans des rubriques, dont le nombre fut porté à cinquante-deux
par les continuateurs du catalographe Jean, elles-mêmes subsumées dans le

36. Règlement (1321), dans P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne, op. cit., I, no 22, p. 214-215
(d’après le recueil de statuts du collège ; ici p. 215) ; trad. fr. dans J. Monfrin, « Préface », dans
Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne. [1402-1536]. Diarium Bibliothecae Sorbonae.
Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 3323, J. Vielliard et M.-H. Jullien de Pommerol, éd.,
Paris, 2000, p. 9-19 (ici p. 10-11 ; cit. p. 11).
37. Sur le catalogue double de la bibliothèque commune ( 1321-1338), voir G. Fournier,
« Listes, énumérations, inventaires. Les sources médiévales et modernes de la bibliothèque du
collège de Sorbonne (Première partie : les sources médiévales) », Scriptorium, 64, 2011, p. 158-
215 (ici no 3.4.3, p. 187-193).
38. A. Derolez, Les catalogues de bibliothèques, Turnhout, 1979, p. 40.
39. L. Delisle, Cabinet, II, Paris, 1874, p. 183.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 133 10/04/2017 16:32


134 Lire l’archive

système des facultés en vigueur à l’université de Paris, respectivement les arts,


la médecine, la théologie et le décret. Ces dispositions suffisent à souligner la
vocation scientifique du répertoire méthodique et, par-delà, de la bibliothèque
commune du collège. La Tabula doctrine qui tient lieu de préface au catalogue
double, s’en fait l’écho en évoquant :
[…] la bibliothèque commune, dans laquelle une multitude de livres concernant
presque toutes les sciences sont offerts à l’étude de tous […]40.
Comme on l’aura constaté, elle ne fait que reproduire les termes énoncés
dans le règlement de 1321 évoqué plus haut.
Une cote combinée apposée en regard des œuvres recensées dans le réper-
toire désigne en lettres majuscules le pupitre sur lequel était enchaîné le
volume et en lettres minuscules le numéro d’ordre du volume sur le pupitre.
Elle permet de reconstituer la teneur des quelque 350 volumes conservés dans
la bibliothèque commune du collège de Sorbonne41. Trois d’entre eux ren-
fermaient des commentaires sur l’Éthique à Nicomaque, comme il ressort du
tableau suivant (le nom des auteurs, le titre des œuvres et l’incipit des textes
sont empruntés au répertoire méthodique).
Tableau 1 : Les commentaires sur l’Éthique à Nicomaque
dans le catalogue double de la bibliothèque commune

Cote Les commentaires Inventaire Répertoire


sur l’Éthique à Nicomaque sommaire méthodique
n. a. l. 99 Delisle n. a. l. 99 Delisle
Xa Loyca Algazelis. Inquit Albuhanudin grates sint Depo - - 251 81a
[Eustracius super librum ethicorum. Philosophia 242a 77a 341 86b
in duas divisa partes, dico autem in theoricam et
practicam]
Item tabulam omnium capitulorum decem librorum - - 341 86b
ethicorum
ADq Scripta Thome super librum ethicorum. Sicut dicit 243b 78a 341 86b
philosophus in principio methaphisice, sapientis est
ordinare
ADv Eustracius super librum ethicorum. Philosophia 243b 78a 341 86b
in duas divisa partes, dicto autem in theoricam et
practicam

40. Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 247a ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 79-80 (ici p. 79) ; trad. fr.
J. Monfrin, « Préface », p. 12-13 (cit. p. 13).
41. L. Grenier-Braunschweig, « La prisée des manuscrits du collège de Sorbonne au
Moyen Âge », dans Mélanges offerts à Gérard Oberlé pour ses 25 ans de librairie. 1967-1992, s. l., 1992,
p. 327-341 (ici p. 329).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 134 10/04/2017 16:32


Gilbert Fournier 135

La rubrique des Libri morales Aristotilis et aliorum philosophorum produit encore


plusieurs exemplaires de la traduction gréco-latine de Robert Grosseteste
(1246-1247)42, qui fut révisée par Guillaume de Moerbeke43.
Tableau 2 : La traduction gréco-latine de l’Éthique à Nicomaque
dans le catalogue double de la bibliothèque commune

Cote La traduction gréco-latine Inventaire Répertoire


de Robert Grosseteste sommaire méthodique
n. a. l. 99 Delisle n. a. l. 99 Delisle
ABo [Libri ethicorum Aristotelis libri x. Omnis ars et - - 340 86a
omnis doctrina similiter autem et actus.]
[Libri politicorum eiusdem [Aristotelis] libri viii. - - 340 86a
Quoniam omnem civitatem videmus communitatem
quamdam existentem.]
Magna moralia ejusdem [Aristotelis] libri viii. 243a 78a 340 86a
Quoniam elegimus dicere De moralibus.
ADn Libri ethicorum Aristotelis libri x. Omnis ars et omnis 243b 78a 340 86a
doctrina similiter autem et actus.
Libri politicorum eiusdem [Aristotelis] libri viii. 243b 78a 340 86a
Quoniam omnem civitatem videmus communitatem
quamdam existentem.
ADoa) [Libri ethicorum Aristotelis libri x. Omnis ars et 243b 78a 340 86a
omnis doctrina similiter autem et actus.]
a) L. Delisle, Cabinet, III, p. 86a lit à tort « ADc ». Qu’il s’agit de la cote « ADo », l’inventaire sommaire le confirme. La
description du vingt-sixième et dernier pupitre adopte l’ordre inverse. L’Ethica Aristotelis nove translacionis pulcra [ADo]
précède immédiatement l’Ethica et politica Aristotelis [ADn].

À ces trois témoins complets, il convient d’ajouter les deux exemplaires qui
contiennent des fragments, sententia (Zq) ou extractiones (ABh). Faute de place,
nous renonçons à produire le détail desdits manuscrits.
La rubrique des Libri morales Aristotelis contient enfin un exemplaire de la
Summa Alexandrinorum (Zf ), un abrégé arabo-latin de l’Éthique procuré par
Hermann l’Allemand (1243 ou 1244) et dont Albert le Grand fit usage dans
l’Ethica à peine postérieure44. Enfin, il n’y a nulle trace de l’Ethica vetus et de

42. Sur la datation de la traduction de Robert Grosseteste, voir D. A. Callus, « The Date of
Grosseteste’s Translations and Commentaries on Pseudo-Dionysius and the Nicomachean
Ethics », Recherches de théologie ancienne et médiévale, 14, 1947, p. 186-210 (en part. p. 207 sq.).
43. J. Brams, « The Revised Version of Grosseteste’s Translation of the Nicomachean Ethics »,
Bulletin de philosophie médiévale, 36, 1994, p. 45-55.
44. Sur la Summa Alexandrinorum, voir en dernier lieu R. Saccenti, « La Summa Alexandrinorum.
Storia e contenuto di un’epitome dell’Etica Nicomachea », Recherches de théologie et philosophie médié-
vales, 77, 2010, p. 201-234 (ici p. 209). Il s’agit du ms. Paris, BNF, lat. 16581, f. 1-94. Il constitue

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136 Lire l’archive

l’Ethica nova de Burgundio de Pise (vers 1110-1193) dans la bibliothèque


commune45.

Le versement des commentaires d’Eustrate de Nicée et de Thomas d’Aquin


Les mentions consignées dans le catalogue double constituent les plus
anciens indices de la présence de commentaires sur l’Éthique à Nicomaque
dans la bibliothèque commune du collège de Sorbonne. Elles appartiennent
sans exception à la plus ancienne couche du document, celle transcrite par
ou à l’instigation du catalographe Jean, entre 1321 et 1338. Elles concernent
les commentaires d’Eustrate de Nicée (vers 1050-vers 1120) et de Thomas
d’Aquin (1224/1225-1274). Partisan de l’aristotélisme théologique, mâtiné de
« néoplatonisme chrétien », le Byzantin a laissé parmi d’autres un commen-
taire sur les livres I et VI de l’Éthique qui a été traduit par Robert Grosseteste en
1246-124746. Dès l’Ethica d’Albert le Grand qui en retient notamment les théo-

l’un des rares témoins de la rédaction primitive de la Summa (f. 3r-50v). Il provient de la biblio-
thèque de Richard de Fournival († 1260) qui fut léguée au collège par l’entremise de Gérard
d’Abbeville († 1272). Voir R. H. Rouse, « Manuscripts Belonging to Richard de Fournival »,
Revue d’histoire des textes, 3, 1973, p. 253-269 (ici p. 265 [Biblionomia 78]). Il contient aussi
aux f. 52r-93r la compilation intitulée Moralium dogma philosophorum attribuée à Guillaume de
Conches ou Gauthier de Châtillon. Voir Aristoteles latinus, G. Lacombe, A. Birkenmajer,
M. Dulong et A. Franceschini, éd., I, Rome, 1939, no 691, p. 574 ; R.-A. Gauthier, « Les
deux recensions du Moralium dogma philosophorum », Revue du Moyen Âge latin, 9, 1953, p. 171-
258 (ici p. 223) et 258-260 (Addenda. Corrigenda), et infra n. 61. La bibliothèque de Gérard
d’Abbeville contenait un second exemplaire de cette œuvre dans le ms. Paris, BNF, lat. 15693,
f. 1ra-9va. Voir R.-A. Gauthier, « Les deux recensions… », art. cité, p. 222.
45. Sur l’attribution des traductions de l’Ethica vetus et nova à Burgundio de Pise, voir F. Bossier,
« L’élaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise », dans Aux origines du
lexique philosophique européen. L’influence de la « Latinitas ». Actes du colloque international organisé
à Rome par la FIDEM (Academia Belgica, 23-25 mai 1996), Louvain-la-Neuve, 1997, p. 81-116 ;
G. Vuillemin-Diem et M. Rashed, « Burgundio de Pise et ses manuscrits grecs d’Aristote :
Laur. 87.7 et Laur. 81.18 », Recherches de théologie et philosophie médiévales, 64, 1997, p. 136-198 (ici
p. 148-156). Sur leur diffusion dans l’Occident latin, voir D. Luscombe, « Ethics in the Early
Thirteenth Century », p. 660-668. Sur la tradition manuscrite de l’Éthique à Nicomaque au collège
de Sorbonne, voir A. D. Menut, « Latin Mss. of the “Nicomachean Ethics” at the Bibliothèque
nationale », Revue belge de philologie et d’histoire, 14, 1935, p. 1330-1340.
46. Sur Eustrate de Nicée et son commentaire de l’Éthique, voir H. P. F. Mercken, « The
Greek Commentators on Aristotle’s Ethics », dans Aristotle Transformed: The Ancient Commentators
and Their Influence, R. Sorabji, éd., Londres, 1990, p. 407-443 (ici p. 410-419) ; M. Trizio,
« Neoplatonic Source-Material in Eustratios of Nicaea’s Commentary on Book VI of the
Nicomachean Ethics », dans Medieval Greek Commentary on the “Nicomachean Ethics”, C. Barber et
D. Jenkins, éd., Leyde, 2009, p. 71-109. Sur la tradition du commentaire, voir D. A. Lines,
Aristotle’s Ethics in the Italian Renaissance, op. cit., no 6, p. 462.

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Gilbert Fournier 137

ries des trois idées de l’universel (triplex universale)47 et de l’intellect (intellectus


possessus)48, Eustrate fut considéré comme le commentateur par excellence de
l’Éthique à Nicomaque. Associé à la Translatio Lincolniensis, il circule aussi sépa-
rément, à l’instar des deux exemplaires conservés dans la bibliothèque com-
mune du collège de Sorbonne. Dans le répertoire méthodique, leur incipit est
emprunté au commentaire et non à la traduction de Robert Grosseteste.
Sur la foi de la présence de la Logique d’Al-Ghazâlî (1058-1111), avec son
prologue, Dominique Salman identifie le volume Xa avec le manuscrit Paris,
BNF, lat. 1609649 qui provient du legs de Godefroid de Fontaines († après le
26 février 1304)50. Un survol de l’index ancien transcrit au feuillet 1v suffit
à exclure cette éventualité. Le commentaire d’Eustrate de Nicée et sa table
y font défaut. Bien qu’il ait été enchaîné dans la bibliothèque commune, le
manuscrit Paris, BNF, lat. 16096 ne figure pas dans le répertoire méthodique.
Ce qui signifie en clair que la bibliothèque commune du collège de Sorbonne
« contenait [non seulement] le Maqâcid [el-falâcifa, nom arabe du traité des
Intentions des philosophes, dont est issue la Logique] en ses deux états latins, avec
et sans prologue51 », mais aussi deux exemplaires de la première version. Rien
n’indique enfin que le volume Xa produisait l’intégralité du De intentionibus phi-
losophorum traduit par Dominique Gundissalinus, aidé du juif converti Jean de
Séville, dans le second quart du xiie siècle. Le prologue n’évoque pas explici-
tement la Métaphysique et la Physique, et la tradition laisse apparaître « une dis-
sociation, qui semble fort ancienne, entre la Logique d’une part et l’ensemble

47. H. P. F. Mercken, « The Greek Commentators on Aristotle’s Ethics », p. 44 1 -442 ;


A. de Libera, Métaphysique et noétique. Albert le Grand, Paris, 2005, en part. p. 229-239 ; I. Costa,
« Il problema dell’omonimia del bene in alcuni commenti scolastici all’Etica Nicomachea »,
Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, 17, 2006, p. 157-230 (ici p. 161-180).
48. M. Trizio, « “Qui fere in hoc sensu exponunt Aristotelem”. Notes on the Byzantine
Sources of the Albertinian notion of “intellectus possessus”, dans Via Alberti. Texte-Quellen-
Interpretationen, L. Honnefelder, H. Möhle et S. Bullido del Barrio, éd., Münster,
2009, p. 79-110.
49. D. Salman, « Algazel et les Latins », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge,
10-11, 1935-1936, p. 103-127 (ici p. 118 et n. 2 ; l’auteur date le catalogue par erreur de 1335).
50. Sur le ms. Paris, BNF, lat. 16096, voir J. J. Duin, « La bibliothèque philosophique de
Godefroid de Fontaines », Estudios Lulianos, 3, 1959, p. 21-36 et 137-160 (ici p. 151-160 ; l’index
ancien transcrit au f. 1v est reproduit p. 151). Il est mentionné comme enchaîné au f. 1v et dans
le catalogue de 1338. Voir Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 200b ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 63b.
51. D. Salman, « Algazel et les Latins », art. cité, p. 120. La seconde version, dénuée de
prologue, correspond au volume ADc qui nous est parvenu dans le manuscrit Paris, BNF,
lat. 16605. Il provient des bibliothèques de Richard de Fournival et de Gérard d’Abbeville. Voir
ibid., p. 119-120 ; R. H. Rouse, « Manuscripts Belonging to Richard de Fournival », p. 264-265
(Biblionomia, 68).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 137 10/04/2017 16:32


138 Lire l’archive

Métaphysique-Physique d’autre part52 ». En d’autres termes, il est fréquent que la


Logique soit transmise de manière isolée.
À ce jour, les deux exemplaires du commentaire d’Eustrate de Nicée enchaî-
nés dans la bibliothèque commune n’ont pas pu être identifiés.
La Sententia libri Ethicorum de Thomas d’Aquin est le second commentaire
attesté dans le catalogue double53, sous le titre Scripta Thome super librum
Ethicorum. Composée en 1271-1272, l’explication littérale de l’Aquinate pri-
vilégie le contenu doctrinal de l’Éthique, dont elle livre un exposé condensé
et simplifié. De l’aveu de son éditeur et exégète René-Antoine Gauthier, le
« commentaire [de Thomas] présente tous les caractères d’une œuvre rapide,
faite, si j’ose dire, de chic54 ». Le livre de James C. Doig prouve l’inverse55.
La présence des commentaires d’Eustrate de Nicée et de Thomas d’Aquin
dans la bibliothèque commune du collège de Sorbonne est confirmée par la
liste de manuscrits transcrite par les soins d’Adalbert Ranconi de Ericinio (†
1388) au cours du troisième quart du xive siècle 56. La seconde section de la
liste reproduit la teneur des manuscrits ADv et ADq. Ils sont précédés de la
traduction latine consignée dans le manuscrit ADn.

52. Sur la dissociation Logique et Métaphysique-Physique dans la tradition, voir D. Salman,


« Algazel et les Latins », art. cité, p. 120-122 (cit. p. 120) ; C. H. Lohr, « Logica Algazelis.
Introduction and critical Text », Traditio, 21, 1961, p. 223-290 (ici p. 232). Sur l’influence de la
Logica Algazelis dans l’Occident latin, voir C. Lohr, « Das Wissenschaftsverständnis der Logica
Algazelis und sein Echo in der lateinischen Tradition des frühen 13. Jahrhundert », dans Albertus
Magnus und die Anfänge der Aristoteles-Rezeption im lateinischen Mittelelalter, op. cit., p. 513-524 (ici
p. 519-522).
53. Sur le commentaire sur l’Éthique de Thomas d’Aquin, voir R.-A. Gauthier, L’Éthique
à Nicomaque, op. cit., I-1, p. 128-131 ; V. J. Bourke, « The Nicomachean Ethics and Thomas
Aquinas » », dans St. Thomas Aquinas. 1274-1974. Commemorative Studies, É. Gilson, éd.,
I, Toronto, 1974, p. 239-259 ; M. D. Jordan, « Aquinas Reading Aristotle’s Ethics », dans
Ad litteram. Authoritative Texts and Their Medieval Readers, M. D. Jordan et K. Emery Jr. éd.,
Notre Dame-Londres, 1992, p. 229-249 (ici p. 235-238) ; J.-P. Torrell, Initiation à saint
Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Fribourg-Paris, 1993, p. 331-334 ; J. C. Doig, Aquinas’s
Philosophical Commentary on the “Ethics”. A Historical Perspective, Dordrecht-Boston-Londres, 2001 ;
O. Weijers et M. B. Calma, Le travail intellectuel à la faculté des arts de Paris : textes et maîtres, IX,
Turnhout, 2012, p. 139-146 (ici p. 144).
54. R.-A. Gauthier, L’Éthique à Nicomaque, op. cit., I-1, p. 130.
55. J. C. Doig, Aquinas’s Philosophical Commentary on the “Ethics”, op. cit., en part. chap. 5 : « Dating
the Sle », p. 195-229.
56. Sur la liste de manuscrits transcrite par Adalbert Ranconi de Ericinio et son édition, voir
G. Fournier, « Listes, énumérations, inventaires (Première partie) », art. cité, no 3.5.9,
p. 204-206.

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Gilbert Fournier 139

Tableau 3 : La traduction gérco-latine et les commentaires de l’Éthique à Nicomaque


dans la liste de manuscrits d’Adalbert Ranconi de Ericinio

Le catalogue double La liste de manuscrits


de la bibliothèque commune d’Adalbert Ranconi de Ericinio
Cote Contenu Numéro Contenu
ADn Libri ethicorum Aristotelis […]. Libri B [8] Item ethica et politica Aristotelis.
politicorum eiusdem […].
ADv Eustracius super librum ethicorum. B [9] Item Eustracius super ethicorum.
Philosophia in duas divisa partes […]. P. Philosophia in 2 divisa partes. F. et dei
fortissimi, libros 10 continet.
ADq Scripta Thome super librum ethicorum. B [10] Item Thomas super ethicam.
Sicut dicit philosophus in principio P. Sicud dicit philosophus in principo
methaphisice […]. methaphisice. F. Li. ethicorum.

Le catalogue de bibliothèque (1338)


Le caractère prétendument sommaire de la Sententia de Thomas d’Aquin,
auquel nous venons de faire allusion, n’a nullement nui à sa fortune, dont
témoigne un grand nombre de manuscrits57. Le catalogue de la parva libraria
du collège de Sorbonne (1338), qui conserve les livres susceptibles d’être prê-
tés aux sociétaires, ne compte pas moins de quatre exemplaires de la Sententia
de l’Aquinate, dont deux sont connus de longue date58. Le catalogue de 1338

57. Sur la fortune du commentaire de Thomas d’Aquin, voir C. H. Lohr, « Medieval Latin
Aristotle Commentaries », Traditio, 29, 1973, p. 93-197 (ici no 12, p. 168) ; D. A. Lines, Aristotle’s
Ethics in the Italian Renaissance, op. cit., no 11, p. 465 ; Id., « Sources and Authorities for Moral
Philosophy in the Italian Renaissance. Thomas Aquinas and Jean Buridan on Aristotle’s Ethics »,
dans Moral Philosophy on the Threshold of Modernity, J. Kraye et R. Saarinen, éd., Dordrecht,
2005, p. 7-29 (ici p. 14-22).
58. Catalogue de 1338 : 42. Summe morales, 51 (Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 157b ; L. Delisle,
Cabinet, III, p. 45b ; commentaire sur les deux premiers livres ; provenance : Godefroid de
Fontaines) ; 54. Scripta et questiones super libros Aristotilis, 22 (Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 206b ;
L. Delisle, Cabinet, III, p. 65a ; provenance : Pierre de Farbu ; identification : Paris, BNF,
lat. 16104 ; description : W. Senko, Repertorium commentariorum medii aevi in Aristotelem latinorum
quae in bibliothecis publicis Parisiis asservantur (Bibliothèque nationale, Arsenal, Mazarine, Sorbonne, Sainte
Geneviève) (désormais Répertorium), II, Varsovie, 1982, p. 4 ; H. V. Shooner, Codices manuscripti
operum Thomae de Aquino, III, Montréal-Paris, 1985, no 2432, p. 307-308) ; 54. Scripta et questiones
super libros Aristotilis, 51 (Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 208b ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 65b ; Étienne
de Genève ; identification : Paris, BNF, lat. 16105 ; description : W. Senko, Repertorium, II, p. 5 ;
H. V. Shooner, Codices manuscripti operum Thomae de Aquino, III, no 2433, p. 308) et 54. Scripta et
questiones super libros Aristotilis, 53 (Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 208b ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 65b ;
provenance : Gilles de Tillia). Hormis le ms. Paris, BNF, lat. 16105, ces volumes sont empruntés
à plusieurs reprises au cours du xve siècle. Voir à titre d’exemple Le registre de prêt de la bibliothèque
du collège de Sorbonne, op. cit., p. 732 (au sujet du ms. Paris, BNF, lat. 16104 ; il convient d’ajouter le

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 139 10/04/2017 16:32


140 Lire l’archive

excède cependant les livres de la bibliothèque de prêt du collège59. Par l’entre-


mise des formules cathenatus et defficit quia cathenatus, il renvoie aux manus-
crits enchaînés dans l’établissement, au premier rang desquels figurent ceux
conservés dans la bibliothèque commune. Ces manuscrits peuvent être identi-
fiés à la faveur d’un renvoi transcrit dans les gardes à l’occasion du récolement
qui précéda la rédaction du catalogue de 1338. Ainsi en va-t-il du manuscrit
Paris, BNF, lat. 16106 qui provient du legs d’Étienne d’Abbeville († avant
novembre 1288), dont la bibliothèque, riche de plus de quarante volumes,
atteste un vif intérêt pour la morale60. Elle comprenait en particulier une Vetus
Ethica et la compilation intitulée Moralium dogma philosophorum attribuée à
Guillaume de Conches ou Gauthier de Châtillon qui ne nous sont pas parve-
nues61. L’ancienne garde du manuscrit Paris, BNF, lat. 16106 porte l’indication
en partie effacée : [Aristotilis] primus (f. 1r). Les manuscrits en provenance du
legs d’Étienne d’Abbeville sont coutumiers de ces notations laconiques qui

prêt consenti à l’hôte Jean Tinctor le 9 août 1428 ; voir ibid., no 48, 103, p. 244, et la contribution
de D. Nebbiai dans le présent volume). Les mss Paris, BNF, lat. 16104 et 16105 sont issus de la
pecia. Voir G. Murano, Opere diffuse per exemplar e pecia, Turnhout, 2005, no 890, p. 776.
59. Sur le catalogue de 1338, voir en dernier lieu G. Fournier, « Listes, énumérations, inven-
taires (Première partie) », art. cité, p. 193-195.
60. Paris, BNF, lat. 16106, f. 1 : Jste liber scilicet sentencia [suscrit d’un autre scribe : fratris thome]
super lib[rum ethi]corum est pauperum magistrorum de sorbona ex legato domini Stephani de abbatis villa
ca[nonis ambi]anensis LX. solidorum [ajout d’un autre scribe : et continet IX quaternos]. Une men-
tion autographe transcrite au f. 2v indique qu’Étienne d’Abbeville l’a acquis pour 45 sous
parisis. Le ms. a été modérément annoté par ses soins. Sur ce ms., voir M. Mabille, « Les
manuscrits d’Étienne d’Abbeville conservés à la Bibliothèque nationale de Paris », Bibliothèque
de l’École des chartes, 132, 1974, p. 245-266 (ici no 14, p. 257) ; W. Senko, Repertorium, II, p. 5 ;
H. V. Shooner, Codices manuscripti operum Thomae de Aquino, op. cit., III, no 2434, p. 308-309.
Il est issu de la pecia. Voir G. Murano, Opere diffuse per exemplar e pecia, op. cit., no 890, p. 776.
61. Catalogue de 1338 : 38. Originalia mixta sanctorum et philosophorum, 10. In vno uolumine conti-
nentur isti dogma moralium philosophorum […], ex legato domini Stephani de Abbatisuilla. Incipit in 2o fol.
Seneca, in pen. res intell. Precium viginti sol (Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 145a ; L. Delisle, Cabinet,
III, p. 41b ; M. Mabille, « Les manuscrits d’Étienne d’Abbeville… », art. cité, p. 264) ; 49.
Libri morales Aristotilis., 9. Vetus ethica, ex legato domini Stephani de Abbisuilla [sic]. Incipit in 2o fol.
castus, in pen. dicitur. Precium quatuor sol (Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 191a ; L. Delisle, Cabinet, III,
p. 60a ; M. Mabille, « Les manuscrits d’Étienne d’Abbeville… », art. cité, p. 266). Le premier
volume a été emprunté à plusieurs reprises au courant du xve siècle. Voir Le registre de prêt de la
bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 12, 9, p. 147 ; no 45, 17, p. 224 ; no 90, 78, p. 350 ;
no 95, 19, p. 369 ; no 111, 21, p. 424 ; no 118, 6, p. 450 et no 120, 40, p. 455. Les deux volumes
appartiennent à la parva libraria. Sur le Moralium dogma philosophorum, voir R.-A. Gauthier,
« Les deux recensions du Moralium dogma philosophorum », art. cité, passim ; Id., « Un pro-
logue inédit du Moralium dogma philosophorum », Revue du Moyen Âge latin, 11, 1955, p. 51-58 ;
J. B. Williams, « The Quest for the Author of the Moralium dogma philosophorum, 1931-1956 »,
Speculum, 32, 1957, p. 736-747 (les deux fois, Gauthier de Châtillon a les faveurs des auteurs) ;
sur son influence, voir R.-A. Gauthier, Magnanimité, op. cit., p. 269-271, 279, 287 sq. et 311.

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Gilbert Fournier 141

réduisent l’intitulé des rubriques à leur plus simple expression lorsqu’elles ne


les omettent pas tout simplement62. Elle renvoie en l’occurrence au premier
volume de la rubrique dévolue aux Scripta et questiones super libros Aristotilis du
catalogue de 1338. Le volume y est dit defficit quia cathenatus63. La garde pré-
sente des traces d’enchaînement et, si l’on considère enfin la date d’arrivée
des manuscrits d’Étienne d’Abbeville dans l’établissement (le manuscrit
Paris, BNF, lat. 15469 indique vers le 8 novembre 1288)64, il est vraisemblable
qu’il soit identique au volume de la Sententia de Thomas d’Aquin mentionné
sous la cote ADq dans le répertoire méthodique du catalogue double de la
bibliothèque commune du collège de Sorbonne (voir tableau 1).
Le manuscrit Paris, BNF, lat. 16147 propose un cas de figure analogue65.
Donné au collège par Gérard d’Abbeville († 1272), qu’on ne présente plus66,
il est enchaîné en dix-septième position au pupitre dévolu aux libros naturales
non commentatos selon le catalogue de 133867. Des traces d’enchaînement
sont attestées sur le contre-plat supérieur et le premier feuillet du manuscrit.
Il contient une Tabula alphabetica super libros Ethicorum et Politicorum (f. 247ra-
261vb). Cette dernière nous introduit à l’étude des instruments forgés pour
faciliter l’enseignement d’Aristote dans les universités médiévales. Un autre
manuscrit du collège, le manuscrit Paris, BNF, lat. 16090, témoigne lui aussi
de la présence de plusieurs de ces instruments, dont certains ressortissent à
l’Éthique, dans la bibliothèque commune du collège de Sorbonne.

62. On lira des exemples dans l’article de M. Mabille cité à la n. précédente.


63. Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 191a ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 64a.
64. M. Mabille, « Les manuscrits d’Étienne d’Abbeville », art. cité, no 5, p. 251 et n. 3.
65. Sur le manuscrit Paris, BNF, lat. 16147, voir Aristoteles latinus, op. cit., I, no 678, p. 567 ;
W. Senko, Repertorium, II, p. 35.
66. Voir en dernier lieu C. Angotti, « Les bibliothèques des couvents mendiants, un modèle
pour les séculiers ? L’exemple de deux premiers bienfaiteurs de la bibliothèque du collège de
Sorbonne (Robert de Sorbon, Gérard d’Abbeville) », dans Entre stabilité et itinérance. Livres et culture
des ordres mendiants. xiiie-xve siècle, N. Bériou, M. Morard et D. Nebbiai, éd., Turnhout, 2014,
p. 31-72, en part. p. 36 sq.
67. Paris, BNF, lat. 16147, f. 2v : Iste liber est collegii pauperum magistrorum parisius in theologica facul-
tate studentium ex donatione inter viuos magistri G[eraudi] de Abb[atisuilla]. [Autre main :] Inter libres
[sic] naturales non commentatos 17 ; une nouvelle main ajoute la mention gerardus au milieu dudit
f. ; catalogue de 1338 : 47. Libri naturales non commentati, 17. Cathenatus (Paris, BNF, n. a. l. 99,
p. 186 ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 58b).

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142 Lire l’archive

Le témoignage du manuscrit Paris, BNF, lat. 16090 (après 1360)


Le manuscrit Paris, BNF, lat. 16090 (xive siècle) provient du legs de Jean
Gorre68. Il était constitué à l’origine de deux unités codicologiques autonomes
qui embrassent respectivement les cinq premiers sénions (f. 1r-60v), occu-
pés par la Tabula moralium Aristotelis de Jean Bernier de Fayt († 1395), et les
quatre sénions suivants (f. 61r-108v), dévolus à la Translatio Lincolniensis, suivie
d’une question disputée69. Chacune d’entre elles porte une mention « hors la
teneur » transcrite de la main de Jean Gorre : ici un titre de propriété : magistri
Johannes gorre de parisius (f. 60v), qui a été rogné suite à la nouvelle reliure du
manuscrit à l’époque moderne ; là une mention d’acquisition : ego Johannes
gorre emi istum librum XX solidorum (f. 108v). Le prix du volume apparaît une
nouvelle fois au recto du même feuillet. Les deux parties ne partagent par ail-
leurs aucun scribe. Leur réunion intervint au plus tard lors de leur legs au col-
lège de Sorbonne, dont l’ex-libris copié sur l’ancienne garde collée (f. 109r)
conserve le souvenir :
Jste liber est pauperum magistrorum de sorbona ex legato magistri Johannis gorre socij
domus precij centum solidorum.
Cependant le manuscrit ne tarda pas à rejoindre la bibliothèque du col-
lège dit de la « Petite Sorbonne ». À cette occasion, un bibliothécaire cancella
l’indication précédente et lui substitua le titre de propriété suivant :
Jste liber est pauperum scolarium de Sorbona ex legato magistri Johannis gorre de pari-
sius [souscript par le même scribe : condam socij huius domus] doctoris in theologia
Precii.6. florenorum, Florencie.
Cette opération intervint selon toute vraisemblance à la réception du legs
de Jean Gorre ou peu s’en faut. En effet, le bibliothécaire qui apposa la men-
tion précédente procéda de manière analogue dans nombre de manuscrits
légués par le docteur en théologie70.

68. Sur Jean Gorre et son legs, voir A. Franklin, Les anciennes bibliothèques de Paris. Églises, monas-
tères, collèges, etc., I, Paris, 1867, p. 241-242 ; L. Delisle, Cabinet, II, p. 159 ; P. Glorieux, Aux
origines de la Sorbonne, op. cit., I, p. 315 ; W. J. Courtenay, éd., Rotuli Parisienses. Supplications to the
Pope from the University of Paris, I, Leyde-Boston-Cologne, 2002, p. 200 et 329 ; Id., « Collège des
Bons-Enfants de Saint-Victor at Paris », History of Universities, 20, 2005, p. 1-11 (ici p. 2 et 3-4).
69. Sur la tradition de la Tabula moralium Aristotelis, voir M. Grabmann, Methoden und Hilfsmittel
des Aristotelestudiums im Mittelalter, Munich, 1939, p. 140-145 ; C. Flüeler, Rezeption und
Interpretation der Aristotelischen Politica im späten Mittelalter, II, Amsterdam-Philadelphie, 1992,
no 29, p. 26-27. Sur le ms. Paris, BNF, lat. 16090, voir Aristoteles latinus, op. cit., I, no 665, p. 558 ;
W. Senko, Repertorium, I, p. 223-224.
70. Il s’agit des mss Paris, BNF, lat. 15885, f. 273r, 15976, contre-plat inférieur et 15977,
f. 130r. Voir C. Angotti, « Mort et vie du collège dit de la “Petite Sorbonne” », dans Universitas

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Gilbert Fournier 143

Les annotations apposées au recto du premier feuillet du manuscrit Paris,


BNF, lat. 16090 n’ont jusqu’alors éveillé aucun intérêt. Elles attestent cepen-
dant le versement de plusieurs tables dans la bibliothèque commune du col-
lège de Sorbonne. Bien que passablement endommagé par l’enchaînement du
manuscrit, le texte relatif aux deux tables qui ressortissent à des titres divers à
la philosophie morale aristotélicienne s’énonce comme suit :
[Marge supérieure] Quere alibi bancha.a[l (?)] [volum]ine.d. Tabulam bonam libro-
rum. Porphirius, predicamenta, peryarmenias, sex principiorum, topica, Boecij [un mot
presque illisible en raison d’une tache de rouille : d[ivisi]o[n]um (?)], Aristotilis
elenchi, prio[ra et] p[osteriora analytica] totius so[phis]t[ic]e (?) [ti]bi etiam multa conti-
nentur morali[s] patet intuent[… (?)].
[Marge inférieure, sous la colonne a] Jtem alibi bancha.Am. volumine.h. tabulam
ethicorum [ce dernier mot sur un grattage] cum pluribus terminis et auctoritatibus licet
breuioribus ordinatam71.
Ces annotations sont selon toute vraisemblance imputables à un seul et
même scribe, comme le suggère l’identité du style graphique, de l’encre brune
et des manicules qui annoncent chacune d’entre elles. Elles ont été suscitées
par la Tabula moralium Aristotelis de Jean Bernier de Fayt qui couvre l’essen-
tiel de la première partie du volume (f. 1ra-57r ; les feuillets 57v-60v sont
blancs)72. Cette œuvre est composée d’une table des matières qui emprunte
à la Rhétorique, l’Éthique (dans la Translatio Lincolniensis), la Politique, l’Écono-
mique, la Poétique et la Grande Morale, attribuées à Aristote, et d’une table des
incipits des chapitres de chacune d’entre elles. Dans la préface, son auteur
dit produire à l’occasion des citations empruntées aux commentaires de ces
œuvres ou recourir à certains d’entre eux pour étayer ses propres explications.
Pour l’Éthique à Nicomaque, il s’agit d’une part des commentaires d’Eustrate
de Nicée, de Robert Grosseteste et d’Albert le Grand et d’autre part des com-
mentaires de Thomas d’Aquin et de Gauthier Burley73. Achevée en 1341, cette
dernière œuvre constitue le terminus ante quo de la Tabula moralium Aristotelis

scolarium. Mélanges offerts à Jacques Verger par ses anciens élèves, C. Giraud et M. Morard
éd., Genève, 2011, p. 171-199 (ici p. 196, nos 9-11 et 197, no 14).
71. Voir infra Illustrations no 1.
72. Sur Jean Bernier de Fayt et la Tabula moralium Aristotelis, voir B. Hauréau, Notices et extraits
de quelques manuscrits latins de la Bibliothèque nationale, V, Paris, 1892, p. 78 ; M. Grabmann,
Methoden und Hilfsmittel des Aristotelestudiums im Mittelalter, op. cit., p. 139-149.
73. La préface à la Tabula moralium Aristotelis est éditée dans M. Grabmann, Methoden und
Hilfsmittel…, op. cit., p. 145-146 (ici p. 146). Selon l’auteur (p. 148), il s’agirait de l’Ethica d’Albert
le Grand.

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144 Lire l’archive

de Jean Bernier de Fayt. Il est vraisemblable qu’elle vit le jour au cours de ses
études parisiennes74.
Venons-en aux tables évoquées dans les annotations portées au recto du
premier feuillet du lat. 16090. On sait depuis les travaux pionniers de Martin
Grabmann que l’enseignement d’Aristote dans les universités médiévales a
suscité la composition d’instruments susceptibles de faciliter l’appréhen-
sion du texte du Stagirite75. Il s’agit, parmi d’autres, de tables qui produisent
de manière plus ou moins exhaustive la teneur d’une ou plusieurs œuvres
d’Aristote, le plus souvent dans l’ordre alphabétique. Nombre d’entre elles
sont consacrées à l’Éthique à Nicomaque. Tel est le cas de la Tabula ethicorum
enchaînée au pupitre AM d’après la note transcrite dans la marge inférieure
du manuscrit Paris, BNF, lat 16090. Son titre est attesté dans plusieurs pro-
ductions analogues76. En l’absence du manuscrit, nous ignorons bien évidem-
ment si son auteur joignit à la lettre aristotélicienne celle d’un ou plusieurs de
ses commentateurs, à l’instar de Jean Bernier de Fayt.
Le corpus réuni par Martin Grabmann permet en outre d’apprécier le
domaine de compétence de ces tables. Concernant l’Éthique à Nicomaque, il
n’excède qu’exceptionnellement la philosophie morale d’Aristote, à l’instar de
la table conservée dans le manuscrit Paris, BNF, lat. 16147 présenté plus haut
et qui provient du legs de Gérard d’Abbeville77. Son titre et sa teneur associent

74. Dernièrement C. Flüeler et É. Anheim proposèrent une datation de la Tabula moralium


Aristotelis en 1346 sur la foi d’informations issues de la tradition manuscrite : Explicit tabula mora-
lium aristotilis edita a domino Johanne de Fayt monaco sancti Amandi in padula et bachalario in Theologia
Anno domini 1346 (Valenciennes, BM, 400 (383), f. 117v : abbaye de Saint-Amand ; xive s. ; aussi
Heiligenkreuz, Stiftsbibliothek, 150 : xive s.). Voir C. Flüeler, Rezeption und Interpretation der
Aristotelischen Politica im späten Mittelalter, op. cit., II, p. 26 ; É. Anheim, « Le chancelier de l’uni-
versité de Paris Roberto de’ Bardi et la curie au milieu du xive siècle », dans Universitas scolarium,
p. 507-528 (ici p. 513 et n. 40). Pour vraisemblable qu’elle soit, cette datation n’est pas contrai-
gnante. En effet, la date de 1346 pourrait tout aussi bien désigner l’obtention du baccalauréat
en théologie par Jean de Fayt, dont la mention fait état. Voir CUP, II, no 1131, p. 594-597 (ici
p. 596). L’évocation de sa qualité de moine de l’abbaye bénédictine de Saint-Amand-les-Eaux
dans les mss de Valenciennes et de Heiligenkreuz invite cependant à une datation antérieure
à 1350, où Jean accéda à l’abbatiat au couvent Saint-Bavon de Gand, qu’il ne rejoignit que
quelques années après. Voir en dernier lieu A. Brix, « Le Manipulus exemplorum. Un recueil
d’exempla bénédictin à attribuer à Jean Bernier de Fayt († 1395) », Revue bénédictine, 124, 2014,
p. 353-364 (ici p. 362).
75. M. Grabmann, Forschungen über die lateinischen Aristoteles-Übersetzungen des XIII. Jahrhunderts,
Münster, 1 9 1 6, p. 97- 1 00 ; Id., Methoden und Hilfsmittel…, op. cit., p.  1 24- 1 55 (en part.
p. 153-155).
76. Id., Forschungen…, op. cit., p. 98-99 ; Id., Methoden und Hilfsmittel…, op. cit., p. 126-127, 138-
139, 152 et 153.
77. Voir supra p. 141.

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Gilbert Fournier 145

l’Éthique et la Politique : Jn libro ethicorum [autre main : et politicorum] (f. 247ra).


La table est précédée par des Concordancie super libros naturales qui comprennent
les titres des livres et des chapitres de diverses œuvres aristotéliciennes puis la
table à proprement parler, comme dans nombre de manuscrits78.
La réunion de textes ressortissant à la morale et à la logique n’a pas cours
dans la tradition des Tabulae. Seule la Summa moralis de Pierre Storch († 1431)
conjoint les Topiques et la Consolation de Philosophie de Boèce à l’Éthique, la
Politique, la Rhétorique et l’Économique79. C’est à une association similaire que
renvoie la description du manuscrit enchaîné au pupitre AL (?) dans la note
apposée dans la marge supérieure du manuscrit Paris, BNF, lat. 16090, f. 1r.
Le manuscrit « d » produit des œuvres empruntées à la logica vetus et à la logica
nova d’Aristote dans une séquence attestée depuis le xiiie siècle80, un pseudé-
pigraphe (le Liber sex principiorum) et quelques-uns de leurs principaux com-
mentaires, en l’occurrence ceux issus de la plume de Porphyre et de Boèce.
Les œuvres morales d’Aristote en sont absentes. C’est le bibliothécaire qui
souligne l’intérêt des œuvres logiques pour la philosophie morale : Aristotilis
elenchi, prio[ra et] p[osteriora analytica] totius so[phis]t[ic]e (?) [ti]bi etiam multa
continentur morali[s] patet intuent [… (?)].
Les annotations que nous avons présentées peuvent-elles être datées et
renvoient-elles à un dépôt de livres du collège de Sorbonne ? Et si oui, lequel ?
De fait, l’inventaire sommaire du catalogue double ne compte que vingt-six
pupitres, le dernier étant doté des lettres AD. Se pourrait-il que les annota-
tions aient été antérieures au legs de Jean Gorre et étrangères au collège de
Sorbonne ? Il n’en est rien. D’abord les cotes combinant des lettres sont en
usage au collège de Sorbonne au plus tard depuis la rédaction du catalogue
double entre 1321 et 133881. Ensuite et surtout, une note ajoutée à la rubrique
consacrée aux Postilles dans le répertoire méthodique renvoie précisément au
pupitre AM82. Elle concerne un exemplaire de l’Expositio in librum Sapientiae de
Robert Holcot († 1349) qui pourrait provenir du legs de Jean Gorre.

78. M. Grabmann, Forschungen…, op. cit., p. 98-99 ; Id., Methoden und Hilfsmittel…, op. cit.,
p. 129-139.
79. Ibid., p. 149-151.
80. Pour des exemples parisiens, voir Aristoteles latinus, op. cit., I, no 656, p. 553 ; no 666, p. 558 et
no 696, p. 576.
81. Voir supra p. 134.
82. Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 266 : Jtem postilla [Sapiencie] holcot. Bancha.am ; L. Delisle, Cabinet,
II, p. 93a. Dans la marge supérieure du début de la rubrique, une annotation transcrite selon
toute vraisemblance par le même scribe évoque une nouvelle fois l’Expositio in librum Sapientiae de
Robert Holcot enchaînée au pupitre AM : Et nota quod omnes iste postille conti[n]entur in banchis.c.d.f.
nisi forte vna super sapiencie que est.am (Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 266 ; L. Delisle, Cabinet, II, p. 92

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146 Lire l’archive

Les pupitres AM et à plus forte raison AL sont donc bel et bien attestés au
collège de Sorbonne. La mention du premier dans le répertoire méthodique du
catalogue double témoigne de surcroît qu’ils appartenaient à la bibliothèque
commune. Cette dernière se serait donc accrue de huit bancs supplémentaires
depuis la rédaction du catalogue double83. Leur existence est postérieure au
legs de Jean Gorre qui est intervenu en 1360 ou peu après84. Si tel devait être
le cas, la note concernant l’Expositio in librum Sapientiae de Robert Holcot serait
l’une des plus récentes transcrites dans le répertoire, dont on sait qu’il ne fut
plus guère actualisé au-delà du milieu du xive siècle85.
Quoi qu’il en soit, les annotations apposées dans le manuscrit Paris, BNF,
lat 16090 apportent la preuve du versement d’une table relative à la philoso-
phie morale d’Aristote dans la bibliothèque commune du collège de Sorbonne
après 1360, sous la cote AMh. La Tabula ethicorum était consacrée à l’Éthique à
Nicomaque. Nous ignorons si elle coïncide avec les Tabulae in Aristotelem (no 61)
de la rubrique dévolue aux Philosophici libri, Morales, Metaphysici, Naturales du
catalogue du milieu du xvie siècle86, et ceci d’autant plus que des instruments
analogues eurent les faveurs de l’imprimerie87. À l’inverse, il est plus que
vraisemblable que les Concordantiae super libros naturales (no 58) de la même
rubrique soient identiques avec le manuscrit Paris, BNF, lat. 16147 provenant
de Gérard d’Abbeville.

n. 3). Il n’est pas à exclure que cet ajout renvoie au manuscrit Paris, BNF, lat. 15885 qui provient
du legs de Jean Gorre. Il renferme l’unique exemplaire de l’Expositio in librum Sapientiae de Robert
Holcot († 1349) en provenance du collège de Sorbonne qui nous est parvenu. Sur la tradition
manuscrite de l’Expositio in librum Sapientiae de Robert Holcot, voir T. Kaeppeli, Scriptores Ordinis
Praedicatorum Medii Aevi, III, Rome, 1980, no 3497, p. 315-318 (où le ms. parisien est cité p. 317).
Sur le ms. Paris, BNF, lat. 15885, voir C. Samaran et R. Marichal, Catalogue des manuscrits en
écriture latine portant des indications de date, de lieu ou de copiste, III, Paris, 1974, p. 461.
83. Outre les cotes ALd et AMh, l’une des mentions transcrites dans la marge supérieure du
manuscrit Paris, BNF, lat. 16090, f. 1r évoque une nouvelle cote qui n’avait pas été attribuée :
Jtem bancha.z. volumine.e. tabulam librorum naturalium.
84. Paris, BNF, lat. 15885, f. 273r : Anno Mo CCCo 60 cuius anima in pace requiescat.
85. G. Fournier, « Listes, énumérations, inventaires (Première partie) », art. cité, p. 190-191
(à propos du catalogue double de la bibliothèque commune) et 194 (à propos du catalogue de
1338).
86. Sur ce catalogue, voir infra p. 160 sq.
87. Au sujet des Repertoria sive tabulae generalis auctoritatum Aristotelis imprimés, voir
C. B. Schmitt, « Auctoritates, Repertorium, Dicta, Sententiae, Flores, Thesaurus, and
Axiomata: Latin Aristotelian Florilegia in the Renaissance », dans Aristoteles Werk und Wirkung.
Paul Moraux gewidmet, II, J. Wiesner, éd., Berlin-New York, 1987, p. 515-537 (ici p. 518 sq. et
530-531).

