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Entre idéel et matériel

Espace, territoire et légitimation du pouvoir (v. 1200-v. 1640)

Patrick Boucheron, Marco Folin et Jean-Philippe Genet (dir.)

DOI : 10.4000/books.psorbonne.40783
Éditeur : Éditions de la Sorbonne, École française de Rome
Année d'édition : 2018
Date de mise en ligne : 13 février 2020
Collection : Histoire ancienne et médiévale
ISBN électronique : 9791035105648

http://books.openedition.org

Édition imprimée
Date de publication : 17 mai 2018
ISBN : 9791035100452
Nombre de pages : 418
 

Référence électronique
BOUCHERON, Patrick (dir.) ; FOLIN, Marco (dir.) ; et GENET, Jean-Philippe (dir.). Entre idéel et matériel :
Espace, territoire et légitimation du pouvoir (v. 1200-v. 1640). Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de
la Sorbonne, 2018 (généré le 15 février 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/
psorbonne/40783>. ISBN : 9791035105648. DOI : 10.4000/books.psorbonne.40783.

© Éditions de la Sorbonne, 2018


Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540
Entre idéel et matériel
Dans la même série :

I La légitimité implicite
II  Vérité et crédibilité : la construction de la vérité dans le système de
communication de la société occidentale (xiiie-xviie siècle)
III Valeurs et systèmes de valeurs (Moyen Âge et Temps modernes)
IV  The Languages of Political Society. Western Europe, 14th-17th Centuries
(publié sous la direction d’Andrea Gamberini, Jean-Philippe
Genet, Andrea Zorzi, Rome, Viella, 2011)
V  Immagini, culti, liturgie : le connotazioni politiche del messaggio
religioso / Images, cultes, liturgies : les connatations politiques du
message religieux (publié sous la direction de Paola Ventrone et
Laura Gaffuri dans les Annali di storia moderna et contemporanea,
16, 2010, p. 107-482)
VI Marquer la prééminence sociale
VIII Marquer la ville. Signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-xvie siècle)
IX De Dante à Rubens : l’artiste engagé
X Église et État, Église ou État ? Les clercs et la genèse de l’État moderne
XI Consensus et représentation
XII La naissance du concept de constitution
XIII Vecteurs de l’idéel et mutations des sociétés politiques
XIV Pouvoir symbolique et sémantique de l’État : conclusions
Histoire ancienne et médiévale – 152

LE POUVOIR SYMBOLIQUE EN OCCIDENT (1300-1640) – VII


série dirigée par jean-philippe genet

Entre idéel et matériel


Espace, territoire et légitimation
du pouvoir (v. 1200-v. 1640)
Actes de la conférence organisée en 2013 à Pise par SAS
en collaboration avec l’École française de Rome
et la Scuola Normale Superiore de Pise

sous la direction de
Patrick Boucheron, Marco Folin
et Jean-Philippe Genet

Ouvrage publié avec le concours de la Commission de la recherche


de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du European Research Council
et du Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris

Éditions de la Sorbonne / École française de Rome


2018
Couverture : Il Timore di Dio, couvent des Quatro Santi Coronati, Rome
(Avec l’aimable autorisation de la Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico,
Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della città di Roma.)

© Éditions de la Sorbonne, 2018


212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris
www.editions-sorbonne.fr – edsorb@univ-paris1.fr

© École française de Rome, 2018


Piazza Farnese, 67
I-00186 Roma

ISBN : 979-10-351-0045-2
ISSN : 0290-4500

Les opinions exprimées dans cet ouvrage n’engagent que leurs auteurs.

« Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représenta-


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de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon
sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Il est rappelé également que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger
l’équilibre économique des circuits du livre. »
Questo libro è dedicato a Maria Monica Donato, che ci ha prematuramente
lasciato il 14 settembre 2014.
Non si tratta solo di un doveroso omaggio a una studiosa che aveva con-
tribuito in maniera determinante all’organizzazione del convegno di cui si
raccolgono qui gli atti, fra l’altro ospitandolo generosamente alla Scuola
Normale Superiore di Pisa. Il debito è maggiore, e di più lunga data: i cura-
tori del volume e molti di coloro che sono intervenuti al convegno (fra cui
diversi suoi allievi) sentono infatti di essere stati profondamente influenzati
e arricchiti dalle sue ricerche. Sin dai suoi primi studi sui cicli umanistici
di Uomini famosi, e poi con le indagini sull’«immagine monumentale» dei
Signori veneti del Trecento, sulla decorazione pittorica dei palazzi pubblici
toscani e sulle scritture esposte nell’iconografia politica comunale, Monica
ha messo al centro dei suoi interessi la funzione delle immagini nel discorso
politico tardomedievale. Ogni luogo d’uso collettivo, ogni edificio pubblico,
ne era gremito; e queste immagini veicolavano modelli, logiche, valori che
contribuivano a connotare gerarchicamente, politicamente, lo spazio cittadino
– o più generalmente statale − sotto il manto di un’«arte civica» che andava
acquisendo sempre maggior consapevolezza di sé e dei propri mezzi. Come si
vede, si tratta di temi che sono al centro di molti dei saggi raccolti in questo
volume, rispetto a cui Monica non ha solo aperto nuovi orizzonti di ricerca,
ma ha rappresentato un modello di studiosa a un tempo rigorosa e originale,
capace di muoversi con curiosità entre idéel et matériel, al confine fra varie
discipline, dalla storia dell’arte a quella della letteratura, dallo studio della
tradizione classica alla storia della politica.
Le sue idee, la sua intelligenza, la sua generosità – rivolta soprattutto verso
gli allievi e i colleghi più giovani − ci mancheranno molto.

Patrick Boucheron, Marco Folin, Jean-Philippe Genet


Avant-propos

patrick boucheron, marco folin et jean-philippe genet

Ce septième volume de la collection Le pouvoir symbolique en Occident (1300-


1640), publiée conjointement par les Éditions de la Sorbonne et l’École fran-
çaise de Rome, contient les actes du cinquième atelier franco-italien du cycle
Les vecteurs de l’idéel qui s’est déroulé à Pise du 14 au 16 novembre 2013. Il a été
organisé dans le cadre du programme SAS (Signs and States), un advanced pro-
gram du European Research Council, en collaboration avec la Scuola Normale
Superiore de Pise et avec le concours de l’École française de Rome. La collec-
tion regroupe l’ensemble des actes des rencontres qui se sont déroulées dans
le cadre de ce programme. Elles se répartissent en trois ensembles. Le premier
est la série des colloques portant sur Les vecteurs de l’idéel organisés avec Patrick
Boucheron et Stéphane Gioanni à Rome avec le concours de l’École française
de Rome, série qui comporte les volumes 1 (La légitimité implicite, rencontres
de 2010) 1, 2 (La vérité. Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système
de communication de l’Occident [xiiie-xviie siècle]) 2, 8 (Marquer la ville : signes,
traces, empreintes du pouvoir [xiiie-xvie  siècle] 3, colloque organisé en 2009 en
prélude à SAS) et 13 (Vecteurs de l’idéel et mutations des sociétés politiques, ras-
semblant les actes des rencontres de 2013 et 2014) 4.
Le deuxième est une série d’ateliers franco-italiens portant sur des sujets
proches des Vecteurs de l’idéel, organisés avec le concours de certaines univer-
sités italiennes et de l’École française de Rome : les quatre premiers ont eu

1. J.-P. Genet (dir.), La légitimité implicite, Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École fran-


çaise de Rome (Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640], 1), 2015.
2. Id. (dir.), La vérité. Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de
l’Occident (xiiie-xviie siècle), Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome
(Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640], 2), 2015.
3. P. Boucheron, J.-P. Genet (dir.), Marquer la ville : signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-
xvie  siècle), Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir
symbolique en Occident [1300-1640], 8), 2013.
4. À paraître aux Éditions de la Sorbonne et à l’École française de Rome.

7
patr ick boucheron, m a rco folin et je a n-philippe genet

lieu respectivement à l’Università del Sacro Cuore à Milan – en 2009, Images,


cultes, liturgies : les connotations politiques du message religieux 5, organisé par
Laura Gaffuri et Paola Ventrone –, à l’Università Statale di Milano – en 2010,
Les langages de la société politique 6, organisé avec Andrea Gamberini et Andrea
Zorzi –, à l’université de Palerme – en 2011, Marquer la prééminence sociale 7,
organisé avec Patrick Boucheron et Igor Mineo – et à l’université de Turin
– en 2012, Valeurs et systèmes de valeurs, organisé avec Patrick Boucheron, Laura
Gaffuri et Stéphane Gioanni à Turin. Le cinquième, celui de Pise, correspond
au présent volume.
Troisième ensemble, les rencontres d’analyse politique comparative s’ins-
crivent dans la lignée des colloques organisés depuis quelques années dans
le cadre de l’axe « Genèse de l’État moderne » du Laboratoire de médiévis-
tique occidentale de Paris (LAMOP) : analyse comparative diachronique avec
Rome et l’État moderne européen, colloque organisé à l’École française de Rome
en 2002 8, et synchronique, avec les deux rencontres organisées par François
Foronda à la Casa de Velázquez à Madrid sur Les coups d’État 9 et sur Le contrat
politique 10, et avec la conférence franco-espagnole portant sur les sociétés poli-
tiques, co-organisée à Paris à la Sorbonne et au Collège d’Espagne dans le
cadre d’une collaboration entre le LAMOP à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et
l’université de Valladolid 11. Le premier colloque dans cette série a été organisé
avec Jean-Patrice Boudet, Christine Barralis et Fabrice Delivré à Bourges en
collaboration avec l’université d’Orléans et consacré à Église et État, Église ou

5. L. Gaffuri, P. Ventrone (dir.), Immagini, culti, liturgie : le connotazioni politiche del messagio
religioso. Images, cultes, liturgies : les connotations politiques du message religieux, dans les Annali
di Storia moderna e contemporanea, 16, 2010, réimprimé en  2014 : L.  Gaffuri, P.  Ventrone
(dir.), Images, cultes, liturgies : les connotations politiques du message religieux, Paris/Rome,
Publications de la Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir symbolique en Occident
[1300-1640], 5), 2014.
6. A. Gamberini, J.-P. Genet, A. Zorzi (dir.), The Languages of Political Society. Western Europe,
14th-17th Centuries, Rome, Viella, 2011 ; il n’est pas prévu de réimprimer ce volume, déjà dispo-
nible en e-book, dans la collection dont il forme virtuellement le volume 4.
7. J.-P. Genet, I. Mineo (dir.), Marquer la prééminence sociale, Paris/Rome, Publications de la
Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640], 6), 2014.
8. J.-P. Genet (éd.), Rome et l’État moderne européen, Rome, École française de Rome (Collection
de l’École française de Rome, 377), 2007.
9. Id., F.  Foronda, J.  M.  Nieto Soria (dir.), Coups d’État au Moyen Âge ? Aux fondements des
pouvoirs politiques en Europe au Moyen Âge, Madrid, Casa de Velázquez (Collection de la Casa
de Velázquez, 91), 2005.
10. F.  Foronda (dir.), Avant le contrat social. Le contrat politique dans l’Occident médiéval (xiiie-
xve siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.
11. V. Challet et al. (éd.), La sociedad politica a fines del siglo XV en los reinos ibéricos y en Europa.
La société politique à la fin du xve siècle dans les royaumes ibériques et en Europe, Paris/Valladolid,
Publications de la Sorbonne/Universidad de Valladolid, 2007.

8
Avant-propos

État : il était en outre dédié à Hélène Millet qui, au sein de notre laboratoire,
le LAMOP, a œuvré inlassablement sur cette problématique à laquelle elle
a fait accomplir des progrès décisifs 12. Les autres colloques constitueront les
volumes 9, 11 et 12 de la collection Le pouvoir symbolique en Occident (1300-
1640) : Patrick Boucheron et Étienne Anheim ont organisé en septembre 2012
le colloque intitulé De Dante à Rubens : l’artiste engagé, à Versailles et à Saint-
Quentin-en-Yvelines ; Jean-Philippe Genet, Dominique Le Page, Olivier
Mattéoni et Mireille Touzery ont organisé en mars 2013 à Dijon un colloque
sur Consensus et représentation 13, tandis que Jean-Philippe Genet et François
Foronda ont organisé à la Casa de Velázquez à Madrid en janvier  2014 la
dernière rencontre du programme SAS, La naissance du concept de constitution.
Des chartes aux constitutions.
Grâce à la Scuola Normale Superiore et au président de la Classe acadé-
mique des lettres et de philosophie, le professeur Michele Ciliberto, que nous
remercions pour leur hospitalité, les travaux se sont déroulés dans le cadre pres-
tigieux du Palazzo della Carovana, dont les fenêtres ouvrent sur la magnifique
Piazza dei Cavalieri : le lieu s’accordait idéalement avec l’objet de la rencontre.
Des remerciements particuliers sont dus à Matteo Ferrari qui a veillé à tous les
détails matériels de l’organisation. Comme les rencontres qui l’ont précédée,
celle-ci a bénéficié du précieux soutien de l’École française de Rome : que
Stéphane Gioanni et Grazia Perrino trouvent ici l’écho de notre gratitude. Pour
des raisons indépendantes de notre volonté, il n’a pas été possible de publier ici
les communications de Mauro Mussolin, « Ponti, fortificazioni, strade : dimen-
sione territoriale e funzione comunicativa nei disegni di Michelangelo », et de
Fleur Marçais, « Tra paesaggio e territorio. Baccio del Bianco, ingegnere dei
Capitani di Parte Guelfa, al servizio del Granducato di Toscana nella prima
metà del Seicento ».
Laurent Tournier et les Éditions de la Sorbonne ont réalisé avec leur cou-
tumière compétence la préparation du volume, avec le concours précieux de
Clémence de Clavière et de Pierre Cousseau : que tous trouvent ici l’expression
de notre reconnaissance.
Enfin, nous tenons à évoquer la mémoire de Maria Monica Donato. Elle
a joué un grand rôle dans la préparation de cet atelier qui doit beaucoup aux
problématiques qu’elle a développées dans ses travaux : l’atelier s’est d’ailleurs

12. C. Barralis et al. (dir.), Église et État, Église ou État ? Les clercs et la genèse de l’État moderne.
Hommage à Hélène Millet, Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome
(Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640], 10), 2014.
13. J.-P. Genet, D. Le Page, O. Mattéoni (dir.), Consensus et représentation, Paris/Rome, Publi­
cations de la Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir symbolique en Occident [1300-
1640], 11), 2017.

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patr ick boucheron, m a rco folin et je a n-philippe genet

déroulé quelques mois après la belle exposition Dal Giglio al David : arte civica
a Firenze fra Medioevo e Rinascimento, à l’organisation de laquelle elle avait
collaboré avec Cristina Acidini, la surintendante pour le Patrimoine historique,
artistique et ethno-anthropologique de Florence. Elle avait prévu de donner à
l’atelier une communication et devait présider l’une de ses sessions. La maladie
en a décidé autrement, même si avec un courage exemplaire, elle a tenu à
honorer la rencontre de sa présence. Ce volume lui est dédié.

10
Introduction

jean-philippe genet

C’est au thème de l’espace que nous avons souhaité revenir lors de ce col-
loque de Pise, un thème qui avait déjà été abordé à Rome en  2009, mais
obliquement, en s’attachant au marquage symbolique de l’espace urbain et de
ses composantes 1. Le parcours de cette précédente rencontre ne sera recoupé
qu’incidemment. Il était d’ailleurs impossible de l’éviter, puisque nous nous
occupons avant tout des signes et de leurs fonctions symboliques, et que toutes
les constructions et toutes les dispositions spatiales volontaires sont autant de
signes adressés à tous ceux qui les voient, qu’ils vivent dans leur environnement
ou qu’ils les parcourent en visiteurs. De tous ces bâtiments, le plus riche en
portée symbolique pour toute la période que nous étudions est évidemment
l’église 2, mais depuis les palais royaux et impériaux du haut Moyen Âge, la
gamme des monuments laïcs n’a cessé de s’enrichir et de se diversifier et nous
en rencontrerons de toutes sortes dans ces pages, et pas seulement dans celles
qui se présentent comme explicitement consacrées à ces monuments que sont
les mausolées dynastiques et les palais communaux.
Au cœur du projet Signs and States se trouve le pouvoir symbolique et donc
les signes par lesquels il s’exprime : moins que les signes dans l’espace, ce sont
les signes de l’espace qui ont été l’objet principal des préoccupations à Pise,
notamment dans leurs rapports avec l’expression du pouvoir et plus particu-
lièrement celle du pouvoir symbolique. Dans la plupart des cas, l’enquête a
été menée en partant du signe, du marquage – pour reprendre le terme que
nous avions employé à Rome. Il s’est agi aussi bien des signes perceptibles et
perçus dans l’espace, que des signes qui servent à la représentation de l’espace,

1. P. Boucheron, J.-P. Genet (dir.), Marquer la ville : signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-
xvie  siècle),
Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir
symbolique en Occident [1300-1640], 8), 2013.
2. Voir D. Iogna-Prat, La Maison Dieu : une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris,
Seuil, 2006.

11
je a n-philippe genet

mais il convient de rappeler avant toute chose et contre nos intuitions les
plus élémentaires que la notion d’espace n’est pas une donnée objective de la
conscience et qu’elle n’a rien de naturel, mais qu’elle est une construction 3, ou
plutôt une production, pour emprunter l’expression d’Henri Lefebvre 4, qui
pense avant tout à sa production sociale : la perception d’un espace comme
surface homogène et mesurable qui appartient à notre sens commun est en
complète rupture avec celle des hommes du Moyen Âge et n’a émergé que
graduellement entre le xiiie et le xviiie siècle.
C’est précisément cette rupture qui explique que les médiévistes ont montré
un intérêt particulier pour l’espace, privilégiant notamment deux approches
qu’il faut bien sûr mettre en rapport l’une avec l’autre, les pratiques de l’espace
et les représentations de l’espace 5. Pour ce dernier aspect, un ouvrage récent
fait ainsi le point de façon très complète sur le problème des représentations
de l’espace au Moyen Âge 6, mais il a paru trop tard pour que les participants
à la rencontre de Pise aient pu en faire usage, à l’exception d’Emmanuelle
Vagnon, qui en est l’un des auteurs 7. Quant aux pratiques de l’espace, la diver-
sité des points de vue envisageables est bien mise en évidence dans les mélanges
d’histoire médiévale récemment offerts à Monique Bourin, notamment les
problèmes soulevés par l’écriture de l’espace, c’est-à-dire par la façon dont les
textes rendent compte de la dimension spatiale 8. L’un des intérêts de ces tra-
vaux est l’analyse du vocabulaire latin, qui met en évidence la distinction entre
spatium, un mot qui désigne le plus souvent un intervalle, un espace entre deux
bornes, et locus, le lieu où l’on est, et démontre a contrario l’absence du sens
dans lequel nous utilisons le mot « espace » pour désigner un espace continu et

3. Voir la mise au point de J. Morsel, « Appropriation communautaire du territoire, ou appropria-


tion territoriale de la communauté ? Observations en guise de conclusion », Hypothèses 2005.
Travaux de l’école doctorale d’histoire de l’université Paris  I – Panthéon-Sorbonne, 1/9, 2006,
p. 89-104, spécialement p. 92-94 [version en ligne : http://www.cairn.info/revue-hypotheses-
2005-1-page-89.htm].
4. H. Lefebvre, La production de l’espace, 4e éd., Paris, Anthropos, 2000 [éd. orig. 1974].
5. Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques et représentations. XXXVIIe Congrès de la SHMES
(Mulhouse, 2-4  juin 2006), Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, notamment les deux
rapports introductifs complémentaires de P. Gautier Dalché, « Représentations géographiques
savantes, constructions et pratiques de l’espace », p.  13-38, et de M.  Bourin et É.  Zadora-
Rio, « Pratiques de l’espace : les apports comparés des données textuelles et archéologiques »,
p. 39-55.
6. P. Gautier Dalché (dir.), La Terre. Connaissance, représentations, mesure au Moyen Âge, Turnhout,
Brepols (L’Atelier du médiéviste, 13), 2013.
7. E. Vagnon, « La représentation cartographique de l’espace maritime », dans P. Gautier Dalché
(dir.), La Terre. Connaissance…, op. cit., p. 443-503.
8. D. Boisseuil et al. (éd.), Écritures de l’espace social. Mélanges d’histoire médiévale offerts à Monique
Bourin, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010.

12
Introduction

homogène 9. Mais c’est surtout le problème de la production sociale de l’espace


qui est important pour l’objet de notre rencontre.
Dans un article assez polémique, Alain Guerreau 10 prend appui sur le
concept d’encellulement développé par Robert Fossier 11 qui, en marginalisant
la place de l’incastellamento et de la seigneurie castrale tout en rendant hom-
mage à la très riche thèse de Pierre Toubert sur le Latium médiéval 12, a essayé
de définir les caractères généraux de l’espace féodal en analysant précisément
et dans leur interaction les mécanismes de formation du village, de la paroisse
et de la seigneurie. Alain Guerreau part de deux constats qu’il faudrait sans
doute nuancer, et tout d’abord du fait que, du moins dans l’espace français,
les cartes sont si rares qu’il pense pouvoir en conclure que « la cartographie

9. Voir en particulier J.-C.  Schmitt, « “De l’espace aux lieux” : les images médiévales », dans
Construction de l’espace au Moyen Âge…, op. cit., p. 317-346, et E. Grélois, « Habitans, com-
morans, parrochianus, residens : “habiter” en Basse-Auvergne de l’an mil au xive siècle. Étude
sémantique », dans D. Boisseuil et al. (éd.), Écritures de l’espace social…, op. cit., p. 117-138.
10. A.  Guerreau, « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », dans N.  Bulst,
R. Descimon, A. Guerreau, L’État ou le roi. Les fondations de la modernité monarchique en France
(xive-xviie siècles), Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1996, p. 83-101 ; voir aussi id.,
« Il significato dei luoghi nell’Occidente medievale : struttura e dinamica di un “spazio” specifico »,
dans E. Castelnuovo, G. Sergi (dir.), Arti e storia del Medioevo, Turin, Einaudi, 2002, p. 201-239,
et id., « Structures et évolution des représentations de l’espace dans le haut Moyen Âge occiden-
tal », dans Uomo e spazio nell’alto Medioevo, Spolète, Centro italiano di studi sull’alto Medioevo
(Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 50), 2003, p. 91-115.
11. R. Fossier, Enfance de l’Europe, xe-xiie siècles, Paris, Presses universitaires de France (Nouvelle
Clio, 17), 1982, vol. 1, p. 288-601.
12. Ibid., vol. 1, p. 393 ; P. Toubert, Les structures du Latium médiéval : le Latium méridional et la
Sabine du ixe à la fin du xiie siècle, Rome, École française de Rome (Bibliothèque des Écoles fran-
çaises d’Athènes et de Rome, 221), 1973, vol. 1, p. 303-447. Mais depuis sa thèse, avec le concours
de nombreux historiens et archéologues, P. Toubert a considérablement élargi le concept de
castrum et de seigneurie castrale en même temps qu’il a étendu son enquête à l’ensemble du
monde méditerranéen et même au-delà : voir L’incastellamento, Actes des rencontres de Gérone
(26-27 novembre 1992) et de Rome (5-7 mai 1994), Rome, École française de Rome (Collection
de l’École française de Rome, 241), 1998, avec la mise au point de P. Toubert, « L’incastellamento
aujourd’hui : en marge de deux colloques », p. XI-XVIII, et les volumes de la série Castrum :
A. Bazzana, P. Guichard, J.-M. Poisson (éd.), [Castrum 1]. Habitats fortifiés et organisation de
l’espace en Méditerranée médiévale, Lyon, Maison de l’Orient, 1983, et vol. 2-8, Rome/Madrid,
École française de Rome/Casa de Velázquez, 1988-2008 : G. Noyé (éd.), Castrum 2. Structures de
l’habitat et occupation du sol : les méthodes et l’apport de l’archéologie extensive [1988] ; A. Bazzana
(éd.), Castrum  3. Guerre, fortification et habitat dans le monde méditerranéen au Moyen Âge
[1988] ; J.-M. Poisson (éd.), Castrum 4. Frontière et peuplement dans le monde méditerranéen au
Moyen Âge [1992] ; A. Bazzana (éd.), Castrum 5. Archéologie des espaces agraires méditerranéens au
Moyen Âge [1999] ; id., É. Hubert (éd.), Castrum 6. Maisons et espaces domestiques dans le monde
méditerranéen au Moyen Âge [2000] ; J.-M. Martin (éd.), Castrum 7. Zones côtières littorales dans
le monde méditerranéen au Moyen Âge : défense, peuplement, mise en valeur [2001] ; P. Cressier,
P. Toubert (éd.), Castrum 8. Le château et la ville : espaces et réseaux [2008].

13
je a n-philippe genet

n’existe, en fait, qu’à partir du xviiie siècle 13 » ; et par ailleurs le statut mineur


de la géométrie dans les mathématiques médiévales, qui aboutit au fait que « les
ouvrages de géométrie pratique de la fin du Moyen Âge ne sont que des com-
pendiums de recettes destinés aux maçons et tailleurs de pierre 14 ». Surtout, au
concept d’encellulement, il ajoute deux notions-clés à ses yeux. C’est d’abord
celle de topolignée 15, qui lie la qualité d’aristocrate à l’enracinement sur une
terre par l’identification d’une suite de détenteurs d’une seigneurie à un nom
de lieu, en général celui d’un château, identification qui est constitutive de
leur intégration à l’aristocratie féodale 16. C’est ensuite celle d’espace sacré, qui
concerne les lieux qui sont sacra, sancta alia religiosa, nous disent Jean Beleth
(Summa de ecclesiasticis officiis) et Guillaume Durand (Rationale divinorum
officiorum) et qui, précisément parce qu’ils relèvent du sacer, sont en quelque
sorte hors de l’espace : « l’espace retranché de l’espace, l’espace qui n’est pas de
ce monde 17 ». Tout ceci lui permet de proposer une hypothèse, que nous nous
permettrons de citer intégralement :

13. A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques… », art. cité, p. 86 : au sens de la cartographie


moderne, A. Guerreau a certainement raison. Mais voir E. Vagnon, « La représentation carto-
graphique de l’espace maritime », art. cité, p. 443-503, et N. Bouloux, « L’espace habité », dans
P. Gautier Dalché (dir.), La Terre. Connaissance…, op. cit., p. 259-441, notamment p. 301-305
(sur l’utilisation des cartes maritimes à terre dès le début du xiiie siècle) et 347-384 : bien sûr,
ces cartes sont à rapporter aux conceptions médiévales de l’espace et n’ont effectivement rien
à voir avec nos cartes, mais ce sont tout de même des cartes. Il faut par ailleurs ajouter que
l’on peut avoir une vision assez précise de l’espace sans carte par les dénombrements (voir plus
loin) ; voir aussi, pour le cas des historiens médiévaux, B. Guenée, Histoire et culture historique
dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2011, p. 166-178.
14. A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques… », art. cité, p. 87 ; voir P. Gautier Dalché,
A. Querrien, « Mesure du sol et géométrie au Moyen Âge », Archives d’histoire doctrinale et lit-
téraire du Moyen Âge, 82, 2015, p. 97-139, moins pessimiste sur la géométrie médiévale mais qui
conclut aussi que les techniques de mesure au Moyen Âge « ne relèvent jamais de la géométrie
savante, euclidienne ou pratique » (p. 137 et 138).
15. Il s’appuie ici sur les travaux de A. Guerreau-Jalabert : son long compte rendu de S. White,
Customs, Kinship and Gifts to Saints. The Laudatio Parentum in Western France (1050-1150),
Chapel Hill/Londres, University of Carolina Press, 1988, paru dans Annales ESC, 45, 1990,
p. 101-105, et deux de ses articles : « Le système de parenté médiéval : ses formes (réel/spirituel)
et sa dépendance par rapport à l’organisation de l’espace », dans R. Pastor de Togneri (dir.),
Relaciones de poder, de producción y parentesco en la edad media y moderna, Madrid, CSIC, 1990,
p. 85-105, et « Prohibitions canoniques et stratégies matrimoniales dans l’aristocratie médiévale
de la France du Nord », dans P. Bonte (dir.), Épouser au plus proche : inceste, prohibitions et stra-
tégies matrimoniales autour de la Méditerranée, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme,
1994, p. 293-321. Voir aussi ead., « La parenté dans l’Europe médiévale et moderne : à propos
d’une synthèse récente », L’Homme, 110, 1989, p. 69-93 (à propos de J. Goody, L’évolution de la
famille et du mariage en Europe, Paris, Armand Colin, 1985 [1983]).
16. A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques… », art. cité, p. 89, et J. Morsel, L’aristocratie
médiévale, ve-xve siècle, Paris, Armand Colin, 2004, p. 101-102.
17. A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques… », art. cité, p. 97.

14
Introduction

Dans l’Europe féodale, l’espace n’était pas conçu comme continu et


homogène, mais comme discontinu et hétérogène, en ce sens qu’il était
à chaque endroit polarisé (certains points étant valorisés, sacralisés, par
rapport à d’autres perçus –  à partir des premiers et en relation avec
eux – comme négatifs). Une multitude de processus et de marqueurs
sociaux était à l’œuvre pour singulariser chaque point et s’opposer à
toute possibilité d’équivalence ou de permutation 18.
Ce système de l’espace participe dans l’Europe féodale aux mécanismes de
domination, puisqu’il facilite la fixation des hommes à la terre et leur cloison-
nement en groupements spatialisés : tout est fait pour les séparer et pour les
particulariser, afin d’affaiblir leurs capacités de résistance et de révolte.
Cette analyse a été prolongée par toute une série d’études qui, si elles ne
s’en réclament pas forcément et même si elles en ignorent certains points
– surtout le dernier –, la prolongent, notamment dans le domaine de l’espace
sacré, comme celles de Didier Méhu 19 sur Cluny, celles de Pierre Bonnassie et
d’Arnaud Catafau 20 sur les sacreras et les celleres catalanes, celles de Dominique
Iogna-Prat sur l’église en tant que bâtiment 21, ou encore celles de Michel
Lauwers sur les objets et les lieux sacrés, en particulier le cimetière et l’église
qui l’ont conduit à formuler le riche concept d’inecclesiamento 22. Quant à la
dimension sociale, appliquée aux communautés villageoises et à leurs liens
avec l’espace vécu, on les retrouve notamment dans les travaux sur l’espace
communautaire et les communautés d’habitants de Joseph Morsel, qui insiste
notamment sur la différence de nature entre la paroisse et la communauté, qui
interdit de parler pour le Moyen Âge de communautés paroissiales 23. Il faut

18. Ibid., p. 87-88.


19. D. Méhu, Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny, xe-xve siècles, Lyon, Presses univer-
sitaires de Lyon, 2001.
20. P. Bonnassie, « Les sagreres catalanes : la concentration de l’habitat dans le “cercle de paix” des
églises (xie siècle) », dans M. Fixot, É. Zadora-Rio (éd.), L’environnement des églises et la topo-
graphie religieuse des campagnes médiévales, Actes du IIIe Congrès international d’archéologie
médiévale (Aix-en-Provence, 28-30 septembre 1989), Paris, Éd. de la Maison des sciences de
l’homme, 1994, p. 68-79, et A. Catafau, Les celleres et la naissance du village en Roussillon, xe-
xve siècles, Perpignan, Llibres del trabucaire/Presses universitaires de Perpignan, 1998.
21. D. Iogna-Prat, La Maison Dieu…, op. cit., notamment sur « la monumentalisation de l’Église »,
p.  317-323, « l’inscription du christianisme dans la terre », p.  352-354, et « la papauté sur le
terrain », p. 363-398.
22. M. Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terres des morts dans l’Occident médiéval,
Paris, Aubier, 2005 ; voir aussi « De l’incastellamento à l’inecclesiamento. Monachisme et logiques
spatiales du féodalisme », dans D. Iogna-Prat et al., Cluny : les moines et la société au premier âge
féodal, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 315-338.
23. Par exemple, J. Morsel, « Le “marché de la terre” dans les régions de langue allemande à la
fin du Moyen Âge : essai de bilan historiographique », dans L.  Feller, C.  Wickham (dir.),
Le marché de la terre au Moyen Âge, Rome, École française de Rome (Collection de l’École

15
je a n-philippe genet

aussi citer les travaux des chercheurs toulousains, beaucoup plus tournés vers
l’espace agraire et son utilisation concrète mais qui, en adoptant une démarche
pluridisciplinaire, posent aussi des questions théoriques importantes 24. Enfin,
une vision synthétique très pertinente de la structuration sociale de la société
féodale – y compris dans sa dimension symbolique – a été présentée à partir
de ses travaux et de sa propre vision globale par Jérôme Baschet 25.
Mais cette vision d’un espace hétérogène organisé autour de pôles discon-
tinus a été remise en cause, ou plutôt complétée, par la prise de conscience de
l’importance croissante d’une autre notion, celle de territoire. Le problème de
la rencontre entre cet espace polarisé et le territoire a été posé avec une grande
clarté par Michel Lauwers et Laurent Ripart dans un autre article très impor-
tant pour notre propos. Ils constatent en effet que « ce n’est pas le moindre
paradoxe de cette histoire qu’au moment où s’estompait, dans les actes de la
pratique, la référence aux anciens cadres territoriaux, une attention nouvelle
était portée aux délimitations territoriales 26 ». Cette attention vient d’abord de
l’Église, qu’il s’agisse des monastères soucieux de faire respecter les lieux sacrés
et de protéger leurs biens de l’avidité de l’aristocratie laïque en faisant respecter
les limites de ce qui, ce faisant, devient un territoire, ou des évêques, et même
surtout des évêques, toujours restés, même quand l’Église elle-même s’adaptait
à la structure dominante de l’espace polarisé, conscients des limites territo-
riales de leur diocèse 27. Même s’il a peut-être tort de minimiser le poids de la
transmission du système territorial romain via la structure de l’espace chré-
tien en des diocèses et des provinces correspondant aux cités et aux provinces
romaines, en parlant notamment des « limites fossiles des cités antiques 28 »,

française de Rome, 350), 2005, p. 77-98 [version en ligne : http://halshs.archives-ouvertes.fr/


halshs-00289955], et L. Kuchenbuch, J. Morsel, D. Scheler, « La construction processionnelle
de l’espace communautaire », dans D. Boisseuil et al. (éd.), Écritures de l’espace social…, op. cit.,
p. 139-182. Pour les travaux de l’axe qu’il a animé au LAMOP : https://lamop.univ-paris1.fr/
menu-haut/documentation-et-ressources/publications-du-lamop/historiographies/.
24. M.  Mousnier, B.  Cursente, Les territoires du médiéviste, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2005, un colloque qui réunit historiens et archéologues de l’équipe toulousaine du
FRAMESPA, et permet de remonter facilement à leurs travaux individuels, tout en examinant
le vocabulaire d’historiens comme M. Bloch ou G. Duby.
25. J. Baschet, La civilisation féodale. De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, Aubier, 2004,
p. 319-353.
26. M. Lauwers, L. Ripart, « Représentation et gestion de l’espace dans l’Occident médiéval, ve-
xiiie siècle », dans J.-P. Genet (dir.), Rome et l’État moderne européen, Rome, École française de
Rome (Collection de l’École française de Rome, 377), 2007, p. 115-171, ici p. 137.
27. F. Mazel (dir.), L’espace du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval (ve-xiie siècle),
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.
28. Id., L’évêque et le territoire. L’invention médiévale de l’espace (ve-xiiie siècle), Paris, Seuil, 2016, p. 16
et 268 ; voir, pour deux exemples contrastés en fonction du poids réel des structures romaines,
L. Feller, « I limiti delle diocesi italiane nell’alto medioevo », Rivista italiana di ­geopolitica, 1,

16
Introduction

Florian Mazel a raison d’insister dans une enquête remarquable par sa pré-
cision et son ampleur sur le développement d’une nouvelle conception de
la territorialité par les évêques entre le ixe et le xiiie siècle selon les régions :
il montre que ce processus passe par la recherche de limites qui déterminent
une morphogenèse locale qui part du niveau inférieur des paroisses périphé-
riques quand l’on n’a pas affaire, comme sur les franges de l’Empire et le front
marchant de la christianisation, à une morphogenèse globale par création de
diocèses nouveaux 29. Le Provinciale Romanum qui nous est connu par le Livre
des cens et qui donne une liste complète des diocèses catholiques, remplaçant la
documentation tardo-antique et l’adaptant à la nouvelle géographie séculière,
bonne occasion pour fractionner l’Empire en plusieurs parties et le priver ainsi
de toute apparence d’universalité, ne date que de la fin du xiie siècle 30, mais
la prise en main du processus par la papauté grégorienne l’a renforcé dès le
xie siècle et aboutit ainsi à une véritable territorialisation du gouvernement de
l’Église sous l’égide de la papauté.
L’héritage territorial romain a aussi joué un certain rôle pour les pouvoirs
séculiers, mais la conception d’un espace polarisé qui ressort des analyses d’Alain
Guerreau reste ici dominante. Michel Lauwers et Laurent Ripart montrent qu’elle
est l’aboutissement d’un long processus de « déterritorialisation » qui aboutit à
la polarisation de l’espace féodal 31. Mais ils montrent aussi que la création de
« puissants ancrages locaux » permet, et notamment en réaction aux processus
initiés par l’Église et à la nouvelle conception grégorienne de l’espace, un début
de territorialisation du pouvoir qui va très vite pouvoir prendre appui sur le droit
romain 32. Florian Mazel reprend lui aussi ce thème de l’influence grégorienne

2000, p. 177-191, notamment sur la « cause célèbre » de l’interminable procès pour la fixation
des limites entre les diocèses de Sienne et d’Arezzo (sur les suites, voir J.-P. Delumeau, « Le
diocèse d’Arezzo v. 1000-v. 1200 », dans F. Mazel [dir.], L’espace du diocèse…, op. cit., p. 325-
344), et C. Mériaux, « De la cité antique au diocèse médiéval. Quelques observations sur la
géographie ecclésiastique de la Gaule du Nord mérovingienne », Revue du Nord, 351/3, 2003,
p. 595-609 (http://www.cairn.info/revue-du-nord-2003-3-page-595.htm) pour une région où
l’emprise romaine est beaucoup moins forte.
29. F. Mazel, L’évêque et le territoire…, op. cit.
30. Ibid., p.  359-363 ; P.  Fabre, L.  Duchesne (éd.), Le Liber censuum de l’église romaine, Paris,
Fortemoing et Thorin [puis De Boccard] (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de
Rome, 6), 1889-1952, 3 vol. [ici vol. 1] ; voir F. Delivré, « Du nouveau sur la “liste de Florence” : la
chronique du pseudo-Godel (v. 1175) et la préhistoire du Provinciale Romanum du xiiie siècle »,
Bibliothèque de l’École des chartes, 167, 2009, p. 353-374, et « Les diocèses méridionaux d’après le
Provinciale Romanum (xiie-xve siècle) », Cahiers de Fanjeaux, 46 : Lieux sacrés et espace ecclésial
(ixe-xve siècle), 2011, p. 395-419.
31. M. Lauwers, L. Ripart, « Représentation et gestion de l’espace… », art. cité, p. 149-150 (« déter-
ritorialisation ») et 163-164 (« polarisation de l’espace féodal »).
32. Ibid., p. 164-167.

17
je a n-philippe genet

sur la conception que se font de l’espace les pouvoirs séculiers 33. Mais il ne s’agit
pas d’une pâle copie ou d’un pur et simple transfert de technologie de gouver-
nement. Dès qu’ils se dessinent, notamment à travers les pratiques de l’écrit,
les progrès de la pratique administrative permettent aux détenteurs des pôles
séculiers du pouvoir (donc, encore dans le cadre d’un espace polarisé autour d’un
lieu, ou plus précisément autour du lieu où s’est enracinée la personne qui en est
la détentrice) d’étendre leur emprise au-delà des relations personnelles de fidélité
de l’individu ou du lignage pôle. Le moyen le plus ancien est le déplacement
à l’intérieur de l’espace contrôlé : cette méthode utilisée en fait depuis le haut
Moyen Âge reste employée tout au long du Moyen Âge dans les dominations
de type impérial. Elle peut éventuellement se passer de support administratif
et reposer uniquement sur une itinérance de type domanial où l’on se déplace
d’un domaine à l’autre pour consommer ses productions : cela permet de tenir
des plaids et des cours resserrant les liens de fidélité locaux. Mais elle gagne for-
midablement en efficacité si elle s’appuie sur un vaste réseau de lieux de pouvoir
dispersés et hiérarchisés –  palais, forteresses, hôtels urbains, manoirs ruraux,
loges de chasse – grâce à des supports financiers et administratifs qui permettent
de l’édifier et de l’entretenir et qui en conditionnent donc la puissance. L’analyse
du cas de l’« empire angevin » à travers les déplacements d’Henry II et de ses fils
Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre en fournit l’éclatante démonstration 34 :
grâce à cette mise en réseau à son profit des lieux polarisés qu’il contrôle, le roi
crée ainsi un espace étatique. Non seulement, la « mesnie Hellequin 35 » voyage
à une vitesse proprement diabolique qui stupéfie les contemporains à travers
l’espace impérial, mais encore, par l’intermédiaire de constructions et d’archi-
tectures audacieuses, ce réseau est porteur de signes symboliques qui expriment
une « représentation monumentale du pouvoir 36 ». La constitution de ce réseau
est redoublée par une politique agressive de « protection » religieuse 37. Mais le
réseau reste malgré tout instable, perpétuellement remis en question, notam-
ment exposé en cas de dissensions à l’intérieur du lignage.
À l’intérieur même de l’empire angevin, l’Angleterre, qui fournit d’ailleurs
une part importante du support administratif et financier qui sert à mainte-

33. F. Mazel, L’évêque et le territoire…, op. cit., p. 371-373.


34. F. Madeline, Les Plantagenêts et leur empire. Construire un territoire politique, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2014 ; voir ead., « Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire
Plantagenêt : circuler, contrôler et construire (1154-1216) », au sein du présent ouvrage.
35. L. Harf-Lancner, « L’Enfer de la cour : la cour d’Henri II et la Mesnie Hellequin (dans l’œuvre
de Jean de Salisbury, de Gautier Map, de Pierre de Blois et de Giraud de Barri) », dans
P.  Contamine (éd.), L’État et les aristocraties, xiie-xviie  siècle, France, Angleterre, Écosse, Paris,
Presses de l’École normale supérieure, 1989, p. 27-50.
36. F. Madeline, Les Plantagenêts et leur empire…, op. cit., p. 287-316.
37. Ibid., p. 103-122.

18
Introduction

nir le réseau « impérial », est un véritable contre-exemple, puisqu’on y trouve


une structuration de l’espace qui, bien qu’elle ne doive rien à un quelconque
souvenir romain, est comparable avec ce que les Carolingiens avaient sans
doute voulu faire. Ils ont en Angleterre une connaissance impressionnante de
ce qu’il faut bien appeler leur territoire, une connaissance qu’ils ont héritée
de leurs prédécesseurs normands qui ont eux-mêmes bénéficié des structures
mises en place par leurs prédécesseurs saxons. Derrière l’espace polarisé qu’ils
ont d’ailleurs eux-mêmes créé et sa maîtrise, les rois normands et angevins
disposent très tôt en Angleterre d’un véritable territoire étatique. L’enquête qui
a conduit à la rédaction du Domesday Book a généré une énorme littérature
historiographique depuis le travail pionnier de John Horace Round en 1895 38.
Elle a été décidée en 1085-1086 et sa rédaction finale s’est peut-être étendue au
règne de Guillaume le Roux, puisque le principal ministre de celui-ci, Ranulf
Flambard, semble être intervenu dans ses dernières étapes. Mais elle incorpore
beaucoup d’éléments antérieurs, tels les surveys provenant des grands établis-
sements monastiques, et elle prend appui sur des institutions antérieures, en
particulier le système du geld, mis en place par les rois saxons, et des procédures
administratives propres au vieux régime anglo-saxon, notamment le rôle des
sheriffs et le système des jurys. Cependant, son objectif est nouveau, puisqu’il ne
s’agit pas de préparer une levée ou une réforme du geld, mais de faire un point
exact des domaines et des revenus royaux, ce qui entraîne mécaniquement la
nécessité de connaître précisément l’étendue des terres et les revenus des tenants
en chef, pour connaître leurs obligations de service et, dans le cas des tenants
laïcs, l’étendue des droits féodaux que l’on peut exiger d’eux ou de leurs héri-
tiers. Et les procédures, et notamment leurs aspects judiciaires, et les méthodes
de rédaction ne sont pas seulement anglo-saxonnes, mais aussi normandes. Le
Domesday est bien issu d’une synthèse, et c’est sans doute la raison pour laquelle
en dehors de l’Angleterre on ne disposera pas avant longtemps d’un savoir du
territoire susceptible de soutenir une action administrative : on l’a vu, même
l’Église romaine a eu besoin de près de deux siècles pour en arriver au Provinciale
Romanum 39. Mais ce type de source, fondé sur le principe du dénombrement,
est de plus en plus fréquent à partir du xive  siècle et il a ses chefs-d’œuvre

38. J.  H.  Round, Feudal England : Historical Studies on the XIth and XIIth  Centuries, Londres,
Sonnenschein, 1895 ; dernières parutions : S. Harvey, Domesday Book of Judgement, Oxford,
Oxford University Press, 2014 ; D. Roffe, K. S. B. Keats-Rohan (éd.), Domesday Now : New
Approaches to the Inquest and the Book, Woodbridge, Boydell Press, 2016.
39. F.  F.  Kreisler, « Domesday Book and the Anglo-Norman Synthesis », dans W.  C.  Jordan,
B. McNab, T. F. Ruiz (éd.), Order and Innovation in the Middle Ages, Princeton, Princeton
University Press, 1976, p. 1-16.

19
je a n-philippe genet

comme le Catasto florentin de 1427 40 : s’il ne comporte pas de carte, il offre une
image précise des territoires, de leur étendue et de leur complexité.
Un deuxième élément est capital dans cette avancée vers la territorialisa-
tion, le développement du droit romain et du droit canon à partir de la fin
du xie siècle. Les programmes sur la genèse de l’État moderne se sont arrêtés
à plusieurs reprises sur les rapports du droit, de l’État et de l’espace 41, qu’il
s’agisse de la connaissance de l’espace 42 ou de la façon dont le droit conçoit
les espaces autonomes de pouvoir, que les canonistes ont d’abord dû détacher
de la gangue universalisante de l’Empire romain 43. Ils ont mis l’accent sur
l’importance des « instruments juridiques du pouvoir » qui ont été analysés
dans une perspective comparatiste sur la longue durée du xiie au xviiie siècle 44.
Il faut en particulier insister, dans le cas de la construction de l’espace étatique,
sur le rôle des mécanismes juridiques d’appel aux cours supérieures, comme
l’illustrent dans le cas du royaume de France les appels au Parlement de Paris
venus du duché de Guyenne 45 et de la Flandre, pour donner sa réalité concrète
au territoire 46. Et sur ce plan, Michelle Bubenicek attire ici même l’attention
sur l’importance de l’élaboration de la définition d’un espace public sur lequel
s’exerce seul le dominium du souverain, que les juristes distinguent désormais

40. D. Herlihy, C. Klapisch-Zuber, Les Toscans et leurs familles. Une étude du catasto florentin de
1427, Paris, Presses de Sciences Po, 1978.
41. N. Coulet, J.-P. Genet (éd.), L’État moderne : le droit, l’espace et les formes de l’État, Paris, Éd. du
Centre national de la recherche scientifique, 1990, et Théologie et droit dans la science politique
de l’État moderne, Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome,
147), 1991.
42. D. Nordman, « La connaissance géographique de l’État (xive-xviie siècles) », dans N. Coulet,
J.-P. Genet (éd.), L’État moderne : le droit, l’espace…, op. cit., p. 175-188.
43. A. Rigaudière, « Regnum et civitas chez les décrétistes et les premiers décrétalistes (1150 env.-1250
env.) », dans Théologie et droit…, op. cit., p. 117-153.
44. A. Padoa-Schioppa (dir.), Justice et législation, Paris, Presses universitaires de France (Les ori-
gines de l’État moderne en Europe [coll. dir. par W. Blockmans et J.-P. Genet]), 2000 ; pour
la France, voir aussi A. Rigaudière, Penser et construire l’État dans la France du Moyen Âge (xiiie-
xve siècle), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2003, p. 175-341.
45. P. Chaplais, « La souveraineté du roi de France et le pouvoir législatif en Guyenne au début
du xive  siècle », Le Moyen Âge. Volume jubilaire, 1888-1963, 1963, p.  449-469, et id., « Les
appels gascons au roi d’Angleterre sous le règne d’Édouard Ier (1272-1307) », dans Économies
et sociétés au Moyen Âge. Mélanges offerts à Édouard Perroy, Paris, Publications de la Sorbonne,
1973, p.  382-399, réédités en no  IV et en no  V dans id., Essays in Medieval Diplomacy and
Administration, Londres, The Hambledon Press, 1981 ; J. Kicklighter, « Appeal Procedure in
the Medieval Parliament of Paris : Phillipps Charter 6 in the John Rylands University Library
of Manchester », Bulletin of John Rylands Library, 72, 1990, p. 37-50.
46. R. C. Van Caenegem (éd.), Recueil de l’ancienne jurisprudence de la Belgique. Les Arrêts et jugés
du Parlement de Paris sur appels flamands, Bruxelles, Commission pour la publication des
anciennes lois et ordonnances de Belgique, 1966-2000, 3 vol. ; voir J. Hilaire, « Recherches sur
le fonds du Parlement de Paris : à propos des appels flamands au Moyen Âge », Revue historique
du droit français et étranger, 82, 2004, p. 263-279.

20
Introduction

du domanium 47. Les sujets ont d’ailleurs une pleine conscience de la souve-


raineté et de sa puissance, comme le prouve le volume impressionnant des
requêtes et des suppliques individuelles ou collectives qui lui sont adressées,
du moins en France et en Angleterre 48.
L’affirmation que l’espace n’est ni mesuré, ni cartographié de façon systé-
matique avant le xviiie siècle, quelques exceptions mises à part 49, est dans une
certaine mesure recevable, si l’on exclut les approches empiriques : même un
Bertrand Boysset qui a pourtant de bonnes connaissances en matière scientifique
ne les utilise pas dans sa pratique d’arpentage, qui reste purement empirique 50 ;
la même observation vaut pour l’ingénieur militaire au service de la Casa di San
Giorgio (Pietro de Mortara ?) qui utilise une méthode complexe mais approxi-
mative pour la cadastration d’un allotissement génois à Ajaccio : si ses opérations
arithmétiques sont correctes, ses calculs d’aires sont seulement approchés 51. Il
faut pourtant admettre que dès le Moyen Âge on est capable, à l’occasion d’une
discussion, de situer les lieux dans l’espace terrestre avec une relative précision 52.
Et à partir du xve  siècle, les progrès sont rapides, surtout lorsqu’à partir des
années 1570-1580 la triangulation et le calcul trigonométrique se répandent.
Le cas de l’Angleterre illustre bien cette progression : encore rares à la fin du
xv  siècle, les cartes sont devenues un objet courant au début du xviie siècle 53.
e

47. Très bel exemple dans M.  Bubenicek, « Définir l’espace économique, imposer l’autorité
politique. Les bornes péagères, un enjeu pour la souveraineté princière (État bourguignon –
Franche-Comté, xive-xve siècles) », au sein du présent ouvrage.
48. Pour le cas de la France et de l’Angleterre, G. Dodd, S. Petit-Renaud, « Grace and Favour :
the Petition and its Mechanisms », dans C. Fletcher, J.-P. Genet, J. Watts (dir.), Governing in
Medieval and France. Office, Network, Idea, Cambridge, Cambridge University Press, 2015,
p. 240-278, avec une très riche bibliographie.
49. Comme le signale Patrick Gautier Dalché (La Terre. Connaissance…, op. cit., p. 165), ce sont
en fait les astronomes/astrologues qui se sont surtout intéressés à l’approche scientifique de
l’espace et à sa mesure, qu’il s’agisse des coordonnées ou de l’utilisation de l’astrolabe : voir les
deux textes édités et commentés, une table de coordonnées géographiques du xve siècle (ibid.,
p. 222-234) et des textes de Walcher de Malvern et de Roger de Hereford, ainsi que l’horoscope
d’Henry VI sur les calculs de longitude et de latitude (ibid., p. 235-241).
50. P.  Portet, Bertrand Boysset, la vie et les œuvres techniques d’un arpenteur médiéval, Paris, Le
Manuscrit, 2004, 2 vol. ; voir A. Querrien, « La mesure du sol », dans P. Gautier Dalché (dir.),
La Terre. Connaissance…, op. cit., p. 625-672, spécialement p. 641-650.
51. M. Zerner, R. Lozi, J.-A. Cancellieri, « Quelques réflexions inspirées par un document cadas-
tral de la fin du xve siècle. Pratique de l’arithmétique et mesure de la terre », Histoire & Mesure,
8/3-4 : La mesure de la terre, 1993, p. 295-312.
52. Voir le schéma qui accompagne le compte rendu du débat sur la délimitation entre les nations
anglo-allemande et picarde de la faculté des arts de l’université de Paris et la consultation de
Maître Nicholaus Macer de Almekerc : H. Denifle, É. Chatelain, Liber procuratorum nationis
anglicanae (alemanniae) in Universitate Parisiensi, Paris, Delalain, 1894, vol. 1, col. 212-218.
53. P. D. A. Harvey, Maps in Tudor England, Londres, The Public Record Office and the British
Library, 1993, p. 7.

21
je a n-philippe genet

Le recours aux cartes s’est généralisé dans plusieurs domaines : la base « Auteurs
anglais », limitée aux auteurs actifs avant 1600, recense plus de 300 cartes 54,
et elle exclut les cartes anonymes. Ce ne sont pas les cartes marines qui sont
les plus nombreuses et même à la fin du xvie siècle les Anglais seront encore
dans ce domaine surtout des consommateurs de cartes étrangères, notam-
ment hollandaises, mais c’est dans d’autres directions qu’ont surtout lieu les
développements. Tandis qu’Henry VIII se faisait faire des cartes paysagées des
principaux sites militaires de son royaume pour orner les murs de ses palais,
ses ingénieurs militaires comme Richard Lee (Écosse), John Rogers (Boulogne,
Ambleteuse, Guînes) ou Stephan von Haschenperg (Carlisle) multipliaient
les cartes et les relevés pour s’adapter aux exigences de l’artillerie. Douvres,
Plymouth et l’embouchure de la Tamise faisaient aussi l’objet d’une attention
particulière. Mais c’est surtout en Irlande que les cartographes comme Boazio,
Joanes, Paul Ive ou Francis Jobson se déchaînent, aussi bien pour des raisons
militaires qu’en vue des projets de « plantation » (c’est-à-dire de colonisation).
Il subsiste un grand nombre de ces cartes dans les portfolios des hommes poli-
tiques, comme les Cecils 55. Un autre domaine en plein essor est celui du survey :
apparus dès le xve siècle, les surveys se multiplient et les grands surveyors comme
Ralph Treswell ou Edward Agas réalisent des dizaines de cartes pour les grands
propriétaires fonciers et des manuels apparaissent, comme celui d’Agas 56, et
surtout celui de John Norden, The Surveyors Dialogue 57. Agas a aussi publié des
cartes urbaines, pour Londres, Westminster et Cambridge, qui sont à dire vrai
plutôt des vues à vol d’oiseau. Enfin, la grande réalisation de la fin du xvie siècle
et du début du xviie siècle est la cartographie topographique et chorographique
des comtés anglais par Christopher Saxton d’abord qui, subventionné par le

54. Http://lamop-intranet.univ-paris1.fr/auteurs_anglais/. Je renvoie à cette base pour tous les


cartographes et surveyors cités dans ce paragraphe. Voir, pour ce groupe professionnel, P. Eden,
Dictionary of Land Surveyors and Local Map-Makers of Great-Britain and Ireland, 1530-1850,
Londres, The British Library, 1997, 2 vol., qui en recense plus de 14 000, et l’étude suggestive
de J. Beauroy, « La représentation de la propriété privée de la terre. Land Surveyors et Estate
Maps en Angleterre de 1570 à 1660 », dans G. Brunel, O. Guyotjeannin, J.-M. Moriceau (éd.),
Terriers et plans-terriers du xiiie au xviiie  siècle, Rennes/Paris, Association des historiens des
sociétés rurales/École nationale des chartes, 2002, p. 79-101.
55. R.  A.  Skelton, J.  Summerson, A Description of the Maps and Architectural Drawings in the
Collection Made by William Cecil, First Baron Burghley, now at Hatfield House, Londres,
Roxburghe Club, 1971.
56. Edward Agas, A Preparative to Platting of Landes and Tenements for Surveigh, Londres, Scarlet,
1596 : voir J.-P. Genet, « La mesure : ambiguïtés et perspectives », Histoire & Mesure, 8/3-4 : La
mesure de la terre, 1993, p. 199-206 pour un extrait traduit d’un véritable prospectus publicitaire
par lequel il recommandait son travail à ses clients, en l’occurrence Lord Burghley et Sir Julius
Caesar (p. 202).
57. The Surveyors Dialogue, Londres, Astley, 1607 (quatre autres éditions jusqu’en 1618) : voir John
Norden’s the Surveyors Dialogue (1618), éd. par M. Netzloff, Londres, Routledge, 2016.

22
Introduction

gouvernement et avec l’aide de John Rudd, produit entre 1574 et 1578 des cartes
de tous les comtés d’Angleterre, réunies en 1579 dans un atlas qui fut un grand
succès commercial 58 ; puis, après des essais inaboutis par John Norden (trois
comtés publiés, six autres restés en manuscrit), William Smith (12 comtés),
c’est John Speed qui publie un nouvel atlas des comtés pour accompagner son
histoire d’Angleterre 59.
Les cartes de John Norden et de John Speed sont assez précises topographi-
quement, mais elles fournissent aussi des éléments de paysage (forêts, collines,
ponts, etc.) à défaut d’indiquer les altitudes. Le titre de « théâtre » choisi par
Speed est significatif. Le paysage est perçu comme la scène d’un théâtre, sur
laquelle s’est joué le passé comme s’y jouera le futur : l’histoire est indissociable
de l’espace représenté. Mais ce sentiment précède l’ère des cartes et l’activité
des premiers « antiquaires » anglais, et les écrits d’un John Rous 60 ou d’un
William Worcestre le montrent bien. Ce dernier est un laïc passé par l’univer-
sité d’Oxford, devenu à partir de 1438 le principal homme d’affaires de Sir John
Fastolfe, l’un des capitaines anglais de la guerre de Cent Ans 61. Il sillonnait
l’Angleterre pour son patron jusqu’à la mort de ce dernier en 1459, mais une
fois libéré de ses obligations, il remonte à cheval pour son plaisir et entreprend
un nouveau périple pendant lequel il tient un carnet de notes qui a survécu 62.
On s’aperçoit qu’il note scrupuleusement les distances d’un lieu à un autre :
il questionne tous ceux qui lui paraissent détenir une documentation utile
à ses recherches, interrogeant notamment les bibliothécaires des monastères
qui sont sur son chemin ; il recherche les traditions, associant à chaque lieu
un « calendrier », c’est-à-dire une liste de noms de personnes avec leur jour et
parfois l’année de leur décès. Surtout, il n’hésitait pas à descendre de cheval
pour mesurer les églises et les monuments qui lui paraissaient remarquables.
Il notait scrupuleusement le nom de leurs fondateurs, copiait les inscriptions
anciennes, et parfois dessinait les motifs ornementaux ou les blasons qui lui

58. W. Ravenhill (éd.), Christopher Saxton’s 16th Century Maps of England and Wales, Shrewsbury,
Chatsworth Library, 1992.
59. The Theatre of the Empire of Great Britaine : Presenting an Exact Geography of England, Scotland
and Ireland, Londres, Humble, 1611 (dix éditions jusqu’en 1646 et une version latine publiée en
1632) : N. Nicolson, A. Hawkyard (éd.), The Counties of Britain : a Tudor Atlas by John Speed,
Londres, Pavilion Book, 1995 [1988].
60. Joannis Rossi Antiquarii Warwicensis Historia Regum Angliae… Accedit Joannis Lelandi
Antiquarii Naenia in Mortem Henrici Duddelegi Equitis, éd. par T. Hearne, Oxford, E Theatro
Sheldoniano, 1716 ; voir J.-P. Genet, « John Rous et l’histoire ancienne de l’Angleterre », dans
M. Coumert et al. (éd.), Rerum gestarum Scriptor : histoire et historiographie au Moyen Âge.
Mélanges Michel Sot, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2012, p. 225-235.
61. K. B. McFarlane, « William Worcester : a Preliminary Survey », dans id., England in the Fifteenth
Century, Londres, The Hambledon Press, 1981 [1957], p. 199-224.
62. J. H. Harvey (éd.), William Worcestre. Itineraries, Oxford, Clarendon Press, 1969.

23
je a n-philippe genet

paraissaient remarquables 63. Le paysage est ainsi investi du poids de l’histoire


et la mesure des monuments donne une échelle au marquage monumental. La
démarche est du même ordre chez John Rous : enregistrant systématiquement
les noms des fondateurs des villes et des monuments, s’il ne pratique pas la
mesure, il passe le paysage au filtre de l’étymologie et porte sur lui un regard
critique qui fait de lui le premier dénonciateur des enclosures et de l’expulsion
des paysans du fait de l’appropriation des communs par les landlords éleveurs 64.
Le marquage monumental de l’Angleterre du xve siècle par la Couronne et
par les élites dominantes (noblesse, gentry, ecclésiastiques, autorités urbaines),
même investi de sa charge historique, fait cependant pâle figure si on le com-
pare à ce qu’offrent les cités italiennes : une magnifique exposition consacrée
à l’espace civique florentin vient opportunément de le rappeler et plusieurs
des auteurs du catalogue 65 rédigé pour l’occasion ont d’ailleurs participé à la
rencontre de Pise qui se tenait quant à elle dans le décor au combien évocateur
de la Piazza dei Cavallieri 66. Dans l’exposé liminaire de ce catalogue, Maria
Monica Donato insiste sur l’importance du thème visuel de Florence comme
nouvelle Rome, puisque le lys omniprésent passe pour avoir été concédé à
la cité par les Romains, et que le souvenir du patron de la cité, saint Jean-
Baptiste, est précédé par celui de Mars dont le temple a été redédicacé – tout
comme le Panthéon romain – pour se muer en baptistère 67. C’est sur ce fond
que se dessinent dans les rues, sur les places ou les murs des palais 68 et des
églises, les figures de l’actualité, de la damnatio memorie des ennemis de la
cité à l’exaltation des vertus civiques en passant par la dénonciation des vices
qui minent la société florentine, le tout sous l’ombre des saints patrons de la
ville 69. Une identité en mouvement s’inscrit ainsi dans l’espace de la cité 70 et
les fêtes et les spectacles sont autant d’occasions d’inscrire dans l’espace civique
les messages que ceux qui en ont le pouvoir souhaitent diffuser à la cité et à

63. J. H. Harvey (éd.), William Worcestre. Itineraries, op. cit., p. 316-317 et 342-343.


64. J.-P. Genet, « John Rous… », art. cité, p. 234 ; Rous n’est pas un voyageur, mais il a une connais-
sance approfondie de son Warwickshire et des comtés voisins.
65. M.  M.  Donato, D.  Parenti, Dal Giglio al David. Arte civica a Firenze fra Medioevo e
Rinascimento, Florence, Giunti, 2013.
66. M. M. Donato, M. Ferrari et M. Folin.
67. M. M. Donato, « Arte civica a Firenze, dal primo popolo al primo umanesimo. La tradizione,
i modelli perduti », dans ead., D. Parenti, Dal Giglio al David, op. cit., p. 19-33.
68. M. Folin, « Edifici communali e retorica civica », dans M. M. Donato, D. Parenti, Dal Giglio
al David, op. cit., p. 56-65.
69. V. Camelliti, « I santi patroni, le immagini della “devozione civica” a Firenze fra Duecento e
primo Cinquecento », dans M. M. Donato, D. Parenti, Dal Giglio al David, op. cit., p. 78-85.
70. A. Zorzi, « L’identità politica di Firenze », dans M. M. Donato, D. Parenti, Dal Giglio al David,
op. cit., p. 34-65.

24
Introduction

sa population 71. Le cas de Florence n’a évidemment rien d’unique, et Venise,


Milan et presque toutes les cités italiennes – l’exemple de Brescia est présenté
ici même par Matteo Ferrari 72 – offriraient à des degrés divers des exemples
de cette « sémiologie des espaces urbains 73 » où l’architecture et l’urbanisme
développent une véritable rhétorique politique 74.
C’est sur ce riche fonds de recherches et de réflexions que nous avons voulu
proposer un certain nombre de points de vue et d’approches que nous avons
répartis en quatre ensembles. Le premier ensemble est consacré aux marqueurs
symboliques de l’espace. Les églises en tant que monuments n’y occupent
qu’une place secondaire, car l’on dispose maintenant sur ce point du beau
livre de Dominique Iogna-Prat auquel nous renvoyons 75. On en restera dans
les pages qui suivent aux monuments du pouvoir laïc, ce qui permettra de
s’interroger sur cette catégorie du monument qui ne va pas de soi 76, et les
mausolées nous ramènent d’ailleurs au sacré et aux aspects religieux 77. Et grâce
à la contribution de Carlo Tosco, il est possible d’étudier la réaction à ces
marqueurs d’un témoin contemporain qui est sans doute l’un des plus grands
esprits européens de sa période, Francesco Petrarca 78.
Un deuxième ensemble concerne la relation entre la symbolique de l’espace
et de l’exercice concret du pouvoir, de la cité italienne confrontée au sacré 79 aux
vastes espaces sur lesquels les rois Plantagenêts et les ducs Valois de Bourgogne 80
essaient d’établir leur lointain pouvoir. De là, il n’y a qu’un pas à franchir pour
en venir à l’analyse de l’espace dans la théorie et la réflexion politiques avec

71. P. Ventrone (éd.), « Le temps revient » : ’L Tempo si rinuova. Feste e spettacoli nelle Firenze di
Lorenzo il Magnifico, Milan, Silvana Editoriale, 1992.
72. Voir M. Ferrari, « Palatia que appellantur de comuni. I Palatia nova di Brescia come figura della
città comunale : aspetti costruttivi e architettonici, elementi decorativi, evoluzione urbana »,
au sein du présent ouvrage.
73. P. Boucheron, « Introduction générale », dans id., J.-P. Genet (dir.), Marquer la ville…, op. cit.,
p. 9-19 (citation p. 14).
74. Id., « L’implicite du signe architectural : notes sur la rhétorique politique de l’art de bâtir entre
Moyen Âge et Renaissance », Perspectives, 1, 2013, p. 173-180.
75. D. Iogna-Prat, La Maison Dieu…, op. cit.
76. M. Ferrari, « Palatia que appellantur de comuni. I Palatia nova… », art. cité ; voir en général
P. Boucheron, J. Chiffoleau (dir.), Le palais dans la ville. Espaces urbains et lieux de la puissance
publique dans la Méditerranée médiévale, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2004.
77. Voir M. Folin, « Demeures des vivants, demeures des morts. Considérations comparatives sur
les formes d’implantation urbaine des seigneurs en Italie aux xive et xve siècles », au sein du
présent ouvrage.
78. Voir C. Tosco, « Pétrarque et les espaces du pouvoir », au sein du présent ouvrage.
79. Voir V. Camelliti, « Oltre le mura : identità civica, idea del sacro e superstizione nelle città
comunali », au sein du présent ouvrage.
80. Voir F. Madeline, « Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt… », art. cité, et
M. Bubenicek, « Définir l’espace économique, imposer l’autorité politique… », art. cité.

25
je a n-philippe genet

quelques-uns des concepts-clés de cette théorie dans l’Italie du xvie siècle 81. Ici


encore, nous pouvons contraster les aspects concrets du contrôle de l’espace
avec les représentations idéologiques qui lui sont liées.
Le troisième ensemble est celui de la représentation de l’espace et de sa
valeur symbolique. Depuis quelques années, les travaux sur la géographie
historique ont fait des progrès considérables, en particulier ceux qui portent
sur la cartographie, un terme trop réducteur, nous l’avons dit, si on limite la
carte à la carte géographique moderne à échelle mesurée. Mais sans remonter
forcément à la liste, il y a une grande variété dans les modes de représentation
de l’espace 82 et c’est ce que l’on peut observer en s’interrogeant en particulier
sur les enjeux d’appropriation de l’espace et notamment de l’espace maritime 83
que ces représentations, plus ou moins largement diffusées, mettent en action.
Les détenteurs du pouvoir n’hésitent d’ailleurs pas à intervenir directement
dans ce domaine 84.
Quatrième ensemble, celui de la perception symbolique de l’espace, déjà,
il est vrai, partiellement abordé dans chacun des trois axes précédents. Il est
abordé par ces représentations que l’on entend diffuser d’autant plus qu’elles
canalisent la perception symbolique de l’espace 85. Si les représentations de l’es-
pace peuvent se faire sans cartes et sans dessins, dans l’action et par l’intermé-
diaire de l’écriture administrative 86, elles font le plus souvent appel à l’image,
d’où le phénomène de l’esthétisation : peintres, architectes, ingénieurs, sont
ici convoqués pour nous faire assister à la transformation de l’espace, qu’il
s’agisse de figurer la cité elle-même dans toute sa gloire comme sur les fresques
de la chapelle du Palais des Prieurs à Pérouse 87, ou de célébrer ses victoires, en
l’occurrence la conquête de Pise par Florence 88.

81. Voir R.  Descendre, « Lo stato, il diritto, il territorio. Dominazione territoriale e crisi del
modello giuridico nel pensiero politico italiano del XVI secolo », au sein du présent ouvrage.
82. Voir J. Dumasy-Rabineau, « Représentation de l’espace et exercice du pouvoir : cartes et figures
de l’espace français, xive-xvie siècle », au sein du présent ouvrage.
83. Voir E. Vagnon, « Les cartes marines, xive-xviie siècle : une appropriation de l’espace mari-
time », et A. Savorelli, « Atlanti simbolici dello spazio politico. I portolani e il Libro del cono-
cimiento de todos los reinos (secolo XIV) », au sein du présent ouvrage.
84. Voir A. Chassagnette, « La géographie au service des princes : cartes, inventaires et descriptions
des territoires, xvie-xviie siècle », au sein du présent ouvrage.
85. Voir L. Dauphant, « Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières
(France, 1258-1529) », au sein du présent ouvrage.
86. Voir V. Theis, « Se représenter l’espace sans carte. Pratiques d’écriture de la Chambre aposto-
lique au xive siècle », au sein du présent ouvrage.
87. Voir M. R. Silvestrelli, « La città dipinta di Benedetto Bonfigli nella cappella del Palazzo dei
Priori di Perugia », au sein du présent ouvrage.
88. Voir D. Giorgi, « Una proposta di risarcimento iconografico per il perduto San Dionigi di
Gherardo Starnina », au sein du présent ouvrage.

26
Introduction

Ce vaste parcours vise à réintroduire l’espace dans cet imaginaire qui fait par-
tie des vecteurs de l’idéel que nous traquons inlassablement dans ce programme
de recherche, convaincu que ce sont eux qui, en dernière analyse, déterminent
le comportement social et politique des individus au sein de ce qui est de plus
en plus une société politique. À côté de la légitimité implicite des valeurs ou
du sentiment de vérité, l’espace est un terrain d’enquête essentiel pour mieux
comprendre l’imaginaire des membres des sociétés politiques européennes.

27
i

L E S M A RQU EU R S S Y M BOL IQU E S


DE L’E SPACE – I NDIC ATOR I SI M BOL ICI
DE L LO SPA Z IO
Palatia que appellantur de comuni
I Palatia nova di Brescia come figura della città
comunale: aspetti costruttivi e architettonici,
elementi decorativi, evoluzione urbana

matteo ferrari
Scuola Normale Superiore (Pisa, Italia)

Salimbene de Adam narra che nel 1247 le donne di Parma offrirono alla Vergine
un modello tridimensionale d’argento della città per invocarne la protezione
contro Federico II, che minacciava la distruzione del centro abitato e la depor-
tazione della sua popolazione. Nell’immagine urbana, che il cronista afferma
d’aver visto coi propri occhi, erano riconoscibili i maiora et precipua edificia
che qualificavano e identificavano la città padana, enumerati in un ordine che
si direbbe topografico più che solo d’importanza. La cattedrale, il battistero, il
palazzo vescovile e il communis palatium spiccavano tra le molte altre fabbriche
(alia edificia quam plura) che, pur concorrendo alla costruzione del volto citta-
dino, dovevano presentare tratti convenzionali e indifferenziati, tanto da non
meritare una specifica menzione 1. Erano dunque i luoghi deputati all’esercizio
del potere, vescovile e comunale, a caratterizzare il centro urbano in una raffi-
gurazione che immaginiamo simile a quelle «figur[e] dimunutiv[e] di città 2»
che, dal Trecento inoltrato, serviranno da frequente attributo ai santi patroni  3.

1. Salimbene de Adam, Cronica, a cura di G. Scalia, Bari, Laterza, 1966, t. 1, p. 283.
2. Sul tema delle immagini di città si veda M. Ferretti, «Le rappresentazioni di città e la cappella
dei Priori (qualche ipotesi di lettura)», in M. L. Cianini Pierottin (a cura di), Benedetto Bonfigli
e il suo tempo, Atti del convegno di Perugia (21-22 febbraio 1997), Perugia, Volumnia editrice,
1998, p. 99-109, in part. a p. 103 da dove traggo la citazione.
3. Cfr. V. Camelliti, Città e santi patroni: offerta, protezione, difesa della città nelle testimonianze
figurative dell’Italia centro-settentrionale tra XIV e XV  secolo, tesi di dottorato, rel.  V.  Pace,
Università degli studi di Udine, 2010, 2 t.

31
m at teo fer r a r i

In queste rappresentazioni la città era identificata dai suoi elementi salienti 4,


tra i quali si trovava spesso il palazzo comunale. Così avviene, solo per citare
un noto esempio, nel modello urbano scolpito collocato a inizi Ottocento ai
piedi del gisant nella ricomposta tomba di Ubertino da Carrara agli Eremitani
a Padova, in origine concepito, come ha spiegato Vittoria Camelliti, come
attributo di un perduto san Daniele, patrono della città 5: è il Palazzo della
Ragione, sede delle autorità comunale, a stagliarsi davanti alla Basilica del
Santo, luogo sacro per eccellenza della città antoniana.
Le parole di Salimbene attestano pertanto come, attorno alla metà del
XIII secolo, il dualismo istituzionale tra vescovo e Comune si era ormai affermato
anche sul piano architettonico, conferendo una nuova forma all’immagine urbana,
da questo momento incardinata su un inedito bipolarismo monumentale: da un
lato restava la cattedrale, antico fulcro cittadino, dall’altro comparivano i più
recenti edifici del Comune. Osservando l’evoluzione dei centri urbani dell’area
padana, si coglie del resto quanto la costruzione dei palatia nova, i grandi palazzi
civici sorti dagli inizi del Duecento in sostituzione di strutture più ­modeste 6,
incise sul volto delle città, influenzando di conseguenza il loro modo di essere
immaginate, e quindi ritratte. In molti casi, infatti, queste fabbriche non costi-
tuirono un’impresa edilizia isolata e chiusa in sé, ma introdussero un elemento
di forte discontinuità nell’evoluzione dell’abitato antico, creando i presupposti
per interventi urbanistici d’ampio respiro, destinati a ridisegnare la forma urbana.
Ne offre un esempio il Palazzo della Ragione di Padova, la cui costruzione
fu all’origine di una progressiva riforma dell’area circostante, attraverso la siste-
mazione delle piazze limitrofe e la costruzione o adattamento di edifici destinati

4. A. Rinaldi, «La formazione dell’immagine urbana tra XIV e XV secolo», in J.-C. Maire Vigueur
(a cura di), D’une ville à l’autre: structures matérielles et organisation de l’espace dans les ­villes
européennes (xiiie-xvie  siècle), Atti del convegno di Roma (1-4  dicembre 1986), Roma, École
française de Rome, 1989, p. 773-811: p. 777.
5. V. Camelliti, Città e santi patroni…, op. cit., t. 1, p. 110-117.
6. A tale proposito, per limitarci ai due casi sopra citati, si ricorderà che il palazzo di Parma data
al 1221 (J. Schulz, «The Communal Buildings of Parma», Mitteilungen des Kunsthistorisches
Institutes in Florenz, 26/3, 1982, p.  279-324), quello di Padova al 1218 (cfr. S.  Bortolami,
«“Spaciosum, immo speciosum palacium”. Alle origini del Palazzo della Ragione di Padova»,
in E. Vio [a cura di], Il Palazzo della Ragione di Padova. La storia, l’architettura, il restauro,
Padova, Signum, 2008, p.  39-73). Per una più ampia indagine sui palazzi comunali della
regione si rimanda almeno, per il Piemonte, a C. Tosco, «I palazzi comunali nell’Italia nord-­
occidentale: dalla pace di Costanza a Cortenuova», in A. Gambardella, C. D. Fonseca (a cura
di), Cultura artistica, città e architettura nell’età federiciana, Atti del convegno internazionale
di studi (Reggia di Caserta, 30 novembre-1 dicembre 1995), Roma, De Luca, 2000, p. 395-422,
e, per la Lombardia, a R. D. Russell, Vox Civitatis: Aspects of Thirteenth-Century Communal
Architecture in Lombardy, Ann Arbor, Princeton University, 1989, e F. Buonincontri, Scultura a
Bergamo in età comunale. I cantieri di S. Maria Maggiore e del Palazzo della Ragione, Bergamo,
Biblioteca Civica Angelo Mai, 2005, p. 83-118.

