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19
édités par
Stéphane BOISSELLIER
D/2010/0095/61
ISBN 978-2-503-53450-3
Stéphane Boissellier
Introduction à un programme de recherches
sur la territorialité : essai de réflexion globale et éléments d’analyse 5
Nathalie Bouloux
Culture géographique et représentation
du territoire au Moyen Âge : quelques propositions 89
Thomas Deswarte
Géographie sacrée ou géographie du sacré ? Les mappemondes du
Commentaire de Béatus aux Xe et XIe siècles 113
Perspectives de recherches.
Considérations intempestives sur l’objet « espace médiéval »
et sur sa construction par Patrick Gautier Dalché 133
Éric Palazzo
Territoire, territorialité, espace, lieu : l’apport de la liturgie
à une définition de l’espace du rituel au Moyen Âge 145
John Tolan
L’espace du texte : circulation des manuscrits
et diffusion des idées au Moyen Âge 167
Perspectives de recherches.
Le territoire des corps par Jean-Claude Schmitt 179
Conclusions sur le thème I :
L’espace comme territoire de Dieu par Patrick Henriet 185
Myriam Soria
Violences et appropriation de l’espace en Gascogne au XIe-XIIe siècle.
Le diocèse, un territoire conflictuel 203
Charles Garcia
Violences et appropriation de l’espace dans l’Occident péninsulaire
ibérique (XIe-XIIIe siècles) : le diocèse, un territoire conflictuel ? 237
Perspectives de recherches
Le diocèse : territoire et conflit aux XIe-XIIe siècles. Notes de lecture
par Florian Mazel 261
Emmanuel Huertas
La territorialité des faits économiques : la marché des routes
foncières à Pistoia au XIIe siècle 277
Caroline Brousse
La frontière, le territoire et l’eau dans al-Andalus :
le cas de la région de Tortose 289
Conclusions sur le thème II :
La « fabrique » des territoires : quelques remarques conclusives
sur les processus sociaux de territorialisation par Denis Menjot 295
Stéphane Boissellier
La délimitation des territoires « subjectifs » locaux
dans le sud du Portugal, pendant et après la Reconquête 313
Luc Bourgeois
Le village introuvable : quelques réflexions sur les inventaires
et les politiques patrimoniales françaises face à l’analyse
de l’habitat médiéval 345
Yassir Benhima
Approches du territoire. Tendances et perspectives de la recherche sur
les territoires ruraux en Occident musulman médiéval 357
François Clément
Nommer le territoire : le cas des sources arabes (Maghreb et Andalus) 387
Conclusions sur le thème III
par Pierre Guichard 401
conclusion provisoire :
une perspective interdisciplinaire
Nacima Baron Yelles
Espaces, territoires et dynamiques des lieux :
mise en perspective des travaux du point de vue de la géographie 409
VI
1
Je me permets de renvoyer à S. BOISSELLIER et N. BARON, « Sociétés médiévales et
approches géographique : un dialogue de sourds ? », Être historien du Moyen Âge au XXIe
siècle. XXXVIIIe congrès de la SHMESP (Cergy-Pontoise, Evry, Marne-la-Vallée, Saint-Quentin-en-
Yvelines, 31 mai-3 juin 2007), Paris, Publications de la Sorbonne, 2007 (Histoire ancienne et
médiévale, 98), p. 163-177.
2
Ce dernier domaine est largement dominé par les études du peuplement, se fondant de
plus en plus sur les données matérielles élaborées par l’archéologie, et prenant pour objet
de référence les habitats.
Cette table-ronde n’est pas conçue pour fournir des données éru-
dites précises (qui viendraient s’ajouter sans grande utilité à un océan
de travaux ponctuels) mais pour tracer des pistes de recherches,
comme son intitulé l’indique4 – même si quelques interventions de
doctorants ont un caractère plus ponctuel. À cet effet, ce programme
est conçu en rapport avec les activités de l’équipe de recherches
« Péninsule ibérique / Méditerranée : normativité et territorialité des
faits sociaux et culturels » (CESCM, dir. S. Boissellier), qui doit porter
ce programme, comme on peut le voir dans la liste des interventions ;
la majorité des participants appartient à cette équipe ou en est proche,
et, sans se consacrer exclusivement à notre thématique, accepte de
faire un gros travail de synthèse et de conceptualisation. Pour coor-
donner l’ensemble des réflexions, une grille d’analyse détaillée a été
fournie aux participants. Le résultat de ce travail a produit deux jour-
nées de réflexion, très informelles mais pas moins chargées.
Nous ne pouvions couvrir tous les aspects du problème : certaines
échelles manquent, comme les parcellaires ou l’analyse des tissus d’ha-
bitat, qui sont pourtant abordables aussi bien du point de vue des
structures matérielles que des représentations symboliques et de
l’idéologie ; le monde arabo-musulman n’est abordé que dans deux
interventions (et une des conclusions partielles), alors que la dimen-
sion comparative est indispensable ; les réseaux et les territoires
3
Approche que les géographes n’ignorent d’ailleurs pas, sous le nom d’ « espace vécu »
(avec une connotation plus sociale qu’idéologique, il est vrai).
4
Le sous-titre donné à la manifestation était « Bilan, méthodes, objets et perspectives de
recherches ».
« objectifs » ont finalement été fort peu évoqués ; l’approche par les
données matérielles est loin d’être systématique ; plus encore, l’im-
mense champ des constructions « subjectives » des territoires n’est
que très ponctuellement labouré – mais il donnera lieu à de nom-
breux prolongements de notre programme de recherche5…
Cependant, pour pallier nos insuffisances personnelles et les lacu-
nes thématiques, des collègues extérieurs parmi les plus compétents
ont bien voulu animer les débats, puis transformer leur présidence
des sessions en conclusions partielles : celles-ci, ainsi que la conclusion
générale, sont essentielles, car elles permettent de tester la pertinence
de la démarche proposée (qui, au besoin, pourra être resserrée et
recentrée). En outre, il était prévu au départ d’associer à la plupart
des communications une « expertise » extérieure qui ajouterait des
compléments et des critiques après avoir pris connaissance préalable-
ment des textes écrits par chaque intervenant – l’ « expertise » n’étant
évidemment pas conçue comme une tutelle mais comme un débat – ;
pour des raisons d’organisation matérielle, cela n’a pas été possible,
mais des collègues ont bien voulu accepter de se livrer à cet exercice
difficile (d’autant plus difficile dans des contacts seulement indirects)
pour cette publication. Malgré le rôle joué au départ par une équipe,
qui explique le poids de la Péninsule ibérique dans les espaces abor-
dés ou de l’approche par les textes du point de vue méthodologique,
l’organisation de notre travail passé et futur n’a donc rien de sec-
taire.
Un programme de recherches sur un ensemble de processus aussi
complexe et global que la territorialité pourrait être aussi bien mené
sur le temps (ou plutôt sur les notions d’évolution et de rythme), et
probablement serait-il plus strictement « historien », puisque le temps
est la dimension par excellence de notre discipline. Mais cela nous
priverait précisément d’échanges avec les autres disciplines ; en outre,
il n’est pas sûr que l’évolution soit au temps ce que la territorialité est
à l’espace, car le temps est un objet encore plus insaisissable que l’es-
pace – comme on lit dans les livres de philosophie des classes termi-
nales « l’espace est la forme de ma puissance, le temps la dimension
de mon impuissance ».
5
Un de ces prolongements consiste en un cycle de tables-rondes sur les processus de déli-
mitation ayant lieu en 2009-2010, dont les actes seront édités (Frontières et limites dans la
formation des territoires médiévaux, S. Boissellier et F. Sabaté dir., Lleida, Pagès, 2010, à
paraître).
Stéphane Boissellier
Stéphane Boissellier
1
C’est encore le thème retenu par l’association des médiévistes français (SHMESP) pour
son colloque annuel de 2006 à Mulhouse, ce qui constitue un indice très significatif
(Construction de l’espace au Moyen Âge. Pratiques et représentations, Paris, Publications de la
Sorbonne, 2007) ; la liste des travaux cités dans les notes qui suivent montre que ces der-
nières années ont vu se multiplier les colloques sur ce sujet.
2
L’interrogation actuelle des sociologues sur la disparition de la société (i.e. d’une orga-
nisation des hommes en corps, identifiés à l’État-nation) montre l’intégration encore faible
de la dimension spatiale dans leur réflexion ; d’abord, comme le territoire, la société est
un processus plus qu’une entité, et il faudrait parler de socialisation ou socialité (propen-
sion et capacité des hommes à établir et réguler des liens entre eux), qui ne peut évidem-
ment pas disparaître ; surtout, quels que soient le niveau et la forme de ces systèmes de
relations, il n’existe pas une « société humaine » mais des sociétés définies par leurs limites
respectives, donc des territoires (matériels ou symboliques).
3
Le fondateur de la sociologie en France, E. Durkheim, définit largement la « morpholo-
gie sociale » comme les formes spatiales d’un substrat humain ; certes, cette définition très
géographique visait prosaïquement une alliance contre la toute-puissance académique de
l’histoire, mais l’influence du grand géographe allemand F. Ratzel sur Durkheim est par
ailleurs incontestable.
4
« L’espace, source d’explication, met en cause à la fois toutes les réalités de l’histoire,
toutes les parties prenantes de l’étendue : les États, les sociétés, les cultures, les écono-
mies… » (F. BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle. Tome 3.
Le temps du monde, Paris, Armand Colin, 1979, p. 12).
5
Récentes ; en effet, le classique « Dictionnaire de la géographie » de P. George, publié en
1970, ne contient pas encore d’entrée « territoire ». Il n’est pas question de réaliser ici un
bilan des approches de la territorialité par les différentes sciences humaines ; ce serait un
travail très au-delà de mes compétences. La territorialité étant un objet d’étude commun à
plusieurs disciplines, il existe de commodes rencontres (dont sont absents les historiens !),
généralement fédérées par la sociologie et l’anthropologie, faisant le point sur ces différen-
tes approches. Ainsi, le n° spécial « Rileggere il territorio » de la revue italienne Meridiana.
Rivista di storia e scienze sociali, 49 (2004) et les actes des journées d’étude Y. JEAN et C.
CALENGE éd., Lire les territoires, Tours, Éd. MSH, 2002 (dont les communications, trop
nombreuses pour être énumérées, se partagent en 3 thèmes : « Production des territoires »
qui regroupe des études de cas d’aménagement territorial, « Identifier et représenter » qui
aborde surtout les processus de territorialisation et « Espace et territoire » où sont analysés
les concepts territoriaux des différentes disciplines – en particulier la géographie, avec les
réflexions de G. Di Meo) ; si on peut y trouver des approches utiles à l’historien, leur irré-
pressible attraction pour le temps présent, qui leur confère leur légitimité sociale, et leurs
sources et objets d’étude y diffèrent largement de nos préoccupations. On remarquera que
les méthodes de l’analyse spatiale des sociétés utilisées par les géographes sont très étroite-
ment liées aux concepts sociologiques ; en utilisant celles-là, les historiens adoptent du
même coup ceux-ci.
6
On trouvera une historiographie de la notion d’espace social dans les différentes sciences
humaines (notamment son étonnante et durable ignorance par la sociologie et l’anthro-
pologie) dans G. DI MEO, Géographie sociale et territoires, Paris, Nathan, 1998 (Fac. Série
géographie), p. 32-5, ouvrage qui sera notre principale référence conceptuelle.
7
Ce volume ne prétend pas avoir l’initiative d’une exploitation par les historiens des
apports de la réflexion géographique récente ; on peut en voir un bon exemple (dont sont
malheureusement exclus les historiens « des textes », peut-être à cause d’une orientation
fortement environnementaliste) dans Archaeomedes. Des oppida aux métropoles. Archéologues
et géographes en vallée du Rhône, Paris, Éd. Anthropos / Economica, 1998, en particulier dans
le chapitre V de cet ouvrage. Pour une réflexion épistémologique sur les rapports entre
histoire et géographie, voir le recueil d’essais de H. C. DARBY, The relations of history and
geography. Studies in England, France and the United States, Exeter, Exeter University Press, 2002
ou, plus synthétique, A. R. H. BAKER, Geography and history. Bridging the divide, Cambridge,
Cambridge University Press, 2003 ; l’absence d’ouvrages récents en français sur ce thème
est significatif, si l’on excepte P. BOULANGER et J.-R. TROCHET dir., Où en est la géographie
historique ? Entre économie et culture, Paris, L’harmattan, 2005, qui est plus thématique qu’épis-
témologique et n’inclut que des géographes (!).
8
En 1974, les 3 volumes qui constituent le « tournant critique » de la nouvelle histoire ne
considèrent l’analyse spatiale ni comme un nouveau problème, ni comme une nouvelle
approche, ni comme un nouvel objet, cf. Faire de l’histoire, I. Nouveaux problèmes II Nouvelles
approches III Nouveaux objets, J. LE GOFF, P. NORA dir., Paris, Gallimard, 1974 (Folio. His-
toire, 16-17-18) ; en 1978, La nouvelle histoire, J. LE GOFF dir., Éditions complexe, Bruxelles,
1978 (Historiques, 47), rééd. 1988 n’aborde pas le problème de l’espace. H.-J. SCHMIDT,
« Espace et conscience de l’espace dans l’historiographie médiévale allemande », dans Les
tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne. Actes des colloques de Sèvres
(1997) et Göttingen (1998) organisés par le CNRS et le Max-Planck-Institut für Geschichte, J.-C.
SCHMITT et O. G. OEXLE dir., Paris, Publications de la Sorbonne, 2002 (Histoire ancienne
et médiévale, 66), p. 514-515 fait la même constatation pour la recherche médiévale alle-
mande.
9
Dans leur synthèse historiographique, J. BERLIOZ et J. LE GOFF, « Anthropologie et
histoire », L’histoire médiévale en France. Bilan et perspectives, M. BALARD dir., Paris, Seuil, 1991,
p. 269-303 abordent l’espace au Moyen Âge dans le paragraphe sur « les systèmes de repré-
sentation » (oppositions sauvage/domestiqué et monde réel/au-delà). J. LE GOFF et J.-C.
SCHMITT, « L’histoire médiévale », Cahiers de civilisation médiévale X-XIIe siècles (« La recher-
che sur le Moyen Âge à l’aube du vingt-et-unième siècle »), 39/153-154 (1996), p. 9-25
parlent d’une « spatialisation de la pensée » au Moyen Âge central, qui désigne probable-
ment une plus grande intégration de la dimension spatiale dans la réflexion intellectuelle
médiévale.
10
La grande histoire de le littérature médiévale qui est en cours en Italie s’intitule « Lo
spazio letterario ».
11
A. GUERREAU, « Structure et évolution des représentations de l’espace dans le haut
Moyen Âge occidental », Uomo e spazio nell’Alto Medioevo, Spoleto, Centro italiano di studi
sull’Alto Medioevo, 2003 (Settimane di studio del ‘Centro italiano di studi sull’alto
medioevo’, L), t. I, p. 93-95. Il faut regretter que cet excellent ouvrage se disperse dans des
directions parfois absconses comme les « lieux et espaces de l’émotion »… avec plusieurs
articles qui n’éclairent que l’intense usage métaphorique de l’espace dans la réflexion
intellectuelle médiévale, notamment le lexique de positionnement dans la théologie.
12
Dans l’article précédemment cité, A. Guerreau souligne l’anachronisme de la notion
d’espace euclidien et l’absence d’une notion globale d’espace au Moyen Âge, mais il déve-
loppe lui aussi une analyse globale des représentations spatiales. Quand il affirme (p. 103)
que les reliques « constituaient l’opérateur fondamental d’organisation pratique de l’es-
pace », je préfère croire que c’est sur le plan symbolique, et j’ignore à quelle échelle il situe
cette action.
13
Pour parler judicieusement d’espace, il ne suffit pas qu’un phénomène se déroule dans
l’espace (!) – ce qui transforme celui-ci en un simple « théâtre » – ni même qu’il y ait une
organisation en étendue, mais il faut que cette extension en soit un élément essentiel.
14
C’est la conception vidalienne d’une géographie « absolue », science des lieux et non
pas science des hommes, et l’on sait l’influence considérable qu’a eue Vidal de La Blache
sur les historiens.
15
On est d’autant plus surpris de la durable ignorance des processus de territorialisation
que les recherches des éthologues sur les espèces animales territoriales auraient pu attirer
l’attention sur le rapport entre socialisation et territorialité.
16
Il sera traité plus loin de cette thématique, beaucoup plus savamment que je ne saurais
faire et je me bornerai à un rapide excursus. Au départ, cette thématique s’est limitée à
étudier la manière dont l’Église a modelé l’espace en se transformant en institution très
temporelle ; elle a ensuite été rejointe par l’étude plus ancienne de la sacralisation de
l’espace (c’est-à-dire de lieux et d’étendues en quelque sorte préexistants à leur sacralisa-
tion, que celle-ci ne définit donc pas physiquement mais redéfinit fonctionnellement) dont
on peut trouver des exemples récents d’étude dans le volume Le sacré et son inscription dans
l’espace à Byzance et en Occident. Études comparées, M. KAPLAN dir., Paris, Publications de la
Sorbonne, 2001 ; la problématique la plus intéressante pour nous est d’examiner si la sacra-
lisation, par des moyens spirituels et/ou temporels, a généré des territoires inédits spécifique-
ment religieux (i.e. exclusivement ou prioritairement définis par leur caractère sacré), dans
des sociétés où le religieux se confond inextricablement avec d’autres facteurs socio-politi-
ques et culturels. C’est probablement du domaine le plus « spirituel » qui soit en même
temps fortement matérialisé, i.e. le culte des saints, que l’on peut attendre ceci ; dans cette
optique, je renverrai seulement au rapport de synthèse de A. M. ORSELLI, « Lo spazio dei
santi », dans Uomo e spazio…, p. 855-890 et à l’article historiographique de S. BOESCH
GAJANO, « Des Loca Sanctorum aux espaces de la sainteté. Étapes de l’historiographie hagio-
graphique », Revue d’histoire ecclésiastique, 95/3 (2000) (n° spécial « Deux mille ans d’histoire
de l’église. Bilan et perspectives historiographiques », J. PIROTTE et E. LOUCHEZ dir.),
p. 48-70 – je n’ai pas pu consulter La construction religieuse du territoire, J.-F. VINCENT e.a.
dir., Paris, 1995. La construction d’espaces par les reliques est parfois interprétée directe-
ment, sans l’intermédiaire du culte, comme une espèce de géographie spirituelle immaté-
rielle (voir l’approche très variable, réaliste ou littéraire, des différentes contributions
regroupées dans la partie « Reliques et territoires » du volume Reliques et sainteté dans l’espace
médiéval, J.-L. DEUFFIC éd., Pecia, 2005. Quant aux modes d’action plus temporels de
l’Église, il y sera fait référence plus loin dans cette présentation.
17
On aura bien compris, après avoir lu les pages qui suivent, que notre revendication est
– sans aucune originalité – une histoire médiévale refusant le « sens commun » et dégagée
des belles-lettres (malgré la dimension incontestablement littéraire de ses sources) et ceci
par l’utilisation des concepts et, éventuellement, des méthodologies des autres sciences ; il
est invraisemblable que l’histoire de l’art, du droit, des sciences et de la musique constituent
des disciplines académiquement distinctes de l’histoire au nom de leur technicité, et que
l’historien des faits sociaux ou économiques ne se considère pas comme un praticien (si ce
n’est un théoricien) de la sociologie, de l’anthropologie et de l’économie, sans aucunement
perdre son identité.
18
J.-L. FRAY, « Villa in media ». Réseau urbain et perception de l’espace. Essai d’application de la
théorie de la centralité au réseau urbain de la haute Lorraine médiévale (début XIe – début XIVe siècle),
Université Paris I, 1997 (mémoire d’habilitation, récemment édité sous le titre Villes et bourgs
de Lorraine. Réseau urbain et centralité au Moyen Âge, Clermont-Ferrand, Presses universitaires
Blaise Pascal, 2006 (collection Histoires croisées) ; on peut voir aussi le mémoire d’habili-
tation de M. BOCHACA, Villes et structuration de l’espace en Bordelais fin de l’Antiquité – milieu
du XVIe siècle, Université Lyon II, 2000. Plus récemment, j’ai tenté (dans S. BOISSELLIER,
Le peuplement médiéval dans le Sud du Portugal. Constitution et fonctionnement d’un réseau d’habi-
tats et de territoires XIIe – XVe siècles, Paris, Centro cultural Calouste Gulbenkian, 2003, ouvrage
qui est aussi un mémoire d’HDR) une application systématique de certains concepts spa-
tiaux (définis moins théoriquement – et donc moins rigoureusement – pour les adapter
plus facilement au contexte) aux principales formes d’organisation sociale des territoires
locaux (détroit juridictionnel, paroisse, terroir) et à la réticulation des lieux et territoires à
l’échelle supra-locale.
10
une méfiance dans les autres sciences humaines : sur le plan épisté-
mologique, elles ont tendance à réifier les faits sociaux, et, sur le plan
méthodologique, elles se fondent sur des sources statistiques, ce qui
empêche de les transposer facilement en histoire des temps anciens19.
En outre, pour le domaine spécifique du peuplement (qui est le pre-
mier à avoir tenté une modélisation), le primat des données matériel-
les et donc de la réflexion des archéologues dans tous les travaux
médiévistes socio-économiques (y compris ceux des historiens « des
textes »), a occulté le territoire comme objet de réflexion, en focali-
sant la systématisation et la théorisation sur les « systèmes de peuple-
ment » : avant les prospections à grande échelle et l’inclusion des
données environnementales, à partir des années 1980 mais surtout
1990, l’espace des fouilles du bâti n’est qu’une série de points et non
pas une étendue cohérente et organique (sauf, parfois, à l’échelle du
site), ce qui empêche l’émergence de la notion même de terri-
toire20.
Il y a toutefois une brillante exception : depuis plusieurs décennies,
les historiens de la morphologie urbaine ancienne n’hésitent pas à
transposer les concepts géométriques des urbanistes et architectes ;
travaillant sur des espaces restreints et denses, voire pleins donc iso-
tropes (en fait sur des « lieux »), où les structures sociales sont forte-
ment matérialisées par des constructions, il leur est plus facile de
concevoir l’espace comme une étendue physique continue, et il sem-
ble donc plus légitime d’y appliquer des règles telles que la polarité,
le plan directeur, l’autorégulation des formes (des parcelles ou des
ilôts)21… À l’échelle des territoires locaux, cette approche reste encore
19
C’est en fait entre sociologie et géographie que les notions de position, appartenance et
distance peuvent être le plus facilement mises en commun.
20
Voir, encore récemment, la place secondaire des processus de territorialisation dans
L’organització de l’espai i models de poblament. Actes II jornades d’historia i d’arqueologia medieval
del Maresme, del 20 d’octubre al 17 de novembre de 2001. Grup d’historia del casal. Mataró. 2003
(notamment l’introduction méthodologique de J. Bolòs i Masclans : « L’organització de
l’espai rural i diferents models de poblament a l’edat mijana »).
21
Les villes italiennes, grâce à une documentation écrite exceptionnelle, fournissent les
plus beaux exemples de cette approche, avec, entre autres, É. CROUZET-PAVAN, « Sopra le
acque salse ». Espaces, pouvoir et société à Venise à la fin du Moyen Âge, Rome, EFR/Istituto storico
italiano per il Medio Evo, 1992 (Collection de l’EFR, 156 / Nuovi studi storici, 14) et, plus
encore, É. HUBERT, Espace urbain et habitat à Rome du Xe siècle à la fin du XIIIe siècle, Rome,
1990 (Collection de l’EFR, 135) ; sur des sources moins pléthoriques mais avec des appro-
ches pas moins rigoureuses, D. MENJOT, Murcie castillane. Une ville au temps de la frontière
(1243 – milieu du XVe s.), Madrid, Casa de Velázquez, 2002 résume toutes les recherches sur
les villes médiévales hispaniques. Dans ces ouvrages, d’amples références sont faites aux
grands classiques de la théorie urbanistique appliquée aux temps anciens, tels que Lewis
Mumford ou Pierre Lavedan ; on trouvera une bonne historiographie des approches du
11
fait urbain dans D. MENJOT e.a., « Livre 2. La ville médiévale », Histoire de l’Europe urbaine
I. De l’Antiquité au XVIIIe siècle. Genèse des villes européennes, J.-L. PINOL dir., Paris, Seuil, 2003
(L’univers historique), p. 285-592.
22
Voir en particulier la systématisation, critiquée mais stimulante, proposée par le sociolo-
gue Y. BAREL, La ville médiévale. Système urbain, système social, Grenoble, Presses universitaires
de Grenoble, 1975.
23
Les formes de cette emprise sont un des thèmes majeurs abordés par N. COULET, Aix-
en-Provence. Espace et relations d’une capitale (milieu XIVe-milieu XVe siècle), Aix, Publications de
l’Université de Provence, 1988 ; ses méthodes ont ensuite été appliquées et affinées, par
exemple dans divers travaux présentés dans une section ad hoc de La ville au Moyen Âge 1.
Ville et espace, N. COULET et O. GUYOTJEANNIN dir., Congrès national des sociétés histo-
riques et scientifiques, 120e, Aix-en-Provence, 23-29 octobre 1995 (Section d’histoire médié-
vale et de philologie), Paris, CTHS, 1998.
12
24
Si les médiévistes sont peu tentés par la modélisation spatiale, même quand elle s’impose,
les géographes étudiant l’espace social font rarement œuvre de médiévistes (sauf rare excep-
tion comme R. Dion) et se contentent au mieux, méthodologiquement, de plaquer des
schémas sur une matière historique abordée de seconde main, tout en reconnaissant, épis-
témologiquement, que la répétition, donc l’épaisseur temporelle, est indispensable à la
construction symbolique des territoires. Dans un domaine qui m’est familier, je prendrai
l’exemple de l’œuvre de J. C. GARCIA, O espaço medieval da Reconquista no Sudoeste da Penín-
sula Ibérica. Lisboa, Centro de Estudos Geográficos, 1986, travail méritoire mais souffrant
du susdit défaut méthodologique (et des mêmes déficiences conceptuelles que l’ouvrage
de X. De Planhol, que nous évoquerons plus loin), regoupant une série de petites mono-
graphies historiques locales (urbaines) et supra-locales d’après le seul critère de la polari-
sation (théorie des lieux centraux), ce qui débouche sur une typologie régionale ignorant
largement la problématique territoriale. Pour les apports de la réflexion géographique à
l’histoire (du seul Portugal), le même auteur fournit une utile bibliographie dans Idem / P.
C. TELES, Os estudos geográficos na geografia histórica de Portugal. Notas bibliográficas (1918-
1985), Lisboa, Centro de estudos geográficos, 1986 (Linha de acção de geografia regional
e histórica, 7).
25
L’emploi de « maillage », dans les études historiques, avec le sens d’un ensemble de
points (châteaux, églises, Universités…) – en fait un réseau – est aussi assez trompeur,
puisque les mailles sont, selon les géographes, les étendues polarisées à partir de ces
points.
26
Concept élaboré dans les années 1930 par la psychologie sociale puis généralisé en socio-
logie et anthropologie dans les années 1960 par les écoles de Manchester et Harvard, avant
d’être introduit en géographie et enfin repris en histoire par les tenants de la micro-histoire
(notamment le moderniste G. Levi), afin de contourner les impasses de l’analyse structurale
par l’étude des relations. Voir par exemple A. DEGENNE, M. FORSE, Les réseaux sociaux,
Paris, Armand Colin, 1994.
27
La représentation graphique des réseaux sociaux, comme d’ailleurs de toute autre posi-
tion et interaction sociale, est particulièrement trompeuse, car elle donne l’illusion d’une
spatialité (notamment par les maillages qu’elle crée), alors qu’elle représente des « posi-
tions » en fait immatérielles – et c’est le problème de la notion même d’ « espace social »
dans son emploi par certains sociologues ; on peut voir toutes les ambiguïtés de cette
13
larité des lieux que dans la mesure où ces lieux sont organisés
fonctionnellement comme des relais, i.e. que les hommes y résidant
échangent des informations et circulent de l’un à l’autre28. Les réseaux
locaux médiévaux sont principalement les ports et marchés, les monas-
tères d’un même ordre et, à la limite, les paroisses29 : les premiers
constituent un réseau à cause de leur fonction de relais dans le com-
merce, qui est un système, et les autres à cause de leur intégration par
une institution englobante30. Pour pouvoir parler d’un réseau de
lieux, il faut en outre définir précisément la nature des liens et ne pas
se contenter de parler vaguement de relations ; or, ces liens sont plus
complexes que les chaînes d’interconnaissance fondatrices des
réseaux personnels : sujétion commune à une autorité – dans ce cas-
là, il y a une centralité –, complémentarité fonctionnelle, contiguïté
spatiale (impliquant les relations d’ « interface » des géographes) ou
contacts réels (une véritable inter-connexion avec circulation d’hom-
mes, comme dans le cas, évoqué infra, de l’envoi de podestats ou des
communautés juives).
Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, c’est dans le domaine plus
spéculatif de la « spatialisation » que la théorisation a été plus volon-
tiers employée ; ainsi, le schéma centre-périphérie, très employé en
histoire des représentations, qui est indispensable pour penser des
processus matériels et sociaux complexes à l’échelle régionale mais
qui devient purement rhétorique dans certains emplois totalement
abstraits – tels que la centralité hiérosolimitaine de l’Occident médié-
val, qui n’existe que dans la spéculation théologique (alors qu’elle a
des implications concrètes dans la polarisation des communautés jui-
ves d’Occident et d’Orient). Un bon exemple des impasses auxquelles
14
31
P. ZUMTHOR, La mesure du monde. Représentation de l’espace au Moyen Âge, Paris, Seuil, 1993
(Poétique) ; la focalisation sur l’imaginaire s’explique par la spécialité de l’auteur, qui
étudie la littérature médiévale et privilégie donc ce matériau (qu’il maîtrise de première
main, avec une maestria exceptionnelle), ce qui tire son propos du côté des représenta-
tions.
32
Les abus conceptuels ne sont pas propres à un type particulier d’études ; pour des raisons
diverses, l’espace est une des catégories essentielles de la conscience donc du langage, se
substituant souvent au temps, que le langage a plus de mal à conceptualiser. Les emplois
métaphoriques des vocables espace ou territoire sont donc légion : pour prendre un exem-
ple qui nous permet de rester entre nous, ne parle-t-on pas du « territoire de l’historien »
pour désigner un champ d’action et le sentiment d’appartenance à une corporation, qui
n’ont évidemment aucune réalité spatiale ? ; il n’est pas question de traquer ces facilités de
langage dans tous les travaux des historiens mais seulement dans ceux qui abordent expli-
citement l’espace comme un objet ou qui l’utilisent comme une approche.
15
33
P. ZUMTHOR, La mesure…, p. 80, donne un bref historique du mot, que l’on peut consi-
dérablement enrichir par le copieux recensement du Lexicon de NIERMEYER (s.v.) ; à
partir du latin classique, qui désigne le finage d’une cité (« universitas agrorum intra fines
cujusque civitatis » pour Pomponius Mela), son principal sens médiéval est, à partir des
royaumes barbares, celui d’un vaste espace public (juridiction d’une cité, diocèse, pagus,
circonscription judiciaire, châtellenie), avec un emploi secondaire, peut-être plus populaire,
comme ensemble de terres agricoles (quartier d’un terroir, domaine foncier, réserve doma-
niale, terres communautaires) mais rarement au sens romain classique de terroir tout
entier : c’est donc toujours une combinaison, un objet complexe issu d’une multiplicité de
droits et d’hommes.
34
Cette idée d’espace discontinu, séduisante par sa formulation et en ce qu’elle suggère
un fort exotisme du Moyen Âge (auquel je souscris d’ailleurs totalement mais pas dans ce
domaine), a été généralisée dans plusieurs articles d’A. Guerreau ; la multipolarité qui
fonde ce raisonnement n’a pourtant rien de typiquement médiéval.
16
35
On trouvera toutes les précisions conceptuelles nécessaires (largement suffisantes pour
des non-géographes) dans les copieux articles du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des
sociétés, J. LÉVY et M. LUSSAULT dir., Paris, Belin, 2003, dont le titre indique bien l’orien-
tation méthodologique, en particulier dans les articles : espace, territoire, aire, réseau,
maillage, centre/périphérie, emboîtement, cospatialité, centralité (et lieux centraux), pola-
risation, lois de l’espace, spatialisme, lieu, région.
36
La polarisation, du point de vue social, est l’accumulation d’hommes et de moyens maté-
riels et intellectuels en un lieu restreint (dit « lieu central » dans la théorie de Von Thünen),
qui permet, plus que proportionnellement, d’exercer une action organisatrice plus loin et plus
fortement dans les alentours que si ces hommes et moyens étaient disséminés sur une vaste
étendue.
37
On n’est pas très loin de ce défaut dans la définition que donne A. Guerreau des rapports
entre espace et société : « la structure même de la société comporte un ensemble d’éléments
17
essentiels proprement spatiaux… une société contient une série de relations intrinsèque-
ment spatiales » (A. GUERREAU, « Analyse spatiale de données historiques et cartes »,
Mémoire vive. Bulletin de l’Association française pour l’histoire et l’informatique, 15-16 (1996),
p. 3-12).
38
C’est bien le terme de lois qui est employé par ce même auteur dans R. BRUNET, O.
DOLLFUS e.a. : Mondes nouveaux, vol. 1, Paris, Hachette/Reclus, 1990 (Géographie univer-
selle, 1) ; cet intégrisme spatialiste a été fondé auparavant, du point de vue épistémologique,
par W. Bunge.
39
Si l’on veut à tout prix se rattacher à une ligne de pensée de science dure – tendance
dont on trouvera une vigoureuse critique épistémologique chez J. BOUVERESSSE, Prodiges
et vertiges de l’analogie, Paris, Seuil, 1999 – , il vaut mieux pour les sciences sociales évoquer
la « théorie du chaos », avec son imprévisibilité des systèmes complexes (à cause du nombre
d’agents plus que de la complexité des règles), son univocité de la flèche du temps (donc
irréversibilité des événements) et sa sensibilité aux conditions initiales (qui entraîne une
très large ouverture des évolutions possibles).
40
Cf. les volumes L’histoire médiévale en France… – dont on peut voir une brève mise en
perspective dans J.-C. SCHMITT, D. IOGNA-PRAT, « Trente ans d’histoire médiévale en
France », dans Les tendances actuelles…, p. 399-424 – et La historia medieval en España. Un
balance historiográfico (1968-1998), XXV Semana de Estudios Medievales, Estella, 14 a 18 de
julio de 1998, Pamplona, 1999.
18
brillant mais rapide survol41 ; je partirai donc de l’état des lieux enfin
établi en 1997-8 par deux colloques franco-allemands, dans lequel on
trouve deux articles de synthèse historiographique, dans une rubrique
intitulée « l’espace », sous la plume de M. Bourin et H.-J. Schmidt42,
et plus encore des divers rapports contenus dans la 50e « semaine de
Spolète »43.
L’inclusion de l’Occident musulman dans notre programme est
une démarche inhabituelle mais qui me semble aller de soi : en dépit
d’une très nette séparation académique entre études du monde chré-
tien et du monde musulman, il serait absurde d’aborder le problème,
universel, de la territorialité en distinguant les rives nord et sud de
l’Occident méditerranéen ; en revanche, ce cadre géographique pose
d’autres difficultés, purement techniques, car l’insuffisance des
recherches menées sur la partie arabo-musulmane (sauf, comme on
le verra, sur al-Andalus) dans notre perspective provoque un très grave
déséquilibre44, reflété dans les bilans historiographiques45, qui nous
conduira à traiter beaucoup plus rapidement et parfois séparément
les études réalisées sur cette zone.
Sur cette base, on peut tout de même synthétiser l’évolution de la
réflexion sur ce que j’appellerai les territoires « subjectifs » (construits
par leurs usagers avec une claire conscience de leur action) – en revan-
che, les territoires « objectifs » (définis par l’observateur extérieur par
41
Cf. J. LE GOFF et J.-C. SCHMITT, « L’histoire médiévale ».... Forcément aussi rapide est
la présentation générale de J-C. SCHMITT et D. IOGNA-PRAT, « Trente ans d’histoire
médiévale… ».
42
M. BOURIN, « Analyses de l’espace » et H.-J. SCHMIDT, « Espace et conscience de l’es-
pace… », dans Les tendances actuelles…, p. 493-510 et 511-536. Il faut remonter au vieux bilan
« positiviste » du début des années 60 pour trouver l’essai, assez rarement évoqué par la
suite, de C. HIGOUNET, « La géohistoire », dans L’histoire et ses méthodes. Recherche, conserva-
tion et critique des témoignages, C. SAMARAN dir., Paris, Gallimard, 1961 (Encyclopédie de La
Pléiade, XI), p. 68-91, car, entre-temps, l’espace a perdu sa place dans les nouveaux cou-
rants.
43
Uomo e spazio….
44
Même la florissante histoire culturelle, dans la tradition « orientaliste » datant du colo-
nialisme européen, reste très philologique (y compris chez les médiévistes européens qui
travaillent sur cette zone), et l’étude de la construction politique et administrative de ter-
ritoires supra-locaux est entravée par l’orientation très juridico-institutionnelle et idéologi-
que de l’histoire politique (cf. F. MICHEAU e.a., « Le monde arabo-musulman au Moyen
Âge », L’histoire médiévale en France…, p. 363-379).
45
Je me fonderai surtout sur F. MICHEAU e.a., « Le monde arabo-musulman… » et plus
encore sur J.-C. GARCIN e.a., États, sociétés et cultures du monde musulman médiéval Xe-XVe siècle,
tome II : Sociétés et cultures et t. III : Problèmes et perspectives de recherches, Paris, PUF, 2000 (Nou-
velle Clio), qui offrent un panorama exhaustif des problèmes et des recherches.
19
46
A. GUERREAU, « Analyse spatiale de données… », se fondant sur les réflexions métho-
dologiques fondamentales de C. Grasland, appelle à distinguer « les zones qui n’apparais-
sent comme telles qu’à l’observateur, du fait d’un simple lien de ressemblance et d’homo-
généité locale, et celles qui résultent d’un processus social entraînant une certaine forme
d’appartenance ou d’inclusion ».
47
Il s’agit de X. DE PLANHOL, Les fondements géographiques de l’histoire de l’Islam, Paris,
Flammarion, 1968 (Nouvelle bibliothèque scientifique) (notamment aux p. 59-69, les « Prin-
cipes de l’organisation spatiale islamique ») ; héritier de la sociologie coloniale, l’ouvrage
se focalise sur les constructions politiques et leurs rapports avec l’agriculture, opposant les
effets néfastes de la bédouinisation (i.e. nomadisme tribal, suscité par la conquête arabe et
l’arabisation culturelle) aux effets économiques positifs de l’État sédentaire, qui serait fon-
damentalement urbain ; dans cette réflexion abusant du déterminisme des « conditions
naturelles », la seule analyse proprement spatiale est l’application du concept de polarisa-
tion (qui s’opèrerait à partir des villes et surtout dans le domaine politique).
20
48
La bibliographie (quelque 70 titres) appuyant la synthèse historiographique de M. BOU-
RIN, « Analyses de l’espace »…, ne comprend que 7 ou 8 titres consacrés à des approches
moins réalistes des territoires. Pour le Maghreb, la thèse de Y. Benhima, citée infra, suit
l’historiographie européenne et analyse spatialement les territoires marocains en fonction
de la polarité urbaine, castrale et « mesquitale », des réseaux routiers et des activités pro-
ductives (en incluant aussi la spécificité du nomadisme).
49
Encore récemment, malgré son titre programmatique, le dépouillement de la revue
espagnole Arqueología y territorio medieval (Univ. de Jaén, depuis 1994) ne fournit qu’une
minorité d’études des espaces dans leur étendue, par exemple, dans le n° 8 (2001), M.
MIGUEZ MARIÑAS, « El territorio de Gauzón (Asturias) en el medievo. Aproximación a
su configuración », p. 161-173. Les mêmes remarques pourraient être faites (a fortiori, car
la revue est plus ancienne) sur une des principales publications italiennes pouvant nous
intéresser, dont nous avons dépouillé les derniers numéros, Archeologia medievale. Cultura
materiale – insediamenti – territorio (Gênes/Sienne, depuis 1974).
50
Cette échelle, qui est la seule pertinente en référence à des groupes humains (domaine
socio-culturel), est à peu près l’équivalent en superficie du « géosystème » des géographes
(quelques centaines à quelques milliers d’ha) – mais il ne s’applique qu’aux paysages, étant
défini comme le cadre où se combinent les éléments du passé et les logiques d’auto-orga-
nisation de l’espace ; l’application de ce concept à une étude réellement géohistorique se
trouve dans V. CLÉMENT, De la Marche-frontière au pays des bois. Forêts, sociétés paysannes et
territoires en Vieille-Castille (XIe-XXe siècles), Madrid, Casa de Velázquez, 2002.
21
51
« En exagérant, on pourrait avancer que toute division territoriale était, hier, une division
sociale, dans la mesure où s’y logeait une société aux dimensions variables, mais étroite, qui
y trouvait à la fois ses limites et sa raison d’être, vivant par priorité de ses propres liaisons
internes. Ces divisions du territoire, ce sont les villages, les bourgs, les villes, les provinces »
(F. BRAUDEL, L’identité de la France. [Tome I] Espace et histoire, Paris, Arthaud, 1986, p.
61-62).
52
Sur ces processus de territorialité, dans le détail desquels nous ne pouvons entrer, on
peut voir, pour le monde arabo-musulman, après les décevantes études (principalement
littéraires) sur les sources géographiques, le travail exemplaire de A. BAZZANA, P. CRES-
SIER, P. GUICHARD, Les châteaux ruraux d’al-Andalus. Histoire et archéologie des husˉun du
Sud-Est de l’Espagne, Madrid, Casa de Velázquez, 1988, particulièrement aux p. 129-39 et
259-92, étude qui adapte largement les principes posés par le schéma de l’incastellamento.
53
Du point de vue documentaire, les conflits entre communautés, invoquant explicitement
de nombreux rapports à l’espace propre, sont légion dans nos sources – et, comme les
enjeux sont toujours collectifs, leur analyse doit être menée en termes anthropologiques
(« espace vital », défense du travail des prédécesseurs) plutôt qu’en termes sociologiques
(rapports de pouvoir, rivalités économiques) n’impliquant que les élites.
54
Ainsi, sans remonter jusqu’au grand classique de G. DUBY, L’économie rurale et la vie des
campagnes dans l’Occident médiéval (France, Angleterre, Empire, IXe-XVe siècles). Essai de synthèse et
22
perspectives de recherches, Paris, Flammarion, 1977 (Champs, 26-27), dans l’ouvrage beaucoup
plus récent de G. SIVERY, Terroirs et communautés rurales dans l’Europe occidentale au Moyen
Âge, Lille, Presses univ. de Lille, 1990, le paragraphe tentant une systématisation spatiale
(« Les grands types de modelage de l’espace », p. 40-49) propose une typologie des terroirs
fondée sur la forme des champs et le degré d’ouverture des paysages, à la manière de M.
Bloch, négligeant des critères comme la forme globale, la superficie, la situation du village
par rapport aux limites, le degré d’intégration des terres dans le système productif (i.e. la
continuité spatiale), la correspondance géométrique et fonctionnelle avec la territorialité
politique… Cette historiographie est bien synthétisée dans J.-M. MARTIN, « L’espace
cultivé », dans Uomo e spazio…, p. 239-97, qui souligne la durable discrétion de la dimension
proprement spatiale dans les recherches (mais dont l’analyse reste d’ailleurs très « agricole »
puisque concentrée sur la partie la plus active du finage, alors que c’est l’intégration de
l’incultum qui suscite les usages territorialisants, et c’est son articulation avec le cultum qui
suscite la territorialité économique).
55
Dans la synthèse du maître de la sociologie rurale (H. MENDRAS, Sociétés paysannes.
Éléments pour une théorie de la paysannerie, Paris, Armand Colin, 1976 (Collection U. Sociolo-
gie), on cherche en vain toute allusion aux formalisations spatiales (à part, p. 75, une
allusion au rôle identitaire du territoire), dans l’ignorance, déjà signalée, du concept
d’« espace social ».
56
Dans son Xe congrès annuel (1979), la SHMES a retenu le paysage comme thème (Le
paysage rural : réalités et représentations, Revue du Nord, LXII (244) (1980)) ; non seulement,
la notion de territoire n’y est jamais employée mais le paysage lui-même n’est étudié que
dans son contenu (le plus souvent tel ou tel élément spatial [un marais, le parcellaire, les
haies] ou un droit d’usage) ou comme un type culturel (les Terpen, les villages désertés) ou
un organe (abordé partiellement, par le prisme économique [les investissements urbains,
le profit agricole]) et non pas dans son étendue. On sent pourtant déjà le poids de la pers-
pective environnementale dans ces travaux ; celle-ci s’est confirmée depuis sous l’impulsion
de R. Delort (dont la « somme », R. DELORT, F. WALTER, Histoire de l’environnement européen,
23
Paris, PUF, 2001 (Le nœud gordien), est assez rapide pour la période médiévale, aux chap.
I et VIII, et peut être avantageusement remplacée par ID., « Les facteurs éco-biologiques
de l’espace : permanences et mutations », Uomo e spazio…, p. 69-90) et de l’archéologie
agraire : cf. récemment, offrant des perspectives à la territorialité, R. DELORT, « Percevoir
la nature au Moyen Âge : quelques réflexions », dans Campagnes médiévales : l’homme et son
espace. Études offertes à Robert Fossier , É. MORNET éd., Paris, Publications de la Sorbonne,
1995, p. 31-41, les trois volumes de Les formes du paysage, G. CHOUQUER dir., Paris, Errance,
1996-1998, ou encore, malgré son titre, l’étude minutieuse de A. ANTOINE, Le paysage de
l’historien. Archéologie des bocages de l’Ouest de la France à l’époque moderne, Rennes, PUR, 2002.
57
Voir par exemple A. DURAND, Les paysages médiévaux du Languedoc (Xe-XIIe siècles), Tou-
louse, Presses universitaires du Mirail, 1998 (Tempus) ; les « paysages » y sont cette fois vus
précisément à travers la notion de remplissage des terroirs. Du point de vue de la territo-
rialité, on peut signaler l’étude du terroir de Charavines (lac de Paladru) comme un résul-
tat important de cette nouvelle démarche (M. COLARDELLE, É. VERDEL dir., Les habitats
du lac de Paladru (Isère) dans leur environnement. La formation d’un terroir au XIe siècle, Paris,
MSH, 1993 (Documents d’archéologie française, 40). Toutefois, une approche environne-
mentaliste trop proche des sciences dures finit par occulter la dimension locale et spatiale,
pour traiter utilement mais abstraitement de pédologie et de climatologie (à partir de
données textuelles et matérielles qui sont forcément locales mais qui ne définissent pas des
espaces d’action des phénomènes étudiés), cf. R. DELORT, « Les facteurs éco-biologi-
ques… » .
58
Exposés respectivement par P. TOUBERT, Les structures du Latium médiéval. Le Latium
méridional et la Sabine du IXe à la fin du XIIe siècle, Rome, EFR, 1973 (Bibliothèque des Écoles
françaises d’Athènes et de Rome, 221) et R. FOSSIER, Enfance de l’Europe Xe-XIIe siècles. Aspects
économiques et sociaux, Paris, PUF, 1982 (Nouvelle Clio, 17-17bis).
59
Pour le domaine ibérique, cette approche a été introduite notamment par le colloque
Macroespacio. Época romana y medieval, F. BURILLO dir., Teruel, 1984.
24
60
T. BIANQUIS, « La gestion politique de l’espace et des hommes », J.-C. GARCIN e.a.,
États, sociétés et cultures…, t. III, p. 35-36 affirme encore l’unité paysagistique, linguistique,
religieuse et urbanistique du monde arabo-musulman (sans toutefois en inférer la faiblesse
des comunautés locales).
61
Voir l’ouvrage pionnier de A. BAZZANA e.a., Les châteaux ruraux…, et les grandes syn-
thèses régionales (de P. Guichard et Ph. Sénac et les travaux suscités en Espagne par M.
Barceló) qui ont appliqué et affiné ce modèle. Les fondements de cette redéfinition se
trouvent dans C. CAHEN, « La communauté rurale dans le monde musulman médiéval »,
Les communautés rurales. Recueils de la Société Jean Bodin, XLII. 3e partie : Asie et Islam, Paris,
1982, p. 9-27.
62
Mais on peut signaler l’heureuse et récente exception (en dehors de fouilles ponctuelles
menées par des archéologues occidentaux) de Y. BENHIMA, Safi et son territoire. Une ville
dans son espace au Maroc (11e-16e siècle), Paris, L’Harmattan, 2008 (Villes, histoire, culture,
société), surtout au chap. VI où sont abordés directement les territoires.
25
63
La série des colloques « Castrum » organisés à l’initiative de P. Toubert permet de suivre
en détail les évolutions historiographiques que l’on vient de résumer (et dont ils ont été
eux-mêmes un moteur), d’autant plus heureusement que ces rencontres concernent large-
ment l’aire méditerranéenne. Malgré des titres en apparence un peu limitatifs, on trouvera
d’excellents bilans, très récents, des approches sociales et matérielles de l’espace local dans
C. WICKHAM, « The development of villages in the West, 300-900 » et B. CURSENTE, « Les
villages dans l’Occident médiéval (IXe-XIVe siècle) », dans Les villages dans l’empire byzantin
(IVe-XVe siècle), J. LEFORT e.a. éd., Paris, Lethielleux, 2005 (Réalités byzantines, 11), p. 55-69
et 70-88.
64
Ainsi, récemment, P. CRESSIER, « Le territoire villageois en al-Andalus : à la recherche
d’éléments structurants », dans Cinquante années d’études médiévales. À la confluence de nos
disciplines. Actes du colloque organisé à l’occasion du cinquantenaire du CESCM. Poitiers, 1er-4 sep-
tembre 2003, C. ARRIGNON e.a. éd., Turnhout, Brepols, 2005 (Culture et société médiéva-
les), p. 495-510 remarque que dans l’ouvrage, pourtant fondé sur de très larges perspectives,
d’A. BAZZANA e.a., Les châteaux ruraux…, le postulat de départ était de prendre le territoire
castral comme cellule « a-tomique » de l’espace rural andalou mais qu’il faut maintenant
se demander si les espaces associés aux micro-habitats (qarya/s) englobés dans le territoire
castral sont de simples subdivisions ou constituent de véritables territoires, polarisés notam-
ment par la présence d’une mosquée. C’est cette complexification que j’ai tenté de mettre
en œuvre dans S. BOISSELLIER, Le peuplement….
65
Les érudits locaux ont abordé beaucoup plus frontalement des problèmes qui sont essen-
tiels dans l’étude de la territorialité locale : les variations de limites et les recompositions
territoriales (par colonisation, subdivision ou agrégation) de « leur » village ou ville ; mais
ils l’ont fait de manière très factuelle, et leur empirisme a jeté le discrédit sur l’histoire
locale, quoique certaines de leurs données pourraient souvent alimenter directement le
corpus utilisable.
26
66
Dans le cas du territoire, d’après M. Halbwachs (cité par G. DI MEO, Géographie sociale…,
p. 38), « tout se passe comme si la pensée d’un groupe ne pouvait naître, survivre et devenir
consciente d’elle-même sans s’appuyer sur certaines formes visibles de l’espace ».
67
Si la territorialité locale antique du sacré est modifiée par la christianisme, comme on le
verra plus loin, on peut se demander si la sacralisation des territoires subjectifs locaux (à
cause du lien affectif entre communauté et territoire) ne subsiste pas de façon discrète dans
une culture chrétienne, cf. C. LECOUTEUX, Démons et génies du terroir au Moyen Âge, Paris,
Imago, 1995.
27
L’autre grand domaine d’étude bien établi, qui utilise plus les
« macro-sources » (listes d’hommes et de lieux, législation générale),
voire les méta-sources, que les données matérielles, est celui de l’his-
toire politique et institutionnelle, en particulier dans ses composantes
de géographie administrative, d’étude des frontières et de formation
de l’État-nation. Cette dernière composante est d’ailleurs celle qui
focalise, encore actuellement, la majorité des recherches médiévales
au Maghreb, dans une historiographie « dynastique » qui reste très
narrative ou sociologique (sans aborder les implications spatiales)69.
L’échelle est, cette fois, principalement supra-locale, depuis la sei-
gneurie féodale (qui est plus réticulaire que territoriale) ou la circons-
cription administrative dite « locale » (mais qui l’est en fait rarement)
jusqu’à la « principauté », notamment royale.
68
Voir surtout, les plus utiles sur le plan méthodologique et conceptuel, J.Á. GARCÍA DE
CORTÁZAR, « Organización social del espacio : propuestas de reflexión y análisis histórico
de sus unidades en la España medieval », Studia historica. Historia medieval, VI (1988), p.
195-236, et, marquant les progrès des recherches et l’affinement de la réflexion, « La orga-
nización social del espacio en la Mancha medieval : propuesta metodológica y sugerencias
de aplicación », Espacios y fueros en Castilla – la Mancha (siglos XI-XV). Una perspectiva metodológ-
ica, J. A. PLANAS coord., Madrid, Ediciones Polifemo, 1995 (Biblioteca historico-jurídica,
2), p. 17-43. Une bonne mise au point des recherches espagnoles, avec leurs problématiques
spécificiques (reconquête et « repeuplement », omniprésence de la « frontière »), se trouve
dans M. ASENJO GONZÁLEZ, « La organización de los espacios, técnicas y cultura material
en la Castilla medieval. Un estado de la cuestión », En la España medieval, Madrid, 29 (2006),
pp 411-62.
69
Cette focalisation sur l’histoire des grandes constructions politiques est d’autant plus
paradoxale que les agrégats médiévaux de territoires constitués par des pouvoirs centraux
sont constamment soumis à de fortes tendances de « décentralisation » en Occident musul-
man ; cela rend logique, il est vrai, de prêter moins d’attention à l’aspect strictement spatial
de ces constructions, et l’on a même pu avancer que ces États sont des réseaux plus que des
territoires politiques organiquement articulés. T. BIANQUIS, « La gestion politique de
l’espace… », p. 36 fait remarquer que l’unité socio-culturelle (fortement exagérée, il est
vrai) du monde arabo-musulman fragilise ce qu’il appelle les « circonscriptions intermé-
diaires », entre Daˉr al-Islaˉm et territoire local.
28
70
Pour une catégorie aussi bien balisée de la recherche historique, les bilans historiogra-
phiques et bibliographiques classiques évoqués ci-dessus fournissent d’excellentes mises au
point.
71
Un bon exemple avec J. GUIRAUD, L’État pontifical après le Grand Schisme. Étude de géogra-
phie politique, Paris, Fontemoing, 1896. Il y a naturellement des renouvellements récents,
qui abordent de façon plus directe la matérialité territoriale des vastes constructions poli-
tiques, tels que la thèse de F. CARDOT, L’espace et le pouvoir. Étude sur l’Austrasie mérovingienne,
Paris, Publications de la Sorbonne, 1986 et surtout le premier vol. de la synthèse de F.
BRAUDEL, L’identité… .
72
Ainsi, A. Debord, dans un article de synthèse sur les fortifications des Plantagenêts,
n’entend-il la territorialisation que comme l’établissement d’un pouvoir princier (donc
unique et uniforme) sur un ensemble de lieux.
73
Le cas probablement le plus prononcé est celui du Portugal, où la réflexion historique
sur l’espace national reste inféodée aux idées avancées par le géographe O. Ribeiro (prin-
cipalement dans O. RIBEIRO, Portugal, o Mediterrâneo e o Atlântico. Esboço de relações geográfi-
cas, Lisboa, Sá da Costa, 5e éd. 1987, et « Formação de Portugal », dans Idem, A formação de
Portugal, Lisboa, ICALP, 1987 (Identidade. Série cultura portuguesa), p. 19-64).