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Gilbert Fournier 147

Le témoignage double du manuscrit Paris, BNF, lat. 16681


(après 1358-1360)
Il est d’autres témoignages indirects de la présence d’un commentaire sur
l’Éthique à Nicomaque dans la bibliothèque commune. On lit ainsi au feuillet
126r du manuscrit Paris, BNF, lat. 16681, qui tient lieu de garde collée, la
mention suivante :
Incathenarj debet in banca pariet[em] contra prope ethicam buridanj88.
Cette indication, pour sommaire qu’elle soit, nous introduit à double titre
dans la dynamique de la bibliothèque commune. Elle témoigne d’une part
d’une translation opérée au sein de la collection, d’autre part de la présence
des Quaestiones in Aristotelis Ethicam de Jean Buridan dans le dépôt.

La translation du manuscrit BNF lat. 16681


Une note portée au feuillet 125v indique la provenance et le contenu du
manuscrit :
Jste liber est pauperum magistrorum de Sorbone ex legato magistri Petri de Lemovicis
quondam domus huius. Jn quo continentur scripta fratris Egidij super Rethoricam.
Le volume provient du legs de Pierre de Limoges († 1306) et contient un
exemplaire du commentaire de la Rhétorique de Gilles de Rome († 1316). Les
mentions qui suivent précisent la prisée, le statut et la cote du volume dans le
catalogue de 1338 :
Precij XL solidorum. Cathenabitur. 39us inter scripta Aristotilis.
Le catalogue de 1338 confirme l’enchaînement du manuscrit dans la biblio-
thèque commune :
54. Scripta et questiones super libros Aristotilis. […] 39. Defficit quia cathenatus89.
Il correspond au manuscrit doté de la cote ADt dans le répertoire métho-
dique du catalogue de la bibliothèque commune :
Librj morales Aristotilis et aliorum philosophorum. […] Banc. AD. vol. t. Scripta
Egidij super rethoricam Aristotilis. Queritur qualis vnusquisque est talis sibi finis uidetur90.

88. Sur le ms. Paris, BNF, lat. 16681, voir W. Senko, Repertorium, II, p. 90 ; Aegidii Romani,
Opera omnia, I, Catalogo dei manioscritti (294-372), 1/3**, C. Luna, éd., Florence, 1988, no 360,
p. 272-274.
89. Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 207b ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 65a.
90. Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 341 ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 86.

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148 Lire l’archive

La description des manuscrits enchaînés au vingt-sixième et dernier


pupitre adoptant l’ordre inverse, comme cela est parfois l’usage dans l’inven-
taire sommaire, le manuscrit ADt occupe la seconde place dans la liste :
Vltimi scamni iuxta parietem. AD. XXVI. […] Scripta Egidii super rethoricam Aristotelis91.
Une fois n’est pas coutume, la localisation du pupitre est précisée dans
l’inventaire : il est sis à côté du mur (iuxta parietem) dans la bibliothèque com-
mune. Sur la foi de la note transcrite au feuillet 125v du manuscrit Paris, BNF,
lat. 16681, nous apprenons enfin qu’il fut transféré à une date indéterminée
« sur un pupitre sis en face du mur à proximité du commentaire sur l’Éthique
de Jean Buridan ». Il avait donc manifestement changé de place au sein de la
collection.

Le versement des Quaestiones in Aristotelis Ethicam de Jean Buridan


La mention portée au manuscrit Paris, BNF, lat. 16681 atteste aussi la pré-
sence dans la bibliothèque commune des Quaestiones in Aristotelis Ethicam de
Jean Buridan, qui sont demeurées inachevées au décès de leur auteur, entre
1358 et 136092. On ne lui connaît pas de commentaire littéral93. Les catalogues
n’ayant guère été actualisés au-delà du milieu du xive siècle, on peut essayer
d’identifier le manuscrit visé par la note dans la tradition de l’œuvre burida-
nienne. Deux témoins en provenance du collège de Sorbonne ou ayant transité
par ses bibliothèques au Moyen Âge nous sont parvenus. Il s’agit des manus-
crits Paris, BNF, lat. 16128, f. 1ra-414ra (fin du xive s.)94 et 16129, f. 5ra-249vb
(avant 1391)95.

91. Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 243b ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 78.
92. Sur la délicate question de la rédaction et donc de la datation des Quaestiones in Aristotelis
Ethicam de Jean Buridan, voir parmi d’autres B. Michael, Johannes Buridan, op. cit., p. 871-875 ;
B. Sère, « Liberté et lien social chez Buridan dans son commentaire sur l’Éthique (VIII-IX) »,
Recherches de théologie et philosophie médiévales, 74, 2007, p. 119-168 (ici p. 122-124). B. Michael
penche pour une rédaction unique qui aurait vu le jour vers 1339-1340 et serait demeurée ina-
chevée à sa mort entre 1358 et 1360. B. Sère privilégie une rédaction en deux temps : après 1332
(livres I-VI, voire VIII) et entre 1349 et 1360 (livres IX-X).
93. C. Flüeler, « Buridans Kommentars zur Nikomachischen Ethik : Drei unechte
Literalkommentare », Vivarium, 36, 1998, p. 234-249 (ici p. 248-249).
94. Sur le ms. Paris, BNF, lat. 16128, voir W. Senko, Repertorium, II, p. 22-24 ; B. Michael,
Johannes Buridan, op. cit., p. 850. La tradition paraît l’attribuer à Henri Pistor de Lewis. Ainsi
dans le catalogue de Henri-Michel Guédier de Saint-Aubin (Paris, BNF, n. a. l. 100, f. 183r-v)
où l’ex-legato a été barré ultérieurement. La datation du ms. (fin du xive siècle) suffit en effet à
invalider cette hypothèse.
95. Sur le ms. Paris, BNF, lat. 16129, voir C. Samaran et R. Marichal, Catalogue des manuscrits
en écriture latine, op. cit., III, p. 700 ; W. Senko, Repertorium, II, p. 24-27 ; B. Michael, Johannes
Buridan, op. cit., p. 850-851.

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Gilbert Fournier 149

Le premier manuscrit fut affecté à une date indéterminée au collège dit de


la « Petite Sorbonne » comme l’atteste une mention portée au feuillet 414v :
[…] Jste igitur liber est pauperum magistrorum et scolarium huius parue Sorbone collegij
de remediis viciorum et medicamentibus diversorum vulnerum. Orate pro benefactoribus96.
Le 5 décembre 1481, il est emprunté par le sociétaire Jean Dumont97. À cette
date, les manuscrits du collège dit de la « Petite Sorbonne » avaient rejoint
depuis longtemps la parva libraria du collège de Sorbonne98. D’où l’absence de
précision au sujet du lieu de conservation du manuscrit Paris, BNF, lat. 16128
dans le registre de prêt. Il est donc difficile de déterminer si c’est ce volume
dont il est question dans la note du BNF lat. 16681.
Le second manuscrit (Paris, BNF, 16129) qui dit produire l’ultima lectura des
Quaestiones (f. 105vb)99, fut acquis en 1391 par le sociétaire Adam Carnificis,
puis légué en 1401 au collège, comme en témoignent les deux notes apposées
au feuillet 253v par un seul et même scribe :
Istum librum emi erga magistrum adam carnificis, pro tunc socium in sorbona, pro septem
francis aureis cum quartario, anno domini Mo CCCo nonagesimo primo.
Istum librum lego Collegio sorbone parisius vna cum lecturis ade [Adam Wodeham ?] et
hoyte [Henri Totting de Oyta] et lecturam hoyte habeo pro nunc penes me, sed lecturam
ade habet pro nunc magister gherardus yscondj. Scriptum anno domini Mo CCCCJo, ipso die
egidij abbatis100.
Le manuscrit ne porte aucune mention de versement à la magna libraria,
mais des traces d’enchaînement subsistent sur les deux plats de reliure. Il n’est

96. Le ms. Paris, BNF, lat. 16128 n’est pas mentionné dans C. Angotti, « Mort et vie du col-
lège dit de la “Petite Sorbonne” », art. cité, passim.
97. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, no 139, 16, p. 489 : Item habuit Ethicas
Buridani precii XIIII scutorum, cujus 2um folium mali 3o thorum, et penultinum ymo etiam. Sur Jean
Dumont, voir Z. Kaluza, « Les débuts de l’albertisme tardif (Paris et Cologne) », dans Albertus
Magnus und der Albertismus. Deutsche philosophische Kultur des Mittelalters, M. J. F. M. Hoenen et
A. de Libera, éd., Leyde-New York-Cologne, 1995, p. 207-295 (ici no 122, p. 291) ; Le registre de
prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., p. 632-633 ; T. Sullivan, Parisian Licentiates in
Theology, A.D. 1373-1500. A Biographical Register, II, Leyde-Boston, 2011, p. 379-380.
98. C. Angotti, « Mort et vie du collège dit de la “Petite Sorbonne” », art. cité, p. 179-180. Les
mss du collège dit de la « Petite Sorbonne » ont intégré la parva libraria du collège de Sorbonne
au plus tard en 1438.
99. Sur le sens de cette expression, voir B. Michael, Johannes Buridan, op. cit., p. 871.
100. Sur Adam Carnificis, licencié en théologie en 1395, voir G. Ouy, « Simon de Plumetot
(1371-1443) et sa bibliothèque », dans Miscellanea codicologica F. Masai dicata, P. Cockshaw,
M.-C. Garand et P. Jodogne, éd., Gand, 1979, p. 353-381 (ici p. 370) ; B. Michael, Johannes
Buridan, op. cit., p. 325 n. 118 ; T. Sullivan, Parisian Licentiates in Theology, A.D. 1373-1500,
op. cit., II, p. 138-139.

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150 Lire l’archive

donc pas tout à fait à exclure qu’il puisse s’agir de l’exemplaire des Quaestiones
in libros Ethicorum évoqué dans la note apposée sur le manuscrit Paris, BNF,
lat. 16681, f. 126r et à proximité duquel ce dernier volume aurait été enchaîné.
Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’un Buridanus in ethica figure au nombre
des Philosophici libri, Morales, Metaphysici, Naturales du catalogue du milieu du
xvie siècle, dont il sera encore question101.

Mentions ponctuelles, mentions concertées : le sort réservé au legs


de Jacques de Padoue (après 1391)
Les exemples produits jusqu’alors témoignent de mouvements de biblio-
thèque restreints et ponctuels. Il en est d’autres que l’on soupçonne au détour
d’une campagne d’apposition de mentions « hors la teneur » qui attestent un
enrichissement massif et une actualisation doctrinale du dépôt. Tel est le cas
de la mention : Incatenetur in magna libraria sorbone ou sorbona, précédée d’une
lettre qui indique selon toute vraisemblance le pupitre auquel le manuscrit fut
enchaîné et suivie du prix d’estimation, le tout invariablement transcrit dans la
marge inférieure des premiers feuillets de certains manuscrits. L’appellation
magna libraria n’ayant cours dans la documentation du collège de Sorbonne
qu’à partir de 1391102, on peut supposer que l’opération fut postérieure à cette
date. Il n’est pas à exclure toutefois que cette dénomination ait été en usage
auparavant103.
Quoi qu’il en soit, ces indications abondent en particulier dans les volumes
légués par le maître ès arts, en médecine et en théologie, Jacques de Padoue
(† après le 29 mai 1354). Comme l’observait jadis Charles-Victor Langlois, sa
culture et sa curiosité sont exceptionnellement variées : elles embrassent aussi
bien la logique, la rhétorique, la philosophie, la physique, la médecine que le
décret et la théologie104. Cet éclectisme n’a d’équivalent que celui qui a présidé
au choix opéré parmi les manuscrits de Jacques de Padoue destinés à la biblio-
thèque commune. L’importance et la fortune de la bibliothèque de Jacques de
Padoue excédant la place que nous pouvons présentement lui accorder, nous

101. Voir infra p. 161.


102. La plus ancienne occurrence est empruntée à un statut réglementant l’usage des clés de la
bibliothèque, daté du 16 novembre 1391, et édité dans P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne,
op. cit., I, no 44, p. 233-234 (d’après le recueil des statuts).
103. Voir la contribution de C. Angotti dans le présent volume.
104. C.-V. Langlois, « Jacques de Padoue, sorboniste », dans Histoire littéraire de la France,
XXXVI, Paris, 1927, p. 424-432 (ici p. 426-427). Sur Jacques de Padoue, voir en dernier lieu
W. A. Duba, « The Authenticity of Francis of Marchia’s Quodlibet: The Testimony of Paris, BNF,
Ms. lat. 16110 », Bulletin de philosophie médiévale 49, 2007, p. 91-102 (ici p. 97).

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Gilbert Fournier 151

y reviendrons ailleurs plus en détail. Contentons-nous d’évoquer le manuscrit


Paris, BNF, lat. 16110 (première moitié du xive s.), qui produit parmi d’autres
un florilège de commentaires aristotéliciens, en particulier de l’Éthique à
Nicomaque105. Sa provenance est précisée de la main même de Jacques de
Padoue106 au verso du premier feuillet qui n’est autre que l’ancienne garde
volante du manuscrit :
† Jste liber est Jacobi de padua professoris parisius in theologia Medicina et Artibus.
Son contenu, consigné dans une table plus ancienne, est amendé sur plu-
sieurs points (entre crochets carrés) par Jacques de Padoue :
Jn isto volumine continentur ea que secuntur per ordinem.
[= Primo questiones] scoti supra metaphysicam. [videlicet doctoris subtilis]
[= Jtem] auereys de generatione animalium.
[= Jtem] quodlibet Magistri francisci de marchia.
[= Jtem] thomas supra librum ethicorum.
[= Jtem questiones supra librum ethicorum.]
Il substitue des lettres aux chiffres que l’on soupçonne encore sous les
mentions Primo questiones et Jtem, réécrit un mot ou une ligne et apporte le cas
échéant une précision, en l’occurrence le surnom de Jean Duns Scot.
Les deux dernières pièces de la table correspondent respectivement au
commentaire de Thomas d’Aquin (f. 151ra-234vb), qui est issu de la pecia107,
et à une série de questions, voire une compilation, constituée de trois cent
vingt-cinq questions et de quatre prologues anonymes (f. 236ra-281vb) sur
l’Éthique à Nicomaque108. Imputable selon toute vraisemblance à Jacques de
Padoue, à moins qu’il ne s’agisse de son contemporain Nicolas de Cogno,

105. Sur le manuscrit Paris, BNF, lat. 16110, voir Aristoteles latinus, op. cit., I, no 671, p. 561-563 ;
W. Senko, Repertorium, II, p. 7-14 ; H. V. Shooner, Codices manuscripti operum Thomae de Aquino,
op. cit., III, no 2436, p. 310 ; W. A. Duba, « The Authenticity of Francis of Marchia’s Quodlibet… »,
art. cité, p. 94-97 (où l’on lira le contenu précis du volume).
106. Ce qui était une probabilité dans C. Samaran et R. Marichal, Catalogue des manuscrits
en écriture latine, op. cit., III, p. 699, est devenu une certitude à la vue de l’ensemble des mss en
provenance de la bibliothèque personnelle de Jacques de Padoue.
107. G. Murano, Opere diffuse per exemplar e pecia, op. cit., no 890, p. 776.
108. Voir en dernier lieu I. Costa, « Il problema dell’omonimia del bene in alcuni commenti
scolastici all’Etica Nicomachea », art. cité, p. 194-196 (où se sont glissées quelques erreurs de
détail) et 220-230 (édition) ; B. Sère, Penser l’amitié au Moyen Âge, op. cit., p. 159-165. I. Costa
identifie une compilation, là où l’on perçoit en règle générale plusieurs séries de questions, dont
l’une peut selon toute vraisemblance être attribuée à Pierre d’Auvergne. Voir R.-A. Gauthier,
« Deux témoignages sur la date de la première traduction latine des Économiques », Revue
philosophique de Louvain, 50, 1952, p. 273-283 (ici p. 276 n. 5) ; Id., « Les Questiones supra librum
Ethicorum de Pierre d’Auvergne », Revue du Moyen Âge latin, 20, 1964, p. 233-260 (ici p. 241) ;

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dont le nom aurait été gratté au feuillet 282v109, cette dernière témoigne d’une
curiosité certaine pour l’éthique. Sa bibliothèque personnelle comprend
encore un bonum principium super libro Ethicorum au feuillet 130r-v du manuscrit
Paris, BNF, lat. 15669110. Le manuscrit Paris, BNF, lat. 16110 invite cependant
à la prudence. La Sententia de Thomas d’Aquin et les questions sur l’Éthique
n’ont guère suscité d’annotations111. Aucune ne peut être attribuée à Jacques
de Padoue. Hormis les mentions « hors la teneur », sa main est absente
du manuscrit.
Toujours sur le verso du premier feuillet du manuscrit Paris, BNF, lat. 16110,
une nouvelle annotation produit le titre de propriété du collège de Sorbonne
et la prisée :
Jste liber est collegij pauperum magistrorum de sorbona ex legato magistri Jacobi de padua
in arcium medicine ac theologie facultatibus professoris socij huius domus precij 6 librarum.
Enfin dans la marge inférieure du second feuillet (le premier qui accueille
du texte), le versement du manuscrit à la « grande » bibliothèque (main 1 ;
encre brun foncé), l’indication du pupitre et une nouvelle fois la prisée
(main 2 ; encre brun clair) sont signifiés par deux scribes distincts :
Jncatenetur in [un grand pli dans le parchemin empêcha le scribe de poursuivre]
t Jncatenetur in magna li[une tâche voile partiellement : br]aria sorbone
6 librarum112.
Le prix d’estimation du volume est encore une fois mentionné au feuillet
282v (VJ. librarum).
À ce jour, quatorze manuscrits en provenance du legs de Jacques de Padoue
et deux volumes d’une autre provenance partagent à notre connaissance cette
combinaison de mentions « hors la teneur ». Identiques dans leur formulation
à deux exceptions près qui privilégient la variante : Ligetur et incatenetur in magna

A. J. Celano, « Peter of Auvergne’s Questions on Books I and II of the Ethica Nicomachea: A


Study and Critical Edition », Mediaeval Studies, 48, 1986, p. 1-110 (ici p. 3).
109. W. A. Duba, « The Authenticity of Francis of Marchia’s Quodlibet… », art. cité, p. 97-98 et
99 n. 34. L’auteur s’appuie sur une indication empruntée à H. V. Shooner (voir supra n. 105)
que nous ne pouvons pas confirmer.
110. La pièce est qualifiée de la sorte dans la table transcrite de la main de Jacques de Padoue
sur le contre-plat inférieur du ms. Paris, BNF, lat. 15669. Rien n’indique que le ms. ait appar-
tenu à la bibliothèque commune. Voir C.-V. Langlois, « Jacques de Padoue, sorboniste »,
p. 428 et n. 5 ; R.-A. Gauthier, « Les Questiones supra librum Ethicorum de Pierre d’Auvergne »,
art. cité, p. 241 n. 16.
111. Les annotations marginales se résument à quelques mots-clés, à des corrections, à la res-
titution de fragments de texte et à la réitération du mot Questio sous diverses formes.
112. Voir infra Illustrations no 2.

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Gilbert Fournier 153

libraria sorbone, elles sont proposées toujours dans le même ordre, transcrites
toujours par les mêmes scribes et insérées toujours au même endroit, c’est-à-
dire dans le ou les premiers feuillets du manuscrit. La répétition des mentions
et l’électisme des volumes qui ressortissent aux quatre facultés de l’université
de Paris trahissent une entreprise massive et concertée d’enrichissement de la
bibliothèque de présence et de référence du collège de Sorbonne. Ces circons-
tances n’en donnent que plus de prix au versement du manuscrit Paris, BNF,
lat. 16110 et des commentaires sur l’Éthique à Nicomaque de Thomas d’Aquin et
de l’Anonyme dans la bibliothèque commune.

Le registre de prêt (1403-1530)


Le collège de Sorbonne a le privilège de conserver trois registres de prêt113.
L’Occident latin n’en compte qu’un très petit nombre, et les autres collèges
séculiers parisiens aucun114. Seul le deuxième nous intéresse présentement.
Il couvre la plus longue période, de 1403 à 1530, et enregistre les livres en
les regroupant par sociétaires qui seuls ont le droit à une liste de prêt. En
règle générale, les livres empruntés sont conservés dans la parva libraria. À
l’occasion, il est question des ressources d’autres dépôts, en particulier la
magna libraria. Le désenchaînement d’un manuscrit conservé dans la biblio-
thèque commune donne lieu à une procédure particulière115. Tel est le cas de
la Sententia et expositio cum quaestionibus super librum Ethicorum du franciscain
Guiral Ot, empruntée à trois reprises entre 1425 et 1431. Le registre de prêt
confirme par ailleurs l’enchaînement des commentaires d’Eustrate de Nicée
et de Thomas d’Aquin.
Le tableau qui suit résume les prêts successifs des commentaires sur
l’Éthique dans le registre du même nom et identifie les manuscrits empruntés
qui sont conservés dans la bibliothèque commune

113. G. Fournier, « Listes, énumérations, inventaires (Première partie) », art. cité,


p. 207-214.
114. M.-H. Jullien de Pommerol, « Le prêt des livres à la fin du Moyen Âge (xiiie-
xve siècles) », dans Du copiste au collectionneur. Mélanges d’histoire des textes et des bibliothèques en l’hon-
neur d’André Vernet, D. Nebbiai-dalla Guarda et J.-F. Genest, éd., Turnhout, 1998, p. 339-
374 (en part. p. 363-373).
115. Sur le prêt de mss enchaînés dans la bibliothèque commune, voir Ead., « Introduction »,
dans Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., p. 21-54 (ici, p. 34-35).

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Tableau 4 : Les commentaires de l’Éthique à Nicomaque prêtés par le collège


d’après le registre de prêt (1403-1530)

Le registre de prêt Les manuscrits


Mazarine Registre Mots-repèresa) Emprunteurs Dates Cote Mots-repères
3323
87r 81,6 plici racione Jean Hochet 31.X.1430 lat. 16106 4ra
eis honestatem (Thomas 107ra
d’Aquin)
75r 68,17 dere de ipsis Jean Germain 2.XI.1425 lat. 16582 2ra
87r 81,5 dem bene Jean Hochet 31.X.1430 (Eustrate 328ra
83r 77,37 Alard Palenc 31.X.1431 de Nicée)
75r 68, 17 sapienciores esse Jean Germain 2.XI.1425 lat. 16127 3ra
87r 81,7 dicit ergo primo/ Jean Hochet 31.X.1430 (Guiral Ot) 168ra/167ra
83r 77,38 ter preceptum Alard Palenc 31.X.1431
a) La première ligne indique le mot-repère de début, la seconde et les suivantes le mot-repère de fin et ses alternatives
selon qu’il est puisé à un f. ou à un autre, dans le texte ou dans une table.

Le versement de la Sententia et expositio cum quaestionibus super librum


Ethicorum de Guiral Ot et ses usages (avant 1425)
Selon le tableau qui précède, Jean Germain aurait été le premier sociétaire
à faire désenchaîner des commentaires sur l’Éthique à Nicomaque dans la magna
libraria. Le 2 novembre 1425, sa liste de prêt évoque l’emprunt d’une Bible et
des commentaires sur l’Éthique d’Eustrate de Nicée et de Guiral Ot (vers 1285-
1348). Seuls ces deux derniers retiennent présentement notre attention :
Item habuit 2o nouembris eiusdem anni XXVti, de magna libraria duos ex concessione aule
duos libros, scilicet Eustracium super ethicam precii octo librarum, 2o folio dere de ipsis,
penultimo dem bene, et Gerardum Odonis super ethicam precii decem florenorum, 2o folio
sapienciores esse, penultimo dicit ergo primo116.
Jean Germain engagea une bible d’une valeur de 18 livres pour garantir
ces emprunts. Il l’utilisa une nouvelle fois pour une opération similaire le 30
octobre 1428117. À la restitution des livres qui intervint à une date indétermi-
née, l’article fut cancellé.
Sur la foi des mots-repères de début et de fin, les volumes empruntés par
Jean Germain peuvent être identifiés : il s’agit des manuscrits Paris, BNF,

116. Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 3323, f. 75r ; Le registre de prêt de la bibliothèque du collège
de Sorbonne, op. cit., no 68, 16-18, p. 292. Sur Jean Germain, voir Z. Kaluza, « Les débuts de
l’albertisme tardif », art. cité, no 50, p. 265-266 ; Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de
Sorbonne, op. cit., p. 624.
117. Ibid., no 68, 33, p. 294.

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Gilbert Fournier 155

lat. 16582 (xiiie s.) pour le commentaire d’Eustrate de Nicée118 et Paris, BNF,


lat. 16127 (xive s.) pour celui de Guiral Ot119. Le premier pourrait être iden-
tique au manuscrit ADv du catalogue double de la bibliothèque commune
(1321-1338)120, le manuscrit Xa étant associé à la réfutation de la Logique d’Al-
Ghazâlî121 qui fait défaut dans le manuscrit Paris, BNF, lat. 16582. En l’ab-
sence de mentions bibliothéconomiques, nous en sommes cependant réduit
à des hypothèses.
Quoi qu’il en soit, l’emprunt de Jean Germain confirme d’une part la pré-
sence du commentaire sur l’Éthique d’Eustrate de Nicée122 et atteste d’autre
part le versement du commentaire de Guiral Ot dans la magna libraria du col-
lège de Sorbonne. Les emprunts des sociétaires Jean Hochet et Alard Palenc,
respectivement les 3 1 octobre 1430 et 1431, corroborent ces faits 123. La
demande préalable formulée par Alard Palenc auprès du conseil et portée au
registre des délibérations le 4 octobre 1431 livre le motif de ces emprunts réi-
térés : il s’agit de la lectura Ethice124, en d’autres termes, du cours commun sur
l’Éthique à Nicomaque qui est attesté à l’université de Paris à partir de la fin du
troisième quart du xive siècle et dont les étudiants en théologie, en particulier
les membres du collège de Sorbonne, étaient le plus souvent les titulaires125.

118. Paris, BNF, lat. 16582, f. 2ra et 328ra (mots-repères). Le ms. est dénué de mentions « hors
la teneur » médiévales et en conséquence d’indications relatives à sa provenance.
119. Paris, BNF, lat. 16127, f. 3ra et 168ra (mots-repères). Le ms. est dénué de mentions
« hors la teneur » médiévales et en conséquence d’indications relatives à sa provenance. Au
plus tard lors du prêt de Jean Germain, il appartient au collège de Sorbonne. É. Pellegrin et
K. Rebmeister-Klein l’attribuent sans autre forme de procès au collège de Dormans-Beauvais.
Les prêts des sorbonistes Jean Germain, Jean Hochet et Alard Palenc, antérieurs à 1431, excluent
qu’il y fut « reli[é] de cuir blanc vers 1448 ». Voir É. Pellegrin, « La bibliothèque de l’ancien
collège de Dormans-Beauvais à Paris » [1947], dans Ead., Bibliothèques retrouvées. Manuscrits,
bibliothèques et bibliophiles du Moyen Âge et de la Renaissance. Recueil d’études publiées de 1938 à 1985,
Paris, 1988, p. 3-68 (ici p. 9 n. 4) ; K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges à Paris aux
xive et xve siècles, thèse de doctorat, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2005, en part. p. 596,
no 39. Outre le commentaire (f. 2ra-168rb), il comprend une Tabula lectionum et quaestionum
(f. 168rb-169rb) qui s’interrompt en IX, 9. Sur le ms. Paris, BNF, lat. 16127, voir W. Senko,
Repertorium, II, p. 19-21 ; C. Porter, « Gerald Odonis’ Commentary on the Ethics: A Discussion
of the Manuscripts and General Survey », Vivarium, 47, 2009, p. 241-294 (ici p. 254 [B]).
120. Voir supra Tableau 1.
121. Voir supra p. 137-138.
122. Sur le commentaire de l’Éthique de Guiral Ot et sa fortune, voir en dernier lieu C. Porter,
« Gerald Odonis’ Commentary on the Ethics… », art. cité, passim.
123. Voir supra Tableau 4.
124. Le livre des prieurs de Sorbonne, op. cit., no 5, p. 28-29.
125. Sur l’organisation du cours commun sur l’Éthique, voir Z. Kaluza, « Les cours communs
sur l’Éthique à Nicomaque à l’université de Paris », art. cité, p. 149-154, 164-166 et 172-177

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156 Lire l’archive

En janvier 1432, le collège incite ses membres à suivre la leçon d’Éthique, après
celles de Métaphysique et de Physique, et ceci d’autant plus qu’un sorboniste en
était titulaire, en l’occurrence ledit Alard Palenc126.
C’est à Zénon Kaluza que revient le mérite d’avoir mis en évidence les
emprunts successifs de Jean Germain, Jean Hochet et Alard Palenc, et de les
avoir considérés sous l’angle de l’office de lecteur de l’Éthique127. Ces emprunts
inspirent deux observations à l’auteur. La première, à laquelle nous souscri-
vons pleinement, constate que l’« on associe à Paris la lecture d’Eustrate de
Nicée, de Guiral Ot et de Thomas d’Aquin128 ». De fait, les trois sociétaires
empruntent la Sententia libri Ethicorum de l’Aquinate, successivement le 13 avril
1425 pour Jean Germain129, le 31 octobre 1430 pour Jean Hochet130 et le 7
octobre 1431 pour Alard Palenc131. Bien qu’il ne soit pas fait état de la magna
libraria, le manuscrit emprunté par Jean Hochet était bien enchaîné dans la
bibliothèque commune, comme l’attestent la mention de la demande préa-
lable au conseil et au sous-proviseur (ex consensu et deliberacione aule et licencia
domini subprovisoris)132 et l’histoire du volume. Il s’agit du manuscrit Paris,
BNF, lat. 16106 qui était selon toute vraisemblance enchaîné dans la magna
libraria depuis la rédaction du catalogue double (1321-1338), sinon de celle du
catalogue de 1338133.
Toute proportion gardée, il en va de même de la Seconde partie de la Somme
de théologie, contemporaine et complémentaire du commentaire sur l’Éthique
de Thomas d’Aquin : la première fournit le commentaire par questiones qui
devait normalement compléter l’expositio littere du second, selon René-Antoine

(Appendice 1 : « Liste des Lectores Ethicorum connus », qui ne compte pas moins de quinze sorbo-
nistes sur les trente-quatre lecteurs répertoriés).
126. Le livre des prieurs de Sorbonne, op. cit., nos 35-36, p. 33-34 ; et Z. Kaluza, « Les cours com-
muns sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 153.
127. Z. Kaluza, « Les cours communs… », art. cité, p. 158-159 et 166-167.
128. Ibid., p. 166.
129. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 68, 14, p. 292. Cet exem-
plaire du commentaire de Thomas d’Aquin était conservé dans la parva libraria du collège de
Sorbonne.
130. Ibid., no 81, 6, p. 325.
131. Ibid., no 77, 35, p. 314. Le 29 octobre 1428, Alard Palenc avait déjà emprunté un exemplaire
distinct du commentaire sur l’Éthique de Thomas d’Aquin. Voir ibid., no 77, 6, p. 312. Les deux
fois, les volumes proviennent de la parva libraria du collège de Sorbonne.
132. Ibid., no 81, 6, p. 325.
133. Voir supra p. 140-141.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 156 10/04/2017 16:32


Gilbert Fournier 157

Gauthier134. Parmi les lecteurs de l’Éthique, Jean Germain en 1426135, Jean du


Pont en 1427136, Alard Palenc en 1432137 et enfin Jean Lescrivain en 1478138
empruntent la Secunda pars de la Summa theologiae. À la faveur des mêmes
circonstances, les trois premiers sociétaires cités empruntent aussi la
Prima pars139.

Une hypothèse sur la postérité des commentaires sur l’Éthique à Nicomaque


La seconde observation formulée par Zénon Kaluza porte sur la postérité
des commentaires sur l’Éthique à Nicomaque. Sur la base de leurs prêts, en par-
ticulier ceux consentis aux sociétaires Jean Germain, Jean Hochet et Alard
Palenc, il affirme que la « consultation, voire [la] lecture, fréquente du com-
mentaire de Thomas s’arrête […] dans les années quarante » du xve siècle.
Et d’ajouter un peu plus loin : « […] Le commentaire de Thomas semble dis-
paraître de la circulation [à ce] moment, même si, ici et là, il est encore lu
jusqu’aux années quatre-vingt. Simultanément disparaissent de la circulation
les deux commentaires parmi les plus importants, celui d’Eustrate de Nicée et
celui de Guiral Ot140. »
Ces remarques méritent pour le moins d’être précisées. L’auteur sures-
time d’une part l’importance du prêt des livres enchaînés. Cette pratique est
demeurée l’exception et cantonnée pour l’essentiel à la période troublée de

134. R.-A. Gauthier, L’Éthique à Nicomaque, op. cit., I- 1 , p.  1 3 1 . Pour une critique de


R.-A. Gauthier, en particulier du partage des tâches auquel Thomas aurait procédé,
voir G. Wieland, Ethica – Scientia practica, op. cit., p. 207-208 ; Id., « The Reception and
Interpretations of Aristotle’s Ethics », dans The Cambridge History of Later Medieval Philosophy
from the Rediscovery of Aristotle to the Desintegration of Scholasticism. 1100-1600, N. Kretzmann,
A. Kenny et J. Pinborg, éd., Cambridge et al., 1982, p. 657-672 (ici p. 662). Les relations
entre le commentaire sur l’Éthique et la Seconde partie de la Somme de théologie ont été reconsidérées
dernièrement par J. C. Doig. Voir supra n. 55.
135. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 68, 19-20, p. 292.
136. Ibid., no 67, 21, p. 289. L’emprunt de la Secunda Secundae nécessita l’autorisation préalable
du conseil. Nous en ignorons la raison, étant donné que ce volume avait déjà été emprunté à de
nombreuses reprises sans que cette condition ait été requise. Voir ibid., p. 726-727 (Paris, BNF,
lat. 15797). Il a été emprunté en particulier par Jean Germain. Voir supra n. précédente.
137. Ibid., no 77, 50, p. 315.
138. Ibid., no 125, 24, p. 467.
139. Ibid., no 68, 13, p. 292 (13 avril 1425 ; Jean Germain) ; no 67, 22, p. 289 (21 avril 1428 ; Jean
du Pont) et no 77, 31, p. 313 (18 février 1431 ; Alard Palenc). Au lendemain de son lectorat, au
plus tard le 22 septembre 1433, ce dernier transmit l’exemplaire à Jean du Pont. Voir ibid., no 77,
61, p. 316.
140. Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 159 et 160.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 157 10/04/2017 16:32


158 Lire l’archive

l’occupation anglo-bourguignonne au collège de Sorbonne141. La fréquence à


laquelle le sociétaire Jean Germain en usa est inaccoutumée : trois fois à titre
personnel, hormis le prêt des commentaires d’Eustrate de Nicée et de Guiral
Ot, et une fois au titre de garant, en l’occurrence de Zénon de Castiglione,
évêque de Lisieux et lecteur étranger du collège, pour une liste de prêts qui
couvre moins de six années, d’octobre 1423 à avril 1429, et ne compte guère
plus d’une trentaine de mouvements de livres142. En temps normal, les socié-
taires consultaient les livres enchaînés dans la bibliothèque commune qu’ils
avaient contribué à transformer au fil des générations en salle de lecture143.
Ailleurs, le prêt de livres était interdit en théorie et très rare en pratique, a
fortiori lorsqu’il s’effectuait « hors de la maison144 ». Le prêt de livres enchaînés
s’avère donc un médiocre indicateur pour mesurer l’audience d’un manuscrit
ou d’une œuvre.
L’auteur néglige d’autre part le sort réservé aux divers commentaires au
sein du collège de Sorbonne, en particulier leur ventilation dans les diverses
bibliothèques de l’établissement. Or les commentaires sur l’Éthique d’Eustrate
de Nicée et de Thomas d’Aquin sont attestés dans la bibliothèque commune
depuis le catalogue double (1321-1338), celui de Guiral Ot au plus tard depuis
le prêt de Jean Germain qui intervient comme l’on sait le 2 novembre 1425.
En conséquence, ils appartiennent à la bibliothèque de présence et de réfé-
rence du collège de Sorbonne, et à ce titre ils sont aisément consultables par
les sociétaires, notamment ceux en charge du cours commun sur l’Éthique à
Nicomaque. D’ailleurs, ils l’étaient encore au milieu du xvie siècle d’après le
catalogue de la bibliothèque commune, à l’instar des Quaestiones in Aristotelis
Ethicam de Jean Buridan, présents en deux exemplaires145.
On est donc en droit de considérer que ces commentaires n’ont jamais
cessé d’être lus au collège de Sorbonne. Zénon Kaluza paraît en convenir
lorsqu’il observe que les commentaires d’Eustrate et de Thomas « sont cités

141. G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit., p. 377-387 ; Id., « Une bibliothèque en
temps de crise. Lecteurs étrangers et désenchaînements de manuscrits au collège de Sorbonne
dans le second quart du xve siècle », dans Savoir/Pouvoir. Les bibliothèques, de l’Antiquité à la moder-
nité, Turnhout, 2017 (à paraître).
142. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 68, 22, p. 292-293 (20 sep-
tembre 1426 ; deux volumes pour Zénon de Castiglione), 27, p. 293 (3 octobre 1427 ; le volume
est restitué l’année suivante, voir ibid., 30, p. 293), 33, p. 294 (30 octobre 1428 ; un volume) et
34-35 (7 novembre 1428 ; deux volumes).
143. G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit., p. 131-133.
144. K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges à Paris aux xive et xve siècles, op. cit., p. 125-
126, 179 sq. et 290-300.
145. Voir infra Tableau 5.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 158 10/04/2017 16:32


Gilbert Fournier 159

dans le commentaire de l’Éthique édité en 1500 et attribué à tort à Martin


Lemaître146 », qui aurait fourni au mieux avec Jean Buridan la matière des
questions147. De fait, il serait à porter au crédit du sociétaire Jean Dumont qui
emprunta les Quaestiones in Aristotelis Ethicam de Jean Buridan le 5 décembre
1481 et exerça l’office de lecteur de l’Éthique pendant l’année universitaire
1485-1486148.
On peut en dire autant au sujet du commentaire sur l’Éthique du socié-
taire Louis Ber conservé dans le manuscrit autographe Colmar, BM, 12149.
En 1508, le lector Ethicorum cite en abondance Eustrate de Nicée, Guiral Ot
et Jean Buridan, et moins souvent Thomas d’Aquin et Gauthier Burley (†
1344-1345)150. Certains de ces commentaires figurent en bonne place dans
sa bibliothèque personnelle151. À l’exception de l’Expositio de Gauthier Burley,

146. Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 161.
147. Ibid., p. 168 et 170-171.
148. Ibid., p. 170, et infra p. 176-177.
149. Colmar, BM, 12, f. 1 : Jn hoc libro continetur [suscrit de la même main de Louis Ber : Partim]
lectura ethicorum quam fecit magister Ludouicus Ber basiliensis publicus ethicus [sic] Lector parisius Anno
domini 1508 […]. La provenance du ms. figure sur le contre-plat supérieur : Est Ludouici Ber basi-
liensis socij Sorbonici, et au f. 1, on lit sa devise : Domat omnia virtus. Sur ce ms., voir P. Schmitt,
Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, LVI, Paris, 1969, p. 146 (qui
est entaché de quelques erreurs). Sur Louis Ber, voir A. Kimmenauer, « Colmarer Beriana.
Zu Ludwig Ber’s Bibliothek und Papieren », dans Festschrift für Josef Benzing. Zum sechzigsten
Geburtstag. 4. Februar 1964, E. Geck et G. Pressler, éd., Wiesbaden, 1964, p. 244-251 ;
J. K. Farge, Biographical Register of Paris Doctors of Theology. 1500-1536, Toronto, 1980, no 22,
p. 23-26 ; P. G. Bietenholz, « Ludwig Baer », dans Contemporaries of Erasmus. A Biographical
Register of the Renaissance and Reformation, P. G. Bietenholz, éd., I, Toronto-Buffalo-Londres,
1985, p. 84-86 ; Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., p. 648.
150. Voir à titre d’exemple Colmar, BM, ms. 12, f. 3v : […] plerique Aristotelis expositores Vt Eustra.
b. tho. Geraldus Burleius dicunt […]. Jean Buridan est cité parmi d’autres aux f. 2r, 5r, 27r, 81r, 88v,
92r et 100v. Sur le commentaire de Gauthier Burley et sa fortune, voir C. H. Lohr, « Medieval
Latin Aristotle Commentaries », Traditio, 24, 1 968, p.  1 49-245 (ici n o 36, p.  1 85- 1 86) ;
R.-A. Gauthier, L’Éthique à Nicomaque, op. cit., I-1, p. 136-137 et 158-159 ; G. Wieland, « The
Reception and Interpretations of Aristotle’s Ethics », art. cité, p. 667 ; O. Weijers, Le travail
intellectuel à la Faculté des arts de Paris, III, Paris, 1998, p. 37-62 (ici p. 58) ; D. A. Lines, Aristotle’s
Ethics in the Italian Renaissance, op. cit., no 15, p. 468-469 ; I. Costa, « Il problema dell’omonimia
del bene nell’esegesi dell’Etica Nicomachea (1300-1345 ca.) », Documenti e studi sulla tradizione filo-
sofica medievale, 23, 2012, p. 429-473 (ici p. 446-447).
151. Sententia et Expositio cum questionibus Geraldi Odonis super libros Ethicorum Aristotelis cum Textu
eiusdem, Venise, Simone da Lovere pour Andrea Torresani de Asula, 14 juillet 1500 (Colmar,
BM, CG 11646 ; d’après une mention autographe apposée sur le contre-plat supérieur, Louis
Ber a fait relier en 1507 le volume qui associe le commentaire de Guiral Ot à celui de la Politique
de Thomas d’Aquin, imprimé chez le même éditeur le 31 octobre 1500) ; Expositio Gualteri Burlei
super decem Libros Ethicorum Aristotelis, Venise, Simone da Lovere pour Andrea Torresani de Asula,
4 septembre 1500 (Colmar, BM, G 787 ; payé en sous parisis d’après une mention autographe

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160 Lire l’archive

l’ensemble de ces titres sont attestés dans la bibliothèque commune au plus


tard au milieu du xvie siècle152. Hôte (1500), sociétaire (1504), puis prieur
(1511) du collège de Sorbonne, Louis Ber eut tout le loisir de recourir à ces
ressources bien qu’on ne lui connaisse pas de liste de prêts. Seule l’indication
de la remise des clés de la bibliothèque le 26 mars 1511 est consignée dans le
troisième registre de prêt153.
Pour finir, recueillons les informations relatives aux commentaires sur
l’Éthique consignées dans le catalogue inédit de la nova libraria du collège
de Sorbonne.

Le catalogue de la nova libraria (après 1549)


Dans les années quatre-vingt du xve siècle, le collège de Sorbonne érigea
une nouvelle bibliothèque154. Elle prit la suite de la bibliothèque commune
qui « tomb[a] en caducité l’année 1493 », aux dires d’André Chevallier, biblio-
thécaire du collège de Sorbonne de 1665 à 1700. Elle fut dotée d’un catalogue
au lendemain de la publication de l’édition princeps des Topicorum Theologicorum
du bénédictin Joachim Périon (Paris, Thomas Richard, 1549) qui ferme la
rubrique dévolue aux détracteurs de la foi chrétienne. Son cadre de classe-
ment emprunte à l’ordre des facultés et présente quelques concessions à l’air
du temps (l’autonomisation de l’histoire) et aux principes humanistes (l’as-
sociation des poètes et des grammairiens modernes, et la conjonction de la
grammaire, de la rhétorique et de l’éloquence). La section des libri philosophici
adopte la classification tripartite « platonicienne » ou « stoïco-platonicienne »,
héritée de l’Antiquité tardive et transmise au Moyen Âge latin par Augustin,
qui l’attribue faussement à Platon dans la Cité de Dieu155, et Boèce dans ses deux

transcrite sur la page de titre, l’ouvrage a été acquis selon toute vraisemblance lors du séjour
parisien de Louis Ber, soit au plus tard au début de l’année 1513). Les deux volumes produisent
la traduction de Robert Grosseteste et sont inégalement annotés de la main de Louis Ber.
152. Voir infra Tableau 5.
153. Voir Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 200, 79, p. 536.
154. Sur ce qui suit, voir G. Fournier, « Livre après livre. Un catalogue inédit de la biblio-
thèque du collège de Sorbonne (milieu xvie siècle) », Scriptorium, 67, 2013, p. 184-217 et pl.
23-24 ; Id., « Le plus ancien catalogue imprimé d’une bibliothèque institutionnelle (vers
1550) », dans De l’argile au nuage : une archéologie des catalogues. IIe millénaire av. J.-C.-xxie siècle,
[Catalogue des expositions organisées par la Bibliothèque Mazarine et la Bibliothèque de
Genève], Paris-Genève, 2015, p. 196-198.
155. Sur le ternaire stoïcien, voir parmi d’autres G. Dahan, « Les classifications du savoir
aux xii e et xiii e siècles », L’enseignement philosophique, 40, 1 990, p. 5-27 (ici p.  1 4- 1 5) ;
D. Schioppetto, « Inutilis est logica si it sola. L’organizzazione del sapere in Giovanni di
Salisbury », dans La Divisione della Filosofia e le sue Ragioni. Lettura di testi medievali (vi-xiii secolo).