32
Palatia que appellantur de comuni

alle magistrature civiche (dal podestà agli Anziani del Popolo) 7. Negli stessi anni,
un identico processo interessò anche la città di Milano, dove tra il 1228 e il 1233
fu completato il Broletto Nuovo, l’edificio destinato alle riunioni dei consigli e
all’amministrazione della giustizia realizzato a qualche decina di metri dall’area
delle cattedrali e del primo palazzo del Comune, sorto forse già attorno alla metà
del XII secolo su un terreno concesso dall’arcivescovo 8. Nel volgere di pochi
anni, lo spazio circostante fu organizzato in modo da accogliere altri edifici con-
nessi all’amministrazione civile. Nel 1251 attorno alla curia comunis si strinse così
una corona di nuove fabbriche 9, più volte rimaneggiate nel tempo per ragioni
funzionali e, ancor più, per innalzare il decoro e l’impatto monumentale dell’a-
rea: il Palazzo del podestà, il portico di Azzone Visconti e la più nota Loggia
degli Osii, costruita forse dal podestà Oldrado da Tresseno nel 1233, ma rinno-
vata da Matteo Visconti a partire dal 1316 10. Nell’immediato, però, il Broletto e
la sua piazza costituirono anche il punto di partenza per un vero e proprio piano
regolatore che dal 1228 riorganizzò la forma urbana, da allora non più fedele al
tracciato ortogonale romano e non più incardinata sull’area del Duomo 11. La
loro centralità funzionale e topografica rispetto all’insieme della città racchiusa
nelle mura fu subito ribadita dalla costruzione di nuovi assi viari che, assecon-
dando lo sviluppo radiocentrico dell’abitato, collegarono la sede del potere civile

7. Cfr. S. Bortolami, «“Spaciosum, immo speciosum palacium”. Alle origini…», op. cit. La stessa
progressione ritornerà a Firenze dalla fine Duecento, con la costruzione del Palazzo della
Signoria, la sistemazione della piazza, la creazione della Loggia dei priori e di altri edifici
destinati alle magistrature (Palazzo della Condotta, della Mercanzia): cfr., da ultimo, M. Folin,
«Edifici comunali e retorica civica a Firenze (secolo XII-XV)», in M. M. Donato, D. Parenti
(a cura di), Dal giglio al David. Arte civica a Firenze fra Medioevo e Rinascimento, catalogo
della mostra (Firenze, Galleria dell’Accademia, 14 maggio-8 dicembre 2013), Firenze, Giunti,
2013, p. 56-65, e S. Diacciati, L. Tanzini, «Uno spazio per il potere: palazzi pubblici nell’Italia
comunale», in eid. (a cura di), Società e poteri nell’Italia comunale. Studi degli allievi per Jean-
Claude Maire Vigueur, Roma, Viella, 2014, p. 59-80.
8. Una domus o casella consularie è nota dalla metà del XII  secolo, ma pare che sorgesse nei
pressi della chiesa di San Barnaba; a questa seguì, tra il 1188 e il 1196, la costruzione del
primo palatium comunis sul terreno dell’arcivescovo; vedi F. Bocchi, «Il Broletto», in Milano
e la Lombardia in età comunale. Secoli XI-XIII, catalogo della mostra (Milano, Palazzo Reale,
15 aprile-11 luglio 1993), Cinisello Balsamo, Silvana, 1993, p. 38-42: p. 39.
9. Galvaneus Flamma, Manipulus florum, in Rerum Italicarum Scriptores, a cura di L. A. Muratori,
Mediolani, Typographia societatis palatinae in regiae curia, 1727, t. 2, col. 538-740: col. 683,
CCLXXXV, e Annales mediolanenses ab anno 1230 ad annum 1402, a cura di L. A. Muratori, in
Rerum Italicarum Scriptores, Mediolani, Typographia societatis palatinae in regiae curia, 1730,
t. 16, col. 641-840: col. 655, XXIII. Una descrizione dell’area, quando gli interventi edilizi più
consistenti erano stati ormai ultimati, è offerta nel 1288 da Bonvesin de la Riva, Le meraviglie
di Milano, a cura di P. Chiesa, Milano, Mondadori, 2009, II, 3, p. 25.
10. Cfr. P. Boucheron, Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politique édilitaire à Milan (xive-xve siècles),
Roma, École française de Rome, 1998, p. 102-108.
11. C. Ghisalberti, «Il Broletto nel quadro dello sviluppo urbano della Milano medievale», Arte
medievale, 2/3, 1989, p. 78-83.

33
m at teo fer r a r i

direttamente alle sei porte urbane principali 12. Com’è noto, l’intervento ebbe un
forte impatto sull’immagine della città ambrosiana (fig. 1). Bonvesin de la Riva
ne ricondurrà idealmente la forma, grossomodo ellittica, a una circonferenza,
riducendola al modello della Gerusalemme celeste; in Galvano Fiamma questa
forma perfetta troverà il suo centro proprio nel Broletum […] in medio civitatis
fundatum 13. Sul finire del Trecento, poi, la traduzione «cartografica» della città
descritta dal frate predicatore 14 consacrerà il palazzo nuovo milanese nel suo
ruolo di «matrice originale dell’espansione cittadina» e di perno urbanistico 15,
che conserverà fino al pieno Quattrocento, quando la costruzione del castello a
cavallo delle mura muterà nuovamente la gerarchia degli spazi 16.
Il piano urbanistico attuato a Milano, come ha rilevato Patrick Boucheron,
pose per la prima volta il problema dell’articolazione tra un’opera monumen-
tale e il tessuto urbano 17, ma, per quanto precoce e clamoroso negli esiti, non
costituì un caso isolato. Non minori ripercussioni sulla forma e sull’immagine
urbana ebbe infatti, negli stessi anni, la costruzione del nuovo complesso dei
palazzi civici di Brescia (fig. 2), centro di prima importanza nell’area padana per
consistenza demografica e rilevanza politico-economica, nonché città natale di
quell’Aliprando Fava che era stato podestà all’avvio dei lavori del broletto
milanese 18. In questo caso la centralità geometrica del palazzo municipale nel
tracciato urbano non è altrettanto evidente ma, cronologie alla mano, è chiaro
che la sua costruzione precorse, e forse favorì, l’ampliamento verso ovest della
cerchia muraria e innescò una serie di interventi architettonici e urbanistici
che segnarono profondamente il volto della città.
La questione non è certo inedita. Gaetano Panazza e, più recentemente,
Giancarlo Andenna e Marco Rossi hanno già ricostruito i tempi, i caratteri e le
ricadute delle imprese edilizie promosse, nel corso del Duecento, dal Comune

12. Galvaneus Flamma, Manipulus florum, op. cit., col. 683, CCLXXXV; Annales mediolanenses ab
anno 1230…, op. cit., col. 655, XXIII. Sull’operazione si veda anche A. Grimoldi, Il Palazzo della
Ragione. I luoghi dell’autorità cittadina nel centro di Milano, Milano, Arcadia Edizioni, 1983, p. 28.
13. Galvaneus Flamma, Chronicon extravagans de antiquitatibus Mediolani, a cura di A. Ceruti,
Miscellanea di storia italiana, 7, 1869, p. 445-505: p. 452-453.
14. Milano, Bibl. Ambrosiana, ms. A 275 inf., fol. 46v.
15. Cfr. P. Boucheron, «La carta di Milano di Galvano Fiamma/Pietro Ghioldi (fine XIV secolo)»,
in M. Folin (a cura di), Rappresentare la città. Topografie urbane nell’Italia di antico regime,
Reggio Emilia, Diabasis, 2010, p. 77-97: p. 86 per la citazione.
16. Cfr. A. Scotti, «Le trasformazioni cinquecentesche delle piazze di Milano», Annali di architet-
tura, 4/5, 1992/1993, p. 202-214: p. 204.
17. P. Boucheron, Le pouvoir de bâtir…, op. cit., p. 108.
18. Cfr. Cronaca di Goffredo da Bussero, a cura di L.  Grazioli, Archivio storico lombardo, 33/10,
1906, p. 227-245: p. 244 e Galvaneus Flamma, Manipulus florum, op. cit., col. 670. Cfr. anche
A. Grimoldi, Il Palazzo della Ragione…, op. cit., p. 71, nota 2. Su Aliprando Fava cfr. F. Menant,
s.  v. «Faba (Fava), Aliprando», in Dizionario Biografico degli Italiani, Roma, Istituto della
Enciclopedia Italiana, 1993, t. 43, p. 604-606.

34
Palatia que appellantur de comuni

Fig. 1 – Pietro Ghioldi (?), Pianta idealizzata di Milano, Milano,


Biblioteca Ambrosiana, ms. A 275 inf., fol. 46v (da M. Folin [a cura di],
Rappresentare la città. Topografie urbane nell’Italia di antico regime,
Reggio Emilia, Diabasis, 2010, p. 77).

35
m at teo fer r a r i

Fig. 2 – Iscrizione con la sentenza del 1177, Brescia, Palazzo della Loggia
(dal portale maggiore della cattedrale di San Pietro). © M. Ferrari.

bresciano attorno alle fabbriche pubbliche 19. Una nuova ricognizione delle


fonti documentarie e una più puntuale analisi del monumento, resa possibile
dalla campagna di restauro da poco conclusa, consentono tuttavia di aggiun-
gere altri tasselli a questa vicenda e di valutare quali ricadute sull’assetto urbano
ebbe la costruzione dei palazzi pubblici bresciani, in una prospettiva che tenga
conto dei rapporti fra morfologie architettoniche e strutture sociali. Del resto,
a mio avviso, proprio nell’evoluzione delle fabbriche comunali bresciane si
notano i segni rivelatori della crescente capacità d’iniziativa nell’organizzazione
dello spazio urbano sviluppata dalle magistrature civiche, impegnatesi nella
costruzione di un complesso che, fatto salvo il suo scopo funzionale, servisse
da luogo di presentazione e di rappresentazione dell’istituzione comunale e
delle sue prerogative.

19. Per citare i titoli più esemplificativi: G.  Panazza, L’arte medioevale nel territorio bresciano,
Bergamo, Istituto italiano d’Arti grafiche, 1942, p.  158-174; G.  Andenna, «La signoria del
vescovo Berardo Maggi e la creazione della piazza del potere. Brescia tra XIII e XIV secolo», in
E. Guidoni, U. Soragni (a cura di), Lo spazio nelle città venete (1152-1348), Atti del II convegno
nazionale di studio (Verona, 11-13 dicembre 1997), Roma, Edizioni Kappa, 2002, p. 182-191;
M. Rossi, «Il centro del potere e i luoghi del popolo: le cattedrali e il Broletto di Brescia (1187-
1308)», Commentari dell’Ateneo di Brescia, 205, 2006 (2009), p. 88-118.

36
Palatia que appellantur de comuni

A Brescia, un palazzo civico era sorto entro il 1187, affiancando o sosti-


tuendo una prima laubia documentata nel 1183 20. Abbandonata da secoli l’an-
tica piazza del foro, la sede dell’autorità politica secolare sorse su un terreno
attiguo alla cattedrale di San Pietro. Fino ad allora occupato da case basse e orti
(domus terranee et ortulus), era stato venduto proprio a tale scopo dai canonici
del Duomo ai consoli del Comune 21. L’esatta collocazione dell’edificio è però
difficile da determinare: da un lato i documenti forniscono indicazioni scarne
e ambigue, dall’altro l’intera area risulta completamente stravolta, rispetto
all’assetto medievale, per la costruzione della nuova cattedrale barocca e la
sistemazione della piazza antistante 22. È però plausibile che questo primo
palazzo fosse situato lungo il fianco settentrionale di San Pietro, insistendo più
precisamente nello spazio compreso tra l’ingresso laterale della chiesa e l’ideale
prolungamento della sua facciata. La vicinanza tra i due edifici spiegherebbe
perché, qualche tempo più tardi, si fosse ritenuto necessario proibire il lancio
di oggetti dalle finestre dell’antico palazzo civico verso il tetto della catte-
drale, che il primo doveva evidentemente sovrastare 23. La struttura si sarebbe
pertanto affacciata direttamente sulla piazza della concione che, da più tardi
documenti, ci pare di poter situare a nord est del battistero di San Giovanni 24.
Come a Pavia e Bergamo e, inizialmente, a Novara 25 e Milano 26 la prossi-
mità del palazzo comunale con la chiesa del vescovo offriva sicuri vantaggi fun-
zionali, per la possibilità di disporre di un ampio luogo coperto per le r­ iunioni

20. F. Odorici, Storie bresciane dai primi tempi sino all’età nostra, seconda edizione, Brescia, Edizioni
del Moretto, 1984 (ed. or. 1853-1865), t. 6, p. 49, doc. CLVII. Cfr. almeno G. Panazza, L’arte
medioevale…, op. cit., p. 161; J. Paul, Die mittelalterlichen Kommunalpaläste in Italien, Dresden,
Photostelle der Universität, 1963, p. 131.
21. Liber potheris communis civitatis Brixiae, a cura di F. Bettoni Cazzago, L. F. Fè d’Ostiani e
A. Valentini, in Historiae Patriae Monumenta, Augustae Taurinorum, E regio Typographeo,
1899, t. 19, X, col. 25.
22. L’intervento edilizio fu preceduto da una serie di demolizioni lungo il lato settentrionale
dell’antica cattedrale; cfr. V. Volta, «Diario del cantiere. Regesto cronologico delle fonti», in
G. Capra et al., Le cattedrali di Brescia, Brescia, Grafo, 1987, p. 103-125.
23. Statuti bresciani del secolo XIII, in Historiae Patriae Monumenta, t. 16: Leges municipales, t. 2/2,
Augustae Taurinorum, E regio Typographeo, 1876, col. 95-280: col. 100 (la disposizione data
al 1248), ripreso anche da V. Volta, Il palazzo del Broletto di Brescia, Brescia, Editrice La Scuola,
1987, p. 13 che colloca però il palazzo davanti alla cattedrale.
24. Cfr. Milano, Archivio di Stato, PE, cart. 65, doc. 224 riportato, in estratto e in traduzione, da
P. Trotti, «San Cosma e Damiano a Brescia. Per una rilettura critica delle origini del monastero
femminile», Brixia sacra, 1/2, 2000, p. 45-72: p. 61.
25. G. Andenna, «Potere politico e comunicazione simbolica del potere nel Medioevo lombardo:
il palacium Comunis», in Il Complesso Monumentale del Broletto di Novara e la nuova Galleria
Giannoni, Torino, Edizioni Celid, 2011, p. 25-37: p. 30.
26. F. Bocchi, «Il disegno della città negli atti pubblici dal XII al XIV secolo», in C. Bertelli (a cura
di), Il Millennio ambrosiano, t. 3: La nuova città dal Comune alla Signoria, Milano, Electa, 1989,
p. 208-237: p. 225.

37
m at teo fer r a r i

dei ­consigli, soprattutto in caso di condizioni meteorologiche avverse 27, e di


uno spazio visibile e frequentato per la rappresentazione della città e delle
sue istituzioni: nella cattedrale era conservato il carroccio 28 e sul suo portale
maggiore, nel 1177, era già stata murata un’iscrizione col testo di una sentenza
emessa dai consoli 29 (fig. 2).
La costruzione dei palazzi pubblici all’ombra della cattedrale e col consenso
dell’episcopio è però anche imputabile all’incapacità delle magistrature civi-
che di operare, a quest’altezza cronologica, in piena autonomia sul piano della
ristrutturazione dello spazio urbano, almeno laddove questo era più fittamente
edificato od occupato da poteri concorrenti. Negli ultimi decenni del XII secolo,
in altre zone della città, il ceto dirigente bresciano non mancò, infatti, d’intra-
prendere iniziative urbanistiche d’ampio respiro. Si trattava però essenzialmente
d’interventi di carattere funzionale, attuati in aree interne alla cinta muraria,
ma marginali e caratterizzate da un tessuto insediativo più rado (come per la
nuova piazza del mercato, aperta nel 1173), oppure esterne alla città stessa (come
per il primo ampliamento della cinta urbana nel 1184-1186) 30. L’assenza di una
progettualità urbanistica equamente distribuita sull’intero spazio urbano può
essere apprezzata, per contrasto, proprio guardando alle sedi delle pubbliche
magistrature. Nelle fasi della loro realizzazione le autorità civiche dimostrarono
una capacità crescente di controllo delle operazioni, preludio del grande pro-
getto di pianificazione urbanistica attuato nell’area inclusa nell’ampliamento
della cerchia muraria avviato nel 1237 31.

27. Non si trattava comunque di un utilizzo stagionale della cattedrale, dal momento che vi
furono siglati atti tanto in inverno (F. Odorici, Storie bresciane…, op. cit., t. 6, p. 45, doc. CLI,
13 gennaio 1180), quanto in estate (Liber potheris…, op. cit., doc. X, col. 27, 8 giugno 1187).
28. Statuti bresciani del secolo XIII, op. cit., col. 185.
29. L’iscrizione, smurata dalla sua sede originaria (dove la documenta Sebastiano Aragonese,
Monumenta antiqua urbis et agri brixiensis, Brescia, Biblioteca Civica Queriniana, ms. A.II.14,
fol.  91, 118) con l’abbattimento della cattedrale medioevale, fu inserita nel 1671 sul portale
d’accesso allo scalone del Palazzo della Loggia, dove ancora si conserva; cfr. M. Ferrari, La pro-
paganda per immagini nei cicli pittorici dei palazzi comunali lombardi (1200-1337). Temi, funzioni,
committenza, tesi Ph. D., rel. M. M. Donato, Scuola Normale Superiore, 2011, p. 270-271 e,
in breve, M. Rossi, «Le cattedrali e il Broletto di Brescia fra XII e XIV secolo: rapporti e com-
mittenze», in A. C. Quintavalle (a cura di), Medioevo: la Chiesa e il Palazzo, Atti del convegno
internazionale di studi (Parma, 20-24 settembre 2005), Milano, Electa, 2007, p. 528-542: p. 528.
30. Cfr. U. Soragni, «La cultura urbanistica a Brescia da piazza del Mercato Nuovo a Piazza della
Vittoria (secc. XII-XX)», Storia della città, 15/54-56, 1990, p. 11-22: p. 11-12. Sull’urbanizzazione
del settore occidentale della città si veda G. Andenna, «Il monastero e l’evoluzione urbanistica
di Brescia tra XI e XII secolo», in C. Stella, G. Brentegani (a cura di), S. Giulia di Brescia.
Archeologia, arte, storia di un monastero regio dai Longobardi al Barbarossa, Atti del convegno
internazionale (Brescia, 4-5 maggio 1990), Brescia, s. n., 1992, p. 93-118.
31. Cfr. E.  Guidoni, La città dal Medioevo al Rinascimento, Roma/Bari, Laterza, 1989, p.  115-
117 e id., «Appunti per una storia dell’urbanistica nella Lombardia tardo medioevale», in

38
Palatia que appellantur de comuni

Come in altri Comuni dell’area padana, il primo palazzo civico risultò


presto insufficiente, per le dimensioni modeste, inadatte a una macchina buro-
cratica in continua espansione, e forse anche per l’aspetto dimesso 32. Chiuso
tra la piazza della concione e un ingresso laterale del duomo, il «pallatiolo 33»,
costruito almeno parzialmente in legno 34, era dotato di un portico 35 e di un
piano superiore, dal quale si poteva forse accedere a quella laubia lignea che,
ragionevolmente, doveva costituirne una sorta di avancorpo aggettante sulla
piazza 36. Ancor meno sappiamo della decorazione dell’edificio, forse limitata
a quella camera depicta menzionata nel 1218 37.
Il nuovo Broletto fu fondato all’indomani del terremoto del natale del
1222 (fig. 3). L’evento calamitoso, registrato da numerose cronache, danneggiò
probabilmente il primo palazzo civico, che fu comunque riparato o rico-
struito. In effetti, un palatium vetus restò in uso per altri due secoli come
residenza del podestà e come sede di altre magistrature 38. La costruzione del
nuovo complesso civico segnò un netto cambiamento di rotta nelle iniziative
monumentali del Comune, a partire dalle procedure di acquisto delle aree.
Come avverrà di lì a breve per il Broletto Nuovo di Milano 39, sono i funzionari

C. Pirovano (a cura di), Lombardia. Il territorio, l’ambiente e il paesaggio, t. 1: Dalle incisioni
rupestri alla sintesi leonardesca, Milano, Electa, 1981, p. 109-162: p. 127-136.
32. È comunque possibile che, fin dalla fine del XII secolo, il comune bresciano possedesse più
sedi destinate alle proprie magistrature; nel 1220 il consiglio generale si riunì infatti in pallatio
maiori comunis: Liber potheris…, op. cit., doc. LXXII, col. 313.
33. Statuti bresciani del secolo XIII, op. cit., col. 242, anno 1282.
34. F. Odorici, Storie bresciane…, op. cit., t. 7, p. 34, doc. CCXXXVIII (6 marzo 1206).
35. Brescia, Archivio di Stato, ASC 1044/4, Statuta communis civitatis Brixie, fol. 198r (anno 1278):
porticus broletti novi et veteris.
36. Troviamo atti siglati […] supra lobiam lignorum comunis Brixie […] (http://cdlm.unipv.it/­
edizioni/bs/serle-spietro/carte/serle1199-11-07, in data 7  novembre 1199) e sopratutto super
laubia lignorum Palatii Veteris Comunis Brixie (B. Zamboni, Memorie intorno alle pubbliche
fabbriche più insigni della città di Brescia, Brescia, Pietro Vescovi, 1778, p. 5, in data 1251; ripreso
da G. Panazza, L’arte medioevale…, op. cit., p. 161). Sulle funzioni dei portici nei palazzi comu-
nali vedasi ora K. Sexton, «Political Portico: Exhibiting Self-Rule in Early Communal Italy»,
The Art Bulletin, 97/3, 2015, p. 258-278.
37. Liber potheris…, op. cit., col. 113, doc. XLI (citato anche da G. Panazza, L’arte medioevale…,
op. cit., p. 161, 163; F. Buonincontri, Scultura a Bergamo…, op. cit., p. 122, nota 211; M. Rossi,
«Le cattedrali e il Broletto…», op. cit., p. 528). Su questo primo palazzo si veda ora il mio
«Il Broletto di Brescia. Dalla prima laubia al Palazzo nuovo del Comune», in A.  Calzona,
G. M. Cantarella (a cura di), Dalla Res Publica al Comune: uomini, istituzioni, pietre dal XII al
XIII secolo, Atti del convegno (Mantova, 3-6 dicembre 2014), Verona, Scripta Edizioni, 2016,
p. 207-229.
38. Cfr. Liber potheris…, op. cit., doc. CXXVI, col. 567, anno 1282 (per l’utilizzo dell’edificio come
residenza del podestà) e Statuti bresciani del secolo XIII, op. cit., col. 242, anno 1282 (per il suo
impiego come sede della magistratura degli Otto). Un broletto vecchio è nominato ancora negli
statuti del 1385: Brescia, Archivio di Stato, ASC 1045, Statuta communitatis Brixiae 1385, fol. 8v.
39. Cfr. F. Bocchi, «Il disegno della città…», op. cit., p. 227.

39
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Fig. 3 – Brescia, Palazzo del Broletto. © M. Ferrari.

40
Palatia que appellantur de comuni

comunali a gestire in prima persona l’acquisizione dei terreni situati a nord


del palatium vetus, oltre la strata Medalli, attraverso una complessa rete di
­transazioni fondiarie. Dagli atti di acquisto, perfezionati nel 1227 e quindi
raccolti nel liber iurium del Comune 40, apprezziamo lo sforzo compiuto dai
funzionari pubblici per ricomporre una proprietà molto frammentata, tra
parti cedute in allodio, a livello o a feudo 41, suddivise tra istituzioni ecclesia-
stiche 42 e privati cittadini. Tra questi ultimi erano i Poncarali, che cedettero
un fondo comprendente diversi edifici, una corte e una casa-torre, che la
tradizione identifica, probabilmente a ragione, con quella inglobata nell’an-
golo sud-orientale della nuova fabbrica 43. Nel 1232 lo sviluppo verso nord
del Broletto fu assicurato dall’acquisizione di altri terreni localizzati attorno
alla chiesa di Sant’Agostino, che finì così per essere fagocitata dalle fabbriche
comunali. Questa non fu però mai trasformata in cappella di palazzo, ma restò
di proprietà e giurisdizione del capitolo del Duomo 44. Uno stretto passaggio
tra il confine settentrionale del palazzo e il perimetrale sud della chiesa fu
quindi preservato per consentire lo stillicidio delle acque piovane e l’accesso
all’edificio sacro ai religiosi 45.
Nell’ampia area, liberata da un abitato frammentato e modesto, fu messo
in atto un programma edilizio organico e di ampio respiro, forse pianificato
da Garefa di Porta Nuova, misuratore del Comune, e diretto dai due «super-
stantes» ai lavori, Bonaventura Medico e Giovanni della Porta 46. All’interno
di uno spazio chiuso, su tre lati, da un alto muro in pietre bugnate 47 (fig. 4),
il nuovo centro amministrativo si componeva di due corpi di fabbrica: a sud

40. Liber potheris…, op. cit., col. 118-157, doc. XLIV-1-25.


41. Si veda, ad esempio, ibid., col. 144-146, doc. XLIV-18.
42. Tra i proprietari coinvolti erano il monastero benedettino femminile dei Santi Cosma e
Damiano (ibid., col.  125-126, doc.  XLIV-4) e quello maschile dei Santi Faustino e Giovita
ceduto in feudo a Marchesio de Carzia (ibid., col. 140-141, doc. XLIV-15).
43. Ibid., col. 118-120, doc. XLIV-1 e col. 123-124, doc. XLIV-3. Il sedime venduto dai Poncarali era
probabilmente il più esteso e di valore maggiore, come attesta la somma decisamente più alta
che fu loro corrisposta; cfr. G. Andenna, «La signoria del vescovo Berardo Maggi…», op. cit.,
p. 184. Sulla conservazione della torre nel palazzo duecentesco si veda C. Zani, «Il Broletto delle
sorprese. Dai lavori per la “nuova Queriniana” una diversa immagine della Torre Poncarali»,
AB. Atlante Bresciano, 3, 1985, p. 95-96.
44. Cfr. A. Breda, «La chiesa di Sant’Agostino in Broletto», Brixia sacra, 3/10/3-4, 2005, p. 129-146:
p. 129. La chiesa medievale insisteva sull’area su cui sorse quella oggi visibile, datata agli anni
della signoria di Pandolfo Malatesta (1404-1421).
45. Liber potheris…, op. cit., col. 160-164, doc. XLVI-XLVI bis.
46. Nominati in ibid., col. 163-164, doc. XLVI bis; sulle maestranze attive per il Comune bresciano
cfr. M. Rossi, «Le cattedrali e il Broletto…», op. cit., p. 528.
47. Il tratto di muro posto sul lato settentrionale è già segnalato da G. Panazza, L’arte medioevale…,
op. cit., p. 162.

41
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Fig. 4 – Brescia, Palazzo del Broletto, particolare del muro perimetrale


di recinzione. © A. Breda.

42
Palatia que appellantur de comuni

il Palatium novum maius, in uso dal 1226 48, e a est il Palatium novum minus,
forse completato in un secondo tempo, ma comunque già operativo nel 1227 49.
La cittadella del potere civico, accessibile da cinque portali aperti nei giorni
e negli orari stabiliti dagli statuti 50, costituiva un insieme organico col vecchio
palazzo, cui era forse collegato per mezzo di un ponte ligneo innestato sul peri-
metrale meridionale del Palatium maius. A questa struttura potrebbe infatti
essere connessa la porta tamponata individuabile all’altezza del mezzanino
(fig. 5), accostata da scassi nella muratura che ci sembrano compatibili all’inse-
rimento di mensole di sostegno, lignee o lapidee, per un apparato a sporgere 51.
Del resto, negli stessi anni, altri centri dell’Italia settentrionale stavano creando
simili «insulae amministrative» mettendo in comunicazione gli edifici civici
attraverso passaggi aerei, al modo in cui erano di solito collegati i fabbricati
appartenenti a un’unica consorteria: un ponte univa, a Padova, il Palazzo della
Ragione con la prima residenza del podestà; a Reggio Emilia, il Palazzo del
Comune con la residenza del capitano del Popolo 52; a Parma il Palazzo del
Comune con quello del podestà 53. In questo modo si garantivano comodi col-
legamenti tra le varie sedi amministrative e si evitava che i magistrati forestieri
si trovassero quotidianamente a contatto col mondo esterno, esponendosi a
pericoli di aggressione e, soprattutto, a possibili pressioni o tentativi di corru-
zione 54. Più in generale, e l’esempio di Milano o quello più tardo di Padova lo

48. Liber potheris…, op. cit., col. 398, doc. CVI.


49. Ibid., col. 144-146, doc. XLIV-18. L’ipotesi che l’ala orientale del Broletto fosse stata costruita
in due tempi è stata avanzata da G. Lupo, «La discontinuità nel modo di costruire medievale:
il Palatium novum minus del Broletto di Brescia», Tema, 4, 1995, p. 52-62. È possibile che la
porzione settentrionale del fabbricato sia stata ultimata solo dopo il perfezionamento degli
acquisti del 1232.
50. Statuti bresciani del secolo XIII, op. cit., col. 104.
51. Si veda M. Ferrari, «La scultura a Brescia nell’età dei Maggi (1298-1316). Un maestro veronese
per la Loggia delle Grida del Broletto», Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz,
66/1, 2014, p. 3-37.
52. Per il podiolum reggiano, realizzato nel 1281, cfr. Chronicon regiense. La Cronaca di Pietro
della Gazzata nella tradizione del codice Crispi, a cura di L. Artioli, C. Corradini e C. Santi,
Reggio Emilia, Fondazione Giulia Maramotti, 2000, p. 72. Per quello padovano si rimanda
ad A. Gloria, «Intorno al Salone di Padova cenni storici con documenti», Rivista periodica dei
Lavori della Regia Academia di Scienze, Lettere ed Arti in Padova, 29, 1879, p. 125-192: p. 174,
doc. 13; il collegamento fu mantenuto anche dopo la ricostruzione del palazzo del podestà nel
1272: G. Valenzano, «La cultura architettonica a Padova nel primo Trecento e Giovanni degli
Eremitani», in ead., F. Toniolo (a cura di), Il secolo di Giotto nel Veneto, Venezia, Istituto Veneto
di Scienze, Lettere ed Arti, 2007, p. 277-307: p. 279.
53. Il balatorium parmense fu costruito nel 1246 e ricostruito nel 1323-1324: J.  Schulz, «The
Communal Buildings of Parma», op. cit., p. 292-293.
54. Cfr. per Brescia, Statuti bresciani del secolo XIII, op. cit., art. 668, ripreso negli statuti del 1385:
Brescia, Archivio di Stato, ASC 1045, op. cit., fol. 6v.

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Fig. 5 – Brescia, Palazzo del Broletto, porta murata. © M. Ferrari.

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Palatia que appellantur de comuni

confermano, la prossimità delle fabbriche pubbliche e l’affaccio su uno spazio


aperto condiviso erano comunque obiettivi perseguiti con estrema costanza 55.
Le nuove fabbriche, imposte da esigenze funzionali, furono fin da subito rive-
stite di un’inedita funzione simbolica, già insita nel loro impatto m ­ onumentale.
Lo riscontriamo non solo nelle loro dimensioni, ma anche nell’accurata tessi-
tura muraria, nell’esecuzione degli elementi architettonici non priva di guizzi
ornamentali, nella scelta dei materiali accostati con un ricercato effetto cro-
matico: qui un marmo rosa, forse di provenienza veronese, fu impiegato per
cornici e colonnine in contrasto con la pietra calcarea locale, dalle tonalità
bianco-­grigiastre 56 (fig. 6). In questa fase il palazzo bresciano era sprovvisto di
decorazioni pittoriche, tanto all’esterno quanto all’interno, e tale rimase, con
tutta probabilità, fino agli anni Settanta del Duecento, quando furono realizzate
le pitture dell’aula dei consigli e di altri ambienti all’interno dell’ala orientale e
di quella occidentale 57. Sui prospetti del corpo di fabbrica meridionale, sobri ma
imponenti, erano invece incastonati pochi ma sceltissimi elementi decorativi,
figurati e non, atti a rappresentare le prerogative e il prestigio dell’isti­tuzione
comunale. Nella facciata settentrionale del Palatium maius, i capitelli di una
polifora erano ornati da un ciclo dei mesi 58, tema comune nella scultura padana
dell’epoca ma anche parte di un repertorio da tempo in uso per edifici di rilievo,
passato anche alle sedi deputate all’amministrazione della giustizia e a quelle
comunali. Lo attestano, lontani nello spazio ma non nel tempo, il ciclo pitto-
rico dell’Aula di Giustizia dei Santi Quattro Coronati a Roma e quello, sempre
nella capitale, del palazzo senatorio, risalente al tardo Duecento 59.

55. Cfr., per Padova, S. Bortolami, «“Spaciosum, immo speciosum palacium”. Alle origini…»,
op. cit., passim.
56. Dalle fotografie d’epoca si evince che questi elementi furono abbondantemente integrati nel
corso dei restauri otto-novecenteschi, ma non inventati; cfr. anche G. Panazza, L’arte medio­
evale…, op. cit., p. 165, 170. La ricerca di un effetto coloristico attraverso l’uso di materiali diversi
è una costante nei palazzi civici lombardi (si pensi al Broletto di Como!): «I broletti lombardi»,
in M. P. Alberzoni et al., La Lombardia dei Comuni, Milano, Electa, 1988, p. 111-116: p. 112.
57. Sulle pitture del Broletto rimando al mio «Pittura e politica nel tardo Medioevo b­ resciano. Note
sull’uso delle immagini», in S. Marazzani (a cura di), Storia dell’arte? Percorsi tra Brescia e la Valle
Camonica, Brescia, Fondazione Annunciata Cocchetti, 2013, p. 57-65 con bibliografia indicata.
58. Da ultima, F. Stroppa, «Natura e figura nella rappresentazione dei mesi», in A. C. Quintavalle
(a cura di), Medioevo: natura e figura, Atti del convegno di Parma (20-25  settembre 2011),
Ginevra/Milano, Skira, 2015, p. 447-461.
59. Cfr. A. Draghi, «I dipinti dell’Aula Gotica», in ead. et al. (a cura di), Gli affreschi nell’Aula gotica
nel Monastero dei Santi Quattro Coronati. Una storia ritrovata, Ginevra/Milano, Skira, 2006,
p. 17-107 e S. Romano, Eclissi di Roma. Pittura murale a Roma e nel Lazio da Bonifacio VIII a
Martino V (1295-1431), Roma, Argos, 1992, p. 48-49. Sui cicli dei Mesi, con specifici riferimenti
a quelli realizzati nell’Italia settentrionale tra XII e XIII  secolo, vedasi G.  Tigler, Il portale
maggiore di San Marco a Venezia. Aspetti iconografici e stilistici dei rilievi duecenteschi, Venezia,
Istituto veneto di scienze, lettere ed arti, 1995, p. 153-218.

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Fig. 6 – Brescia, Palazzo del Broletto, facciata occidentale del Palatium maius
con la Loggia delle Grida. © M. Ferrari.

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Palatia que appellantur de comuni

Nel Broletto bresciano, in mancanza di un vero affaccio su una piazza


–  quella deputata alle assemblee generali si allungava piuttosto davanti al
palazzo vecchio e alla cattedrale –, gli elementi connotati da una più chiara
valenza simbolica si concentravano sul prospetto meridionale del Palatium
maius e, in particolare, attorno al suo portale (fig.  7). Allo stesso tempo,
­l’ornamentazione designava l’ingresso al luogo dell’esercizio del potere, riba-
dendo la specificità dell’edificio nel tessuto urbano e la sua alterità rispetto
all’antistante duomo, e contribuiva alla costruzione dell’immagine dell’auto-
rità politica che via aveva sede 60. Al portone, oggi scomparso, appartennero
forse i due picchiotti bronzei in forma di teste di leone (fig. 8), murati sui lati
opposti dell’arco esterno d’ingresso fino al 1992-1993, quando furono trasferiti
nel locale museo civico 61. Simili a quelle, d’ignota provenienza, murate in una
fontanella di fattura moderna nel Broletto di Novara 62, le due protomi costi-
tuivano una presenza significativa, più per la valenza simbolica e profilattica
della figura leonina 63 che per l’impatto visivo del portale. Quest’ultimo, infatti,
avrebbe difficilmente retto il confronto, per restare in zona, con i perduti
battenti in bronzo che sappiamo installati nel 1245 nel palazzo comunale di
Cremona a chiusura dei suoi due nuovi accessi 64. In alto, l’autorità politica
e giudiziaria dei magistrati era rappresentata da due figure a rilievo, già nella
prima metà del Quattrocento oggetto di una fantasiosa rilettura 65 (fig.  9):
un uomo con un cartiglio e una testa coronata, immagine, quest’ultima, che

60. Sulla porta come soglia cfr. J.-C. Schmitt, «Le seuil et la porte. À propos de la Porta Romana
de Milan», in P. Boucheron, J.-P. Genet (a cura di), Marquer la ville: signes, empreintes et traces
du pouvoir dans les espaces urbains (xiiie-xviie siècle), Atti del convegno (Roma, 10-12 dicembre
2009), Parigi, Publications de la Sorbonne, 2013, p. 163-180.
61. Cfr. G. Panazza, L’arte medioevale…, op. cit., p. 167 e A. Calzona, «Scheda 40 (due picchiotti
con protomi leonine)», in id., A. C. Quintavalle (a cura di), Wiligelmo e Matilde. L’officina
romanica, Milano, Electa, 1991, p. 433: entrambi anticipano la datazione dei pezzi e li riten-
gono, a mio avviso senza ragioni evidenti, provenienti da altra sede.
62. La fontana fu probabilmente costruita nell’ambito del cantiere di restauro diretto da Cesare
Bertea (1928-1931), quando fu realizzata anche la scala retrostante; cfr. E. Mongiat, «Il restauro
del Broletto tra la fine dell’Ottocento e la prima metà del Novecento», in Il Complesso
Monumentale del Broletto…, op. cit., p. 74-75.
63. Cfr., in breve, A.  Trivellone, «Têtes, lions et attributs sexuels: survivances et évolutions de
l’usage apotropaïque des images de l’Antiquité au Moyen Âge», Les Cahiers de Saint-Michel de
Cuxa, 39, 2008, p. 209-221: p. 216-218.
64. Ricordati da Annales Cremonenses 1096-1270, a cura di O.  Holder-Egger, Hannover, Hahn
(MGH. Scriptores, 31), 1903, p. 1-21: p. 17, e, più tardi, da A. Campi, Cremona fedelissima città
e nobilissima colonia de Romani, Cremona, Antonio Campi, 1585, p. 41.
65. Iacobus Malvecius, Chronicon brixianum ab origine urbis ad annum usque MCCCXXXIII, a
cura di L. A. Muratori, Mediolani, Typographia societatis palatinae in regiae curia (Rerum
Italicarum Scriptores, 14), 1729, col. 771-1004: col. 901-902, cap. CI.

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Fig. 7 – Brescia, Palazzo del Broletto, portale meridionale. © M. Ferrari.

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Palatia que appellantur de comuni

Fig. 8 – Protome leonina, bronzo, Brescia, Museo di Santa Giulia


(dal Palazzo del Broletto, portale meridionale).
© Archivio fotografico dei civici musei di Brescia.

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Fig. 9 – Testa coronata, Brescia, Palazzo del Broletto,


portale meridionale. © M. Ferrari.

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Palatia que appellantur de comuni

negli stessi anni troviamo in altri edifici pubblici di area padana (a Como, a
Cremona, a Padova) 66.
Varcata la soglia, il discorso simbolico abbandonava la figurazione. La
monumentalità dell’edificio era qui trasmessa, piuttosto, dall’andamento
­ritmico delle architetture, dall’accostamento dei materiali, dalla posa accu-
rata dei conci, con limitate concessioni all’ornamentazione. La sobrietà delle
murature dava però evidenza agli elementi antichi di reimpiego, la cui presenza
viene a confermare l’uso affermato nei centri comunali contemporanei di mar-
care con frammenti romani i luoghi nevralgici della vita politica: a Milano,
frammenti di iscrizioni romane sono inseriti negli archi del Broletto Nuovo,
dove fu murato anche il rilievo della scrofa semi-lanuta, forse di fattura medie-
vale 67, ma comunque evocatore della leggenda eziologica di Mediolanum 68; a
Padova, due capitelli tardo antichi impreziosiscono il portico del Palazzo del
Consiglio, realizzato nel 1285 69; a Verona, un rilievo antico figurato è innestato
sullo spigolo del portale meridionale del Palazzo della Ragione. In generale
la presentazione esibita, e perciò intenzionale, di questi materiali rispondeva
a un’intenzione comunicativa e non soltanto funzionale o ornamentale. Il
materiale antico permetteva, infatti, di evocare il passato romano della città, già
allora avvertito come parte integrante dell’identità locale, garantendo all’isti-
tuzione comunale un sicuro ritorno in termini di prestigio e di rivendicazione
di appartenenza alla comunità che governava 70.

66. Ne abbiamo riferito in La propaganda per immagini…, op. cit., p. 25. Sulla testa cremonese si
veda G. Voltini, «Le fasi della costruzione del palazzo e l’impianto medievale originario», in
A. Foglia (a cura di), Il Palazzo Comunale di Cremona. L’edificio, la storia delle istituzioni, le
collezioni, Cremona, Banca Cremonese, 2006, p. 59-119: p. 75, 78 che la interpreta come una
«metafora della regalità».
67. Cfr. A.  Calderini, «Storia e leggenda intorno alle origini di Milano», in id. (a cura di),
Lombardia Romana, Milano, Casa Editrice Ceschina, 1938, p. 13-35: p. 18. Più in generale, sul
tema del reimpiego dell’antico in area lombarda si rimanda a A. Sagagni Malacart, «La ripresa
dell’antico nelle testimonianze romaniche lombarde: alcuni esempi a Milano e a Pavia», in
A.  C.  Quintavalle (a cura di), Medioevo: il tempo degli antichi, Atti del convegno (Parma,
24-28 settembre 2003), Milano, Electa, 2006, p. 382-397.
68. La legenda onomastica, la cui versione più antica risale almeno a Sidonio Apollinare, collega
la fondazione della città al ritrovamento di una scrofa (o cinghiale) parzialmente coperta
di lana. In generale, sull’uso «repubblicano» dell’antico valgono le riflessioni di A.  Esch,
«L’uso dell’antico nell’ideologia papale, imperiale e comunale», in Roma antica nel Medioevo:
mito, rappresentazione, sopravvivenze nella «Respublica Christiana» dei secoli  IX-XIII, Atti
della XIV settimana internazionale di studio (Mendola, 24-28 agosto 1998), Milano, Vita e
Pensiero, 2001, p. 3-25: p. 13-22.
69. G. Valenzano, «La cultura architettonica…», op. cit., p. 280-281 e, anche per una più ampia rifles-
sione sul reimpiego in area padovana, G. Bodon, «Il reimpiego dell’antico nella Padova medio­
evale: aspetti e significati del fenomeno», in G. Cuscito (a cura di), Riuso di monumenti e reimpiego
di materiali antichi in età postclassica: il caso della Venetia, Trieste, Editreg, 2012, p. 219-228.
70. A. Esch, «L’uso dell’antico…», op. cit., p. 15-16.

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Fig. 10 – Iscrizione romana composita di reimpiego, Brescia,


Palazzo del Broletto, portale meridionale. © M. Ferrari.

Nel Broletto di Brescia il reimpiego dell’antico fu comunque dettato in parte


anche da esigenze pratiche. È questo il caso dei grandi blocchi litici impiegati
per il basamento della torre poi detta del Popolo. In altri punti del palazzo,
l’uso di questi materiali era invece finalizzato alla trasmissione di un messaggio.
La città offriva del resto una grande disponibilità e varietà di materiale antico e
i costruttori bresciani vantavano già una collaudata pratica di reimpiego nella
costruzione delle fabbriche religiose 71. Nel palazzo comunale furono impiegati
esclusivamente frammenti epigrafici, privi di figurazioni. Tre frammenti iscritti
erano stati ricomposti proprio in corrispondenza del varco d’accesso meridio-
nale (fig. 10), dal lato verso la corte, in modo da accentuarne così l’importanza
nella gerarchia degli spazi. Le iscrizioni erano disposte senza un particolare
interesse per la leggibilità delle lettere – del resto quanti sarebbero stati in grado
di decifrarle? – ma in modo da risultare ben visibili a chiunque vi transitasse
davanti: la loro importanza era chiaramente determinata dalla tangibile anti-
chità e non dal contenuto di cui potevano essere portatrici. A questo singolare

71. Per una panoramica si veda P. Guerrini, Iscrizioni bresciane, Brescia, Scuola tipografica Istituto
figli di Maria Immacolata, 1925, t. 1. Per uno studio di caso cfr. F. Morandini, «Marmi antichi
nel monastero di Santa Giulia a Brescia», in G. Cuscito (a cura di), Riuso di monumenti…,
op. cit., p. 203-217: p. 208-213.

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Palatia que appellantur de comuni

patchwork si aggiungevano altre tre epigrafi romane, oggi scomparse, docu-


mentate nella raccolta epigrafica compilata a metà Cinquecento da Sebastiano
Aragonese, pittore di scarsa levatura, ma che «nel disegnar di penna riuscì per-
fetto, et molto singolare 72». Se l’Aragonese prendeva coscienziosamente nota
dell’appena menzionata iscrizione che egli già documentava in Broleto sub porta
qui respicit Ecclesiam Cathedralem, purtroppo non fu altrettanto preciso con
gli altri tre frammenti riprodotti nel suo album (fig. 11). Di questi sappiamo
così solo che si trovavano in Broleto, in Broleto ad officinam Magistri Hieronimi
Cultelarii, in broleto in fenestra quadam 73.
L’instabilità politica che segnò gli anni Cinquanta-Sessanta determinò una
stasi nello sviluppo delle fabbriche civiche bresciane e, più in generale, degli
interventi urbanistici del Comune, archiviati col completamento delle mura
nel 1255 74. Un nuovo fervore edilizio si manifestò solo a partire dai tardi anni
Settanta, a seguito dell’innesto della componente popolare, e delle sue magi-
strature, nella vita politica e amministrativa della città. Il Broletto fu allora
sottoposto a un nuovo ampliamento, che ne raddoppiò i volumi, dimostrando,
se ce ne fosse bisogno, quale disponibilità di uomini e di mezzi seppero met-
tere in opera i dirigenti popolari 75. Ancora una volta, ­l’edificazione di nuovi
fabbricati fu sottomessa all’esigenza di salvaguardare la continuità fisica con
i palazzi pubblici già in uso. A tale scopo, si optò inizialmente per il sopralzo
dell’ala occidentale che, fino a quel momento, doveva essere composta soltanto
da un portico ligneo addossato al muro di cinta e sostenuto da forti pilastri in
pietra, che credo comunque pensati fin dall’origine per sostenere una struttura

72. Così nelle parole di Ottavio Rossi, Elogi historici di Bresciani illustri, Brescia, Bartolomeo
Fontana, 1620, p. 517. Sulla produzione antiquaria del pittore si veda G. Lang, «Un protago­nista
del Rinascimento bresciano: Sebastiano Aragonese», in V. Grohovaz (a cura di), Produzione e
circolazione del libro a Brescia tra Quattro e Cinquecento, Atti della giornata di studi (Brescia,
4 marzo 2004), Milano, Vita e Pensiero, 2006, p. 95-113.
73. Sebastiano Aragonese, Monumenta antiqua urbis et agri brixiani, Brescia, Biblioteca Civica
Queriniana, ms. A.II.14, tav. 74, num. 443; tav. 23, num. 134; tav. 59, num. 363; tav. 6, num. 36.
74. Solitamente si ritiene che i lavori di costruzione della nuova cinta muraria siano stati completati
attorno al 1255, sulla base della notizia riferita dal Malvezzi, per il quale in quell’anno condita fuit
porta Septentrionalis Urbe […] Haec Porta Pilarum dicituri ibi pari modo turrim construxerunt:
Iacobus Malvecius, Chronicon brixianum…, op. cit., col. 922, cap. XI. Sulle mura di Brescia si
veda E. Guidoni, «Appunti per una storia…», op. cit., p. 122-154 e G. Andenna, «“Foris muros
civitatis”. Lo spazio urbano fuori porta Bruciata dai Longobardi alla conquista veneta», in
V. Frati, I. Gianfranceschi, F. Robecchi (a cura di), La Loggia di Brescia e la sua piazza: evoluzione
di un fulcro urbano nella storia di mezzo millennio, Brescia, Grafo, 1993, vol. 1, p. 237-243.
75. Sugli investimenti edilizi e monumentali dei comuni di Popolo si vedano le considerazioni di
J.-C. Maire Vigueur, «Les inscriptions du pouvoir dans la ville: le cas de l’Italie communale (xiie-
xive siècle)», in É. Crouzet-Pavan, É. Lecuppre-Desjardin (a cura di), Villes de Flandre et d’Italie
(xiiie-xvie siècle). Les enseignements d’une comparaison, Turnhout, Brepols, 2008, p. 207-233.

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Fig. 11 – Sebastiano Aragonese, Iscrizione romana reimpiegata nel Broletto


di Brescia, da id., Monumenta antiqua urbis et agri brixiani, Brescia,
Biblioteca Civica Queriniana, ms. A.II.14, tav. 74, num. 443. © M. Ferrari.

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Palatia que appellantur de comuni

in muratura poi non realizzata 76 (fig. 12). Secondo un’interpretazione condi-


visa 77, purtroppo ancora una volta priva di evidenze documentarie inoppu-
gnabili, il nuovo fabbricato in mattoni sarebbe stato destinato alla riunione e
alla residenza delle magistrature popolari 78 e, pertanto, è stato identificato con
quel palatium novum populi che troviamo menzionato dal 1280 79. In effetti, da
un atto di permuta siglato nell’agosto del 1298 apprendiamo che la seconda
porta aperta sul lato occidentale del Broletto, sempre di pertinenza broleti dicti
comunis Brixie, si trovava più precisamente sub palatio populi predicti Brixie 80.
L’ampliamento non dovette comunque essere considerato sufficiente.
L’esigenza di ulteriori spazi sollecitò presto l’acquisizione di altri terreni oltre il
confine fissato nel 1232, nell’area posta alle spalle della chiesa di Sant’Agostino
e un poco più a nord del muro settentrionale di recinzione del Broletto dove,
almeno dal 1282, si trovava il carcere dei debitori insolventi 81. Nel 1284, nel
giro di due mesi, il Comune incamerò vari fondi, divisi tra più proprietari,
compresi tra la via detta ad crucem e il presbiterio della chiesa 82, coinvolgendo
nelle trattative i religiosi che la officiavano e i canonici del Duomo che ne

76. Cfr. G. Panazza, L’arte medioevale…, op. cit., p. 164, 172. In altri Comuni le fabbriche civiche
si svilupparono attorno a una corte comune: a Novara, i paratici si insediarono sul medesimo
sedime dell’Arengo (cfr. G. Andenna, «Potere politico e comunicazione simbolica…», op. cit.,
p. 32); a Cremona, il Palazzo del Podestà risultò dall’ampliamento verso ovest del primitivo
palazzo comunale (G. Voltini, «Le fasi della costruzione…», op. cit., p. 89-100); a Como, il
Palazzo del capitano fronteggiava quello del comune, affacciandosi su un cortile chiuso fra
la cattedrale e la chiesa di San Giacomo (F.  Buonincontri, Scultura a Bergamo…, op.  cit.,
p. 89-102).
77. L’ipotesi formulata da G. Andenna, «La signoria del vescovo Berardo Maggi…», op. cit., p. 184-
185 è ripresa da M. Rossi, «Il centro del potere…», op. cit., p. 106-108, che però data la costru-
zione dell’edificio alla fine del secolo. Il sopralzo sarebbe invece anteriore al 1270 per V. Volta,
Il Broletto e la Cittadella, Darfo Boario Teme, La Cittadina, 1993, p. 78.
78. Nel palazzo si collocherebbe allora la […] caminata domini capitanei populi Brixie, in civitate
Brixie […]: Liber privilegiorum Comunis Mantue, a cura di R. Navarrini, Mantova, Arcari,
1988, p. 189, doc. 49, 25 novembre 1288.
79. Statuti bresciani del secolo XIII, op. cit., col. 240; cfr. G. Andenna, «La signoria del vescovo
Berardo Maggi…», op. cit., p. 185. L’identificazione sembra confermata da un articolo statutario
del 1355 che prescrive che certe mercanzie siano vendute […] inter portam palacii populi Brixie
que est a sero parte dicti palacii et ecclesiam Sancti Augustini […]: Brescia, Archivio di Stato,
ASC 1046, Statuta communitatis Brixiae 1355, fol. 163v. Bisogna tuttavia considerare che dal
XIV secolo l’intero complesso del Broletto prese sempre più spesso il nome di Palatium populi.
80. Milano, Archivio di Stato, Pergamene San Cosma e Damiano, cart. 65, 22 agosto 1298 (citato
da G.  Andenna, «La signoria del vescovo Berardo Maggi…», op.  cit., p.  190, nota  65). A
metà Trecento, il consiglio dei Cento si riuniva «super Pallacio a sero parte Comunis Brixie»:
B. Zamboni, Memorie intorno…, op. cit., p. 18, nota 5, 30 settembre 1353.
81. Liber potheris…, op. cit., col. 871-872, doc. CLXXIX.
82. Ibid., col. 875-877, doc. CLXXXIII-CLXXXIV.

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Fig. 12 – Brescia, Palazzo del Broletto, corpo di fabbrica occidentale


(Palatium populi). © M. Ferrari.

56
Palatia que appellantur de comuni

avevano la proprietà e la giurisdizione 83. Si ritiene che l’operazione, comunque


diretta dai funzionari del Comune – e non dal vescovo Berardo Maggi, come
vuole la tradizione 84 –, fosse ancora volta alla creazione di nuovi fabbricati per
le pubbliche magistrature. È purtroppo difficile determinare la consistenza
degli interventi edilizi attuati sui terreni appena acquisiti. Alterati in seguito
allo stanziamento della corte di Pandolfo  III Malatesta (1404-1421), questi
fabbricati sono stati stravolti, più recentemente, dal bombardamento che colpì
la città nel luglio 1944 e dai successivi restauri. Com’era stato per la «curia» più
antica, l’area fu comunque cinta da un alto muro, la cui attribuzione all’età
medievale è stata confermata da recenti prospezioni archeologiche 85.
Del resto, l’esigenza di recuperare nuovo spazio attorno alle fabbriche
pubbliche non era necessariamente connessa alla creazione di altri edifici.
Lo dimostra la vicenda iniziata nella primavera del 1298 per l’apertura della
piazza del Comune sul lato occidentale del complesso del Broletto. Il progetto
mirava a espandere verso nord l’antica concione, gettando così i presupposti
per la creazione della grande piazza del Duomo, ultimata solo nel XVII secolo.
L’operazione risultava ancor più delicata delle precedenti, dal momento che
era necessario ottenere l’autorizzazione del pontefice per abbattere il convento
benedettino dei Santi Cosma e Damiano, che si parava lungo il fronte occiden-
tale del palazzo pubblico. Nell’occasione le autorità comunali chiesero anche
di poter demolire una cappella intitolata a Santa Maria in Solario, sita nella
stessa area, e la chiesa di Sant’Agostino, che fu però infine risparmiata 86. Dalla
risposta del pontefice apprendiamo che l’allargamento della piazza della con-
cione non era stato determinato da ragioni estetiche, per dare maggior risalto
agli edifici civici, e neppure dalla necessità di disporre di uno spazio più ampio
per le assemblee, come era invece accaduto in altri Comuni nel momento in
cui le componenti popolari erano state accolte nelle assemblee 87. La scelta fu
invece dettata da esigenze difensive, per permettere ai cittadini di correre in

83. Liber potheris…, op. cit., col. 884, doc. CLXXXVIII. I documenti d’acquisto datano tra il 12
aprile (ibid., col. 875-876, doc. CLXXXIII) e il 1 giugno 1284 (ibid., col. 890, doc. CLXXXXII).
Nel 1282 il Comune aveva ricevuto un primo appezzamento in eredità: ibid., col. 871-872,
doc.  CLXXIX. Per un punto sull’area si veda A.  Breda, «La chiesa di Sant’Agostino…»,
op. cit., p. 137-142.
84. Raccolta già da G. Panazza, L’arte medioevale…, op. cit., p. 172. Il vescovo dovette sempli-
cemente autorizzare la vendita delle aree di proprietà della curia: Liber potheris…, op.  cit.,
col. 882, doc. CLXXXVII.
85. Cfr. A. Breda, «La chiesa di Sant’Agostino…», op. cit., p. 142.
86. G. Andenna, «La signoria del vescovo Berardo Maggi…», op. cit., p. 186-188.
87. Questo si verificò a Piacenza per l’ampliamento, nel 1179, della piazza davanti alla cattedrale;
cfr. P. Racine, «Naissance de la place publique en Italie», in J. Heers (a cura di), Fortifications,
portes de villes, places publiques dans le monde méditerranéen, Parigi, Presses de la Sorbonne,
1985, p. 301-322: p. 304-305, 313.

57
m at teo fer r a r i

armi a difesa delle porte del Broletto 88. Furono dunque le necessità funzionali
dell’edificio comunale a imporre un intervento tanto ampio e radicale che,
incidentalmente, finì per accentuare quella centralità del complesso Broletto-
Cattedrali destinata a durare fino alla definitiva sistemazione di Piazza della
Loggia allo scadere del XV secolo 89.
A dispetto dell’urgenza dimostrata dai rappresentanti del Comune, l’opera-
zione fu attuata con una certa lentezza. Si procedette innanzitutto all’abbatti-
mento degli edifici che più premevano sugli edifici comunali, mentre il mona-
stero benedettino – effettivamente traslato in una nuova sede dal 1320 – e le
case più vicine alla primitiva piazza della concione rimasero probabilmente in
alzato per tutto il secondo decennio del Trecento 90. Le demolizioni, comunque,
non incisero solo sull’assetto urbano della città, ma ebbero ripercussioni anche
sull’aspetto del palazzo civico. In effetti, credo che la visibilità così acquisita dal
prospetto occidentale del Palatium maius, finalmente affacciato su un ampio
slargo, possa essere all’origine della creazione della balconata monumentale
con il suo corredo scultoreo, in sostituzione di più piccoli ballatoi (fig. 6). La
struttura che oggi vediamo, correntemente chiamata Loggia delle Grida, è
frutto di una ricostruzione molto discussa d’inizi Novecento, comunque rea-
lizzata reimpiegando elementi appartenuti al complesso originario (all’epoca
ricoverati nel Museo cittadino da quasi un secolo) e sulla base dell’analisi delle
tracce lasciate dal balcone medievale nella muratura del palazzo. Possiamo
quindi affermare, con una certa sicurezza, che la loggia medievale non rispose
soltanto a un’esigenza di carattere funzionale, quella cioè di poter disporre di
uno spazio da cui leggere proclami e sentenze alla cittadinanza riunita nella
piazza; essa servì anche da supporto per la rappresentazione dell’autorità poli-
tica o, meglio ancora, del suo legittimo esercizio dell’potere giudiziario. Opera
della stessa maestranza veronese che nel 1308 realizzò il sepolcro del vescovo-­
signore Berardo Maggi, la loggia esibiva, infatti, un programma decorativo
centrato sull’immagine della Giustizia (fig. 13), precocemente ritratta (siamo
entro il secondo decennio del Trecento) con tanto di corona, spada e bilancia 91.

88. La risposta del pontefice alle richieste del Comune è pubblicata da G. L. Luchi, Monumenta
monasterii Leonensis brevi commentario illustrata, Roma, Ottavio Puccinelli, 1759, p. 197-198.
89. Sulle piazze di Brescia si veda anche D. Hamsoll, «Le piazze di Brescia nel Medioevo e nel
rinascimento», Annali di architettura, 4/5, 1992-1993, p. 168-177.
90. Cfr. P.  Trotti, «San Cosma e Damiano a Brescia. Per una rilettura critica delle origini del
monastero femminile», Brixia sacra, 1-2, 2000, p. 45-72: p. 64-65. A titolo d’esempio ricordo
che la porta coenobii Sancti Cosmei e una casa a questa addossata sono ricordate ancora
negli statuti del 1313, a conferma del protrarsi delle opere di demolizione; Statuti di Brescia
dell’anno MCCCXIII, in Historiae Patriae Monumenta, t. 16: Leges municipales, t. 2/2, op. cit.,
col. 1585-1914: col. 1648, art. VI.
91. Cfr. M. Ferrari, «La scultura a Brescia nell’età dei Maggi…», op. cit.

58
Palatia que appellantur de comuni

Fig. 13 – Giustizia, Brescia, Palazzo del Broletto, Loggia delle Grida.


© M. Ferrari.

59
m at teo fer r a r i

Al termine dell’età comunale, idealmente chiusa nel 1337 con la conquista


da parte viscontea, le magistrature bresciane avevano dato così compimento
a un progetto di ampio respiro, condotto non secondo un piano preordinato,
ma comunque animato, nel suo complesso, da una ricercata coerenza sull’arco
di quasi un secolo. I lavori avevano portato all’allestimento di una vera e pro-
pria insula riservata alla gestione del potere civile, composta da edifici che
dovevano rivaleggiare con le cattedrali e il palazzo del vescovo, per estensione,
impatto monumentale, qualità e valenza simbolica dell’ornato. I prospetti
rivolti, prima, verso la cattedrale e, poi, verso la nuova piazza concentravano
quei pochi elementi decorativi funzionali alla «messa in scena del potere 92».
I palatia que appellantur de comuni, come sono definiti nella sentenza pro-
nunciata nel 1311 da Enrico VII contro la città appena conquistata 93, già verso
la metà del XIV secolo persero però la loro valenza simbolica originaria, dive-
nendo piuttosto un luogo di affermazione della nuova autorità signorile, che
esercitava il proprio controllo sulla città attraverso funzionari forestieri nomi-
nati tra i propri fedeli 94. Con l’avvento veneziano, dal 1426, e l’inizio della lunga
impresa della Piazza della Loggia si creò infine un polo alternativo alla piazza
del Comune e alle sue fabbriche che sarà, alla lunga, vincente. L’antico Broletto
non perse però del tutto l’antico ruolo di elemento qualificante per la città. Ai
primi del Quattrocento, il palazzo comunale, ormai comunemente chiamato
del Popolo, era ancora ricordato da Iacopo Malvezzi per la sua «figura quadrata»
– evidentemente con riferimento alla struttura originaria, escludendo dunque
gli annessi settentrionali – con l’imponente torre civica che svettava sull’angolo
sud-occidentale 95. Da quest’ultima si propagava il suono delle campane comu-
nali, dagli anni Trenta del Duecento complementari a quelle del vescovo nel
riempire il «paesaggio sonoro» della città 96. Ed è ancora il palazzo civico duecen-
tesco a richiamare l’attenzione di Marin Sanudo nella descrizione della città da
lui visitata nel 1483 nel corso di un viaggio attraverso la Terraferma veneziana.
All’interno della Cittadella nuova, il quartiere fortificato completato da Filippo
Maria Visconti per tagliare in due la città e isolare la piazza del potere civile e

92. Sul ruolo comunicativo delle facciate dei palazzi secolari cfr. X. Barral i Altet, «Il racconto del
palazzo nel contesto della città tardo-romanica (secoli XII-XIII)», in A. C. Quintavalle (a cura
di), Medioevo: la Chiesa e il Palazzo, op. cit., p. 166-182: p. 167-168, 173-175.
93. Liber potheris…, op. cit., col. 1200-1206: col. 1204-1205.
94. Cfr. F. Pagnoni, Brescia viscontea (1337-1403), Milano, Unicopli, 2013.
95. Iacobus Malvecius, Chronicon brixianum…, op. cit., col. 901, cap. C.
96. La definizione è di R. Bordone, «Il paesaggio sonoro delle città comunali italiane», in id., Uno
stato d’animo. Memoria del tempo e comportamenti urbani nel mondo comunale italiano: http://
www.rm.unina.it/rm_old/biblioteca/e-books/e-book-bordone.htm. Sulle campane civiche, cfr.
C. Beranzzani, «La campana civica: tra signum, simbolo e celebrazione visiva», Opera, Nomina,
Historiae. Giornale di cultura artistica, 2/3, 2010, p. 287-392, passim (http://onh.giornale.sns.it).

60
Palatia que appellantur de comuni

Fig. 14 – La Cittadella Nuova, da Estimo della Città di Brescia. 1588,


Brescia, Archivio di Stato, ASC, C IV 458, fol. 119r.
© Archivio fotografico dei civici musei di Brescia.

religioso 97, spicca «il palazzo magnifico, grande et memorato in Italia […] tutto
di piere crude, altissimo et bello» caratterizzato dalle due torri, del Popolo e
quella «incompida» – in realtà scapitozzata – che era stata dei Poncarali 98.
Lo stesso palazzo tornerà, un secolo più tardi, in un’illustrazione del registro
d’estimo del 1588 99, sempre accanto alle due cattedrali (fig. 14). In una sorta di

97. Sul tema cfr. M. Spigaroli, «La città divisa. Strutture urbane e urbanistica militare a Brescia,
Verona, Padova», in E. Guidoni, U. Soragni (a cura di), Lo spazio nelle città venete (1348-1509).
Urbanistica e architettura, monumenti e piazze, decorazione e rappresentazione, Atti del I conve-
gno nazionale di studio (Verona, 14-16 dicembre 1995), Roma, Kappa, 1997, p. 89-100 e, in una
prospettiva più ampia, E. Valseriati, «Aspetti dell’identità patrizia a Brescia nel Cinquecento:
le committenze dell’architetto Ludovico Beretta», p. 1-3 (http://gesta.scuoladottorato.it/IMG/
pdf/Valseriati_paper.pdf ).
98. Marin Sanudo, Itinerario per le terra ferma veneziana nell’anno MCCCCLXXXIII, a cura di
R. Brown, Padova, Tipografia del seminario, 1847, p. 71.
99. Brescia, Archivio di Stato, ASC, C IV 458, Estimo della Città di Brescia. 1588, fol. 119r.

61
m at teo fer r a r i

parata degli «edifici insegna 100» del cuore urbano, come nel modellino descritto
da Salimbene, sono ancora gli edifici del vescovo e quelli del Comune a rap-
presentare l’identità del luogo.

100. La definizione è presa da M. Ferretti, «Le rappresentazioni di città…», op. cit., p. 105.

62
Pétrarque et les espaces du pouvoir

carlo tosco
Politecnico di Torino (Italie)

Dans l’église de Santa Maria in Aracoeli à Rome, une grande fresque,


aujourd’hui disparue, ornait la voûte de l’abside. La fresque représentait
Auguste lorsqu’il apprend de la Sibille Tiburtine la nouvelle de la naissance
miraculeuse d’un enfant de la Vierge Marie 1. Celle-ci était l’image picturale
d’une légende divulguée au Moyen Âge, selon laquelle le premier empereur
était représenté dans des termes presque chrétiens et apparaissait investi d’un
rôle providentiel dans le plan de sauvetage de l’humanité. L’église de l’Aracoeli
devait son nom à la vision miraculeuse qu’Auguste aurait eu dans sa chambre
et racontée dans les Mirabilia 2. Sur une colonne en réemploi de la nef on peut
encore lire l’inscription A cubiculo Augustorum, ajoutée au Moyen Âge.
Pétrarque avait certainement vu cette fresque pendant ses visites à Rome et,
dans une lettre, il rappelle la légende d’Auguste : Capitolium ascendet omnium
caput arcemque terrarum, ubi olim cella Iovis fuerat, nunc est Ara Celi, unde, ut
memorant, Augusto Cesari puer Cristus ostensus est 3. Pour lui, la colline de Rome
était aussi un lieu chargé de mémoires personnelles, car c’est là qu’il avait reçu
l’honneur de la couronne de laurier. Il est intéressant d’observer que Pétrarque
fait le rapprochement, de manière explicite, entre l’église de l’Aracoeli et le
lieu où elle se dresse : le Capitole, siège du pouvoir de la Rome antique, où le

1. A. Tomei, « Un contributo per il perduto affresco dell’Aracoeli », Storia dell’arte, 44, 1982, p. 81-83.
La fresque est rappelée par Vasari dans la Vita de Pietro Cavallini : Ma la migliore opera che in
quella città facesse, fu nella detta chiesa d’Araceli sul Campidoglio ; dove dipinse in fresco, nella volta
della tribuna maggiore, la Nostra Donna col Figliolo in braccio, circondata da un cerchio di sole ; e
a basso, Ottaviano imperadore, al quale la Sibilla Tiburtina mostrando Gesù Cristo, egli l’adora.
2. D. Comparetti, Virgilio nel Medio Evo, nouv. éd. par G. Pasquali, Florence, La Nuova Italia,
1941, vol.  2, p.  91-92, et G.  Giannelli, « La leggenda dei “Mirabilia” e l’antica topografia
dell’Arce Capitolina », Studi Romani, 26/1, 1978, p. 60-71.
3. Epistolae familiares [désormais Fam.], IX 13, 38, dans V. Rossi, U. Bosco (dir.), Le familiari,
Florence, Sansoni (Edizione nazionale delle opere di Francesco Petrarca, 10-13), 1933-1942.

63
c a r lo tosco

temple de Jupiter capitolin avait été érigé. Le poète met donc en évidence une
continuité « archéologique » entre la Rome païenne des empereurs et la Rome
chrétienne des papes. Les signes du pouvoir perdurent dans le temps, se trans-
forment, assument de nouvelles valeurs, mais ils restent enracinés dans les lieux.
Pétrarque, comme tous les grands intellectuels italiens du xive siècle, vit un
rapport très étroit avec la vie politique et avec les pouvoirs dominants, tant laïcs
qu’ecclésiastiques. À différentes occasions, il montre son habileté diplomatique,
son charme personnel et sa capacité à se lier avec les sommets du pouvoir. Sa
personnalité d’intellectuel engagé dans la vie politique de son époque a été
examinée de manière approfondie et, récemment, on a parlé d’un « Pétrarque
civil », qui fréquente les cours des princes, comme un premier noyau d’un état
laïc en Italie 4. Dans toutes ses activités, le poète tisse des liens avec les lieux sym-
boliques d’exercice du pouvoir de la société médiévale, il reconnaît les valeurs
qui entrent en jeu, lit les rapports avec l’histoire et avec l’héritage du passé 5.
Le Capitole était le centre sacré du pouvoir de Rome, mais Rome n’était
pas la seule ville à avoir un Capitole. Pétrarque sait bien que dans leur œuvre
de colonisation, les Anciens avaient fondé des villes et attribué aux lieux de
conquête des noms qui rappelaient les espaces les plus représentatifs de la
capitale. Quand il atteint Cologne, pendant un voyage en Allemagne en 1333,
dans une lettre envoyée au cardinal Giovanni Colonna, il reconnaît aussitôt
les valeurs « archéologiques » de la ville du Rhin, fondée par Marcus Agrippa,
­beau-fils d’Auguste 6. Le poète est orgueilleux de retrouver dans des terres

4. U. Dotti, Petrarca civile. Alle origini dell’intellettuale moderno, Rome, Donzelli, 2001, p. 25.
Voir aussi : F. Rico, I venerdì del Petrarca, Milan, Adelphi, 2016.
5. Pour les liens entre Pétrarque et les arts figuratifs : E. H. Wilkins, « On Petrarch’s Appreciation
of Art », Speculum, 36, 1961, p. 297-300 ; G. F. Contini, « Petrarca e le arti figurative », dans
A. S. Bernardo (dir.), Francesco Petrarca Citizen of the World. Proceedings of the World Petrarch
Congress (Washington D.C., 1974), Padoue/Albany, Antenore/State University of New York
Press, 1980, p.  115-132 ; P.  M.  Stewart, « L’arte e la natura nel gusto figurativo del Petrarca
e del Boccaccio », dans A.  Franceschetti (dir.), Letteratura italiana e arti figurative. Atti del
XII Congresso dell’Associazione internazionale per gli studi di lingua e letteratura italiana (Toronto,
1985), Florence, Olschki, 1988, vol.  1, p.  41-68 ; B.  Doege, « Petrarch and the Arts », dans
K.  Eisenbichler, A.  A.  Iannucci (dir.), Petrarch’s Triumphs : Allegory and Spectacle, Ottawa,
Dovehouse, 1990, p. 177-182 ; L. Patetta, « Petrarca e l’architettura delle città italiane », dans
L. Rotondi Secchi Tarugi (dir.), Petrarca e la cultura europea, Milan, Nuovi orizzonti, 1997,
p. 161-180 ; M. Ariani, s. v. « Petrarca », dans Enciclopedia dell’arte medievale, Rome, Istituto della
Enciclopedia Italiana, 1998, vol. 9, p. 335-343 ; M. M. Donato, « “Veteres” e “novi”, “externi”
e “nostri”. Gli artisti di Petrarca : per una rilettura », dans A. C. Quintavalle (dir.), Medioevo :
immagine e racconto. Atti del convegno internazionale (Parma, 2000), Parme, Electa, 2003, p. 433-
455 ; M.  Bettini, Francesco Petrarca e la arti figurative. Tra Plinio e sant’Agostino, Livourne,
Sillabe, 2002 ; C. Tosco, Petrarca : paesaggi, città, architetture, Macerata, Quodlibet, 2011.
6. Fam. I 5, 1-3 ; voir Pétrarque, In difesa dell’Italia (Contra eum qui maledixit Italiae), éd. par
G. Crevatin, Venise, Marsilio, 1995, cap. 25 : Coloniam Agrippinam Marcus Agrippa, Augusti
gener, ad sinistra Rheni ripam condidit.

64
Pétrarque et les espaces du pouvoir

lointaines les traces de la civilisation romaine. À Cologne aussi, il existait un


Capitole, surmonté d’une église. Le temple chrétien avait été construit sur
le lieu où se dressait le centre de la ville antique : il s’agit de Santa Maria im
Kapitol, qui représente, aujourd’hui encore, un des plus importants monu-
ments de la première architecture romane rhénane. Quand Pétrarque visite
l’édifice, les chants des jeunes réunis dans le chœur résonnent : le Capitole
chrétien n’est plus un espace de victoires militaires mais de dévotions litur-
giques. Une fois encore, à Rome comme à Cologne, Pétrarque identifie la
valeur symbolique des espaces urbains et les transformations qui investissent
le monde médiéval.
Le long de ce même itinéraire de voyage, le poète avait visité, quelques
jours auparavant, la ville d’Aix-la-Chapelle. Là aussi, on trouve les traces de la
civilisation antique et il reconnaît l’étymologie du toponyme (Aquis) liée aux
sources thermales qui, des siècles auparavant, avaient attiré Charlemagne pour
choisir ce lieu afin d’y fonder la capitale de son empire. Cependant, la visite à
la Chapelle Palatine, un autre monument clé de l’architecture médiévale, ne
suscite en lui aucun enthousiasme particulier. Le poète s’attarde plutôt à racon-
ter une histoire qui circulait chez les chanoines de l’église, qui narrait l’amour
fou de Charlemagne pour une femme morte, dû à la séduction de la magie.
À Aix-la-Chapelle, donc, la signification symbolique du monument apparaît
diminuée et ridiculisée, dans le climat de crise de l’image de l’Empire médiéval,
qui au xive siècle avait désormais perdu sa force politique 7. Charlemagne n’est
pas à la hauteur des empereurs antiques et Pétrarque considère le culte de ses
os comme une barbarie, conservés dans l’urne exposée avec dévotion par le
clergé local. Et pourtant, Charlemagne était vénéré comme un saint, canonisé
par la volonté de Frédéric Barberousse en 1166, mais ces formes de dévotions
apparaissent anachroniques à l’intellectuel italien. La comparaison est plus
spontanée avec la conception, bien différente, de l’Empire exprimée par Dante
qui rencontre, avec tous les honneurs, Charlemagne dans le ciel de Jupiter 8.
Chez Pétrarque, l’intérêt pour les lieux de pouvoir ne se limite pas à l’héri-
tage du monde antique, mais il se tourne aussi vers la société de son époque.
La référence à Avignon apparaît évidente et le siège français des papes est décrit
à plusieurs occasions comme le règne de la corruption, la capitale du mal, la
« Babylone infernale 9 ». C’est l’exil de Pierre, arraché au siège naturel de Rome.

7. Les observations pessimistes de Pétrarque sur l’empire médiéval sont exprimées surtout dans
De remediis utriusque fortune, I, 96 et 106, éd. par C. Carraud, Grenoble, Millon, 2002.
8. Paradis XVIIII, 43.
9. Pour les observations de Pétrarque sur la résidence des papes : G. Mollat, Les papes d’Avignon
(1305-1378), 10e éd., Paris, Letouzey et Ané, 1964, p. 47.