74
T. BIANQUIS, « La gestion politique de l’espace… », p 36.
29
75
Dans L’histoire médiévale en France..., le chapitre consacré à l’histoire politique s’intitule
« L’espace français » mais c’est surtout une formule de style, au vu de la bibliographie
contenue dans le volume parallèle d’inventaire. En Espagne, la territorialité politico-admi-
nistrative est un peu mieux mise en relief : dans La historia medieval en España…, le chapitre
consacré à l’histoire politique de Castille et León (par M. GONZÁLEZ JIMÉNEZ), tout en
déplorant l’absence d’une histoire globale des processus administratifs – qui oblige à recou-
rir aux vieilles histoires des institutions, équivalents du « Lot et Fawtier » français –, réserve
un paragraphe à l’administration territoriale (p. 189-191) ; le bilan identique consacré à
l’Aragon et la Navarre s’intitule « Espaces et structures politiques » ; et un chapitre spécial
est réservé à l’idéologie politique, ce qui permet de mieux consacrer l’étude des structures
de pouvoir à leurs réalisations matérielles.
76
G. SERGI, « La territorialità e l’assetto giurisdizionale e amministrativo dello spazio »,
Uomo e spazio…, p. 479-501 (ici p 481). Une introduction récente mais purement « juridi-
ciste » à ce problème dans le chap. 8 (« De la personnalité des lois à la territorialité du
droit ») de J.-M. CARBASSE, Manuel d’introduction historique au droit, Paris, PUF, 2003
(Manuels. Droit fondamental), p. 102-110.
77
Une simple observation des grands programmes éditoriaux récents montre l’opposition
entre, d’une part, les pays de vieille centralisation politique (la France et l’Angleterre aux-
quels on peut joindre le Portugal et la Castille), d’autre part, les pays restés longtemps ou
redevenus « fédéraux » (l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne, avec une situation ambiguë pour
sa partie castillane) : ici, les « provinces » ont toutes leur histoire en plusieurs volumes
(rédigée dans le cadre de l’Université locale), alors que là, leur histoire est abandonnée
aux Sociétés savantes ou ne donne lieu qu’à de rapides survols. Face à la forte tradition
allemande de Landesgeschichte, en France, il faut généralement se contenter des chapitres
« médiévaux » des modestes volumes parus dans la collection « Univers de la France » chez
Privat ; le dynamisme des éditions Ouest-France a permis la brillante exception de l’Histoire
30
de la Bretagne (pas moins de 3 vol. pour la seule période médiévale !), mais son homologue
provençale est en panne depuis 20 ans – il en irait tout autrement si l’on remontait au XIXe
siècle, dont un des fleurons historiographiques est la monumentale Histoire du Languedoc
de Dom Devic et Dom Vaissette. Bien sûr, cela ne doit pas occulter la brillante école française
de monographies régionales médiévales, mais celles-ci sont liées surtout à l’histoire écono-
mique et sociale et étudient beaucoup plus rarement la territorialité politique supra-
locale.
78
Voir la synthèse de G. SERGI, « La territorialità… ».
79
Voir le bilan de M. González Giménez dans La historia medieval en España…, p. 187. Pour
l’Italie, une commode synthèse de l’historiographie des cités-États dans le manuel de P.
BOUCHERON, Les villes d’Italie (vers 1150 – vers 1340). Historiographie. Bibliographie. Enjeux,
Paris, Belin, 2004 (Belin sup. Histoire).
31
80
Une des plus belles études sur ce problème est O. REDON, L’espace d’une cité. Sienne et le
pays siennois (XIII-XIVe siècles), Rome, EFR, 1994 (Collection de l’EFR, 200) ; quoique la
perspective sociale y occulte un peu les formalisations spatiales, signalons l’admirable syn-
thèse (méconnue à cause de la langue), sans beaucoup d’équivalents dans l’historiographie
européenne, de J. MATTOSO, Identificação de um País. Ensaio sobre as origens de Portugal 1096-
1325 (vol. I : oposição et vol. II : composição), Lisboa, Editorial Estampa, 1988 (Imprensa
universitária, 46), montrant comment l’on passe d’une « opposition » (localisme politique
ou régionalité culturelle) à une « composition » (intégration dans un territoire national).
32
81
Cette perspective est totalement absente pour le monde musulman, puisque l’organisa-
tion religieuse ne se distingue pas clairement de l’organisation civile ; cependant, si les
mosquées jouent un rôle polarisateur de l’habitat et de l’identité locale (sujet encore peu
abordé), leur hiérarchie pourrait jouer un rôle dans l’emboîtement territorial.
82
Incertaines de la définition de leurs « provinces », les éditions Privat ont prudemment
doublé leur collection d’histoire provinciale d’une collection d’histoire des diocèses, et il
en existe une autre chez Beauchesne. Au Portugal, où il n’existe aucune tradition d’histoire
provinciale, chaque diocèse a son histoire, plus ou moins monumentale et sérieuse.
33
34
Notons, pour finir, que, s’ils se superposent toujours, les deux types
de territoire, local (structuré par une seule communauté) et supra-
local (regroupant un ensemble de communautés spatialement sépa-
rées), sont par nature antagonistes et semblent se succéder
chronologiquement, si ce n’est pas toutefois un effet documentaire.
À un haut Moyen Âge, dans lequel les cadres d’organisation (royaume,
paroisse « primitive », grand domaine) seraient vastes – rendant les
cadres locaux (terroir, église et même pagus) flous – à cause d’un
peuplement dispersé et de dynamiques locales faibles88, succèderait
l’encellulement du Moyen Âge central, avec la prégnance et surtout
la superposition à un même endroit de la petite paroisse, de la com-
munauté d’habitants et du finage, convergeant vers un fort localisme,
tout ceci étant attesté indirectement par le vocabulaire89 ; le grand
succès de l’État pré-moderne du bas Moyen Âge serait l’harmonisation
des deux types de territoire90. Avec ce jeu d’échelles, je crois que nous
atteignons ce qu’il y a de typiquement médiéval dans la territorialité – et
il faut y insister car les concepts territoriaux que nous utilisons ont été
élaborés par les géographes, sociologues et anthropologues pour des
sociétés actuelles (et, méthodologiquement, sur la base d’observations
directes), et ils ne sont pleinement efficaces que pour des situations
fort éloignées des structures médiévales. C’est peut-être l’inéquation
fonctionnelle entre les deux échelles, que nous venons d’évoquer, qui
confère le plus clairement sa spécificité à notre époque d’étude, au
moins dans le domaine de la territorialité sociale et matérielle. Pour
comme la célébrissime fresque siennoise d’A. Lorenzetti posent de tels problèmes sémioti-
ques que leur interprétation comme représentations savantes des territoires requiert des
approches spécifiques, quoiqu’une étude de la délimitation des scènes et dans les scènes
que portent les miniatures serait probablement pleine d’enseignements sur le rapport entre
une chose et sa limite.
88
Toutefois, en conclusion du volume novateur étudiant les rapports entre les élites
(réseaux inter-personnels) et leurs espaces d’action au haut Moyen Âge, cette idée est
quelque peu remise en cause, en avançant que la territorialisation de la domination politi-
que est inévitable, quels que soient les dominants, quoiqu’elle s’opère sous forme d’espaces
informels et (du point de vue matériel) non délimités (R. LE JAN, « Conclusions », dans
Les élites et leurs espaces. Mobilité, rayonnement, domination (du VIe au XIe siècle), P. DEPREUX
e.a. dir., Turnhout, Brepols, 2007, pp. 399-406) ; l’auteur pressent ce que nous proposons
d’appeler la territorialité « objective ». En sortant de cette approche trop strictement poli-
tique, on pourrait ajouter que, malgré la prégnance du grand domaine foncier, les phéno-
mènes économiques font eux aussi, inévitablement, l’objet d’une territorialité (locale,
celle-ci).
89
J-M. MARTIN, « L’espace cultivé… », p. 253-255 fait remarquer que le lexique et les
méthodes de description des territoires locaux, jusqu’au Xe siècle, ne sont pas d’ordre
topographique mais offrent plutôt une taxinomie juridique.
90
Naturellement, il doit être possible de traquer des articulations chronologiques plus
fines.
35
la façon dont les territoires sont pratiqués par leurs usagers, le trait
spécifiquement médiéval (en fait dans le « long Moyen Âge » proposé
par J. Le Goff, incluant l’Ancien Régime) semble au contraire être la
forte conscience des usagers, à l’échelle locale et immédiatement
supérieure, de la complexité et de la superposition (co-spatialité) des
territorialités : dans des sociétés où les décideurs sont multiples et le
lien social polymorphe, les forces qui déterminent les espaces d’action
sont plus nettement différenciées – et perçues comme telles – que
dans des sociétés où l’État et les rapports vénaux (économie) absor-
bent, monopolisent et fusionnent le jeu social. En revanche, la pro-
duction et la circulation des idées au sein des élites seraient plutôt
marquées par une mono-spatialité – ce qui n’exclut aucunement un
jeu d’échelles – à cause du poids de la structure ecclésiastique.
À l’issue de ce parcours entre deux approches territoriales nette-
ment différenciées (par l’action des communautés locales et par la
géographie administrative), il semble qu’une des tâches essentielles
dans l’étude de la territorialité subjective – mais qui soutiendra forte-
ment la réflexion sur la territorialité objective – est de rapprocher
l’analyse des territoires locaux et celle de leur regroupement dans des
entités englobantes. En effet, un des défauts de la conception locale
de la territorialité est d’envisager la construction des territoires comme
un phénomène endogène, alors que cette construction est évidem-
ment relative : à plus ou moins long terme, l’action d’une commu-
nauté ou d’un centre fonctionnel (une église, par exemple) vient
forcément « buter » contre l’action d’une autre. Or, c’est l’intégration
de ces cellules locales dans des agrégats de territoires qui nous intro-
duit le mieux à cette relativité. La principale difficulté à établir ce
rapport entre localité et « super-territoire » vient de la notion d’em-
boîtement. On a tendance à penser que, dans une organisation admi-
nistrative, chaque grande circonscription englobe exactement
plusieurs territoires locaux, « remplissant » exhaustivement l’espace,
selon le modèle fourni par les États modernes ; en fait, même un
gouvernement aussi centralisateur, rationnel et technicien que l’État
impérial romain ne semble pas avoir procédé ainsi. L’emboîtement
parfait n’est possible que quand les circonscriptions regroupent des
cellules déjà existantes ; mais le rapport chronologique est souvent
confus (emploi ou survivance de vieilles circonscriptions anachroni-
ques), et surtout les autorités centralisatrices et les forces locales
construisent des territoires qui n’ont pas les mêmes fonctions. Il existe
donc une co-spatialité, non seulement au sein des territoires locaux
pris isolément mais aussi entre les deux échelles, locale et supra-
36
91
C’est le cas dans le sud de la France (comme on peut le voir dans les « estimes » du
Languedoc de 1464) mais aussi, dès le XIIIe siècle, au Portugal, où, d’après les enquêtes
royales de 1258, les julgados semblent formés de paroisses – où au moins sont-elles les unités
qui servent à décomposer la description des julgados.
92
D’après l’anthropologue G. Condominas, cité par G. DI MEO, Géographie sociale…,
p. 274.
93
Voir J.-M. PESEZ, « Histoire de la culture matérielle », La nouvelle histoire…, p. 191-227.
37
94
C’est cette dynamique de construction collective et complexe qui nous interdit de définir
comme territoires des périmètres très restreints et donc totalement uniformes, quoique
fortement matérialisés (une église, une résidence, un champ, un cimetière), qui sont plutôt
des « lieux ». Le problème est plus complexe pour un grand domaine foncier et, plus
encore, la zone strictement résidentielle d’un village groupé ou d’une ville. Même une
exploitation agricole peut être considérée comme une zone socialement complexe, d’un
point de vue socio-culturel et spatial : la vie d’une famille, même la plus modeste, manifeste
une partie des forces sociales et culturelles en jeu dans son environnement et en est un
facteur, et, même sans cela, elle constitue en elle-même une combinaison complexe dans
le temps, à cause de la succession des générations ; par ailleurs, l’exploitation est une orga-
nisation spatiale, certes trop instable pour qu’on puisse la prendre en compte dans sa
totalité – les parcelles qui la composent s’échangent constamment – mais déjà fortement
combinatoire dans son élément durable (les bâtiments et un noyau de parcelles), comme
l’ont montré les fouilles d’espaces domestiques. Il est vrai que le processus identitaire qui
s’y concrétise – d’ailleurs sous-estimé, à la fois par rapport au passé (à cause de la disparition
des cultes domestiques antiques) et par rapport à l’identité locale des « maisons » aristocra-
tiques médiévales (parce qu’il n’en a pas la conséquence anthroponymique) – est d’autant
plus étroit qu’il est intense et ne relève pas de l’identité des agrégats sociaux et culturels.
38
39
99
Depuis l’ « esprit de clocher » (qui concerne aussi bien les communautés populaires
locales qu’un monastère ou même, quoique moins nettement localisé, un métier) jusqu’au
sentiment d’appartenance à de vastes corps comme la chrétienté ou une « nation » (cf.,
pour les deux extrémités du Moyen Âge, S. TEILLET, Des Goths à la nation gothique. Les ori-
gines de l’idée de nation en Occident du Ve au VIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1984 et C.
BEAUNE, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard, 1985 (Bibliothèque des idées)) ; ce
que nous disons plus haut sur les différences d’échelle identitaire dans les divers pays d’Eu-
rope s’applique évidemment à l’historiographie du sentiment d’appartenance. Le localisme
populaire, qui est souvent une véritable mystique irrationnelle, puisque fondée sur le seul
lieu d’existence, est étudiable notamment dans les statuts locaux et les procès entre com-
munautés ; il nous semble que, en raison de la rusticité de ces sources, il a été moins abordé
que le « sentiment national », ennobli par ses chantres prestigieux tels que chroniqueurs
et moralistes.
40
100
Pour le géographe C. Grasland, qui a le plus fortement posé les rapports entre analyse
spatiale et analyse sociologique, c’est là le nœud méthodologique qui rend équivalentes
l’intégration sociale et la cohésion spatiale.
101
H.-J. SCHMIDT, « Espace et conscience de l’espace… », p 518, note dans sa synthèse
que les recherches considérables sur « la pénétration culturelle de l’espace ou sur les inter-
dépendances économiques » n’ont pas pu remettre en cause les insuffisances théoriques
des études sur les territoires réels.
41
102
En fait, facteurs et mécanismes de combinaisons sont des conventions efficaces mais
arbitraires inventées par l’analyste (que ce soit le chercheur actuel ou le théologien médié-
val), ce qui explique leur universalité ; ils engendrent une extrême diversité des faits parce
qu’ils ne sont pas alternatifs (présence/absence) mais quantitatifs – ils se manifestent par
un degré.
103
C’est le défaut de la micro-storia, qui crée en quelque sorte des univers parfaits, donc
« parallèles », comme en science-fiction.
104
Toutes les recherches récentes montrent, par exemple, que l’évolution des pouvoirs n’a
pas nécessairement d’effet sur l’organisation matérielle des communautés locales (le peu-
plement) : les facteurs de ces deux ordres de phénomènes n’ont donc pas de lien direct.
105
On sait que la grande partition entre Europe septentrionale et méridionale, que les
médiévistes cherchent souvent à vérifier, traverse la France, ce qui en fait un objet d’étude
important de géographie régionale culturelle ; dans l’ouvrage classique de P. PINCHEMEL,
La France, t. I, Paris, Armand Colin, 1970, une carte représentant la bipartition nord-sud est
fondée sur le recoupement entre les frontières openfield/autres formes, parlers d’oil/d’oc,
droit coutumier/écrit, toits plats/autres formes, mais ces critères sont des manifestations
totalement disparates qui ne forment nullement un système.
106
Ainsi, dans le débat qui a suivi la proposition d’une « mutation de l’an mille », P. Bon-
nassie (dans P. BONNASSIE, « Mâconnais, terre féconde », Médiévales, 21 (1991) (« L’an
mil : rythmes et acteurs d’une croissance »), p. 39-46) constate l’homologie de l’évolution
entre la vieille Catalogne et le Mâconnais (ce qui fonde en partie son adhésion à la thèse
de G. Bois), mais on est là au niveau des manifestations : l’est-on au niveau des structures ?
Et si oui, cela vient-il de facteurs en commun ?
42
107
Et peut-être le fait même d’avoir des facteurs (ou plutôt leur valeur) en commun prouve-
t-il une territorialité, au moins passée ? – c’est, par exemple, l’hypothèse d’un passé romain
commun, au nom de l’uniformité de l’Empire antique, qui vient étayer tant de raisonne-
ments sur des homologies médiévales. Cette démarche pose évidemment un problème
logistique fondamental ; les études de première main sur le jeu des facteurs sociaux ne
peuvent couvrir de très vastes étendues et sont donc effectuées, par monographies locales,
avec des méthodes et des grilles interprétatives variables : pour étudier la supra-territorialité,
il faut identifier exactement les mêmes facteurs et les mêmes combinaisons, donc travailler
avec des grilles communes. Cette cohésion de la démarche peut être obtenue plus facile-
ment dans les recherches sur la pensée savante, qui peuvent couvrir de plus vastes étendues ;
mais dès que l’on aborde les manifestations sociales des systèmes de valeurs symboliques, à
travers des documents à nouveau très ponctuels, comme les jugements, les fatwa/s, les actes
de synodes, les récits de voyages… on retrouve la précédente difficulté.
108
Quoique la définition spatiale des aires y soit une préoccupation secondaire, la meilleure
application de la réflexion des linguistes à la structuration des sociétés médiévales reste P.
WOLFF, Les origines linguistiques de l’Europe occidentale, Paris, Hachette, 1970 (L’univers des
connaissances, 63) ; on ne dispose pas d’un ouvrage aussi synthétique pour introduire à la
territorialité des faits sociaux et des faits culturels autres que la langue.
109
J. YVER, Égalité entre héritiers et exclusion des enfants dotés. Essai de géographie coutumière, Paris,
1966.
110
Ainsi, en France, les juristes et les administrateurs du bas Moyen Âge ont-ils inventé des
identités supra-locales en compilant, à partir du XIIIe siècle, des coutumiers « provin-
ciaux ».
43
111
Par exemple, P. OURLIAC, « Les communautés villageoises dans le Midi de la France
au Moyen Âge », dans Les communautés villageoises en Europe occidentale du Moyen Âge aux Temps
modernes. Quatrièmes jounées internationales d’histoire, 8-10 septembre 1982, Centre culturel de l’ab-
baye de Flaran, Auch, 1984, p. 13-27 observe que l’opposition entre individualisme (supposé
de tradition juridique romaine) provenço-languedocien et communautarisme (supposé
d’origine germanique) des autres régions méridionales se retrouve entre Normandie indi-
vidualiste et Picardie-Flandre communautaire : il est peu probable que ces réseaux de
régions aient le même esprit juridique pour avoir été intégrés dans les mêmes évolutions
globales.
112
Abordant exceptionnellement le sujet dans notre optique, voir B. PHALIP, « Étude
monmentale et limites culturelles. Les confins de la Haute et de la Basse Auvergne au XIIe
siècle », Siècles. Cahiers du C.H.E.C., 5 (1997) (« Frontières médiévales »), p. 29-58.
113
Rappelons en passant que l’érosion des sources écrites médiévales n’est pas un phéno-
mène mécanique s’appliquant uniformément ; elle est différentielle, en fonction de toute
l’évolution postérieure à la rédaction, ce qui implique la disparition de pans entiers de
documentation éclairant tout un aspect de la vie médiévale (voir les réflexions fondamen-
tales de A. ESCH, « Chance et hasard de transmission. Le problème de la représentativité et
de la déformation de la transmission historique », dans Les tendances actuelles…, p. 15-29).
Surtout, les sources médiévales ne permettent d’estimer l’homogénéité des pratiques que
très grossièrement. Ainsi, dans la séduisante géographie coutumière des juristes médiévistes,
il y a un « effet documentaire » à ne pas sous-estimer : les textes normatifs, privilégiés par
les historiens du droit mais largement exploités aussi par les historiens des faits socio-éco-
nomiques, confèrent une généralité à des pratiques sociales et économiques (observables
plus finement mais avec un investissement beaucoup plus lourd pour le chercheur dans les
actes de la pratique) mais au prix d’une simplification, en donnant l’impression que le
« détroit » (districtus) juridique est une aire d’application homogène d’une norme ou d’un
ensemble de normes. On peut admettre cependant que l’éventuelle hétérogénéité cachée
44
des territoires (ou de leur nature), sous forme d’un problème double :
d’une part, le rapport entre homogénéité et territorialité dans une
catégorie donnée de phénomènes, d’autre part, la « superposition » de ter-
ritorialités issues des différentes catégories de phénomènes – s’il existe
des territorialités « spécialisées » !
est marginale et ne remet pas en cause le fonctionnement spatial global d’une pratique
dominante.
114
J. LE GOFF, « Discorso di chiusura »…, p. 808.
45
115
La différenciation et la discontinuité peuvent être transposés, sur le plan sociologique,
dans le système de Durkheim : la complémentarité induite par la différenciation est une
« solidarité organique », alors que le maintien des particularismes locaux dans les fédéra-
tions territoriales ne peut être surmonté que par une « solidarité mécanique » (réduction
des différences par imposition autoritaire d’un modèle commun).
46
116
L’article de J. LE GOFF, « Centre/périphérie », dans Dictionnaire raisonné…, p. 149-165,
qui tente de généraliser ce concept à toutes les échelles et pour analyser de nombreux
phénomènes, insiste plutôt sur l’antagonisme et la dissymétrie des deux éléments, dans un
rapport domination/soumission ou action/réception, voire supérieur/inférieur ; ce rapport
est réel en ce qui concerne les représentations de l’espace par les intellectuels (qui raisonnent
beaucoup par dualisme), domaine de prédilection de l’auteur, mais il faut lui préférer la
complémentarité en termes de fonctionnement spatial.
117
La définition qu’en donne F. Braudel est descriptive, fondée sur des oppositions entre
niveaux d’efficacité économique à l’échelle mondiale : c’est une juxtaposition géométrique
de zones concentriques, que l’on pourrait observer à n’importe quelle échelle et qui n’a
rien de systémique.
118
C. LA ROCCA, « La trasformazione del territorio in Occidente », Morfologie sociali e
culturali in Europa fra Tarda Antiquità e Alto Medioevo. Settimane di studio del Centro italiano
di studi sull’alto medioevo XLV, Spoleto, Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo, 1998,
p. 257-91, se fondant sur le lexique et les données matérielles, suggère que la distinction
entre centre et périphérie s’estompe dans les territoires locaux à partir du VIe siècle à cause
de la déconcentration fonctionnelle provoquée par le déclin de la civitas (et cette polarité
plus faible car partagée entre plus de lieux centraux serait plus économique que politi-
que).
47
119
Voir l’excellente mise au point de M. BOCHACA, « Les relations économiques entre
villes et campagnes dans la France méridionale (XIIIe-XVe siècle). Bilan et perspectives de
recherche », Bibliothèque de l’École des Chartes, 163 (2005), p. 353-384 ; on notera la réticence
de l’auteur envers la modélisation spatiale de ces relations.
48
120
Ce retard est étonnant, car le pionnier de l’application de la théorie de la centralité aux
habitats médiévaux n’est autre que l’éminent ruraliste C. Higounet dans un célèbre article
de 1987 ; il est vrai qu’il y manifeste les ambiguïtés conceptuelles que nous signalons.
121
On peut trouver cette théorisation en particulier chez M. MOUSNIER, « Bastides de
Gascogne toulousaine. Un échec ? », dans Villages et villageois au Moyen Âge, XXIe congrès
de la SHMESP, Caen, 1990, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992 (Histoire ancienne et
médiévale, 26), p. 101-116 (qui pose les problèmes de concurrence entre habitats, des seuils
de distance pour leur équilibre, de hiérarchisation des centres) et Idem, La Gascogne tou-
lousaine aux XIIe-XIIIe siècles. Une dynamique sociale et spatiale, Toulouse, Presses Univ. du Mirail,
1997.
49
50
124
La complexification et donc la spécialisation croissante des recherches historiques expli-
que évidemment cette « sectorisation » de l’unité sociale ; nul ne doute que la vie en société
est un continuum où chaque fait s’insère dans un réseau d’inter-relations avec d’autres, à
travers des structures en quelque sorte intermédiaires. Je plaide coupable car, en tentant
d’étudier la localité et la territorialité dans le plus grand nombre possible de leurs manifes-
tations, j’ai recouru à ce découpage quelque peu arbitraire – tout en essayant d’établir le
maximum d’inter-relations, cf. S. BOISSELLIER, Le peuplement….
125
Alors que l’articulation entre les diverses échelles de territorialité joue évidemment dans
tous les domaines de la vie sociale et culturelle. À la limite, les territoires locaux sont consi-
dérés comme plutôt ruraux et les agrégats de territoires comme plutôt urbains (parce que
polarisés prioritairement par des villes) : significativement, le bilan des études médiévales
hispaniques regroupe dans un même chapitre les problèmes de peuplement et l’histoire
rurale (E. CABRERA, « Población y poblamiento, historia agraria, sociedad rural », La his-
toria medieval en España…, p. 659-745).
51
126
Dans une certaine mesure, on peut transposer ici sur le plan spatial l’analyse de « socio-
logie des formes » de G. Simmel, qui oppose les sociétés traditionnelles fondées sur des
cercles sociaux concentriques (avec une appartenance de moins en moins forte selon l’élar-
gissement) et les sociétés modernes fondées sur des cercles sociaux sécants (avec une appar-
tenance aussi forte à chaque cercle).
52
127
Centri e vie irradiazione della civiltà nell’Alto Medioevo. 18-23 aprile 1963, Settimane di studio
del Centro italiano di Studi sull’Alto Medioevo 11, Spoleto, 1964.
128
Ainsi, au niveau culturel le plus élémentaire, un ensemble dense de fouilles et de pros-
pections archéologiques permet de cartographier la répartition (et éventuellement la dif-
fusion) de telle technique architecturale artisanale ou artistique (décor des céramiques)
129
Voir les conclusions de la grande enquête lancée par J.-C. Maire-Vigueur, qui n’est mal-
heureusement pas transposable à d’autres régions pour des raisons évidentes d’organisation
politique (polycentrisme politique italien et spécificité irréductible de l’institution podes-
tatale), dans I podestà dell’Italia comunale, Parte I. Reclutamento e circolazione degli ufficiali fores-
tieri (fine XII - metà XIV sec.), J.-C. MAIRE-VIGUEUR dir., Rome, EFR, 2000 (Collection de
l’EFR, 268), vol. II, p. 895-1099 ; ce problème a été abordé du point de vue de la territoria-
lité par P. JANSEN, « La territorialité des villes marchesanes à la fin du Moyen Âge », dans
Liber largitorius. Études d’histoire médiévale offertes à Pierre Toubert par ses élèves, D. BARTHÉLÉMY
e.a. dir., Paris, Droz, 2003 (EPHE. Sciences historiques et philologiques. V Hautes études
médiévales et modernes, 84), p. 195-218.
130
Outre la thèse de N. Coulet, déjà mentionnée, il faut signaler, hors du domaine médi-
terranéen, l’habilitation (encore inédite) de Pierre Monnet sur la construction d’espaces
de communication par les villes allemandes au bas Moyen Âge.
53
131
Voir les cartes des articles de F. Bréchon, F. Mouthon, C. Barnel et M. Bochaca dans La
ville au Moyen Âge 1. Ville et espace… On trouvera des réflexions importantes sur ce problème
méthodologique, à propos de la paroisse, dans F. HAUTEFEUILLE, « La cartographie de
la paroisse et ses difficultés de réalisation », Aux origines de la paroisse rurale en Gaule méridio-
nale IVe-IXe siècles. Actes du colloque international 21-23 mars 2003, salle Tolosa (Toulouse), C.
DELAPLACE éd., Paris, Errance, 2005, p. 24-32 ; plus largement, voir J. BOLOS, « Fer mapes
per coneixer la Història : aportacions de la cartografia a l’estudi de l’Alta Edat Mitjana »,
Acta historica et archaeologica medievalia, 26 (2005), p. 27-52.
132
La notion de réseau (ou de maillage) administratif est une des plus courantes dans
l’étude de la formation des États au bas Moyen Âge.
133
A. DEGENNE et M. FORSÉ, Les réseaux sociaux…, p. 30.
54
134
En revanche, à l’échelle du territoire local, ce n’est que progressivement que l’exclusion
sociale correspond à une véritable discontinuité territoriale (en fait, une espèce d’extrater-
ritorialité), avec le tardif et progressif passage à des quartiers réservés et clos.
135
Les organisateurs des volumes Uomo e spazio… qui tentent clairement de couvrir le maxi-
mum de sujets, mélangent allègrement « l’espace des moines », « l’espace des saints »,
« l’espace funéraire », « l’espace des échanges économiques », « les distances dans les céré-
moniaux de cour », les voyages, les parcours de reliques, la métrologie…
136
Il faut s’élever contre l’imprécision des cadres dans l’étude des phénomènes idéologi-
ques, sous prétexte que ceux-ci se diffusent du haut vers le bas et que les particularismes ne
seraient donc que des « nuances » dans une globalité, liées en quelque sorte à la dégradation
statistique d’une information originelle unique au cours de sa diffusion (sous forme de
diversification), équivalente à la « perte en ligne » des physiciens ; ainsi, les innombrables
colloques et études sur l’idéologie de Reconquête abordent-ils le plus souvent celle-ci
comme un ensemble monolithique concernant toute la Péninsule ibérique et évoluant
globalement, alors que même ses formulations les plus savantes sont variables au moins à
l’échelle des royaumes.
55
56
140
Par exemple M. ROUCHE, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes 418-781. Naissance d’une
région, Paris, EHESS/Touzot, 1979 ou M. RONZANI, « Local and regional identity in medie-
val Tuscia », Nations and nationalities in historical perspective, A. K. ISAACS éd., Pisa, Edizioni
Plus / Università di Pisa, 2001 (Clioh’s workshop, vol. III), p. 199-207.
57
141
R. BARTLETT, The making of Europe. Conquest, colonization and cultural change, Londres,
Penguin books, 1993.
58
142
J. PAUL, Histoire intellectuelle de l’Occident médiéval, Paris, Armand Colin, rééd. 1998 (Col-
lection U), p. 11 ; il est regrettable que la pénétrante introduction de cet ouvrage (pp. 3-32)
n’aborde pas directement la diffusion de la culture.
143
Dans les milieux non lettrés, outre la réception des motifs théologiques et politico-juri-
diques (qui est fortement modulée et particularisée localement), on peut observer la même
universalité de certains motifs littéraires, si ce n’est des œuvres complètes, issus de la matière
de Bretagne ou de la matière de France, par des canaux pourtant plus divers et diffus que
l’Église ; on peut même se demander si leur popularité générale est due à une diffusion
synchronique (système centre/périphérie) ou au fait qu’ils constituent une résurgence d’un
substrat culturel commun (interprétation folkloriste), comme évoqué précédemment.
59
144
Au moins les évangélisateurs de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, en christia-
nisant des lieux de culte antérieurs, maintiennent-ils chez les fidèles la croyance en un
« esprit des lieux ».
145
L’espace non humanisé, désert terrestre et océan, est la seule véritable étendue à être
globalement « sacralisée » par l’anthropologie chrétienne, mais c’est pour y loger (y rejeter)
les démons.
146
Mais, dans ce cas, le sacré chrétien se surimpose à une territorialité antérieure et exté-
rieure, engendrée par l’agglomération résidentielle, et ne crée pas le territoire que constitue
le tissu bâti ; en revanche, il peut faire évoluer sa division interne en quartiers et, plus déci-
sivement, sa polarisation – il n’est pas besoin de rappeler le rôle des cathédrales paléochré-
tiennes (et des mosquées paléomusulmanes) par rapport au tissu antique ou celui des
couvents Mendiants dans la formation de faubourgs tardo-médiévaux.
147
Ce processus, à l’échelle locale de la paroisse, vient d’être bien éclairé par une série de
recherches, dont les plus récentes et convaincantes sont Aux origines de la paroisse rurale…,
et le dossier « Le paroisse » rassemblé dans Médiévales, 49 (2005).
148
En fait, c’est durant le haut Moyen Âge, où le peuplement reste fortement dispersé, que
la paroisse pourrait susciter un cadre territorial totalement nouveau ; mais il semble – sous
réserve de nouveaux développements de la recherche – que la paroisse constitue alors une
60
nébuleuse pas encore territorialisante, parce que le lieu de culte n’est pas polarisateur (faute
d’avoir attiré le cimetière ?).
149
Une intéressante synthèse sur les modalités de la territorialité culturelle (principalement
religieuse) dans le chap. I (« Les lieux ») de H. MARTIN, Mentalités médiévales II. Représen-
tations collectives du XIe au XVe siècle, Paris, PUF, 2001 (Nouvelle Clio).
150
F. BRAUDEL, Civilisation matérielle…, t. I : Les structures du quotidien : le possible et l’impos-
sible, Paris, Armand Colin, 1979.
61
151
D’autant plus que la réflexion des géographes sur les phénomènes économiques ne
s’occupe que des temps actuels et est donc totalement assujettie à l’économie politique et
à l’économétrie ; ainsi l’ouvrage souvent fondamental de G. DI MEO, Géographie sociale…,
n’offre rien à l’historien pour aborder les économies anciennes. On observe un silence
significatif à propos des espaces spécifiques à l’économie dans le bilan de J.-P. SOSSON,
« L’histoire économique et sociale du bas Moyen Âge : quelques réflexions à propos des
acquis et perspectives de recherches », Bilan et perspectives des études médiévales en Europe. Actes
du premier Congrès européen d’Études Médiévales (Spoleto, 27-29 mai 1993), J. HAMESSE éd.,
Louvain, FIDEM, 1995 (Textes et études du Moyen Âge, 3), p. 217-251, qui est pourtant
consacré à une période riche en documents aptes à éclairer cette problématique. On trou-
vera quelques réflexions éclairantes dans J.-P. DEVROEY, « L’espace des échanges écono-
miques. Commerce, marché, communications et logistique dans le monde franc au IX e
siècle », Uomo e spazio…, p. 347-392 (maxime 347-361) ; en revanche, malgré son titre pro-
metteur, le volume Gli spazi economici della chiesa nell’Occidente mediterraneo (secoli XII–metà
XIV). Sedicesimo convegno internazionale di studi, Pistoia, 16–19 maggio 1997, Pistoia, Centro
italiano di studi di storia e d’arte, 1999 emploie le vocable espace dans son sens métapho-
rique, celui d‘une sphère d‘activité, et n’introduit aucune analyse spatiale dans ses appro-
ches d‘économie politique très conventionnelles.
62
152
Avec toutes ses difficultés, puisque les prix stipulés (qui constituent la mention la plus
courante et la seule quantifiable) sont un étalon et une échelle de la valeur, sans garantie
de circulation réelle des pièces.
153
Un domaine agricole (i.e. une unité spatiale définie principalement par le droit de
propriété) constitue-t-il un territoire ? On sait bien le rôle que joue le grand domaine,
originel ou constitué exprès, dans l’émergence des communautés locales (rôle qui est
d’ailleurs assez peu lié à son contenu économique). Pour les exploitations à la mesure d’une
famille (dont on a évoqué plus haut la réelle capacité identitaire), on ne peut appliquer la
notion de territoire économique, sauf si l’autarcie est très forte, cas de figure dont les
recherches montrent le caractère irréaliste. En revanche, le finage, même s’il est inclus dans
une économie d’échanges qui le dépasse, constitue la cellule économique de base, l’a-tome
des activités de production, quelle que soit la répartition en son sein de la propriété des
terres et des moyens de production.
154
C’est probablement plus vrai pour les échanges de terres que pour les échanges de
produits agricoles et pastoraux.
155
La conception des finages méditerranéens comme des systèmes spécifiquement économiques
est largement sous-estimée par les médiévistes à cause de la faiblesse des pratiques agricoles
communautaires, ce qui est une absurdité, car le travail n’est qu’un facteur, et la systémicité
se fonde ici sur des régulations foncières (droit de préemption des « voisins » par rapport
aux forains, gestion publique de l’incult, liens familiaux donc patrimoniaux constituant un
réseau interpersonnel entre tous les exploitants) et sur des collaborations techniques (pas-
toralisme communautaire sous forme de dépaissance et de troupeau collectif, organisation
réticulaire de l’irrigation).
63
156
Toutefois l’effet désagrégateur de la monnaie sur le localisme économique n’est pas
toujours avéré : J.-L. GAULIN et F. MENANT, « Crédit rural et endettement paysan dans
l’Italie communale », dans Endettement paysan et crédit rural dans l’Europe médiévale et moderne.
Actes des XVIIes journées internationales de l’abbaye de Flaran, septembre 1995, M. BER-
THE éd., Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1998, p. 35-67, citent l’exemple d’un
village montagnard, Castel Belvedere, dans le contado de Bologne, qui réussit à rester un
système économique local, en marge de l’intégration menée par la grande ville à travers les
flux monétaires, non pas en évitant la monnaie mais en la détournant de sa fonction inté-
gratrice, avec un endettement généralisé entre voisins, tout le monde étant à la fois prêteur
et emprunteur – système créateur de lien social, mais qui peut avoir aussi une fonction
proprement économique de palliatif des micro-fluctuations financières familiales.
157
Les cartes économiques ne représentent guère que des transports de biens matériels,
faute d’information quantitative permettant de hiérarchiser les lieux centraux.
64
158
Cf. les thématiques du recueil d’articles de M. LOMBARD, Espaces et réseaux du haut Moyen
Âge, Paris-La Haye, Mouton, 1972 (EPHE. Le savoir historique, 2).
159
« Un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l’essentiel de se
suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine
unité organique…une somme d’espaces individualisés, économiques et non économiques,
regroupés par elle » (F. BRAUDEL, Civilisation matérielle…, t. III, p. 14).
160
P. GUICHARD, « Les rapports entre villes et campagnes », J-C. GARCIN e.a., États, socié-
tés et cultures…, t. III, p. 74.
65
161
P. CHAUNU, « Introduction générale : du pluriel à un singulier », Histoire économique et
sociale du monde, t. I : L’ouverture du monde, XIV e – XVIe siècles, P. LÉON dir., Paris, Armand
Colin, 1977, p. 15-38 (ici p. 24-26).
66
162
Voir G. MELVILLE, « L’institutionnalité médiévale dans sa pluridimensionnalité », Les
tendances actuelles,… p. 243-264.
67
163
On a déjà mentionné les intéressantes réflexions sur le lexique territorial de C. LA
ROCCA, « La trasformazione del territorio… », qui aborde plus les « lieux » que les espaces
qu’ils polarisent.
164
À l’opposé des excès sémantiques de R. BRUSEGAN, « La représentation de l’espace
dans les fabliaux »… , on peut voir l’intéressant travail de M.-T. MEDEIROS, Hommes, terres
et histoire des confins : les marges méridionales et orientales de la Chrétienté dans les Chroniques de
Froissart, Paris, Champion, 2003. Relevons l’intérêt que présente l’étude du vocabulaire
territorial employé dans les chroniques et géographies arabo-musulmanes, aussi bien pour
connaître la pensée savante de l’espace que la territorialité sociale (car les ouvrages choro-
graphiques sont fortement liés à l’administration) ; dans l’historiographie en langue fran-
çaise, on peut signaler particulièrement les diverses études de terminologie de P. Guichard
(avec A. Bazzana et P. Cressier) puis C. Mazzoli-Guintard et E. Tixier-Caceres, dont l’effica-
cité est due à la mise en contexte (matériel et social) qui les accompagne.
68
breux sur les textes poétiques et romanesques que sur tout autre
genre165. Il faut néanmoins se méfier de toute analyse lexicale pure,
qui tourne vite à l’exercice linguistique, construisant un simple sys-
tème sémantique par la combinaison d’occurrences, alors que chaque
occurrence doit être remise dans son contexte social et culturel mal-
gré l’énormité du corpus.
Le vocabulaire proprement territorial, principalement à l’échelle
locale, se retrouve dans deux types principaux de sources : les chartes
et documents de gestion – où le souci de localiser les biens et les
contribuables est variable mais toujours présent – et les textes forte-
ment narratifs et démonstratifs (sermons, fabliaux, exempla, récits judi-
ciaires). Une simple occurrence ne nous mène généralement pas au
cœur des processus de territorialisation (si ce n’est dans le domaine
des représentations166), mais des formules nous révèlent au moins
l’existence et la conscience de réalités spatiales complexes comme
l’emboîtement (donc la concentricité) des territoires. Dans les char-
tes, le souci de validité juridique pousse les notaires du côté des déno-
minations légales (donc un emboîtement seulement administratif)167,
mais le simple sens de citation de la concentricité peut être révélateur
(du plus local au plus vaste ou inversement)168 ; et le croisement des
165
Ainsi, un article qui développe les significations d’un vocable territorial universel et, à
l’inverse, un autre qui classe et systématise un vocabulaire très diversifié : P. GALLAIS, « La
terre chez quelques romanciers des XIIe et XIIIe siècles : étude statistique », PRIS-MA. Bulle-
tin de liaison de l’ERLIMA, II-1 et II-2 (1986), p. 17-26 et 73-88 et F. SUCARRAT BOUTET,
« Les allusions à la toponymie du terroir dans la poésie médiévale galicienne », dans Pro-
vinces, régions, terroirs au Moyen Âge : de la réalité à l’imaginaire. Actes du colloque international des
‘Rencontres européennes de Strasbourg’, Strasbourg, 19-21 septembre 1991, B. GUIDOT dir., Nancy,
Presses universitaires de Nancy, 1993, p. 125-141. L’étude de P. Gallais, qui est surtout sta-
tistique (et n’utilise jamais le concept de territoire, alors que c’est celui qui émerge massi-
vement de la sémantique), démontre sans surprise que les auteurs de fiction emploient
« terre » pour désigner surtout un territoire juridictionnel (royaume ou fief/domaine), à
35 %, et un territoire géographique (équivalent de contrée, pays), à 25 % (outre le sens
matériel de sol, à 25 %, et des occurrences mineures).
166
P. ZUMTHOR, La mesure…, p. 151-152, note que les occurrences de « royaume » dans
les chansons de geste françaises sont connotées à l’exercice du pouvoir par le roi ; elles
s’appliquent en fait au « règne » et non pas à un territoire : l’action est ressentie avant
l’espace où elle s’exerce, donc.
167
C’est le cas en particulier en Italie, par exemple l’emboîtement lieu-dit > casale > pieve >
contado révélé pour la région d’Arezzo par J.-P. DELUMEAU, Arezzo. Espace et sociétés, 715-
1230. Recherches sur Arezzo et son contado du VIIIe au début du XIIIe siècle, Rome, EFR, 1996
(Collection de l’EFR, 219), p. 115 ; pour le haut Moyen Âge, C. LA ROCCA, « La trasfor-
mazione del territorio… », p. 267-268 montre le brouillage du vocabulaire territorial après
que l’État cesse d’encadrer administrativement (fiscalement et fonctionnellement) le peu-
plement.
168
Dans S. BOISSELLIER, Le peuplement… , j’ai constaté, pour le Portugal méridional, que
les notaires, à partir du XIIIe siècle, ont tendance à partir du plus grand (le concilium, qui
69
est un ensemble de plusieurs villages et hameaux dominé par un chef-lieu) pour aller vers
le plus local (le lieu-dit, en passant par le village et parfois le « quartier » agraire).
169
H. FALQUE-VERT, Les hommes et la montagne en Dauphiné au XIIIe siècle, Presses universi-
taires de Grenoble, 1997, p. 350-360.
170
Cette recherche est déjà signalée dans J. LE GOFF, « Discorso di chiusura »… , p. 823-
824 ; parmi les données à traiter, les dichotomies droite/gauche et haut/bas, qu’il applique
aux territoires, me semblent relever plutôt d’une conception plus globale de l’espace, et
l’auteur met d’ailleurs l’accent sur les acceptions symboliques de ces dimensions.
70
171
A. VARVARO, « L’Espagne et la géographie épique romane », Medioevo romanzo, XIV/1
(1989), p. 3-38 démontre, à travers un cas précis, que les auteurs de chansons de geste sont
capables d’une « mise en espace » parfaitement plausible et exacte du point de vue géomé-
trique, mais qui est une transposition totalement fictive et fantasmée quant à l’objet spatial
(ici l’Espagne) prétexte du discours.
172
B. Guidot conclut, à partir d’un ensemble de recherches sur les territoires dans la litté-
rature médiévale, que le cadre spatial n’est jamais un objet à part entière et est souvent
traité de façon symbolique, en particulier à cause de la primauté du mouvement sur la
description ; cependant, ce cadre est plus ou moins explicitement l’instrument d’une affir-
mation identitaire, qui semble plus forte pour le terroir que pour la province – par exemple,
pour le « pays de Metz » dans la chronique de Philippe de Vigneulles (« Avant-propos »,
Provinces, régions, terroirs,…, p. 7-12).
173
Dans un domaine qui m’est familier, je signalerai l’astil (déformé en estim) portugais,
dont l’étymologie (< lat. hasta = manche du javelot long) est suffisamment oubliée pour
qu’il exprime une superficie abstraite et arbitraire. Notons que ces mesures manifestent
une appréhension directe de l’étendue qui est plus intuitive donc plus puissante que celle
de nos mesures actuelles, qui ne sont pas autre chose que des multiples d’une petite unité
(le mètre, qui n’est pas fondé directement sur le corps humain mais qui est à sa taille,
comme l’étaient de nombreuses unités linéaires anciennes).
71
cet usage a été repéré depuis longtemps dans les études sur les par-
cellaires (au niveau infra-local donc), mais il faudrait l’étudier aux
échelles locales et supra-locales, dans des écrits autres que la littéra-
ture géographique savante – pour laquelle ce travail a été réalisé174.
Plus fructueuse sera l’étude de la nomination propre des lieux,
dont on sait qu’elle constitue une appropriation (et une classifica-
tion), donc un mode de domination symbolique essentiel. Pour tous
les territoires, le trésor des toponymes sera donc peut-être plus utile
que le lexique, notamment pour étudier, là encore, la conscience de
l’étendue ; en effet, il existe de nombreux noms qui ne désignent pas
un lieu ponctuel mais une vaste superficie, presque toujours à l’échelle
supra-locale175. Certains noms territoriaux ne font qu’exprimer un
phénomène de polarisation à partir d’un centre, éponyme dans ce
cas (le Vivarais est la région de Viviers), mais beaucoup d’autres expli-
citent une identité issue de la répétition d’un fait social à échelle
régionale (la Castille est la région des châteaux) ou d’un élément du
paysage suffisamment grand pour qualifier une vaste étendue (le
cours terminal du Duero, « extrema Durii » = Extremadura ou la « Tierra
de Campos »). Beaucoup de ces noms de pays ou de provinces sont
de simples survivances de l’Antiquité ou sont des noms de peuple
transposés à une zone – ce qui constitue une étape essentielle d’un
processus de territorialisation d’identités complexes176. Dans tous les
cas, il faut traquer leur origine (nom donné par les « aménageurs »
174
Bonne synthèse, mais surtout érudite et consacrée au seul haut Moyen Âge, par B.
ANDREOLLI, « Misurare la terra : metrologie altomedievali », dans Uomo e spazio…, p. 151-
187.
175
Il ne s’agit pas ici de livrer une méthode d’utilisation de la toponymie pour étudier la
territorialité, car elle reste à mettre au point ; malgré des résultats remarquables, toujours
empiriques et presque toujours à l’échelle locale, livrés par les monographies régionales
sur la base du dépouillement de chartes et/ou d’un usage régressif des recueils toponymi-
ques récents (cf. le magnifique travail de D. PICHOT, Le village éclaté. Habitat et société dans
les campagnes de l’Ouest au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002), il
n’est pas nécessaire de recenser les innombrables travaux proprement toponymiques, car
la plupart sont inutiles : outre le fait que c’est la nomination des lieux qui focalise les études,
les historiens utilisent les noms de lieux comme descripteurs de la réalité paysagère et
sociale – après les avoir pris comme marqueurs culturels du peuplement –, tandis que les
linguistes les considèrent comme un simple support de phonèmes (cf., encore récemment,
la focalisation sur ces méthodes dans le dernier chapitre de B. MERDRIGNAC/A. CHEDE-
VILLE, Les sciences annexes en histoire du Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes,
1998 (Didact histoire)).
176
Le passage des Vascones à la Vasconia durant le haut Moyen Âge ou, beaucoup plus com-
plexe (car portant sur un territoire plus vaste et des populations moins homogènes socia-
lement et culturellement), le remplacement, sous Philippe Auguste, des Franci par la Fran-
cia dans la titulature royale.
72
177
Au Portugal, où l’identité provinciale médiévale est faible, certaines provinces portent
un nom de périphérie (« Trás-os-Montes » = derrière les montagnes, « Além Tejo » = au-delà
du Tage) qui ne peut leur avoir été donné que d’un point de vue « extérieur », probable-
ment à partir d’un « centre », qui n’est autre que l’espace le plus fortement contrôlé par la
monarchie, et qui se déplace d’ailleurs du nord vers le centre, depuis Guimarães vers Coim-
bra puis Lisbonne/Santarém. Ce serait le cas aussi de la Neustrie mérovingienne, nom
donné par les Burgondes pour désigner ce qui n’appartient ni à l’Austrasie (nom géogra-
phique) ni à la Burgondie (nom ethnique) (d’après K. F. Werner, cité par C. LA ROCCA,
« La trasformazione del territorio… », p. 273).
178
En revanche, à l’échelle locale, la polarisation à partir d’habitats groupés pèse tellement
lourd que le territoire issu du regroupement de l’habitat ne porte pas de nom spécifique
et est désigné par son « chef-lieu » – et c’est seulement à l’échelle infra-locale que l’on
retrouve des toponymes spécifiques pour désigner tel ou tel élément (en étendue) du
territoire.
179
Ce relatif désintérêt des historiens vient en partie du fait que la toponymie a été curieu-
sement mise en concurrence avec l’archéologie comme mode d’accès aux réalités matériel-
les et jugée de ce fait inefficace (attitude de R. Fossier, qui fait autorité, dans ses nombreu-
ses synthèses, et de nombreux archéologues).
180
On peut voir toutefois une avancée méthodologique notable (mais peu utile pour nous
car éclairant surtout la division interne de territoires locaux en quelque sorte déjà définis)
dans A. NOËL, Les lieux-dits. Essai d’archéologie verbale. La forêt d’Othe à l’âge moderne, Paris,
Champion, 2002.
73
181
Voir les tendances de la recherche dans Frontiers in the Middle Ages. Proceedings of the Third
European Congress of Medieval Studies, Jyväskyla, 10-14 June 2003, O. MERISALO et P. PAHTA
éd., Louvain-la-Neuve, FIDEM, 2006 (Textes et études du Moyen Âge, 35), en particulier
l’article de synthèse de G. CONSTABLE, « Frontiers in the middle ages » et les grands
thèmes structurant l’ouvrage (Intellectual Frontiers, Representations of and Encounters
with Otherness, Concrete Frontiers, Manuscript and Archival Studies, Language Contacts,
Frontiers in Literature, Religious Frontiers).
182
Renvoyons seulement aux réflexions décisives de P. TOUBERT, « Frontière et frontières :
un objet historique », Castrum 4, Frontière et peuplement dans le monde méditerranéen au Moyen-
Âge. Actes du colloque d’Erice-Trapani (Italie) tenu du 18 au 25 septembre 1988, Rome-Madrid,
ÉFR – Casa de Velazquez, 1992 (Collection de la Casa de Velázquez, 38 / Collection de
l’École Française de Rome, 105), p. 9-17.
74
183
Il est impossible de parler des frontières médiévales des territoires objectifs, tant est
grand le risque d’arbitraire dans la détermination de limites qui n’ont jamais été conçues
ni réalisées ; un exemple, les limites de densité démographiques : au-delà de l’opposition
gros noyaux / petits noyaux, qui est plutôt ponctuelle que territoriale, la distinction de
cellules dont la densité de peuplement est variable rique de n’être qu’un artefact visuel, si
ces cellules ne peuvent pas être mises en rapport avec une réalité sociale cohérente (richesse
agricole, structures familiales « natalistes »).
75
184
A. GUERREAU, « Structure et évolution… », p. 104, propose d’interpréter les distances
entre individus, dans les représentations médiévales, non pas comme un intervalle quanti-
fiable mais comme une mise en relation, toute relation s’exprimant en termes spatiaux au
Moyen Âge (selon lui).
185
S. CAROCCI, M. VENDITTELLI, L’origine della Campagna Romana. Casali, castelli e villaggi
nel XII e XIII secolo, Roma, 2004 (Miscellanea della Società romana di storia patria, 47) font
76
remarquer que la typologie des seigneuries italiennes fondée sur le nombre de châteaux,
proposée par Paolo Cammarosanno, distinguant seigneuries puntuali, zonali et marchionali,
est finalement qualitative, puisqu’elle ne prend pas en compte la dimension du cadre
englobant.
186
Nous sommes d’accord sur ce point précis avec l’idée plus générale d’A. Guerreau. P.
ZUMTHOR, La mesure…, p. 60, note que les langues européennes médiévales se sont dotées
de mots comme « contrée » pour désigner « ce qui n’est pas ici » sans être forcément
dehors ; du point de vue territorial, ces mots concilient éloignement et appartenance et
permettent de concevoir celle-ci sur une étendue et pas seulement en un lieu restreint.
187
S. BOISSELLIER, Le peuplement… , chap. XI, XII et XIII.
77
188
P. GAUTIER DALCHÉ, « Un problème d’histoire culturelle : perception et représenta-
tion de l’espace au Moyen Âge », Médiévales, 18 (1990) (« Espaces du Moyen Âge »), p. 5-15 ;
dans ce numéro presque exclusivement réservé à la cartographie, c’est seulement l’article
fort intéressant de M. ARNOUX, « Perception et exploitation d’un espace forestier : la forêt
de Breteuil (XIe-XVe siècles) », p. 17-32 qui aborde cette voie, en traitant d’ailleurs beaucoup
plus les usages sociaux de la forêt que sa dimension spatiale – en outre, on peut regretter
que le passage du témoignage au fait soit un peu rapide : c’est attendre trop des coutumiers
que de leur reprocher d’être un ensemble de droits et non pas « une image topographi-
quement cohérente » (critique débouchant sur la notion d’ « espace hétéroclite »), et c’est
une grande dépendance par rapport au corpus de sources que de voir « l’espace disséminé
des usagers » unifié au début du XVIe siècle par les inspections et les descriptions topogra-
phiques exhaustives des agents royaux !
189
Faut-il opposer, comme on le lit parfois, la « vision » territoriale de l’usager, simple
particulier, qui serait fragmentaire et discontinue, à la connaissance exhaustive et globale
du territoire par le gestionnaire-administrateur ? C’est peut-être confondre la nature des
témoignages : dans les coutumiers et les enquêtes, les usagers ne sont sollicités que sur des
faits très ponctuels, et c’est le compilateur (ou l’utilisateur postérieur du document) qui
apparaît en position de synthétiser.
78
190
Mais le mode occidental d’assimilation entre groupe humain et territoire n’est pas étran-
ger aux liens du sang, puisque le vocable générique adopté par toutes les langues romanes
pour désigner le groupe territorialisé est « gent(e) », dont l’étymologie latine classique
renvoie à un groupe biologique. X. DE PLANHOL, Les fondements…, p. 64, estime que la
rareté des noms de pays (qu’il considère comme obligatoirement liés au paysage) au profit
des anthropotoponymes dans le monde arabo-musulman, résultat des bédouinisations
médiévales, est l’indice de « la forme la plus lâche des liens entre l’homme et la nature »,
idée hautement critiquable et fondée sur une généralisation abusive.