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Gilbert Fournier 161

commentaires sur l’Isagoge de Porphyre156. La première des deux rubriques


regroupe ainsi les livres qui ressortissent à la philosophie « morale ».
Huit volumes y sont consacrés en partie ou en totalité à des commentaires
sur l’Éthique à Nicomaque.
Tableau 5 : Les commentaires sur l’Éthique à Nicomaque
dans le catalogue de la nova libraria

24 Philosophi libri, Morales, Metaphysici, Naturales Édition princeps


11 Eustratius in ethica. Venise, 1536
12 Eustratius iterum.
13 Thomas in ethica. Barcelone, 1478
14 Gerardus Odo in ethica. Brescia, 1482
15 Buridanus in ethica et politica.
17 Crab in ethica, moralia Hangest. Paris, 1509
18 Thomas in ethica.
19 Buridanus in ethica. Paris, 1489

Le catalogue de la bibliothèque commune atteste la pérennité des commen-


taires médiévaux sur l’Éthique à Nicomaque au milieu du xvie siècle. Aucun de
ceux qui avaient cours jusqu’alors n’y fait défaut. La plupart sont même repré-
sentés en plusieurs exemplaires, comme ceux d’Eustrate de Nicée, de Thomas
d’Aquin et de Jean Buridan. Les informations transmises par le catalogue sont
très sommaires : en règle générale, elles ne vont guère au-delà de la mention
d’un nom d’auteur et d’un titre d’œuvre, réduits à leur plus simple expression.
En conséquence, il est pour ainsi dire impossible d’établir la concordance des
exemplaires cités dans le catalogue avec les témoins médiévaux. Il n’est pas
exclu de surcroît que le catalogue de la bibliothèque commune renvoie à des
livres imprimés. À l’exception de celui d’Eustrate de Nicée, tous les commen-
taires médiévaux sur l’Éthique à Nicomaque avaient eu de longue date les faveurs
de l’imprimerie. La bibliothèque commune compte encore un exemplaire
de la deuxième édition du commentaire littéral de Jean Dumont. En effet, le

Atti del Settimo Convegno della Società Italiana per lo Studio del Pensiero Medievale (SISPM) (Assisi,
14-15 novembre 1997), G. d’Onofrio, éd., Cava de’ Tirreni, 2001, p. 79-105 (ici p. 87) ; G. de
Callatay, « Trivium et quadrivium en Islam : des trajectoires contrastées », dans Une lumière
venue d’ailleurs. Héritages et ouvertures dans les encyclopédies d’Orient et d’Occident au Moyen Âge. Actes
du colloque de Louvain-la-Neuve, 19-21 mai 2005, G. de Callatay et B. Van den Abeele,
éd., Louvain-la-Neuve, 2008, p. 1-30 (ici p. 4).
156. Sur l’harmonisation du classement boétien, d’inspiration aristotélicienne et donc dual,
avec le ternaire stoïcien, voir G. d’Onofrio, « La scala ricamata. La philosophiae divisio di
Severino Boezio, tra essere e conoscere », dans La Divisione della Filosofia e le sue Ragioni, op. cit.,
p. 11-63 (en part. p. 31-33, 46 sq. et n. 60 et p. 60 [Tavola II]).

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162 Lire l’archive

professeur du collège de Bourgogne Gilbert Crab († 1552) n’est pas l’auteur


d’un commentaire de l’Éthique à Nicomaque. Tout au plus ses questions et celles
de son collègue Nicolas Dupuy aux livres VII à X furent-elles associées à l’édi-
tion de l’antiqua traductio de Robert Grosseteste, commentée par Jean Dumont.
Il s’agit donc de la seconde édition du Textus Ethicorum ; elle est issue des
presses d’Antoine Bonnemere à Paris en 1509157. Elle est associée aux Moralia
de Jérôme de Hangest (1480-1538) qui connurent pas moins de dix éditions
entre 1519 et 1541158. Enfin au commentaire sur l’Éthique de Jean Buridan était
joint celui sur la Politique, dont Christoph Fluëler a démontré l’attribution à
Nicolas de Vaudémont qui est attesté dans les sources de l’université de Paris
entre 1379 et 1387159. Ce n’est guère qu’à la faveur de la seconde édition du
commentaire à Paris, chez Jean Petit, en 1513, que l’attribution à Jean Buridan
est effective160. Manifestement le catalogue indique cette édition, la troisième
étant imprimée à Oxford en 1640161. Enfin les nouvelles exégèses transal-
pines, parisiennes et germaniques font défaut dans la bibliothèque du collège
de Sorbonne au milieu du xvie siècle. On notera en particulier l’absence des
éditions et des commentaires procurés par Jacques Lefèvre d’Étaples162.
La nouveauté du catalogue réside ailleurs, dans la présence d’une traduc-
tion française et de plusieurs traductions latines nouvelles.

157. C. H. Lohr, Latin Aristotle Commentaries, II, Florence, 1988, no 1, p. 46, et no 1, p. 106 ;
J. Kraye, « Renaissance Commentaries on the Nicomachean Ethics », art. cité, p. 98.
158. Sur Jérôme de Hangest et ses Moralia (Paris, Jean Petit, 1519), voir J. K. Farge, Biographical
Register of Paris Doctors of Theology, op. cit., no 234, p. 217-221 (en part. p. 220).
159. C. Flüeler, Rezeption und Interpretation der Aristotelischen Politica im späten Mittelalter, op. cit.,
I, en part. p. 150-155.
160. Ibid., p. 146-147. L’attribution à Jean Buridan est attestée dans quelques catalogues de
bibliothèque à la fin du Moyen Âge. Cependant elle ne s’appuie pas sur des informations préle-
vées dans les livres décrits. Voir ibid., p. 148-149 et n. 56.
161. Les éditions de 1500 et de 1530 paraissent reposer sur des erreurs. Voir ibid., p. 146 n. 51.
162. Sur les commentaires aristotéliciens de Jacques Lefèvre d’Étaples, en particulier de
l’Éthique, voir en dernier lieu D. A. Lines, « Lefèvre and French Aristotelianism on the Eve of the
Sixteenth Century », dans Der Aristotelismus in der Frühen Neuzeit – Kontinuität oder Wiederaneignung?,
G. Franck et A. Speer, éd., Wiesbaden, 2007, p. 273-289 ; L. Bianchi, « Renaissance
Readings of the Nicomachean Ethics », art. cité, p. 140-143, et infra p. 164.

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Gilbert Fournier 163

Tableau 6 : Les traductions de l’Éthique à Nicomaque


dans le catalogue de la nova libraria

24 Philosophi libri, Morales, Metaphysici, Naturales Édition princeps


7 Aristotelis ethica, politica, magna moralia, rhet.
8 Ethica gallice.
9 Ethica interprete Leonardo Aretino. Strasbourg, 1469
10 Ethica Perionio interprete […]. Paris, 1540
16 Ethica Argyropuli. Florence, 1478
20 Ethica abbreuiata, dogma moralium philosophorum cum aliis.
22 Excerptae propositiones ex ethicis, politicis et aliis libris Aristotelis.

On aura reconnu successivement les traductions latines procurées par


Leonardo Bruni, dit l’Arétin (vers 1370-1444)163, Joachim Périon (1499-1559)164
et Jean Argyropoulos (vers 1415-1487)165, dont Zénon Kaluza regrettait que la
présence dans les bibliothèques parisiennes fût moins bien documentée166.

163. Sur l’édition de Leonardo Bruni, voir D. A. Lines, Aristotle’s Ethics in the Italian Renaissance,
op. cit., p. 49 et no 26, p. 483-484. Sur la traduction de Leonardo Bruni et les controverses qu’elle
suscita, voir J. Hankins, « Notes on Leonardo Bruni’s Translation of the Nicomachean Ethics
an its Reception in the Fifteenth Century », dans Les traducteurs au travail, leurs manuscrits et leurs
méthodes. Actes du colloque international organisé par le « Ettore Majorana Centre for Scientific
Culture » (Erice, 30 septembre-6 octobre 1999), Turnhout, 2001, p. 427-447 ; Id., « Traduire
l’Éthique d’Aristote : Leonardo Bruni et ses critiques », dans Penser entre les lignes. Philologie
et philosophie au Quattrocento, F. Mariani-Zini, éd., Villeneuve-d’Ascq, 200 1, p. 133-159 ;
L. Bernard-Pradelle, Leonardo Bruni Aretino. Histoire, éloquence et poésie à Florence au début du
Quattrocento. Textes choisis, édités et traduits, Paris, 2008, en part. p. 57-62 ; S. Ebbersmeyer,
Homo agens. Studien zur Genese und Struktur frühhumanistischer Moralphilosophie, Berlin-New York,
2010, p. 150-185. (Sur cette dernière publication, on lira le compte rendu de G. Guldentops,
« Kritische Studie. Die frühhumanistische Moralphilosophie: Anfang der Moderne? », Recherches
de théologie et philosophie médiévales, 77, 2010, p. 391-413, et la réponse d’E. Kessler, « Ethik im
Mittelalter und im frühen Humanismus. Kritische Studie über eine “Kritische Studie” », ibid.,
78, 2011, p. 481-505.)
164. Sur l’édition de Joachim Périon, voir R.-A. Gauthier, L’Éthique à Nicomaque, op. cit.,
I-1, p. 174 sq et n. 256 ; C. B. Schmitt, « Aristotle’s Ethics in the Sixteenth Century : Some
Preliminary Considerations » [ 1 979], dans Id., The Aristotelian Tradition and Renaissance
Universities, Londres, 1984, no VII, p. 87-112 (ici p. 99-102) et [338] (Addenda et corrigenda) ;
C. H. Lohr, Latin Aristotle Commentaries, op. cit., II, no 9, p. 323-324 ; C. Schmitt, Aristote et la
Renaissance, Paris, 1992, p. 88-92. Sur l’intérêt porté à Aristote par Joachim Périon et son cicé-
ronisme, voir A. Stegmann, « Les observations sur Aristote du bénédictin J. Périon », dans
Platon et Aristote à la Renaissance, op. cit., p. 377-389 (ici p. 378 et 382-384).
165. Sur l’édition de Jean Argyropoulos, voir D. A. Lines, Aristotle’s Ethics in the Italian Renaissance,
op. cit., p. 50-51 et nos 35-37, p. 487-489.
166. Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 161 (au sujet de
la traduction de Leonardo Bruni).

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164 Lire l’archive

Chacune d’entre elles était agrémentée de notes et de commentaires. Les


lecteurs de l’Éthique et sociétaires du collège de Sorbonne Jean Dumont et
Louis Ber commentent respectivement les traductions de Leonardo Bruni et
de Jean Argyropoulos. Ils renvoient de manière occasionnelle à d’autres tra-
ductions, celle de Jean Argyropoulos pour Jean Dumont167, celle de Leonardo
Bruni pour Louis Ber168. Ce dernier les connaissait notamment par l’édition
procurée par Jacques Lefèvre d’Étaples, les Decem librorum Moralium Aristotelis
(Paris, Jean Higman et Wolfgang Hopyl, 1497), qui associe les tres conuersiones
de Jean Argyropoulos, Leonardo Bruni et Robert Grosseteste. Il possédait un
exemplaire de la seconde édition (Paris, Henri Estienne [l’Ancien], 1505) dans
sa bibliothèque169. Proche de Lefèvre d’Étaples, il est vraisemblable que l’édi-
tion princeps lui fut aussi familière. À peine arrivé à Paris, le 2 mars 1496, il
aurait fait parvenir l’ensemble des œuvres aristotéliciennes de Jacques Lefèvre
d’Étaples à Conrad Pellican qui lui avait enseigné les rudiments de la langue
hébraïque170. Dans son commentaire, Louis Ber adopte le découpage en cha-
pitres et paragraphes du texte de la traduction de Jean Argyropoulos, insti-
tué par Lefèvre d’Étaples171. Quant à la présence de la traduction de Joachim
Périon, la plus cicéronienne d’entre toutes pour la lettre et l’esprit, elle
témoigne de son usage dans un contexte d’enseignement universitaire, ce qui
lui est souvent dénié172. En 1563, le programme de lecture du collège jésuite

167. A. Pelzer, « Les versions latines des ouvrages de morale conservés sous le nom d’Aristote
en usage au xiiie siècle », p. 406 [repris dans Id., Étude d’histoire littéraire sur la scolastique
médiévale, op. cit., p. 181] ; Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », art.
cité, p. 163.
168. Colmar, BM, ms. 12, f. 5r (Leo. Are. / quemadmodum in his [sic] que appelantur scientie), 8r et
62r-v.
169. Sur les Decem librorum Moralium Aristotelis tres conuersiones de Jacques Lefèvre d’Étaples,
voir R.-A. Gauthier, L’Éthique à Nicomaque, op. cit., I-1, p. 157-158 ; C. H. Lohr, Latin Aristotle
Commentaries, op. cit., II, nos 10-11, p. 140-141 ; J. Kraye, « Renaissance Commentaries on the
Nicomachean Ethics », dans Vocabulary of Teaching and Research Between Middle Ages and Renaissance.
Proceedings of the Colloquium London, Warburg Institute, 11-12 March 1994, O. Weijers, éd.,
Turnhout, 1995, p. 96-117 (ici p. 104-105). Le volume comprend en particulier les commen-
taires de Lefèvre d’Étaples (1497) et de Lorenzo Valla (1421-1424). L’exemplaire de Louis Ber
est conservé à Colmar, BM, V 12142. D’après une mention autographe apposée sur la page de
titre, il a été relié en 1510.
170. Voir A. Kimmenauer, « Colmarer Beriana. Zu Ludwig Ber’s Bibliothek und Papieren »,
art. cité, p. 248 et 251 n. 18.
171. Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 163-164.
172. C. Schmitt, Aristote et la Renaissance, p. 95 : « […] bien qu’on ait souvent réimprimé les
traductions de Périon, elles semblent avoir été rarement utilisées dans un contexte d’enseigne-
ment universitaire ».

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Gilbert Fournier 165

de l’université de Cologne en fait encore état, selon toute vraisemblance dans


une édition révisée par Nicolas de Grouchy qui vit le jour à Paris en 1552173.
Le catalogue (voir tableau 6) produit de surcroît deux volumes de libri morales
du Stagirite et la compilation intitulée Moralium dogma philosophorum attribuée
à Guillaume de Conches ou Gauthier de Châtillon, dont le collège possédait au
moins quatre témoins au xve siècle174. Associée à l’Ethica abbreuiata, autrement
dit à la Summa Alexandrinorum, il s’agit selon toute vraisemblance du manus-
crit Paris, BNF, lat. 16581 qui n’est autre que le manuscrit Zf du répertoire
méthodique du catalogue double de la bibliothèque commune du collège de
Sorbonne (1321-1338), que nous avions signalé plus haut175.
Concernant la traduction vernaculaire, il s’agit plus vraisemblablement
d’un exemplaire des Éthiques en françois, traduites par Nicolas Oresme (Paris,
Antoine Vérard, 1488), que du bref résumé traduit par Claude Grivel (Paris,
Pierre Sergent, 1537) ou de la première traduction française faite directement
sur le texte grec par Philippe Le Plessis (Paris, Michel de Vascosan, 1553)176.
Hors de la rubrique consacrée à la philosophie morale, le catalogue de la
nova libraria comprend encore un exemplaire de l’Éthique à Nicomaque177, deux
exemplaires du Moralium dogma philosophorum178 et quelques œuvres qui res-
sortissent à l’éthique, dont le De temperantia in generale et les Questiones morales
de fortitudine de Martin Lemaître (vers 1432-1482)179 ou les Moralia de Jacques

173. J. S. Freedman, « Aristotle and the Content of Philosophy Instruction at Central


European Schools and Universities during the Reformation Era (1500-1650) » [1993], dans
Id., Philosophy and the Arts in Central Europe, 1500-1700. Teaching and Texts at Schools and Universities,
Aldershot-Brookfield/Vermont-Singapour-Sydney, 1999, no V, p. 213-253 (ici p. 246, no 6). Sur
l’édition révisée par Nicolas de Grouchy, voir R.-A. Gauthier, L’Éthique à Nicomaque, op. cit.,
I-1, p. 175-176 ; C. H. Lohr, Latin Aristotle Commentaries, op. cit., II, p. 175.
174. Pour le détail, voir Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., p. 767
(Table des auteurs et des œuvres). L’un des trois volumes mentionnés dans le registre de prêt
provient du legs d’Étienne d’Abbeville. Voir supra n. 61. Un exemplaire supplémentaire était
enchaîné dans la bibliothèque commune. Voir infra n. suivante.
175. Voir supra p. 135 et n. 44. L’expression cum aliis désignerait le Phédon de Platon (f. 95r-162v)
et la Dialectica Alexandri (f. 163r-226v) qui composent la seconde partie du ms. Paris, BNF,
lat. 16581.
176. Sur les traductions françaises de l’Éthique à Nicomaque, voir R.-A. Gauthier, L’Éthique à
Nicomaque, op. cit., I-1, p. 137-138 et 179.
177. Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 4204, f. 1r : Glosae Lyrani, ord. & interl. in Biblia, cum qui-
busdam peculiaribus interpretibus in Pentateuchum. […] 20 Postillae in Genesim, cum Ethicis Aristotel.
178. Ibid., f. 8r : Chrysostomus, & alii permulti doctores tum Graeci tum Latini. […] 45 Hugonis [ ?] dogma
moralium philosophorum […], et f. 11r : Glose ord. interl. Lyrani, cum plerisque aliis doctoribus. […] 51
Epistole Petri Blesensis, moralium dogma philosophorum.
179. Ibid., f. 16r : Scholastici doctores. […] 57 Martinus Magister de temperantia & fortitudine, et f. 17r,
no 55. Sur Martin Lemaître et ses œuvres, voir T. Sullivan, Parisian Licentiates in Theology, A.D.
1373-1500, op. cit., II, p. 342-345.

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166 Lire l’archive

Almain († 1515)180. Avec ce dernier, c’est l’un des principaux représentants du


cercle de Jean Mair (John Maior) qui entrait dans la bibliothèque du collège
de Sorbonne. En matière d’éthique, il était sensible à l’héritage ockhamiste et
nominaliste, en particulier à Jean Buridan et Martin Lemaître181.
Enfin, dans la marge supérieure du feuillet dévolu aux Philosophi libri,
Morales, Metaphysici, Naturales, l’usager principal du catalogue de la biblio-
thèque commune note au milieu du xvie siècle l’ajout d’un exemplaire du
Moralium dogma philosophorum auquel était associée une des nombreuses
œuvres historiographiques de Michele Riccio (1445-1515)182. Il y a tout lieu de
subodorer un livre imprimé. Dans ce cas, il s’agit du Moralium dogma emenda-
tum de Barthélemy de Recanati (entre 1208 et 1229)183.

L’archive dévoilée
Tirons quelques conclusions des pages qui précèdent. Elles concernent
pour l’essentiel la contribution de l’histoire du livre et des bibliothèques à
l’histoire intellectuelle. Au sujet des listes des articles condamnés, auxquelles
nous avons consacré notre thèse, nous observions que les bibliothèques et
leurs catalogues étaient absents des débats184. Le sort qui leur fut réservé dans
certains dossiers évoqués au cours de nos investigations paraît plus enviable.
Ainsi Zénon Kaluza puisa-t-il aux ressources du registre de prêt du col-
lège de Sorbonne pour apprécier parmi d’autres la transmission matérielle

180. Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 4204, f. 16r : Scholastici doctores. […] 34 Opuscula Almain,
in sententias, moralia, de potestate Ecclesiastica. 35 Moralia eiusdem [Almain ; …]. L’édition princeps
des Opuscula et des Moralia datent respectivement de 1512 (Paris, Gilles de Gourmont) et de
1510 (Paris, Henri Estienne). Sur Jacques Almain et ses œuvres, en part. les Moralia, voir
A. Renaudet, Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d’Italie (1494-1517), 2e éd.
revue et corrigée, Paris, 1953, en part. p. 592 et n. 6 et p. 656 et n. 2 ; J. K. Farge, Biographical
Register of Paris Doctors of Theology, op. cit., no 10, p. 15-18. Selon ce dernier, les Moralia de Jacques
Almain aurait été a standard text à la factulté des arts au lendemain de son décès prématuré. Voir
ibid., p. 16.
181. D. A. Di Liscia, « Kalkulierte Ethik : Vives und die “Zerstörer” der Moralphilosophie
(Le Maistre, Cranston und Almain) », dans Ethik-Wissenschaft oder Lebenskunst? Modelle der
Normenbegründung von der Antike bis zur Frühen Neuzeit, S. Ebbersmeyer et E. Kessler, éd.,
Berlin, 2007, p. 75-105 (ici p. 92-97).
182. Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 4204, f. 24r : Accessio […] 1 Dogma moralium philosopho-
rum cum michaele ritio de regibus. Ces annotations sont propres à l’exemplaire de la Bibliothèque
Mazarine.
183. Sur les éditions du Moralium dogma philosophorum, voir R.-A. Gauthier, « Les deux recen-
sions du Moralium dogma philosophorum », art. cité, p. 177 et 181.
184. G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit., p. 21.

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Gilbert Fournier 167

et intellectuelle de l’albertisme et de la philosophie morale d’Aristote 185.


Cette dernière contribution a constitué le point de départ de notre propre
enquête sur la diffusion des commentaires sur l’Éthique à Nicomaque dans la
bibliothèque commune du collège de Sorbonne à la fin du Moyen Âge et à la
Renaissance. Elle ne permet pas seulement de noter la présence ou l’absence
de certains d’entre eux ; elle dévoile l’archive (au sens foucaldien du terme)
qui régit leur apparition et leur maintien dans la bibliothèque de présence et
de référence du collège.

La présence de l’Éthique à Nicomaque


La bibliothèque et les sources qui en émanent attestent au même titre
qu’un manuscrit du retentissement d’un texte, de sa survivance et de ses
usages éventuels. Sous cet angle, l’histoire des manuscrits au sein du col-
lège de Sorbonne et l’enchaînement de certains d’entre eux dans la biblio-
thèque commune sont riches d’enseignements. Ils permettent d’identifier les
commentaires qui avaient les faveurs de la communauté et de proposer une
chronologie, aussi lâche soit-elle, de leur versement dans la bibliothèque de
l’institution. D’emblée ou presque, la bibliothèque commune conservait la
traduction gréco-latine de Robert Grosseteste et les commentaires d’Eustrate
de Nicée et de Thomas d’Aquin. Dans la première moitié du xive siècle, une
table consacrée à l’Éthique et à la Politique les y aurait rejoints. Plus tard dans le
siècle, la bibliothèque s’accrut des commentaires de l’Anonyme du manuscrit
Paris, BNF, lat. 16110 et d’une Tabula ethicorum. Au plus tard au cours du pre-
mier quart du xve siècle, elle s’enrichit enfin du commentaire de Guiral Ot et,
à une date indéterminée, du commentaire de Jean Buridan. Le catalogue de
bibliothèque du milieu du xvie siècle sanctionne la pérennité de ses commen-
taires, présents le plus souvent en plusieurs exemplaires, et ajoute celui que,
à la suite de Zénon Kaluza, on attribue au sociétaire Jean Dumont, le Textus
Ethicorum. Enfin, le catalogue décline son lot de traductions latines nouvelles,
en l’occurrence celles procurées successivement par Leonardo Bruni, Jean
Argyropoulos et enfin Joachim Périon.
L’attention accordée à la philosophie morale dans la bibliothèque com-
mune du collège de Sorbonne à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance

185. Z. Kaluza, « Les débuts de l’albertisme tardif », art. cité, p. 214-216 et 246-293 (Appendice
2 : « Thomas d’Aquin et Albert le Grand lus par les théologiens de Sorbonne au xve siècle) ; Id.,
« Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », en part. p. 156-160.

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168 Lire l’archive

témoigne d’un effort soutenu d’actualisation de ses autorités. Il confirme à


sa manière la place prépondérante de l’éthique dans le curriculum parisien186.

L’absent de l’histoire : Albert le Grand


Pour le chercheur, « le manque est [toutefois] aussi significatif que la profu-
sion187 ». La bibliothèque commune du collège de Sorbonne atteste ainsi l’in-
fluence négligeable du Commentaire moyen ou Paraphrase de l’Éthique à Nicomaque
d’Averroès, traduit en latin à Tolède en 1240 par Hermann l’Allemand188. Elle
témoigne plus encore de l’éclipse précoce des deux commentaires d’Albert
le Grand, dont il était question dans l’introduction189. Un seul manuscrit de
l’Ethica, le premier commentaire du Colonais (1248-1252), a transité par l’éta-
blissement : il s’agit du manuscrit Paris, BNF, lat. 16608, f. 3r-267r (xve s.)190.
Hormis les cotes de l’époque moderne, il est dénué de mentions « hors la

186. D. A. Lines, « Moral Philosophy in the Universities of Medieval and Renaissance Europe »,
art. cité, p. 42-43 et 64 ; L. Bianchi, « Renaissance Readings of the Nicomachean Ethics », art.
cité, p. 141.
187. F. Hildesheimer, « Une archivistique des manques ? », Bibliothèque de l’École des chartes,
138, 1980, p. 231-235 (cit. p. 235).
188. J. B. Korolec, « Le commentaire d’Averroès sur l’Éthique à Nicomaque », Bulletin de philo-
sophie médiévale, 27, 1985, p. 104-107 (qui réévalue l’importance du commentaire d’Averroès).
Plus des deux tiers des 10 mss proviennent d’Italie. Voir D. A. Lines, « Sources and Authorities
for Moral Philosophy in the Italian Renaissance », art. cité, p. 16. Le manuscrit Vatican, BAV,
Borghese 57, f. 1-55 (xiiie s.) a été acquis à Paris par Pierre Roger, le futur pape Clément VI,
lors des années passées à la faculté des arts, en 1312. Voir A. Maier, Codices Burghesiani
Bibliothecae Vaticanae, Cité du Vatican, 1952, p. 75-76. Ultérieurement, la bibliothèque de Pierre
Roger s’enrichit de tables anonymes et de Jean Bernier de Fayt (Vatican, BAV, Borghese 247,
f. 209v-217r et catalogue de la bibliothèque de Peñiscola) et du commentaire sur l’Éthique de
Gauthier Burley (Vatican, BAV, Borghese, 129). Sur la bibliothèque de Pierre Roger, voir Ead.,
« Der literarische Nachlass des Petrus Rogerii (Clemens VI.) in der Borghesiana » [1948], dans
Ead., Ausgehendes Mittelalter. Gesammelte Aufsätze zur Geistesgeschichte des 14. Jahrhundert, II, Rome,
1967, p. 255-315 ; É. Anheim, « La bibliothèque personnelle de Pierre Roger/Clément VI »,
dans La vie culturelle, intellectuelle et scientifique à la cour d’Avignon, J. Hamesse, éd., Turnhout, 2006,
p. 1-48 ; J. Hamesse, « Les instruments de travail utilisés par Jean XXII et Clément VI, témoins
de leurs intérêts scientifiques », dans Per perscrutationem philosophicam. Neue Perspektiven der mit-
telalterlichen Forschung. Loris Sturlese zum 60. Geburtstag gewidmet, A. Beccarisi, R. Imbach et
P. Porro, éd., Hambourg, 2008, p. 333-347 (ici p. 341-343) ; É. Anheim, Clément VI au travail.
Lire, écrire, prêcher au xive siècle, Paris, 2014, p. 89-109 (ici p. 90, 93 et 108).
189. Voir supra p. 127-128.
190. Sur la tradition manuscrite de l’Ethica d’Albert le Grand, en particulier le ms. Paris, BNF,
lat. 16608, voir C. H. Lohr, « Medieval Latin Aristotle Commentaries », Traditio, 23, 1967,
p. 313-413 (ici nos 29-31, p. 344-345) ; W. Fauser, Die Werke des Albertus Magnus in ihrer hand-
schriftlichen Überlieferung, I, Münster, 1982, no 33, p. 174-180 et 477 (Nachtrag) ; W. Senko,
Repertorium, II, p. 70.

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Gilbert Fournier 169

teneur ». Les anciennes gardes des plats supérieur et inférieur portent des
traces d’enchaînement. Ce qui ne dit encore rien de l’époque où cette opéra-
tion est intervenue et du dépôt qui l’accueillit. En conséquence, aucun élément
objectif ne permet d’affecter le manuscrit Paris, BNF, lat. 16608 à la biblio-
thèque commune. Le manuscrit Paris, BNF, lat. 15791 (xiiie s.), qui provient
du legs de Godefroid de Fontaines et qui fut enchaîné au vingt-cinquième
pupitre de la bibliothèque commune au début du second quart du xive siècle,
contient deux modestes extraits de l’Ethica dans les marges inférieures des
feuillets 80v et 89v191. Sa contribution à la réception du commentaire alberti-
nien est pour ainsi dire insignifiante.
L’un d’entre eux a été emprunté à une seule reprise, entre 1427 et 1445,
par un dénommé magister Bernardus192. Le manuscrit était conservé dans la
parva libraria. Ces faits corroborent le constat formulé par Zénon Kaluza : au
xve siècle, les ouvrages d’Albert le Grand sont fort peu empruntés, sinon fort
peu lus, au collège de Sorbonne193.
Le commentaire sur l’Éthique de Louis Ber ignore pareillement les commen-
taires albertiniens. Or le sociétaire du collège de Sorbonne était sensible à
l’Expositio super libros Ethicorum de Gauthier Burley. Ce dernier peut être consi-
déré comme un puissant vecteur de la pensée albertinienne. Albert de Saxe
et Donato Acciaiuoli parmi d’autres prennent connaissance de l’Ethica par le
truchement de l’Expositio194. Louis Ber n’est pas en reste : il ponctue volontiers

191. W. Fauser, « Albertus-Magnus-Handschriften. 3. Fortsetzung », Bulletin de philosophie


médiévale, 26, 1984, p. 127-151 (ici no 33, p. 142-143). Inventaire sommaire (1321-1338) :
Vigesimi quinti scamni. ac. […] Prima pars secunde partis fratris Thome. Questiones eiusdem de potencia
Dei (Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 243b ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 78a). Répertoire méthodique
(1321-1338) : AC.k Prima pars secunde partis. Quia sicut dicit Damascenus. […] AC.k Questiones eiusdem
de potencia Dei. Incipit. Questio est de potencia Dei et primo queritur (Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 345 ;
L. Delisle, Cabinet, III, p. 111b). Catalogue (1338) : 24. Summe questionum, 66. Carthenatus
(Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 80a ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 31b). Sur le ms. Paris, BNF, lat. 15791,
voir H. V. Shooner, Codices manuscripti operum Thomae de Aquino, op. cit., III, no 2395, p. 287.
Le ms. Paris, BNF, lat. 16583 (fin xiiie s.), qui provient pareillement du legs de Godefroid de
Fontaines, produit d’autres extraits de l’Ethica au f. 1v. Voir W. Fauser, Die Werke des Albertus
Magnus in ihrer handschriftlichen Überlieferung, I, p. 477 (Nachtrag). Il était cependant conservé
dans la « petite » bibliothèque : Inter libros morales Aristotilis XIIus (Paris, BNF, lat. 16583, f. 214v).
Catalogue (1338) : Paris, BNF, n. a. l. 99, p. 191b ; L. Delisle, Cabinet, III, p. 60b.
192. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 88, 14, p. 340 ; et Z. Kaluza,
« Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 158 et n. 27. Ce ms. ne corres-
pond pas au ms. Paris, BNF, lat. 16608.
193. Z. Kaluza, « Les débuts de l’albertisme tardif », art. cité, p. 215-216 et 292.
194. G. Heidingsfelder, Albert von Sachsen. Sein Lebensgang und sein Kommentar zur
Nikamachischen Ethik des Aristoteles, 2 e éd., Münster, 1927, p. 91 et 95 ; L. Bianchi, « Un

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170 Lire l’archive

d’un Albertus les nombreuses citations nommément attribuées au Colonais


dans les marges de son exemplaire imprimé du commentaire de Gauthier
Burley195. Il n’empêche qu’Albert le Grand est absent de son commentaire sur
l’Éthique. Enfin les commentaires d’Albert le Grand ne figurent pas davantage
dans le catalogue du milieu du xvie siècle.
Soyons clair. Il ne s’agit nullement de nier la diffusion universitaire des
deux commentaires albertiniens : la tradition196 et la Tabula moralium Aristotelis
de Jean Bernier de Fayt197 parmi d’autres en attestent. Tout au plus s’agit-il
d’apprécier leur audience effective dans un milieu donné. À l’inverse d’autres
foyers néo-albertistes198, les commentaires d’Albert le Grand n’ont manifes-
tement pas profité du triomphe du réalisme à Paris. Au vu des listes de taxa-
tions, ils auraient été supplantés précocément par la Sententia libri Ethicorum de
Thomas d’Aquin199. Il en va de même au collège de Sorbonne200. L’emprunt
simultané du Textus Aristotelis et du commentaire de l’Aquinate est une

commento “umanistico” ad Aristotele. L’Expositio super libros Ethicorum di Donato Acciaiuoli »,


Rinascimento, seconde série 30, 1990, p. 29-55 (ici p. 44 n. 42 et p. 45-46).
195. Expositio Gualteri Burlei super decem Libros Ethicorum Aristotelis, Venise, Simone da Lovere pour
Andrea Torresani de Asula, 4 septembre 1500 (Colmar, BM, G 787), f. 1va, 3ra, 4va, 7ra, 12ra,
20va, 29vb, etc.
196. Sur la tradition du Super Ethica d’Albert le Grand (vers 1262), voir J. Müller, Natürliche
Moral und philosophische Ethik bei Albertus Magnus, op. cit., p. 318-321 (qui note en particulier l’an-
crage universitaire de deux des trois groupes de filiation).
197. Voir supra p. 142.
198. Sur la corrélation entre le néo-albertisme et la tradition des œuvres d’Albert le Grand, en
particulier ses commentaires sur l’Éthique, voir B. Geyer, « Die handschriftliche Verbreitung
der Werke Alberts des Grossen als Maßstab seines Einflusses », dans Studia mediaevalia. In
honorem admodum Reverendi Patris Raymundi Josephi Martin, Bruges, s. d., p. 221-228 (ici p. 227) ;
O. Grönemann, « Das Werk Alberts des Grossen und die Kölner Ausgabe der Opera Omnia »,
Recherches de théologie ancienne et médiévale, 59, 1992, p. 125-154 (ici p. 144-145). Plusieurs indices
attestent par exemple l’emploi des commentaires albertiniens à l’université de Cologne au
xve siècle. Voir M. J. F. M. Hoenen, « Heymeric van de Velde († 1460) und die Geschichte des
Albertismus : Auf der Suche nach den Quellen der albertistischen Intellektlehre des Tractatus
problematicus », dans Albertus Magnus und der Albertismus, op. cit., p. 303-331 (ici p. 309-310) ;
J. Müller, Natürliche Moral…, op. cit., p. 318 et n. 40. Sur le recouvrement plus ou moins parfait
du réalisme, de la via antiqua et du néo-albertisme, voir Z. Kaluza, « Les débuts de l’albertisme
tardif », art. cité, p. 207-208.
199. Seules les Sententia et Tabula Ethicorum de Thomas d’Aquin figurent parmi les livres de philoso-
phie dans la liste de taxations d’André de Sens (1304). Voir CUP, II, no 642, p. 107-112 (ici p. 110) ;
G. Murano, Opere diffuse per exemplar e pecia, op. cit., no XLI, p. 120-126 (ici nos 118-119, p. 125).
200. Pour les exemplaires de la Sententia de Thomas d’Aquin conservés dans le catalogue de
1338, voir supra n. 58. Pour ceux enchaînés dans la bibliothèque commune, voir infra Annexe
tableau 7.

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Gilbert Fournier 171

constante du registre de prêt201. Ici comme ailleurs, il constitue the standard


interpretation de la lettre aristotélicienne202. Ces faits tempèrent l’enthousiasme
de Martin Grabmann203 et de René-Antoine Gauthier pour qui les commen-
taires « de saint Albert firent de lui le rival d’Eustrate et des commentateurs
grecs traduits par Robert Grosseteste : après eux, c’est lui dont le nom est le
plus souvent cité par les exégètes médiévaux de l’Éthique, et dont l’autorité est
la plus grande204 ». La « canonicité incontournable » de l’Ethica et la « fasci-
nation durable » des commentaires aristotéliciens d’Albert le Grand, comme
il a été écrit dernièrement, exigent donc pour le moins d’être pondérées, en
particulier à Paris205.
Les théories éthiques d’Albert le Grand semblent du reste avoir déserté le
débat doctrinal à Paris dès le début du xive siècle206. Dans les deux dernières
décennies du xiiie siècle, la famille des commentaires sur l’Éthique issus de la

201. Voir à titre d’exemples les listes d’emprunts de Jean Germain : Le registre de prêt de la biblio-
thèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 68, 5, p. 291 (12 juillet 1424) et 15, p. 292 (24 avril 1425)
pour le Textus Aristotelis (il s’agit de deux exemplaires distincts) et 14, p. 292 (13 avril 1425) pour
le commentaire thomasien, et d’Alard Palenc : ibid., no 77, 48, p. 315 (7 mai 1432) pour le Textus
Aristotelis et 6, p. 312 (24 octore 1428) et 35, p. 314 (7 octobre 1431) pour le commentaire tho-
masien (il s’agit de deux exemplaires distincts, voir supra n. 131). Il n’est pas rare que l’Éthique
et le commentaire de Thomas d’Aquin soient empruntés le même jour. Voir ibid., no 91, 8-9,
p. 351, et 20-21, p. 352 (respectivement les 18 août et 26 décembre 1441 pour Ursin Thibout ;
il s’agit les deux fois d’exemplaires distincts) et no 120, 43-44, p. 456 (13 décembre 1473 pour
Jacques Bacler).
202. D. A. Lines, « Sources and Authorities for Moral Philosophy in the Italian Renaissance »,
art. cité, p. 21.
203. M. Grabmann, Forschungen über die lateinischen Aristoteles-Übersetzungen des XIII. Jahrhunderts,
p. 251 (Ergänzungen und Berichtigungen) ; Id., Der lateinische Averroismus des 13. Jahrhunderts
und seine Stellung zur christlichen Weltanschauung. Mitteilungen aus ungedruckten Ethikkommentaren,
Munich, 1931, p. 68. G. Heidingsfelder, Albert von Sachsen, op. cit., p. 98, renvoie explicite-
ment à M. Grabmann.
204. R.-A. Gauthier, L’Éthique à Nicomaque, op. cit., I-1, p. 122-124 (cit. p. 124).
205. B. Sère, Penser l’amitié au Moyen Âge, op. cit., p. 49 (où il est question d’Albert le Grand
et de Thomas d’Aquin) et 60 (cit.) ; M. Dreyer, « Die Aristoteles-Rezeption und die Ethik-
Konzeption Alberts des Großen », p. 307 (cit.). D. A. Lines, Aristotle’s Ethics in the Italian
Renaissance, op. cit., p. 164 surestime pareillement la fortune des deux commentaires alberti-
niens en Italie. Aucun n’égale celle du commentaire de Guiral Ot, par exemple, dont l’impor-
tance est pourtant qualifiée de moyenne (middling importance). Voir ibid., p. 165. Pour une appré-
ciation de l’influence contrastée des commentaires sur l’Éthique d’Albert le Grand et de Thomas
d’Aquin en Italie à la fin du Moyen Âge, voir L. Cova, « Felicità e beatitudine nella Sententia Libri
Ethicorum di Guido Vernani da Rimini », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, 17,
2006, p. 363-404 (en part. p. 379 n. 57).
206. I. Costa, « Il problema dell’omonimia del bene nell’esegesi dell’Etica Nicomachea ( 1300-
1345 ca.) », art. cité, p. 454-455.

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172 Lire l’archive

faculté des arts et censément leur « archétype » commun comptent au nombre


de leurs sources principales la Secunda pars de la Somme de théologie et la Sententia
libri Ethicorum de Thomas d’Aquin207. Selon Iacopo Costa, l’un des enjeux
de ces commentaires aurait précisément consisté à « se servir de la Somme
[et du commentaire] de Thomas pour expliquer Aristote » en procédant à
une « dé-théologisation » du texte thomasien. De fait, sous la plume de leur
auteur le plus souvent anonyme, l’Aquinate est considéré comme l’expositor de
l’Éthique208. Au début du xive siècle, le processus d’intégration du texte d’Aris-
tote à la théologie morale portée à son sommet dans la Secunda pars de la Somme
de théologie de Thomas d’Aquin reprendrait son cours209. Il serait notamment à
l’œuvre dans les commentaires de Raoul le Breton, Gui Terrena et Guiral Ot.
Au milieu du xve siècle, dans le commentaire sur l’Éthique de Jean Le Tourneur
(Johannes Versor ; † après 1482), Albert n’apparaît qu’occasionnellement, et
les références à Thomas dominent comme il sied à un partisan de l’« aristoté-
lisme chrétien210 ». Les commentaires d’Albert de Saxe et de Donato Acciaiuoli
suivent aussi volontiers les doctrines éthiques de l’Aquinate211. L’« aristoté-
lisme éthique » ou « intellectualiste » albertinien aurait cependant perduré
dans les productions d’une « pléiade d’auteurs d’options diverses, voire

207. Id., « L’Éthique à Nicomaque à la faculté des Arts de Paris avant et après 1277 », Archives
d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 79, 2012, p. 71-114 (ici p. 79-80, 86-92 et 102-104).
L’auteur reprend diverses hypothèses énoncées par R.-A. Gauthier, « Trois commentaires
“averroïstes” sur l’Éthique à Nicomaque », ibid., 22-23, 1947-1948, p. 187-336 (en part. p. 334
et n. 2 au sujet de la postérité de Thomas d’Aquin), qui adopte une position plus équilibrée au
sujet des héritages d’Albert et de Thomas, sinon promeut la primauté de celui d’Albert, sur la
« famille des Commentaires “averroïstes” sur l’Éthique à Nicomaque ».
208. Ibid., p. 273 n. 1 (à propos des Questiones supra decem libros Ethicorum de Gilles d’Orléans).
209. I. Costa, « Le théologien et l’Éthique à Nicomaque. Sur les usages théologiques de la
morale aristotélicienne au xive siècle », Médiévales, 63, 2012, p. 75-89. Cette contribution ne
nous convainc pas tout à fait, en raison notamment de la labilité des notions de « théologie » et
« théologiens », de leur adéquation plus ou moins nette avec l’œuvre de Thomas d’Aquin et en
définitive de la proximité de certains de ces commentaires avec l’Ethica d’Albert le Grand. Pour
ce dernier point, voir ibid., p. 79 (à propos de la seconde rédaction du commentaire de Raoul le
Breton) et 84 (à propos de Gui Terrena).
210. S.-T. Bonino, « Le thomisme parisien au xve siècle », Revue thomiste, 107, 2007, p. 625-
653 (en part. p. 637-638), et infra p. 178-179. Ailleurs Jean Le Tourneur adopte des positions
albertiniennes. Voir E. P. Bos, « John Versor’s Albertism in his Commentaries on Porphyry and
the Categories », dans Chemins de la pensée médiévale, op. cit., p. 47-78. Pour une synthèse de l’in-
fluence intellectuelle des théories éthiques d’Albert le Grand, voir J. Müller, Natürliche Moral
und philosophische Ethik bei Albertus Magnus, op. cit., p. 378-392.
211. G. Heidingsfelder, Albert von Sachsen, op. cit., p. 95-98 ; R. Saarinen, « Weakness of
Will in the Renaissance and the Reformation », dans Das Problem der Willensschwäche in der mitte-
lalterlichen Philosophie, T. Hoffmann, J. Müller et M. Perkams, éd., Louvain-Paris-Dudley,
2006, p. 331-353 (ici p. 334-336).

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Gilbert Fournier 173

inconciliables, où les maîtres ès arts comme Jean de Dacie, Raoul le Breton,


Jacques de Pistoia ou Jean Buridan côtoient des philosophes non profession-
nels comme Dante ou des théologiens, qui plus est thomistes, comme Pierre
d’Auvergne212 ». Ils n’ont pas tous commenté l’Éthique à Nicomaque, loin s’en
faut. L’influence des théories éthiques d’Albert le Grand aurait donc été plus
diffuse et plus diverse. Quoi qu’il en soit, ces quelques indices confortent le
caractère structurant de l’opposition Albert-Thomas pour une partie de la vie
intellectuelle à l’automne du Moyen Âge213.