65
c a r lo tosco

L’image architecturale qui évoque Avignon est celle de la ville munie de tours,
où les tours sont dressées non contre les hommes mais contre le ciel :
Gl’idoli suoi sarranno in terra sparsi,
e le torri superbe, al ciel nemiche,
e i suoi torrer di for come dentro arsi 10.
En Italie, la situation semble très différente et là, le scénario des pouvoirs
s’articule dans toute sa complexité. La mosaïque des États italiens comptait,
au xive siècle, une grande fragmentation territoriale qui se reflétait dans les
structures et les sièges de gouvernement. Dans de nombreuses villes, le pas-
sage à un domaine seigneurial était désormais établi et marquait le déclin
des autonomies communales. Les nouveaux seigneurs étaient extrêmement
attentifs à exprimer, par des interventions symboliques, leur autorité sur les
centres urbains, et les châteaux représentaient le symbole architectural le plus
fort de la nouvelle réalité politique. Pétrarque se présente comme un observa-
teur attentif à ces scénarios du pouvoir. À de nombreuses occasions, le poète
noue des rapports d’amitié avec les représentants des dynasties seigneuriales
italiennes, il se prête aux activités diplomatiques, il adresse des lettres présen-
tant des exemples et des programmes, il offre des conseils et des exhortations
aux hommes qui gouvernent. Il est fréquent, dans ses lettres, de constater
une attention privilégiée pour les lieux emblématiques de représentation de
l’autorité. La République de Venise entretenait des rapports de faveur avec
Pétrarque et les autorités de la ville lui avaient offert une prestigieuse résidence
au Palazzo Molin, sur la rive des Schiavoni, en échange de la promesse de
laisser sa bibliothèque en héritage à la Sérénissime. Dans une lettre, Pétrarque
raconte avoir assisté, en août 1364, aux jeux qui se sont déroulés sur la place
Saint-Marc pour célébrer la reconquête de l’île de Crête 11. À cette occasion, il
avait été accueilli dans la loge supérieure de la basilique, donnant sur la place,
aux côtés du doge. Pétrarque exprime des mots de grande admiration pour
l’église et pour les fameux chevaux exposés sur la loge, et montre son attention
pour les œuvres d’art et d’architecture. La basilique Saint-Marc apparaît dans
toute sa splendeur dans son rôle symbolique de temple civique, comme la
chapelle palatine adossée au palais de résidence du doge 12. Le scénario de la

10. Canzoniere 137, 9-12, éd. par S. Stroppa, Turin, Einaudi, 2011. Le sonnet forme avec les 136 et
138 une triple invective poétique contre Avignon.
11. Sen. IV 3, 18-19 (Le Senili, éd. par E. Nota et U. Dotti, t. 1 : Libri I-VI, Turin, Aragno, 2004).
12. Pour le développement du siège du pouvoir à Venise : W. Dorigo, « I palazzi comunali dei dogi
nel XII secolo », dans A. Calzona, R. Campari, M. Mussini (dir.), Immagine e Ideologia. Studi
in onore di Arturo Carlo Quintavalle, Milan, Electa, 2007, p. 254-260 ; voir aussi G. Padoan
(dir.), Petrarca, Venezia e il Veneto. Atti del convegno internazionale (Venezia, 1974), Florence,
Olschki, 1976, et É. Crouzet-Pavan, « Quando la città si diverte. Giochi e ideologia urbana :

66
Pétrarque et les espaces du pouvoir

fête est l’événement qui exprime la centralité du siège urbain, où le pouvoir se


fond avec la dimension civique de la religion.
Le rapport entre le prince et la ville est au centre de la lettre envoyée en 1373
à Francesco da Carrara, dans laquelle Pétrarque expose au seigneur de Padoue
ses idées sur la gouvernance de l’espace urbain 13. La ville est comme le miroir
de l’autorité civile : son décorum, l’ordre, l’hygiène publique, la défense mili-
taire, la viabilité, sont les symboles d’une gestion correcte de l’environnement
construit. Le pouvoir seigneurial exprime parfaitement ses devoirs vis-à-vis des
habitants quand il garantit le développement ordonné des structures urbaines.
Parmi les villes les mieux gouvernées, de l’avis de Pétrarque, il y a la
Naples de Roberto d’Angiò. Le souverain (qui avait parrainé son couron-
nement au Capitole) est considéré comme le modèle de prince chrétien, le
défenseur des arts assimilé même à Auguste 14. Il est intéressant de constater
que, dans ce cas aussi, le poète se rappelle les lieux du pouvoir du système
urbain et il indique au visiteur la chapelle palatine du palais angevin de
Castel Nuovo, avec les magnifiques fresques de Giotto, aujourd’hui presque
entièrement disparues 15. La beauté des villes italiennes devient ainsi un motif
d’envie et de vif intérêt pour les souverains étrangers, comme pour le roi de
Bohème, Jean de Luxembourg, représenté dans une épître métrique alors
qu’il contemple, menaçant, le paysage de la péninsule qui s’offre à ses yeux,
du haut des montagnes :
Sublimis ab Alpe
ille minax animo iam premetitur avaro
ditia rura procul, qua se pulcerrima rerum
porrigit Hesperia omnipotens. Circumspicit urbes
instar regnorum, quarum vix nomina quisquam
scire querat, castella manu tot structa magistra,
sidera quot celo pelagoque feruntur arene 16.

Venezia negli ultimi secoli del Medioevo », dans G. Ortalli (dir.), Gioco e giustizia nell’Italia di
Comune, Trévise/Rome, Fondazione Benetton/Viella, 1993, p. 35-48.
13. La longue lettre ouvre le livre  XIV des Senili et constitue un véritable pamphlet consacré au
gouvernement de la ville : G. Vasoin, « Il Petrarca e i Carraresi tra Padova e Arquà », Padova e il suo
territorio, 6, 1991, p. 22-23 ; voir également I. Tamassia, « Francesco Petrarca e gli Statuti di Padova »,
Atti e memorie della Regia Accademia di Padova di scienze, lettere ed arti, 13, 1896-1897, p. 201-205.
14. Fam. IV 7, 5.
15. Itinerarium ad sepulcrum Domini nostri Ihesu Christi, cap. 38 (éd. par F. Lo Monaco, Bergame,
Lubrina, 1990 ; voir aussi l’édition française par C. Carraud et R. Lenoir, Grenoble, Millon,
2002). Pour les restes des fresques encore conservés : P. L. De Castris, Giotto a Napoli, Naples,
Electa, 2006, p. 168-197.
16. Epystole metrice I 3, v. 101-113, dans E. Bigi, Opere di Francesco Petrarca, Milan, Mursia, 1966,
p. 403-405.

67
c a r lo tosco

La grandeur de l’Italie se reflète dans la puissance politique de ses com-


munes et le fait que l’épître décrive urbes instar regnorum est significatif. Tel
est l’Italia delle cento città (l’expression est de Carlo Cattaneo), la civilisation
urbaine qui a marqué l’histoire de l’Italie médiévale.
La dynastie italienne avec laquelle Pétrarque entretint des rapports plus
étroits fut peut-être celle des Visconti, à tel point qu’il fut accusé par ses enne-
mis de flagornerie à leur égard. En effet, à plusieurs occasions, il montre son
attention envers les lieux emblématiques qui exprimaient la magnificence
mais aussi la force de l’autorité seigneuriale 17. Ainsi, à Pavie, Pétrarque fait
l’éloge du château Visconti, qualifié de palacium, qui représentait le siège du
pouvoir seigneurial imposé à la ville juste après la conquête 18. Le pont sur
le Tessin, construit par Giovanni Mandelli, le fonctionnaire au service du
Visconti auquel il avait dédié l’Itinerarium ad sepulcrum Domini, est un signe
de l’attention du gouvernement seigneurial pour le développement des services
publics dans la ville.
En ce qui concerne Milan, où Pétrarque avait séjourné à plusieurs reprises,
il convient de rappeler la polémique ouverte avec Jean de Hesdin pour la statue
équestre de Bernabò Visconti, sculptée par Bonino da Campione, installée
dans une chapelle de l’église de San Giovanni in Conca 19. L’écrivain répond
avec force aux arguments de son adversaire français qui considérait comme un
acte d’idolâtrie le choix de placer la statue d’un prince à cheval dans un temple
chrétien et il défend avec des arguments la commande du seigneur de Milan.
À ses yeux, le gouvernement seigneurial nécessite des symboles adéquats pour
exprimer son autorité.
Le siège urbain de la dynastie des Visconti, le palais construit à côté de
la cathédrale, près de l’église palatine de San Gottardo, est mentionné, lui
aussi, dans une lettre de Pétrarque 20. Après la restructuration totale dirigée
par Piermarini en 1770 pour réaliser l’actuel Palazzo Reale, le site conserve de
fragiles traces de l’édifice du xive siècle. Le poète rappelle notamment la salle,
aujourd’hui disparue, revêtue de somptueuses décorations dorées, où s’étaient

17. F.  Flores d’Arcais, « Petrarca e le arti figurative nella Milano viscontea », dans Petrarca e la
Lombardia. Atti del convegno (Milano 2003), Rome/Padoue, Antenore, 2005, p. 51-63.
18. Pétrarque décrit Pavie dans une lettre de 1365 adressée à Giovanni Boccaccio (Sen. V 1, 7-9).
19. Pétrarque, In difesa dell’Italia, op. cit., p. 146 et note 265, p. 179 ; voir également M. Berté, Jean
de Hesdin e Francesco Petrarca, Messine, Centro interdipartimentale di studi umanistici, 2004.
La statue se trouve aujourd’hui au musée du Castello Sforzesco, dans une salle aménagée par
Luca Beltrami en 1898 : A.  Lee Palmer, « Bonino da Campione’s Equestrian Monument of
Bernabò Visconti and the Popular Piety in the Late Middle Ages », Arte Lombarda, 121, 1997,
p. 57-67, et G. A. Vergani, L’arca di Bernabò Visconti al Castello Sforzesco di Milano, Cinisello
Balsamo, Silvana, 2001.
20. Fam. XVII 4, 2.

68
Pétrarque et les espaces du pouvoir

déroulées les négociations pour la signature des traités qui liaient la République
de Gênes à Milan. Une fois encore, l’architecture seigneuriale exprime parfai-
tement sa fonction de représentation dans un contexte politique.
Les exemples mentionnés aident à comprendre les liens qui se consolidaient
dans l’Italie du xive siècle entre l’architecture, l’espace urbain et les symboles
du pouvoir. Pétrarque s’avère être un témoin attentif et offre, de ces processus,
une description vivante, fruit de son expérience politique. Pour conclure, on
pourrait évoquer un épisode qui se serait déroulé au cours de l’été 1350. Le
poète traversait la Lombardie en compagnie du legs papal, Gui de Boulogne,
et de son entourage, de retour d’une visite à Rome, et il avait visité la région
du lac de Garde. Contemplant le spectacle qui se présentait sous ses yeux,
le cardinal avait fait l’éloge des beautés du paysage, mais avec une certaine
préoccupation : l’Italie était un pays magnifique, mais malheureusement mal
gouverné 21. Le lien entre pouvoir et territoire reste la clé pour comprendre les
caractères de l’Italie au crépuscule de la civilisation médiévale.

21. U. Dotti, Vita di Petrarca, 2e éd., Rome/Bari, Laterza, 1992, p. 212, et E. H. Wilkins, Vita
del Petrarca, nouv. éd. par L. C. Rossi, Milan, Feltrinelli, 2003, p. 240 (éd. orig. Chicago,
University Press, 1961).

69
Demeures des vivants, demeures des morts
Considérations comparatives sur les formes
d’implantation urbaine des seigneurs en Italie
aux xive et xve siècles  1

marco folin
Université de Gênes (Italie)

On sait que la possession au Moyen Âge d’un palatium – palais entendu comme
siège et lieu de représentation d’une autorité souveraine, et caractérisé en tant
que tel par une série d’éléments de prestige – constituait l’un des attributs dis-
tinctifs de la royauté. De la même façon, l’une des principales formes de célé-
bration du pouvoir monarchique était, à la mort du souverain, son inhumation
dans un tombeau monumental : une sorte de mausolée suivant une tradition
illustre dont l’origine se perdait dans la nuit des temps, mais que l’Occident
chrétien n’avait jamais oubliée. En ce sens, les demeures des vivants et celles
des morts présentaient certaines fonctions communes, du moins dans le cas des
souverains : des fonctions matérielles et symboliques qui contribuaient à mar-
quer un espace de domination, à le connoter politiquement en rendant mani-
festes les raisons, la force et les titres de légitimité du pouvoir en place. Leur
emplacement, leurs formes, les rapports que ces demeures entretenaient avec le
cadre environnant constituaient des éléments-clés de la rhétorique du pouvoir,
dont la signification était accentuée par un cortège de liturgies, cérémonies,
processions (entrées triomphales, intronisations, funérailles, anniversaires…)
qui, périodiquement, cycliquement, se déployait autour de ces landmarks et
ritualisait les messages inscrits dans la pierre.
Les pages qui suivent voudraient proposer quelques considérations de
caractère comparatif sur les configurations des résidences et sépultures des

1. Traduction de Sophie Dutheillet.

71
m a rco folin

seigneurs italiens entre les xive et xve siècles, et sur leurs évolutions en grande
partie parallèles. Étant donné l’ampleur du sujet, il est évident que les consi-
dérations ici exposées, nécessairement quelque peu schématiques, devront faire
l’objet de développements ultérieurs.

Les « quartiers » résidentiels des tyrans du Trecento

Si l’on observe l’implantation des demeures des seigneurs italiens du Trecento


dans leur ensemble, on est frappé au premier abord par leur proximité quasi
systématique avec les pôles traditionnels du pouvoir communal : il s’agit de rési-
dences situées près des anciens palais publics, de la cathédrale ou de la place du
marché – lorsque ce ne sont pas les sièges mêmes des conseils communaux qui
sont occupés, plus ou moins reconvertis en fonction des besoins. Le nombre
des exemples et la diversité des villes et des époques auxquelles ils se rattachent
témoignent d’un enracinement profond de ces pratiques et orientations. Ainsi,
dès le xiiie siècle, les Este à Ferrare et les Della Scala à Vérone s’étaient établis
dans de vastes « quartiers » en plein centre, donnant sur la cathédrale dans un
cas, contigu au palais communal dans l’autre ; et au tout début du siècle suivant
les Bonacolsi (et les Gonzague à leur suite) à Mantoue avaient élu domicile dans
le palais qui avait été construit pour le Capitaine du peuple (fig. 1) 2. Dans les
mêmes années, Charles d’Anjou et Gautier de Brienne à Florence ne dérogèrent
pas à la règle, en prenant respectivement possession du Bargello et du Palazzo
Vecchio (fig. 2) 3 ; Azzone Visconti fit de même à Milan, où l’ancien Broletto de

2. S. L’Occaso, « Studi sul Palazzo Ducale di Mantova nel Trecento », Atti e Memorie dell’Acca­
demia Nazionale Virgiliana di Scienze, Lettere ed Arti, 70, 2002, p.  135-167 ; sur les Este à
Ferrare, voir M. Folin, « La committenza estense, l’Alberti e il palazzo di corte di Ferrara », dans
A. Calzona et al. (dir.), Leon Battista Alberti. Architetture e committenti, Atti dei convegni inter­
nazionali del Comitato Nazionale VI Centenario della Nascita di Leon Battista Alberti, Firenze,
Rimini, Mantova, 12-16 ottobre 2004, Florence, Olschki, 2009, p. 277-304. Sur les Della Scala à
Vérone, voir G. Sandri, « I palazzi scaligeri di Santa Maria Antica : ricerca storico-­topografica »,
dans Il palazzo della Provincia di Verona, Vérone, Tipografica Veronese, 1931, p.  3-31 ; voir
aussi les diverses reconstitutions de F. Arduini, « Scaligerorum palatia », Labyrinthos. Studi e
ricerche sulle arti dal Medioevo all’Ottocento, 5/11, 1987, p. 3-25 ; P. Hudson, « Il palazzo scaligero
di Santa Maria Antica », dans G.  M.  Varanini (dir.), Gli Scaligeri 1277-1387. Saggi e schede
pubblicati in occasione della mostra storico-documentaria allestita dal Museo di Castelvecchio di
Verona, giugno-novembre 1988, Milan, Mondadori, 1988, p. 225-235 ; sur Mantoue, G. Rodella,
« Le strutture architettoniche », dans G. Algeri (dir.), Il Palazzo ducale di Mantova, Mantoue,
Sometti, 2003, p. 17-52.
3. Sur l’installation de Charles d’Anjou, duc de Calabre, au Bargello entre 1325 et 1327 – l’édi-
fice est alors appelé « palais ducal » dans les sources –, voir R. Davidsohn, Storia di Firenze,
Florence, Sansoni, 1960, vol. 4, p. 1071-1073 ; L. Giorgi, P. Matracchi, « Il Bargello a Firenze.
Da Palazzo del Podestà a Museo Nazionale », dans G. Rocchi (dir.), S. Maria del Fiore. Teorie e

72
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 1 – Domenico Morone, L’expulsion de Bonacolsi de Mantoue, 1494


(à droite le Palazzo del Capitano, utilisé comme résidence
par les Bonacolsi et ensuite par les Gonzague).

la commune devint le cœur de l’un des complexes palatiaux les plus imposants
de la péninsule, célébré en son temps par Galvano Fiamma comme le plus
bel exemple de magnificence souveraine 4. Cette situation connaît une durée
remarquable : juste après la conquête de Fermo en 1354, par exemple, le cardinal
Albornoz choisit de s’installer dans le Palazzo dei Priori, qui venait d’être réqui-
sitionné à la commune, là où tous les seigneurs successifs de la cité continueront
à résider jusqu’à Francesco Sforza au milieu du xve siècle. À Imola, les Alidosi,
après s’être rendus maîtres de la ville en 1365, s’établirent également dans le
Palazzo Vecchio de la cité, élevé d’un étage et relié aux ­édifices environnants de

storie dell’archeologia e del restauro nella città delle fabbriche arnolfiane, Florence, Alinea, 2006,
p. 133-138. Quant à la transformation du Palazzo Vecchio en siège de cour sous le duc d’Athènes
(1342-1343), voir N. Rubinstein, The Palazzo Vecchio, 1298-1532. Government, Architecture, and
Imagery in the Civic Palace of the Florentine Republic, Oxford, Clarendon Press, 1995, p. 15-16.
4. P. Boucheron, Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politique édilitaire à Milan (xiv e-xv e siècles),
Rome, École française de Rome, 1998, p. 108-128 et 200-208 ; E. S. Welch, Art and Authority
in Renaissance Milan, New Haven/Londres, Yale University Press, 1995, p. 168-175 ; plus récem-
ment, voir surtout E. Rossetti, « In “contrata de Vicecomitibus”. Il problema dei palazzi viscon-
tei nel Trecento tra esercizio del potere e occupazione dello spazio urbano », dans P. N. Pagliara,
S. Romano (dir.), Modernamente antichi. Modelli, identità, tradizione nella Lombardia del Tre e
Quattrocento, Rome, Viella, 2015, p. 11-43. Sur la référence à Galvano Fiamma, voir L. Green,
« Galvano Fiamma, Azzone Visconti and the Revival of the Classical Theory of Magnificence »,
Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 53, 1990, p. 98-113.

73
m a rco folin

Fig. 2 – Andrea di Cione dit Orcagna, L’expulsion du duc d’Athènes de Florence,


1344-1345 (Florence, Palazzo Vecchio).

façon à abriter les logements seigneuriaux à côté – ou plutôt au-dessus – des
vieux bureaux communaux 5. En 1407, à Brescia, c’est encore dans le Broletto
que Pandolfo Malatesta voulut s’installer, faisant appel à des artistes parmi

5. T. Lazzari, « Il Palazzo comunale nel Medioevo », dans M. Montanari, T. Lazzari (dir.), Imola,
il comune, le piazze, Imola, Mandragora, 2003, p. 65-72 ; sur le cas de Fermo, voir L. Tomei,
« Le fortificazioni di Fermo », dans M. Mauro (dir.), Castelli, rocche, torri, cinte fortificate delle
Marche, Ravenne, Istituto italiano dei castelli, 2001, vol. 4/2, p. 81-88.

74
Demeures des vivants, demeures des morts

les meilleurs d’Italie, comme Gentile da Fabriano, pour en décorer les salles
les plus prestigieuses, à commencer par la chapelle de Saint-Georges. Taddeo
Manfredi, après avoir succédé aux Alidosi dans la seigneurie d’Imola en 1448,
logea quant à lui dans le Palazzo Nuovo, voisin du Palazzo Vecchio, mettant
en évidence à la fois la césure représentée par l’avènement de son règne et son
esprit d’ouverture à l’égard des institutions communales 6.
Nous sommes donc en présence d’une contiguïté – voire imbrication – très
marquée, si ce n’est affichée, de lieux, d’édifices et de fonctions. Il y a toutefois
un aspect sur lequel les demeures remaniées pour loger les seigneurs se diffé-
renciaient profondément des palais construits par les communes comme sièges
de leur gouvernement. Dans ce dernier cas, il s’agissait en général d’édifices à
l’architecture immédiatement reconnaissable, soit par leur échelle, nettement
plus imposante que les bâtiments environnants, soit parce qu’ils constituaient
un bloc isolé et libre de tous côtés, ou du moins muni d’une ou plusieurs
façades monumentales ornées de multiples éléments de prestige (créneaux,
tours, loggia, horloge…) qui les distinguaient dans le paysage urbain. Cette
distinction était sanctionnée sur le plan juridique par une série de règles qui
définissaient le bâtiment et les espaces adjacents comme des biens publics,
voire « consacrés 7 ». Il s’agissait à proprement parler de « palais », et personne
n’aurait employé un autre terme pour les désigner. En revanche, partout où
les expériences de gouvernements seigneuriaux se sont prolongées pendant
plusieurs générations et ont eu le loisir de modeler les espaces qui leur étaient
dévolus, on observe des typologies d’édifices radicalement différentes : non
pas des corps de logis isolés, mais des grappes de bâtiments – maisons, tours,
entrepôts, dépendances… – en général insérés sans solution de continuité dans
le tissu urbain, souvent entrecoupés de cours et d’espaces non construits, mais
presque jamais de « places », appelées et considérées comme telles 8. Ce n’est

6. T. Lazzari, « Il Palazzo comunale nel Medioevo », art. cité, p. 77-78. Sur les interventions de
Pandolfo Malatesta dans le Broletto de Brescia, voir E. Conti, « La corte bresciana di Pandolfo
Malatesta », dans G.  Chittolini, E.  Conti, N.  Covini (dir.), Nell’età di Pandolfo Malatesta :
signore a Bergamo, Brescia e Fano agli inizi del Quattrocento, Brescia, Morcelliana, 2012,
p. 47-58 ; S. Buganza, « Pandolfo III Malatesta tra Brescia e Fano. La committenza artistica »,
dans G.  Chittolini, E.  Conti, N.  Covini (dir.), Nell’età di Pandolfo Malatesta…, op.  cit.,
p. 59-82, et la bibliographie. Braccio da Montone fit encore de même à Pérouse en 1416 : voir
N. Regni, « Il Palazzo come sede del governo comunale », dans F. F. Mancini (dir.), Il Palazzo
dei Priori di Perugia, Pérouse, Quattroemme, 1997, p. 144.
7. C’est par exemple le cas à Ferrare, Modène et Reggio, comme démontré dans M.  Folin,
« Il governo degli spazi urbani negli statuti cittadini di area estense », dans R.  Dondarini,
G.  M.  Varanini, M.  Venticelli (dir.), Signori, regimi signorili e statuti nel tardo Medioevo,
Bologne, Pàtron, 2003, p. 360-361.
8. Même les piazze des seigneurs de Padoue et de Vérone – cas où l’appellation est enracinée
de longue date dans la toponymie locale – ne semblent pas avoir connu leur configuration

75
m a rco folin

pas un hasard si dans les sources ces ensembles sont le plus souvent désignés
par des mots employés au pluriel (domus, palatia, edificia…), révélateurs du
caractère discontinu des bâtiments qui les constituaient et de leur manque
d’unité, tant sur le plan architectural que fonctionnel. En effet, les fonctions
et destinations des différents espaces étaient itinérantes, mouvantes, super­
posables, au point que certains édifices semblent parfois interchangeables – il
n’était d’ailleurs pas rare qu’un seigneur choisisse pour résidence un autre édi-
fice que son prédécesseur. Le terme aujourd’hui souvent employé pour définir
ces ensembles – « palais » au singulier – ne permet nullement de traduire la
réalité de leur articulation interne. L’appellation de « quartiers » semble plus
propre à rendre compte de cette physionomie composite et éparse, qui nous
échappe en partie aujourd’hui, mais dont nous pouvons retrouver les traces
lorsque les campagnes successives de restructuration n’ont pas totalement
effacé l’organisation ancienne des espaces de cour. C’est le cas à Mantoue,
Vérone, Ferrare, Urbino, Pesaro, Foligno ou encore Carpi – pour ne citer que
quelques cas parmi les mieux documentés –, où les archives et la morphologie
même des palais de la Renaissance montrent clairement l’éclatement originel
des demeures seigneuriales, morcelées en divers noyaux détachés les uns des
autres, bien que par la suite reliés par des passages et couloirs (corridori) plus
ou moins précaires (fig. 3) 9. Aussi les palais célébrés par les chroniqueurs du

moderne avant la fin du xive siècle ; et leur rôle de premier plan dans les rituels civiques de la
cité semble remonter essentiellement aux interventions des recteurs vénitiens : sur ce thème,
voir S.  Zaggia, « Padova : XV-XVII  secolo. Trasformazione e continuità negli spazi urbani
centrali », dans D. Calabi (dir.), Fabbriche, piazze, mercati. La città italiana nel Rinascimento,
Rome, Officina, 1997, p.  260 ; H.  Porfyriou, « Verona : XV-XVI  secolo. Da “virtù civile” a
“decoro pubblico” », dans D. Calabi (dir.), Fabbriche, piazze, mercati…, op. cit., p. 195-200.
9. Sur les cas de Vérone et de Ferrare, on peut se référer à la bibliographie mentionnée plus
haut, note 2 ; sur les demeures des Malatesta à Pesaro, en partie unifiées par la suite dans le
palais ducal des Sforza, voir S. Eiche, « La corte di Pesaro dalle case malatestiane alla residenza
roveresca », dans M.  R.  Vallazzi (dir.), La corte di Pesaro. Storia di una residenza signorile,
Modène, Panini, 1986, p. 13-56 ; M. Frenquellucci, « Il Palazzo Ducale sulla scena della piazza
di Pesaro all’epoca dei Malatesta e degli Sforza », dans M. R. Vallazzi (dir.), La corte di Pesaro…,
op. cit., p. 57-66. Sur le cas du Palazzo Trinci à Foligno, particulièrement bien documenté,
voir V. Franchetti Pardo, « Palazzo Trinci nel contesto della città di Foligno », dans G. Benazzi,
F. F. Mancini (dir.), Il Palazzo Trinci di Foligno, Pérouse, Quattroemme, 2001, p. 29-50. Sur
Carpi, voir M. Rossi, E. Svalduz (dir.), Il palazzo dei Pio a Carpi Sette secoli di architettura e arte,
Venise, Marsilio, 2008 ; quant à Urbino, la bibliographie est riche et parfois contradictoire :
voir entre autres J. Höfler, Der Palazzo Ducale in Urbino unter den Montefeltro (1376-1508),
Ratisbonne, Schnell & Steiner, 2004 ; plus récemment, on peut se référer aux analyses de
F. P. Fiore, « Urbino : i Montefeltro e i Della Rovere. 1444-1538 », dans M. Folin (dir.), Corti
italiane del Rinascimento. Arti, cultura e politica, Milan, Officina Libraria, 2010, p. 288-289 ;
voir aussi E. Svalduz, « “Small Mice, Large Palaces” : from Urbino to Carpi », dans S. Beltramo,
F. Cantatore, M. Folin (dir.), A Renaissance Architecture of Power. Princely Palaces in the Italian
Quattrocento, Leyde/Boston, Brill, 2016, p. 235-262.

76
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 3 – Le palais de cour de Ferrare à l’époque de Borso d’Este :


A) Corte vecchia ; B) Torre di Rigobello ; C) Casa dei Forestieri ;
D) Castelvecchio ; E) aile orientale (grande salle) ; F) cuisines et écuries
de Borso ; G) boucherie ; H) marchés des viandes et des poissons ;
I) écuries des mulets de Borso ; J) rue qui reliait la place du Dôme
à la place San Domenico. © M. Folin.
xive siècle (et par la suite mythifiés par l’historiographie romantique) montrent,
si l’on y prête attention, une organisation semblable : aussi Galvano Fiamma,
lorsqu’il décrit les constructions entreprises par Azzone Visconti, ne parle-t-il
jamais d’un seul « palais » (selon la traduction impropre de Louis Green dans
son important article sur le revival de la théorie de la magnificence), mais
bien de palatia au pluriel 10. C’est probablement pour la même raison que les
traces documentaires de ces travaux – opera magnifica – ont pu être perdues
en quelques années, en dépit de leur caractère grandiose. On ne doit pas

10. Incipit Azo Vicecomes supradictus duo opera magnifica construere ; primum id quod respicit cultum
divinum, scilicet capellam mirabilem in honorem beate Virginis, et pallatia magnifica sue habi­
tationi convenientia. […] Edificia eius sive pallatia nullos potest sufficienter exprimere. Inter
alia est una turris magna, distinctis solariis habens cameras, sallas, deambulatoria, lavatoria,
hortos et plura alia diversis picturis ornata (Galvano Fiamma, Opusculum de rebus gestis ab
Azone, Luchino et Iohanne Viceomitibus, éd. par C. Castiglioni, Bologne, Zanichelli [Rerum
Italicarum Scriptores, 2/12/4], 1938, p. 16). Sur l’articulation des habitations des Visconti à
Milan au xive siècle, voir aujourd’hui E. Rossetti, « In “contrata de Vicecomitibus”. Il pro-
blema… », art. cité.

77
m a rco folin

cette disparition à la seule fureur destructrice de Galeazzo II Visconti, comme


le soutenait Pietro Azario, mais bien au fait qu’il ne s’agissait pas d’un seul
palais résidentiel identifié en tant que tel, mais d’une aire urbaine étendue
où se côtoyaient – entre jardins cultivés et d’agrément, viviers et ménageries
d’animaux exotiques – une série d’édifices et de fonctions répartis par la suite
entre les descendants d’Azzone 11. Ces derniers entreprirent des modifications
qui remodelèrent peu à peu l’espace, faisant disparaître non tant les différents
bâtiments que le caractère unitaire de l’ensemble du site. Le cas de la curia
des Carrara à Padoue est analogue. Celle-ci occupait un îlot entier de la cité
mais présentait une structure composite, articulée en plusieurs palais bien dis-
tincts, séparés par des jardins et des cours ; si bien que l’on a récemment émis
l’hypothèse qu’aux habitations des divers membres du lignage s’ajoutaient
d’autres demeures appartenant à des familles qui leur étaient fidèles, comme
les Montorsi (fig. 4) 12.
La situation et l’organisation interne de ces quartiers –  totalement aty-
piques dans le contexte européen – mettent en évidence toute la singularité
des seigneuries italiennes : leur caractère foncièrement hybride, symbiotique,
complémentaire eu égard aux administrations communales, et surtout la struc-
ture fondamentalement associative (consortile) des principaux lignages aris-
tocratiques de la péninsule, qui n’adoptèrent que fort tard le droit d’aînesse,
appliquant des coutumes de transmission héréditaire que les autres cours
d’Europe avaient abandonnées depuis longtemps. De ce point de vue, les ana-
logies parfois proposées entre les seigneuries italiennes et les royaumes euro-
péens sont assez contestables, bien qu’ancrées dans une longue tradition qui
trouve son origine dans la « propagande » même des souverains de la péninsule,
fondée en partie sur ces rapprochements trompeurs. À la fin du Moyen Âge,
si au nord des Alpes le principe de succession dynastique et le droit d’aînesse

11. Pietro Azario, Chronicon, éd. par F. Cognasso, Bologne, Zanichelli (RIS2, 16/4), 1925, p. 152 : in
divisione habuit etiam domos in quibus consueverant habitare domini Mathei eius avus, Galeazius,
Azo et Luchinus de Vicecomitibus praecessores. […] Quas domos et multas alias sibi propinquas
fecit funditus dirui, non dimisso solo lapide recto […], quae domus cum ornamentis et picturis et
fontibus hodie non fierent cum tercentibus millibus florenis.
12. Sur ce point (concernant le palais de la Via Dante qu’a fait construire Montorso, fils de
Guglielmo Montorsi, lui-même proche de Francesco il Vecchio), voir A. Verdi, « La Reggia car-
rarese. Le vicende architettoniche del complesso trecentesco », intervention prononcée à l’Acca-
demia Galileiana le 30 novembre 2007 et publiée en ligne à l’adresse suivante : http://www.
muradipadova.it/lic/index.php?option=com_content&view=article&id=154&Itemid=175 ; sur
la structure architecturale du palais, voir également G. Lorenzoni, « L’intervento dei Carraresi,
la Reggia e il Castello », dans L. Puppi, F. Zuliani (dir.), Padova. Case e palazzi, Vicence, Pozza,
1977, p. 29-49 ; plus récemment, voir N. Nicolini, A. Rossi, La Reggia dei Carraresi a Padova.
La Casa della Rampa : scoperte, storia e restauro delle strutture trecentesche dell’angolo sud-ovest,
Milan, Skira, 2010.

78
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 4 – Giovan Battista Savio, plan de la curia des Carrara


à Padoue, 1729 (redessiné en 1936).

constituaient depuis des siècles un pilier des monarchies héréditaires, pour les
familles régnant sur les villes italiennes l’idée même de dynastie représentait
un horizon lointain, qui ne fut atteint que tardivement et non sans difficultés,
au gré d’équilibres précaires et incertains jusqu’à la fin du xve siècle 13. On ne
peut en effet parler de « dynasties » en Italie, dans la mesure où le pouvoir de
gouverner ne se transmettait pas nécessairement (et presque jamais dans cer-
tains cas) de père en fils. Et il n’était pas davantage établi que le fils succédant
à son père devait être le fils aîné légitime.
Prenons l’exemple des Este, la plus ancienne lignée seigneuriale italienne (et
celle qui connut la plus grande longévité). Après l’élection d’Obizzo II comme
dominus perpetuus de Ferrare, en 1264, presque tous ses descendants au cours

13. Concernant les coutumes successorales des familles seigneuriales en Italie, voir F. Niccolai, « I
consorzi nobiliari e il comune nell’alta e media Italia », Rivista di Storia del Diritto Italiano,
13, 1940, p. 116-147 ; M. Barbagli, Sotto lo stesso tetto. Mutamenti della famiglia in Italia dal XV
al XX secolo, Bologne, Il Mulino, 1984, p. 189-203 ; et plus récemment F. Leverotti, Famiglia e
istituzioni nel Medioevo italiano, Rome, Carocci, 2005, p. 73-83 et 162-167.

79
m a rco folin

des deux siècles suivants accédèrent au trône au prix d’affrontements avec un


ou plusieurs prétendants qui se prévalaient d’autant de titres à la succession 14.
Ce fut le cas de son fils Azzo (accusé par Dante d’avoir tué son père par soif
de pouvoir : Inferno, XII, 111-112), qui dut lutter avec ses frères Aldobrandino
et Francesco. À sa mort, près de quinze ans plus tard, ceux-ci cherchèrent
encore à déposséder du pouvoir l’héritier désigné (le fils bâtard d’Azzo, Fresco)
et déclenchèrent une guerre intestine qui fit perdre à la famille le marquisat
pendant plusieurs années. Par la suite, en 1317, les cinq fils d’Aldobrandino­et
Francesco furent rappelés dans la cité et élus de concert domini dicte civitatis
Ferrarie et districtus sine aliqua contradictione. Ils gouvernèrent collégialement
le marquisat jusqu’à la mort du dernier d’entre eux, Obizzo III, en 1352. Ses
quatre fils lui succédèrent, élus tous ensemble seigneurs de Ferrare par le
Consiglio dei Savi, et investis par le Saint-Siège du vicariat apostolique sur
la ville. Pourtant, la succession n’alla pas non plus sans heurts. Contestant la
filiation des quatre frères, leurs cousins s’arrogèrent leurs droits et réussirent à
gagner de multiples soutiens à leur cause. Seule l’intervention de Venise empê-
cha que n’éclatât une seconde « guerre de succession ». Il semble que par la suite
les enfants d’Obizzo aient gouverné leurs terres sans avoir à faire face à trop de
dissidences pendant une quarantaine d’années : d’abord Aldobrandino, puis à
sa mort son frère cadet Nicolò II (1361), auquel succéda le benjamin Alberto V
(1388), qui transmit à son tour le pouvoir à son fils Nicolò III (1393), illégitime
lui aussi. Encore une fois, le passage d’une génération à une autre provoqua
des tensions importantes dans la famille, donnant lieu à une conjuration et à
plusieurs émeutes ourdies par les représentants d’une branche rivale, de sorte
que le jeune marquis ne put se déclarer réellement au pouvoir que plus d’un
an après le décès de son père. La situation resta instable au cours des décennies
suivantes. En témoignent en 1476 et encore en 1505 les deux conjurations qui
frappèrent la Maison d’Este, pour assassiner le duc en exercice et le remplacer
par un neveu dans un cas, par un frère bâtard dans l’autre.
Dans ses Commentarii, Pie  II consacre un paragraphe à stigmatiser la
spurcitia 15 des coutumes successorales des Este ; mais leur situation était loin
d’être un cas isolé. On pourrait en citer bien d’autres, des Trinci à Foligno aux
Visconti à Milan. Et ces usages n’étaient pas l’apanage des familles ancrées dans

14. Sur les coutumes successorales de la maison d’Este, voir J. F. Bestor, « Bastardy and Legitimacy
in the Formation of a Regional State in Italy : the Estense Succession », Comparative Studies
in Society and History, 38/3, 1996, p.  549-585 ; ead., « Gli illegittimi e beneficiati della Casa
estense », dans A. Prosperi (dir.), Storia di Ferrara. VI. Il Rinascimento. Situazioni e personaggi,
Ferrare, Corbo, 2000, p. 77-102.
15. Enea Silvio Piccolomini, Commentarii, éd. par L. Totaro, Milan, Adelphi, 1984, vol. 1, p. 39
(De Ferraria eiusque origine, et Estensium spurcitia).

80
Demeures des vivants, demeures des morts

une ­tradition « féodale ». À Bologne, par exemple, dans la seconde moitié du


xve siècle, les Bentivoglio se transmirent à plusieurs reprises le pouvoir de cou-
sin à cousin : d’Annibale – fils naturel d’Anton Galeazzo, au pouvoir entre 1443
et 1445 – à Sante († 1462), et de celui-ci au fils d’Annibale, Giovanni II († 1506).
On a ainsi l’impression, dans le milieu des seigneuries italiennes, que la suc-
cession est bien souvent le fruit de négociations menées au sein d’une famille
élargie, perçue dans son ensemble comme la dépositaire d’un patrimoine et
de prérogatives de gouvernement, bien que soi(en)t désigné(s) à chaque géné-
ration un, deux, trois individus chargé(s) de gérer cet héritage ancestral. C’est
pourquoi, tout au long du xive siècle et encore au siècle suivant, l’on observe
autant de cas où le pouvoir est partagé et exercé collégialement par plusieurs
frères et cousins qui – reconnus ou non par des vicariats apostoliques ou impé-
riaux – se répartissaient les prérogatives de façon plus ou moins informelle,
en fonction d’accords de circonstance. Les histoires des Ordelaffi à Forlì, des
Gonzague à Mantoue ou des Pico à Mirandola regorgent d’exemples dans ce
sens, tandis qu’à Carpi la cohabitation entre divers représentants du pouvoir
ne s’acheva qu’en 1531 avec la mort d’Alberto III Pio 16.
C’est précisément dans ce contexte que s’inscrit le caractère pluriel des
demeures seigneuriales italiennes à la fin du Moyen Âge. En général, les palatia
et domus qui se trouvaient dans les « quartiers » évoqués plus haut étaient répar-
tis entre des parents qui certes entretenaient des rapports de collaboration, mais
sur la base d’équilibres instables et susceptibles de se rompre à la première occa-
sion, dégénérant facilement en conflits armés qui finissaient par impliquer tout
l’environnement urbain. Ce fut le cas à Carpi, où ce qu’on appelle le Palazzo
dei Pio est en réalité le fruit d’une série d’opérations de réunions et annexions
successives à partir du xvie  siècle, visant à unifier trois corps de bâtiments
auparavant séparés, appartenant à autant de branches de la famille au pouvoir
qui, tout au long du xve siècle, avaient continué à se faire face sans règles ni
merci (fig. 5) 17. À une tout autre échelle, on peut observer des dynamiques sem-
blables à Milan sous Bernabò et Galeazzo Visconti. Au moment de succéder à
leur oncle (l’archevêque Giovanni), ceux-ci s’établirent respectivement dans le
palais de San Giovanni in Conca et dans le château de Porta Giovia, bastions

16. E. Mattaliano, « L’autonomia del territorio di Carpi dagli inizi al passaggio sotto il dominio
estense », dans Società, politica e cultura a Carpi ai tempi di Alberto III Pio, Padoue, Antenore,
1981, vol. 2, p. 385-393.
17. M. Folin, « Nei palazzi quattrocenteschi dei Pio : apparati decorativi e organizzazione degli
spazi di corte », dans M. Rossi, E. Svalduz (dir.), Il palazzo dei Pio a Carpi…, op. cit., p. 51-60 ;
et plus généralement M. Ghizzoni, « Ordinamenti politici e strategie signorili : note di storia
urbanistica carpigiana tra Medioevo e Rinascimento », dans E. Svalduz (dir.), L’ambizione di
essere città. Piccoli, grandi centri nell’Italia rinascimentale, Venise, Istituto di scienze, lettere ed
arti, 2004, p. 121-154.

81
m a rco folin

Fig. 5 – Les palais des trois principales branches de la famille Pio au xve siècle :
A) palais de Giberto II et Marco II (Castelvecchio, 1443-1494) ;
B) palais d’Alberto II, Leonello et Alberto III (ca. 1443-1506) ;
C) palais de Galasso III et Giberto III (1443-1499).
© M. Folin, d’après un plan de Carpi de la moitié du xviiie siècle,
Archivio Storico Comunale di Carpi, AG, b. 142, c. 7.

82
Demeures des vivants, demeures des morts

des systèmes de fortifications tentaculaires qui se déployaient entre les quartiers


du centre et le mur d’enceinte de la ville 18. À Carpi comme à Milan, la ville se
retrouvait ainsi segmentée en deux ou davantage de secteurs assujettis à divers
co-seigneurs, qui partageaient en même temps que le pouvoir des exigences
concurrentielles de visibilité dans l’espace urbain. La forme, l’organisation,
les usages des demeures des uns et des autres ne pouvaient qu’être profondé-
ment marqués par les tensions issues de ces rivalités. Sans en arriver toujours à
ces cas extrêmes, dans la plupart des cas les résidences seigneuriales italiennes
reflétaient intérieurement les mêmes antagonismes de fond. La multiplication
fréquente des façades, des cours, des entrées et des appartements, le manque de
cohésion des édifices souvent fortifiés les uns contre les autres ou encore la rela-
tive incohérence des schémas de distribution internes et l’absence d’une claire
hiérarchie entre les bâtiments en sont des conséquences directes. Au regard de
l’architecture et du langage des pierres, les seigneuries italiennes présentaient
ainsi sur la scène urbaine de leur époque un visage bien peu unitaire, affichant
plutôt les traces bien visibles de leurs dissidences intestines.

Les sépultures de la première génération des seigneurs


au tournant des xiii e et xiv e siècles

Si l’on considère à présent les caractéristiques des sépultures des seigneurs à


cette même période, le paysage qui s’offre à nous semble présenter de nombreux
points communs avec celui évoqué plus haut. Les stratégies funéraires des sei-
gneurs des villes italiennes entre xiiie et xive siècle ne paraissent pas, au départ,
suivre des modèles univoques – le contraire eût d’ailleurs été fort étonnant, étant
donné l’extrême variété de leurs origines, de leurs modes d’accession au pouvoir
et des formes et périodes de leur gouvernement 19. Les familles qui tiraient leur
influence et leur prestige de titres et de biens ancrés en dehors des villes ne
semblaient pas à l’origine disposées à abandonner leurs lieux traditionnels de
sépulture : en général des églises et des abbayes qu’elles-mêmes avaient fondées
par le passé, à proximité de leur château ou de terres placées sous leur contrôle.

18. On peut se référer à la bibliographie citée plus haut, note  4 ; outre N.  Covini, « Visibilità
del principe e residenza aperta : la Corte dell’Arengo di Milano tra Visconti e Sforza », dans
A.  Calzona (dir.), Il principe in-visibile, Atti del convegno internazionale di studi (Mantova,
Centro Studi Leon Battista Alberti, 27-30 novembre 2013), à paraître.
19. Pour une vue d’ensemble des formes du pouvoir seigneurial dans l’Italie de la fin du Moyen
Âge, voir J.-C. Maire Vigueur (dir.), Signorie cittadine nell’Italia comunale, Rome, Viella, 2013 ;
ou A. Zorzi, Le signorie cittadine in Italia, Milan, Mondadori, 2010 ; R. Rao, Signori di Popolo.
Signoria cittadina e società comunale nell’Italia nord-occidentale 1275-1350, Milan, Angeli, 2012 ;
P. Grillo (dir.), Signorie italiane e modelli monarchici (secoli 13.-14.), Rome, Viella, 2013.

83
m a rco folin

C’est le cas de Marsilio da Carrara, par exemple, qui encore en 1338 – après
avoir été seigneur de Padoue pendant vingt ans – se fit enterrer dans l’abbaye de
Carrara Santo Stefano, en face du château qui avait été le cœur du pouvoir de sa
famille pendant des siècles 20. Dans les mêmes années, Rizzardo VI da Camino,
dernier descendant de la famille qui avait régné sur Trévise entre 1283 et 1312,
était enterré dans la chapelle nobiliaire du château familial de Serravalle 21. Les
comtes de Savoie faisaient de même dans le territoire subalpin, tout comme
les marquis de Saluzzo et de Monferrat, qui continuèrent tout au long du
xiiie siècle à se faire ensevelir dans les abbayes cisterciennes fondées par leurs
ancêtres, bien qu’ils aient depuis longtemps jeté leur dévolu sur une sépulture
urbaine 22. Trente ans plus tard Obizzo II d’Este, élu gubernator et rector et gene­
ralis et perpetuus dominus de Ferrare en 1264, voulut – au moment de r­ édiger son
­testament – que son corps fût transféré dans un couvent franciscain à l’extérieur
de Rovigo qu’il avait richement doté à cet effet : en d’autres termes à l’endroit où
se concentraient les propriétés foncières de la famille, pas très loin de l’abbaye de
la Vangadizza où reposaient ses aïeuls depuis la fin du xie siècle (fig. 6) 23.
Il en était bien autrement lorsque la famille avait depuis des générations
enraciné son pouvoir dans le territoire urbain et que son ascension avait eu lieu
au sein des institutions communales, au cœur de la ville et de ses trafics. Dans
ce cas, l’église choisie pour conserver la dépouille du seigneur n’était en général
pas une fondation blasonnée en pleine campagne, mais une paroisse citadine,

20. F.  Mangani, « La tomba di Marsilio nell’abbazia di Santo Stefano di Due Carrare », dans
D. Banzato, F. Flores d’Arcais (dir.), I luoghi dei Carraresi. Le tappe dell’espansione nel Veneto
nel XIV secolo, Trévise, Canova, 2006, p. 121-128.
21. G.  B.  Cervellini, « Il monumento Caminese di Serravalle (Vittorio) », Bollettino d’arte del
Ministero della Pubblica Istruzione, 19, 1929-1930, p. 456-477 ; C. Esposito, « Il monumento
funebre di Rizzardo  VI da Camino », dans Il dominio dei Caminesi tra Piave e Livenza,
Vittorio Veneto, Circolo TIPSE, 1988, p. 101-111 ; T. Franco, « Pro honore altissimi Salvatoris
mundi et ipsius domini comitis. La magnificenza signorile dei Collalto e dei da Camino », dans
A. C. Quintavalle (dir.), La chiesa e il palazzo, Milan, Electa, 2007, p. 280-290.
22. C. Tosco, « Il mausoleo del principe », dans id., Architetture del Medioevo in Piemonte, Turin,
Valerio, 2003, p. 143-182.
23. M. Innocenti, « L’abbazia della Vangadizza di Badia Polesine : i suoi rapporti con la grande
storia europea del Medioevo e con i monasteri tedeschi di Weingarten e Altomünster », Beni
culturali e ambientali in Polesine, 5, 2002, p. 41-49. Sur le testament d’Obizzo II, voir Archivio
di Stato di Modena, Casa e Stato, B. 324, 28 juin 1292 : construatur et fiat unus locus religiosus in
quo quidem loco religioso morentur et morari possint continue viri religiosi numero quinquaginta
de ordine beati Francisci, qui minores fratres vulgariter appellantur […] in Policino extra portam
terre nostre Rodigii super cantonem vie per quam viam et portam itur ad villam Sarzani. […]
Item elegimus sepulturam nostram et volumus sepelliri apud domum fratrum minorum in loco
nostro religioso quem apud Rodigium fieri ordinavimus, sicut est superius declaratum, et hoc si
tempore mortis nostre dictus locus fuerit incohatus ; quod si non fuerit incohatus eligimus sepelliri
apud domum fratrum minorum de Ferraria quousque dictus locus fuerit inchoatus, quo inchoato
ad eum locum volum transferri et portari et corpus nostrum ibi sepelliri.

84
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 6 – Badia Polesine, abbaye de la Vangadizza :


les sarcophages d’Alberto Azzo et Cunegonda de Altdorff (gauche)
et d’Azzo VI et Alice de Chatillon (droite). © M. Folin.

le plus souvent située dans le quartier de résidence de la famille. L’exemple le


plus connu et étudié est celui des Della Scala à Vérone : avant l’érection des
tombeaux de Cangrande et de ses successeurs, les représentants de la famille se
faisaient enterrer depuis plus d’un siècle dans le cimetière du quartier de Santa
Maria Antica, au cœur du quartiere scaligero qui s’étendait derrière la Piazza delle
Erbe 24. Le cas de Vérone ne faisait pas figure d’exception en Italie et de nom-
breuses villes – de Gênes à Bologne, de Pise à Florence – étaient dotées d’églises
nobiliaires, autour desquelles s’organisait la vie de la curtis aristocratique et où
s’entassaient également les sépultures des membres des familles au pouvoir 25.

24. E. Napione, Le arche scaligere di Verona, Venise, Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti,
2009, p. 41-54.
25. Sur les caractéristiques générales de l’implantation de l’aristocratie dans les territoires urbains
à la fin du Moyen Âge, voir J. Heers, La città nel Medioevo, Milan, JacaBook, 1995, p. 227-232,
235-253 et 260-275 et la bibliographie qui y figure ; sur le cas de Vérone, on peut se référer plus
particulièrement à A. Castagnetti, « La famiglia veronese degli Avvocati (secoli XI-XIII) », dans
Studi sul Medioevo cristiano offerti a Raffaello Morghen, Rome, Istituto Storico Italiano per il
Medioevo, 1974, vol. 1, p. 251-292 ; G. M. Varanini, « Torri e casetorri a Verona in età comu-
nale : assetto urbano e classe dirigente », dans Paesaggi urbani dell’Italia padana nei secoli VIII-
XIV, Bologne, Cappelli, 1988, p. 173-249 ; id., « Spazio urbano e dinamica sociale a Verona in
età comunale e scaligera. Linee di interpretazione », dans P. Lanaro, P. Marini, G. M. Varanini
(dir.), Edilizia privata nella Verona rinascimentale, Milan, Electa, 2000, p. 23-36.

85
m a rco folin

Nous sommes donc en présence de deux types divergents de comporte-


ment, qui partagent toutefois un trait essentiel : dans un cas comme dans
l’autre – et ce indépendamment de l’autorité récemment acquise en ville –,
les premières générations des tyrans se montraient particulièrement rétives
à se détacher des coutumes de leurs ancêtres, ou plus généralement de leur
milieu d’origine. Ainsi, les tombeaux destinés aux hommes ayant personnel-
lement exercé un pouvoir seigneurial ne semblent se distinguer en aucune
façon de ceux des autres membres de leurs familles respectives, qui parfois
étaient même plus monumentaux que les premiers. À Gênes, par exemple, le
tombeau le plus grandiose érigé dans la première moitié du xive siècle pour
un représentant de la famille Doria (un sarcophage romain encastré dans la
façade de l’église San Matteo) n’était pas celui d’Oberto, leader reconnu du
parti guelfe dans la cité et pendant de nombreuses années Capitaneus commu­
nis et populi, mais celui de son frère Lamba : un personnage de premier plan
dans la vie de la cité, héros de la bataille de Curzola, mais qui n’eut jamais
l’ascendant politique de son frère 26. Jusqu’à la mort de Cangrande, les tombes
des Della Scala à Vérone s’empilaient de même sans que fussent établies de
grandes différences entre les seigneurs et leurs parents, de sorte qu’il est difficile
aujourd’hui de déterminer pour les sarcophages du début du siècle – dénués
de signes de reconnaissance individuelle au-delà de l’appartenance générique
à la Maison des Della Scala 27 – s’ils appartenaient à tel ou tel membre de la
famille (fig. 7). Le tombeau même de Cangrande ne se posait à l’origine qu’en
rival de ce qui constituait alors sans conteste la plus ambitieuse sépulture de
Vérone : le monument érigé une dizaine d’années auparavant à Sant’Anastasia
pour Guglielmo da Castelbarco, seigneur féodal riche et puissant, mais qui
en ville n’avait été que podestat pendant quelques mois bien des années plus
tôt 28. On a en somme l’impression que le fait d’avoir régné quelque temps sur
une cité ne constituait pas en soi un événement digne de peser sur l’identité
personnelle d’un homme, ou du moins sur la façon dont celui-ci voulait qu’on
se souvienne de lui après sa mort.

26. Rappelons au passage qu’à la fin du xiiie siècle, une autre branche de la famille avait com-
mencé à se faire enterrer dans le couvent cistercien de San Fruttuoso à Capodimonte : voir
G. Chiavari, « Tombe dei Doria a San Fruttuoso di Capodimonte : diagnostica dei materiali
in funzione di un restauro », Arkos, 5/7, 2004, p. 44-51.
27. E. Napione, Le arche scaligere di Verona, op. cit., p. 67-92.
28. P.  Seiler, « La trasformazione gotica della magnificenza signorile. Committenza viscontea e
scaligera nei monumenti sepolcrali dal tardo Duecento alla metà del Trecento », dans V. Pace,
M. Bagnoli (dir.), Il Gotico europeo in Italia, Naples, Electa, 1994, p. 130 ; M. M. Donato,
« I signori, le immagini e la città. Per lo studio dell’“immagine monumentale” dei signori di
Verona e di Padova », dans A. Castagnetti, G. M. Varanini (dir.), Il Veneto nel Medioevo : le
signorie trecentesche, Vérone, Banca Popolare di Verona, 1995, p. 391-392.

86
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 7 – Vérone, cimetière de Santa Maria Antica :


le sarcophage de Bartolomeo I Della Scala. © M. Folin.

Pendant les trois premières décennies du xive  siècle, aucun seigneur ne


semble donc avoir cultivé l’ambition de se faire ériger un tombeau qui soit
même de loin comparable aux monuments funéraires voulus par Henri VII
pour son épouse et lui-même, placés respectivement dans l’église San Francesco
de Gênes (1313-1314) et dans la cathédrale de Pise (1315), ou aux monuments
pariétaux que depuis quelque temps les papes et les membres les plus en vue
de la curie avaient adoptés en suivant des modèles français 29. Les seules excep-
tions ne font en réalité que confirmer la règle : il s’agit des trois tombeaux

29. J. Gardner, « L’introduzione della tomba figurata in Italia centrale », dans V. Pace, M. Bagnoli
(dir.), Il Gotico europeo in Italia, op. cit., p. 207-219 ; sur les monuments voulus par Henri VII,
voir V.  Herzner, « Herrscherbild oder Grabfigur. Die Statue eines thronenden Kaisers und
das Grabmal Heinrichs VII. von Tino di Camaino in Pisa », dans B. Brock, A. Preiss (dir.),
Ikonographia. Anleitung zum Lesen von Bildern. Festschrift Donat de Chapeaurouge, Munich,
Klinkhardt & Biermann, 1990, p. 26-77 ; A. R. Calderoni Masetti, « Per il monumento funebre
di Arrigo VII nel Duomo di Pisa », dans A. C. Quintavalle (dir.), Le vie del Medioevo. Atti
del convegno internazionale di studi (Parma, 28 settembre-1 ottobre 1998), Milan, Electa, 2000,
p. 374-387 ; id. (dir.), Giovanni Pisano. La tecnica e il genio. 1. Novita e approfondimenti sul
monumento a Margherita di Brabante, Gênes, Museo di Sant’Agostino, 2001, p. 1-15.

87
m a rco folin

seigneuriaux les plus imposants des premières décennies du siècle – les seuls
qui affichent à cette date l’ambition de s’affirmer comme des monuments
civiques dans la ville, s’adressant en tant que tels à la collectivité urbaine –
destinés à Ottone Visconti à Milan (après  1295 ; fig.  8), à Berardo Maggi à
Brescia (1308-1311) et à Guido Tarlati à Arezzo (1329-1332) 30. Trois personnages
qui, avant de devenir des seigneurs, avaient été évêques de leurs villes respec-
tives et avaient à ce titre exercé le pouvoir – si bien que le caractère propre-
ment seigneurial et politique de leur domination a été récemment fortement
remis en question 31. Dans chacun de ces cas, les messages écrits et figurés dont
les sarcophages étaient porteurs, de même que leur emplacement dans les
cathédrales de leurs villes, n’établissaient aucune distinction entre l’exercice
du pouvoir politique et la dignité ecclésiastique, et visaient ouvertement à
légitimer le premier par la seconde. Ce fait extrêmement significatif confirme
ce qui émerge des recherches les plus récentes sur l’évolution des relations de
pouvoir dans les villes italiennes des xiiie et xive siècles 32 : sur le plan des insti-
tutions comme du langage politique, mais également en termes de stratégies
conscientes de communication par l’image, les premières phases d’affirmation

30. G.  A.  S.  Pelham, « Reconstructing the Programme of the Tomb of Guido Tarlati, Bishop
and Lord of Arezzo », dans J. Cannon, B. Williamson (dir.), Art, Politics and Civic Religion
in Central Italy, 1261-1352 : Essays by Postgraduate Students at the Courtauld Institute of Art,
Aldershot, Ashgate, 2000, p. 71-115 ; V. Conticelli, « Una sepoltura ricchissima e “quanto più
si potesse onorata” : osservazioni sul cenotafio di Guido Tarlati nel duomo di Arezzo », dans
A. Galli, P. Refice (dir.), Arte in terra d’Arezzo : il Trecento, Florence, Edifir, 2005, p. 179-189 ;
R. Bartalini, « “Segnori al tutto d’Arezzo”. Alcune considerazioni sui Tarlati al potere e la loro
committenza », dans A. C. Quintavalle (dir.), Medioevo. Arte e storia. Atti del convegno interna­
zionale di studi (Parma, 18-22 settembre 2007), Milan, Electa, 2008, p. 554-563. Sur le tombeau
de Berardo Maggi, voir J.-F. Sonnay, « Paix et bon gouvernement : à propos d’un monument
funéraire du Trecento », Arte Medievale, 2/4/2, 1990, p. 179-193 ; G. Archetti, « Immagine e
memoria di un episcopato nell’iconografia del sarcofago Maggi (sec. XIV) », dans Scritti in
onore di Gaetano Panazza, Brescia, Accademia di scienze, lettere ed arti, 1994, p.  117-137 ;
W. Cupperi, « Il sarcofago di Berardo Maggi, signore e vescovo di Brescia, e la questione dei
suoi ritratti trecenteschi », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, Classe di Lettere e
Filosofia, 4/2, 2002, p. 387-438 ; E. Freeman, « The Tomb as Political Narrative at the Turn of
the Fourteenth Century. Reassessing the Funerary Monument and Statue of Berardo Maggi,
Bishop of Brescia (d. 1308) », Church Monuments, 24, 2009, p. 53-72 ; M. Ferrari, « I Maggi a
Brescia. Politica e immagine di una “signoria” (1275-1316) », Opera Nomina Historiae, 4, 2011,
p. 19-66 ; G. Archetti (dir.), Berardo Maggi. Un principe della chiesa al crepuscolo del Medioevo,
Brescia, Fondazione Civiltà Bresciana, 2012. Sur le monument d’Ottone Visconti, voir P. Seiler,
« La trasformazione gotica della magnificenza signorile… », art. cité, p. 122 ; E. S. Welch, Art
and Authority in Renaissance Milan, op. cit., p. 15-18 ; G. C. Cariboni, « Comunicazione simbo-
lica e identità cittadina a Milano presso i primi Visconti (1277-1354) », Reti medievali Rivista,
9/1, 2008, p. 13-14.
31. F. Negro, « I signori vescovi : note sul senso di una categoria », dans J.-C. Maire Vigueur (dir.),
Signorie cittadine nell’Italia comunale, op. cit., p. 263-301.
32. Voir la bibliographie mentionnée plus haut, note 19.

88
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 8 – Milan, cathédrale : le sarcophage d’Ottone


et Giovanni Visconti. © M. Folin.

89
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du régime seigneurial semblent partout caractérisées par une forte continuité


avec le passé, et par la tendance des nouveaux tyrans à éviter des formes trop
ostentatoires d’exaltation de leur personne, sauf s’ils étaient déjà légitimés par
un rôle reconnu au sein de la cité.

Le tournant des années 1330 : changements et continuités


à la fin du Moyen Âge

Ce n’est qu’à partir des années 1330 que les choses commencent, lentement, à
évoluer. En premier lieu, les abbayes rurales cessent un peu partout de consti-
tuer un lieu de sépulture convoité par les seigneurs et leurs parents. Partout,
ceux-ci tendent à abandonner les anciens tombeaux extra-urbains au profit
de nouvelles chapelles funéraires fondées dans les églises les plus importantes
des villes – si l’on excepte le cas des moines et des abbés, qui jouissaient tou-
jours du privilège de pouvoir être enterrés dans l’église où ils avaient officié 33.
L’évolution des formes mêmes des tombeaux est sans doute encore plus signi-
ficative : plus ambitieuses, plus grandioses, elles témoignent de toute évidence
du désir d’un nombre croissant de seigneurs de se doter d’une sépulture au
caractère monumental et somptuaire conforme à leur statut, ce qui était encore
tout à fait inusité quelques années auparavant.
Les cas les plus connus et étudiés sont ceux des Della Scala et des Visconti,
pour qui furent érigés en l’espace de cinquante ans pas moins de cinq tombeaux
aux prétentions ouvertement monarchiques : les trois tombeaux de Cangrande
(vers 1335), Mastino II (à la fin des années 1440) et Cansignorio (1374-1375 ;
fig. 9) à Vérone 34 ; et à Milan les monuments destinés à Azzone dans l’église

33. Deux exemples parmi d’autres : à Vérone, Giuseppe Della Scala, abbé de San Zeno, fut enterré
dans le cloître de « son » monastère en 1313 ; à Ferrare, Gurone d’Este, commanditaire du
monastère de Sant’Antonio in Polesine, y fut inhumé en 1556. On peut observer au passage que
le même principe valait pour les religieuses, en particulier les abbesses, qui pouvaient d’autant
plus légitimement prétendre à une sépulture d’exception dans le monastère où elles avaient
vécu qu’elles étaient auréolées d’une réputation de grande dévotion, voire de sainteté. Dans ce
cas, leur sépulcre pouvait devenir l’objet d’un culte, de rituels et de pèlerinages : ce fut le cas
au milieu du xiiie siècle pour la bienheureuse Beatrice d’Este († 1239) et sa nièce homonyme
(† 1262), enterrées respectivement dans l’abbaye de Gemmola et le monastère de San Lazzaro
à Ferrare ; ou plus tard pour les bienheureuses Margherita (†  1464) et Ludovica de Savoie
(† 1503), inhumées à Alba et Orbe, dans les monastères qu’elles avaient fondés. Pour une mise
en perspective de cette question sur le plan européen, voir A. Vauchez, « Beata Stirps : sainteté
et lignage en Occident aux xiiie et xive siècles », dans Famille et parenté dans l’Occident médiéval.
Actes du colloque de Paris (6-8 juin 1974), Rome, École française de Rome, 1977, p. 397-406 ;
G. Klaniczay, Holy Rulers and Blessed Princesses. Dynastic Cults in Medieval Central Europe,
Cambridge, Cambridge University Press, 2002.
34. E. Napione, Le arche scaligere di Verona, op. cit.

90
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 9 – Vérone, cimetière de Santa Maria Antica :


l’arca de Cansignorio Della Scala. © M. Folin.

91
m a rco folin

Fig. 10 – Milan, San Gottardo in Corte :


le sarcophage d’Azzone Visconti. © M. Folin.

de San Gottardo in Corte (1342-1346 ; fig. 10) et à Bernabò à San Giovanni


in Conca (1363-1385 ; fig. 11) 35. Mais il s’agit sans doute d’une tendance plus
générale. L’emplacement même dans le tissu urbain de certains monuments

35. Sur le tombeau d’Azzone, voir P. Seiler, « Das Grabmal des Azzo Visconti in San Gottardo in
Mailand », dans J. Garms, A. M. Romanini (dir.), Skulptur und Grabmal des Spätmittelalters
in Rom und Italien, Vienne, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1990,
p. 367-392 ; P. Boucheron, « Tout est monument. Le mausolée d’Azzone Visconti à San Gottardo
in Corte (Milan, 1342-1346) », dans D. Barthélemy, J.-M. Martin (dir.), Liber largitorius. Études
d’histoire médiévale offertes à Pierre Toubert par ses élèves, Genève, Droz, 2003, p. 303-329. Sur le
monument de Bernabò, voir A. Lee Palmer, « Bonino da Campione’s Equestrian Monument
of Bernabò Visconti and Popular Piety in the Late Middle Ages », Arte Lombarda, 121/3, 1997,
p. 57-66 ; et surtout G. A. Vergani, L’arca di Bernabò Visconti al Castello Sforzesco di Milano,
Milan, Silvana, 2001.

92
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 11 – Milan, Castello Sforzesco : le monument funéraire de Bernabò Visconti


(à l’origine dans l’église de San Giovanni in Conca). © M. Folin.

93
m a rco folin

parmi les plus ambitieux du milieu du siècle reflète la nouvelle exigence de


plusieurs seigneurs de faire montre de leur ascension au faîte de la classe poli-
tique citadine. Ainsi les Gonzague, après avoir succédé aux Bonacolsi à la tête
de Mantoue, se firent enterrer pendant deux générations dans l’abside de la
cathédrale San Pietro, à un emplacement prestigieux s’il en est : à côté de l’autel
majeur. Quelques années plus tard, à Pise, Giovanni dell’Agnello commandita
pour lui et son épouse deux sarcophages extrêmement coûteux, qui auraient
dû être placés sur la façade de l’église San Francesco et dans la cathédrale 36. À
Padoue, Francesco da Carrara il Vecchio et son épouse se firent quant à eux
inhumer dans le baptistère de la ville (1378-1398) 37.
Malgré leurs différences, ces monuments présentent un certain nombre de
traits communs jusqu’alors relativement inédits. En premier lieu, on peut relever
la richesse et la qualité de leur appareil décoratif, sans précédent pour des monu-
ments commémorant des tyrans – ce que restaient aux yeux de beaucoup les
commanditaires de ces tombeaux. On n’avait pas pour leur réalisation regardé
à la dépense, pourvu de s’assurer le concours de maîtres renommés souvent
venus d’ailleurs (Giovanni di Balduccio, Bonino da Campione, Andriolo de’
Santi…) 38. Le fait que les messages écrits et figurés qui les ornaient visent osten-
siblement à exalter les entreprises personnelles du défunt, plus que son apparte-
nance générique à une famille aristocratique, est également très significatif. On
peut citer à titre d’exemples les conquêtes militaires évoquées sur le tombeau de
Cangrande, la procession des représentants des villes assujetties sur le sarcophage
d’Azzone Visconti, ou encore les vertus royales qui se présentent en servantes
de son cousin Bernabò. Enfin, qu’elles soient situées dans une cathédrale ou un
baptistère, près de l’autel majeur ou contre la façade d’une église, ces sépultures
semblent toujours placées de manière à jouir d’une grande visibilité « publique »,

36. A. Poloni, « Il trono del doge. Giovanni dell’Agnello signore di Pisa e di Lucca (1364-1368) »,
dans P. Grillo (dir.), Signorie italiane…, op. cit., p. 321 ; sur les sarcophages des Gonzague dans
la cathédrale de Mantoue, voir P. Bertelli, « I Gonzaga sepolti in duomo », dans R. Golinelli
Berto (dir.), Sepolcri gonzagheschi, Mantoue, Associazione per i Monumenti Domenicani
(Quaderni di San Lorenzo, 11), 2013, p. 23-56. Giovanni Visconti di Oleggio († 1366) se fit
aussi enterrer dans la cathédrale de Fermo : voir G. A. Vergani, « Un signore lombardo, uno
scultore romagnolo e un sepolcro “alla veneziana” nelle Marche del Trecento. Bonaventura
da Imola e l’Arca di Giovanni Visconti da Oleggio nel duomo di Fermo », dans S. Maddalo,
I. Lori Sanfilippo (dir.), Civiltà urbana e committenze artistiche al tempo del maestro di Offida
(secoli XIV-XV), Ascoli Piceno, Istituto Storico Italiano per il Medioevo, 2013, p. 219-240.
37. H. Saalman, « Carrara Burials in the Baptistery of Padua », The Art Bulletin, 69, 1987, p. 376-394.
38. La question du coût matériel de ces monuments constitue une intéressante piste de recherche :
pour quelques informations à ce sujet, on peut se reférer à C. Di Fabio, « I sepolcri della regina
Margherita, del cardinale Luca Fieschi e dei dogi Simone Boccanegra e Leonardo Montaldo »,
Bollettino dei Musei Civici Genovesi, 20/64, 2000, p. 7-20 ; plus généralement, voir S. Badham,
S. Oosterwijk (dir.), Monumental Industry. The Production of Tombs Monuments in England and
Wales in the Long Fourteenth Century, Donington, Shaun Tyas, 2010.

94
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 12 – Vérone : le Castelvecchio, bâti par Cangrande II Della Scala


vers la moitié du xive siècle. © M. Folin.

marquant de leur présence un édifice, une place ou, plus largement, tout l’espace
liturgique d’un pôle de l’identité civile et religieuse de la ville.
Dans les mêmes années, les quartiers résidentiels des seigneurs semblent
engagés dans la voie de changements analogues, qui tendent à rendre plus
manifestes les revendications de pouvoir des commanditaires (fig. 12) 39. Dans
ce contexte, il est significatif que les textes voués à exalter la magnificence des
palais des Visconti, des Della Scala ou des Carrara multiplient les allusions
à des éléments de prestige issus du répertoire de « l’architecture de pouvoir »
à caractère impérial (ou pontifical, en Italie) : chapelles palatines, mausolées
dynastiques, jardins, ménageries d’animaux exotiques, appareils décoratifs et
programmes iconographiques liés au thème du « triomphe »… Dans la majo-
rité des cas, il est vrai que ces éléments, indépendamment – ou peut-être à
cause – de leur signification explicite de célébration du pouvoir, étaient confi-
nés dans les parties intérieures et privées des demeures seigneuriales, tandis
que les façades extérieures restaient fidèles à la tradition architecturale locale.
Toutefois, l’existence même de ces décors, comme le fait que l’on s’adresse de
plus en plus souvent pour leur réalisation à des artistes de renom (la récurrence

39. Le cas de Vérone, entre autres, est significatif : voir V. Bertolini, « Cansignorio e la città marmo-
rina », dans G. M. Varanini (dir.), Gli Scaligeri 1277-1387…, op. cit., p. 255-260 ; M. M. Donato,
« I signori, le immagini e la città… », art. cité, p. 430-437. Avec une attention particulière au
programme décoratif du palais de Cangrande, on peut se référer plus récemment à F. Piccoli,
« Dentro e fuori la corte : note sulle pitture trecentesche nel palazzo di Cangrande della Scala a
Verona », dans S. Romano, D. Zaru (dir.), Arte di corte in Italia del Nord. Programmi, modelli,
artisti (1330-1402 ca.), Rome, Viella, 2013, p.  147-170 ; E.  Napione, « Tornare a Julius von
Schlosser : i palazzi scaligeri, la “sala grande dipinta” e il primo umanesimo », dans S. Romano,
D. Zaru (dir.), Arte di corte in Italia del Nord…, op. cit., p. 171-194.

95
m a rco folin

du nom de Giotto est à cet égard significative), sont des signes éloquents des
changements profonds qui voient alors le jour et de l’importance grandissante
que l’image du Prince venait à jouer dans le débat politique de l’époque 40.
L’évolution du goût des seigneurs ou la compétition entre les différentes
cours italiennes 41 ne peuvent suffire à expliquer ces transformations. Bien sûr,
ces données ont leur importance. Mais d’autres facteurs de nature politique,
liés à la faillite des projets hégémoniques d’Henri VII et de ses émules, à la
frustration des ambitions de la Maison d’Anjou, à la stabilisation du cadre ins-
titutionnel dans lequel s’inscrivaient les seigneurs grâce au développement de la
pratique du vicariat, ont très probablement joué un rôle déterminant dans ce
processus. De ce point de vue, les transformations qui touchent les demeures
seigneuriales – dont les sépultures des Della Scala et des Visconti étaient l’exact
reflet – peuvent apparaître comme les témoins d’un profond changement des
équilibres politiques dans la péninsule italienne et des nouvelles ambitions que
cultivait la génération des seigneurs arrivée au pouvoir au milieu du xive siècle.
Cependant, les opérations de grande envergure évoquées plus haut appa-
raissaient sous d’autres aspects comme relativement atypiques dans le contexte
de l’époque, et étaient généralement perçues comme telles par leurs contem-
porains. Les allusions de Galvano Fiamma aux sommes fabuleuses dépensées
par Azzone Visconti pour décorer San Gottardo ou les critiques de l’Anonyme
romain contre les « palais démesurés » (esmesurata palatia) érigés par Mastino
Della Scala pour se montrer « roi digne de couronne » (rege da corona) sont à
cet égard révélatrices : bien que militant dans des coalitions idéologiquement
opposées, les deux auteurs partagent comme une évidence le sentiment de
se trouver face à des entreprises au caractère somptuaire hors norme 42. En
matière de représentation funéraire, les choix des seigneurs de l’Italie centrale
et septentrionale semblent en effet, au moins jusqu’aux premières décennies
du xve siècle, se porter non sur des monuments « triomphaux » mais sur des
sépultures qui, même si elles reflètent les changements d’orientation évoqués
plus haut, restent fortement ancrées dans la tradition et ne se distinguent guère

40. G. M. Varanini, « Propaganda dei regimi signorili : le esperienze venete del Trecento », dans
P.  Cammarosano (dir.), Le forme della propaganda politica nel Due e nel Trecento. Relazioni
tenute al convegno internazionale organizzato dal Comitato di studi storici di Trieste, dall’École
française de Rome e dal Dipartimento di storia dell’Università degli studi di Trieste (Trieste,
2-5 marzo 1993), Rome, École française de Rome, 1994, p. 331-336 ; M. M. Donato, « I signori,
le immagini e la città… », art. cité, p. 381-384.
41. B. Cassidy, Politics, Civic Ideals and Sculpture in Italy, c. 1240-1400, Turnhout, Brepols, 2007,
p. 233 ; P. Seiler, « La trasformazione gotica della magnificenza signorile… », art. cité, p. 133-134.
42. Sur Galvano Fiamma, voir L. Green, « Galvano Fiamma, Azzone Visconti… », art. cité ; sur
l’évocation de Mastino et de son monument dans la Cronica de l’Anonyme romain, voir
E. Napione, Le arche scaligere di Verona, op. cit., p. 273-286.