191
P. ZUMTHOR, La mesure…, p. 30 avance a contrario que « le seul discours efficace sur
l’espace est un récit », alors que ce dernier me semble plutôt une mise en ordre chronolo-
gique.
192
Pour les physiciens, l’espace n’est une étendue que grâce au mouvement, c’est lui qui
crée l’espace et non pas l’espace qui abrite le mouvement ; par ailleurs, dans la vie sociale
matérielle, le déplacement est le lieu de rencontre le mieux perceptible entre l’espace et
le temps (plus exactement c’est leur principal lieu de rencontre réel, car, pour le reste, le
temps et l’espace sont liés dans les représentations). A cause de son interprétation des
distances (cf. note supra), A. GUERREAU, « Structure et évolution… », p. 108 voit les dépla-
cements comme « signifiants », donnant du sens aux structures sociales et culturelles et
assurant donc la stabilité, à l’opposé de l’image classique du voyage comme une déchirure
de l’ordre.
79
193
Les historiens du politique, récupérant commodément les travaux des diplomatistes
(itinéraires royaux), insistent depuis longtemps sur le rôle de l’itinérance des chefs dans la
formation de cellules juridictionnelles ; d’abord appliquée au nomadisme des monarques
du haut Moyen Âge (E. Ewig), avec le préjugé d’une supériorité de la sédentarité sur l’iti-
nérance, puis, dans l’optique de la « spatialisation du sacré », aux voyages des papes grégo-
riens (D. Méhu), cette idée me semble peu pertinente à l’échelle de royaumes ou de la
Chrétienté : la territorialisation s’opère par des phénomènes « lourds » (permanents et
massifs), « couvrant » l’espace, tandis que des déplacements, même incessants, restent ponc-
tuels quand ils sont très longs, et les itinéraires locaux qui les composent sont fortement
contingents.
194
Toute la dernière partie du rapport de J-P. DEVROEY, « L’espace des échanges… », est
consacrée à ce problème (en digression par rapport à son thème, d’ailleurs) et fournit
d’excellents éléments de réflexion.
195
Cette exclusion ne concerne que le cheminement proprement dit, mais ne disqualifie
pas les récits de voyages comme sources de mentions de territoires « tout faits » (non créés
ni concrétisés par le voyage lui-même) ; cette source, précocement abondante dans le
monde arabo-musulman, sous forme de « livre des routes et royaumes » (puis de rihla), est
loin de constituer un type clair et bien délimité en Occident latin (cf. J. RICHARD, Les récits
de voyages et de pèlerinages, Turnhout, Brepols, 1981 (Typologie des sources du Moyen Âge
occidental, 38)).
80
gnage direct, sauf peut-être dans les récits judiciaires, et leur princi-
pale trace réside dans le réseau viaire lui-même196.
Il faut bien distinguer l’ensemble des flux du réseau viaire matériel
qui en est le vecteur197. Aux échelles locale et immédiatement supé-
rieure, les routes contribuent à la territorialisation, en canalisant et
en développant les relations entre tous les lieux mais aussi et surtout
en hiérarchisant les flux polarisés par un centre – i.e. certaines voies
sont majeures (et ce peut être matérialisé dans leur architecture),
parce qu’elles portent les flux vers le centre polarisateur. Grâce à une
documentation écrite exceptionnellement précoce – et parce que leur
zone d’action, supra-locale mais de taille modérée, est la mieux adap-
tée aux techniques administratives et matérielles de la seconde moitié
du Moyen Âge –, les cités-États italiennes nous montrent, par leur
politique routière, que le réseau viaire est un facteur essentiel d’inté-
gration du contado, aussi bien dans son contenu que dans ses limites
(qui sont fixées là où le contrôle du chef-lieu ne peut plus s’exercer)198.
À l’échelle kilométrique et hectométrique, le « chevelu » des sentiers
et des routes – en excluant les simples servitudes de passage entre les
terres appropriées, qui ne sont pas forcément matérialisées – met en
196
On a aussi de nombreux récits de déplacements locaux fondus dans les actes de délimi-
tation des territoires, mais il s’agit d’une circum-ambulation exceptionnelle et artificielle,
qui ne constitue pas un itinéraire « en profondeur », et qui est l’aboutissement et non le
facteur d’un processus de formation du territoire. Les représentations des déplacements
sont excellemment abordées par A. ESCH, « Homo viator… ».
197
Les recherches sur le second sont proprement innombrables mais généralement englo-
bées dans une thématique plus large, le transport ; très techniques (étude d’un tronçon
particulier dans sa matérialité ou d’un type de route spécialisé dans un flux [militaire,
bétailler, saunier, pélerin], rôle des auberges et relais, vitesse des déplacements), elles man-
quent de problématique, puisque, réalisées pour des espaces restreints, elles intégrent peu
les notions de réseau (malgré l’emploi constant de ce vocable) et d’itinéraire et subordon-
nent l’habitat à la route, outre qu’elles font de la cartographie un but plus qu’un moyen.
Le poids des données matérielles dans les recherches récentes, logique dans une carence
de documents écrits, n’aide pas à corriger ces défauts. On peut trouver des approches plus
réfléchies dans une étude récente sur le réseau majeur du Vivarais, qui intègre malheureu-
sement trop peu la problématique purement territoriale (F. BRECHON, Réseau routier et
organisation de l’espace en Vivarais et sur ses marges au Moyen Âge, Université Lyon II, 2000 (4
vol.) [thèse dactylogr.]).
198
Voir par exemple, pour les deux échelles, régionale et locale, T. SZABO, « Les routes
toscanes du XIe au XIVe siècle », dans L’homme et la route en Europe occidentale au Moyen Âge et
aux Temps modernes. Deuxièmes journées internationales d’histoire [Flaran], 20-22 septembre 1980,
Auch, 1982, p. 267-274 et « Castelli e viabilità nell’Italia del Medioevo », Castrum 5. Archéo-
logie des espaces agraires méditerranéens au Moyen Âge. Actes du colloque de Murcie (Espagne) tenu
du 8 au 12 mai 1992, A. BAZZANA éd., Madrid-Rome-Murcie, Casa de Velázquez / ÉFR /
Ayuntamiento de Murcia, 1999 (Collection de l’EFR, 105 / Collection de la Casa de Veláz-
quez, 55), p. 455-466.
81
199
Au sein d’un territoire local, il n’y a pas forcément de volonté directrice, et c’est plutôt
par sa masse que le réseau viaire organise l’espace ; en revanche, dans les agrégats de ter-
ritoires réels, on a noté depuis longtemps que la polarité implique des systèmes viaires qui
sont hiérarchisés en étoile.
200
Ainsi, on a pu établir que le Portugal (qui constitue un des « finisterres » les plus nets
d’Occident, pour des raisons physiques évidentes) a intégré l’idéologie des trois Ordres
dans son droit à travers l’usage qui en est fait en Castille (dans les Siete partidas d’Alfonso
X) – donc tardivement – et non pas directement depuis la France du nord. Notons que
certaines méthodes d’analyse des réseaux de personnes sont transposables aux lieux, par
exemple le calcul de la longueur des chaînes de transmission (= du nombre d’intermédiai-
res nécessaires) par lesquelles une pratique collective ou un complexe idéologique se trans-
met (cf. le chap. I de A. DEGENNE et M. FORSÉ, Les réseaux sociaux…, « De l’interconnais-
sance au réseau ») : ce chiffre donne le « diamètre » du territoire réalisé par cette diffusion.
Il faut pour cela connaître le centre et identifier les relais, ce qui est possible surtout pour
les manuscrits d’œuvres savantes.
82
201
À cet égard, la relecture avec un questionnement de territorialité des grandes synthèses
problématiques que nous utilisons tous est un prélable indispensable à toute réflexion un
tant soit peu globale.
202
R. MOORE, La première révolution européeene Xe-XIIIe siècle, Paris, Seuil, 2001 (Faire l’Eu-
rope).
203
On pourrait arguer que ce processus est plus lié à la localité (regroupement dans des
habitats massifs) qu’à la territorialité, mais le fait qu’il se produise aussi dans des régions
où le peuplement reste plus diffus montre que l’appartenance à un cadre commun (la
territorialité) est aussi importante que la vie coude à coude.
204
C’est l’idée qui étaie toute la première partie du livre de P. ZUMTHOR, La mesure….
83
205
Pour éviter les pièges du comparatisme entre des univers documentaires très différents,
on pourrait tester cette hypothèse en premier lieu pour les régions où se sont superposées
les conceptions orientale et occidentale, Espagne reconquise et Terre Sainte franque.
206
Affirmation des cadres à cause d’un « remplissage » croissant : si ce rapport très global
et forcément schématique est valable, la supposée différence d’évolution démographique
entre l’Occident chrétien et le monde arabo-musulman (réputé en déclin démographique
à partir des X-XIIe siècles, cf. J.-C. GARCIN, « Histoire, démographie, histoire comparée,
périodisation », J-C. GARCIN e.a., États, sociétés et cultures…, t. III, p. 37-55) ne devrait-elle
pas elle aussi impliquer une divergence des types de territorialité ?
84
207
J. LE GOFF et J.-C. SCHMITT, « L’histoire médiévale »… , p. 12.
85
Nathalie Bouloux
1
P. Chastang, Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc
(XIe-XIIIe siècles), Paris, CTHS, 2001 ; M. Zimmmermann, Écrire et lire en Catalogne (IXe-XIIIe
siècle), Madrid, Casa de Velàzquez, 2003, 2 vol.
89
2
J’ai résumé en les simplifiant ces positions. On lira ou relira à ce propos la conclusion du
commentaire de P. Gautier Dalché à La « descriptio mappe mundi » de Hugues de Saint-
Victor. Texte inédit avec introduction et commentaire, Paris, 1988, p. 117-127.
90
d’espace (...). L’ « espace » médiéval est donc ce qui est entre deux :
on ne le fait exister qu’en le parsemant de sites. Le lieu est, lui, lourd
d’un sens positif, stable, riche ; discontinu, il fait événement dans
l’étendue »3. Il est devenu commun de penser que le terme latin spa-
tium désigne au Moyen Age uniquement un intervalle, et non pas aussi
une étendue. Les exemples contredisant cette assertion sont faciles à
trouver dans les textes médiévaux décrivant l’espace4, et à ce sujet, on
ne peut s’empêcher de remarquer que le mot « espace » en français
désigne aussi, certes pas exclusivement, un intervalle. Il reste que
d’autres procédés et d’autres vocabulaires rendent également fort
bien la notion d’étendue et d’épaisseur5.
C’est aussi devenu un lieu commun d’affirmer que les hommes du
Moyen Age ne pouvaient avoir de représentation de l’espace autre
que « discontinue » et « hétérogène », avec pour conséquence une
polarisation et une sacralisation de l’espace6. L’affirmation en elle-
même n’est pas fausse – on y reviendra –, mais sa généralisation,
consécutive d’une volonté de modélisation de la société féodale, l’est.
3
P. Zumthor, La mesure du monde. Représentation de l’espace au Moyen Age, Paris, 1993, p.
51. L’intuition de Paul Zumthor sur l’importance du « lieu » dans la culture médiévale est
juste, mais sa mise en rapport avec la discontinuité de l’espace ne permet pas d’en tirer
toute la substance. Voici deux exemples de la richesse du lieu : dans les Otia imperalia de
Gervais de Tilbury, la localisation des merveilles en un lieu précis a pour fonction d’en
confirmer la véracité ; au XIVe siècle, dans la culture humaniste des Italiens, le lieu est perçu
et décrit par son épaisseur historique et mythologique.
4
En voici quelques exemples, sans aucune recherche systématique : Hic est uniuersus ter-
minus Africae. Nunc insularum, quae in Nostro mari sunt, loca nomina et spatia dimetiar (Orose,
Histoire contre les Païens, livre I-III, édition et traduction Marie-Pierre Arnaud-Lindet, Paris,
1990, I, 2, 95, p. 37) ; sic terrae et loca dicuntur terrarum spatia, quorum partes sunt provinciae ;
sicut in Asia Phrygia, in Gallia Raetia, in Hispania Baetica. Nam Asia locus est, provincia Asiae
Phrygia, Troia regio Phrygiae, Ilium civitas Troiae (Isidore de Séville, Etym. éd. W. M. Lind-
say, XIV, v, 20-21) ; Per longissima enim terrarum spacia currere fluuius consuevit (Bartholo-
meus Anglicus, De proprietatibus rerum, Francfort, 1611, p. 557) ; Est autem illa pars mundi
quae Affrica dicitur, minor spacio quam Asia vel Europa, sed pro sua quantitate ditior est et mirabilior
in qualitate (ibid. p. 634) ; Est autem considerandum propensius ad quam breve terrarum spatium
Catholici sunt reducti (Marino Sanudo, Liber secretorum fidelium crucis, éd. J. Bongars,
dans Gesta dei per Francos, t. 2, Hanovre, 1611, I, V, chap. 1, p. 32) ; Is ubi per aliquantum
spatium Gangem praetermisit et ad exteriorem India peruenit (Pie II, Cosmographia, Opera quae
extant omnia, Bâle, 1561, p. 286).
5
Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner les textes décrivant l’orbis terrarum et relever
les termes signifiant l’étendue (usque...ad ; protendere ; porrigere ; iacere...)
6
Ainsi A. Guerreau : « Dans l’Europe féodale, l’espace n’est pas conçu comme continu
et homogène, mais comme discontinu et hétérogène, en ce sens qu’il était à chaque endroit
polarisé (certains points étant valorisés, sacralisés par rapport à d’autres perçus – à partir
des premiers et en relation avec eux – comme négatifs. », dans « Quelques caractères spé-
cifiques de l’espace féodal européen », L’Etat ou le roi. Les fondations de la modernité monarchi-
que en France (XIVe-XVIIe siècles), N. Bulst, R. Descimon et A. Guerreau dir., Paris, MSH,
1996, p. 87-88.
91
On dit souvent que les images des objets extérieurs sont localisées dans
l’espace, que même elles ne peuvent se former qu’à cette condition. On
dit aussi que cet espace, qui sert ainsi de cadre tout préparé à nos sensations
et à nos représentations, est identique à celui des géomètres dont il pos-
sède toutes les propriétés.
A tous les bons esprits qui pensent ainsi, la phrase précédente a dû paraî-
tre bien extraordinaire. Mais il convient de voir s’ils ne subissent pas quel-
que illusion qu’une analyse approfondie pourrait dissiper.
Quelles sont d’abord les propriétés de l’espace proprement dit ? je veux
dire de celui qui fait l’objet de la géométrie et que j’appellerai l’espace
géométrique. Voici quelques-unes des plus essentielles : 1-Il est continu ; 2- Il
est infini ; 3- Il a trois dimensions ; 4-Il est homogène, c’est-à-dire que tous
ses points sont identiques entre eux ; 5- Il est isotrope, c’est-à-dire que
toutes les droites qui passent par un même point sont identiques entre
7
A. Guerreau, « Structure et évolution des représentations de l’espace dans le Haut
Moyen Age occidental », dans Uomo e spazio nell’Alto Medioevo, Spoleto, Centro italiano di
studi sull’Alto Medioevo, 2003 (Settimana di studio del ‘Centro italiano di studi sull’alto
medioevo’, L), t. I, p. 90-114. Outre que le caractère universel des coordonnées spatio-tem-
porelles pourrait être sujet à discussion, on rappelera que le Moyen Age n’ignorait rien des
coordonnées géographiques liées au calcul de la latitude et de la longitude – et des diffi-
cultés techniques de les mesurer, spécialement la longitude, en l’absence d’un système
performant de mesure du temps, et que l’absence de leur utilisation dans le domaine car-
tographique tient plus à un phénomène culturel qu’à une méconnaissance de leur exis-
tence. Cf. J. K. Wright, « Notes on the knowledge of latitudes and longitudes in the
Middle Ages », Isis, 5 (1923), p. 75-98. et P. Gautier Dalché, « Connaissance et usages
géographique des coordonnées dans le Moyen Age latin (du vénérable Bède à Roger
Bacon) », Science antique, science médiévale, (Autour d’Avranches, 235), L. Callebat, O.
Desbordes éd., Hildesheim-Zurich-New York, Olms, 2000, p. 401-436.
92
8
H. Poincarré, La science et l’hypothèse, Paris, 1992, « L’espace géométrique et l’espace
représentatif », p. 74.
9
Etant bien entendu qu’entre l’espace vécu et appréhendé et l’espace représenté se
déploie un ensemble d’activités intellectuelles et cognitives qui permet de passer de l’ap-
préhension de l’espace à sa représentation.
10
J. Goody, La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, 1979, p. 248.
11
« L’histoire des plans et de la cartographie (en France) a été copieusement et expressi-
vement illustrée par une belle exposition aux Archives Nationales en 1987, « Espace fran-
çais ». Il en ressort avec toute la netteté souhaitable que la cartographie n’existe, en fait,
qu’à partir du XVIIIe siècle. Les documents antérieurs, rares, sont en majorité des vues
perspectives plus ou moins maladroites, des croquis aux allures bizarres. » A. Guerreau,
« Les caractères spécifiques de l’espace féodal... », p. 86. Outre que ces « documents » sont
bien plus fréquents que ne le croit l’auteur, leur maladresse ou leur bizarrerie ne sont telles
que parce qu’elles nous apparaissent ainsi – c’est en cela que réside « l’étrangeté du Moyen
Âge ».
93
94
12
P. Gautier DalchÉ, « Principes et modes de la représentation de l’espace géogra-
phique durant le haut Moyen Age », dans Uomo e spazio…, p. 119-150.
95
96
14
Gervais de Tilbury, Otia imperialia. Recreation for an Emperor, éd. et trad. S. E. Banks
et J. W. Binns, Oxford, 2002, I, 10. Cette phrase conclut un passage sur l’oeuvre militaire
d’Auguste dont le couronnement est le dénombrement du monde : Exiit edictum a Cesare
Augusto ut describeretur universus orbis (Luc, 2, 1).
15
Anonymus Leidensis, De situ orbis libri duo, éd. R. Quadri, Padoue, 1974, Proem.,
1, p. 3.
16
Je parle ici d’un point de vue global : l’étude fine des textes et des cartes montre souvent
un travail d’adaptation des données antiques aux réalités contemporaines, et dans certains
cas aux découpages politiques.
17
Gildas, De excidio et conquestu Britanniae, éd. Th. Mommsen, MGH, AA, t. XIII, p. 28 ;
Bède, Bede’s Ecclesiastical History of the English People, éd. B. Colgrave et R. A. B. Minors,
Oxford, 1969, p. 14-20 ; Nennius, Historia Brittonum, éd. T. H. Mommsen, MGH, AA, t.
XIII, p. 147-148, Geoffroy de Monmouth, The Historia Regum Britaniae of Geoffrey of Mon-
mouth, éd. A. Griscon et R. E. Jones, Londres, 1929, I, 2, p. 221-222. Cf. N. Bouloux,
« Les usages de la géographie à la cour des Plantagenêts dans la seconde moitié du XIIe
siècle », Médiévales, 24 (1993), p. 131-148.
97
18
Eginhard, Vie de Charlemagne, éd. et trad. L. Halphen, Paris, 1981 (5e éd.), 15,
p. 42-44.
19
Ainsi deinde Italiam totam, quae ab Augusta Praetoria usque in Calabriam inferiorem, in qua
Graecorum ac Beneventanorum constat esse confinia, decies centum et eo amplius passuum milibus
longitudine porrigitur est en partie fondée sur Solin, Collectanea rerum memorabilium, éd. Th.
Mommsen, p. 37.
20
De terminatione provinciarum Italiae (VIIe siècle), éd. Itineraria et alia geographica, Turnhout,
1965, p. 349 et ss ; Catalogus provinciarum Italiae (IXe ou Xe siècles), ibid., p. 367 ; Notitia
provinciarum et civitatum Galliae (VIe siècle ?), ibid., p. 385. L’Histoire naturelle de Pline fournit
une description de la géographie administrative de l’Italie romaine, souvent reprise et
adaptée au Moyen Âge. Sur l’usage des découpages antiques comme fondement et réflexion
sur les découpages administratifs contemporains, voir mon analyse du De locis orbis de Ric-
cobaldus de Ferrare (N. BoulouX, Culture et savoirs géographiques en Italie, Turnhout, 2002
(Terrarum orbis, 2), p. 118-125.
98
21
D. Walker, « The organization of Material in Medieval Cartularies », dans The Study of
Medieval records. Essays in honour of Kathleen Major, éd. D. A. Bullough et R. L. Storey,
Oxford, 1971, p. 132-150, en particulier p. 134 où l’auteur établit un lien entre la volonté
de conserver les titres des terres, droits et revenus avec l’organisation d’un ordre topogra-
phique. Pour l’Italie, Paolo Cammarosano souligne l’importance de l’ordre topographique
dans le classement des cartulaires monastiques ou des libri iurium urbains (P. Cammaro-
sano, Italia medievale. Struttura e geografia delle fonti scritte, Rome, 2003 (8e éd.), p. 65 et
p. 149.
22
Voir l’analyse de P. Gautier DalchÉ, « Principes et modes de la représentation de
l’espace... », p. 147.
23
P. CHastang, Lire, écrire, transcrire…, p. 309, n. 1.
24
Ibid., p. 138.
25
O. Redon, L’espace d’une cité. Sienne et le pays siennois, Rome, 1994, p. 29-30.
99
26
Voir par exemple les remarques de P. Chastang sur le travail de R. Foreville à propos du
cartulaire du chapitre d’Agde, « obscurci par quelques erreurs de localisation et surtout par
une absence de distinctions des phases chronologiques de rédaction du manuscrit », Lire,
écrire, transcrire…, p. 307, n. 1221.
27
Cité par P. CHASTANG, ibid., p. 131.
28
Voir par exemple M. Bourin, « Délimitation des parcelles et perception de l’espace
en Bas-Languedoc aux Xe et XIe siècles », dans Campagnes médiévales : l’homme et son espace.
Études offertes à R. Fossier, Paris, 1995, p. 73-85.
29
Le seul traité d’arpentage connu à ce jour est celui de Bertrand Boysset, Bertrand Boysset,
La vie et les œuvres techniques d’un arpenteur médiéval (v. 1355-v. 1416), édition et commentaire du
texte provençal de « La siensa de destrar » et de « La siensa d’atermenar », éd. P. PORTET, Paris,
2004.
30
Voir C. Lavigne, Essai sur la planification agraire au Moyen Age. Les paysages neufs de la
Gascogne médiévale (XIIIe-XV e siècles), Bordeaux, 2002, p. 40-46 ; A. de Smet, « De l’utilité de
recueillir les mentions d’arpenteurs cités dans les documents d’archives du Moyen Âge »,
Annales du Congrès archéologique et historique de Tournai, 3, 1949, p. 782-795.
31
Voir L. ToneatTo, Codices artis mensoriae. I manoscritti degli antichi opuscoli latini d’agri-
mensura (V e-XIXe s), Spolète, 1994, 1995, 3 vol.
100
32
De ce point de vue, il apparaît que l’epistémé de la « géographie médiévale » n’oppose
jamais connaissances livresques et expérience de terrain. Rappelons que les récits de voyage,
réputés être fondés sur la prise en compte d’une réalité expérimentale n’en sont pas moins
l’objet d’une élaboration littéraire et savante (voir par exemple M. Guerret-Laferté,
Sur les routes de l’empire mongol. Ordre et rhétorique des relations de voyage aux XIIIe et XIV e siècles,
Paris, 1994) ; que le savoir livresque n’est nullement considéré comme détaché d’une
connaissance expérimentale du monde mais représente au contraire une des modalités de
l’expérience.
33
Giraldus Cambrensis, Topographia Hibernica, éd. James F. Dimock, dans Giraldi Cam-
brensis opera, Londres, 1867, reprint 1964 (Rerum Britannicarum Medii aevi scriptores, V).
34
Par lungs tens e par lungs eages
e par muement de languages
unt perdu lur premereins nuns
viles plusus e regiuns.
Engleterre Bretainne out nun
e primes out nun Albiun,
e Lundres out nun Trivonant
e Troie Nove out nun avant… Wace, Le roman de Rou, éd. A. J. Holden, Paris, 1970-1973,
t. 1, troisième partie, v. 11-18, p. 161
101
35
Coluccio Salutati, De laboribus Herculis, éd. B. L. Ullman, Zurich, 1951, livre III,
chap. 9, 6-10, p. 193.
36
Sciendum est quod Orosius Pannoniam cum Norico et Rethia post Dalmaciam describit. Ysidorus
etiam licet eam post Messiam locauerit, postea tamen Pannoniam et Hystriam describens eas post
Greciam et ante Ytaliam collocat. Nec istud obstat nam eadem regio vel prouincia potest ab actoribus
variis in locis collocari secundum varios respectus seu habitudines quos habere potest penes diuersas
eius partes ad diuersas regiones, Imago mundi, éd. E. Buron, I, Paris, 1930, p. 326.
37
Cf. note ci-dessus.
102
38
Voir F. Luzzati Laganà, « Sur les mers grecques : un voyageur florentin du XVe siècle,
Cristoforo Buondelmonti », Médiévales, 12 (1987), p. 72-75.
39
I. Guyot-Bachy, Le Memoriale historiarum de Jean de Saint-Victor. Un historien et sa com-
munauté au début du XIVe siècle, Turnhout, 2002 (Bibliotheca Victorina, XII), p. 371-388.
40
Jean de Saint-Victor, Traité de la division des royaumes. Introduction à une histoire uni-
verselle, introduction, édition critique et traduction par I. Guyot-Bachy et D. Poirel,
Turnhout, 2002.
41
Livro de Arautos. De ministerio armorum, éd. A. A. Nascimento, Lisbonne, 1977. L’auteur
discute au début du traité des divisions de l’Europe et rejette la « Grecia » comme objet
d’étude : Plures gentes dicunt et tenent quod Grecia est maior pars ; et est uerum quod maior pars erat
olim antequam Greci perdidissent Asyam Minorem, que modo nuncupatur Turquia a Turcis qui
eamdem conquesti sunt, tamen uera Turquia non est de Europa, p. 165-167. Il manque dans le
manuscrit la description du royaume de France.
103
cinq rois42. L’auteur doit donc adapter son projet à ces contraintes,
décrire l’espace des dominations politiques insérées dans les régions
géographiques43 et parfois, faire fi des découpages régionaux habi-
tuels pour ne s’appuyer que sur les constructions politiques. Les domi-
nations politiques d’Alphonse d’Aragon sont donc successivement
dépeintes : le royaume d’Aragon, le royaume de Trinacrie – Sicile,
Sardaigne, Corse et toutes les îles moyennes et petites44 –, les Baléa-
res45. En revanche, le royaume de Portugal est constitué de régions
bien identifiées. Les territoires politiques ne sont donc jamais décrits
comme un tout mais par la succession des régions – parfois des diffé-
rents royaumes – qui les composent. En particulier, les frontières des
royaumes ne sont jamais détaillées en tant que telles : ce sont les
régions et leurs limites, extérieures comme intérieures, qui fondent
la description, selon les procédés de la géographie savante46. Cette
focalisation sur des espaces régionaux, tendance qu’illustre le De
ministerio armorum, n’entraîne pas toujours une prise en compte des
territoires politiques dans les traités géographiques – pensons à l’Imago
mundi de Pierre d’Ailly. Le dessein de rendre perceptible les territoi-
res politiques par la description géographique relève probablement
du milieu de production et des lecteurs attendus : le De ministerio
42
L’Espagne est ainsi décrite : Hispania est terra undique mari uallata seclusa illa parte que ducit
uersus Galiam, que habet pro ingressu prope centum et quinquaginta miliaria et hoc in latitudine a
mari Terreno usque ad Occeanum quod vulgariter dicitur mare Ispanicum sic quod ista dicta porcio
est ad modum unius maxime caude inter duo maria sita (...). Et in dictis Hispaniis sunt quatuor reges
christiani et unus sarracenus ; christiani, videlicet rex Castelle, rex Aragonie, rex Portugalie et rex
Nauarre, et rex sarracenus est rex Granate, p. 193, 27a, l. 4-13.
43
Pour le royaume de Castille et de Léon : Regna, terre, dominia nobilissime corone potentissimi
regis Castelle et Legionis sunt diuisa per multa nomina ; eciam diuisa in se licet unum corpus sint
quoad subiectionem, p. 193, 27b, l. 1-3.
44
L’auteur a probablement utilisé un portulan ou un texte dérivé, et les îles citées ne sont
pas forcément dans la mouvance aragonaise (c’est en particulier le cas de la Corse rattachée
à Gênes) : un exemple supplémentaire des difficultés à faire coïncider les espaces politiques,
particulièrement mouvant dans ces régions insulaires, et les outils traditionnels de la des-
cription du monde.
45
Regnum Maioricarum quod est sub dominio regis Aragonie est una insula in mari Medio Terraneo ;
et sunt in dicto regno tres insule una prope aliam, videlicet Maiorica, Minorica et de Iuisca, p. 245,
50 a, l.
46
Ce qui évidement ne veut pas dire que la géographie médiévale ignore le concept de
frontière (l’auteur du De ministerio armorum emploie la notion pour le royaume du Portugal :
Regni Portugalie confines prouinciasque seu partes feracissimas atque earum cognitu digna, quam ut
breuiter sciri possint scriptori enodare cura fuit, Livro de Arautos, 249, 53 a, l. 3-4). Sur la percep-
tion et la représentation de la frontière dans la géographie médiévale, voir P. Gautier
DalchÉ, « Limite, frontière et organisation de l’espace dans la géographie et la cartogra-
phie de la fin du Moyen Âge », dans Frontières et conceptions de l’espace (11e-20e siècles), éd. G.
P. Marchal, Zürich, 1996, p. 93-122.
104
47
Sur les cartes régionales, voir la synthèse de P. D. Harvey, « Local and Regional Carto-
graphy in Medieval Europe », dans The History of Cartography, vol. 1, éd. J. B. Harley et D.
Woodward, Chicago-Londres, 1987, p. 464-501 avec un inventaire par pays p. 498-501,
aujourd’hui incomplet.
48
La première représentation cartographique d’une ville, celle de Vérone, date du Xe
siècle. Elle se trouve dans un manuscrit comprenant une description de Vérone (Versus de
Verona), et a pour fonction d’illustrer le caractère prestigieux de la cité (reproduction dans
Magistra barbaritas. I barbari in Italia, Milan, 1984, p. 428). On a déjà signalé le diagramme
topographique des possessions de l’abbaye de Marmoutier (XIIe siècle).
105
49
Biblioteca Apostolica Vaticana, Ross. 228, f. 35v.
50
Bruxelles, Bibl. Royale, 3897-3918, f. 2v, reproduite dans L. S. Chekin, Northern Eurasia
in Medieval Cartography. Inventory, text, translation and commentary, p. 136, n° X.6. Sur la com-
pilation historique et géographique de Guido de Pise, voir M. Campopiano, « Geografia
e storia a Pisa nel XII secolo. Il Liber Guidonis compositus de variis historiis : natura e tradi-
zione », Per Marco Tangheroni. Studi su Pisa e sul Mediterraneo medievale offerti dai suoi ultimi
allievi, C. Iannella éd., Pise, 2005, 10-37 (analyse de la carte p. 24-26).
51
Th. O’Loughlin, « An early thirtheenth-century map in Dublin : a window into the
world of Giraldus Cambrensis », Imago mundi, 51 (1999), p. 24-39.
52
Voir en dernier lieu : P. D. Harvey, « Matthew Paris’Maps of Palestine », Proceedings of
the Durham conference, 1999, M. Prestwich, R. Britnell, R. Frame éd., Woodbridge,
2001, p. 165-178 ; K. Breen, « Returning Home from Jerusalem : Matthew Paris’s First Map
of Britain in Its Manuscript Context », Representations, 89 (2005), p. 59-93 ; P. Gautier
Dalché, « Cartes de Terre sainte, cartes de pélerins », dans Fra Roma e Gerusalemme nel
Medio Evo. Paesaggi umani ed ambientali del pellegrinaggio meridionale, M. Oldoni éd., Salerne,
2005, t. II, p. 573-612.
53
R. Almagía, Monumenta Italiae cartographica, Riproduzione di carte generali e regionali d’Ita-
lia dal secolo XIV al XVII, Florence, 1929 ; Imago mundi et Italiae. La versione del mondo e la
106
scoperta dell’Italia nella cartografia antica (secoli X-XVI), L. Lago éd., Trieste, 1994, 2 vols. ; L.
Lago dir., Imago Italiae. The making of Italy in the history of cartography from the Middle Ages to
the modern era. Reality, image and imagination from the codices of Claudius Ptolomy to the Atlante of
Giovanni Antonio Magini, traduction de l’italien par Ch. Taylor-Ch. Garwood, Trieste,
2002.
54
C’est le cas par exemple de la carte de l’Europe étudiée par Th. O’Loughlin (cité ci-des-
sus) ou des cartes de la région de Syrie-Palestine que l’on trouve dans les manuscrits de
Paulin de Venise et Marino Sanudo.
55
On trouve facilement des reproductions dans les ouvrages cités précédemment, auxquels
il faut ajouter Imago et descriptio Tusciae. La Toscana nella cartografia dal XV al XIX secolo, éd.
L. Rombai, Venise, 1993.
56
Voir N. Bouloux, « Cartes territoriales et cartes régionales en Italie au XIVe siècle »,
dans Aufsicht-Ansicht-Einsicht. Neue Perspektiven auf die Kartographie an der Schwelle zur Frühen
Neuzeit, éd. T. Michalsky, F. Schnieder, G. Engel, Berlin, 2009, p. 263-281.
57
Cependant, la centralité de la ville ne signifie pas que celle-ci est toujours au centre de
la carte mais que son échelle de représentation attire toujours le regard.
58
Paris, BnF, Cartes et plans, Ge 4990.
107
cédé, chaque ville étant reliée aux centres mineurs et aux autres gran-
des cités par un itinéraire avec distance. En général, le relief est
soigneusement représenté, en particulier les cours d’eau, qui consti-
tuent, plus que tout autre élément du relief, la structure du paysage.
Le réseau viaire, avec le signalement des ponts, est également des-
siné.
Ces cartes ont presque toujours aussi une fonction esthétique. L’art
de la représentation tant dans le dessin que dans les couleurs indique
que le réalisateur est un dessinateur ou un peintre professionnel –ce
qui est confirmé dans le cas où l’auteur de la carte est connu59. Cer-
taines sont le résultat d’une commande par les autorités urbaines60.
On a affaire à une cartographie de prestige, de même nature que les
cartes exposées dans les palais princiers ou dans les lieux de pouvoir.
Elles illustrent la dialectique entre savoir et pouvoir, qui n’est nulle-
ment une nouveauté au XVe siècle.
Un usage administratif n’est cependant pas à exclure. La carte du
territoire de Brescia, conservée à la bibliothèque Quiriniana, est reliée
à un manuscrit contenant les privilèges de la cité et des grandes
familles de Brescia. Au-dessus de certains habitats, on lit une lettre
capitale (M., G. ou Li). Il serait souhaitable d’en comprendre la signi-
fication, dont on peut faire l’hypothèse qu’elle n’est pas étrangère au
recueil de privilèges qu’accompagne la carte. Peut-on aller plus loin
dans l’idée d’un usage administratif de ces cartes territoriales ? Il sem-
ble qu’elles donnent surtout à voir les détails concrets du territoire,
les habitats, les itinéraires, les limites, en un mot les rapports entre la
ville et son contado. Sur certaines, les circonscriptions que sont les
pieve sont parfois indiquées (je pense ici à la carte du territoire de
Padoue par Annibal de Madijs). Enfin, un cas précoce oriente vers un
usage dans l’administration fiscale : il s’agit d’une carte du territoire
de Brescia, insérée dans l’estimo réalisé sous la seigneurie de Pandolfo
Malatesta, entre 1416 et 1420. Elle a probablement été réalisée en
relation avec la confection de l’estimo, ce qu’une enquête permettrait
peut-être de corroborer. Plus généralement, ces cartes, en offrant au
regard la topographie, la répartition des habitats et leurs relations
avec la cité dominante, fournissent un résumé visuel des territoires
59
C’est le cas des cartes du Padouan réalisées par Annibal de Madijs (architecte de la loggia
del Consilio de Padoue) 1449 (Milan, Bibliothèque de l’Ambrosienne), et par le peintre
Francesco Squarcione, 1465 (Padoue, Museo civico) ou encore la carte de la Lombardie
par Giovanni Pisato, 1440 (Musée communal de Trévise, ms. 1497).
60
Rappelons qu’en 1460 le conseil des Dix de Venise donne l’ordre de réaliser des cartes
de territoires de Terrre ferme. Voir P. Gautier DalchÉ, « Limite, frontière... », p. 114.
108
61
Voir R. A. Skelton, P. D. Harvey, Local Maps and Plans from Medieval England, Oxford,
1986 ; voir la liste des cartes locales données par P. D. Harvey dans sa contribution à The
History of Cartography, D. Woodward et P. D. Harvey éd., vol. 1 Cartography in Prehistoric,
Ancient and Medieval Europe and the Mediterranean, p. 498-500 ; voir également l’ouvrage de
L. Rombai, Imago and descriptio Tuscia... ; et les cartes signalées par M. Azzari, « Il rinno-
vamento della cartografia a grande scala in Toscana tra Quattrocento e Cinquecento, Indi-
cazioni di ricerca e primi risultati », Rivista Geografica Italiana, 100 (1993), p. 271-290. Beau-
coup de cartes, schémas topographiques et plans sont signalés et étudiés dans divers articles,
sans qu’un travail d’inventaire ait encore été réalisé.
62
Ainsi une carte du Sévèraguès en 1998 (J. Delmas, « Une carte figurée du Sévèraguès
au début du XVIe siècle », Vivre en Rouergue. Cahiers d’archéologie aveyronnaise, 13 (1999),
p. 143-163 ; Thomas Jarry, « Autour d’un plan médiéval normand. Le plan parcellaire
d’Allemagne (Fleury-sur-Orne) de 1477 », Histoire et sociétés rurales, 23 (2005), p. 169-204.
63
C’est ainsi que procède la majorité des historiens qui ont travaillé sur les cartes régiona-
les ou locales. Voir par exemple l’article de M. Azzari, « Il rinnovamento della cartogra-
fia... ».
64
P. Tozzi, « Il Mundus Papie in Opicino », Geographia Antiqua, I (1992), p. 167-174.
109
110
70
Voir A. SKELTON et P. D. HARVEY, Local Maps and Plans ..., 1986, p. 5.
71
Archivio Comunale di Volterra (Atti del cancelliere D nera IV, 1), voir M. Azzari, « Il
rinnovamento della cartographia... », p. 281-282. Il manque cependant une transcription
des toponymes qui permettrait de confirmer ce point de vue.
72
M. AZZARI, « Il rinnovamento della cartographia … », p. 282.
111
112
Thomas DESWARTE
Depuis les années 801, les travaux sur les rapports entre l’histoire,
ses phénomènes et l’espace se multiplient2. Cette nouvelle approche,
inspirée de la sociologie et des travaux de Maurice Halbwachs sur la
« mémoire collective »3, est appliquée d’une manière toute particu-
lière au domaine religieux, dans une perspective anthropologique4.
Dans un article fondateur, John Helgeland5 opposa ainsi à juste titre
le paganisme, religion de l’espace, au judaïsme et au christianisme
paléo-chrétien, « religion du Temps » : à ses débuts, la religion du
Christ se pensait d’abord dans le Temps – temps de la Révélation,
temps de la grâce, temps de l’eschatologie et temps de la mémoire
étudié par Otto Gerhard Oexle6.
1
Je remercie vivement Patrick Gautier-Dalché pour sa relecture critique de cet article et
ses utiles conseils.
2
M. BOURIN, E. ZADORA-RIO, « Analyses de l’espace », Les tendances actuelles de l’histoire
du Moyen Âge en France et en Allemagne. Actes des colloques de Sèvres (1997) et Göttingen (1998)
organisés par le CNRS et le Max-Planck-Institut für Geschichte, J.-C. SCHMITT et O. G. OEXLE
dir., Paris, Publications de la Sorbonne, 2002 (Histoire ancienne et médiévale, 66), p. 493-
510 ; dans le même volume, voir aussi : H. J. SCHMIDT, « Espace et conscience de l’espace
dans l’historiographie médiévale allemande », p. 511-536.
3
M. HALBWACHS, La mémoire collective, Paris, PUF, 1950.
4
Belle présentation par P. HENRIET, « Les clercs, l’espace et la mémoire », À la recherche
de légitimités chrétiennes. Représentations de l’espace et du temps dans l’Espagne médiévale (IXe-XIIe
siècle), P. HENRIET dir., Lyon, ENS-Casa de Velázquez, 2003 (Annexes des Cahiers de lin-
guistique et de civilisation hispaniques médiévales, 15), p. 11-25.
5
J. HELGELAND, « Time and Space : Christian and Roman », Aufstieg und Niedergang der
römischen Welt, II : Principat, Bd 23-2 : Religion (Vorkonstantinisches Christentum : Verhältnis zu
römischem Staat und heidnischer Religion), W. HAASE éd., Berlin/New York, De Gruyter, 1980,
p. 1285-1305.
6
O. G. OEXLE, « Memoria und Memorialüberlieferung im früheren Mittelalter », Früh-
mittelalterliche Studien, 10 (1976), p. 70-95.
113
7
M. LAUWERS, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval,
Paris, Aubier, 2005 (Collection historique) ; D. IOGNA-PRAT, Ordonner et exclure. Cluny et la
société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam (1000-1150), Paris, Aubier, 1998 (Col-
lection historique), p. 161-185.
8
R. A. MARKUS, « How on Earth could Places become Holy ? Origins of the Christian Idea
of Holy Places », Journal of Early Christian Studies, 2 (1994), p. 257-271.
9
M. ZIMMERMANN, « Les actes de consécration d’églises. Construction d’un espace et
d’un temps chrétiens dans la Catalogne médiévale (IXe-XIIe siècle) », À la recherche de légiti-
mités chrétiennes…, p. 29-52.
10
D. IOGNA-PRAT, Ordonner et exclure…, 1998, p. 161-185 ; A. GUERREAU, « Espace social,
espace symbolique : à Cluny au XIe siècle », L’ogre historien. Autour de Jacques Le Goff, J. REVEL,
J.-C. SCHMITT éd., Paris, Gallimard, 1998, p. 167-191.
11
P. HENRIET, « L’espace et le temps hispaniques vus et construits par les clercs (IXe-XIIe
siècle) », À la recherche de légitimités chrétiennes…, p. 81-127, p. 119-122.
114
115
116
22
Si les mappemondes sont attestées durant l’Antiquité, les premières conservées ne datent
que du VIIIe siècle. Elles ont été partiellement inventoriées par P. GAUTIER-DALCHÉ,
« Mappae mundi antérieures au XIIIe siècle dans les manuscrits latins de la Bibliothèque
Nationale de France », Scriptorium, 52 (1998), p. 102-162. Malgré ses imperfections, l’on
peut aussi consulter : M. DESTOMBES, Mappemondes A.D. 1200-1500 : Catalogue préparé par
la Commission des Cartes Anciennes de l’Union Géographique Internationale, Amsterdam, N. Israel,
1964. Voir aussi : A.-D. VON DEN BRINCKEN, Kartographische Quellen. Welt-, See- und Regio-
nalkarten, Turnhout, Brepols, 1988 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 51).
Ces mappemondes sont réparties en diverses catégories, dont le nombre varie suivant le
système de classification retenu ; bonne présentation des différentes classifications par D.
WOODWARD, « Medieval mappaemundi », Cartography in Prehistoric, Ancient, and Medieval
Europe and the Mediterranean, J. B. HARLEY, D. WOODWARD éd., Chicago-Londres, Univer-
sity of Chicago Press, 1987 (The History of Cartography, 1), p. 286-370, p. 294-299, p. 343-
358. Une classification très détaillée est proposée par R. SIMEKES, « Mappae mundi »,
Archiv der Geschichte der Naturwissenschaften, 22-23-24 (1988), p. 1061-1091. L’on a proposé
une classification plus simple en deux catégories : l’une, schématique ou non, représentant
la terre habitée ; l’autre figurant l’ensemble du globe en plan, par la moitié habitée de
l’hémisphère septentrional et la moitié de l’austral (J.-G. ARENTZEN, Imago mundi carto-
graphica. Studien zur Bildlichkeit mittelalterlicher Welt- und Ökumenekarten unter besonderer Berück-
sichtigung des Zusammenwirkens von Text und Bild, Munich, 1984 (Münstersche Mittelalter-
Schriften, 53), p. 123-130 ; P. ARNAUD, « Plurima orbis imago… »).
23
I. BAUMGÄRTNER, « Die Welt im kartographischen Blick : Zur Veränderbarkeit mittel-
alterlicher Weltkarten am Beispiel der Beatustradition vom 10. bis 13. Jahrhundert », Der
weite Blick des Historikers: Einsichten in Kultur-, Landes- und Stadtgeschichte. Peter Johanek zum 65.
Geburtstag, W. EHBRECHT e.a. éd., Cologne-Weimar-Vienne, Böhlau Verlag, 2002, p. 527-
549.
117
24
H. GARCÍA-ARÁEZ, « Los mapamundis de los Beatos (2a parte). Nomenclator y conclu-
siones », Miscelánea medieval murciana, 19-20 (1995-1996), p. 97-128, p. 124-126.
25
G. MENÉNDEZ PIDAL, « Mozárabes y asturianos en la cultura de la Edad Media, en
relación con la historia de los conocimientos geográficos », Boletín de la Real Academia de la
Historia, 134 (1954), p. 137-291, notamment p. 262-269.
26
K. MILLER, Mappaemundi. Die ältesten Weltkarten, t. I : Die Weltkarte des Beatus (776 n. Chr.),
Stuttgart, J. Roth, 1895.
27
H. A. SANDERS, Beati in Apocalipsin Libri Duodecim, Rome, 1930 (Papers and Monographs
of the American Academy in Rome, 7).
28
W. NEUSS, Die Apokalypse des hl. Johannes in der altspanischen und altchristlichen Bibel-Illu-
stration, Münster, 1931 (Spanische Forschungen der Görresgesellschaft, Reihe II, 2 und 3),
2 vol.
29
P. KLEIN, Der ältere Beatus-Kodex Vitr. 14-2 der Biblioteca Nacional zu Madrid. Studien zur
Beatus-Illustration und der spanischen Buchmalerei des 10. Jahrhunderts, Hildesheim-New York,
1976 (Studien zur Kunstgeschichte, 8).
30
J. W. WILLIAMS, The illustrated Beatus : a corpus of the illustrations of the Commentary on the
Apocalypse, London, Harvey Miller, t. I : Introduction. Ces manuscrits sont bien présentés dans
les volumes suivants, qui contiennent en outre des reproductions en noir et blanc des
illustrations : t. II, The Ninth and Tenth Centuries, 1994 ; t. III, The Tenth and Eleventh Centuries,
1998 ; et t. IV, The Eleventh and Twelfth Centuries, 2002.
31
Burgo de Osma, Archivo de la Catedral, cod. 1, 166 fol. (360 x 225 mm.), fol. 34v-35r. Ce
manuscrit est moins fourni que ceux de la famille Neuss II, car il ignore le commentaire de
Daniel par Jérôme et ses onze illustrations.
32
El Beato de Osma, t. I : Facsimile, t. II : Estudios, Valencia, Vicent García Editores, 1992.
118
33
New York, Morgan Library, M 644, 300 fol. (387 x 285 mm.), fol. 33v-34r.
34
J. WILLIAMS, B. SHAILOR, V. GARCÍA LOBO, El Beato de San Miguel de Escalada : manus-
crito 644 de la Pierpont Morgan Library de Nueva York, Madrid, Casariego, 1991 (trad. angl. A
Spanish Apocalypse : The Morgan Beatus Manuscript, New York, George Braziller, 1991).
35
Valladolid, Biblioteca de la Universidad, ms. 433, 230 fol. (350 x 240 mm), fol. 36v-37r.
36
M. N. ALONSO CORTEZ, Universidad de Valladolid. El “Beato” de su biblioteca, Valladolid,
1971 ; Beato de Valcavado, t. I : Facsimile, t. II : Estudios, Valladolid, 1993 ; J. A. FERNÁNDEZ
FLÓREZ, El Beato de la Universidad de Valladolid : Original conservado en la Biblioteca de Santa
Cruz de la Universidad de Valladolid, 2 vol., Madrid, Testimonio Compañia, 2002 (Scriptorium,
16).
37
Seo de Urgell, Museu Diocesá, Num. Inv. 501, 232 fol. (402 x 265 mm.), fol. 6v-7r.
38
A. CAGIGÓS SORO, El Beato de la seu d’Urgell y todas sus miniaturas. Un libro del primer
milenio con mensajes para hoy, La Seu d’Urgell, Museu Diocesà d’Urgell, 2001².
39
Madrid, Biblioteca Nacional de España, Ms Vit. 14-2, 312 fol. (360 x 280 mm), fol. 63v-
64r.
40
U. ECO, L. VAZQUEZ DE PARGA, Beatus de Liébana : miniatures du « Beatus » de Ferdinand
Ier et Sanche, Parme, F.M. Ricci, 1982 ; El Beato de Liébana. Códice de Fernando I y de doña Sancha,
t. I : Facsimile, t. II : Studies, Barcelona, 1994 ; J. GONZÁLEZ ECHEGARAY, M. C. VIVANCOS,
A. INIESTA, J. YARZA LUACES, Comentarios al Apocalipsis Beato de Liébana (Madrid, Bib. Nac.
Vit. 14-2), Barcelona, 1995.
41
Londres, British Library, Add. Ms. 11695, 280 fol. (378 x 235 mm.), fol. 39v-40r.
42
Gerona, Museu de la Catedral, Num. Inv. 7 (11), 284 fol. (400 x 260 mm), fol. 54v-55r.
43
Comentario al Apocalipsis, t. I : Beati in apocalipsin libri duodecim, Codex Gerundensis, ed. facs.
del Códice de Gerona, t. II : Estudios en torno a la obra de Beato de Liébana y en especial del Códice
de Gerona, Madrid, Edilan, 1975.
44
À la fin du manuscrit, fut ajouté plus tard, peut-être au IXe siècle, le commentaire par
Jérôme du livre de Daniel, ainsi que onze scènes l’illustrant. Contrairement à l’opinion de
W. Neuss, ces illustrations n’étaient donc pas originelles (avant d’être perdues dans la
branche I) : cf. J. WILLIAMS, The illustrated Beatus…, t. I : Introduction, p. 55-61.
119
le Christ dans les nuées (Ap I, 7-9) et son ordre d’écrire le livre (Ap
I, 10-20). En forme de prolégomènes à l’étude du chapitre II de l’Apo-
calypse, ce prologue présente l’Église et son contraire, la Synagogue45.
Cette carte illustre la première partie du prologue, consacrée à l’Église
en tant que rassemblement des chrétiens, depuis le Christ jusqu’au
simple fidèle ; elle figure en l’occurrence après le passage sur les apô-
tres. Etait-elle pour autant, comme on l’affirme habituellement, une
carte de la Dispersion apostolique ?
45
Beatus de Liébana, In Apocalypsin B. Joannis apostoli commentaria, lib. II, Prol., dans Obras
completas de Beato de Liébana, éd. et trad. J. GONZÁLEZ ECHEGARAY, A. DEL CAMPO, L.
G. FREEMAN, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1995 (BAC Maior, 47), p. 33-663,
p. 122-180.
46
K. MILLER, Mappaemundi…, t. I, p. 34-36 ; G. MENÉNDEZ PIDAL, « Mozárabes y astu-
rianos... », p. 224-269 ; H. GARCÍA-ARÁEZ, « Los mapamundis de los Beatos. Origen y
características principales », Miscelánea medieval murciana, 18 (1993), p. 49-76, p. 66-67.
47
Vatican, Bibl. Apost., ms Vat. Lat. 6018, f. 63v-64.
48
E. Edson, « The oldest world maps : classical sources of three eighth-century mappae-
mundi », Exploration and Colonization in the Ancient World, 24-2 (1993), p. 169-184, p. 177-
178.
49
Bibliothèque d’Albi, ms. 12. Cité par H. GARCÍA-ARÁEZ, « Los mapamundis de los
Beatos. Origen y características principales »…, p. 55-57. L’archétype ne devait pas contenir
120
de cartes : peu de manuscrits d’Orose sont avec carte, surtout durant le haut Moyen Âge,
et aucun de ceux-ci n’est hispanique.
50
Beatus de Liébana, In Apocalypsin B. Joannis apostoli commentaria, lib. II, Prol., c. 3, p. 136 :
Et quod facilius hanc seminis grana per agrum hujus mundi, quem profetae laboraberunt, et hii metent,
subjectae formulae pictura demonstrat.
51
Plus généralement, toute reconstruction de l’archétype – à supposer qu’il ait disposé de
toutes les miniatures – ne peut être que conjoncturelle pour trois raisons : le décalage
chronologique entre la réalisation du commentaire (ca 786) et le premier manuscrit
conservé (ca 940-945) ; la rareté des miniatures antérieures à Beatus bien datées et localisées
(J. WILLIAMS, The illustrated Beatus…, t. I : Introduction, p. 31 sq ; id., « Isidore, Orosius and
121
the Beatus Map », Imago mundi. The International Journal for the History of Cartography, 49
(1997), p. 7-32, p. 26-28) ; et le faible pourcentage de toponymes – 15,8 %, soit 43 noms –
communs à toutes les cartes (H. GARCÍA-ARÁEZ, « Los mapamundis de los Beatos (2a
parte). Nomenclator y conclusiones », p. 124-126). Peter Klein estimait même que l’élabo-
ration du manuscrit tel qu’il est connu, fut progressive : Der ältere Beatus-Kodex Vitr. 14-2…,
p. 176 sqq).
52
N. LOZOVSKY, The Earth is Our Book : Geographical Knowledge in the Latin West ca. 400-1000,
Ann Arbor, University of Michigan Press, 2000.
53
Selon Hermenegildo García-Aráez (« Los mapamundis de los Beatos (2a parte). Nomen-
clator y conclusiones », p. 97-128), 46,9 % des 96 toponymes sont repris à Orose et à Isidore,
30,8 % à la Bible, et 5,5 % à d’autres auteurs de l’Antiquité. Le pourcentage des toponymes
médiévaux (10,6 %) est en fait nul, puisque seize noms ne figurent pas dans les cartes ici
étudiées (l’Anglia, l’Asia major, la Phrysia, la Balearicum mare et la mare Grecia, les villes de
Catania et d’Eddemon, le fleuve Garonna, Romania, l’église de Saint-Sever, la Saxconia, la
Septimania, Sevilla, Styria, Toletum/Tolède, Vienna), et les cinq autres sont attestés durant
l’Antiquité (Aquileia/Aquilée, Beneventum/Bénévent, Calcedonia/Chalcédoine, la Gallecia et
son faro, Tolosa/Toulouse). 6,2 % demeurent non identifiés.
122
54
Isidore de Séville, Étymologies, XIV, 3, 15, éd. et trad. W.M. LINDSAY, J. OROZ RETA,
M.A. MARCOS CASQUERO, Etimologías, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1993
(BAC, 433-434)², t. II, p. 170 : Arabia appellata, id est sacra (…) In cujus saltibus et myrrha et
cinnamum provenit (…) Ipsa est et Saba, appellata a filio Chus, qui nuncupatus est Saba.
55
Ibid., XIV, 5, 14-15, p. 188-190 : Aethiopia dicta a colore populorum (…) cujus situs ab occiduo
Athlantis montis ad orientem usque in Aegypti fines porrigitur, a meridie Oceano, a septentrione Nilo
flumine clauditur; plurimas habens gentes, diverso vultu et monstruosa specie horribiles. Ferarum
quoque et serpentium referta est multitudine. Illic quippe rhinoceros bestia et camelopardus, basiliscus,
dracones ingentes, ex quorum cerebro gemmae extrahuntur. Jacynthus quoque et chrysoprasus ibi repe-
riuntur ; cinnamomum ibi colligitur.