Le réalisme parisien et la survivance des moderni


Bien que la faculté des arts vouât un véritable culte à Aristote, c’est pour
l’essentiel au travers des commentaires des moderni, entendez principalement
Jean Buridan et ses disciples, qu’on le lit dans la seconde moitié du xive siècle.
La fortune des œuvres de Jean Buridan s’accrut en effet considérablement au
cours du dernier tiers du siècle 214. L’engouement avec lequel on copia les
commentaires aristotéliciens des moderni à cette époque à Paris, en particu-
lier sous le mandat du maître Gilles d’Aspremont (1381-1401) au collège de
Dormans-Beauvais, constitue un indice supplémentaire de ce phénomène215.
Le témoignage issu du Commentum aureum de Jean de Maisonneuve (peu après
1405) achève de nous convaincre. Il évoque explicitement les novi libri que les
modernes auraient substitué à la lettre aristotélicienne, et leur utilisation à la
faculté des arts :
Et pour cette raison aussi ils [les modernes] […] affirment que le texte d’Aristote
dans les Seconds Analytiques, les Réfutations sophistiques et dans de nombreux autres
endroits est absolument faux tel qu’il sonne […]. C’est pourquoi ils ont, en cette
matière, fabriqué de nouveaux livres, tout au moins des maîtres parisiens qui

212. A. de Libera, « Averroïsme éthique et philosophie mystique. De la félicité intellec-


tuelle à la vie bienheureuse », dans Filosofia e teologia nel Trecento. Studi in ricordo di Eugenio Randi,
Louvain-la-Neuve, 1994, p. 33-56 (ici p. 33-43 ; cit. p. 36) ; Id., Raison et foi, op. cit., p. 319-328
(cit. p. 323). Le scénario a évolué entre les deux contributions, en particulier le rôle de l’Ethica
s’efface quelque peu devant celui du De intellectu et intelligibili, et le « CQR albertinien qui a pro-
duit des effets de continuités surprenants » prend le pas sur l’« albertisme comme tel ».
213. Id., Métaphysique et noétique, op. cit., p. 52.
214. Sur la réception des œuvres et des théories de Jean Buridan à Paris, voir B. Michael,
Johannes Buridan, op. cit., p. 321-330.
215. Sur la copie de commentaires aristotéliciens au collège de Dormans-Beauvais dans la
dernière décennie du xive siècle, voir É. Pellegrin, « La bibliothèque de l’ancien collège de
Dormans-Beauvais », art. cité, p. 25-29, 33 et 34-35 ; B. Michael, Johannes Buridan, op. cit.,
p. 321-330 ; T. Kouamé, Le collège de Dormans-Beauvais à la fin du Moyen Âge. Stratégies poli-
tiques et parcours individuels à l’université de Paris (1370-1458), Leyde-Boston, 2005, p. 277 sq.

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174 Lire l’archive

n’ont aucun égard au fait que l’Église catholique avait approuvé la doctrine
d’Aristote. En effet, nul étudiant ne pouvait obtenir un grade universitaire à la
faculté des arts, sinon en jurant d’avoir assisté aux cours sur ces livres, encore
que, évidemment, il ne contredisait pas Aristote, pour autant qu’Aristote ne soit
pas incompatible avec la foi. Car, assurément, si ses paroles sont convenable-
ment examinées, il n’est alors aucunement contraire à la foi […]216.
Parmi les propositions énoncées par Jean de Maisonneuve, l’interprétation
erronée des textes d’Aristote, l’affranchissement à l’égard des autorités et la
violation des règlements universitaires ou ecclésiastiques alimenteront long-
temps encore l’argumentaire des réalistes217.
Le texte et la carrière de Jean de Maisonneuve témoignent aussi, et peut-être
surtout, de la mutation dont la faculté des arts est le théâtre au tournant du
xve siècle, en d’autres termes le déclin de l’école buridaniste et le triomphe
imminent du courant réaliste 218. Rénovateur de l’albertisme et chef de file
des modistes à Paris, Jean de Maisonneuve professa en effet dans la rue de
Fouarre à partir de 1395-1397. Parmi ses continuateurs, on ne compte guère
que Lambertus de Monte, étudiant en théologie et sociétaire du collège de
Sorbonne219. Quelques faits viennent corroborer cette appréciation : les
sources émanées de l’université de Cologne220, la désaffection des derniers

216. Le témoignage du Commentum aureum de Jean de Maisonneuve (peu après 1405), rénovateur
de l’albertisme et chef de file des modistes à Paris, est reproduit et commenté dans Z. Kaluza,
Les querelles doctrinales à Paris. Nominalistes et réalistes aux confins du xive et du xve siècles, Bergame,
1988, p. 99-105 (texte latin p. 116 n. 47 ; trad. fr. p. 99) ; Id., « Les débuts de l’albertisme tar-
dif », art. cité, p. 210 sq. et 232 n. 14 (quelque peu plus nuancé). Sur la datation du Commentum
aureum, voir Id., Les querelles…, op. cit., p. 91 et 111 n. 17. Selon L. Bianchi, l’allusion au statut
édicté le 5 juin 1366 par Urbain V serait à peine voilée dans le passage cité. Voir Id., Censure et
liberté intellectuelle, op. cit., p. 162 et 310 n. 129.
217. Voir M. J. F. M. Hoenen, « “Secundum vocem concordare, sensu tamen discrepare”. Der
Streit um die Deutung des Aristoteles an der Universität Ingolstadt im späten 15. und frühen
16. Jahrhundert », dans Politischer Aristotelismus und Religion in Mittelalter und Früher Neuzeit,
A. Fidora, J. Fried, M. Lutz-Bachmann et L. Schorn-Schütte, éd., Berlin, 2007,
p. 67-87.
218. Z. Kaluza, Les querelles doctrinales à Paris, op. cit., p. 100 ; Id., « Les débuts de l’albertisme
tardif », art. cité, en part. p. 207, 211 et 214.
219. M. Meliadò et S. Negri, « Neues zum Pariser Albertismus des frühen 15. Jahrhundert.
Der Magister Lambertus de Monte und die Handschrift Brussel, Koninklijke Bibliotheek, ms.
760 », Bulletin de philosophie médiévale, 53, 2011, p. 349-384 (ici p. 354-359). Les annotations
apposées dans les marges de son commentaire des Sentences après 1423 circonscriraient « d’une
certaine manière les frontières d’une tradition académique », une « tradition albertiste propre à
l’université de Paris ». Voir ibid., respectivement p. 372 (nous soulignons) et 366.
220. Pour le détail, voir Z. Kaluza, « Les étapes d’une controverse. Les nominalistes et les réa-
listes parisiens de 1339 à 1482 », dans La controverse religieuse et ses formes, A. Le Boulluec, éd.,

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Gilbert Fournier 175

disciples de Jean Buridan à l’université de Paris à l’aube du xve siècle 221 et


enfin les manuscrits. Rares sont ceux contenant des œuvres de Jean Buridan
postérieurs à 1410 222. S’agissant des Quaestiones in Aristotelis Ethicam, il n’en est
même aucun à notre connaissance 223. En 1400, le chancelier florentin Coluccio
Salutati dit éprouver des difficultés à en acquérir un exemplaire, en particulier
à Paris224. « Le “siècle de Buridan” des commentaires d’Aristote était momen-
tanément sur le déclin », comme l’observe Bernd Michael 225. Ils alimenteront
dorénavant les débats qui ont cours dans les universités du Saint-Empire,
où l’usage de la liste des questions du commentaire buridanien sur l’Éthique
conduisit à évincer peu ou prou la lettre aristotélicienne 226. L’histoire de la
philosophie morale d’Aristote se répétait en quelque sorte… sous d’autres

Paris, 1985, p. 297-317 (ici p. 306-307 et n. 19-20). Il s’agit respectivement du protocole d’une
réunion du 1er octobre 1414 et de la réponse de l’université au prince électeur de 1425.
221. Pour le détail, voir Z. Kaluza, « Le De universali reali de Jean de Maisonneuve et les epicuri lit-
terales », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie, 33, 1986, p. 469-516 (ici p. 494 et n. 56).
Il n’est pas à exclure que l’un d’entre eux, en l’occurrence Jean Dorp, qui a quitté la capitale en
1403, ait été visé dans la critique du nominalisme formulée dans le De universali reali, dont la
rédaction se situe entre 1406 et 1418. Voir ibid., p. 506.
222. B. Michael, Johannes Buridan, op. cit., p. 328 et n. 130.
223. Sur la foi d’indications explicites, 5 témoins des Quaestiones in libros Ethicorum de Jean
Buridan proviennent ou ont transité par Paris. Outre les 2 témoins légués au collège de
Sorbonne (Paris, BNF, lat. 16128 et 16129, voir supra p. 148-150), il s’agit des mss Chartres, BM,
283 (1381 et 1389), Paris, Bibliothèque Mazarine, 3515 (1385) et Reims, BM, 889 (fin xive s.).
Faute de place, nous renonçons à détailler leur description. Voir B. Michael, Johannes Buridan,
op. cit., respectivement p. 834-835, 847-848 et 852-853. Aucun n’est postérieur au tournant
du xve siècle. L’affirmation selon laquelle le manuscrit Paris, BNF, lat. 17831 (xive s.) serait
attesté au collège de Navarre dans les années 1380 est infondée. Voir J.-B. Korolec, « Le com-
mentaire de Jean Buridan sur l’Éthique à Nicomaque et l’université de Cracovie dans la première
moitié du xve siècle », Organon, 10, 1974, p. 187-208 (ici p. 191 et n. 43) ; B. Michael, Johannes
Buridan, op. cit., p. 326-327 et n. 124, 825 et 856. Exempt de mentions « hors la teneur », son
origine et son histoire sont tout bonnement inconnues.
224. L. Bianchi, « Un commento “umanistico” ad Aristotele », art. cité, p. 53 ; D. A. Lines,
Aristotle’s Ethics in the Italian Renaissance, op. cit., p. 166 et n. 51 ; Id., « Sources and Authorities
for Moral Philosophy in the Italian Renaissance », art. cité, p. 17. Dans une lettre adressée au
professeur siennois et commentateur de l’Éthique, Francesco Casini, datée de 1404, Coluccio
Salutati compte Jean Buridan au nombre des principaux commentateurs de la philosophie
morale du Stagirite, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il était entré en possession
d’un exemplaire de son commentaire. Voir L. Bianchi, « Un commento “umanistico” ad
Aristotele… », art. cité, p. 53-54 ; D. A. Lines, Aristotle’s Ethics…, op. cit., p. 111 et n. 1. Sur le
commentaire de l’Éthique de Francesco Casini (v. 1340-v. 1410), qui est aujourd’hui perdu, voir
ibid., en part. no 24, p. 482.
225. B. Michael, Johannes Buridan, op. cit., p. 328.
226. Dans une littérature abondante, voir S. Müller, « Wiener Ethikkommentare des 15.
Jahrhunderts », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, 17, 2006, p. 445-467 (en part.

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176 Lire l’archive

cieux, en d’autres temps. Cela se traduit concrètement par l’attestation de


quatre exemplaires des Quaestiones dans le catalogue de la bibliothèque de la
faculté des arts de l’université de Cologne (1474), soit autant que l’ensemble
des autres commentaires sur l’Éthique, en l’occurrence ceux d’Albert le Grand
(deux exemplaires), de Thomas d’Aquin et de Gauthier Burley (respectivement
un exemplaire), et le double que le Textus Aristotelis227.
La présence des Quaestiones in Aristotelis Ethicam de Jean Buridan dans la
bibliothèque commune du collège de Sorbonne et dans quelques autres centres
d’étude de la capitale, en l’occurrence les collèges séculiers de Dormans-
Beauvais, de Navarre et de Maître Gervais et l’abbaye de Saint-Victor228,
permet cependant de nuancer quelque peu ce tableau. Le commentaire de
Jean Buridan pouvait y être consulté. Du moins n’y était-il pas prohibé, Jean
Buridan comptant au nombre des auteurs incriminés lors de l’interdiction
du nominalisme édictée par Louis XI en 1474229. Il en va de même des com-
mentaires de l’Éthique d’Eustrate de Nicée, de Thomas d’Aquin et de Guiral
Ot. De ces consultations, nous ignorons tout ou presque, la lectura Ethicorum
n’ayant livré que quelques rares fruits, tardifs de surcroît : le commentaire
manuscrit de Pierre Foliot, lecteur en 1481-1482 ; le Textus Ethicorum qui eut les
faveurs de l’imprimerie et que Zénon Kaluza attribue à Jean Dumont, lecteur

p. 452 : Dies hat zu der zutreffenden Bemerkung geführt, dass in Wien im 15. Jahrhundert Buridan den
Aristotelestext praktisch ersetzt hat).
227. Le catalogue de la faculté des arts de l’université de Cologne est édité dans H. Keussen,
« Die alte Kölner Universitätsbibliothek », Jahrbuch des Kölnischen Geschichtsvereins E. V., 11, 1929,
p. 129-190 (ici Anlage I, p. 163-183). Sur le commentaire de Jean Buridan, voir p. 169 (V, 16),
173 (VIII, 31), 174 (IX, 12) et 180 (XIII, 8) ; d’Albert le Grand, voir p. 166 (II, 18) et 176 (X, 7), les
deux fois sans précision quant au commentaire dont il s’agit ; de Thomas d’Aquin, voir p. 176
(X, 2), et de Gauthier Burley, voir p. 173 (VIII, 33) ; et le Textus Aristotelis, voir p. 176 (X, 14) et
177 (X, 24).
228. Au ms. Paris, Bibliothèque Mazarine, 3515 qui est attesté au collège de Navarre au
xvie siècle, on ajoutera les exemplaires mentionnés dans les catalogues de bibliothèque du
collège de Dormans-Beauvais (vers 1380-1382) et de l’abbaye de Saint-Victor (1514), et dans le
testament de Guillaume Vauchis, dressé le 1er septembre 1414, destiné à la libraria theologorum
du collège de Maître Gervais. Voir respectivement É. Pellegrin, « La bibliothèque de l’ancien
collège de Dormans-Beauvais », art. cité, nº 87, p. 14 ; G. Ouy, Les manuscrits de l’abbaye de Saint-
Victor. Catalogue établi sur la base du répertoire de Claude de Grandrue (1514), I, Turnhout, 1999, p. 583
(LLL 16), et K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits collèges à Paris aux xive et xve siècles, op. cit.,
p. 694 (no 12).
229. Sur les « nominalistes » cités dans l’ordonnance du 1er mars 1474, voir Z. Kaluza, « La
crise des années 1474-1482 : l’interdiction du nominalisme par Louis XI », dans Philosophy and
Learning, op. cit., p. 293-327 (ici p. 307-308) ; W. J. Courtenay, « Was There an Ockhamist
School? » [1995], dans Id., Ockham and Ockhamism, op. cit., p. 371-401 (ici p. 371-374).

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Gilbert Fournier 177

en 1485-1486230, et le commentaire autographe de Louis Ber, lecteur en 1508.


Imputables à des sorbonistes, les deux dernières productions s’autorisent
des commentaires précités, comme nous l’avons observé plus haut231. Les
Quaestiones in Aristotelis Ethicam de Jean Buridan ne manquent pas à l’appel.

L’archive
La bibliothèque commune du collège de Sorbonne constitue donc un pré-
cieux indicateur de la fortune des commentaires sur l’Éthique à Nicomaque à la
fin du Moyen Âge et à la Renaissance. Mais il y a plus. Les versements suc-
cessifs de quelques-uns des principaux d’entre eux témoignent de l’assimila-
tion de la philosophie morale d’Aristote à l’université de Paris. Égrenant des
noms d’auteurs et des titres d’œuvres, les sources relatives à la bibliothèque
commune ne pallient pas seulement l’absence de programmes universitaires ;
elles dessinent les contours d’une pratique, ou mieux : elles lèvent un coin
du voile du « système général d’archive dont il[s] relève[nt]232 ». L’« archive »,
telle qu’elle est conçue par Michel Foucault, articule des institutions, en
l’occurrence le collège de Sorbonne et la faculté des arts, qui confèrent aux
discours leur autorité et une mémoire233. Ce que la bibliothèque commune
transmet, ce ne sont donc pas des effigies ou des postures individuelles, c’est
une mémoire et un élan collectifs, pour paraphraser Alain de Libera234.
Indescriptible dans sa totalité, l’archive « se donne à voir par fragments,
régions et niveaux235 ». La bibliothèque du collège dit de la « Petite Sorbonne »
et les commentaires issus du cours communs sur l’Éthique à Nicomaque, qui
entretiennent tout deux d’étroites relations avec la faculté des arts236 et le col-

230. Sur le commentaire de Pierre Foliot et le Textus Ethicorum, voir Z. Kaluza, « Les cours com-
muns sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 168-171. Sur le Textus, voir de surcroît A. Pelzer,
« Les versions latines des ouvrages de morale conservés sous le nom d’Aristote en usage au
xiiie siècle », Revue néo-scolastique de philosophie, 23, 1921, p. 378-412 (ici p. 406-407) [repris
dans Id., Étude d’histoire littéraire sur la scolastique médiévale, op. cit., p. 120-187 (ici p. 180-181)].
231. Voir supra p. 159-160, 164 et 169-170. Nous reviendrons ailleurs plus en détail sur ces deux
commentaires.
232. Sur la notion d’« archive », voir M. Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, 1 969,
p. 169-173.
233. D. Maingueneau, L’analyse du discours. Introduction aux lectures de l’archive, Paris, 1992,
p. 22-24 ; P. Charaudeau et D. Maingueneau, éd., Dictionnaire d’analyse du discours, Paris,
2002, en part. p. 62 (D. Maingueneau).
234. A. de Libera, Penser au Moyen Âge, op. cit., p. 67.
235. M. Foucault, L’archéologie du savoir, op. cit., p. 171.
236. Pour la bibliothèque, voir C. Angotti, « Mort et vie du collège dit de la ‘Petite Sorbonne’ »,
art. cité, p. 177 (à propos d’une délibération du collège de Sorbonne qui évoque la libraria parve
Serbone artistarum en 1438).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 177 10/04/2017 16:32


178 Lire l’archive

lège de Sorbonne, corroborent les indices recueillis dans la bibliothèque com-


mune. La bibliothèque du collège dit de la « Petite Sorbonne » conservait un
ou plusieurs exemplaires de la traduction de Robert Grosseteste237, des com-
mentaires de Thomas d’Aquin238 et de Jean Buridan239, et de la Tabula moralium
Aristotelis de Jean Bernier de Fayt240. Quant aux fruits du cours communs sur
l’Éthique, nous avons vu plus haut qu’ils puisaient à la majeure partie des com-
mentaires enchaînés dans la bibliothèque commune241.
Le registre de prêt du collège de Sorbonne déploie enfin quelques-unes
des formes d’existence et de coexistence de l’archive, en relation avec le tho-
misme parisien et la promotion de l’« aristotélisme christianisé », comme
l’attestent les emprunts réitérés de la Prima et de la Secunda Secundae de Thomas
d’Aquin au cours du second tiers du xve siècle242. Depuis les travaux de Stefan
Swiezawski, on n’est pas sans savoir que Thomas d’Aquin est « préconis[é] et
recommand[é] non seulement comme saint et éminent théologien, mais de
plus en plus souvent […] comme commentateur d’Aristote le plus compétent,
parfois même comme commentateur unique et jamais égalé243 ». Ainsi Jean Le

237. Paris, BNF, lat. 16090, f. 61ra-108rb. Sur ce ms., voir supra p. 142 sq., et C. Angotti, « Mort
et vie du collège dit de la “Petite Sorbonne” », art. cité, no 14, p. 197. Jusqu’au début du livre III,
au moins deux scribes ont joint un commentaire au texte d’Aristote qui s’autorise nommément
d’Eustrate de Nicée (f. 61r-v). Un second exemplaire de la traduction de Robert Grosseteste
provenant de la bibliothèque du collège dit de la « Petite Sorbonne » est mentionné dans Le
registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 200, 18, p. 528. Voir Z. Kaluza,
« Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 157-158 ; C. Angotti, « Mort
et vie… », art. cité, p. 184 et n. 51. Il a été emprunté encore à deux reprises en 1470 par Jean de
Lapide et en 1473 par Jacques Bacler, les deux fois sans que la provenance soit précisée. Voir
Z. Kaluza, « Les cours communs… », art. cité, en part. p. 158 n. 25.
238. Au moins deux exemplaires du commentaire thomasien sont attestés dans la bibliothèque
de la Parva Sorbona. Le premier est consigné dans le ms. Paris, BNF, lat. 16612, f. 54va-135rb
qui provient du legs d’Henri de l’Église, dont on ne sait rien. L’appartenance à la bibliothèque
de la Parva Sorbona est attestée à deux reprises, sur le contre-plat supérieur et au f. 165 sur un
grattage. Sur le legs d’Henri de l’Église, voir L. Delisle, Cabinet, II, p. 154 ; sur le ms. Paris,
BNF, lat. 16612, voir W. Senko, Repertorium, II, p. 74-75 ; V. Shooner, Codices manuscripti ope-
rum Thomae de Aquino, op. cit., III, no 2449, p. 321-322 ; C. Angotti, « Mort et vie… », art. cité,
p. 189 et n. 79 et 199 no 37. Le second est extrait de archa librorum parve Sorbone le 21 décembre
1427 et mis à la disposition d’un emprunteur anonyme qui sollicita en même temps le texte
d’Aristote d’après Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 200, 18, p. 528.
Voir C. Angotti, « Mort et vie… », art. cité, p. 184 et n. 52. Il ne correspond pas au ms. précité.
239. Voir supra p. 148-149 au sujet du ms. Paris, BNF, lat. 16128.
240. Voir supra p. 142 sq. au sujet du ms. Paris, BNF, lat. 16090.
241. Voir supra n. 231.
242. Pour le détail, voir supra p. 156-157.
243. Sur l’« aristotélisme chrétien », voir S. Swiezawski, « Les débuts de l’aristotélisme chré-
tien moderne », Organon, 7, 1970, p. 177-194 (en part. p. 191-194 ; cit. p. 180) ; S.-T. Bonino,

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 178 10/04/2017 16:32


Gilbert Fournier 179

Tourneur (Johannes Versor) a-t-il « coutume de prolonger la philosophie du


Stagirite en direction d’une “philosophie chrétienne” qui facilite la transition
en douceur vers la théologie », selon Serge-Thomas Bonino. « Par exemple,
lorsqu’il commente le livre X de l’Éthique à Nicomaque sur le bonheur, lieu, s’il
en est, où l’aristotélisme entre en conflit avec le christianisme, Jean résout la
difficulté en injectant dans son commentaire des articles entiers du traité de
la béatitude dans [sic ; de] la Ia-IIae de la Summa theologiae244 ». Cette stratégie
a pu faire dire avec quelques excès que, pour le maître parisien, « Thomas
a remplacé Aristote en position d’auctoritas dans le genre du commentaire
sur l’Éthique » et que « son but n’est plus directement d’enseigner l’auctoritas
de l’Éthique, ni de rechercher l’intentio d’Aristote, [… mais] de vulgariser les
thèses thomistes245 ». Ce qui est certain, c’est que la mise en œuvre de cette
stratégie n’est pas indifférente à la constitution des écoles philosophiques au
bas Moyen Âge, les écrits d’Aristote étant lus à travers le prisme d’autorités
qui ne sont autres que les chefs de file des diverses écoles ou voies, secundum
Thomae ou secundum Alberti246.
L’archive coexiste d’autre part avec le renouveau du nominalisme qui marque
la fin du xve siècle247. Au lendemain de la levée de l’interdiction en 1481, on
enregistre un regain d’intérêt pour l’œuvre de Jean Buridan dans la capitale,
comme en témoignent les nombreuses éditions 248. Certains sorbonistes
furent notoirement aux avant-postes. Le sociétaire Jean Dumont emprunta les
Quaestiones in Aristotelis Ethicam de Jean Buridan le 5 décembre 1481 et publia
son commentaire littéral sur l’Éthique, suivi de questions inspirées par les
nominalistes Jean Buridan et Martin Lemaître chez Claude Felix à une date
indéterminée. Il exerça l’office de lecteur de l’Éthique pendant l’année univer-
sitaire 1485-1486249. Sensiblement à la même époque, le sociétaire et nomi-

« Le thomisme parisien au xve siècle », art. cité, p. 634 sq. Notons toutefois que l’« orientation
vers Aristote » de l’Église est antérieure au milieu du xve siècle. Voir supra p. 129-130.
244. S.-T. Bonino, « Le thomisme… », art. cité, p. 636.
245. Sur le thomisme de Jean Le Tourneur, voir B. Sère, Penser l’amitié au Moyen Âge, op. cit.,
p. 347-364 (cit. p. 361).
246. Voir M. J. F. M. Hoenen, « Thomismus, Skotismus und Albertismus. Das Entstehen und
die Bedeutung von philosophischen Schulen im späten Mittelalter », Bochumer philosophisches
Jahrbuch für Antike und Mittelalter, 2, 1997, p. 81-103 (en part. p. 92-94) ; Id., « Late Medieval
Schools of Thought in the Mirror of University Textbooks. The Promptuarium argumentorum
(Cologne, 1492) », Philosophy and Learning, p. 329-369 (ici p. 330-334).
247. Z. Kaluza, « La crise des années 1474-1482 : l’interdiction du nominalisme par Louis XI »,
art. cité, p. 311-315.
248. B. Michael, Johannes Buridan, op. cit., p. 330.
249. Voir supra n. 97, 150 et 232.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 179 10/04/2017 16:32


180 Lire l’archive

naliste Gilles de Delft fit paraître la traduction de Jean Argyropoulos chez


Jean Higman le 26 mars 1489, à laquelle il adjoignit un commentaire, et les
Quaestiones in Aristotelis Ethicam de Jean Buridan chez Wolfgang Hopyl le 14 juil-
let de la même année250. Il est titulaire de la chaire d’Éthique en 1491-1492251.
Mit-il la bibliothèque du collège à profit ? En usa-t-il comme d’un « réser-
voir », à l’instar de ses devanciers humanistes252 ? Nous l’ignorons. La liste
de prêt de Gilles de Delft se résume aux volumes que le bibliothécaire remet-
tait d’ordinaire au nouveau sociétaire, pour l’essentiel la Bible, les Sentences
de Pierre Lombard et le commentaire de Thomas d’Aquin253. Il nous paraît
peu vraisemblable qu’elle épuise ses lectures et a fortiori ses centres d’intérêt
qui embrassent la scolastique et l’humanisme. Quoi qu’il en soit, on touche
ici au « système de cumul » de l’archive, aux possibilités et aux impossibilités
distributives qu’elle ménage, en somme à son « historicité254 ».
Concluons. Des mots aux choses, des énoncés aux « corps où il[s] se
donne[nt] » (les livres), des « stratégies argumentatives » aux « dissé-
minations textuelles » (la tradition), il n’y a qu’un pas. Dans leur diver-
sité même, les « mots » déclinent quelques-unes des modalités d’une
Überlieferungsgeschichte, d’une « histoire d’une transmission255 ». Dans
le cas qui nous occupe, les « choses » sont prises en charge par le « système
général d’archive ». Leur interprétation est soumise à la méthode historique,
dont Alain de Libera a tracé l’itinéraire : « Faire l’histoire d’un problème, c’est
[…] suivre un trajet épistémique réel, voir se former des réseaux, se distribuer,

250. Sur Gilles de Delft et son œuvre, voir H. Elie, « Quelques maîtres de l’université de
Paris vers l’an 1500 », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 25-26, 1950-1951,
p. 193-243 (ici p. 200) ; A. Renaudet, Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres
d’Italie (1494-1517), op. cit., p. 129-130 ; R.-A. Gauthier, L’Éthique à Nicomaque, op. cit., I-1,
p. 154 ; A. L. Gabriel, « Via antiqua and via moderna and the Migration of Paris Students
and Masters to the German Universities in the Fifteenth Century », dans Antiqui und Moderni.
Traditionsbewussstsein und Fortschrittsbewusstsein im späten Mittelalter, A. Zimmermann, éd.,
Berlin-New York, 1974, p. 439-483 (ici p. 454-455) ; J. K. Farge, « Gillis van Delft », dans
Contemporaries of Erasmus. A Biographical Register of the Renaissance and Reformation, op. cit., I, p. 382-
383 ; C. H. Lohr, Latin Aristotle Commentaries, op. cit., II, p. 124 ; T. Sullivan, Parisian Licentiates
in Theology, A.D. 1373-1500, op. cit., II, p. 192-195 ; L. Bianchi, « Renaissance Readings of the
Nicomachean Ethics », art. cité, p. 141.
251. Z. Kaluza, « Les cours communs sur l’Éthique à Nicomaque… », art. cité, p. 177.
252. E. Ornato, « Les humanistes français et la redécouverte des classiques », dans Préludes à
la Renaissance. Aspects de la vie intellectuelle en France au xve siècle, C. Bozzolo et E. Ornato, éd.,
Paris, 1992, p. 1-45 (ici p. 40-41).
253. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 147, p. 497-498.
254. M. Foucault, L’archéologie du savoir, op. cit., p. 171.
255. A. de Libera, La querelle des universaux. De Platon à la fin du Moyen Âge, Paris, 1996, p. 15.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 180 10/04/2017 16:32


Gilbert Fournier 181

se défaire, se recomposer un certain nombre d’éléments, considérer des glis-


sements, des récurrences, mais aussi des faits de structure déterminés par l’état des
corpus accessibles256. » C’est le prix à payer pour réduire la « tension entre
l’historien et le philosophe257 » et, pour tout dire, réconcilier l’histoire et la
philosophie.

Gilbert Fournier
CNRS-IRHT, Biblissima

256. Ibid., p. 13 (c’est l’auteur qui souligne).


257. R. Imbach, « Paul Vignaux, syndicaliste et historien de la philosophie », art. cité, p. 30.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 181 10/04/2017 16:32


182 Lire l’archive

ANNEXE

Le tableau qui suit résume les versements successifs des commentaires sur
l’Éthique à Nicomaque et des tables dans la bibliothèque commune du collège
de Sorbonne à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance. Pour ne pas alourdir
inconsidérément le tableau, nous nous contentons de la première mention
des commentaires dans le registre de prêt (entre 1425 et 1431). La dernière
ligne est consacrée à l’identification des manuscrits. Les informations conjec-
turales sont livrées entre parenthèses. Pour le détail, on se reportera au texte
qui précède.

Tableau 7 : Les commentaires sur l’Éthique à Nicomaque dans la bibliothèque


commune du collège de Sorbonne à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance
Sources Eustrate de Nicée Thomas d’Aquin Tabula Jean Buridan Tabula Anon. Guiral Textus
Ethic. et Ethic. lat. 16110 Ot Ethic.
Pol.
Catalogue Xa ADv ADq
1321-1338

Catalogue (54.1) 47.17


1338

Lat. 16681 in banca


après 1358- parietem
1360

Lat. 16090 AMh


après 1360

Lat. 16110 in in
après 1391 magna magna
libraria libraria
Registre de (2.XI. (31.X. 2.XI.
prêt 1425) 1430) 1425
1425-1431
Catalogue (24.11) (24.11) (24.13) (24.13) (24.58) (24.15) (24.15) (24.61) (24.14) 24.17
après 1549 (24.12) (24.12) (24.18) (24.18) (24.19) (24.19)

Identification (lat. (lat. lat. lat. lat. 16110 lat.


16582) 16106) 16110 16147 16127

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 182 10/04/2017 16:32


Gilbert Fournier 183

Paris, BNF, lat. 16090, f. 1r (annotations marge inférieure ; voir supra p. 143)

Paris, BNF, lat. 16110, f. 2r (marge inférieure ; mention d’enchaînement


dans la « grande » bibliothèque ; voir supra p. 152)

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 183 10/04/2017 16:32


Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 184 10/04/2017 16:32
Les textes vernaculaires dans la bibliothèque
du collège de Sorbonne
Marie-Laure Savoye

D u rien au peu, et quand il s’agit de la présence des textes français dans


la bibliothèque du collège de Sorbonne, la nuance est celle qui sépare
l’ignorance totale d’une langue, d’une présence très modeste mais clairement
identifiée, d’une intégration discrète mais consciente qui mérite d’être inter-
rogée1. Le seul inventaire des matériaux disponibles pour mieux connaître ce
(petit) fonds montrera la pertinence du propos.

Le témoignage des sources


Le point de départ de l’enquête, ce sont les deux catalogues, conservés
aujourd’hui sous la cote n.a.l. 99 de la BNF2, inventaire général et raisonné
d’une part des deux bibliothèques (1338)3, catalogue double d’autre part

1. C’est à l’invitation des organisateurs de la journée d’étude, et avec leur aide, que je me suis
livrée à cette mise au point sur ce qu’on pouvait savoir des manuscrits français du collège de
Sorbonne au début du xive s. ; sans leur soutien, je courais le risque de passer à côté de l’une ou
l’autre de ces traces infimes, en dépit des pages de L. Delisle sur les premières générations de
la bibliothèque (Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale. Étude sur la formation de ce dépôt
comprenant les éléments d’une histoire de la calligraphie, de la miniature, de la reliure, et du commerce des
livres à Paris avant l’invention de l’imprimerie, tome II, Paris, 1879, p. 142-199) et de P. Glorieux,
Aux origines de la Sorbonne, Paris, Vrin, 1966, et malgré la parution à point nommé de l’article
de G. Fournier actualisant nos connaissances sur les documents disponibles : « Listes, énu-
mérations, inventaires. Les sources médiévales et modernes de la bibliothèque du collège de
Sorbonne (Première partie : Les sources médiévales) », Scriptorium, 65/1, 2011, p. 158-216.
2. Nous citons ces documents d’après l’édition qu’en a donnée L. Delisle, Le Cabinet des manus-
crits…, op. cit., t. III, p. 9-114.
3. La bibliothèque du collège était scindée en deux : d’un côté, la parva libraria, bibliothèque
de prêt conservant en réalité la grande majorité des volumes ; de l’autre, la libraria communis,
bibliothèque commune, bibliothèque de travail, où les ouvrages considérés comme usuels
sont enchaînés sur des pupitres, devant lesquels les lecteurs peuvent venir les consulter et
prendre des notes. Il ne sera peut-être pas inutile de rappeler que la bibliothèque de Sorbonne
a été considérablement enrichie au xviie siècle de l’héritage du cardinal de Richelieu, puis est
entrée, à la période révolutionnaire, dans les fonds de la Bibliothèque nationale. On évitera
toute confusion entre les manuscrits disponibles aujourd’hui dans le fonds de la bibliothèque

Les livres des maîtres de Sorbonne, sous la direction de Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2017

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 185 10/04/2017 16:32


186 Les textes vernaculaires

de la libraria communis (1321-1338), ou de ce que nous appellerions de nos


jours « salle de lecture ». L’un et l’autre contiennent une rubrique intitulée
Libri in gallico, qui ne doit toutefois pas dispenser d’un parcours intégral des
documents, car des livres en langue française peuvent aussi se trouver dans
d’autres rubriques. L’intitulé cependant nous intéresse, car il détonne dans
les séries établies par le(s) catalogueur(s) : ainsi dans l’inventaire général, les
libri in gallico4 arrivent en cinquante-neuvième et dernière position, après, pour
ne donner que les entrées immédiatement antérieures, les libri medicinales, les
libri quadriviales, les libri Raymundi (œuvres de Raymond Lulle) et les libri juris,
soit à la fin d’un classement qui ne connaît par ailleurs que des matières ou
des auteurs. L’écart est le même dans le répertoire méthodique, où les romancia
vel libri in gallico5, qui ne sont plus rejetés en dernière position, se trouvent
entre les cronice et miracula et les summe morales et tractatus modernorum doctorum.
Certes, les points de comparaison font défaut, dans la mesure où le français
est bien la seule langue vernaculaire présente dans le fonds de Sorbonne à
une date aussi ancienne6. Nous verrons cependant que chacun des volumes
concernés aurait fort bien trouvé sa place dans l’une ou l’autre des rubriques
thématiques. Ceci porte à croire que, aux yeux des catalogueurs, on aurait
atteint en ce premier tiers du xive siècle un seuil signifiant dans le nombre de
livres vernaculaires, et que les utilisateurs de la bibliothèque auraient trouvé
quelque intérêt à ce qu’on leur présente de la sorte un corpus.
Deux autres ressources s’offrent à nous pour dresser notre panorama : le
registre de prêt pour les années 1402-15367 et le catalogue des livres enchaî-
nés dans la bibliothèque commune, dressé au milieu du xvie siècle et récem-
ment identifié par G. Fournier8.

de l’université de la Sorbonne et ceux du collège médiéval (sauf retour tout à fait fortuit au terme
de longues pérégrinations). Sur toutes ces questions, nous renvoyons à L. Delisle, Le Cabinet
des manuscrits, op. cit., et à A. Franklin, Les anciennes bibliothèques de Paris. Églises, monastères, col-
lèges, etc., Paris, Imprimerie impériale, 1867, t. I, p. 221-318.
4. L. Delisle, Le cabinet des manuscrits, op. cit., t. III, p. 71.
5. Ibid., p. 107.
6. Aucun des manuscrits de Raymond Lulle répertoriés n’est signalé comme écrit en catalan ;
ceux aujourd’hui identifiés sont latins, et les seuls incipit donnés par les catalogues le sont
également.
7. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, 1402-1536. Diarium Bibliothecae Sorbonae,
Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 3323, J. Vielliard et M.-H. Jullien de Pomerol, éd., Paris,
CNRS Éditions, 2000 (Histoire des bibliothèques médiévales, 57).
8. G. Fournier, « Livre après livre. Un catalogue inédit de la bibliothèque du collège de
Sorbonne (milieu xvie siècle) », Scriptorium, 67/1, 2013, p. 185-217.

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Marie-Laure Savoye 187

Même ainsi, on ne peut être sûr d’avoir tout glané : faut-il rappeler que
l’inventaire général ne fournit le titre et l’incipit-repère que si le manuscrit
était présent dans la bibliothèque de prêt au moment de la rédaction en 1338,
c’est-à-dire ni enchaîné dans un autre dépôt de livres ni prêté ; le catalogue
double de la bibliothèque commune fournit systématiquement le titre et l’in-
cipit. Toutefois, comme nous le verrons, il n’est pas certain que ce dernier ait
relevé absolument tous les textes de chaque volume.

Les documents du début du xive siècle


Débutons notre tour d’horizon par l’inventaire général de 1338, dans lequel
pour un volume unique sont donnés les éléments d’identification habituels :
le titre et l’incipit et l’explicit-repère. La rubrique Libri in gallico y compte dix
entrées… pour une récolte d’information bien maigre : les numéros 2 et 5 sont
accompagnés de la mention defficit quia cathenatus, ce qui laisse quelque espoir
de les retrouver dans le catalogue de la bibliothèque commune ; le dernier
numéro est soigneusement décrit, Item precepta de date Moysi in gallico. Incipit
in 2o fol. ne il ne puet, in pen. siecle ; mais aux sept autres entrées, le catalogueur
a simplement inscrit defficit, sans complément d’information quant à la cause
de ces absences.
Maigre consolation, et encouragement tout à la fois : Léopold Delisle a pu
jadis identifier l’un de ces manuscrits absents, qui conserve sur son dernier
feuillet l’ex-libris, la mention d’origine et la cote. Au f. 210v du manuscrit
fr. 24780 de la Bibliothèque nationale, on lit en effet :
Iste liber est pauperum magistrorum de Sorbonna, quem dedit eis Alanus de Penrethe, socius
hujus domus, […]pro quodam tractatu Consilii, licet non tanti valoris, per defectum ejus-
dem alienato, precii XX solid., ex legato magistri Petri de Lemovicis, quondam socii hujus
domus, et tenebit locum ejus in registro inter romancia octavus [nous soulignons], cathe-
nabitur. Precii XX solid.
Voici donc retrouvé, par le hasard d’un « furetage » en bibliothèque, le hui-
tième item de la liste. D’autres surgiront peut-être dans les années à venir.

De son côté, le catalogue de la bibliothèque commune, dont l’intérêt porte


non sur les volumes mais sur les textes, note quatre éléments à la rubrique
Romancia vel libri in gallico. Trois de ces ouvrages sont présents dans des
volumes du pupitre A, le dernier au pupitre G :
• un Romantium de rosa, incipit : « Maintes gens dient » ; cote A.q.
• un Romantium quod incipit : « Miserere Deus » ; cote A.p.
• un Romantium de decem preceptis sine rigmo, et dicitur gallice le livre roiaus
des vices et virtus. Incipit : Ce sont les x commandemens ; cote A.n.

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188 Les textes vernaculaires

• une exortacio quedam in gallico ad beginas et filias spirituales. Li prophetes,


etc ; cote G.d.

La concordance des catalogues médiévaux


Deux ouvrages cathenati d’un côté, quatre renvois de l’autre… nous aime-
rions éclaircir cette distorsion, sachant que des ouvrages enchaînés dans la
bibliothèque commune peuvent être notés defficientes et non cathenati dans
l’inventaire général.
Le cas de la dernière entrée paraît assez simple : la cote G.d. est partagée
avec de nombreux autres titres9, ce qui suffit à affirmer qu’il s’agit d’un texte
français isolé dans un volume très majoritairement latin. Si l’exortacio figure à
juste titre dans le répertoire méthodique, il serait absurde de la chercher dans
les volumes en français de l’inventaire général.
Il nous resterait donc à placer en regard les deux textes contenus dans les
volumes cotés A.p. et A.n. et les deux libri cathenati de l’inventaire général, ce
qui malheureusement est moins simple qu’il n’y paraît. Le manuscrit Paris,
BNF, fr. 24780 identifié par L. Delisle aurait pu nous permettre de tendre un
fil entre les deux documents : ce manuscrit français cathenatus porte en effet
comme titre médiéval « Li livres roiaux de vices et de vertus », correspondant au
troisième item de la bibliothèque commune. Toutefois, son statut inter roman-
cia octavus interdit de le rapprocher des items 2 ou 5 de l’inventaire général.
Inversement, on lit dans le manuscrit Paris, BNF, fr. 24402 :
Iste liber est pauperum magistrorum de Sorbonna, ex legato magistri Petri de Lemovicis,
quondam socii domus hujus in quo continetur romantium de quinque statibus mundi.
Precii LX solid.
Et un peu plus bas : Secundus10. Voilà qui semble nous autoriser à postuler
l’adéquation de l’inventaire et du manuscrit fr. 24402. Mais cette fois, c’est
la correspondance dans le répertoire méthodique qui fait défaut. Le texte
contenu dans ce manuscrit est une traduction en français d’Evast et Blaquerne
de Raymond Lulle, une traduction dont les premiers mots sont : « En sene-
fiance des.v. plaies que Nostre Sires Dieus Ihesu Criz reçut en la sainte vraie

9. G.d. Hystoria Josaphat abbreviata. Fuit in India rex (L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit.,
t. III, p. 106), Vita beati Pauli primi heremite. Inter multos sepe dubitatum est, ainsi que de nombreuses
vies de saints, et les Vitae Patrum (ibid.), Item miraculum de resuscitato et aliud desperato in morte secun-
dum Bedam in gestis Anglie (ibid.), etc. Pour le détail, voir P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne,
op. cit., I, p. 253-254.
10. Voir la reproduction de cette page à l’adresse : http://gallica.bnf.fr/ark :/ 1 2 1 48/
btv1b9009472z/f107.image.r=24402 (consultation en date du 11/12/2013).

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Marie-Laure Savoye 189

croiz. » Ce n’est pas un des livres in gallico. Il ne trouve pas non plus place dans
la rubrique que le catalogue méthodique réserve aux Libri Raymundi philosophi
barbati11…, ce qui nous incite à rester prudente quant à l’exhaustivité du cata-
logue raisonné. Le livre est encore enchaîné dans la libraria nova au xvie siècle,
désigné sous le titre de « Roman des cinq estatz »12.
Il reste donc un livre enchaîné en français sans correspondance dans l’in-
ventaire général.
À ces premiers éléments, il convient d’ajouter des textes français mention-
nés dans l’inventaire en dehors de la rubrique dédiée aux Libri in gallico, tels un
algorismus in gallico13 et une géométrie (cote B.b.)14 ou encore un traité ophtal-
mique (B.f.)15. Nous y reviendrons.

Le registre de prêt
Quels enseignements peut-on tirer du registre de prêt ? Bien peu, à dire vrai,
si ce n’est qu’un certain Jacobus Berthelemy emprunte au début du xvie siècle
deux volumes en français. Du premier, nous sommes condamnés à ne jamais
savoir grand-chose si ce n’est qu’il est en français16. Du second, nous avons la
chance que le registre donne le titre, les incipit- et explicit-repères : en 1501,
Jacobus Berthelemy recipit quendam librum et commentum in gallico « De quinque
precibus Cristi »17. L’incipit-repère en est : « Jhesu Crist homme et Dieu » ; l’ex-
plicit-repère – tel que transcrit par le bibliothécaire –, « nos greigneur leri ».
Nous avons pu identifier le volume, qui nous est d’ailleurs déjà bien connu ; il
n’est autre que la copie d’Evast et Blaquerne conservée dans le manuscrit Paris,

11. L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., t. III, p. 114 : B.e. Liber Raymundi philosophi de
disputatione fidelis contra infidelem. deus omnipotens cujus nomen benedictum in eternum. Item com-
pendium artis demonstrative ejusdem Quoniam omnis sciencia est de universalibus ut per ia sciamus.
Item de commendacione antiquorum sapientum et artificum et de compoto. Testante Vegecio.
/// Ah. Liber Raymondi de adventu Messye. Duo viri mire sciencie. Ejusdem compendium de arte
medicine. Cum super quodam altissimo. De arte jure compendium. Quoniam vita homini svrevis.
Liber amici et amati Blaquerna igitur insistebat.
12. Voir G. Fournier, « Livre après livre », art. cité, p. 199.
13. « Algorismus in gallico. Ceste science » (L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., t. III,
p. 88).
14. « Item alia practica geometrie in gallico. Nous commençons » (ibid., p. 90)
15. « Item alius tractatus de eodem in gallico. Contre toute maladies » (ibid., p. 91), après la men-
tion contra infirmitates oculorum tractatus.
16. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., no 163, 37, p. 520.
17. Ibid., n, 26, p. 519. Les éditeurs du registre de prêt placent un sic après le titre. D’un point de
vue strictement grammatical, il n’est pourtant pas nécessaire, et l’on aurait très bien pu dispo-
ser d’un texte sur « cinq prières du Christ », de même que circulent dans les livres d’heures de
nombreuses copies des « Sept paroles du Christ en croix ».

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190 Les textes vernaculaires

BNF, fr. 24402. Par un curieux glissement, les plagis qui traduiraient le début
du texte français (« En senefiance des.v. plaies que Nostre Sires Dieus Ihesu
Criz reçut en la sainte vraie croiz ») sont devenues des precibus. Le haut du
feuillet 2 a subi également une déformation (la leçon exacte est « Jhesu Crist
honoré Dieu »), de même que le haut du recto de l’avant-dernier feuillet, dont
le « nous gregnieur l’en » n’a pas davantage été correctement lu. Ces petites
erreurs de déchiffrage n’en permettent pas moins de reconnaître en Evast et
Blaquerne le manuscrit emprunté par Berthelemy. Tout est bien ou presque,
car faut-il rappeler qu’en 1338 le manuscrit fr. 24402 est enchaîné dans la
bibliothèque commune et le sera encore dans la libraria nova du xvie siècle ? La
mention d’emprunt est accompagnée de la formule item restituit clavigero, qui
rend compte de la restitution de l’ouvrage emprunté, sans nulle preuve quant
à sa place dans le fonds.