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Demeures des vivants, demeures des morts

des tombeaux de n’importe quelle famille aristocratique citadine, quel qu’ait


été son rôle au sein de la communauté citadine.
La disposition dans l’espace des tombes seigneuriales est déjà à cet égard
significative. En dehors de cas exceptionnels, jusqu’à la fin du Moyen Âge la
plupart des seigneurs continuent en effet à privilégier comme lieux de sépul-
ture les églises des ordres mendiants de leurs villes respectives, avec une prédi-
lection marquée pour les églises franciscaines : ce fut le cas des Este à Ferrare
(ca. 1350-1394) et des Malatesta à Rimini (1312-1461), Pesaro (1371-1373) et Fano
(1398, 1460) 43 ; des Manfredi à Faenza (San Francesco, 1405 ; San Girolamo
dell’Osservanza, 1468) et des Da Polenta à Ravenne (1396) 44 ; des Ordelaffi puis
des Riario à Forlì (1381-1480, 1481) 45 ; des Castracani et des Guinigi à Lucques
(1328-1422) 46 ; des Caminesi à Trévise (1306-1312) et des Gonzague à Mantoue
(1369-1484) 47 ; et la liste pourrait s’allonger à l’envi, jusqu’aux Montefeltro à

43. Sur les rapports des Malatesta avec les franciscains, et en particulier sur le cas de Pesaro, où
entre 1355 et 1373 Pandolfo Malatesta rénova complètement l’église San Francesco, commandi-
tant une chapelle dédiée à la bienheureuse native de la ville Michelina Metelli, voir J. Dalarun,
La sainte et la cité. Micheline de Pesaro († 1356), tertiaire franciscaine, Rome, École française
de Rome, 1992, p. 110-122. Quant au cas des Este, voir M. Folin, « Mausolei estensi fra tardo
Medioevo e prima età moderna », dans A. Calzona (dir.), Il principe in-visibile…, op. cit.
44. La pierre tombale d’Ostasio da Polenta († 1396) représenté en habit franciscain, qui est tou-
jours conservée dans la nef gauche de l’église San Francesco à Ravenne, est en particulier
remarquable.
45. Dans la chapelle des Ordelaffi à San Francesco Grande furent enterrés, entre autres, Francesco
Ordelaffi et Cia Ubaldini en 1381, Teobaldo Ordelaffi (†  1382), Giorgio Ordelaffi (†  1422),
Caterina Rangoni († 1467). Barbara Manfredi (1466) et Pino II Ordelaffi († 1480) furent en
revanche ensevelis à San Girolamo : sur leurs tombeaux, voir G. Mazzatinti, « Il principato
di Pino III Ordelaffi secondo un frammento inedito della cronaca di Leone Cobelli », Atti
e Memorie della Regia Deputazione di Storia Patria per le Provincie di Romagna, 3/13, 1895,
p. 18-19 ; A. Colombi Ferretti, L. Prati (dir.), Il monumento a Barbara Manfredi e la scultura del
Rinascimento in Romagna, Bologne, Nuova Alfa, 1989.
46. Castruccio avait déjà dans son propre testament pris des dispositions pour être enterré dans
l’église San Francesco, revêtu de l’habit franciscain (M. Luzzati, « Castracani degli Antelminelli,
Castruccio », dans Dizionario Biografico degli Italiani, Rome, Enciclopedia Italiana, 1989,
vol. 22, p. 203-204), et son fils Guarniero suivit encore ses traces en se faisant inhumer dans
l’église San Francesco de Sarzana en 1328, dans un sarcophage commandité à Giovanni di
Balduccio. Francesco Castracani fut également enterré à San Francesco, en 1355. Sur la chapelle
Guinigi, fondée par Francesco di Bartolomeo en 1356, on peut se référer à G. Donati, « Arte
e architettura in San Francesco di Lucca fino alle soglie del Cinquecento (con la vera storia
della cappella Guinigi) », dans M. T. Filieri, G. Ciampoltrini (dir.), Il complesso conventuale di
San Francesco in Lucca. Studi e materiali, Lucques, Fondazione Cassa di Risparmio di Lucca,
2009, p. 13-111 ; voir aussi les enquêtes du Laboratorio di Paleopatologia de l’université de Pise,
en ligne à l’adresse suivante : http://www.paleopatologia.it/attivita/pagina.php?recordID=29.
47. P. Artoni, « San Francesco in Mantova. Il pantheon dei primi Gonzaga », dans R. Golinelli
Berto (dir.), Sepolcri gonzagheschi, op. cit., p. 57-86 ; L. Cavazzini, « Da Jacobello Dalle Masegne
a Bonino da Campione, da Margherita Malatesta ad Alda d’Este. Qualche altro frammento
di Mantova tardogotica », dans S.  Romano, D.  Cerutti (dir.), L’artista girovago. Forestieri,

97
m a rco folin

Urbino et aux Petrucci à Sienne à la fin du siècle suivant 48. Le choix des sei-
gneurs pouvait aussi se porter sur une église augustinienne, comme ce fut le
cas pour les Bentivoglio à Bologne (San Giacomo Maggiore, 1445-1486) ou,
plus fréquemment, sur une église dominicaine : ce fut l’option retenue, entre
autres, par les Visconti à Milan (Sant’Eustorgio, à partir de 1297) 49, les marquis
de Saluzzo à Saluzzo (1336-1474) 50, les Pepoli à Bologne (1347) 51, ou encore les
Carraresi à Padoue (Sant’Agostino, 1345-1350) 52.
D’une manière générale, la préférence pour tel ou tel ordre – notamment
lorsqu’il ne s’agissait pas des franciscains – semble dériver principalement de la
proximité de l’église choisie avec le lieu d’habitation traditionnel de la famille
au pouvoir : le cas des Bentivoglio, dont le palais se trouvait quasiment en face

avventurieri, emigranti e missionari nell’arte del Trecento in Italia del Nord, Rome, Viella, 2012,
p. 241-268 ; sur le décor peint de la chapelle, voir A. De Marchi, « Un’aggiunta al catalogo di
Serafino de’ Serafini », Atti e Memorie della Deputazione di storia patria per le antiche province
modenesi, 11/10, 1988, p. 119-130.
48. Sur les rapports d’Antonio et Pandolfo Petrucci avec l’église de l’Observance de Saint-
Bernardin, où ils furent tous deux enterrés en 1457 et 1512, voir F. Nevola, Siena. Constructing
the Renaissance City, New Haven/Londres, Yale University Press, 2007, p. 196-197, et la biblio-
graphie de cet ouvrage. Sur le mausolée de Frédéric de Montefeltro à Urbino, voir H. Burns,
« San Bernardino a Urbino, anni Ottanta del XV secolo e seguenti », dans F. P. Fiore, M. Tafuri
(dir.), Francesco di Giorgio architetto, Milan, Electa, 1993, p. 230-244 ; A. Festa, « La commit-
tenza feltresca e l’Osservanza francescana : ipotesi sull’originaria funzione della chiesa conven-
tuale e mausoleo di San Bernardino in Urbino », dans F. Colocci (dir.), Contributi e ricerche su
Francesco di Giorgio nell’Italia centrale, Urbino, Comune di Urbino, 2006, p. 135-155.
49. Sur la chapelle San Tommaso, fondée à Sant’Eustorgio par Matteo I Visconti en 1297, voir
R. Bossaglia, « La scultura », dans G. A. Dall’Acqua (dir.), La basilica di Sant’Eustorgio a Milano,
Cinisello Balsamo, Pizzi, 1984, p. 93-123.
50. G.  Repaci Courtois, « La cappella funeraria dei marchesi, nella chiesa di San Giovanni a
Saluzzo », Bollettino della Società Piemontese di Archeologia e Belle Arti, 20, 1966, p.  64-77 ;
C. Tosco, « Il mausoleo del principe », art. cité, p. 164-168.
51. I. B. Supino, La tomba di Taddeo Pepoli nella chiesa di San Domenico in Bologna, Bologne,
Zanichelli, 1908. Sur la chapelle Bentivoglio à San Giacomo Maggiore, voir A. Ottani Cavina,
« La cappella Bentivoglio », dans C. Volpe (dir.), Il tempio di San Giacomo Maggiore in Bologna.
Studi sulla storia e le opere d’arte, Bologne, Padri Agostiniani di San Giacomo, 1967, p. 117-131 ;
A. M. Matteucci, « Le sculture », dans C. Volpe (dir.), Il tempio di San Giacomo Maggiore in
Bologna…, op. cit., p. 74-78 ; P. L. Perazzini, « La cappella Bentivoglio in San Giacomo Maggiore
alla luce di nuovi documenti », Strenna Storica Bolognese, 49, 1999, p.  351-372 ; D.  Drogin,
« Professors and Princes : Patronage of Sculpture in the Cappella Bentivoglio, Bologna », dans
K. Wren Christian, D. Drogin (dir.), Patronage and Italian Renaissance Sculpture, Farnham,
Ashgate, 2010, p. 43-59.
52. Voir M. M. Donato, « I signori, le immagini e la città… », art. cité, p. 402-406 ; A. M. Spiazzi,
« Le tombe carraresi nella chiesa degli Eremitani », dans D. Banzato, F. Flores d’Arcais (dir.), I
luoghi dei Carraresi…, op. cit., p. 125-128 ; L. Cavazzini, « Un’incursione di Bonino da Campione
alla corte dei Carraresi », dans S. Romano, D. Zaru (dir.), Arte di corte in Italia del Nord…,
op. cit., p. 37-62 ; Z. Murat, « Il Paradiso dei Cararresi. Propaganda politica e magnificenza
dinastica nelle pitture di Guriento a Sant’Agostino », dans S. Romano, D. Zaru (dir.), Arte di
corte in Italia del Nord…, op. cit., p. 97-122.

98
Demeures des vivants, demeures des morts

de la basilique San Giacomo Maggiore, est à ce titre représentatif. Cet enraci-


nement dans un quartier urbain était porteur d’une signification évidente : en
se conformant aux habitudes de leurs concitoyens, les seigneurs montraient
leur respect pour le territoire (et les hiérarchies) dont ils avaient hérité, et leur
volonté de ne pas occuper indûment avec leurs monuments privés les sanc-
tuaires de l’identité collective de la ville 53.
La typologie des tombeaux des seigneurs ne différait pas non plus si nette-
ment de celle de leurs sujets les plus en vue : bien sûr il s’agissait de tombes sou-
vent imposantes, décorées de sculptures de grande qualité, autour desquelles
se déroulaient des rites et cérémonies qui, d’après les descriptions des sources,
étaient de plus en plus solennels et tendaient à impliquer l’ensemble des habi-
tants (les funérailles du seigneur et de ses proches, mais aussi des messes, pro-
cessions, pèlerinages liés aux occasions les plus diverses) 54. Toutefois, si l’on
compare ces monuments aux tombeaux érigés dans les mêmes années pour
les familles les plus riches, ou pour d’autres personnages s’étant illustrés d’une
façon ou d’une autre dans la vie de la cité – il suffit de penser au sarcophage
mentionné plus haut de Guglielmo da Castelbarco à Vérone, aux tombeaux
des glossateurs à Bologne, ou aux chapelles des Scrovegni (après 1303) et des
Lupi di Soragna (après 1376) à Padoue –, il ne semble pas que ces derniers aient
grand-chose à envier aux premiers 55. Les monuments des uns et des autres et
les chapelles où ils s’inséraient n’avaient pas en commun que la richesse et

53. Sur la fonction funéraire des églises des ordres mendiants, en particulier franciscaines, dans
les villes italiennes de la fin du Moyen Âge, voir C. Bruzelius, « I morti arrivano in città : pre-
dicare, seppellire e costruire. Le chiese dei frati nel Due-Trecento », dans C. Bozzoni, A. Roca
De Amicis (dir.), Colloqui d’architettura, vol. 2 : Architettura, pittura e società tra Medioevo e
XVII secolo, Rome, Gangemi, 2012, p. 11-48 ; et plus généralement M. Bacci, Investimenti per
l’Aldilà. Arte e raccomandazione dell’anima nel Medioevo, Rome/Bari, Laterza, 2003, p. 111-152.
Sur le rapport entre franciscanisme et pouvoir seigneurial, on peut se référer en particulier
à G. G. Merlo, « Francescanesimo e signorie nell’Italia centro-settentrionale del Trecento »,
dans Francescani nel Trecento. Atti del XIV Convegno Internazionale (Assisi, 16-18 ottobre 1986),
Pérouse, Soc. Internazionale degli Studi Francescani, 1988, p. 101-126.
54. Pour quelques exemples, voir P.  Marini, E.  Napione, G.  M.  Varanini (dir.), Cangrande
della Sala. La morte e il corredo di un principe nel Medioevo europeo, Venise, Marsilio, 2004 ;
E. Napione (dir.), Il corpo del principe. Ricerche su Cangrande della Scala, Venise, Marsilio,
2004 ; B. Pagliari, « I Funerali di Gian Galeazzo Visconti di Pietro cantarino da Siena : novità
documentarie e prospettive di ricerca », dans S. Romano, D. Zaru (dir.), Arte di corte in Italia
del Nord…, op. cit., p. 397-411.
55. Sur les arche dei dottori, voir R. Grandi, I monumenti dei dottori e la scultura a Bologna (1267-
1348), Bologne, Comune di Bologna, 1982 ; sur le tombeau de Raimondino Lupi dans l’Ora-
toire Saint-Georges, voir P. Pettenella, « Sull’arca di Raimondino Lupi », Il Santo, 32/1, 1992,
p. 31-61 ; sur la chapelle Scrovegni, parmi une bibliographie considérable, on peut citer deux
ouvrages récents : L. Jacobus, Giotto and the Arena Chapel : Art, Architecture and Experience,
Turnhout, Brepols, 2008 ; et C. Frugoni, L’affare migliore di Enrico. Giotto e la cappella degli
Scrovegni, Turin, Einaudi, 2008.

99
m a rco folin

une certaine visibilité dans l’espace : ils entretenaient également des rapports
analogues avec leur environnement. Même les mausolées les plus somptueux
n’étaient presque jamais de nature à accaparer complètement l’espace de l’église
où ils se trouvaient, dont ils occupaient en général une ou deux chapelles
latérales (fig. 13). En effet, s’il est un aspect qui – au-delà des autres différences
d’ordre formel – caractérise la plupart des sépultures seigneuriales entre xive et
xve siècle, c’est bien le fait qu’elles ne se positionnent presque jamais comme le
point focal exclusif de l’espace liturgique où elles prennent place. Le contexte
dans lequel elles s’intégraient était pluriel, habité par une diversité de présences
pas nécessairement liées à l’expression de la prééminence du pouvoir seigneu-
rial. Les sépultures des seigneurs se trouvaient au milieu des autres tombes qui
s’entassaient dans les nécropoles urbaines : les « tyrans » reposaient à côté des
évêques et des juristes, des condottieri et des marchands, des professeurs et des
chevaliers. Et c’est sans doute ce dernier aspect qui manifeste le plus clairement
la distance qui sépare ce type de sépulture du mausolée d’un « vrai » roi comme
celui de Robert d’Anjou à Naples (1343-1345), situé de façon à dominer visuel-
lement et conceptuellement toute la nef de l’église Santa Chiara au point d’en
faire, comme cela a été dit, une « reproduction éternelle de la cour » et de son
organisation hiérarchique – avec le roi derrière l’autel majeur et à ses côtés les
héritiers au trône, tandis que les nobles et les courtisans leur faisaient une haie
d’honneur dans les chapelles latérales (fig. 14) 56.
Un dernier aspect plutôt conservateur, voire réactionnaire, distinguait de
nombreux tombeaux de ces seigneurs du xive siècle des plus grands monu-
ments construits par les dynasties couronnées de la même époque, de Naples
à Saint-Denis : le fait qu’il s’agisse – et cela restera longtemps le cas pour une
bonne partie d’entre eux – de tombes collectives, possédées, gérées, « habitées »
par plusieurs générations de parents. À Ferrare, par exemple, les Este dispo-
saient à l’intérieur de l’église San Francesco d’un grand sarcophage de porphyre
(appelé Arca rossa, aujourd’hui disparu mais probablement d’un type proche
des premiers sarcophages des Della Scala), dans lequel reposaient vraisembla-
blement tous les marquis d’Obizzo III d’Este († 1352) à Alberto V († 1393), et
qui continua à être utilisé pour les cadets de la famille jusqu’aux années 1470 57.

56. C.  Bruzelius, « I morti arrivano in città… », art.  cité, p.  20-21 ; plus généralement, sur les
sépultures de la maison d’Anjou à Santa Chiara, voir ead., Le pietre di Napoli. L’architettura
religiosa nell’Italia angioina, 1266-1343, Rome, Viella, 2005, p. 159-171 ; T. Michalsky, Memoria
und Repräsentation. Die Grabmäler des Könighauses Anjou in Italien, Göttingen, Vandenhoeck
& Ruprecht, 2000, p. 149-152 et 169-171.
57. En 1476 y fut encore inhumé Nicolò di Leonello d’Este : voir Bernardino Zambotti, Diario
ferrarese dall’anno 1476 sino al 1504, dans G. Pardi (dir.), Rerum Italicarum Scriptores 2, Bologne,
Zanichelli, 1937, vol. 29/7, p. 19 (fu posto in l’archa rossa dela Cha’ da Este, dove se sepeliscono
quelli dela Chaxa).

100
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 13 – Milan, Sant’Eustorgio : le sépulcre de Stefano Visconti


et Valentina Doria dans la chapelle de saint Thomas. © M. Folin.

101
m a rco folin

Fig. 14 – Naples, Santa Chiara : la nef de l’église avec le sépulcre


de Roberto d’Angiò. © Domaine public.

Il ne s’agissait pas d’un cas isolé. À Lucques, dans la seconde moitié du xive siècle,
Francesco Guinigi († 1384) avait ainsi fondé dans le couvent San Francesco une
chapelle sous laquelle se trouvaient deux grandes fosses côte à côte, destinées
à accueillir respectivement les hommes et les femmes de la famille (fig. 15). Ils
continuèrent à y être ensevelis pendant plusieurs siècles, si bien que dans ces
fosses ont été retrouvés les restes de pas moins de quarante-huit squelettes 58.
Les différents sarcophages de la famille Della Scala dans le cimetière de Santa
Maria Antica – à l’exception des trois tombeaux de Cangrande, Mastino et
Cansignorio – contenaient eux aussi de nombreux corps, selon une pratique
certes commune à cette époque mais qui n’en demeure pas moins significative.

58. Voir G. Fornaciari, Le sepolture della cappella Guinigi : bioarcheologia di una nobile famiglia
lucchese (secoli  XIV-XVII), conférence prononcée à la Fondazione Cassa di Risparmio de
Lucques le 17 décembre 2012, en ligne à l’adresse suivante : http://www.paleopatologia.it.

102
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 15 – Lucques, San Francesco :


la chapelle funéraire des Guinigi. © M. Folin.

Il est vrai que dans plusieurs villes l’utilisation de ce type de tombe familiale
allait se faire de plus en plus rare pour des seigneurs de haut rang ; mais la
conception du tombeau comme patrimoine commun d’une Maison n’allait
jamais totalement disparaître. Elle est encore très vive au milieu du xve siècle
à Rimini, par exemple, où Sigismondo Pandolfo Malatesta – bien qu’il aspirât
à un type de mausolée tout à fait nouveau – ne manqua pas dans le temple
Malatestiano en construction de dédier deux chapelles à ses aïeuls (hommes)
et aux femmes de la maison : ces dernières furent ensevelies dans une fosse
commune, sous l’autel consacré à l’Archange Raphaël, tandis que les premiers
étaient inhumés dans un grand sarcophage à l’antique décoré de scènes de la
vie de Scipion, souche mythique du lignage 59. À Bologne, en 1501, Giovanni
Bentivoglio demanda encore dans son testament à être inhumé dans la cha-
pelle familiale de San Giacomo, dans le sarcophage où reposaient – outre son
grand-père Antonio Galeazzo († 1435) – son père, son oncle, sa mère, sa sœur et
plusieurs de ses enfants morts avant lui : en tout, trois générations de seigneurs
et leurs plus proches parents 60.

59. On peut se référer aux articles de M.  Campigli et A.  Turchini dans l’ouvrage dirigé par
A. Paolucci, Il Tempio Malatestiano Rimini, Modène, Panini (Mirabilia Italiae, 16), 2010, vol. 1,
p. 202-204 et 208-211.
60. Voir F. Pellegrini, « Due atti testamentari di Giovanni II Bentivoglio, Bologna, 17.XII.1501 e
4.II.1506 », Atti e memorie della Regia Deputazione di Storia Patria per le Provincie di Romagna,
3/11, 1894, p. 303.

103
m a rco folin

Conflits de famille

Les stratégies de représentation funéraire des seigneurs italiens du xive siècle


forment un tableau d’ensemble complexe et fragmenté. L’« individualisme
héroïque » qui s’exprime avec tant d’éloquence dans les monuments Della Scala
et Visconti ne l’emporte pas sur d’autres choix radicalement différents, dictés par
la claire volonté d’offrir une tout autre image du pouvoir seigneurial : un régime
fondé sur le respect des équilibres en place, attentif à ne pas porter atteinte aux
exigences des notables de la ville d’une part, aux requêtes des membres de la
famille régnante de l’autre 61. Nous sommes là en présence d’une preuve sup-
plémentaire de l’importance que conservaient dans de nombreuses villes de la
péninsule les traditions communales, et de l’influence que celles-ci exerçaient
sur la rhétorique politique des seigneurs. Par ailleurs, on peut voir dans la nature
collective des nécropoles du xive siècle un effet des coutumes de transmission
héréditaire dont on a déjà relevé les conséquences sur la disposition des quartiers
seigneuriaux : des coutumes relevant d’une conception essentiellement « asso-
ciative » (consortile) des familles au pouvoir, auxquelles peuvent sans doute être
imputés le caractère fragmenté des demeures des seigneurs, mais aussi la faible
propension des tombeaux à une autocélébration « dynastique » au sens strict.
À la fin du Moyen Âge, la cohésion des lignées seigneuriales était en effet
en crise depuis longtemps : le manque d’automatismes dans les mécanismes de
succession et le caractère changeant des dynamiques de répartition du pouvoir
donnaient naissance à de très nombreuses luttes intestines. Le cas de la maison
de Carrara à Padoue vers le milieu du siècle en constitue un exemple. Au
moment de mourir sans enfants, en 1345, Ubertino désigna comme successeur
le représentant le plus en vue d’une autre branche de sa famille, Marsilietto
Papafava 62. Cette décision provoqua le mécontentement de son neveu Iacopo,
qui assassina Marsilietto un peu plus d’un mois plus tard pour s’emparer du
pouvoir ; il ne gouverna toutefois que peu de temps, un autre de ses oncles,
Guglielmo da Carrara, l’ayant poignardé moins de cinq ans plus tard, avant
d’être promptement massacré à son tour par son entourage. La seigneurie passa
alors au fils et au petit frère de Iacopo, Francesco (le Vieux) et Iacopino, élus
collégialement par acclamation « populaire ». Mais leur cohabitation fut de
courte durée : en 1355 Iacopino cherchait à faire assassiner son neveu, qui le fit
incarcérer à vie dans la forteresse de Monselice. Francesco gouverna alors seul

61. Sur l’« individualisme héroïque » des monuments des Della Scala, voir M.  M.  Donato,
« I signori, le immagini e la città… », art. cité, p. 405.
62. Sur cette histoire et celles qui suivent, on peut se référer aux articles de M.  C.  Ganguzza
Billanovich et B. Kohl dans le Dizionario Biografico degli Italiani, Rome, Enciclopedia Italiana,
1977, vol. 20, p. 649-656, 671-675, 687-688, 692-693, 696-698, 700-702.

104
Demeures des vivants, demeures des morts

Padoue jusqu’en 1388, non sans devoir faire face à pas moins de trois conjura-
tions ourdies par ses propres frères bâtards, Nicolò et Marsilio.
Cette petite tranche de vie familiale n’avait rien d’exceptionnel. Des histoires
de ce genre s’attachent à quasiment toutes les familles qui régnaient sur une
ville italienne à la même époque : dans les années où les Carrara s’entretuaient,
à Vérone Cangrande expirait sous les coups de son frère Mastino, tandis qu’à
Milan Matteo Visconti était empoisonné par ses frères inquiets, murmurait-
on, de ses abus de pouvoir. Les choses n’allèrent guère autrement au xve siècle,
comme le démontrent les histoires des Baglioni à Pérouse ou des Montefeltro
à Urbino : si bien que Burckhardt avait vu dans cette « malédiction de l’illégi-
timité », qui était si répandue dans les familles au pouvoir, l’un des ingrédients
fondamentaux du « déploiement de l’individualité » qui allait donner naissance
à la conception renaissante de l’« État considéré comme œuvre d’art 63 ».
Bien que généralement occultées dans les textes encomiastiques qui exaltaient
le régime des tyrans – et l’on comprend aisément pourquoi –, ces dynamiques
influencèrent profondément l’organisation des sépultures et la configuration des
demeures des seigneurs du xive siècle. On a déjà évoqué la nature concurrentielle
des rapports entre les différents édifices regroupés dans les quartiers seigneuriaux,
qui dans bien des cas, comme à Carpi ou à Milan, étaient fortifiés les uns contre
les autres. On ne s’étonnera pas que les programmes funéraires des seigneurs
soient souvent marqués par des tensions et antagonismes analogues, dirigés
– plus que contre les autres cours de la péninsule – contre les branches rivales
d’une même famille. Le cas de Milan est à ce titre particulièrement révélateur :
la rivalité entre les résidences de Bernabò et Galeazzo Visconti vers le milieu
du xive siècle (qui fut à son comble quelques années plus tard lorsque Gian
Galeazzo succéda à Galeazzo, son père) façonna de la même façon leurs sépul-
tures. En effet, il semble qu’aucun des deux frères n’ait jamais eu l’intention de
se faire inhumer dans le mausolée érigé pour leur cousin Azzone à San Gottardo,
ni à Sant’Eustorgio – où étaient pourtant regroupées d’autres tombes familiales
et où avait été construite depuis peu la somptueuse chapelle destinée à accueillir
les dépouilles de leurs parents, Stefano Visconti et Valentina Doria (fig. 10 et
13). Ces espaces, trop partagés, caractérisés par une pluralité de présences, ne
pouvaient voir leur force et leur prestige accaparés par un seul homme : d’où
le choix de Bernabò de faire de l’église San Giovanni in Conca un mausolée
pour sa personne et ses descendants. Il restaura l’intérieur de façon à créer un
manifeste parfaitement clair de ses ambitions « monarchiques » et de ce qu’elles
impliquaient en termes d’équilibres familiaux. Le grand monument équestre

63. J. Burckhardt, La civiltà del rinascimento in Italia, Florence, Sansoni, 1990 [1876], p. 18-22
(trad. fr. : La civilisation en Italie au temps de la Renaissance, Paris, Plon, 1885).

105
m a rco folin

dressé à côté de l’autel majeur, qui constituait le point focal de l’église entière,
traduisait ces vues, tout comme les sépultures de sa femme, de son fils aîné et
de l’épouse de celui-ci, qui soulignaient le dessein proprement « dynastique » de
l’opération (fig. 11). Les membres des autres branches de la famille en étaient par
nature exclus 64. Ces messages devaient avoir une claire résonance non seulement
pour les sujets et observateurs étrangers, mais aussi (et surtout ?) au sein même
de la famille ramifiée des Visconti, ainsi avertie de la succession qui se préparait.
La réplique de Gian Galeazzo à la mort de son oncle ne pouvait être plus
explicite : tout en exécutant les dernières volontés de Bernabò (peut-être aussi
pour détourner les rumeurs qui l’accusaient d’avoir commandité le meurtre),
le nouveau duc de Milan conçut le projet de construire un complexe funéraire
de taille à faire taire toute concurrence, se référant aux modèles les plus pres-
tigieux d’Europe, comme Saint-Denis et la chartreuse de Champmol, fondée
seulement quelques années auparavant par son beau-frère Philippe le Hardi
comme mausolée des ducs de Bourgogne. Ainsi, dans son testament de 1397,
le duc donnait des dispositions pour faire ériger dans la chartreuse de Pavie,
post altare magnum dicte ecclesie, une grande cathedra marmorea surélevée, sur
laquelle se dresserait une figura et imago ipsius testatoris quamproproprius fieri
poterit in lapide marmoreo, in forma et habitu ducali, videcelicet cum bereto sive
diademate ducali in capite et cum manto ducali, habente baveriam ad collum ; et
que imago in habitu predicto sedeat super predicta cathedra 65. Pour couronner
son sarcophage, Gian Galeazzo n’envisage donc pas un monument équestre
comme celui de son oncle – qui suivait un modèle illustre, mais désormais lié
à l’univers chevaleresque et seigneurial plutôt que royal – mais sa propre effigie
assise en majesté, ornée des habits et des insignes du souverain légitime : un
type jusqu’alors strictement réservé aux rois et empereurs, au rang desquels il
déclarait ouvertement vouloir se hisser. Et dans ce cas encore le message était
appuyé par les autres tombeaux prévus dans l’église : le long des chapelles de la
nef, en effet, devaient s’aligner les sarcophages des deux épouses et des enfants
de Gian Galeazzo, membres de cette souche dynastique clairement identifiée
et dont les prérogatives étaient désormais sanctionnées formellement et incon-
testablement par l’investiture ducale.

64. Sur la rénovation de l’église San Giovanni in Conca et les tombeaux de Regina Della Scala
(† 1384), Marco Visconti († 1382) et sa femme Isabelle de Bavière († 1382), voir G. A. Vergani,
L’arca di Bernabò Visconti…, op. cit. ; A. Tagliabue, « La decorazione trecentesca della chiesa di
San Giovanni in Conca a Milano », Arte cristiana, 77, 1989, p. 209-221.
65. L. Osio, Documenti diplomatrici tratti dagli archivi milanesi, Milan, Bernardoni, 1864, vol. 1,
p. 321 (c’est nous qui soulignons). Sur le monument de Gian Galeazzo, voir aussi E. S. Welch,
Art and Authority in Renaissance Milan, op. cit., p. 24-28 ; et A. S. Norris, The Tomb of Gian
Galeazzo Visconti in the Certosa of Pavia, thèse de doctorat, New York University, 1977 (non
consulté).

106
Demeures des vivants, demeures des morts

La même volonté de marquer d’une césure l’histoire familiale se lit dans


de nombreuses autres sépultures du xive siècle, exprimée par la disposition
des tombeaux dans l’espace et les messages dont les aïeux pouvaient se faire
les vecteurs. À Mantoue, par exemple, dans les années 1360, la fondation de
la chapelle de San Ludovico dans l’église San Francesco –  où allaient être
inhumées par la suite quatre générations de seigneurs – suivait de près l’un
des épisodes les plus dramatiques de l’histoire des Gonzague : le meurtre
d’Ugolino, assassiné par ses deux frères (et co-seigneurs in pectore), Francesco
et Ludovico II 66. Le premier fut enterré dans la chapelle majeure de la cathé-
drale, à côté de son grand-père et de son oncle. Les seconds, commanditaires
de la nouvelle chapelle funéraire en tant qu’exécuteurs testamentaires de leur
père, Guido († 1369), furent après quelques années inhumés dans le même
sarcophage que lui 67. De la même façon, à Padoue, ce n’est pas une coïn-
cidence si les Carrara décidèrent d’abandonner leur nécropole de Carrara
Santo Stefano pour l’église dominicaine de Sant’Agostino au moment précis
où s’éteignait, avec la mort de Marsilio II en 1338, la branche de la famille
issue de Iacopino di Iacopino da Carrara († avant 1262), à qui succédait à la
tête de la seigneurie – en la personne d’Ubertino III – la branche parallèle
des descendants de Marsilio di Iacopino († avant 1210). Une période parti-
culièrement trouble s’ouvrait, comme on l’a vu. Et les deux tombes jumelles
dressées quelques années plus tard par Iacopo pour Ubertino et lui-même
ne pouvaient feindre plus explicitement une continuité de gouvernement,
en réalité bien moins pacifique que ce que la symétrie des sarcophages lais-
sait supposer, en bannissant de la mémoire familiale et citoyenne la brève
parenthèse de Marsilietto Papafava (rejeté du nouveau mausolée de la famille
pour être enterré dans l’un des tombeaux situés à l’extérieur de la basilique
Sant’Antonio, à l’autre bout de la ville) 68.

Vers un nouveau monde

À partir de la fin du xive siècle, les coutumes successorales des familles de sei-


gneurs italiens tendent indéniablement à se formaliser. L’exemple des Gonzague

66. Sur cette histoire, voir I. Lazzarini, « Gonzaga, Ludovico », dans Dizionario Biografico degli
Italiani, Rome, Enciclopedia Italiana, 2001, vol. 57, p. 797-801.
67. P. Artoni, « San Francesco in Mantova… », art. cité, p. 62-63 ; plus généralement, sur la chapelle
de San Ludovico, on peut se référer à la bibliographie citée à la note 33.
68. M. C. Ganguzza Billanovich, « Carrara, Marsilietto Papafava da », dans Dizionario Biografico
degli Italiani, Rome, Enciclopedia Italiana, 1977, vol. 20, p. 688 ; sur les monuments voulus
par Iacopino da Carrara à Sant’Agostino, on peut se référer à la bibliographie citée à la note 38.

107
m a rco folin

Fig. 16 – Sperandio da Mantova, médaille commémorative de Francesco Sforza,


1466 : sur le verso, la représentation d’un mausolée. © Domaine public.

en témoigne. Après la succession difficile de Ludovico II, tous ses descendants


se transmirent le pouvoir d’aîné en aîné, le système des apanages constituant
un exutoire efficace aux tensions observées auparavant. Le tableau évoqué pré-
cédemment ne semble toutefois pas connaître de modifications structurelles
avant le cœur du xve siècle. En quelques décennies, on assiste alors à une série
d’initiatives visant à manifester de façon éclatante la rupture avec les usages
jusque-là en vigueur : on peut citer le complexe de Santa Maria degli Angeli
puis la Chartreuse à Ferrare (1441, 1452), le temple Malatestiano à Rimini
(1447), l’église San Sebastiano à Mantoue (1460), San Bernardino à Urbino
(1482), le mausolée rêvé de Galeazzo Maria Sforza et Santa Maria delle Grazie
à Milan (1471, 1497), pour ne rappeler que quelques entreprises parmi les plus
ambitieuses (fig. 16). Les projets de construction ou de profonde rénovation
de ces édifices se démarquent radicalement des réalisations du passé, tant par
leurs dimensions que par leur fonction exclusivement (ou principalement)
funéraire, par les marqueurs dynastiques explicites qui les caractérisent, ou
encore par les modèles royaux qui y sont convoqués.
Si l’on compare ces initiatives à ce qui était entrepris dans les mêmes années
(et souvent par les mêmes commanditaires) un peu partout en Italie pour
embellir et moderniser les résidences seigneuriales, on ne peut qu’être frappé
de l’extraordinaire convergence – chronologique, formelle et conceptuelle –

108
Demeures des vivants, demeures des morts

entre les changements de stratégies funéraires des souverains du xve  siècle


et le processus de réorganisation de leurs palais. Les traditions architectu-
rales et les modèles de résidences des seigneurs demeuraient toujours très
divers en fonction des régions de la péninsule, où se côtoyaient de vieilles
forteresses médiévales transformées en demeures de cour, d’anciens palais
reconstruits entièrement pour rivaliser avec les nouveaux types florentins, ou
encore des villas conçues comme de véritables théâtres de la magnificence du
pouvoir. Pourtant, que l’on se tourne vers Rimini, Urbino, Rome, Naples,
Milan, Mantoue, Ferrare ou plus modestement vers Carpi ou Saluzzo, les
mêmes logiques architecturales et fonctionnelles sont à l’œuvre, toujours plus
explicites et cohérentes en avançant dans le siècle (au point de faire parfois
l’objet d’une véritable réflexion théorique dans les traités d’architecture de
l’époque) 69. L’exigence d’uniformiser les conglomérats d’édifices entassés
jusqu’alors dans les quartiers résidentiels des seigneurs s’impose par exemple
de façon particulièrement sensible, surtout dans les années qui suivirent la
paix de Lodi. On cherche à réduire visuellement les différents bâtiments qui
les composent à la masse la plus unitaire, régulière et compacte possible. Les
façades sont redessinées pour accentuer l’homogénéité et la continuité des
différents périmètres. On tend à faire ressortir l’aspect géométrique des bâti-
ments, à les isoler du tissu d’édifices mitoyens et voisins en élargissant les rues,
les places et les écarts entre eux (fig. 17). Dans les nouveaux blocs qui prennent
forme, dotés de façades triomphales qui exaltent leur désormais incontestable
suprématie à l’échelle de la ville, se regroupent ensuite progressivement les
bureaux autrefois dispersés, ainsi placés matériellement et symboliquement
sous l’égide du souverain.
Les demeures seigneuriales changent ainsi d’aspect et de nature, s’enrichis-
sant de nouvelles fonctions qui tendent à être redistribuées dans l’espace selon
une claire logique hiérarchique, visant à distinguer et séparer les diverses acti-
vités qui s’entrecroisent à l’ombre de la cour (fig. 18). On voit ainsi se dessiner
peu à peu dans les nouveaux complexes de la fin du xve siècle des parcours
privilégiés réservés aux diverses catégories des personnes qui les fréquentent
(simples sujets, courtisans, ambassadeurs…) ; on voit prendre corps des pièces
d’apparat – bien distinctes des espaces fonctionnels – dont l’accès est toujours
plus strictement réglementé lors des cérémonies de cour (l’escalier d’honneur,
la grande salle, les chambres d’audience…) ; on voit enfin se développer des
quartiers destinés à l’usage privé du prince, de son épouse et de ses plus proches

69. S.  Beltramo, F.  Cantatore, M.  Folin (dir.), A Renaissance Architecture of Power…, op.  cit. ;
voir plus particulièrement pour ce qui suit M. Folin, « Princes, Towns, Palaces : a Renaissance
“Architecture of Power” », dans le même ouvrage, p. 3-27.

109
m a rco folin

Fig. 17 – Le palais de cour de Ferrare à la fin du xve siècle, après les travaux


de rénovation d’Ercole Ier d’Este dans les années 1471-1484. © M. Folin.

collaborateurs, selon un schéma distributif voulant que les espaces de cour


fussent immanquablement situés dans les lieux les plus « nobles » et élevés des
édifices, tandis que les bureaux publics étaient en général situés dans les zones
les plus accessibles du palais.
Encore une fois, les demeures destinées aux seigneurs de leur vivant et post
mortem semblent intimement liées, ce qui donne une cohérence à leurs pro-
cessus de transformation. Les historiens de l’art et de l’architecture sont depuis
longtemps habitués à interpréter ces évolutions comme la conséquence de la
diffusion des canons de la Renaissance. Bien sûr, ceux-ci eurent un rôle fonda-
mental dans la formation du goût et des ambitions des princes qui se faisaient
face dans la péninsule à l’aube des Temps modernes. Mais les convergences
entre les programmes de rénovation architecturale évoqués et les caractères
spécifiques des régimes seigneuriaux du Quattrocento n’en apparaissent pas
moins significatives, dans un cadre qui a profondément changé par rapport au
siècle précédent. Le contexte politique d’ensemble, les formes de légitimation
de l’autorité seigneuriale, les rapports de celle-ci avec les villes sujettes d’une
part et les grandes puissances européennes de l’autre avaient en effet connu
des évolutions majeures. Surtout, les coutumes héréditaires et successorales des
seigneurs s’étaient transformées : la péninsule avait définitivement adopté le
droit d’aînesse et les lignées seigneuriales restantes avaient ainsi épousé l’idéal

110
Demeures des vivants, demeures des morts

Fig. 18 – Plans du rez-de-chaussée et du premier étage du palais de Federico


da Montefeltro à Urbino : fonctions des pièces principales. © M. Folin.

111
m a rco folin

dynastique, ce qui les apparentait aux « vraies » monarchies européennes, tout


en les contraignant à suivre des règles et modèles de comportement qui finirent
par redéfinir les rapports familiaux, les cours et l’identité même des seigneurs.
Quant aux formes artistiques et architecturales, elles ne tardèrent pas à refléter
et accompagner ces évolutions plus profondes.

112
ii

POU VOIR E T S Y M BOL IQU E DE L’E SPACE –


POT E R E E SI M BOLOGI A DE L LO SPA Z IO
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro
e superstizione nelle città comunali

vittoria camelliti
Università degli studi di Udine (Italia)

Le pagine che seguono sono dedicate al problema del significato e della per-
cezione dei confini urbani così come emerge dalle testimonianze letterarie e
iconografiche medievali.
Si tratta, com’è noto, di un argomento che si presta a essere affrontato da
molteplici punti di vista; senza contare che esiste al riguardo una letteratura
critica vastissima 1. Mi concentrerò pertanto solo su alcuni aspetti particolari
che offrono maggiori spunti di riflessione.

1. Per un primo inquadramento si rimanda a: J.  Le Goff, «L’immaginario urbano nell’Italia


medievale (secc. V-XV)», in C. De Seta (a cura di), Storia d’Italia, Annali, t. 5: Il Paesaggio,
Torino, Einaudi, 1982, p.  5-43; M.  L.  Gatti Perer (a cura di), «La dimora di Dio con gli
uomini» (Ap. 21, 3): immagini della Gerusalemme celeste dal III al XIV secolo, catalogo della
mostra (Milano, Università cattolica del S. Cuore, 20 maggio-5 giugno 1983), Milano, Vita
e Pensiero, 1983; C. Frugoni, Una lontana città, Torino, Einaudi, 1983; J. Heers (a cura di),
Fortifications, portes de villes, places publiques dans le monde méditerranéen, Parigi, Presses de
l’université Paris-Sorbonne (Cultures et civilisations médiévales, 4), 1985, p.  81-96; C.  De
Seta, «Le mura simbolo della città», in id., J. Le Goff (a cura di), La città e le mura, Roma/
Bari, Laterza, 1989, p. 11-57. Rilevante l’impresa editoriale della serie Civitas Europaea, Milano,
Scheiwiller di cui: Principi e forme della città (1993); F. Cardini (a cura di), La città e il sacro
(1994); L.  Benevolo (a cura di), Metamorfosi della città (1995); C.  Bertelli (a cura di), La
città gioiosa (1996); G. Pugliese Carratelli (a cura di), La città e la parola scritta (1997); La
città dell’utopia: dalla città ideale alla città del terzo millennio (1999). B. Roeck, «Les murs
de la ville, frontières en pierre de l’imaginaire? Sorcellerie et magie dans l’espace urbain»,
in M.-L. Demonet, R. Sauzet, G. Chaix (a cura di), La ville à la Renaissance: espaces, repré­
sentations, pouvoirs. Actes du XXXIXe Colloque international d’études humanistes, 1996, Centre
d’études supérieures de la Renaissance, Parigi, Champion, 2008, p. 143-166. Di recente F. Bocchi,
Per antiche strade. Caratteristiche e aspetti delle città medievali, Roma, Viella, 2013; M. Folin,
M. Preti (a cura di), Wounded Cities: the Representation of Urban Disasters in European Art
(14th-20th  Centuries), Leiden, Brill, 2015. Sulla decorazione delle porte urbiche: J.  Gardner,
«An Introduction to the Iconography of the Medieval Italian City Gate», Dumbarton Oaks

115
v it tor i a c a melliti

La percezione del confine urbano

La prerogativa della città medievale è quella di essere una città murata e, senza
dubbio, alla cerchia muraria e agli accessi fortificati è sempre stato affidato
un compito rappresentativo dell’identità cittadina, oltre che una funzione
difensiva.
La storia della città medievale è però una storia «singolare», condizionata
da eventi non sempre prevedibili o prevenibili –  calamità naturali o inva-
sioni nemiche – a cui sono legati a seconda dei casi distruzioni, successive
ricostruzioni e ampliamenti; e ciò implica una coesistenza, nell’immaginario
popolare, di confini diversi: confini visibili, ovvero esistenti, reali o materiali

Papers, 41, 1987, p. 199-213; V. Camelliti, «Il “progetto” per la decorazione scultorea delle porte
urbiche di Milano e il problema della componente scultorea nell’arredo degli accessi urbani in
età medievale», Arte Lombarda, 172, 2015, p. 30-44. Sulla rappresentazione dello spazio urbano
C. Buttafava, Visioni di città nelle opere d’arte del Medioevo e del Rinascimento, Milano, Libreria
Salto, 1963; A. Peroni, «Raffigurazione e progettazione di strutture urbane e architettoniche
nell’alto Medioevo», in Topografia Urbana e vita cittadina nell’Alto Medioevo in Occidente,
Spoleto, CISAM, 1974, p. 679-710; G. C. Romby, «La rappresentazione dello spazio: la città»,
in L. Rombai (a cura di), Imago et descriptio Tuscia. La Toscana nella geocartografia dal XV
al XIX  secolo, Venezia, Marsilio, 1993, p.  305-358; M.  Aromberg Lavin, «Rappresentazione
di modelli urbani nel Rinascimento», in H. Million, V. Magnago Lampugnani (a cura di),
Rinascimento da Brunelleschi a Michelangelo. La rappresentazione dell’Architettura, catalogo
della mostra (Istituto di Cultura di Palazzo Grassi, 31  marzo-6  novembre 1994), Milano,
Bompiani, 1994, p.  676-680; L.  Nuti, Ritratti di città. Visione e memoria tra Medioevo e
Settecento, Venezia, Marsilio, 1996; ead., «Lo spazio urbano: realtà e rappresentazione», in
E. Castelnuovo, G. Sergi (a cura di), Arti e Storia nel Medioevo, Torino, Einaudi, 2002, vol. 1,
p.  241-282; ead., Cartografie senza carte. Lo spazio descritto dal Medioevo al Rinascimento,
Milano, JacaBook, 2008; F.  Bocchi, R.  Smurra (a cura di), Imago urbis: l’immagine della
città nella storia d’Italia, Atti del convegno (Bologna, 5-7  settembre 2001), Roma, Viella,
2003; J. Rykwert, L’idea di città: antropologia della forma urbana nel mondo antico, Milano,
Adelphi, 2002; S. Romano, «L’immagine di Roma, Cola di Rienzo e la fine del Medioevo»,
in M. Andaloro, S. Romano (a cura di), Arte e iconografia a Roma: da Costantino a Cola di
Rienzo, Milano, JacaBook, 2000, p. 227-256; P. De Vecchi, G. A. Vergani, La rappresentazione
della città nella pittura italiana, Milano, Silvana, 2004; F. Ratté, «Architectural Invitations:
Images of City Gates in Medieval Italian Painting», Gesta, 3, 1999, p. 142-153; ead., Picturing
the City in Medieval Italian Painting, Jefferson, McFarland, 2006; R. Barzanti, A. Cornice,
E. Pellegrini (a cura di), Iconografia di Siena. Rappresentazione della Città dal XIII al XIX secolo,
Siena, Monte dei Paschi, 2006, p. 2-27; M. Seidel, R. Silva (a cura di), Potere delle imma­
gini, immagini del potere: Lucca città imperiale; iconografia politica, Venezia, Marsilio, 2007;
M.  Ferretti, «Madonne antiche e mura di Bologna», in A.  Calzona (a cura di), Immagine
e ideologia: studi in onore di Arturo Carlo Quintavalle, Milano, Electa, 2007, p.  498-508;
J.  Oberste (a cura di), Repräsentationen der mittelalterlichen Stadt, Regensburg, Schnell &
Steiner (Forum Mittelalter, 4), 2008; S. Ehrich, J. Oberste (a cura di), Städtische Räume im
Mittelalter, Regensburg, Schnell & Steiner (Forum Mittelalter, 5), 2009; eid. (a cura di),
Städtische Kulte im Mittelalter, Regensburg, Schnell & Steiner (Forum Mittelalter, 6), 2010.

116
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

(come le mura); e confini invisibili, percepiti come esistenti per quanto imma-
teriali e ideali.
Un esempio di soggettività nella percezione dei confini urbani è offerto, ad
esempio, nell’ambito dell’iconografia urbana, dalla rappresentazione del tutto
arbitraria e simbolica della città nella forma di un quadrato, di un ovale o di
un cerchio; problema al quale si lega quello della forma della città perfetta, la
Civitas Dei, e della sua proiezione sulla città ideale e terrestre. Esiste però un
problema più concreto, propriamente urbanistico, ovvero quello della coesi-
stenza di più cerchie murarie, progressivamente assorbite all’interno del tessuto
urbano nella città in espansione. Non di rado, infatti, le mura erano inglobate
da nuovi edifici, oppure demolite e i conci riutilizzati per altre costruzioni; nelle
fonti ufficiali (Statuti, Provvisioni) e nelle cronache del Trecento – epoca in cui
molte città italiane furono dotate di una nuova cerchia – si parla anche della
loro vendita a privati cittadini 2. La fondazione delle nuove mura implicava,
come ricorda ad esempio il Villani con riferimento a Firenze, riti propiziatori
(come la benedizione della prima pietra da parte del vescovo) ed era considerata
un motivo di lustro e vanto per la grandezza e popolosità della città 3.
Nonostante le trasformazioni dello spazio urbano, non di rado restava però
viva la memoria dei vecchi confini ai quali continuava a essere riconosciuto dai
contemporanei un valore fortemente simbolico: è questo ad esempio il caso
delle quattro Croci di Bologna che la tradizione vuole posate da sant’Ambrogio
insieme con san Petronio in prossimità dei quattro punti principali della città,
su cui insistevano le vecchie mura di selenite 4 (fig. 1). Ma si ricordi a questo
proposito anche la leggenda tramandata da Opicino de Canistris, secondo cui
Pavia era stata fondata su quattro grandi statue antiche, identificate come le

2. Per Firenze vedi ad es. Giovanni Villani, Nuova Cronica, ed. critica a cura di G. Porta, Parma,
Fondazione Pietro Bembo, 1991, vol.  2, libro  10, X, p.  218-219; sulla vendita della vecchia
Porta San Frediano vedi la Provvisione (Firenze, Archivio di Stato, 1333, XXVI, c. 32 ssg.) ed.
in R. Manetti, M. C. Pozzana, Firenze. Le porte dell’ultima cerchia di mura, Firenze, CLUSF,
1979, p.  200. Vedi inoltre O.  Muzzi, San Gimignano. Fonti e documenti per la storia del
Comune, Firenze, Olschki, 2008, p. 383, 403, 431; E. Menesto (a cura di), Gli statuti comunali
umbri,
Spoleto, Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 1997, p. 91. Per una attestazione
di salvaguardia delle mura vedi invece il caso di Perugia: U. Nicolini, «Le mura medievali di
Perugia», Storia e arte in Umbria nell’età comunale, 2, 1971, p. 695-769.
3. Giovanni Villani, Nuova Cronica, op. cit., vol. 2, libro 9, XXXI, p. 49. Su questo aspetto anche
J. Rykwert, L’idea di città…, op. cit., p. 253-262.
4. P.  Porta, «Croci medievali di Bologna», in F.  Bocchi (a cura di), Medieval Metropolises:
Proceedings of the Congress of the Atlas Working Group International Commission for the History
of Town (Bologna, 8-10 May 1997), Bologna, Grafis, 1999, p. 167-171; I. Pini, «Mura e porte di
Bologna medievale. La piazza di Porta Ravegnana», in J. Heers (a cura di), Fortifications, portes
de villes…, op. cit., p. 197-235.

117
v it tor i a c a melliti

Fig. 1 – Croce di Porta Ravegnana, Bologna, Museo Civico, ms. 641, fol. 1r.


M. Medica (a cura di), Haec sunt statuta. Le corporazioni medievali nelle miniature
bolognesi, Modena, Fondazione Cassa di Risparmio di Vignola, 1999, p. 157.

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Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

Virtù cardinali, sepolte sotto le tre porte principali (Porta Marenga, Porta del
Ponte, Porta S. Giovanni) e sotto la cattedrale 5.
Appartengono alla categoria dei confini immateriali anche i confini «rituali»,
delineati da percorsi che venivano tracciati da processioni e cortei lungo le
mura o lungo le strade principali e che ne delimitavano uno spazio identita-
rio: uno spazio che comprendeva luoghi e itinerari rappresentativi del potere
politico e religioso 6. Si pensi alle processioni di ingresso trionfale dei sovrani
o pontefici – che avevano una funzione principalmente celebrativa 7 – o alle
processioni propiziatorie e penitenziali finalizzate a richiamare la benevolenza
divina sulla città – largamente documentate in occasione di pestilenze o assedi
militari, che prevedevano solitamente il trasporto e l’ostensione di immagini
sacre o reliquie lungo le mura urbane fino alle porte o lungo le strade principali
all’interno della città 8. Si devono inoltre considerare processioni di altro tipo,
che avevano una precisa funzione «espiativa» e lustrale, ovvero i cortei dei
condannati a morte. Nel codice lucchese contenente la Cronaca di Giovanni
Sercambi (Lucca, Archivio di Stato, Biblioteca Manoscritti, n. 107) troviamo
in più occasioni l’illustrazione di supplizi e pene di vario genere 9. Tra queste
si rintraccia l’immagine di un traditore condannato a morte, condotto per le

5. M. Greenhalgh, «Ipsa ruina docet: l’uso dell’antico nel Medioevo», in S. Settis (a cura di),
Memoria dell’antico nell’arte italiana, vol.  1: L’uso dei classici, Torino, Einaudi, 1984, p.  115-
170: p. 141 (ricordato in Anonymi Ticinensis, Liber de Laudibus civitatis ticinensis que dicitur
Papie, a cura di R.  Maiocchi e F.  Quintavalle, Città di Castello, Lapi [Rerum italicarum
scriptores, 11, 1.19], 1903, p. 6-13). Le quattro statue sarebbero state in origine sulle porte della
città (A. Stenico, «Intorno alle Quattuor Cardinalium Ymagines di Opicinus de Canistris»,
Bollettino della Società Pavese di Storia Patria, 15/2, 1963, p. 33-37).
6. G. Tullio, Speculum naturale: percorsi del pensiero medievale, Roma, Ed. di Storia e Letteratura,
2007, p. 110-112.
7. Ad esempio P. Carmassi, «Processioni a Milano nel Medioevo», in N. Bock, P. Kurmann (a cura
di), Art, cérémonial et liturgie au Moyen Âge. Actes du colloque (Lausanne-Fribourg, 2000), Roma,
Viella, 2002, p. 397-414; P. Boucheron, Le pouvoir de bâtir: urbanisme et politique édilitaire à
Milan (xive-xve siècles), Roma, École française de Rome, 1998, in particolare il cap. 1, p. 71-127:
fig. 5, p. 107.
8. Su questo aspetto ad esempio M. Bacci, Il pennello dell’Evangelista. Storia delle immagini sacre
attribuite a san Luca, Pisa, ETS, 1998.
9. Per un orientamento: A.  Zorzi, «La pena di morte in Italia nel tardo Medioevo», Clío &
Crímen: Revista del Centro de Historia del Crimen de Durango, 4: La pena de muerte en la socie­
dad europea medieval, 2007, p. 47-62; id., «Le esecuzioni delle condanne a morte a Firenze nel
tardo Medioevo tra repressione penale e cerimoniale pubblico», in M. Miglio, G. Lombardi
(a cura di), Simbolo e realtà della vita urbana nel tardo Medioevo, Atti del V Convegno storico
italo-canadese (Viterbo, 11-15 maggio 1988), Manziana [Roma], Vecchiarelli, 1993, p. 153-253;
id., «Rituali di violenza, cerimoniali penali, rappresentazioni della giustizia nelle città italiane
centro-settentrionali (secoli  XIII-XV)», in Le forme della propaganda politica nel Due e nel
Trecento, Roma, École française de Rome, 1994, p. 395-425.

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v it tor i a c a melliti

Fig. 2 – Condannato a morte «attanagliato» su un carro (Cronache del Sercambi),


Lucca, Archivio di Stato, Biblioteca Manoscritti, n. 107, fol. 108r. O. Banti,
M. L. Testi Cristiani, Giovanni Sercambi…, op. cit., vol. 2.

vie della città sopra un carro trainato da due buoi, mentre viene «attanagliato»
prima di essere giustiziato (fol. 108r) (fig. 2) 10.
Gli «ignobili» erano solitamente impiccati; alle persone nobili e di censo
era generalmente riservata la decapitazione in luoghi rappresentativi dell’au-
torità politica – come successe ad Alvise e Filippo Forzaté che vennero giu-
stiziati sulle scale del Palazzo della Ragione a Padova 11 o a tali Bonincontro di
Giovanni d’Andrea e Raniero di Michele Cattani, dottori di Castelsanpietro,
che furono decapitati nel giugno 1350 sulla ringhiera di Palazzo del Podestà a
Bologna 12. Ai sodomiti spettava invece il rogo – e fu questa la sorte del giovane
lucchese arso vivo a Lucca al cospetto dell’imperatore per mano dello stesso

10. O. Banti, M. L. Testi Cristiani, Giovanni Sercambi: le illustrazioni delle Croniche nel Codice
Lucchese, Genova, Basile, 1978, p. 70 ssg.
11. Galeazzo e Bartolomeo Gatari, Cronaca Carrarese: confrontata con la redazione di Andrea Gatari,
1, AA. 1318-1407, a cura di A. Medin e G. Tolomei, Città di Castello, Lapi (Rerum italicarum
scriptores, 55, 17.1), 1909, p. 134.
12. Corpus chronicorum Bononiensium, a cura di A. Sorbelli, Città di Castello, Lapi (Rerum itali-
carum scriptores, 18, 1), 1906-1939, vol. 2, p. 599 (37), 600 (40).

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Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

Fig. 3 – Rogo di un sodomita (Cronache del Sercambi), Lucca, Archivio di Stato,


Biblioteca Manoscritti, n. 107, fol. 77r. O. Banti, M. L. Testi Cristiani,
Giovanni Sercambi…, op. cit., vol. 2.

zio, all’epoca conservatore della città (Lucca, Archivio di Stato, Biblioteca


Manoscritti, n. 107, fol. 77r) (fig. 3) 13.
Sappiamo che, almeno inizialmente, i luoghi deputati alle esecuzioni capi-
tali erano diversi e che una buona parte di queste avveniva all’interno delle
mura, in pubblica piazza o presso i principali edifici civici. Si deve, allo stesso
modo, ricordare che anche le immagini infamanti – che ritraevano i cittadini
banditi o ricercati come «appiccati» e ne decretavano in tal modo simbolica-
mente la «morte civica» – trovavano in genere posto sulle pareti dei Palazzi
pubblici 14. Appare significativo al riguardo il racconto di un cronista bolognese

13. O. Banti, M. L. Testi Cristiani, Giovanni Sercambi…, op. cit., p. 70.


14. G. Ortalli, «Pingatur in Palatio»: la pittura infamante nei secoli XIII-XVI, Roma, Jouvence,
1979, passim. Più di recente: G. Milani, Studi medievali, 3/49/1: Prima del Buongoverno: motivi
politici e ideologia popolare nelle pitture del Broletto di Brescia, 2008, p.  19-85; id., «Pittura
infamante e damnatio memoriae. Note su Brescia e Mantova», in I. Lori Sanfilippo, A. Rigoni
(a cura di), Condannare all’oblio. Pratiche della damnatio memoriae nel Medioevo, Atti del
Convegno (Ascoli Piceno, 2008), Roma, Istituto Storico Italiano per il Medioevo, 2010, p. 179-
200; id., «Avidité et trahison du bien commun. Une peinture infamante du xiiie siècle», Annales
HSS, 3, 2011, p. 705-739; M. Ferrari, «Avaro, traditore. Pittura d’infamia e tradizione figurativa
del tradimento politico tra Lombardia e Toscana (1250-1350)», in E. Brilli, L. Fenelli, G. Wolf
(a cura di), Images and Words in Exile. Avignon and Italy in the First Half of the 14th Century,

121
v it tor i a c a melliti

che nel ricordare l’esecuzione di tale Lucio di Lando nel 1386 precisa che il
condannato «fu apichato per traditore, o vero depinto per traditore, al palaxio
di signuri, cum certi altri soi compagni 15».
Molte testimonianze figurative ci restituiscono però una immagine delle
esecuzioni capitali al di fuori del confine murario e si tratta nella maggior
parte dei casi di impiccagioni, come si osserva ad esempio in diverse miniature
a corredo della cronaca del Sercambi (Lucca, Archivio di Stato, Biblioteca
Manoscritti, n. 107, fol. 150r, 343v) 16. Due impiccati si vedono anche all’esterno
della città della Principessa difesa da San Giorgio nella cappella affrescata da
Pisanello nella chiesa di S. Anastasia a Verona 17 (fig. 4). A Venezia le esecuzioni
capitali avvenivano generalmente tra le due colonne in Piazza San Marco,
luogo deputato al mercato, dopo una processione condotta prima su una
chiatta, lungo Canal Grande, quindi, in un secondo momento, via terra 18. Il
condannato era in genere legato alla coda di un cavallo e trascinato sul luogo
del delitto dove gli veniva amputata una mano; giungeva quindi tra le due
colonne sulla piazza dove veniva finito per «descopamento», ovvero mazzolato,
oppure decapitato o impiccato. E si noti che in cima a queste due colonne vi
erano (e vi sono tutt’oggi) la statua di san Teodoro, antico patrono della città,
e il leone marciano 19. Il corpo era quindi ridotto in quattro pezzi che venivano
issati ed esposti su apposite forche site nei quattro punti principali di ingresso
alla città: il Porto di San Nicolò al Lido (o Isola di San Giorgio) e gli accessi in
direzione Mestre, Padova e Chioggia 20.

Atti del Convegno internazionale (Firenze-Avignone, 7-11 aprile 2011), Firenze, Sismel, 2014,
p. 23-38; id., «Prime pitture d’infamia nei Comuni italiani: immagini come documenti, imma-
gini come fatti», in C. Behrmann (a cura di), Schandbilder. Infamie, Diffamierung und die
Ethik der «oeconomia», Atti delle giornate di studio (Firenze, Kunsthistorischen Institutes,
27-28 marzo e 16-17 novembre 2012), Berlino, De Gruyter, 2016, p. 49-74.
15. Corpus chronicorum Bononiensium, op. cit., vol. 2, p. 377 (35-38).
16. O. Banti, M. L. Testi Cristiani, Giovanni Sercambi…, op. cit., p. 70; S. Bongi (a cura di),
Le Croniche di Giovanni Sercambi lucchese pubblicate sui manoscritti originali, Lucca, Giusti,
1892-1893, vol. 1, p. 331; vol. 2, p. 404.
17. Vedi anche i disegni a New York, The Frik Collection, Inv. 36.3.54. Al riguardo B. Degenhart,
A. Schmitt, Pisanello und Bono da Ferrara, München, Hirmer Verlag, 1995, p. 132; D. Gasparotto,
«Scheda n. 42», in P. Marini (a cura di), Pisanello, catalogo della mostra (Verona, 1996), Milano,
Electa, 1996, p. 269-269.
18. L. Puppi, Lo splendore dei supplizi: liturgia delle esecuzioni capitali e iconografia del martirio
nell’arte europea dal XII al XIX secolo, Milano, Berenice, 1990, p. 20.
19. Al riguardo di recente V. Camelliti, «San Giorgio: culto, immagini e sacre rappresentazioni
nelle città dell’Italia centrosettentrionale tra XII e XV secolo», in C. Caserta (a cura di), I
santi Giorgio ed Eustachio. Milites Christi in terra amalfitana, Atti del Convegno (Ravello,
24-26 luglio 2010), Napoli, ESI, 2012, p. 237-276: p. 275.
20. P. Gilli, «Venise: une cité sans muraille, discours et pratiques (xve et début du xvie siècle)», in
D. Le Blévec (a cura di), Défendre la ville dans les pays de la Méditerranée occidentale au Moyen
Âge, Montpellier, Université Paul-Valéry – Montpellier 3, 2002, p. 103-127.

122
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

Fig. 4 – Pisanello, San Giorgio e la Principessa (dettaglio con impiccati),


Verona, Chiesa di Santa Anastasia, Cappella Pellegrini.
Https://commons.wikimedia.org/wiki/File%3APisanello_010.jpg.

Simile, nelle modalità, il supplizio di un omicida ricordato da una cronaca


bolognese nel Quattrocento 21. Anche in questo caso il condannato fu condotto
su un carro per le vie cittadine ove subì varie mutilazioni: il percorso prevedeva

21. Corpus chronicorum Bononiensium, op. cit., vol. 2, p. 522.

123
v it tor i a c a melliti

il passaggio dal luogo del delitto, dalla Croce dei santi (una delle quattro croci
bolognesi ricordate supra) e dal mercato di Porta Ravegnana, per concludersi
con lo squartamento in pubblica piazza e l’esposizione dei miseri resti appiccati
alle quattro principali porte della città.
Questi rituali cruenti, largamente documentati, avevano un carattere volu-
tamente pubblico e scenografico ed erano riservati solitamente agli assassini
o a coloro che agivano contro natura (i sodomiti) o contro Dio (gli eretici o i
blasfemi): si ricorderà, al riguardo, l’episodio famoso dell’ebreo di Firenze che
aveva compiuto atti di vilipendio nei confronti di alcune venerate immagini
sacre, e che venne lasciato per questo in balia della furia del popolo 22. Erano
atti dimostrativi; c’era, dunque, sicuramente, la volontà condivisa di punire
e denigrare l’esecutore di un misfatto, ma c’era anche l’intento di ammonire
e dissuadere i cittadini dall’agire nello stesso modo. Era avvertita inoltre in
tutti i casi come prioritaria l’esigenza di rimediare a un torto – la violazione
dello spazio sacro interno alle mura – e di riequilibrare il rapporto di fiducia
tra la città e Dio. Nell’immaginario urbano medievale, infatti, la sicurezza e
la stabilità della città erano garantite dalla capacità degli uomini di vivere in
pace e concordia, nel corretto esercizio della giustizia, in modo tale da non
scatenare l’ira funesta di Dio: ira che si poteva manifestare, a seconda dei
casi, con guerre, carestie, pestilenze e altre calamità. Il radicamento di questa
idea è dimostrato, ad esempio, dalla fortuna riscossa (anche nell’ambito della
produzione figurativa-devozionale) dal tema delle «tre frecce» simboleggianti la
peste, la fame e la guerra delle quali il Cristo voleva servirsi per punire i peccati
di lussuria, avarizia e orgoglio: ciò non avviene solo grazie alla Vergine Maria
che si fa garante per l’umanità presso il Figlio, promettendone la remissione
dai peccati attraverso la pietà degli Ordini mendicanti rappresentati da san
Francesco e san Domenico 23.

22. G. Zaccariotto, «Scheda n. 37», in M. M. Donato, D. Parenti (a cura di), Dal giglio al David:
arte civica a Firenze fra Medioevo e Rinascimento, catalogo della mostra (Firenze, Galleria
dell’Accademia, 14 maggio-8 dicembre 2013), Firenze, Giunti, 2013, p. 186-187.
23. Cfr. al riguardo P. Lippini O.P. (a cura di), Storie e leggende medievali: le «Vitae Fratrum» di
Geraldo di Frachet O.P., Bologna, Studio Domenicano, 1988, p. 22-24. Vedi anche Il Libro d’Oro
domenicano, volgarizzamento anonimo del secolo  XV delle Vitae Fratrum O.P. di fra Gerardo
di Frachet O.P., edito dal P. Innocenzo Taurisano O.P., Roma, Ferrari, 1925. La leggenda è
recepita da Iacopo da Varazze, Legenda Aurea, a cura di A. e L.  Vitale Brovarone, Torino,
Einaudi, 1995, vol. 2, p. 724 e dallo Speculum Humanae Salvationis, al riguardo P. Perdrizet,
La Vierge de miséricorde: étude d’un thème iconographique, Parigi, Fontemoing, 1908; id.,
Étude sur le «Speculum Humanae Salvationis», Parigi, Champion, 1908; J. Lutz, P. Perdrizet,
«Speculum Humanae Salvationis»: texte critique; traduction inédite de Jean Mielot (1448); les
sources et l’influence iconographique, principalement sur l’art alsacien du xive siècle, Mulhouse/
Leipzig, Hiersemann, 1907-1909; E. Silber, «The Reconstructed Toledo Speculum Humanae
Salvationis. The Italian Connection in the Early Fourteenth Century», Journal of the Warburg

124
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

La città preservava pertanto il proprio tranquillo e buono stato prevenendo


situazioni di disordine pubblico o punendo quanti ne attentavano le basilari
condizioni di stabilità. Allo stesso modo, erano tenuti in grande considera-
zione i «segni» interpretati come nefasti. Un esempio significativo di questo
atteggiamento che possiamo a ragione definire superstizioso si rintraccia a
Siena intorno alla metà del Trecento: quando si cominciò a sospettare che la
statua antica (una Venere Anadiomene) rinvenuta intorno al 1345 e posta a
decorare la Fonte del Campo era stata cagione di gravi disgrazie (la guerra e la
pestilenza) il popolo senese deliberò di disfarsene. La leggenda vuole, sebbene
non sembrino esserci conferme in proposito, che la statua venisse al più presto
rimossa per essere sepolta in territorio fiorentino: dunque non al di fuori delle
mura urbane ma, addirittura, al di fuori del contado di Siena perché l’effetto
negativo fosse trasferito agli ignari e confinanti nemici 24.
Una valenza positiva fu invece attribuita ad altre statue antiche tra cui la così
detta Madonna Verona eretta in cima alla fontana di Piazza delle Erbe nella omo-
nima città scaligera, alla quale fu affidato nel Trecento un messaggio di giustizia
e orgoglio civico 25: il motto già presente sul sigillo cittadino, e che troviamo qui
inciso su un cartiglio Est iusti latrix urbs haec et laudis amatrix 26 (fig. 5). Una sorte

and Courtauld Institute, 43, 1980, p. 32-51; di recente T. Castaldi, «L’iconografia della Madonna
della Misericordia tra San Domenico e San Francesco», in C. Pedrini (a cura di), Arte gotica
a Imola: affreschi ritrovati in San Francesco e in San Domenico, Imola, Musei civici di Imola,
2008, p. 111-118; C. Frugoni, F. Manzari, Immagini di san Francesco in uno Speculum Humanae
Salvationis del Trecento, Roma, Biblioteca dell’Accademia Nazionale dei Lincei e Corsiniana 55.k.2
(c. 46v), Padova, Editrici Francescane, 2006, p. 190: Maria mediatrix nostra placat iram Dei
contra nos. Sul tema agiografico dell’incontro tra i due santi cfr. S.  Brufani, «Domenico e
Francesco, Predicatori e Minori», in Domenico di Caleruega e la nascita dell’Ordine dei Frati
Predicatori, Atti del XLI Convegno storico internazionale (Todi, 10-12 ottobre 2004), Spoleto,
Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 2005, p. 401-430.
24. La delibera è del 7 novembre 1357: quod statua marmorea ex inde, cum inhonestum videatur,
et fiat ex inde et de ea quod dominis Duodecim videbitur et placebit. Al riguardo F. Bargagli
Petrucci, Le Fonti di Siena e i loro acquedotti, Siena, Periccioli, 1974, vol. 1, p. 24-25. Cit. anche
in L. Bortolotti, Siena, Roma, Laterza, 1983, p. 34. Bartolomeo Benvoglienti, De urbis Senae
origine et incremento opusculum, Senis, per Simeonem Nicolai, 1506, MDVI (versione volgare
p. 21) parla invece di una statua di Diana ridotta poi in polvere.
25. Su questi aspetti vedi A. Esch, «L’uso dell’antico nell’ideologia papale, imperiale e comunale»,
in Roma antica nel Medioevo. Mito, rappresentazioni, sopravvivenze nella «Respublica Christiana»
dei secoli IX-XIII, Atti della Quattordicesima Settimana Internazionale di Studio (Mendola,
24-28  agosto 1998), Milano, V&P Università, 2001, p.  3-25; id., «Reimpiego dell’antico nel
Medioevo: la prospettiva dell’archeologo, la prospettiva dello storico», in Settimane di studio del
Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, Spoleto, Centro italiano di studi sull’alto Medioevo,
1999, vol. 1, p. 73-108. Vedi quindi P. Golinelli, «Quando il santo non basta più: simboli cittadini
non religiosi nell’Italia bassomedievale», in A. Vauchez (a cura di), La religion civique à l’époque
médiévale et moderne (Chrétienté et Islam), Roma, École française de Rome, 1995, p. 375-389.
26. E.  Napione, Le Arche Scaligere, Venezia, Umberto Allemandi & C. per Istituto Veneto di
Scienze, Lettere ed Arti, 1999, p. 230, nota 36.

125
v it tor i a c a melliti

Fig. 5 – Madonna Verona, Verona, Piazza delle Erbe. © V. Camelliti.

analoga spettò anche al famoso Regisole di Pavia, una statua equestre in bronzo di
epoca romana distrutta nel 1796, che un celebre disegno di Opicino de Canistris
(1330 ca.) ricorda eretta su una colonna di fronte alla cattedrale e che divenne
un importante simbolo cittadino, tanto da comparire sui sigilli 27. Sopravvissuta
a secoli di trasformazioni anche la statua nota come «Kinzica dei Sismondi»,

27. G. C. Bascapè, Sigillografia: il sigillo nella diplomatica, nel diritto, nella storia, nell’arte, vol. 1:
Sigillografia generale, Milano, Giuffrè, 1969, p. 126. Sul Regisole: S. Lomartire, «La statua del
Regisole di Pavia e la sua fortuna tra Medioevo e Rinascimento», in J. Poeschke, T. Weigel,
B. Kusch-Arnhold (a cura di), Praemium Virtutis III: Reiterstandbilder von der Antike bis zum
Klassizismus, Münster, Rhema, 2008, p. 31-73.

126
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

Fig. 6 – Kinzica de’ Sismondi, Pisa, Casa Tizzoni. © V. Camelliti.

forse in origine parte di un sarcofago romano, oggi murata sulla facciata di casa
Tizzoni a Pisa, e che una tradizione radicata identifica con la giovane pisana che
sventò un assedio dei saraceni salvando in tal modo la città 28 (fig. 6).
È andata invece perduta la famosa statua di Marte che una illustrazione
delle Cronache del Villani (Biblioteca Vaticana, Chigiano L VIII 296) ricorda
alloggiata «in sul pilastro a piè del detto ponte Vecchio di qua 29». Fu proprio
la sua caduta in Arno nel 1333 a destare grande apprensione nei fiorentini; era
infatti credenza che «quando la statua di Mars cadesse o fosse mossa, la città
di Firenze avrebbe gran pericolo o mutazione». Il terribile diluvio che ne seguì
confermò i pronostici degli antichi e, stando a quanto racconta sempre il
Villani, «fu allora fatta grande questione se ciò accadde per fatti naturali o per
giudizio di Dio». Sebbene gli astrologi avessero interpretato un quadro astrale
decisamente sfavorevole per Firenze, i savi religiosi e i maestri di teologia non
esitarono a riconoscere in questo evento disastroso la mano di Dio: poiché
solo Dio ha il potere di giudicare il mondo in linea con il corso della natura,
forzando il corso della natura o ancora contro natura così come a lui piace.
E identifica i due motivi principali per i quali Dio agisce in tal modo; dice
Villani: o «per graziosa misericordia» o per esecuzione della giustizia.

28. Cfr. A. Panaja, I palazzi di Pisa nel manoscritto di Girolamo Camici Roncioni, Pisa, ETS, 2004,
p. 196-198.
29. Per le citazioni che seguono cfr. Giovanni Villani, Nuova Cronica, op. cit., vol. 2, libro 12, I,
p. 3-12: p. 8.

127
v it tor i a c a melliti

La città difesa.
Il mito della Vergine defensatrix nei Libri miraculorum

Le calamità naturali, le epidemie e le guerre erano, dunque, riconosciute e


accettate nel Medioevo come punizioni divine causate dalle iniquità degli
uomini. La città poteva tuttavia contare per la sua salvezza sull’intercessione dei
santi protettori (di cui in genere custodiva anche le reliquie 30) e della Vergine
a cui spettava anche un certo potere di intervento, sempre Dio permettendo.
Non stupisce quindi che il tema della difesa della città per intervento divino
sia largamente diffuso nella tradizione letteraria e figurativa medievale. Se ne
trovano le prime tracce, con specifico riferimento alla Vergine, nei testi dei
Libri miraculorum a partire dall’XI-XII secolo 31.
Prenderò qui in considerazione a titolo esemplificativo tre miracoli mariani
tra i più famosi. Il primo, di cui sono note almeno due diverse versioni,
riguarda la liberazione di Costantinopoli dai Saraceni. Il racconto principale
attribuisce la salvezza della città all’icona della Madonna dipinta, secondo la
tradizione, dall’evangelista Luca 32. Si tratta della sacra immagine della Madre
di Dio conservata in monasterio sanctae Dei genitricis iuxta palatium, alla quale
erano stati già attribuiti numerosi miracoli. L’icona, oggetto delle preghiere dei
cittadini, viene portata in processione per le strade e lungo le mura urbane,
tutti i giorni del mese di marzo fino a quando civis admonuit afferri illam
imaginem et ab omnibus orationem ad illam fieri hoc modo: Sancta Dei genitrix,
quae toties nos liberasti, libera nos modo de inimicis filii tui et, si vis ut imaginem
tuam non mergamus in mari, merge illos 33. Il miracolo è riportato dallo Speculum
Historiale del domenicano Vincenzo di Beauvais (1190-1264) e viene recepito

30. Il possesso di sacri corpi è un topos della letteratura delle Laudes Medievali. Su questo aspetto
si veda: G. Fasoli, «La coscienza civica nelle “laudes civitatum”», in La coscienza cittadina nei
comuni italiani del Duecento, Atti del XI  Convegno storico internazionale dell’Accademia
Tudertina, Todi, Accademia Tudertina, 1972, p. 11-44; G. B. Pighi (a cura di), Versus de Verona:
Versum de mediolano civitate, Bologna, Zanichelli, 1960. Di recente E. Occhipinti, «Immagini
di città: le “laudes civitatum” e la rappresentazione dei centri urbani nell’Italia settentrionale»,
Società e storia, 14/51, 1991, p. 23-52.
31. Per i casi di Parma e Rocamadour e l’offerta di ex voto in forma di città si veda V. Camelliti,
«“Patroni celesti” e “Patroni terreni”: dedica e dedizione della città nel rituale e nell’immagine»,
in S. Ehrich, J. Oberste (a cura di), Städtische Kulte im Mittelalter, Regensburg, Schnell &
Steiner (Forum Mittelalter. Studien, 6), 2010, p. 97-124.
32. M. Bacci, Il pennello…, op. cit., p. 114-130; B. V. Pentcheva, Icons and Power: the Mother of God
in Byzantium, University Park [PA], Pennsylvania State University Press, 2006.
33. M.  Tarayre, La Vierge et le miracle: le «Speculum historiale» de Vincent de Beauvais, Parigi,
Champion, 1999, p. 164-166, XXIII, 147.

128
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

Fig. 7 – Miracolo di Costantinopoli (Cantigas de Santa Maria, n. 28),


Madrid, Real Biblioteca del Monasterio de San Lorenzo de El Escorial,
Ms. T.I.1, fol. 43r. Http://www.warfare.altervista.org/
Cantiga/Cantigas_de_Santa_Maria-028-3-4.jpg.

anche dalle Cantigas di Alfonso il Saggio (1221-1284) 34. Quest’ultima raccolta di


miracoli tramanda anche una seconda versione del miracolo di Costantinopoli,
associato tradizionalmente a un episodio diverso rispetto a quello descritto
da Vincenzo di Beauvais. La liberazione della città dipende in questo caso da
un evento prodigioso, ovvero l’apparizione della Vergine, una dama risplen-
dente più del sole che, come si vede anche in una delle miniature a corredo
del prezioso codice dell’El Escorial (Ms. T.I.1, fol. 43r) distende il mantello
sulla città, accompagnata qui da angeli e santi (fig. 7) 35. Lo stesso miracolo è
noto, precedentemente, attraverso due raccolte di miracoli francesi, quella in

34. Alfonso X el Sabio, «Cantigas de Santa Maria», in C. Beretta (a cura di), Miracoli della Vergine:
testi volgari medievali (Gautier de Coinci, Gonzalo de Berceo, Alfonso X el Sabio), Torino, Einaudi,
1999, p.  1048-1051, Cantiga n.  264, note p.  1272-1273. W.  Mettermann, Afonso  X, o Sabio.
Cantigas de Santa Maria, Coimbra, Por ordem da Universidade, 1959-1972, vol. 3, p. 34-35:
Como Santa Maria fez pereçer as naves dos mouros que tiin(n)am çercada Constantinopla, tanto
que os crischaos poseron a ssa ymagen na rriba do mar.
35. Http://www.warfare.altervista.org/Cantiga/Cantigas_de_Santa_Maria-028.htm. J.  Guerrero
Lovillo, Las Càntigas. Estudio Arqueolòlogico de sus miniaturas, Madrid, s. n., 1949, cant. XXVIII,
in particolare il riquadro: Como o Soldan viu Santa Maria que parava o seu manto en que ferissen
as pedras: p. 383. Per la trascrizione W. Mettermann, Afonso X, o Sabio…, op. cit., vol. 1, p. 83-87:
Como o soldan viu Santa Maria que parava o seu manto en que ferissen a pedras; id., «Os Miracles
de Gautier de Coinci como fonte das Cantigas de Santa Maria», in Estudos portugueses: homena­
gem a Luciana Stegagno Picchio, Lisbona, DIFEL, 1991, p. 79-84: p. 84 (nr. 405: Constantinopoli
velamen die sabbati attolitur).