56
Ezipia ubi sunt gentes diverso vultu hec monstruosas a specie orribilis. Pretensa est usque ad fines
Aegypti. Ferarum quoque et serpentium referta est multitudo ; ibi germine praetiose, cinnamum et
balsamum.
123
57
Isidore de Séville, Etymologies, XIV, 5, 17, t. II, p. 190 : Extra tres autem partes orbis, quarta
pars trans oceanum interior est, que solis ardore incognita nobis est. Cujus finibus antipodas fabulose
inhabitare produntur. Cette représentation apparaît pour la première fois dans la carte d’un
manuscrit provençal du VIIIe siècle, avec la légende : insola incognita [ard]ori solis iiii pars
mundi (J. WILLIAMS corrige à juste titre une autre lecture proposée, qui restituait abusive-
ment partes : « Isidore, Orosius and the Beatus Map », p. 17).
58
P. ARNAUD, « Plurima orbis imago… », p. 42 ; H. GARCÍA-ARÁEZ, « Los mapamundis de
los Beatos. Origen y características principales », p. 54.
59
Orose, I, c. 2, Histoires contre les païens, PL, t. XXXI, col. 680 : Hunc aliqui auctores ferunt,
haud procul ab Atlante habere fontem, et continuo arenis mergi : inde interjecto brevi spatio, vastissimo
lacu exundare, atque hinc Oceano tenus, orientem versus per Aethiopica deserta prolabi, rursusque
inflexum ad sinistram, ad Aegyptum descendere.
60
Isidore de Séville, Étymologies, XIV, 3, 37, p. 174 : ab aquilone mare mare Cimmericum et
Themiscyrios campos, quos habuere Amazones.
124
125
car elle est le pendant de l’image du paradis ; en outre, les autres lieux
saints de Palestine ne sont absolument pas mis en valeur. Serait-ce
alors la Jérusalem céleste, qui doit descendre du ciel après le Juge-
ment dernier, « la cité sainte, la nouvelle Jérusalem », le « tabernacle
de Dieu avec les hommes » (Ap 21) ? Encore une fois, stricto sensu non :
celle-ci est représentée à la fin des manuscrits, accompagnée de
l’agneau et dotée de douze portes ouvertes sur les « quatre parties du
monde ».
En fait, Jérusalem symbolise la Cité de Dieu, l’Église à la fois ter-
restre et céleste décrite par Beatus dans son prologue : cette Église
des saints en cours de constitution, « l’Église qui embrasse le Christ,
les anges, les patriarches, les prophètes, les apôtres, les martyrs, les
clercs, les moines, les fidèles et les religieux ». Mais pourquoi cette
carte est-elle indiquée à la fin du paragraphe consacré aux apôtres, et
non pas à la fin de la première partie du prologue ? Vraisemblable-
ment parce que « l’Église commença depuis le lieu où vint l’Esprit
Saint, et il remplit ceux demeurant dans ce même lieu »67 ; de sorte
que les apôtres forment la « première église apostolique », « l’Église
étendue à travers toute la terre » : « C’est une semence sainte et élue,
un sacerdoce royal semé à travers tout le monde. Ils furent peu nom-
breux, mais choisis. Et de ces quelques graines se leva un grand
champ »68.
En somme, le paradis terrestre et Jérusalem représentent deux
temps : le temps du péché et celui de la grâce, le péché originel et
l’Église des saints ; car si la Cité de Dieu appartient à l’éternité, elle
se réalise dans le temps. Cette carte, qui ne montre pas le déroulement
événementiel de l’histoire, n’est pourtant pas a-temporelle : elle figure
une théologie de l’Histoire d’inspiration augustinienne, qui repose
sur une conception communautaire et eschatologique de l’Église et
67
Beatus de Liébana, In Apocalypsin B. Joannis apostoli commentaria, lib. II, Prol., c. 1, p. 122 :
Inchoavit autem Ecclesia a loco ubi venit de caelo Spiritus Sanctus, et implevit uno loco sedentes. Pro
peregrinatione autem praesentis saeculi Ecclesia Sion dicitur, eo quod ab hujus peregrinationis longi-
tudine posita promissionem rerum caelestium speculetur : et idcirco Sion, id est, speculatio, nomen
accepit. Pro futura vero patriae pace Jerusalem vocatur. Nam Jerusalem pacis visio interpretatur. Ibi
enim absorta, id est, devorata omni adversitate, pacis, quae est Christus, praesentiae possidebit obtutum.
Continet autem Ecclesia hos : Christum, angelos, patriarchas, prophetas, apostolos, martyres, clericos,
monachos, fideles et religiosos.
68
Ibid., c. 3, p. 136 : Hi sunt duodecim portae caelestis Jerusalem, per quas ad vitam beatam ingre-
dimur. Hi sunt prima apostolica Ecclesia, quam credimus firmissime supra Christum petram fundatam.
Hi sunt duodecim throni judicantes duodecim tribus Israel. Haec est Ecclesia per universum orbem
terrarum dilata. Hoc est semen sanctum et electum, regale sacerdotium per universum mundum semi-
natum. Rari fuerunt, sed electi. Et de his parvis granis multa seges surrexit.
126
Comme nous espérons l’avoir prouvé, cette carte doit être consi-
dérée pour ce qu’elle est : une mappemonde produite à Sahagún en
1086. Or, à la différence des cartes du type Miller B, cette mapa figure
le paradis terrestre par un rectangle comprenant les quatre fleuves
bibliques : ce n’est plus un événement qui est représenté, mais un
territoire, vide d’hommes. En outre, la ville fortifiée de Jérusalem a
disparu, remplacée par le buste de saint Jacques. Simultanément, à
cette dépersonnalisation et territorialisation du paradis correspond
un investissement de la création par les douze apôtres, représentés
sous forme de bustes-reliquaires à l’endroit de leurs lieux de sépul-
ture, dans leur région d’évangélisation : Thomas (Inde), Jean (Asie,
près du Tigre), Mathieu (Macédoine), Jacques le Majeur (Jérusalem),
Simon le Zélote (Égypte), Bartholomé (Licanie), Mathias (Palestine),
André (Achaïe), Philippe (Gaule), Pierre et Paul (Rome), et, naturel-
lement, le fameux Sanctus Jacobus apostolus (Galice). De la sorte, cette
carte montre la dispersion apostolique, une « géographie de l’évan-
gélisation » qui se double d’une « géographie des reliques » comme
l’a bien vu Serafín Moralejo69 : les têtes nimbées, avec parfois le début
des épaules, se trouvent sur des socles, des rectangles décorés rappe-
lant les reliquaires, qui christianisent l’espace à partir de « pôles de
référence »70.
Le quatrième continent lui-même se peuple de Sciapodes. Pour-
tant, le commentaire d’inspiration isidorienne71 qui l’accompagne
commence en précisant que « cette région nous est inconnue et
demeure inhabitée en raison de l’ardeur du soleil » : Hec regio ab ardore
solis incognita nobis et inabitabilis manet. Puis, il décrit ces monstres dotés
d’une seule jambe, dont ils se servent admirablement puisqu’ils se
déplacent très vite et qu’en été, allongés par terre, ils se mettent à
69
S. MORALEJO ÁLVAREZ, « El mundo y el tiempo en el mapa del Beato de Osma », El
Beato de Osma, t. II, p. 151-179, p. 159-160.
70
P. HENRIET, « L’espace et le temps hispaniques… », p. 106-108.
71
Isidore de Séville, Étymologies, XIV, 5, 17, t. II, p. 190 : Extra tres autem partes orbis, quarta
pars trans oceanum interior est, que solis ardore incognita nobis est.
127
72
Ibid., XI, 3, 23, t. II, p. 50 : Sciopodum gens fertur in Aethiopia singulis cruribus et celeritate
mirabili. Quos inde σχιόποδαζ Graeci vocant, eo quod per aestum in terra resupini jacentes pedum
suorum magnitudine adumbrentur.
73
S. MORALEJO ÁLVAREZ, « Las islas del sol : sobre el mapamundi del Beato del Burgo
de Osma (1086) », A imagem do mundo na Idade Média, Actas do Colóquio internacional, 1989,
H. GODINHO dir., Lisbonne, Ministério da Educação, 1992, p. 41-64, p. 46 ; id., « El mundo
y el tiempo... », p. 158.
74
H. GARCÍA-ARÁEZ, « Los mapamundis de los Beatos (2a parte). Nomenclator y conclu-
siones », p. 124-126.
75
Serafín Moralejo remarque que nombre d’îles ont un nom associé par Isidore au soleil,
tandis que leur nombre, vingt-quatre, évoquerait les heures de la journée, avant de les
associer aux apôtres. Mais, comme lui-même le reconnaît, ces associations demeurent impli-
cites et hypothétiques : « Las islas del sol… », p. 50-57.
76
Sur le sujet, voir : A. BALIL, « El codice de Beato de Liébana en Burgo de Osma : notas
sobre su mapa y las representaciones de faros en el mismo », Celtiberia, 28 (1978), p. 7-12.
77
Sur cette prétention, je me permets de renvoyer à mon article : « Saint Jacques refusé
en Catalogne : la lettre de l’abbé Césaire de Montserrat au pape Jean XIII ([970]) », dans
Guerre, pouvoirs et idéologies dans la Péninsule ibérique aux alentours de l’an mil. Colloque interna-
tional du CESCM, Poitiers-Angoulême, 2002, T. DESWARTE, Ph. SÉNAC dir., Turnhout, Bre-
pols, 2005 (Culture et société médiévales), p. 143-161.
128
129
CONCLUSION
XIe siècle. En effet, parmi les 120 noms de lieux, de nombreux toponymes sont médiévaux :
cinquante lieux, dix rivières et six provinces concernent une vaste Gascogne, dominée par
le monastère de Saint-Sever. Quant au style iconographique, il rappelle celui de la table de
Peutinger, réalisée vers 1200.
83
Voir en dernier lieu : A.-D.VON DEN BRINCKEN, « Weltbild der lateinischen Univer-
salhistoriker und Kartographen », Popoli e paesi nella cultura altomedievale, Settimane 29-1,
1981, Spolète, 1983, t. I, p. 377-408.
84
J. M. GARCÍA IGLESIAS, « El mapa de los Beatos en la pintura mural románica de San
Pedro de Rocas (Orense) », Archivos Leoneses, 35 (1981), p. 73-87.
130
85
Voir en dernier lieu : S. MORALEJO ÁLVAREZ, « El mapa de la diáspora apostólica en
San Pedro de Rocas : notas para su interpretación y filiación en la tradición cartográfica de
los ‘Beatos’ », Compostellanum, 31 (1986), p. 315-340.
86
M. KUPFER, « Medieval world maps… », p. 267-268.
87
J. FREIRE CAMANIEL, El monacato gallego en la alta edad media, t. II, La Corogne, 1998,
p. 880-882.
88
S. MORALEJO ÁLVAREZ, « El mapa de la diáspora apostólica... », p. 331-332.
89
P. HENRIET, « L’espace et le temps hispaniques… », p. 107.
131
CONSIDÉRATIONS INTEMPESTIVES
SUR L’OBJET « ESPACE MEDIEVAL »
ET SUR SA CONSTRUCTIOn
L’un des thèmes de cette table ronde est la question des rapports
entre les représentations géographiques et cartographiques et la
nature de l’espace construit et pratiqué. De judicieuses remarques de
Stéphane Boissellier signalent les apories des affirmations d’ordre
général récemment apparues dans la vulgate historiographique –
comme cela arrive à chaque fois que changent les paradigmes aux-
quels, de façon plus ou moins consciente, un groupe de savants obéit
dans sa pratique intellectuelle. L’intervention de Nathalie Bouloux,
quant à elle, expose de façon détaillée l’apport des textes de géogra-
phie descriptive et des représentations cartographiques. Mais les pro-
blèmes qui sont en jeu nécessiteraient un livre – d’ailleurs fort malaisé
à écrire, tant sont diverses les données à analyser, tant nombreuses les
idées générales à examiner et tant répandues les erreurs factuelles. Je
me bornerai ici à quelques réflexions sur les présupposés de la notion
d’« espace médiéval », qu’elle soit mise en rapport avec la perception
ou à la représentation.
Depuis qu’il y a des historiens et qui pensent, l’espace médiéval a
toujours été construit par opposition à l’espace contemporain. Cela
est vrai de l’idéologie progressiste des Lumières et du XIXe siècle, qui
a répandu et naturalisé pour longtemps l’idée du caractère rétrograde
des opinions médiévales, par comparaison avec les constructions
scientifiques de l’Antiquité ou de l’époque moderne marquées par la
rationalité, à quelque degré qu’elle s’y incarne. Un certain nombre
133
1
Deux exemples : A. GOUREVITCH, Kategorii srednevekovoï kultyry, Moscou, 1972 (trad.
française Les catégories de la culture médiévale, Paris, 1983) ; et P. ZUMTHOR, La mesure du
monde, Paris, 1993.
134
Au Moyen Âge, la cartographie repose sur la carte dite « TO » ou « T dans
l’eau » qui insère le monde connu (3 continents) dans un océan circulaire.
Ce sont des cartes philosophiques et religieuses avec des éléments bibli-
ques : représentation du paradis terrestre avec la tentation d’Ève avec le
serpent en haut de la carte, le point central de la carte est Jérusalem. Pas
2
On trouve un compendium enthousiaste de ces opinions dans A. W. CROSBY, The
measure of reality : quantification and western society, 1250-1600, Cambridge, 1997 ; trad. fran-
çaise La mesure de la réalité : la quantification dans la société occidentale (1250-1600), Paris, 2002.
Voir la critique définitive de J.-M. MANDOSIO, « La mesure de la réalité, ou la Grande
Transformation racontée aux golden boys », dans D’or et de sable. Interventions éparses sur la
critique sociale et l’interprétation de l’histoire, agrémentées d’observations sur l’art de lire et sur d’autres
matières, tant curieuses qu’utiles, Paris, 2008, p. 107-141.
3
K. MARX, Grundrisse, V, 20 (trad. sous la direction de J.-P. Lefebvre, Karl Marx, Grun-
drisse. Deuxième partie, Paris, 1980, p. 15) ; voir D. HARVEY, Spaces of capital : towards a critical
geography, New York, 2001 (traduction française partielle : Géographie de la domination, Paris,
2008).
135
136
137
8
P. ZUMTHOR, La mesure du monde. Représentation de l’espace au Moyen Age, Paris, 1993, p. 51 ;
et récemment J.-P. DEVROEY, M. LAUWERS, « L’« espace » des historiens médiévistes :
quelques remarques en guise de conclusion », Constructions de l’espace au Moyen Âge : pratiques
et représentations. XXXVIIe Congrès de la SHMES (Mulhouse, 2-4 juin 2006), Paris, 2007, p. 435,
n. 2 ; J.-C. SCHMITT, « ‘De l’espace aux lieux’ : les images médiévales », ibid., p. 317 et 320,
n. 7.
138
9
« Essaie-t-on d’atteindre les cadres propres de la pensée, on ne ressaisit que les catégories
de la langue » (Problèmes de linguistique générale, Paris, 1966, p. 73).
10
A. ROGER, Bréviaire de la bêtise, Paris, 2008, p. 113-114.
11
La littérature philosophique sur la notion d’espace au Moyen Âge est abondante. Pour
une présentation générale argumentée des théories du lieu et de l’espace au Moyen Âge,
voir E. S. CASEY, The fate of place. A philosophical history, Berkeley-Los-Angeles, 1997, notam-
ment le chapitre 5, p. 103-129, qui évoque « the increasing obsession with the infinite space
from the thirteenth century onward ». La complexité de ces questions ressort avec évidence
de la lecture des textes rassemblés et analysés par P. DUHEM, Le système du monde (notam-
ment les tomes VII et X) et, plus récemment, de l’ouvrage d’E. GRANT, Much ado about
nothing. Theories of space and vacuum from the Middle Ages to the scientific revolution, Cambridge,
1981.
139
12
De multiplicatione specierum, IV, 2, éd. D. C. LINDBERG, Roger Bacon’s philosophy of nature,
Oxford, 1983, p. 218.
13
A. KOYRÉ, « Le vide et l’espace infini au XIVe siècle », Archives d’histoire littéraire et doctrinale
du Moyen Age, 24 (1949), p. 82.
14
« Même si les condamnations de 1277 ne représentent pas au sens propre la naissance
de la science moderne, elles préparèrent certainement la voie à une science s’occupant de
l’infinité réelle de l’espace physique, en promouvant de pures possibilités projetées par une
imagination théologique informée en matière cosmologique. » (E. S. CASEY, op. cit.,
p. 111).
15
E. GRANT, op. cit., p. xii.
140
16
Voir les commentaires Visions cartographiques (dans l’objet nommé « blog » en novlangue)
de Ph. Rekacewicz (http://blog.mondediplo.net).
17
L’hypothèse d’Oxford : essai sur les origines de la perspective, Paris, 1998, contre notamment
S. Y. EDGERTON, The Renaissance discovery of linear perspective, New York, 1975 et The heritage
of Giotto’s geometry. Art and science on the eve of the scientific revolution, Ithaca-Londres, 1991. Il
n’est pas besoin de préciser que j’évoque ici les débuts de la perspective, non les réflexions
théoriques de la fin du Quattrocento et du Cinquecento.
141
18
G. FEDERICI VESCOVINI, « La prospettiva del Brunelleschi, Alhazen e Biagio Pelacani
a Firenze », dans « Arti » e filosofia nel secolo XIV. Studi sulla tradizione aristotelica e i « moderni »,
Florence, 1983, p. 141-168.
19
Voir F. BALIBAR, Galilée, Newton lus par Einstein. Espace et relativité, Paris, 1984, p. 67.
20
Voir l’excellente synthèse de M. JAMMER, Concepts of space. The history of theories of space
in physics, Cambridge (Mass.), 1954.
142
143
21
J’excepte, bien entendu, les prestiges et les amusants phébus d’A. DUPRONT, « Espace
et humanisme », Bibliothèque d’humanisme et de Renaissance, 8 (1946), p. 7-104, caractérisés
par une notable quantité d’importance nulle. La valeureuse monographie de D. Harrison
repose, pour ce qui est de la tentative de relier pratiques sociales locales de l’espace étudiées
dans le détail le plus ennuyeux et représentations géographiques considérées de manière
très générale et de seconde main, sur des présupposés épistémologiques datant des années
1960 (Medieval space. The extent of microspatial knowledge in western Europe during the Middle Ages,
Lund, 1996 ; compte rendu dans Cahiers de civilisation médiévale, 44 (2001), p. 384 sq.).
Synthèse subtile mais en survol, fondée sur le jeu des rapports évolutifs de trois catégories
d’espace (de la vie quotidienne ; des communications régulières ; du monde) par H.
KLEINSCHMIDT, « Beyond physics, philosophy, psychology and politics. The conceptual
history of space in medieval and early modern Europe », Orbis terrarum, 4 (1998), p. 159-183.
L’ouvrage de Franco Moretti, consacré à une époque et à un objet différents, est fort stimu-
lant pour le médiéviste (Atlas du roman européen, 1800-1900, Paris, 2000)
22
Prodiges et vertiges de l’analogie, Paris, 1999.
144
Éric PALAZZO
1
Voir par exemple, A. GUERREAU, « Structure et évolution des représentations de l’es-
pace dans le haut Moyen Âge occidental », Uomo e spazio nell’Alto Medioevo, Spoleto, Centro
italiano di studi sull’Alto Medioevo, 2003 (Settimane di studio del ‘Centro italiano di studi
sull’alto medioevo’, L), t. I, p. 91-115.
2
S. BOISSELLIER, « Introduction à un programme de recherches : essai de réflexion glo-
bale et éléments d’analyse », dans ce volume…
3
Voir par exemple, Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires. Approches terminologiques, méthodo-
logiques, historiques et monographiques, A. VAUCHEZ éd., Rome, École française de Rome,
2000 et Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident. Études comparées, M.
KAPLAN dir., Paris, Publications de la Sorbonne, 2001 (Byzantina Sorbonensia 18).
145
4
Pour une approche sociologique de l’espace cf. E. HALL, La dimension cachée, Paris, 1971.
Pour une approche socio-poétique, je renvoie à l’ouvrage classique de G. BACHELARD, La
poétique de l’espace, Paris, 1957.
5
Sur cette question, je me permets de renvoyer à ma synthèse dans Liturgie et société au
Moyen Âge, Paris, 2000, p. 124-149.
6
P. ZUMTHOR, La mesure du monde, Paris, 1993.
7
É. PALAZZO, L’espace rituel et le sacré dans le christianisme. La liturgie de l’autel portatif dans
l’Antiquité et au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2008 (Culture et société médiévales / CESCM,
15).
8
É. PALAZZO, « Réforme liturgique, spatialisation du sacré et autels portatifs. Aux origi-
nes de la liturgie itinérante des ordres mendiants », Liturgiereformen. Historische Studien zu
einem bleibenden Grundzug des christlichen Gottesdienst, Bd. I, Münster, 2002 (Liturgiewissen-
schaftliche Quellen und Forschungen, 88), p. 363-377 ; « Les mots de l’autel portatif. Contri-
bution à la connaissance du latin liturgique au Moyen Âge », Les historiens et le latin médiéval,
Paris, 2001, p. 247-258 ; « L’histoire des autels portatifs de Jean-Baptiste Gattico (1704-
1754) », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 34 (2003), p. 141-146 ; « L’autel de Saint-Guil-
hem-le-Désert et l’iconographie des autels portatifs du haut Moyen Âge », Saint-Guilhem-le-
Désert. Le contexte de la fondation. L’autel médiéval de Saint-Guilhem, Aniane, 2004, p. 115-123 ;
« L’espace et le sacré dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge. Les autels portatifs », Cristianità
d’Occidente e cristianità d’Oriente (secoli VI-XI), LII settimana di studio del Centro italiano di studi
sull’alto medioevo (Spoleto 2003), Spoleto, 2004, p. 1117-1160 ; « Exégèse et liturgie dans le
haut Moyen Âge. L’exemple des autels portatifs », Actes du colloque de Wolfenbüttel, sous presse.
De façon plus traditionnnelle, voir l’approche proposée par T. GREGORY, « Lo spazio come
geografia del sacro nell’occidente altomedievale », Uomo e spazio… , p. 27-68.
146
9
Voir en dernier lieu, J. Le GOFF « Centre/périphérie », Dictionnaire raisonné de l’Occident
médiéval, Paris, 1999, p. 149-165.
147
Vous voici tous réunis, mes chers frères, afin que nous puissions consacrer
cette maison à Dieu (…). Mais nous ne pouvons le faire que si nous nous
appliquons à devenir nous-mêmes un temple de Dieu, et nous employons
à correspondre au rituel que nous cultivons en notre âme en sorte que, à
l’instar des murs décorés de cette église, des bougies allumées, des voix
qui s’élèvent dans la litanie et dans la prière, des lectures et des chants,
nous puissions mieux rendre grâce à Dieu : c’est pourquoi nous devrions
toujours décorer les recoins secrets de notre âme des ornements essentiels
des bonnes œuvres, toujours laisser croître côte à côte la flamme de la
charité divine et celle de la charité fraternelle, toujours laisser résonner à
l’intérieur de notre cœur et la douceur sainte des préceptes divins et la
gloire de l’Évangile. Ce sont là les fruits de l’arbre prospère, là le trésor
d’un cœur bon, là les fondations d’un sage architecte, que notre lecture
de l’Évangile sainte à recommandés à notre âme aujourd’hui13.
10
Cf. P.-M. GY, « La géographie des tropes dans la géographie liturgique du Moyen Âge
carolingien et postcarolingien », La tradizione dei tropi liturgici, Spoleto, 1990, p. 13-24 et,
dans le même volume, M. HUGLO, « Centres de composition des tropes et cercles de dif-
fusion », p. 139-144.
11
J’ai abordé ces questions dans de nombreuses publications, dont L’évêque et son image.
L’illustration du pontifical au Moyen Âge, Turnhout, 1999.
12
A. DIMIER, « Le mot locus employé dans le sens de monastère », Revue Mabillon, 58
(1972), p. 133-154.
13
Traduction française extraite du livre M. CARRUTHERS, Machina memorialis. Méditation,
rhétorique et fabrication des images au Moyen Âge, Paris, 2002, p. 342 (texte latin dans PL., 110,
col. 73-74).
148
14
Cf. É. PALAZZO, « Raban Maur et sa conception de la liturgie », Actes du colloque « Raban
Maur », Lille-Amiens, juillet 2006, à paraître.
149
150
15
C. TREFFORT, « Mémoires de chœurs. Monuments funéraires, inscriptions mémorielles
et cérémonies commémoratives à l’époque romane », Cinquante années d’études médiévales.
À la confluence de nos disciplines, Actes du colloque organisé à l’occasion du cinquantenaire du
CESCM (Poitiers, septembre 2003), Turnhout, 2005, p. 219-232 et « Inscrire son nom dans
l’espace liturgique à l’époque romane », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 34 (2003),
p. 147-160.
151
16
ARDON, Vie de Benoît d’Aniane, texte traduit par F. BAUMES, Abbaye de Bellefontaine,
2001, p. 70-71.
17
M. DURLIAT « L’architecture du XIe siècle à Saint-Michel de Cuxa », Études d’art médié-
val offertes à Louis Grodecki, Paris, 1982, p. 49-62.
152
que l’on promenait dans l’église lors des principales fêtes de l’année
liturgique. Selon Alain Guerreau, cet ensemble impressionnant de
reliques constitue une sorte de géographie du sacré. En un seul
espace, l’église de Cluny, tous les hauts lieux de la chrétienté sont
représentés par l’intermédiaire des reliques : la Palestine, Rome,
Saint-Jacques de Compostelle, les cités majeures de la Gaule. Dans ce
cas, selon la démonstration convaincante d’Alain Guerreau, l’espace
liturgique « concret », destiné à la célébration des différents rituels
de l’abbaye de Cluny, se double d’une dimension spatiale de nature
à la fois ecclésiologique et politique (ou symbolique)18.
18
A. GUERREAU, « Espace social, espace symbolique : à Cluny au XIe siècle », L’ogre histo-
rien. Autour de Jacques Le Goff, Paris, 1998, p. 171-177.
19
P. NAUTIN, « Le rite du fermentum dans les église suburbaines de Rome », Ephemerides
Liturgicae, 96 (1986), p. 510-522 et V. SAXER, « L’utilisation par la liturgie de l’espace urbain
et suburbain : l’exemple de Rome dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge », Actes du XIe
congrès international d’archéologie chrétienne (Lyon-Vienne-Grenoble-Genève-Aoste, septembre 1986),
Rome, 1989 (Collection de l’École française de Rome, 123 – Studi di antichita cristiana,
41), p. 917-1031, sp. p. 924-930.
153
Quant au fermentum que nous envoyons le dimanche dans les divers titres,
il est superflu pour toi de nous consulter à ce sujet ; chez nous, en effet,
les églises sont toutes établies à l’intérieur des murs de la cité. Leurs prê-
tres qui, ce jours-là, à cause du peuple qui leur est confié, ne peuvent pas
célébrer avec nous, reçoivent donc par les acolytes le fermentum confec-
tionné par nous, afin qu’ils ne se sentent pas, surtout ce jour-là, séparés
de notre communion. Mais cela, je ne pense pas qu’il faille le faire dans
les parties rurales des diocèses, parce que les sacrements ne doivent pas
être portés au loin. Nous-mêmes, nous ne les envoyons pas aux prêtres
établis dans les divers cimetières ; ces prêtres ont le droit et la permission
de les confectionner eux-mêmes20.
20
La lettre du pape Innocent Ier à Décentius de Gubbio (19 mars 416), texte critique, traduction
et commentaire par R. CABIÉ, Louvain, 1973 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclé-
siastique, 58), p. 27-29.
154
21
M. BUR, « A propos de la chronique de Mouzon. Architecture et liturgie à Reims au
temps d’Adalbéron (vers 976) », Cahiers de civilisation médiévale, 27 (1984), p. 297-302.
155
22
É. PALAZZO, « Exégèse, liturgie et politique dans l’iconographie du cloître de Saint-
Aubin d’Angers », dans Der mittelalterlichen Kreuzgant. Architektur, Funktion, Programm, Regens-
burg, 2004, p. 220-240.
156
23
É. PALAZZO, « Le calendrier liturgique et l’espace monastique au Moyen Âge : l’Horo-
logium stellare monasticum (XIe siècle) », dans Les calendriers. Leurs enjeux dans l’espace et le temps,
Colloque de Cerisy, juillet 2000, Paris, 2002, p. 37-43.
157
24
C. PETERSEN, Ritual und Theater. Messalegorese, Osterfeier und Osterspiel im Mittelalter,
Tübingen, 2004.
158
159
25
Voir les volumes d’édition des Capitula episcoporum par P. BROMMER dans la série des
MGH.
26
D. BULLOUGH, « The Carolingian Liturgical Experience », dans Continuity and Change
in Christian Worship, Woodbridge, Boydell Press, 1999 (Studies in Church History, 35),
p. 29-64.
27
C.TREFFORT, L’Église carolingienne et la mort. Christianisme, rites funéraires et pratiques com-
mémoratives, Lyon, 1996.
28
M. LAUWERS, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval,
Paris, 2005.
160
29
D. IOGNA-PRAT, « Lieu de culte et exégèse liturgique à l’époque carolingienne », dans
The Study of the Bible in the Carolingian Era, Turnhout, 2003, p. 215-244.
161
30
M. LAUWERS, Naissance du cimetière…, p. 32 et ss.
162
31
C. HECK, L’échelle céleste. Une histoire de la quête céleste, Paris, 1997.
32
S. JAPHET, « Some Biblical Concepts of Sacred Space », dans Sacred Space. Shrine, City,
Land, Londres, 1998, p. 55-72, sp. p. 68-69.
33
WALAFRID STRABON, Libellus de exordiis et incrementis quarundam in observationibus eccle-
siasticis rerum. A Translation and Liturgical Commentary by A. L. HARTING-CORREA,
Leiden-New York-Köln, 1996, p. 50-51.
34
M. LAUWERS, « De l’Église primitive aux lieux de culte. Autorité, lectures et usages du
passé de l’Église dans l’Occident médiéval (IXe-XIIIe siècle) », dans L’autorité du passé dans
les sociétés médiévales, Bruxelles-Rome, 2004 (Collection de l’École Française de Rome, 333),
p. 297-323, sp. p. 305-306.
163
35
Capitula episcoporum, P. BROMMER hrsg. Bd I, Hannover, 1984, p. 110-111.
164
Conclusion
36
Voir par exemple le bel article de L. SCUBLA, « Parcours fondateur et pèlerinage aux
sources. Note sur la construction mythico-rituelle de l’espace », Visio, 6 (2001), p. 11-24.
37
M.-D. CHENU, « Civilisation urbaine et théologie. L’École de Saint-Victor au XIIe siè-
cle », Annales ESC, 1974, p. 1253-1263.
165
John Tolan
167
1
M. C. DIAZ Y DIAZ, « La circulation des manuscrits dans la Péninsule Ibérique du VIlIe
au XIe siècle », Cahiers de Civilisation Médiévale, 12 (1969), p. 219-41 et 383-392, repris dans
M. C. DIAZ Y DIAZ, Vie chrétienne et culture dans l’Espagne du VIIe au Xe siècles, Aldershot,
1992.
2
K. BUSBY, Codex and Context : Reading Old French Verse Narrative in Manuscript, Amsterdam
et New York, Rodopi, 2002, surtout chapitre 6, « The Geography of the Codex », p. 485-
635.
168
169
3
J. FLORI, La première croisade: l’Occident chrétien contre l’Islam, Bruxelles, 1992. J. NELSON,
« The Franks, the Martyrology of Usuard, and the Martyrs of Cordoba », Studies in Church
History, 30 (1990), p. 67-80 ; voir J.TOLAN, « Reliques et païens : la naturalisation des mar-
tyrs de Cordoue à St. Germain (IXe siècle) », Aquitaine-Espagne (VIIIe-XIIIe siècles), Ph . SÉNAC
éd., Poitiers, Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale, 2001, p. 39-55.
170
4
P. ALVARUS, Vita Eulogi § 9, Corpus scriptorum muzarabicorum, éd. J. GIL, Madrid, Consejo
Superior de Investigaciones Científicas, 1973, p. 335-336. M. C. DIAZ Y DIAZ, « La circula-
tion des manuscrits... », p. 223.
5
EULOGE, Liber apologeticus martyrum, § 14-15, Corpus scriptorum muzarabicorum…, p. 483 ;
la biographie se trouve dans le § 16, CSM p. 483-486. Pour une analyse et une traduction
française de ce texte, voir D. MILLET-GÉRARD, Chrétiens mozarabes et culture islamique dans
l’Espagne des VIIIe-IXe siècles, Paris, Études Augustiniennes, 1984, p.125-137 (traduction 126-
127). M. C. DIAZ Y DIAZ, « La circulation des manuscrits… », p. 229, observe qu’Euloge a
pu prétendre avoir trouvé le texte en Navarre afin d’éviter d’incriminer des chrétiens habi-
tant plus près. Il semble que l’auteur de la biographie ait d’abord vécu dans les environs de
Séville au VIIIe ou au début du IXe siècle. Voir J. TOLAN, Les Sarrasins. L’Islam dans l’imagi-
nation européenne au Moyen Âge, Paris, Aubier, 2003 (Collection historique), p.141-143.
6
Voir Chroniques asturiennes (fin IXe siècle), éd. et trad. fr. Y. BONNAZ, Paris, CNRS, 1987,
p. LVI, 30-31, 106. M. C. DIAZ Y DIAZ, « La circulation des manuscrits… », p. 224. FLOREZ,
España sagrada, t. 10, p. 457, cite le passage suivant du Breviario antiguo d’Oviedo : Cum anno
Domini 883 vigesimum quartum post martyrium SS. Eulogii et Leocritiae, Magnis Adephonsus Oveti
Rex quemdam Presbyterum, Dulcidium nomine, Cordubam, ut coram Mahomat Cordubae Regem
nonnulla ad utriusque petinentia tractanda statum, dimitteret ; Presbyter Dulcidius cum esset in urbe,
quomodo ipsorum corpora Sanctorum Eulogii et Leocritiae Martyrum in suam pervenire potestatem
posset, curavit […] et dispositiis negotiis Dulcidius Adephonsum de sacris reliquiis certiorem fecit, qui
cum Hermengildo episcopo ovetensi, et clero, solemni processione ordinata, illis extra urbem Ovetum
obviam fuit. Quibus receptis, et in capsam cypressinam translatis, et in Capella S. Leocadiae sub arae
tabula conditis, Regis et Procerum devotio occupavit laetitiam. Quae translatio facta fuit die IX.
Januarii, quo sacra corpora pervenerunt Ovetum.
171
saints n’a pas joui d’un franc succès ; cette impression est confirmée
par la carence de dédicaces d’églises aux martyrs7.
Si le culte des martyrs de Cordoue ne prend pas en Espagne, qu’en
est-il de la polémique anti-musulmane d’Euloge et d’Alvare ? Dulci-
dius, qui avait apporté les textes d’Euloge (et peut-être bien ceux
d’Alvare aussi) à Oviedo joua, à côté d’autres ecclésiastiques mozara-
bes, un rôle crucial dans l’élaboration d’une nouvelle idéologie royale
pour les rois asturiens, consacrés successeurs des Goths et destinés à
chasser d’Espagne l’envahisseur sarrasin. Cette idéologie s’exprime
dans trois chroniques produites entre 883 et 890 : la Chronique prophé-
tique, la Chronique d’Albelda et la Chronique d’Alphonse III 8. La Chronique
prophétique reprend la petite Vie de Mahomet qu’Euloge avait mis dans
son Liber apologeticus martyrum ; dans ce nouveau contexte, le dénigre-
ment du prophète musulman sert à souligner le caractère illégitime
du pouvoir musulman de Cordoue face au roi asturien qui serait l’hé-
ritier des rois wisigoths d’autrefois. Par contre, ces chroniqueurs
mozarabes qui connaissaient sans aucun doute le mouvement des
martyrs de Cordoue n’en disent mot : les protagonistes de ce nouveau
drame sont les rois asturiens, et les martyrs ne sont apparemment
d’aucune utilité dans l’idéologie royale asturienne. Virtuellement, les
idéologues d’Oviedo auraient pu faire bon usage des martyrs (et des
écrits de leurs apologistes) afin de présenter les émirs cordouans en
persécuteurs des chrétiens ; mais au contraire, ils n’en soufflent mot 9.
Aucune chronique péninsulaire, à ma connaissance, ne mentionne
l’épisode des martyrs de Cordoue, épisode qui reste complètement
oublié jusqu’au XVIe siècle, tant dans la péninsule qu’au Nord des
Pyrénées (où je n’ai pas non plus trouvé la moindre mention de l’af-
faire). Jean Flori et Janet Nelson se sont complètement trompés donc
– et ils ne sont pas les seuls – en attribuant à l’histoire des martyrs de
Cordoue, et aux écrits d’Euloge et d’Alvare, une grande influence
dans le développement de la polémique antimusulmane en Europe,
comme nous le montre l’étude de la tradition manuscrite de leurs
7
Th. DESWARTE, De la destruction à la restauration : L’idéologie du royaume d’Oviedo-Léon
(VIIIe-XIe siècles), Turnhout, Brepols, 2003, p. 145-147.
8
Sur la composition et les dates de ces chroniques, voir l’introduction d’Y. Bonnaz aux
Chroniques asturiennes. K. B. WOLF, Conquerors and Chroniclers of early medieval Spain (Translated
texts of Historians), Liverpool, Liverpool University Press, 1999 (2e éd.), p. 46-60 ; P. LINE-
HAN, History and Historians of Medieval Spain, Oxford, Oxford University Press, 1993,
p. 95-127.
9
Voir J. TOLAN, Les Sarrasins…, p. 149-152.
172
10
Pour ce qui suit, je me base sur J. TOLAN, Petrus Alfonsi and his Medieval Readers, Gaines-
ville, University Press of Florida, 1993, chapitre 5.
11
B. SMALLEY, The Study of the Bible in the Middle Ages, Oxford, 1952.
173
nant que dans le manuscrit victorin des Dialogi, on trouve des notes
marginales du XIIe siècle à propos du vocabulaire hébreu et des tra-
ditions exégétiques juives.
Plusieurs éléments nous permettent de voir l’importance de Saint-
Victor comme point de diffusion de ce texte. D’abord, certains des
commentaires marginaux des manuscrits victorins sont recopiés
ensuite dans des manuscrits qu’on retrouve en Angleterre ou à Saint-
Germain des Prés dès le XIIe siècle. Ensuite, nombre de manuscrits
du XIIe siècle, en Angleterre et en France, comportent à côté des
Dialogi des œuvres des Victorins (surtout d’Hugues de Saint-Victor).
On sait que ce dernier auteur avait un grand succès auprès des Cister-
ciens, et il n’est donc pas surprenant que les Dialogi y réussissent aussi
– et de manière très précoce. Un manuscrit porte un colophon qui
dit que le manuscrit a été copié à Cîteaux pendant l’abbatiat d’Étienne
de Harding (1108-1134). On trouve trois manuscrits cisterciens des
Dialogi au XIIe siècle puis sept au XIIIe siècle. On sait que Pierre était
en Angleterre et en France autour de l’année 1120, et sa présence
pourrait expliquer le fait que c’est du Nord de la France et de l’An-
gleterre que se diffusent ses textes ; le seul manuscrit ibérique du XIIe
siècle vient du monastère cistercien d’Alcobaça (Portugal), où il arrive
accompagné d’un texte anti-juif anglais de Gilbert Crispin, ce qui
montre qu’il est arrivé, peut-être par le biais de cisterciens anglais,
comme un import du Nord. C’est plus tard, au XIIIe et XIVe siècle,
que les Dialogi se répandent ailleurs en Europe, notamment en Europe
centrale et occidentale mais aussi à un moindre degré en Péninsule
ibérique.
Pour le XIIe siècle, en somme, nous pouvons nous faire une idée
assez précise de la diffusion de ce texte polémique. On le trouve
d’abord dans le Nord de la France, dans des monastères bénédictins
et aussi à Saint-Victor de Paris, où il est lu, copié et cité. De Saint-Vic-
tor, il passe la Manche pour se diffuser en Angleterre ; c’est aussi
vraisemblablement de Saint-Victor qu’il arrive également à Cîteaux,
où il sera de nouveau recopié, comme l’attestent les dix manuscrits
cisterciens des XIIe et XIIIe siècles. À partir du XIIIe siècle, le texte
continue à être recopié et à se diffuser. Vincent de Beauvais insère
une version abrégée des Dialogi dans son Speculum historiale (vers
1250) ; ce texte encyclopédique connaît un succès majeur – il en existe
plus que 200 manuscrits. On peut supposer qu’à partir de la deuxième
moitié du XIIIe siècle, bien plus de lecteurs connurent les Dialogi par
l’abrégé de Vincent de Beauvais que par les manuscrits propres du
texte.
174
12
Voir J. TOLAN, Petrus Alfonsi…, chapitre 5 ; pour la traduction allemande partielle, voir
P. ALFONSI, « Gespräch mit dem Juden Moses, Blätter für Israels Gegenwart und Zukunft »,
Monatsschrift für Besprechung religiöser und socialer Zustände der Juden, 3 (janvier 1847),
p. 33-61.
175
Pour mieux comprendre les idées d’un auteur sur un sujet quel-
conque, que ce soit sur les Sarrasins, sur l’optique, ou sur le roi Arthur,
B. KEDAR, Crusade and Mission : European Approaches toward the Muslims, Princeton, Prin-
14
176
177
Jean-Claude Schmitt
179
1
K. POMIAN, Des saintes reliques à l’art moderne. Venise-Chicago, XIIIe – XXe siècle, Paris, Gal-
limard, 2004.
180
2
J.-C. KAHN, Les moines messagers. La religion, le pouvoir et la science saisis par les rouleaux des
morts, XIe-XIIe siècles, Paris, J-C. Lattès, 1987.
181
182
3
P. GEARY, Le vol des reliques au Moyen Âge, Paris, Aubier, 1990.
4
Je forge cette expression par analogie avec celle de « communauté textuelle » proposée
par B. STOCK, The Implications of Literacy. Written Language and Models of Interpretation in the
Eleventh and Twelfth century, Princeton, Princeton University Press, 1983.
5
New York, Pierpont Morgan Library, ms M 736, Miracula Sancti Edmundi (Angleterre,
Bury St. Edmund, vers 1130). Je me permets de renvoyer à mon article « ‘De l’espace aux
lieux’ : les images médiévales », Construction de l’espace au Moyen Âge. Pratiques et représentations,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2007.
183
6
H. RÖCKELEIN, Reliquientranslationen nach Sachsen im 9. Jahrhundert. Über Kommunikation,
Mobilität und Öffentlichkeit im Frühmittelalter, Stuttgart, Jan Thorbecke Verlag, 2002.
7
J.-C. SCHMITT, Le corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Âge, Paris, Galli-
mard, 2002.
8
D. IOGNA-PRAT, La Maison Dieu.Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris,
Seuil, 2006.
184
Patrick Henriet
1
Voir en particulier D. IOGNA-PRAT, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église
au Moyen Âge (v. 800-v. 1200), Paris, 2006, et déjà ID., Ordonner et exclure. Cluny et la société
chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam 1000-1150, Paris, Aubier, 1998, p. 161-185.
Présentation condensée des principales thèses de ce livre dans ID., « L’église, ‘maison de
consécration’ et bâtiment d’exception dans le paysage social », Mises en scène et mémoires de
la consécration de l’église dans l’Occident médiéval, D. MÉHU dir., Turnhout, Brepols, 2007
(Collection d’études médiévales de Nice, 7), p. 347-363, en particulier p. 354-362 pour la
« spatialisation du sacré ». Plusieurs travaux d’A. Guerreau ont joué un rôle pionnier per-
mettant de penser le rapport entre lieux et espace dans le monde chrétien médiéval ainsi
que la notion de polarisation. Voir en particulier A. GUERREAU, « Quelques caractères
spécifiques de l’espace social européen », L’État ou le roi. Les fondations de la modernité monar-
chique en France (XIV e-XVII e siècles), N. BULST, R. DESCIMON et A. GUERREAU éds., Paris,
1996, p. 85-101 ; « Espace social, espace symbolique à Cluny au XIe siècle », L’ogre historien.
Autour de Jacques Le Goff, J. REVEL et J.-C. SCHMITT éds., Paris, 1998, p. 167-191, et surtout
« Il significato dei luoghi nell’Occidente medievale : struttura e dinamica di uno ‘spazio’
‘specifico’ », Arti e Storia nel Medioevo. I : Tempi, spazi, istituzioni, E. CASTELNUOVO et
E. SERGI éds., Turin, 2002, p. 201-239.
2
R. FOSSIER, Enfance de l’Europe. Aspects économiques et sociaux. 1 . L’homme et son espace,
Paris, 1982, particulièrement p. 288-601.
185
186
7
M. LAUWERS et L. RIPART, « Représentation et gestion de l’espace… », p. 116. Étymo-
logie très différente chez Isidore de Séville, Étymologies, XIV, 5, 22, qui fait dériver territorium
de tauritorium, l’espace délimité par le sillon que trace la charrue tirée par des bœufs.
8
S. BOISSELLIER, « De l’espace aux territoires », dans ce volume.
9
Le texte de John Tolan publié dans cette section du volume montre comment la circu-
lation des manuscrits peut constituer une sorte de territoire informel et discontinu qui peut
réserver des surprises : ainsi la circulation des manuscrits des Dialogi contra iudeos de Pierre
Alphonse montre qu’au XIIe siècle, la Péninsule ibérique, qui a pourtant vu naître Pierre
et où il s’est formé, se trouve hors du territoire reconstitué par la circulation de son
oeuvre.
187
10
S. MORALEJO ÁLVAREZ, « El mundo y el tiempo en el mapa del beato de Osma », El
Beato de Osma: estudios, Valence, 1992, p. 151-179, ici p. 159-160 (volume d’études accompa-
188
gnant le fac-similé).
11
Outre l’article de S. MORALEJO cité à la note précédente, voir aussi C. CID, « Santiago
el Mayor en el texto y en las miniaturas », Compostellanum, X (1965), p. 587-638, ici p. 621.
12
Dans le texte présent dans ce volume et plus encore dans É. PALAZZO, L’espace rituel et
le sacré dans le christianisme. La liturgie de l’autel portatif dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Turn-
hout, 2008 (Culture et société médiévales, 15).
13
Présentation, reproductions et bibliographie dans La salle royale. Chefs-d’oeuvre de l’art
mosan, 1, Turnhout, Musées royaux d’Art et d’Histoire, 1999, p. 24-27. L’autel de Stavelot
se trouve à Bruxelles.
189
14
Texte du prologue des Vetera Hyreevallis statuta, dans Sacrae antiquitatis monumenta historica,
dogmatica, diplomatica, éd. C. L. HUGO, Étival et Nancy, 1725, I, p. 135 ; J. CHOUX, Recher-
ches sur le diocèse de Toul au temps de la réforme grégorienne. L’épiscopat de Pibon (1069-1107),
Nancy, 1952, p. 152-156. U. BRUNN, Des contestataires aux « cathares ». Discours de réforme et
propagande antihérétique dans les pays du Rhin et de la Meuse avant l’Inquisition, Paris, 2006
(Collection des Études Augustiniennes. Série Moyen Âge et temps modernes, 41), suggère
p. 54-55, qu’en Rhénanie, les premiers collèges de chanoines réformés ne souhaitaient pas
toujours se doter d’une église propre.
15
Il va de soi que cette question n’est abordée ici que de façon très schématique et qu’elle
demanderait de tout autres développements. Le discours mystique n’est d’ailleurs pas
contradictoire avec le respect de l’institution et d’une Église sacramentelle, comme le mon-
tre entre autres le cas de Maître Eckhart.
190
16
É. STEIN, Leben und Visionen der Alpais von Cudot (1150-1211). Neuedition des lateinischen
Textes mit begleitenden Untersuchungen zu Autor, Werk, Quellen und Nachwirkung, Tübingen, 1995
(ScriptOralia, 77), I, 12, p. 139-143. Sur ce texte et cet épisode, je me permets de renvoyer
aussi à P. HENRIET, « Le corps de la recluse et la « déspatialisation » du sacré. À propos
d’Alpaïs de Cudot († 1211) », dans Les paradoxes de la légitimation. Analyses historico-culturelles
du pouvoir au Moyen Âge, A. KEHNEL éd., à paraître dans Micrologus.
17
Sur cette évolution, nombreuses pistes de réflexion et riche bibliographie dans C. CABY,
« De l’abbaye à l’ordre. Écriture des origines et institutionnalisation des expériences monas-
tiques, XIe-XIIe siècles », Mélanges de l’École Française de Rome, 115-1 (2003), p. 235-267.
18
Sur le rôle du chapitre général dans le processus d’institutionnalisation, voir F. CYGLER,
Das Generalkapitel im hohen Mittelalter. Cisterzienser, Prämonstratenser, Kartäuser und Cluniazenser,
Münster, 2002 (Vita regularis, 12). La chronologie de l’apparition du chapitre général a été
remise en cause de façon peu convaincante par C. H. BERMAN, The Cistercian Evolution. The
Invention of a Religious Order in Twelfth-Century Europe, Philadelphie, 2000. Voir les mises au
point contondantes de C. WADDELL, « The Myth of Cistercian Origins: C. H. Berman and
the Manuscript Sources », Cîteaux. Commentarii Cistercienses, 51 (2000), p. 299-385 ; B.P.
McGUIRE, « Charity and Unanimity: The Invention of the Cistercian Order. A Review
Article », ibid., p. 285-297 ; F. CYGLER, « Un ordre cistercien au XIIe siècle ? Mythe histori-
que ou mystification historiographique ? À propos d’un livre récent », Revue Mabillon, n. s.
13 ( = t. 74) (2002), p. 307-328.
191
des moyens privilégiés utilisés pour affirmer la sacralité d’un lieu pro-
pre, il en alla de moins en moins ainsi avec les cisterciens et plus
encore au XIIIe siècle. Le développement de récits exemplaires insis-
tant sur le rôle des sacrements et sur la nécessité d’accepter la média-
tion de l’institution ecclésiale, la constitution de collections de
miracles, telles que celles de Jean de Clairvaux, d’Herbert de Clair-
vaux, de Conrad d’Eberbach ou de Césaire d’Heisterbach, qui ne
relevaient pas de la propagande en faveur d’un lieu saint, l’exaltation,
enfin, de l’ordre plus que du monastère, contribuèrent à « délocali-
ser » l’hagiographie19. À partir du XIIIe siècle essentiellement, les
mendiants produisirent aussi différents légendiers abrégés destinés à
faciliter la recherche d’exempla pour la prédication. Dans ce cadre, la
production hagiographique avait une visée pastorale largement déta-
chée de la propagande en faveur de tel ou tel pôle de sacralité supposé
supérieur aux autres20. Les modalités de la réécriture et de l’abrévia-
tion devraient être étudiées dans cette perspective, mais elles confir-
meraient sans doute ce qui apparaît déjà clairement lorsque, par
exemple, Jacques de Voragine réécrit pour la fête des morts un épi-
sode fameux tiré des textes hagiographiques clunisiens et choisit de
faire disparaître le nom même du monastère bourguignon21.
La dialectique permanente entre l’espace et le lieu se retrouve
dans la cartographie, à n’en pas douter l’un des points forts de cette
partie du volume. « Représentation de l’espace » s’il en est, la carto-
graphie se situe plus que tout autre mode d’expression entre symbo-
lisme et réalisme, si tant est que ces deux termes puissent être utilisés
ici sans précaution particulière, ce que nous ne croyons du reste pas.
Les textes de Nathalie Bouloux et de Patrick Gautier Dalché posent
une question essentielle, qui dépasse largement la question des per-
19
Voir en particulier les travaux de B. P. McGUIRE, parmi lesquels « The Cistercians and
the Rise of the Exemplum in the Early Thirteenth Century France : a Reevaluation of Paris
BN Ms lat 15912 », Classica et Mediaevalia, 34 (1983), p. 211-267 ; ID., « A Lost Clairvaux
Exemplum Found : The Liber visionum et miraculorum Compiled under Prior John of Clair-
vaux (1171-1179), Analecta Cisterciensa, 39 (1983), p. 27-62. C. CABY, « De l’abbaye à l’or-
dre… », p. 250-251.
20
La question de l’espace et des lieux a été étudiée pour le légendier de Bernard Gui par
A. DUBREIL-ARCIN dans une thèse soutenue à Toulouse en 2006 et intitulée Autour du
Speculum sanctorale de Bernard Gui, ou l’écriture hagiographique entre vues universelles, logiques
grégaires et destins de clocher (XIII e-milieu XIV e siècle). Une version condensée de ce travail est
sous presse pour la collection Hagiologia, Turnhout.
21
P. HENRIET, « La mort comme révélateur idéologique. Le monde monastique (IXe-XIIIe
siècle) », dans Autour des morts. Mémoire et identité. Actes du V e colloque international sur la socia-
bilité, O. DUMOULIN et F. THÉLAMON dir., Rouen, 2001 (Publications de l’Université de
Rouen, 296), p. 59-75, ici p. 74.
192
22
Voir en particulier M. ÉLIADE, Le sacré et le profane, Paris, 1965 (1ère éd. en allemand,
1957). Je ne m’occupe pas ici de l’arrière-plan idéologique souvent fort trouble de l’œuvre
d’Éliade : voir sur ce point D. DUBUISSON, Mythologies du XX e siècle : Dumézil, Lévi-Strauss,
Éliade, Lille, 20082.
193
Ces expressions figurent dans M. ÉLIADE, Le sacré et le profane, op. cit., p. 20-21.
23
B. GUENÉE, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980, p. 367. Je ne
24
cache pas mon désaccord avec la phrase de conclusion de ce livre, admirable par ailleurs
(« Beaucoup d’autres ne furent rien de moins que nos lointains ‘camarades’, nos dignes
collègues, dont ce livre aurait voulu simplement marquer, avec toute la sympathie due à des
collègues disparus, surtout si lointains, les servitudes et les grandeurs »).
194
25
Haec hominum vox est, illa vox Dei ad homines. Haec prolata perit, illa creata subsistit, Hugues
de Saint-Victor, Didascalicon, PL 176, col. 790 C.
26
Je cite ici S. BOISSELLIER, « De l’espace au territoire », dans ce volume.
27
Voir en particulier J. BASCHET, La civilisation féodale. De l’an mil à la colonisation de l’Amé-
rique, Paris, 2004 (« Si le féodalisme est caractérisé par une ‘dominante spatiale’, il n’en est
plus ainsi aujourd’hui », p. 352). On notera dans le même sens la présence d’un article
« Espace » et l’absence d’un article « Temps » dans le Dictionnaire raisonné de l’Occident
médiéval, J. LE GOFF et J.-C. SCHMITT dir., Paris, 1999. Mais voir désormais l’important
article programmatique de J.-C. SCHMITT, « Le Temps. ‘Impensé’ de l’histoire ou double
objet de l’historien ? », Cahiers de Civilisation Médiévale, 48 (2005), p. 31-52.
28
Voir aussi les remarques de S. BOISSELLIER ici-même, qui suggère que « les théologiens
médiévaux ont pensé l’univers en termes temporels plutôt que spatiaux, le temps étant la
dimension de l’être alors que l’espace était conçu comme dimension de l’avoir ». Pour le
dire en des termes un peu différents, les questions liées à l’exercice du pouvoir font direc-
tement intervenir l’espace, alors que le temps sert à la légitimation et à la justification. Mais
il y aussi, bien entendu, un temps vécu : voir déjà, pour une première approche, H. MARTIN,
Mentalités médiévales. XI e-XV e siècles, Paris, 19982, p. 155-174, et les travaux en cours de J.-C.
SCHMITT sur le rythme et la rythmicité au Moyen Âge (livre à paraître).