Les ex-libris
À ces témoignages aléatoires et souvent imprécis des documents de biblio-
théconomie, on peut enfin adjoindre le manuscrit Paris, BNF, fr. 24276, iden-
tifié comme un manuscrit du collège de Sorbonne par L. Delisle grâce à ses
anciennes cotes18, et le renvoi à la 74e entrée des Libri quadriviales de l’inventaire
général, entrée où il était simplement noté manquant. D’autres trouvailles
surgiront peut-être à l’avenir de recherches en bibliothèques. En attendant
des preuves décisives, nous aimerions ajouter à notre réflexion deux manus-
crits du xiiie siècle actuellement à la Bibliothèque nationale et provenant à
une date indéterminée du collège de Sorbonne : les manuscrits Paris, BNF,
fr. 24766, manuscrit anglo-normand contenant une traduction des Dialogues
de saint Grégoire19, et Paris, BNF, fr. 24870, recueil bilingue « didactique »
embrassant des enseignements pieux, l’hagiographie et la science20.

18. Parmi les Libri quadriviales (L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., t. III, p. 69),
Léopold Delisle ne donne pas les raisons de ce rapprochement, qui se lisent sur le recto de la
page de garde du début, où sont notées les cotes modernes et contemporaines (900, 1265 et
1825) accompagnées de l’estampille de la bibliothèque du collège de Sorbonne. Voir la notice
de ce manuscrit rédigée par la section romane de l’IRHT (http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/
bpt6k1404673, consultation du 11/12/2013)
19. Il porte au f. 2r la cote Sorbonne 1382 (xixe s.), et aux f. 2r et 173v l’estampille du collège
de Sorbonne (voir http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/btv1b8452207n/f15.item.r=24766, consul-
tation du 05/02/2014) ; pour une analyse minutieuse, voir R. Orengo, Les dialogues de Grégoire le
Grand traduits par Angier, publiés d’après le manuscrit Paris, BNF fr. 24766, unique et autographe, Paris,
Société des anciens textes français, 2013.
20. À la p. 3 se lisent les cotes modernes et contemporaines (Sorbonne, 1682, 851 et 854) ;
les estampilles du collège sont portées aux p. 3 et 113 (voir http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/
btv1b72000256/f5.item.r=24870, consultation du 05/02/2014).

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Marie-Laure Savoye 191

Le tableau suivant récapitule les « objets » – objets codicologiques et/ou


textuels – dont nous allons préciser l’identification.

Inventaire général de 1338 Catalogue de la libraria communis Volumes


conservés
LIX, 1. Defficit
LIX, 2. Defficit quia  ? Paris, BNF,
cathenatus fr. 24402
LIX, 3. Defficit
LIX, 4. Defficit
LIX, 5. Defficit quia Pourrait correspondre
cathenatus soit au Romantium de rosa, incipit : « Maintes gens
dient » ; cote A.q.
soit au Romantium quod incipit : ‘Miserere Deus’ ; cote
A.p.
LIX, 6. Defficit
LIX, 7. Defficit
LIX, 8. Defficit Romantium de decem preceptis sine rigmo, et dicitur Paris, BNF,
gallice le livre roiaus des vices et virtus. Incipit : Ce fr. 24780
sont les x commandemens ; cote A.n
LIX, 9. Defficit
LIX, 10. Item precepta de Date
Moysi in gallico. Incipit in 2o
fol. ne il ne puet, in pen. siecle
Exortacio quedam in gallico ad beginas et filias
spirituales. Li prophetes, etc ; cote G.d.

Algorismus in gallico. Ceste science ; cote B.b.


Item alia practica geometrie in gallico. Nous
commençons ; cote B.b.
Item alius tractatus de eodem in gallico. Contre toute
maladies ; cote B.f.
LVI, 74. Defficit. fr. 24276
fr. 24766
fr. 24870

L’identification des textes vernaculaires


Le plus reconnaissable de tous les textes vernaculaire est naturellement le
Romantium de Rosa. L’incipit donné par le répertoire méthodique (« Maintes
gens dient ») confirme s’il en était besoin qu’il s’agit bien du Roman de la rose
de Guillaume de Lorris et Jean de Meun21. Resterait à savoir s’il était isolé dans

21. Parmi les éditions disponibles, la plus accessible est celle, avec traduction, d’A. Strubel,
Paris, Livre de poche, 1992 (Lettres gothiques).

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192 Les textes vernaculaires

le manuscrit aujourd’hui perdu, ou s’il est conjoint à d’autres textes, spécia-


lement le Testament de Jean de Meun. Or, à une très grande majorité (plus de
80 %)22, les manuscrits conservés antérieurs à 1330 sont des volumes dans
lesquels ne se lit que le roman. On peut donc avec une assez grande vraisem-
blance faire confiance au catalogueur qui ne relève que le Roman de la rose dans
le volume A.q. Malheureusement, la première entrée du catalogue raisonné
est accompagnée d’une mention postérieure, perditus ; ce qui restreint nos
chances d’exhumer le volume. Pourtant, nous voudrions émettre une hypo-
thèse, à étudier de plus près. Un manuscrit originaire de Paris et daté par son
iconographie de 1315-1325 se trouve actuellement à New York, à la Pierpont
Morgan Library, sous la cote M. 37223. Or ce manuscrit contient dix vers latins
de Girolamo Balbi, professeur en Sorbonne en 1485. Tient-on là le début
d’une piste ?

Le Livre roiaus des vices et des vertus est un titre très courant pour désigner un
autre bestseller de la littérature française médiévale, la Somme le Roi de frère
Laurent, confesseur royal dominicain24. Parfois en recueil, l’œuvre a aussi
amplement circulé seule. C’est le cas dans le manuscrit Paris, BNF, fr. 24780,
et sans doute aussi de A.n., qu’il s’agisse ou non d’un seul et même volume.

Evast et Blaquerne est également bien connu. Il s’agit d’une traduction ano-
nyme de l’œuvre de Raymond Lulle, traduction faite non sur l’original cata-
lan, mais sur un intermédiaire occitan. Notons pour mémoire que le volume
provient du legs d’un fidèle soutien de Raymond Lulle, Pierre de Limoges25,
qui d’après les spécialistes ne saurait toutefois être l’auteur de la traduction,

22. Ce calcul, qui ne cherche à donner qu’un ordre de grandeur, a été fait à partir des témoins
enregistrés dans la base Jonas (M.-L. Savoye, notice de « Roman de la rose, Guillaume de
Lorris et Jean de Meun » dans la base Jonas-IRHT/CNRS [permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/
oeuvre/3970]. Consultation du 11/12/2013).
23. Nous n’avons pas pu voir le manuscrit avant la publication de notre communication. La
description disponible sur Internet ne relève pas d’ex-libris du collège de Sorbonne : http://
corsair.morganlibrary.org/msdescr/BBM0372a.pdf, consultation du 11/12/2013.
24. La Somme le Roi par Frère Laurent, É. Brayer et A.-F.Leurquin, éd., Paris, Société des anciens
textes français, 2008 ; A.-F. Leurquin et A. Sulpice, notice de « Somme le Roi, Laurent
(frère) » dans la base Jonas-IRHT/CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/oeuvre/2201 ;
consultation du 11/12/2013).
25. Sur le legs de Pierre de Limoges, voir L. Delisle, Le cabinet des manuscrits, t. II, p. 142-208 ;
R. H. Rouse, « The Early Library of the Sorbonne », Scriptorium, 21, 1967, p. 42-71 et 227-251,
part. p. 227.

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Marie-Laure Savoye 193

en raison d’une méconnaissance manifeste de l’occitan26. Le délai de traduc-


tion est court : l’original est de 1283 ; Pierre de Limoges meurt en 1306. Bien
que le volume du collège de Sorbonne soit parfaitement identifié, le hasard
d’autres recherches nous invite à un détour par Berlin, où se trouve l’une des
trois autres copies connues de cette traduction, les deux autres étant conser-
vées à Paris, sous les cotes fr. 763 et fr. 12555 de la Bibliothèque nationale.
La copie berlinoise (Berlin, Staatsbibliothek-Preussischer Kulturbesitz,
Phillipps, 1911) 27 date du premier quart du xive siècle. Elle donne un texte en
tous points comparables à celui du collège de Sorbonne. Ce n’est pas ici le lieu
d’en donner une démonstration complète, mais voici quelque aperçu de cette
extrême ressemblance par la comparaison des quatre copies conservées pour
le troisième chapitre.
On y observe, par exemple, la similitude des titres du chapitre (« De la ques-
tion que Evast fist a Blaquerne son filz »), quand les deux autres copies passent
sous silence la filiation entre Evast et Blaquerne ; la graphie recherchée relygion
dans les premières lignes du texte28 ; le choix identique du prénom « Alonme »
pour l’épouse d’Evast (contre « Heloine » dans les autres manuscrits), le choix
de formulations longues « et vost essaier et examiner » vs « examina », « et
entretant » vs « et entre ce », etc.
Outre la gémellité textuelle, les deux manuscrits fr. 24402 et Phillipps 1911
partagent une mise en page rigoureusement identique : ainsi, dans ce pas-
sage, l’initiale de « adont » correspond à une lettrine, sans retour à la ligne. En
revanche, dans les deux autres copies, un saut de ligne se produit juste après
« question », sans lettrine propre, qui marque le début du dialogue. De même,
des espaces blancs ménagés au milieu des lignes avant chaque changement
d’interlocuteur rythment l’alternance de voix. Dans les deux autres manus-
crits parisiens, aucun saut de ligne et aucun blanc ne soulignent la structure ;
seule une lettrine indique le début du dialogue.

26. Voir R. Brummer, « Zu einer frühen französischen Ubersetzung des katalanischen Libre
de Blaquerna von Ramon Lull », dans Interlinguistica. Sprachvergleich und Übersetzung. Festschrift
zum 60. Geburtstag von Mario Wandruszka, Tübingen, Max Niemeyer, 1971, p. 639-647. Édition
du texte en ancien français par A. Llinarès, Raymond Lulle. Livre d’Evast et de Blaquerne, Paris,
Presses universitaires de France, 1970.
27. Nous renvoyons à la notice détaillée dans D. Stutzmann et P. Tylus, Les manuscrits médié-
vaux français et occitans de la Preussische Staatsbibliothek et de la Staatsbibliothek zu Berlin preussischer
Kulturbesitz, Wiesbaden, Harrassowitz, 2007, p. 253-254.
28. « Par grace du souverain Seigneur qui est adrecement, lumiere et parfection de toutes
choses, s’apensa Evast que tens estoit que il entrast en relygion… » (citation d’après Paris, BNF,
fr. 24402)

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194 Les textes vernaculaires

De nombreux autres indices formels (de décor et de mise en page notam-


ment) confirmeraient que, selon toute vraisemblance, le manuscrit de
Berlin a été copié sur celui qui se trouvait au début du xive siècle au collège
de Sorbonne29. Or on connaît le nom du premier possesseur – et copiste ? –
du manuscrit de Berlin ; il s’agit d’un certain « Dant Raymont », moine de la
chartreuse de Vauvert30, qui serait donc venu en voisin pour ainsi dire réaliser
cette copie pour son monastère. Nous reparlerons bientôt de la chartreuse de
Vauvert.

Le Romantium quod incipit « Miserere mei Deus » est le Roman de miserere du Reclus
de Molliens, daté de 123031. Il s’agit d’un long poème moral en strophes héli-
nandiennes. Contrairement à l’hypothèse formulée pour les œuvres précé-
dentes, il convient ici d’envisager plutôt un recueil de plusieurs textes, dont
seul le premier serait décrit dans le catalogue méthodique. Sur 34 manuscrits
médiévaux transmettant le Miserere, 28 sont des volumes à textes multiples32 ;
le long poème du Reclus de Molliens y est le plus souvent accompagné de son
œuvre sœur, le Roman de carité. On ne s’étonnera pas qu’il s’agisse de recueils
plus didactiques que littéraires, une didactique au sens large qui couvre aussi
bien la spiritualité que les savoirs du quadrivium.

L’exortacio ad beginas nous parvient avec un incipit Li prophetes qui permet


de l’identifier avec grande sûreté, malgré sa brièveté, comme le Livre du pal-
mier, sermon – ou méditation – sur le thème Ascendam in palmam et apprehendam
fructum, traduit de la Palma contemplationis33. Si la cote indiquée par le catalogue
méthodique est juste, le sermon se trouverait associé, dans un manuscrit

29. Des arguments similaires conduisent à la même conclusion, voir D. Stutzmann et


P. Tylus, op. cit.
30. Voir la note portée sur le verso de la garde initiale : « Ce livre doit estre renduz a dant
Raymont, moine de Chartreuse delez Paris », et sur le verso d’une garde finale : « C’est le livre
e Blaquerne, pour les Chartreux prez de Paris. » La chartreuse de Vauvert a été un haut lieu de
lullisme médiéval, voir A. Llinarès, Raymond Lulle, philosophe de l’action, Grenoble, Presses de
l’université, 1963 (Publications de la faculté de lettres et sciences humaines, 33), p. 120.
31. Édition par A. G. Van Hamel, Li Romans de Carité et Miserere du Renclus de Moiliens, Paris,
Champion, 1885 (Bibliothèque de l’École des hautes études, sciences historiques et philolo-
giques, 61) ; section romane, notice de « Miserere, Reclus de Molliens » dans la base Jonas-
IRHT/CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/oeuvre/6476 ; consultation du 11/12/2013).
32. Parmi ceux-ci, on épinglera, comme en clin d’œil, le manuscrit 437 de la bibliothèque
municipale d’Amiens (deuxième moitié du xive s.) qui enchaîne le Roman de la rose et les deux
œuvres du Reclus de Molliens.
33. Pour une présentation des différentes versions du texte, voir K. Christ, « Le Livre du
Paumier. Ein Beitrag zur Kenntis der altfranzösischen Mystik », dans Mittelalterliche Handschriften.

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Marie-Laure Savoye 195

majoritairement latin, à l’histoire de Barlaam et Josaphat, aux Vitae Patrum,


au miracle de Théophile et au De cura pastoralis de Robert Grosseteste. Nous ne
sommes pas parvenue à retrouver ce manuscrit34. Un des manuscrits com-
mandés par le collège de Sorbonne35, l’actuel manuscrit Paris, BNF, lat. 16052,
contient une grande part des textes réunis sous la cote G.d. du catalogue
méthodique, mais il y manque le De cura pastoralis et notre texte français, sans
que le codex semble mutilé. Témoin indirect, un manuscrit intégralement
français, copié vers 1300 en Picardie ou en Vermandois (Lyon, BM, 867),
juxtapose de même Vitae Patrum, Barlaam et Josaphat et Livre du palmier (plus
quelques vies de saints, enseignements pieux, etc.). L’enquête doit se pour-
suivre… Non sans envisager aussi une possible erreur de cote de la part du
rédacteur du répertoire méthodique. La place plus attendue du Livre du palmier
n’est-elle pas dans un recueil de sermons tels que ceux prêchés aux béguines
de Paris par Pierre de Limoges36 (et dont quelques-uns sont recueillis sous la
cote Paris, BNF, lat. 16481), les sermons relevant également du pupitre G ?

Avec les Precepta de date Moysi, nous voici confrontés à une véritable énigme,
ne serait-ce qu’en raison du problème morphosyntaxique posé par le titre
apparaissant dans le catalogue : date ne saurait être un ablatif ; y aurait-il une
lacune dans le titre, lacune d’un ablatif et du substantif d’un complément
du nom dont date, génitif, serait le participe ? Nous pensons bien entendu à
legis date Moysi. Devant cette impasse morphosyntaxique, nous avons fait le
choix d’oublier un instant les documents « fiables » et de suivre la piste d’une
flânerie littéraire. Le terme de precepta et le nom de Moïse évoquent en effet
un recueil pieux conçu à Paris, sans doute pour la comtesse de Saint-Pol,
Marie de Bretagne, au premier tiers du xive siècle. La critique le dénomme
Legiloque, du titre du premier élément du recueil, un commentaire des Dix
Commandements, dont l’ouverture est : « Audi Israel precepta et judicia que doceo
te, ut faciens ea vivas (Deuteronomii IIII). Ceste parole dist Nostre Seigneur a
son peuple par Moyse son deciple. » Cet incipit peut-il avoir inspiré l’étrange

Paläographische, Kunsthistorische, Literarische und Bibliotheksgeschichtliche Untersuchungen. Festgabe zum


60. Geburtstage von Hermann Degering, Leipzig, Hiersemann, 1926, p. 57-81.
34. Nous sommes toutefois en attente d’une notice du manuscrit aujourd’hui perdu lat. 8o 264
de la Staatsbibliothek de Berlin.
35. Iste liber est pauperum magistrorum de Sorbona Parysius, quem fecerunt scribi de propria pecunia, precii
VII librarum (L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., t. II, p. 178).
36. Iste liber est pauperum magistrorum ex legato magistri P. de Lemovicus, quondam socii domus huiuhs,
in quo continentur sermones de dominicis festis. Pretii LX solidos, 179us inter sermones. Voir l’étude de
N. Bériou, « La prédication au béguinage de Paris pendant l’année liturgique 1272-1273 »,
Recherches augustiniennes, 13, 1978, p. 105-229.

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196 Les textes vernaculaires

titre donné par le catalogueur du collège de Sorbonne ? Nous serions tentée


de le croire, d’autant qu’on a récemment montré que l’auteur de cette com-
pilation pieuse était selon toute vraisemblance un chartreux de Vauvert, ou
quelque auteur travaillant pour la comtesse et ayant pu recueillir le témoi-
gnage oral d’un chartreux de Vauvert37.
Dans leur brièveté et leur banalité, les textes-repères donnés par l’inven-
taire général risquent guère de nous être utiles. Aucune des quatre copies du
Legiloque conservées ne correspond parfaitement à la description38. L’incipit-
repère, ne il ne puet, pourrait toutefois bien se rapprocher de nul ne puet qu’on
lit par exemple quatre lignes avant la fin du f. 1vo de la copie Paris, BNF,
n.a.f. 4338. À la fin, tous les manuscrits contiennent, avant l’épilogue, une
doxologie, parfaitement conciliable avec l’explicit-repère « siecle ».
Ce sont là des indices bien ténus et qui ne sauraient tenir lieu d’arguments,
mais qui permettent d’ouvrir la discussion. Le copiste cartusien de Raymond
Lulle ou l’un de ses frères aurait-il pu offrir une copie de son œuvre à la biblio-
thèque du collège ?

Venons-en à l’énumération des textes scientifiques connus soit de façon


certaine par le manuscrit conservé, soit de façon hypothétique par les incipit.

Le manuscrit Paris, BNF, fr. 24276 contient une série de quatre traductions


des œuvres d’Abraham Ibn Ezra réalisées par un certain Hygin le Juif dans la
maison d’Henri Bate39, maître ès arts de l’université de Paris, en 1273-1274 (à
l’époque donc où Henri Bate est encore à Paris) : Commencement de sagesse, Livre
des nativités, Livre des élections et Livre des interrogations.
Le traité d’ophtalmologie résiste à toute identification, peut-être parce qu’il
s’agit d’un fragment d’une compilation médicale plus importante et qu’il
n’est malheureusement pas conservé dans le manuscrit Paris, BNF, lat. 16397,

37. R. et M. Rouse, « French Literature and the Counts of Saint-Pol ca. 1178-1377 », Viator 41/1,
2010, p. 101-140 ; A. Sulpice, « L’histoire de la fondation de l’ordre des Chartreux dans deux
récits anonymes français du xive siècle : Le Tombel de Chartrose et le Legiloque », dans Les Chartreux
dans l’Europe médiévale et moderne : histoire, spiritualité et liturgie, communication faite au colloque
international de Liège (6-7-8 octobre 2010), organisé par F. Timmermans, à paraître dans la
série Studia cartusiana aux éditions Peeters à Louvain, 2014.
38. Trois copies datent des décennies 1320-1350 : Chantilly, bibliothèque du château, 137 ;
Paris, BNF, fr. 1136, et Paris, BNF, naf. 4338 ; la dernière, qui intègre de nouveaux textes, est du
xve s. (Chantilly, bibliothèque du château, 138).
39. A. Birkenmajer, « Henri Bate de Malines, astronome et philosophe du xiiie siècle »
(1923), dans Études d’histoire des sciences et de la philosophie du Moyen Âge, t. I, Cracovie, 1970,
p. 105-115.

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Marie-Laure Savoye 197

dont Gilbert Fournier a montré que la troisième partie (f. 59r-154v) corres-


pond à un fragment du volume coté B.f.40, codex entré au collège de Sorbonne
par le legs de Pierre de Limoges. Comme Gilbert Fournier, nous ne pouvons
exclure qu’un second volume ait été joint à celui conservé, sous la même cote.
Le texte français y suivait immédiament un autre traité d’optique ayant comme
incipit Cum animadverterem quam plurimos de infirmitatibus oculorum. Cet incipit
est absent de la base de données In principio ; ce n’est pas celui du De oculo
morali dudit Pierre de Limoges, que l’on n’aurait guère été surpris de trouver
ici. Ces deux traités d’ophtalmologie, latin et français, demeurent donc pour
l’instant non identifiés.

En revanche, grâce à l’incipitaire de la section romane de l’IRHT, nous


avons sans difficulté identifié l’algorithme et la géométrie, avec d’autant plus
de certitude que les deux textes sont également associés dans deux manus-
crits parvenus jusqu’à nous : le manuscrit 2200 de la bibliothèque Sainte-
Geneviève (daté de 1277) et le fr. 2021 de la Bibliothèque nationale (également
du xiiie siècle)41. Ce dernier est un recueil scientifique assez classique : Régime
du corps d’Aldebrandin de Sienne, Image du monde de Gossuin de Metz, comput
de Simon de Compiègne (moine de Saint-Riquier à la fin du xiiie siècle), algo-
rithme et géométrie. Le manuscrit de Sainte-Geneviève est plus hétéroclite :
il commence par l’Image du monde, poursuit avec un Lapidaire, le même com-
put que précédemment, nos deux textes, le Bestiaire de Richard de Fournival,
deux traités sur l’amour, un lai artésien (la Druerie du villart). Aucun de ces deux
volumes ne provient du collège de Sorbonne, et pour l’instant le volume coté
B.b. de l’établissement parisien reste introuvable. Il était par ailleurs bilingue,
ce qui expliquerait que l’algorithme et la géométrie n’aient pas été comptés
parmi les œuvres in gallico42.

Enfin, puisque nous avons proposé d’inclure dans l’inventaire, sous


réserve, deux manuscrits dont la date d’entrée au collège de Sorbonne est
incertaine, en voici le contenu :
Le manuscrit Paris, BNF, fr. 24766 est daté du début du xiii e siècle,
d’origine insulaire, contenant une traduction en vers des Dialogues de saint

40. G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », la Libraria communis du collège de Sorbonne, xiiie-
xve siècle, thèse de l’École pratique des hautes études, Paris, 2007, p. 253-256.
41. Notons simplement que le catalogue méthodique indique comme incipit « ceste science »,
alors que les deux témoins conservés donnent « ceste segnefiance ».
42. Pour une reconstitution du volume B.b., voir P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne, op. cit.
t. I, p. 249.

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198 Les textes vernaculaires

Grégoire, ainsi qu’une vie du pape en vers anglo-normands également.


Les deux œuvres sont de 1214 ; leur auteur est un certain Angier, chanoine
d’Oxford43.

Le manuscrit Paris, BNF, fr. 24870 est un recueil de thématique mixte :


les premiers textes, en latin, sont un traité sur les sacrements, le De miseria
humanae conditionis d’Innocent III, une explication de l’oraison dominicale.
Viennent ensuite une première vie de Thibaut de Provins en vers français, un
enseignement pieux en prose française, une épître farcie de saint Étienne, une
seconde vie de Thibaut de Provins en vers français, enfin un lapidaire, la plus
ancienne traduction française connue du lapidaire de Marbode.

Les dominantes thématiques


Les œuvres que nous venons d’inventorier peuvent être réunies en deux
groupes, les sciences du quadrivium et l’enseignement moral.

Du côté du quadrivium, il y a les évidences : les œuvres d’Hygin le Juif, l’al-


gorithme, les traités de géométrie et d’ophtalmie qui semblent pris dans un
contexte latin44.
Nous faisons le choix de placer également du côté du quadrivium le Roman
de la rose, conformément, nous semble-t-il, aux données objectives de la docu-
mentation ancienne du collège de Sorbonne : le Romantium de Rosa est bien
placé sur le pupitre A, consacré aux arts du quadrivium. Ceci ne serait toutefois
pas un argument suffisant – d’autres textes français se trouvent sur ce pupitre
qui n’ont rien de scientifique –, si l’on ne savait le rôle joué par la partie dite
encyclopédique de Jean de Meun dans le succès de l’œuvre. Citons à titre
d’exemple quelques vers sur la lune :
Si semble il aus genz que la lune
Ne seit pas bien nete ne pure,
Pour ce qu’el pert par leus ocure ;
Mais c’est par sa nature double
Qu’el pert par leus espesse e trouble.
D’une part luist, d’autre part cesse
Pour ce qu’elle est clere e espesse ;
Si li fait sa lueur perir

43. Les Dialogues viennent d’être édités par R. Orengo, Les dialogues de Grégoire le Grand, op. cit.
44. B.b. qui contient l’algorithme a entre autres un liber de spera de Johannis de Bosco, une
theorica planetarum dont l’incipit est circulus excentricus dicitur… Nous avons donné plus haut une
grande partie du contenu de B.f.

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Marie-Laure Savoye 199

Ce que ne peut pas referir


La clere part de sa sustance
Les rais que li solauz i lance,
Ainz s’en passent parmi tout outre.
Mais l’espesse lueur demoutre
Qui bien peut aus rais contrester
Pour sa lumiere conquester.
Traduction : « Pourtant les gens ont l’impression que la lune n’est pas très
nette et pure parce qu’elle paraît obscure par endroits : mais le fait qu’elle
paraisse par endroits opaque et trouble est dû à sa double nature ; d’un côté
elle brille, de l’autre elle cesse de le faire, parce qu’elle est à la fois opaque et
transparente ; aussi, si sa lumière disparaît, c’est parce que la partie transpa-
rente de sa substance ne peut réfléchir les rayons que le soleil y darde, et qu’au
contraire ils la traversent de part en part ; mais la partie opaque montre de la
luminosité, parce qu’elle arrive à s’opposer aux rayons solaires et gagner ainsi
sa lumière45… »

Les livres de « direction spirituelle » méritent peut-être de plus longues


analyses, ne serait-ce que parce qu’ils sont moins connus et parce qu’une per-
sonnalité importante de la bibliothèque du collège de Sorbonne peut y être
associée, celle de Pierre de Limoges.
Le rôle du théologien est évident dans l’entrée au collège de la traduction
précoce d’Evast et Blaquerne. Blanquerna est un roman dont le personnage prin-
cipal gravit peu à peu divers échelons de l’élévation spirituelle, au fur et à
mesure qu’il change de statut social : d’abord marié, il renonce au siècle et
devient moine, puis pape. Il quitte le siège de Saint-Pierre pour se retirer dans
un ermitage. C’est à la fin de Blanquerna qu’on peut lire une des œuvres les
plus connues de Raymond Lulle, le Livre de l’ami et de l’aimé, 365 versets dont
le sujet est l’amour de l’âme humaine pour Dieu. L’orientation mystique de
l’ensemble est manifeste, dans une œuvre poétique et romanesque nourrie de
la double influence du Cantique des Cantiques et du soufisme.

Le rôle de Pierre de Limoges peut être pressenti dans l’entrée du Livre du


palmier, dont nous avons dit plus haut qu’il recevait dans le catalogue métho-
dique un titre assez inhabituel (Exortacio ad beginas), incitant au rapproche-
ment avec la prédication de Pierre. La diffusion française du texte est d’abord
celle des sermonnaires (comme Paris, bibliothèque de l’Arsenal, 2058) puis
celle des recueils spirituels en français. Elle commence au xiiie siècle et se

45. Nous citons la traduction publiée par Armand Strubel, op. cit., p. 881-883.

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200 Les textes vernaculaires

poursuit jusqu’au xve siècle : Marguerite d’York le fait encore copier en 1475


par David Aubert après une Somme le Roi et au milieu de textes sur les prières
usuelles et les sacrements (Bruxelles, Bibliothèque royale, 9106, et Lyon, BM,
867). Le texte considère que le palmier est l’image de la croix, de la pénitence
de la contemplation : de la première est né le fruit de vie ; de la seconde, les
sept fruits de la pénitence. L’essentiel du sermon consiste dans la descrip-
tion de l’arbre de contemplation, image de l’âme « car tout ainsi comme le
paulmier s’extend et plus s’extend l’ame en hault par contemplacion tant
s’esleve elle en amour ». Les sept branches de l’arbre sont la considération de
soi, la « contemplation de ses proesmes » (l’amour du prochain), l’affliction
temporelle, « quant l’ame s’afflige par penitance et seuffre lyement et en paix
toutes adverisez pour Nostre Seigneur », la componction, l’attente, « quant
l’ame est en grant desir et elle attent Nostre Seigneur », la visitation, « quant
Nostre Seigneur a pitié de l’ame desirant et il la visite par sa grace et il lui
donne sa doulce pensee sentir qu’elle avoit tant desiree », et la défaillance,
« quant l’ame est a ce parvenue qu’elle sent tant des biens de Nostre Seigneur
que l’humanité ne se peut soustenir. Si lui convient defaillir ». La tonalité mys-
tique du texte est de nouveau manifeste et le rend aussi bien apte à la médita-
tion silencieuse qu’à la prédication, malgré son enracinement originaire dans
les sermonnaires.
On ne peut affirmer que la Somme le Roi venait du legs de Pierre de Limoges.
Le manuscrit Paris, BNF, fr. 24780 ne provient pas de Pierre de Limoges. Il
y est dit simplement qu’il est donné en remplacement d’un livre légué par
le maître, un certain Tractatus Consilii, qui demeure inconnu46. Le seul Livre
du conseil que nous connaissions pour cette période en ancien français est le
Conseil à un ami de Pierre de Fontaines, texte juridique du milieu du xiiie siècle
qui connut un certain succès (on en conserve quinze manuscrits). Jamais
la Somme le Roi n’est désignée ainsi dans aucun des quelque quatre-vingts
manuscrits conservés. Quant à la place de la Somme le Roi sur le pupitre A,
nous ne pouvons en trouver d’autre explication que le tropisme vernaculaire
créé par la présence du Roman de la rose.
Si nous avons quelque raison de reconnaître le Legiloque derrière les Precepta
de date Moysi, sa place parmi les textes d’enseignement moral et spirituel ne
peut être contestée.
Nous sommes plus hésitante sur la place à donner au volume contenant le
Miserere. Le statut du texte lui-même n’est pas en cause : il s’agit d’une médi-
tation personnelle sur fond de satire, une interrogation sur les origines et le
destin de l’humanité ; si les unes sont bien connues, l’autre dépend du choix

46. Voir supra, p. 187.

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Marie-Laure Savoye 201

de chacun entre le Bien et le Mal. L’œuvre contient un examen des différents


péchés, une analyse des dangers et des atouts des cinq sens. Poème plus que
récit, le Miserere peut tout à fait se faire support de méditation. Une difficulté
de classement vient toutefois de la faible vraisemblance d’une circulation iso-
lée de ce texte. Comme le Roman de la rose et la Somme le Roi, il est enchaîné au
pupitre A. Le tropisme vernaculaire pourrait ne pas en être la seule explication,
tant la présence du Miserere dans des recueils du xiiie siècle incluant des textes
scientifiques est attestée : que l’on songe aux manuscrits Paris, BNF, fr. 1444,
dont le contenu navigue entre roman (e.g. Marques de Rome), dévotion (e.g.
Assomption Notre Dame d’Herman de Valenciennes) et encyclopédie (e.g. Image
du monde de Gossuin de Metz)47, et Paris, bibliothèque de l’Arsenal, 314248, où
le Miserere voisine de nouveau avec l’Image du monde de Gossuin de Metz.

Quelles conclusions tirer de cet inventaire partiel et morcelé ? Tout d’abord


que la rareté même des textes donne une couleur singulière à leur présence
dans la bibliothèque du collège de Sorbonne. Elle témoigne, pour les quelques
élus, d’une réception assez exceptionnelle dans le milieu universitaire. Il
n’était guère besoin de confirmer le succès ni de la Somme le roi ni du Roman
de la rose, mais la place qui leur est accordée dans une bibliothèque de travail
presque exclusivement latine témoigne de leur omniprésence dans la culture
du xive siècle, et de leur profonde influence tant chez les clercs que dans les
milieux curiaux49. Sans surprise, les thèmes représentés sont intimement liés
à la formation générale des socii, quadrivium et morale chrétienne. On y cher-
cherait en vain les grands succès de la littérature courtoise ou de l’histoire
universelle, sans parler de la poésie ou du chant.
Les bribes ici rassemblées ne pèsent décidément pas lourd dans la masse
considérable des volumes conservés au collège de Sorbonne au début du
xive siècle ; mais l’enquête n’est sans doute pas achevée. Notre modeste

47. Voir « Notice de Paris, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, fr. 0 1444 » dans la
base Jonas-IRHT/CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/45609 ; consultation
du 07/02/2014).
48. Voir M.-L. Savoye, « Notice de Paris, bibliothèque de l’Arsenal, 3 142 » dans la base
Jonas-IRHT/CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/42943 ; consultation du
07/02/2014).
49. Sur la réception du premier, voir P.-Y. Badel, Le Roman de la rose au xives. Étude de la réception
de l’œuvre, Genève, Droz, 1980 ; sur les publics de la seconde, voir A.-F. Leurquin, « La Somme
le Roi : de la commande royale de Philippe III à la diffusion sous Philippe IV et au-delà », dans La
moisson des lettres : l’invention littéraire autour de 1300, Turnhout, Brepols, 2011, p. 195-212 (Texte,
Codex et Contexte).

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202 Les textes vernaculaires

parcours a montré que l’enquête menée sur les manuscrits pouvait encore
faire resurgir des volumes méconnus, et nous appelons de nos vœux les ins-
tants de chance qui permettront peut-être de réunir un jour l’ensemble de ce
menu mais signifiant fonds vernaculaire.

Marie-Laure Savoye
CNRS-IRHT

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CHAPITRE 4

Lecteurs de la fin du Moyen Âge,


des portraits contrastés

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Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 204 10/04/2017 16:32
Un lecteur flamand du collège de Sorbonne :
Johannes Tinctoris († 1469),
son réseau, ses œuvres
Donatella Nebbiai

L e 1er juillet 1427, Jean Beert, socius du collège de Sorbonne (sans doute un
proviseur de la province d’Allemagne)1, emprunte la clé de la bibliothèque
pour la remettre à Jean Tinctor, alors hôte du collège, et deux manuscrits : une
Bible et un exemplaire de la deuxième partie du commentaire de saint Thomas
sur les Sentences2. Tinctor est un jeune et brillant théologien belge, né à Tournai
dans les premières années du xve siècle3. Immatriculé en 1423 à l’université
de Cologne, il est élu maître ès arts en 1426, puis, en 1433, doyen de la faculté
des arts. En 1442, il devient doyen de la faculté de théologie de l’université
allemande. Il occupe la charge de recteur, successivement en 1440, 1455 et
1456. Rentré à Tournai en 1457, il est nommé chanoine de la cathédrale et s’y
éteint quelques années plus tard, le 3 juin 14694.
Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne offre la pre-
mière attestation des liens que Jean Tinctor va entretenir avec le collège pari-
sien, tout en poursuivant sa carrière à Cologne. Ces liens vont se prolonger
pendant plusieurs années. D’après le registre de prêt, il a fréquenté, outre Jean

1. Pour la notice sur ce personnage du Registre de prêt, voir l’édition de J. Vielliard et


M.-H. Jullien de Pommerol, Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, Paris,
CNRS Éditions, 2000, p. 613 (désormais cité : Registre de prêt) ; la mention est éditée aux
p. 299-300.
2. Respectivement les manuscrits correspondant aux nos I, 24 et XXIII, 100 du catalogue de
1338. Voir L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale [puis Nationale], III, Paris
1881, p. 10 et 28 ; le deuxième ms. est conservé, c’est l’actuel Paris, BNF, latin 15764. Il provient
de Bernier de Nivelle (voir note au f. 221).
3. On ne le confondra pas avec le musicien homonyme, originaire du Brabant, mort en 1510,
auteur d’une douzaine de traités musicaux écrits entre 1472 et 1497, dont le plus célèbre est
le Liber de arte contrapuncti. Dans une bibliographie abondante, voir H. Hüscher, « Johannes
Tinctoris », The New Grove Dictionary of Music and Musicians, Londres, Macmillan, 1980.
4. J. Vos, Les dignités et les fonctions de l’ancien chapitre de Notre Dame de Tournai, II, Bruges, Desclée,
1898, p. 155.

Les livres des maîtres de Sorbonne, sous la direction de Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2017

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 205 10/04/2017 16:32


206 Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes Tinctoris

Beert, d’autres personnalités du collège. Jean Tinctor est aussi élu au rang
de socius, à une date que nous ignorons. Il est mentionné sous cette qualité
dans l’Ordo scriptorum sorbonicorum (Paris, bibliothèque de l’Arsenal, ms. 1228,
f. 458v)5, et surtout dans les ex-dono de deux manuscrits du xve siècle de la
Summa de bono d’Ulrich de Strasbourg, qu’il offrit au collège à la fin de sa vie,
en 1469. Ces volumes nous sont parvenus : ce sont les actuels Paris, BNF, latin
15900 et 159016.
Que signifie ce legs et que savons-nous, par ailleurs, des œuvres de Jean
Tinctor, ce représentant bien connu de la vie intellectuelle et doctrinale de
son époque ? En quoi a-t-il contribué au rayonnement international du col-
lège et à l’évolution des doctrines qui y sont enseignées ? Voici quelques-unes
des questions auxquelles je souhaiterais répondre, partant de l’étude que
M. Grabmann a consacrée à ce théologien et des recherches qui ont suivi7. Le

5. Pour une évaluation du témoignage offert par le ms. Arsenal 1228 sur les protagonistes
de la vie intellectuelle du collège à la fin du Moyen Âge, voir Z. Kaluza, Thomas de Cracovie.
Contribution à l’histoire du collège de Sorbonne, Wroclaw-Varsovie-Cracovie-Gdansk, 1978, surtout
p. 11-12 ; sur les sources pour l’histoire du collège, voir désormais G. Fournier, « Listes,
énumérations, inventaires. Les sources médiévales et modernes de la bibliothèque du collège
de Sorbonne », Scriptorium, LXIV, 2011, 1, p. 158-213 ; Id., « Livre après livre. Un catalogue iné-
dit de la bibliothèque du collège de Sorbonne », Scriptorium, LXVII, 1, 2013, p. 184-217.
6. Voici le texte des ex-dono : Paris, BNF, latin 15900, f. 1 : Iste liber est pauperum magistrorum et
scolarium collegii Sorbone in theologica / facultate Parisius studentium, ex legato magistri Johannis Tinctoris
doctoris Coloniensis et quondam socii huius domus de Sorbona ; latin 15901, f. 1v : Iste liber est paupe-
rum magistrorum et scolarum collegii Sorbone in theologica / facultate Parisii studentium ex legato magistri
Johannis Tinctoris doctoris in theologia Coloniensis et socii dicte domus de Sorbona qui obiit et in suo obitu
hoc volumen cum precedente legavit anno Domini 1469. 
7. M. Grabmann, « Der belgische Thomist Johannes Tinctoris († 1469) und die Entstehung
des Kommentars zu Summa theologica des Hl. Thomas von Aquin », dans Studia medievalia
in honorem R. P. Raymundi Joseph Martin OP, Bruges, 1948, réimpr. dans Id., Mittelalterliche
Geistesleben. Abhandlungen zur Geschichte des Scholastik und Mystik, III, Munich, 1956 (réimpr.
Munich, Olms, 1983), p. 411-432. Les autres travaux ici consultés sont d’E. Van Valberghe,
« Les théologiens et la Vauderie au xve siècle. À propos des œuvres de Jean Tinctor à la biblio-
thèque de l’abbaye du Parc », dans Miscellanaea codicologica F. Masai dicata, II, Gand, 1979, p. 392-
411 ; Id., Les manuscrits médiévaux de l’abbaye du Parc, Bruxelles 1992, p. 123-153 (« Les œuvres du
théologien Jean Tinctor » ; désormais cité : « Les œuvres… »), et de F. Duval, « Jean Tinctor.
Auteur et traducteur des Invectives contre la secte de Vauderie », Romania, 117, 1999, p. 186-218, qui
donne, p. 187-188, note 3, le point le plus récent sur la bibliographie concernant notre per-
sonnage. Cependant, F. Duval ne cite pas ses relations avec le collège de Sorbonne, pas plus
qu’E. Van Valberghe. Z. Kaluza a consacré une brève note à Jean Tinctor dans son article
« Nouvelles remarques sur les œuvres de Gilles Charlier », Archives d’histoire doctrinale et littéraire
du Moyen Âge, 38, 1971, p. 149-191 (ici p. 176). En revanche Z. Kaluza ne fait aucune référence
à Jean Tinctor dans « Les débuts de l’albertisme tardif. Paris et Cologne », paru dans Albertus
Magnus und der Albertismus. Deutsche philosophische Kultur des Mittelalters, M. J. F. M. Hoenen et
A. de Libera, éd., Leyde-New York-Cologne, Brill, 1995, p. 207-242. J’ai cependant largement

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Donatella Nebbiai 207

parcours de Jean Tinctor, attesté dans au moins trois villes d’Europe, appa-
raît riche et complexe ; ses lectures et son œuvre, telles que nous avons pu
les retracer (voir la liste de ses œuvres en annexe I et la référence aux manus-
crits consultés et possédés, annexes II et III), renvoient à ses intérêts pour les
domaines de la théologie spéculative, de la pastorale et de la mystique.

L’universitaire
Après Jean Beert, le deuxième socius du collège auquel Tinctor s’adresse,
quelques mois plus tard, le 9 août 1428, pour obtenir en prêt des volumes
de la bibliothèque, est Josse de Liza. La biographie de ce docteur, qui semble
avoir effectué toute sa carrière à Paris, demeure en grande partie obscure.
Cursor à la faculté de théologie, Josse en devient régent autour de 1430. Il a
assisté au concile de Constance et sans doute aussi à celui de Bâle. Josse de
Liza a régulièrement consulté la bibliothèque du collège8. Sous son couvert9,
Jean Tinctor a emprunté six manuscrits de commentaires de saint Thomas sur
Aristote, plus un exemplaire des Sentences de Pierre Lombard10.
Ces emprunts s’effectuent au sein d’un « réseau » flamand : ainsi, le
manuscrit des Sentences (Paris, BNF, latin 15721) est celui même qui avait
été légué au collège par l’évêque de Tournai Michel de Warenghein à la fin
du xiiie siècle et qui était depuis réservé à l’usage des lecteurs d’origine fla-
mande11. L’exemplaire de la Physique d’Aristote (Paris, BNF, latin 15452) est,
quant à lui, très probablement originaire des Pays-Bas d’après la décoration,

bénéficié de cette étude, qui porte sur divers aspects de la réception des textes philosophiques
au collège de Sorbonne et à Paris au cours du xve siècle.
8. Registre de prêt, op. cit., p. 645 ; dossier 48 et passim.
9. Item habuit eodem anno [1428 IX 8], die nona h. mensis augusti, clavem pro magistro Johanne Tinctoris,
hospite, etc. ; voir Registre de prêt, op. cit., p. 244.
10. Ce sont les manuscrits correspondants aux nos LIIII, 41, LIIII, 45, XLVII, 35, XLVII, 39,
XXII, 14 et LIIII, 22 du catalogue de 1338. L’exemplaire correspondant au commentaire de
saint Thomas sur la Physique et la Métaphysique, deuxième manuscrit emprunté, en revanche,
ne semble pas pouvoir être identifié dans le catalogue. Nous avons conservé les manuscrits
correspondants aux nos LIIII, 45 (Paris, BNF, latin 16144, 2, xiiie s., voir L. Delisle, Inventaire,
p. 41, et Cabinet, III, p. 65), XLVII, 39 (Paris, BNF, latin 15452, xiiie s., voir Id., Inventaire, p. 12,
et Cabinet, III, p. 59), XXII, 14 (Paris, BNF, latin 15721, xiiie s., voir Id., Inventaire, p. 22-23,
et Cabinet, III, p. 24) et LIIII, 22 (Paris, BNF, latin 16104, xiiie s., voir Id., Inventaire, p. 39, et
Cabinet, III, p. 65).
11. Voir, sur ce manuscrit, la notice de C. Angotti en ligne, site de la BNF Archivesetmanuscrits.
Pour les lectures des Sentences au collège de Sorbonne, voir la thèse de doctorat de C. Angotti,
« Lectiones sententiarum ». Étude des manuscrits de la bibliothèque du collège de Sorbonne. La formation des
étudiants en théologie de l’université de Paris à partir des annotations et des commentaires sur le livre des
Sentences de Pierre Lombard (xiiie-xve siècle), Paris, EPHE, IVe section, 2008.