129
v it tor i a c a melliti

ottosillabi di Anonimo lionese (Parigi, BNF, ms. fr. 818, fol. 101v) 36 e il più


famoso componimento di Gautier de Coincy (1177?-1236) monaco dell’abbazia
di S. Médard a Soissons 37.
I testi ci forniscono in questo caso indicazioni precise per ricostruire il conte-
sto e identificare correttamente i personaggi: il miracolo è ambientato al tempo
del santo patriarca Germano, durante il regno dell’imperatore Teodosio e, come
precisa l’Anonimo lionense, del suo successore Leone III Isaurico responsabile
della difesa di Costantinopoli dall’assedio del 717 contro il principe saraceno
Maslam 38. Il racconto di Gautier riserva ancora un ruolo di primo piano al
potere taumaturgico e salvifico dell’immagine della Madonna: le nobildonne
di Costantinopoli accendono infatti in suo onore numerosi e grandi ceri. Lo
stesso san Germano, esortato dai fedeli a chiedere grazia per la città, si rivolge

36. Http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10507337z/f208.image.r=fr. Si ritiene che il ms. sia esem-


plato su Les miracles di Gautier (H. Kjellman, La deuxième collection anglo-normande des mira­
cles de la Sainte Vierge et son original latin avec les miracles correspondants des mss. fr. 375 et 818
de la Bibliothèque nationale, Parigi, Champion, 1922, LXXI). Nell’anonimo si trova tuttavia
citato Leone III, mentre Gautier ricorda solo l’imperatore Teodosio. Cfr. C. Beretta (a cura
di), Miracoli della Vergine…, op. cit., p. 323 (1-22), Gautier de Coincy, II Mir. 12, Come nostra
Signora difese la città di Costantinopoli. Per un orientamento riguardo i numerosi manoscritti
contenenti il miracolo cfr. V. F. Koenig, «Introduzione», in Gautier de Coincy. Les Miracles de
Nostre Dame, Ginevra, Droz, 1955, t. 1, p. 34 ssg.
37. Les Miracles de Nostre Dame par Gautier de Coinci, in Miracoli della Vergine: testi volgari
medievali, a cura di C.  Beretta, Torino, Einaudi, 1999, p.  325-331 (67-179). Il miracolo di
Costantinopoli è riportato nel prologo all’Inno Acatisto: la storia dei manoscritti contenenti
l’Inno è stata ricostruitra da G. G. Meersseman O.P., «Der Hymnos Akatistos im abendland»,
in Der Hymnos Akathistos im Abendland. I. Akathistos-Akoluthie und Grusshymnen, Freiburg,
Universitätsverlag Freiburg, 1958, p. 36 ss. con analisi critica del testo p. 100-136. In seguito da
M. Huglo, «L’ancienne version latine de l’hymne acathiste», Museo, 64/1-2, 1951, p. 27-61. Per
un riepilogo della tradizione critica, Akathistos: inno alla Madre di Dio e della Chiesa, introdu-
zione, traduzione e note di F. Minuto Peri, Sotto il Monte, Servitium, 2001, passim. La rice-
zione della leggenda in Gautier de Coincy è stata studiata da A. Mussafia, Über die von Gautier
de Coincy benutzten Quellen, Vienna, In commission bei C. Gerold’s Sohn (Denkschriften der
Kaiserlichen akademie der wissenschaften. Philosophisch-historische classe, 44), 1896; P. von
Winterfeld, «Rythmen und Sequenzenstudien», Zeitschrift fiir deutsches Altertum und deutsche
Litteratur, 47, 1904, p. 73-100; S. der Nersessian, «Two Miracles of the Virgin in the Poems
of Gautier de Coincy», Dumbarton Oaks Papers, 41: Studies on Art and Archeology in Honor
of Ernst Kitzinger on his Seventy-Fifth Birthday, 1987, p. 157-163. Vedi quindi C. Belting-Ihm,
Sub matris tutela, Heidelberg, Winter, 1975, p. 40-44; N. J. Hubbard, Sub pallio: the Source
and Development of the Iconography of the Virgin of Mercy, Northwestern University, 1984
(xerokopie: Ann Arbor, University Microfilms International, 1995), p. 142 ssg.
38. All’imperatore Leone si rifà anche il redattore del De victoria christianorum nel manoscritto
conservato a Oxford, ms. Balliol 240 (III b, 22, De victoria christianorum) dal quale deriva la
versione in francese del ms. 20 B XIV a Londra, British Library (22, Comment une image de
la Sainte Vierge protégea les Chrétiens contre les Sarrasins). I testi sono entrambi comparati da
H. Kjellman, La deuxième collection…, op. cit., p. LXX-LXXI, 234-236.

130
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

alla Madre di Dio pregandola davanti alla sua sacra icona 39. L’evento cruciale, di
forte impatto scenico e destinato a radicarsi profondamente nell’immaginario
popolare, è però rappresentato dalla miracolosa apparizione della Madonna 40.
Il testo dell’Anonimo lionese ha termine con la fuga dei nemici; la sconfitta dei
saraceni diventa invece, in Gautier, una occasione per dimostrare la superiorità
della fede cristiana, che si rivela infine più efficace rispetto a quella islamica,
ripudiata dallo stesso Muselin. La vicenda si conclude infatti felicemente, senza
alcuno spargimento di sangue e con la conversione del re saraceno. Questo
dettaglio è registrato nella miniatura di un codice di primo Trecento (Parigi,
BNF, ms. fr. 22928, fol. 200r 41) dove troviamo illustrati i diversi momenti della
vicenda: dall’apparizione mariana, alla conversione del re saraceno e alla som-
ministrazione dei sacramenti. Il più prestigioso codice miniato da Jean Pucelle
(Parigi, BNF, nouv. acq. fr. 24541, fol. 154v) illustra invece solo il momento
culminante della vicenda, allorché la Vergine sopraggiunge distendendo il suo
mantello sulla città che diventa in tal modo inespugnabile 42 (fig. 8).
Un altro racconto incentrato sull’intervento della Vergine in difesa della
città è quello del miracolo così detto di Orleans: anche in questo caso la sal-
vezza di un vicino castello è garantita dal potere di una sacra immagine della
Vergine custodita nella chiesa cittadina che, portata in processione fino alla

39. M. Bacci, Il pennello…, op. cit., p. 246.


40. Sul tema dell’apparizione mariana cfr. C. Rohault de Fleury, La Sainte Vierge. Études archéo­
logiques et iconographiques, Parigi, Poussielgue, 1878, vol. 1, p. 313-322; N. J. Hubbard, Sub
pallio…, op. cit., p. 142 ssg.
41. Http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84546831/f409.image.r=Fr.
42. Http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6000451c/f320.image.r=Fr.: Parigi, BNF, nouv. acq. fr. 24541.
Preso già in considerazione da N.  J.  Hubbard, Sub pallio…, op.  cit. Sul manoscritto cfr.
H.  Focillon, Le peintre des Miracles Notre Dame: quarante miniatures photographiées par
P. Devinoy, Parigi, Hartmann, 1950. Testo edito da M. l’abbé Poquet, Les miracles de la Sainte
Vierge, traduits et mis en vers par Gautier de Coincy, Parigi, Parmantier, 1857. Al riguardo
cfr. anche L. Delisle, Recherches sur la librairie de Charles V, Parigi, Champion, 1907, vol. 1,
p. 285 ssg.; Les miracles de Notre Dame compilés par Jean Mielot; étude concernant trois manuscrits
du xve siècle ornés de grisailles, par le comte A. de Laborde, Parigi, s. n., 1929, vol. 3, p. 10 ssg.;
P. Ducrot-Granderye, Études sur les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci: description
et classement sommaire des manuscrits. Notice biographique. Édition des miracles «D’un chevalier
a cui sa volonté fu contee por fait aprés sa mort», et «Comment Nostre Dame desfendi la cité
de Constentinnoble» d’après tous les manuscrits connus, Helsinki, Suomalainen Tiedeakatemia
(Annales Academiae Scientiarum Fennicae, 25.2), 1932, p. 219; R. Blum, «Jean Pucelle et la
miniature parisienne du xive siècle», Scriptorium, 3, 1949, p. 211-217; J. Porcher, Les manuscrits
à peintures en France du xiiie au xvie siècle, Parigi, Bibliothèque nationale, 1955; K. Morand, Jean
Pucelle, Oxford, Clarendon Press, 1962, pl. XII d, p. 42-43: Parigi, BNF, nouv. acq. fr. 24541.
Di recente N. Black, «Images of the Virgin Mary in the Soissons Manuscript (Parigi, BNF,
nouv. acq. fr. 24541)», in K. M. Krause, A. Stones (a cura di), Gautier de Coinci: Miracles,
Music, and Manuscripts, Turnhout, Brepols (Medieval Texts and Cultures of Northern Europe,
13), 2006, p. 254-277; nello stesso volume A. Stones, «Illustrated Miracles de Nostre Dame.
Manuscripts Listed by Sigla», p. 369-371.

131
v it tor i a c a melliti

Fig. 8 – Miracolo di Costantinopoli (Gautier de Coincy, Miracles de Notre Dame).


Parigi, BNF, nouv. acq. fr. 24541, fol. 154v.

132
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

porta urbica è esposta alla sua sommità rivolta verso l’esterno contro gli assa-
litori. Nello Speculum Historiale di Vincenzo di Beauvais si parla di una statua
della Vergine che si anima miracolosamente e che, nel sollevare il ginocchio,
riesce a salvare un cittadino dalla freccia scoccata da un soldato nemico 43.
Questa leggenda è ripresa in seguito da Le Miroir Histoire, volgarizzamento
francese dello Speculum ad opera di Jean Le Vignay 44: nelle miniature di due
codici francesi di metà Trecento contenenti il racconto la Vergine però non
ha più le fattezze di una statua, ma si presenta in forma umana, in piedi
davanti alla porta urbica; nella prima immagine (Parigi, BNF, ms.  fr.  312,
fol. 327v, De celi pour qui l’ymage de la vierge marie se mist contre le glaive 45)
si serve di una lancia per colpire un soldato nemico; nella seconda (Parigi,
BNF, nouv. acq. fr. 15940, fol. 69v, De celi pour qui l’ymage de la beneoite virge
marie tresoriere de grace se mist encontre le gleve et le reçut 46) tiene in braccio il
Bambino e fronteggia il soldato che, visibilmente stupito, resta con la lancia
sospesa a mezz’aria.
L’assedio è descritto con maggiore fedeltà nella miniatura che correda la più
tarda (metà del XV secolo) collezione di Miracoli scritta da Jean Mielot (Parigi,
BNF, ms. fr. 9198, fol. 121r, Miracle d’un ymage de nostre dame que ung archier
trait apres et elle tendy son genoul encontre) 47. Viene qui scelto il momento
precedente all’evento, quando ancora infuria la battaglia e la statua della
Madonna è alloggiata alla sommità della porta urbica. Ancora una statua si
trova rappresentata nella miniatura a corredo della Cantiga 51 nel codice dell’El
Escorial (Ms. T.I.1, fol. 76r) 48. Lo stesso racconto è narrato anche nel Libro di
Miracoli della Madonna di Soissons di Gautier de Coincy; nelle miniature di
due codici francesi: la prima è tratta da un codice di primo Trecento (Parigi,
BNF, ms. fr. 22928, fol. 116v 49), la seconda dal già ricordato codice miniato da

43. M. Tarayre, La Vierge et le miracle…, op. cit.


44. L. Brun, M. Cavagna (a cura di), Jean de Vignay, Le miroir historial. Édition critique, Parigi,
Société des anciens textes français, in corso di stampa.
45. Http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=COMP-1&I=206&M=imageseule.
46. Http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8449693p/f146.image.r=15940.
47. Http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8451109t/f253.image.r=Fr. L. Abd-Elrazak, Édition criti­
que du manuscrit français 9198: La Vie et Miracles de Nostre Dame de Jehan Miélot. Thèse soumise
à la Faculté des études supérieures et postdoctorales, Département de français, Ottawa, Université
d’Ottawa, 2012; H. Omont, Miracles de Notre-Dame. Reproduction des 59 miniatures du manus­
crit français 9198 (et des 73 miniatures du manuscrit français 9199) de la Bibliothèque nationale,
Parigi, Berthaud, 1906. Ne parla anche M. Bacci, «Devozione», in E. Castelnuovo, G. Sergi
(a cura di), Arti e storia nel Medioevo, vol. 3: Del vedere: pubblici, forme e fubnzioni, Torino,
Einaudi, 2004, tav. 3 fuori testo.
48. Http://www.warfare.altervista.org/Cantiga/Cantigas_de_Santa_Maria-051.htm. J.  Guerrero
Lovillo, Las Càntigas…, op. cit., p. 388: Como quiseron tirar a saeta da perna da omage de Sancta
Maria e non poderon; W. Mettermann, Afonso X, o Sabio…, op. cit., vol. 1, p. 146-148.
49. Http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84546831/f242.image.r=Fr.

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v it tor i a c a melliti

Jean Pucelle (Parigi, BNF, nouv. acq. fr. 24541, fol. 70v 50). L’immagine della


Madonna che viene condotta in cima alle mura non è però una statua (come
tuttavia troviamo specificato nel testo) ma una immagine dipinta (fig. 9) 51.
La terza e ultima leggenda mariana che prenderò qui in considerazione è
quella che narra dell’assedio di Chartres da parte del duca normanno Rollone
nel 911 e della salvezza della città grazie al potere miracoloso di una reliquia, la
veste della Vergine. Il racconto è riportato per la prima volta in una raccolta
composta in latino intorno al 1210 dal prete Gilon di Chartres, quindi nella
più nota versione di Jean le Marchant, volgarizzata in ottosillabi nel 1262 52.
È sufficiente che la «gonnella» della Vergine venga affissa su una pertica e
portata in battaglia come uno stendardo (o, come è riportato nel più tardo
volgarizzamento di Jean le Marchant, che la stessa venga esposta alla sommità
delle mura urbane 53) perché i soldati normanni, incuranti della potenza divina
e con gli archi già armati di frecce, restino miracolosamente accecati. L’epilogo
è drammatico: il racconto si conclude infatti con la strage dell’esercito nemico,
essendo sopraggiunti poco dopo i franchi guidati dal re Riccardo di Borgogna
il quale super eos irruit et stragem non minimam de Normannicis fecit 54.
Il miracolo di Chartres si trova anche nello Speculum Historiale di Vincenzo
di Beauvais 55 quindi nella raccolta di miracoli di Anonimo lionese (Parigi,

50. Http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6000451c/f152.image.r=fr.
51. N. Black, «Images of the Virgin Mary…», op. cit., p. 260.
52. Al riguardo E.  Levi, Il Libro dei cinquanta miracoli della Vergine, Bologna, Romagnoli-
dall’Acqua, 1917, p. XXXII. Jean Le Marchant versifica (in ottosillabi) il testo latino dei mira-
coli della Vergine di Chartres, composto verso il 1210 dal prete Gilon. Il testo latino originario
è edito da A. Thomas, «Les miracles de N. D. de Chartres, texte latin inédit», Bibliothèque
de l’École des chartes, 42/1, 1881, p. 505-550. Il testo in volgare è edito da M. G. Duplessis, Le
livre des Miracles de N.D. de Chartres écrit en vers, au xiiie siècle par Jean Le Marchant, Chartres,
Garnier, 1855. I testi sono comparati in Jean Le Marchant, Miracles de Notre Dame de Chartres,
a cura di P. Kunstmann, Ottawa, Éditions de l’Université, 1973, XXVIII, p. 217-221.
53. H. Kjellman, La deuxième collection…, op. cit., p. XXX.
54. Jean Le Marchant, Miracles de Notre Dame de Chartres, op. cit., p. 219-220.
55. M. Tarayre, La Vierge et le miracle…, op. cit., p. 166-169, XXIV; 46, De fuga Rollonis: Rollo
autem iste de quo supradictum est nobili quidam, sed per venustatem obsoleta prosapia Noricum
editus regis praecepto patria pulsus, multos quos vel aes alienum vel coscientia scelerum exagitabat,
magnis spebus sollicitatos secum adduxit, pyraticam aggressus, Carnoti adhaesit. Cuius cives nec
armis nec muris confisi beatae Mariae supparum idest camisam adorant, quam Carolus Caluus a
Costantinopoli cum aliis reliquiis aduehi fecerat. Hanc camisam in modum vexilli super propu­
gnacela custodum trita pectoribus ventis exponunt. Hostes visam coeperunt ridere et in eam sagitta
dirigere. Quorum oculis mox obtenebratis, nec antecedere nec retro tendere valebant. Quod videntes
oppidiani multa eorum se caede satiarunt. Evasit tamen Rollo quem suae fidei Deus reservavit, nec
multopost Rothomagum et confines urbes obtinuit. Altri manoscritti che contengono entrambe
le leggende sono Parigi, BNF, ms. lat. 12593 e 17491: cfr. al riguardo la tavola comparativa in
E. Faye Wilson, «A Study of Certain Collections of Mary Legend Made in Northern France in
the Twelfth and Thirteenth Centuries», in ead., The Stella Maris John of Garland, Cambridge,
Medieval Academy of America, 1946, p. 1-79: p. 22, 73-74.

134
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

Fig. 9 – Miracolo di Orleans (Gautier de Coincy, Miracles de Notre Dame).


Parigi, BNF, nouv. acq. fr. 24541, fol. 70v.

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v it tor i a c a melliti

BNF, ms. 818, fol. 32r-32v) 56 e nella Legenda Aurea di Jacopo da Varagine 57.


Le ultime due fonti riportano tuttavia una significativa integrazione: non
potendo, la dolce Vergine, sopportare questa strage quar il la firent senz raison
il Figlio, rois de pidie, accorre a vendicare il torto subito dai normanni, i quali
riconquistano miracolosamente la vista: ciò non prima che lo stesso abbia
provveduto a punire gli abitanti di Chartres per la loro immotivata ferocia
facendo scomparire la preziosa reliquia 58.
I tre miracoli mariani qui analizzati permettono una riflessione riguardo al
potere che veniva riconosciuto alle immagini sacre e alle reliquie, e all’uso che
ne veniva fatto. L’ostentazione rituale di questi oggetti sul limitare del confine
urbano, o la loro esposizione sulla sommità delle porte urbiche, rendono conto
nitidamente della contrapposizione esistente nell’immaginario medievale tra
«dentro» e «fuori» le mura: tra la città difesa e il mondo esterno chiuso fuori.
L’esigenza di protezione divina va però oltre il confine del circuito murario;
con specifico riferimento al miracolo di Chartres è interessante osservare, ad
esempio, come la scelta di portare fuori dalle mura cittadine una reliquia, la
veste della Vergine, affissa su una pertica (così come si legge almeno nella ver-
sione latina del prete Gilon 59) comporti una dilatazione simbolica dei confini
urbani fin sul campo di battaglia: là fin dove si spinge l’ultimo dei cittadini in
armi. Un atteggiamento simile nella relazione con il sacro si trova anche in una
delle Cantigas di Alfonso il Saggio: nella Cantiga 181 (Madrid, Real Biblioteca
del Monasterio de San Lorenzo de El Escorial, Ms. T.I.1) la vittoria del re di

56. Http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10507337z/f69.item.r=fr. Al riguardo cfr. E.  Levi, Il


Libro…, op. cit., p. XXXII, nota 2; il testo è edito in H. Kjellman, La deuxième collection…,
op. cit., Appendice, p. 271-272.
57. La vicenda è inserita nella trattazione riguardante l’Assunzione della Vergine con riferimento ai
vestimenta autem ipsius ad consolationem fidelium dicuntur in tumulo remanisse – come esempio
del potere delle sacre reliquie. CXIX, L’Assunzione della beata Vergine Maria, in Iacopo da
Varazze, Legenda Aurea, op.  cit., p.  638 [edizione Brovarone]. Cfr. anche l’edizione critica:
Iacopo da Varazze, Legenda Aurea, a cura di G.  P.  Maggioni, Firenze, Sismel, 1998, vol.  2,
p. 786-787. La stessa leggenda di «come el ducha da Normandia poxe el campo a la citade de
Carnoto; et mediante la veste de la Vergine Maria fo liberata» si trova anche all’interno di una
raccolta di leggende sacre, con rubriche e iniziali miniate (cod. vat. Lat. 5086). Di «come la
gonnella della Vergine Maria disparve, intorno all’assedio posto dal duca di Barbona alla ciptà
che ssi chiama Cornucoto [Chartres]» è narrato nella raccolta di Duccio di Gano da Pisa, con-
tenuta in un manoscritto della Biblioteca Vaticana (cod. vat. Barber. Lat. 4032) e nel ms. del
XV secolo della Biblioteca Nazionale di Firenze (cod. Magliabecch. XXXVIII, 70). Al riguardo
cfr. E. Levi, Il Libro…, op. cit. In un altro manoscritto (Roma, nella Biblioteca Casanatense,
ms. 281, fol. 70-72) troviamo un significativo fraintendimento: guardando a Come la nostra
dona fo assumpta in cielo l’anonimo redattore ricorda infatti la reliquia della gonnella della
Vergine, usata sì come gonfalone contro i nemici, ma nella città chiamata «Cartona» che dice
trovarsi non in Francia, bensì in Inghilterra.
58. Cfr. supra nota 56.
59. Cfr. supra nota 52.

136
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

Fig. 10 – Vittoria del Re di Marrakech (Cantigas de Santa Maria, n. 181), Madrid,


Real Biblioteca del Monasterio de San Lorenzo de El Escorial, Ms. T.I.1.
Http://i1368.photobucket.com/albums/ah223/druzhina3/13/Cantiga/Cantigas_
de_Santa_Maria-181-3_4.jpg~original.

Marrakech contro i suoi nemici è garantita dalla presenza della bandiera della
Vergine Maria che viene portata in battaglia insieme a delle croci sorrette dai
cristiani 60. Si tratta di un grande miracolo: la storia insegna, infatti, che la
Vergine aiuta sempre coloro che si dimostrano suoi amici, anche se in origine
appartenenti, come in questo caso, a un’altra fede (fig. 10).
L’idea di una sacralizzazione dello spazio esterno alla città murata, così
come si rintraccia in alcuni passi delle leggende mariane, trova un parallelo
sul piano rituale e simbolico in una pratica storicamente documentata qual
è quella di condurre nel campo di battaglia il carroccio o gli stendardi con le
insegne dei santi patroni: pratica che aveva, sì, lo scopo di rappresentare la
città ed esortare i cittadini in armi, ma anche di accompagnarli in sicurezza,
garantendo loro una protezione divina 61. Una miniatura, tratta dal codice degli

60. J.  Guerrero Lovillo, Las Càntigas…, op.  cit., p.  416, CXXXI sine testo. W.  Mettermann,
Afonso X, o Sabio…, op. cit., vol. 2, p. 202-203: Esta CLXXXI è como Aboyuçaf foy desbaratado
en Marrocos pela sina (de) Santa Maria.
61. H. C. Peyer, Stadt und Stadtpatron im Mittelalterlichen Italien, Zürich, Europa, 1955 (ed. it.: Città e
santi patroni nell’Italia medievale, a cura di A. Benvenuti, Firenze, Le Lettere, 1988, p. 49 e 74). Testi
base di riferimeto: C. Erdmann, Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens, Stuttgart, Kohlhammer,
1935, p. 42 sg., 100 sg.; P. E. Schramm, Herrschaftszeichen und Staatssymbolik: Beiträge zu ihrer
Geschichte vom dritten bis zum sechzehnten Jahrhundert, Stuttgart, Hiersemann, 1954-1956.

137
v it tor i a c a melliti

Fig. 11 – Assedio e resa di Savona, Annales Ianuenses.


Parigi, BNF, ms. lat. 10136, fol. 142.

Annales Ianuenses oggi presso la Biblioteca Nazionale di Parigi (Parigi, BNF,


ms. lat. 10136, fol. 142) (fig. 11) è un raro quanto antico testimone della con-
suetudine, documentata largamente dalla cronachistica medievale, di contras-
segnare gli accampamenti delle milizie cittadine con l’insegna del santo pro-
tettore. In questa immagine, in particolare, l’accampamento genovese – nella
scena dell’assedio e resa di Savona (1227) – è indicato dal vessillo raffigurante
san Giorgio a cavallo 62. Più tarde ma altrettanto significative le testimonianze
figurative riguardanti Siena e la Vergine, legittima patrona della città. Una delle
illustrazioni del manoscritto contenente la Cronaca di Niccolò di Giovanni
Ventura (Siena, Bibl.  Comunale, Ms.  A.IV.5, fol.  9v), scritta a distanza di
circa due secoli dall’avvenimento, registra uno dei momenti precedenti alla
battaglia di Montaperti allorché, dopo il rituale di affidamento della città alla
Madonna (ratificato dalla consegna delle chiavi delle porte urbiche alla vene-
rata immagine della Madonna posta sull’altare maggiore) i cittadini condus-
sero in battaglia il Gonfalone bianco «che parea il manto della Vergine Maria’»
(fig. 12) 63. E durante la notte i senesi ricevettero quello che fu interpretato dai
cronisti del tempo come un segno dell’imminente vittoria: una «chiarità» nel
cielo che venne riconosciuta subito come il mantello Vergine Maria apparsa
in difesa del popolo di Siena. Il disegno che accompagna il passo nello stesso

62. V. Camelliti, «San Giorgio…», op. cit., p. 269.


63. M. Bellarmati, «Sconfitta di Montaperto secondo il manoscritto di Nicolò di Giovanni di
Francesco Ventura», in Miscellanea storica sanese, Siena, Porri, 1844, p.  94. Sulla battaglia
M.  Assunta Ceppari Ridolfi, P.  Turrini, Montaperti. Storia, iconografia, memoria, Siena, Il
Leccio (Documenti di storia, 103), 2013; E. Pellegrini (a cura di), Alla ricerca di Montaperti:
mito, fonti documentarie e storiografia, Atti del Convegno (Siena, 30 novembre 2007), Siena,
Betti Editrice, 2009.

138
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

Fig. 12 – I senesi conducono in battaglia il gonfalone (Cronaca di Niccolò


di Giovanni Ventura). Siena, Bibl. Comunale, Ms. A.IV.5, fol. 9v.

manoscritto (fol. 11v) descrive il momento dell’apparizione mariana, quando


i soldati del campo dei senesi, inginocchiati attorno a un grande fuoco, si
rivolgono verso una nube distesa all’orizzonte. L’illustratore pone particolare
enfasi sul dato atmosferico e sulla gestualità dei personaggi, contrapponendo
visivamente l’atteggiamento di fiducia dei senesi alla reazione di paura dei fio-
rentini. Curiosamente però non viene rappresentata la Madonna che distende
il suo «mantello bianchissimo»: troviamo solo una spessa coltre di nubi che ha
il compito di annunciare l’imminente apparizione divina 64.

64. V.  Camelliti, «“Patroni celesti” e “Patroni terreni”: dedica e dedizione…», op.  cit., p.  100-
102; A. Cavinato, La sconfitta di Monte Aperto di Niccolò di Giovanni di Francesco di Ventura.
Per l’edizione di una cronaca illustrata senese del Quattrocento (Siena, Biblioteca Comunale
degli Intronati, ms. A.IV.5), tesi di laurea specialistica, Università di Pisa, 2010, p. 232, 242;
ead., «Stemmi a Siena e a Montaperti: i manoscritti di Niccolò di Giovanni di Francesco di
Ventura», in M. M. Donato, A. Savorelli (a cura di), L’arme segreta. Araldica e storia dell’arte
nel Medioevo (sec. XIII-XV), Atti del Convegno internazionale (2011), Firenze, Le Lettere, 2015,
p. 235-247; ead., «“Nicolò di Giovanni da Siena à fatto questo libro di sua propia mano e di sua
spontana volontà”: note su due manoscritti illustrati senesi del Quattrocento», Opera Nomina
Historiae. Giornale di cultura artistica, 2-3, 2010, p. 219-262 (http:// http://onh.giornale.sns.it/
numero_2_3_2010.php).

139
v it tor i a c a melliti

Com’è stato largamente studiato, il tema dell’apparizione mariana sulla


città conosce a Siena una tradizione iconografica duratura, che può dirsi cul-
minare con la tavola dipinta da Giovanni di Lorenzo, celebrativa della batta-
glia di Camollìa nel 1525 (non a caso passata alla storia come una «seconda»
Montaperti) che garantì Siena dalle mire dei fiorentini ancora per qualche
decennio 65.
L’immagine della Madonna della Misericordia, colta nell’atto di distendere
il suo mantello protettivo sulla città, è, in ogni caso, uno dei temi portanti
(insieme con quello della Madonna inginocchiata in preghiera) dei gonfaloni
contra pestem molto diffusi in Italia centrale tra Quattrocento e Cinquecento 66.
Tra i primi esempi noti si devono ricordare il perduto gonfalone realizzato
a l’Aquila nel 1462 come ex voto alla Madonna per aver salvato la città dai
terribili terremoti susseguitisi in quegli anni 67; e il gonfalone perugino di San
Francesco al Prato, realizzato nel 1464 e ancora oggi esistente 68. Si devono

65. Vedi G. Fattorini, «Pio II e la Vergine di Camollia: l’Assunta di Simone Martini, la pala del
Vecchietta per Pienza e una cappella di Antonio Miraballi Piccolomini», in F. Nevola (a cura
di), Pio  II Piccolomini, il papa del Rinascimento a Siena, Atti del Convegno internazionale
di studi (Siena, 5-7 maggio 2005), Siena, Protagon, 2009, p. 324-253; M. Mussolin, «Il culto
dell’Immacolata Concezione nella cultura senese del Rinascimento: tradizione e iconografia»,
in M. Lorenzoni, R. Guerrini (a cura di), Forte Fortuna: religiosità e arte nella cultura senese dalle
origini all’umanesimo di Pio II ai restauri del XIX secolo, Siena, OPA (Quaderni dell’Opera, 1),
2006, p. 131-307.
66. Sulla valenza devozionale dei gonfaloni umbri si segnalano D.  Arasse, «Entre dévotion et
culture: fonctions de l’image religieuse au xve siècle», in Faire croire. Modalités de la diffusion
et de la réception des messages religieux du xiie au xve siècle (Rome, 22-23 juin 1979), Roma, École
française de Rome, 1981, p. 131-146; M. Nerbano, Il teatro della devozione: confraternite e spetta­
colo nell’Umbria medievale, Perugia, Morlacchi, 2007, p. 332; L. Marshall, «Confraternity and
Community: Mobilizing the Sacred in Times of Plague», in B. Wisch, D. Cole Ahl (a cura
di), Confraternities and the Visual Arts in Renaissance Italy: Ritual, Spectacle, Image, Cambridge,
Cambridge University Press, 2000, p. 20-45. Vedi peraltro C. Frugoni, «Iconografia e vita reli-
giosa nei secoli XIII-XV», in G. De Rosa, T. Gregory, A. Vauchez (a cura di), Storia dell’Italia
religiosa, t. 1: L’Antichità e il Medioevo, Roma/Bari, Laterza, 1993, p. 486-488. F. Mancini, «Temi
e stilemi della “Passio” umbra», in M. Chiabò, F. Doglio (a cura di), Le laudi drammatiche
umbre delle origini, Atti del V Convegno di Studio (Viterbo, 1980), Viterbo, Union Printing,
1981, p. 22-25.
67. Il gonfalone è noto dalle descrizioni di due cronisti contemporanei: il mercante Francesco di
Angeluccio di Bazzano e il frate francescano Alessandro de Ritiis; vedi V. Camelliti, «Tradizione
e innovazione nell’iconografia dei santi patroni in Abruzzo nel corso del Quattrocento», in
C. Pasqualetti (a cura di), La via degli Abruzzi e le arti nel Medioevo (secc. XIII-XV), L’Aquila,
One Group Edizioni, 2014, p. 141-154: p. 148-150.
68. I.  Tozzi, «I gonfaloni perugini, testimonianza d’arte sacra e di devozione popolare», Arte
Cristiana, 90, 2002, p. 30-34. M. Bury, «Tabernacoli e gonfaloni», in M. L. Cianini Pierotti
(a cura di), Benedetto Bonfigli e il suo tempo, Perugia, Volumina Editrice, 1998, p. 52-57. Sui
gonfaloni marchigiani si veda invece V. M. Schmidt, «Gli stendardi processionali su tavola
nelle Marche del Quattrocento», in A. De Marchi, P. L. Falaschi (a cura di), I Da Varano e le
arti, Atti del Convegno internazionale (Camerino, 2001), Ripatransone [AP], Maroni, 2003,

140
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

invece considerare con cautela le testimonianze moderne che ricordano la


rappresentazione di vedute urbane al di sotto di immagini mariane (perdute)
databili al primo Trecento. È questo ad esempio il caso dell’affresco già sulla
facciata della chiesa di san Niccolò ad Assisi (che conosciamo solo attraverso
un disegno di Ramboux 69) o di quello ricordato sulla Porta dell’Opera del
Duomo di Siena da Giovanni Antonio Pecci e Guglielmo della Valle 70. Anche
uno degli affreschi trecenteschi più famosi, la Misericordia Domini del Museo
del Bigallo a Firenze, considerato spesso un emblema della protezione mariana
sulla città, è infatti meglio interpretabile non già come una rappresentazione
della Madonna, ma come una raffigurazione allegorica della Misericordia 71.

I santi difensori

Un filone iconografico altrettanto proficuo nell’Italia medievale è legato all’in-


tervento in favore della città dei santi patroni cittadini, invocati accanto alla
Vergine come protettori e difensori della città.
Tra le storie della vita di San Geminiano illustrate nel Dossale dipinto da
Taddeo di Bartolo per la Collegiata di San Gimignano si trovano ben due
riquadri legati a leggende di miracolose apparizioni del santo in difesa della
città (fig. 13) 72: il primo mostra san Geminiano alla sommità della porta urbana
mentre si rivolge a un sovrano a cavallo. La scena è interpretabile verosimil-
mente come la liberazione della città toscana, già chiamata Silva o Castel Silvio,
dagli Unni (o meglio dai Goti); avvenimento a seguito del quale la città fu ribat-
tezzata nel nome di San Geminiano che ne divenne il nuovo patrono (fig. 13) 73.

vol. 2, p. 551-578; di recente V. Camelliti, «Tradizione e innovazione nell’iconografia dei santi


patroni marchigiani tra Medioevo e Rinascimento», in ead., V.  Favini, A.  Savorelli, Santi,
patroni, città: immagini della devozione civica nelle Marche, a cura di M. Carassai, Ancona,
Regione Marche (Quaderni del Consiglio regionale delle Marche, 132), 2013, p. 113-119.
69. F. Todini, B. Zanardi, La pinacoteca comunale di Assisi. Catalogo dei dipinti, Firenze, Centro
Di, 1980, p. 53; I. Hueck, «Le copie di Johann Anton Ramboux da alcuni affreschi in Toscana
e in Umbria», Prospettiva, 23, 1980, p. 2-10: p. 5; M. Ferretti, «Madonne antiche e mura di
Bologna», in A. Calzona, R. Campari, M. Mussini (a cura di), Immagine e ideologia: studi in
onore di Arturo Carlo Quintavalle, Milano, Electa, 2007, p. 498-508: p. 506, nota 1.
70. Giovanni Antonio Pecci, Relazione delle cose più notabili della città di Siena, Siena, Quinza &
Bindi, 1752, p. 98; Guglielmo Della Valle, Lettere senesi sopra le belle arti, Venezia, Pasquali,
1786, vol. 2, p. 98.
71. V. Camelliti, «La Misericordia Domini del Museo del Bigallo: un unicum iconografico della
pittura fiorentina dopo la Peste Nera?», Studi di storia dell’arte, 26, 2015, p. 51-66.
72. G. E. Solberg, Taddeo di Bartolo: his Life and Work, Phil. Diss., New York University, 1991,
vol. 2, p. 831-852.
73. Giovanni V. Coppi, Annali, memorie ed Huomini illustri di San Gimignano [Firenze, 1695], rist
anast. Bologna, Forni, 1976, p. 11; Luigi Pecori, Storia della terra di San Gimignano [Firenze,

141
v it tor i a c a melliti

Fig. 13 – Taddeo di Bartolo, Dossale con storie di San Geminiano,


San Gimignano, Museo Civico. Https://commons.wikimedia.org/wiki/
File:Taddeo_di_Bartolo_-_San_Gimignano_enthroned_with_eight_stories_
of_his_life_-_Google_Art_Project.jpg.

Il secondo riquadro si riferisce invece a un episodio di poco precedente


alla realizzazione del dipinto e riguarda sicuramente san Gimignano. La scena
ricorda il tentativo dei ghibellini fuoriusciti sangimignanesi di rientrare a tra-
dimento in città con l’appoggio di Gualtieri di Brienne, all’epoca reggente di
Firenze (fig. 13). Ciò non accadde perché, secondo la leggenda, gli stessi vennero
spaventati dalla visione «splendentissima» del santo vescovo e si diedero alla
fuga 74. Nello scomparto del dossale il santo, accompagnato da due angeli, si
rivolge direttamente alla personificazione della città, rappresentata come una
vedova, all’interno della cerchia muraria 75. La tradizione ­iconografica della

1853], a cura di V. Bartoloni, Certaldo, Arti Grafiche Nencini, 2006, p. 32. Si deve però ricono-
scere che non ci sono elementi utili al certo riconoscimento della città e che sono noti almeno
due episodi in cui il santo vescovo è ricordato come defensor non di san Gimignano, ma di
Modena: la prima volta in vita, contro Attila, re degli Unni; quindi post mortem contro gli
Ungari. Vedi P. Golinelli, «San Geminiano e Modena. Un santo, il suo tempo e il suo culto nel
Medioevo», in F. Piccinini (a cura di), Civitas Geminiana. La Città e il suo Patrono, catalogo
della mostra (Modena, 13 dicembre 1997-22 febbraio 1998), Modena, Franco Cosimo Panini
Editore, 1997, p. 10-33: p. 20; Appendice, p. 30-32; nello stesso volume id., «Descriptio urbis
Mutinae», p. 161-162. Vedi anche A. Dietl, Defensor civitatis: der Stadtpatron in romanischen
Reliefzyklen Oberitaliens, München, Fink, 1998, p. 28 ssg.
74. Giovanni V. Coppi, Annali, memorie…, op. cit., p. 257.
75. L’identificazione della figura femminile con la città si trova già in C. Frugoni, Una lontana città,
op. cit., p. 84. G. E. Solberg (Taddeo di Bartolo…, op. cit., p. 836-837) invece identifica la figura

142
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

­ ersonificazione della città come vedova è conosciuta sin dal primo Trecento
p
attraverso la Roma vidua dei Carmina Regia di Convenevole da Prato (Londra,
British Library, Royal 6 E IX) per essere in seguito impiegata nelle illustra-
zioni del Dittamondo di Fazio degli Uberti (Venezia, Biblioteca marciana,
Ital. cl. IX 40, fol. 18r e Parigi, BNF, ms. ital. 81, fol. 18r [fig. 14] 76). Appare
significativo quindi che la stessa formulazione, che ben si prestava a dare
risalto alla condizione di miseria in cui versava allora Roma, sia adattata nella
tavola sangimignanese per rappresentare la città minacciata dal nemico: San
Gimignano si troverà, di fatto, sottomessa formalmente ai fiorentini a partire
dalla seconda metà del Trecento.
Sorte non più felice che ai fuoriusciti sangimignanesi spettò a colui che li
aveva appoggiati, Gualtieri di Brienne che fu scacciato da Firenze il 26 luglio
del 1343, giorno in cui si festeggiava sant’Anna che fu accolta, com’è noto,
nel pantheon dei patroni cittadini di Firenze, divenendo in tal modo il sim-
bolo della propaganda antitirannica del Comune 77. Ed è proprio sant’Anna la
sola dei santi patroni fiorentini ad essere rappresentata nella seconda metà del
Trecento con il modello della città di Firenze stretto tra le sue mani: nella pala
per la Zecca (1375), nella volta sovrastante l’altare a lei dedicato nella chiesa
di Orsanmichele e in una delle vetrate settentrionali della navata del Duomo
(entro il 1396) 78.
L’uso strumentale di «miracolose apparizioni» di santi protettori si rintrac-
cia precocemente anche a Padova: il vescovo Prosdocimo, di cui è ricordata
un miracoloso intervento in difesa della città contro Cangrande della Scala nel
1320, fu assunto intorno alla metà del Trecento quale emblema della politica
antitirannica di Iacopo II da Carrara 79. L’immagine di Prosdocimo come santo
civico, rappresentato mentre sorregge il modellino della città protetta, si vede

con il donatore. D. Norman («The Case of the Beata Simona: Iconography, Hagiography and
Misogyny in Three Paintings by Taddeo di Bartolo», Art History, 18/2, 1995, p. 154-184: p. 158)
avanza il nome della beata Simona da Sangimignano. Cfr. anche R. Bosi, «Le storie del Santo»,
in F. Piccinini (a cura di), Civitas Geminiana…, op. cit., p. 47-57: p. 51.
76. S. Maddalo, In figurae Romae. Immagini di Roma nel libro medieoevale, Roma, Viella, 1990,
p. 119-121, nota 32.
77. Per il famoso affresco delle Stinche oggi a Palazzo Vecchio cfr. di recente M. Ferrari, «Scheda
n. 48», in M. M. Donato, D. Parenti (a cura di), Dal giglio al David…, op. cit., p. 212-213.
78. Si rinvia per un riepilogo a V. Camelliti, «I santi patroni: le immagini della “devozione civica”
a Firenze fra Duecento e primo Cinquecento», in M. M. Donato, D. Parenti (a cura di), Dal
giglio al David…, op. cit., p. 79-85: p. 82-84.
79. A. Tilatti, Istituzioni e culto dei santi a Padova fra 6. e 12. secolo, Roma, Herder, 1997, p. 337;
I.  Daniele, San Prosdocimo vescovo di Padova: nella leggenda, nel culto, nella storia, Padova,
Istituto Storia Ecclesiastica Padova, 1987, p.  247; G.  De Sandre Gasparini, «Chiese venete
e signorie cittadine: vescovi e capitoli fra pressione politica e autonomia istituzionale», in
A.  Castagnetti, G.  M.  Varanini (a cura di), Il Veneto nel Medioevo. Le signorie trecentesche,
Verona, Banca Popolare di Verona, 1995, p. 311-357: p. 324.

143
v it tor i a c a melliti

Fig. 14 – Roma vidua (Fazio degli Uberti, Dittamondo).


Parigi, BNF, ms. ital. 81, fol. 18r.

144
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

sul carrarino, emesso tra 1345-1350: una delle più antiche immagini sicura-
mente datate che ritraggono in santo patrono in associazione con il modello
della città protetta in Italia; a oggi la prima moneta a noi nota 80.
Sant’Antonio trova invece una importante codificazione come protettore
di Padova in un famoso affresco di fine Trecento che ricorda un avvenimento
precedente di oltre un secolo: la miracolosa apparizione in cui annuncia al
beato Luca Belludi l’imminente liberazione di Padova da Ezzelino da Romano
(il 20  giugno 1256) 81 (fig.  15). Si tratta di una immagine che, come ha già
osservato Maria Monica Donato, possiamo definire a ragione di propaganda
signorile, realizzata nella cappella di una famiglia vicina ai Carraresi e destinata
ad accogliere le spoglie mortali del beato Luca Belludi 82; ciò in piena sintonia
con la politica antitirannica dell’ultimo dei Carraresi, Francesco Novello: poli-
tica che trovò, peraltro, una piena legittimazione nel 1390 con la riconquista di
Padova a seguito della sconfitta di Giangaleazzo Visconti, l’ennesimo tiranno
che aveva soggiogato la città (1388).
Tra i santi «eletti» come patroni cittadini e rappresentati per questo in associa-
zione con la città protetta ricordo anche san Pietro Alessandrino, onorato a Siena
perché il 26 novembre 1403, giorno della sua festa, venne rovesciato il governo dei
Dodici di osservanza viscontea 83; sant’Andrea apostolo, festeggiato a San Ginesio
nel giorno della vittoria contro i fermani, il 20 novembre 1377 84; nonché i santi

80. Di recente V. Camelliti, «Gli affreschi del coro della Cappella Scrovegni: una nuova pro­posta»,
Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, 54/3, 2010-2012, p.  387-304: p.  390;
F. Benucci, «Il santo che vigila sulla città. San Prosdocimo, Padova e le sue mura», in id. (a
cura di), Un uomo chiamato Prosdocimo a Patavium, Atti del Convegno (Padova, 5 novembre
2011), Trieste, Editreg, 2013, p. 81-117.
81. Si ricordano qui di recente P. Scholz, «Constructing Space and Shaping Identity: the Painted
Architectures of Giusto de’ Menabuoi and Altichiero in Padua», in S. Romano, D. Cerutti (a
cura di), L’artista girovago: forestieri, avventurieri, emigranti e missionari nell’arte del Trecento in
Italia del Nord, Atti del Convegno (Losanna, 7-8 maggio 2010), Roma, Viella, 2012, p. 269-306;
D. Umberto, «La veduta di Padova di Giusto de’ Menabuoi (1382-1383) nella Cappella Belludi della
basilica del Santo a Padova/the View of Padua by Giusto de’ Menabuoi (1382-1383) in the Belludi
Chapel of the Basilica of St. Anthony in Padua», Storia dell’urbanistica, 29, 2010 [2011], p. 7-20.
82. Al riguardo cfr. M. M. Donato, «I signori, le immagini e la città: per lo studio dell’immagine
monumentale dei signori di Verona e di Padova», in A. Castagnetti, G. M. Varanini (a cura
di), Il Veneto nel Medioevo…, op. cit., p. 379-454: p. 422.
83. Orlando Malavolti (Della Historia di Siena, Venezia, Marchetti, 1599, libro X, parte II, p. 195)
ricorda che la Balia decretò in quella occasione che «si dovesse per l’avvenir guardar quel giorno,
come se fusse il giorno della Pasqua». Girolamo Gigli (Diario Sanese, II, Lucca, Venturini, 1723,
ed. Siena, G. Landi e N. Alessandri, 1854, p. 545-546) ci informa più tardi che nel 1414 a ricordo
dell’avvenimento fu istituito un Palio. Per l’affresco di Taddeo di Bartolo si veda di recente cfr.
A. Cornice, E. Pellegrini, «Schede iconografiche», in R. Barzanti, A. Cornice, E. Pellegrini (a
cura di), Iconografia di Siena…, op. cit., p. 1-29: p. 21, nota 16.
84. V.  Camelliti, «Tradizione e innovazione nell’iconografia dei santi patroni marchigiani…»,
op. cit., p. 94-96.

145
v it tor i a c a melliti

Fig. 15 – Giusto de’ Menabuoi, Apparizione di sant’Antonio a Luca Belludi,


Padova, Chiesa di Sant’Antonio, Cappella Belludi.
Http://www.luoghigiottoitalia.it/o.cfm?id=23.

146
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

Faustino e Giovita, apparsi prodigiosamente sulle mura di Brescia durante


l’assedio dei milanesi guidati da Nicolò Piccinino, il 13 dicembre 1438 85.
La celebrazione delle miracolose apparizioni dei santi (legittimi patroni e
non) in difesa della città è largamente documentata dalle testimonianze let-
terarie e figurative e non è fattibile qui renderne conto 86; è tuttavia possibile
segnalare delle varianti significative alla casistica tradizionale. Appare del tutto
particolare, ad esempio, il fenomeno dei santi «banditi» per aver favorito la
parte avversa: si pensi in tal senso all’importante testimonianza di Salimbene
di Adam il quale nella sua Cronica assicurava che i bolognesi non volevano
neppur sentire nominare sant’Antonio da Padova nella loro città perché nel
1275, nel giorno in cui si festeggiava questo santo, avevano subito una pesante
sconfitta da parte dei faentini 87. In questa logica si devono valutate i casi in cui
l’ostentazione della preferenza accordata dal santo è motivo di autocelebrazione
e propaganda politica: ne è un esempio l’immagine descritta da Vasari sulla
facciata del palazzo di Parte Guelfa a Firenze che rappresentava san Dionigi,
il santo festeggiato il giorno della presa di Pisa nell’ottobre del 1406, sospeso
non già sulla città vittoriosa (come di consueto in questo genere di raffigu-
razioni), ma sulla città conquistata 88. Lo spirito di rivalsa dei fiorenti su Pisa
trovò una ulteriore conferma a distanza di oltre un secolo nelle coniazioni di
Ferdinando I: il nome del granduca, che corre attorno alla croce pisana sul verso,
è difatti associato, sul recto, all’immagine della Vergine sospesa sulla città di
Pisa, circondata dalla iscrizione ASPICE PISAS SVP[er] OMNES SPEC[iosa] 89
(fig. 16). La stessa iconografia era già stata impiegata dai fiorentini nelle monete
coniate nel 1557, all’indomani della caduta di Siena in mani medicee: in questo

85. Venezia, Biblioteca Marciana, Lettera di Nicola Colzè a Nicola Chieregato, 10 gennaio 1439.
Vedi al riguardo F. Lechi, L’assedio di Brescia nel 1438. I SS. Patroni di Brescia simbolo delle virtù
romane e cristiane dei bresciani, trad. P. Guerrini, Brescia, s. n., 1938, p. 37; E. Ferraglio, «La città
e i patroni», in D. Gobbi (a cura di), Florentissima proles Ecclesiae: miscellanea hagiographica,
historica et liturgica Reginaldo Gregoire O.S.B. 12. lustra complenti oblata, Trento, Civis, 1996,
p. 241-267: p. 245, 266.
86. V.  Camelliti, Città e santi patroni. Offerta, protezione e difesa della città nelle testimonianze
figurative dell’Italia centro settentrionale tra XIV e XV secolo, tesi di Dottorato di Ricerca in
Storia dell’Arte, Università degli Studi di Udine, 2010.
87. A. Rigon, «Da “pater Padue” a “patronus civitatis”», in id., Dal Libro alla folla. Antonio di
Padova e il francescanesimo medievale, Roma, Viella, 2002, p. 177-189: p. 177-181.
88. M. M. Donato, D. Giorgi, «Giotto negato, Giotto “reinventato”: la “Fede cristiana” al Palagio
di Parte Guelfa», Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, 58/3, 2016, p. 291-317.
Al riguardo di recente D. Giorgi, «Scheda n. 29», in M. M. Donato, D. Parenti (a cura di),
Dal giglio al David…, op. cit., p. 164-165.
89. Http://asict.arte.unipi.it/index.html/scheda_cli.php?op=3&loc=Pisa&op_a=10&op_s=109,
Pisa, Museo Nazionale di San Matteo, donazione Franceschi (inv. n. 7390). Vedi M. Baldassarri,
«Scheda n. 352», in M. Tangheroni (a cura di), Pisa e il Mediterraneo. Uomini, merci, idee dagli
etruschi ai Medici, Milano, Skira, 2003, p. 486.

147
v it tor i a c a melliti

Fig. 16 – La Vergine sovrasta Pisa, Ducato di Ferdinando I De Medici, Pisa,


Museo Nazionale di San Matteo, donazione Franceschi (inv. n. 7390).
Soprintendenza Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno.

caso il recto mostrava la Vergine sovrastante la città di Siena, in associazione


con il profilo del duca Cosimo I sul verso 90. Siamo di fronte, in entrambi i casi,
a una scelta precisa, che deve essere interpretata quale segno di netta prevari-
cazione sulle città conquistate: è indicativo al riguardo il fatto che lo schema
figurativo che prevedeva l’immagine della Vergine sospesa sulla città (che è,

90. Http://asict.arte.unipi.it/index.html/scheda_cli.php?op=3&loc=Siena&op_a=10&op_s=131.
R. Villoresi (a cura di), Monete della Pinacoteca di Volterra, Volterra, Cassa di risparmio di
Volterra, 1993, p.  23; B.  Paolozzi Strozzi (a cura di), Monete fiorentine della Repubblica dei
Medici, catalogo della mostra (Firenze, Museo Nazionale del Bargello, 1984), Firenze, Museo
Nazionale del Bargello, 1984, p. 67-68.

148
Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione

come abbiamo visto, tipica della tradizione figurativa senese) si trova prece-
dentemente impiegato proprio a Siena con intento celebrativo sul dritto della
moneta commemorativa della città ancora Repubblicana coniata in occasione
dell’arrivo di Carlo V in città nel 1536 91.
Oltre ai santi difensori «ufficiali», schierati in prima linea per garantire l’or-
dine interno della città, si devono ricordare altre categorie di santi protettori
specializzati nella difesa della città contro pericoli specifici: ad esempio san
Nicola da Tolentino e san Rocco, protettori contro la peste; o san Floriano di
Lorch, protettore contro le alluvioni e gli incendi 92. Né si possono dimenticare
i santi ai quali è attribuita una funzione esorcistica e di riequilibrio con il
sacro: ricordo a titolo di esempio il caso di santa Benoite che scaccia i diavoli
da Leon 93 o il più famoso episodio della cacciata dei diavoli da Arezzo da parte
di san Francesco d’Assisi 94.
Vorrei però concludere il mio intervento ricordando il graffito che si vede
ancora oggi sulla Porta Appia a Roma e che raffigura san Michele arcangelo
(fig. 17). Come recita l’iscrizione che lo affianca, l’immagine fu incisa in ricordo
del 29 settembre del 1327, giorno in cui si festeggiava questo santo e giorno
in cui i ghibellini, guidati da Giovanni Ponziano, riuscirono a respingere i

91. Http://asict.arte.unipi.it/index.html/scheda_cli.php?op=3&loc=Siena&op_a=10&op_s=129,
Firenze, Museo Nazionale del Bargello, Inv.  345. B.  Paolozzi Strozzi, G.  Toderi, F.  Vannel
Toderi, Le monete della Repubblica Senese, Milano, Silvana, 1992, p. 438. Questa moneta (grosso
o Giulio), insieme al grosso da 40 quattrini variato (conservato a Siena presso il Museo Civico
– inv. 334 – e differente da questo solo per la presenza di due cherubini ai lati della Vergine)
e al grosso da 20 quattrini (mezzo Giulio) fa parte di una coniazione eccezionale a carattere
commemorativo della quale non si trova traccia nei documenti dell’epoca. Queste monete non
sono contemporanee all’avvenimento storico cui sono dedicate, ovvero la Battaglia di Camollia
del 1526, ma sono successive di un decennio, realizzate con molta probabilità in occasione della
visita di Carlo V a Siena, avvenuta tra il 24 e il 28 aprile 1536 (sulla moneta compare infatti il
segno dello zecchiere guido Biringucci, reggente la Zecca senese tra il 1528-1531 e il 1536-1539).
L’iconografia della moneta è assolutamente innovativa: l’immagine della Vergine sulla città
sostituisce la consueta lettera S o la rappresentazione della lupa; la Vittoria alata, posta sul
rovescio al posto della croce ricorda il successo dell’esercito senese.
92. V.  Camelliti, «Il santo patrono e la città. Petronio e Floriano: due mostre, due modelli di
santità», Sanctorum, 5, 2008, p. 200-209; ead., «Devozione e conservazione. Culto dei santi e
identità civica a Pisa», in D. La Monica, F. Rizzoli (a cura di), Municipalia. Storia della tutela,
vol. 1: Patrimonio artistico e identità cittadina: Pisa e Forlì (sec. XIV-XVIII), Pisa, ETS, 2012,
p. 39-58.
93. Si veda la miniatura del ms.  78  B  16, fol.  13v-14 (Berlino, Staatliche Museen zu Berlin,
Kupferstichkabinett). Al riguardo E. Morrison, «Scheda n. 11. Vie de Sainte Benoite ­d’Origny»,
in ead., A.  D.  Hedeman (a cura di), Imagining the Past in France: History in Manuscript
Painting, 1250-1500, catalogo della mostra (J. Paul Getty Museum, Los Angeles, 16 novembre
2010-6 febbraio 2011), Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 2010, p. 125-126.
94. A. Piroci Branciaroli, La città immaginata: Arezzo nella leggenda francescana, Città di Castello,
Edimond, 2005.

149
v it tor i a c a melliti

Fig. 17 – San Michele Arcangelo, Roma, Porta Appia. © V. Pace.

guelfi guidati da Gaetano Orsini 95. Si tratta dunque, ancora una volta, di una
immagine che celebra un santo dimostratosi «amico» della città nel momento
del pericolo. La particolarità di questa raffigurazione è però del tutta riposta nel
luogo dove la stessa si trova, una porta urbica, luogo privilegiato di passaggio
e di osmosi tra «dentro» e «fuori» le mura: luogo evocativo di un passato mai
dimenticato, in cui la leggenda si fa immagine e l’immagine si fa memoria. La
figura di san Michele arcangelo è qui, sì, evocativa di un reale intervento divino
in favore della città, ma ha la duplice funzione di ricordare e di proteggere: si
carica quindi della valenza apotropaica e taumaturgica che viene riconosciuta
alle immagini sacre che da sempre sono schierate a guardia e difesa della città
sulle porte urbiche 96.

95. J. Gardner, «An Introduction to the Iconography…», op. cit., p. 208. Sulla funzione dell’im-
magine di san Michele arcangelo come allegoria di giustizia cfr. di recente C. D’Alberto, Roma
al tempo di Avignone, Roma, Campisano, 2013, p. 94-110; con particolare riferimento al graffito
p. 102-103.
96. V. Camelliti, «Il “progetto” per la decorazione scultorea…», op. cit., in particolare p. 36-44.

150
Territoires et lieux de pouvoir
dans l’empire Plantagenêt :
circuler, contrôler et construire (1154-1216)

fanny madeline
Pensionnaire de la Fondation Thiers, LAMOP (UMR 8589),
CNRS/université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Longtemps, l’idée qu’il pouvait y avoir un « empire » Plantagenêt a été débat-


tue par les historiens britanniques et français. Depuis le xixe  siècle, au gré
du contexte international – Entente cordiale, Guerre froide, décolonisation,
etc. –, les acceptations et les refus de ces vocables se sont succédé 1, et encore
aujourd’hui, malgré les thèses fortes de John Le Patourel 2, John Gillingham 3,
Martin Aurell 4 et plus récemment David Bates 5, les expressions d’« empire
normand », d’« empire Plantagenêt » ou d’« Angevin empire » font encore grincer
des dents. Pour certains, l’hétérogénéité des coutumes et des institutions féo-
dales était trop forte pour pouvoir former une entité politique 6, pour d’autres,
cet empire n’était qu’un assemblage patrimonial, un « accident généalogique »,
dont le caractère éphémère témoignait de l’absence d’unité et de structure

1. Sur ce point voir A.  Gautier, L’empire angevin : une invention des historiens ?, mémoire de
Maîtrise d’histoire médiévale sous la direction de P.  Contamine et F.  Lachaud, université
Paris 4 – Sorbonne, 1996.
2. J. Le Patourel, Norman Empire, Oxford, Clarendon Press, 1976 ; id., Feudal Empires : Norman
and Plantagenet, Londres, Hambledon Press, 1984.
3. J. Gillingham, The Angevin Empire, Londres, Arnold, 1984 [rééd. 2001].
4. M.  Aurell, L’empire Plantagenêt, Paris, Perrin, 2003. Voir notamment l’introduction dans
laquelle il propose un résumé de ces débats.
5. D. Bates, The Norman and Empire, Oxford, Oxford University Press, 2014.
6. R.-H.  Bautier, « Conclusion : “Empire Plantagenêt” ou “Espace Plantagenêt” : y eut-il une
civilisation du monde Plantagenêt ? », Cahiers de civilisation médiévale, 29/113-114 : Y a-t-il une
civilisation du monde Plantagenêt ? Actes du colloque d’histoire médiévale (Fontevraud, 26-28 avril
1984), 1986, p. 139-147.

151
fa nn y m a deline

institutionnelle 7. Si cette hétérogénéité était réelle d’un point de vue « consti-


tutionnel », l’action politique des Plantagenêts, en revanche, ne fut pas une
simple gestion de cette diversité « polycratique » pour reprendre l’expression
de Jean de Salisbury. Les trois premiers Plantagenêts se sont en effet confronté
à la difficulté de faire tenir ensemble une étendue aussi vaste de territoires, qui
s’étirait dans la seconde moitié du xiie siècle de l’Écosse aux Pyrénées. Pour
cela, ils ont développé des stratégies de contrôle de l’aristocratie et des lieux de
pouvoir sur lesquels ils ont cherché à renforcer leur mainmise 8. Cette emprise
qui leur donnait un pouvoir – que l’on peut juger excessif – sur l’aristocratie
eut des effets désastreux sur les relations entre le roi et ses vassaux et ne fut pas
sans conséquence sur l’effondrement de cet empire en 1204.
L’échelle à laquelle étaient habitués à gouverner les ducs de Normandie
et les comtes d’Anjou aux xe et xie siècles avait permis une inscription terri-
toriale du pouvoir princier dans le cadre des principautés 9. Au siècle suivant,
les méthodes de contrôle de l’espace n’ont pas fondamentalement changé :
construction de forteresses et circulations du prince restent des principes tou-
jours efficaces. Mais depuis 1066, et surtout 1154, la formation d’un empire
transmanche impliquait d’adapter ces stratégies de territorialisation à une nou-
velle échelle. Comment assurer, en effet, une forme de visibilité du pouvoir
central, alors que l’extension de l’empire accentuait l’absence physique du
roi et son éloignement ? La nature du pouvoir étant éminemment person-
nelle, le roi avait à charge d’assurer, en personne, l’unité de tous les territoires,
et de combattre les tentatives d’autonomisation des seigneurs rebelles. Les
récits contemporains rappellent à quel point l’itinérance royale avait pris, sous
Henri II, un caractère frénétique et ininterrompu, au point que le convoi de
la cour était comparé à la mesnie maudite d’Hellequin 10. Mais le roi et sa cour

7. J. C. Holt, « The End of Anglo-Norman Realm », Proceedings of the British Academy, 65, 1975,
p. 223-265.
8. M. Billoré, De gré ou de force. L’aristocratie normande et ses ducs (1150-1259), Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2014.
9. Pour la Normandie, voir notamment les travaux de É.  Van Thoroudt, et en particulier
« Historiographie de la territorialisation des pouvoirs en Normandie », dans G. Bührer-Thierry,
S. Patzold (dir.), Territoires et frontières : un regard franco-allemand sur les historiographies des
xixe et xxe siècles, université Paris-Est – Marne-la-Vallée (26 mars 2010), dans Territorium, mis
en ligne le 21/12/2011 à l’adresse suivante : http://nbn-resolving.de/urn:nbn:de, TOBIAS-lib,
Universität Tübingen. Pour l’Anjou, voir J. Boussard, Le comté d’Anjou sous Henri II et ses fils
(1151-1204), Paris, Champion, 1938 ; C. W. Hollister, T. K. Keefe, « The Making of the Angevin
Empire », Journal of British Studies, 12/2, 1973, p. 1-25 ; N. Brooks, « Medieval Bridges : a Window
onto Changing Concepts of State Power », The Haskins Society Journal, 7, 1995, p. 11-30.
10. L. Harf-Lancner, « L’enfer de la cour : la cour d’Henri II Plantagenêt et la Mesnie Hellequin
(dans l’œuvre de Jean de Salisbury, de Gautier Map, de Pierre de Blois et de Giraud de Barri) »,
dans P. Contamine (dir.), L’État et les aristocraties (France, Angleterre, Écosse), xiie-xviie siècle,
Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1989, p. 27-50.

152
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

n’étaient pas les seuls à circuler, le développement d’un gouvernement admi-


nistratif jeta également sur les routes les agents du pouvoir, chargés de repré-
senter localement l’institution : qu’il s’agisse des shérifs ou des juges royaux en
Angleterre, des commissions d’enquêteurs ou bien d’agents plus spécialisés 11.
Mais pour contrôler l’espace, circuler ne suffit pas. Ainsi, après avoir mon-
tré comment les circulations du roi et de ses officiers ont contribué à rendre
visible la royauté sur ses territoires, je m’intéresserai aux pôles entre lesquels ces
circulations s’effectuaient et aux lieux autour desquels se structuraient les pou-
voirs dans l’empire. La hiérarchie de ces lieux fut profondément modifiée par le
changement d’échelle du pouvoir. Il bouleversa les réseaux constitués à l’échelle
régionale en les insérant dans un espace « impérial », affaiblissant certains et
renforçant d’autres, tout cela au profit d’un contrôle accru du pouvoir royal
sur les places fortes de l’empire, mais également sur les lieux sacrés. On peut
également se demander dans quelle mesure l’existence de cet empire favorisa
l’émergence des communes, nouveaux alliés du pouvoir pour le contrôle et la
défense du territoire. Enfin, la comparaison entre les lieux de l’itinérance et
les lieux investis architecturalement par les Plantagenêts permettra de mieux
saisir comment ces deux stratégies se sont articulées pour inscrire leur pouvoir
dans l’espace.

Les circulations du pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Cartographie des itinéraires royaux


L’établissement des itinéraires royaux n’est pas une entreprise aisée avant
la fin du xiie siècle, c’est-à-dire à partir du moment où les actes, désormais
plus nombreux, sont également systématiquement datés et localisés et parfois
complémentés par l’apport des chroniques contemporaines. La cartographie
des lieux de résidence de la cour royale devient même une entreprise probléma-
tique au début du xiiie siècle, lorsque les services de la chancellerie se mettent à
suivre le roi et ses familiares, dans tous leurs déplacements, y compris lorsqu’il
s’agissait d’aller chasser dans une forêt proche ou d’attaquer par surprise un

11. Les rouleaux produits par la justice royale commencent à être enregistrés et conservés à partir
de 1196. Curia regis rolls, éd. par C. T. Flower, Londres, His Majesty’s Stationery Office, 1922,
puis l’enregistrement des plaids effectués pendant les itinéraires des juges d’Eyre sont enregistrés
séparément, Eyre par Eyre. De la tournée de 1194-1195, où 25 cours de justice ont été tenues,
2 rouleaux de plaid (Plea rolls) ont survécu, de celle de 1198-1199 (32 cours) 6 Plea rolls, de celle
de 1201-1203 (33 cours) 7 Plea rolls, de celle de 1208-1209, où seulement 14 cours ont été tenues,
2 Plea rolls.

153
fa nn y m a deline

seigneur rebelle 12. Jusque-là, la cour résidait dans les grands centres, tandis que
le roi déambulait dans un espace plus ou moins étendu, difficilement palpable
à travers la documentation. La combinaison de données de différentes natures
ne doit donc pas faire oublier qu’il y a deux logiques distinctes à l’œuvre dans
l’itinérance royale : celle de la cour, à vocation gouvernementale, et celle du
roi, à vocation essentiellement cynégétique 13. Le roi se déplace avant tout pour
contrôler militairement son territoire et le marquer des signes de sa domina-
tion. De fait, les chroniqueurs nous relatent avant tout les batailles, les traités,
les négociations qui constituaient l’essentiel, selon eux, des pratiques royales,
et expliquaient leur occupation de l’espace. Mais il ne faut pas surestimer ces
narrations qui avaient souvent une dimension de propagande importante. De
même qu’il ne faut pas non plus considérer les pratiques bureaucratiques de
la royauté, principalement orientées vers le patronage, comme le seul reflet
d’une itinérance dont le rythme devenait de moins en moins compatible avec
les lourdeurs de l’enregistrement des actes.
Ainsi, le choix de faire de l’itinérance un mode de gouvernement constitue
un bon révélateur de la capacité des Plantagenêts à dominer effectivement
l’espace de leur empire (fig. 1, 2 et 3) 14. Si elle s’impose comme une nécessité
pour Henri  II et pour Jean, Richard ne semble pas, quant à lui, avoir eu
besoin de parcourir son empire pour le gouverner. Selon John Edward Austin
Jolliffe, Henri II avait un « gouvernement in itinere, non pas de ceux qui vont

12. Sur cet aspect voir T. K. Keefe, « Place-Date Distribution of Royal Charters and the Historical
Geography of Patronage Strategies at the Court of King Henry  II Plantagenet », Haskins
Society Journal, 2, 1990, p. 179-188 ; N. Vincent, « Les Normands de l’entourage d’Henri II
Plantagenêt », dans P. Bouet, V. Gazeau (dir.), Angleterre et Normandie au Moyen Âge, Caen,
Publications du CRAHM, 2003, p. 75-88 ; id., « Why 1199 ? Bureaucracy and Enrolment under
John and his Contemporaries », dans A. Jobson (dir.), English Government in the Thirteenth
Century, Woodbridge, Boydell Press, 2004, p. 18-48.
13. F.  Madeline, « Penser l’Empire normand et Plantagenêt avec des cartes : itinéraires royaux
et pensée politique de l’espace », dans D. Bates, P. Bauduin (dir.), 911-2011. Penser les mondes
normands médiévaux, Actes du colloque de Cerisy (29 septembre-2 octobre 2011), Caen, Presses
universitaires de Caen, 2016, p. 443-474 ; ead., « Circuler pour gouverner : mise en perspective
de l’itinérance des rois normands et Plantagenêt d’Angleterre (1066-1204) », dans Gouverner les
hommes, gouverner les âmes, Actes du XLVIe congrès de la SHMESP (Montpellier, 2015), Paris,
Publications de la Sorbonne, 2016, p. 221-240.
14. L’itinéraire d’Henri  II a été cartographié à partir des données de J.  Everard, « Itinerary
of Henry  II », introduction dans N.  Vincent, J.  Everard, J.  C.  Holt (éd.), The Acta of the
Plantagenets, 1154-1204, Oxford, Oxford University Press, à paraître ; l’itinéraire de Richard à
partir de L. Landon, The Itinerary of King Richard I, with Studies on Certain Matters of Interest
Connected with his Reign, Londres, Publications of the Pipe Roll Society (New Series, 13), 1935,
et de Jean sans Terre à partir de T. D. Hardy, « Itinerarium Johannis Regis Angliae. A Table of
the Movements of the Court of John King of England, from his Coronation, to the End of
his Reign », dans Rotuli Litterarum Patentium in Turri Londinensis asservati, Londres, Public
Records, 1835 (désormais Rot. Lit. Pat.), p. xlix.

154
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Fig. 1 – Lieux de passage d’Henri II (documentation littéraire et actes).


© F. Madeline (avec QGIS).

155
fa nn y m a deline

Fig. 2 – Lieux de passage de Richard Cœur de Lion


(d’après L. Landon, The Itinerary of King Richard I…, op. cit.).

156
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Fig. 3 – Itinéraire de Jean sans Terre (à partir des actes publiés


par T. H. Hardy dans les Rotuli Litterarum Patentium…, op. cit.).
© F. Madeline (avec QGIS).

157
fa nn y m a deline

et viennent de manière intermittente pour des missions limitées, mais de ceux


qui sont en mouvement perpétuel, un gouvernement des routes et des bas-
côtés 15 ». De fait, il avait besoin de parcourir incessamment l’étendue de ses
territoires pour réactualiser personnellement sa puissance et son autorité là où
elle était contestée. Au contraire, les itinéraires de Richard offrent l’image d’un
pouvoir beaucoup plus centralisé autour de la vallée de la Seine et du chantier
de Château-Gaillard. Après avoir réussi à écarter son frère Jean de la succession
en  1199, Richard jouit d’un pouvoir plus stable que son père ne l’avait eu.
Duc d’Aquitaine, depuis le partage successoral organisé par Henri II dans les
années 1160 16, il disposait d’une autorité plus forte dans ce duché 17, même s’il
dut à plusieurs reprises – dont la dernière en 1199 lui fut fatale – venir batailler
contre les seigneurs rebelles à son autorité 18. En outre, il mena avant de partir
en Croisade une politique visant à garantir la stabilité dans son royaume, en
confirmant le retour des biens qui avaient été confisqués par son père 19. De
retour de Croisade, son aura de chevalier héroïque et son incarnation des
valeurs chevaleresques contribuèrent également à renforcer son autorité auprès
de l’aristocratie 20.
La cartographie du nombre de séjours de Jean dans les différents lieux
de son empire (fig. 3) permet d’avoir une idée désormais très précise de ce
qu’était la mobilité royale au début du xiiie siècle. Julie Kanter et Brian Paul
Hindle ont calculé que, en moyenne, la cour de Jean se déplace 13 à 14 fois
par mois et que les distances parcourues sont d’environ 12 à 15 miles par jour

15. J. E. A. Jolliffe, Angevin Kingship, 2e éd., Londres, Black, 1963, p. 140.


16. R. V. Turner, « The Problem of Survival for the Angevin “Empire” : Henry II’s and his Sons’
Vision versus Late Twelfth-Century Realities », The American Historical Review, 100/1, 1995,
p. 78-96 ; T. K. Keefe, « Geoffrey Plantagenet’s Will and the Angevin Succession », Albion, 6/3,
1974, p. 266-274 ; J. C. Holt, « The Casus Regis : the Law and Politics of Succession in the
Plantagenet Dominions 1185-1247 », dans Colonial England, 1066-1215, Londres, Hambledon
Press, 2003, p. 307-326.
17. Il avait été intronisé duc d’Aquitaine à Limoges en 1172, à l’occasion d’une cérémonie au
cours de laquelle son union mystique avec sainte Valérie, protomartyre d’Aquitaine, avait été
symbolisée par la remise d’un anneau. Geoffroy de Vigeois, Chronique, précédée d’une étude sur
la chronique de Geoffroy, éd. par F. Bonnelye, Tulle, Detournelle, 1864, chap. 67, et B. Barrière,
Plantagenêts et Limousin au xiie siècle, s. l., s. n., 1980.
18. J. Gillingham, « The Unromantic Death of Richard I », Speculum, 54/1, 1979, p. 18-41.
19. R. V. Turner, R. H. Heiser, The Reign of Richard Lionheart. Ruler of the Angevin Empire, 1189-
1199, New York, Pearson Education, 2000, p. 79, 87-94 ; Gesta regis Ricardi. The Chronicles of
the Reigns of Henry II and Richard I, éd. par W. Stubbs, Londres, Longmans, 1879, p. 72.
20. J.  Flori, Chevalerie et idéologie chevaleresque. Étude de la formation du concept de chevalerie
jusqu’au début du xiiie siècle, Paris, s. n., 1978 ; id., Richard Cœur de Lion, le roi-chevalier, Paris,
Payot-Rivages, 1999, p.  260 : dans les portraits qui sont brossés de lui, Richard « apparaît
comme l’incarnation de la chevalerie à l’âge où celle-ci prend conscience d’elle-même, à la fois
conquérante, séduisante et irritante ».

158
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

(20 à 25 km), ce qui correspond au taux journalier des voyages de la cour


des empereurs allemands aux xie et xiie  siècles 21. Cependant, les distances
parcourues par la cour pouvaient tripler selon les étapes et selon les jours 22.
En outre, le roi et quelques familiares pouvaient se déplacer beaucoup plus
vite, lors des campagnes militaires, comme c’est le cas par exemple de Jean
qui parcourt en deux jours, entre le 18 et le 20 avril 1214, les 200 kilomètres
qui séparent Saint-Léon près de La Sauve-Majeure en Aquitaine de Mauzé-
sur-le-Mignon en Saintonge 23. La densité des informations disponibles à
partir du règne de Jean résulte d’un changement de pratique des clercs, qui
enregistrent désormais tous les actes du roi et le suivent partout où il va,
au lieu de résider dans les grands centres pendant que le roi déambule dans
la région. Le roi parcourt donc son territoire pour y affirmer son autorité,
mais il n’est pas seul à occuper cet espace : pour compenser son absence, un
nombre croissant d’agents royaux perpétuent ces circulations royales de plus
en plus régulièrement.

La circulation des représentants royaux


et le quadrillage du territoire
Depuis la grande enquête du Domesday Book, les circuits des agents royaux
n’ont jamais été réitérés de manière aussi exhaustive et simultanée jusqu’au
dernier quart du xiie  siècle 24. S’il existait des juges itinérants sous le règne
d’Henri Ier, ce sont les réformes légales d’Henri II qui généralisent ces pratiques
en instaurant en 1166, lors des Assises de Clarendon, une nouvelle procédure
judiciaire, substituant aux jugements par ordalies le principe d’une justice
inquisitoriale, fondée sur des enquêtes et le témoignage d’hommes assermentés
choisis au sein des communautés locales 25. Ces juges royaux devaient rendre la
justice de manière itinérante dans des circonscriptions appelées Eyres. Celles-ci

21. J. Kanter, Peripathetic and Sedentary Kingship. The Itineraries of the Thirteenth-Century English
Kings, thèse du King’s College London, 2011 ; l’auteure confond cependant Saint-Léon avec Saint-
Léonard-de-Noblat en Limousin, où le roi se trouvait quelques semaines plus tôt. B. P. Hindle,
Medieval Roads and Tracks, Princes Risborough, Shire (Shire Archaeology, 26), 1998, p. 34-40 ;
R. J. Bartlett, England under the Norman and Angevin Kings, 1075-1225, Oxford, Clarendon Press
(The New Oxford History of England), 2000, p. 136, cite M. Reinke, « Die Reusegeschwindigkeit
des deutschen Köningshofes im 11. und 12. Jahrhundert nördlich der Alpes », dans Blätter für
deutsche Landesgeschichte, Göttingen, Aisch Schmidt in Komm, 1937, p. 225-251.
22. Robert Wace, Le Roman de Rou, Paris, Picard (Société des anciens textes français), 1970-1974,
v. 70-73.
23. J. Kanter, Peripathetic and Sedentary Kingship…, op. cit., p. 705, annexe 1.
24. J.  Hudson, The Oxford History of the Laws of England, vol.  2 : 871-1216, Oxford, Oxford
University Press, 2012, p. 516.
25. Ibid., p. 514.