29
On pourrait évidemment multiplier les exemples. Je me contenterai de renvoyer pour
les consécrations d’églises à M. ZIMMERMANN, « Les actes de consécration d’églises.
Construction d’un espace et d’un temps chrétiens dans la Catalogne médiévales (IXe-XIIe
siècles) », dans À la recherche de légitimités chrétiennes. Représentations de l’espace et du temps dans
195
l’Espagne médiévale (IX e-XII e siècle), P. HENRIET dir., Lyon, ENS-Casa de Velázquez, 2003
(Annexes des Cahiers de linguistique et de civilisation hispaniques médiévales, 15), p. 29-52
(« Toute consécration récapitule et poursuit l’entreprise universelle de salut ; elle s’inscrit
dans le temps ; elle nourrit un temps chrétien. Temps chrétien inauguré par l’Incarnation
et balisé par le règne permanent du Christ, dont plusieurs actes rappellent la co-extensivité
à l’histoire de l’humanité (…). La consécration est à la fois un moment dans un temps
linéaire et un commencement, puisqu’elle équivaut à l’intégration d’un nouvel espace à ce
temps du salut », p. 43).
30
Discours qui peut même investir les lieux, puisque, comme le rappelle ici Thomas
Deswarte, la carte illustrant tel ou tel manuscrit du commentaire de Beatus fut parfois
reportée sur les murs d’une église : voir sur ce point J. M. GARCÍA IGLESIAS, « El mapa
de los Beatos en la pintura mural románica de San Pedro de Rocas (Orense) », Archivos
Leoneses, 35 (1981), p. 73-87, et S. MORALEJO, « El mapa de la diáspora apostólica en San
Pedro de Rocas: notas para su interpretación y filiación en la tradición cartográfica de los
‘Beatos’ », Compostellanum, 31 (1986), p. 315-340.
31
Y. JANVIER, La géographie d’Orose, Paris, 1982.
32
Commode mise au point dans E. EDSON, Mapping Time and Space. How Medieval Mapmak-
ers Viewed their World, Londres, 1997, particulièrement p. 97-131 (« Maps in Medieval Histo-
ries »).
196
33
P. GAUTIER DALCHÉ, La ‘Descriptio mappe mundi’ d’Hugues de Saint-Victor, Paris, 1988.
34
Sur lequel on lira le livre fondamental de P. SICARD, Diagrammes médiévaux et exégèse
viusuelle : le Libellus de formatione arche de Hugues de Saint-Victor, Paris-Turnhout, 1993
(Bibliotheca Victorina, 4).
35
L’examen de l’arche d’un point de vue littéral, allégorique et tropologique se trouve
dans un autre traité complémentaire de celui-ci, le De arca Noe. Les deux ont été édités par
le même P. SICART, Turnhout, 2001 (Corpus Christianorum Continuatio Medievalis,
176).
36
Tentative de restitution du schéma dans D. LECOQ, « La ‘mappemonde’ du De arca Noe
mystica », dans Géographie du monde au Moyen Âge et à la Renaissance, M. PELLETIER dir., Paris,
1989, p. 9-32, ici p. 13-14.
37
La citation est de J. WIRTH, L’image à l’époque romane, Paris, 1999, p. 390 (p. 382-394 pour
un commentaire du Libellus de formatione arche). Pour une mise en parallèle de la contem-
197
plation des « mappemondes » avec les visions de certains saints qui, comme Dieu, embras-
sent du regard, dans certaines visions, la totalité de l’univers, P. GAUTIER DALCHÉ, « De
la glose à la contemplation. Place et fonction de la carte dans les manuscrits du haut Moyen
Âge », Testo e immagine nell’alto medioevo, (Settimane di studio del Centro italiano di studi
sull’alto medioevo, 41), Spolète, 1994, vol. II, p. 693-764.
38
On retrouve le Christ tenant le monde entre ses bras par exemple dans la fameuse
mappemonde d’Ebstorf, détruite lors des bombardements de 1943, ou dans un psautier
anglais ca 1265 : Ein Weltbild vor Columbus : die Ebstorfer Weltkarte, H. KUGLER et E. MICHAEL
dirs., Weinheim, 1991, et E. EDSON, Mapping Time and Space…, p. 135-138.
39
Reproduction et commentaire dans J. KIRMEIER, B. SCHNEIDMÜLLER, S. WEINFUR-
TER et E. BROCKHOFF, Kaiser Heinrich II. 1002-1024, Stuttgart, 2002 (exposition Bamberg,
9 juillet-20 octobre 2002), p. 26-27 et cat. n° 203, p. 382-383 (par R. BAUMGÄRTEL-
FLEISCHMANN) ; EAD., « Der Sternenmantel Kaiser Heinrichs II und seine Inschriften »,
dans Epigraphik 1988 : Fachtagung für mittelalterliche und neuzeitliche Epigraphik, W. KOCH éd.,
Vienne, 1990 (Veröffentlichungen der Kommission für die Herausgabe der Inschriften des
deutschen Mittelalters, 2), p. 105-125. Analyse pénétrante de J. PAUL, « Le manteau couvert
d’étoiles de l’empereur Henri II », Du monde et des hommes. Essais sur la perception médiévale,
Aix-en-Provence, 2003, p. 65-94 (version remaniée d’un texte initialement paru dans Cahiers
du CUERMA, 13 (1994)).
198
199
Myriam SORIA
1
C. GAUVARD, « Violence », Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, J. Le GOFF et J.-C.
SCHMITT dir., Paris, Fayard, 1999, p. 1201-1209.
2
C’est là tout le pouvoir « intégrateur » de la violence mis en évidence par D. NIREN-
BERG, Violence et minorités au Moyen Âge, Paris, 2001, p. 5-19.
3
J. MORSEL, « Violence », Dictionnaire du Moyen Âge, C. GAUVARD, A. DE LIBERA, M.
ZINK dir., Paris, 2004 (2e éd.), p. 1457-1459.
203
4
M. SORIA AUDEBERT, La crosse brisée. Des évêques agressés dans une Église en conflits, (royaume
de France, fin X e – début XIII e siècle), Turnhout, 2005.
5
Entre 1080 et 1198, sept évêques ont été directement victimes de violences dans la pro-
vince d’Auch parmi lesquels un a été assassiné, cinq ont été poussés sur le chemin de l’exil,
deux maintenus en captivité. M. SORIA AUDEBERT, La crosse brisée… , p. 17. Ce tableau ne
tient pas compte des attaques dirigées contre le temporel détenu par les évêques en ques-
tion.
204
205
6
On y constate bien des luttes entre évêques voisins, mais elles semblent se limiter à des
transferts de juridiction portant sur des abbayes et apparus suite à des décisions prises par
des seigneurs laïcs, comme la querelle qui oppose les évêques de Tarbes et de Lescar au
sujet du monastère de Saint-Pé de Génerès.
7
Le siège de Bayonne tel qu’il apparaît au début du XIe siècle et tel qu’il est défini dans la
charte dite d’Arsius – contenue dans le Liber aureus du chapitre cathédral de Bayonne –
a-t-il été créé à la fin du Xe siècle ou simplement restauré ? Les prélats qualifiés « d’évêque
de toute la Gascogne » de la fin du Xe au milieu du XIe siècle ont-ils bénéficié du cumul des
sièges épiscopaux préexistants ou de la création d’un grand évêché unique dont les limites
coïncidaient plus ou moins avec celles des anciens diocèses qu’il recouvrait ? J.-F. BLADÉ,
« Mémoire sur l’évêché de Bayonne », Études historiques et religieuses du diocèse de Bayonne,
1897 ; J. DE JAURGAIN, La Vasconie. Étude historique et critique sur les origines du royaume de
Navarre, du duché de Gascogne, des comtés de Comminges, d’Aragon, de Foix, de Bigorre, d’Alava et
de Biscaye, de la vicomté de Béarn et des grands fiefs du duché de Gascogne, Pau, 1898-1902, rééd.
Marseille, 1979 ; F. LOT, « L’évêché de Bayonne », Mélanges d’histoire du Moyen Âge dédiés à
la mémoire de Louis Halphen, Paris, 1951, p. 433-443 ; R.-A. SÉNAC, « Essai de géographie et
d’histoire de l’évêché de Gascogne (977-1059) », Bulletin philologique et historique, 1980,
p. 11-25.
8
C’est par exemple le cas du diocèse d’Arras restauré en 1092-1093 dans la province
ecclésiastique de Reims sur la décision du pape Urbain II qui donne lieu à une série de
conflits avec l’évêque de Cambrai, ou encore de la création du siège de Noyon à partir de
celui de Tournai. Voir au sujet de ces deux diocèses : B. DELMAIRE, Le diocèse d’Arras de
1093 au milieu du XIV e siècle. Recherche sur la vie religieuse dans le nord de la France au Moyen Âge,
Arras, 1994 et O. GUYOTJEANNIN, Episcopatus et comes. Affirmation et déclin de la seigneurie
206
épiscopale au nord du royaume de France (Beauvais – Noyon, X e – début du XIII e siècle), Paris –
Genève, 1987.
9
La « province des neuf peuples », provincia novem populi, regroupe et sépare, à partir du
IIIe siècle, les peuples établis au sud de la Garonne de leurs voisins installés au nord, c’est-
à-dire en Aquitaine, auparavant réunis dans une seule grande province au temps d’Auguste.
On connaît pour cette nouvelle province une liste de cités, établie au Ve siècle – la Notice des
provinces et cités des Gaules, Notitia Galliarum, éd. O. SEECK, Berlin, 1876, p. 271-272 – et qui
en compte douze : celle des Elusates, des Dacquois, des Lactorates, des Convènes, des
Consorrani, des Boïates, des Béarnais, des Asturenses, des Vazates, des Bigourdans, des
Oloronais et des Auscitains. Voir à ce sujet R. MUSSOT-GOULARD, Histoire de la Gascogne,
Paris, 1986, p. 18-28 et P. COURTEAULT, Histoire de la Gascogne et de Béarn, Paris, 1938.
10
R.-A. SÉNAC, « Essai de géographie et d’histoire de l’évêché de Gascogne … ».
11
Cette politique aurait été parachevée par Guillaume-Sanche (963-999) allié par son
mariage avec Urraca à la nouvelle dynastie régnant sur la Navarre. Voir R. MUSSOT-GOU-
LARD, Les princes de Gascogne (768-1070), Marsolan, 1982, p. 125-159 et également A. Corre,
« Pouvoir et église en Gascogne au Xe siècle », Foi chrétienne et églises dans la société politique
de l’Occident du Haut Moyen Âge (IV e-XII e siècle), textes réunis par J. Hoareau-Dodineau
et P. Texier, CIAJ n° 11, s. d., Limoges, p. 25-44.
207
12
C’est par exemple le cas pour celles de Dax et d’Aire installées en dehors des remparts
des deux cités.
13
Il s’agit de la première mention de cet évêque, d’après cette charte qui retrace la res-
tauration de ce monastère et sa donation à l’abbaye de Fleury par le duc Guillaume-Sanche
et son frère, qualifié de duc lui aussi. Recueil des chartes de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, éd.
M. PROU et A. VIDIER, Paris – Orléans, t. I, 1900, p. 165-167.
14
« Historia monasterii Condomiensis », éd. L. D’ACHERY, Spicilegium, Paris, 1677, p. 435-
436.
15
Il se base pour cela sur la charte de fondation du monastère de Saint-Sever (septembre
988) où, à côté de l’évêque de Gascogne, apparaissent distinctement les titulaires de ces
trois sièges, sans qu’ils y soient pour autant nommés. Historiae monasterii Sancti Severii, éd.
P.-D. DUBUISSON, Aire, t. I, 1876, p. 151-159. Voir également C. HIGOUNET, J.-B. MAR-
QUETTE, « Les origines de l’abbaye de Saint-Sever. Révision critique », Colloque international
sur le millénaire de l’abbaye de Saint-Sever (25-27 mai 1985), Mont-de-Marsan, 1986, p. 27-37.
Une nouvelle édition des chartes de Saint-Sever est actuellement préparée par J. Cabanot
et G. Pon.
16
« Historia monasterii Condomiensis …», p. 436-439.
17
Le liber aureus du chapitre cathédral de Bayonne, éd. C. MORON, Paris, 2001, p. 63-65.
208
209
210
23
Au sujet de la structuration de ce diocèse aux XIe et XIIe siècles, voir J.-B. MARQUETTE,
« La géographie ecclésiastique du diocèse de Dax d’après le Livre rouge et son évolution du
XIIIe au XVIIIe siècle », Église et société dans le diocèse de Dax aux XI e et XII e siècles, Journée d’étu-
des sur le Livre rouge de la cathédrale de Dax (Dax - 1 er mai 2003), Dax, 2004, p. 89-154.
24
L’acte n° 152 du Cartulaire de la cathédrale de Dax…, p. 322-351, retrace les principales
étapes de ce conflit entre les évêques de Dax et d’Oloron. Le vicomte dont il est ici question,
Salamace – surnom donné à Raimond Guilhem (1030-1085/6) – fuit la Soule car il est
accusé par les Béarnais d’avoir provoqué le meurtre du vicomte de Béarn, Centulle IV
(1022-1058), tué au cours d’une révolte des Souletins contre lui. Salamace qui veut rejoin-
dre des terres qu’il possède dans le Lavedan, au diocèse de Tarbes, doit traverser des terres
béarnaises : il demande donc à l’évêque d’Oloron, Étienne, de l’aider ; ce dernier lui pro-
met sa protection, mais en échange du transfert de la Soule du diocèse de Dax à celui
d’Oloron. Voir p. 324-327 : Seulenses adversus quendam vicecomitem Bearnensem nomine Centul-
lum Gastonem […] insurrexerunt, et eum occiderunt. Quo facto, Bearnenses hoc quidem Salamace
vicecomiti Seulensi imposuerunt. Qua de causa Salamace valde exterritus […] quia verisimile esse
videbatur, caepit perturbari […]. Erat enim ei, […] in Tarbensi episcopatu, maxima pars honoris,
videlicet in parte Levitanica. Ad quam cum Salamace propter infestissimos hostes interpositos nullo
modo transire valeret, ad episcopum Oloronensem Stephanum accessit […]. Videbatur enim Salamace
quod per Stephanum ad prenominatam terram transitum habere valeret. Is autem Stephanus, ut vidit
eum anxium […] incepit ei ostendere qualiter quod postulabat apud se impetraret. Si Seulenses, cum
sub dominio suo essent, ad hoc cogeret, ut ad ecclesiam suam quasi parrochiani venirent, quicquid ei
placeret, faceret.
211
25
Ce seigneur est appelé Bergoin-Loup de Janute dans l’acte ; Étienne, en plus de la pro-
tection accordée à Salamace, aurait promis à ce seigneur de faire de son fils, Heraclius,
l’archidiacre du territoire annexé ; l’acte qualifie Heraclius « d’archidiable » une fois le
forfait accompli. Voir p. 326-327 : Promisit enim Salamace amicitiam et fidelitatem, hospicium et
ducatum […]. Bergonio Lupo promisit quod filium suum, nomine Heraclium, totius illius terrae
archidiaconum faceret. Et ideo isti duo principes totam Seulam suppresserunt. […] Heraclius autem
in archidiaconum vel archidiabolum illius terrae devenit.
26
Hunc Lupum Anerium archidiaconem ille Heraclius adiit ; […] audacius eum invasit, dicens quod
si Agarencum et Resevellum partes Aquensis episcopatus, quae in potestate sua erant, ad hoc cogeret,
ut ad ecclesiam Oloronensem quasi parrochialiter venire compelleret, quodcumque postularet ad eo
munus ei tribueret. […] Ad Agarencum et Resevellum venit, clericos vi cepit, invitos et renitentes
suppressit, inquietare non cessavit, donec Aquaensi ecclesiae abstulit. His artibus Olorenses Agarencum
et Resevellum occupaverunt , Ibid., p. 328-329.
27
Ibid., p. 333-335.
28
Centulle V (1058-1090) est semble-t-il engagé dans un échange de bons procédés avec
Amat d’Oloron, puisque celui-ci lui a permis de se séparer de sa première épouse, Gisèle,
en 1079, au nom du caractère consanguin de cette union. La rupture de ce mariage permet
alors à Centulle d’obtenir la main de Béatrix, l’héritière du comté de Bigorre, alors qu’un
autre évêque, celui de Lescar, Bernard de Bas, avait plusieurs fois jeté en vain l’interdit sur
le vicomte. Voir P. DE MARCA, Histoire de Béarn…, livre IV, ch. IX, p. 378 et J.-J. MONLEZUN,
Histoire de la Gascogne depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, t. II, Auch, 1850, p. 61-65.
Cette querelle, en apparence basée sur un problème matrimonial, relève également d’une
concurrence territoriale entre les évêques de Tarbes et de Lescar, dans laquelle le vicomte
a joué un rôle majeur.
29
Cartulaire de la cathédrale de Dax…, n° 152, p. 340-345.
30
De Mixa autem, de qua Rogerius Olorensis noviter veniens, novam querimoniam faciens, novus
voluit videri nescius preteritorum negociorum… , Ibid., p. 346-347.
212
31
Voir la carte du diocèse et des églises qui le composent établie par J. Cabanot et J.-B.
Marquette présentée à la fin du Cartulaire de la cathédrale de Dax…
32
Aquensis archidiaconus Arnaldus queritur quod archiepiscopus Willelmus, et Amatus, legatus nos-
ter, necnon episcopus Vasatensis insurgunt adversus ecclesiam suam, et ecclesias quasdam ejusdem
episcopatus sui auferunt, et violenter invadunt ; Cartulaire de la cathédrale de Dax…, n° 152, p. 338-
340 : la copie de cette lettre que l’on trouve également dans The Epistolae vagantes of Gregory
VII, éd. et trad. angl. H. E. J. COWDREY, Oxford, 1972, n° 44, p. 106-108, est enchâssée dans
le récit de la longue notice relatant le conflit frontalier Dax Oloron.
33
Ibid., p. 346-347.
34
La copie de la lettre est également insérée dans le récit de la notice n° 152 : Vestrae eccle-
siae suffraganeus frater noster Auaensis episcopus, parrochiae suae partes a confratribus suis Vasatensi
et Olorensi episcopis per multa jam tempora conquaestus est detruncatas. Cujus nimirum parrochiae
partem quam Vasatensis videlicet episcopus abstulerat, predecessori quidem suo Bernardo restitutam,
sed iterum ei violenter ablatam asseruit, p. 348-349.
213
semble préférer ne pas s’attarder sur les détails. On ne sait donc pas
à quoi correspondaient exactement les revendications de l’évêque de
Bazas. La connaissance de ce conflit est complétée par les informa-
tions contenues dans la Chronique de Bazas qui n’est guère plus pré-
cise35 : elle rapporte qu’en 1111, au temps de l’évêque Bertrand,
Pascal II aurait attribué à l’évêque de Dax des paroisses – parrochiae
Ritarienses – ensuite restituées au diocèse de Bazas, même si le passage
n’est pas clair36. D’après J.-B. Marquette qui s’est intéressé à cette
controverse, les paroisses en question pourraient être celles de la
Petite Leyre, située à l’ouest de l’enclave mentionnée plus haut et
dont « l’annexion » aurait permis à l’évêque de Bazas d’absorber dans
son diocèse les paroisses de la Grande Leyre37. Cette affaire aurait,
toujours d’après cette chronique, connu un rebondissement au milieu
du XIIe siècle : en 1144, l’évêque de Bazas Raimond aurait été
confronté à ses homologues d’Agen et de Dax accusés d’envahir son
diocèse ; Raimond se serait rendu à Rome et aurait obtenu du pape
Eugène III des lettres intimant à l’archevêque de Bordeaux, Geoffroy
du Loroux, de rétablir ses droits38. D’après J.-B. Marquette, deux
paroisses seulement de la petite Leyre seraient restées bazadaises,
Luxey et Callen, mais cette dernière serait par la suite revenue au
35
La Chronique de Bazas – Chronicon Vasatense – est une compilation réalisée au début du
XVIIe siècle par un chanoine de Bazas appelé Dupuy et qui a dédié son travail à l’évêque
Arnaud de Pontac ; à partir de divers documents antérieurs, il raconte année après année
des épisodes marquants de l’histoire de Bazas des origines jusqu’au XVIIe siècle. Cette
chronique a ensuite été éditée par M. E. PIGANEAU, Archives historiques de la Gironde, t. XV
(1874) à partir d’une copie souvent défectueuse du texte initial réalisée au XVIIIe siècle,
l’original ayant été détruit. Ceci explique certainement les erreurs et le manque de clarté
de certains récits.
36
Bertrandus sacramento se astringit, tam se quam successores suos, ne quam unionem fieri patiantur,
nisi vocato Capitulo ; quod privilegium ait se dare jure hereditario in perpetuum, licet hoc jus canoni-
cum praescribat, hujus tempore cum Paschalis, summus pontifex, parrochias Ritarienses. Aquensi
adjudicasset, in cujus gratiam revocavit, Ibid., p. 25.
37
Callen, Luxey, Sore, Argelouse et Biganon. Voir les articles de J.-B. MARQUETTE, « La
géographie ecclésiastique du diocèse de Dax… », p. 92-93 et « Note sur la lutte entre les
évêques d’Agen et de Bazas au XIIe siècle », Revue historique de Bordeaux, juillet – décembre
1962, p. 145-156 ; ainsi que J.-B. MARQUETTE, « La renaissance médiévale… », p. 176-177.
Une hypothèse du même genre a été formulée par A. Degert qui pense que ces paroisses
se situent entre la Petite et la Grande Leyre, « Histoire des évêques de Dax », Bulletin de la
société de Borda, 1900, 2e trimestre, p. 56-58.
38
An 1144 – Raymundus quartus. Hic egit apud Summum Pontificem Lucius secundum ut annuos
et possessiones episcopi Vasatensis confirmare velit ; quin cum nata esset contentio inter eum et Aquen-
sem et Aginnensem episcopos, fines suos invadentes, profectus est Romam, obtinuitque litteras ab
Eugenio tertio ad Guillelmum, archiepiscopum Burdigalensem, ut possessioni restitueretur, dies dicere-
tur Aginnensi episcopo, anno 1145, Chronique de Bazas,… p. 28. On voit que le chanoine Dupuy
ou le copiste se trompe au sujet de l’identité de l’archevêque de Bordeaux.
214
39
La liste des paroisses du diocèse de Dax pour la fin du XIIe siècle est donnée par l’acte
n° 174 du Cartulaire de la cathédrale de Dax,… p. 406-441 ; voir également J.-B. MARQUETTE,
« La géographie ecclésiastique du diocèse de Dax… », p. 92-93.
40
Ce texte a été édité et traduit par Dom AURÉLIEN, O.S.B., La Gaule catacombaire. L’apô-
tre saint Martial et les fondateurs apostoliques des Églises des Gaules. Baptista Salvatoris ou le Sang
de saint Jean à Bazas peu d’années après l’ascension de Notre Seigneur Jésus-Christ, Toulouse – Paris,
1880.
41
Au sujet de la composition du texte, voir J.-B. MARQUETTE , « Note sur la lutte entre
les évêques d’Agen et de Bazas au XIIe siècle… », p. 145-146.
42
Rursus ad componendam contentionem inter Bertrandum, episcopum Vasatensem, et Aldebertum,
episcopum Agennensem, de finibus utriusqu episcopatus Agennensis et Vasatensis, Engolismensis epis-
copus, Sedis apostolicae legatus, vocatis vicinioribus proceribus : Stephano de Calvimonte et Raymundo
de Bouglon, designat limites in favorem episcopi Agennensis, sed, Bertrando ad Sedem apostolicam
appellanti, Calixtus II, papa, ecclesiam de Castro Gelosio, Agennensi adjudicatam ab episcopo Engo-
lismensi, restituit, anno 1121, Chronique de Bazas,… p. 25-26. Le passage est confus quant à
l’identité donnée par l’auteur aux évêques qui se font face ; nous avons corrigé en nous
basant sur la chronologie supposée de leurs épiscopats respectifs.
43
Baptista Salvatoris…, p. 293-294.
215
216
Parmi ces conflits qui opposent, dès le milieu du XIe siècle, les
évêques gascons au sujet des limites communes de leurs diocèses52,
52
Le qualificatif gascon porte aussi bien sur les sièges épiscopaux occupés par les prélats
que sur leurs origines géographiques, familiales et sur leurs formations. B. GUILLEMAIN,
« Les moines sur les sièges épiscopaux du sud-ouest de la France aux XIe et XIIe siècles »,
217
celui qui dresse les évêques d’Oloron contre leurs voisins de Dax a le
plus retenu l’attention des historiens. Cette controverse est principa-
lement connue grâce au récit particulièrement détaillé de ses diffé-
rentes étapes qui se dégage de quatre chartes notices du cartulaire
– livre rouge – de la cathédrale de Dax, redécouvert puis édité et traduit
par G. Pon et J. Cabanot53. Ce conflit n’a pas été étudié pour lui-
même, malgré l’ampleur des dégâts collatéraux qu’il a entraînés :
invasions des paroisses limitrophes des deux diocèses54, batailles mor-
tifères55, assassinat d’un évêque d’Oloron56, condamnation à mort
d’un archidiacre de Dax57. Il n’en a pas moins largement attiré l’at-
tention des historiens de la Gascogne depuis le XVIIe siècle58. Cepen-
dant, l’intérêt porté à ce conflit territorial tient principalement à
l’identité d’un des protagonistes, Amat, évêque d’Oloron et légat du
pape Grégoire VII. L’action de ce prélat réformateur, qui a animé une
légation ayant débuté certainement dans les premiers mois de 1074
en Aquitaine59, avant de se poursuivre dans le Midi où Amat est chargé
Mélanges E.-R. Labande, Poitiers, 1974, p. 377-384, fait remarquer que pour les quarante-cinq
évêques dont on connaît au moins partiellement les antécédents, sur cent sept dans la
province d’Auch, tous sont issus de lignages locaux ou sont passés par des abbayes et des
chapitres proches et en étroite relation avec les sièges qui leur ont été confiés.
53
Cartulaire de la cathédrale de Dax…, voir actes n° 143, p. 298-303 ; 144, p. 303-305 ; 145,
p. 305-307 ; 152, p. 322-351. Je tiens à remercier vivement G. Pon de m’avoir transmis ces
actes avant la parution même du cartulaire et pour son aide.
54
Ibid., n° 152 ; sur toute la durée du conflit, pas moins de soixante-dix-huit « églises »
auraient été concernées.
55
C’est le résultat de la révolte des Souletins dans laquelle le vicomte de Béarn Centulle IV
(1022-1058) trouve la mort, Ibid., p. 324-325. Voir aussi l’invasion du Pays de Mixe par
Centulle V (1058-1090) où le cousin du vicomte fut tué : … vicecomes Bearnensis Centullus, et
comes Begorrensis ipse, super Aquensem episcopatum videlicet super Mixam cum magno exercitu equi-
tavit, ubi a Mixensibus in eum insurgentibus victus et fugatus fuit. Arnaldus W(illelm)us, prenomine
Milanus, baro et consanguineus ipsius Centulli, ibi occisus fuit, Ibid., p. 340-341.
56
Il s’agit de l’empoisonnement de l’évêque d’Oloron Roger Ier de Sentes (1102-1114)
mentionné dans l’acte n° 143 du cartulaire.
57
Les archidiacres des deux diocèses se sont particulièrement investis dans ce conflit, à
l’image de Arnaud-Raymond, archidiacre de Dax, emprisonné par le vicomte de Dax,
Navarre, puis décapité après le meurtre de son bourreau. Cartulaire de la cathédrale de Dax…,
n° 152, p. 344-347.
58
Cette controverse a été commentée par P. DE MARCA Histoire de Béarn, par A. DOMP-
NIER DE SAUVIAC, Chroniques de la cité et du diocèse de Dax, Dax, 1873, t. II, p. 120, 147-152,
par le chanoine A. DEGERT, Histoire des évêques de Dax, Dax, 1900, p. 70-86 et encore par
J.-B. MARQUETTE.
59
D’après A. Degert, Amat aurait été investi du titre de légat d’Aquitaine sans doute vers
le mois d’avril 1074. À cette date, Amat est déjà évêque d’Oloron. Les traces laissées par son
action en tant que légat sont visibles dès le mois de septembre de cette même année, alors
qu’il est chargé de mettre au fin aux abus de l’évêque de Poitiers, Isembert II, dont se
plaignent les clercs de Saint-Hilaire, et que légat Gérard d’Ostie a déjà frappé d’interdit.
Amat réunit en 1075 un concile à Saint-Maixent afin de statuer sur le sort d’Isembert, mais
218
par le pape dès juin 1077 d’une mission de grande ampleur outre -
Pyrénées, en plus de la promotion de ses idées dans la province de
Narbonne et en Gascogne60, a contribué à faire de lui un prélat exem-
plaire. Les historiographes ne tarissent pas d’éloge à son égard, tous
louant sa détermination, son habileté, sa diplomatie. Or, les rédac-
teurs de la charte notice n°152 du cartulaire de Dax, composée sem-
ble-t-il dans la première moitié du XIIe siècle par des chanoines de
Dax, soucieux de transmettre avec précision la mémoire de leur com-
munauté canoniale, d’en protéger les droits ou, du moins, d’en prou-
ver toute la légitimité et peut-être de fournir à leurs successeurs des
informations nécessaires à leur propre défense, ternissent l’éclat de
la réputation du légat évêque.
Il faut bien reconnaître que les jugements portés par ces auteurs
sur leurs prédécesseurs laïcs et ecclésiastiques, Dacquois et Oloronais,
Basques et Béarnais confondus manquent de tendresse au point que
G. Pon les qualifie d’une « vivacité remarquable que l’on rencontre
rarement dans les documents officiels »61. Aux yeux des chanoines,
Amat est ainsi « un homme de très grande ruse et habileté », magne
astuciae et calliditatis, par opposition à l’évêque de Dax, Bernard de
Mugron, auquel il est confronté, qualifié d’homme bon et simple,
bonum et simplicem hominem, parfois naïf, alors que l’évêque d’Oloron
est capable de détourner à son profit les pouvoirs qui lui ont été délé-
gués par le pape, « parce qu’il était légat de toute la Gascogne et
aussi sur la validité du deuxième mariage contracté par le comte de Poitiers et duc d’Aqui-
taine, Guillaume VIII, considéré comme consanguin. Ce concile est marqué par une intru-
sion violente organisée par Isembert dont les hommes forcent l’entrée du monastère, mal-
mènent à force de coups et d’injures les membres de l’assemblée contraints de fuir, outra-
gent le légat et l’archevêque de Bordeaux qui lui est associé. Voir A. DEGERT, « Un ouvrier
de la réforme grégorienne : Amat d’Oloron », Revue des questions historiques, LXXXIV (1908),
p. 33-84, p. 39-44, et M. FAZY, « Notice sur Amat, évêque d’Oloron, archevêque de Bordeaux
et légat du Saint-Siège », Mélanges d’histoire du Moyen Âge, A. LUCHAIRE dir., Genève, 1975,
p. 77-140, p. 84-85. Voir également le chapitre consacré aux légats de Grégoire VII par Th.
Schieffer, Die päpstlichen Legaten in Frankreich vom Vertrage von Meersen (870) bis zum Schisma
von 1130, Berlin, 1935, p. 88-139 et p. 87-88 au sujet du synode de 1075.
60
Dans une lettre du 28 juin 1077, Amat voit ses prérogatives augmentées par Grégoire VII
qui annonce sa venue à tous les archevêques, évêques, abbés, rois, princes et laïques des
provinces de la Gaule Narbonnaise, de la Gascogne et de l’Espagne et leur demande de lui
faire bon accueil, de le reconnaître comme le mandataire de l’autorité pontificale, d’écou-
ter ses paroles comme si elles sortaient de la bouche du pape lui-même. The Epistolae
vagantes of Gregory VII…, p. 56-59 et Das Register Gregors VII, éd. E. Caspar, t. I, Berlin, 1920,
IV, 28, p. 343-347.
61
Dans Cartulaire de la cathédrale de Dax…, G. PON, « Introduction », p. 13-81, ici
p. 76-77.
219
62
Tempore Bernardi prefuit Olorensi ecclesiae episcopus nomine Amatus, vir e contrario magne astu-
tiae et calliditatis, et totius Wasconiae legatus. Qui, quoniam totius Wasconiae et aliarum provincia-
rum legatus erat, facile quemlibet suae legationis episcopum supprimere ponerat, Ibid., n° 152,
p. 332.
63
Amat est accusé de présenter à l’archevêque d’Auch de fausses revendications à la faveur
de son diocèse : ut veram querimoniam Bernardi devitaret, fictam et falsam opposuit, ibid., p. 332 ;
on retrouve des accusations de falsification de nouveau dans le même document, Ibid.,
p. 334 et 344.
64
Igitur pro potentia suae legationis et calliditatis suae artibus adeo Bernardum Aquaensem episcopum
vexavit, et eo Wilelmum Bernardum archiepiscopum […] juxta voluntatem suam applicuit […]. Voluit
igitur adeo fatigare Bernardum episcopum […]. Fatigavit itaque illum cum archiepiscopo suo longis
et multis vexationibus …, ibid., p. 334.
65
Les représentants des deux parties adverses sont convoqués à Lescar, évêché situé dans
la vicomté de Béarn comme celui d’Oloron, dans un premier temps par le légat Richard
de Saint-Victor de Marseille chargé de les entendre par Grégoire VII en 1082 : le vicomte
Centulle aurait alors empêché l’archidiacre de Dax d’exprimer ses arguments, Ibid., p. 340-
343. Suite à cet échec, une deuxième rencontre est organisée par le même légat dans un
lieu plus sûr qui pourrait être le monastère Saint-Pierre de la Réole, situé dans le diocèse
de Bazas. Cette fois-ci, Amat, accompagné du vicomte Centulle, ne se présente pas : Conve-
nit quoque Amatus cum Centullo Begorrensi comite atque vicecomite Bearnensi in quoddam podium
juxta Regulam, cum comitatu suo, quasi ad Regulam ipsam venire dedignantes. Sed in rei veritate
Amatus videbat falsitatem quam pretularet ad hoc quod erat, scilicet ad nichilum redigi, et credebat
Bernardum Aquaensem episcopum, et ejus ecclesiam deinceps veritatem et justiciam suam persequi,
ibid., p. 344. Au sujet de l’identification du lieu du concile, Ibid., note 867, p. 342-343.
220
66
P. DE MARCA, Histoire de Béarn…, t. I, livre IV, ch. XVIII, p. 418-422 ; sur les débuts du
conflits voir ch. VIII et IX, p. 370-380.
67
A. DEGERT, Histoire des évêques de Dax…, p. 73.
68
A. DEGERT, « Un ouvrier de la réforme grégorienne… », p. 37-38.
221
69
Le Livre d’or, réalisé certainement au milieu du XIVe siècle, regroupe des copies d’actes
se rapportant à l’histoire du diocèse et de la cathédrale de Bayonne entre 980 et 1366 ; il a
d’abord été édité par J. BIDACHE, Le livre d’or de Bayonne, Textes latins et gascons du X e au XIV e
siècle, Pau, 1906, puis de nouveau par C. MORON, Le liber aureus du chapitre cathédral de
Bayonne, Paris, 2001. C’est à cette deuxième édition que nous renvoyons.
70
Le liber aureus…, n° 1, p. 63-65, n° 2, p. 65-68 et n° 94, p. 133-138.
71
Premier acte apparaissant dans le cartulaire, il est aussi le seul à avoir été copié in extenso.
Le pseudo-original est conservé aux archives départementales des Pyrénées-Atlantiques
(G1) en plus de la copie du manuscrit. L’écriture de cet acte a été étudiée par V. Dubarat,
M. Prou et H. Omont dont les conclusions s’accordent pour la dater, au plus tard, du milieu
ou de la deuxième moitié du XIe siècle. Cet acte, jugé authentique par les auteurs du XVIIe
siècle, est regardé comme un faux depuis le XIXe siècle. Voir à ce sujet le bilan des différents
avis émis par F. LOT, « L’évêché de Bayonne… », p. 435.
222
précise les limites des propriétés du diocèse pour éviter à ses successeurs
d’être confrontés aux contestations de ceux qui voudraient s’appro-
prier les biens de cette église72. D’après ce document le diocèse de
Bayonne s’étend donc au milieu du XIe siècle, des rives de l’Adour au
Guipuzcoa ; il est bordé au sud par les diocèses de Pampelune et de
Calahorra, à l’ouest par l’océan, au nord par le diocèse de Dax, à l’est
par les diocèses de Dax et d’Oloron.
Même si le texte n’identifie pas les éventuels « prédateurs » du
diocèse, sa date approximative de rédaction, rapprochée des frontiè-
res décrites, n’est pas inintéressante. Le fait que cet acte soit faux lui
confère, pour le sujet qui nous intéresse, encore plus de valeur
puisqu’à la fin du XIe siècle le conflit opposant l’évêque de Dax à ceux
d’Oloron et de Bazas au sujet des limites communes de leurs diocèses
bat déjà son plein. Il se peut alors que les chanoines et l’évêque de
Bayonne aient craint une offensive en direction du Labourd et qu’ils
aient choisi de se protéger de toute réclamation par une forgerie.
Leurs inquiétudes ont même pu être renforcées par les projets de
conquête du pays de Mixe par le vicomte de Béarn et l’évêque d’Olo-
ron : la réussite de cette aventure aurait pu les encourager à pousser
leurs frontières à l’intérieur du diocèse de Bayonne.
Le deuxième acte recopié dans le Liber aureus, attribué à Pascal II,
parfois regardé comme un faux, reflète la même préoccupation73.
Dans cette bulle, datée du 9 avril 1106, le pape confirme les limites
72
L’évêché de Labourd s’étend alors sur la vallée de Cize jusqu’à la croix de Charles, la
vallée de Baïgorri, la vallée d’Arberoue, la vallée d’Orsais, la vallée de Bastan jusqu’au port
de Velate, la vallée de Lérin, la vallée d’Ernani et de Saint-Sébastien de Guipuscoa jusqu’à
Arost et Saint-Adrien : Omnis vallis que Cirsia dicitur usque Karoli crucem, vallis que dicitur Bigur,
vallis que Eberua dicitur, vallis que Ursaxia dicitur. Basten item vallis usque in medio portu Belat.
Vallis que dicitur Larin, terra que dicitur Ernania et Sanctum Sebastianum de Pusico usque ad sanc-
tam Mariam de Arosth et usque ad sanctam Trianam, Le Liber aureus…, n° 1, p. 64.
73
Les doutes formulés par certains historiens viennent de deux raisons principales : d’une
part l’acte original ayant disparu, seule la copie tardive du livre d’or est conservée ; d’autre
part, une erreur s’est glissée dans la formule de datation de l’acte qui donne l’année
M°CC°VI° et non M°C°VI° pour le pontificat de Pascal II. Cette erreur peut être vue comme
une simple maladresse du copiste, mais ce n’est pas l’avis défendu au début du XXe siècle
par J. DE JAURGAIN, L’évêché de Bayonne et les légendes de saint Léon, Saint-Jean-de-Luz, 1917.
Pour lui, les deux premiers actes du cartulaire sont l’œuvre d’un même faussaire, Domini-
que du Mans évêque de 1279 à 1303 ; pour différentes raisons, ce prélat aurait forgé ces
faux pour revendiquer la propriété de l’archiprêtré de Guipuzcoa en faveur du Labourd.
Jaurgain s’appuie surtout sur le fait que la rédaction du cartulaire et l’épiscopat de Domi-
nique du Mans sont contemporains. J.-F. BLADÉ, Mémoire sur l’évêché de Bayonne, Pau, 1897,
p. 89 et F. Lot le considèrent comme authentique et justifient l’action de l’évêque par un
conflit qui l’aurait opposé à l’évêque de Pampelune, Pierre d’Andouque. Cependant, quel-
ques actes plus loin, on voit cet évêque reconnaître, la même année, la possession d’une
dîme à l’évêque de Labourd : Le Liber aureus…, n° 10, p. 73.
223
74
Le Liber aureus…, n° 2, p.65-68 : Qui nimirum sunt omnis vallis que Cirsia dicitur usque Karoli
crucem, vallis que dicitur Bigur, vallis que Arberua dicitur, vallis que Ursoxia dicitur ; Bastan item
vallis usque in medium portum Belath, vallis que dicitur Lerin, terra que dicitur Ernania et Sanctum
Sebastianum de Pusico usque ad sanctam Mariam de Arost et usque ad sanctam Trianam, p. 66.
75
Bernard de Lacarre débute son épiscopat vers 1185-1186 et il se prolonge semble-t-il
après 1200.
76
Ce conflit portait sur les nominations des desservants des églises qui dépendaient des
chanoines et de l’évêque. Voir les actes n° 75 et n° 76 du Liber aureus…, p. 113-115
77
Les lieux décrits sont les mêmes, mais ils sont nommés d’une autre façon : « le lieu même
où est placée cette Église avec toutes ses possessions et dépendances ; l’église de Saint-Léon,
les églises de Biarritz, de Bassussarri, d’Arbonne, de Saint-Jean-de-Luz, de Mayer, de Saint-
Vincent d’Ustaritz, d’Orquuit (Urcuit), de Pagaru, d’Orsais, de Bonloc, l’hôpital et oratoire
qui se trouve hors les murs de la ville de Bayonne ; l’hôpital et oratoire d’Apat ; l’hôpital et
oratoire de Irizuri (Irissarry) avec toutes les possessions et dépendances des susdites églises
et oratoires, les vallées dites de Labourd, d’Arberoue, d’Orsais (Ossès), de Cize, de Baïgorry,
de Bastan, de Lerin, de Lessaca, d’Otarzu (vallée de Fontarabie) jusqu’à Saint-Sébas-
tien » ; locum ipsum in quo prefata ecclesia sita est cum omnibus tenimentis et pertinentiis suis,
ecclesiam Sancti Leonis, ecclesiam de Bearidz, ecclesiam de Majer, ecclesiam de Narbona, ecclesiam
Sancti Johannis de Luis, ecclesiam Sancti Vincentii de Ustaritz, ecclesiam de Orquuit, ecclesiam de
pagazu, ecclesiam de Orsais, ecclesiam de Bono Loco, hospitale et oratorium extra muros civitatis
Baione, hospitale et oratorium de Apate, hospitale et oratorium de Izuri, cum omnibus tenimentis et
pertinentiis tam ecclesiarum quam hospitalarium predictorum ; vallem que dicitur Laburdi, vallem
que dicitur Bastan, vallem que dicitur Lerin, vallem que dicitur Lesseca, vallem que dicitur Otarzu,
usque ad Sanctum Sebastianum, Ibid., n° 94, p. 134.
224
78
L’archevêque dit avoir appris des chanoines que Roger avait fait fabriquer ce faux à
partir d’un privilège du monastère d’Alet où il s’était rendu : (…) ego Willelmus Auscitane
metropolis indignus, interfui exequiis Rodgerii (…) Olorensis episcopi. (…) Unde mihi de ejus esse
studiosius investiganti, responsum est a clericis quoniam inter caetera quae, si dici liceat, minus juste
gesserat, falsum confecerat privilegium hoc modo. Ad Electensem veniens ecclesiam, de privilegio monas-
terii illius adulterinum sibi fecerat transcribi privilegium, quibusdam mutatis, detractis et additis,
bullamque novam fabricari, qua privilegium bullatum erat ; Cartulaire de la cathédrale de Dax…, n°
143, p. 300-301.
79
Ibid., n° 144, p. 302-305.
80
L’attestation de Guillaume Ier présente de nombreuses incohérences chronologiques :
à la date de la mort de Roger, Guillaume n’est pas encore archevêque et le seul concile de
Nogaro qu’il a présidé s’est tenu en 1141. D’après les éditeurs du cartulaire, ces erreurs
peuvent résulter des confusions commises par le rédacteur de l’acte interprétant un témoi-
gnage postérieur de l’archevêque d’Auch, mais ils soulignent aussi que les raisons invoquées
à la fin du document pour justifier la destruction de ce faux que le métropolitain aurait fait
225
Les reproches les plus sévères sont adressés par les rédacteurs du
cartulaire de Dax à leurs évêques jugés mous et timorés dans la défense
de leurs droits et de ceux du chapitre. Ces qualificatifs peuvent tou-
jours passer pour de la frustration face aux défaites essuyées dans les
différents conflits frontaliers. Cependant, les chanoines de la cathé-
drale de Dax ne sont pas les seuls à porter ce regard sur les prélats et
la partialité des rédacteurs des cartulaires témoigne peut-être de leurs
rapports au territoire diocésain qu’ils ne partageaient pas avec les
évêques.
Tout d’abord, les propos critiques tenus sur les évêques ne sont pas
l’apanage des chanoines. La charte n° 38 du cartulaire de l’abbaye de
Saint-Jean-de-Sorde ne donne pas une image plus reluisante de l’évê-
que Grégoire de Montaner, également abbé de ce monastère81. Il est
226
accusé, dans ce document d’avoir fait perdre une terre à cette abbaye82.
Les propos tenus dans cet acte et dans le cartulaire de Dax se ressem-
blent : dans le Livre rouge le cumul des responsabilités de Grégoire est
dénoncé ainsi que la négligence de l’évêque qui en découle83. Or, c’est
sous son épiscopat que la Soule est soustraite au diocèse de Dax, soit
l’équivalent de soixante neuf paroisses84. Pourtant, Grégoire n’a pas
laissé un mauvais souvenir puisque malgré cet échec, les temporels
des différents sièges qu’il a occupés se sont considérablement enrichis
du fait des donations qui leur ont alors été faites par les aristocrates
locaux85. Les raisons qui peuvent justifier son attitude vis-à-vis des
empiètements de l’évêque d’Oloron ne manquent pas. Rien n’empê-
che d’imaginer qu’il a pu choisir d’abandonner la Soule à l’évêque
d’Oloron, ne pouvant prouver les droits de son évêché sur cet espace.
Son choix a également pu être motivé par des raisons de sécurité :
l’évêque d’Oloron, allié au vicomte de Béarn, ayant agi avec le
concours des seigneurs souletins, Grégoire n’a peut-être pas voulu
exposer les biens de ses monastères, ni le diocèse de Lescar à d’éven-
tuels raids vengeurs de leur part. Si on considère la chronologie,
même approximative, de l’acquisition de ses différentes responsabili-
tés, on s’aperçoit que le siège épiscopal de Dax, qu’il n’occupe que
peu de temps, a pu être une affectation provisoire, peut-être même
un complément de son activité à Lescar où il assiste Raymond le Vieux.
Enfin, malgré l’unique réserve à son égard dans le cartulaire de Sorde,
l’activité de Grégoire donne l’impression d’avoir été mieux adaptée
aux monastères. Il est le seul moine évêque de la période à avoir
cumulé abbatiats et épiscopats : on peut alors supposer que le déve-
loppement de la puissance épiscopale, comme la création de sièges
épiscopaux forts au centre des diocèses, a pu lui sembler dangereuse
ou du moins contraire aux intérêts des monastères qui avaient jusqu’ici
focalisé toutes les attentions et organisé la vie religieuse. Or, le projet
de l’archevêque d’Auch, Austinde, qui a contribué à rétablir les
82
Cartulaire de l’abbaye Saint-Jean-de-Sorde, éd. P. RAYMOND, Paris – Pau, 1873, acte n° 38,
p. 28-29.
83
Les auteurs de l’acte notice n° 152 insistent sur le fait que plus cet évêque avait d’hon-
neurs, moins il se consacrait à chacun : Occupabat autem Aquaensem episcopatum tunc abbas
Sancti Severi Wasconiae Gregorius qui erat episcopus Lascurrensis ; tenebat etiam multos alios honores.
Qui quanto ampliores tenebat honores, tanto minor erat ad singulos, Cartulaire de la cathédrale de
Dax…, p. 330-331.
84
D’après l’estimation de V. DUBARAT, La Commanderie et l’hôpital d’Ordiarp, Pau, 1887,
p. 167.
85
C’est par exemple le cas des monastères de Saint-Sever et de Sorde qui voient alors
affluer les donations de terres et d’églises en leur faveur.
227
86
Il est issu d’une famille seigneuriale « de Mugron » ; son père, Raymond, a reçu de l’abbé
de Saint-Sever le territoire sur lequel son autre fils, Pierre, a construit le village auquel il a
donné son nom. Voir A. DEGERT, « Histoire des évêques de Dax… », p. 29-30.
87
Cartulaire de la cathédrale de Dax…, p. 332.
88
Pour décider du sort du Garenx et du Reveset, une assemblée de prélats convoquée par
le légat pontifical Richard de Saint-Victor de Marseille se tient, certainement en 1083 ou
1084, dans un monastère – Sanctus Petrus de Regula Barbapodium – que les historiens ont pris
l’habitude d’assimiler à Saint-Pierre de Larreule, une abbaye béarnaise, depuis les travaux
de P. de Marca. Les éditeurs du Cartulaire de la cathédrale de Dax remettent en cause cette
localisation pour des raisons toponymiques et géographiques, voir note 867, p. 342-343, et
F. Boutoulle propose une nouvelle identification, également problématique, du lieu avec
Saint-Pierre de La Réole (diocèse de Bazas, sur la rive droite de la Garonne). Or, l’assemblée
en question devait aussi statuer, d’après A. Degert, sur le conflit opposant Bernard de
Mugron aux moines de cette abbaye au sujet du prieuré de Saint-Caprais de Pontonx. Fondé
vers 960 par un vicomte de Tartas qui l’aurait donné au monastère de Fleury et de La Réole,
détruit puis reconstruit au début du XIe siècle, cet établissement serait tombé, au gré d’usur-
pations successives, aux mains de Bernard de Mugron. Les moines de La Réole le lui récla-
ment donc à plusieurs reprises à l’occasion de conciles : condamné à le leur rendre, Bernard
continue pourtant de le détenir semble-t-il jusqu’en 1093 au moins. Voir A. DEGERT, « His-
toire des évêques de Dax… », p. 33-35.
228
89
B. GUILLEMAIN, « Les moines sur les sièges épiscopaux du sud-ouest … ».
90
Ce n’est pas la nature du recrutement qui surprend, mais bien la proportion et la chro-
nologie de ces choix.
91
B. GUILLEMAIN, « Les moines sur les sièges épiscopaux du sud-ouest … », p. 381.
92
Le premier acte du Livre rouge de Dax qui retrace, entre 1052 et 1057, le transfert du
siège de la cathédrale de Saint-Vincent de Xaintes à l’intérieur des murs de la cité, fait aussi
229
office d’acte de fondation du chapitre, « une sainte communauté de clercs » dotée de biens
par l’évêque Raymond « le Vieux », le duc d’Aquitaine Gui-Geoffroy et d’autres seigneurs
gascons dont le vicomte de Dax. Voir Cartulaire de la cathédrale de Dax…, p. 92-95. à Aire le
phénomène est encore plus tardif puisqu’il n’est jamais fait mention de chanoine dans la
documentation avant 1135 d’après J.-B. Marquette.
93
Les archidiacres de Lescar et de Tarbes deviennent, par exemple, évêques de ces deux
églises dès le dernier quart du XIe siècle.
94
On peut retenir les cas de deux évêques de Lectoure, Raymond Ebbon et Guillaume
d’Andozille (1118-1126) qui sera ensuite archevêque d’Auch, de Bertrand évêque de Com-
minges (1083-1123), de l’archevêque d’Auch Gérard de La Barthe, tous passés par Toulouse
en tant que chanoines ou évêque.
95
Voir à ce sujet les articles de F. RYCKEBUSCH, « Entre la règle et le siècle : les chanoines
de Dax dans le Liber rubeus », p. 17-45 et de B. CURSENTE, « Le cartulaire de Dax et la
société des laïcs », L’Église et la société dans le diocèse de Dax…
96
S’il existe un petit noyau de chanoines clercs à Dax – qui n’excède guère une dizaine
de personnes d’après les calculs de F. Ryckebusch – il gravite autour d’eux un nombre
indéterminé d’hommes et de femmes au statut ambigu, des « individus amphibies » d’après
G. Pon, « qui passent facilement du monde des laïcs à celui des clercs ».
230
97
Cartulaire de la cathédrale de Dax…, n° 152, p. 326-327.
98
Ibid., p. 328-329.
99
Ibid.
100
Ibid., p. 334-335.
231
101
C’est le cas à l’occasion d’un concile, non identifié, tenu à Poitiers, dans lequel l’archi-
diacre expose, en présence d’Amat d’Oloron, les abus de ce dernier à l’égard de l’évêque
de Dax. Ibid., p. 336-337.
102
L’archidiacre se rend seul à Lescar après l’attaque lancée contre le pays de Mixe par le
vicomte de Béarn pour y rencontrer le légat pontifical ; il fait de même à l’assemblée fixée
à Larreule. Ibid., p. 342-345.
232
103
Le Liber aureus…, n° 94, p. 134-135.
104
Amat [...] ut veram querimoniam Bernardi devitaret, fictam et falsam opposuit, scilicet de quadam
diocesi, que erat inferior supradictis superioribus versus Aquim civitatem, in qua novem tantum
continentur ecclesiae, Cartulaire de la cathédrale de Dax …, p. 332-334.
105
Voir par exemple la lettre de Grégoire VII citée dans la charte notice n° 152, Ibid., p. 338-
341.
106
Voir la lettre de Pascal II, Ibid., p. 348-349.
233
107
Raimundus Aquensis episcopus, et ecclesia Sanctae Mariae Aquensis conventus, totum suum
episcopatum in quatuor partes diviserunt, quibus singulos archidiaconos prefecerunt, qui oculi et
dispositores ecclesiae predicte existerent..., ibid., n° 153, p. 352.
108
Ibid., n° 152, p. 328-329.
109
Ibid., n° 174, p. 406-441. Voir également J.-B. MARQUETTE, « La géographie ecclésias-
tique du diocèse de Dax… ».
110
J.-B. MARQUETTE, « La renaissance médiévale… », p. 176.
234
235
Charles Garcia
1
C’est la même idée que défendent aujourd’hui les géographes lorsqu’ils privilégient,
s’agissant de l’appropriation du territoire, les registres cognitifs ou symboliques sur les
moyens purement matériels, B. DEBARBIEUX, « Territoire », Dictionnaire de la géographie,
Paris, Belin, 2003, p. 910-912.
2
Pour toutes ces questions, nous renvoyons à la lecture indispensable et stimulante d’un
ouvrage récent dirigé par P. Henriet À la recherche de légitimités chrétiennes. Représentations de
l’espace et du temps dans l’Espagne médiévale (IX e-XIII e siècle), P. HENRIET dir., Lyon, ENS-Casa
de Velázquez, 2003 (Annexes des Cahiers de linguistique et de civilisation hispaniques
médiévales, 15).
237
3
Crónicas Asturianas. Crónica de Alfonso III (Rotense y ad Sebastianis). Crónica Albeldense ( y
Profética), éd. J. G. Fernández, J. L. Moreno et J. I. Ruiz de la Peña, Oviedo, 1985,
p. 130 : tunc populatur patria, restauratur ecclesia et omnes in commune gratias referunt Deo ; Chro-
niques asturiennes (fin IX e siècle), éd. Y. BONNAZ, Paris, CNRS, 1987, p. 44.
4
Les diocèses, comme les royaumes ou les seigneuries, constituent, selon la définition de
José Ángel García de Cortázar, des « unités d’articulation sociale de l’espace », contraire-
ment aux « unités d’organisation sociale de l’espace » comme les vallées, les villages, les
villes, les alfoces…, qui se caractérisent par leur continuité physique, d’où leur dimension
sociale territorialisée et globalisante ; sachant que les premières unités incluent les secondes,
en les juxtaposant la plupart du temps, voir J. Á. García de Cortázar, « Sociedad y
organización social del espacio castellano en los siglos VII a XII. Una revisión historiográ-
fica », Romanización y Reconquista en la Península Ibérica : nuevas perspectivas, M. J. Hidalgo
et alii éd., Salamanque, 1998, p. 317-337, ici p. 324.