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208 Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes Tinctoris

tandis que le Commentaire des Sentences de Thomas d’Aquin (Paris, BNF, latin
15764) était entré au collège grâce au legs d’un autre maître belge, Bernier
de Nivelle, chanoine de Saint-Martin de Liège. Cette provenance, non men-
tionnée dans le catalogue de 1338, se déduit d’un ex-dono inscrit au f. 220.
Quelques mois plus tard, en juin 1429, c’est encore par l’intermédiaire de
Josse de Liza que Jean Tinctor emprunte deux autres volumes : ce sont les
mêmes qu’il avait déjà eus deux ans plus tôt par l’entremise de Jean Beert,
à savoir la Bible (I, 24) et le commentaire sur les Sentences de saint Thomas
d’Aquin (XXIII, 100, actuel Paris, BNF, latin 15764). Globalement, ces choix
de lecture ne se démarquent pas de ceux des autres maîtres qui fréquentent
alors la bibliothèque ; les Sentences de Pierre Lombard et surtout les commen-
taires de saint Thomas confirment l’orientation de la collection au service de
la théologie spéculative.
On peut se demander dans quelle mesure les œuvres de Jean Tinctor
reflètent ces lectures. Ses écrits sont attestés par des témoignages divers et
souvent fragmentaires. À la liste établie en 1956 par M. Grabmann sur la base
de manuscrits conservés (elle concerne exclusivement des œuvres latines),
s’ajoutent en effet le témoignage de son contemporain Gilles Charlier, doyen
du chapitre de Cambrai († 1472)12, ainsi que la brève notice de l’Ordo scriptorum
sorbonicorum déjà mentionnée plus haut13.
À partir des manuscrits conservés principalement à Vienne, Munich et
Bâle (certains proviennent de couvents dominicains), M. Grabmann restitue
notamment à Jean Tinctor des œuvres qui se rattachent à ses études théolo-
giques et renvoient donc, ne serait-ce qu’indirectement, à ses lectures pari-
siennes. Il cite un commentaire sur les Sentences et un autre commentaire sur
la Somme de théologie de saint Thomas d’Aquin. Mais il signale également une
série tout à fait considérable de commentaires sur Aristote qui confirment
la formation philosophique de Jean Tinctor. D’après les indications de l’un
d’entre eux, conservé à Munich (Bayerische Staatsbibliothek, Clm 3600),
ces commentaires, qui sont plutôt courts et ont été visiblement conçus pour
l’enseignement (ils sont désignés sous le titre particulier de copulata), ont
été produits pour l’essentiel autour de 1440-1445, donc à l’époque où notre
théologien exerçait la responsabilité de recteur de l’université de Cologne.

12. Voir N. Gorochov, Le collège de Navarre de sa fondation (1305) au début du xve siècle. Histoire de
l’institution, de sa vie intellectuelle et de son recrutement, Paris, Honoré Champion, 1997, p. 609 (avec
bibliographie).
13. Voir note 5.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 208 10/04/2017 16:32


Donatella Nebbiai 209

M. Grabmann souligne en outre que le commentaire sur la Métaphysique


dépend étroitement de celui de Thomas d’Aquin14.
L’influence que ce théologien a exercée sur Jean Tinctor s’explique aussi
par les relations de ce dernier avec un confrère d’origine hollandaise, Henri
de Gorkum ou Gorrichem († 1431)15. Auteur d’un commentaire des Sentences
et d’une trentaine d’autres ouvrages théologiques, il serait arrivé à Cologne
dans la première décennie du xve siècle, en même temps que plusieurs autres
maîtres originaires du nord de la France16. À ses côtés, Jean Tinctor se dis-
tingue, dès le milieu des années 1420, dans la controverse qui va diviser les
représentants du réalisme aristotélicien : Jean Tinctor et Henri de Gorkum
appartiennent au camp thomiste, contre les tenants des doctrines d’Albert le
Grand. Le maître hollandais est aussi une autorité très respectée à Paris. On
sait qu’il a séjourné dans la capitale entre 1427 et 1428, à l’époque même où
son confrère Jean Tinctor visite la bibliothèque du collège de Sorbonne, Henri
de Gorkum ayant été convié par les autorités de l’université à se prononcer
sur l’affaire de Jeanne d’Arc, avant que celle-ci, accusée de sorcellerie, ne soit
arrêtée, le 23 mai 1430. Henri de Gorkum a produit en juin 1429 un mémoire
synthétique, détaillant ses positions pour et contre la Pucelle17. On n’a aucune
preuve des échanges que les deux hommes auraient eus à ce sujet. Pourtant,

14. M. Grabmann, « Der belgische Thomist Johannes Tinctoris… », art. cité, p. 416-417 et


413-414.
15. Sur les conditions de la controverse entre thomistes et albertistes à l’université de Cologne,
voir Z. Kaluza, « Les débuts… », art. cité, p. 221 sq. Voir également, dans le même recueil,
M. J. F. M. Hoenen, « Heimeric van de Velde († 1460) und die Geschichte des Albertismus: Auf
der Suche nach den Quellen der albertistischen Intellektlehre des Tractatus problematicus »,
dans Albertus Magnus und der Albertismus, op. cit., p. 303-332. Le commentaire sur les Sentences
d’Henri de Gorkum a été édité à Bâle, en 1492 (Copinger, no 579), en association avec le com-
mentaire de saint Thomas d’Aquin sur les Sentences dédié à Annibald. Voir A. Oliva, Le débuts
de l’enseignement de Thomas d’Aquin et sa conception de la sacra doctrina, Paris, 2005 (Bibliothèque
thomiste, LVIII), p. 166-178, et en particulier p. 168, note 140.
16. Z. Kaluza, « Les débuts… », art. cité, p. 219-220.
17. P. Contamine, O. Bouzy et X. Hélary, Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire, Paris, Laffont,
2012, en part. p. 1064-1066 (« Observations sur les sources de l’histoire de Jeanne d’Arc écrites
jusqu’à sa capture, 23 mai 1430 »). Les auteurs rappellent qu’Henri de Gorkum était moins
engagé personnellement dans le conflit qu’un Français, un Anglais ou un Bourguignon ; il
rédigea donc six propositions « pour la pucelle » suivies d’un même nombre de propositions
« contre la Pucelle », en s’abstenant de conclure dans un sens ou dans l’autre. Le mémoire
d’Henri de Gorkum est transmis dans trois manuscrits du xve siècle (Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 943, Lille, BM, 539, f. 82v-85v, et Cologne, Stadtarchiv, Hd GB, f. 72). Il a été édité à quatre
reprises au moins dans des recueils d’œuvres de Jean Gerson (à partir du ms. de Lille ou d’un
autre, disparu), entre 1483 et 1706. La restitution de sa paternité à Henri de Gorkum revient à
J.-E. Quicherat, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, dite la Pucelle, III, Paris,
J. Renouard, 1845, p. 411-421.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 209 10/04/2017 16:32


210 Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes Tinctoris

quelques années plus tard, alors qu’il était établi à Tournai, Jean Tinctor va
aussi être impliqué dans des questions de sorcellerie. Il participe en effet acti-
vement au procès contre les adeptes de ces pratiques qui se déroule à Arras
dans les années 1460. Ce sera l’occasion pour lui d’élargir et de diversifier son
public, et d’assurer une plus large diffusion à ses positions doctrinales18.

L’activité pastorale
Jacques Du Clercq, chroniqueur du règne de Philippe le Bon, dit à propos de
Jean Tinctor qu’il était un « tres notable clercq et moult renommé en sens et en
clergie19 ». Ainsi, des personnalités célèbres lui ont fait confiance. C’est le cas
de Jean Jouffroy, évêque d’Arras (1453), conseiller de Philippe le Bon. Ce grand
humaniste et orateur, élève à Pavie de Lorenzo Valla et spécialiste de l’œuvre de
Quintilien20, a sans doute été déjà en relation avec Jean Tinctor à Cologne. Or
notre théologien est précisément convié à prononcer un discours devant lui21,
à l’occasion de la venue à Tournai de Louis XI en 1464. Quant au mémoire que
Jean Tinctor rédige contre les Vaudois, à la suite paraît-il de la dénonciation de
quelques-uns de ses concitoyens par des habitants d’Arras22, il serait, lui aussi,
issu de la mise au propre de matériaux initialement destinés à la diffusion
orale23. Rappelons que, dans le nord de la France et dans les Flandres, le terme
de Vaudois était alors attribué aux adeptes de la sorcellerie, à la suite d’une
assimilation indue avec les disciples de Valdo. L’historiographie protestante
a insisté sur le rôle que le mémoire de Jean Tinctor aurait joué dans la féroce

18. E. Van Valberghe, « Les œuvres… », art. cité, p. 126.


19. Mémoires sur le règne de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, III, Bruxelles 1836, p. 31.
20. Sur la rhétorique de Jouffroy et sur sa culture humaniste, marquée par le néoplatonisme,
voir L. Onofri, « Sicut fremitus leonis ita est regis ira. Temi neoplatonici e culto solare nell’ora-
zione funebre per Niccolò V di Jean Jouffroy », Humanistica Lovaniensia. Journal of Neo-Latin
Studies 31, 1982, p. 1-21. Pour sa biographie et sa carrière, voir C. Märtl, Kardinal Jean Jouffroy
(† 1473). Leben und Werk, Sigmaringen, 1996 ; sur les livres et la bibliothèque du cardinal, voir
M. Desachy, Deux bibliophiles humanistes. Bibliothèques et manuscrits de Jean Jouffroy et d’Hélion
Jouffroy, Paris, CNRS Éditions, 2011 (Documents, études et répertoires, 82).
21. G. R. Tewes, « Frühhumanismus in Köln. Neue Beobachtungen zu dem thomistischen
Theologen Johannes Tinctoris von Tournai », dans Studien zum 15. Jahrundert. Festschrift für Erich
Meuthen, II, Munich 1994, p. 684-693 (l’auteur fait référence aux liens ayant existé entre ces
deux personnages, qui auraient pu déjà se rencontrer à Cologne) ; F. Duval, « Jean Tinctor… »,
art. cité, p. 191. Aucune référence à cet épisode dans les études de C. Märtl et de M. Desachy,
citées dans la note précédente.
22. E. Van Balberghe, « Les œuvres… », art. cité, p. 127.
23. C’est l’opinion de F. Duval selon qui ces mémoires auraient pu être présentés à l’occasion
d’une commission ecclésiastique qui s’était réunie dans le cadre des États bourguignons ; voir
Duval, « Jean Tinctor… », art. cité, en part. p. 189-191.

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Donatella Nebbiai 211

répression alors engagée par les autorités, les confessions ayant été arrachées
sous la torture et de nombreux suspects ayant été condamnés au bûcher24.
Le théologien commence par dénoncer la gravité de la Vauderie, qui est pire
que l’idolâtrie et que l’infidélité des adeptes de Mahomet. Il incite les autori-
tés religieuses et civiles à lutter contre cette plaie. Dans une seconde partie,
plus axée sur l’argumentation doctrinale, Jean Tinctor traite du démon, des
pouvoirs magiques qu’il confère aux Vaudois, capables selon lui de transférer
les corps et de jeter des sorts. Il y explique également les limites de la puis-
sance des anges et comment on peut discerner un maléfice. Ses sources sont
bibliques et patristiques (saint Augustin et Grégoire le Grand pour l’essen-
tiel), mais les emprunts sont nombreux aussi à Denys l’Aréopagite (Hiérarchie
céleste), à saint Thomas d’Aquin (Somme de théologie), ainsi qu’à Aristote
(Physique et De divinatione) et à Tertullien. Relevons aussi un emprunt, plus
rare, au passage de l’un des sermons sur le Cantique des cantiques du cistercien
anglais Henri de Ford († vers 1220)25.
Le mémoire, tantôt attesté sous le titre de Sermo, de Tractatus et de Speculatio,
a connu une bonne diffusion, et l’auteur y a personnellement participé.
Toujours d’après Jacques Du Clercq, Jean Tinctor « publia et envoya [le texte]
en plusieurs lieux26 ». On en conserve quelques exemplaires, les plus complets
provenant des abbayes belges du Parc et du Val Saint-Martin de Louvain27.
Jean Tinctor a aussi traduit cette œuvre en français28. Si cette version est
moins marquée par la spéculation que le texte latin, le raisonnement abstrait
et les déductions logiques ainsi que les citations savantes y gardent une place
importante. Certains passages d’intérêt moral, à propos des vices et des vertus
par exemple, apparaissent plus développés que dans le texte latin, tandis que
d’autres, ceux qui présentent les pratiques de sorcellerie par exemple, sont
omis car l’auteur les juge scabreux et en déconseille la lecture aux « simples
gens ». Si la version française témoigne du succès de l’œuvre et de l’ampleur
du public qui s’intéressait alors à ces problématiques, les destinataires

24. E. Balmas, « Le Traictié de Vauderie de Johannes Tinctor », Protestantesimo, 34, 1979, p. 1-26.
25. Sermon 118 : Corpus christianorum. Continuatio medievalis, XVIII, Turnhout, 1970, p. 799,
l. 167-170.
26. Cité par E. Van Valberghe, « Les œuvres… », art. cité, p. 127.
27. Pour la composition du manuscrit et pour la bibliothèque de l’abbaye du Parc, voir
E. Van Valberghe, « Les œuvres… », art. cité, en part. p. 127-137. Sur la bibliothèque du Val
Saint-Martin de Louvain, voir l’étude de W. Lourdaux et M. Haverals, Bibliotheca Vallis Sancti
Martini in Lovanio. Bijdrage tot de studie van het geestesleven in de Nederlanden. A Contribution to the Study
of Intellectual Life in the Netherlands (15th-18th Century), Louvain, 1978, 2 vol.
28. On doit cette attribution à F. Duval, « Jean Tinctor… », art. cité, en part. p. 201-217, pour
l’analyse linguistique de la traduction.

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212 Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes Tinctoris

privilégiés de ce traité sont néanmoins les prélats, ainsi que les princes,
garants de l’équilibre et de la paix publique. Du coup, la version française a
été transmise en particulier dans des copies de luxe enluminées. L’une d’entre
elles fut ainsi réalisée pour la bibliothèque du duc de Bourgogne, une autre
pour Louis de Bruges, seigneur de Gruuthuse29.
Jean Tinctor a composé une autre œuvre pastorale, qui renvoie à l’intro-
duction de l’observance dans les monastères de Belgique. Il s’agit du Contra
defendentes aperturam claustrorum. Ce traité ne nous est pas parvenu, mais
Sanderus en signale la présence au sein d’un recueil d’écrits sur la ques-
tion de la propriété monastique, décrit dans le catalogue de la bibliothèque
du monastère de Saint-Martin de Tournai30. C’est vraisemblablement Gilles
Charlier, chanoine de Cambrai et membre du collège parisien de Navarre, qui
en a inspiré la rédaction. Dans une lettre adressée à l’abbé de Hasnon, celui-
ci cite en effet le nom de Jean Tinctor, avec ceux de quelques autres théolo-
giens, qu’il a invités à tenir des conférences aux religieux de l’abbaye, pour
les préparer à la réforme31. La notice consacrée à Tinctor dans l’Ordo scriptorum
sorbonicorum mentionne ces conférences sous le titre : Collationes contra vitium

29. Bruxelles, BR, 11209. Sur la diffusion et la réception du texte français à la cour de Bourgogne
et les exemplaires enluminés, voir F. Mercier, « Un trompe-l’œil maléfique. L’image du sab-
bat dans les manuscrits enluminés de la cour de Bourgogne. À propos du traité du crisme de
Vauderie de Jean Taincture, vers 1460-1470 », Médiévales, 44, printemps 2003, p. 97-116 ; du
même auteur, voir aussi désormais : La Vauderie d’Arras. Une chasse aux sorcières à l’automne du Moyen
Âge, Rennes, 2006, et le compte rendu de J. Véronèse, « Frank Mercier et Martine Ostorero.
L’énigme de la Vauderie de Lyon. Enquête sur l’essor de la chasse aux sorcières entre France et
Empire (1430-1480) », dans Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 2015 (http://
crm.revues.org/13544).
30. Références citées par U. Berlière, « Deux écrivains de l’abbaye de Florennes au xve siècle »,
Revue bénédictine, 15, 1898, p. 495. Je reproduis ici la notice d’A. Sanderus, Bibliotheca belgica,
Insulis, MDCXLI, p. 133, d’après le catalogue de la bibliothèque de Saint-Martin de Tournai :
35. Contra monachos proprietarios plurimi egregiorum virorum tractatus impressi Parisii. Primus
Magistri Iohannis Currificis canonici regularis primo, deinde Monachi Cisterciensis in Villari, demum
Confessoris Monialium de Reformatione eiusdem Ordinis in Monasterio de Marts. Sicut modicum fermento-
rum totam massam, etc. Secundum Magistri Ioannis de Bomalia S. Theol. Doctoris Ordinis Praedicatorum
Utrum Praelatus alicuius religionis. Tertius Magistri Petri Damiani de contemptu seculi huius, Fratres
carissimi. Quartus Magistri Petri Cantoris Parisiensis Judas qui fur et loculos habens. Quintus cuiusdam
alterius viri docti, Novi quendam qui a multis suspectus. Item Tractatus Magistri Ioannis Tinctoris contra
defendentes aperturam Claustrorum. Adsunt ni fallor novissimi illi dies, de quibus etc. Item Ioannes Climacus.
Item Testamentum cuiusdam Monachi Cartusiensis in extremis laboratis Gratias age tibi domine Jesu Christe.
Item tractatus de arte bene vivendi et bene moriendi. Cum de presentis exilii miseria mortis transitus.
31. U. Berlière, « Deux écrivains… », art. cité, p. 539-540 ; la lettre n’est pas datée mais,
d’après U. Berlière, elle a été écrite avant février 1471 car à cette date Jean de Eecoute, trésorier
de Lille, qui y est mentionné, partit pour la Terre sainte. Elle est aussi antérieure au 3 juin 1469,
date de la mort de Jean Tinctor, également mentionné.

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Donatella Nebbiai 213

proprietatis. La lettre, quant à elle, occupe les f. 128-131 de l’actuel manuscrit


Bruxelles, Bibliothèque royale, 20929-20930 (fin du xve siècle ; il provient de
Saint-Trond), en ouverture d’une question sur la règle monastique (Questio de
regula monastica).
L’auteur de la Questio est un abbé de Hasnon, Godefroid de Godinne. Dans
la seconde moitié du xve siècle, il avait été appelé pour réformer cette abbaye
et y introduire l’observance de la congrégation de Bursfeld32. Godinne est éga-
lement l’auteur du statut qui ouvre le manuscrit (Defensorium religiosorum). Ce
texte décrit la vie de la communauté religieuse réformée et les différentes attri-
butions de ses membres. On y évoque la mémoire d’un prieur des Chartreux
de Liège, Jacques de Gruytrode, pie memorie, et d’un abbé du Jardinet, Jean
Eustache, pie recordationis. Rappelons que l’abbaye de Jardinet, cistercienne
depuis 1430, était située dans le diocèse de Liège (aujourd’hui Namur). Elle
fut, à la fin du Moyen Âge, l’un des hauts lieux de la spiritualité en Belgique ;
sa bibliothèque en témoigne33. La sœur de Jean Tinctor, Anna, y était moniale.
Elle offrit l’un de ses manuscrits à l’abbaye. Ce mélange de textes patristiques
est conservé : il s’agit du manuscrit Namur, Musée archéologique, fonds
de la Ville, 15934.

Intérêts pour la mystique


L’un des théologiens que Gilles Charlier a conviés, en même temps que
Jean Tinctor, pour préparer les moines de Hasnon à la réforme, est Jean de
Eecoute. Originaire d’Enghien, docteur en théologie ( 1462), chanoine de
Saint-Pierre de Lille, Jean de Eecoute meurt à Zadar, en Dalmatie, le 17 février
1472, alors qu’il se rend en pèlerinage sur les Lieux saints. Socius du collège de
Sorbonne, Jean de Eecoute a fréquenté assidûment la bibliothèque, assurant

32. Bruxelles, BR, 20929-20930, f. 124-128v : Queritur utrum abbas potest et debet suos religiosos ex
consuetudine aliter quam secundum eorum statutum et regulam viventes ad regulam et primevam institu-
tionem ordinis eorum reducere eors ad hoc ortando et contradicendo si necesse fuerit non obstante illo quod
dicunt se non vovisse aliud quam observabatur tempore ingressus eorum.
33. X. Hermand, « Réformes, circulation de scribes et transferts de manuscrits dans les
abbayes cisterciennes du diocèse de Liège. À propos de l’abbaye du Jardinet », Scriptorium,
LXIV,1, 2010, p. 3-80.
34. Au f. 1, une note du xve siècle précise : Iste liber pertinet monasterio beate Marie de Gardineto ; et
au f. 367 : Ex dono domicelle Anne sororis magistri Johannis Tinctoris advenit iste liber huic monasterio.
Orate pro ea ex caritate et propter gratiam ipsius. Voir P. Faider et al., Catalogue des manuscrits conservés
à Namur : Musée archéologique, Évêché, Grand Séminaire, Museum Artium S. J., etc., Gembloux, 1934,
p. 225-229 ; F. Dolbeau et P. Petitmengin, « Les vies latines de sainte Pélagie. Inventaire
des textes publiés et inédits », Recherches augustiniennes, 12, 1977, p. 1-29 (cité p. 21).

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214 Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes Tinctoris

même à deux reprises, en 1459 et en 1461, la responsabilité des collections35.


Le dossier qui lui est réservé dans le registre de prêt fait état, à partir de 1455,
des nombreux contacts de Jean de Eecoute avec divers ecclésiastiques du nord
de la France, de Belgique et de Flandre, à qui il garantit l’accès à la biblio-
thèque. Jean Tinctor, qui évolue alors désormais surtout entre Cologne et
Tournai, ne semble pas en avoir fait partie, mais des humanistes de renom
figurent parmi ses correspondants ; c’est le cas par exemple de Raphael de
Mercatellis, abbé de Saint-Bavon de Gand36.
Jean de Eecoute a également possédé une bibliothèque personnelle d’une
cinquantaine de volumes. Ils sont détaillés dans son testament, établi de son
vivant, les 11-13 février 147137. Les livres sont légués, pour la plupart, à l’église
Saint-Pierre de Lille, ainsi qu’à quelques clercs et prêtres qui faisaient partie de
son entourage, mais Jean de Eecoute précise aussi les institutions religieuses
de la ville et de la région auxquelles les livres auraient dû parvenir faute d’être
remis aux destinataires désignés. Il apparaît aussi que Jean de Eecoute a copié
lui-même quelques-uns de ses livres. L’un de ses propres écrits, le De triplici
desponsatione, en fait partie. Ce traité mystique sur l’union à Dieu selon le sym-
bolisme du mariage nous est parvenu38.
Le répertoire des auteurs de la Sorbonne (Paris, bibliothèque de l’Arsenal,
ms. 1228) attribue encore à Jean de Eecoute un mémoire sur la transsubstan-
tiation de saint Jean l’Évangéliste dans le Christ. Ce texte ne semble pas avoir
été conservé. La question renoue avec les débats autour du dogme de l’Im-
maculée Conception qui agitaient depuis plusieurs années déjà le milieu des

35. Registre de prêt, op. cit., p. 621 et dossier 105.


36. Voir E. Bayle, « Jean de Eecoute, sa vie, son œuvre. Un théologien parisien, chanoine de
Saint-Pierre de Lille », Positions des thèses de l’École nationale des chartes, 1957, p. 27-30, et Id.,
« Recherches sur Jean de Eecoute et son De triplici desponsatione », ibid., 1956, p. 17-22. Sur
Raphael de Mercatellis, abbé de Saint-Bavon de Gand, et ses livres, voir A. Derolez, The Library
of Raphael de Mercatellis, abbot of St-Bavon’s, Ghent, 1437-1508 [publié à l’occasion de l’exposition
« De Bibliotheek van Raphaël de Marcatellis, 1437-1508, Gand, 1979], Gand, E. Story-Scientia,
1979.
37. Lille, Arch. dép. du Nord, 16 G 54, no 389 ; BMMF, no 796. Outre quelques livres de dévotion,
des ouvrages de poésie et de rhétorique (les classiques latins, en particulier sont nombreux),
de philosophie et de théologie, de droit en font partie. Parmi les titres cités, on reconnaît un
exemplaire de son propre traité, le De triplici desponsatione, encore inachevé, dans un exemplaire
qu’il destine à l’église Saint-Pierre de Lille (Et duas primas partes tractatus de triplici desponsatione
hiis in diebus compilati, pour les liier et mettre aussi au choer ; document transcrit dans la thèse inédite
d’E. Bayle, École nationale des chartes, 1957, citée supra, note 36).
38. Il a été édité par E. Bayle, dans sa thèse de l’École nationale des chartes, 1957, citée supra,
note 36.

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Donatella Nebbiai 215

théologiens parisiens39. Elle avait à nouveau été soulevée en 1466, à la suite de


la prédication à Douai de deux franciscains. Ces frères avaient proposé une
interprétation hétérodoxe d’un passage de l’Évangile de Jean (19, 26-27), en
faisant référence à l’autorité de François de Mayronnes († 1325) et de Nicolas
Bonet († 1343)40. C’est aux positions de ces deux théologiens que s’adresse la
question rédigée par Jean de Eecoute, telle qu’elle est citée dans l’Ordo scripto-
rum sorbonicorum41. Le texte confirme également les liens intellectuels existant
entre le chanoine de Lille et Jean Tinctor, car une Quaestio sur le même sujet de
la transsubstantiation de saint Jean lui est également attribuée dans ce réper-
toire42. Nous avons conservé ce texte dans la Sportula fragmentorum de Gilles
Charlier, précisément sous le nom de Jean Tinctor. Deux autres morceaux sur
le même thème, également de lui, y sont associés (f. 106-108v et f. 109-113).
La Sportula est une importante collection d’écrits doctrinaux et polémiques.
Transmise dans le manuscrit Bruxelles, BR, 11492-11513, elle a été publiée
en 1479 à Bruxelles par les Frères de la Vie Commune43. Au-delà de la Quaestio
déjà citée et des pièces annexes, on y trouve trois autres opuscules théolo-
giques, dont la rédaction a été commandée par Gilles Charlier à Jean Tinctor.
Le premier est un mémoire sur la confession, où Gilles Charlier se propose de
répondre à l’instance de Pierre de Vaucelles. Il y a encore une Determinatio sur
la médecine corporelle et deux questions sur l’amour de Dieu. Une partie seu-
lement de ces titres sont répertoriés dans l’Ordo scriptorum sorbonicorum. Cette
source omet également de mentionner la lettre sur la prédestination que Jean
Tinctor aurait écrite à Gilles Charlier. Non conservée à notre connaissance,
cette lettre est mentionnée dans l’un des recueils manuscrits décrits dans le

39. La bibliographie sur la question de l’Immaculée Conception (dogme nié par les thomistes)
est vaste ; pour une présentation d’ensemble des aspects doctrinaux et historiques, voir
X. M. Le Bachelet, « Immaculée Conception », Dictionnaire de théologie catholique, VII, 1912,
col. 845-1218, et surtout M. Lamy, L’Immaculée Conception. Étapes et enjeux d’une controverse au
Moyen Âge, xiie-xve siècle, Paris, Institut des études augustiniennes, 2000 (Moyen Âge et Temps
modernes, 35).
40. Nicolas Bonet est notamment l’auteur d’un dialogue De conceptione Beatae Mariae Virginis
composé à l’instance de Clément V ; voir pour ses autres œuvres O. Brian, « Nicolas Bonet »,
Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique, IX, 1937, col. 849-852.
41. E. Van Balberghe, « Les œuvres… », art. cité, p. 146.
42. Voir Arsenal 1228, f. 458v : Contra Bonetum et Franciscum Maronis assertiones s. Johannem
Evangelistam fuisse verum ac naturalem filium B. Virginis.
43. E. Van Balberghe, « Les œuvres… », art. cité, p. 144-147 ; Gilles Charlier a active-
ment participé aux débats sur ce dogme ; Z. Kaluza, « Nouvelles remarques… », art. cité,
p. 151 ; V. Doucet, « Magister Aegidius Carlerii († 1472) eiusque Quaestio de Immaculata
Conceptione B. Mariae Virginis », Antonianum, 5, 1930, p. 405-442 (cit. p. 409).

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216 Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes Tinctoris

catalogue de Rouge Cloître, qui contenait aussi des œuvres d’Henri Pomerius
et de Gilles Charlier (0 33)44.
Revenons aux manuscrits subsistants. Parmi les sources principales de son
commentaire sur saint Thomas d’Aquin, Jean Tinctor cite, aux côtés d’Hugues
de Saint-Victor et d’Henri de Gand, la Summa de bono d’Ulrich de Strasbourg
(Reverendus Ulricus de Argentina), une œuvre dont il a fait don à sa mort, nous
l’avons rappelé plus haut, à la bibliothèque du collège de Sorbonne45. Ulrich
est un théologien dominicain, élève d’Albert le Grand, contemporain et
confrère de saint Thomas. Lecteur au couvent de Strasbourg (1272) et prieur
de la province de Teutonie de 1272 à 1277, Ulrich de Strasbourg meurt à Paris
en 127846. Auteur de plusieurs traités et questions théologiques, de lettres,
ainsi que d’un commentaire sur les livres des Météores d’Aristote47, Ulrich
aurait composé la Summa entre 1262, date à laquelle son maître Albert le
Grand, comme il l’indique lui-même dans un passage, n’était déjà plus évêque
de Ratisbonne, et 1272, juste avant d’être élu provincial48. L’œuvre occupe une
place considérable dans l’histoire de la théologie dominicaine, et même si
elle n’atteint pas la cohésion et l’exhaustivité de la Somme de saint Thomas,
elle est indéniablement beaucoup plus mûre et achevée que d’autres sommes
théologiques circulant à cette époque, celle de Guillaume d’Auxerre ou celle

44. Z. Kaluza, « Nouvelles remarques… », art. cité, p. 176 et 157, à propos du catalogue de
Rouge Cloître. Pour ce catalogue (ms. Wien, ÖNB, MS Series Nova 12694 ; la Tabula alphabetica
décrivant les manuscrits par cote, se trouve aux f. 26-41v), voir à présent l’édition du catalogue
et la bibliographie dans Corpus catalogorum Belgii, IV, Bruxelles, 2001, p. 182-209.
45. Voir note 6.
46. T. Kaeppeli, Scriptores OP Medii Aevi, Rome, 1975, IV, p. 418-423 ; voir aussi M. Grabmann,
« Studien über Ulrich von Strassburg. Bilder wissenschafltichen Lebens und Strebens aus der
Schule Alberts des Grossen », dans Mittelalterliche Geistesleben. Abhandlungen zur Geschichte der
Scholastik und Mistik, I, Munich, 1926, p. 147-210 (réimpr. Munich, Olms, 1984). Pour l’édi-
tion du texte, voir J. Daguillon, La Summa de bono d’Ulrich de Strasbourg, Paris, Vrin, 1930
(seulement la table et les deux premiers livres) et B. Mojsisch, F. Retucci et L. Sturlese,
éd. Ulrich von Strassburg, De summo bono. Hamburg, Meiner, 2005-2008 (Corpus philosophorum
Teutonicorum medii aevi) ; voir en outre A. de Libera, Introduction à la mystique rhénane d’Albert
le Grand à Maître Eckart, Paris, 1984 (chapitre IV : « Ulrich de Strasbourg », p. 99-162).
47. Un traité sur l’homme, qui lui est également attribué, est en réalité d’Henri de Malines.
Voir pour cette œuvre, qui aurait été conçue comme un complément de la Summa d’Ulrich de
Strasbourg, A. Pattin, Le Tractatus de homine de Jean de Malines. Contribution à l’histoire de l’alber-
tisme à l’université de Cologne, Louvain, 1977 (paru dans Tijdschrift voor filosofie, 1977).
48. J. Daguillon, La Summa, op. cit., p. 30* : voici le passage concernant Albert le Grand, qui
fut évêque de Ratisbonne entre 1260 et 1262, qui permet de dater l’œuvre : Aliter autem ab omni-
bus premissi sentit doctor meus dominus Albertus, episcopus quondam Ratisponensis, vir in omni scientia
adeo divinus ut nostri temporis stupor et miraculum congrue vocari possit et in magicis expertus ex quibus
multum dependet hujus materiae scientia. Voir Summa, lib. IV, tract. III, cap. 9.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 216 10/04/2017 16:32


Donatella Nebbiai 217

attribuée à Alexandre de Halès par exemple. Son plan comporte huit livres,
annoncés dans une table en ouverture. Seuls six livres nous sont parvenus
dans les manuscrits conservés49. Marquée par une forte orientation néo-pla-
tonicienne, la Summa de bono apparaît nettement influencée par l’œuvre du Ps.
Denys l’Aréopagite : ses deux premiers livres sont d’ailleurs un commentaire
du De divinis nominibus.
Œuvre éminemment mystique, la Summa a été considérée comme le
« trait d’union entre la doctrine albertienne et les grands mystiques rhénans
du xve siècle50 ». Aussi la question de sa réception, aussi bien du temps de
son auteur que par la suite, est-elle importante. L’œuvre semble en effet
avoir connu une assez large diffusion manuscrite (vingt-quatre manuscrits
conservés sont connus à ce jour), mais principalement au xve siècle et dans
des bibliothèques ecclésiastiques (individuelles ou institutionnelles) et non
pas « universitaires ». À titre d’exemple, une attestation significative de sa
réception est offerte par le manuscrit Paris, bibliothèque de l’Arsenal, 248. Ce
recueil d’œuvres patristiques et théologiques du xiie siècle, d’origine cister-
cienne, contient des textes de controverse de saint Augustin (Retractationes et
Ad Quodvultdeum), ainsi que les Errores Petri Abailardi51. Un maître du xve siècle
y a inscrit des notes, au début et à la fin. Le personnage n’a pas été identifié à
ce jour mais, de l’avis de T. Kouamé, il pourrait s’agir du procureur en charge
des finances d’un grand collège du Quartier latin52. Ses notes se réfèrent en
effet aux collations de plusieurs prélats importants, auxquelles il a assisté ;
il a inscrit également les sommes perçues d’un certain nombre de boursiers.
Ce maître inconnu a aussi recopié, à la fin du manuscrit, la table de la Summa
d’Ulrich de Strasbourg53.
Dans son étude sur les débuts de l’albertisme tardif, Zénon Kaluza a observé
que la Summa a été amplement consultée et citée au xve siècle, ce qui atteste
le renouveau d’intérêt que la doctrine d’Albert le Grand connaît, aussi bien à
Paris qu’à Cologne, dans le milieu des clercs séculiers et principalement des

49. Les livres abordent successivement les thèmes suivants : 1. La Connaissance de Dieu. 2.
L’Être de Dieu. 3. La Trinité. 4. La Création. 5. L’Incarnation. 6. Le Saint-Esprit. 7. et 8. (les
livres non écrits, ou non parvenus jusqu’à nous) les Sacrements et la Béatitude.
50. J. Daguillon, La Summa, op. cit., p. XII
51. H. Martin, Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de l’Arsenal, I, Paris, 1885, p. 137-138 ;
selon C. Mews, « Guibert of Nogent’s Monodiae », Revue des études augustiniennes, 33, 1, 1987,
p. 125-127, il serait originaire d’Ourscamp.
52. Communication par courrier électronique (en décembre 2013).
53. L’une des notes (f. 76v), en grande partie effacée, concerne l’achat du manuscrit. On lit :
Hunc librum habui a Dionisii (?) […]llerii precie unius libre Parisiensis.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 217 10/04/2017 16:32


218 Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes Tinctoris

artiens54. C’est aussi sans doute dans ce cadre que l’on peut inscrire le don par
Jean Tinctor au collège de Sorbonne, et ce même si tout au long du xve siècle,
les lecteurs de la bibliothèque, marqués par la suprématie intellectuelle de
Thomas d’Aquin et fidèles à un réalisme « à l’ancienne », ne semblent avoir
porté qu’un intérêt limité à l’œuvre d’Albert le Grand55.

Donatella Nebbiai
CNRS-IRHT

54. Z. Kaluza, « Les débuts… », art. cité, p. 209.


55. Ibid., surtout p. 215-216. Comme nous l’avons déjà rappelé, Z. Kaluza ne mentionne pas
Jean Tinctor dans cette étude. Il n’indique en effet que le nom de Josse de Liza comme posses-
seur des ms. Paris, BNF, latin 15900-15901. Z. Kaluza fait en revanche référence à son contem-
porain, le théologien allemand Jean Wenck de Herrenberg († 1460), qui semble avoir eu un
parcours au moins en partie analogue à celui de Jean Tinctor. Jean Wenck est un membre de
la nation anglo-allemande. Arrivé à Paris avant 1413, il a étudié sous la direction de Guillaume
de Locham et s’est ensuite établi à Heidelberg, en 1432. Influencé par l’enseignement de Jean
de Maisonneuve, il a commenté le De anima ainsi que la Hiérarchie céleste du Ps. Denys, dont
Z. Kaluza souligne que ce sont des ouvrages d’inspiration albertienne. Wenck a aussi composé
un De ignota litteratura (contre le De docta ignorantia de Nicolas de Cues). Voir ibid., p. 213.

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Donatella Nebbiai 219

ANNEXES

Liste des œuvres de Jean Tinctor

Abbreviatio librorum Aristotelis de generatione et corruptione


Ms. Bâle, Universitätsbibliothek F VI 12 (ou F VI 21), xve s. (M. Grabmann, « Der bel-
gische Thomist Johannes Tinctoris… », art. cité, p. 413).

Collationes contra vitium proprietatis


Paris, Bibl. de l’Arsenal 1228, f. 458v
Mentionnées dans Bruxelles, Bibliothèque royale 20929-20930 (fin du xve siècle,
prov. Saint-Trond).

Commentarius (ou Copulata) in Aristotelis de Anima


Ms. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 3600 (a. 1444), f. 35v-55v (Grabmann,
p. 415) ; Frankfurt a/Mein, Stadt-und Universitätsbibliothek, Praed. 113, f. 47v-
70v (a. 1443) (Ch. Lohr, « Medieval Latin Aristotle commentaries », Traditio,
XXVII, 1971, p. 287-288).

Commentarius (ou Copulata) in Aristotelis de Generatione et corruptione


Ms. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 3600 (a. 1444), f. 124-137v (M. Grab-
mann,« Der belgische Thomist Johannes Tinctoris… », art. cité, p. 417 ;
Ch. Lohr, « Medieval Latin Aristotle commentaries », Traditio, XXVII, 1971,
p. 287) ; Bâle, Bayerische Staatsbibliothek, Clm F VI 21 (sous le titre d’Abbreviata,
voir supra ?).

Commentarius in Aristotelis de longitudine et brevitate vitae


Ms. Munich 3600, f. 74-76 (a. 1444) (Grabmann,« Der belgische Thomist Johannes
Tinctoris… », art. cité, p. 416) ; Magdebourg, Bibl. Domgymnasium 220 (a. 1476),
f. 268-269 (Ch. Lohr, « Medieval Latin Aristotle commentaries », art. cité, p. 288 ;
scripta per manus Theoderici de Alemania cuiusdam studentis in Colonia).

Commentarius (ou Copulata) in Aristotelis de Memoria et reminiscentia


Ms. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 3600 (a. 1444), f. 66v-68v (Grab-
mann,« Der belgische Thomist Johannes Tinctoris… », art. cité, p. 416) ; Magde-
bourg, B. Domgymnasium 220 (a. 1476), f. 260-262v (Ch. Lohr, « Medieval Latin
Aristotle commentaries », art. cité, p. 288).

Commentarius (ou Copulata) in Aristotelis de Sensu et sensato


Ms. Munich 3600 (a. 1444), f. 55v-65v ; Magdebourg, B. Domgymnasium 220 (a.
1476), f. 250-260 (Ch. Lohr, « Medieval Latin Aristotle commentaries », art. cité,
p. 288).

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220 Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes Tinctoris

Commentarius (ou Copulata) in Aristotelis de Somno et vigilia


Ms. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 3600 (a. 1444), f. 68v-71v (M. Grab-
mann, p. 416) ; Magdebourg, B. Domgymnasium 220 (a. 1476), f. 262v-267v (Ch.
Lohr, « Medieval Latin Aristotle commentaries », art. cité, p. 288).

Commentarius (ou Copulata) in Aristotelis Metaphysica


Ms. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 3600, f. 78-124v ; Bâle, Universitäts-
bibliothek F VI 12 (sous le titre « Reportata ») ; Wien, Dominikaner, 21 (M. Grab-
mann,« Der belgische Thomist Johannes Tinctoris… », art. cité, p. 413, 414 et
416-417) ; Magdebourg, B. Domgymnasium 165 (15e s.), f. 234-251v ; Tubingen,
Universitätsbibliothek, MC 113 (15e s.) (Ch. Lohr, « Medieval Latin Aristotle
commentaries », art. cité, p. 287).

Commentarius (ou Copulata) in Aristotelis Physicam


Ms. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 3600 (a. 1444), f. 1-34 (M. Grab-
mann,« Der belgische Thomist Johannes Tinctoris… », art. cité, p. 414-415) ;
Frankfurt/Main, Stadt-und Universitätsbibliothek, Praed. 113 (15e s.), f. 5-47v
(Ch. Lohr, « Medieval Latin Aristotle commentaries », art. cité, p. 287).

Commentarius in P. Lombardi Sententias


Mss Cologne, Stadtarchiv. 233 (l. I-IV) ; Stuttgart, Landesbibliothek Theol. Fol. 1
(l. I-IV) (a. 1471) ; Saint-Omer, Bibl. mun. 151, f. 1 ; Olim Cheltenham 604
(M. Grabmann,« Der belgische Thomist Johannes Tinctoris… », art. cité, p. 420 ;
Fr. Stegmüller, Repertorium commentariorum in Sententias Petri Lombardi, Herbipoli
(Würzburg), 1947, I, p. 248.

Commentarius in S. Thomas Aquinatis Summam theologiae


Ms. Wien, Dominikaner, 51 (a. 1494), f. 1-32v (incomplet) ; Saint-Omer, Bibl. mun.
162, f. 1 à la fin (M. Grabmann,« Der belgische Thomist Johannes Tinctoris… »,
art. cité, p. 421-424 et 429-434).

Consultatio super duabus quaestionibus ad instantiam domini Petri de Vaucello sacre theologie
professoris egregii. Conclusiones asserte per quendam minorem doctorem in theologie : cum
confessionis integritate diversis confessoribus possunt penitentes quandoque de diversis confiteri
reatibus.
Attesté dans la Sportula fragmentorum, Bruxelles, Frères de la Vie Commune, 1479, f. 29
d’après le ms. Bruxelles, BR 11492-11513 (E. Van Balberghe, « Les œuvres… »,
art. cité, p. 144).
Mentionné dans Paris, Bibl. de l’Arsenal 1228.

Contra propositiones, quarum prima fuit : Homo potest aliquam creaturam meritorie plus diligere
quam Deum ; Secunda : Deus potest acceptare odium sui ad vitam aeternam.
Attesté dans la Sportula fragmentorum, Bruxelles, Frères de la Vie Commune, 1479,
f. 114-115, d’après le ms. Bruxelles, BR 11492-11513 (E. Van Balberghe, « Les
œuvres… », art. cité, p. 145)

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Donatella Nebbiai 221

Contra sectam Valdensium (Speculatio in secta Valdensium)


Ms. Bruxelles, BR 11449-11451 (vers 1460), f. 33v-53 ; Bruxelles, BR II 5496, f. 165-
197v. Bruxelles, BR Réserve, LP A 2243-2253, ms. C (19 sept. 1460) ; Kassel,
Landesbibl., Theol. 509, f. 4-22 (53 (E. Van Balberghe, « Les œuvres… »,
art. cité, p. 127-128 ; Id. et J.-F. Gilmont, « Les théologiens et la Vauderie »,
dans Mélanges Masai, II, 1978, p. 393-411) ; Bruxelles, BR 733-741 (E. Van Bal-
berghe, « Les œuvres… », art. cité, p. 131 ; W. Lourdaux et M. Haverals,
Bibliotheca Vallis Sancti Martini in Lovanio, op. cit., 1, p. 184-188, no 39). Cf. aussi
infra : Tractatus de sabbato.

De somnio
Ms. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 3600, f. 71v-74 (M. Grabmann,« Der
belgische Thomist Johannes Tinctoris… », art. cité, p. 416).

Determinatio directa domino decano Cameracensi. Sanctus Thomas…


Attesté dans la Sportula fragmentorum, Bruxelles, Frères de la Vie Commune, 1479,
f. 30v-33 (E. Van Balberghe, « Les œuvres… », art. cité, p. 145).

Epistola ad Egidium Carlerii de praedestinatione.


Citée dans le catalogue de Rouge-Cloître, ms. O 33.
Z. Kaluza, « Nouvelles remarques sur les œuvres de Gilles Charlier », Archives d’his-
toire doctrinale et littéraire du Moyen Age, 1971, p. 176.

Invectives contre la secte de Vauderie (trad. française du Contra sectam Valdensium, cf. supra)
Ms. Paris, BNF fr. 961 ; Bruxelles, BR 11209 ; Oxford, Bodleian Library, Rawlinson
D 410, f. 1-59 ; édition : Bruges, Colard Mansion, entre 1476 et 1484, 58 ff. (E. Van
Balberghe et F. Duval, Jean Tinctor († 1469), Invectives contre la secte de Vauderie,
Tournai-Louvain la Neuve, 1999, p. 11-18).

Quaestio de regula monastica


À restituer à Godefroid de Godinne, abbé de Hasnon.
Ms. Bruxelles, BR 20929-20930 (U. Berlière, « Deux écrivains de l’abbaye de
Florennes au xve siècle », Revue bénédictine, 15, 1898, p. 495).

Quaestiones in Aristotelis Physicam


Ms. Eichstätt, Stadtbibl. 687 (a. 1462), f. 28-158v (…compilatae per manus Leonardi
Heff de Eystatt…1462…post Jacobi apostoli) (M. Grabmann, « Der belgische
Thomist Johannes Tinctoris… », art. cité, p. 417-419 ; Ch. Lohr, « Medieval Latin
Aristotle commentaries », op. cit., p. 287).

Scriptum super transsubstantiatione Johannis Evangeliste in Christi


Attesté dans la Sportula fragmentorum, Bruxelles, Frères de la Vie Commune, 1479,
f. 106v-108v, d’après le ms. Bruxelles, BR 11492-11513 (E. Van Balberghe, « Le
théologien… », art. cité, p. 145)

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222 Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes Tinctoris

Scriptum contra Bonetum et Franciscum de Maronis.