159
fa nn y m a deline

sont mises en place en 1170 afin de mener une vaste enquête à l’échelle du
royaume, concernant les exactions commises par les agents royaux et notam-
ment les shérifs. En 1176, lors des Assises à Northampton, ces circuits sont sys-
tématisés dans l’objectif de couvrir de manière régulière la totalité du royaume
ainsi que la Normandie 26. Le nombre de ces circuits ainsi que le nombre des
juges royaux n’ont cependant cessé de varier. Ainsi, alors qu’en 1179, il y a
quatre circuits dans lesquels officient quatre ou cinq juges, en 1194, il y a désor-
mais une dizaine de juges dans chacun des huit circuits 27. Les juges se rendaient
dans leur Eyre environ tous les deux ans entre 1176 et 1194, puis la fréquence
des circuits s’atténua à mesure que leur durée s’allongeait. Ce n’est qu’en 1218,
lorsque la nécessité de réaffirmer l’autorité royale se fait sentir après les troubles
des dernières années du règne de Jean et de la minorité d’Henri III, que les cir-
cuits d’Eyre sont plus précisément fixés. Le registre des lettres patentes montre
qu’en 1218, des lettres sont envoyées aux shérifs les informant de la composition
des commissions de juges itinérants (des clercs et des laïcs) et de l’organisation
géographique de ces circuits d’Eyre 28. Les shires sont alors regroupés en huit
circuits 29 (voir fig. 4) et les lettres royales indiquent le lieu et le jour du début
de l’itinérance des juges. Les lieux choisis pour établir les cours de justice
correspondent généralement aux centres des cours de justice des hundreds 30.
Les circuits des juges au sein des Eyres pouvaient être plus ou moins étendus.
Ainsi, tandis que les juges du Lincolnshire ne rendirent la justice qu’à Lincoln
et Nottingham en 1218-1219, les juges chargés de rendre la justice dans l’Ouest
commencèrent à Worcester en 1221, puis se rendirent à Gloucester, Bristol,
Hereford, Leominster puis à nouveau à Worcester, Gloucester et Hereford

26. J. Hudson, The Oxford History…, op. cit., vol. 2, p. 545 ; M. Billoré, De gré ou de force…, op. cit.,
p. 232 ; ead., « Justice royale et cours seigneuriales en Normandie sous le règne de Henri II
Plantagenêt et de ses fils », dans M.  Aurell, F.  Boutoulle (dir.), Les Seigneuries dans l’espace
Plantagenêt (c. 1150-c. 1250), Bordeaux, Ausonius, p. 93-116.
27. Roger de Hoveden, Chronica, éd. par W. Stubbs, Londres, s. n., vol. 2, p. 190-191.
28. P. Brand, J. Getzler, Judges and Judging in the History of Common Law and Civil Law : from
Antiquity to Modern Times, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p.  7 ; Patent
Rolls of the Reign of Henry  III. AD.  1216-1225, éd.  par H.  C.  Maxwell-Lyte, Londres, His
Majesty’s Stationery Office, 1901, p. 206-208 ; Rotuli Litterarum Clausarum in Turri Londinensi
conservari, éd. par T. D. Hardy, Londres, Eyre and Spottiswoode, 1833, I, p. 380b (désormais
Rot. Lit. Claus.). Ces circuits seront ensuite réformés au milieu du xiiie siècle.
29. 1)  Yorkshire et Northumberland ; 2)  Bedfordshire, Buckinghamshire, Huntingdonshire,
Cambridgeshire, Northamptonshire, Rutland  ; 3)  Wiltshire, Hampshire, Berkshire,
Oxfordshire ; 4)  Cornouailles, Devon, Sommerset, Dorset ; 5)  Cumberland, Westmorland,
Lancashire ; 6) Sussex, Surrey, Kent et Middlesex ; 7) Essex, Hertfordshire, Norfolk, Suffolk ;
8) Lincolnshire, Nottinghamshire, Derbys.
30. Le hundred est une ancienne circonscription administrative héritée de la centurie romaine qui
perdura sous la monarchie anglo-saxonne.

160
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Fig. 4 – Organisation des Eyres en 1218 avec les lieux de départ


et de passages des juges royaux. © F. Madeline.

entre le 7 juin et le 22 août 1221 31. Ces circulations se superposaient à celles que


les shérifs devaient également effectuer à l’intérieur de chaque shire.
Théoriquement deux fois par an (après Pâques et après la Saint-Michel,
c’est-à-dire à son retour de Westminster), le shérif devait réaliser une « tournée »

31. Rolls of the Justices in Eyre, being the Rolls of Pleas and Assizes for Lincolnshire 1218-19 and
Worcestershire 1221, éd. par D. M. Stenton, Londres, Quaritch (Selden Society, 53), 1934, p. xlix.

161
fa nn y m a deline

au cours de laquelle il se rendait dans chaque hundred, pour vérifier le bon


fonctionnement des frankpledges 32 et pour recevoir les déclarations émanant
d’un jury (presentments) concernant les plaids royaux et les offenses mineures 33.
Le shérif ou son bailli présidaient en effet les cours de justices locales qui
avaient lieu tous les quinze jours environ, dans chaque hundred 34. En outre,
les shérifs qui tenaient à ferme les revenus royaux du shire devaient se rendre
une à deux fois par an aux sessions de l’Échiquier à Westminster, pour rendre
compte de leur ferme et s’acquitter de leurs dettes auprès du Trésor.
Outre ces circulations régulières et réglementées, qui visaient à faire fonc-
tionner le gouvernement royal en même temps qu’à rendre visible et concrète
son autorité, d’autres agents ont également parcouru le royaume mais de
manière plus ponctuelle et limitée. C’est le cas des ingénieurs royaux qui
se rendaient de chantiers en chantiers afin de construire la matérialisation
monumentale du pouvoir. Les lieux mis en réseau par leur activité s’étendent
dans tout l’empire. Cependant, la mobilité des ingénieurs pouvait être variable
selon leur degré de rattachement à la cour (voir fig. 5). Ainsi Ailnoth, l’ingé-
nieur d’Henri  II, qui détenait l’office de gardien du palais de Westminster,
intervint sur de nombreux chantiers dans un rayon de 150 kilomètres environ
autour de Londres 35. De même, Elyas, l’ingénieur de Richard en Angleterre,
qui était également rattaché au service curial par la charge de gardien des
demeures d’Oxford, fut amené à intervenir sur les principaux chantiers du sud
de l’Angleterre 36. Si leur activité était polymorphe (ils étaient chargés à la fois

32. Système de sécurité mutuelle composé d’un groupe d’hommes chargés d’assurer l’ordre
public à un niveau local. Le groupe était responsable du comportement de chacun de ses
membres et devait assumer certaines responsabilités publiques : contribuer aux amendes et
taxes imposées sur le groupe, participer aux procès de la cour du hundred, lorsque cela était
requis, etc. J.  Masschaele, Jury, State and Society in Medieval England, Londres, Palgrave
Macmillan, 2008, p. 55.
33. J. Hudson, The Oxford History…, op. cit., vol. 2, p. 555 ; H. Cam, The Hundred and the Hundred
Rolls. An Outline of Local Government in Medieval England, Londres, Merlin Press, 1963, p. 176.
34. Calendar of the Close Rolls Preserved in the Public Record Office, AD 1231-34, éd.  par
H. C. Maxwell-Lyte, Londres, His Majesty’s Stationery Office, 1905, p. 588-589.
35. Pipe Rolls of the 13th Year of the Reign of Henry II, AD 1166-67, Londres, Pipe Rolls Society (désor-
mais PR), p. 1, 3 ; PR 14 H.II, p. 1, 200 ; PR 17 H.II, p. 148 ; PR 19 H.II, p. 183 ; PR 20 H.II,
p. 8-9 ; PR 21 H.II, p. 80, 108 ; PR 22 H.II, p. 60 ; H. M. Colvin, R. A. Brown, A. J. Taylor, The
History of the King’s Work, the Middle Ages, Londres, s. n., 1976, vol. 1, p. 57-58 ; J. H. Harvey,
« The King’s Chief Carpenters », The Journal of British Archaeological Association, 3/11, 1948,
p. 13-34 ; id., English Mediaeval Architects. A Biographical Dictionary down to 1550, Londres,
Batsford, 1987, p. 2-3.
36. PR 7 R.I, p. 2, 113, 240 ; N. Vincent, « Master Elias of Dereham (d. 1245) : a Reassessment »,
dans C. Barron, J. Stratford (dir.), The Church and Learning in Late Medieval Society : Studies
in Honour of Professor R. B. Dobson, Donington, Shaun Tyas (Harlaxton Medieval Studies, 11),
2002, p. 128-159 ; H. M. Colvin, R. A. Brown, A. J. Taylor, The History of the King’s Work…,
op. cit., vol. 1, p. 60-61.

162
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Fig. 5 – Mobilité des ingénieurs royaux entre 1154 et 1216. © F. Madeline.

163
fa nn y m a deline

des ­travaux de maçonnerie, de charpenterie, d’approvisionnement et de vérifi-


cation des comptes 37), leur espace d’intervention se concentrait essentiellement
dans un espace relativement restreint contrairement à d’autres ingénieurs, ame-
nés à circuler de chaque côté de la Manche 38. C’est le cas d’Urric, par exemple,
qui travaille à Douvres et à Nottingham dans les années  1180 avant d’être
appelé dans la vallée de la Seine en 1194, à Chinon en 1204, puis en Irlande
à Carrickfergus en 1212 39. De même Nicolas des Andelys, qui œuvra vrai-
semblablement à Château-Gaillard, apparaît en Irlande en 1212 pour fortifier
les châteaux de Jean 40, avant de fortifier les forteresses royales de Cambridge
en 1212, Knepp, Bramber et Knaresborough en 1213-1214. Isembert de Saintes
également travaillait à La Rochelle avant d’être appelé par le roi à l’œuvre du
pont de Londres en 1204 41. La mobilité des ingénieurs du roi participait ainsi
à la mise en réseau des chantiers royaux à l’échelle de l’empire, appliquant des
solutions techniques et esthétiques élaborées d’un chantier à l’autre. En outre,
à l’échelle de l’Angleterre, la mise en réseau des chantiers permettait de gérer
la main-d’œuvre et les matières premières d’un point de vue central, rationa-
lisant ainsi les pratiques de construction, de stockage et de redistribution 42.
En ce sens, l’organisation des chantiers contribua à une meilleure maîtrise du
territoire et de ses ressources. À travers la mobilité de ces ingénieurs se révèle
ainsi la maîtrise de l’espace qu’avaient les Plantagenêts, malgré l’étendue de
leur empire, et leur capacité, à travers les chantiers de construction, à dessiner
un espace commun au sein duquel ils étaient à même de diffuser une image
architecturée de leur pouvoir.

37. Voir sur ce point F. Madeline, « La pierre des chantiers royaux en Angleterre fin xiie-début
xiiie siècle : origines et distribution », dans J. Lorenz, J.-P. Gély (dir.), Carriers et bâtisseurs de la
période préindustrielle : Europe et régions limitrophes, Actes du CXXXIVe congrès national des
sociétés historiques et scientifiques, Paris, Éd. du Comité des travaux historiques et scienti-
fiques, 2011, p. 207-222.
38. Ead., « Formes et figures de l’expertise dans les chantiers royaux en Angleterre aux xiie et
xiiie siècles : des compétences techniques au service du politique », dans Experts et expertise au
Moyen Âge. Consilium quaeritur a perito, Actes du XLIIe congrès de la SHMESP (Oxford),
Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, p. 229-242.
39. J. H. Harvey, English Mediaeval Architects…, op. cit., p. 305 ; J. H. Round, The King’s Serjeant
and Officers of State with their Coronation Services, Londres, s. n., 1911, p. 15-16 ; H. M. Colvin,
R. A. Brown, A. J. Taylor, The History of the King’s Work…, op. cit., vol. 1, p. 61.
40. Rotuli Normaniae in Turri Londinensi asservati, éd. par T. D. Hardy, Londres, His Majesty’s
Stationery Office, 1835, vol. 1, p. 23, 27 ; H. M. Colvin, R. A. Brown, A. J. Taylor, The History
of the King’s Work…, op. cit., vol. 1, p. 61-62.
41. F. Madeline, Les Plantagenêts et leur empire. Construire un territoire politique, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2014, p. 150-151.
42. V. Theis, « Pratiques artisanales et politique de grands travaux : l’exemple du palais de Pont-
de-Sorgues au xive siècle », Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences, 52 : Artisans, industrie.
Nouvelles révolutions du Moyen Âge à nos jours, 2004, p. 307-319.

164
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Construire un espace politique à partir du contrôle des lieux


Le contrôle des châteaux féodaux
« Les fortifications royales sont la colonne vertébrale du royaume 43 », affir-
mait Guillaume de Newburgh, qui avait parfaitement conscience de la néces-
sité pour le roi non seulement d’ériger ses propres châteaux mais également de
contrôler toutes les fortifications du royaume. À partir de 1154, la politique cas-
trale menée par Henri II aboutit à une augmentation importante du nombre
de forteresses contrôlées par le roi en Angleterre mais aussi en Normandie.
Dans la pratique, la reconquête des lieux de pouvoir s’est d’abord traduite par
la lutte des Plantagenêts contre les châteaux féodaux illégaux ou « adultérins »,
manifestant ainsi leur volonté de reconstruire un ordre public à partir des
châteaux. Pour mener cette politique, Henri II s’est appuyé sur le droit féodal
de la reddibilité tel qu’il avait été mis à l’écrit dans les Consuetudines et Justicie
– un ensemble de coutumes régissant le duché de Normandie rédigées vers
la fin du xie siècle et qui passa dans le droit anglais au cours du xiie siècle 44.
Selon Sir James Holt, cependant, bien qu’il y eut de nombreuses confiscations
et de destructions de châteaux dans les années qui suivirent son accession, le
principe de reddibilité ne peut être clairement identifié en Angleterre avant
le milieu des années 1170 45. Dans le reste de ses possessions continentales, la
reddibilité constituait une pratique plus ou moins tombée en désuétude 46.
Les tentatives d’Henri II d’ailleurs ont souvent été interprétées comme une
« féodalisation » des rapports de pouvoir, là où les rapports entre le duc et ses
vassaux étaient plutôt organisés autour de conventiones, établissant une relation
contractuelle plus souple 47.
Ainsi, à l’encontre de la tendance à l’hérédité et à la patrimonialisation
des fiefs, le roi affirmait son droit à les retenir, si bien que les héritiers du
royaume devaient reconnaître formellement leur fidélité au roi pour ­pouvoir

43. Guillaume de Newburgh, Chronicles of the Reign of Stephen, Henry II and Richard I, éd. par
R. Howlett, Londres, s. n., 1884, vol. 1, p. 331.
44. C. H. Haskins, « The Norman “Consuetudines et Iusticie” of William the Conqueror », English
Historical Review, 23/91, 1908, p. 502-508, republié dans id., Norman Institutions, Cambridge
(Mass.), Harvard University Press, 1918, p. 277-284, appendice D : clause 4 ; C. A. Coulson,
Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the Central Middle Ages,
Oxford, Oxford University Press, 2003.
45. J. C. Holt, « Politics and Property in Early Medieval England », Past & Present, 57, 1972, p. 3-52 ;
R. Eales, « Castles and Politics in England 1215-1224 », dans R. Liddiard (dir.), Anglo-Norman
Castles, Woodbridge, Boydell Press, 2003, p. 367-388.
46. A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente : xe-xiie siècles, Paris, Picard, 1984.
47. F.  Boutoulle, Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au
xiie siècle, Bordeaux, Ausonius, 2007, p. 209-228.

165
fa nn y m a deline

être investi du fief de leur père. Le refus de remettre son château, et donc de
ne pas reconnaître son origine publique, était considéré comme une trahi-
son et s’accompagnait alors d’une intervention du roi, qui se saisissait manu
militari du château rebelle, le retenant en y plaçant des gardiens, ou le fai-
sant détruire. La normalisation de cette disposition légale fut utilisée par
Henri II comme un véritable instrument pour gouverner l’aristocratie de son
empire, en renforçant son pouvoir coercitif par le rétablissement d’une forme
d’insécurité des tenures et des fiefs. La carte des 425  châteaux répertoriés
saisis et détruits par Henri II et ses fils au cours de la période permet de s’en
convaincre (fig. 6).
Le cas breton est significatif 48. Nombre de nobles bretons avaient participé
à la conquête de 1066 et furent dotés de terres en Angleterre 49. En tant que
vassaux du roi d’Angleterre, ils étaient soumis au principe de reddibilité de leur
fief, sans pour autant que ce principe s’applique sur leurs terres bretonnes. La
pression d’Henri II pour contrôler les marches entre Bretagne et Normandie
provoque une révolte menée par le duc Conan IV en 1166. En représailles,
Henri II se saisit des terres anglaises des barons rebelles, et s’empare militai-
rement de leurs châteaux en Bretagne. Conan IV fut contraint d’abdiquer et
les barons bretons durent rendre hommage au roi pour reprendre possession
de leurs châteaux, reconnaissant ainsi de facto l’application du principe de
reddibilité s’appliquant aussi sur leurs fiefs bretons. Ce principe de reddibilité
fut un instrument puissant de la politique coercitive des Plantagenêts, qui
s’en servirent pour normaliser les rapports « féodaux » qu’ils entretenaient avec
les groupes aristocratiques de leur empire. Considérer l’usage de ce droit de
« prise » comme un instrument de gouvernement offre l’avantage de l’associer
à d’autres dispositifs utilisés par les Plantagenêts, comme la garde des fiefs des
mineurs et des héritières 50, ou bien la lutte pour conserver le droit de nom-
mer les prélats, contre les prétentions de l’Église grégorienne à s’approprier le
contrôle des espaces sacrés.

48. J’ai développé cet exemple dans F.  Madeline, « Les enjeux politiques et territoriaux autour
de la frontière bretonne sous domination des Plantagenêts (1156-1202) », dans H.  Bouget,
M. Coumert (dir.), Histoire des Bretagnes. 2. Itinéraires et confins, Brest, CRBC-UBO, 2001,
p. 55-73.
49. J. Everard, Brittany and the Angevins. Province and Empire, 1158-1203, Cambridge, Cambridge
University Press, 2000, p. 42-43.
50. Sur ce point voir notamment J. C. Holt, « Presidential Address : Feudal Society and the Family
in Early Medieval England : IV. The Heiress and the Alien », Transactions of the Royal Historical
Society, 5/35, 1985, p. 1-28.

166
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Fig. 6 – Châteaux confisqués (•) et détruits (x) par les Plantagenêts


entre 1153 et 1216. © F. Madeline (avec Cartes & Données).

167
fa nn y m a deline

Tenir les pôles ecclésiaux contre leur sacralisation


En Normandie et en Angleterre, le contrôle des offices ecclésiastiques per
voluntatem regis et conformément au droit de patronage résista tant bien que
mal à l’affirmation de la libertas ecclesiae, alors qu’en Aquitaine au milieu du
xiie siècle, ces prérogatives avaient depuis longtemps échappé au duc 51. L’intérêt
de contrôler ces élections était pourtant crucial pour le roi. Il pouvait ainsi
récompenser ses curiales et renforcer leur loyauté, tout en s’appuyant sur le
gouvernement ecclésiastique en l’absence de cadres laïcs fonctionnels, comme
ce fut le cas en Bretagne et en Irlande. Les évêques bretons et ceux de Rennes
en particulier jouèrent un rôle central comme agents de stabilisation de cette
province 52. En Irlande, John Cumin, archevêque de Dublin de  1181 à  1212,
choisi par Henri II pour ses qualités d’administrateur, fut l’un des principaux
représentants de la Couronne d’Angleterre sur l’île, contrôlant les nominations
épiscopales, les biens temporels des églises ainsi que les fondations séculières 53.
En outre, le contrôle des élections épiscopales et abbatiales en Angleterre
et en Normandie donnait au roi une emprise directe sur le diocèse et sur les
domaines monastiques. Lors des périodes de vacance du pouvoir ecclésias-
tique, un représentant du roi était chargé de percevoir et de gérer ses revenus,
généralement au profit de la Couronne. Les confiscations des biens épiscopaux
utilisées comme mode de sanction contre les chapitres insoumis, que ce soit
à Sées en 1201, à Limoges en 1203 ou à York en 1207 54, soulignent la place
centrale de la prise ou de la « saisie » comme principal instrument de coercition
à l’encontre de l’aristocratie laïque comme ecclésiastique. Ces confiscations
permettaient également de disposer des revenus des évêchés et des abbatiats
en attendant que de nouvelles élections aient lieu 55. Toutefois les Plantagenêts

51. D.  Walker, « Crown and Episcopacy under the Normans and Angevins », Anglo-Norman
Studies, 4, 1982, p.  220-233 ; R.  V.  Turner, « Richard Lionheart and English Episcopal
Elections », Albion, 29/1, 1997, p.  1-13 ; id., « Richard Lionheart and the Episcopate in his
French Domains », French Historial Studies, 21/4, 1998, p. 517-542 ; D. Spear, « Power, Patronage
and Personality in the Norman Cathedral Chapter, 911-1204 », Anglo-Norman Studies, 20, 1998,
p. 205-222 ; J. Peltzer, « Henry II and the Norman Bishops », English Historical Review, 191/484,
2004, p. 1202-1229 ; id., « Les évêques de l’empire Plantagenêt et les rois angevins : un tour
d’horizon », dans M. Aurell, N.-Y. Tonnerre (dir.), Plantagenêts et Capétiens : confrontations et
héritages, Turnhout, Brepols, 2006, p. 461-484.
52. J. Everard, Brittany and the Angevins…, op. cit., p. 67.
53. M. Murphy, « Balancing the Concerns of Church and State : the Archbishops of Dublin 1181-
1228 », dans T.  B.  Barry (dir.), Colony and Frontier in Medieval Ireland : Essays Presented to
J. F. Lydon, Londres, Hambledon Press, 1995, p. 41-56.
54. Rot. Lit. Pat., p. 7b et 14b ; voir aussi S. R. Packard, « King John and the Norman Church »,
The Harvard Theological Review, 15/1, 1922, p. 15-40.
55. G. Mollat, « Le droit de patronage en Normandie du xie au xve siècle », Revue d’histoire ecclé-
siastique, 33, 1937, p. 463-484, et 34, 1938, p. 725-788.

168
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

ne parvinrent pas à contrer la puissance de la réforme entreprise par l’Église au


nom de sa liberté. Les crises comme celle provoquée par l’exil des archevêques
de Cantorbéry Thomas Becket et Étienne Langton contribuèrent plutôt à affai-
blir l’autorité du roi, y compris en menaçant les relations qu’il entretenait avec
les ordres monastiques installés dans les fondations royales 56.
Les Plantagenêts ont pu en effet s’appuyer sur plusieurs réseaux monastiques
pour mener leur politique de contrôle territorial. La carte de leurs fondations
(fig.  7) témoigne de la diversité de leur patronage, même si Fontevraud et
Grandmont ont été particulièrement favorisés sur le continent. En Angleterre,
ce sont plutôt les couvents d’augustiniens qui prédominent. Ces ordres nou-
veaux d’influence régionale contribuaient à véhiculer une image positive de
l’autorité royale, malgré les crises qui avaient terni l’image du roi. En outre,
l’installation de communautés dans des espaces faiblement maîtrisés, car domi-
nés par de puissants barons, s’avéra un instrument efficace dans la construc-
tion territoriale de l’empire. Dans les années 1150-1160, Henri II fonde ainsi
plusieurs établissements monastiques dans le nord de l’Angleterre, espérant
ainsi faire concurrence aux fondations baronniales, en captant le réseau des
élites locales par le biais des donations 57. Peu après la restitution de l’honneur
de Lincoln au comte de Chester, Henri II installe des prieurés d’augustiniens
à Newstead près de Nottingham, à Hough-on-the-Hill et à Torksey, ainsi
que des gilbertins à Newstead-on-Ancholme 58. La fondation, en 1167, d’un
prieuré de chanoinesses à Moxby, au cœur du Yorkshire, s’inscrit dans cette
lignée de fondations installées dans les espaces où le pouvoir territorial du roi
était le moins assuré 59. L’honneur de Guillaume le Gros, comte d’Aumale,
qu’Étienne de Blois avait fait Earl d’York en 1138, dominait en effet toute la
région de l’Humber, où les rois d’Angleterre avaient toujours peiné à s’imposer.

56. D. J. Power, « Norman Church and the Angevin and Capetian Kings », Journal of Ecclesiastical
History, 56/2, 2005, p. 205-234 ; J. Peltzer, Canon Law, Careers and Conquest. Episcopal Elections
in Normandy and Greater Anjou, c. 1140-c. 1230, Cambridge, Cambridge University Press, 2008,
p. 168-169.
57. E. Cownie, « Religious Patronage and Lordship : the Debat on the Nature of the Honor », dans
K. S. B. Keats-Rohan (dir.), Family Trees and the Roots of Politics. The Prosopography of Britain
and France from the Tenth to the Tweltfh Century, Woodbridge, Boydell Press, 1997, p. 133-
146 ; id., Religious Patronage in Anglo-Norman England, 1066-1135, Londres, Royal Historical
Society, 1999.
58. PR 10 H.II, p. 15, 22 ; PR 11 H.II, p. 86 ; D. Knowles, R. N. Hadcock, Medieval Religious
Houses : England and Wales, Londres, Longmans & Green, 1971, p. 177, 181. E. M. Hallam,
« Henry II as a Founder of Monasteries », Journal of Ecclesiastical History, 28/2, 1977, p. 113-132.
59. D. Knowles, R. N. Hadcock, Medieval Religious Houses…, op. cit., p. 262, cite W. Dugdale,
R. Dodsworth, Monasticon Anglicanum : a History of the Abbies and Other Monasteries, Hospitals,
Frieries, and Cathedral and Collegiate Churches, with their Dependencies, in England and Wales,
Londres, s. n., 1846, vol. 2, p. 98.

169
fa nn y m a deline

Fig. 7 – Fondations et établissements patronnés


par les Plantagenêts (1154-1216). © F. Madeline.

170
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

De même, l’installation dans la forêt de Gouffern, à Silly, d’une abbaye de pré-


montrés par Mathilde l’Empresse dans les années 1150 a vraisemblablement eu
pour objectif d’attirer vers la fondation ducale les réseaux de fidélités attachés
au seigneur de Bellême 60. Située dans la marche septentrionale du Perche, à
proximité du château royal d’Argentan, l’abbaye fut apparemment fondée à
partir de revenus qui avaient autrefois appartenu à Robert de Bellême 61. La
fondation avait sans doute également pour fonction de neutraliser les terres
qui avaient été confisquées, en y installant une communauté de chanoines,
rassemblés dès 1150 par un chevalier normand du nom de Drogo, qui avait
accompagné Mathilde en Allemagne et y avait rencontré Norbert de Xanten.
Ces fondations comprenaient très souvent des dépendances hospitalières et
des maladreries, ce qui permettait à la puissance publique du roi de s’affirmer éga-
lement comme garante de l’ordre social et de la prospérité du royaume. Cet aspect
fut notamment mobilisé par les Plantagenêts pour composer avec ce qui était
en train de devenir un acteur majeur de la période : les communautés urbaines.

Les enjeux territoriaux du contrôle des pôles urbains


La diffusion des chartes de franchises sur le modèle des établissements de
Rouen dans l’Ouest français, dans le dernier quart du xiie siècle, peut être éga-
lement considérée comme une tentative de normalisation des rapports entre
le pouvoir et les communautés urbaines du continent. En échange des « privi-
lèges » accordés, les Plantagenêts s’assuraient des alliés et des points d’appui pour
étendre et maintenir leur contrôle territorial. En 1207, la requête des bourgeois
de La Rochelle permet à Jean de justifier la destruction des forteresses de Pierre
et Jean Bertin autour de La Rochelle, que les bourgeois considéraient comme
dangereuses 62. Certaines d’entre elles devinrent de véritables auxiliaires de leur
pouvoir, représentant leurs intérêts dans la région. C’est le cas de La Rochelle :
en 1175, Henri II émet une charte de protection de la ville pour récompen-
ser le loyalisme des Rochelais pendant la grande révolte de 1173 63. Comme à
Rouen et à Poitiers, la constitution de cette commune s’est ­accompagnée de

60. Robert de Torigni, Chroniques, éd. par L. Delisle, Rouen, Le Brument, 1872, vol. 1, p. 368.
61. M. Chibnall, « The Empress Matilda and Church Reform », Transactions of the Royal Historical
Society, 38, 1988, p. 107-130.
62. Rot. Lit. Pat., p. 58.
63. A. Chédeville, « Le mouvement communal en France aux xie et xiie siècles », dans R. Favreau
et al. (dir.), Bonnes villes du Poitou et des pays charentais (xiie-xviiie  siècles), Poitiers, Société
des antiquaires de l’Ouest, 2002, p. 9-24. N. Vincent, J. Everard, J. C. Holt (éd.), The Acta
of the Plantagenets…, op.  cit. (1814H) ; Recueil des actes de Henri  II, roi d’Angleterre et duc
de Normandie concernant les provinces françaises et les affaires de France, éd. par L. Delisle et
É. Berger, Paris, Klincksieck, 1916-1920, vol. 2, p. 82-83, no DXIX ; R. Favreau, « Les débuts de
la ville de La Rochelle », Cahiers de civilisation médiévale, 30, 1987, p. 9-10.

171
fa nn y m a deline

la construction d’une enceinte, située archéologiquement entre 1160 et 1180 64.


Avec leurs remparts, les communes pouvaient servir de places fortes abritant
des garnisons royales, et devenir ainsi des nœuds essentiels du maillage ter-
ritorial. Selon Robert Favreau, avec la charte de La Rochelle apparaît une
conception nouvelle de la commune comme élément militaire qui assure la
sécurité des points stratégiques du territoire 65. C’est probablement dans cette
perspective que des communes sont également accordées à Poitiers, à Saintes
et à Oléron, peu après celle de La Rochelle, puis confirmées en 1199 66. À cette
date, ces confirmations contiennent les obligations militaires, témoignant de
la volonté de Jean et d’Aliénor de s’appuyer sur les villes face à une aristocratie
qui bascule progressivement dans le camp capétien 67. Toutefois, malgré les
efforts consentis par les Plantagenêts pour développer, fortifier leurs villes et en
faire des lieux essentiels de l’organisation et de la défense du territoire, celles-ci
pouvaient se retourner contre leur prince 68. Ce fut le cas à Rouen, en 1204,
lorsque les bourgeois de la ville ouvrirent leurs portes aux armées de Philippe
Auguste 69. Ce fut le cas à Londres également, où les efforts de Jean pour s’allier
les bourgeois en leur octroyant la libre élection du maire et la reconnaissance
de la Commune n’ont pas empêché l’ouverture des portes aux barons révoltés
en mai 1215, leur assurant ainsi la victoire 70.
L’investissement des Plantagenêts dans les villes de leur empire, bien que
justifié par « l’intérêt commun », n’était pas toujours purement édilitaire.

64. Sur ce point voir F. Madeline, « Rouen and its Place in the Building Policy of Angevin Kings »,
dans L. Hicks, E. Brenner (dir.), Society and Culture in Medieval Rouen, 911-1300, Turnhout,
Brepols, 2013, p. 65-100.
65. R. Favreau, La Rochelle aux xiie et xiiie siècles, La Rochelle, Académie des belles-lettres, sciences
et arts de La Rochelle, 1993.
66. G. Pon, Y. Chauvin, « Chartes de libertés et de communes de l’Angoumois, du Poitou et de la
Saintonge (fin xiie-début xiiie siècle) », dans R. Favreau et al. (dir.), Bonnes villes du Poitou…,
op. cit., p. 25-149.
67. Ibid.
68. V. Moss, « The Norman Fiscal Revolution 1193-1198 », dans W. M. Ormrod et al. (dir.), Crisis,
Revolutions and Self-Sustained Growth. Essays in European Fiscal History, 1130-1830, Stanford,
Shaun Tyas, 1999, p.  38-57. La participation des villes normandes en 1198 aux revenus de
l’Échiquier avait été particulièrement importante.
69. Rigord, Vie de Philippe Auguste, éd. et trad. par F. Guizot, Paris, Brière (Mémoires relatifs à
l’histoire de France), 1825, p. 171 ; É. Robert-Barzman, « La conquête de la Normandie dans
la Philippide de Guillaume Le Breton », dans A.  M.  Flambard Héricher, V.  Gazeau (dir.),
1204. La Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, Caen, Publications du CRAHM, 2007,
p. 153-188.
70. PR 2 J., p. 153 ; Rotuli de Oblatis et Finibus in Turri Londinensi asservati, tempore regis Johannis,
éd. par T. D. Hardy, Londres, Record Office, 1835, p. 11 ; C. N. L. Brooke, G. Keir, London,
800-1216, the Shaping of a City, Londres, Secker & Warburg, 1975, p. 114. Au cours de l’année
1215, il envoie plusieurs lettres pour réparer et renforcer les murs de la ville : Rot. Lit. Claus.,
I, p. 198.

172
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Certains travaux avaient une véritable fonction militaire liée à la défense


du territoire, notamment en Normandie et dans les marges du royaume
­d’Angleterre. On peut citer le cas de la ville d’Eu, où Richard participe au
financement de la construction des enceintes urbaines en 1198, en levant,
deux années de suite, une « taille pour faire les fossés d’Eu » dans différents
bailliages : dans le Roumeis, à Pont-Audemer et à Arques 71. Cette décision
intervient peu de temps après le sac de Dieppe par les armées de Philippe
Auguste. C’est également le cas à Verneuil-sur-Avre : entre 1195-1200, les rou-
leaux normands enregistrent près de 800 livres angevines dépensées « pour
les travaux de la ville et des murs de Verneuil détruits par le roi de France
pendant la guerre » et « pour les travaux des murs du château de Verneuil
pour faire de la chaux, […] et un pont en face de la nouvelle porte 72 ». Mais
les travaux consistant à creuser et mettre en eau des fossés à partir de canaux
intérieurs avaient aussi pour fonction d’alimenter les moulins qui se trou-
vaient à l’extérieur des murs.
La géographie des dépenses des Plantagenêts pour leurs constructions, telle
qu’on peut la dessiner à partir des comptes de l’Échiquier anglais et normand
(pour les années  1180, 1195-1203), montre que leurs préoccupations étaient
principalement orientées vers la défense de leur territoire sur différents fronts
et particulièrement en Normandie. Toutefois, d’importantes dépenses ont éga-
lement concerné l’aménagement de palais et de châteaux dont les fonctions
étaient avant tout résidentielles et/ou symboliques. Comment se répartissaient
spatialement ces différentes fonctions castrales (fortification et développement
des espaces auliques) ? Leur distinction –  même ces fonctions pouvaient se
superposer – permet d’interpréter plus finement la géographie des itinéraires
royaux qui ne recoupe que partiellement la géographie monumentale de la
royauté. Comment interpréter alors les traces de leur présence réelle (itiné-
raires) et de leur présence symbolique et matérielle (constructions) en termes
d’inscription spatiale et de construction territoriale ?

71. Magni Rotuli Scaccarii Normaniae sub regis Angliae, éd. par T. Stapleton, Londres, Société des
antiquaires de Londres, 1844, vol. 2, p. 386, 429. Les rouleaux de l’Échiquier normand enre-
gistrent la somme de 5 125 livres angevines, prêtée aux bourgeois « pour les travaux des remparts
de la ville d’Eu ». Il s’agit, plus précisément, d’une avance sur la taille levée par le roi dont les
bourgeois devaient rendre compte à l’Échiquier. En réalité, elle servira surtout à financer les
travaux de Château-Gaillard et de Radepont (534 livres angevines au total).
72. Ibid., vol. 1, p. 239, 233 ; vol. 2, p. 501. A. Lemoine-Descourtieux, « La ville fortifiée de Verneuil-
sur-Avre », dans Construire, reconstruire, aménager le château en Normandie, Caen, Annales
de Normandie, 2004, p. 51-70 ; ead., La frontière normande de l’Avre. De la fondation de la
Normandie à sa réunion au domaine royal (911-1204), Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires
de Rouen et du Havre, 2011, p. 217, 302.

173
fa nn y m a deline

Les stratégies d’inscription spatiale de la royauté en Angleterre

En Angleterre, les dépenses de construction ont concerné l’ensemble du ter-


ritoire, avec une forte concentration au sud de la vallée de la Tamise, entre
Douvres, le plus gros chantier sur les trois règnes, et la région autour de
Winchester (Wessex), qui était le cœur historique de la monarchie anglo-
saxonne (fig.  8). Au nord de la Tamise, quelques grands chantiers qua-
drillent l’espace des Midlands et du Yorkshire, une région moins maîtrisée,
où dominent les forteresses de Nottingham, Knaresborough, Scarborough
et Newcastle à la frontière écossaise. Sur le continent, il est impossible de
connaître cette géographie des constructions en l’absence de comptabilités
comme celles de l’Échiquier de Westminster. L’essentiel des dépenses était
en effet réalisé par la Chambre qui constituait l’organe financier de la cour et
qui n’a pas laissé de documentation avant le début du xiiie siècle. Les carrés
sur la carte indiquent les sites où l’on a une trace d’intervention de la part des
Plantagenêts, mais impossible à chiffrer. Il est très vraisemblable que l’impor-
tance de Chinon devait être comparable à celle des grands chantiers anglais,
notamment parce que les dépenses connues datent du règne de Richard alors
qu’on sait qu’Henri II eut aussi un rôle essentiel dans l’aménagement du site 73.
La comparaison entre les différentes formes d’occupation de l’espace (par la
présence réelle et sa matérialisation architecturale) ne peut donc véritablement
se faire qu’en Angleterre et en Normandie dans une moindre mesure.
Sous Henri  II, l’espace au nord de la Tamise était relativement peu fré-
quenté par le roi (fig. 9) qui s’y rendait principalement pour y punir des vas-
saux rebelles ou y mener des campagnes militaires, notamment en pays de
Galles. L’investissement dans les grandes forteresses du nord, qui avaient été
confisquées à des barons rebelles (Nottingham, Peak et Tickhill sont prises à
Guillaume de Peverell en 1153, Scarborough à Guillaume le Gros en 1158 et
Bowes est saisie après la mort de Conan IV de Bretagne en 1171 74), correspond
à la volonté de manifester architecturalement l’appropriation de ces forte-
resses baronniales. À Scarborough, Henri II fait remplacer la tour érigée par
Étienne de Blois par un grand donjon carré en pierre de 30 mètres de haut 75.

73. B. Dufay, « Premier bilan des fouilles de la forteresse de Chinon, 2003-2009 », Revue archéolo-
gique du Centre de la France, 48, 2009, mis en ligne le 2 mars 2010 à l’adresse suivante : http://
racf.revues.org/1371.
74. Gervais de Canterbury, Historical Work, éd.  par W.  Stubbs, Londres, Kraus Reprint, 1965,
vol. 1, p. 156, 161 ; PR 20 H.II, p. 49 ; H. M. Colvin, R. A. Brown, A. J. Taylor, The History of
the King’s Work…, op. cit., vol. 2, p. 574.
75. T.  Pearson, Scarborough Castle, North Yorkshire, Swindon, National Monuments Record/
English Heritage (Archaeological Investigation Report Series), 1999 ; PR 4 H.II, p. 146.

174
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Fig. 8 – Dépenses enregistrées à l’Échiquier anglais et normand


pour les constructions Plantagenêt entre 1154 et 1216.
© F. Madeline (avec Cartes & Données).

175
fa nn y m a deline

Fig. 9 – Dépenses de construction enregistrées


à l’Échiquier sous Henri II (1154-1189).
© F. Madeline (avec Cartes & Données).

176
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Puis en 1175, il fait aménager une cour intérieure en l’entourant d’un talus et
d’un fossé ouvert au nord par une porte fortifiée toujours visible aujourd’hui 76
(fig. 10). Sur les terres d’Hugues Bigot, il fait ériger le donjon d’Orford (fig. 11),
probablement avec le remploi des pierres des châteaux du baron à Walton
et Framlingham, dont il avait fait surveiller la destruction par son ingénieur
Ailnoth 77. La forme polygonale du donjon constitue alors une caractéristique
qui se retrouve sur de nombreux donjons construits par les Plantagenêts en
Angleterre et en Normandie (fig. 12).
Au sud de la Tamise, la politique de construction correspond davantage à
l’espace investi par la présence d’Henri II. Hormis les forteresses de Douvres et
Windsor, vitrines de la puissance militaire de la royauté, l’essentiel des dépenses
a été affecté à l’extension des espaces résidentiels des demeures royales, et
notamment des palais de Westminster, de Woodstock au nord d’Oxford et de
Clarendon 78. La domestication des constructions dans les résidences royales
s’est manifestée sous diverses formes : par l’extension et la multiplication des
espaces domestiques ainsi que par leur privatisation. À partir de 1162, toute
une série de travaux vise à aménager le palais royal de Westminster : la aula
est décorée et couverte de bardeaux de bois, une vingtaine de colonnes en
calcaire fin sont acheminées des Cotswolds et des fenêtres sont percées dans
les appartements de la reine 79. À la fin des années 1170, les travaux consistent
à faire une garde-robe, aménager un « cloître » au milieu des bâtiments des-
tinés à abriter les chambres royales, emplir le vivier et réparer la chambre à

76. PR 8 H.II, p. 12 ; PR 26 H.II, p. 43.


77. Benoît de Peterborough, The Chronicle of the Reigns of Henry II and Richard I, A. D. 1169-1192,
éd. par W. Stubbs, Londres, Longmans, 1867, vol. 1, p. 126-127 ; PR 22 H.II, p. 60 ; PR 21 H.II,
p. 108 ; R. A. Brown, « Framlingham Castle and Bigod 1154-1216 », Proceedings of the Suffolk
Institute of Archaeology (& History), 25/2, 1951, p. 128-148 ; A. Wareham, « The Motives and
Politics of the Bigod Family, c. 1066-1177 », Anglo-Norman Studies, 27, 1995, p. 223-242.
78. T. Beaumont-James, « Les palais anglais : le terme palatium et sa signification dans l’Angleterre
médiévale (1000-1600) », dans A. Renoux (dir.), Aux marches du palais : qu’est-ce qu’un palais
médiéval ? Données historiques et archéologiques, Actes du VIIe congrès international d’archéo­
logie médiévale (Le Mans-Mayenne, 9-11 septembre 1999), Le Mans, Publications de l’uni-
versité du Maine, 2001, p. 135-143 ; id., The Palaces of Medieval England c. 1050-1550. Royalty,
Nobility, the Episcopate and their Residences from Edward the Confessor to Henry VIII, Londres,
Seaby, 1990 ; id., Clarendon : Landscape of Kings, Bollington, Windgather Press, 2007.
79. PR  8  H.II, p.  60, 67 : 60  s. [= sous] ad reparandum Solarium ; p.  43 : 12 l. [=  livres] 12  d.
[= deniers] pro materia ad aulam regis de Westmonasterio paranda ; p. 69 : 74 s. 9 d. pro scindu-
lam ad domos regis de Westminster ; PR 9 H.II, p. 71 : 9 l. 13 s. 9 d. in operatione Aule Regis de
Westmonasterio ; p. 72 : 67 s. pro scindulis ad aulam regis cooperienda ; PR 11 H.II, p. 32 : 19 l.
9 s. 6 d. pro curia regis paranda de Westmonasterio et domibus regis ; PR 12 H.II, p. 117 : 1 m.
[= marc] pro XX columpnis ad operatione regis apud Westmonasterium ; PR 13 H.II, p. 2 : 45 s.
pro faciendam fenestris camerarum regine et aliis minutis operibus.

177
fa nn y m a deline

Fig. 10 – Scarborough Castle, Yorkshire. © c.c. geograph.org.uk.

Fig. 11 – Orford Castle, Suffolk. © c.c. Keith Roper.

178
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Fig. 12 – Donjon de Gisors, Normandie. © F. Madeline.

179
fa nn y m a deline

coucher 80. Puis une cuisine est construite ainsi qu’un système d’adduction
d’eau permettant de se laver dans la grande salle ; du plomb est alors acheté à
cette fin en 1176 81. En 1186, il est question de réparer les latrines dans la mai-
son du trésor 82. De nouveaux espaces apparaissent également : un bâtiment
neuf est construit dans le cloître des chambres royales tandis que l’espace du
roi dans la aula principale est rehaussé 83. En 1187 et 1188, c’est au tour de la
chapelle Saint-Jean d’être embellie 84. La fragmentation de l’espace contribue
à distinguer plus nettement les espaces privatisés des espaces publics et à les
hiérarchiser. Par leur monumentalité, leur faste et la richesse des décorations,
les espaces résidentiels acquièrent une place de plus en plus grande dans la
topographie des lieux de pouvoir, au sein même des châteaux mais aussi en
dehors d’eux 85. Philippe Dixon remarque deux différences importantes dans les
partis pris architecturaux entre le nord et le sud de l’Angleterre : tandis que la
grande salle de plain-pied avec charpente prédomine dans le sud (ainsi qu’au
nord de la Loire), les espaces résidentiels se déploient surtout dans les grandes
tours au nord 86.
Cette résidentialisation des lieux de séjour va se poursuivre sous Richard
et Jean notamment après 1204. Le développement d’espaces résidentiels, plus
vastes et plus adaptés à l’augmentation du personnel de la cour et de la maison
du roi, concerne aussi bien les vastes donjons carrés que les demeures non forti-
fiées : qu’elles soient monastiques, urbaines ou forestières. On ne peut cependant

80. PR 23 H.II, p. 198 : 101 s. ad faciendam warderobam regis de Westmonasterio ; PR 26 H.II, p. 150 :
32 l. in operatione claustri inter cameram regis de Westmonastrio et pro vivario peremplendo et
cumulum thalami fractum reficiendo.
81. PR 27 H.II, p. 156 : 32 l. in operatione coquinarum regis de Westmonasteri ; PR 16 H.II, p. 14 : 12 l.
15 s. 10 d. in operatione domorum regis de Westmonasterio et aqueductus ; PR 22 H.I, p. 13 : 10 s. pro
plumbo ad faciendum conductum ad domos regis apud Westmonasterium ; PR 30 H.II, p. 136 : 28 l.
in operatione lavatorii in aula regis apus Westmonasterium ; PR 31 H.II, p. 43 : 50 l. in operatione
lavatorii regis apud Westmonasterium.
82. PR 31 H.II, p. 49 : 28 s. pro facienda camera in claustro quod est inter cameras et emendatione
stillicidii domus Thesauri.
83. PR 30 H.II, p. 137 : 62 s. pro exaltanda area dominice aule regis apud Westmonasterium.
84. PR 34 H.II, p. 18 : 7 l. 2 s. 7 d. pro arcu lapideo et sede Regis in capella sancti Johannis apud
Westmonasterium.
85. Sur l’importance de la chorographie voir notamment P.  Dixon, « The Donjon of Knares­
borough : the Castle as Theatre », Château Gaillard, 14, 1988, p. 121-139, et P. Marshall, « The
Ceremonial Function of the Dunjon in the Twelfth Century », Château Gaillard, 20, 2002,
p. 141-151 ; A. Salamagne, « Le symbolisme monumental et décoratif : expression de la puissance
seigneuriale », dans Seigneurs et seigneuries au Moyen Âge, Actes du CXVIIe congrès national
des sociétés savantes (Clermont-Ferrand, 1992), Paris, Éd. du Comité des travaux historiques
et scientifiques, 1993, p. 563-579.
86. P.  Dixon, « Le Nord et le Sud. Glissement et mutation des pratiques architecturales dans
l’Angleterre médiévale », dans G. Meirion-Jones (dir.), La demeure seigneuriale dans l’espace
Plantagenêt. Salles, chambres et tours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 19-42.

180
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

oublier que ces lieux restaient la plupart du temps vides de la présence royale.
Il revenait alors à l’architecture de conserver symboliquement le souvenir de
cette présence et d’assurer la permanence du pouvoir dans l’espace et le paysage.
Pallier l’absence du roi devient une véritable problématique sous le règne de
Richard, qui part en Croisade dès 1190 et qui ne reviendra de captivité qu’en
1194. En outre, les dernières années de son règne ont été consacrées à fortifier
la Normandie contre les prétentions de plus en plus agressives de Philippe
Auguste. La carte des constructions de Richard montre qu’il s’est essentielle-
ment concentré sur ses « capitales » : la Tour de Londres et Les Andelys sont
pratiquement les seuls chantiers importants de son règne, avec Chinon (fig. 13).
L’investissement défensif redoublé par une présence mobile de Richard au sein
de la vallée de la Seine contribue à la territorialisation croissante du duché
au cours de ces décennies. Celle-ci passe par la construction identitaire de
l’aristocratie à partir d’un territoire plutôt que par l’attachement à des fidélités
vassaliques, qui n’ont cessé de changer au gré des traités, mais aussi par les
délimitations frontalières, elles aussi soumises aux évolutions du conflit entre
Plantagenêts et Capétiens entre 1193 et 1200 87.
Sous le règne de Jean, l’investissement dans les forteresses baronniales du
Nord se poursuit et s’accentue au cours des années 1210, alors que la fronde
des Northerners s’étend dans le royaume (fig. 14). Mais comme son père, c’est
dans le sud-ouest de l’Angleterre et dans la vallée de la Tamise qu’il réside
le plus souvent. Là, il entreprend plusieurs grands chantiers. Au début des
années 1200, il fait ériger les enceintes du château de Corfe dans le Dorset,
ainsi qu’une tour polygonale à l’extrémité de l’éperon (fig. 15) 88. Cette tour,
connue sous le nom de Butavant Tower au Moyen Âge, explicite assez bien les
présupposés de sa construction : défier autant qu’impressionner les attaquants
potentiels. Cependant, une part importante des dépenses sont consacrées à
la construction des demeures royales (297 livres contre 360 livres pour le cas-
tellum), un aspect qui suggère que le chantier de Corfe avait une fonction
moins militaire que de mise en scène de la résidence royale. Par ailleurs, Corfe
était une prison importante ainsi que l’un des châteaux destinés à abriter une
partie du trésor royal. Les constructions, qu’elles soient domestiques ou plutôt
de fortification, doivent donc s’inscrire dans le processus de développement
de la machine gouvernementale qui a besoin d’espace pour fonctionner. De
même, dans les espaces peu soumis à l’instabilité politique, comme la vallée
de la Tamise, les fortifications doivent se comprendre avant tout comme la

87. Voir notamment D. J. Power, The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries,
Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
88. H. M. Colvin, R. A. Brown, A. J. Taylor, The History of the King’s Work…, op. cit., vol. 2, p. 619.

181
fa nn y m a deline

Fig. 13 – Dépenses de construction enregistrées à l’Échiquier sous le règne


de Richard Cœur de Lion (1189-1199). © F. Madeline (avec Cartes & Données).

182
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

Fig. 14 – Dépenses de construction enregistrées à l’Échiquier sous le règne


de Jean sans Terre (1199-1216). © F. Madeline (avec Cartes & Données).

183
fa nn y m a deline

Fig. 15 – Corfe Castle, Dorset. © c.c. Chin tin tin.

volonté de développer une scénographie architecturale de la puissance royale,


sans que les partis pris architecturaux ne correspondent nécessairement à une
réelle efficacité militaire.
Palais et châteaux constituent ainsi autant de moyens de contrôle du terri-
toire. Les demeures de villégiature permettaient au roi d’exercer sa domination
et son emprise sur l’espace par la pratique de la chasse, tandis que châteaux et
forteresses assuraient la polarisation permanente de ces lieux de pouvoir, à la fois
visuellement, mais également institutionnellement par l’exercice des missions
royales (exercice de la justice, garde du trésor, chantiers de construction, etc.).

Conclusion

Le rassemblement par Henri II de principautés territoriales aux coutumes et


aux pratiques féodales hétérogènes posa immédiatement le problème de la
continuité territoriale et de l’unité de cette configuration politique que l’on
appelle « empire ». En effet, la tentative de normalisation de règles communes
visant à donner de la cohérence aux rapports de pouvoir entre le roi et ses vas-
saux constitua une dynamique globale, voire une politique impériale. Celle-ci
s’appuya essentiellement sur la modification de la topologie féodale qui fonc-
tionnait à une échelle locale ou régionale par son insertion dans un espace
impérial. La continuité et l’articulation entre tous ces lieux de l’empire furent
avant tout assurées par le corps du roi, celui d’Henri II notamment, qui ne
cessa de parcourir son empire, faisant de l’itinérance de la cour un véritable
enfer. L’épuisement provoqué par ce mode de gouvernement explique en partie
la nécessité de développer un mode de gouvernement plus administratif, per-
mettant à la royauté de continuer à fonctionner in absentia. On assiste donc
au cours de cette seconde moitié du xiie siècle à un essor de la bureaucratie
mais également à l’intensification de la mobilité des agents du pouvoir, dont

184
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt

les fonctions sont redéfinies. L’intensité des espaces parcourus par le roi et sa
cour, et par ses représentants, constitue un indice du degré de territorialisa-
tion de l’institution royale en 1200. Forte en Angleterre, où elle a hérité des
­structures territoriales de la monarchie anglo-saxonne, et faible sur le continent
et notamment au sud de la Loire, l’emprise territoriale des Plantagenêts est à
peine compensée par leur politique castrale. En effet, le cas de l’Angleterre
montre qu’ils ont investi dans les forteresses des espaces peu fréquentés, mais ils
consacrèrent l’essentiel de leurs dépenses à développer leurs lieux de résidence.
L’analyse topologique de leur pouvoir offre ainsi une manière d’interpréter
le rôle des changements d’échelles sur l’émergence de nouveaux modes de
gouvernement et sur le choix des stratégies de contrôle de l’espace permettant
d’articuler la mobilité du centre, l’invisibilité du roi et la diversité de pouvoirs
locaux. Les réponses apportées au xiie siècle par les Plantagenêts ont mobilisé
des instruments à la fois normatifs (réformes légales et affirmation des droits
féodaux – reddibilité, patronage), administratifs (mise en place d’un maillage
d’officiers parcourant le territoire du royaume – shérifs, juges royaux et séné-
chaux) et symboliques (affirmation de l’image monumentale de la puissance
royale). Mais ce n’est pas avant la fin du xive siècle, lorsque la concentration
des pouvoirs en un centre « capital » ne nécessite plus d’allier conquête du
territoire et villégiature, que la construction politique du territoire peut plei-
nement se réaliser 89.

89. V.  Theis, « Les stratégies d’implantation palatiale dans la région d’Avignon de Jean  XXII à
Clément VI (1316-1352) », dans P. Boucheron, J. Chiffoleau (dir.), Les palais dans la ville. Espaces
urbains et lieux de la puissance publique dans la Méditerranée médiévale, Lyon, Presses universi-
taires de Lyon (Histoire et archéologie médiévales), 2004, p. 165-187. L’auteure montre com-
ment l’implantation de résidences pontificales et leur organisation en un réseau contribuèrent
à la territorialisation du pouvoir des papes en Comtat Venaissin.

185
Définir l’espace économique,
imposer l’autorité politique
Les bornes péagères, un enjeu pour la souveraineté
princière (État bourguignon – Franche-Comté,
xive -xve siècles)

michelle bubenicek
École nationale des chartes – PSL

Nombre de travaux récents consacrés à la genèse de l’État, royal et princier, ne


manquent pas de souligner l’importance du contrôle de l’espace pour l’imposi-
tion de la souveraineté 1. L’État en gestation, le status des textes officiels, s’articule
en effet autour de trois variables essentielles dont l’une est précisément l’espace
territorial de la domination du Prince 2. Contrôler l’espace, pour avoir une prise
définitive sur les sujets, est pour le Prince une nécessité. Pour autant, l’objectif
est loin d’être évident à mettre en œuvre. La notion de frontière, d’une part,
est encore floue ; le territoire à contrôler, par ailleurs, n’est pas uniforme, mais
comporte bien souvent des enclaves qui constituent autant d’exceptions au
pouvoir du Prince, et qu’il lui faut, autant que possible, s’efforcer de réduire,
afin de parvenir à la création de ce que l’on peut considérer comme un premier
espace étatique. Ces difficultés structurelles sont pour ainsi dire accentuées

1. Voir N. Coulet, J.-P. Genet (éd.), L’État moderne : le droit, l’espace et les formes de l’État, Actes du
colloque d’Aix-en-Provence (octobre 1984), Paris, Centre national de la recherche scientifique,
1990 et A. Rigaudière, Penser et construire l’État dans la France du Moyen Âge (xiiie-xve siècle),
Paris, Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie (Histoire économique et finan-
cière de la France), 2003 (« Rétrospective » et surtout « Perspectives », aux p. 695 et suiv.), qui
conclut à la prise en compte encore insuffisante de cette variable dans les travaux récents.
2. Ibid., p.  689 : territoire, population, gouvernement forment, pour nombre de médiévistes,
comme pour les constitutionnalistes modernes, les « trois éléments essentiels qui donnent
existence à l’État ».

187
michelle bubenicek

dans la vaste zone-frontière constituée par les principautés de l’Entre-Deux


– les terres sises, dans l’Empire, à la frontière orientale du royaume de France,
et dont fait partie la Bourgogne impériale : la Franche-Comté.
L’observation de la prise en main du territoire impérial comtois par le pre-
mier des ducs Valois de Bourgogne, Philippe le Hardi, dans le cadre de la
constitution du premier État bourguignon, fournit donc, à cet égard, un cas
d’école – assez remarquable – pour qui s’intéresse tant soit peu à la prise en
compte de la variable « espace » par un pouvoir souverain en gestation. Le
souci du duc de parvenir à mieux contrôler l’espace comtois apparaît dans
la gestion d’une crise majeure, celle de l’affaire dite « des péages », entre 1390
et 1402. Cette crise oppose une fois de plus le prince à son plus grand vassal
comtois, le baron Jean III de Chalon-Arlay ; elle s’articule autour du problème
des flux commerciaux, et des péages qui cherchent à les capter, péages princiers,
péages seigneuriaux. À partir d’un enjeu matériel très concret, qui est celui de
la fixation des bornes péagères – les mectes et termes – détenues par Jean de
Chalon-Arlay, s’ouvre alors un débat sur la nature même des péages du prince
et de ceux de ses sujets nobles. Il est manifeste, alors, que l’affaire ne se réduit
pas à une simple querelle de bornage, mais touche aux fondements mêmes du
pouvoir du Prince : l’enjeu n’est rien moins que celui de la définition, matéria-
lisée par des marqueurs physiques concrets, d’un espace économique, qui est
aussi celui – éminemment politique – de la souveraineté princière.

L’affaire des péages du sire de Chalon-Arlay

L’affaire dite « des péages » voit donc s’affronter, autour du problème du


contrôle des routes commerciales, le duc de Bourgogne et le sire d’Arlay. Il
s’agit d’un conflit très bien documenté par nombre de pièces de procédure, des
interrogatoires de témoins et une correspondance fournie. Ce conflit débute,
semble-t-il, à la fin de l’automne de l’année 1390 ; il se prolonge jusqu’en 1402,
et seule l’intervention « musclée » du duc, en juillet 1402, semble y mettre fin.

L’objet du conflit : un « nouveau » péage en Franche-Comté


Cette même année 1390, Jean III de Chalon, sire d’Arlay, et principal baron
de Franche-Comté, prend l’initiative d’arrêter les marchands passant par sa
bonne ville de Champagnole pour leur y faire payer péage, une « novelleté »
dont les intéressés vont se plaindre derechef à l’autorité princière, en la per-
sonne de l’épouse de Philippe le Hardi, la duchesse Marguerite de Flandre ;
celle-ci, d’emblée, interdit alors au sire d’Arlay de poursuivre perception de
ce péage.

188
Définir l’espace économique, imposer l’autorité politique

Cette prétention à lever des taxes sur les marchands et voituriers « menans
danrees » à travers les routes jurassiennes via Champagnole, puis Saint-
Laurent-la-Roche, deux villes du Jura appartenant au sire d’Arlay, n’était
pourtant pas sans fondements juridiques, car elle reposait sur l’interprétation
large d’une concession impériale majeure remontant à 1288, celle du péage de
Jougne. Le 17 septembre 1288 exactement, au camp devant Berne, Rodolphe
de Habsbourg, roi des Romains, avait concédé à perpétuité à son beau-frère,
Jean Ier de Chalon-Arlay, ancêtre de Jean III, le droit de percevoir dix sous
lausannais de taxe sur « chaque balle, ou sac, ou trousse, ou fardeau, contenant
la valeur d’une balle ou environ de laine, drap, toile, poivre, peaux et autres
marchandises […] qui transiteraient par son chatel de Jougne 3 ». Mais l’acte
comportait surtout un privilège bien plus vaste, promis à toutes les interpréta-
tions : afin de pouvoir assurer financièrement la conduite des marchands, pour
laquelle le revenu du seul péage de Jougne se révélait notoirement insuffisant 4,
le sire d’Arlay se vit accorder en sus, et à perpétuité, le droit de percevoir sur
les marchandises en provenance de Besançon ou d’ailleurs, qui transiteraient
à travers les archidiocèses de Besançon, Lyon, Vienne et le diocèse de Valence,
un droit de six sols par balle de laine ; disposition qui n’ouvrait à Jean de
Chalon pas moins que la perspective d’un monopole du péage lainier dans
les pays de l’Entre-Deux. Longtemps considérée comme apocryphe du fait de
son ampleur, cette double concession de 1288 trouve en réalité son explication
dans les excellentes relations que le sire de Chalon-Arlay entretenait alors avec
l’Empire. En cette fin du xiiie siècle, où l’influence française sur la Comté était
croissante et indéniable, le roi des Romains se cherche un représentant et un
champion capable d’y contrecarrer la présence française 5. Et Jean de Chalon se
vit précisément concéder ce rôle lors de l’accord de Berne de 1288. L’octroi de
privilèges commerciaux importants fut sans conteste un moyen de rémunérer,
à la mesure des services attendus, le nouvel allié de l’empereur 6.

3. Le texte de l’acte figure en tête des privilèges accordés à la maison de Chalon-Arlay par l’empe-
reur Albert en 1299 : voir B. Prost, S. Bougenot (éd.), Cartulaire d’Hugues de Chalon (1220-
1319), publié d’après le manuscrit original du British Museum, Lons-le-Saunier, Declume, 1904,
p.  16-18, au no  17 ; une autre version, dotée de quelques variantes, figure dans V.  Chomel,
J. Ebersolt, Cinq siècles de circulation internationale vue de Jougne, Paris, Armand Colin (Centre
de recherches de l’École pratique des hautes études, VIe section. Ports, routes et trafics, 2), 1951,
p. 169-170, à la pièce justificative no 1.
4. cum pedagium actenus castro de Joigne recepi conductum onera conductus non valeat supportare.
5. V. Chomel, J. Ebersolt, Cinq siècles de circulation internationale…, op. cit., p. 35.
6. Cette première charte fut, du reste, suivie d’autres concessions, non moins prestigieuses :
l’inféodation de la seigneurie de Neuchâtel (1288), le droit de battre monnaie (1291) ; enfin,
l’avouerie de l’abbaye Saint-Oyand-de-Joux, plus connue sous le nom de Saint-Claude (1291).

189
michelle bubenicek

Du point de vue strictement économique, la concession de 1288 était donc


considérable, car, si le point d’ancrage du péage à percevoir par le sire d’Arlay
était bien a priori le bourg de Jougne, la disposition annexe concernant le
contrôle du trafic de la laine était riche de potentiel, puisque aucun péage
précis ne s’y rattachait. À cet égard, le péage de Jougne était donc virtuellement
extensible. Le pas fut apparemment franchi par les sires d’Arlay, comme nous
venons de le signaler, à la fin du xive  siècle, dans un contexte économique
précis qu’il convient maintenant d’expliciter, qui est celui de la modification
des routes et des flux commerciaux.

L’impact de l’évolution des routes et flux commerciaux


Jusqu’à la fin du xive siècle en effet, les seigneurs de Chalon-Arlay, déten-
teurs de Jougne et de son péage, parurent se satisfaire du revenu de cette seule
place, car les flux commerciaux en provenance ou à destination de l’Italie y
convergeaient justement. Dès le xiiie siècle, l’un des soucis principaux des sires
de Chalon avait été de contrôler le point de passage de la Cluse de Pontarlier,
couloir qui permettait aux marchands transitant entre les plaines italiennes et
les foires de Champagne, ou, plus au nord, les centres industriels de Flandre
et de Picardie, de franchir le Mont-d’Or 7. Les deux plus grands foyers écono-
miques étaient l’Italie et les Pays-Bas, dont l’activité principale, celle du drap,
continuait à déterminer les échanges européens, et le trafic qui s’y rapportait
venait précisément de délaisser le sillon rhodanien pour emprunter de nou-
veaux itinéraires à travers les cols alpestres, la Lorraine et la vallée du Rhin, une
renaissance des routes lotharingiennes qui avantagea Jougne, au détriment des
foires de Champagne dont le déclin apparaît consommé au cours du premier
tiers du xive siècle.
La modification des routes commerciales au cours du xiiie siècle fit donc
la fortune du péage de Jougne et, partant, celle des sires de Chalon-Arlay qui
tirèrent à Jougne, pendant deux siècles environ, le plus grand profit du « grand
commerce international ». On peut ainsi situer l’apogée du péage de Jougne
vers la fin du xive siècle 8.
Au tournant des xive et xve  siècles, cependant, le déplacement de l’axe
des communications italo-nordiques de Milan à Genève infléchit une nou-
velle fois le fonctionnement du péage, car les circuits routiers et les itiné-

7. C’est en 1266 que Jean de Chalon l’Antique achète à de petits seigneurs de la région de
Pontarlier – Étienne, Ferri et Othenin de Bannans ; Hugues de Pontarlier et Guy de Mièges – le
bourg de Jougne, la maison-forte et le péage attenant, alors que les abbés de Montbenoît et de
Mont-Sainte-Marie se portent garants de la transaction : B. Olivier, M. Malfroy, J. Guiraud,
Histoire de Jougne, Besançon, Cêtre, 1988, p. 29.
8. V. Chomel, J. Ebersolt, Cinq siècles de circulation internationale…, op. cit., p. 77.

190
Définir l’espace économique, imposer l’autorité politique

raires en furent eux aussi modifiés. Cette phase critique pour l’existence du
péage de Jougne s’ouvre entre  1399 et  1410 du fait d’une dérivation d’une
partie des échanges transitant auparavant principalement entre Pontarlier
et le plateau suisse. Il faut en rendre responsables plusieurs facteurs : l’éveil
commercial et industriel de ce même plateau suisse et des pays rhénans, qui
fournissent désormais eux aussi du drap et des tissus, le déplacement vers l’est
des industries textiles des Pays-Bas et, surtout, l’essor des foires de Genève,
qui deviennent le nouveau rendez-vous d’affaires et point de rencontre des
courants commerciaux du Nord et du Midi. Les marchands du Nord qui fré-
quentent d’abord les places de Dijon et de Chalon convergent ensuite volon-
tiers vers Genève et ses foires qui offrent désormais les épices et les articles
des industries de luxe italiennes. Ce nouveau circuit de Dijon à Genève ou
de Chalon à Genève s’établit définitivement vers 1400, grâce à des liaisons
plus rapides que celle passant par Salins, Pontarlier et Jougne : celles du Jura
méridional (par Gex – Saint-Oyand – Orgelet – Saint-Laurent-la-Roche –
Bellevesvre ou Gex – Saint-Oyand – Champagnole – Salins – Augerans –
Saint-Jean-de-Losne), et la voie bressane, menant par les plaines de la Saône
de Chalon jusqu’à la Cluse de Nantua (fig. 1).
C’est à la lumière de ce contexte précis qu’il faut comprendre la tentative
de perception par les Chalon d’un péage à Champagnole, puis Saint-Laurent-
la-Roche : Hugues de Chalon-Arlay, puis son neveu Jean III, ne purent assis-
ter au relatif déclin de leur péage de Jougne, délaissé du fait des nouveaux
itinéraires, sans tâcher d’y remédier. À Champagnole, qui constituait aussi un
point de convergence des flux issus de (ou se dirigeant vers) Bâle, Fribourg et
Neuchâtel, on pouvait être assuré de capter tant une partie des flux créés par
les nouveaux itinéraires vers Genève, que ce qui subsistait des anciens. Le sire
d’Arlay pouvait alors espérer combler le manque à gagner de la désaffection du
péage de Jougne, lequel devait d’ores et déjà être très sensible, car, à l’extrême
fin du xive siècle, les rentrées d’argent procurées par Jougne à Jean de Chalon
équivalaient au moins au revenu d’une ville comme Bâle, et représentaient près
des trois quarts de ses revenus seigneuriaux 9. Le péage de Champagnole paraît
bien avoir été envisagé d’emblée comme une solution de compensation à la
moindre rentabilité de la passe de Jougne.

9. Comptage effectué par V. Chomel et J. Ebersolt (ibid., p. 90), à partir des comptes du receveur
du péage de Jougne pour 1393-1394 : le péage rapporte environ 2 475 florins, quand le péage et
le banvin de Bâle rapportent à son évêque environ 2 223 florins ; le péage est donc au moins
égal, sinon supérieur au revenu de Bâle. Le revenu total de la seigneurie de Jean de Chalon,
en 1394, étant d’environ 3 377 florins, avec 2 475 florins pour le péage de Jougne, on atteint
presque les 75 %.

191
michelle bubenicek

Fig. 1 – Les routes et les péages dans la Comté du xve siècle. © M. Bubenicek.

L’intitulé donné, dans les sources, au péage de Champagnole ne laisse en


tout cas aucun doute sur l’origine qui était celle de ce « nouveau » péage : « a
recevoir le peage de Jougne en la ville de Champaignole 10 ». Il s’agit bien du
péage de Jougne, que Jean  III prétend désormais percevoir plus à l’ouest ;

10. Arch. dép. Doubs, B 457 : acte de la duchesse Marguerite, en date du 13 janvier 1395 (nou-
veau  style), par lequel la duchesse exempte la femme et la fille du receveur du péage de
Champagnole, Nicolas Oiselet, de comparaître en personne aux assises d’Aval.

192
Définir l’espace économique, imposer l’autorité politique

une interprétation « large » et opportuniste de la concession impériale de 1288,


justement contestée par le pouvoir ducal bourguignon.

Un péage mobile ? La version de Jean III de Chalon-Arlay

Mais le sire d’Arlay était-il autorisé à déplacer, comme bon lui semblait, les
« bornes » matérielles de son péage de Jougne ? Les barrages que constituaient
les péages étaient des constructions légères dressées aux points de passage des
marchands, des constructions par nature facilement transportables au lieu le
plus favorable, s’agissant la plupart du temps de claies –  sorte de treillages
servant de clôtures –, d’où, par exemple, le nom de « Clées » pour désigner le
péage du versant oriental du Jura, dépendant du comte de Savoie. En 1299, en
tout cas, le même péage de Jougne avait déjà été déplacé, semble-t-il, sur ordre
de l’empereur, à Lucerne, où il était resté deux ans durant 11. En 1393-1395, en
outre, la place de Jougne, qui avait fait l’objet d’une confiscation par le duc de
Bourgogne suite à la rébellion du sire d’Arlay, n’était plus disponible : le fait
pouvait expliquer que Jean III ait eu à cœur de percevoir ailleurs sa principale
source de revenus… En 1402, cependant, alors même qu’il s’est vu restituer sa
place de Jougne, c’est bien plus à l’ouest, à Saint-Laurent-la-Roche cette fois,
que le sire d’Arlay fait arrêter les marchands, toujours sous le prétexte de leur
faire acquitter son « péage de Jougne 12 ». En déplaçant de la sorte le péage à sa
guise, en saisissant, à Saint-Laurent-la-Roche ou ailleurs, les chargements des
marchands refusant de lui verser le tonlieu, Jean de Chalon se juge en tout cas
parfaitement dans son droit, car il interprète les nouvelles routes empruntées
par les marchands comme autant de tentatives de fraude de son péage originel
de Jougne ; « peaige brisié » est, en effet, l’expression qu’il emploie constam-
ment pour qualifier le comportement de ces mêmes marchands : « m’a dit que
les dictes denrees lui sont commises et escheues a cause de son dit peaige brisié,
et que point de restitution d’icelles n’an feroit 13 ».
L’argumentaire déployé par Jean III de Chalon-Arlay pour justifier la mobi-
lité de son péage de Jougne apparaît sans doute de la façon la plus complète
dans la lettre qu’il adresse, le 11 mars 1402, aux conseillers du duc siégeant à

11. M.-T. Allemand-Gay, Le pouvoir des comtes de Bourgogne au xiiie siècle, Paris, Les Belles Lettres
(Annales littéraires de l’université de Besançon, 368/Cahiers d’études comtoises, 36), 1988,
p. 267.
12. « lidit seigneur d’Arlay m’a respondu que les dictes denrees sont passeex par les mectes, termes
et destrois de son peaige de Joigne, sanz paier icelluy peaige d’icelles… » : arch. dép. Doubs,
B 457 : acte du 11 mars 1402 (nouveau style).
13. Ibid.

193
michelle bubenicek

Chalon 14. Il se défend ainsi d’avoir institué à Saint-Laurent-la-Roche ou dans


les localités proches une « nouveauté » en matière de péage, puisqu’il s’agit en
fait toujours d’une extension de celui de Jougne :
Chers et grans amis, j’ay receu voz lettres faisant mention que de novel
je vuilz levez certain piaige ou conté de Bourgoigne, que onques ne
furent accostumez de recevoir ; […] mes il n’en est riens, mes est tout
le contraire veray…
Jean de Chalon explique avoir agi pour remédier aux agissements de mar-
chands « mesusants », c’est-à-dire prêts à tout pour contourner son péage ; il
rappelle que le péage de Jougne est une concession impériale, confirmée depuis
lors par les comtes de Bourgogne, et qu’il n’a fait qu’intervenir du fait de cet
antique privilège 15.
Le raisonnement du sire d’Arlay concernant son péage de Jougne est donc
très clair. Privilège lui a été donné, en 1288, de percevoir taxe sur tous les
chargements franchissant la passe de Jougne, mais, du fait du caractère large
de la concession, il l’interprète surtout comme le droit de percevoir taxe sur
tous les convois transitant par ses terres du comté de Bourgogne et ce, quelle
que soit la route empruntée. Son procureur n’affirme-t-il pas, du reste, après
quelque hésitation, aux conseillers du duc qui l’interrogent sur le lieu précis
de perception du péage de Jougne, que « ledit seigneur d’Arlay le pouvoit faire
recevoir la ou bon li sembloit 16 » ?
Pour Jean de Chalon, la gestion du péage n’était donc pas seulement affaire
de routes commerciales, mais aussi et peut-être surtout affaire de droits à faire
valoir, des droits aussi politiques qu’économiques : nul marchand désireux de
franchir le Jura ne pouvait pas ne pas tenir compte de la puissance du sire
d’Arlay dans la région et se devait en quelque sorte de la reconnaître, en s’ac-
quittant auprès de lui des taxes afférentes. Il s’agissait de continuer à s’imposer
comme l’un des maîtres du comté, avec lequel les pouvoirs extérieurs et leurs

14. Arch. dép. Doubs, B 458 : la lettre est seulement datée du quantième (11 mars) ; nous avons resti-
tué l’année grâce à l’enchaînement des faits contenus dans les diverses pièces de correspondance.
15. « quar y ne fut onques depuis si longtemps ença qu’il n’est memoire du contraire que toutes
fois que marchans ont passez par le païs du conté de Bourgoigne senz aler ou venir paier le
piaige de Joigne, que les denrees n’y aient estez prises par les gens de mes devanciers et de moy
toutes foys qu’il ont estez trovez mesusant ; et de ce j’ay bonnes lettres donnees des emperours
et confermees des contes de Bourgoigne… ».
16. Arch. dép. Doubs, B 458 : document daté du 11 avril [1402] : « interrogué ou l’on avoit acous-
tumé soy acquitter a paier ledit paaige, dist et afferma que audit lieu de Jouigne avoit acous-
tumé estre paié et, depuis grant intervalle de temps, dist que ledit seigneur d’Arlay le pouvoir
faire recevoir la ou bon li sembloit ».

194
Définir l’espace économique, imposer l’autorité politique

marchands se devaient, comme dans un passé glorieux – celui du xiiie siècle –,


de négocier pour pouvoir faciliter leurs échanges et leurs transactions 17.
Dans sa missive du 11 mars 1402 aux conseillers de Philippe le Hardi, le
sire d’Arlay se place ainsi, de façon très significative, sur un pied d’égalité par
rapport au duc : il s’étonne de son absence de réaction, et l’avertit avec une
bienveillance qui confine à la condescendance des dangers d’une politique trop
tolérante à l’égard des marchands : l’urgence, affirme-t-il, consiste à trouver
une solution commune au problème des marchands fraudeurs, dans la mesure
où ce problème affecte à égalité l’exercice de son autorité comme celle du
duc : « l’ay enchargiez de vous parler sur le fait d’aucuns marchans quilz font
chemin novel en furviant les piaiges, dont Monseigneur a tres grant domaige
et moy aussi 18… ». Mais c’est justement ce ton d’égalité que ne pouvait tolérer
un prince souverain, désireux quant à lui de s’assurer en toute exclusivité du
contrôle d’un « espace public » en pleine définition.

L’enjeu du conflit pour le Prince :


définir l’espace économique, définir l’autorité

Le contrôle d’un espace précis passe de toute évidence par sa définition. Cet
effort est très sensible, chez le duc et ses équipes, à propos de l’affaire des
péages. Car l’interdiction de nouveaux péages seigneuriaux de Champagnole
et de Saint-Laurent-la-Roche, puis la fixation précise du péage de Jougne sont
finalement autant d’occasions pour le pouvoir princier de définir une « zone
externe » au comté, celle de la frontière, sur laquelle le duc-comte affiche des
prétentions réduites ; et une « zone interne » constituée par le reste de la pro-
vince, ensemble quant à lui soumis au seul contrôle du prince.

Fixer les limites


L’ensemble du dossier tourne, on l’a vu, autour de la prétention de Jean de
Chalon à étendre son péage de Jougne à n’importe quelle localité faisant partie
de ses domaines seigneuriaux (« ledit seigneur d’Arlay le pouvoit faire recevoir
la ou bon li sembloit »). Or, l’effort du prince et de ses équipes va au contraire
consister à cantonner, autant que faire se peut, les prétentions péagères du sire
d’Arlay aux seules frontières du comté, à partir du péage de Jougne. L’intéressé

17. Les nombreuses négociations menées avec le sire d’Arlay, maître du péage de Jougne, au cours
des xiiie et xive siècles, sont détaillées par V. Chomel, J. Ebersolt, Cinq siècles de circulation
internationale…, op. cit., aux premiers chapitres de l’ouvrage.
18. Arch. dép. Doubs, B 458 : document daté du 9 avril [1402].