5
M. SORIA-AUDEBERT, La crosse brisée. Des évêques agressés dans une Église en conflits (royaume
de France, fin X e - début XIII e siècle), Turnhout, Brepols, 2005 (Culture et société médiévales).
6
Sur la difficulté d’appliquer la notion actuelle de « territoire » à l’époque médiévale, cf.
la récente synthèse d’A. MAILLOUX : « Le territoire dans les sources médiévales : percep-
tion, culture et expérience dans l’espace social. Essai de synthèse », dans Les Territoires du
médiéviste, B. Cursente et M. Mousnier dir., Rennes, PUR, 2005, p. 223-235.
7
Ne serait-ce le thème de la violence qui nous occupe ici, on pourrait également retenir,
comme élément d’articulation entre le pouvoir social et l’espace, un autre registre, celui
du culturel, par exemple à travers les dévotions cultuelles et les invocations des bâtiments
238
239
tions fiscales par trop excessives12. Quant aux querelles autour des
délimitations diocésaines, on peut considérer qu’elles faisaient partie
du jeu normal que se livraient les élites aristocratiques pour le pouvoir,
un élément qui explique qu’elles aient peu impliqué la masse de la
population, qui n’avait rien à gagner dans ces querelles. En effet, le
résultat des violences fut généralement contraire aux intérêts du plus
grand nombre, et au profit, bien entendu, des autorités épiscopales
qui surent utiliser les désordres à leur profit pour accroître leur
emprise sur les territoires qu’elles dirigeaient, ce qui constituait en
quelque sorte l’objectif recherché13.
12
Certains des mouvements de violence que nous suivrons ici ont été étudiés, sous l’angle
de l’anticléricalisme, par P. HENRIET, « In injuriam ordinis clericalis. Traces d’anticléricalisme
en Castille et León (XIIe-XIIIe s.) », dans L’anticléricalisme en France méridionale (milieu XII e -
début XIV e siècle), Cahiers de Fanjeaux, 38 (2003), p. 289-325.
13
C. GAUVARD, Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard, 2005, p. 13 : « Le pouvoir,
parce qu’il se définit d’abord par l’acquisition de privilèges, s’arrache par l’exclusion des
adversaires, égaux ou subalternes. Il se justifie par la force qui le fonde et par la protection
qui en découle ».
14
D. MANSILLA REOYO, « Panorama histórico-geográfico de la Iglesia española (siglos
VIII al XIV) », dans Historia de la Iglesia en España. II-2°. La Iglesia en la España de los siglos
VIII-XIV, R. García-Villoslada dir., Madrid, 1982 (Biblioteca de Autores Cristianos),
p. 609-683. J. SÁNCHEZ HERRERO, Las diócesis del reino de León. Siglos XIV y XV, León,
Centro de estudios e investigación « San Isidoro », 1978.
15
A. GUERREAU, « Il significato dei luoghi nell’Occidente medievale : struttura e dina-
mica di uno «spazio» specifico », dans Arti e storia nel Medioevo, t. 1, E. Castelnuovo et
G. Sergi éd., Turin, Einaudi, 2002, p. 201-239, ici p. 212 : « L’invariabilità dei confini delle
diocesi non fu inferiore all’immutabilità del principio. E già da tempo è stato notato il
numero assai ristretto di casi in cui dei «potere laici» ottennero la modifica di questi confini ;
ci furono delle fondazioni e qualche divisione, ma pressoché nessuna modifica del disegno
iniziale », l’Espagne étant, pour les raisons déjà invoquées, un cas à part par rapport au
modèle global dans l’Occident chrétien.
16
R. LE JAN, « Introduction », dans L’Autorité du passé dans les sociétés médiévales, J.-M. Sans-
terre dir., Rome, École française de Rome, 2004, p. 1-7.
240
La restauration des anciens évêchés fut pour cette raison l’une des
priorités des monarques asturo-léonais18. Pourtant, au Xe siècle, la
plupart des sièges qui avaient été rétablis n’étaient pas encore terri-
torialisés. À Zamora, par exemple, l’autorité de l’évêque ne dépassait
pas les murailles de la ville et bien que beaucoup de documents aient
prétendu marquer des limites physiques très précises, nous savons
qu’il s’agit de falsifications datant pour la plupart du début du XIIe
siècle, le moment où l’Espagne changea d’écriture en remplaçant la
vieille méthode wisigothique par la nouvelle caroline. Mais peu
importe qu’il se soit agi de falsifications, dès lors que prime, selon
nous, la : « dimension structurante de l’acte écrit […] consécutif à
une procédure normalisée de fixation territoriale »19. Bien entendu,
au début du XIIe siècle ces diocèses étaient bien moins territorialisés
que ce qu’auraient souhaité les auteurs de forgeries, leur vision de
l’espace étant davantage une vision de l’esprit, une « sémantisation »
comme dirait García de Cortázar20, qu’une réalité. La démarcation
17
C’était une pratique qui s’inscrivait dans la droite ligne de la tradition wisigothique dans
laquelle les évêques avaient agi comme de véritables administrateurs territoriaux, cf., C.
MARTIN, La géographie du pouvoir dans l’Espagne visigothique, Lille, Presses Universitaires du
Septentrion, 2003, p. 192-203. J. Á. GARCÍA de CORTÁZAR, « El reino de León en torno
al año mil. Relaciones de poder y organización del territorio », dans La Península ibérica en
torno al año 1000. VII Congreso de Historia Medieval, Ávila, Fundación Sánchez-Albornoz, 2001,
p. 255-281.
18
C. SÁNCHEZ-ALBORNOZ, « El obispado de Simancas », dans Homenaje a Ramón Mené-
ndez-Pidal, Madrid, 1925, t. 3, p. 325-345. Pour des développements plus récents, cf. P. HEN-
RIET, « L’espace et le temps hispaniques vus et construits par les clercs (IXe - XIIIe siècle) »,
dans À la recherche de légitimités chrétiennes…, p. 81-127, ici p. 122-126.
19
A. MAILLOUX : « Le territoire dans les sources médiévales… », p. 225.
20
J. A. GARCÍA de CORTÁZAR, « Organización del espacio… », p. 154 : « En muchos de
esos textos se produjo lo que he llamado una semantización del espacio, esto es, la creación
de un mensaje ideológico por parte del redactor del texto, que, a estos efectos, subordina
los datos de la realidad a su concepción (o su deseo) de que el territorio está ordenado de
241
242
243
que les limites des juridictions coïncidèrent, un cas d’espèce il est vrai
peu fréquent. Pourtant, certains renversements d’alliances et autres
intérêts convergents amenèrent parfois les évêques à rejoindre les
oligarchies locales qui contrôlaient les concejos. Signalons enfin que le
patrimoine foncier des cathédrales, comme l’emprise des juridictions
ecclésiales, ignoraient les frontières « politiques » des royaumes, des
villes et des communautés rurales car l’Église était, comme on le sait
bien, placée au-dessus des contingences matérielles de l’espace. Ainsi,
l’enchevêtrement territorial des différents pouvoirs, loin de la desser-
vir, était au contraire l’une des clés de l’efficacité du système médiéval
de domination sociale30.
30
A. GUERREAU, « Quelques caractères… », p. 92-94.
31
La paroisse, dans le sens d’une « assemblée des fidèles » qui se regroupait au sein d’un
temple, est un concept qui existait déjà au haut Moyen Âge, un concept étranger à la notion
d’intégration obligée dans un diocèse du fait de la prépondérance du phénomène dit des
« églises propres ». Ce n’est qu’après la réforme « grégorienne » que la paroisse fut perçue
comme une véritable unité d’imposition fiscalo-décimale, d’où la nécessité de lui attribuer
un cadre physique défini, sorte de territorialisation, auquel étaient indéfectiblement rattachés
ses habitants, cf. R. FOSSIER, La société médiévale, Paris, Armand Colin, 1991, p. 196-203.
32
G. CAVERO DOMÍNGUEZ et E. MARTÍN LÓPEZ, Colección documental de la catedral de
Astorga. I (646-1126), doc. n° 306.
33
J. J. LARREA, « Villa Matanza », dans Les sociétés méridionales à l’âge féodal (Espagne, Italie
et sud de la France X e - XIII e s.). Hommage à Pierre Bonassie, H. Débax dir., Toulouse, PUM,
1999, p. 223-228.
244
34
A. QUINTANA PRIETO, Crisis de la Iglesia astorgana en el siglo XI, Astorga, 1970, p. 42-45 ;
et du même auteur, El obispado de Astorga en el siglo XI, Astorga, 1977, p. 34-35 ; sur le soulè-
vement, vid., p. 193-195. Notons que, toujours en 1046, les infanzones du Val de San Lorenzo
avaient, eux-aussi, tenté de se soustraire à l’autorité de l’évêque, G. CAVERO DOMÍNGUEZ
et E. MARTÍN LÓPEZ, Colección documental de la catedral de Astorga. I (646-1126), doc.
n° 304.
35
M. C. CAVERO DOMÍNGUEZ, Astorga y su territorio en la Edad Media (s. IX-XIV) : evolución
demográfica, económica, social, político-adminsitrativa y cultural de la sociedad astorgana medieval,
León, Universidad de León, 1995, p. 244 : « Durante el s. XI se produce la consolidación
de la Iglesia de Astorga como gran propietario feudal, también con la ayuda del monarca,
como puede constatarse en los casos conflictivos, y como era frecuente en el proceso de
feudalización ».
245
Au début du XIIe siècle la carte des diocèses était pour ainsi dire
fixée. Pourtant, le mouvement connu sous le nom de seconde repobla-
ción, avec la conséquente création des villes royales et des nouveaux
alfoces, altéra quelque peu les différentes limites. Il provoqua la cou-
pure en deux de certains villages, certes en nombre très faible ; les
paroisses se répartissant dès lors de part et d’autre d’une ligne médiane
comme à Santibáñez de la Mota38, ou de manière plus entremêlée à
Tordehumos. La ville de Medina de Rioseco avait été en effet repeu-
plée vers 1120 à la frontière des diocèses de León et de Palencia. Cette
situation géographique singulière généra toute une série de conflits
entre les deux sièges, et ce jusqu’à la définitive attribution au profit
du second. Dans le même ordre d’idées, les querelles entre les évêchés
de Zamora et de Palencia furent tout aussi âpres, notamment dans la
basse vallée du Sequillo, en pleine Tierra de Campos. Urueña, dont
le rattachement ecclésiastique n’avait pas été clairement établi, fut au
bout du compte attribuée à Palencia, mais ce ne fut pas le cas de l’un
des villages de son alfoz, Villardefrades, qui dépendait de Zamora,
cathédrale à laquelle la bourgade finit par être rendue39. Ces exemples
36
E. SÁEZ, Colección documental del archivo de la catedral de León (775-1230). I (775-952), doc.
n° 257. Ordoño III, à propos de l’Église de Santa María de León (952) : Ordinamus atque
concedimus uobis, ad imperandum, comissum quod uocitant Ualle de Ratario cum omnis terminis
suis, ab integro, ut obtineatis eo de nostro concesso, sicut eum obtinuerunt antecessores uestri de dato
genitoris mei […] ipse populus, qui ibidem habitant uel ad habitandum uenerint, ad uestram concur-
rant hordinationem pro nostris utilitatibus peragendis.
37
J. M. RUIZ ASENCIO, Colección documental del archivo de la catedral de León (775-1230). IV
(1032-1109), León, Centro de estudios e investigación « San Isidoro », 1990, doc. n° 899
(1032), p. 7-8.
38
Archives de la Cathédrale de Zamora (=ACZ), 14-22, où il y avait des églises : « que perte-
nescen al obispado de Palencia e otras que pertenescen al obispado de Çamora e los feligreses de las
dichas iglesias se mudan de las unas a las otras e deuen dar los diesmos do douen ».
39
J.-L. MARTÍN, Documentos del archivo catedralicio de Zamora. Primera parte (1128-1261),
Salamanque, 1982, doc. n° 155 (1255), p. 129 : « que sobre contienda que era entre la eglesia de
246
Palencia e la eglesia de Çamora sobre las tercias que pertenescen al obispo en las eglesias de Villar de
Frades […] estos amigos avenidos mandaron que estas tercias fuessen de la eglesia de Çamora ». La
délimitation par bornage entre les deux diocèses n’était pas encore terminée en 1346 entre
Marzales et Villalar, cf., ACZ, 13-22b et 13-22c.
40
J. Á. GARCÍA de CORTÁZAR, « Espacio, sociedad y organización medievales en nuestra
tradición historiográfica », dans J. Á. García de Cortázar et alii, Organización social del
espacio en la España medieval. La Corona de Castilla en los siglos VIII a XV, Barcelone, Ariel, 1985,
p. 11-42.
41
Ángel VACA LORENZO, « El obispado de Palencia desde sus orígenes hasta su definitiva
restauración en el siglo XI », Hispania Sacra, 52 (2000), p. 21-70.
42
P. LINEHAN et J.C. de LERA MAÍLLO, Las postrimerías de un obispo alfonsino. Don Suero
Pérez, el de Zamora, Zamora, Semuret, 2003, p. 46-47. Alfonso de Molina était le père de Juan
Alfonso qui fut évêque de Palencia de 1274 à 1293.
247
par un évêque s’explique ici par la volonté de briller face à ses concur-
rents et voisins, voire par le souhait de s’émanciper d’une tutelle
encombrante. Pélage d’Oviedo avait mis en scène les reliques de l’Arca
Santa pour obtenir l’exemption de son diocèse vis-à-vis des métropo-
litains de Tolède et de Braga43. L’utilisation des reliques comme argu-
ment de légitimité sur un espace, autrement dit la sacralisation de
celui-ci, nous permet d’établir une différence entre les monastères et
les cathédrales. Là où l’on peut parler pour les premiers de spatialité
autour des pôles sacralisés de moindre catégorie, non continus, qui
regardaient vers l’abbaye dotée des reliques les plus prestigieuses, il
nous semble qu’il faille parler de territorialité diocésaine à propos des
évêches, c’est-à-dire d’un espace homogène et continu pour nos yeux
contemporains.
43
F. J. FERNÁNDEZ CONDE, « Espacio y tiempo en la construcción ideológica de Pelayo
de Oviedo », À la recherche de légitimités chrétiennes…, p. 129-148.
44
L. G. de VALDEAVELLANO, Historia de España antigua y medieval. 2. Del siglo X a las Navas
de Tolosa, Madrid, Alianza Editorial, 1980, p. 392.
45
F. LÓPEZ ALSINA, La ciudad de Santiago de Compostela en la alta Edad Media, Saint-Jacques
de Compostelle, Centro de estudios jacobeos, 1988, p. 228 : « En Santiago radican la domus
Beati Jacobi y el palacio episcopal, titulares simbólico y real del señorío, lo que significa que
la Tierra de Santiago se dirige desde la ciudad y que los beneficios materiales del ejercicio
del poder señorial se concentran en ella », p. 242 : « La acumulación progresiva de funcio-
nes, ejercidas sobre espacios cada vez más amplios – capital señorial, sede episcopal, sede
apostólica, meta de peregrinación internacional –, provoca la transformación del pequeño
locus rural ».
248
46
I. RUIZ ALBI, La reina doña Urraca (1109-1126). Cancillería y colección diplomática, León,
Centro de estudios e investigación « San Isidoro », 2003, doc. n° 113, p. 537-538.
47
M. GONZÁLEZ VÁZQUEZ, El arzobispo de Santiago : una instancia de poder en la Edad Media
(1150-1400), La Corogne, Seminario de estudios gallegos, 1996, p. 104.
48
Historia Compostellana, éd. E. Falque Rey, Turnhout, Brepols, 1988 (Corpus Christia-
norum Continuatio Medievalis, 70), III-XVI, p. 444 : multi ex illis terris tam milites quam rustici
diabolico instinctu stimulati in eum insurgentes captioni mancipauerunt, et eum deshonestantes et
uerberantes et a suis equitaturis et uestimentis cum suis sequacibus priuantes in carcerem immisericor-
diter retruserunt.
49
Tumbo “A” de la catedral de Santiago, éd. M. L. Álvarez, Saint-Jacques de Compostelle,
Seminario de estudios gallegos, 1988, doc. n° 112, p. 234-236.
249
50
L. M. VILLAR GARCÍA, La Extremadura castellano-leonesa, guerreros, clérigos y campesinos
(711-1252), Valladolid, Junta de Castilla y León, 1986, p. 260-263.
51
R. A. FLETCHER, The Episcopate in the Kingdom of León in the Twelfth Century, Oxford,
Oxford University Press, 1978, p. 35.
52
LUCAS de TUY, Chronicon mundi, éd. E. Falque REY, Turnhout, Brepols, 2003 (Corpus
Christianorum Continuatio Medievalis, 74), p. 317 : Salamanticenses autem eo, quod rex Fer-
nandus in eorum termino Ciuitatem Roderici populauerat, ceperunt rebellare contra regem Fernandum.
Voir Primera crónica general de España, éd. R. Menéndez Pidal, Madrid, Gredos, 1977
(rééd.), p. 673 : los çipdadanos moradores della assonaronse por aquello que el rey don Fernando les
encortaua sos terminos et les poblaua .
53
R. PASTOR, Resistencias y luchas campesinas en la época del crecimiento y consolidación de la
formación feudal. Castilla y León, siglos X - XIII, Madrid, Siglo Veintiuno, 1980, p. 144-145.
250
54
F. FITA, « El papa Alejandro III y la diócesis de Ciudad Rodrigo (años 1173-1175) »,
Boletín de la Real Academia de la Historia, 62 (1913), p. 154-157.
55
M. LAUWERS, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval,
Paris, Aubier, 2005, p. 269-274.
56
N. BEREND, « Défense de la Chrétienté et naissance d’une identité. Hongrie, Pologne
et péninsule ibérique au Moyen Âge », Annales HSS, 2003/5, p. 1009-1027.
57
F. J. FERNÁNDEZ CONDE, La religiosidad medieval en España. Plena Edad Media (ss. XI-XII),
Gijón, Trea, 2005, p. 22 : « Desde el siglo XI, y con el apoyo de la corte de Pamplona, los
ejércitos de cluniacenses invaden la península, y de manera especial las regiones centro-
occidentales ».
251
58
A. GUERREAU-JALABERT, « Les structures de parenté dans l’Europe médiévale », Anna-
les ESC, 36-6 (1981), p. 1028-1049.
59
G. DI MÉO et Y. VEYRET, « Problématiques, enjeux théoriques et épistémologiques pour
la géographie », Limites et discontinuités géographiques, L. Carroué et alii, Paris, Sedes, 1996,
p. 5-26, ici p. 14.
60
Dans la documentation de Sahagún, la première mention du mot parrochia date seule-
ment de l’année 1230, J. A. FERNÁNDEZ FLÓREZ, Colección diplomática del monasterio de
Sahagún (857-1300). IV (1110-1199), León, Centro de estudios e investigación « San Isi-
doro », 1991, doc. n° 1239, p. 124 ; quant à celle de diocesis, elle commence seulement à se
généraliser au début du XIIIe siècle, doc. n° 1620 (1219), p. 125-126.
61
Nous renvoyons à la récente monographie que la revue Médiévales vient de consacrer à
ce thème : « La paroisse. Genèse d’une forme territoriale » et, pour ce qui est des définitions
sémantiques, à l’article de M. LAUWERS, « Paroisse, paroissiens et territoire. Remarques
sur parochia dans les textes du Moyen Âge », Médiévales, 49 (2005), p. 11-32. En 1122, quel-
ques décennies à peine après la conquête de Tolède, le pape Calixte II confirma à Bernard
la primauté de l’Église tolédane sur toutes les autres de l’Espagne. C’est à ce titre que le
romain pontife rappella que toutes les églises de l’ancienne «paroisse» Complutense, en
réalité diocèse, dépendaient de Tolède, J. A. FERNÁNDEZ FLÓREZ, Colección diplomática
del monasterio de Sahagún (857-1300). IV (1110-1199)…, doc. n° 1208, p. 69-70 : Conplutensem
252
siècle, les paroisses faisaient partie d’un territoire plus vaste qui était
très rarement nommé en tant que tel. Certes, il y a quelques référen-
ces au diocèse, et plus rarement à l’évêché, les deux dénominations
renvoyant moins à un mode d’appropriation de l’espace par les habi-
tants qui l’occupaient qu’à une dimension politique : celle des dispu-
tes entre les puissants qui cherchaient à s’en emparer, ou à l’agrandir
et c’est là qu’entre en jeu la question des limites. Quant au paroxysme
de la violence atteint au XIIIe siècle autour des marges diocésaines, il
doit être interprété comme l’un des indices qui nous renseignent le
plus utilement sur la phase terminale de la territorialisation des dio-
cèses, alors en voie d’achèvement.
ei parroquiam cum terminis suis necnon et ecclesias omnes atque dioeceses, quas iure proprio antiquitus
posedisse cognoscitur .
253
62
Sur l’obligation de l’évêque, certes quelque peu tardive dans la documentation (1411),
cf. A. GARCÍA y GARCÍA dir., Synodicon Hispanum. IV. Ciudad Rodrigo, Salamanca y Zamora,
Madrid, BAC, 1987, p. 298-299.
63
J. M. FERNÁNDEZ CATÓN, Colección documental del archivo de la catedral de León (775-
1230). V (1109-1187), León, Centro de estudios e investigación « San Isidoro », 1990, doc.
n° 1663 (1186), p. 578-579.
64
M. HERRERO de la FUENTE, Colección diplomática del monasterio de Sahagún (857-1230).
III (1073-1109), León, Centro de estudios e investigación « San Isidoro», 1988, doc. n° 885,
p. 198-200. L. FERNÁNDEZ MARTÍN, « Villafrades de Campos, señorío del abad de Saha-
gún », Archivos Leoneses, 54 (1973), p. 227-277.
254
La liste des conflits que le pasteur zamoran soutint avec les concejos,
les ordres militaires ou les monastères est trop longue pour qu’on
puisse les énumérer67. Ouvrons cependant quelques dossiers, ceux où
la violence contre la potestas episcopalis se manifesta avec le plus de
force. À Fermoselle, les magistrats du concilium de Zamora poussèrent
les habitants à se soulever contre l’évêque, le seigneur des lieux68. Les
révoltés chassèrent les hommes que le prélat avait dans la ville, ils
détruisirent les récoltes, coupèrent les arbres et rasèrent les bâti-
ments69. À Bamba, les mutins tuèrent le « juge » que l’évêque avait
nommé dans le village pour veiller sur son patrimoine. Certes, ces
exactions ne concernaient que les biens-fonds propres du prélat, mais
cela n’empêcha pas les conflits de s’étendre à d’autres sphères. Le
refus de payer la dîme était une attitude particulièrement ancrée dans
les esprits de l’époque, à telle enseigne qu’Alphonse X dut intervenir
65
G. CAVERO DOMÍNGUEZ et E. MARTÍN LÓPEZ, Colección documental de la catedral de
Astorga. II (1126-1299), León, Centro de estudios e investigación « San Isidoro », 2000, doc.
n° 867, p. 195.
66
C. FERNÁNDEZ DURO, Memorias históricas de la ciudad de Zamora, su provincia y obispado,
Madrid, 1882, t.1, p. 441.
67
J.-L. MARTÍN, « Fuentes y estudios zamoranos », Primer congreso de Historia de Zamora, t.
3. Medieval y moderna, Zamora, Diputación de Zamora, 1991, p. 11-25.
68
Ces épisodes ont été consignés par M. SÁNCHEZ RODRÍGUEZ, « La Diócesis de Zamora
en la segunda mitad del siglo XIII », Primer congreso de Historia de Zamora, t. 3, …, p. 147-171,
ici p. 158-161.
69
J.-L. MARTÍN, Documentos del archivo catedralicio de Zamora …, doc.. n° 172, p. 142-143.
255
Et porque el diezmo es debdo que devemos dar a nostro sennor, nin-
guno non se puede escusar de non lo dar ca si los moros et los judios et
los gentiles que son de otras leyes et que non an connoscencia de la ver-
dadera fe dan los diezmos derechamientre segunt los mandamientos de
su ley, mucho más lo devemos nos dar complidamientre et sin enganno
que somos fijos verdaderos de sancta eglesia […] que ninguno non sea
osado de coger nin de medir so monton de pan que toviere limpio en la
era si non desta guisa : que sea primeramientre tannida la campana tres
vezes a que vengan los terceros o aquellos que los deven recabdar… 70.
70
Ibid., doc. n° 153 (1255), p. 126-128.
71
ACZ, 36-9 : nos ambas partes porque entendemos que es bien […] ordenamos para siempre jamas
que en todos los lugares que sson de la Orde del Hospital en el obispado de Çamora ha el obispo o el
cabildo ha la tercia parte de los diesmos e los ffreyres de la dicha Orde ha las duas tercias… .
72
J. L. MARTÍN MARTÍN et alii, Documentos de los archivos catedralicio y diocesano de Salamanca
(siglos XII-XIII), Salamanque, 1977, doc. n° 88, p. 176-177.
256
73
A. GUERREAU, « Structure et évolution des représentations de l’espace dans le haut
Moyen Âge occidental », Uomo e spazio nell’Alto Medioevo, Spoleto, Centro italiano di studi
sull’Alto Medioevo, 2003 (Settimane di studio del ‘Centro italiano di studi sull’alto
medioevo’, L), t. I, p. 91-115, ici p. 111 : « Cette évolution montre bien que les principales
tensions sociales en Occident s’exprimaient dans le cadre des structures ecclésiastiques et
que ces tensions se traduisaient essentiellement autour d’enjeux spatiaux ».
74
B. ROSENWEIN, Negociating Space. Power and Privileges of Immunity in Early Medieval Europe,
Londres, Ithaca, 1999.
75
K. HERBERS, « Politik und Heiligenverehrung auf der Iberischen Halbinsel. Die Ent-
wicklung des «politischen Jakobus» », Politik und Heiligenverehrung im Hochmittelalter, J.
Petersohn éd., Sigmaringen, Thorbecke, 1994 (Vorträge und Forschungen, 43), p. 177-
275, ici p. 233-239 (avec bibliographie). Il existe une version espagnole de ce travail : Política
y veneración de santos en la península ibérica. Desarrollo del « Santiago político », Pontevedra,
Fundación cultural Rutas del Románico. 1999.
76
O. REY CASTELAO, La historiografía del voto de Santiago. Recopilación crítica de una polémica
histórica, Saint-Jacques de Compostelle, Ediciones de la Universidad, 1985.
257
*
* *
77
O. REY CASTELAO, « La renta del voto y las instituciones jacobeas », Compostellanum,
30 (1985), p. 233-368.
78
M. GONZÁLEZ, El arzobispo de Santiago …, p. 251.
258
79
A. GARCÍA y GARCÍA, « Parroquia, arciprestazgo y arcedianato : origen y desarrollo »,
Parroquia y arciprestazgo en los archivos de la Iglesia (I). Santoral hispano-mozárabe en España.
(Actas de Xl congreso de la asociación. Salamanca, 12-15 de setiembre de 1994), Agustín Hevia
Ballina éd., Oviedo, Asociación de Archiveros de la Iglesia en España, 1996 (Memoria
Ecclesiae, 8), p. 19-40, ici p. 28 : « Por lo que se refiere al territorio, que recibe el nombre
de paroecia y a veces el de dioecesis. Estas denominaciones fueron ambiguas durante bastante
tiempo, ya que cada una de las dos designan unas veces lo que nosotros entendemos por
parroquia, mientras que otras se refieren a la realidad actual de la diócesis ».
80
A. GUERREAU, « Quelques caractères… », p. 96 : « Il est décisif de saisir que la notion
de hiérarchie, fondamentalement ecclésiastique, mettait en jeu dans un même mouvement
une relation de «pouvoir» et une relation d’essence spatiale : preuve de plus de l’insépara-
bilité de l’aspect social et de l’aspect spatial des structures de base du système féodal euro-
péen ».
81
M. HERRERO de LA FUENTE, Colección diplomática del monasterio de Sahagún (857-1230).
III (1073-1109, doc. n° 855 (1089), p. 1161-162, p. 161 : Archidiaconus domnus Bonellus conf.
Citi Quiramiz archidiaconus conf. Guttier archidiaconus conf. Baldouinus archidiaconus conf. ; J.
M. FERNÁNDEZ CATÓN, Colección documental del archivo de la catedral de León (775-1230). V
(1109-1187), doc. n° 1351 (1116), p. 53-56 : omnia monasteria quecumque habentur in toto
archidiaconatu archidiaconi Petri Garsie, omnesque uillas sui archidiaconatus et ecclesias, quascum-
que ipse regit, uel regere debet, et quascumque antecessores eius rexerunt in eodem archidiaconatu, doc.
n° 1367 (1120), p. 86-90.
259
82
J. A. FERNÁNDEZ FLÓREZ, Colección diplomática del monasterio de Sahagún (857-1300). IV
(1110-1199)…, doc. n° 1228 (1126), p. 108-109 : Honorius episcopus, servus servorum Dei,
dilectis filiis abbati et priori de Trianos et archipresbitero de Ceya, Legionensis dioecesis.
83
T. BURÓN CASTRO, Colección documental del monasterio de Gradefes. I (1054-1299), León,
Centro de estudios e investigación « San Isidoro », 1998, doc. n° 163 (1182), p. 208 : Uicarios
in Cea Gonzaluus archipresbiter ts..
84
J. SÁNCHEZ HERRERO et R. LÓPEZ BAHAMONDE, « La geografía eclesiástica en
León y Castilla. Siglos XIII al XVI », dans El pasado histórico de Castilla y León, t. 1 : Edad media,
I Congreso de Historia de Castilla y León, Burgos, Junta de Castilla y León, 1983, p. 295-313,
ici p. 300.
85
J. L. MARTÍN MARTÍN et alii, Documentos de los archivos catedralicio y diocesano de Sala-
manca…
260
Florian Mazel
1
Les remarques qui suivent ne constituent qu’un rapide survol de la question fondé sur
la lecture des contributions de Myriam Soria et Charles Garcia. Les notes ont été réduites
au minimum. Pour une approche plus argumentée, je me permets de renvoyer à l’ouvrage
suivant : L’espace du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval (V e-XIII e siècle),
F. MAZEL dir., Rennes, PUR, 2008, ainsi qu’à un mémoire d’habitation à diriger les recher-
ches : De la cité au diocèse. Eglise, pouvoir et territoire dans l’Occident médiéval (V e-XIII e siècle),
soutenu à l’université Rennes 2 le 21 novembre 2009.
2
On peut citer le cas exemplaire de la Provence : voir A. REINAUD DE FONVERT, Carte
des circonscriptions diocésaines avant 1789 dans les anciennes provinces ecclésiastiques d’Aix, d’Arles
et d’Embrun pour servir à l’intelligence des divisions civiles et administratives de la province romaine
à la fin du IV e siècle après J.-C., Aix-en-Provence, 1862. Sur les excès d’une telle approche :
F. BERTONCELLO, Y. CODOU, « Variations sur un thème : le territoire de la cité antique
et du diocèse médiéval de Fréjus (Var) », dans Peuples et territoires en Gaule méditerranéenne,
Hommage à Guy Barruol (Revue Archéologique de Narbonnaise, Supplément 35), 2003, p. 167-
180. Chaque région française a nourri une historiographie abondant dans ce sens.
261
3
Plutôt que les usages géographiques du terme territoire, variés, parfois flous ou discor-
dants (voir à ce sujet : F. RIPOLL et V. VESCHAMBRE, « Le territoire des géographes.
Quelques points de repère sur ses usages contemporains », dans Les territoires du médiéviste,
B. CURSENTE et M. MOUSNIER dir., Rennes, PUR, 2005, p. 275-292), on préfèrera ici la
définition wébérienne, certes plus étroite, qui en fait essentiellement l’espace de projection
d’un pouvoir institutionnel (M. WEBER, Économie et société, t. I, Les catégories de la sociologie,
Paris, 1995 [1ère éd. allemande 1922], p. 291).
262
I. Le diocÈse :
une construction territoriale tardive
263
264
FELLER, « I limiti delle diocesi italiane nell’alto Medioevo », Limes. Rivista italiana di geopo-
litica, 2000/1, p. 177-191.
9
S. PATZOLD, « Eine Hierarchie im Wandel : Die Ausbildung einer Metropolitanordnung
im Frankenreich des 8. und 9. Jahrhunderts », dans Hiérarchie et stratification sociale dans
l’Occident médiéval (400-1100), Actes du colloque d’Auxerre, septembre 2006, D. IOGNA-
PRAT et R. LE JAN dir., Turnhout, 2008, p. 117-136 [je remercie S. Patzold d’avoir mis son
texte à ma disposition avant sa publication].
265
Au haut Moyen Âge, les relations entre les évêques et leur diocèse
ne relèvent pas prioritairement de logiques territoriales. Comme le
proclament plusieurs canons conciliaires et quelques lettres pontifi-
cales, ou comme le révèle le célèbre conflit entre les évêques de
Sienne et d’Arezzo entre 650 et 71512, ce sont le lien personnel entre
l’évêque et les desservants des églises baptismales – notamment par
la distribution annuelle des huiles saintes – et le lien liturgique entre
l’évêque et les autels qu’il a consacrés, qui fondent l’attachement des
10
On peut présumer que cette intégration permettait à la fois de déstructurer l’entité
ecclésiastique qui avait servi d’appui à la dynastie gasconne et de favoriser la coïncidence
du propre espace princier du duc d’Aquitaine avec les deux provinces ecclésiastiques de
Bordeaux et Auch.
11
A. CHÉDEVILLE et H. GUILLOTEL, La Bretagne des saints et des rois, V e-X e siècle, Rennes,
1984, p. 266-273 et 304-313 ; F. MAZEL, « L’Église d’Arles d’Ithier (961-985) à Raimbaud
(1030-1069). Fondements et horizons d’une hégémonie archiépiscopale », dans L’organiz-
zazione ecclesiastica nel tempo di San Guido. Istituzioni e territorio nel secolo XI, Actes du colloque
d’Acqui Terme, septembre 2004, Acqui Terme, 2007, p. 105-138 ; D. BATES, Normandy before
1066, Londres, 1982.
12
Voir le résumé qu’en propose L. FELLER, « I limiti… », n. 8. Les deux pièces sont éditées
dans Codice Diplomatico Longobardo, t. I, éd. L. SCHIAPARELLI, Rome, 1929, n° 4, p. 8-11 et
n° 17, p. 46-51 (disponibles en ligne à l’adresse : http://www.oeaw.ac.at/gema/lango_urk_
kopial.htm [19/01/2007]).
266
13
F. MAZEL, « L’Église d’Arles… », n. 11.
14
F. LOPEZ ALSINA, La ciudad de Santiago de Compostela en la alta Edad Media (800-1150),
Santiago, 1988.
15
H. GUILLOTEL, « Les origines du ressort de l’évêché de Dol », Mémoires de la Société
d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 54 (1977), p. 31-68.
267
16
Voir la contribution de M. LAUWERS dans L’espace du diocèse…, ainsi que H.-J. SCHMIDT,
« Grenzen in der mittelalterlichen Kirche. Ekklesiologische und juristische Konzepte »,
dans Grenzen und Raumvorstellungen (11.-20. Jh.). Frontières et conceptions de l’espace (11 e-20 e
siècles), G. P. Marchel éd., Zürich, 1996, p. 137-162.
268
des uns et des autres. Non seulement le conflit rend compte de l’enjeu
nouveau que revêt, aux yeux de l’évêque et du chapitre, la maîtrise
de ce qu’ils considèrent désormais comme le territoire diocésain, mais
surtout il met en œuvre les procédures matérielles (la visite, le bor-
nage…) et scripturaires (la rédaction d’un règlement, la confection
d’une liste ou d’un inventaire…) grâce auxquelles s’élaborent la défi-
nition concrète du territoire et sa fixation définitive ou voulue comme
telle.
Au-delà de l’analyse du processus conflictuel lui-même, de ses
modalités concrètes et de son aboutissement, deux données primor-
diales ressortent du cas gascon. La première tient à la répartition des
rôles : en effet, au premier rang des acteurs de ces conflits les plus
opiniâtres ne sont pas les évêques mais les chanoines, collectivement
ou par l’intermédiaire de certains d’entre eux, les archidiacres. La
seconde tient aux rapports étroits entre les conflits territoriaux et les
premières « mises en texte » des territoires diocésains, à l’image de ce
que l’historiographie a depuis longtemps relevé, avec une chronolo-
gie voisine, pour les paroisses. Il est en effet remarquable que les
protagonistes ne puissent jamais fournir de preuves écrites à leurs
prétentions et qu’ils soient souvent obligés d’en inventer en forgeant
toutes sortes de faux ou de solliciter la caution de l’autorité pontifi-
cale. Au final, ce sont bien les pièces du dossier du conflit qui compo-
sent le premier socle documentaire témoignant de la nature et de
l’assise territoriales du pouvoir épiscopal et canonial. Nous revien-
drons plus précisément sur ces deux données un peu plus loin.
Les deux exposés envisagent par ailleurs la question fondamentale
des causes de la multiplication de ces conflits aux XIe-XIIe siècles,
même s’ils le font de manière rapide et diffuse. La première cause
mise en relief renvoie à la construction de l’institution ecclésiale elle-
même, dans le contexte de reconstitution propre à l’Hispania de la
reconquista d’une part, dans celui de la réforme monastique et grégo-
rienne d’autre part. Il est par exemple remarquable de constater
qu’en Gascogne occidentale les plus actifs promoteurs d’une remise
en cause des anciens équilibres sont Austinde, archevêque d’Auch
(1042-1068) et légat pontifical, artisan de la restructuration de toute
la province et notamment de l’intégration des diocèses occidentaux,
et Amat, évêque d’Oloron (1078-1083), lui aussi légat, artisan de l’ex-
pansion et de la consolidation territoriales de son diocèse. On sait par
ailleurs qu’à partir de la deuxième moitié du XIe siècle, la papauté
revendique et exerce un droit de remodelage des circonscriptions
diocésaines. Elle le met par exemple en œuvre à Cambrai, au bénéfice
269
17
L. KERY, Die Errichtung des Bistums Arras 1093/94, Sigmaringen, 1994 ; E. MALBOIS,
« Union et séparation des évêchés d’Orange et de Saint-Paul-Trois-Châteaux », Bulletin de
la Société départementale d’Archéologie et de Statistique de la Drôme, 2e sér., 8 (1925), p. 307-317.
18
D. IOGNA- PRAT, M. LAUWERS et E. ZADORA RIO, « La spatialisation du sacré dans
l’Occident latin (IVe-XIIIe s.) », Centre d’études médiévales d’Auxerre. Études et travaux, 1998-
1999, p. 44-57 ; La paroisse. Genèse d’une forme territoriale, D. IOGNA-PRAT et E. ZADORA RIO
dir., Médiévales, 49 (2005).
270
271
19
D. SPEAR, The personnal of the norman cathedrals during the ducal period, 911-1204, Londres,
2006.
272
Les exposés de Myriam Soria et, dans une moindre mesure, de Char-
les Garcia, soulignent à quel point les conflits sont l’occasion de la
production d’écrits de toutes sortes qui non seulement rendent compte
des événements mais s’efforcent d’en modifier le cours. L’écrit est alors
20
A. PÖSCHL, Bischofsgut und Mensa episcopalis. Ein Beitrag zur Geschichte der kirchlichen
Vermögensrechtes, Bonn, 1908-1909 ; E. LESNE, Histoire de la propriété ecclésiastique en France,
Paris, 1910-1943 (notamment le volume 1) ; E. U. CROSBY, Bishop and chapter in 12th Century
England. A study of the « mensa episcopalis », Cambridge, 1994.
21
Voir P. CHASTANG, Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en bas-Lan-
guedoc (XI e-XIII e siècles), Paris, 2001 ; ainsi que mon article « L’espace du diocèse dans les
cartulaires cathédraux (XIe-XIVe siècle) », L’espace du diocèse…, p. 367-400.
273
22
Voir les études L. KERY, Die Errichtung… ; E. MALBOIS, « Union et séparation des évêchés
d’Orange… », p. 307-317 ; L. FELLER, « I limiti… », n. 8, et la contribution de L. RIPART,
« Du comitatus à l’episcopatus : le partage du pagus de Sermorens entre les diocèses de Vienne
et de Grenoble (1107) », dans L’espace du diocèse…, p. 253-286.
23
H. MILLET, Les chanoines du chapitre cathédral de Laon, 1272-1412, Rome, 1982 ; et pour
Le Mans, mon article dans L’espace du diocèse….
24
D. LOHRMANN, « Formen der Enumeratio bonorum in Bischofs-, Papst- und Herrscher-
urkunden (9.-12. Jahrhundert) », Archiv für Diplomatik, 26 (1980), p. 281-311 ; ID., Kirchengut
im nordlichen Frankreich. Besitz, Verfassung und Wirtschaft im Spiegel der Papstprivilegien des 11.-12
Jh., Bonn, 1983 ; P. CHASTANG, Lire, écrire, transcrire…, n. 21.
274
275
Emmanuel Huertas
*
Je remercie N. Baron, S. Boissellier et D. Menjot pour leurs remarques et commentaires.
1
Voir G. DI MÉO et P. BULÉON dir., L’espace social. Une lecture géographique des sociétés, Paris,
1995, p. 82-83. L’auteur insiste sur la triple épaisseur du concept qui comprend l’expérience
existentielle de chacun, l’organisation de l’espace géographique objectivé et les enjeux
sociaux. « Dès lors, la dimension économique des médiations territoriales joue un rôle
paradoxalement essentiel et effacé en matière de structuration des espaces sociaux. Essen-
tiel parce que les lois de l’économie, les contraintes matérielles qu’elles imposent tirent
souvent, « en dernière instance », les ficelles du territoire. Effacé parce que le pouvoir et
les idéologies tendent tout de même, constamment, à conquérir leur autonomie par rapport
à leurs bases (infrastructures) géographiques et économiques » (ibid. p. 91). Pour l’utilisa-
tion des concepts de territoire et de territorialité par les géographes, je renvoie à la contri-
bution de N. Baron dans ce volume.
277
2
Voir les synthèses récentes de P. MALANIMA, « Teoria economica regionale e storia : il
caso della Toscana (XIII-XVI secolo) », dans Lo sviluppo economico regionale in prospettiva
storica. Atti dell’incontro interdisciplinare (Milano, 18-19 magg. 1995), Milan, 1996, p. 133-148,
de S. R. EPSTEIN, « Market structures », Florentine Tuscany : structures and practices of power,
W. J. CONNELL et A. ZORZI éd., Cambridge, 2000, p. 91-92 et de ID., Freedom and Growth.
The rise of states and markets in Europe, 1300-1750, Londres, 2000, p. 147-168 (en particulier
le chap 7. « Markets and states, c. 1300-1550 »). De méthodologie différente et portant sur
une période chronologiquement plus ancienne, voir le colloque important Gli spazi econo-
mici della chiesa nell’Occidente mediterraneo, secolo XII-metà XIV, Sedicesimo convegno internazionale
di studi (Pistoia, 16-19 maggio 1997), Pistoia, Centro italiano di studi di storia e d’arte, 1999.
Signalons enfin les travaux toscans de G. PINTO, Toscana medievale. Paesaggi e realtà sociali,
Florence, 1993 et ID., Città e spazi economici nell’Italia comunale, Bologne, 1996 qui possèdent
une forte dimension économique et territoriale.
3
Sur Pistoia au Moyen Âge, voir l’étude classique de D. HERLIHY, Medieval and Renaissance
Pistoia : The Social History of an Italian Town, 1200-1430, New Haven, 1967. L’histoire collec-
tive, Storia di Pistoia, II, L’età del libero comune (dall’inizio del XII alla metà del XIV secolo), G.
CHERUBINI dir., Florence, 1998 renouvelle partiellement les études pionnières de L.
CHIAPPELLI, Studi storici Pistoiesi, vol. I (unique), Pistoia, 1919, art. de 1916, 1917, 1918.
Sur le territoire de Pistoia, voir N. RAUTY, Pistoia, città e territorio nel Medioevo, Pistoia, 2003
et Il territorio pistoiese dall’alto medioevo allo stato territoriale Fiorentino, Atti del convegno di Studi
(Pistoia, 11-12 maggio 2002), F. SALVESTRINI éd., Pistoia, 2004 et G. FRANCESCONI, Dis-
trictus civitatis Pistorií. Strutture e tranformazioni del potere in un contado toscano (secoli XI-XIV).
Pistoia, 2007.
4
Sur le marché de la terre en Toscane voir les travaux pionniers d’E. CONTI, La formazione
della struttura agraria moderna nel contado Fiorentino, I, Le campagne nell’età precomunale, III,
parte 2a, Monografie e tavole statistiche (secoli XV-XIX), Rome, 1965. P. CAMMAROSANO, La
famiglia dei Berardenghi. Contributo alla storia della società senese nei secoli XI-XIII, Spolète, 1974
et C. WICKHAM, « Vendite di terre e mercato della terra in Toscana nel secolo XI », Qua-
derni Storici, 65 (1987), p. 355-378. Voir également Il mercato della terra. Secoli XIII-XVIII, XXXV
settimana di studi dell’Istituto internazionale di storia economica F. Datini (Prato 5-9 maggio 2003),
S. CAVACIOCCHI éd., Florence, 2004 et Le marché de la terre au Moyen Âge, L. FELLER,
C. WICKHAM éds., Rome, 2005.
278
5
Pour une définition juridique et économique de la rente, voir la thèse fondamentale de
B. SCHNAPPER, Les rentes au XVI e siècle. Histoire d’un instrument de crédit, Paris, 1957, p. 41 :
« Les rentes, au sens large, sont le droit de percevoir tous les ans une redevance (…) ».
L’auteur préfère suivre le langage de ses sources et qualifier les rentes foncières de « rentes
de bail d’héritage » et les rentes constituées « rente à prix d’argent » (p. 42-43). En Toscane,
au XIIe siècle, la rente foncière la plus éclairée par la documentation est économiquement
un revenu fixe tiré de la terre, exprimé en nature ou en argent. Ce revenu est versé annuel-
lement au mois d’août (nature) ou en décembre (argent) et à perpétuité à des exploitants
indirects.
6
Les études et les données quantitatives sur le sujet sont rares en Italie. La situation est
plutôt paradoxale pour une région justement précoce dans le commerce des rentes fonciè-
res et très active dans la finance internationale. Ce sont les historiens anglo-saxons et espa-
gnols de par leur historiographie qui ont posé les premiers jalons italiens. Pour une com-
paraison avec l’historiographie du marché de la terre voir F. MENANT, « Comment le
marché de la terre est devenu un thème de recherche pour les historiens du Moyen Âge »,
Le marché de la terre..., p. 195-216.
Dans son ouvrage sur l’économie et la démographie de Pistoia aux XIIIe-XVe siècles, D. HER-
LIHY, Medieval and Renaissance Pistoia, New Haven, 1967, avait utilisé de façon pionnière la
vente des rentes pour approcher les taux de rendement des investissements agricoles. Dès
1961-1962, en parcourant les documents du XIIIe siècle à Pistoia et à Florence, D. Herlihy
avait été surpris par cette transaction particulière qui consiste à vendre une rente foncière.
Son approche était d’inspiration malthusienne et consistait à mettre en relation la produc-
tion (rendement, quantité…), le marché (prix, offre et demande…) et l’évolution démo-
graphique de la ville et du contado de Pistoia. Sur le thème, voir également l’étude de
l’évêché de Lucques aux XIIIe-XVe siècles, de D. J. OSHEIM, An Italian Lordship. The bishopric
of Lucca in the Late Middle Ages, Los Angeles, 1977, qui propose également quelques séries
statistiques. Signalons enfin l’étude de la situation romaine à la fin du Moyen Âge par M.
VAQUERO PINEIRO, La renta y las casas : el patrimonio inmobiliario de Santiago de los españoles
de Roma entre los siglos XV y XVII, Rome, 1999.
7
Voir les chartriers de Pistoia conservés dans le fonds Diplomatico de l’Archivio di Stato di
Pistoia (=ASP) et de l’Archivio di Stato di Firenze (=ASF).
279
8
« S’il est un terme maudit en histoire médiévale, c’est celui de propriété », P. BONNAS-
SIE, La Catalogne au tournant de l’an mil. Croissance et mutations d’une société, Paris, 1990, p. 97.
Sur les débats juridiques autour de l’investiture et la saisine à l’époque médiévale, voir les
synthèses parfois contradictoires de P. GROSSI, « La proprietà e le proprietà nell’officina
dello storico », La proprietà e le proprietà (Pontignano, 30 sett-3 oct. 1985), E. CORTESE dir.,
Milan, 1988, p. 205-272 et d’E. CORTESE, Il diritto nella storia medievale, I, Rome, 1995,
p. 330 sq.
9
R. FEENSTRA, « Les origines du dominium utile chez les glossateurs (avec un appendice
concernant l’opinion des ultramontani) », dans ID., Fata iuris romani. Études d’histoire du
droit, Leyde, 1974, p. 215-259. Voir également ID., « Dominium utile est chimaera : nouvelles
réflexions sur le concept de propriété dans le droit savant (à propos d’un ouvrage récent) »,
Tijdschrift voor rechtsgeschiedenis, 66 (1998), p. 381-397. Voir aussi l’étude pionnière d’E. MEY-
NIAL, « Notes sur la formation de la théorie du domaine divisé (domaine direct et domaine
utile) du XIIe au XIVe siècles dans les Romanistes. Étude de dogmatique juridique », dans
Mélanges Fitting, Montpellier, 1908, II, p. 409-461.
10
P. BRANCOLI-BUSDRAGHI, La formazione storica del feudo lombardo come diritto reale, Spo-
lète, 2e éd., 1999 (1e éd. 1966), aboutira aux mêmes conclusions dans son étude sur le fief
en Italie du Nord. Voir également P. GROSSI, « La definizione obertiana di feudo nella
interpretazione del diritto comune », Società, istituzioni, spiritualità. Studi in onore di Cinzio
Violante, Spolète, 1994, I, p. 451-458.
280
11
F. THEISEN, Studien zur Emphyteuse in ausgewählten italienischen Regionen des 12. Jahrhun-
derts : Verrechtlichung des Alltags ?, Francfort, 2003 (Studien zur europäischen Rechtsge-
schichte, 162). Voir également l’article important de P. GROSSI, « Problematica strutturale
dei contratti agrari nella esperienza giuridica dell’alto medioevo italiano », dans Agricoltura
e mondo rurale in occidente nell’alto medioevo, XIII Sett. di studio del centro italiano di studi sull’alto
medioevo, Spolète, 1966, p. 487-529. Signalons l’article de synthèse de B. ANDREOLLI,
« ‘Situazioni proprietarie’, ‘situazioni possessorie’. Spunti per un dibattito europeo sulla
contrattualistica agraria altomedioevale », dans Per Vito Fumagali. Terra, uomini, istituzioni
medievali, M. MONTANARI et A. VASINA éds., Bologne, 2000, p. 539-558 et récemment les
pages importantes de G. RIPPE, Padoue et son contado (X e-XII e siècle), société et pouvoirs, Rome,
2003, p. 454-504. Pour un panorama général, voir le colloque Exploiter la Terre. Les contrats
agraires de l’Antiquité à nos jours, Actes du colloque de Caen (10-13 sept. 1997), G. BÉAUR,
M. ARNOUX et A. VARET-VITU éds., Rennes, 2003.
12
À Bologne, foyer de cette réflexion, l’adaptation des notaires est encore plus précoce
d’après la récente étude de F. THEISEN, Studien zur Emphyteuse…, p. 204-220 (Bologne).
13
En effet, Bartole est le premier à parler de plusieurs dominia (propriétés) et domini
(propriétaires) sur la même terre. Voir P. GROSSI, Le situazioni reali nell’esperienza giuridica
medievale, Padoue, 1968, p. 153-154. Au XIIIe siècle, les incertitudes semblent encore planer
sur le statut respectif des titulaires des droits réels. Les juristes de l’époque utilisent d’ailleurs
le terme de quasi-dominium (quasi-propriété).
14
Hormis un droit de préemption et une réduction du prix des droits utiles s’ils sont
rachetés à l’exploitant.
281
282
15
Dans un contexte différent et résolument seigneurial, signalons J. DEMADE, « La fonc-
tion de l’endettement et de la justice dans le rapport seigneurial, ou la grâce comme
contrainte (Franconie, XVe siècle) », dans La dette et le juge. Juridiction gracieuse et juridiction
contentieuse du XIII e au XV e siècle (France, Italie, Espagne, Angleterre, Empire), J. CLAUSTRE dir.,
Paris, 2006, p. 69-119.
16
Il est possible d’envisager une étude de la juridiction civile dans les deux communes
voisines de Pistoia et Lucques en croisant les informations recueillies dans les chartriers
privés des institutions ecclésiastiques qui nous donnent le point de vue du plaignant (sen-
tences, ensemble de la procédure à Lucques) avec les archives de l’institution judiciaire
elle-même (archives de la commune de Pistoia conservées Florence et à Pistoia). Je signale
quelques fonds d’archives susceptibles d’enrichir le corpus des seules sentences. À Lucques,
le riche fonds de l’Ospedale San Luca conserve des cahiers dans lesquels de nombreuses
procédures civiles complètes (de la plainte à la sentence) ont été recopiées au XIVe siècle :
voir Archivio di Stato di Lucca, Raccolte speciali, Spedale di S. Luca della Misericordia, 33, fol.
2-7 , fol. 10-15 , fol. 56-61 et 34, fol. 2-3 (le dépouillement de ces deux importants volumes
n’a pas été exhaustif). Ces longues et complexes procédures, qui datent en réalité du XIIIe
siècle, avaient été engagées pour le paiement de rentes foncières et pour définir le statut
de certaines terres appartenant à différents hôpitaux de la ville. À Pistoia, un dépouillement
des archives de la commune, m’a permis de retrouver quelques registres concernant des
283
causes civiles du XIIIe siècle. Ces documents ont été conservés parmi les nombreux frag-
ments de registres judiciaires des podestats et des capitaines du peuple reliés dans les
volumes du fonds de San Iacopo. Ces registres de causes civiles, plutôt rares, sont fragmen-
taires et documentent par exemple l’activité du tribunal du 21 juillet au 17 novembre 1263
(du temps du podestat Guillaume de Cornazano) ou bien de mai à septembre 1287 : Voir
respectivement ASP, Opera di S. Iacopo, 2, fol. 15-22 (1263) et fol. 1-8 (1263) et ensuite 1, fol.
107-112 (1287).
Un autre fonds d’archives de Pistoia (ASP, Atti civili) conserve quelques pièces du XIIIe
siècle et deviendra très important à partir du XIVe siècle: il s’agit surtout de dépositions de
témoins pour des causes civiles en 1284 et en 1292 mais le dépouillement n’est pas encore
exhaustif : ASP, Atti civili, 14 (1), fol. 13r et fol 10-21v. Signalons également dans ce volume
un procès civil de 1316 avec une consultation juridique inédite jusqu’à ce jour de Cino da
Pistoia. Sa présence à Pistoia et son engagement après le siège de Pistoia de 1307 sont
controversés et reposent uniquement sur une tradition locale d’époque moderne. Voir
L. CHIAPPELLI, Nuove ricerche su Cino da Pistoia con testi inediti, vol. I (unique), Pistoia, 1911,
p. 47-48 et p. 111 sq.
Signalons enfin les archives de la commune de Pistoia (ASF, Diplomatico, Pistoia, San Iacopo)
qui conservent des sentences concernant essentiellement des laïcs.
17
D’ailleurs, il est révélateur que l’historiographie italienne n’ait jamais complètement
adopté la bipartition classique proposée par G. Duby, seigneurie banale / seigneurie fon-
cière.
18
Voir, N. RAUTY, « Intervento del Comune nel controllo delle misure a Pistoia (secoli
XII-XV) », ID., Pistoia, città e territorio nel Medioevo, Pistoia, 2003, p. 227-246 (art. de 1977).