Attesté dans la Sportula fragmentorum, Bruxelles, Frères de la Vie Commune, 1479,
f. 109-113, d’après le ms. Bruxelles, BR 11492-11513 (E. Van Balberghe, « Le
théologien… », art. cité, p. 145).

Scriptum contra fictores novarum adinventionum in generali sub pulcherrima saphira.


Attesté dans la Sportula fragmentorum, Bruxelles, Frères de la Vie Commune, 1479,
f. 113-114, d’après le ms. Bruxelles, BR 11492-11513 (E. Van Balberghe, « Le
théologien… », art. cité, p. 145)

Summa abbreviata super Aristotelis X libris Ethicorum cum nota auctoritatum


Ms. Mantova, Bibl. com. B III 2 (xve s.), f. 280-360 (Ch. Lohr, « Medieval Latin Aris-
totle commentaries », op. cit., p. 288-289).

Tractatus de sabbato
Ms. Bamberg, Stadtbibl., Patr. 84 (B V 42), f. 85-86 (Grabmann, « Der belgische
Thomist Johannes Tinctoris… », art. cité, p. 420).
Ce bref texte sur le sabbat et la démonologie renvoie au Contra sectam Valdensium,
cf. supra.

Tractatus contra defendentes aperturam claustrorum


Non conservé.
U. Berlière, « Deux écrivains de l’abbaye de Florennes au xve siècle », art. cité,
p. 495 (d’après Sanderus, I, 133) ; voir supra, Quaestio de regula monastica.

Extraits du Registre de prêt du collège de Sorbonne


concernant Jean Tinctor
48. Dossier de Josse de Liza
1428 IX 8
96. Item habuit eodem anno, die nona h. Mensis augusti, clavem pro magistro
Johanne Tinctoris, hospite.
97. Item habuit pro eodem, eodem die, commentum sancti Thome super libros
Posteriorum, De anima, De sensu et sensato, De memoria et reminiscencia, precii xxx
s. 2o folio et omnes anime, penultimo per lineas (LIIII, 41).
98. Item habuit eodem die, pro eodem, scriptum Thoma super Physicam et
Metaphysicam, precii iiii lib., 2o folio ipsa individua, penultimo ipso intelligere.
99. Item habuit pro eodem commentum Thome super De celo et mundo, precii
xii s., 2o folio consideracio, penultimo potest homo referri ad penitenciam (LIIII, 45 ;
latin 16144.2).
100. Item habuit pro eodem, eodem die textum Metaphysice precii xvi s., 2o folio ut
ignem (exponctué) si quidem, penultimo onica corpora (XLVII, 35).

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Donatella Nebbiai 223

101. Item habuit pro eodem textus Naturalis physice, scilicet Physicarum cum aliis,
precii 4or lib., 2o folio quia multum, penultimo equales enim (XLVII, 39, lat. 15452).
[102. Item habuit textum Sentenciarum precii XL s., 2o [folio] in tabula quare non,
penultimo omnes communiter (XXII, 14 ; lat. 15721)]
103 (57). Item habuit pro eodem, eodem die Scriptum (au-dessus : sive commen-
tum) Thome Ethycorum precii iiii lib. X s., 2o folio sint ipsa opera, penultimo et hoc
ideo quia virtuosus (LIIII, 22 ; lat. 16104).
1429 2 VI
109. Item eodem anno (exponctué) anno Domini 1429 habuit pro Tinctoris Bibliam
precii x lb., 2o folio verba, penultimo in tabula Thob oblacio (I, 24)
110 (11). Item pro eodem, eodem die scilicet 2a junii, habuit 2m scripti Thome,
precii lx s., 2o folio sciciam, penultimo quando virtus (XXIII, 100, latin 15764).

[…]

1429 19 VI.
120. Anno Domini Mo CCCCo XXIXo, die XIX mensis junii, reddidit clavem suam et
libros suos preter claves et libros Tinctoris et de Veterifolio (I, 11).
1 2 1 . Item eodem anno et eadem die reddidit clavem et libros Tinctoris non
cancellatos.

71. Dossier de Jean Beert


1427 I 7
Anno Domini millesimo CCCCo XXVIIo, die prima julii, habuit clavem.
1.Item habuit Bibliam precii x lb., 2o folio verba, penultimo in interpretacionibus
Thob. Oblacio (I, 24). Habet Tinctoris.
2.Item habuit 2am 2e precii vii lib. 2o folio inducuntur, penultimo in tabula utrum
sit vicium (XXIV, 79 ; lat. 15348).
3. Item habuit primum Thome precii iiii lib., 2o folio quod sit practica, penultimo
citatem in alio (XXIII, 6 ; lat. 15762).
4.Item 2m Thome precii LX solid. 2o folio sciciam, penultimo quando virtus (XXIII,
100 ; lat. 15764). Habet Tinctoris.
5. Item 3m Thome precii LX solid., 2o folio sue justitie, penultimo in tabula utrum
angeli (XXIII, 104 ; lat. 15774).
6. Item 3am partem precii LXX solid., 2o folio apparuit, penultimo in tabula utrum
eam fuerit (XXIV, 80).
7. Item primam 2e precii centum solid., 2o folio voluntas, penultimo in tabula
utrum secundum causas (XXIV, 51 ; lat. 15344).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 223 10/04/2017 16:32


224 Un lecteur flamand du collège de Sorbonne : Johannes Tinctoris

Liste des manuscrits conservés, consultés et possédés


par Jean Tinctor
Paris, BNF latin 15344
Thomas de Aquino, Prima 2e
xiiie s.

Paris BNF latin 15452


Aristoteles, Libri Physicorum. De celo et mundo…
xiiie s.

Paris, BNF latin 15721


Petrus Lombardus, Sententiae (libri quattuor).
xiiie s., ca 1280 ?

Paris, BNF latin 15764


Thomas Aquinas, Commentarius in Sententias, 2e partie.
xiiie-xive s.

Paris, BNF latin 15774


Thomas de Aquino, Tertium scriptum
xiiie-xive s.

Paris, BNF latin 15900


Ulricus de Argentina, Summa de bono
xve s.

Paris, BNF latin 15901


Ulricus de Argentina, Summa de bono (suite)
xve s.

BNF latin 16104


Thomas de Aquino, Sententia libri Ethicorum
xiiie s.

Paris, BNF latin 16144.2


Aristoteles, Physica. Thomas de Aquino, De celo et mundo.
xiiie s.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 224 10/04/2017 16:32


Johannes Heynlin de Lapide (ca 1430-1496),
« scolastique » et humaniste,
bibliothécaire du collège de Sorbonne
et recteur de l’université de Paris
Beat von Scarpatetti

J ean Heynlin de Stein (« de Lapide »)1 est un personnage assez extraordi-


naire qui a suscité beaucoup d’intérêt au xixe siècle et au cours de la pre-
mière moitié du xxe siècle. Dans ses écrits, il se distingue par son attachement
à l’écriture en tant que telle et fait preuve d’une véritable curiosité graphique.
Il a pratiqué tout un éventail d’écritures2. Cette variété est aussi, chez lui, la
marque d’une érudition où se manifestent des tendances diverses, parfois
contraires. Heynlin vit entre deux époques, le Moyen Âge et la Renaissance.
Pendant toute sa vie, il est resté attaché à la méthode et au questionnaire sco-
lastiques3, mais en même temps il s’est consacré à l’humanisme naissant du
xve siècle, à ses auteurs et à ses nouvelles écritures4, et surtout à l’imprimerie.

1. M. Hossfeld, « Johannes Heynlin aus Stein. Ein Kapitel aus der Frühzeit des deutschen
Humanismus », Basler Zeitschrift für Geschichte und Altertumskunde, 6 (1907), p. 309-356, et 7
(1908), p. 79-219 et 235-431 ; B. von Scarpatetti, « Johannes Heynlin de Lapide (von
Stein) », dans Die deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon, III, Berlin-New York, 1981,
col. 1213-1219 ; Id., « Scholastiker versus Humanisten », dans R. Surbeck, éd., Humanismus.
Annäherungen an einen lebendigen Begriff, Bâle, 2000, p. 170-173 ; Id., « Heynlin von Stein », dans
H. J. Martin et J.-D. Mellot, éd., Dictionnaire encyclopédique du livre, II, Paris, 2005, p. 475 sq. ;
Id., « Die Bibliothek des Johannes Heynlin von Stein (ca. 1430-1496) und ihre Hintergründe »,
actes du colloque « Buchkulturen des deutschen Humanismus (1430-1530). Netzwerke und
Kristallisationspunkte » à la Freie Universität Berlin, mai 2011 (sous presse).
2. Voir CMD-CH I (1977), les notices nos 145-150, les planches 353-356, pour une glose pl. 453.
On trouvera aussi des illustrations dans les études citées supra n. 1.
3. Voir Z. Kaluza, Les querelles doctrinales à Paris. Nominalistes et réalistes aux confins du xive et du
xve siècles, Bergame, 1988.
4. Voir B. Ullman, The Origin and Development of Humanistic Script, Rome, 1960 ; A. de la Mare
et A. Garzelli, New Researches on Humanistic Scribes in Florence, Florence, 1985 ; J. Autenrieth,
éd., Renaissance- und Humanistenhandschriften, Munich 1988, en part. le résumé de P. Gumbert,
Italienische Schrift – humanistische Schrift – Humanistenschrift, p. 64-70 ; S. Zamponi, « La scrittura
umanistica », Archiv für Diplomatik, 50, 2004, p. 467-505.

Les livres des maîtres de Sorbonne, sous la direction de Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2017

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 225 10/04/2017 16:32


226 Johannes Heynlin de Lapide

Cette dualité devait marquer toute sa vie, qui a été également influencée par
une autre tendance culturelle, la vocation à la prédication de pénitence, alors
largement répandue dans le sud-ouest de l’Allemagne.
Durant ces dix dernières années, l’auteur de ces lignes a reconstitué le
catalogue de la bibliothèque de Jean Heynlin. Celle-ci est conservée à la
Bibliothèque universitaire de Bâle, où elle est parvenue à la suite de la sécu-
larisation de la chartreuse de Bâle, fameuse depuis le concile pour ses tré-
sors livresques. La collection englobe 283 volumes, dont une soixantaine de
manuscrits. Les autres livres sont des incunables, datant de 1459 jusqu’à 14925.
Ils témoignent d’un choix de tout premier rang, tant au plan des contenus que
des supports, témoins de l’imprimerie naissante et de la bibliophilie. Si les
titres et les thèmes en disent long sur la personnalité de l’érudit, ses annota-
tions, inscrites de façon soigneuse et méticuleuse, pendant trois décennies au
moins, en marge d’un grand nombre de volumes, témoignent de ses intérêts
et des débats spirituels qui l’ont concerné. Nous avons relevé quelque mille
gloses de la main de Jean Heynlin, apposées en marge ou au bas des colonnes.
L’ensemble constitue une source inédite pour reconstituer le profil intellec-
tuel et spirituel de cette personnalité entre deux époques. L’enrichissement
de sa bibliothèque et ses annotations sont cohérents. Heynlin a voué un zèle
extraordinaire à la préparation matérielle de la majorité des volumes, traçant
la réglure, apposant les intitulés, les index et surtout les gloses.

Biographie
Peu de documents subsistent sur la vie de ce clerc, dont on ignore s’il était
prêtre ou seulement érudit et théologien. Johannes « de Lapide » ne dit rien
sur lui-même. Aucune mention claire n’est faite non plus de son origine. On le
dit originaire du diocèse de Spire, et « de Lapide » pourrait aussi bien être son
nom de famille que son lieu de naissance. Pourtant, les « Johannes a Lapide/
de Lapide » sont nombreux dans les matricules de l’Empire. Au xixe siècle, les
recherches ont désigné un village, Stein, situé tout près de Pforzheim dans le
diocèse de Spire. À l’université de Paris, Heynlin passe pour un ressortissant
du comté de Bade, mais la mention de la marchio Badensis est uniquement citée
dans le Livre des receveurs6. Pour sa jeunesse et sa scolarité, la seule et maigre
source provient d’une série d’inscriptions dans les matricules des universités

5. B. von Scarpatetti, Die Bibliothek des Heynlin von Stein. Vollständiger Katalog, Nr. 1-283, Bâle,
2014-2015 (à paraître).
6. Auctarium Chartularii Universitatis Parisiensis, VI, A. L. Gabriel, éd., Paris 1964, en part.
col. 310 : natus ex marchionatu Badensi. Pour les mentions nombreuses relatant les diverses fonc-
tions et charges de Heynlin, voir ibid., col. 250, n. 7 et p. 795 (Index personarum).

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Beat von Scarpatetti 227

d’Erfurt, de Leipzig et de Louvain. Jean Heynlin finit par s’inscrire en 1453


à Paris où il sera présent jusqu’en 1473, avec quelques interruptions. Dans
le volume VI de l’Auctarium Chartularii Universitatis Parisiensis, l’introduction
du Liber Receptorum nationis Angliae/Alemanniae, édité par Astrik Gabriel et Gray
Boyce en 1964, nous apprend que les nouveaux étudiants ne s’immatriculaient
pas directement, mais qu’ils se présentaient auprès du magister d’un collège
ou d’une bursa. Ils étaient ensuite inscrits dans le registrum de leur nation après
avoir été acceptés et avoir versé au receveur concerné le montant dû.
Après la profonde dépression que la vie universitaire a connue, au cours
des années 1430, à cause des derniers événements de la guerre de Cent Ans7,
la présence des étudiants à Paris s’accroît fortement vers 1450. À la suite de
la réforme du cardinal d’Estouteville en 1452, les conditions d’accueil se sont
améliorées ; les immatriculés étrangers augmentent donc fortement. Astrik
Gabriel énumère leur provenance : les plus nombreux proviennent d’Alle-
magne du Sud, terre contiguë à la France ; on compte 37 baccalarii entre 1425
et 1544 en provenance du seul diocèse de Spire, celui dont serait originaire
Jean Heynlin.
Le Livre des receveurs cite, parmi les inscrits de l’hiver 1453-1454, au titre de
la nation allemande, Dominus Johannes Heynlyn, qui paye le tarif plein de dix
livres. En 1455-1456, la même source signale notre étudiant comme licen-
cié8. À cette époque, Jean Heynlin enseignait déjà au collège de Bourgogne. En
novembre 1456, il est élu procureur de la nation allemande et, en septembre
1458, il en est le receveur. Il rédige alors les comptes de la nation en écriture
humanistique livresque. En 1459, il est de nouveau élu procureur, et en juin
1460 il est substitut de la charge de receveur9.
Qu’a donc étudié et enseigné Heynlin ? Sa discipline de prédilection était la
logique, suivie de la philosophie et des sciences aristotéliciennes, et l’appli-
cation de leurs méthodes dans la théologie. Rappelons de surcroît que Jean
Heynlin est en activité après 1450. Dans une étude sur les querelles doctrinales

7. J. Verger, « Les universités françaises au xve s. Crise et tentatives de réforme », dans Les
universités françaises au Moyen Âge, Leyde-New York-Cologne, 1995, voir l’entière et sévère fus-
tigation de la « décadence » intellectuelle dans les p. 228-252, déjà sous le cancellariat de Jean
Gerson, p. 190-195.
8. Liber Receptorum, A. Gabriel, éd., col. 249 et 266. Dans la n. 7, col. 249 sq., contrairement
à ce qui est dit, Heynlin n’était pas étudiant à l’université de Heidelberg : on trouve au moins
une demi-douzaine de Johannes de Lapide (sans Heynlin) dans les matricules des universi-
tés allemandes de ce temps ; l’erreur concernant Heidelberg est reprise dans J. Vielliard et
M.-H. Jullien de Pommerol, Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, Paris,
2000, p. 629, où l’on rectifiera également l’année de la mort de Heynlin, survenue en 1496.
9. Liber Receptorum, op. cit., col. 282, 293, 308-310.

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228 Johannes Heynlin de Lapide

à Paris, Zénon Kaluza considère que l’enseignement de l’université de Paris


évoluait dans un sens « traditionaliste, apologétique, fidéiste et polémique »
au xve siècle10. Et Jacques Verger d’ajouter que, sous l’égide de Jean Gerson,
et surtout après, régnait une mentalité « qui paralysait l’audace intellectuelle
et la réflexion critique », et que « les virtualités progressistes de la scolastique
s’évanouissaient11 ». Ceci rappelle le dédain que l’on éprouvait au xviiie siècle
à l’égard de cette forme d’aristotélisme. Dès le xve siècle, François Villon, non
conformiste et contemporain de Jean Heynlin à Paris, et qui fut peut-être son
condisciple à la faculté des arts12, raillait de telles méthodes.
Une autre source, le Liber Receptorum facultatis theologiae, rappelle qu’en 1461
Magister Johannes Heynlyn alias De Lapide fecit, a biblicis ordinariis et aliis cursoribus
primum cursum sub magisterium Luca des Molins xvija Julij13. Il a donc enseigné à
la faculté de théologie, selon toute vraisemblance d’après la Via antiqua qu’il
suivait, s’appuyant sur les grands maîtres Thomas d’Aquin et Albert le Grand,
plutôt qu’explorant les voies ouvertes par les grands noms du nominalisme,
Jean Buridan et Guillaume d’Ockham.
Le Liber de Scriptoribus Sorbonicis/Bibliotheca Sorbonica, source tardive qui s’ins-
crit déjà dans la célébration d’une tradition propre au collège de Sorbonne14,
note que Joanes de Lapide nationis teutonicae intravit sorbonniae societatem anno
1461, [ fuit] prior anno 1467, denique doctor 1472. Ensuite, l’auteur de cette notice
signale que, après son enseignement au sein de la schola theologorum, Heynlin
aurait doctrinam eorum Parisiensium qui reales appellantur primus ad Basiliensium
universitatem transtulit ibidemque plantavit, roboravit et auxit. Il mentionne égale-
ment le bref séjour de Heynlin à l’université de Tübingen, et enfin son entrée
chez les Chartreux de Bâle en 1487. Cet épisode constitue un tournant spec-
taculaire dans la vie de Jean Heynlin. Une nouvelle mention de Jean Heynlin
se trouve dans une nouvelle source, intitulée : Domus et societatis Sorbonnicae
historia, qui nous apprend qu’il était dans cette maison en 1461 et qu’il en fut
le prieur en 1467 : Jam in domo erat anno 1461, et prior domus 1467, avec un renvoi
au Liber de Scriptoribus15.

10. Z. Kaluza, Les querelles doctrinales à Paris, op. cit., p. 124.


11. J. Verger, « Les universités françaises au xve s… », art. cité, p. 192.
12. Jean Favier, François Villon, Paris, 1982.
13. Paris, BNF, lat. 5657C (papier, 94 ff.), f. 66v.
14. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 1020, no 103, p. 229-233. Voir H. Martin, Catalogue des mss
de la bibliothèque de l’Arsenal, II, Paris 1886, p. 234 (avec mention : « Écriture du 18e s. »).
15. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 1021, p. 176. Voir H. Martin, Catalogue…, op. cit., p. 234
(« Écriture du 18e s. »). Comme écolier, Heynlin était déjà à partir de 1453 in domo.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 228 10/04/2017 16:32


Beat von Scarpatetti 229

Pourtant, dans la décennie 1460, on enregistre quelques lacunes dans le


parcours biographique de Jean Heynlin. Parfois même, il n’y a aucun ren-
seignement, surtout à partir de 1465. C’est en 1462 qu’il sollicite et obtient
son admission au collège de Sorbonne16. En 1463, le 21 juillet, le maître Luc
Desmoulins demande et reçoit une chambre au collège de Sorbonne pour Jean
Heynlin17. On ne sait si l’intéressé y a habité longtemps. En effet, à partir de
1464, Jean Heynlin se déplace en dehors de Paris. On sait que, au cours de
cette année, il a imposé et érigé à droit égal la Via antiqua dans la jeune univer-
sité de Bâle, fondée en 1460, et où était seulement pratiqué un enseignement
nominaliste en arts et en théologie. Par conséquent, il y eut à Bâle, pendant
une brève période, une division de chaque faculté et deux doyens18, ainsi
que la pratique de l’attribution séparée de bourses. On ignore où était Jean
Heynlin en 1465 et 1466 : on suppose qu’il séjourna dans le Rhin supérieur.
On a suggéré qu’il était en visite, sinon en stage, chez les imprimeurs Jean
Fust et Pierre Schöffer, à Mayence ; ce n’est qu’une hypothèse, qui pourrait
cependant être corroborée par la présence dans sa bibliothèque de certains
imprimés extraordinaires et par sa familiarité avec les premiers imprimeurs
de Mayence, Strasbourg et Bâle.19. De son côté, comme on va le voir plus loin,
Pierre Schöffer est attesté à Paris à partir de 1440 en tant que copiste et ensuite
marchand d’incunables20. Les rapports entre le berceau de l’imprimerie en
terre palatine et Paris étaient déjà intenses et, apparemment, les artisans de
Mayence furent très tôt présents à Paris.
Jean Heynlin rentre à Paris en 1467. Le Registre de prêt (1402-1530) men-
tionne à son sujet : Anno domini mo cccco lxvijo [die] quarta septembris habuit pro
se clavem librarie [habuit]21. Pour reconstituer sa carrière parisienne à cette

16. Le Livre des prieurs de Sorbonne (1431-1485), R. Marichal, éd., Paris, 1987, nos 504-506,
p. 144-145.
17. Ibid., no 519, p. 147-148.
18. W. Vischer, Geschichte der Universität Basel… ( 1 460- 1 529), Bâle, 1 860, p. 1 43 ; H. G.
Wackernagel, Die Matrikel der Universität Basel, I, Bâle, 195 1, p. 46 ; Schatzkammer der
Universität Basel: die Anfänge einer 550-jährigen Geschichte : Katalog zur Austellung, M. Wallraff et
S. Stöcklin-Kaldewey, éd., Bâle, 2010, p. 79.
19. Voir G. Durandus, Rationale divinorum officiorum, imprimé sur parchemin chez Jean Fust et
Pierre Schoeffer à Mayence en 1459, Bâle, BU, Inc. 1.
20. Pierre Schöffer séjournait à partir de 1440 à Paris et fut vers 1450 le premier collaborateur de
Gutenberg, ensuite en 1452 avec Jean Fust copossesseur de l’officine, et après la mort de Fust
en 1466 son seul patron. Sur Pierre Schöffer, voir infra n. 35.
21. Paris, Bibl. Mazarine, ms. 3323, f. 126r ; J. Vielliard et M.-H. Jullien de Pommerol,
Le registre de prêt…, op. cit., p. 450.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 229 10/04/2017 16:32


230 Johannes Heynlin de Lapide

époque, nous devons nous pencher sur le Registrum priorum collegii Sorbonae22.
Jean Heynlin est élu prieur en 1468, mais il doit renoncer à cette charge, en
raison d’une maladie oculaire ; Michel Petit (diocèse de Rouen) le remplace23.
Il devient recteur de l’université de Paris en 1469, sommet d’une carrière riche
en consécrations. En cette même année, le Livre des prieurs fait état d’une camera
iuxta cameram Johannis de Lapide24. C’est donc qu’il habite toujours au collège. Il
va encore en assurer la direction en 1470, tandis que son ami Guillaume Fichet
est bibliothécaire. Au cours de cette même année, les deux sociétaires auraient
contribué à installer un atelier typographique au collège de Sorbonne, le pre-
mier du royaume de France.

Les emprunts de Jean Heynlin


Le 25 mars 1471, sous le priorat de Jean Royer (diocèse de Besançon), Jean
Heynlin fut nommé librarius25. Le 12 octobre 1472, il obtient le grade de doc-
teur en théologie, second sommet de sa carrière à l’université de Paris.
Nous ne savons pas en quoi consistait exactement la charge de bibliothé-
caire. Nous ne connaissons que les emprunts que Jean Heynlin a effectués
pour ses propres études et son enseignement. Jacques Monfrin a publié, en
1955, une étude sur les « lectures de Guillaume Fichet et Jean Heynlin26 », qui
privilégie les emprunts de Guillaume Fichet. Ce dernier est défini par l’auteur
comme un « lecteur de théologiens médiévaux […] que le goût de la rhétorique
et des belles lettres n’a pas empêché de rester fidèle à la tradition médiévale ».
Les premiers emprunts de Jean Heynlin datent de 1467 seulement27. Il est sur-
prenant que ceux de la période antérieure (à partir de 1462) n’y soient pas
recensés. Nous ne pouvons donc qu’esquisser l’orientation d’ensemble de ses
lectures : il s’est consacré en premier lieu aux Sentences de Pierre Lombard et
à l’aristotélisme, qui domine l’ensemble des emprunts. Le premier titre qui
s’écarte de ce domaine est le Dogma philosophorum moralium (no 6), compila-
tion médiévale d’extraits de Cicéron et de Sénèque. Suivent la Bible, Augustin,

22. Le Livre des prieurs de Sorbonne, op. cit., p. 284 (Index des noms propres).
23. Ibid., no 608, p. 170.
24. Ibid., no 617, p. 173.
25. Ibid., no 660, p. 180.
26. J. Monfrin, « Les lectures de Guillaume Fichet et de Jean Heynlin, d’après le Registre de
prêt de la bibliothèque de la Sorbonne », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 17, 1955, p. 7-23 et
145-153.
27. J. Vielliard et M.-H. Jullien de Pommerol, Le registre de prêt de la bibliothèque du collège
de Sorbonne, op. cit., no 118, p. 450-452. La liste contient 39 entrées, de 1467 à 1473. Les numéros
cités dans le texte renvoient à cette édition.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 230 10/04/2017 16:32


Beat von Scarpatetti 231

Boèce, puis toute une série d’œuvres de Thomas d’Aquin. De fait, les indi-
cations du registre de prêt concernant les auteurs et les œuvres sont très
sommaires. La présence du Liber de miraculis patrum italicorum (no 18) semble
attester ses intérêts à venir pour la prédication, tandis que le Bellum civile de
Lucain ouvre une perspective sur l’humanisme (nos 23 et 27). On est presque
surpris de trouver les Satires de Juvénal (no 24) et une œuvre de l’historien et
poète Martianus Capella (no 25), mais ces titres ont sans doute été retenus en
raison de leur intérêt pour l’étude du latin classique. À partir de 1470, appa-
raissent aussi, parmi les emprunts, un Bréviaire, les Évangiles et un Psautier
(nos 31, 33, 36). Le dernier livre rendu à l’automne 1473 est le traité De la trinité
d’Augustin (no 39). Avec ses 39 emprunts, Jean Heynlin apparaît comme l’un
des lecteurs les plus zélés parmi les 172 mentionnés dans le Registre de prêt.
Encore faut-il tenir compte du fait qu’il était lui-même propriétaire de très
nombreux livres, qui constituent le noyau de sa future bibliothèque bâloise.

Origines de Jean Heynlin, origines de la bibliothèque


Apportons quelques détails supplémentaires sur la vie et la bibliothèque
de Jean Heynlin. Quelques images vont nous guider dans ce parcours (ill. 1).
Nombre de zones d’ombre restent en effet à éclaircir, et en premier lieu son
origine. La richesse et le luxe de ses manuscrits, issus des meilleurs ateliers
d’enluminure parisiens et rhénans, sont rehaussés, dans quelques cas, par la
présence de ses armoiries. Elles figurent parfois dans les initiales ornées, par-
fois insérées en bas de page dans de magnifiques bordures. Aujourd’hui pré-
sentes dans cinq manuscrits et incunables, ces marques héraldiques témoi-
gneraient de l’ascendance noble de Jean Heynlin, ou du moins de sa volonté
d’imprimer un goût princier à sa collection28. Au plan héraldique, ces armoi-
ries sortent du schéma et des symboles animaliers courants. Elles ont sans
doute été créées par Heynlin lui-même. Le symbolisme est aussi extravagant
que significatif. Sur un rocher (lapis) se croisent (de manière sophistiquée)
deux becs de perdrix des noisetiers (en allemand : Haselhuhn). Selon les énon-
cés des bestiaires médiévaux (parfois étonnants, comme on le sait), cet animal

28. Cinq volumes de sa bibliothèque portent des armes, toutes en allure solennelle : Bâle, BU,
ms. F I 12 (Cicéron e.a), Inc. 27 et 28 (Biblia, Partes I et II), Inc. 80 (Astesanus de Astis), Inc.
397 (Hieronymus, Epp). Voir aussi les planches dans B. von Scarpatteti, « Weltverachtung
an der Schwelle der Neuzeit: zu den Glossen in der Bibliothek Heynlins von Stein (ca. 1430-
1496) », Basler Zeitschrift für Geschichte und Altertumskunde, 110, 2010, p. 107- 126 (ici p. 112, pl. 2) ;
Id., « La stessa mano? Casi attinti dal catalogo dei manoscritti datati della Svizzera (CMD-CH) »,
Medioevo e Rinascimento, NS XXIII, 2012, p. 291- 298 (ici tav. VIII, fig. 20) ; Id., « Die Bibliothek
des Johannes Heynlin von Stein (ca. 1430-1496) und ihre Hintergründe » (n. 1), pl. 31.

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232 Johannes Heynlin de Lapide

est censé s’accoupler par le bec pour engendrer sa descendance. Cette perdrix
pratiquerait donc le coït d’une façon plus chaste que les autres oiseaux et ani-
maux. La fécondation se ferait idéalement par la voix, ce qui est aussi une façon
d’exalter le rôle du prédicateur. Par ailleurs, nous savons que Jean Heynlin fut
un partisan très zélé de la doctrine de l’Immaculée Conception de la Vierge
Marie. L’iconographie de ses manuscrits, sur laquelle des recherches plus
approfondies restent à effectuer, refléterait ainsi une adhésion à ces théories.
Seules des origines princières et une aisance financière évidente peuvent
expliquer la brillante et rapide carrière de Jean Heynlin à l’université de Paris.
S’il a été le bâtard d’une famille princière, il doit avoir été doté d’un important
revenu. Nous avons essayé de calculer la valeur monétaire de ses 283 volumes.
Plusieurs ouvrages spécialisés ont été consacrés à la question de la valeur des
livres à la fin du Moyen Âge29. Calculée sur la base des prix du xve siècle, la
valeur de la collection de Jean Heynlin est estimée à un million d’euros 30.
Heynlin doit avoir fait travailler pendant des mois et des années les meilleurs
enlumineurs des ateliers parisiens. Il est à noter que, dans les matricules de
toutes les universités qu’il a fréquentées, il paye toujours le tarif maximum.
Enfin la présence de la « pierre » dans les armoiries laisse à penser qu’il
provenait du village de Stein près de Pforzheim, que nous avons évoqué plus
haut31. Nous ignorons cependant s’il s’agissait du village d’origine de sa
famille, ou si Jean Heynlin y est né et y a fait une partie de ses études, par
exemple à l’école de Pforzheim, ville voisine, qui jouissait d’une bonne réputa-
tion. Quant à son père, il pourrait avoir été membre de la Maison du Margrave
de Bade ou du prince-évêque de Spire. On pourrait avancer l’hypothèse d’une
naissance « illégitime » (aucune source n’indique qu’il ait été prêtre), mais il
n’y a pas de trace de la dispense qu’il aurait éventuellement pu demander à
la curie romaine afin d’accéder aux ordres sacrés (à l’inverse d’Érasme par
exemple)32. Jean Heynlin semble donc avoir préféré garder intact le secret de
ses origines, que toute démarche de sa part aurait contribué à révéler.

29. Voir R. Hirsch, Printing, Selling and Reading 1450-1550, Wiesbaden, 1967, p. 68-72 ;
U. Neddermeyer, Von der Handschrift zum gedruckten Buch, II, Wiesbaden, 1998, p. 831-862
(tab. XII) ; K. Fianu, « Métiers et espace : topographie de la fabrication et du commerce du
livre à Paris », dans G. Croenen et al., éd., Patrons, Authors and Workshops. Books and Book
Production in Paris around 1400, Louvain, 2006, p. 21-45. Sur les enlumineurs parisiens, voir R. H.
et M. A. Rouse, Manuscripts and their Makers. Commercial Book Producers in Medieval Paris 1200-1500,
Turnhout, 2000, I, en part. p. 303-327 ; II, en part. p. 217-224 (Appendix 12A).
30. En résumé, le calcul se fait sur la base d’une valeur sommaire autour de 100-150 euros pour
une livre d’argent, un florin et un ducat, alors les monnaies les plus courantes.
31. Voir supra p. 226.
32. Dans les sources de la curie romaine concernant les dispenses du xve s., Heynlin ne semble
pas figurer. Voir Repertorium Poenitentiariae Germanicum, H. et L. Schmugge (éd.), I-VIII,
Tübingen, 1998-2012.

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Beat von Scarpatetti 233

Entre scolastique et humanisme


Pour Jean Heynlin, les dignités universitaires constituaient donc la meil-
leure compensation du vice de sa naissance, qui lui barrait le chemin d’une
carrière ecclésiastique. Cet itinéraire, commencé alors qu’il était adolescent
à l’université de Leipzig, aboutit à l’université de Paris, haut lieu de la tradi-
tion scolastique. Il acquit autour de 1454, soit à Paris, soit à l’université de
Louvain, les premiers degrés, à savoir la licence et la maîtrise ès arts. Dans
la controverse entre les tenants de la Via antiqua et ceux de la Via moderna, ces
deux universités étaient des bastions de la première, leurs facultés étant « réa-
listes ». Louvain avait même banni tout enseignement d’orientation « nomi-
naliste » en son sein en 1428. Zélé et ambitieux, Jean Heynlin est chargé de la
nation allemande à l’université de Paris. Dès 1458, il est nommé receveur de
celle-ci. Le Livre des enregistrements (Liber Receptorum) conserve le souvenir de sa
nomination, inscrite de sa propre main :
Receptoria Magistri Iohannis Heynlyn de lapide. Anno domini… [1458, 21 sept.] […]
congregata Veneranda Natione Al[e]manie Apud sanctum Maturinum Super electione Noui
Receptoris Electus fuit In Receptorem prefate Nationis Magister Iohannes heynlyn de lapide
dyocesis Spirensis. Qui fecit misias et Receptas que sequuntur33.
Le 21 septembre 1458, le receveur Jean Heynlin entame donc la liste des
comptes de la nation allemande. Il est à noter qu’il fait lui-même état de son
évêché d’origine, en l’occurrence celui de Spire. Il emploie pour l’occasion
une écriture livresque, entre gothique et humanistique, dans un mélange qui
caractérise le copiste et son époque. Il accède ensuite à la faculté de théolo-
gie et au collège de Sorbonne. Là aussi, son zèle va le conduire à accepter la
charge du prieur en 1468. L’inscription figurant dans un mélange de textes
scolastiques en témoigne (ill. 2).
Plusieurs manuscrits conservés à Bâle sont en fait des liasses de papiers
scolaires, écrits par Jean Heynlin à l’université de Paris. Il les a apportées à
Bâle et les a confiées à un relieur. On voit que, pendant de longues années,
Jean Heynlin a participé aux lectures et aux disputes, qui vont constituer les
Quaestiones sorbonicae. C’est à cette occasion que Jean Heynlin, qui était alors
prieur, prend position contre une thèse énoncée dans le cadre d’une quaestio
qui traite de la libération du genre humain voué à la mort (ill. 3). Il s’agit ici
d’une question d’examen ou d’un exercice préliminaire : Vtrum omnes homines
resurrecturi resurgant in eadem aetate scilicet Juvenili.

33. Paris, Archives nationales, ms. H 2587, f. 116v ; Auctarium Chartularii Universitatis Parisiensis,
op. cit., col. 308.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 233 10/04/2017 16:32


234 Johannes Heynlin de Lapide

[Quaestio] Sorbonica quinta Anni 1467. Ad quam respondi ego Johannes de Lapide pro
temptativa. Sub Venerabili viro magistro Henrico de Quesnayo tunc priore famosissimi
collegii Sorbonensis.
Cette quaestio quinta discute l’état du corps humain lors de la résurrection
des morts (in novissima die) : les humains, demande-t-on, seront-ils alors dans
l’état de jeunesse ou dans celui d’avant leur mort ? Le premier argument s’op-
pose à l’hypothèse de l’état de jeunesse, alors que, in oppositum, au deuxième
alinéa, on argumente que la résurrection doit se faire dans l’état le plus parfait
de l’être humain, donc celui de la jeunesse.
Dans le même recueil, une autre question illustre la position de notre érudit.
Elle traite, selon une méthode strictement scolastique, d’une problématique
qui peut paraître bien moderne, car on y demande si l’acte purement moral de
la contrition peut remplacer le sacrement de la confession (Vtrum videlicet, vtilis
ac necessaria sit ad Salutem confessio sacramentalis ; non obstante quod per contritionem
prius deleta sit tota culpa mortalis). Si la réponse est négative, on est pourtant
surpris qu’une telle question puisse avoir été soulevée34. Le traité est intro-
duit par un discours solennel et rhétorique en présence des plus importantes
personnalités de l’université, rédigé en latin humanistique. La thématique et
la méthode relèvent de la théologie médiévale, puisqu’elles traitent de l’acte
de confession et soulignent son caractère indispensable. Dans les papiers
de Jean Heynlin, le thème de la confession apparaît souvent traité dans des
contextes délicats et problématiques. Il en est de même de la communion et
des conditions pour y avoir accès.
Passons à un autre manuscrit significatif de la production de Jean Heynlin.
Il s’agit d’un exemplaire de la Somme de théologie de Thomas d’Aquin. Il illustre
l’intérêt qu’il a porté à l’œuvre de ce théologien, auteur de prédilection des
partisans de la Via Antiqua (ill. 4). Le manuscrit est une production de l’atelier
d’écriture que Jean Heynlin aurait entretenu. Il rassemble plusieurs typologies
graphiques (gothiques livresques ou semi-cursives, bâtarde et gothique de
style bourguignon) mais demeure néanmoins très homogène. L’écriture prati-
quée de préférence par Jean Heynlin est une semi-cursive très régulière et dis-
ciplinée, de sorte qu’il est souvent difficile de distinguer la main du comman-
ditaire de celle de ses scribes supposés amanuenses, qui étaient tenus de suivre
strictement les consignes du maître. On connaît quelques traits spécifiques de
sa main, mais il est difficile de l’identifier avec certitude. Vu l’ampleur de ses
activités, il est peu probable qu’il ait copié l’intégralité du volume ou même
qu’il ait ajouté le décor secondaire, toujours très soigné.

34. Bâle, BU, ms. A VI 12, f. 108r : Varia scholastica, Quaestio theologicalis pro magna ordinaria. Un
texte plus long que les questions usuelles forme un traité au f. 108r-125v.

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Beat von Scarpatetti 235

Examinons à présent quelques-uns des livres imprimés de Jean Heynlin.


L’incunable de la Somme de théologie de Thomas d’Aquin, dont on présente ici
une page, avec une rubrique de la main de Heynlin (ill. 5), est un produit de
l’atelier de Pierre Schöffer, imprimeur contemporain de Gutenberg qui a com-
mencé à travailler avant celui-ci à Mayence. On a rappelé plus haut que Schöffer
a séjourné à Paris pendant sa jeunesse et qu’il y a été copiste et marchand de
livres35. C’est à Paris qu’il a dû concevoir le projet d’éditer Thomas d’Aquin,
à son retour à Mayence. Le prestige du docteur dominicain était en effet bien
plus grand à l’université de Paris que dans les autres universités, spéciale-
ment en Allemagne et en Angleterre, où prévalaient les thèses nominalistes.
Les imprimeurs privilégiaient la Secunda Secundae, où le choix libre des ques-
tions pouvait amener à traiter des problématiques susceptibles d’intéresser le
monde universitaire et clérical de ce temps. Les caractères créés par Schöffer à
Mayence sont très économes en espaces et bien lisibles. Cette petite gothique
semi-rotunda est aujourd’hui appelée Durandus-Type, d’après le fameux incu-
nable sur parchemin du Rationale divinorum officiorum de Guillaume Durand
réalisé par Pierre Schöffer. Ce livre de grand luxe a également fait partie de la
collection de Jean Heynlin (Bâle, BU, Inc. 1). Le décor de l’exemplaire bâlois
de la Somme de théologie de Thomas d’Aquin est typique du style qui prévaut en
Allemagne méridionale et témoigne de la position « internationale », à cheval
entre deux mondes, qu’a occupée notre théologien.
Cependant, lorsque Jean Heynlin et Guillaume Fichet procèdent à l’instal-
lation d’une officine d’imprimerie dans l’enceinte du collège de Sorbonne et
font sortir un premier imprimé de leur presse, il n’y aura de leur part aucune
ambiguïté dans le choix des types : c’est une élégante littera antiqua qui sera
employée pour l’édition des modèles de lettres de Gasparino Barzizza 36. Les
trois imprimeurs, amenés par Jean Heynlin à Paris au cours de l’été ou de
l’automne 1470, font de ce volume petit-8o un chef-d’œuvre de simplicité clas-
sique. À celle-ci correspondent un latin parfait et le petit rituel de la dédicace,
dans lequel le Français Fichet rend hommage à l’Allemand Heynlin : Guilermus
Fichetus Ioanni Lapidano Sorbonensis scholae priori salutem. Misisti nuper ad me
suauissimas Gasparini pergamensis epistolas… Guillaume Fichet affirme que Jean
Heynlin a collationné le texte de divers manuscrits et rajouté ses corrections.
La mise en page, d’une noble sobriété, est relevée par l’emploi de caractères

35. H. Lehmann-Haupt, Peter Schöffer aus Gernsheim und Mainz. Übersetzung und Vorwort von
M. Estermann, Wiesbaden, 2002, p. XX sq. (tributaire de l’étude de F. Stock, Die ersten deutschen
Buchdrucker in Paris um 1500, Fribourg, 1940 [repr. Paderborn 1992]), et 18-35.
36. Bâle, BU, Inc. 700 : Gasparinus Barzizius, Epistolae, J. de Lapide, éd., G. Fichet, annexe ;
Paris, imprimé par U. Gering, M. Crantz et M. Friburger [été ou automne 1470]

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 235 10/04/2017 16:32


236 Johannes Heynlin de Lapide

italiens d’une grande beauté. Ce traité italien sur le style épistolaire, ouvrage
pleinement humaniste, est le premier livre imprimé en France37. C’est aussi
un pur produit allemand d’importation, car Jean Heynlin avait amené ses
trois compagnons-imprimeurs (Martin Crantz, Michael Friburger et Ulrich
Gering) du comté de Bade à Paris, où les trois artisans ont continué à œuvrer
ensuite pendant plusieurs années, sans le concours de Jean Heynlin.

Le tournant pastoral
En 1473, Jean Heynlin s’apprêtait à quitter Paris, l’université et ses méthodes
scolastiques. Le registre de prêt note : Anno domini mo cccco lxxiiio, xiii a octo-
bris restituit omnes libros […] [et] […] clavem librarie restituit38. Plusieurs facteurs
ont déterminé ce choix. De l’extérieur, les querelles interminables, vaines et
stériles des factions réalistes et nominalistes, devenues de plus en plus viru-
lentes, aboutissent à l’interdiction de l’enseignement nominaliste par décret
du roi de France en 1474. Dans la bibliothèque du collège de Sorbonne, les
volumes contenant des traités nominalistes durent donc être interdits d’accès.
Quelle ingrate tâche pour un bibliothécaire, quelle censure absurde dans un
haut lieu d’érudition ! De l’intérieur, le choix de Jean Heynlin de se détourner
de l’université de Paris et du collège de Sorbonne pourrait avoir des raisons
plus personnelles. Aucune explication pourtant de sa part. Dans l’élégie qu’il
compose à l’occasion de sa mort en 1496, le moraliste Sébastien Brant, grand
ami de Heynlin, nous livre un témoignage rare en lui attribuant un change-
ment d’orientation radical, qui aurait motivé l’abandon de la Sorbonne. Le
clerc zélé aurait été fatigué des sophistications, des divisions et des querelles
universitaires, qu’il aurait jugées dépassées39.