195
michelle bubenicek

se fondait certes, pour étayer ses prétentions, sur l’acte impérial de 1288 19.
Qu’à cela ne tienne, après s’être vu confirmer la non-existence d’un diplôme
impérial plus récent, qui aurait pu conforter davantage encore la position du
sire d’Arlay 20, les conseillers du duc vont s’acharner à prouver que, depuis 1288,
les taxes acquittées du fait de Jougne n’ont jamais été perçues ailleurs en Comté
que dans la localité frontalière 21. Deux enquêtes par témoins sont ainsi menées
en mars 1402 22, dans le but de prouver l’évidente « nouvelleté » de l’extension
du péage. De fait, tous les témoins interrogés – marchands ou simples voitu-
riers – affirment que, de toute leur vie, jamais ils n’ont versé de taxe péagère
aux nouvelles étapes instituées par le sire d’Arlay, qu’il s’agisse d’Orgelet ou
de Saint-Laurent-la-Roche 23, qu’ils n’ont jamais entendu parler de tels péages
et qu’il s’agit bien d’une extorsion pure et simple de la part de l’autorité sei-
gneuriale 24. Le péage exigé par Jean de Chalon sur la route de Saint-Claude à
Orgelet était, en revanche, tout récent et remontait à deux ans au plus.
La question des « mectes et termes » ou des « mectes et destrois » du péage de
Jougne, c’est-à-dire de ses limites matérielles précises, est en outre centrale dans
les interrogatoires, comme dans la correspondance échangée par les conseillers
du duc. L’affaire est l’occasion de réaffirmer qu’un péage a ses limites, des limites
qu’il convient de ne pas dépasser sous peine d’empiéter sur la juridiction v­ oisine :

19. « et de ce j’ay bonnes lettres donnees des emperours et confermees des contes de Bourgoigne »
(propos de Jean de Chalon-Arlay, en date du 11 mars 1402 : arch. dép. Doubs, B 458) ; « maistre
Jehan de Chatenay, procureur et en nom de procureur dudit seigneur d’Arlay, lequel a presenté,
monstré aus diz messieurs du conseil et des comptes le vidimus fait soubz le seel de la court de
Monseigneur en son conté de Bourgoigne d’une lettre de l’ampereur Raoul, donnee en l’an CC
IIIIxx VIII, et d’une confirmation du conte Othe de Bourgogne, donnee l’an CC IX [sic pour
CCC IX] faisant mention dudit paaige de Jouigne » (ibid., document daté du 11 avril 1402).
20. « et disoit, sur ce interrogué par mes diz seigneurs, que ledit seigneur d’Arlay n’en avoit aucuns
aultres tiltres… » (propos du procureur de Jean de Chalon, interrogé par les conseillers ducaux,
le 11 avril 1402 : ibid.).
21. Nous avons mentionné, plus haut, un déplacement de plus de deux ans du péage à Lucerne,
en vertu d’une décision impériale, mais c’était en dehors du comté.
22. Arch. dép. Doubs, B 458 : 4 témoins interrogés sur ordre du procureur du duc.
23. Voir, par exemple, l’enquête du 13 mars, de loin la plus complète et la plus détaillée : « Estevenon
Lievre, de Gez, voicturier par terre […] il a acoustumé continuelment de frequenter ung
chacun an les foires de Chalon chaudes et froides, et de y admener et en ramener des denrees
aucunes fois par chemin devisié en l’intitulation dessus escripte et aucunes fois prenre son
chemin dois Saint Claude a Moran, dez Moran a Orgellot, des Orgellot a Louans et des Louans
a Chalon, sens ce que oncques devant le temps dessus dit aucun peaige lui fust demandé a
cause ne pour occasion du peaige de Jouigne » ; ou encore : « François Maignien, de Crusilles
ou conté de Geneve, muletier de bestes par terre […] il ne oïst oncques dire ne sceust que en
venant par les chemins dessus diz messire Jehan de Chalon ne ses gens demandassent a aucuns
voicturiers aucun peaige pour occasion du peaige de Jouigne ».
24. « dient que ce que messire Jehan de Chalon ou ses gens ont fait a present, c’est assavoir de
demander peage sur les dis chemins a cause du peage de Joigne, est une nouvelleté de nouvel
estontrouiiee, et que les gens du pais le tiegnent ainsi ».

196
Définir l’espace économique, imposer l’autorité politique

« n’avoient point forfait le dit paage de Jouigne, ouquel a certains destroiz et


conduite, limitez ou debornés des autres destroiz, paages et chemins du conté
de Bourgoigne 25 ». Et s’il est admis qu’un péage puisse, par nature, être éventuel-
lement déplacé, son rayonnement extrême semble, pour autant, ne pas devoir
dépasser dix lieues au maximum : « que en venant par ledit chemin ancien, l’on
ne pouvoit approchier ledit chastel de Jouigne de environ X lieues 26 ». Il appa-
raît ainsi qu’un léger « débordement » du péage dans une localité relativement
proche de Jougne aurait éventuellement pu être admis, mais qu’une perception
à plus de « dix lieues » entrait dans la catégorie de l’extorsion pure et simple.
De la même manière, l’enquête menée permet aux officiers du duc d’attirer
l’attention du prince sur le fait que le sire d’Arlay n’a pas hésité à sortir des
limites de ses domaines, pour arrêter marchands et cargaisons, ce qui constituait
une évidente violation du domaine comtal : « messire Jehan de Chalon, signeur
d’Arlay, a prins ou fait penre en la ville de Saint-Muer, hors de ses metes, justice
et destrois, unze charges des dictes danrees, et mener ou fait mener en son chas-
tel de Saint-Laurent-de-la-Roiche 27 ». Pour les équipes ducales, il va sans dire
que les marqueurs de la puissance seigneuriale sont fixes et ne peuvent guère
être modifiés, mais, de toute évidence, cet effort de définition dans le sens de la
fixation ne touche que les péages et les contours des domaines seigneuriaux, car
les péages et le domaine du prince sont, eux, d’une tout autre nature.

Espace et souveraineté : vers la notion de « domaine publique » ?


L’affaire des péages, qui met bien l’accent sur les marqueurs physiques que
constituent les « mectes et termes », fournit en effet au duc l’occasion de réaffir-
mer à la fois les limites qui sont celles des différents types de domaines comme
des autorités correspondantes, les deux concepts étant évidemment liés. Dans
sa lettre datée du 22  juillet 1402, par laquelle il met en quelque sorte fin à
l’affaire des péages, Philippe le Hardi emploie un ton volontairement tran-
chant et des formules impératives, pour définir clairement en quoi consistent
un domaine et une autorité de seigneur, par contraste avec l’espace où s’exerce
la souveraineté du prince :
selon droit et raison, aucuns de noz subgez de nostre dit conté de
Bourgoigne, de quelque estat qu’ilz soient, ne puissent sur les marchans
ou leur denrees et marchandises passans par nostredit conté de Borgoigne

25. Arch. dép. Doubs, B 458 : document du 11 avril 1402.


26. Ibid. ; voir aussi les lettres du duc Philippe, en date du 22 juillet 1402 : « denrees et marchandises
passans par nostre dit conté, ja soit ce qu’elles ne passent aucunement par sa dicte ville de
Joigne et qu’elles n’approchent d’icelle de six ou de huit lieues… ».
27. Ibid. : lettre du bailli d’Aval en date du 26 avril 1402.

197
michelle bubenicek

eslever ne mectre suz nouvel peage, ne aussi les anciens peages extendre
ne lever autrement qu’il est accoustumé d’ancienneté.
L’emploi de l’expression « aucuns de noz subgez […] de quelque estat qu’ilz
soient » est sans appel ; on ne saurait être plus clair dans la description par l’au-
torité souveraine d’un bloc de sujets tous soumis au même régime, qui est celui
de l’observance de la coutume dont le prince est en quelque sorte le garant. Et,
en dépit de son statut de baron, Jean de Chalon-Arlay, le principal visé par les
lettres ducales, n’échappe pas à la règle (« de quelque estat qu’ilz soient ») ; pour
le duc, il est ainsi manifeste que le sire d’Arlay est en définitive autant « sujet »
qu’un autre… Une vraie révolution mentale pour l’intéressé, considérant son
état d’esprit qui est, plus généralement, celui de la haute noblesse confrontée
aux progrès de la souveraineté.
Pour le duc et ses agents, le contenu du domaine comme du pouvoir d’un
« simple » seigneur sont donc limités : ils ne sont ni modifiables, ni extensibles
conformément au seul souhait de leur détenteur. Pas d’exception, donc, en matière
de péage pour le grand baron Jean de Chalon, prié de se contenter de l’existant, à
savoir de son péage frontalier de Jougne. Car, en souhaitant étendre son pouvoir,
c’est forcément sur le « comté » qu’empiète le vassal présomptueux, une notion
qu’il faut de toute évidence entendre ici comme l’espace soumis au contrôle du
prince dans l’intérêt général 28 : « sur toutes les denrees et marchandises passans
par nostre conté… ». Grâce au concept de « bien publique », pleinement exprimé
comme tel dans l’ensemble du dossier 29, puisqu’il s’agit de protéger l’intérêt de
ses marchands comme de ses gouvernés, l’aire d’action du prince vise désormais
la principauté dans son intégralité, au-delà des enclaves et des domaines annexes.
Dans ce but de protection, certains marqueurs physiques autres que les
« mectes et termes », correspondant aux péages, sont alors d’une aide précieuse,
tel le « grant chemin » qui quadrille le territoire et constitue, en Bourgogne
ducale notamment 30, un sous-espace directement soumis au contrôle p ­ rincier 31.

28. Tout comme le terme de « royaume » est doté d’une compétence générale, allant au-delà de la
notion de « domaine royal », puisqu’il comprend aussi les fiefs.
29. Voir supra les termes cités.
30. Concernant les voies publiques, l’apport des commentateurs des constitutions de Sicile au
xive siècle est primordial (voir G. Leyte, Domaine et domanialité dans la France médiévale [xiie-
xve siècles], Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1996, p. 58 et 73 et suiv.), mais il
faut noter que la coutume de Bourgogne reconnaissait aussi au duc la connaissance expresse de
tous les délits commis sur les « grands chemins », au motif qu’ils étaient pour lui des « héritages »
en justice et seigneurie (M. Petitjean, M.-L. Marchand [éd.], J. Metman [dir.], Le coutumier
bourguignon glosé [fin du xive siècle], Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1982,
p. 86 et 198-199).
31. D’une manière générale, fleuves et voies de communication furent, en effet, d’une grande
utilité dans la construction progressive d’un « espace public » garanti par le prince : G. Leyte,
Domaine et domanialité…, op. cit., p. 170-171.

198
Définir l’espace économique, imposer l’autorité politique

Dans le dossier de l’affaire des péages, la notion est récurrente : on insiste sur
les « drois chemins anciens frans de peaiges » empruntés d’antiquité par voi-
turiers et marchands 32. De même, l’arrestation de voituriers par les agents du
sire d’Arlay est dite avoir été effectuée « ou grant chemin 33 », donc en violation
manifeste de la sauvegarde ducale qui s’appliquait normalement à ce type d’iti-
néraire 34. Avec celle de « bien publique », seule la notion de « grant chemin »
semble permettre d’affirmer la capacité du duc à intervenir sur des biens rele-
vant a priori du domaine privé 35, tels les péages possédés de longue date par des
seigneurs locaux comme le sire d’Arlay. Le duc affirme ainsi progressivement
sur tout le territoire du comté, lié à la sécurité et à la nécessaire affectation
publique, un monopole qui apparaît surtout comme une expression de la sou-
veraineté 36. La politique ducale concernant le sel procédera aussi, du reste, de
cette même conception d’un territoire de la souveraineté susceptible d’englo-
ber jusqu’à l’activité économique : Philippe le Hardi emploiera ainsi, en 1397,
concernant le problème de la réglementation des cours du sel, l’expression de
« debat qui touche grandement notre souverainneté et domaine 37 », traduc-
tion exacte des deux termes latins de dominium et de domanium, employés
conjointement par les juristes du xive siècle pour distinguer la supériorité et
la puissance du prince (le dominium), d’un des espaces de déploiement de
cette même supériorité, le « domaine » (le domanium) ; une distinction bien
présente, notamment, chez les commentateurs des Constitutions du royaume
de Sicile 38.
Pour le duc de Bourgogne, il est ainsi manifeste que contrôler l’espace comtal
en y consacrant éventuellement de nouveaux péages revient donc au prince et à
lui seul, garant du « bien commun » ou du « bien publique 39 », et ne constituait
en aucun cas l’attribution d’un « simple » seigneur, fût-il baron. Interdire au sire
d’Arlay d’« étendre » son péage de Jougne fut donc, de toute évidence, du côté

32. Arch. dép. Doubs, B 458 : lettre du 26 avril 1402.


33. Ibid. : lettre du 11 avril 1402 : « V charges d’espicerie et VI charges de pierre de faulx, que messire
Jehan de Chalon […] avoit fait prandre sur les diz voicturiers ont grant chemin pres de Saint
Maur… ».
34. Sur la notion de « grant chemin », voir E. Perrot, Les cas royaux. Origine et développement de la
théorie aux xiiie et xive siècles, Paris, Rousseau, 1910, p. 98-106.
35. Sur cette notion de « biens privés », sur lesquels la capacité d’intervention du souverain est a
priori très limitée, sinon inexistante : G. Leyte, Domaine et domanialité…, op. cit., p. 89-91.
36. Tout comme le roi de France joue, en Guyenne, de la souveraineté, face à un roi anglais qui
brandit obstinément la « carte féodale » : J.-P. Genet, « La typologie de l’État moderne, le droit,
l’espace », dans N. Coulet, J.-P. Genet (éd.), L’État moderne…, op. cit., p. 7-14, note p. 13.
37. Arch. dép. Doubs, B 278 : acte du 17 août 1397, donné à Arras.
38. G. Leyte, Domaine et domanialité…, op. cit., p. 58-59.
39. « pour ce que nous ne voulons celes entreprises dampnables contre le bien commun passer
soubz dissimulacion ».

199
michelle bubenicek

du duc également, une affaire bien davantage politique qu’économique : était


en jeu rien moins que le contrôle de l’espace public, auquel prétendait encore,
d’une certaine manière, Jean de Chalon, fort de sa condition de baron et du
privilège qui avait été conféré en 1288 à son illustre ancêtre, à une époque où,
précisément, le détenteur du titre comtal était faible et son principal vassal,
le sire de Chalon-Arlay, puissant 40. Si Jougne et ses dépendances immédiates
demeuraient ainsi une zone de pure tradition impériale où l’influence d’un
prince français était susceptible de rencontrer une ou plusieurs oppositions
de principe, Philippe le Hardi était de toute évidence déterminé à cantonner
dans cette zone délicate, « zone externe » à son autorité, le sire d’Arlay et ses
prétentions péagères. Toute autre vue sur la « zone interne », c’est-à-dire le reste
du comté, était, en revanche, de fait interdite à Jean de Chalon-Arlay.
Il apparaît ainsi qu’à l’intérieur du comté et en matière de péages, la souve-
raineté du prince, par définition d’une seule pièce, ne se partage aucunement :
tant la régulation des flux commerciaux que la répression de la fraude et le
maintien de l’ordre devaient appartenir au duc et à ses équipes, et constituer
l’amorce d’une véritable « politique économique ». L’enquête sur la fraude, puis
la confiscation effectuée comme sanction sur les marchands reconnus cou-
pables de ce délit, pratique courante chez les agents du duc, furent ainsi, à par-
tir de l’affaire des péages, catégoriquement déniées au baron Jean de Chalon,
pour devenir une prérogative exclusive du prince souverain 41.
Au tournant des xive et xve siècles, le volumineux dossier de l’affaire des
péages comtois permet donc de mettre au jour, d’une façon très nette, dans le
contexte qui est celui de la construction d’un État princier – l’État bourgui-
gnon –, l’incompréhension notoire qui pouvait exister entre le Prince – ici,
le duc-comte de Bourgogne – et certains de ses compétiteurs politiques, tel
son principal vassal comtois, Jean III de Chalon-Arlay, à propos de la nature
et des enjeux de la souveraineté princière. Il est manifeste en l’occurrence que
le sire d’Arlay ne peut ni ne veut pas comprendre la conception nouvelle qu’a

40. Au moment de la reconnaissance du péage par le roi des Romains, le comte Othon IV et
Jean Ier de Chalon-Arlay s’affrontaient d’ailleurs déjà pour le contrôle d’un espace précis, celui
de la frontière du comté au niveau de la Cluse de Pontarlier : en réplique au péage de Jougne,
reconnu par privilège impérial, le comte de Bourgogne Othon IV avait en effet tenté de créer
à son profit un péage concurrent à Pontarlier et d’interdire le passage à Jougne, mais il avait
dû y renoncer en 1293, tant faute d’accord impérial qu’en raison des remontrances du roi
Philippe le Bel : V. Chomel, J. Ebersolt, Cinq siècles de circulation internationale…, op. cit.,
p. 72, note 47 ; nouvelle analyse du dossier dans M.-T. Allemand-Gay, Le pouvoir des comtes…,
op. cit., p. 270-271.
41. Sur ces nouvelles « exclusivités » comtales, je me permets de renvoyer à M. Bubenicek, Entre
rébellion et obéissance. L’espace politique comtois face au duc Philippe le Hardi (1384-1404),
Genève, Droz (Rayon Histoire, 2), 2013, au chap. 8, p. 322 et suiv.

200
Définir l’espace économique, imposer l’autorité politique

Philippe le Hardi de l’espace comtois : liée à l’émergence de la notion d’intérêt


public dont le prince apparaît comme le garant, celle d’une zone à pacifier et
à contrôler en toute exclusivité et le plus étroitement possible, par le biais,
notamment, d’une politique économique imposée, autrement dit : un espace
territoire de la souveraineté.

201
Lo stato, il diritto, il territorio
Dominazione territoriale e crisi
del modello giuridico nel pensiero politico
italiano del XVI secolo  1

romain descendre
École normale supérieure de Lyon/IUF

E’ in seno al pensiero politico italiano del XVI secolo che s’impone, per la


prima volta in maniera tanto preponderante, una riflessione intorno a ciò che
gli Italiani chiamano ormai comunemente lo stato. Una componente decisiva
del pensiero politico moderno nasce sotto forma di una riflessione sullo Stato,
dallo stato onnipresente in Machiavelli fin dalle sue lettere di cancelleria, alla
ragione e uso delli stati di Guicciardini, sino alla Ragion di Stato di Botero e dei
suoi epigoni e detrattori. La parola «Stato» si è imposta perché ha permesso
di designare in maniera nuova, e senza dubbio più adeguata rispetto a come
veniva fatto sino ad allora, ciò che era oramai percepito come la realtà stessa
delle entità politiche. Questa nuova parola non era un semplice sinonimo,
indifferente e neutro, dei termini trasmessi dalla lingua della tradizione politica
comunale – ovvero, essenzialmente, dalla lingua della tradizione giuridica. Tali
termini, ereditati dal diritto romano e, primi fra tutti, quelli di «repubblica» e
di «città», designavano l’entità o il bene politico in quanto comunità. Questi
mettevano l’accento sulla natura «pubblica» e «comune» di tale entità, sulla
«cittadinanza» (civilitas) dei suoi membri – essendo la città (civitas), prima di
tutto, la comunità dei cittadini, dei cives (communitas, universitas civium) – o
ancora sulla sua dimensione istituzionale e statuaria. A rovescio, il termine
stato testimonia in maniera diretta del declino di questa stessa dimensione
all’interno delle rappresentazioni politiche: non foss’altro che dal punto di

1. Testo tradotto da G. Bottini.

203
rom a in descendr e

vista della storia lessicale, stato è il risultato di una perdita. «Stato», in effetti,
non è altro che il residuo di una locuzione nominale, la quale ha perduto
proprio quel genitivo che gli donava tutto il suo senso: un genitivo che, per
l’appunto, esprimeva il pubblico, la città, la comunità. Negli ultimi secoli del
Medioevo, a favore della ben nota «volgarizzazione» della riflessione politica,
ovvero del suo trasferimento da un latino giuridico relativamente rigido ad
una lingua volgare tanto più fluida quanto meno normata, delle espressioni
assai correnti come quelle di status reipublicae, status civitatis o status regni
risultano troncate e lasciano spazio al solo «nome testa» (come dicono i lin-
guisti) stato. Un processo che si può osservare presso i cronisti fiorentini del
XIV  secolo. Già Marchionne di Coppo Stefani parla solo di «stato», senza
complemento determinativo, per designare ciò che Villani chiamava «stato
del nostro comune», «stato ch’avea il nostro comune», traduzione della locu-
zione consacrata dal latino di cancelleria – status communis o status civitatis
Florentiae. Tuttavia, il fenomeno è, a queste date, puramente sintattico, e non
ancora semantico: certamente lo Stefani non concepisce ancora lo stato come
un’entità politica. Stato resta il calco di status, parola derivata da un verbo che
significa semplicemente «star fermo», e dunque lo «stato» nel quale una cosa si
trova, la sua condizione: la condizione propria della città, quello che è o dev’es-
sere il suo proprio. L’evoluzione semantica s’impone tra il XV ed il XVI secolo.
Si tratta di un processo che non è semplicemente formale: esso non riguarda
soltanto la storia linguistica, ma è al contrario ricco di conseguenze in termini
di semantica storica 2.

2. In merito a tali questioni, si vedano O. Condorelli, «Per la storia del nome “Stato” (il nome “Stato”
in Machiavelli)», Archivio Giuridico Filippo Serafini, 4/5, 1923, p. 223-235, e 5/6, 1923, p. 77-112;
F. Chiappelli, Studi sul linguaggio di Machiavelli, Firenze, Le Monnier, 1952; F. Chabod, «Alcune
questioni di terminologia: stato, nazione, patria nel linguaggio del Cinquecento» [1957], in
id., Scritti sul Rinascimento, Torino, Einaudi, 1967, p. 625-661; F. Chiappelli, Nuovi studi sul
linguaggio del Machiavelli, Firenze, Le Monnier, 1969; N. Rubinstein, «Notes on the Word
Stato in Florence before Machiavelli», in J. G. Rowe, W. H. Stockdale (a cura di), Florilegium
Historiale: Essays Presented to W. K. Ferguson, Toronto, University of Toronto Press, 1971, p. 313-
326; A. Tenenti, Stato un’idea, una logica, Bologna, Il Mulino, 1987. Q. Skinner, «The State», in
T. Ball, J. Farr, R. L. Hanson (a cura di), Political Innovation and Conceptual Change, Cambridge,
Cambridge University Press, 1989, p. 90-131 (ripubblicato come: «From the State of Princes to
the Person of the State», in Q. Skinner, Visions of Politics. II. Renaissance Virtues, Cambridge,
Cambridge University Press, 2002, p. 368-413); J.-L. Fournel, J.-C. Zancarini, «Sur la langue du
Prince. Des mots pour comprendre et pour agir», in Machiavelli, Le Prince/De Principatibus, a
cura di J.-L. Fournel e J.-C. Zancarini, Parigi, Presses universitaires de France, 2000, p. 556-567.
J.-L. Fournel, «Frontiere ed ambiguità nella lingua del Principe: condensamenti e diffusione
del significato», in A.  Pontremoli (a cura di), La lingua e le lingue di Machiavelli, Firenze,
Olschki, 2001, p. 71-86. C. Vivanti, «Note intorno al termine stato in Machiavelli», in A. Merola
et al. (a cura di), Storia sociale e politica. Omaggio a Rosario Villari, Milano, Angeli, 2007,
p. 79-98. R. Descendre, «Le cose di stato. Sémantique de l’État et relations internationales chez

204
Lo stato, il diritto, il territorio

In questa nuova lingua volgare della politica, stato, nome testa che ha per-
duto i suoi determinanti, è così contraddistinto da una rilevante polisemia, e
concentra rapidamente una buona parte delle manifestazioni proprie allo Stato
(soprattutto in Machiavelli, il quale impiega il termine nella sua più ampia
estensione semantica, ciò che spiega per altro come, sin dalle prime tradu-
zioni francesi del XVI secolo ed ancora oggi, la maggior parte dei traduttori
tendano ad utilizzare dei vocaboli molto diversi per renderlo in francese) 3.
Dominano, comunque, due principali ordini di significato: l’uno, di origine
antica, rimanda al potere nella sua effettività; l’altro, più recente, tende a desi-
gnare il territorio posseduto. Lo «stato» di un principe diventa la forza politica
che gli procura il territorio che possiede ed il potere effettivo che esercita.
A questa doppia dimensione dello Stato, il pensiero politico italiano del
XVI secolo avrebbe dedicato una grande attenzione. Rispetto alle tradizioni
dottrinali sino ad allora dominanti, due caratteristiche lo distinguono netta-
mente, che potremmo definire, attraverso due termini alquanto barbari, «degiu-
ridicizzazione» e «territorializzazione». Due termini che fanno eco ai referenti
principali della parola stato: quello del potere, considerato non tanto dal punto
di vista del diritto quanto dal punto di vista della dominazione, e quello del
territorio sul quale si esercita questa dominazione. Da un lato, prende campo
la consapevolezza del fatto che il trattamento degli affari politici si faccia a mar-
gine del diritto o persino in opposizione al diritto. Dall’altro e parallelamente,
all’interno dei testi la parte accordata ai territori (da conquistare, controllare
o conservare) diventa predominante, tanto nelle fonti appartenenti al campo
delle pratiche (cancelleria e diplomazia) quanto nelle opere di trattatistica.
Se il primo fenomeno è ben noto, così com’è esibito in primo luogo dallo
«scandalo» del pensiero machiavelliano e della sua diffusione – scandalo che,
evidentemente, non può essere ridotto alla vulgata della cosiddetta «autonomia
del politico» –, il secondo è stato meno studiato. Se è ormai da molto che gli
specialisti di storia politica e sociale del Medioevo e della prima Modernità
considerano da vicino i fenomeni della territorializzazione, gli storici delle
idee e della filosofia hanno impiegato diverso tempo ad interessarsi al posto
occupato dallo spazio e dal territorio all’interno della letteratura politica 4.

Machiavel», Il pensiero politico, 41, 2008, p. 3-18; id., «Introduction», in Giovanni Botero, De la
raison d’État, edizione, traduzione e note di P. Benedittini e R. Descendre, Parigi, Gallimard,
2014, p. 7-57 (si veda il testo in traduzione italiana nel volume Della ragion di Stato, Torino,
Einaudi, 2016); id., s. v. «Stato», in G. Sasso, G. Inglese (a cura di), Enciclopedia machiavelliana,
Roma, Istituto dell’Enciclopedia italiana, 2014.
3. Si possono consultare con profitto i risultati ormai messi a disposizione dalla piattaforma
online HyperPrince (http://hyperprince.ens-lyon.fr).
4. I lavori di E. Fasano Guarini, dedicati a Machiavelli ed a pensatori e storici fiorentini, costi-
tuiscono in tal caso un’importante eccezione. Si noterà, tuttavia, che le sue analisi intorno

205
rom a in descendr e

Per quanto mi riguarda, ho lavorato sull’appropriazione del fatto territoriale


operata dal pensiero politico italiano del XVI secolo, sondando per altro le
modalità attraverso le quali la letteratura geografica è stata in grado di inte-
grare le questioni politiche, in modo da considerare simultaneamente dei testi
che troppo spesso vengono mantenuti separati per delle ragioni che derivano
essenzialmente dalla divisione dei campi disciplinari 5. Senza uscire dal campo
del pensiero politico, vorrei qui tenere insieme queste due dimensioni della
degiuridicizzazione e della territorializzazione. Per dirlo in poche parole, la mia
ipotesi è che la crisi del modello etico-giuridico medievale – in virtù del quale
la legge e l’esercizio del potere erano come appesi all’esigenza di giustizia, in
mancanza della quale il potere non era altro che «tirannia d’esercizio» – sia
inseparabile dal primato che ha ormai acquisito, presso i pensatori politici, la
questione della dominazione territoriale. Ciò che favorisce un’apparizione pre-
ponderante di queste due questioni, a partire dall’epoca delle Guerre d’Italia, è
un contesto internazionale e militare contraddistinto da nuove forme di con-
flitti, vissuti come particolarmente rapidi, violenti e distruttivi, che sembrano
configurarsi ormai come la regola delle relazioni tra Stati. E quando, nell’Italia
della seconda metà del XVI secolo, la guerra avrebbe lasciato posto ad una paci-
ficazione generalizzata, queste due questioni non avrebbero, tuttavia, smesso
di esser poste congiuntamente. Tutt’al contrario. Una larga parte di ciò che si
è soliti impropriamente definire come «machiavellismo» inerisce a questa presa
di coscienza di una strutturale incompatibilità tra le esigenze territoriali delle
nuove forme statuali ed il rispetto del diritto.
Illustrerò la mia tesi in due tempi, soffermandomi dapprima sul pensiero
politico e storiografico fiorentino, per passare in un secondo momento a con-
siderare la sua più tarda eredità. Questa trattazione si presenta, di necessità,
come troppo schematica e bisognerebbe apportarvi molteplici sfumature.
Per evitare di restare ad un livello di discorso troppo generale, mi concen-
trerò il più possibile sull’esame di alcuni testi specifici. A sostegno d’una tesi
opposta, altri testi potrebbero esser richiamati, provenienti soprattutto dalla

al pensiero politico fiorentino sono, com’è naturale che sia, effettuate a partire dal punto di
vista della storica delle istituzioni politiche, concentrandosi sulla trasformazione italiana dei
comuni medievali in Stati territoriali. Si veda, soprattutto, E. Fasano Guarini, Repubbliche
e principi. Istituzioni e pratiche di potere nella Toscana granducale del ’500-’600, Bologna, Il
Mulino, 2010.
5. Mi pemetto di rinviare, nello specifico, a P. Carta, R. Descendre (a cura di), Laboratoire italien,
8: Géographie et politique au début de l’âge moderne, 2008; R. Descendre, L’État du monde.
Giovanni Botero entre raison d’État et géopolitique, Ginevra, Droz, 2009; id., «Dall’occhio
della storia all’occhio della politica. Sulla nascita della geografia politica nel Cinquecento», in
E. Mattioda (a cura di), Nascita della storiografia e organizzazione dei saperi, Firenze, Olschki,
2001, p. 155-179.

206
Lo stato, il diritto, il territorio

l­etteratura politica e storiografica di aree linguistiche differenti, come in par-


ticolare quella dei giuristi francesi della stessa epoca: il mio lavoro si concentra
essenzialmente sull’ambito italiano.

***

In Machiavelli, il nesso tra territorializzazione e degiuridicizzazione si mani-


festa in molti modi, riscontrabili assai facilmente all’interno del Principe e nei
Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio. La logica complessiva del Principe
– ovvero, la decisione esplicitamente rivendicata di considerare l’azione poli-
tica non più sotto il profilo delle leggi, ma unicamente sotto quello delle
armi  – è comprensibile alla luce di un obiettivo che è di natura politico-­
territoriale o, se si preferisce, geo-politica: creare uno Stato nuovo in Italia
che sia così vasto e così politicamente e militarmente potente da resistere agli
invasori stranieri che l’hanno fatta «serva». Dire questo significa riconoscere
tutto il peso che ha l’«esortazione a pigliare l’Italia e liberarla dai Barbari», la
quale costituisce il fine ed il punto conclusivo del trattato: il cap. XXVI mette
perfettamente in evidenza il fatto che non si possano «redimer[e] le provin-
cie» senza «provedersi d’armi proprie». Non è necessario, tuttavia, attendere
l’ultimo capitolo dell’«opuscolo» per prendere atto del fatto che ciò è fon-
damentalmente determinato dalla questione del controllo e della conquista
territoriale nei tempi di guerra: l’insieme delle analisi dedicate a Luigi XII o
a Cesare Borgia lo attestano, così come, in ambito fiorentino, l’esperienza
dell’ordinanza, quell’istituzione di una nuova armata di fanteria, reclutata in
seno al contado, la quale implicava per altro un rapporto nuovo tra il potere
centrale della città e le popolazioni rurali.
Quanto ai Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, questi si basano su
una lettura nuova della storia di Roma antica, valorizzando senza posa le sue
conquiste territoriali, mentre la tradizione umanistica era solita opporle le
città greche al tempo stesso più pacifiche e più modeste. Si dimentica spesso
di ricordare – soprattutto, qualora ci si affidi a quel paradigma interpretativo
che fa dei Discorsi un punto d’arrivo dell’«umanesimo civile» o del «repubbli-
canesimo classico» – che Machiavelli, quando s’interroga sulle ragioni per cui
si debba preferire la repubblica (o, più esattamente, sulle ragioni per le quali i
popoli preferiscono il «vivere libero») alle altre forme di governo, adduce una
risposta fondamentalmente imperialista: è perché la storia dimostra che gli
Stati repubblicani sono quelli che hanno avuto maggiore successo – ovvero,
quelli che hanno meglio accresciuto i propri territori, le proprie popolazioni ed
i propri beni materiali – che si opta per un simile regime. L’insieme del capitolo
II del secondo libro dei Discorsi mette in evidenza la saldezza del legame che
Machiavelli stabilisce tra la libertà e l’imperio: «E facil cosa è conoscere donde

207
rom a in descendr e

nasca ne’ popoli questa affezione del vivere libero; perché si vede per esperienza
le cittadi non avere mai ampliato né di dominio né di ricchezza, se non mentre
sono state in libertà 6». Un concetto forgiato quarant’anni fa da Raymond Aron
per rendere conto della politica internazionale degli Stati Uniti ben corri-
sponde a ciò cui mira Machiavelli nei Discorsi: in primo luogo e prima di tutto,
una repubblica imperiale 7 (e questo è forse il vero «momento machiavelliano»
della tradizione repubblicana anglo-americana). A ben guardare, l’insieme dei
grandi temi che costituiscono i Discorsi, che si tratti degli ordini e delle leggi
– ossia dell’armatura giuridica dello Stato – , dei costumi, della religione o della
virtù individuale di cittadini e capitani, tutti sono sottoposti ad un’esigenza di
conquista mai rimessa in questione: leggi, costumi, religione e virtù servono
innanzitutto a combattere la guerra e ad espandere lo Stato. Ciò non significa
che il diritto e le sue esigenze vengano completamente meno (non soltanto la
riflessione sulle leggi resta onnipresente all’interno dei Discorsi, ma perdurano
l’esigenza di giustizia e di realizzazione del bene comune); ciò significa, però,
che il diritto è ormai sottomesso alle necessità dello Stato, secondo la struttura
propria del positivismo giuridico inteso nel suo senso più ampio –  ed è in
tal senso che non è illegittimo vedere nell’opera di Machiavelli una forma di
avvento del pensiero politico moderno.
Non che, in passato, il diritto non abbia funto ai sovrani da puro strumento
di potere. Lungi da ciò. Ma rappresentava precisamente ciò che bisognava
scongiurare, specie attraverso l’onnipresenza della questione della tirannia.
Machiavelli è il primo a individuare sistematicamente il fatto che l’esigenza
politico-militare del controllo dei territori prevalga su ogni considerazione di
ordine giuridico, spingendosi sino ad assumerla al cuore stesso della propria
riflessione politica e storiografica. Fra diversi altri passaggi, ce n’è uno che
evidenzia perfettamente l’ancoraggio storico di questo processo. Quello in
cui l’autore delle Istorie Fiorentine descrive con un acume e un’ironia a lui
tipici che cosa sia stata l’istituzionalizzazione dei regimi signorili nel corso del
XIV secolo, sotto l’effetto delle politiche papale ed imperiale – qui, più preci-
samente, in riferimento al periodo che separa l’elezione al soglio pontificio dei
Papi avignonesi Benedetto XII (1334) e Clemente VI (1342):
Era pervenuto al pontificato Benedetto XII, e parendogli avere perduto
in tutto la possessione di Italia, e temendo che Lodovico imperadore
non se ne facesse signore, deliberò di farsi amici in quella tutti coloro

6. Machiavelli, Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, a cura di G. Inglese, Milano, Rizzoli,
1984, II.II.9, p. 296-297.
7. R. Aron, République impériale. Les États-Unis dans le monde, 1945-1972, Parigi, Calmann-Lévy,
1973.

208
Lo stato, il diritto, il territorio

che avevano usurpato le terre che solevono allo imperadore ubbidire,


acciò che avessero cagione di temere dello Imperio e di ristrignersi seco
alla difesa di Italia; e fece uno decreto che tutti i tiranni di Lombardia
possedessino le terre, che si avevano usurpate, con giusto titulo. Ma
sendo in questa concessione morto il papa e rifatto Clemente  VI, e
vedendo l’imperadore con quanta liberalità il pontefice aveva donate le
terre dello imperio, per non essere ancora egli meno liberale delle cose
d’altri che si fusse stato il papa, donò a tutti quegli che nelle terre della
Chiesa erano tiranni le terre loro, acciò che con la autorità imperiale le
possedessero. Per la qual cosa Galeotto Malatesti e i frategli diventorono
signori di Rimino, di Pesero e di Fano; Antonio da Montefeltro della
Marca e di Urbino; Gentile da Varano di Camerino; Guido da Polenta
di Ravenna; Sinibaldo Ordelaffi di Furlí e Cesena; Giovanni Manfredi
di Faenza; Lodovico Alidosi di Imola, e oltre a questi in molte altre
terre molti altri, in modo che di tutte le terre della Chiesa poche ne
rimasono sanza principe 8.
Questo testo ha di formidabile che rende evidente a qual punto, per
ragioni di controllo territoriale sulla penisola, i due poteri universali presup-
posti esser i garanti dell’intero sistema del diritto comune – utrumque ius,
i due diritti universali, civile e canonico – snaturino, al contrario, il diritto
trasformandolo in un puro e semplice strumento politico. Non potendo o
non volendo far uso della forza militare, Impero e Papato fanno del diritto
un’arma, legalizzando uno dopo l’altro i piccoli tiranni che usurpavano
i poteri sotto giurisdizione avversaria: è così che i tiranni ex defectu tituli
– secondo la dottrina bartoliana, perfettamente coeva rispetto ai fatti descritti
da Machiavelli  – divengono altrettanti principi «con giusto titulo». Così,
in questa storia ufficiale della città che sono le Istorie Fiorentine, animate
dall’inizio alla fine dalla problematica del bene comune, Machiavelli afferma,
in una maniera che non potrebbe esser più cruda, che l’istituzionalizzazione
delle signorie non fu altro che una legalizzazione della tirannia. Tramite ciò,
egli fa capire come dei motivi geopolitici abbiano condotto ad una strumen-
talizzazione pura e semplice del diritto.
Del resto, è la storia della costituzione degli Stati territoriali italiani
medio-piccoli – ben più, forse, di quella delle grandi monarchie europee – che
sembra costituire il referente implicito dell’idea di Stato così come si articola
presso i pensatori fiorentini dell’epoca delle Guerre d’Italia. E’ questa storia
che li conduce a concepire lo stato come l’istituzionalizzazione di una domina-
zione territoriale essenzialmente illegittima. Lo si constata agevolmente nella

8. Machiavelli, Istorie fiorentine, I, XXX, in id., Opere, III, a cura di C. Vivanti, Torino, Einaudi,
2005, p. 350-351.

209
rom a in descendr e

celebre affermazione di Guicciardini, più volte riformulata nell’evolvere della


sua produzione testuale, secondo la quale:
[…] tutti gli stati – chi bene considera la loro origine –, sono violenti, né
ci è potestà che sia legittima, dalle repubbliche in fuora, nella loro patria
e non più oltre; né anche quella dello imperadore che è fondata in sulla
autorità dei Romani, che fu maggiore usurpazione che nessuna altra 9.
L’apparente modernità «weberiana» di una formulazione che potrebbe sem-
brar annunciare l’attribuzione allo Stato del monopolio della violenza legittima
dev’essere moderata ricordando che si tratta in realtà della radicalizzazione di
un motivo ben ancorato nel patrimonio dottrinale del Medioevo: una linea di
pensiero teologico e giuridico che trova la propria fonte nell’Antico Testamento,
e secondo la quale il potere politico non comporta alcun carattere «naturale»,
ma è al contrario il risultato di una violenza originale 10. L’affermazione dev’es-
sere, per altro, intesa alla luce della storia delle città italiane così come è esposta,
ad esempio, nel passaggio delle Istorie Fiorentine citato precedentemente. La
denuncia della originaria illegittimità di tutti i poteri arriva fino a intaccare
quello dell’Imperatore: nientemeno che il «principio di validità» di tutti i
poteri, e persino dell’intera costruzione dogmatica della dottrina del diritto
pubblico medievale, che risulta così battuta in breccia 11. Il «dottore di legge
civile e canoniche» Guicciardini ne è perfettamente cosciente quando aggiunge,

9. Francesco Guicciardini, Ricordi, B95, a cura di G. Masi, Milano, Mursia, 1994, p. 76, ricordo
che riformula una redazione precedente, A70, anteriore al 1525. Sin dal 1512, nel suo Discorso
di Logrogno, Guicciardini affermava che «Non è altro lo stato e lo imperio che una violenza
sopra e’ sudditi, palliata in alcuni con qualche titulo di onestà». Questa idea è nuovamente
avanzata nell’ultima redazione dei Ricordi ed è ripresa tale e quale nel Dialogo del reggimento
di Firenze (a cura di G. M. Anselmi e C. Varotti, Torino, Bollati Boringhieri, 1994, p. 231). Si
vedano anche J.-L. Fournel, J.-C. Zancarini, La grammaire de la République. Langages de la
politique chez Francesco Guicciardini (1483-1540), Ginevra, Droz, 2009 (in particolare il cap. 11
e, per le citazioni, p. 276-277), così come le analisi di P. Carta, Francesco Guicciardini tra diritto
e politica, Padova, Cedam, 2008 (in particolare i cap. 8 e 9).
10. Fondata sui versetti del Genesi dedicati a Nemrod, «primo potente sulla terra» (Gn, 10, 8-9),
l’affermazione della natura originariamente tirannica del potere politico vantava una lunga
tradizione; da Giuseppe Flavio, San Gerolamo e la Glossa Ordinaria alla Bibbia, essa passò ai
canonisti (Graziano, in primo luogo), ai teologi (Tolomeo da Lucca) ed ai civilisti (Alberico da
Rosate). D. Quaglioni, Civilis sapientia: dottrine giuridiche e dottrine politiche fra medio evo ed età
moderna. Saggi per la storia del pensiero giuridico moderno, Rimini, Maggioli, 1989, p. 27-30. E’
nel suo commento alla legge decernimus, C. de sacrosanctis ecclesiis (C. 1, 2, 16), che Alberico da
Rosate precisava come, nel corso della storia, la tirannia avesse preceduto il buon governo (Prius
tamen fuit tyrannus quam rex. nam Nembrot primis fuit tyrannus et nemo ante eum reperitur).
11. Sull’Impero come «principio di validità» si vedano P. Costa, Iurisdictio. Semantica del potere
politico nella pubblicistica medievale (1100-1433), Milano, Giuffrè, 1969 (ripubblicato nel
2002) e D. Quaglioni, «Empire et monarchie: aspects du débat juridique», in F. Crémoux,
J.-L. Fournel (a cura di), Idées d’Empire en Italie et en Espagne, xive-xviie siècles, Mont-Saint-
Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2010, p. 37-46.

210
Lo stato, il diritto, il territorio

in un’altra versione del medesimo ricordo, che il potere dell’Imperatore, ancor


meno legittimo degli altri, è pur tuttavia quello «che dà ragione agli altri 12». Gli
stati ai quali Guicciardini pensa sono, in primis, quelli dell’Italia contempora-
nea: tutti violenti, vuoi perché esercitano un potere signorile usurpato, vuoi,
quando si tratta di «repubbliche» (nome che designa, senza dubbio, meno un
tipo di regime precisamente definito che quegli Stati i quali hanno conservato
le proprie istituzioni comunali), perché si sono estese aldilà della propria patria,
essendosi territorializzate in un dominio. La territorializzazione è, ipso facto,
una violenza fatta all’ordine giuridico. La nascente riflessione sulla natura di
ciò che i Fiorentini chiamano ormai lo stato avvince strettamente, dunque, la
territorializzazione dello Stato e la sua illegittimità originaria.

***

Se le contraddizioni tra il diritto e le esigenze del controllo territoriale o della


conquista potevano ancora colpire uomini come Machiavelli e Guicciardini al
principio del XVI secolo, queste contraddizioni sono state, in seguito e in un certo
qual modo assunte ed accettate da un filone importante del pensiero politico
italiano, comprendente anche coloro che in apparenza si ergevano a nemici del
Segretario Fiorentino. E’, in effetti, significativo come, anche dopo che l’opera di
Machiavelli fu tacciata di obbrobrio e messa all’Indice, essa abbia continuato ad
offrire un modello efficace alfine di giustificare o favorire la conquista di nuovi ter-
ritori, o semplicemente per difendere la necessità della grandezza e della potenza.
In Italia, la diffusione a stampa, precoce e massiccia, delle notizie geografi-
che relative alle conquiste dei regni cattolici ha spesso assunto una valenza emi-
nentemente politica. Tale fu il caso de La historia generale delle Indie occidentali
e della Historia di Mexico di Francisco López de Gómara, e de La prima parte
de la cronica del grandissimo regno del Perù di Pedro de Cieza de León, pubbli-
cate in italiano presso lo stesso editore romano tra il 1555 ed il 1556, due anni
dopo la loro edizione spagnola, che andarono a comporre i tre moduli di una
storia generale della conquista 13. Il traduttore e coordinatore di questo trittico

12. «[…] e meno quella dello imperatore che è in tanta autorità che dà ragione agli altri», Francesco
Guicciardini, Dialogo del reggimento di Firenze, op. cit.
13. Pedro de Cieza de León, La prima parte de la cronica del grandissimo regno del Perù […] tradotta
pur hora nella nostra lingua italiana per Augustino de Cravaliz, Roma, Valerio e Luigi Dorico,
1555; Francisco López de Gómara, Historia di Mexico, et quando si discoperse la nuova Hispagna,
conquistata per l’illustriss. et valoroso principe don Ferdinando Cortes […] tradotta nel volgare
italiano per Augustino de Cravaliz, Roma, Valerio e Luigi Dorico, 1555; id., La historia generale
delle Indie occidentali, con tutti li discoprimenti, & cose notabili, che in esse sono successe, da che
si acquistorno fino a hora […] tradotta nel volgare italiano per Augustino de Cravaliz, Roma,
Valerio e Luigi Dorico, 1556.

211
rom a in descendr e

era Augustín Cravaliz, che rappresentava gli interessi della corona spagnola
presso la Curia. Cravaliz fece precedere ciascuna delle sue traduzioni da una
lettera dedicatoria, componendo così un elogio in tre tempi della conquista
spagnola, diretto ad un pubblico italiano al quale si trattava di far accettare
l’egemonia di Carlo V e di suo figlio Filippo sulla penisola, per mezzo di una
vasta storia dell’impero ispanico: una «storia imperiale ufficiale 14». Il contesto
è lungi dall’essere irrilevante: il 1555 è l’anno dell’elezione al soglio pontificio
del Papa più vigorosamente anti-spagnolo che abbia conosciuto il XVI secolo,
l’ex inquisitore generale Gian Pietro Carafa, poi Paolo IV (23 maggio); il 1556,
quello in cui egli dichiarò guerra agli Spagnoli del regno di Napoli, innescando
così l’ultimo atto bellico delle Guerre d’Italia 15. Paolo IV fu anche lo stesso
Papa che diede un colpo d’inizio molto forte all’organizzazione della censura
ecclesiastica, puntando ben più lontano che al semplice campo del dogma,
determinato com’era a prender le mosse dalla distruzione delle opere complete
di Machiavelli, Erasmo o Boccaccio.
Cravaliz apriva la lettera dedicatoria della Cronica del Perù, che indirizzava
ad uno dei principali cardinali filo-spagnoli della Curia, Giovanni Michele
Saraceni, con il topico motivo giuridico dei due pilastri dell’imperio che sono
le leggi e le armi – rivisto in «religione e leggi», da un lato, e «armi», dall’altro –,
ma per ribaltarlo nel senso di una chiara esaltazione della conquista militare,
radicalizzando il celebre passaggio del capitolo XII del Principe, al quale faceva
chiaramente eco:
[…] quantunque tra gli huomini più lodati, et famosi, si giudichino
degni di non picciola lode i fondatori delle religioni, et appresso i dat-
tori delle leggi, sono nondimeno oltre a tutti laudatissimi i principi
che preposti a gli esserciti hanno ampliato il regno loro, o i confini
della patria 16.

14. L. Binotti, «Cultural Identity and the Ideologies of Translation in Sixteenth-Century Europe:
Italian Prologues to Spanish Chronicles of the New World», History of European Ideas, 14/6,
1992, p. 769-788.
15. L’ostilità del nuovo Papa nei confronti degli Spagnoli era in parte dovuta ad un rifiuto di
qualsivoglia concessione nei confronti dei protestanti, nel momento in cui Carlo V si era, in
principio, fatto promotore della riconciliazione in occasione del Concilio ed aveva, in seguito,
accettato de facto e de iure la Riforma nel corso della pace di Augusta del 1555.
16. «I grandi et maravigliosi imperii non solamente con la religione et con le leggi (Illustriss. et
Reverendiss. Signore) ma ancora con le armi, hanno ogni hora mostrato al mondo la grandezza
delle estreme lor forze, et sparso di ogni intorno la maraviglia del lor sommo valore, aprendosi
col ferro la strada per le strette foci, et per gli occulti golfi dell’impetuoso mare, per le profonde,
et precipitose valli, et per gli alti, et asprissimi monti, a molti principati, et a molti regni; là
onde, quantunque tra gli huomini più lodati, et famosi, si giudichino degni di non picciola
lode i fondatori delle religioni, et appresso i dattori delle leggi, sono nondimeno oltre a tutti
laudatissimi i principi che preposti a gli esserciti hanno ampliato il regno loro, o i confini della

212
Lo stato, il diritto, il territorio

Se questa messa a latere delle leggi (qui, accoppiate alla religione) a bene-
ficio delle armi ricorda già il progetto del Principe di Machiavelli, le righe che
seguono non lasciano sussistere alcun dubbio in merito alla fonte cui questa
introduzione attinge senza vergogna:
il perché si dee sforzare ogni principe non havere altro oggetto né altro
pensiero, se non gli ordini, et gli essercitii della guerra; percioché la
guerra è sola arte che convien a chi comanda, et è di tanta virtù che
non solo mantiene quei che son nati principi, ma molte volte fa gli
huomini di picciola, et privata fortuna salire ad alti, et honoratissimi
gradi, sì come all’incontro quando non se ne è fatto stima; tutti i più
grandi sono, o ruvinati, o caduti al basso, non si dovria per tanto non
solo mai levare il pensiero dallo essercitio delle armi, ma nella pace non
meno essercitarle che nella guerra 17.
E’ questa una ripresa, pressappoco parola per parola, delle prime righe del
XIV capitolo del Principe 18, che introduce una storia della Spagna ridotta alle
sue conquiste militari, dalle origini sino all’anno 1494. Cravaliz spiega come
proprio nel corso di quell’anno, quando il re Cattolico voleva, in seguito alla
Reconquista, «serrare il tempio di Iano», Dio non glielo permise, destinando
questa «natione […] ad imprese più gloriose, et nuovi acquisti»: così, lo obbligò
ad andare in soccorso dell’Italia, dove il re di Francia Carlo VIII era calato per
conquistare il regno di Napoli. Ora, nello stesso frangente, Dio permise altresì
che cominciasse la conquista del Nuovo Mondo per portarvi la fede, «parte con
l’armi, et parte con le prediche et ammonitioni delle sacre lettere».
Un solo ed unico movimento di conquista armata unisce, così, la
Reconquista, la conquista del Nuovo Mondo e le Guerre d’Italia. Il parallelo e
la simultaneità tra conquista del Nuovo Mondo e vittoria imperiale su delle
armate francesi che non hanno fatto altro che seminare il caos nella penisola

patria», cito qui sulla base della seconda edizione: Pedro de Cieza de León, Cronica del gran
regno del Perù, con la descrittione di tutte le provincie, e costumi, e riti, con le nuove città edificate,
et altre strane et maravigliose notitie. Parte prima. Scritta da Pietro di Cieca di Lione in lingua
spagnuola. Tradotta nella italiana per Agostino di Cravaliz, Venezia, Francesco Lorenzini da
Turino, 1560, n. p.
17. Ibid.
18. «Debbe dunque uno principe non avere altro obietto né altro pensiero né prendere cosa alcuna
per sua arte, fuora della guerra e ordini e disciplina di essa: perché quella è sola arte che si
aspetta a chi comanda, ed è di tanta virtù che non solamente mantiene quelli che sono nati
principi, ma molte volte fa gli uomini di privata fortuna salire a quello grado. E per avverso si
vede che, quando e’ principi hanno pensato più alle delicatezze che alle arme, hanno perso lo
stato loro […] Debbe pertanto mai levare il pensiero da questo esercizio della guerra; e nella
pace vi si debbe più esercitare che nella guerra», Machiavelli, Il Principe, XIV, in id., Opere, I,
a cura di C. Vivanti, Torino, Einaudi, 1997, p. 157.

213
rom a in descendr e

permettono di difendere la natura provvidenziale di questa nuova Monarchia


operante per la grandezza della Chiesa 19.
La legittimazione della conquista e della pax hispanica si esprime, dunque,
nella lingua ed attraverso il testo di Machiavelli, questa autorità paradossale:
autorità negativa ed illegittima (e dunque sottaciuta) che ha, ciò nondimeno,
una funzione di legittimazione. Non è naturalmente irrilevante che il desti-
natario del testo, Giovanni Michele Saraceni, sia un cardinale che Paolo IV
avrebbe poco dopo nominato membro della congregazione dell’Inquisizione.
Emerge chiaramente come la componente decisiva del pensiero di Machiavelli,
ovvero il ruolo che egli accorda alla guerra ed alla conquista territoriale all’in-
terno della politica degli Stati, lungi dal poter apparire come imbarazzante,
si sia al contrario imposta, sino al punto da alimentare le riflessioni molto
tempo dopo che le sue opere erano state cacciate via dall’Italia: l’epistola dedi-
catoria di Cravaliz è pubblicata senza varianti nelle riedizioni della sua tradu-
zione del libro di Cieza, fino al 1576, parecchi anni dopo la messa all’Indice di
Machiavelli e di tutte le ultime edizioni autorizzate del Principe.
Del resto, in Italia, le accuse rivolte dai pensatori cattolici contro Machiavelli
non prendevano di mira né il suo bellicismo, né i suoi consigli «tirannici», ma
i suoi attacchi contro la Chiesa. Nel suo De regia sapientia del 1583, Giovanni
Botero intende così far a pezzi l’idea secondo la quale la Chiesa romana sarebbe
la causa principale della debolezza militare e territoriale degli Italiani. Ciò non
impedisce certo all’autore piemontese di riappropriarsi di un buon numero
di temi tipicamente machiavelliani nel suo Della ragion di Stato (1589), senza
ben inteso svelare le proprie fonti 20. Tuttavia, se c’è una conquista del pensiero
machiavelliano di cui si appropriano gli autori della ragion di Stato sul finire
del XVI secolo, questa consiste nella constatazione che la crisi del diritto va di
pari passo con l’esigenza statuale della potenza, della grandezza e della terri-
torializzazione politica. Una constatazione che è perfettamente esplicitata da
Botero sin dal 1588 nel suo piccolo libro Delle cause della grandezza delle città.
Vi si mostra come la Roma antica possa ancora apparire come il migliore dei
modelli politici, non più però in ragione del fatto che la scienza del diritto

19. Così come hanno liberato dalla dannazione gli abitanti del Nuovo Mondo, gli Spagnoli hanno
liberato dai Francesi gli Italiani; questi ultimi sono, per altro, parte integrante di una Conquista
che cominciò, sottolinea Cravaliz, per opera del «glorioso Christofano Colombo nativo di
Savona [sic]». Il congiungimento degli Italiani alla potenza imperiale e l’esaltazione della vit-
toria spagnola apparivano, in tal modo, come motori della diffusione italiana della letteratura
sul Nuovo Mondo – a partire da ciò, non è soprendente che si verifichi altrettanto bene il
fenomeno, perfettamente speculare, di una letteratura geografica anti-spagnola: il rigetto della
dominazione iberica in Italia venne ampiamente alimentato dalla legenda nera della conquista,
soprattutto nel caso della Historia del Mondo Nuovo di Girolamo Benzoni (1565).
20. Si veda la voce «Machiavel», ad indicem, in Giovanni Botero, De la raison d’État, op. cit.

214
Lo stato, il diritto, il territorio

qui era nato, né perché la repubblica qui era sopravvissuta per un così lungo
spazio di tempo, quanto piuttosto perché Roma si fondava sulla potenza, la
grandezza e la conquista. Un modello considerato buono per la pura e semplice
ragione che il diritto non è più di questo mondo. Il terzo ed ultimo libro delle
Cause della grandezza della città fornisce, sin dalle prime righe, le ragioni per
le quali è importante far questa scelta della «grandezza», ovvero della crescita
territoriale e demografica:
Gli antichi fondatori delle città, considerando che le leggi e la disciplina
civile non si può facilmente conservare dove sia gran moltitudine d’uo-
mini, perché la moltitudine partorisce confusione, limitarono il numero
de’ cittadini, oltre il quale stimavano non si poter mantener l’ordine e la
forma ch’essi desideravano nelle loro città. Tali furono Licurgo, Solone,
Aristotile. Ma i Romani, stimando che la potenza (senza la quale una
città non si può lungamente mantenere) consiste in gran parte nella
moltitudine della gente, fecero ogni cosa per aggrandire e per appopolar
la patria loro […]. Se il mondo si governasse per ragione e se ogn’uno
si contentasse di quello che giustamente gli si appartiene, sarebbe forse
degno d’esser abbracciato il giudizio de gli antichi legislatori; ma l’espe-
rienza, che c’insegna che, per la corruzione della natura umana, la forza
prevale alla ragione e le arme alle leggi, c’insegna ancora che il parer de’
Romani si deve preferire a quel de’ Greci 21.
L’affermazione testimonia della logica tutta machiavelliana entro la quale si
muove l’autore: l’esperienza ci mostra come gli uomini facciano passare la forza
prima del diritto; non si danno, quindi, né sicurezza né conservazione possibili
senza potenza. All’epoca di Machiavelli, l’opposizione del modello romano
a quello delle città greche era così lontano dal configurarsi come evidente
– giacché andava contro la posizione comune agli umanisti che amavano leg-
gere le città italiane nello specchio della Grecia antica – che essa ebbe bisogno,
per esser sostenuta, di un’opera così densa e singolare come i Discorsi sopra la
prima deca di Tito Livio; ormai, questa stessa opposizione è presentata come
una verità d’esperienza, pressappoco come un’evidenza. Evidenza dell’indeboli-
mento del diritto, di un diritto che, pure, era inseparabile dalla forza di Roma.
Nonostante l’estensione del diritto e quella dei territori della romanità fossero
una volta pensate di concerto 22, è oramai la debolezza del diritto che giustifica

21. Id., Delle cause della grandezza delle città, III, 1, ed. critica e commento a cura di R. Descendre,
Roma, Viella, 2016, p. 118.
22. Si veda, fra diversi altri possibili, Leon Battista Alberti, I libri della famiglia, a cura di
R. Romano e A. Tenenti, nuova edizione a cura di F. Furlan, Torino, Einaudi, 1994, p. 187:
«Avea certo in sé l’antico nostro imperio dignità e maiestà maravigliosa, ove a tutte le genti
amministrava intera iustizia e summa equità […]».

215
rom a in descendr e

la scelta della potenza. Mentre il diritto legittimava il potere, la sua assenza


giustifica ora l’estensione della dominazione territoriale.

***

La «nascita dello Stato moderno», così come la chiamano comunemente gli sto-
rici, è stata pensata da coloro che ne furono i contemporanei sullo sfondo di una
crisi particolarmente acuta che coinvolgeva il rapporto tradizionale tra il diritto
ed il potere. Tale crisi era inseparabile dalle nuove esigenze di dominazione
territoriale che si esprimevano a tutti i livelli: dalle città italiane che s’impone-
vano sui propri dominii agli imperi iberici di dimensione mondiale, passando
per le monarchie territoriali europee, il lessico della dominazione, fosse essa di
tipo statuale o imperiale, era fondamentalmente omogeneo 23. Una larga parte
di questo lessico dello «stato» è stata trasmessa alla modernità dai testimoni
italiani di un processo che, dopo l’insignorimento e la territorializzazione dei
comuni, si è risolto in una perdita più o meno completa dell’autonomia politica
di territori diventati preda delle potenze oltramontane. In questo contesto, gli
strumenti intellettuali forgiati da Machiavelli, che ha fatto della Roma antica
un nuovo modello di potenza, sono stati largamente ripresi, permettendo così
di pensare le diverse forme della dominazione territoriale moderna.

23. R.  Descendre, «Stato, imperio, dominio. Sur l’unité des notions d’État et d’Empire au
xvie siècle», Astérion, 10, 2012 [URL: http://asterion.revues.org/2243].

216
iii

R E PR É SE N TAT ION E T S Y M BOL IQU E


DE L’E SPACE – R A PPR E SE N TA Z ION E
E SI M BOLOGI A DE L LO SPA Z IO
Les cartes marines, xive -xvii e siècle :
une appropriation de l’espace maritime

emmanuelle vagnon
CNRS/université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, LAMOP (UMR 8589)

Introduction

L’histoire de la cartographie, constituée assez récemment comme discipline


universitaire, a pour objectif d’interroger les modes de représentation de
l’espace en tant que productions culturelles et sociales, déterminées par l’évo-
lution des sociétés au cours du temps. Rompant avec la géographie historique
traditionnelle, l’histoire de la cartographie s’est affirmée dans les années 1980
comme le fer de lance d’une anthropologie de l’espace que les géographes
contemporains revendiquent également : une carte, ancienne ou moderne,
en tant que document structuré, représentation ordonnée de l’espace, ne se
contente pas de reproduire en réduction un cadre géographique, mais construit
spatialement des données qui ont un rapport étroit avec les activités humaines,
économiques et politiques 1.
L’analyse des cartes anciennes n’est qu’un des aspects du champ très vaste
des études sur l’espace médiéval, selon des points de vue qui me paraissent plus
complémentaires que divergents. À la description d’un paysage géographique
ancien (terroir, toponymie), on substitue aujourd’hui volontiers une analyse de
l’espace perçu, vécu, qui surgit d’un système de relations entre les hommes et
leur milieu. Les médiévistes mettent par exemple l’accent sur la spatialisation
des phénomènes historiques, ou encore l’inscription dans l’espace des relations

1. J. B. Harley, D. Woodward (dir.), History of Cartography, vol. 1 : Cartography in Prehistoric, Ancient


and Medieval Europe and the Mediterranean, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 1987.

219
emm a nuelle vagnon

de pouvoir ou des faits religieux : l’espace construit par les hommes reflète ainsi
les rapports politiques, sociaux, idéologiques établis entre les communautés 2.
L’interaction avec le milieu maritime attire également l’attention.
L’abondance des analyses actuelles sur l’espace méditerranéen antique et
médiéval reflète la complexité du sujet et l’intérêt qu’il suscite aujourd’hui.
La Méditerranée est ainsi envisagée, dans une stimulante perspective néo-­
braudélienne, comme un cadre géographique écologiquement cohérent, déter-
minant les activités humaines au cours de l’histoire 3. Elle peut aussi être consi-
dérée comme un ensemble de réseaux économiques et sociaux, dans lesquels
interviennent essentiellement les relations entre les hommes, les déplacements,
les échanges et les conflits 4. La Méditerranée médiévale est ainsi présentée
comme le cadre d’une appropriation de l’espace maritime. Ce vocabulaire est
emprunté à celui de l’anthropologie sociale et de la géographie actuelles, qui
définissent le « territoire » de manière très large, comme « un espace approprié »,
dans la mesure où cet espace fait l’objet d’une appropriation humaine, pratique
(usage ou exploitation), juridique (domination, possession), ou même seule-
ment symbolique (représentation, nomination) 5. Cette définition pose à vrai
dire un problème pour l’espace maritime, dans la mesure où, par définition, il
ne relève pas d’une « terre », il n’est pas fixé par des frontières ni balisé par des
repères monumentaux. La question de la « propriété » ou de l’« appropriation »
de la mer relève de débats juridiques anciens et toujours d’actualité 6.
Cette épistémologie convient-elle à la perception médiévale de l’espace mari-
time telle qu’elle apparaît sur les documents cartographiques, en particulier les

2. J. Morsel, « Appropriation communautaire du territoire, ou appropriation territoriale de la


communauté ? Observations en guise de conclusion », Hypothèses, 9/1 : L’appropriation du terri-
toire par les communautés : séminaire de l’École doctorale coordonné par Nicolas Lyon-Caen, 2005,
p. 89-104 ; Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques et représentations (XXXVIIe Congrès
de la SHMESP), Paris, Publications de la Sorbonne, 2007.
3. P. Horden, N. Purcell, The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History, Oxford, Blackwell,
2000.
4. A. Nef (dir.), Les territoires de la Méditerranée (xie-xvie siècle), Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2013.
5. Art. « Territoire », dans J. Lévy, M. Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie, Paris, Belin,
2003, p. 907-917. Cet article écrit à trois voix (J. Lévy, B. Debardieux, J.-P. Ferrier) montre les
discordances entre collègues géographes et aurait gagné à être unifié. L’usage de démonstrations
pseudo-mathématiques dans le troisième article (par J.-P.  Ferrier) apporte à mon sens peu
d’éléments sérieux et valables au débat.
6. Dans un précis universitaire de droit maritime contemporain, on trouve par exemple le cha-
pitre portant le titre alarmiste « La mer en danger d’appropriation », pour souligner les évo-
lutions actuelles du droit international et la forte remise en cause, depuis les années 1950, du
principe de « mer libre », que nous commenterons plus loin. E. Du Pontavice, P. Cordier, La
mer et le droit, t. 1 : Droit de la mer : problèmes actuels, Paris, Presses universitaires de France,
1984, p. 43-265.

220
Les cartes marines, xiv e -x vii e siècle

cartes marines ? Sans aucun doute, la cartographie médiévale est un témoignage


de ces rapports au monde, à condition qu’on ne l’envisage pas comme une
« photographie » d’un état des lieux à une époque donnée, ou comme les balbu-
tiements d’une science géographique en devenir, mais comme l’expression de ce
rapport complexe à l’espace et la volonté de le représenter selon des conventions
propres à son temps 7. Il s’agit donc de comprendre, sans se laisser influencer par
les préjugés contemporains 8, comment les cartes marines (appelées aussi cartes
portulans), genre cartographique extrêmement codifié, inventé en Méditerranée
occidentale au xiie ou au xiiie siècle, témoignent d’un ou de plusieurs types
d’appropriation de l’espace maritime méditerranéen et atlantique. Et de quelle
sorte d’appropriation, s’il y a lieu, sont-elles le signe, l’idéalisation ? Ces cartes
font-elles de la mer un « territoire », et pour qui 9 ? Après avoir analysé la manière
dont les cartes rendent compte d’une connaissance et d’usages de la mer, nous
envisagerons la portée politique et juridique des cartes dans le cadre de la for-
malisation d’un droit maritime international à l’époque moderne.

La carte comme l’appropriation de l’espace maritime


par la pratique et la connaissance

La première forme d’appropriation dont semblent témoigner, à première vue,


les cartes marines médiévales est une appropriation technique et pratique, par
les marins ; les cartes seraient le résultat d’une connaissance de la mer et des
conditions de navigation, connaissance consignée également sous forme de
recueils d’instructions nautiques (les « portulans » au sens strict, puisque ce mot
ne désignait pas les cartes autrefois) 10. Cette appropriation par la ­navigation,

7. C’est notamment le point de vue de P. Gautier Dalché (dir.), La Terre. Connaissance, représen-
tations, mesure au Moyen Âge, Turnhout, Brepols (L’Atelier du médiéviste, 13), 2013, volume
collectif qui s’appuie sur le commentaire de documents médiévaux.
8. P. Gautier Dalché nous met en garde contre les éléments de langage académique trop souvent
plaqués sans réflexion sur les documents géographiques médiévaux : P. Gautier Dalché, L’espace
géographique au Moyen Âge, Florence, Sismel, 2013, p. 35.
9. R. Descendre, « Quand la mer est territoire. Paolo Sarpi et le Dominio del mare Adriatico »,
Studi Veneziani, 53, 2007, p. 55-74. Je remercie R. Descendre pour cet article et les références
qui l’accompagnent.
10. La bibliographie sur les cartes marines s’est renouvelée ces dernières années : P. Gautier Dalché,
« Cartes marines, représentations du littoral et perception de l’espace au Moyen Âge. Un état
de la question », dans J.-M. Martin (éd.), Castrum 7. Zones côtières littorales dans le monde médi-
terranéen au Moyen Âge : défense, peuplement, mise en valeur, Rome/Madrid, École française de
Rome/Casa de Velázquez, 2001, p. 9-33 ; R. Pujades i Bataller, Les cartes portolanes : la represen-
tació medieval d’una mar solcada, Barcelone, Institut Cartogràfic de Catalunya, 2007 ; P. Billion,
Graphische Zeichen auf mittelalterlichen Portolankarten – Ursprünge, Produktion und Rezeption
bis 1440, Marbourg, Tectum Verlag, 2011 ; C. Hofmann, H. Richard, E. Vagnon (dir.), L’âge d’or

221
emm a nuelle vagnon

sur le terrain de l’expérience vécue, serait la garante d’une description raison-


née et objective d’un espace géographique donné. Cette affirmation, qui a
toutes les apparences de l’évidence, suscite en réalité de nombreux débats, vifs
et récents, autour de deux points essentiels : d’une part, la carte marine est un
document construit selon des conventions qui n’en font pas le reflet mimé-
tique d’une réalité naturelle (elle ne reflète pas seulement une topographie mais
des usages), d’autre part, elle n’est pas forcément en lien direct avec la pratique
des marins d’autrefois.

Une vue d’ensemble de l’espace maritime


Beaucoup considèrent en effet l’apparition des cartes marines, ou cartes
portulans, au xiie ou au xiiie siècle, comme l’acte de naissance de la « cartogra-
phie moderne 11 », parce qu’elles donnent à voir sous un jour familier l’espace
de la Méditerranée, de la mer Noire et des côtes de l’Atlantique Nord. En
effet, ces cartes utilisent une échelle de distance et sont construites selon les
directions de la boussole, établissent de ce fait un rapport mathématique avec
les distances et les angles réels, et rendent compte, d’une manière remarquable,
compte tenu des moyens techniques de l’époque, de la forme d’ensemble des
littoraux. Les cartes marines médiévales contribuent ainsi à la construction
d’une image d’ensemble d’un espace géographique objectif, comparable à celui
que l’on photographie aujourd’hui depuis un satellite. Mais jusqu’au xxe siècle,
seuls l’esprit humain, et l’art du cartographe, permettaient de restituer cette
vue d’ensemble, et à ce titre, les cartes marines constituent bien là une première
conquête, une première forme d’appropriation, qui est une appropriation
intellectuelle de l’espace maritime.
Il faut cependant nuancer cette affirmation d’une représentation objectivée
de l’espace (ce que nulle carte, en définitive, ne peut fournir), et « moderne ».
D’une part, les cartes marines, avant la généralisation de la projection de
Mercator, suivent des conventions qui sont assez différentes de celles des
cartes modernes : elles ne sont pas nécessairement orientées vers le nord, elles

des cartes marines. Quand l’Europe découvrait le monde, catalogue d’exposition (Bibliothèque
nationale de France, 23 octobre 2012-27 janvier 2013), Paris, Bibliothèque nationale de France/
Seuil, 2012 ; E. Vagnon, C. Hofmann (dir.), Cartes & Géomatique. Revue du CFC, 216 : Cartes
marines : d’une technique à une culture, xiiie-xviiie siècle. Actes du colloque du 2 décembre 2012, 2013.
Le recensement et la synthèse bibliographique sur les cartes marines anciennes par T. Campbell
sont poursuivis et mis à jour en ligne : T. Campbell, « Portolan Charts from the Late Thirteenth
Century to 1500 », dans J. B. Harley, D. Woodward (dir.), History of Cartography, op. cit., vol. 1,
p. 441-444 ; voir http://www.maphistory.info/portolanextra.html.
11. C’est le point de vue classique de M. Mollat, M. de La Roncière, Les Portulans, Paris, Nathan,
1984 ; de même Y. K. Fall, L’Afrique à la naissance de la cartographie moderne, Paris, Karthala,
1982 (ouvrage parsemé d’erreurs et d’approximations).

222
Les cartes marines, xiv e -x vii e siècle

reposent sur un canevas de lignes de vents difficile à interpréter pour le non-


initié, le code de couleurs et la valeur de l’échelle ne sont pas explicites, le mode
de projection n’est toujours pas fermement élucidé. À vrai dire, la carte mentale
que la plupart des gens de nos latitudes ont à l’esprit aujourd’hui, celle de notre
planisphère scolaire, n’est pas la carte marine médiévale et moderne, mais bien
le planisphère ptoléméen adapté par Mercator et centré plus ou moins sur
l’Europe 12. Par ailleurs, les méthodes informatiques de cartographie ont égale-
ment largement bouleversé cette illusion d’une forme objective du monde : en
variant les paramètres de calcul (projection, orientation, distances en fonction
du temps de parcours, etc.), ou le contenu de la carte (relief, population,
économie, etc.), la forme et le contenu des cartes varient aujourd’hui à l’infini.
L’abandon du paradigme Ptolémée-Mercator de l’époque moderne nous fait
paradoxalement mieux comprendre l’intérêt et la pertinence des représenta-
tions médiévales, qui allient sans problème, jusqu’à la fin du xve  siècle, les
mappemondes schématiques et les cartes marines si « ressemblantes ».
Si les cartes attestent en effet d’une appropriation pratique de l’espace mari-
time, et d’une connaissance accrue de la forme des littoraux, elles sont donc
avant tout le signe d’une conquête intellectuelle de cet espace, appréhendé,
mesuré et mis en forme, bien au-delà de l’expérience des navigateurs.

Une représentation fonctionnelle ?


Le deuxième problème est celui des usages reflétés par cette forme conven-
tionnelle des cartes marines. Elles sont issues de la pratique des marins dans
la mesure où elles sont des compilations visuelles d’informations recueillies
sur le terrain : en ce sens, elles témoignent de la fréquentation des espaces
maritimes, autre forme d’appropriation de l’espace. Mais la question de leur
utilisation effective en mer, et de la manière dont elles étaient utilisées, est
régulièrement débattue. Il est d’une part prouvé que des cartes nautiques
étaient utilisées à bord des bateaux dès le xiiie siècle, ou même le xiie siècle 13.
Les archives étudiées par Ramon Pujades i Bataller ont révélé qu’elles circu-
laient en grande quantité et qu’elles étaient d’un usage courant 14. Dans le
manuel d’instructions maritimes rédigé par Benedetto Cotrugli, un marchand
de Raguse au xve siècle, il est dit que tous les marins confirmés (marinari,

12. P. Gautier Dalché, La Géographie de Ptolémée, Turnhout, Brepols, 2009.


13. Id., Carte marine et portulan au xiie siècle. Le Liber de existencia riveriarum et forma maris
nostri mediterranei, Rome/Paris, École française de Rome/De Boccard (Collection de l’École
française de Rome, 203), 1995.
14. R. Pujades i Bataller, Les cartes portolanes…, op. cit., p. 452-463 ; id., « Les cartes de navigation,
premières cartes à large diffusion sociale », dans C. Hofmann, H. Richard, E. Vagnon (dir.),
L’âge d’or des cartes marines…, op. cit., p. 60-67.

223
emm a nuelle vagnon

­ autae, par o­ pposition aux fanti, et novelli, les novices) doivent savoir maîtri-
n
ser la lecture d’une carte de navigation.
Les marins sont des hommes qui doivent diriger notre navigation et
ils sont dits « marins de la mer », en latin nautae a navigando. Ceux-ci
doivent savoir la carte de navigation, la boussole et la raison des vents
et l’arbitrage, bref l’ensemble de notre art […] 15.
La ragion de li venti désigne aussi bien le régime des vents dans la voilure du
navire que l’ordre et la répartition (du latin ratio) des directions de la rose des
vents, avec laquelle on détermine un cap ; « l’arbitrage » fait référence à la capacité
de jugement du marin, qui doit prendre en compte le sens du vent, les courants
et la dérive du navire pour choisir la manœuvre appropriée. La carte faisait donc
partie de l’apprentissage pratique et théorique à un certain niveau de compétence
et d’autorité, nécessitant une vue d’ensemble et une formation intellectuelle
sanctionnée par un examen de passage : le jeune est placé entre deux marins et
doit répondre à des questions sur des situations pouvant survenir (passage étroit
entre deux îles, vents qui changent de direction), en s’aidant de la carte.
Le débat entre les historiens porte plutôt sur la manière d’utiliser les cartes
marines comme aide à la navigation alors que leur échelle plutôt petite ne per-
met pas à première vue de montrer les détails utiles de la côte. Patrick Gautier
Dalché a d’abord souligné, à propos de la traversée de saint Louis en 1270, qu’il
ne fallait pas imaginer pour cette époque une méthode proche de la navigation
moderne où l’on fait le point en s’aidant de la carte : son rôle était certainement
bien plus modeste et occasionnel, après une tempête en l’occurrence 16. Un
nouveau document, édité et commenté par Ramon Pujades i Bataller, présente
une situation similaire, au début du xve siècle. Là encore, la carte est montrée
après la tempête, et sert d’image de référence à cause de la perte des repères
visuels traditionnels ; mais elle est aussi suffisamment précise pour choisir entre
plusieurs options : les navigateurs aragonais, égarés à proximité de la Sicile
en 1405, cherchent à déterminer la dérive du navire et à reconnaître les îlots,
« montrant leurs doutes par les cartes et les compas 17 ». Selon une théorie qui
me paraît tout à fait convaincante, le dessin mnémotechnique des îles et des
estuaires, aux contours géométriques et parés de couleurs vives, était proba-
blement une aide au repérage des manœuvres pour entrer dans des détroits

15. Benedetto Cotrugli, De navigatione. Yale University, Beinecke Rare Book and Manuscript Library,
Medieval and Renaissance Manuscript, MS 557, éd. par D. Salopek, Zagreb, Ex Libris, 2005 ; le
passage est cité dans R. Pujades i Bataller, Les cartes portolanes…, op. cit., p. 446. Transcription
en ligne de la totalité du texte par P.  Falchetta : http://geoweb.venezia.sbn.it/cms/images/­
stories/Testi_HSL/Cotrugliy.pdf.
16. P. Gautier Dalché, Carte marine et portulan…, op. cit., p. 26-27.
17. R. Pujades i Bataller, « Les cartes de navigation, premières cartes… », art. cité, p. 66-67.