284
19
Ainsi en cas de non-paiement d’une rente, les juges pouvaient facilement calculer le
préjudice subi. Un exemple parmi d’autres : le non-paiement de 4 mines de froment du
marché de Pistoia (plus un chapon) pendant quatre ans était estimé à 50 sous en 1206.
Nous en déduisons que la mine de froment avait été évaluée à environ 3 sous (voir ASF,
Dipl., Pistoia, Vescovado, 1206 mag. 5).
285
286
287
Caroline Brousse
1
Castrum IV. Frontière et peuplement dans le monde méditerranéen au Moyen Âge, Madrid-Rome,
1992.
2
E. MANZANO MORENO, La frontera de al-Andalus en época de los omeyas, Madrid, 1991.
3
Ph. SÉNAC, La frontière et les hommes (VIII e – XII e siècle). Le peuplement musulman au nord de
l’Èbre et les débuts de la reconquête aragonaise, Paris, 2000.
4
La maîtrise de l’eau en al-Andalus, P. CRESSIER éd., Madrid, Casa de Velázquez, 2006.
5
M. BARCELÓ et H. KIRCHNER, « Husūn et établissements arabo-berbères de la frontière
supérieure (zone de l’actuelle catalogne) d’al-Andalus », Castrum IV…, p. 61-73 et M. BAR-
CELÓ, H. KIRCHNER , C. NAVARRO, El agua que no duerme. Fundamentos de la arqueologia
andalusi, Grenade, 1996.
6
T. F. GLICK, Regadio y sociedad en la Valencia medieval, Valence, 1988.
289
7
AL-BAKRĪ, Kitāb al-masālik wa al-mamālik, éd. Al-Hağğī, Beyrouth, 1968, p.85.
8
AL-HIMYARĪ, Kitāb al-Rawd al-Mi‘tār, éd. E. LÉVI-PROVENÇAL, La péninsule ibérique au
Moyen Âge d’après le Kitāb ar-rawd al-Mi‘tār fī Habar al-Aktār d’ibn ‘Abd al-Mun’im al-Himyarī,
Leyde, 1938, p. 250.
9
AL-MAS‘ŪDĪ, Murūğ al-dahab, Les prairies d’or, Traduit par C. A. C. BARBIER DE MEY-
NARD et A. PAVET DE COURTEILLE, Paris, Société Asiatique, 1962, p. 403.
10
AL-BAKRĪ, Kitāb al-masālik …, p. 103-104.
11
AL-ZUHRĪ, Kitāb al-Dja‘rāfiyya, éd. M. HADJ-SADOQ, « Kitāb al-Dja‘rāfiyya. Mappemonde
du caliphe al-Ma‘mūn reproduite par Fazārī (IIIe/IXe s.) rééditée et commentée par Zuhrī
290
Une deuxième piste pouvant être examinée pour préciser les limi-
tes de ce territoire avant sa conquête par al-Muqtadīr de Saragosse,
en 1062, concerne les données des sources écrites arabes et latines.
D’après les documents latins de 1178 et de 122514, les anciennes
limites du diocèse de Tortose seraient les suivantes : Almenara, Nules,
Onda, Bounegre, Alcalaten, Monte Mollet, Culla, Ares, Morella, Riba
Roja, Flix, Garcia, Marça, Capçane, Tivissa et Pratdip. En revanche,
au XIIe siècle, les limites du territoire de Tortose, d’après le géographe
al-Idrīsī15, diffèrent de celles exposées dans les documents latins. Ce
territoire inclurait les husūn de Miravet, Tivissa, Šibart [Alcala de
Chivert], la Horta de San Joan, Morella, Mequinenza, Ulldecona,
Peñiscola, Adkūn [Fayón] et Flix. De plus, le géographe Ahmad al-Rāzī
(VIe/XIIe s.) », Bulletin d’Études Orientales, 21 (1968), p.3-312. D. BRAMON, De quam érem o
no musulmans, Barcelone, 2000, p. 82.
12
Anonyme, Dikr bilād al-Andalus wa fadli-hā wa sifati-hā, éd. L. MOLINA, Una descripción
anónima de al-Andalus, Madrid, 1983, p. 64 a.
13
AL-ISTAHRĪ, Kitāb al-masālik wa l-mamālik, éd. M.-J. DE GOEJE, Viae Regnorum descripcio-
nis Moslemicae, Leyde, 1967, p. 41-43.
14
Documentos de Jaime I de Aragon, t.1, 1216-1236, éd. A. HUICI MIRANDA et M. D. Caba-
nes Pecourt, Valence, 1976 (Textos medievales, 49), p. 148-151.
15
Al-Idrīsī, Los caminos de al-Andalus en el siglo XII, Madrid, 1989, p.142, 309, 314, 333,
477.
291
16
M. BarcelÓ et H. Kirchner, « Husūn et établissements arabo-berbères … », p. 61-73.
M. BarcelÓ, H. Kirchner, C. Navarro, El agua que no duerme …
292
Conclusion
293
17
A.Virgili, Ad detrimentum Yspanie. La conquesta de Turtūša i la formació de la societat feudal
(1148 – 1200), Valence, 2001.
294
Denis Menjot
L’espace, aussi bien rural qu’urbain, n’a cessé d’intéresser les histo-
riens, en particulier médiévistes1. Ces derniers ont analysé la mise en
place des paysages et ses mutations endogènes et exogènes provoquées
par un faisceau de causes politiques autant que socio-économiques. Ils
ont abordé la terre, le sol et le peuplement avant de s’intéresser à la
construction des espaces comme des ensembles de relations2.
Le territoire a été longtemps victime du discrédit jeté sur l’histoire
politique traditionnelle après avoir beaucoup préoccupé les historiens
du XIXe et de la première moitié du XXe siècle pour lesquels il était
un objet d’étude essentiel dans le cadre de leurs recherches sur la
mise en place des États monarchiques et des États-nations. Ils étu-
diaient la constitution et l’organisation d’un espace dépendant d’un
empire, d’un royaume, d’une province ou d’une ville ; ils en détermi-
naient la forme, la superficie, les limites.
Le territoire et la territorialité sont redevenus des préoccupations
très actuelles, notamment parce que leurs études s’identifient de nou-
1
Dernier exemple en date d’une imposante série de travaux, J. PETROWISTE, Naissance
et essor d’un espace d’échanges au Moyen Âge : le réseau des bourgs marchands du Midi toulousain
(XI e-milieu du XIV e siècle), thèse de doctorat d’histoire médiévale, soutenue à Toulouse, le 12
décembre 2007 ; cette thèse s’inscrit dans la longue tradition de l’école de géographie
historique de Charles Higounet, poursuivie et renouvelée, notamment par Mireille Mous-
nier et Benoît Cursente.
2
Dans le cadre urbain, il faut citer la thèse d’É. CROUZET-PAVAN, ‘Sopre le acque salse’.
Espace, pouvoir et société à Venise à la fin du Moyen Âge, Rome, ÉFR, 1992. Pour cet auteur, « le
social dans toute l’ampleur de son champ, groupes et agents, norme comme marginalité,
construit un espace que l’on peut définir comme un ensemble de relations ».
295
3
Ils suscitent beaucoup d’études, voir en dernier lieu le n°25 de Rives nord-méditerranéenes,
intitulé La dynamique des territoires, un défi institutionnel, Aix, 2006-2007.
4
Représentatif de ce renouvellement est l’ouvrage collectif dirigé par Ph. CONTAMINE,
Histoire de la France politique, t. I, Le Moyen Âge. Le roi, l’Église, les grands, le peuple, (481-1514),
Paris, Le Seuil, 2002.
5
M. RONCAYOLO, La ville et ses territoires, Paris, Gallimard,1990, B. HANAWALT et M.
KOBIALKA, Medieval Practices of Space, Minneapolis, Université of Minnesota Press, 2000,
Habitats et Territoires du Sud, B. CURSENTE dir., Paris, CTHS, 2004, Les territoires du médiéviste,
B. Cursente et M. Mousnier dir., Rennes, PUR, 2005.
296
6
Les territoires du médiéviste…, Introduction, p. 7
7
M. Weber, Économie et société, t. I, Les catégories de la sociologie, Paris, 1995 [1ère éd. alle-
mande 1922], p. 291.
8
F. Ripoll et V. Veschambre, « Le territoire des géographes. Quelques points de
repère sur ses usages contemporains », Les territoires du médiéviste…, p. 275-292.
9
Les mots de la géographie. Dictionnaire critique, R. BRUNET dir., Reclus, La Documentation
Française, Paris, 1992, p.436.
10
M. LE BERRE, « Territoires », Encyclopédie de Géographie, A. Bailly, R. Ferras et D.
Pumain dir., Paris, Economica, 1995.
297
11
M. RONCAYOLO, La ville et ses territoires…, p. 189.
298
12
Pour la France, voir G. FOURNIER, Le château dans la France médiévale. Essai de sociologie
monumentale, Paris, Aubier-Montaigne, 1978.
13
Ce phénomène n’a pas commencé au XVIe siècle comme le voudrait D. NORDMAN,
Frontières de France (XVI e-XIX e siècle). De l’espace au territoire, Paris, 1998.
299
14
La maîtrise de l’eau en al-Andalus, P. CRESSIER éd., Madrid, Casa de Velázquez, 2006, T.
F. GLICK, Regadio y sociedad en la Valencia medieval, Valence, 1988.
15
M. BOURIN-DERRUAU, Villages médiévaux en Bas-Languedoc : genèse d’une sociabilité
(X e-XIV e siècle), Paris, L’Harmattan, 1987, 2 vols.
16
Voir en français, les synthèses de P. BOUCHERON, Les villes d’Italie (vers 1150-vers 1340),
Paris, Belin, 2004, P. GILLI, Villes et sociétés urbaines en Italie milieu XII e-milieu XIV e siècle, Paris,
SEDES, 2005, F. MENANT, L’Italie des communes (1100-1350), Paris, Belin, 2005.
17
A. GUERREAU, « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », dans
L’État ou le roi. Les fondations de la modernité monarchique en France (XIV e-XVII e siècles), N. BULST,
R. DESCIMON, A. GUERREAU éd., Paris, 1996, p. 85-101.
18
Notamment par deux importants travaux, ceux de J.-L. FRAY, Villes et bourgs de Lorraine.
Réseaux urbains et centralité au Moyen Âge, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise
300
301
nisme du privé » par des historiens italiens, se retrouve dans bien des
villes d’Italie du centre et du nord, avec le système des contrada, dans
lequel une portion d’espace intra-muros est structurée par un lignage.
Si la consorterie semble une institution spécifiquement italienne, la
curia en tant que forme urbaine est beaucoup plus répandue, autant
que des sources chichement comptées permettent de le savoir ; elle
s’apparente au hof des villes germaniques et au corral des cités castilla-
nes. Elle manifeste le pouvoir des lignages sur une partie du territoire
urbain. Quant au popolo, s’il se structure habituellement sur des bases
militaires ou professionnelle (arti), dans certaines villes comme Asti,
il le fait sur une base territoriale ; à Pérouse il se présente d’abord
comme une fédération d’associations de voisinage23. Est-ce le cas dans
d’autres régions urbanisées comme la Flandre ou la péninsule Ibéri-
que ?
S’il faut attendre les dernières décennies du Moyen Âge pour dis-
tinguer une ségrégation sociale dans les villes, dans nombre d’entre
elles se développent bien plus tôt de nouvelles solidarités assises sur
des bases topographiques. Elles se traduisent par la structuration de
quartiers fermés sur eux-mêmes que l’on clôt parfois de chaînes la
nuit venue et qui s’agencent autour de quelques pôles de vie collec-
tive : l’église, la taverne, le puits. Sur ce modèle de quartier séparé,
s’organisent, volontairement ou non, légalement ou non, différentes
communautés confessionnelles ou étrangères. Le cas le plus connu
est évidemment celui de la ghettoisation, plus ou moins stricte, des
minorités juives. Si ces dernières prennent l’habitude de se regrouper,
par exemple, dans une rue, comme la call judaica qui se constitue à
Barcelone et Gérone dans les années 1170, c’est le concile de Latran
IV qui, en 1215, en posant le principe d’une ségrégation forcée, mar-
que le passage du quartier librement habité par les Juifs au ghetto –
même si le terme ghetto n’apparaît à Venise qu’en 1516 – dans lequel
ils sont contraints de résider. Bien d’autres groupes minoritaires, sans
parler des colonies marchandes, se regroupent en cellules plus ou
moins séparées, c’est le cas des Allemands dans les locatio des villes
slaves, des francos dans les bourgs du chemin de saint Jacques, ou des
immigrés albanais à Venise24. Quelle que soit la nature de la motiva-
tion ou de la contrainte, le point commun de ces concentrations,
23
É. CROUZET-PAVAN, Enfers et paradis. L’Italie de Dante à Giotto, Paris, 2001.
24
Les Etrangers dans la ville. Minorités et espace urbain du bas moyen Âge à l’époque moderne,
J. BOTTIN et D. CALABI éd., Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1999 ; A. DUCEL-
LIER, B. IMHAUS, B. DOUMERC, J. DE MICHELI, Les chemins de l’exil. Bouleversements de
l’Est européen et migrations vers l’Ouest à la fin du Moyen Âge, Paris, A. Colin, 1992.
302
25
É. CROUZET-PAVAN, « La ville et ses villes possibles : sur les expériences sociales et
symboliques du fait urbain », dans D’une ville à l’autre ; structures matérielles et organisation de
l’espace dans les villes européennes (XIII-XVI e siècle), J.-C. MAIRE-VIGUEUR dir., Rome, ÉFR,
1989, p. 658.
26
Voir pour Bologne, l’étude modèle de A. I. PINI, « Le repartizioni territoriali di Bologna
medievale », Quaderni culturali bolognesi, 1-1 (1977), p. 5-50.
27
Je me permets de renvoyer à l’état de la question que j’ai publié récemment D. MENJOT,
« La ville et ses territoires dans l’Occident médiéval : un système spatial. Etat de la question »,
dans La ciudad medieval y su influencia territorial, Encuentros Internacionales de Nájera, 2006,
B. ARIZAGA BOLUMBURU et J. SOLORZANO TELECHEA éds., Instituto de Estudios
Riojanos, 2007, p. 451-492.
303
28
J.-P. DELUMEAU, Arezzo, espace et sociétés, 715-1230. Recherches sur Arezzo et son contado du
VIII e au début du XIIII e siècle, Rome, ÉFR, 1996.
29
L. DE ANGELIS CAPPABIANCA, « Le «cassine» tra il XII e il XIV secolo : l’esempio di
Milano », dans Paesaggi urbani dell’Italia padana nel secoli VIII-XV, Bologne, 1988, p. 373-415.
30
Par exemple, dans les villes du sud-est des Midlands de l’Angleterre, son rayon se situe
entre 10 à 20 kilomètres, C. DYER, « Market towns and the countryside in late medieval
England », Canadian Journal of History, 31 (1996), p. 2-20, J. MASSCHAELE, Peasants, mer-
chants and markets : inland trade in medieval England, 1150-1350, Londres, 1997. Pour les
grandes villes, comme Toulouse et Marseille, l’aire d’attraction pouvait atteindre une qua-
rantaine de kilomètres.
304
tent des bois et des prés et n’hésitent pas parfois à mettre en commun
leur argent pour acheter un village entier. À Lübeck, les grands bour-
geois ont acquis ensemble 34 villages des environs tandis que les
grands marchands d’Erfurt contrôlent jusqu’à une centaine de villa-
ges afin de mieux surveiller la culture du pastel, colorant recherché
par l’industrie drapière de la ville31. Les hommes de loi lyonnais s’im-
plantent dans la vallée de l’Azergue dans laquelle le nombre de pos-
sédants augmente très sensiblement au XVe siècle ainsi que l’importance
des patrimoines32. Dans les alfoces de certains villes castillanes, des
nobles urbains se constituent des seigneuries, c’est le cas, par exem-
ple, du docteur Cascales à Murcie. Quant aux élites marchandes génoi-
ses et vénitiennes principalement, elles se taillent aussi des territoires
outre-mer dans les comptoirs33.
Le crédit est une autre forme de domination économique des cita-
dins. En provoquant l’endettement des paysans, il transforme les petits
propriétaires en censitaires avec des contrats à plus ou moins court
terme et entraîne une recomposition de la propriété foncière car,
endettés, les paysans sont très vulnérables et c’est souvent à leurs
dépens que les bourgeois forment ou étendent leurs domaines. Le
rôle de l’endettement dans les rapports entre la ville et son territoire
a été profondément renouvelé par l’historiographie récente dans les
campagnes et dans les villes34. On retrouve, parmi les prêteurs, de
puissants personnages comme, par exemple, le banquier Romeo
Pepoli (1250-1322), que Dante présente comme l’homme le plus
riche d’Italie. Ses créances couvrent plusieurs villages de la plaine
bolognaise, formant l’assise d’une « crypto-seigneurie ». Il convien-
drait d’analyser la constitution de ce type de seigneurie que l’on ren-
contre dans les territoires des importants marchés de crédit que sont
31
R. KIESSLING, Die Stadt und ihr Land. Umlandpolitik, Bürgerbesitz undwirtschaftsbezüge in
Ostschwaben vom 14. bis ins 16. Jahrrhundert, Cologne, Vienne, 1989. D’autres exemples ont
été bien étudiés en Péninsule ibérique, notamment par H. CASADO, Señores, mercaderes y
campesinos. La comarca de Burgos a fines de la Edad Media, Valladolid, Junta de Castilla y León,
1987, p. 464-467 et I. MONTES ROMERO-CAMACHO, Propiedad y explotación de la tierra en
la Sevilla de la baja Edad Media, Séville, 1988.
32
R. FÉDOU, Les hommes de loi lyonnais à la fin du Moyen Âge. Étude sur les origines de la classe
de robe, Paris, 1964.
33
F. THIRIET, La Romanie vénitienne au Moyen Âge. Le développement et l’exploitation du domaine
colonial vénitien (XII e - XV e siècles), Paris, De Boccard, 1975 ; M. BALARD, La Romanie génoise,
Rome, ÉFR, 1978.
34
Parmi les derniers travaux en date, citons Endettement paysan et crédit rural dans l’Europe
médiévale et moderne, M. BERTHE éd., Toulouse, 1998 et J. V. GARCÍA MARSILLA, Vivir a
crédito en la Valencia medieval. De los orígenes del sistema censal al endeudamiento del municipio,
Université de Valence, 2002.
305
35
Les revenus de la terre : complant, champart, métayage en Europe occidentale (IX e-XVII e siècles),
Actes des VIIe Journées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran, Auch, 1987. Voir
notamment dans ce volume l’article de G. PICCINI sur la mezzadria, p. 93-105 ; les premiers
contrats connus sont siennois, et datent de 1221.
36
Ph. BRAUNSTEIN, Travail et entreprise au Moyen Âge, Bruxelles, De Boeck, 2003, chapitres
8 et 11.
37
D. DEGRASSI, L’economia artigiana nell’Italia medievale, Rome, Nuova Italia Scientifica,
1996.
306
V. Construction et perception
38
E. CROUZET-PAVAN, « La villes et ses possibles … », p. 645 ; A. PINI, « Le repartizioni
territoriali di Bologna medievale », Quaderni culturali bolognesi, 1-1 (1977), p. 5-50.
39
M. RONCAYOLO, La ville et ses territoires…, p. 189.
40
B. DEBARBIEUX, « Territoire », Dictionnaire de la géographie….
41
O. REDON, « Sur la perception des espaces politiques dans l’Italie du XIIIe siècle », dans
Le Italie del tardo medioevo, S. GENSINI éd., San Miniato, 1990, p. 51-70.
42
P. ATARD VICENTE, De Hispania a España : el nombre y el concepto à traves de los siglos,
Madrid, 2005.
307
43
Les hagiographes du haut moyen Âge participent à la création de ce mythe, voir A.
GUIANCE, « Nacionalismos hagiográficos : la idea de España en la hagiografía altomedie-
val hispana », Temas medievales, 11 (2002-2003), p. 171-206.
44
Sur ces chroniqueurs, voir surtout P. LINEHAN, History and the Historians in Medieval
Spain, Londres, 1991 ; C. ORCASTEGUI et E. SARASA, La Historia en la Edad Media, Madrid,
1991.
45
Le choix des Wisigoths joue un rôle fondamental dans l’élaboration de mythes nationaux
en Castille comme l’a bien montré A. RUCQUOI, « Les Wisigoths, fondement de la ‘nation
Espagne’ », dans L’Europe héritière de l’Espagne wisigothique, Madrid, Casa de Velázquez, 1992,
p. 341-352.
46
J. M. GARCÍA ESCUDERO, « El concepto castellano de la unidad de España (al margen
de la España del Cid) », Revista de Estudios Políticos, 13 (1944), p. 150-160.
308
47
Lire les territoires, Y. JEAN et C. CALENGE dir., Tours, Université François Rabelais,
2002.
309
Stéphane Boissellier
I. PROPOSITIONS DE CADRAGE :
« grandes frontiÈres » et limites locales
1
Ainsi, dans un colloque tel que Château et territoire. Limites et mouvances. 1èr e rencontre
internationale d’archéologie et d’histoire en Périgord. Périgueux, 23-24-25 septembre 1994 (Annales
littéraires de l’Université de Besançon, n° 595), Paris, Les Belles-Lettres, 1995, on ne voit
que les limites et non pas les étendues qu’elles enclosent ; plus grave est ce défaut dans un
volume qui manifeste plus d’ambitions conceptuelles comme Les territoires du médiéviste, B.
CURSENTE et M. MOUSNIER dir., Rennes, PUR, 2005 (en voir mon compte-rendu dans
Cahiers de civilisation médiévale, 50 (2007), p. 211-216). De ce point de vue, l’article « Fron-
tière » du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, J. LÉVY et M. LUSSAULT dir.,
Paris, Belin, 2003 est fort décevant et peu problématique, car il définit les frontières dans
leur sens étroitement national actuel, et les traite donc comme des objets (allant de soi),
sans signaler les processus de territorialisation qui les informent.
2
Voir par exemple la définition très restrictive du territoire, reprise à J. Scheibling, de A.
MAILLOUX, « Le territoire dans les sources médiévales : perception, culture et expérience
de l’espace social. Essai de synthèse », dans Les territoires du médiéviste…, p. 223-235.
314
3
Voir sur ce point P. GAUTIER DALCHÉ, « De la liste à la carte : limite et frontière dans
la géographie et la cartographie de l’Occident médiéval », dans Castrum 4. Frontière et peu-
plement dans le monde méditerranéen au Moyen-Âge. Actes du colloque d’Erice-Trapani (Italie) tenu
du 18 au 25 septembre 1988, Rome-Madrid, EFR – Casa de Velazquez, 1992, p. 19-29.
315
4
Cf. H.-J. SCHMIDT, « Espace et conscience de l’espace dans l’historiographie médiévale
allemande », dans Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne.
Actes des colloques de Sèvres (1997) et Göttingen (1998) organisés par le CNRS et le Max-Planck-
Institut für Geschichte, J.-C. SCHMITT et O. G. OEXLE dir., Paris, Publications de la Sor-
bonne, 2002 (Histoire ancienne et médiévale, 66), p. 511-536 (ici p. 522-523).
5
Voir la grille de recherches développée précédemment.
6
Une synthèse claire sur cette question se trouve dans A. BAZZANA, P. GUICHARD, P.
SÉNAC, « La frontière dans l’Espagne médiévale », dans Castrum 4. Frontière et peuplement
dans le monde méditerranéen…, p. 35-59.
7
P. TOUBERT, « Frontière et frontières : un objet historique », dans Castrum 4. Frontière
et peuplement dans le monde méditerranéen..., p. 9-17 ; voir la systématisation de l’essai de P.
Toubert dans l’article de J. LE GOFF, « Centre/périphérie », Dictionnaire raisonné de l’Occident
médiéval, J. LE GOFF / J.-C. SCHMITT dir., Paris, Fayard, 1999, p. 155-156. On pourrait faire
remarquer que, par-delà des mécanismes sociaux et politiques communs, même « la » fron-
tière contre al-Andalus est diverse, fonctionnant très différemment en Aragon et en Asturies-
León, au moins dans son rapport centre-périphérie.
316
8
Voir les éclairantes réflexions de C. Wickham à ce sujet, dans une des rares études
consacrées aux modes de délimitation des territoires locaux (C. WICKHAM, « Frontiere di
villaggio in Toscana nel XII secolo », dans Castrum 4. Frontière et peuplement dans le monde
méditerranéen..., p. 239-251).
317
9
On n’est jamais près ou loin dans l’absolu mais « plus ou moins » près ou loin.
10
A. BAZZANA, P. GUICHARD, Ph. SÉNAC, « La frontière dans l’Espagne médiévale »,…,
p. 44 proposent comme hypothèse de recherche : « Toute population est organisée dans
les limites d’un territoire. Ces limites… sont reconnaissables dans la réalité aujourd’hui
observable : elles ne sont pas indéfiniment extensibles mais sont conditionnées par l’im-
portance numérique de la population concernée, par les contraintes géographiques de
relief et par les distances que l’on est capable de maîtriser… : elles répondent à la « loi de
persistance des plans » et sont donc intangibles, sauf événement historique majeur ». Il
s’agit d’une généralisation abusive de la loi de persistance des plans, car les contraintes
matérielles ne s’appliquent qu’aux espaces « remplis » et non à l’espace agricole, beaucoup
plus diffus.
318
mais elle ne peut être adoptée sans précaution dans une chronologie
longue, à l’échelle pluri-séculaire, qui voit la population et le nombre
des lieux augmenter sensiblement : tout nouveau territoire n’est pas
issu de la subdivision (ou de l’agglutination) d’unités plus anciennes,
dont il respecterait exactement le tracé sur les limites extérieures.
Cette prétendue persistance se fonde sur le principe d’emboîtement,
qui nous semble évident, mais qui est loin de prévaloir toujours ;
même pour des territoires comme les paroisses, gérés par une autorité
centrale (l’évêque) – dont l’ensemble est censé former une unité, le
diocèse –, les recherches récentes ont montré que les supposées
paroisses « primitives » très vastes, censées être la matrice des paroisses
féodales plus petites, n’étaient pas des territoires mais de simples
zones indéfinies polarisées par une église11.
11
Voir le n° spécial de la revue Médiévales, 49 (« La paroisse ») (2005) et Aux origines de la
paroisse rurale en Gaule méridionale IV e-IX e siècles. Actes du colloque international 21-23 mars
2003, salle Tolosa (Toulouse), C. DELAPLACE éd., Paris, Errance, 2005.
12
Les développements qui suivent reprennent un chapitre inédit (chap. XVI) d’un
mémoire d’Habilitation à Diriger les Recherches (Une société et ses documents : idéologie, struc-
tures sociales et peuplement dans le Portugal de la Reconquête, Dossier d’habilitation à diriger les
recherches, Université Paris I-Sorbonne. 2002) ; pour de nombreux points nécessaires à la
compréhension de ce qui suit mais que nous ne pouvons développer, il est conseillé de se
reporter à la version éditée de ce mémoire (S. BOISSELLIER, Le peuplement médiéval dans le
Sud du Portugal. Constitution et fonctionnement d’un réseau d’habitats et de territoires XII e – XV e
siècles, Paris, Centro cultural Calouste Gulbenkian, 2003).
13
Voir en dernier lieu les actes du colloque Identidad y representación de la frontera en la España
medieval (siglos XI-XIV), Seminario celebrado en la Casa de Velázquez y la Universidad Autónoma de
Madrid (14-15 de diciembre de 1998), C. de AYALA MARTÍNEZ, P. BURÉSI et P. JOSSERAND
éds., Madrid, Casa de Velázquez / Universidad Autónoma de Madrid, 2001. La frontière
entre le Portugal et la Castille, fixée à peu près définitivement en 1297, par le traité d’Alca-
ñices, a donné lieu à d’innombrables études ; voir une bonne mise au point par R. C.
GOMES, « A construção das fronteiras », dans A memória da nação, Colóquio do Gabinete de
Estudos de Simbologia realizado na Fundação Calouste Gulbenkian 7-9 outubro, 1987, F. BETHEN-
COURT, D. RAMADA CURTO org., Lisbonne, Sá da Costa, 1991, p. 357-382.
319
14
Plus proche de notre problématique, voir quelques articles du n° spécial (« Fronteras y
límites interiores », I) de Studia historica. Historia medieval, 23 (2005), dont l’essentiel est néan-
moins consacré aux frontières « internationales » ; de même, une réflexion sur la formation
de la région d’Algarve in. M. F. BOTÃO, « A definição e a dinâmica dos limites no Algarve
medieval », Revista da Faculdade de Letras – História (2e série), Porto, 15 (1998), p. 743-751.
15
L’érudition locale a apporté beaucoup de données mais sans guère de méthode.
16
Toutefois, l’écart entre l’occupation par des colons et la prise en main par un seigneur,
longtemps négligé dans les études sur les institutions municipales, est assez variable et
constitue un indice de la territorialisation politique (cf. S. BOISSELLIER, « Population
musulmane, colonisation et encadrement municipal : une exploitation sociale de l’espace
dans le Midi portugais ? », dans L’espace rural au Moyen Âge. Portugal, Espagne, France (XII e-XIV e
siècle). Mélanges en l’honneur de Robert Durand, M. BOURIN et S. BOISSELLIER dir., Rennes,
PUR, 2002, p. 57-79).
320
17
Sur ce problème, voir Idem, « Des franchises aux coutumes : la formation et l’évolution
du prélèvement seigneurial (l’exemple d’Évora 1165-1280) », dans Pour une anthropologie du
prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales (XI e-XIV e siècles). Réalités et représentations
paysannes. Colloque tenu à Medina del Campo du 31 mai au 3 juin 2000, M. BOURIN et P.
MARTÍNEZ SOPENA éd., Paris, Presses de la Sorbonne, 2004 (Histoire ancienne et médié-
vale 68), p. 443-496.
18
Instituto dos Arquivos Nacionais / Torre do Tombo [désormais abrégé IAN/TT], Chan-
celaria Afonso III [désormais abrégé CA III], livre 1, fol 23-23v. Il en va de même avec la
définition du territoire d’Arraiolos en 1217 ; ce caractère a déjà été noté, semble-t-il, par R.
P. AZEVEDO, « Período da formação territorial : expansão pela conquista e sua consolida-
ção pelo povoamento. As terras doadas. Agentes colonizadores », dans História da expansão
portuguesa no mundo, A. BAIÃO e.a. dir., Volume I, Lisbonne, Ática, 1937, p. 7-64, ici p 57.
M. Â. BEIRANTE, Évora na Idade Média, Lisbonne, Fundação Calouste Gulbenkian / JNICT,
1995 (Textos universitários de ciências sociais e humanas), p. 31, propose cependant une
carte du territoire « primitif » d’Évora, qui risque de ne jamais avoir existé en tant que
tel, puisque la juridiction effectivement exercée par Évora sur les villages agglomérés à
l’entour n’était pas territorialisée assez nettement pour impliquer des limites ; plus vraisem-
blable est la reconstitution (carte p. 35) du territoire défini par les termos mitoyens et à peu
près achevé à la fin du XIIIe siècle.
321
19
En 1284, le roi Sancho IV de Castille confirme les limites attribuées en 1281 au territoire
de Serpa par son père Alfonso X ; ces limites, très partielles, ne concernent que le nord et
l’est : vers le nord, l’attribution n’est qu’une confirmation de la limite établie coutumière-
ment par Moura et Serpa depuis leur reconquête dans les années 1230, tandis que l’absence
d’agglomération importante vers l’est (jusqu’au lointain castrum d’Aroche) oblige le roi à
déterminer arbitrairement une frontière qui n’est pas encore fixée (éd. As gavetas da Torre
do Tombo, Lisboa, Centro de Estudos históricos ultramarinos, 1960-77 (12 vol.) [désormais
abrégé GTT], vol. 3, p. 731-732). On voit donc que la définition territoriale est progressive
et dépend de la nécessité qu’il y a à la réaliser : pas de centre important proche, maintien
de l’indéfinition.
20
Éd. GTT, vol. 12, p 450. C’est aussi le cas de la définition linéaire des territoires d’Alcá-
cer avant 1235 et de Palmela (et Almada) en 1255 ; le premier semble utiliser une limite
linéaire préexistante par rapport à Coruche (ultra Caniam dividet cum Culuchi), mais il n’est
pas sûr que ce territoire de Coruche soit lui-même défini, car la limite de Palmela avec lui
a besoin d’être alors précisée (termini de Palmela dividant cum eam [villam] Culuchi per venam
de Caniam, éd. Documentos de D. Sancho I (1174-1211), Vol. I, R. AZEVEDO e.a, Universidade
de Coimbra, 1979 [désormais abrégé DS I], p. 24), et il s’agit d’ailleurs d’une ligne naturelle,
comme c’est souvent le cas quand il n’y a pas de polarisation allant jusqu’à la mitoyenneté.
Dans ce cas, on peut éliminer un problème chronologique, puisque, après la perte de tous
ces chefs-lieux entre les mains des Almohades en 1180-90, la reconstitution des territoires
de Coruche et Palmela est à peu près simultanée (Palmela étant réoccupé assez rapidement
après 1191 pour conserver sa première charte municipale de 1185).
322
21
Pour ce type particulier de territoires coloniaux, voir S. BOISSELLIER, Le peuplement…,
p. 302-307.
22
Les civitates sont des territoires administratifs polarisés par un habitat fortifié mais englo-
bant de nombreux châteaux-forts (sans habitat associé immédiatement car dans un peuple-
ment très dispersé), tandis que les terrae sont des circonscriptions plus petites polarisées par
une seule fortification et constituées par la fragmentation des civitates ; ce processus est
associé à l’émergence d’une nouvelle noblesse de lignage aux dépens de l’ancienne noblesse
comtale et constitue donc un incastellamento de type féodal (quoique la fragmentation donc
la multiplication des unités d’encadrement des hommes mériterait d’être étudiée aussi dans
le contexte de la croissance démographique).
323
23
DS I, p. 22-24. Il s’agit des castra d’Almada, Palmela, Alcácer et Arruda ; cette charte de
1255 renferme la plus ancienne description des limites, mais cela ne signifie pas qu’elles
ont été définies à ce moment, au moins en ce qui concerne le territoire d’Alcácer : dès 1235,
la définition du territoire d’Aljustrel est faite dans sa partie nord par la mitoyenneté avec
le termo d’Alcácer (et termini predicti castelli de Aljustre junctent se de predicto monasterio de Udive-
las usque ad mare cum terminis de Alcazar, IAN/TT, Gaveta V, maço 1, doc. 17).
24
En 1276, le roi octroie une nouvelle version (il fait rescribere) de sa charte municipale à
la communauté de Monsaraz – la première, actuellement disparue, date d’avant 1270 –
uniquement pour qu’y soit introduite la définition du territoire (IAN/TT, CA III, livre 1,
fol. 136v).
25
Cada huma vila ouve seu termho asinaado que lhi foy dado en seu foro. E depoys a algumas vilas
foy filhado dos seus termhos contra voontade dos concelhos fazendo en alguuns loguares vilas das sas
aldeyas… A este artigoo diz El Rey que… fezerom esto en alguuns loguares pera se pobrar porem milhor
a terra e pera se arromper e aproveytar aquelo de que ante nom aviam prol, éd. Cortes Portuguesas.
Reinado de Afonso IV (1325-57), éd. A. H. O. MARQUES e.a., Lisbonne, INIC, 1982, p. 32.
324
26
La représentation cartographique de R. P. AZEVEDO, « Período da formação territo-
rial… », est trompeuse, car le foral/démarcation d’Odemira délimite le territoire vers le
nord avec l’Ordre de Santiago « ex parte de Cazem », éd. Portugaliae Monumenta Historica. Leges
et consuetudines, I, éd. A. HERCULANO, Lisbonne, Academia Real das Sciências, 1856 (rééd.
Kraus Reprint, Nendeln, 1967) [désormais abrégé PMH Leges I], p. 664), et les délimitations
du recensement de 1532 montrent nettement que le territoire primitif d’Odemira confronte
directement avec celui de Santiago do Cacém avant la prise d’autonomie de Vila Nova de
Milfontes.
27
Le roi Dinis reviendra d’ailleurs sur cette politique dans les années 1290 et préfèrera
récupérer les juridictions des Santiaguistes sur le Ribatejo en échange des juridictions roya-
les du bas Alentejo, leur laissant unifier cette région sous leur autorité.
325
28
Cette utilité est longtemps militaire – et les communautés de la frontière castillane la
conservent toujours – puis s’oriente vers la production des richesses.
29
« Provava pelas dictas enquirições que a dicta aldeya de Maçom jazia en termho d Avrantes »,
dans Chancelarias portuguesas. D. Afonso IV (1325-57), éd. A. H. O. MARQUES e.a., Lisbonne,
INIC, 1990-3, 3 vol., vol. II, p. 221.
30
Par exemple, le cas du détachement du territoire de Torrão au sein de celui d’Alcácer,
en profitant de sa situation de base avancée contre le territoire de Beja.
326
31
Quand un lieu est peuplé et mis en culture, les hommes sont assez clairement inclus
dans un territoire politique préalable, surtout s’il est déjà défini (mais même en cas
contraire), tandis que leurs terres ont un statut plus confus ; c’est ce qui explique la diffé-
rence entre dîmes personnelles et réelles (prediales) et la difficulté pour les chefs-lieux de
paroisses à obtenir les dîmes « novales », qui sont évidemment réelles (cf. un exemple très
rare, dans une supplique, de l’emploi du vocable, pour un ermitage créé depuis seulement
3 ans, en plein désert, dans le territoire d’Avis, en 1425, éd. Monumenta Portugaliae Vaticana
IV. Súplicas do pontificado de Martinho V (anos 8 a 14). Documentos publicados com introdução e
notas, éd. A. D. S. COSTA, OFM, Braga-Porto, Editorial franciscana, 1970, p. 123, cette rareté
étant due au fait que la plupart des documents sur les dîmes portent sur des espaces occu-
pés depuis longtemps).
32
Voir l’identification sur le terrain réalisée par J. P. GONÇALVES, « Monsaraz e seu termo
(ensaio monográfico) », Junta distrital de Évora. Boletim anual de cultura, 2 (1961), p. 3-158 et
3 (1962), p. 267-351, qui en fournit une carte, p. 300-301.
327
33
La territorialisation est assez importante dans ce cas pour que l’ancienne charte (perdue,
antérieure à 1270) de Monsaraz soit remplacée par une nouvelle contenant la définition
spatiale.
34
Cf. la carte 25 dans S. BOISSELLIER, Le peuplement…
328
35
De nombreux auteurs ont déjà fait remarquer que le risque de surinterprétation est
particulièrement grand dans l’analyse cartographique du passage des limites territoriales, qui
constitue la transformation d’un texte, pas forcément destiné à fixer une image mentale,
en représentation iconographique.
329
36
Le territoire a d’abord été « dessiné » en 1251, au moment de sa cession par le municipe
d’Évora (IAN/TT, Gaveta III, maço 1, doc. 16), puis il est renégocié en 1257 (IAN/TT, Gaveta
III, maço 7, doc. 15).
37
Une étude très minutieuse, sur le terrain, des deux démarcations successives du territoire
de Portel permet à A. M. J. BRAVO, « As demarcações do termo de Portel de 1258 a 1265.
Notas e cartografia preliminares », Assumar. Boletim municipal, 3 et 4 (2e série) (1996),
p. 19-24 et 7-13, ici p. 8 d’attribuer la renégociation d’une partie de la frontière avec Mon-
saraz, en 1265, au désir du seigneur de Portel d’accéder aux routes Évora-Moura et Mon-
saraz-Moura connectées sur le Guadiana.
330
38
Ibid., p. 9-10.
39
En 1265, quelques mois après l’extension légale du territoire de Portel dans la zone
fortement colonisée (et en habitat dispersé) de Monte de Trigo, les propriétaires d’un
domaine qui semble étendu donnent au seigneur de Portel quantam hereditatem habebamus
in loco qui dicitur Pecenas ultra vestros marcos contra Portel, éd. O livro dos bens de D. João de Portel.
Cartulário do século XIII, éd. P. A. de AZEVEDO [réed. fac-simile], Lisbonne, Colibri / Câmara
municipal de Portel, 2003 [désormais abrégé LBJP], doc. 181).
40
In causa que erat… super terminis qui sunt inter Elvas et Jurumeniam, ego [rex] mandavi… quod
magister et conventus de Avis ducantur in possessionem illorum heredamentorum de quibus dicebant
se spoliatos… Et si concilium de Elvis tenet aliquid modo de fructibus illorum heredamentorum, debet
illud integrare magistro et conventui et de aliis fructibus qui sunt jam expensi (IAN/TT, CA III, livre
1, fol. 94) ; voir aussi des hereditates en litige entre Abrantes et Alter do Chão en 1251 (Ibid.,
livre 1, fol. 107-107v).
331
41
Ainsi, la détermination des limites entre Elvas et Juromenha ne donne que des éléments
topographiques, ce qui est révélateur à cette échelle, induisant une faible humanisation – alors
que, dans les définitions de périmètres sur des dizaines de km, l’absence d’emprises humai-
nes ne signifie pas absence d’humanisation, contrairement à ce qu’affirme toute l’historio-
graphie récente de la Reconquête.
42
Parmi les plus anciens règlements territoriaux contentieux, celui qui oppose les com-
munautés de l’Ordre de Santiago avec celle de Beja (de seigneurie royale) en 1255 met en
jeu le paiement des montaticum et terraticum relatifs à l’usage des espaces périphériques (éd.
História florestal, aquícola e cinegética. Colectanêa de documentos existentes no A.N.T.T. Chancelarias
reais, éd. C. M. B. NEVES e.a., Lisbonne, 1980-8 (5 vol.), vol. 1, p 25-26). Voir aussi, quoique
le dispositif soit moins explicite, le conflit entre Monforte et Vide Queimada en 1271 : vobis
alvazilibus et concilio de Monte Forti… non leixatis homines de Vide Queymada talhare madeyram in
vestro termino nec pascere ibi suos ganatos sicut ipsi dicunt quod leyxant vos in suo termino (IAN/
TT, CA III, livre 1, fol 111).
43
La matérialisation des limites par des bornes advient souvent à la suite d’une plainte
contre les intrusions des hommes de la communauté voisine qui exercent des activités
nomades et extensives ; parmi de nombreux exemples, la démarcation (au moyen de 36
bornes) du territoire d’Alvito par rapport aux termos des villages santiaguistes, en 1260, pour
que os vossos gados e vossos homeens e os vossos colmeeiros e os vossos coelheiros e os vossos cazadores
nom lhe entrem nem lhe pascem seus termos, IAN/TT, SS Trindade de Santarém, maço 1 [D.P.], doc.
18.
44
Ed. GTT, vol. 5, p. 562.
332
45
Ainsi, cette lezíria d’Atalaia disputée au municipe de Lisbonne par celui de Santarém,
en 1251 (IAN/TT, Gaveta XV, maço 10, doc. 16) ; l’objet du litige est certes éloigné des deux
chefs-lieux, mais il s’agit de grandes villes, dont le territoire est colonisé depuis longtemps
et qui ont une très forte capacité d’intégration de leur périphérie : le contrôle d’une terre
irriguée constitue donc un véritable enjeu.
46
LBJP, doc. 33. On remarquera que Portel ne se trouve qu’à 12 km de ce barrage alors
que le chef-lieu concurrent, Monsaraz, à 20 km, a moins de facilité à le contrôler ; on voit
à travers ce cas que la mesure des distances constitue une méthode utile.
333
47
Em tal guisa que os moynhos que se chamam da Rigueifeira fiquem em sua terra e seu termo, éd.
Chancelarias portuguesas. D. Duarte (1433-38), éd. J. J. A. DIAS, Lisbonne, Centro de estudos
históricos - Universidade Nova de Lisboa, 1998 (2 vol.) [désormais abrégé Chanc. Duarte],
vol. I-1, p. 328-329.
48
Le premier chiffre est donné par la « visitation » de 1515, qui stipule que des habitants
sont disputés entre Alcaria Ruiva et Mértola (As comendas de Mértola e Alcaria Ruiva. As visi-
tações e tombos da Ordem de Santiago 1482-1607, éd. M. F. BARROS, J. F. BOIÇA, C. GABRIEL,
Mértola, Campo arqueológico de Mértola, 1996 (Estudos e fontes para a história local, 2),
p. 106), tandis que le second est fourni par le recensement de 1532 (« Povoação de Entre
Tejo e Guadiana no XVI século », éd. A. B. FREIRE, Arquivo histórico portuguez, IV (1906),
p. 93-105 et 330-363 [désormais cité Cens1532], p. 339) ; un écart lié au rythme biologique
est peu probable.
49
Ecarts à Galveias (de 72 à 45), Oriola (de 61 à 48), Vila Boim (de 33 à 20) et Vila Viçosa
(de 1066 à 750) entre le chiffre du recensement de 1532 et celui de la tournée pastorale
de 1534 (cité par H. S. LOURO, Freguesias e capelas curadas da arquidiocese de Évora (séculos
XII a XX), Évora, 1974, p. 46, 59, 93 et 94). Mais dans ces cas, l’écart peut s’expliquer par
une différence entre le territoire civil et la paroisse ; c’est certain pour Oriola, qui est une
zone d’habitat complètement dispersé divisé en deux paroisses, S. Marie et la plus tardive
S. Barthélémy, dont l’église se situe sur le lieu dit Outeiro à 5 km de la précédente (cf.
Monumenta Portugaliae Vaticana II. Súplicas dos pontificados dos papas de Avinhão Clemente VII e
Bento XIII e do papa de Roma Bonifácio IX. Documentos publicados com introdução e notas, éd. A.
D. S. COSTA, OFM, Braga-Porto, Editorial franciscana, 1970, p. 218 et 286), et pour Vila
Viçosa, dont le termo est subdivisé par les paroisses urbaines et par celles de Terrugem, S.
Romão et peut-être déjà Bencatel.
334
vastes superficies donc des écarts importants du tracé, tandis que les
zones d’habitat dispersé se prêtent à des négociations sur quelques
hectares – et les limites sont ipso facto beaucoup plus arbitraires.
La conception économiciste, voire étroitement fiscaliste, de la
communauté, que l’on attribue souvent aux élites dirigeante locales
de « bonshommes », s’intègre dans une idéologie plus globale du bien
public local, valorisant le nombre des hommes et le volume des riches-
ses pour eux-mêmes. Il n’est pas sûr que la politique des Ordres mili-
taires, fondant des villages loin de leurs chefs-lieux pour étendre les
espaces qu’ils contrôlent, obéisse directement à la « loi » capitaliste
de maximisation des avantages ; l’expansionnisme territorial est un
phénomène politique trop généralisé sous tous les cieux pour que
l’on puisse l’enfermer dans les catégories de l’économie politique.
Ainsi, à côté des conflits opposant deux seigneuries municipales dif-
férentes ou deux chefs-lieux sans autre lien que la mitoyenneté, il
semble que l’aigreur soit particulièrement forte dans les démarcations
conflictuelles qui concernent deux communautés dont l’une s’est
émancipée de la tutelle de l’autre, cette dernière considérant toujours
le territoire du nouveau chef-lieu comme « son » territoire ; sans
exclure les intérêts vénaux, il entre en jeu dans ce cas une relation de
dignité et de hiérarchie de type familial (entre communautés « mère »
et « fille »). À voir les voisins plaider durant des décennies pour des
espaces de faible taille et sans valeur économique affirmée50, on peut
penser que des considérations morales (une certaine idée du « bon
droit ») et, comme on l’a vu, une conception abstraite des territoires
orientent la conflictualité.
Si elles ne sont pas conçues directement pour cela, les démarca-
tions contentieuses sont en fait au service d’une régularisation maté-
rielle, d’une mise en adéquation des espaces et des droits (ou, plus
largement, des relations sociales) ; cette dimension est implicite, et
ses modalités nous échappent largement, mais il est probable que
s’établit un équilibre entre la force polarisatrice des centres et la dis-
tance des lieux qu’ils revendiquent. Dans les conflits, la capacité d’ac-
tion est avant tout une capacité de nuisance, non plus pour occuper
le terrain (peuplement) et intégrer des zones vides (parcours de bétail
50
Alors que leur limite est fixée depuis avant 1257, Évora et Montemor-o-Novo s’affrontent
en 1436 pour un enjeu territorial dont la nature n’est pas précisée (éd. Chanc. Duarte, vol.
I-2, p. 406) ; mais, en 1535, cet enjeu s’est réduit (s’il n’était pas tel dès le départ) à 2 arados
de terre dans la zone de Benafile (J. FONSECA, Montemor-o-Novo no século XV, Montemor-o-
Novo, Câmara municipal, 1998, p. 5).
335
336
51
Cum homines de fora det directum juxta aquas currentes de suo castello, judices qui intencionem
judicaverint sedeant per medium, éd. PMH Leges I, p. 384.
52
Ed. Documentos medievais portugueses. Documentos régios. Volume I Documentos dos condes
portugalenses e de D. Afonso Henriques A.D. 1095-1185, Tomo I, éd. R. P. AZEVEDO, Lisbonne,
Academia portuguesa de história, 1958 (Publicações comemorativas do duplo centenário
da fundação e da restauração de Portugal) [désormais abrégé DMP DR I], p. 417 (avec des
annotations diplomatiques p. 715-717).
337
Mais l’ampleur de leur territoire au-delà du fleuve est due à la faible agglomération du
54
peuplement en Ribatejo, qui ne peut opposer à la domination des deux villes des habitats
groupés notables capables de s’ériger en chefs-lieux, au moins jusqu’à la seconde moitié
du XIVe siècle (avec la municipalisation de Ponte de Sor et Erra).
338
55
Évoqués dans S. BOISSELLIER, Le peuplement…, particulièrement p. 290 sq.
56
Cette population est toujours évoquée quand une unité administrative associe un village
groupé et un territoire peuplé de résidences dispersées.
57
Voir S. BOISSELLIER, « Juridiction, possession et résidence dans la formation de com-
munautés locales (Portugal méridional, XIIIe siècle): le cas des reguengos », Media Aetas, 3 - IIe
série (2008-2009), p. 103-123.
339
340
341
Conclusion
61
Le cas de Tolosa est légèrement différent, car sans l’emploi d’une formule comme ci-
dessus et avec une irrégularité sur un côté ; mais la circonférence obéit au même rayon
d’1/2 lieue, et cette identité de taille ne peut être fortuite (Cens1532, p. 346) ; toutefois
l’ancienneté de la centralité administrative du lieu (qui a reçu une charte dès 1262 avant
de végéter) suppose un redécoupage tardif adaptant un ancien tracé à la polarisation effec-
tive du lieu et de ses voisins.
62
Cela a été fait pour les frontières des grands agrégats tels que les royaumes (pour la
Péninsule ibérique, voir par ex. P. BURESI, « Nommer, penser les frontières en Espagne
aux XIe-XIIIe siècles », dans Identidad y representación de la frontera…, p. 51-74) ; pour les
territoires locaux, c’est le lexique des unités territoriales elles-mêmes et non pas celui de
leurs limites qui a été le plus examiné (ainsi toute la deuxième partie du volume, déjà cité,
Les territoires du médiéviste…, qui n’examine, curieusement, que « Le territoire décrit : lexi-
cographie du territoire »).
342
343
344
LE VILLAGE INTROUVABLE :
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LES
INVENTAIRES ET LES POLITIQUES
PATRIMONIALES FRANÇAISES FACE À
L’ANALYSE DE L’HABITAT MÉDIÉVAL
Luc BOURGEOIS
1
P. et G. PINCHEMEL, La face de la terre, Paris, Armand-Colin, 1988 (Collection U) ; R.
BRUNET, « Le défrichement du monde », dans Mondes nouveaux, R. Brunet, O. Dollfus
dir., Paris, Hachette/Reclus, 1990, p. 9-271.
2
Sur les différences entre continuité topographique, territoriale et fonctionnelle, voir
A. NISSEN-JAUBERT, « Habitats ruraux et communautés rurales », Ruralia II, Památky archeo-
logické, 11 (supplément) (1998), p. 215.
345
346
3
J. CUISENIER, dir., L’architecture rurale française, Paris et Die, 21 vol., 1991-1994. Résumé
historique de cette entreprise : N. GORGUS, Le magicien des vitrines : le muséologue Georges-
Henri Rivière, Paris, 2003.
347
4
Sur les premiers pas de ce projet, voir S. LAUZANNE, « Inventaire ou carte archéologi-
que : morceaux choisis », Nouvelles de l’archéologie, 46 (1991), p. 15-17.
5
En particulier Vivre à la campagne au Moyen Âge : l’habitat paysan en Bresse, Lyonnais, Dau-
phiné (V e-XII e siècles) : de l’archéologie préventive à la perspective historique, E. FAURE-BOUCHAR-
LAT, dir., Lyon, 2001 (Doc. archéol. Rhône-Alpes, 21) et Habitats, nécropoles et paysages dans
les moyenne et basse vallée du Rhône (VII e-XV e siècles). Contribution des travaux du TGV-Méditerran-
née à l’étude des sociétés rurales médiévales, O. MAUFRAS, dir., Paris, MSH, 2006 (Doc. archéol.
française, 98).
6
À la date où nous écrivons, le seuil inférieur des prescriptions de sondages archéologi-
ques de reconnaissance est de 10 ha dans des régions comme la Haute-Normandie. Il est
348
évident que cette pratique exclut toutes les petites opérations immobilières au cœur du bâti
ancien.
7
Archaeomedes, Des oppida aux métropoles. Archéologues et géographes en vallée du Rhône,
Paris, Anthropos, 1998 ; Archéologie et système socio-environnementaux : études multiscalaires sur
la vallée du Rhône dans le programme Archaeomedes, E. VAN DER LEEUW, F. FAVORY, J.-L.
FICHES, dir., Paris, CNRS, 2003 ; « La modélisation des réseaux d’habitat en archéologie :
trois expériences », L. NUNINGER, L. SANDERS, dir., Mappemonde, 83 (2006-3), 28 p., en
ligne à http://mappemonde.mgm.fr/num11/articles/art06302.html. Voir en complément
Collectif, « La modélisation des systèmes de peuplement : débat à propos d’un ouvrage
récent, des oppida aux métropoles », Les petits cahiers d’Anatole, 5 (30/06/2000), en ligne à
www.univ-tours.fr/lat/pdf/F2_5.pdf.
349
350
8
Pour des bilans historiographiques, Cf. J.-M. PESEZ, « The Emergence of Village in
France and in the West », Landscape History, 14 (1992), p. 31-35, E. ZADORA-RIO, « Le
village des historiens et le village des archéologues », dans Campagnes médiévales : l’homme et
son espace. Études offertes à Robert Fossier, É. Mornet dir., Paris, Publications de la Sorbonne,
1995, p. 145-153 et « L’archéologie de l’habitat rural et la pesanteur des paradigmes »,
Nouvelles de l’archéologie, 92 (2003), p. 6-9, B. CURSENTE, « Les villages et paysages du Midi
médiéval en recherche (1971-2001) », dans Habitats et territoires du Sud, B. Cursente dir.,
Paris, CTHS, 2004, p. 15-29 ; G. DEMIANS D’ARCHIMBAUD, « Le village médiéval : du
concept à l’historiographie. Quelques jalons », dans Cinquante années d’études médiévales : à
la confluence de nos disciplines, actes du colloque du cinquantenaire du CESCM, Turnhout, Brepols,
2005, p. 445-457 ; É. ZADORA-RIO, « Early medieval Villages and the estate Centres in
France (c. 300-1100) », dans The Archaeology of Early medieval Villages in Europe, J. A. Quiros
Castillo dir., Bilbao, 2009, p. 77-98.
9
J. CHAPELOT , R. FOSSIER, Le village et la maison au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1980 ;
R. FOSSIER, « Naissance du village », dans La France de l’an Mil, R. Delort dir, Paris,
1990.