37. J. Veyrin-Forrer, 1470-1970. Hommage aux premiers imprimeurs de France, Paris, 1970 ; Ead.,
« Aux origines de l’imprimerie française. L’atelier de la Sorbonne et ses mécènes (1470-1473) »,
dans L’art du livre à l’Imprimerie nationale, Paris 1973, p. 32-53 [repris dans Ead., La lettre et le texte.
Trente années de recherches sur l’histoire du livre, Paris, 1987, p. 161-187]. La vingtaine d’ouvrages
sortis de ces presses ne figurent pas dans le Registre de prêt. En ce qui concerne les ouvrages en
tant que tels, les éditrices du Registre de prêt (op. cit.), affirment p. 42 : « […] Les ouvrages impri-
més par Guillaume Fichet et Jean Heynlin sur les presses nouvellement installées à la Sorbonne
n’ont pas été retrouvés. » En France, des exemplaires de ce premier incunable français sub-
sistent à Paris (deux à la BNF), Besançon, Chantilly, etc. Voir GW III (1928), no 3675, col. 552.
L’exemplaire conservé à la BU de Bâle porte la cote Inc. 700 et provient de la bibliothèque de
Heynlin. Sur cet incunable et ses trois imprimeurs allemands, voir l’étude fondamentale de
F. Stock, Die ersten deutschen Buchdrucker in Paris um 1500, op. cit., p. 36-81.
38. Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne, op. cit., p. 452.
39. T. Wilhelmi, Sebastian Brant. Kleinere Texte, Stuttgart 1998, no 150, p. 226 sq.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 236 10/04/2017 16:32


Beat von Scarpatetti 237

Ne quittons pas le collège de Sorbonne et sa bibliothèque sans donner


quelques éléments sur le parcours effectué par le maître Jean Heynlin après sa
période universitaire. Les gloses qu’il a transcrites dans ses manuscrits nous
renseignent bien à ce sujet. Dans son exemplaire de La Cité de Dieu d’Augus-
tin40, Jean Heynlin met, en marge, un constat amer : Tempus vite huius non aliud
est quam cursus ad mortem, c’est-à-dire : « Notre vie n’est rien d’autre qu’une
course vers la mort. » Ce message marque le brusque revirement survenu
dans la brillante carrière de notre clerc. Il a quitté Paris pour prêcher la péni-
tence dans sa région natale. Rongé par des doutes profonds, ce moraliste se
tourne alors vers les âmes – perdues évidemment – des populations urbaines.
Les titres des livres qu’il achète au lendemain de cette nouvelle orientation
pastorale et ascétique ressortissent aux domaines homilétique, moral et doc-
trinal. Rien de surprenant que les œuvres des Pères, des docteurs de l’Église
et surtout des grands prédicateurs soient alors celles qu’il a le plus annotées.
En revanche, sur le fameux et luxueux Durandus, imprimé en 1459 sur parche-
min à Mayence, que nous avons mentionné plus haut41, Jean Heynlin n’a écrit
qu’un très petit nombre de gloses. Celle qui figure au folio xliiiir n’en a donc
que plus de poids : Mulieres sacra non tangant.
Dans le traité de Guillaume Durand, le seul mot-clé de « femme » mérite
donc une glose de Jean Heynlin. Dans la doctrine spirituelle de notre érudit
converti en prédicateur à partir de 1473, les thèmes du « monde » et de la
« femme » convergent. Et si la Cité céleste réfute le Monde, l’ascèse et la litur-
gie chrétiennes bannissent la Femme. Celle-ci ne touchera jamais le sacré,
donc l’hostie, l’eucharistie tout entière, pas plus que les autels, les objets litur-
giques comme la patène, le calice, l’huile consacrée. La raison pour laquelle
Jean Heynlin souligne ce point, au moyen de cette glose, est à lier aux préoc-
cupations que suscitent en lui les questions touchant à la messe et à l’eucha-
ristie. Jean Heynlin a consacré un traité aux infractions éventuelles dans la
célébration de la sainte messe, surtout à propos des souillures suscitées par
la nature et les corps humains42. Heynlin n’accorde, dans son œuvre, aucune
place à une quelconque célébration et commémoration de la femme, ni pour
sa propre mère ni pour une autre femme, même sainte. En revanche, il a laissé
de très nombreuses gloses en leur défaveur. À l’exception de la Vierge, il n’y a,

40. Bâle, BU, Inc. 394 : Augustinus, Civitas Dei, glose de Heynlin dans le livre XIII, chap. 10, le
volume n’est pas folioté.
41. Bâle, BU, Inc. 1 : Guilelmus Durandus, Rationale divinorum officiorum, f. xliiiir.
42. Resolutorium dubiorum circa celebrationem missarum occurrentium, Bâle, Froben, 1492, suivi de
très nombreux tirages.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 237 10/04/2017 16:32


238 Johannes Heynlin de Lapide

chez Jean Heynlin, aucune appréciation positive de la femme, contrairement à


ce que l’on trouve dans l’œuvre de son contemporain Lorenzo Valla43.
Ainsi, le monde du livre est, pour Jean Heynlin, le seul et véritable para-
dis de beauté, le refuge incontesté, le seul point de repli ou même de repos.
Le livre est aussi un instrument de lutte. Une note en marge de son exem-
plaire des homélies de Jean Chrysostome en témoigne : Libris contra diabolum
pugnatur44. Dans ses Sermons sur saint Jean, Jean Chrysostome affirme qu’on a
raison de lutter contre le diable avec des livres. Le commentaire suscité par
cette proposition peut être considéré comme la maxime, voire l’emblème de
toute la pensée, la vie et la destinée de Jean Heynlin. Un très grand nombre
de gloses – qui seront présentées et transcrites dans le catalogue que nous
préparons – révèle ainsi le fond de la pensée du maître bâlois.
Terminons avec un exemple. La petite fiche, dont la teneur est reproduite
ci-dessous, est insérée dans un recueil d’œuvres et d’auteurs scolastiques
ou humanistes. Elle contient une strophe de quatre vers composée par Jean
Heynlin, qui la souscrit : Lapidanus in mundum. Ces quelques vers illustrent
parfaitement la dualité culturelle qui coexiste en lui : l’humanisme, représenté
par l’élégance du vers hexamètre, et le Moyen Âge, figuré par le texte, rédigé
dans une écriture cursive, qui défie le Monde considéré comme impur. Par la
simple juxtaposition des mots, le monde devient par essence immonde. Cette
tension, ce véritable oxymore nous montre un personnage marqué par l’hu-
manisme et par l’ascèse, ou plutôt déchiré entre ces deux valeurs. Les grands
esprits novateurs que furent Lorenzo Valla et Érasme de Rotterdam ont défié
avec des bonheurs divers l’immense et lourd héritage médiéval : leur mérite
est grand, certes, mais il n’a pas toujours débouché sur une réussite, comme
paraît l’indiquer l’exemple de Jean Heynlin (ill. 6).
Munde immunde vale, fraudem praeter nihil in te.
Invisos validos omnes fallis tibi fidos.
Sed non cernis stulte, magis quod falleris ipse ;
Vincunt quos odis fallunt quos fallere queris.
Lapidanus in mundum.

43. Au sujet de l’humanisme rhénan, entre affirmation et négation de « Madame Monde », voir
B. von Scarpatetti, « La question de l’environnement à la Renaissance. L’humanisme rhé-
nan à cheval entre affirmation et négation de “Frau Welt” (xve-xvie siècle) », dans C. Maurer
et A. Starck-Adler, éd., Espace rhénan, pôle de savoirs, Strasbourg, 2013, p. 37-50 (ill.).
44. Bâle, BU, Inc. F J VI 5 : Johannes Chrysostomus, Homeliae super Johannem, Cologne, 1486, f. 69r.

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Beat von Scarpatetti 239

« Adieu Monde immonde, rien en toi sinon la fraude.


Ceux qui te sont fidèles, vaillants ou affaiblis d’envie, tu les trompes tous.
Or, stupide, tu ne t’aperçois pas que toi-même, tu es à ton tour encore plus
trompé.
Ceux que tu hais vaincront, ceux que tu cherches à faire faillir vont périr.
Le Pierreux sur le monde. »

Beat von Scarpatetti


Bâle

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240 Johannes Heynlin de Lapide

Ill. 1. Bâle, BU, Inc. 397, f. 1r. Hieronymus, Epistolae, Pars II. Rome: [Sweynheim et
Pannartz], 1470. Les armes de Heynlin en bas de la page-titre.

Ill. 2. Bâle, BU, ms. A VI 12. Varia scholastica. « Positio mei Jo. de Lapide pro tunc prioris »,
f. 56r.

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Beat von Scarpatetti 241

Ill. 3. Bâle, BU, ms. A VI 12. Varia scholastica, f. 195r.

Ill. 4. Bâle, BU, ms. A I 14, f. 1r. Thomas de Aquino, Summa Theologiae.
Parchemin et papier (se relayant à l’intérieur de chaque cahier).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 241 10/04/2017 16:32


242 Johannes Heynlin de Lapide

Ill. 5. Bâle, BU, Inc. 10. Thomas de Aquino, Summa theologiae, 2a/2ae, Mayence 1467,
typographie Peter Schöffer, la rubrique de la main de Heynlin.

Ill. 6. Bâle, BU, ms. F VI 16, f. 191r. Hexamètres sur le Monde.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 242 10/04/2017 16:32


CHAPITRE 5

Enquêter sur les collections


de la Sorbonne

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 243 10/04/2017 16:32


Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 244 10/04/2017 16:32
Les manuscrits du collège de Sorbonne :
une enquête codicologique
Claire Angotti

À Paris, dans le contexte de développement puis de rayonnement de l’Uni-


versité, nombreux sont les collèges séculiers et les studia réguliers qui
sont dotés d’une bibliothèque1. Nombreux sont aussi les établissements dont
la bibliothèque, pourtant évoquée dans des sources diplomatiques (actes de
fondation d’une maison, statuts, chapitres généraux ou provinciaux – dans le
cas de maisons régulières), est en réalité très difficile à connaître, du point de
vue de sa constitution, de son développement, de son organisation comme de
son contenu. Parfois les manuscrits subsistants constituent la seule source
permettant de connaître les pratiques bibliothéconomiques au sein d’un col-
lège, de deviner l’orientation d’une collection2, sans parler de manuscrits qui
révèlent l’existence d’une collection, par ailleurs jamais mentionnée dans la
documentation d’un collège ou d’un studium !

1. Voir M.-H. Jullien de Pommerol, « Livres d’étudiants, bibliothèques de collèges et


d’universités », dans Histoire des bibliothèques françaises, t. 1 : Les bibliothèques médiévales du vie siècle
à 1530, A. Vernet (dir.), Paris, 1989, p. 92-111. On se reportera surtout, pour les livres des
« petits » collèges parisiens séculiers, à la thèse de K. Rebmeister-Klein, Les livres des petits
collèges à Paris aux xive et xve siècles, thèse de doctorat, 3 vol., dactyl., université Paris 1 Panthéon-
Sorbonne, 2005. Il n’existe pas de recherche d’une ampleur équivalente pour les bibliothèques
des studia réguliers parisiens. Pour un exemple de bibliothèque de studium (ou collège) régulier,
je me permets de renvoyer à C. Angotti, « Les manuscrits du studium des Ermites de Saint-
Augustin à Paris d’après les sources médiévales et modernes », dans Les collèges réguliers en Europe
au Moyen Âge et à la Renaissance/Die regulierten Kollegien im Europa des Mittelalters und der Renaissance,
A. Sohn et J. Verger, éd., Bochum, 2012, p. 49-86.
2. Par exemple, dans le cas du collège de Navarre, fondé en 1305 : les sources qui nous auraient
permis d’en connaître avec précision le fonctionnement ont disparu. Seuls subsistent 498
manuscrits et deux inventaires tardifs, datant du xviiie siècle, celui du bibliothécaire Davolé en
1721 et un inventaire révolutionnaire. Il existe aussi des notes de Jacques Échard sur les manus-
crits du collège alors qu’il fréquentait la bibliothèque. En combinant ces diverses informa-
tions, on parvient à reconstituer une bibliothèque de plus de 800 volumes. Voir I. Chiavassa-
Gouron, Les lectures des maîtres et des étudiants du collège de Navarre : un aspect de la vie intellectuelle
à l’Université de Paris (1380-1520), thèse pour le dipl. d’archiviste paléographe, 1985, dactyl. ;
résumé dans École nationale des chartes, positions des thèses, 1985, p. 31-37.

Les livres des maîtres de Sorbonne, sous la direction de Claire Angotti, Gilbert Fournier et Donatella Nebbiai,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2017

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 245 10/04/2017 16:32


246 Les manuscrits du collège de Sorbonne : une enquête codicologique

Rareté de la documentation sur la bibliothèque, petit nombre de manuscrits


subsistants sont la situation habituelle pour les collèges parisiens – séculiers
comme réguliers. Seule exception – parmi les collèges séculiers –, la biblio-
thèque de la maison de Sorbonne : on dispose non seulement d’une grande
variété de sources qui permet de connaître la constitution, le développement,
l’organisation, l’usage de la bibliothèque du collège du xiiie au xvie siècle3
mais on possède aussi un nombre considérable de manuscrits subsistants,
qui dépasse le millier de volumes4.
Est-ce à dire que l’histoire de la bibliothèque du collège de Sorbonne et de
ses manuscrits est plus simple à saisir ? Deux écueils attendent pourtant qui-
conque se penche sur un volume ayant appartenu au collège. Premièrement,
le nombre de manuscrits conservés rend difficile leur emploi dans l’écriture
de l’histoire des collections de la maison de Sorbonne : les volumes subsis-
tants sont alors réduits à jouer plus un rôle d’illustration que de source quand
il s’agit de décrire, par exemple, le fonctionnement ou la constitution de la
bibliothèque du collège. Il est parfois difficile, pour qui étudie un manuscrit
précis, d’établir des liens clairs entre le volume subsistant et ce que l’on sait
de l’histoire de la bibliothèque5. Deuxièmement, la richesse du contenu de
chaque volume, tant pour l’histoire des textes que pour celle de la biblio-
thèque, peut aussi être un obstacle : nombreux sont les chercheurs qui se
focalisent sur le (ou les) texte(s) que contient un volume, mettant de côté
le « contexte intellectuel » que représente la bibliothèque, sans exploiter les
informations que le manuscrit peut apporter concernant l’usage qui a été fait

3. G. Fournier, « Listes, énumérations, inventaires. Les sources médiévales et modernes de


la bibliothèque du collège de Sorbonne (Première partie : les sources médiévales) », Scriptorium,
65 (2011), p. 158–215 ; Id., « Livre après livre. Un catalogue inédit de la bibliothèque du collège
de Sorbonne (milieu xvie siècle) », Scriptorium, 67/1, 2013, p. 185-217.
4. Si l’on se fie à l’inventaire établi par L. Delisle, le nombre de volumes subsistants s’élève
– pour les manuscrits latins – à 1542. Il faut retrancher les manuscrits parvenus tardivement
au collège (fin xviiie siècle), grâce au legs de Richelieu (environ 200 volumes) puis ajouter
un nombre indéterminé (mais relativement modeste) de manuscrits en langue romane. Voir
L. Delisle, « Inventaire des manuscrits latins de la Sorbonne conservés à la bibliothèque
impériale sous les numéros 15176-16718 du fonds latin », dans Bibliothèque de l’École des chartes,
31 (1870), p. 1-50 et p. 135-161. Hormis ce fonds principal, d’autres fonds de la BNF pos-
sèdent quelques manuscrits provenant du collège : l’ancienne bibliothèque royale, la biblio-
thèque de Colbert par exemple. On trouve aussi quelques dizaines de volumes dans plusieurs
bibliothèques européennes (en particulier la Biblioteca Apostolica Vaticana, la bibliothèque
de l’université à Leiden, la bibliothèque du Royal Observatory d’Édimbourg, la Bibliothèque
Laurentienne de Florence, la Bürgerbibliothek de Berne).
5. Voir la bibliographie fournie dans les instrumenta de ce volume.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 246 10/04/2017 16:32


Claire Angotti 247

du texte au sein du collège, touchant aux conditions de consultation qui en


éclairent pourtant la réception.
Il ne me semble donc pas inutile de présenter l’usage que l’on peut faire des
indices, parfois discrets, figurant dans un manuscrit, afin d’inscrire ce dernier
dans l’histoire de la bibliothèque, de le traquer parmi les différentes sources
bibliothéconomiques du collège pour mieux en saisir l’usage et la réception.
Autrement dit, l’objet de cet article est de proposer une sorte de vade-mecum à
l’usage de toute personne étudiant des volumes ayant appartenu au collège et
désireuse de mieux comprendre leur insertion dans les collections de la mai-
son de Sorbonne. On peut ainsi parfois établir – et ce cas est assez rare pour
l’histoire des bibliothèques – des liens entre les sources bibliothéconomiques
du collège de Sorbonne et les traces qu’elles ont pu laisser dans – ou sur – les
manuscrits subsistants.
Il convient d’indiquer les limites de cette contribution : soucieuse d’offrir
des indications extrêmement concrètes sur l’usage des marques matérielles
que comportent les manuscrits subsistants, en lien avec l’histoire des col-
lections de la bibliothèque, je ne traite que peu des textes que contiennent
ces volumes, alors qu’ils participent pourtant à l’histoire du contenu des col-
lections du collège. Les conclusions que je présente ici sont bien sûr dépen-
dantes des observations que j’ai faites, au fil de mes recherches, sur certains
volumes : ces conclusions seront très probablement nuancées, peut-être
même contredites, par des chercheurs ayant examiné des volumes différents
de ceux qui ont suscité mon intérêt. Mon propos n’est donc que l’un des jalons
d’un projet plus vaste et de très longue haleine, nécessitant les connaissances
et la coopération d’une équipe dont l’objectif, passant par un examen et une
connaissance exhaustifs des manuscrits subsistants, serait d’établir des liens
entre ces volumes et les divers documents éclairant l’histoire des collections
du collège6.
Ces limites une fois posées, mon propos se présente sous forme de huit
questions qu’il me semble indispensable de se poser face à un manuscrit issu
des collections médiévales du collège. En voici la liste :
1. Où chercher les indices bibliothéconomiques dans un manuscrit du
collège ?
2. Comment sont désignées les différentes collections du collège dans les
manuscrits ?
3. Pourquoi prêter attention à l’estimation (ou prisée) des volumes ?

6. C’est, à terme, ce vers quoi tend le projet « Sorbonne » piloté par D. Nebbiai, dans le cadre
de l’Équipex Biblissima dirigé par A. M. Turcan-Verkerk.

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248 Les manuscrits du collège de Sorbonne : une enquête codicologique

4. Comment interpréter les différents noms propres figurant dans les


gardes et/ou l’ex-libris d’un manuscrit ?
5. Que tirer de l’examen de la reliure et des étiquettes anciennes ?
6. Pourquoi relever les marques de la chaîne ?
7. Quelle est la date des estampilles et des cotes modernes apposées sur
les premiers feuillets des volumes ?
8. Qui est l’auteur et faut-il tenir compte des notes sur papier figurant
dans les contreplats des volumes ?
Ces huit questions permettent d’éclairer l’histoire d’un volume d’abord
dans les collections médiévales du collège (questions 1 à 6) puis dans les col-
lections modernes (questions 7 et 8). Elles sont issues d’une double démarche
méthodologique : premièrement, en soulignant l’importance de la prise en
main concrète du manuscrit, elles facilitent l’exploitation historique du
volume ; deuxièmement, en proposant de croiser les informations tirées des
manuscrits avec les différentes sources du collège, elles conduisent à élaborer
une véritable archivistique des manuscrits de la maison de Sorbonne.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut d’abord rappeler qu’il convient
– j’en ferai plus loin la démonstration – de toujours prêter la plus grande
attention à la terminologie bibliothéconomique employée dans les manus-
crits. Il faut ensuite prêter la même attention à la question de l’évolution des
différentes collections, tant du point de vue de leur extension que du point de
vue de leur gestion. Les sources médiévales permettent de connaître les temps
forts de l’histoire de la bibliothèque du collège, mais l’étude des manuscrits
peut permettre d’affiner, de nuancer plus encore cette histoire7. Il convient
donc de ne pas faire de la bibliothèque du collège un monde figé, hors du

7. Ces nuances chronologiques sont fondamentales : en effet, s’il semble évident qu’une collec-
tion tend à croître, il en va de même pour le développement de l’organisation des collections,
des méthodes de fonctionnement (modalités de prêt, périodicité du récolement, élaboration
des catalogues…). Par exemple, si les modalités du prêt sont bien connues pour la fin du Moyen
Âge, elles le sont moins pour la seconde moitié du xiiie siècle : le prêt de livres ne concer-
nait-il que les seuls sociétaires ? S’étendait-il aux hôtes du collège, ou même à l’ensemble de la
faculté de théologie, voire aux maîtres de la faculté des arts ? Quelles en étaient les modalités :
un gage était-il réclamé à tous ou aux seuls étrangers ? À la fin du Moyen Âge, des gages étaient
réclamés surtout lors de prêts extraordinaires, ceux des manuscrits habituellement enchaînés.
Voir J. Vielliard, éd. et annot., M.-H. Jullien de Pommerol, collab., Le registre de prêt de
la bibliothèque du collège de Sorbonne (1402-1536), Paris, 2000, p. 28-36. Voir aussi G. Fournier,
Une « bibliothèque vivante ». La libraria communis du collège de Sorbonne (xiiie-xve s.), thèse dac-
tyl., EPHE (Ve section), 2007, p. 354-371. La situation semble plus complexe dans les premières
années du collège. Voir L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale. Étude sur la
formation de ce dépôt comprenant les éléments d’une histoire de la calligraphie, de la miniature, de la reliure,
et du commerce des livres à Paris avant l’invention de l’imprimerie, II, Paris, 1874, p. 176 et p. 194-195.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 248 10/04/2017 16:32


Claire Angotti 249

temps et clos sur lui-même. Les collections de livres qu’il possède contri-
buent, au contraire, à ouvrir le collège sur la vie de l’Université8. C’est en effet
probablement grâce à ses différentes collections, à l’usage qu’il en a permis,
que le collège de Sorbonne a su trouver sa place au sein de l’Université puis
devenir un acteur important de la faculté de théologie9.

1. Les indices bibliothéconomiques

La plupart des marques matérielles propres à éclairer l’histoire du manus-


crit dans les fonds du collège doivent être cherchées à la périphérie du volume :
dans les feuillets de garde, sur les contreplats ou les plats de reliure, mais
aussi à la périphérie du texte (en début et en fin, avec la table des matières,
etc.), ce qui signifie que, puisque la majorité des manuscrits du collège
regroupe différentes œuvres, il est toujours prudent de vérifier les premier et
dernier folios d’une œuvre et non les premier et dernier feuillets du volume.
Par exemple, le manuscrit BNF lat. 15362 comporte un ex-libris doté d’une
table des matières qui semble correspondre à l’ensemble du volume, pourtant
constitué de cahiers de formats différents10. En examinant attentivement le
volume, on relève l’existence d’un autre ex-libris, tracé à la mine de plomb à
la suite des Quodlibeta de Jacques de Viterbe, ce qui semble indiquer qu’une
partie des cahiers du recueil ont constitué, un temps, un volume distinct11.

8. Voir J. Verger, « La faculté des arts : le cadre institutionnel », L’enseignement des disciplines
à la faculté des arts (Paris et Oxford, 13e-15e siècles), O. Weijers et L. Holtz, éd., Turnhout, 1997,
p. 17-42, précisément p. 34-35, et aussi Id., « Rapport de la Table ronde : le cadre institution-
nel », ibid., p. 91-92.
9. Voir C. Angotti, « Présence d’un enseignement au sein du collège de Sorbonne : collationes,
disputationes, lectiones (xiiie-xve s.). Bilan et hypothèses », Cahiers de recherches médiévales, 18 (2009),
p. 89-111.
10. BNF lat. 15362, f. 234v : Iste liber est pauperum magistrorum de Sorbona ex legato magistri Petri
de Lemovicis quondam socii domus hujus. In quo continentur : 1. Quodlibeta magistri Jacobi de Viterbio ;
item Tacuimus cum quibusdam suppositionibus et additionibus magistri Dudonis super Tacuimum ;
item Tacuimus ; item liber Serapionis ; item liber Avicenne de viribus et medicine cordis ; item glose super
Antidotarium a Johanne de Sancto Amando ; item practica geometrie ; item Joachim super Apocalypsim ;
item tabula super totam logicam ex legato magistri Petri de Lemovicis. Precii C sol., suivi de la cote 36us
inter mixta philosophorum ; ce manuscrit n’est pas décrit dans le catalogue de 1338, il est sim-
plement signalé comme enchaîné (voir L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits…, op. cit., III, p. 64
(sous la cote Libri mixti philosophorum LIII/36). Voir annexe 4, photographie 1.
11. BNF lat. 15362, f. 69v : <Quodlibeta ?> magistri Jacobi de Viterbio precii XL sol. ; inter scripta et
questiones <super Sentencias> 79us inter summas questionum 69 (voir annexe 4, photographie 2). Le
volume figurant dans la section XXIV Summe questionum sous le numéro 69 n’est malheureuse-
ment pas décrit mais il est signalé comme enchaîné (voir L. Delisle, Le Cabinet des Manuscrits…,
op. cit., III, p. 31).

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 249 10/04/2017 16:32


250 Les manuscrits du collège de Sorbonne : une enquête codicologique

Les responsables de la bibliothèque n’hésitaient pas à assembler des


œuvres provenant de legs différents. Ainsi le manuscrit BNF lat. 16170 com-
porte un ex-libris qui rappelle que le volume a été constitué grâce à deux dons
distincts12 : Gérard d’Utrecht († ap. 1326) possédait en effet les cahiers qui
constituent aujourd’hui les f. 1 à 41 du volume13, Conrad de Romersheim
(† av. le 4 octobre 1336) le reste14. Le volume actuel n’a donc pu être constitué
qu’après 1336. Parfois les ex-libris qui accompagnaient chacun des volumes
permettent de reconstituer les legs antérieurs : dans le cas du BNF lat. 16144
qui contient actuellement la Physique d’Aristote (f. 3ra-34vb) puis le Super de
caelo de Thomas d’Aquin (f. 35ra-84va), deux ex-libris, suivis des deux cotes du
catalogue de 133815, permettent de connaître les deux bienfaiteurs, de distin-
guer leur legs et de fixer un terminus a quo à la constitution du recueil. Quant au
manuscrit BNF lat. 16317, on relève trois ex-libris distincts, mentionnant trois
bienfaiteurs du collège différents : Thomas d’Irlande16, Gérard d’Abbeville17,

12. BNF lat. 16170, f. 127v : Iste liber est pauperum scolarium de Sorbona cujus medietas est ex legato
magistri Gerardi de Trajecto et altera medietas ex legato magistri Conradi. Pretii XXX solidorum.
13. Voir B. Bazàn, Trois commentaires anonymes sur le traité de l’âme d’Aristote, Louvain-Paris,
1971 ; C. Luna, Aegidii Romani opera omnia, t. I, Catalogo dei manoscritti, 1. 3**, Francia (Parigi),
p. 232-239.
14. Le 4 octobre 1336, plusieurs sorbonistes acceptent d’exécuter le testament de Conrad de
Bonnersheim (sic). Voir P. Glorieux, Aux origines…, t. 2, n. 2, p. 557-559.
15. BNF lat. 16144, f. 34v : ex-libris Philosophia Aristotilis ex legato magistri Guillelmi de Feuqueriis,
precii x sol., suivi de la cote inter libros naturales non commentatos, 34, ce qui correspond au
34e volume de la section XLVII du catalogue de 1338 ; l’autre ex-libris est f. 85v : Iste liber est pau-
perum magistrorum de Sorbona Parisius studentium in theologica facultate ex legato magistri Stephani de
Gebennis. 45us. Inter scripta et questiones super libros Aristotilis. In quo continentur scripta fratris Thome
super librum celi et mundi. Precii XII sol., cette cote correspond au 45e volume de la section LIIII du
catalogue de 1338.
16. Le legs de Thomas d’Irlande correspond aux f. 1-18v du lat. 16397. L’ex-libris figure f. 18v
(voir n. 106 pour le détail).
17. Le legs de Gérard d’Abbeville correspond aux f. 19-59 du lat. 16397. L’ex-libris, accompagné
de l’estimation du volume, se trouve au f. 57v : Iste liber est collegii pauperum magistrorum studencium
Parisius in theologia ex legato magistri Guerroudi de Abbatis Villa precio XX sol.

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Claire Angotti 251

Pierre de Limoges18 ! Signalons aussi le cas, plus rare, de la séparation en plu-


sieurs codices d’une œuvre léguée au collège en un seul volume19.

2. Les différentes collections du collège dans les manuscrits


2.1. Dénomination des collections dans les sources
Le collège a constitué plusieurs collections de livres dont la gestion, le
mode de consultation et la taille se sont modifiés entre les débuts de la fon-
dation par Robert de Sorbon et la fin du Moyen Âge. Les sources émanant de
la maison de Sorbonne et traitant des collections les désignent de diverses
manières. La tradition historiographique présente la bibliothèque comme
possédant deux fonds bien distincts20 : d’une part la bibliothèque de prêt, qui
contient les manuscrits spécialisés et les doubles. Cette bibliothèque est appe-
lée parva libraria dans les sources du collège21. Les volumes – quand ils ne sont
pas aux mains des sociétaires – sont conservés dans des coffres. D’autre part,
une partie de la collection du collège figure dans la bibliothèque d’usuels,
aux manuscrits enchaînés. Cette dernière collection connaît une profonde

18. Le legs de Pierre de Limoges correspond aux f. 59-154 du lat. 16397. La table et l’ex-libris
puis l’estimation et la cote du catalogue de 1338 sont soigneusement mis en page (réglure) et
rédigés par la même main, tout comme l’indication d’enchaînement, un peu plus bas, f. 154v :
In hoc volumine continentur extractiones librorum Joachim et extractiones de evangelio eterno et reproba-
tiones eorumdem. Quod volumen est pauperum magistrorum de Sorbona ex legato magistri [add. marg.
sup. Petri] de Lemovitis quondam socii domus hujus. Pretii 20 solid. 39us inter originalia mixta sanctorum ;
chatenabitur.
19. Les BNF lat. 15685 et lat. 16207 correspondent à un volume ayant appartenu à Gérard de
Reims (avec ajout d’un cahier ayant appartenu à Pierre de Limoges et qui correspond aux f. 3-18
du lat. 16207). Voir lat. 15685, f. 47v : Iste liber est pauperum magistrorum de Serbonia in theologia
Parisius studentium ex legato magistri G. de Remis precii XX den. precii XX sol., suivi de la précision
Folia scripta 161, tandis que le BNF lat. 15685 ne comporte que 45 feuillets. Une autre main a
indiqué f. 47v du lat. 15685, la cote du catalogue général de 1338, Inter quadriviales XXus. La des-
cription très complète fournie par le catalogue de 1338 (voir L. Delisle, Le Cabinet des manus-
crits…, op. cit., III, p. 67) permet de constater que plusieurs des œuvres signalées figurent dans
le lat. 16207 (voir M. Mabille, « Les manuscrits de Gérard Bruine, dit de Reims, conservés
à la Bibliothèque nationale de Paris », Bibliothèque de l’École des chartes, 131 (1973), p. 198-208,
précisément p. 204-205).
20. Voir M.-H. Jullien de Pommerol, « Livres d’étudiants, bibliothèques de collèges et
d’universités », art. cité, rééd. 2008, p. 122-149, précisément p. 128
21. Nota quod omnes libri in registro isto sunt quotati secundo et penultimo foliis fuerunt inventi in parva
libraria anno Domini Mo CCCo XXXVIIIo ; illi vero ubi scribitur « defficit » non fuerunt inventi. Cette note
figure à la fin du catalogue de 1338, c’est la première occurrence de l’expression parva libraria
(L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., III, p. 71, d’après BNF n. a. l. 99, p. 223).

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252 Les manuscrits du collège de Sorbonne : une enquête codicologique

transformation dans le premier quart du xive siècle22. Elle est désignée de


plusieurs manières : lors de sa constitution, probablement dès les premières
années du collège, on ne désigne pas vraiment encore la collection comme
un ensemble, et l’expression figurant dans les sources qualifie plutôt les
livres qui la constituent. Il s’agit alors des libri de communi23. Apparaît par la
suite l’expression libraria communis, directement née des libri de communi24,
cette collection de livres constituée dès 1290 est désormais installée dans une
salle spécifique, équipée de chaînes, auxquelles les volumes sont attachés25.
L’expression libraria communis, formellement employée en 1321, n’est pas

22. Voir C. Angotti, « Bonum commune divinius est quam bonum unius. Le collège de la Sorbonne
et sa bibliothèque, place et rôle dans l’Université de Paris au xive siècle », dans A. Sohn et
J. Verger, éd., Les collèges universitaires en Europe au Moyen Âge et à la Renaissance/Die universitären
Kollegien im Europa des Mittelalters und der Renaissance, Actes du colloque international organisé à
Paris les 12 et 13 décembre 2008, Bochum, 2011, p. 91-105.
23. Voir les statuts primitifs du collège (avant 1274) : Item nullus recipiatur in domo nisi fidem prestet
quod si contigerit ipsum libros de communi recipere, quod sicut suos ita fideliter observabit et nullo modo
distrahet nec accomodabit extra domum, et per integrum reddet eos quandocumque exigentur ab eo et quando
contigerit eum villam exire (P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne, t. 1, Paris, 1966, p. 194). Le
soin des livres appartenant au collège (libr[i] de domo) est aussi exigé dans le serment prêté
par les sociétaires (vers 1280-1290) mais l’expression libri communes ou de communi n’est pas
employée (voir ibid., p. 203). En revanche, il est question, dans une note probablement issue
du catalogue perdu de 1290, d’une « bibliothèque instituée pour l’“utilité commune” des socié-
taires » : Nota etiam quod anno Domini Mo CCo LXXXo IXo fuit primo institutum librarium in domo ista pro
libris cathenatis ad communem sociorum utilitatem (L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., III,
p. 71 d’après BNF n. a. l. 99, p. 223).
24. Voir la décision relative à la réorganisation de la bibliothèque, à son règlement, et à son
catalogue (1321) : Item quod de omni scientia et de libris omnibus in domo existentibus saltem unum
volumen, quod melius est, ponatur ad cathenas in libraria communi ut omnes possint videre etiamsi unum
tantum sit volumen, quia bonum commune divinius est quam bonum unius ; et ad hoc adstingatur quili-
bet habens hujusmodi librum ponendum in libraria quod sine contradictione eum tradat (P. Glorieux,
Aux origines de la Sorbonne, op. cit., t. 1, p. 215). Voir aussi l’introduction à la tabula du répertoire
méthodique élaboré au collège entre 1321-1338 : Quod ego Johannes, presentis collegii de Sorbona
quondam inter ejus cetera membra unum de minimis ac minus utile ad officia corporis exsequenda, in presenti
domo videns accidere, et quod minus tolerabile erat in libraria communi, in qua, licet multitudo librorum
quasi de qualibet sciencia esset omnibus exposita ad studendum, difficile tamen quilibet invenire potuit quod
querebat, huic difficultati vel defectui remedium desiderans adhibere et viam ad inveniendum in dicta libraria
cuilibet librum vel scienciam de qua quereret cupiens si quoque modo fieri posset comode preparare, non veritus
utilitatem propriam communi utilitati postponere, sciens quod bonum quanto communius tanto divinius
[…] (L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., III, p. 79 d’après BNF n. a. l. 99, p. 247) ; voir
aussi la première rubrique du répertoire topographique : Isti sunt libri venerabilis collegii pauperum
magistrorum de Sorbona de libraria communi, etc. (L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., III,
p. 72 et BNF n. a. l. 99, p. 287).
25. Sur l’enchaînement des manuscrits, on trouvera une réflexion stimulante et une biblio-
graphie exhaustive dans P. Cordez, « Le lieu du texte : les livres enchaînés au Moyen Âge »,
Revue Mabillon, 78 (2006), p. 75-103. Voir aussi C. Angotti, « Naissance des bibliothèques

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Claire Angotti 253

propre au vocabulaire du collège de Sorbonne : plusieurs institutions régu-


lières évoquent des libri communes ou une libraria communis26. Enfin, dans les
sources médiévales du collège, apparaît, à la fin du xive siècle (1391), l’ex-
pression magna libraria27, expression employée en miroir de l’expression parva
libraria28 et peut-être liée à la valeur accordée au contenu de cette collection,
au poids qu’elle a acquis au sein du collège et, plus largement, de l’Univer-
sité29. Ces expressions se figent enfin au xve siècle, comme en témoignent
plusieurs documents, par exemple les délibérations des sociétaires du col-
lège. Le 12 février 1432, la magna libraria est concernée par une décision des
sociétaires soucieux d’améliorer la conservation et la garde des « livres de la
communauté » – on notera le maintien de l’idée que les livres enchaînés sont
à l’usage de la communauté : ils demandent aux parvi librarii de nettoyer et
épousseter régulièrement la pièce et les livres qu’elle contient, de refermer les
livres et de signaler l’état de ceux nécessitant d’être recouverts et reliés30. En
octobre 1433, les sociétaires sanctionnent Jean de Ponte qui avait emporté une
partie de la Somme théologique (la Prima secunde) conservée dans la parva libraria

universitaires », dans E. Vallet, S. Aube et T. Kouamé, éd., Lumières de la Sagesse. Écoles médié-
vales d’Orient et d’Occident, Paris, 2013, p. 239-245.
26. D. Nebbiai-Dalla Guarda, « La bibliothèque commune des institutions religieuses »,
Scriptorium, 50 (1996), p. 254-270 ; G. Fournier, Une « bibliothèque vivante », op. cit.
27. Ordonnance relative aux clés de la bibliothèque (1391) : Anno Domini 1391, die 16 novembris,
Gaufrido Latanchier priore existente de Sorbona, deliberavit societas dicte domus quod sera et claves de libraria
magna mutarentur propter nimiam multitudinem clavium in diversis locis dispersarum […] (P. Glorieux,
éd., Aux origines de la Sorbonne, op. cit., t. 1, p. 233.)
28. Ibid., p. 233-234 : […] et pro remedio in futurum fuit tunc ordinatum quod fierent solum XXti claves que
sociis presentibus traderentur sub tali conditione quod quilibet socius juraret quod si contingeret ipsum exire
villam Parisiensem, ipse reponeret clavem [magne librarie] in parva libraria, cum libris si quos haberet, pres-
entibus librariis […]. Item quod exemplar sere de magna libraria ponatur et remaneat in parva libraria […].
29. D. Nebbiai-Dalla Guarda, « La bibliothèque commune… », art. cité, p. 254-270, préci-
sément p. 261 ; Id., « Classifications et classements », Histoire des bibliothèques françaises, op. cit.,
p. 491-521, précisément p. 497.
30. Ordinatum fuit ad tuitionem et custodiam meliorem fiendam librorum magne librarie, quod parvi libra-
rii sub pena unius burse, haberent infra octo dies, mundare et scobare libros et librariam et omnes libros
claudere et inferre statum librorum communitati ut ipsa provideat de aliquibus cooperturis et ligaturis
(R. Marichal, éd., Le livre des prieurs de Sorbonne (1431-1485), Paris, 1987, p. 33).

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254 Les manuscrits du collège de Sorbonne : une enquête codicologique

sous le nom du défunt maître Alard Palenc31 et qui, de plus, n’avait pas rendu
le volume dans les temps32.
Outre ces deux fonds principaux et permanents dans l’histoire de la biblio-
thèque, il existe à l’époque médiévale d’autres collections de livres : enchaînés
dans la chapelle, placés dans l’aula du collège33, ou aux mains du prieur – ces
derniers demeuraient probablement dans la parva libraria quand le prieur ne
les empruntait pas et ne semblent pas avoir eu d’emplacement spécifique34.
Il existe aussi une autre collection, éphémère, s’adressant à un groupe d’étu-
diants membres de la faculté des arts : ce groupe d’étudiants, dont les liens
avec la Sorbonne demeurent difficiles à saisir faute de sources, semble avoir
occupé, un temps du moins, des locaux distincts de ceux du collège – appelés
« Petite Sorbonne » ou parva Sorbona – et avoir eu une bibliothèque particu-
lière35. Nous y reviendrons plus loin (voir point 2.2.1.2. et point 4.2.2) car ce
sont précisément les mentions figurant dans les manuscrits subsistants qui
nous permettent de reconstituer cette bibliothèque éphémère.

2.2. Inscrire un manuscrit dans les diverses collections


2.2.1. La parva libraria
2.2.1.1. L’expression parva libraria figure-t-elle dans les volumes ?
On trouve évidemment employée l’expression parva libraria dans des notes
– plutôt tardives par rapport à l’existence de cette collection – précisant l’his-
toire de tel ou tel volume. Ainsi, L. Delisle mentionne l’indication suivante
trouvée dans le lat. 15840 : Iste liber est pauperum magistrorum de Sorbona, emptus

31. Alard Palenc est mort le 30 août 1433. Le registre de prêt confirme que Jean de Ponte avait
la Prima secunde enregistrée sous le nom d’Alard Palenc. Il s’agit de l’actuel BNF lat. 15345
(XXIV/109 dans le catalogue de 1338). Voir J. Vielliard, éd. et annot., M.-H. Jullien de
Pommerol, collab., Le registre de prêt…, op. cit., p. 313 et n. 6 puis p. 316. Jean de Ponte rend
effectivement le volume en 1433 pour le réemprunter, cette fois sous son nom, en 1437. Voir
ibid., p. 290.
32. Item die nona Octobris, potus fuit magister Johannes de Ponte quia portaverat, contra statuta collegii
ad domum suam Primam secunde que in parva libraria erat, scripta sub defuncto magistro Alard Palenc ac
eciam quia dictum librum non reddidit tempore debito insuper et fuit conclusum quod redderet infra […] dies.
(R. Marichal, éd., Le livre des prieurs de Sorbonne (1431-1485), op. cit., p. 58).
33. Voir L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., II, p. 184-185.
34. Les manuscrits réservés au prieur sont signalés par une note marginale dans le catalogue de
1338 : voir ibid., III, p. 51 (BNF n. a. l. 99, p. 167). La situation a peut-être changé au xve siècle.
35. Voir C. Angotti, « Mort et vie du collège dit de la “Petite Sorbonne” », dans C. Giraud et
M. Morard, éd., Universitas scolarium. Mélanges offerts à Jacques Verger, Genève, 2011, p. 171-199.

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Claire Angotti 255

de pecunia recepta de quibusdam libris venditis de parva libraria36. Dans un exemplaire


des Sentences de Pierre Lombard, le manuscrit lat. 16386, on trouve une note au
f. 348 expliquant qu’en 1500 le socius Jean Gaiszer37 a trouvé dans la poussière
ce volume et décidé de le faire relier, à ses frais : Hoc opus fecit religari magister
Iohannes Gaisser socius sorbonicus anno Cristi 1500 cum prius multo tempore situ et pul-
vere neglectum jacuisset in parva libraria ; quod sit ad laudem Dei38. Rappelons aussi
la note, figurant dans le lat. 15892, f. 174v qui raconte comment ce volume,
qui contenait le commentaire des Sentences d’Adam de Wodeham, fut extrait
de la magna libraria pour être placé parmi les autres livres nominalistes, dans
le coffre contenant le trésor du collège et conservé dans la parva libraria39. En
effet en 1474, le roi Louis XI a interdit l’enseignement qualifié de « nomina-
liste » et des lectures de livres nominalistes : les ouvrages sont retirés des col-
lèges et des bibliothèques privées puis déposés auprès du premier président

36. L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, op. cit., II, p. 179 et n. 3. Voir aussi Catalogue des manuscrits
datés, t. III, p. 447 qui date cette indication de la fin du xive siècle.
37. Sur ce sociétaire du collège, voir J. Vielliard, éd. et annot., M.-H. Jullien de
Pommerol, collab., Le registre de prêt…, op. cit., p. 623.
38. Voir L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits…, op. cit., II, p. 167 ; D. Gid et M.-P. Laffitte, Les
reliures à plaques françaises, Turnhout, 1997, cité p. 95 (notice de la plaque no 65).
39. BNF lat. 15892, f. 174v : Iste liber est de magna libraria et fuit extractus in aprili anno millesimo
CCCCLXXII ante Pascha et fuit tunc traditus in manibus domini primi presidentis, consequenter recupera-
vimus… Fuit ordinatum per collegium quod poneretur in archa thesauri que est in parva libraria, donec
fuerit aliter ordinatum, circa libros nominalium ; et erat in magna libraria in banca supra vicum, ante
fenestras propinquiores camere magistri nostri Iohannis Chiennart. Hoc factum fuit XXIX augusti anno
LXXIIII (voir annexe 4, photographie 3). Sur l’archa thesauri, et ses différentes désignations, voir
J. Vieilliard, « Le registre de prêt de la bibliothèque du collège de Sorbonne au xve siècle »,
dans J. Ijewijn et J. Paquet, éd., The Universities in the late Middle Ages, Louvain, 1978, p. 276-
293, précisément p. 281. On trouvera le détail de la condamnation dont le nominalisme fait
l’objet à Paris à la fin du Moyen Âge chez R. Paqué, Le statut parisien des nominalistes. Recherches
sur la formation du concept de réalité de la science moderne de la nature, Paris, 1985 (pour la traduc-
tion française). Pour une mise au point et la description des positions des uns et des autres,
voir Z. Kaluza, « Les étapes d’une controverse. Les nominalistes et les réalistes parisiens de
1339 à 1482 », dans A. Le Boulluec, éd., La controverse religieuse et ses formes, Paris, 1995, p. 297-
317 ; Id., « La crise des années 1474-1482 : l’interdiction du nominalisme par Louis XI », dans
J. F. M. Hoenen, J. H. J. Schneider et G. Wieland, éd., Philosophy and Learning : Universities
in the Middle Ages, p. 239-327, précisément p. 307-308. Voir aussi L. Bianchi, Censure et liberté
intellectuelle à l’Université de Paris (xiiie-xive siècles), Paris, 1999, p. 129-159 ; A. Renaudet,
Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d’Italie (1494-1517), Paris, 2e éd., 1953,
précisément p. 91-94 ; A. L. Gabriel, « Via antiqua and via moderna and the Migration of Paris
Students and Masters to the German Universities in the xvth century », A. Zimmermann, éd.,
Antiqui und Moderni Traditionsbewusstsein und Fortschrittsbewusstsein im späten Mittelalter, Berlin-
New York, 1974, p. 439-483 ; F. Ehrle (éd.), Der Sentenzenkommentar Peters von Candia des Pisaners
Papstes Alexanders V, Münster, 1925. F. Ehrle édite l’ordonnance du 1er mars 1474, p. 305-316.

Livre_Maitres_Sorbonne_02.indb 255 10/04/2017 16:32


256 Les manuscrits du collège de Sorbonne : une enquête codicologique

du Parlement ou ferrés et cloués à leur pupitre40. À ma connaissance, l’ex-


pression parva libraria ou l’indication in parva libraria n’ont donc jamais pour
seul rôle de signaler l’emplacement d’un volume au sein de la collection de
manuscrits susceptibles d’être empruntés mais figurent plutôt dans des notes
racontant les circonstances dans lesquelles un volume a été trouvé ou ôté du
lieu habituel dans lequel il était conservé.

2.2.1.2. Parva Sorbona, magna Sorbona


On trouve en revanche dans quelques manuscrits l’expression parva
Sorbona41 : le lecteur inattentif en conclura que cette expression désigne aussi
la parva libraria. Il n’en est rien42. Cette expression désigne non pas la biblio-
thèque de prêt mais un troisième fonds43, destiné à des étudiants en arts
dépendant de la (grande) Sorbonne, comme le prouve l’ex-libris figurant au
f. 141v du BNF lat. 16164 : Iste liber de animalibus est pauperum scolarium artistarum
de parva Sorbona emptus pro duabus francis quos legavit Enricus de Ecclesia quondam
socius de Sorbona magna44. Les livres ayant appartenu au collège de la « Petite
Sorbonne » comportent toutefois rarement la précision […] de parva Sorbona45 ;

40. Lettre de Robert Gaguin à Guillaume Fichet éditée dans Auctarium Chartularii Universitatis<