10
B. FOUCRAY , F. GENTILI, « Le village du haut Moyen Âge de Serris (Seine-et-Marne),
lieu-dit ‘les Ruelles’ (VIIe-Xe siècles) », dans L’habitat rural du haut Moyen Âge (France, Pays-Bas,
Danemark et Grande-Bretagne), Cl. Lorren, P. Périn dir., Rouen, 1995 (Mémoires AFAM,
VI), p. 139-144. F. GENTILI, « L’organisation spatiale des habitats ruraux du haut Moyen
Âge : l’apport des grandes fouilles préventives. Deux exemples franciliens : Serris ‘les Ruel-
les’ (Seine-et-Marne) et Villiers-le-Sec (Val-d’Oise) », Dossiers d’archéologie, 314 (2006),
p. 36-39.
11
A. VERHULST, « Villages et villageois au Moyen Âge », Villages et villageois au Moyen Âge.
Actes du congrès de la SHMESP, Caen, 1990, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992,
p. 9-13.
351
352
15
Le célèbre habitat de Villiers-le-Sec (Val-d’Oise) est un bon exemple de cette pratique :
aucun des plans publiés (Un village au temps de Charlemagne : moines et paysans de l’abbaye de
Saint-Denis du VII e siècle à l’an mil, Catalogue d’exposition, Paris, Musée des arts et traditions
populaires, 1988, F. GENTILI, « L’organisation spatiale des habitats ruraux », etc.) ne figure
le village actuel, pourtant distant de quelques dizaines de mètres seulement des limites de
la fouille.
16
L. BOURGEOIS, « Genèse et morphologie du village dans l’Ouest parisien », dans Mor-
phogenèse du village médiéval, IX e-XII e siècles, Montpellier, 1996, p. 57-67 (Cahiers de l’Inven-
taire).
17
Louviers (Eure) au haut Moyen Âge. Découvertes anciennes et fouilles récentes de la rue du Mûrier,
F. CARRÉ , F. JIMENEZ dir., Saint-Germain-en-Laye, 2008 (Mémoires de l’AFAM, XVIII),
chap. I.
18
Intervention de F. Hautefeuille au colloque L’archéologie médiévale en France depuis trente
ans, Vincennes, juin 2006, sous presse.
19
Voir par exemple C. HÉRON, « Un village de la plaine de France : Tremblay », dans
L’Île-de-France médiévale, I, M. Depraetère-Dargery dir., Paris, Somogy, 2000, p. 40-44 ;
E. COMPAGNON, E. LOUIS, J.-M. WILLOT, Au cœur des villages médiévaux dans le Nord de la
France. Les fouilles de Guesnain et Dechy (Nord), Douai, 2002 (Archaeologia Duacensis, 21) ;
J.-M. WILLOT, C. SÉVERIN, « L’origine des villages en Ostrevent : les exemples de Lauwin-
Planque, Dechy, Guesnain et Flers-en-Escrebrieux », Cahiers du GRAHMA, 1, 2007, p. 59-64,
en ligne à http://grahma.fr/cahiers.aspx.
20
Projet actuellement élaboré par le Service régional de l’archéologie d’Aquitaine pour
les départements de Dordogne et des Landes.
353
21
Archéologie du village, archéologie dans le village (V e-XIII e siècle) dans le Nord de la France, Saint-
Germain-en-Laye, 22-24 novembre 2007.
22
B. BOISSAVIT-CAMUS, L. BOURGEOIS, « Les premières paroisses du Centre-Ouest de
la France : études de cas et thèmes de recherche », dans Aux origines de la paroisse rurale en
Gaule méridionale (IV e-IX e siècles), Actes du colloque de Toulouse, 21-23 mars 2003, C. Dela-
place dir., Paris, Errance, 2005, p. 159-172.
354
355
356
Yassir BENHIMA
1
Les Territoires du médiéviste, B. CURSENTE et M. MOUSNIER dir., Rennes, PUR, 2005.
357
2
Principalement la géographie et la sociologie, sans oublier d’autres disciplines « histo-
riques » : l’archéologie et l’archéologie des paysages.
3
Introduction à l’ouvrage par les deux éditeurs, p. 11.
4
Ibid., p. 9, et M. LAUWERS, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occi-
dent médiéval, Paris, 2005, p. 23.
358
5
A. BOURGEOT, « Territoire », Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, P. BONTE
et M. IZARD, Paris, 2000, p. 704 -705.
6
Définition citée par F. RIPOLL et V. VESCHAMBRE, « Le territoire des géographes.
Quelques points de repère sur ses usages contemporains », dans Les Territoires du médiéviste…,
p. 271-291 (p. 279).
7
Bien évidemment, le mot stratégie est utilisé ici dans son acception anthropologique,
pour désigner l’ensemble des dispositifs matériels ou idéels mis en place par un groupe
pour garantir sa production économique et sa reproduction sociale.
359
8
Deux bilans, relevant à la fois les aspects factuels, méthodologiques et historiographiques
de ces recherches, ont été publiés dans les années 1990, par deux des acteurs principaux
de cette évolution : P. GUICHARD, « Depuis Valence et allant vers l’Ouest… Bilan et pro-
positions pour une équipe », dans Mélanges de la Casa de Velázquez (= MCV), 26 (1990),
p. 163-194 et A. BAZZANA et J.-M. POISSON, « L’habitat rural dans les pays de la Méditer-
ranée occidentale du Xe au XIIIe siècle. État de la question », Ruralia I, Prague, 1996, p. 176-
202.
9
C’est le cas des travaux pionniers de P. Guichard, P. Chalmeta et M. Barceló dès le milieu
des années 70. Pour une vue d’ensemble de la recherche française et sa contribution à
l’historiographie d’al-Andalus, P. GUICHARD, « De l’Espagne musulmane à al-Andalus »,
dans La historiografía francesa del siglo XX y su acogida en España, B. PELLISTRANDI éd.,
Madrid, 2002, p. 191-215.
360
10
Plusieurs raisons objectives peuvent expliquer, partiellement, la rareté des travaux sur
les territoires ruraux au Maghreb : l’absence quasi-totale d’une archéologie d’urgence, les
difficultés de financement local de projets de recherche, ou encore, pour le cas de l’Algérie,
la dégradation de la situation sécuritaire depuis le début des années 1990.
11
A. BAZZANA, P. CRESSIER et P. GUICHARD, Les châteaux ruraux d’al-Andalus. Histoire
et archéologie des husûn du sud-est de l’Espagne, Madrid, 1988.
361
12
P. GUICHARD, « Conclusions », dans Castillos y territorio en al-Andalus, A. MALPICA éd.,
Grenade, 1998, p. 497-507 (p. 499) ; P. CRESSIER, « Remarques sur la fonction du château
islamique dans l’actuelle province d’Alméria, à partir des textes et de l’archéologie », dans
L’incastellamento, M. BARCELÓ et P. TOUBERT éds., Rome, 1998, p. 233-248 (p. 247).
362
13
M. ACIEN, « Poblamiento y fortificación en el sur de al-Andalus. La formacion de un
país de husûn », dans III Congresso de Arqueología Medieval Española, Oviedo, 1989, p. 137-150
et « De nuevo sobre la fortificación del emirato », dans Mil anos de fortificações na Península
ibérica e no Magreb (500-1500), Lisbonne, Colibri, 2001, p. 59-75.
14
C. PICARD « L’évolution du rôle et de la place des husûn dans le Gharb al-Andalus au
regard de l’histoire : quelques hypothèses », dans L’espace rural au Moyen Âge. Portugal, Espa-
gne, France (XII e – XIV e siècle), M. BOURIN et S. BOISSELLIER dir., Rennes, 2002, p. 31-40.
Sur la première période et les troubles dans le Gharb al-Andalus au IXe siècle, voir P. GUI-
CHARD et D. MISCHIN, « La société du Gharb al-Andalus et les premiers husûn », dans Mil
anos de fortificações…, p. 177-187.
363
15
Ph. SÉNAC, La frontière et les hommes (VIII e–XII e siècle). Le peuplement musulman au nord de
l’Ebre et les débuts de la reconquête aragonaise, Paris, 2000, p. 222-232.
16
P. GUICHARD, « Château tribal, château féodal : la Méditerranée occidentale entre
deux mondes », dans L’incastellamento…, Rome, 1998, p. 307-316.
17
Voir à ce propos Y. BENHIMA, « L’habitat fortifié au Maroc médiéval : éléments d’un
bilan et perspectives de la recherche », Archéologie islamique, 10 (2000), p. 79-102 ; ID., « La
défense des communautés rurales au Maroc (XIII-XIVe siècles) : évolution du peuplement
et enjeux politiques », Al-Andalus-Magreb, 10 (2002-03), p. 25-40.
18
Y. BOKBOT, P. CRESSIER, M.-C. DELAIGUE, R. IZQUIERDO BENITO, S. MABROUK
et J. ONRUBIA PINTADO, « Enceintes refuges, greniers fortifiés et qasaba-s : fonctions,
périodisation et interprétation de la fortification en milieu rural pré-saharien », dans Mil
anos de fortificações…, p. 213-227.
19
Y. BENHIMA, Safi et son territoire. Une ville dans son espace au Maroc (11 e-16 e siècle), Paris,
L’Harmattan, 2008 (Villes, histoire, culture, société).
20
J.-C. ECHALLIER, Villages désertés et structures agraires anciennes du Touat-Gourara (Sahara
algérien), Paris, 1972.
364
21
Notamment le fait de considérer que la construction en terre n’est apparue dans la
région qu’à partir du XVe siècle, suite à des influences venues du Maroc (p. 59) ou d’avan-
cer que le perchement de l’habitat est uniquement justifié par l’introduction des armes à
feu, probablement au XVIe siècle (p. 58).
22
Matière qui a inspiré une nouvelle enquête menée par M. BARRUCAND, « Prospection
dans le Gourara-Touat. Rapport préliminaire », dans Colloque international d’archéologie isla-
mique, R.-P. GAYRAUD éd., Le Caire, 1998, p. 183-216.
23
À l’exception du récent article de M. MÉOUAK, « Fortifications, habitats et peuplement
entre Bougie et la Qal‘a des Banû Hammâd. Les données du géographe al-Idrîsî (c. 493/1100-
c. 560/1165) », MCV, nouvelle série, 36/1 (2006) pp. 173-193.
24
On peut s’étonner de l’absence de travaux sur le phénomène de l’habitat fortifié à
l’époque islamique, dans une optique inspirée par les études sur al-Andalus et dépassant la
seule recherche des aspects monumentaux. Sur l’antiquité des habitats fortifiés dans ce qui
deviendra l’Ifrîqiya après la conquête arabe, voir N. FERCHIOU, « Habitats fortifiés pré-
impériaux en Tunisie antique », Antiquités africaines, 26 (1990), p. 43-86.
365
25
T. GLICK, Irrigation and society in medieval Valencia, Cambridge, 1970.
26
Notamment les travaux de L. Bolens, cités plus bas, ou d’A. M. Watson, qui donneront
lieu à sa publication principale sur le sujet : Innovaciones en la agricultura en los primeros tiem-
pos de mundo islámico, Grenade, 1998 (1ère éd. en anglais 1982).
27
N. BOUDERBALA, J. CHICHE, A. HERZENNI et P. PASCON, La question hydraulique, t.
I : Petite et moyenne hydraulique au Maroc, Rabat, 1984.
28
H. KIRCHNER et C. NAVARRO, « Objetivos, métodos y práctica de la arqueologia
hidráulica », Arqueología y territorio medieval, 1 (1994) p. 159-182 et T. GLICK et H. KIRCH-
NER, « Hydraulic systems and technologies of islamic Spain : history and archaeology »,
dans Working with water in medieval Europe. Technology and resource-use, P. SQUATRITI éd.,
Leyde, Brill, 2000, p. 267-329.
366
29
Pour une vision générale des idées et concepts développés par M. Barceló et son équipe,
voir notamment M. BARCELÓ, H. KIRCHNER et C. NAVARRO, El agua que no duerme.
Fundamentos dela arqueología hidráulica andalusí, Grenade, 1996.
30
Selon les termes d’A. BAZZANA, « Approvisionnements hydriques et maîtrise de l’eau
e e
dans al-Andalus du X au XV siècle », dans Technology, ideology, water : from Frontinus to the
renaissance and beyond, C. BRUNN et A. SAASTAMOINEN éds., Rome, 2003, p. 143-169 (p.
148). L’idée de l’existence d’une école d’hydrauliciens arabo-musulmans est amplement
étudiée par M. EL FAÏZ, Les Maîtres de l’eau. Histoire de l’hydraulique arabe, Paris, 2005. L’auteur
offre un panorama des savoirs scientifiques, théoriques ou expérimentaux, des hydrauli-
ciens arabo-musulmans, et remarque, pour l’Occident musulman, la rareté des écrits et la
tendance vers un empirisme dont témoigne le grand développement de l’hydraulique pay-
sanne. Voir en particulier le chapitre III, p. 209-245.
31
A. BAZZANA, « Les irrigations médiévales dans al-Andalus : caractères et originalités »,
dans Agriculture méditerranéenne. Variété des techniques anciennes, M.-C. AMOURETTI et G.
COMET éds., Aix-en-Provence, 2002, p. 17-40.
32
Sous cette catégorie on peut regrouper des techniques variées, comme les bassins isolés
construits pour l’alimentation en eau de villes et villages de l’Ifrîqiya depuis l’époque aghla-
bide, ou des systèmes complexes reliant des terrasses à des bassins de rétention permettant
une distribution de l’eau, utilisés notamment dans les îles Baléares. Pour le premier cas, le
travail pionnier de M. SOLIGNAC, « Recherches sur les installations hydrauliques de Kai-
e e
rouan et des steppes tunisiennes du VII au XI siècle », Annales de l’institut des études orien-
tales, Alger, 1952-53, demeure une référence principale, malgré les apports de recherches
récentes. Voir par exemple la synthèse de F. MAHFOUDH, Architecture et urbanisme en Ifriqiya
médiévale (proposition pour une nouvelle approche), Tunis, 2003.
367
33
Ce terme englobe deux techniques principales : des galeries à faible pente aménagées
pour récupérer les eaux des nappes phréatiques (cimbra en espagnol) et des qanât-s (khattâra
ou foggâra dans les parlers maghrébins), qui consistent en des galeries souterraines jalon-
nées par des puits verticaux équidistants. Sur le premier type, voir principalement M. BAR-
CELÓ, M. A. CARBONERO, R. MARTÍ et G. ROSSELLÓ-BORDOY, Les aigües cercades (Els
qanât(s) de l’illa de Mallorca), Palma de Mallorca, 1986. Les travaux historiques et archéolo-
giques sur les khettâra-s manquent cruellement, et on doit la connaissance de ces techniques
surtout à des géographes ou ethnologues ; voir par exemple J. AGUADÉ, M. ELYAACOUBI,
F. RODRÍGUEZ MAÑAS, « Recherches sur une khettâra dans la palmeraie de Skûra. Contri-
bution à l’étude des techniques traditionnelles d’irrigation au Maroc », Die Welt des Orients,
27 (1996), p. 87-103.
34
Notamment l’article de P. CRESSIER, « A propos des apports orientaux dans l’hydrau-
lique agraire d’al-Andalus : observations sur le barrage », dans Spanien und der Orient im
frühen und Hohen Mittelalter, Mayence, 1996 (Madrider Beiträge, 24), p. 142-156.
35
On distingue généralement deux types de roues élévatrices, les norias mues par la force
du courant et les sâniya-s, ou noria du sang selon la terminologie espagnole, actionnée par
un animal. Sur ces techniques, voir notamment : A. BAZZANA et Y. MONTMESSIN, « Les
norias fluviales de Fès », dans Du Nord au Sud du Sahara : 50 ans d’archéologie française en
Afrique, Paris, 2004, p. 331-347 ; ID., « Nâ‘ûra et sâniya dans l’hydraulique agricole d’al-
Andalus à la lumière des fouilles de ‘Les Jovades’ (Oliva, Valence) », dans La maîtrise de l’eau
en al-Andalus. Paysages, pratiques et techniques, P. CRESSIER éd., Madrid, 2006, p. 209-287 et
Á. POVEDA SÁNCHEZ, « Un estudio sobre las norias de sangre de origen andalusí : el caso
de la alquería de Benassal (Castellón) », Historia agraria, 32 (2004), p. 35-56.
36
Il s’agit principalement des moulins ; voir P. CRESSIER, « El resbalón de shîtân. Obser-
vaciones sobre el molino hidráulico en al-Andalus y Marruecos », dans Tomas Quesada Que-
sada. Homenaje, Grenade, 1998, p. 152-171 ; sur les moulins de l’Occident musulman d’après
les données des sources jurisprudentielles, cf. V. LAGARDÈRE, « Moulins d’Occident musul-
e e
man au Moyen âge (IX au XV siècles) : al-Andalus », Al-Qantara, XII/1(1991), p. 59-118.
Le thème du moulin hydraulique dans l’histoire des techniques agricoles médiévales, et
son évolution comparée dans les mondes chrétiens et musulmans, a suscité également
l’intérêt des chercheurs. Cf. la récente synthèse de M. BARCELÓ, « The missing water-mill :
a question of technological diffusion in the high Middle ages », dans The making of feudal
agricultures ?, M. BARCELÓ et F. SIGAUT éds., Leyde, Brill, 2004, (The Transformation of
Roman World, 14), p. 255-314.
368
irrigues, par le débit des sources de captation, sans oublier les facteurs
sociaux et historiques. L’équipe de chercheurs travaillant à Barcelone
autour de M. Barceló, a identifié ainsi plusieurs types de systèmes,
classés selon leurs caractères morphologiques37 :
- les systèmes de fond de vallée, où l’espace irrigué est aménagé
aux bords immédiats du cours d’eau ou dans ses méandres ;
- les systèmes installés sur les pentes des collines peuvent revêtir
plusieurs formes. Dans un premier cas, la source d’eau est située au
fond de la vallée ; un canal dérive l’eau de l’amont vers les parcelles
irriguées situées plus en aval. Dans une autre variété, le point de cap-
tation d’eau est situé au même endroit que la zone irriguée ; en fonc-
tion du débit, l’on aménage un ou deux canaux en deux directions
opposées, et avec une longueur qui varie en fonction du débit. De ces
principaux canaux, des rigoles peuvent se ramifier pour faciliter
l’écoulement de l’eau vers les différentes parcelles. Ce dispositif peut
être répété à plusieurs endroits du terroir, avec à chaque fois une
source d’eau irriguant un ensemble de parcelles qui lui sont attenan-
tes.
Ces différents systèmes, offrant à chaque fois à une solution diffé-
rente au même problème, peuvent être juxtaposés ou combinés pour
l’irrigation d’un terroir donné.
37
T. GLICK et H. KIRCHNER, « Hydraulic systems and technologies…», p. 279-292.
38
M. BARCELÓ, R. GONZÁLEZ VILLAESCUSA, H. KIRCHNER, « La construction d’un
espace agraire drainé au hawz de la Madîna de Yâbisa (Ibiza, Baléares) », dans La dynamique
des paysages protohistoriques, antiques, médiévaux et modernes. XVIIe rencontres internationales d’ar-
chéologie et d’histoire d’Antibes, Sophia Antipolis, 1997, p. 113-125.
369
39
J. TORRÓ, « La colonización del valle de Pego (c. 1280-1300). Prospección y estudio
morfológico : primeros resultados », Arqueología espacial, 19-20 (1998), p. 443-461.
40
M. A. CARBONERO GAMUNDI, P. CRESSIER et L. ERBATI, « Un ejemplo de transfor-
mación radical y planificado del paisaje agrario en la edad media : Tagsa (provincia de
Chefchauen, Marruecos) », dans Transformaciones agrarias en Andalucía oriental y norte de
Marruecos, Grenade, 1997, p. 63-105 et P. CRESSIER, « Géométrie des réseaux et marqueurs
des territoires. L’image du partage de l’eau dans le paysage médiéval (Espagne et Maroc) »,
MCV, nouvelle série, 36-2 (2006), p. 39-59.
41
AL-WANSHARĪSĪ, Al-Mi‘yaˉr al-mu‘rib, Rabat, 1981, t. 8, p. 5-20. Analyse dans V. LAGAR-
DÈRE, Histoire et société en Occident musulman au Moyen Âge. Analyse du Mi‘yâr d’al-Wansharîsî,
Madrid, 1995, p. 334-335.
42
Révélé d’abord par le regretté O. BENMIRA, « Qadaˉyaˉ al-miyaˉh bi-l-maghrib al-wasˉıt min
khilaˉl adab al-nawaˉzil », Al-taˉrıˉkh wa adab al-nawaˉzil. Diraˉsaˉt taˉrıˉkhiyya muhdaˉt lil-faqıˉd
Muhammad Znıˉbar, Rabat, 1995, p. 77-85, ce cas a fait l’objet de deux études substantielles :
D. S. POWERS, Law, society and culture in the Maghrib, 1300-1500, Cambridge, 2002, en par-
ticulier le chapitre 3 : « A riparian dispute in the Middle Atlas mountains, ca 683-824/1285-
1421 », p. 95-140 ; T. MADANI, « Le conflit à l’époque médiévale : entre l’amont et l’aval,
à propos d’un litige autour de l’eau dans les campagnes de Fès », dans Asentamientos rurales
y territorio en el Mediterraneo medieval, C. TRILLO éd., Grenade, 2002, p. 262-336.
370
tation historique qu’ils ont inspirée. Dans cette optique, le travail des
historiens et des archéologues sur les villages et les grands domaines,
sur les structures économiques du territoire ou sur sa construction
religieuse, pourrait s’avérer prometteur. Les formes marginales de
territorialité, n’étant pas généralement au centre de l’intérêt des sour-
ces médiévales, restent très mal connues.
Ce sont sans doute les parents pauvres des recherches sur les espa-
ces ruraux dans l’Occident musulman, tant ils ont été délaissés en
faveur des fortifications et des réseaux hydrauliques, qui ont long-
temps focalisé l’intérêt des chercheurs. Les travaux récents tendent,
encore timidement, d’inverser la vapeur et de leur accorder l’atten-
tion qu’ils méritent.
Il faut sans doute rappeler qu’avant de se concentrer sur les forti-
fications, les pionniers de la connaissance historique et archéologique
sur le monde rural andalou sont issus d’une tradition académique
occidentale qui s’est intéressée d’abord aux problèmes de la désertion
du village, avant de plancher sur la morphogenèse et l’évolution de
celui-ci, en lien avec les mutations de la société féodale et des proces-
sus d’encellulement (pour ne pas parler exclusivement
d’incastellamento)43.
Cette parenté intellectuelle n’a pas toutefois permis un grand déve-
loppement de l’archéologie du village ; en effet, l’impérialisme de la
castellologie, et dans une faible mesure, des études sur l’hydraulique,
et l’éclosion de l’archéologie extensive plus adaptée à l’étude, à une
petite échelle, des espaces ruraux, expliquent ce retard. L’archéologie
du village demande incontestablement plus d’investissement en temps
et en moyens et ne peut faire fi, pour obtenir une connaissance fine
des habitats et de leur culture matérielle, de longues entreprises de
43
Quoique les thèses classiques sur la naissance du village en Occident soient aujourd’hui
sujettes à des critiques et des remises en question, notamment à propos du rôle des évolu-
tions du Haut Moyen Âge dans la genèse et la configuration du village du Moyen Âge
central. Voir par exemple les contributions de C. WICKHAM, « The development of villages
in the West, 300-900 » (p. 55-69), et de B. CURSENTE, « Les villages dans l’Occident médié-
e e
val (IX –XIV siècle) », (p. 71-88), dans un récent ouvrage sur les villages byzantins : Les
villages dans l’Empire byzantin, J. LEFORT, C. MORRISSON et J.-P. SODINI éds., Paris, 2005.
Voir aussi M. WATTEAUX, « À propos de la ‘naissance du village au Moyen Âge’ : la fin
d’un paradigme ? », Études rurales, 167-168 (2003), p. 307-318. Sur les premiers travaux
archéologiques réalisés sur les villages d’al-Andalus, voir A. BAZZANA et J.-M. POISSON,
« L’habitat rural dans les pays de la Méditerranée occidentale… », p. 178.
371
terrain. L’apport des textes dans ce domaine, reste quant à lui, poten-
tiellement limité, même si les historiens, parfois frileux à aborder
l’histoire de la campagne comme au Maghreb, ou peu sensibles à
repérer et analyser les aspects matériels, ont loin d’avoir épuisé la
documentation sur le sujet. De cette situation, et pour ces raisons, le
constat est bien mitigé.
C’est forcément en al-Andalus qu’on retrouve les seuls villages
fouillés dans l’islam occidental44. Trois cas illustrent, à titre d’exem-
ples, ces entreprises systématiques, qui ont touché heureusement,
trois zones différentes de la Péninsule ibérique : le site de Peñaflor,
dans la région de Jaen ; Alcaria Longa, dans l’Algarve, et Las Sillas
Marcén, dans la Marche supérieure.
À Peñaflor, les fouilles archéologiques du site musulman établi sur
le sommet et les flancs supérieurs d’un éperon, ont révélé deux
ensembles séparés. D’un côté, une citerne à laquelle sont adossés
d’autres bâtiments (probablement des réserves alimentaires), et d’un
autre côté, une zone d’habitat occupée par 20 à 30 maisons. Avec une
élévation en terre, ces maisons monocellulaires de grandes dimen-
sions, sont regroupées autour d’un espace libre (patio). Chaque
ensemble de maisons, clos par une petite enceinte ou délimité par les
murs porteurs, dessine un îlot. Cette disposition architecturale pour-
rait laisser penser à une vocation principalement pastorale de cet
établissement rural daté du IXe – premier quart du Xe siècle, mais
l’analyse de la faune, rendue difficile par les mauvaises conditions de
conservation, n’a pas révélé une grande quantité d’ossements45. À
Alcaria Longa, les fouilles américaines ont porté sur la période du
X-XIe siècle, avec pour objectif clair : l’étude et l’identification de
traces matérielles de l’islamisation des campagnes de la région de
Mértola. Les maisons mises au jour étaient organisées à l’intérieur
d’un enclos, enfermant à chaque fois, une unité pluricellulaire et une
autre monocellulaire qui lui est perpendiculaire, disposition non sans
44
À l’exception, peut-être, des villages libyens du Fezzân, étudiés dans une perspective
transpériodique, axée toutefois principalement sur la période antique. Voir par exemple
Farming in the desert : the UNESCO Libyan valleys archaeological survey, D. MATTINGLY éd.,
1996.
45
V. SALVATIERRA CUENCA et J. C. ARMENTEROS, « Peñaflor, un établissement rural
d’époque émirale dans la Campiña de Jaén », Archéologie islamique, 5 (1995), p. 11-24 et Los
asentamientos emirales de Peñaflor y Miguelico (Jaén). Proyecto : el poblamiento hispano-musulmán
de Andalucía oriental. La Campiña de Jaén (1987-1992), V. SALVATIERRA CUENCA, J. C.
ARMENTEROS et J. AGUIRRE SÁDABA dir., Jaén, 2000.
372
46
J. L. BOONE, « The first two seasons of excavations at Alcaria Longa : a caliphal-taifal
period rural settlement in the lower Alentejo Portugal », Arqueologia Medieval, 1 (1992),
p. 51-64 et ID., « Rural settlement and islamization in the lower Alentejo of Portugal » , dans
Arqueologia en el entorno del Bajo Guadiana, Huelva, 1994, p. 527-544.
47
S. MACÍAS, Mértola. Le dernier port de la Méditerranée, Mértola, 2006, t. I, notamment
p. 297-299.
48
Les résultats des fouilles de Marcén et les problématiques qu’elles suscitent apparaissent
dans plusieurs travaux de Ph. Sénac. Pour une vision globale du peuplement musulman de
la Marche Supérieure, P. SÉNAC, La frontière et les homme…, ainsi que sa plus récente syn-
thèse, « Stratigraphie du peuplement musulman au nord de l’Èbre (VIII-XIe siècles) », dans
Villa 1. De la Tarraconaise à la Marche Supérieure d’al-Andalus (IV-XI e siècle), P. SÉNAC éd.,
Toulouse, 2006, p. 61-73. Cf. également ID., « Un village de la Marche supérieure d’al-
Andalus au tournant de l’an mil : Las Sillas (Marcén) », dans Cinquante années d’études
médiévales : à la confluence de nos disciplines, Turnhout, Brepols, 2005, p. 521-536.
373
49
C’est le cas de l’ouvrage, par ailleurs intéressant, de M. HASSAN, Al-madıˉna wa al-baˉdiya
bi-Ifrıˉqiya fî al-‘ahd al-hafsˉı , Tunis, 1999. Pour le Maghreb central, voir le travail de M.
MÉOUAK, « Peuplement, territoire et agriculture dans l’Algérie médiévale : l’exemple de
la palmeraie de Tolga (Biskra) », Orientalia suecana, L (2001), p. 67-74.
50
Les travaux de P. Guichard sur le Sharq al-Andalus restent parmi les plus aboutis dans
ce domaine, notamment pour l’organisation interne des communautés villageoises. P. GUI-
CHARD, Les musulmans de Valence et la Reconquête (XII e-XIII e siècles), Damas, 1991-92, surtout
t. I. Voir également pour al-Andalus, la tentative intéressante de C. TRILLO SAN JOSÉ, « ¿
Podemos saber cómo funcionaban las alquerías ‘por dentro’ ? Un planteamiento sobre la
organización económica y social en el ámbito rural de al-Andalus », Revista d’Historia
Medieval, 12 (2001-02), p. 279-297. Sur le Maroc, voir Y. BENHIMA, Espace et société rurale
au Maroc médiéval. Stratégies territoriales et structures de l’habitat : l’exemple de la région de Safi,
thèse de doctorat sous la direction d’A. Bazzana, Lyon 2, 2003, en particulier la première
partie.
51
Pour al-Andalus, voir S. ANGELÉ et P. CRESSIER, « Velefique (Alméria) : un exemple
de mosquée rurale en al-Andalus », MCV, XXVI (1990), p. 113-130 et R. SOTO I COMPANY,
« Mesquites urbanes i mesquites rurals a Mayûrqa (Estudi documental i problemes d’inter-
pretació) », Bulletí de la societat arqueológica Lul.liana, XXXVI (1978), p. 113-135.
52
L’on notera néanmoins les articles de C. PICARD, « Quelques remarques sur la propriété
du sol dans le Gharb al-Andalus pendant la période musulmane », Revue des études islamiques,
LX (1992), p. 471-519 et de P. GUICHARD, « À propos des rahals de l’Espagne orientale »,
Miscelánea medieval murciana, vol. XV (1989), p. 11-24, qui ont souligné à des degrés divers,
374
l’existence et l’importance des grands domaines dans la région de Séville pour le premier
et dans celles de Murcie et de Majorque pour le second.
53
M. MORONY, « Economic Boundaries ? Late Antiquity and Early Islam », JESHO, 47/2,
p. 166-194, (p. 168-170).
54
A. AL-BĀHĪ, Suˉsa wa al-Saˉhil fıˉ al-‘ahd al-wasıˉt : muhaˉwala fî al-jughraˉfiya al-taˉrıˉkhiyya, Tunis,
2004, en particulier la deuxième partie, p. 317-571.
55
E. MANZANO MORENO, Conquistadores, emires y califas. Los Omeyas y la formación de al-
Andalus, Barcelone, 2006, p. 276-282.
375
56
On peut citer à titre d’exemple les études anthracologiques accompagnant les fouilles
du Castillo del Río et de la Râbita de Guadarmar, dans la province d’Alicante. Voir E. GRAU
et D. SIMEON, « VIII Antracología », dans El Castillo del Río (Aspe, Alicante). Arqueología de
un asentamiento andalusí y la transición al feudalismo (siglos XII-XIII), R. AZUAR RUIZ dir.,
Alicante, 1994, p. 197-202 ; E. GRAU et S. DE HARO, « El paisaje vegetal de la Rábita de
Guardamar en el siglo X », dans El ribât califal. Excavaciones e investigaciones (1984-1992), R.
AZUAR RUIZ coord., Madrid, 2004, p. 153-158 et dans le même volume, R. AZUAR RUIZ,
« El paleoambiente del ribât y el territorio », p. 159-171.
57
À titre d’exemple, plusieurs travaux d’E. GARCÍA SÁNCHEZ, notamment « La flora de
Sierra Nevada a través de los autores árabes », dans Ciencias de la naturaleza en al-Andalus,
textos y estudios IV, C. ÁLVAREZ DE MORALES éd., Grenade, 1996, p. 115-145. Notons
également de nombreuses contributions dans l’ouvrage coordonné par F. ROLDÁN CAS-
TRO, Paisaje y naturaleza en al-Andalus, Grenade, 2004, en particulier, A. M. CABO GON-
ZÁLEZ, « Plantas silvestres y plantas cultivadas : una aproximación geográfica en el cua-
drante suroccidental de al-Andalus », p. 159-180 et J. M. CARABAZA BRAVO, « Especies
arbóreas », p. 181-198. Enfin, il convient de rappeler l’importance de l’entreprise collective
de J. M. CARABAZA BRAVO, E. GARCÍA SÁNCHEZ, J. ESTEBAN, HERNÁNDEZ BER-
MEJO, A. JIMÉNEZ RAMÍREZ, Árboles y arbustos de al-Andalus, Madrid, 2004.
376
ments du relief côtier et l’évolution des rivages, ainsi que les déplace-
ments des lits des cours d’eau et de leur navigabilité en dépit des
problèmes d’ensablement, sont parmi les interrogations les plus cou-
rantes à propos des territoires littoraux58. En l’attente de travaux sys-
tématiques de terrain dépassant les généralités suggérées par les
sources textuelles, les antiquisants montrent bien l’exemple à suivre.
Dans une étude récente, un double programme de prospections
archéologique et géomorphologique a eu pour objectif, conjointe-
ment, de mettre en évidence les transformations de l’environnement
littoral, et d’identifier les vestiges antiques liés à l’exploitation des
littoraux, en premier les ressources halieutiques. Cette approche dou-
ble, permet à l’archéologue de prendre en considération la compo-
sante géographique dans l’explication des phénomènes observés59.
La perception de l’évolution de l’environnement est tributaire
aussi d’une meilleure connaissance des interventions de l’homme et
de ses formes de mise en valeur, d’exploitation voire de surexploita-
tion des ressources naturelles, ainsi que de leur rôle dans la construc-
tion des territoires. En effet, l’appropriation par un groupe social de
son territoire se manifeste notamment par sa mise en valeur comme
espace nourricier, fournissant aux habitants les moyens de leur sub-
sistance et les conditions matérielles de leur reproduction sociale. Le
rôle économique du territoire dans l’Occident musulman a été sur-
tout étudié pour ses aspects hydrauliques, déjà exposés. D’autres
aspects de la production agricole, techniques culturales et organisa-
tion des cultures notamment, ont été certainement moins étudiés : la
prééminence des traités d’agronomie comme source principale de
leur connaissance accentue le caractère général des données et limite
le potentiel d’approches locales ou régionales60. Parallèlement, les
études macro-économiques, par ailleurs peu nombreuses, participent
de cette tendance vers la généralisation, et ne contribuent pas à la
connaissance à l’échelle de territoires relativement restreints, des
conditions de la production économique61. Le cas le plus emblémati-
58
C. PICARD, en particulier L’océan atlantique musulman, de la conquête arabe à l’époque
almohade. Navigation et mise en valeur des côtes d’al-Andalus et du Maghreb occidental (Portugal-
Espagne-Maroc), Paris, 1997, p. 49-61.
59
H. SLIM, P. TROUSSET, R. PASKOFF et A. OUESLATI, Le littoral de la Tunisie. Étude
géo-archéologique et historique, Paris, 2004.
60
Comme exemples de travaux sur les techniques de la production agricole en al-Andalus,
voir L. BOLENS, Agronomes andalous du Moyen Âge, Genève-Paris, 1981 et V. LAGARDÈRE,
Campagnes et paysans d’al-Andalus, Paris, 1993
61
Ce constat peut être exprimé à l’égard de l’étude de ‘I. ‘U. MŪSĀ, Al-nashaˉt al-iqtisaˉdıˉ fî
al-maghrib al-islaˉmıˉ khilaˉl al-qarn al-saˉdis al-hijrıˉ, Beyrouth, 2003 (1ère éd. 1983), probablement
377
378
66
En particulier R. MONTAGNE, « Un magasin collectif de l’Anti-Atlas : l’agadir des Ikou-
nka », Hespéris, IX (1929), et D. JACQUES-MEUNIÉ, Greniers-citadelles du Maroc, Paris,
1951.
67
A. HUMBERT et M. FIKRI, « Les greniers collectifs fortifiés de l’Anti-Atlas occidental et
central. Études de cas », dans Castrum 5. Archéologie des espaces agraires méditerranéens au Moyen
Âge, Rome-Madrid, 1999, p. 361-370 et S. NAJI, Greniers collectifs de l’Atlas, Aix-en-Provence,
2007.
68
Voir par exemple deux établissements du Sharq al-Andalus : sur le Cabezo de la Cober-
tera, F. AMIGUES, J. DE MEULEMEESTER et A. MATTHYS, « Archéologie d’un grenier
collectif fortifié hispano-musulman : le Cabezo de la Cobertera (Vallée du Río Segura/
Murcie) », dans Castrum 5…, p. 347-359 ; sur le Castell d’Almizra : J. TORRÓ et J. Ma.
SEGURA, « El Castell d’Almizra y la cuestión de los graneros fortificados », Recerques del
Museu d’Alcoi, 9 (2000), p. 145-164.
69
B. ROSENBERGER, « Autour d’une grande mine d’argent du Moyen Âge marocain : le
Jebel Aouam », Hespéris-Tamuda, V (1964), p. 15-78.
379
exercés dans les espaces intra ou extra muros) peut aussi être porteuse
de sens et témoigner du type de contrôle exercée sur l’activité minière
(par le pouvoir politique notamment)70.
D’autres travaux, concernant principalement le sud de la pénin-
sule ibérique, ont eu des apports conséquents à la connaissance des
activités minières médiévales. À Saltès, l’analyse du matériel archéo-
logique (principalement des scories) et les prospections menées dans
les environs de la ville a montré d’abord que l’approvisionnement des
métallurgistes ne reposait pas forcément sur de véritables mines creu-
sées et aménagées, mais pouvait s’accommoder de l’exploitation d’af-
fleurements rocheux fortement minéralisés. Le matériel extrait sur
ces gisements polymétalliques était ensuite transformé sur place avant
d’être affiné ou façonné dans les ateliers saltésiens71. Dans l’ancienne
kûra d’Ilbîra (provinces de Grenade et d’Alméria), une recherche
récente a attesté la continuité de l’exploitation minière depuis l’An-
tiquité, mais avec des apports nouveaux, qui se manifestent notam-
ment dans l’exploitation de mines de zinc, inconnue par ailleurs dans
l’Occident chrétien avant le XVIIIe siècle. L’exploitation de plusieurs
de ces sites miniers de hauteur, qui furent abandonnés progressive-
ment après la fin de l’insurrection d’Ibn Hafsûn, était probablement
liée à la présence de population indigène72.
70
P. CRESSIER, « Observaciones sobre fortificación y minería en la Almería islámica », dans
Castillos y territorio en al-Andalus, A. MALPICA éd., Grenade, 1998, p. 470-496. Sur une région
voisine, voir le récent travail de J.-M. MARTÍN CIVANTOS, « Alquife, un castillo con
vocacíon minera en el Zenete (Granada) », Arqueología y territorio medieval, 8 (2001), p. 325-
345.
71
A. BAZZANA, « Marais et montagnes océanes : les bases économiques de la ville islami-
que de Saltès », dans Castrum 7. Zones côtières littorales dans le monde méditerranéen au Moyen
Âge : défense, peuplement, mise en valeur, Rome-Madrid, 2001, p. 209-228, (p. 221-227). Sur la
même région de Huelva, cf. également J. A. PÉREZ MACÍAS, « La explotación metalúrgica.
La cerca alta (el Cerro de Andévalo) », dans El territorio medieval. II jornadas de cultura islámica,
Huelva, 2002, p. 9-26.
72
J.-M. MARTÍN CIVANTOS, « La minería altomedieval en la kûra de Ilbîra (provincias
de Granada y Almería, España) », Archeologia medievale, XXXII (2005), p. 35-49.
380
73
Quelques travaux de J.-P. DIGARD soulèvent avec justesse la question de la nomenclature
des différents nomadismes, en particulier « À propos des aspects économiques de la sym-
biose nomades-sédentaires dans la Mésopotamie ancienne », dans Nomads and sedentary
peoples. 30th international congress of human sciences in Asia and North Africa, J. SILVA CAS-
TILLO éd., Mexico, 1981, p. 13-23 et « Problèmes de terminologie et de typologie des
déplacements de nomades », dans Séminaire sur les structures d’habitat : circulation et échanges.
Le déplacement et le séjour, Paris, 1983, p. 187-197.
74
Pour une approche historique de la transhumance au Maroc, Y. BENHIMA, « La trans-
humance au Maroc médiéval : peuplement et habitat », dans Transhumance et estivage en
Occident …, p. 183-198.
381
75
Pour une vision générale de l’approche archéologique de la vie nomade, voir R. CRIBB,
Nomads in archaeology, Cambridge, 1991.
76
Sans que la question de la territorialité nomade et semi-nomade ne soit abordée d’une
manière directe et systématique, on peut trouver quelques informations éparses chez M.
HASAN, Al-madıˉna wa al-baˉdiya…, déjà cité. Pour le Maroc, je me permets de renvoyer à
mes propres travaux sur la région de Safi, où une riche documentation portugaise du début
du XVIe siècle offre un éclairage particulier sur les mouvements des tribus arabes semi-
nomades, impliquées dans un long processus de sédentarisation. La cohabitation de popu-
lations semi-nomades et sédentaires dans la région a eu pour conséquence le développe-
ment d’un mouvement de groupement de l’habitat autour des points fortifiés, qui ont servi
de zones de fixation pour les tribus en voie de sédentarisation. Pour plus de détails, voir Y.
BENHIMA, Safi et son territoire…
77
Voir l’étude de C. PICARD et A. BORRUT, « Râbata, Ribât, Râbita : une institution à
reconsidérer », dans Chrétiens et musulmans en Méditerranée médiévale (VIII e –XIII e siècle). Échan-
ges et contacts, N. PROUTEAU et Ph. SÉNAC éds., Poitiers, 2003, p. 33-65.
78
El ribât califal…
382
79
R. VARELA GOMES et M. VARELA GOMES, « O ribat da Arrifana (Aljezur, Algarve).
Resultados da campanha de escavações arqueológicas de 2002 », Revista portuguesa de arqueo-
logia, vol. 7/1 (2004), 483-573.
80
P. CRESSIER, « De un ribât a otro. Una hipótesis sobre los ribât-s des Magrib al-Aqsà
(siglo IX- inicios del siglo XI) », El ribât califal…, p. 203-221. Voir également sur ce thème
les travaux de C. Picard, en particulier L’océan atlantique musulman, de la conquête arabe à
l’époque almohade...
81
A. AL-BĀHĪ, Suˉsa wa al-Saˉhil…, p. 641-658.
383
EN GUISE DE CONCLUSIONS…
82
P. CRESSIER, « Archéologie de la dévotion soufi », Journal des africanistes, 62/2 (1992),
p. 69-90. Pour plus de détails sur l’exemple d’In Teduq dans la vallée de l’Azawagh au Niger,
voir E. BERNUS, P. CRESSIER, e.a., Vallée de l’Azawagh, Paris, 1999 (Études nigériennes, 57),
en particulier, p. 277-381. Sur l’archéologie des établissements d’époque islamique dans le
Sahel, on peut consulter la synthèse utile de Th. INSOLL, The archaeology of islam in sub-
saharan Africa, Cambridge, 2003, en particulier le chapitre 5.
83
J. M. RODRIGUEZ LÓPEZ et L. CARA BARRIONUEVO, « El fenómeno mistico-reli-
gioso rural en los últimos siglos del islam andalusí : introducción al estudio arqueologico
de las rabitas alpujarreñas », dans Almería entre culturas. Siglos XIII al XVI, Almeria, 1990,
p. 227-254.
84
C. PICARD, « La mémoire religieuse des lieux : des cultes chrétiens aux cultes musul-
mans sur les rivages d’al-Andalus », dans Faire mémoire. Souvenir et commémoration au Moyen
Âge, Aix-en-Provence, 1999, p. 259-275.
384
85
On peut citer par exemple l’intérêt croissant pour les questions d’islamisation et d’ara-
bisation de l’Occident musulman, objets de nombreux travaux en cours.
86
Pour le Maghreb, par exemple, les zones de montagne (le Sous notamment, objet d’un
projet en cours mené par J.-P. Van Staëvel et A. Fili) ou les territoires pré-sahariens, sans
oublier les plaines atlantiques du Maroc, centrales géographiquement, mais périphériques
historiquement par rapport aux grandes métropoles qu’étaient Fès et Marrakech.
385
NOMMER LE TERRITOIRE :
LE CAS DES SOURCES ARABES
(MAGHREB ET ANDALUS)
François CLÉMENT
1
Sur ces questions, voir Écrire l’histoire de son temps (Europe et monde arabe). L’Écriture de l’His-
toire, I, R. Jacquemond dir., Paris, L’Harmattan, 2005, notamment (à titre d’exemple)
ma contribution, « Shâriqât al-zafar, les ‘soleils du triomphe’. Le récit de la bataille de Cara-
cuel (12 avril 1173) », p. 73-82.
387
388
389
390
2
Les deux constituent les asm’ al‑÷arf, ou « noms du vase », entendons ceux qui, tels un
vase, enferment l’action (autrement dit, les dérivés verbaux circonstanciels).
3
Toutefois, rares sont les mots formés sur le schème du nom de lieu qui possèdent, comme
mamlaka, cette triple potentialité : la très grande majorité ne désignent que des lieux. Cela
simplifie les choses.
391
4
À noter que l’auteur puise sa terminologie dans le lexique de la cartographie (∑urat
al-ard), de la géographie administrative et de l’adab.
5
Al‑Maqdisˉı a passé vingt ans de sa vie à parcourir le monde.
6
Voir A. Miquel, La géographie humaine du monde musulman jusqu’au milieu du 11 e siècle,
I, Géographie et géographie humaine dans la littérature arabe des origines à 1050, Paris-La Haye,
Mouton, 2e éd., 1973, p. 324-325 (p. 324 pour la citation).
7
É. LÉvi-Provençal, L’Espagne musulmane au X e siècle. Institutions et vie sociale, nouv. éd.,
Paris, Maisonneuve et Larose, 2002 (1e éd. : 1932), pp. 117-118 ; voir également id., Histoire
de l’Espagne musulmane, III, Le siècle du califat de Cordoue, Paris, Maisonneuve et Larose, 1967,
p. 49.
8
É. LÉvi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane…, p. 48.
9
Ibid., p. 49, n. 3.
392
10
Notons que le terme d’iqlˉım, dont la réalité administrative prête à discussion pour ce qui
est d’al-Andalus, a persisté dans la terminologie administrative du Maroc actuel avec le sens
de région économique (iqlˉım iqtis dˉı ), mais que küra a depuis longtemps disparu du
Maghreb au profit de wilya (« gouvernorat »).
11
Voir F. ClÉment, Pouvoir et légitimité en Espagne musulmane à l’époque des taifas (V e/XI e
siècle). L’imam fictif, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 274.
12
C’est ainsi que je comprends l’expression wašy al-†urus (sic), †irs (pl. †urus) désignant un
feuillet ou une tablette, et plus spécialement un feuillet de parchemin ou une tablette en
bois sur lesquels on écrit après avoir effacé l’écriture ancienne (le verbe †arasa signifie
« effacer en frottant »). Quant au pluriel †urus, non attesté à ma connaissance, il répond au
besoin de la rime avec al-Andalus.
393
13
Le Mu∞rib est une entreprise familiale, démarrée vers le milieu du XIIe siècle et pour-
suivie sur quatre générations.
14
Sa Cruz de Marchena.
15
Dans la sierra de los Filabres.
16
Sa Fé de Mondújar.
17
Laujar de Andarax, dans les Alpujarras. Sur tout ceci, voir IBN SA‘ˆD, al‑Mu∞rib fı hul
al-Ma∞rib, éd. annotée par ∫. AL-MAN∑ÜR, Beyrouth, Dr al‑kutub al-‘ilmiyya, 1417/1997,
I, p. 7 ; II, p. 5, 157.
394
18
IBN SA‘ˆD, al‑Mu∞rib fı hul al-Ma∞rib… , II, p. 387.
395
logue, très bref (une demi page) et vide de tout contenu car, est-il
expliqué, « il n’y a pas matière, dans l’ensemble de ces régions, à
notice d’actualité, pour la raison qu’elles se trouvent aux mains des
chrétiens ».19
Ainsi, Ibn Sa‘ıd va jusqu’au bout de son projet, quitte à admettre
qu’il n’a rien à dire – l’aveu renforce sa crédibilité.
19
Ibid.
396
« On dit d’un lieu dans une montagne ou dans un ˛ißn par lequel on craint
que l’ennemi n’arrive : ±a∞r, en raison du fait qu’il est ébréché et qu’il
permet à l’ennemi de pénétrer. »22
397
23
Voir IBN MAN⁄ÜR , Lisn al-‘Arab…, V, p. 3954.
398
pillement des taifas et des dissidences (qui sont presque toujours “pro-
vinciales”, soulignons-le).
« Le pays d’al-Andalus a la forme d’un triangle. Le premier angle [se situe]
entre l’occident et le sud […] De là, il s’avance vers la mer Méditerranée
[…] qui débute au sud d’al-Andalus. Le deuxième angle se situe à l’est
d’al‑Andalus. […] Le troisième angle se situe là où la mer s’incurve du
nord à l’ouest [etc.] »25
24
Voir le passage correspondant d’al-Rzı dans AL-MAQQARˆ, Naf˛ al-†īb min ∞ußn al-Anda‑
lus al‑ra†īb, éd. I.‘ABB◊S, Beyrouth, Dr ∑dir, 1388/1968, I, p. 130 ; trad. dans É. LÉvi-
Provençal, « La “Description de l’Espagne” d’A˛mad al‑ Rzı. Essai de reconstitution de
l’original arabe et traduction française », Al-Andalus, Madrid-Grenade, 18 (1953), p. 60.
25
AL-BAKRˆ, Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. partielle par ‘A.‘A AL-HA∏∏ˆ, ∏u∞rāfiyat
al-Andalus wa-Ūrūbbā, Beyrouth, Dr al-iršd, 1387/1968, pp. 65-67.
26
AL-MAQQARˆ, Naf˛ al-†īb… , I, p. 131 ; voir une autre trad. dans É. LÉvi-Provençal,
« La “Description de l’Espagne” d’A˛mad al‑Rzı… », pp. 60-61.
399
27
Sans doute sous l’influence de la pratique religieuse qui commande que le croyant soit
en mesure de déterminer en tout lieu la qibla, la direction de la prière.
400
Pierre Guichard
401
402
403
404
405
406
407
408
En guise de conclusion,
une perspective interdisciplinaire
Nacima BARON
1
La rencontre avec les historiens de l’équipe s’est effectuée par le hasard d’une proximité
géographique des terrains de recherche (la péninsule ibérique) et par l’intérêt que nous
avons toujours porté pour les travaux historiques, indispensables pour comprendre (et si
possible modéliser) sur le temps long les rapports Homme-Milieu dans cette région du
monde. La lecture d’articles, d’ouvrages comme la Thèse puis l’Habilitation de Stéphane
Boissellier a conduit à une demande de rencontre, à des échanges de bibliographies, à des
questions croisées, puis à une invitation à nous intégrer comme chercheur associé à l’équipe
organisatrice de ce séminaire.
409
410
2
P. VIDAL DE LA BLACHE, Tableau de la géographie de la France, Paris, La table ronde, 1994
(rééd. de l’ouvrage de 1902).
411
3
P. CLAVAL, La géographie du XX e siècle, Paris, L’Harmattan, 2003.
4
P. VANCI, Atlas et les territoires du regard. La géographie de l’histoire de l’art (XIX e et XX e siècles),
Paris, Publications de la Sorbonne, 2006.
5
J. LEVY, M. LUSSAULT dir., Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin,
2003.
412
6
J. BENOIST, F. MERLINI, Historicité et spatialité – le problème de l’espace dans la pensée contem-
poraine, Paris, Vrin, 2002.
413
G. DI MEO, L’espace social – lecture géographique des sociétés, Paris, Armand Colin, 2005.
7
414
court des distances immenses. Avant que d’être ordonnancé par une
superstructure politique ou juridique, son rapport à l’étendue s’ap-
puie sur des capacités innées, et sur une expérience. L’espace est outil
d’intelligence et d’appréhension du monde, et le territoire est par-
tout : dans son rapport au corps, dans la construction de la chaumière
et du jardin, dans les pratiques productives, religieuses, ou de loisir.
En s’intéressant aux pratiques liturgiques et à l’espace sacré dans
et hors de l’Église, Éric Palazzo montre cette complexité de la territo-
rialité religieuse au Moyen Âge. Il distingue à juste titre l’espace litur-
gique concret du déroulement des rituels et l’espace subjectif,
beaucoup plus large, dans lequel s’exprime et se vit le rapport à la
transcendance. Cet auteur montre qu’il y a une multiplicité d’espaces
à l’intérieur de l’Église, que ces espaces sont dévolus à des rites spé-
cialisés : lieux de parole, de pénitence, de baptême, lieux de la consé-
cration… Les lieux sacrés constituent un territoire très complexe qui
requiert des compétences que l’homme médiéval intègre et reconnaît
parfaitement. L’intérieur et l’extérieur d’une église font l’objet d’une
véritable mise en scène, avec des parcours qui renvoient à un système
de sens : autant dire un territoire, à la fois symbolique et réel, qui sort
de l’oubli.
On passe à un autre niveau de complexité quand on emboîte ces
différents territoires les uns dans les autres, et qu’on tente de com-
prendre les logiques d’intégration (ou d’exclusion) qui s’opèrent
dans les sociétés médiévales. Mais le Moyen Âge est peut-être par
excellence l’âge des intégrations en cellules territoriales, du village à
la paroisse, de la paroisse au domaine féodal, de celui-ci aux ensem-
bles politiques nationaux en cours de constitution. L’incastellamento
correspond à la mise en place de cellules de vie et va beaucoup plus
loin qu’un compartimentage spatial des lieux. Il renvoie à la profon-
deur religieuse, politique, économique de ces sociétés et donc à leur
territorialité.
On a de ce mouvement deux illustrations montrant bien les logi-
ques plurielles de production des territoires ruraux ou urbains. D’un
côté, dans le nord de l’Italie au XIVe siècle, le pouvoir communal
s’impose sur une aire plus large, du fait de l’appropriation foncière
des édiles à des distances de plus en plus lointaines. Le pouvoir urbain
s’établit sur des comtés, des petites régions, il s’objective par l’utilisa-
tion des poids et mesures spécifiques à la ville centre. Ainsi Nathalie
Bouloux décrit les cartes d’Asti en montrant l’ampleur des possessions
communales sur le contado. Ailleurs, à Ferrare, un notaire décrit minu-
tieusement les possessions de la ville tout au long du cours du Pô.
415
8
M. HIRSCHHORN, J.-M. BERTHELOT, Mobilités et ancrages – vers un nouveau mode de
spatialisation ?, Paris, L’harmattan, 2000.
9
La mobilité des personnes en Méditerrannée de l’Antiquité à l’époque moderne, C. MOATTI dir.,
Rome, EFR, 2004.
416
nent comme des sutures, des fronts articulés et des cassures. Stéphane
Boissellier explique comment les frontières séparent et rassemblent
à la fois, comment le territoire se construit à partir de ses limites. Ainsi,
dans l’Alentejo (Portugal méridional), le peuplement s’effectue selon
une logique de remplissage qui obéit à une dimension mémorielle
(au nom d’une organisation antéislamique). Il en résulte un système
d’emboîtement et d’enchâssement des espaces résidentiels.
Conclusion
417