224
Les cartes marines, xiv e -x vii e siècle

ou aborder un port 18. La carte témoigne alors d’une appropriation technique


de l’espace maritime, par le moyen de signes conventionnels avertissant des
hauts-fonds, des îlots, et des passages difficiles, ou simplement rappelant leur
présence au marin qui les connaît déjà par expérience.
Mais pour des navigations routinières, ou pour des manœuvres locales pré-
cises, la carte n’était sans doute pas indispensable ; c’était au pilote de guider le
navire, le plus souvent grâce à sa mémoire et son habitude des lieux. Sa responsa-
bilité était immense car il engageait la vie des passagers et la cargaison tout entière.
Les textes juridiques médiévaux les plus anciens concernant le droit maritime,
les Rôles d’Oléron (élaborés fin xie ou début xiie siècle sur la côte atlantique) et le
Consulat de mer (Catalogne, xiiie siècle), précisent tous deux que le pilote qui se
trompe, alors qu’il avait promis d’amener le navire à bon port, et provoque une
catastrophe, est livré à la fureur de l’équipage et peut légitimement avoir la tête
« coupée » ou « cassée 19 ». À aucun moment on ne mentionne l’usage de cartes, ce
qui ne veut pas dire qu’elles n’étaient pas utilisées, mais que la méthode d’inter-
vention du pilote n’est pas précisée par ce type de règlement de droit maritime 20.

Un symbole culturel
Après l’appropriation intellectuelle et l’appropriation fonctionnelle de l’es-
pace maritime, la troisième forme est une appropriation culturelle et sociale,
dont les cartes marines étaient le symbole et le vecteur. Ces cartes magnifiques,
soigneusement enluminées, acquises par des armateurs et des patrons de navires,

18. T. Campbell, « Why the Artificial Shapes for the Smaller Islands on the Portolan Charts (1300-
1600) Help to Clarify their Navigational Use », dans E. Vagnon, C. Hofmann (dir.), Cartes &
Géomatique. Revue du CFC, 216 : Cartes marines…, op. cit., p. 47-54 ; je remercie également
R. Pujades i Bataller pour les nouveaux exemples apportés à cette démonstration au cours du
séminaire du 9 avril 2014 (IRBIMMA, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).
19. J.-M. Pardessus, Collection de lois maritimes antérieures au xviiie siècle, Paris, Imprimerie royale,
1828, chap. 8 : « Coutumes de la mer connues sous le nom de Rooles ou Jugemens d’Oléron »,
p. 283-354. Les articles 25, 39 et 40 concernent la responsabilité du pilote ; Consulat de la mer,
ou Pandectes du droit commercial et maritime, éd.  par P.-B.  Boucher, traduit du catalan en
français d’après l’édition originale de Barcelone de l’an 1494, Paris, Arthus-Bertrand, 1808, t. 2,
p. 429-431, en particulier le § 809.
20. Les Rôles d’Oléron, dans l’édition de J.-M. Pardessus, Collection de lois maritimes…, op. cit., pré-
cisent que le châtiment est justifié si le pilote provoque volontairement le naufrage pour livrer
le navire et sa cargaison à des pirates complices ; le Consulat ne mentionne que la négligence ou
la tromperie. P.-B. Boucher, à propos du même passage dans le Consulat, souligne le caractère
exagéré des peines (tête cassée du pilote § 809, vigie jetée à la mer § 817) ; G. Guyon s’accorde
avec l’idée que le châtiment est « tout à fait métaphorique dans sa forme et son exemplarité » ;
il juge pourtant vraisemblables les peines atroces énoncées pour ceux qui attaquent et volent
les naufragés : G. Guyon, « Les coutumes pénales des Rôles d’Oléron : un droit pénal maritime
original ? », dans Études à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, Pessac, Presses univer-
sitaires de Bordeaux, 2003, p. 327-343.

225
emm a nuelle vagnon

signalaient la fierté des cités maritimes et des gens de mer, attestaient de leurs
compétences et de l’étendue de leurs connaissances. Ce qu’on appelle encore les
« écoles » de cartographie manifestent par le style commun de leurs cartes et le
soin apporté à leur décoration le lien entre leur cité et la mer. Cet aspect que nous
dirions aujourd’hui publicitaire et identitaire se renforce à l’époque moderne, en
particulier pour Venise et Gênes, mais aussi à Lisbonne ou à Dieppe 21.
Certains documents, parmi lesquels beaucoup n’ont pas encore été étudiés
dans cette perspective, montrent également que des armateurs ou des mar-
chands possédaient et commandaient des cartes, de manière à se représenter les
parcours des navires chargés de denrées, et l’ampleur de leurs affaires 22. L’usage
de la carte de navigation comme instrument de commerce n’est donc pas
négligeable, et elle manifeste une forme d’appropriation de l’espace maritime
par des réseaux commerciaux très actifs dans les cités marchandes italiennes
et catalanes à la fin du Moyen Âge 23. Par ailleurs, la valeur des cartes marines
comme outils de référence géographique à terre, et sans doute comme matériel
pédagogique, est un champ qu’il reste à explorer 24.

La carte comme illustration des rapports de force politiques


sur l’espace maritime

Une iconographie politique dans l’espace maritime des croisades


En effet, loin d’être limitées à un compte rendu topographique des
rivages fréquentés par les marins occidentaux, les cartes portulans ­médiévales

21. C. Astengo, « Les cartographes de la Méditerranée aux xvie et xviie siècles », et S. Toulouse, « Les
hydrographes normands (xvie et xviie siècles) », dans C. Hofmann, H. Richard, E. Vagnon
(dir.), L’âge d’or des cartes marines…, op. cit., respectivement p. 72-85 et 136-147.
22. De nouveaux documents permettraient d’approfondir cet aspect, par exemple, dans les archives
de la compagnie du marchand de Prato Francesco Datini ; par exemple la lettre de Luca del
Biondo demandant une carte de navigation à l’agent de la compagnie Datini à Majorque.
R. Pujades i Bataller, Les cartes portolanes…, op. cit., no 101, p. 435. I. Houssaye, « Entre Majorque
et l’Afrique. Configuration de l’espace et réseaux juifs d’après les sources commerciales ita-
liennes (fin xive-début xve siècle) », Revue des études juives, 172/3-4, 2013, p. 337-372 : ici p. 370.
Notons que, même si les cartographes de Majorque appartiennent à la communauté juive, ce
ne sont pas spécialement les réseaux commerçants juifs qui sont représentés. La plupart des
commanditaires sont des chrétiens. R. Pujades i Bataller, Les cartes portolanes…, op. cit., p. 452.
23. Benedetto Cotrugli (1416-1469), auteur de L’art de naviguer cité ci-dessus, truffé de références
littéraires, a signé également un manuel de commerce qui s’apparente davantage à un livre de
morale humaniste destiné à l’élite marchande qu’à un traité technique : Benedetto Cotrugli, Il
libro dell’arte di mercatura, éd. par U. Tucci, Venise, Arsenale Editrice, 1990.
24. Quelques remarques en ce sens par P. Gautier Dalché, « Une géographie provenant du milieu
des marchands toscans (début du xive siècle) », dans id., L’espace géographique au Moyen Âge,
op. cit., p. 171-179.

226
Les cartes marines, xiv e -x vii e siècle

et modernes contiennent des informations de géographie humaine, éco-


nomique, politique et religieuse, qui donnaient une image d’ensemble du
monde parcouru par les marins et les marchands. Dès les premières cartes
marines connues, il est manifeste que l’espace maritime est conçu comme un
lieu d’interactions entre les puissances du littoral. Les plus anciennes cartes
signées, celles de Pietro Vesconte à Gênes et à Venise, sont liées étroitement au
contexte des projets de croisade du xive siècle 25. Les pavillons héraldiques qui
connaissent une longue postérité signalent les rapports de force entre Orient
et Occident, entre sud et nord de la Méditerranée, localisent les implantations
occidentales du Levant et les possessions de l’Empire byzantin, indiquent les
terres et les littoraux sous domination islamique.
Ainsi, ces cartes marines sont aussi des cartes politiques. Les cartes de style
catalan, réalisées le plus souvent à Majorque à partir du xive siècle, comme le
fameux Atlas catalan de la Bibliothèque nationale de France 26, ont de nombreux
points communs avec le Libro del conoscimiento, un texte décrivant les diffé-
rentes régions du monde en détaillant les armoiries (réelles ou imaginaires) des
puissances politiques qui les gouvernent 27. Les pavillons comme les vignettes
urbaines permettent de savoir du premier coup d’œil quels sont les espaces
urbanisés, dotés de ports importants, et quels sont les rivages contrôlés par des
puissances alliées ou ennemies. Ils situent par exemple les empires insulaires et
côtiers des grandes cités maritimes (la Romanie génoise, la Crète vénitienne,
les Baléares aragonaises) 28. Les cartes les plus tardives signalent également, de
manière très générale, l’avancée des Turcs en Asie Mineure et en mer Égée.

Un gouvernement des mers absent des cartes


Néanmoins, les cartes marines ne nous disent rien de précis sur la nature
des pouvoirs exercés sur les mers par les puissances riveraines. Il ne s’agit en
aucun cas d’une cartographie des eaux territoriales, notion qui, nous le ver-
rons, a elle-même son histoire. Comme pour les conventions cartographiques

25. B.  Degenhart, A.  Schmitt, « Marino Sanudo und Paolino Veneto », Römisches Jahrbuch für
Kunstgeschichte, 14, 1973, p. 1-137.
26. BNF, ms. esp. 30, Atlas catalan.
27. El Libro del conoscimiento de todos los reinos (The Book of Knowledge of All Kingdoms), éd. par
N. F. Marino, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, 1999 ; Libro del
conosçimiento de todos los rregnos et tierras et señorios que son por el mundo, et de las señales et armas
que han. Edición facsimilar del manuscrito Z, Múnich, Bayerische Staatbibliothek, cod. hisp. 150,
éd. par M. J. Lacarra, M. d. C. Lacarra Ducay et A. Montaner, Saragosse, Institución Fernando
el Católico (CSIC), 1999.
28. Je rejoins sur ce point l’opinion de A. Savorelli (dans ce même volume) et je le remercie pour
les discussions à ce sujet. L’iconographie héraldique des cartes marines est une tentative pour
formaliser visuellement, même de manière imprécise, de grands ensembles géopolitiques.

227
emm a nuelle vagnon

et la pratique de ces cartes, destinées aux initiés, une grande part d’impli-
cite préside à la lecture et à la compréhension des vignettes héraldiques qui
parsèment les plus beaux exemplaires. L’emplacement des pavillons n’est pas
toujours très clair, et l’aire de contrôle de chaque puissance n’est pas définie.
La réalité des pouvoirs exercés reste floue : flotte militaire ? contrôle juridique ?
monopole commercial ? L’espace maritime lui-même est neutre : ni coloré, ni
délimité, entre les zones littorales. De même, on cherche en vain sur les cartes
médiévales des signes ou des couleurs établissant la juridiction de telle cité, tel
État, sur une portion de littoral 29. Nous ne voulons pas ici suggérer que ces
cartes seraient lacunaires, ou moins exactes par rapport à des exemplaires plus
récents ; il faut comprendre que du point de vue des utilisateurs de ces cartes au
Moyen Âge, ces informations n’avaient pas besoin d’être explicitées, soit parce
qu’elles n’étaient pas jugées pertinentes pour l’usage que l’on avait de la carte,
soit parce qu’elles étaient connues par ailleurs. Une autre explication tient à
la nature du pouvoir, tel qu’il est conçu à la fin du Moyen Âge : pouvoir sur
les hommes plus que sur des lieux, il ne se laisse pas aisément cartographier.
Les portulans textuels, qui pourraient dans une certaine mesure être consi-
dérés comme des compléments des cartes, n’apportent pas plus d’informations
sur la géographie politique des espaces maritimes. Le Compasso da navigare,
par exemple, énumère les toponymes côtiers sans interruption, traitant l’espace
géographique de manière politiquement neutre, contrairement aux récits de
voyages ou aux traités de commerce, où la prise en compte des puissances poli-
tiques et des tracas douaniers est un aspect important des négociations 30. La
plupart du temps, la portion de littoral décrite n’est pas attribuée à une région
précise, encore moins à un État. Cette neutralité assurait-elle la postérité du
document au-delà des vicissitudes historiques ?
Les cartes marines médiévales, nous l’avons vu, fournissent quelques élé-
ments à partir des pavillons héraldiques, mais en revanche ne donnent jamais
le nom des différentes parties de la mer Méditerranée. On ne trouvera pas par
exemple la mention du « golfe de Venise ». Contrairement aux dessinateurs
des cartes de Ptolémée, copiées au xve  siècle pour les éditions latines de la
Géographie, qui détaillent les noms antiques des golfes de la mer Méditerranée,

29. Ce n’est que plus tard, sur des cartes anglaises de la fin du xviie siècle (et encore sans légende
explicative), qu’on peut déceler une signification territoriale de couleurs alternées le long des
littoraux ; par exemple les cartes de John Thornton : C. Hofmann, H. Richard, E. Vagnon
(dir.), L’âge d’or des cartes marines…, op. cit., p. 179.
30. Une exception ancienne dans le De viis maris (xiie siècle), qui est à mi-chemin entre le portulan
et la description vivante d’un itinéraire de croisade. L’auteur signale les terres chrétiennes et
musulmanes de part et d’autre du détroit de Gibraltar. P. Gautier Dalché, Du Yorkshire à l’Inde.
Une « géographie » urbaine et maritime de la fin du xiie siècle (Roger de Howden ?), Genève, Droz,
2005, § 6, p. 195.

228
Les cartes marines, xiv e -x vii e siècle

et parfois les actualisent, les cartographes des cartes portulans, même les plus
ornementales, renforcent l’illusion d’une neutralité de l’espace maritime, par
opposition aux terres soumises explicitement à un souverain ou une puissance
territoriale par la présence du blason et par un nom de région.
La réalité des territoires maritimes
Cette représentation contraste avec la réalité de pouvoirs maritimes attestés
par la toponymie dans les sources littéraires et les archives : la mer Adriatique
est appelée fréquemment « le golfe de Venise », la Manche est la « mer des
Anglais 31 ». Il existait d’importants moyens de contrôle de ces espaces dès le
Moyen Âge : droits de douane perçus lors du passage entre deux îles, à l’arrivée
dans un port, monopole de circulation des convois de coques ou de galées, acti-
vités de piraterie organisée ou au contraire de police des mers 32. Les premiers
traités de droit maritime sont formalisés très tôt : nous avons cité plus haut les
Rôles d’Oléron et le Consulat de mer qui constituent les bases de différents textes
de droit maritime en Europe du Nord et en Méditerranée jusqu’à l’époque
contemporaine. Néanmoins, il est à noter que ces règles générales s’appliquent
aux rivages, aux activités maritimes et aux gens de mer, mais ne définissent pas
de zones maritimes rattachées à des territoires.
Sur la côte atlantique, la création de la charge d’amiral de France, sous le
règne de Louis IX, au début du xiiie siècle, témoigne de l’extension du pouvoir
symbolique du roi sur les espaces maritimes océaniques ; au niveau local, la
notion d’eaux territoriales et de frontière maritime apparaît comme en fili-
grane 33. Mais c’est à Venise que s’affirme le plus nettement le dominium sur
une mer, l’Adriatique, revendiquée comme « territoire maritime », et substituée
à la seigneurie classique sur des terres 34. Une historiographie abondante et un
appareil juridique important justifient, jusqu’au début du xviie  siècle, cette

31. M. Russon, Les côtes guerrières. Mer, guerre et pouvoirs au Moyen Âge. France-Façade océanique
(xiiie-xve siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 22.
32. H. Lecohérel, « La mer dans l’équilibre des pouvoirs entre Capétiens et Plantagenêts », dans
C. Buchet, J. Meyer, J.-P. Poussou (dir.), La puissance maritime, Actes du colloque international
tenu à l’Institut catholique de Paris (13-15 décembre 2000), Paris, Presses de l’université Paris-
Sorbonne, 2004, p. 145.
33. J.-C. Cassard, « Frontières de mer et marine ducale, l’exemple breton, fin ve-début xvie siècle »,
dans J.-P. Bois (dir.), Défense des côtes et cartographie historique, Actes du CXXIVe Congrès natio-
nal des sociétés historiques et scientifiques (Nantes, 19-26 avril 1999), Paris, Éd. du Comité
des travaux historiques et scientifiques, 2002, p. 33-51. J.-L. Sarrazin, « L’état et la seigneurie :
le contrôle du littoral poitevin à la fin du Moyen Âge », dans G. Le Bouëdec, F. Chappé (dir.),
Pouvoirs et littoraux du xve au xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, p. 29-40.
34. R. Descendre, « Quand la mer est territoire… », art. cité, p. 61, cite Paolo Sarpi (1612) : Il mar
Adriatico e il territorio di Venezia.

229
emm a nuelle vagnon

appropriation, économique, militaire et juridique, d’un espace maritime cir-


conscrit entre les rivages de l’Italie et de la côte dalmate 35.
Cependant, il me semble que ce dominium maritime n’est jamais à pro-
prement parler matérialisé sur les cartes marines médiévales. Même dans le
cas de Venise, à la fois Seigneurie maritime et important centre de production
de cartes marines, la mer Adriatique n’est pas désignée comme possession
vénitienne 36. Certes, la cité lagunaire est-elle souvent représentée, de manière
somptueuse, au fond du golfe, mais au même titre que d’autres cités impor-
tantes, Gênes ou Alexandrie, sans que l’espace maritime qui les entoure leur
soit strictement attribué 37. Il est ainsi difficile de considérer les cartes marines
comme des documents attestant de l’appropriation de la mer par certaines
puissances politiques, au moins jusqu’au xvie  siècle. On ne trouve pas par
exemple, parmi les cartes conservées, l’équivalent des cartes locales servant à
définir les limites d’une seigneurie. Les cartes marines ne servent pas à fonder
le droit territorial au Moyen Âge, même si on leur accorde ponctuellement
une valeur documentaire, par exemple à l’occasion d’un litige portant sur la
réglementation douanière au large de Majorque 38.

La théorisation du droit maritime = la liberté des mers


et le rôle idéologique des cartes
Hugo Grotius et le contexte du Mare liberum
Le lien entre la cartographie et la question des eaux territoriales est fait
plus tard, au début du xviie siècle, dans le célèbre plaidoyer de Hugo Grotius
(1583-1645) : le fameux Mare liberum, en 1609. Il n’y a pas lieu ici de faire le
point sur les sources et la portée de l’œuvre du juriste néerlandais, commenté
dans une abondante bibliographie spécialisée 39. Mais à ma connaissance, aucun

35. B. Doumerc, « L’Adriatique, une proie dans les griffes du lion vénitien (xie-xvie siècle) », dans A. Nef
(dir.), Les territoires de la Méditerranée…, op. cit., p. 15-34, avec une abondante bibliographie.
36. Ainsi sur les atlas vénitiens de Grazioso Benincasa, voir T. Campbell, http://www.maphistory.
info/portolan.html, et la présentation des cartes portulans sur Gallica, http://expositions.bnf.
fr/marine/gallica/index.htm.
37. Par exemple, la carte de Petrus Roselli, 1462, BNF, département Cartes et Plans, GE C-5090
(RES) (permalien sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53064888c).
38. Palma de Majorque, Arxiu del Regne de Mallorca, A. J. 474, fol. 129r-v. Édité par R. Pujades i
Bataller, Les cartes portolanes…, op. cit., p. 436-437. Traduit et commenté par E. Vagnon, « La
représentation cartographique de l’espace maritime », dans P. Gautier Dalché (dir.), La Terre.
Connaissance…, op. cit., p. 495-499.
39. Nous avons utilisé Hugo Grotius, Mare liberum. De la liberté des mers, 1609 (traduction de
A. Guichon de Grandpont, Paris, Imprimerie royale, 1845), réédité par l’université de Caen
(Caen, Centre de philosophie politique et juridique, 1990) ; P.  Adam, « Méditerranée, mer

230
Les cartes marines, xiv e -x vii e siècle

commentateur n’a remarqué les arguments qui renvoient à la représentation du


monde de son temps et n’en a tiré des conclusions sur l’évolution de la concep-
tion de la carte comme instrument de pouvoir. L’intérêt de la démonstration
de Grotius pour notre sujet est double : d’une part parce qu’il appuie son
argumentation sur des coutumes du passé, attestant donc des usages d’appro-
priation de la mer antérieurs au xviie siècle ; d’autre part parce qu’il dénonce
dans le même temps un abus de pouvoir sur les mers largement diffusé par la
propagande cartographique du xvie siècle.
La position de Grotius ne peut être bien comprise sans la connaissance
de son contexte. Le jeune avocat (il a alors 26  ans) écrit à la demande des
membres de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales un Commentaire
sur le droit de prise, à l’occasion d’un incident dans le détroit de Malacca. L’un
des chapitres de ce commentaire, détaché et publié à part, constitue le Mare
liberum sive de jure Bativis competit ad Indiana commercia dissertatio. Le juriste
défend donc les ambitions des Pays-Bas qui désirent, au début du xviie siècle,
se tailler une part du profit des grandes découvertes, en particulier dans l’océan
Indien et en Indonésie. Le traité de Tordesillas, en 1494, avait proclamé sous
l’autorité du pape le partage des océans entre Espagnols et Portugais le long
d’un méridien, situé à 370 milles des îles du Cap-Vert. Grotius conteste cet
arbitrage au nom de plusieurs principes, dont le plus important est celui du
« droit naturel » qui ferait de la mer et de l’océan un don de la nature à tous les
hommes, et donc libre de toute domination :
L’élément des mers est commun à tous, trop immense pour être possédé
par personne, et disposé merveilleusement d’ailleurs pour l’usage de tous 40.
L’opuscule eut une postérité considérable, puisque la thèse de la mer libre
l’emporta finalement face à une floraison de traités juridiques, ayant pour objet
la légitimation de la puissance maritime : celle de Venise sur l’Adriatique, dans
les Scritture del Dominio sopra il mar adriatico (1612) par Fra Paolo Sarpi (1552-
1623), celle de l’Angleterre sur les mers septentrionales, dans le traité de John
Selden, le Mare clausum (1635) 41.

ouverte ou mers ouvertes. Stratégies maritimes et droits de la mer », dans C. Villain-Gandossi,


L. Durteste, S. Busuttil (éd.), Méditerranée. Mer ouverte, t. 1 : Du xvie au xviiie siècle, Actes du
colloque de Marseille (21-23 septembre 1995), Marseille, Université de Provence, 1997, p. 23-29.
E. Ferrante, « L’autre thèse, les théoriciens italiens de la Mare clausum au début du xvie siècle »,
dans C. Villain-Gandossi, L. Durteste, S. Busuttil (éd.), Méditerranée…, op. cit., t. 1, p. 31-40 ;
R. Descendre, « Quand la mer est territoire… », art. cité ; B. Doumerc, « L’Adriatique, une
proie dans les griffes… », art. cité.
40. Hugo Grotius, Mare liberum…, op. cit., p. 681.
41. Paolo Sarpi, Il dominio del Mare Adriatico, éd. par R. Cessi, Padoue, Tolomei, 1945. Grotius
s’appuie lui-même sur des juristes espagnols, Vitoria et de Vasquez.

231
emm a nuelle vagnon

Grotius ne conteste pas l’existence d’eaux territoriales dans l’Antiquité et au


Moyen Âge, attestées et confirmées par la coutume ; l’objectif de ce plaidoyer
est de refuser l’application de ce concept aux espaces océaniques 42. Ses argu-
ments sont les suivants : d’une part la puissance maritime s’appliquait jusque-là
à de petits espaces méditerranéens, cloisonnés comme on délimite son champ,
entre deux îles ou au fond d’un golfe, mais ne concernait pas le grand large,
ou de manière abusive ; d’autre part cette juridiction s’appliquait (ou aurait dû
s’appliquer) non pas aux espaces maritimes en tant que tels, mais aux hommes
qui relevaient de telle ou telle juridiction 43.

La théorisation de la liberté des mers contre les puissances ibériques


Une fois posé le principe d’un droit naturel soustrayant l’espace maritime
à la propriété d’un individu ou d’un peuple, Grotius démontre point par
point l’illégitimité des revendications ibériques sur les océans, en particulier
l’océan Indien.
Son argumentation concerne non seulement les mers mais aussi les pré-
tendues colonies ibériques. Grotius leur dénie toute légitimité dans la mesure
où les Portugais ne sont qu’un agent parmi bien d’autres du commerce dans
l’océan Indien. Grotius relativise radicalement la portée de ce qu’on appelle
encore les « grandes découvertes », qui n’ont rien découvert en ce qui concerne
l’Inde, connue selon lui depuis l’Antiquité (il cite Horace et Pline). En outre,
les espaces asiatiques ont déjà leurs propres maîtres 44.
Les îles dont nous parlons ont et eurent toujours leurs rois, leurs intérêts
publics, leurs législations et leurs droits. Le commerce y est accordé aux
Portugais comme aux autres nations, et par cela même qu’ils paient des
tributs, par cela même qu’ils sollicitent des princes le droit de commer-
cer, ils reconnaissent assez qu’ils ne sont pas les maîtres de ces contrées
[…]. Et d’abord s’ils prétendent que ces terres leur appartiennent en

42. R. Descendre souligne que le plaidoyer de Grotius n’est donc pas en contradiction, comme on
le croit souvent, avec les arguments de Sarpi, qui s’appliquent à la mer Adriatique limitée par
des terres, et dont l’appropriation repose sur la coutume, l’histoire et la défense effective de cet
espace (R. Descendre, « Quand la mer est territoire… », art. cité, p. 56-57). Pour un exposé des
étapes de cette domination, lire l’excellent exposé de B. Doumerc, « L’Adriatique, une proie
dans les griffes… », art. cité, notamment p. 19-28.
43. Hugo Grotius, Mare liberum…, op. cit., p. 683-687 ; Grotius distingue d’ailleurs clairement la
protection et juridiction sur la mer et ses usagers, de la propriété, p. 687.
44. Il récuse en cela l’argument du droit romain qui permet la prise de possession d’une chose
n’appartenant à personne, res nullius. L’argument est a contrario valable pour Venise, qui
prend possession d’une lagune déserte lors de sa fondation, selon Paolo Sarpi. B. Doumerc,
« L’Adriatique, une proie dans les griffes… », art. cité, p. 17-18.

232
Les cartes marines, xiv e -x vii e siècle

récompense de la découverte [inventionis] qu’ils en ont faite, ils ne


parlent ni selon le droit, ni selon la vérité 45.
Grotius dénie dans le même temps la valeur d’une donation pontificale sur
des espaces qui appartiennent déjà à des peuples en toute légitimité et, il faut
le noter, en toute égalité en fonction de ce droit naturel 46.
Un autre argument concerne une appropriation par la force et le contrôle
naval : aucune puissance ne saurait contrôler de si vastes océans (là encore,
contrairement à une mer étroite ou un golfe), et Grotius n’est pas loin de
se moquer des Portugais lorsqu’il souligne la faiblesse de leur flotte. Pour
lui, la mer appartient à ceux qui peuvent y naviguer, donc le contrôle des
routes maritimes revient aux flottes les plus aptes. Cet argument revient bien
entendu à affirmer la suprématie de facto des Hollandais, et en l’occurrence
de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, qui déploie au même
moment sa puissance commerciale et stratégique.

Le rôle de la cartographie
Par ailleurs, la critique de l’argument de la donation pontificale, c’est-à-
dire du traité de Tordesillas de 1494, par Grotius, éclaire sous un jour par-
ticulier les usages de la cartographie moderne comme instrument de propa-
gande et de légitimation de l’appropriation des espaces maritimes. En effet,
le plaidoyer du juriste hollandais revient sur l’abus de pouvoir que représenta
autrefois le tracé d’une frontière, partageant le monde entier entre l’Espagne
et le Portugal. Ce tracé implique une représentation du monde, proposée par
les « géomètres » et les « astronomes » – on pourrait ajouter sans contresens, il
me semble, les cartographes.
S’en faut-il à tel point que, tandis qu’ils se partagent le monde au préju-
dice des autres peuples, ils ne puissent invoquer de limites posées, soit par
la nature, soit de main d’homme, mais se prévalent seulement de lignes
imaginaires dans l’espace ? En vérité, si de telles déterminations suffisent
pour déterminer la possession, autant dire que les géomètres nous ont
ravi la terre, que les astronomes nous ont dérobé l’espace des cieux 47 !

45. Hugo Grotius, Mare liberum…, op. cit., chap. 2, p. 669-671.


46. Cet humanisme universel de l’auteur mérite d’être souligné (ibid., p. 670-671) : « C’est même
une hérésie de croire que les infidèles ne sont point maîtres de leurs biens » ; « enfin, les Indiens
d’Orient ne sont ni féroces, ni stupides, mais habiles et industrieux, en sorte qu’on ne peut
même tirer de leur caractère un prétexte à les soumettre, prétexte qui ne laisserait pas que
d’être, par lui-même, d’une iniquité manifeste ». Grotius mentionne que ses sources sont les
juristes et théologiens espagnols, notamment Vitoria (De Indis).
47. Ibid., p. 690.

233
emm a nuelle vagnon

L’auteur fait référence ici bien sûr au méridien pris comme ligne de démar-
cation entre les espaces sous domination espagnole et l’Empire portugais. Si
ce méridien est bien fixé sur des critères astronomiques, on le voit souvent
dessiné, et donc matérialisé, « territorialisé », si j’ose dire, sur les cartes marines
espagnoles et portugaises du xvie siècle ; le message politique est renforcé par
la peinture de pavillons aux armes de l’Espagne et du Portugal sur les terres de
l’Amérique du Sud et de l’Asie 48. Il est clair que Grotius dénie à ce type de carte
tout caractère légitimant : la carte n’est qu’un instrument que l’on modifie à
son gré, et le droit naturel des peuples ne peut être soumis aux « astronomes 49 ».
De plus, la métaphore du tracé, de la route ou de la limite imprimés sur la
carte, et non à la surface du territoire, est filée dans la suite de la page :
Mais personne n’ignore qu’un navire qui traverse la mer n’y prend pas
plus de droit qu’il n’y laisse de trace 50.
Cette belle formule dénie aux explorations maritimes des Portugais la
valeur d’occupation, et donc d’appropriation, d’un territoire. La démonstra-
tion est renforcée par des références savantes classiques, très universitaires,
aux histoires antiques d’une découverte maritime des Indes par Alexandre
le Grand, par des habitants de Cadix au temps d’Auguste, ou encore par les
Carthaginois 51. L’argument cartographique, cette fois clairement ptoléméen,
est retourné contre les Portugais. Comment peuvent-ils prétendre avoir décou-
vert l’océan Indien puisque celui-ci est déjà représenté sur les cartes de la
Géographie de Ptolémée ?
Les gestes de Trajan et les tables de Ptolémée font assez voir que, du
temps de la grandeur de Rome, on faisait des voyages du golfe Arabique
aux Indes, aux îles de l’océan Indien et jusqu’au Chersonèse d’Or,
considéré par la plupart comme le Japon […]. Ces anciens exemples

48. De nombreux exemples dans le catalogue de l’exposition de la BNF : C. Hofmann, H. Richard,


E. Vagnon (dir.), L’âge d’or des cartes marines…, op. cit., p. 119 (planisphère de Salviati), 120-121
(Andreas Homem), 133 (planisphère de Cantino), etc.
49. L’astronomie et la géométrie, matières nobles du quadrivium universitaire, renvoient sans
doute davantage à la Géographie de Ptolémée, telle qu’elle a été étudiée et développée au xve et
au xvie siècle. L’œuvre de l’Alexandrin propose en effet un découpage de la Terre en parallèles
et méridiens, sur lequel s’est fondé en grande partie le traité de Tordesillas. Néanmoins, les
planisphères espagnols et portugais du xvie siècle conjuguent les deux genres, celui des cartes
marines et celui de la Géographie de Ptolémée, pour mettre en scène l’expansion ibérique et
le partage du monde dans un but de propagande et de légitimation. C’est en ce sens qu’ils
relèvent de la critique faite par Grotius.
50. Hugo Grotius, Mare liberum…, op. cit., p. 690.
51. Ce sont déjà les références de Pierre d’Ailly au xve siècle. Pierre d’Ailly, Ymago mundi (1410),
chap. 8, édition et traduction de E. Buron, Paris, Maisonneuve, 1930, t. 1, p. 206-213.

234
Les cartes marines, xiv e -x vii e siècle

prouvent assez que les Portugais n’ont pas été les premiers à parcourir
cet Océan, mais qu’il était déjà connu quand ce peuple y a pénétré 52.
La conclusion de Grotius est sans ambiguïté : l’appropriation de l’espace
maritime, y compris symbolique, par un tracé sur un planisphère, est une
usurpation, illégitime au regard du droit naturel.

Conclusion
Cette brève analyse des relations entre pouvoir et espace d’après la cartographie
marine médiévale et moderne nous amène à la conclusion que ces cartes, éta-
blies d’abord par et pour les navigateurs, ne représentent pas explicitement, au
Moyen Âge, les contours des puissances maritimes. Elles sont d’abord le signe
d’une appropriation intellectuelle et culturelle de l’espace maritime, selon des
conventions qui sont en rapport étroit avec leur fonction nautique initiale ;
elles ont pu également jouer le rôle d’affirmation d’une domination politique
et économique sur les mers, en particulier dans le cas des cartes ornementales.
Cet aspect de propagande s’est accentué au xvie siècle, en particulier dans
la production des planisphères ibériques, figurant le partage du monde entre
Espagnols et Portugais. Mais cette appropriation reste en grande partie sym-
bolique : affirmée par les cartes, mais récusée dans les faits, par le recul des
colonies portugaises en Orient, et dans le droit, par le succès du plaidoyer de
Grotius pour une « mer libre ».
Non sans paradoxe, les Hollandais eux-mêmes, en cultivant la liberté du
commerce au nom de la liberté dite naturelle des espaces maritimes, finissent
aussi par affirmer leur suprématie par leurs cartes, mais plus subtilement que
leurs prédécesseurs. Aux cartes portugaises, espagnoles et normandes, lourde-
ment chargées d’ornements, de blasons et de légendes, succède la production
de cartes hollandaises toute en sobriété protestante, sillonnées de lignes et par-
semées de toponymes, mais sans aucune indication explicitement politique…
si ce n’est la langue utilisée, le néerlandais, et l’ampleur d’une production
manuscrite et imprimée qui supplante rapidement les autres écoles cartogra-
phiques. Finalement c’est aussi par les cartes que les navigateurs hollandais
marquent symboliquement une domination maritime qui ne s’arrête pas aux
frontières d’un territoire.

52. Hugo Grotius, Mare liberum…, op. cit., p. 692.

235
Atlanti simbolici dello spazio politico
I portolani e il Libro del conocimiento
de todos los reinos (secolo XIV)

alessandro savorelli
Scuola Normale Superiore (Pisa, Italia)

La profonda trasformazione dell’imago mundi avvenuta tra il XIII e il XV secolo


si coglie con chiarezza nell’evoluzione della cartografia. Alla vigilia delle sco-
perte geografiche, la forma classica delle mappae mundi medievali, col loro
corredo di citazioni letterarie, religiose e classiche, dalla Bibbia al Romanzo di
Alessandro, ai bestiari, è tramontata da tempo, e su questo mutamento culturale
avevano esercitato un’influenza decisiva i resoconti di viaggio, le carte nautiche
e i portolani. Quella delle mappae mundi era un’immagine mentale del mondo,
un itinerario di «salvezza 1», una mappa «plasmata dalla storia religiosa» prima
che dallo «spazio geografico 2», nella quale anche gli elementi fisici, natura-
listici, antropici, storici e religiosi sono inseriti in una struttura diacronica,
creaturale e provvidenziale, «omaggio della terra alla volontà divina 3».

1. Cfr. P. Gautier Dalché, «L’héritage antique de la cartographie médiévale», in R. J. A. Talbert,


R. Unger (a cura di), Cartography in Antiquity and the Middle Ages. Fresh Perspectives, New
Methods, Leiden, Brill, 2008, p. 29-66.
2. J. Brotton, La storia del mondo in dodici mappe, Milano, Feltrinelli, 2013, p. 130.
3. P. Zumthor, La misura del mondo. La rappresentazione dello spazio nel Medioevo, Bologna, Il
Mulino, 1995, p. 313. Sull’evoluzione della cartografia medievale cfr. in generale: D. Woodward,
«The Context and Study of “Mappaemundi”», in J. B. Harley, D. Woodward (a cura di), The
History of Cartography, vol. 1: Cartography in Prehistoric, Ancient and Medieval Europe and the
Mediterranean, Chicago/Londra, The University of Chicago Press, 1987, p. 286-370; P. Gautier
Dalché, L’espace géographique au Moyen Âge, Firenze, Sismel, 2013.

237
a lessa ndro savor elli

Lo spazio disegnato dai portolani è invece non solo tendenzialmente ogget-


tivo, ma in gran parte secolarizzato, e mirato principalmente sul segmento
temporale dell’attualità: è stato efficacemente detto che i mappamondi stanno
ai portolani nel rapporto di mythos a logos 4. Coi portolani nasce una imago
mundi alternativa: sono «le mappe geograficamente più realistiche del loro
tempo 5». Ciò non toglie che alcuni di loro conservino accanto a finalità tec-
nico-pratiche, un marcato carattere didattico-enciclopedico (rivolto semmai
ad un pubblico laico) 6 e ostentino un ricco apparato testuale e iconografico
che emula in parte quello dei mappamondi 7. Questo apparato non forma
tuttavia un sistema coerente e finalizzato come nelle mappae mundi e implica
invece forme e contenuti del tutto nuovi, tra i quali un’inedita attenzione per
lo «spazio politico» del mondo, non sempre messa adeguatamente in rilievo
dalla critica, a petto della considerazione per i dati geografici in senso stretto
o per la superstite dimensione letteraria dei mirabilia. A chi confronti i map-
pamondi e le carte fino al secolo  XVI inoltrato con le carte moderne, dal
XVII secolo in poi, salta agli occhi una vistosa differenza: la carta moderna
è anche (e via via, soprattutto), una carta «politica», in cui sono segnati i con-
fini degli stati e talora quelli delle loro ripartizioni interne. Le carte antiche,
portolani compresi, al contrario, sono prive di confini politici: lo spazio del
mondo vi appare come uno spazio fisico-naturale o culturale. Proprio nei por-
tolani trecenteschi si verifica però una prima svolta: i confini, come noi oggi
li concepiamo sono assenti, ma surrogati tuttavia dall’inserimento – a tratti
invadente e spettacolare – di elementi allegorici convenzionali (immagini dei
sovrani), e, soprattutto emblematici, araldici e vessillari (ossia stemmi e ban-
diere araldizzate) che marcano i diversi territori 8. Il fenomeno si può analizzare
originariamente in un gruppo di portolani trecenteschi di «prima generazione»

4. M. Quaini, «L’immaginario geografico medievale, il viaggio di scoperta e l’universo concettuale


del grande viaggio di Colombo», in S. Pittaluga (a cura di), Relazioni di viaggio e conoscenza
del mondo fra Medioevo e Umanesimo, Atti del V Convegno internazionale di studi dell’As-
sociazione per il Medioevo e l’Umanesimo Latini (Genova, 12-15  dicembre 1991), Genova,
Dipartimento di archeologia, filologia classica e loro tradizioni, 1993, p. 266-267.
5. T. Campbell, «Portolan Charts from the Late Thirteenth Century to 1500», in J. B. Harley,
D. Woodward (a cura di), History of Cartography, op. cit., vol. 1, p. 373-465: p. 445.
6. Cfr. R.  Pujades i Bataller, Les cartes portolanes: la representació medieval d’una mar solcada,
Barcellona, Institut Cartogràfic de Catalunya, 2007, p.  128-142 (ma cfr. anche il capitolo
sull’evoluzione degli ateliers e sulle tipologie dei prodotti, ibid., p. 236-248, 278-289).
7. A questo aspetto specifico si è dedicata l’opera di P. Billion, Graphische Zeichen auf mittelalter-
lichen Portolankarten. Ursprung, Produktion und Rezeption bis 1440, Marburg/Lahn, Tectum
Verlag, 2011, rielaborazione di una tesi di dottorato. Devo alla cortesia di E. Vagnon la segna-
lazione di questo volume.
8. Appare perciò erroneo quanto scrive a proposito dei portolani («non si interessano di suddivi-
sioni politiche»), A. Terrosu Asole, Il portolano di Grazia Pauli, Cagliari, STEF, 1987, p. XXXIX.

238
Atlanti simbolici dello spazio politico

e cioè i più antichi tra quelli decorati con bandiere – dei circa trenta superstiti,
italiani e catalani – tutti realizzati nell’arco di un sessantennio, che servirono
da prototipo per gran parte della produzione posteriore. Si tratta, fra gli altri,
dei portolani Vesconte (1321, 1327), Dalorto/Dulcert (1325 ca./1339), Pizzigani
(1367), Soler (1380) e del cosiddetto Atlante catalano (1375), destinato a Carlo V
di Francia (dunque ad una committenza alta), il primo esteso a tutta l’Asia e
non solo al Mediterraneo 9.
Ad essi va aggiunto un testo assai singolare, come il Libro del conocimiento
de todos los reinos (Libro del conosçimiento de todos los rregnos et tierras e señoríos
que son por el mundo, et de las señales et armas que han), compilato qualche
decennio dopo la metà del secolo e ritenuto a lungo, non diversamente dai
Viaggi di John Mandeville, letteratura d’evasione. In realtà, come ha scritto
Patrick Gautier Dalché, il Libro del conocimiento s’emploie à représenter par la
fiction du voyage, l’unification du monde par le commerce, corrispondendo aux
goûts culturels du milieu des marchands 10.

9. Perrino Vesconte (Roma, Biblioteca Vaticana, ms. Pal.  Lat. 1362A; Firenze, Biblioteca
Laurenziana, Med. Palat. 248); Angelino Dalorto (Collezione Corsini, Firenze); Angelino
Dulcert (Parigi, Bibliothèque nationale de France, GE B-696 [RES]); Domenico e Francesco
Pizzigani (Parma, Biblioteca Palatina, ms.  Parm.  1612); Atlante catalano (attr. a Abraham
Crescas; Parigi, Bibliothèque nationale de France, ms.  esp.  30); Guillem Soler (Parigi,
Bibliothèque nationale de France, GE  B-1131 [RES]). Sulle discussioni relative all’identifi-
cazione e alla nazionalità di Dalorto/Dulcert, sulla storia della tradizione manoscritta e altri
aspetti filologici, v. ora G. Caraci, Segni e colori degli spazi medievali. Italiani e catalani nella
primitiva cartografia nautica medievale, a cura di I. Luzzana Caraci, Reggio Emilia, Diabasis,
1993, e R. Pujades i Bataller, Les cartes portolanes…, op. cit., p. 254-256.
10. P.  Gautier Dalché, L’espace géographique au Moyen Âge, op.  cit., p.  377-378. Il Libro del
conosçimiento fu edito la prima volta da M. Jimenez de la Espada (Madrid, Fortanet, 1877)
e tradotto in inglese da C.  Markham (Londra, Hakluyt Society, 1912). Si tiene conto qui
delle due edizioni più recenti: El Libro del conoscimiento de todos los reinos (The Book of
Knowledge of All Kingdoms), a cura di N. F. Marino, Tempe, Arizona Center for Medieval and
Renaissance Studies, 1999, p. XLV (d’ora in poi: Libro-ed. Marino), e il Libro del conosçimiento
de todos los rregnos et tierras et señorios que son por el mundo, et de las señales et armas que han.
Edición facsimilar del manuscrito Z, Múnich, Bayerische Staatbibliothek, cod. hisp. 150, a cura
di M. J. Lacarra, M. d. C. Lacarra Ducay e A. Montaner, Zaragoza, Institución Fernando
el Católico (CSIC), 1999 (d’ora innanzi: Libro-Ms.  Z); questa edizione, assai ben curata,
è dotata di un apparato filologico molto ampio e di una buona bibliografia (p.  257-267);
contiene inoltre il facsimile dell’Atlante catalano del 1375 e le tavole con la raccolta completa
delle bandiere contenute nei vari mss. dell’opera. Una traduzione italiana del Libro è apparsa
come Il libro della conoscenza di tutti i regni paesi e signorie che esistono nel mondo e delle ban-
diere e degli stemmi di ciascun paese e signoria come dei re e signori che li governano, a cura di
C. Astengo, Genova, Erga, 2000. Quanto ai Viaggi di Mandeville, è da condividere il giudizio
di T. Kohanski che invita a considerarli una encyclopedia of geography, utile per le informazioni
che è in grado di trasmettere (The Book of John Mandeville. An Edition of the Pynson Text, with
Commentary on the Defective Version, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance
Studies, 2001, p. IX-X).

239
a lessa ndro savor elli

I portolani sopra citati esibiscono ciascuno mediamente 50-60 bandiere,


le cui presenze variano soprattutto in alcune zone del Mediterraneo (Italia,
Balcani, Asia Minore, Maghreb). Quanto al Libro del conocimiento, che non
contiene mappe ma solo testo e illustrazioni, si tratta di un viaggio immagina-
rio, fatto a tavolino, letterariamente meno accattivante degli straordinariamente
diffusi Viaggi di Mandeville, ma tendenzialmente più oggettivo. Di fatto una
enciclopedia geografica, una descrizione del mondo basata su portolani e altre
fonti dirette. Potremmo definirlo un «portolano scritto», un «portolano privo
di mappe» o un «portolano in forma di racconto», che costituisce, con le circa
120 insegne araldiche e vessillari dei suoi vari codici, il repertorio trecentesco
più ampio che si conosca dei segni dei sovrani e degli stati del mondo, basato
certamente su un compendio dell’emblematica dei portolani contemporanei,
molti dei quali non pervenutici 11.
Vari autori hanno analizzato a più riprese il corpus emblematico-araldico dei
portolani, mettendone sì in rilievo il significato non meramente decorativo,
ma perlopiù con intenti filologici (come strumento per la datazione e l’iden-
tificazione di «scuole») o in relazione a problemi interni al fenomeno araldico
stesso, come se i portolani fossero principalmente una fonte per lo studio
dell’araldica o un genere particolare di stemmari 12.

11. Il lavoro più aggiornato sui portolani è R. Pujades i Bataller, Les cartes portolanes…, op. cit.,
come riconosce T. Campbell nella sua prefazione (ibid., p. 15-17), che contiene fra l’altro un
eccellente apparato di illustrazioni e un censimento di carte, portolani e atlanti anteriori al 1470
(ibid., p. 60-70): tra le sue tesi principali, sulla base di un’ampia documentazione d’archivio,
è la smentita del presunto carattere «non pratico» dei portolani (cfr. ibid., p. 16): tesi tuttavia
in parte contestata, con buone argomentazioni, da P. Gautier Dalché, «Les cartes marines:
origines, caractères, usages. À propos de deux ouvrages récents», Geographia antiqua, 20-21,
2011-2012, p. 215-227, che sottolinea la preminenza dell’aspetto culturale su quello tecnico-­
pratico. Resta un classico comunque il lavoro di T. Campbell, «Portolan Charts from the Late
Thirteenth Century…», op.  cit. (sul sito web http://www.maphistory.info/portolanref.html
si possono consultare studi e aggiornamenti bibliografici a integrazione della bibliografia ivi
contenuta), cui si devono aggiungere, tra l’ampia letteratura in argomento, almeno: M. de La
Roncière, M. Mollat Du Jourdin, I portolani. Carte nautiche dal 13. al 17. secolo, presentazione
di O. Baldacci, Milano, Bramante arte, 1992; S. Pittaluga (a cura di), Relazioni di viaggio e
conoscenza del mondo…, op. cit.; si veda inoltre l’importante rassegna contenuta in expositions.
bnf.fr/marine/gallica/index.htm.
12. Cfr. in particolare: G.  Gerola, «L’elemento araldico nel portolano di Angelino dall’Orto»,
Atti del Reale Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, 93, 1933-1934, p. 407-443; id., «Le carte
nautiche di Pietro Vesconte dal punto di vista araldico», in Atti del Secondo Congresso di Studi
Coloniali (Napoli, 1-3  ottobre 1934), Firenze, Olschki, 1935, vol.  2, p.  102-123; di G.  Pasch,
si vedano i vari contributi apparsi in Vexillologia. Bulletin de l’Association française d’études
internationales de vexillologie: «Les drapeaux des cartes-portulans. L’atlas dit de Charles  V
(1375)», 1, 1967, n. 2-3, p. 38-60; «Les drapeaux des cartes-portulans. Drapeaux du Libro del
Conoscimiento», 2, 1969, n. 12, p. 8-32; «Les drapeaux des cartes-portulans (portulans du groupe
Vesconte)», 3, 1973, n. 2, p. 52-62; N. F. Marino, «Introduzione», in Libro-ed. Marino, in partico-
lare p. XLIII-XLVIII; A.-D. von den Brincken, «Portolane als Quellen der Vexillologie», Archiv

240
Atlanti simbolici dello spazio politico

Il sistema emblematico dei portolani trecenteschi mostra in realtà qualcosa


di diverso: è certo un apparato decorativo, proporzionale alle caratteristiche di
pregio e della committenza, ma deve essere letto anche per gli elementi conosci-
tivi che implica, non circoscritti all’aspetto tecnico-araldico. «Le bandiere che
sventolano sopra una tenda o una città – scrive Tony Campbell – identificano,
anche se non sempre in modo accurato, una dinastia regnante, così come le
figure coronate rappresentano sovrani autentici». Questo non significa – egli
sottolinea giustamente, respingendo la tesi del mero significato «ornamen-
tale» – avallare l’ingenua tesi, opposta, che lo scopo delle bandiere sui portolani
sia di fornire aggiornate aggiornate informazioni di tipo «politico» ai naviganti:
tesi smentita fra l’altro dagli anacronismi, dalle incertezze della collocazione
sulla mappa, dalle varianti, dagli inevitabili gap cronologici tra le informa-
zioni e la data delle compilazione della carta e delle sue copie 13. I portolani
mirano dunque a descrivere per la prima volta un altro spazio, quello politico,
fornendo un’informazione di carattere enciclopedico sullo stato del mondo,
sulle costellazioni di potenze politiche e dinastiche, soprattutto per le aree più
lontane e meno conosciute: l’araldica dei portolani si presenta perciò come la
prima tecnica premoderna della costruzione di una cartografia geopolitica, non
più attenta solo alle vetuste nationes della tradizione letterario-erudita, ma alla
costruzione di un atlante simbolico dello spazio politico contemporaneo.
Questo fenomeno è stato definito da Philippe Billion, con una certa dose di
esagerazione un «grande passo in avanti nella storia spirituale dell’umanità 14»:
senza indulgere a questa enfasi, è indubbio che esso implichi un forte carat-
tere di novità. Le conclusioni cui è giunto questo interprete, in un volume
che ­rappresenta la considerazione più estesa dell’apparato iconografico dei

für Diplomatik, Schriftgeschichte Siegel- und Wappenkunde, 24, 1978, p. 408-426; A. Montaner,
«El “Libro del conosçimiento” como libro de armería», in Libro-Ms. Z, p. 43-69. P. E. Russell,
«La heraldica en el Libro del conosçimiento», in Studia Riquer, Barcellona, Quaderns Crema,
1987, vol. 2, p. 687-697; M. de Riquer, «La heráldica en el Libro del Conocimiento y el problema
de su datación», Dicenda. Cuadernos de Filología Hispánica, 6: Estudios y textos dedicados a
Francisco Lopez Estrada, 1987, p. 313-319; id., «La heráldica en el Libro del Conocimiento por
tercera vez», in Letters and Society in Fifteenth-Century Spain. Studies Presented to P. E. Russell
on his Eightieth Birthday, Londra, Dolphin, 1993, p. 149-151. Torna invece ad una valutazione in
chiave meramente decorativistica, come variabile di prezzo degli esemplari di lusso, R. Pujades
i Bataller, Les cartes portolanes…, op. cit., p. 224-234, meno interessato agli aspetti «culturali»
inclusi nei portolani.
13. T. Campbell, «Portolan Charts from the Late Thirteenth Century…», op. cit., p. 397-401: da
qui anche la sua cautela, del tutto giustificata, relativamente all’uso degli emblemi vessillari
come strumento per la datazione delle mappe.
14. P. Billion, Graphische Zeichen…, op. cit., p. 146: Symbole der Macht strukturieren als Bezugspunkte
den Raum; sie bilden ein eigenes Netzwerk von Entitäten der Herrschaft. Diese Visualisierung von
Netzwerken ist eine Kulturtechnik par excellence, und ihre bewusste Benutzung bedeutet einen
grossen Fortschritt in der Geistesgeschichte del Menschheit.

241
a lessa ndro savor elli

­portolani 15, collimano in parte con quelle di Campbell e con le nostre valuta-


zioni. Anche Billion contesta con ragione, sulla scia di Campbell, le tesi oppo-
ste del carattere meramente decorativo dell’araldica dei portolani e, viceversa,
del suo valore tecnico-pratico: stemmi e bandiere sui portolani rappresentano
piuttosto il tentativo di una nuova «visualizzazione dello spazio» che anticipa
aspetti della cartografia moderna 16.
Oltre questo consenso di massima, non si può invece più seguire Billion
nella sua ricostruzione complessiva dell’evoluzione del fenomeno. Egli pro-
pone infatti la tesi di una lineare trasformazione dell’apparato araldico da una
fase decorativistica attenta principalmente ai simboli delle città portuali (come
nei portolani Vesconte), in un articolato «sistema gerarchico di rappresenta-
zione del dominio». Ne conseguirebbe la natura ibrida dei portolani – sulla
scorta delle tesi di Montaner, von den Brincken e Marino – ossia, di veri e
propri «tentativi di costruzione di uno stemmario universale, sotto il primato
della strategia visiva dominata dal principio dell’esatta rappresentazione geo-
grafica 17». In realtà questa tesi, applicabile già con molte riserve al Libro del
conocimiento (che il suo più recente editore definisce appunto «un armorial
portulano») 18, è messa in discussione da dati storici di diverso genere. In primo
luogo da un’esatta valutazione dell’araldica coeva, settore dell’iconografia dei
portolani nel quale Billion si è inoltrato palesemente con un bagaglio insuffi-
ciente di conoscenze (come mostrano peraltro i suoi riferimenti bibliografici
elementari e marginali e i numerosi errori di interpretazione dei segni araldici
in questione) 19. In secondo luogo, proprio da un’analisi ravvicinata del corpus
iconografico-araldico dei portolani, che non mostra né l’evoluzione troppo
schematicamente tracciata da Billion, né la sistematicità da lui individuata.
Il corpus araldico dei portolani è in realtà una costruzione largamente
empirica, che procede per tradizione di fonti, copie, periodici aggiornamenti,
aggregazioni e inserimenti, che non si pone intenti di carattere sistematico e
organico, ma che procede invece solo per approssimazioni, talora relativamente
casuali, tese a fornire alla propria committenza colta un generale quadro di
tipo politico-eciclopedico. Una rigida dicotomia nel tempo tra attenzione al

15. Cfr. in particolare P. Billion, Graphische Zeichen…, op. cit., cap. 1.5 («Herrschaftszeichen»),


p.  120-150, cap.  4.1 («Ursprünge der visuellen Sprache und das mediterrane Judentum»),
p. 278-293 e cap. 5.2 («Ortsunabhängige Traditionen»), p. 307-315.
16. Ibid., p. 132.
17. Ibid., p. 145-146.
18. A. Montaner, «El “Libro del conosçimiento” como libro…», op. cit., p. 65.
19. A titolo d’esempio si vedano le erronee o incerte letture dei casi di Zara, Trebisonda, Fiandra
(P. Billion, Graphische Zeichen…, op. cit., p. 123-124, 132, 140): e ancor più quelle relative ad
altre località extraeuropee, sulle quali torneremo in seguito.

242
Atlanti simbolici dello spazio politico

mondo urbano/gerarchia del dominio 20, come ritiene Billion, non esiste, giacché
l’iconografia araldica dei portolani Vesconte, ad esempio, che egli considera
rappresentativi della fase decorativistica, non si limita al mondo urbano ma
comprende anche l’emblematica di potenze statali mediterranee, dalla Spagna
e dalla Francia fin verso Bisanzio; viceversa, il prodotto più maturo del genere,
il portolano Pizzigani, che apparterrebbe secondo Billion alla seconda fase con-
notata da una presunta «rigorosa struttura gerarchica 21», ha sì ampliato, sulla scia
di Dalorto/Dulcert, la raffigurazione dell’emblematica a tutti gli stati europei,
compresi quelli dell’Europa centrale e settentrionale, ma continua ad aggiun-
gervi un inedito, ampio gruppo di segni di città, italiane e non. L’evoluzione
segna dunque un arricchimento in direzione spaziale e quantitativa, ma non
un cambiamento di strategia visuale: l’emblematica cittadina, ovviamente
concentrata dapprima sulle repubbliche mediterranee, da Barcellona alla
Dalmazia, passando per Marsiglia, Genova, Pisa, Firenze e Venezia, ossia sul
mondo urbano in cui operano gli atelier dei cartografi, si estende al resto degli
stati d’Europa, ma non muta perciò funzione. L’evoluzione è dunque legata
a contingenze di informazione e produzione e a sensibilità locali (relative ai
luoghi di produzione), e non delinea affatto due diverse e successive tipologie
di prodotti. Per rendersene conto è sufficiente dare uno sguardo alle tabelle
in Appendice, qui di seguito, e considerare la relativa casualità di inclusioni e
omissioni nelle varie liste.
L’errore prospettico in cui è caduto Billion (e prima di lui altri autori, alcuni
dei quali ipotizzavano addirittura, senza alcun serio argomento, l’intervento
di uno specialista, un «araldo», nella redazione del Libro del conocimiento),
dipende in parte anche dalla mancata comprensione del carattere degli «stem-
mari universali» medievali e dalla sua astratta sovrapposizione a quello dei
portolani. Scopo primario degli stemmari medievali è la rappresentazione
enciclopedica, o autocelebrazione contingente, per segni, di una gerarchia del
mondo feudale, di tipo «piramidale» (sovrani, vassalli, arrière-vassaux), estesa
talora al mondo extraeuropeo: questa piramide esclude di regola – salvo rare
eccezioni – l’emblematica delle istituzioni religiose e cittadine, come sostan-
zialmente priva di interesse per i compilatori. Quando il catalogo si estende a
stati e paesi extraeuropei, ciò avviene senza nessuna ambizione ad un benché
minimo controllo fattuale di dati, ma sulla base di informazioni di seconda
mano o addirittura immaginarie. La genesi di questi prodotti è sempre legata
ad ambienti di corte o signorili-cavallereschi, che vi riflettono la propria visione

20. Ibid., p. 309.


21. Ibid., p. 137.

243
a lessa ndro savor elli

del mondo e la propria percezione di ceto, e ciò ne determina le c­ aratteris­tiche 22.


Tutto al contrario, l’origine dei portolani, come di altri prodotti, per esempio
le cronache illustrate italiane e svizzere, è saldamente iscritta in un ambiente
e in una mentalità mercantile-borghese, che altra volta abbiamo per parte
nostra definito «cittadinesca 23». L’araldica ricopre in questo ambito un ruolo
puramente strumentale: non ha alcuna sensibilità per la struttura del mondo
signorile-cavalleresco, se non in relazione al «racconto» e all’identificazione
dei personaggi, e mette disinvoltamente sullo stesso piano i segni del mondo
feudale e di quello cittadino. La conferma viene dal fatto che sia nei portolani,
sia nelle cronache, non c’è nessuna attenzione alla gerarchia feudale come
tale: bandiere e segni di signorie o principati feudali vi compaiono anzi in
misura minima e del tutto occasionale (per esempio relativamente a qualche
grande feudo francese, non a caso situato in aree costiere, Bretagna, Fiandra,
Narbona) 24. La visuale dei portolani è costruita in funzione di chi arriva dal
mare su una nave: dalle isole, dalla costa e dai porti, segnandone in maniera
più o meno precisa le pertinenze politiche, essi prolungano lo sguardo, ma assai
più sporadicamente verso l’interno, e in misura sempre meno attenta via via
che ci si allontana dal Mediterraneo. Anche il Libro del conocimiento, che pure
si sforza di dar conto del rango delle varie entità politiche che descrive, si man-
tiene su questo punto assolutamente nel generico, cercando, come vedremo

22. Sugli stemmari cfr. almeno: M.  Pastoureau, Traité d’héraldique, seconda edizione, Parigi,
Picard, 1993, p. 224-225; id., L’art héraldique au Moyen Âge, Parigi, Seuil, 2010, p. 192-200;
L. Holtz, M. Pastoureau, H. Loyau (a cura di), Les armoriaux médiévaux. Actes du colloque
international «Les armoriaux médiévaux» (CNRS, Paris, 21-23 mars 1994), Parigi, Le Léopard
d’or, 1997.
23. A. Savorelli, «L’araldica nel codice chigiano: un “commento” alla “Cronica” del Villani», in
C. Frugoni (a cura di), Il Villani illustrato. Firenze e l’Italia medievale, Firenze, Le Lettere, 2005,
p. 53-59. Ma si veda anche, per qualche riscontro, l’iconografia delle Cronache di Giovanni
Sercambi (cfr. Giovanni Sercambi, Le illustrazioni delle Croniche nel codice Lucchese, coi com-
menti storico e artistico di O. Banti e M. L. Testi Cristiani, Genova, Basile, 1978, 2 vol.),
dei Regia carmina di Convenevole da Prato (Convenevole da Prato, Regia carmina dedicati a
Roberto d’Angiò re di Sicilia e di Gerusalemme, a cura di un Gruppo bibliofili pratesi, Prato,
Gruppo bibliofili pratesi, 1982), il codice senese della Sconfitta di Montaperti (su cui cfr.:
A. Cavinato, La sconfitta di Monte Aperto di Niccolò di Giovanni di Francesco di Ventura. Per
l’edizione di una cronaca illustrata senese del Quattrocento, tesi di laurea, Università di Pisa,
2009-2010; ead., «Stemmi a Siena e a Montaperti: i manoscritti di Niccolò di Giovanni di
Francesco di Ventura», in M. Ferrari [a cura di], L’arme segreta. Araldica e storia dell’arte nel
Medioevo [secoli XIII-XV], Firenze, Le Lettere, 2014, p. 235-247). E infine le eloquenti descri-
zioni araldiche contenute nella Cronica dell’Anonimo Romano sulla vita di Cola di Rienzo.
Tra le cronache svizzere del Quattrocento, di impareggiabile vivacità narrativa (delle quali è
disponibile qualche buon facsimile), cfr.: Berner Chronik (1470) di Benedikt Tschachtlan e i
tre volumi (Amtlichen Berner Chronik, 1483; Spiezer Chronik, 1484; Grosse Burgunderchronik,
1486) di Diebold Schilling il Vecchio.
24. Cfr. veda l’Appendice, alla fine di questo saggio, tabella C.

244
Atlanti simbolici dello spazio politico

subito, di colmare lo spazio istituzionale tra segni di monarchie e di città in


maniera molto imprecisa. La definizione di una gerarchia e la compilazione
di un catalogo araldico sono lo scopo primario degli stemmari. Nei portolani
e nelle cronache questi sono, viceversa, solo strumenti e l’araldica è il medium
che serve a descrivere una situazione fattuale. Del resto, ben più che negli
stemmari, gli «errori», i difetti di esecuzione dell’iconografia araldica, le incerte
attribuzioni e in generale l’approssimazione difettosa dell’araldica dei porto-
lani, che si tramanda poi in forma stereotipa da un esemplare all’altro e da un
atelier all’altro, testimonia della relativamente scarsa attenzione al dettaglio di
questi segni e della loro origine empirica, basata certamente su informazioni
di seconda mano, non sempre attendibili.

II

Le bandiere dei portolani e del Libro del conocimiento vanno dunque conside-
rate, oltre che come elemento decorativo, come un corpus di segni di carattere
enciclopedico, orientato alla descrizione e definizione visiva di spazi geopolitici,
frutto di una sensibilità di carattere urbano. Dalla fine del XIV secolo, e poi
in maniera sistematica nel secolo seguente, con la riduzione degli spazi com-
merciali nel Mediterraneo e in Asia, questa sensibilità si attenua: bandiere e
stemmi diminuiscono di numero e vengono applicati in maniera stereotipa,
ricalcando i più famosi esemplari trecenteschi, ma riproducendo in tal modo
situazioni sempre più anacronistiche, soprattutto in aree come i Balcani, l’Asia
Minore e l’Africa. È a questo punto che l’araldica della seconda generazione dei
portolani si trasforma in un apparato prevalentemente esornativo, destinato ad
arricchire esemplari di pregio. Il numero limitato di ateliers specializzati – tra
Maiorca/Barcellona, Genova e poi Venezia  – e le caratteristiche ripetitive e
seriali della produzione spingono chiaramente in questa direzione 25. La funzio-
nalità politico-­enciclopedica cui sono attenti i primi catalani trecenteschi, tra
Genova e Catalogna, si ritroverà quasi solo sporadicamente nel Quattrocento
– per esempio nella mappa di Albino da Canepa (1489), attenta all’afferma-
zione della sovranità genovese sulle colonie del Mar Nero, quindici anni dopo
la caduta di Caffa in mano turca 26 –, e poi a partire dalle scoperte scientifiche,

25. L’evoluzione si coglie bene anche solo sfogliando le raccolte di portolani: per esempi omogenei
rispettivamente di area veneziana e maiorchina, cfr. Carte da navigar. Portolani e carte nautiche
del Museo Correr 1318-1732, a cura di S. Biadene, Venezia, Marsilio, 1990; R. Pujades i Bataller,
Les cartes portolanes…, op. cit.
26. Cfr. T. Campbell, «Portolan Charts from the Late Thirteenth Century…», op. cit., p. 401.

245
a lessa ndro savor elli

con la indicazione, fortemente controversa, come è noto, dei bacini coloniali


spagnoli e portoghesi.
Prima di considerare più da vicino le caratteristiche della rappresentazione
spaziale-simbolica del quadro geopolitico, è utile un cenno ad elementi inno-
vativi presenti nei portolani e nel Libro del conocimiento, strettamente collegati
col corpus iconografico-araldico, come la toponomastica e la definizione del
rango istituzionale dei paesi trattati.
Il carattere generalmente empirico e non libresco degli elementi geografici e
politici di questi lavori si coglie già a partire dalla toponomastica, che si sforza
di essere «moderna», pur nell’ovvia trascrizione, contaminazione o calco delle
lingue d’origine, che non sempre consentono l’identificazione di molte località
e territori. In generale la deliberata, parziale rinuncia al ricorso alla terminolo-
gia latina classica o ai toponimi letterari e tradizionali (salvo pochi casi: Africa,
Caldea, Nubia, Ircania, Scizia, etc.), costituisce una cesura significativa 27. Nella
cartografia umanistica «colta» la tendenza arcaicizzante appare infatti operante
molto a lungo, ed ancora almeno sino alla Cosmographia di Münster: in questa
prassi erudita la sovrapposizione a toponimi o territori moderni, soprattutto
fuori d’Europa, della terminologia classica o d’origine biblica, genera equivoci,
errori, approssimazioni, duplicazioni, moltiplicazioni di entità e anacronismi.
Al contrario, la toponomastica del portolani non è eternizzante, ma mira ten-
denzialmente a riprodurre uno stato di fatto.
Più complesso è il tema della terminologia relativa al rango politico delle
entità descritte. Come si è già accennato, nei portolani questo problema non
si pone in forma sistematica. Nel portolano di Dulcert si usano qua e là espres-
sioni come «regno di»; in quello dei Pizzigani i segni di dominio comprendono
occasionalmente corone poste su toponimi e bandiere. Se la presenza delle
bandiere nei portolani non ambisce a riprodurre una gerarchia esaustiva dei
domini, la questione emerge nel Libro del conocimiento che, per la sua forma
narrativa, che si spinge dalle coste verso l’interno, si sente costretto ad attri-
buire un rango politico ai vari territori: da qui l’uso, nella maggioranza dei
casi, dei termini tipicamente castigliani di reyno, reynado, rey de, che –  par
di capire  – dovrebbero indicare località o territori reputati indipendenti o
largamente autonomi, ma che confonde il lettore moderno. La qualifica di
reyno per territori come la Frisia, l’isola di Gotland, la Transilvania, i paesi
balcanici e dell’Asia Minore, etc., appare infatti fuorviante: non è comunque
un’imprecisione propria di questo testo, giacché anche altri libri di viaggio
– Mandeville, Johannes Schiltberger (primo quarto del XV secolo), etc. – o
la Cronaca del Concilio di Costanza di Ulrich von Richental (post 1420) usano

27. Cfr. P. Gautier Dalché, L’espace géographique au Moyen Âge, op. cit., p. 59.

246
Atlanti simbolici dello spazio politico

una ­terminologia impropria ricalcata su quella occidentale. In linea di mas-


sima il Libro del conocimiento cerca di stilare per il lettore una gerarchia poli-
tica plausibile, con l’elencazione di «imperi» e «regni» (autonomi o sottoposti
agli imperi stessi). Al di sotto, reyno è usato anche nel senso di una domina-
zione locale di modesta estensione: perlopiù importanti approdi marittimi e
isole – raramente le località dell’interno – messi in evidenza dai portolani. Il
Libro del conocimiento reimpiega questi dati, selezionando però città dotate
di ­maggiore autonomia politica, espressa talora con la formula «regno di una
città» o «regno di ­un’isola», oppure «terra» o «provincia», per territori vassalli
di entità maggiori: il caso riguarda per esempio alcuni grandi feudi francesi.
Per lo status politico di alcune città italiane si ricorre così al termine «signoria»
(señorio), ma la «Lombardia» è definita «regno» (come se coincidesse col Regnum
Italiae), e Roma cabeça del inperio de los rromanos, senza menzione dello Stato
della Chiesa 28. Il Libro rinuncia però a raffigurare le bandiere di singoli porti
europei (più abbondanti nei portolani), concentrandosi, par di capire, sulle
«città-­stato» (Genova, Firenze, Pisa, Venezia): tra le città dell’interno quasi solo
Firenze, per il suo straordinario ruolo economico, è una presenza fissa in tutti
i portolani a fronte di molte assenze (solo il portolano Pizzigani aggiunge un
numero consistente di emblemi città italiane di alta e media importanza). In
Turchia il Libro del conocimiento precisa che en la provinçia de la Turquya, la
qual antiguamente dezian Asia la Menor, vi sono muchas provinçias departidas et
muchos señorios que son graves de contar 29, confessando in realtà la difficoltà di
dare un quadro attendibile delle dominazioni: le 5-6 effettivamente elencate,
sulla base delle bandiere dei portolani, danno comunque l’idea del sistema dei
beylik (una ventina), esistenti nel primo Trecento.
Talora il rapporto fra territori sembra stabilito con la ripetizione di insegne
uguali o simili, a significare una coordinazione politica: è il caso dell’Impero
bizantino, dell’Asia Minore, e dei suoi territori sottoposti a metà Trecento a
continue variazioni di dominio in seguito alla fine del Sultanato di Rum e
all’affermarsi della potenza ottomana. Un particolare rilievo ha in quest’ultimo
ambito l’uso dei vessilli, nei portolani, per i territori che si trovano in una situa-
zione complessa o frastagliata: qui il vessillo è replicato per significare le aree
o le località omogenee per dominazione. Ciò appare particolarmente evidente
nel Mediterraneo orientale, dove sono segnate località facenti parte di una
costellazione coloniale, come quella dei porti genovesi; o nel caso degli imperi
asiatici (Cina, imperi mongoli, Persia, India, etc.). Il Libro del conocimiento

28. Libro-ed. Marino, p. 24-26; Libro-Ms. Z, p. 160-162. Per tutte queste definizioni, e in seguito
per i riferimenti alle varie aree geografiche, si veda l’Appendice, alla fine di questo saggio.
29. Libro-ed. Marino, p. 32.

247
a lessa ndro savor elli

non è sempre coerente: ora esplicita con insegne identiche o simili un’unione
dinastica; ora duplica arbitrariamente i domini, chiamandoli impropriamente
«regni», o viceversa, li frammenta, assumendo dati approssimativi dalle sue
fonti scritte e iconografiche; ora collega una bandiera al nome di una specifica
città riportata dai portolani, definendola «regno», senza capire che la bandiera
si riferisce a un’entità politica più ampia, nella quale la città in questione è com-
presa. Tutti questi caratteri tradiscono immediatamente la stretta dipendenza
dall’iconografia empirica e relativamente disordinata dei portolani, che si tenta
di ritrascrivere in un discorso argomentato e coerente.
Abbiamo calcolato che il Libro del conocimiento descriva, illustrandone gli
emblemi, circa 120 entità politiche, delle quali forse un 70 % sono ritenute
indipendenti (alcune variamente e assai dubbiosamente identificate dalla cri-
tica): le rimanenti sono pertinenze, vassalli e domini a vario titolo. La lista
è naturalmente sbilanciata: prevalgono nettamente porti, località e territori
mediterranei, europei e non, a testimoniare, di nuovo, il carattere delle fonti
impiegate dall’autore 30.
Con tutte queste imprecisioni e lacune, l’uso delle bandiere è un espediente
che anticipa, come sì è anticipato, ciò che nelle carte moderne diventeranno i
confini politico-statali. In generale, i confini così segnati testimoniano un’infor-
mazione relativamente aggiornata: a parte le ovvie deformazioni delle mappa e
gli errori o difetti d’informazione, chi sovrapponga i confini degli imperi asia-
tici dei portolani, dell’Atlante e del Libro del conocimiento con i confini riportati
dagli atlanti storici moderni, nota una sorprendente e sostanziale coincidenza 31.
Il punto di forza della rappresentazione dello spazio politico nei portolani
e nel Libro del conocimiento sta nella definizione delle potenze in alcune aree
extraeuropee. In primo luogo il Maghreb, con la sua frammentazione politica e
dinastica; quindi l’Africa nera, i cui regni, pur con nomi e collocazioni misteriose
(il che non significa necessariamente che si tratti di regni immaginari, come
pensano alcuni interpreti), hanno qualche fondamento reale nelle informazioni
che venivano dalle esplorazioni atlantiche partite dai porti spagnoli 32. In Asia
l’Atlante e il Libro del conocimiento elencano regni e imperi con notevole reali-
smo: la Persia, l’impero di Delhi, i tre grandi canati mongoli (Gran Khan, Orda
d’Oro o Kipchaq, e Chagatay); l’area del Turkestan appare divisa nell’Atlante
tra Persia a canato di Chagatay, ma il Libro del conocimiento vi distingue anche
dominazioni intermedie, i regni di Buchara e «Cato», non troppo ­diversamente

30. Per la lista completa, cfr. l’Appendice.


31. Cfr. quanto si osserva, a proposito dell’esattezza dei confini asiatici nell’Atlante, in F. Novoa
Portela, F. Javier Villalba Ruiz de Toledo (a cura di), Viaggi e viaggiatori nel Medioevo, Milano,
JacaBook, 2008, p. 39.
32. Libro-ed. Marino, p. 40-67; Libro-Ms. Z, p. 164-170.

248
Atlanti simbolici dello spazio politico

da Mandeville e dalla sua fonte principale, Hayton di Corico, autore del Fiore
delle storie d’Oriente (1307) 33. Ovunque marginalizzata, in ogni caso, è l’area
grigia del «mito», che avvolgeva in passato presunte realtà geopolitiche. Rimane
sì nei portolani e nel Libro del conocimiento, all’estremo confine del mondo, il
misterioso popolo di Gog e Magog, al di là della muraglia cinese: si direbbe un
inevitabile pegno pagato al favoloso 34. E nell’Atlante, l’iconografia di pigmei,
i cannibali, Alessandro Magno, l’Anticristo, i Magi, Noè, le isole felici, etc.
Ma si tratta di reminiscenze colte e slegate dal contesto, prive di connotazione
politica, mentre si nota la quasi generale scomparsa del regno delle Amazzoni,
che Mandeville invece conserva caparbiamente e colloca a casaccio.
Esemplare è la ricollocazione politica e spaziale di un grande, mitico
stato medievale, quello del Prete Gianni. La sua leggenda perdura almeno
fino a Sebastian Münster: il quale per non rinunciarvi continuerà a duplicare
­l’Etiopia in una Etiopia africana e una indiana, o in un’India africana e un’India
asiatica, come nel Medioevo 35. Del resto, per Ulrich von Richental l’Etiopia,
come la «Libia», era un misterioso impero a sovranità incerta, ma unter dem
Grossen Can 36; persino Schiltberger – meno fantasioso di altri, per conoscenze
dirette – pone il Prete Gianni in una non meglio definita enclosed Rumany 37.
Portolani e Libro del conocimiento compiono invece un decisivo spostamento
del Prete Gianni: non più re in India, ma «patriarca» in Etiopia, protetto da un
«imperatore» (a calco della situazione europea), in un’Etiopia finalmente solo
africana – dalla quale giungevano evidentemente notizie sulla chiesa copta 38.
Rimangono in India solo due regni tra Malabar e Bengala, cui l’Atlante cata-
lano assegna emblemi «cristiani», forse per via della tradizione delle chiese che
si dicevano fondate da San Tommaso e della presenza dei Nestoriani.
Se si confrontano questi dati coi Viaggi di Mandeville o la Cronaca di
Richental, a parte il caso clamoroso del Prete Gianni, si constatano altre diffe-
renze: intanto il netto riferimento al sultanato di Delhi (l’unico che ne parla con

33. Libro-ed. Marino, p. 72-78; Libro-Ms. Z, p. 173-176. R. Pujades i Bataller, Les cartes portola-
nes…, op. cit., p. 231, tenta di datare i dati politici contenuti nell’Atlante catalano, agli anni
trenta del Trecento.
34. Ibid., p. 174-175.
35. Sebastian Münster, Cosmographia universalis, Basileae, apud H. Petri, 1552, p. 1145, 1159.
36. Ulrich von Richental, Das Concilium buch geschehen zu Costencz…, Augsburg, Anton Sorg,
1483, fol. CXII (per l’ed. in facsimile dei mss. della cronaca, abbiamo consultato Das Konzil zu
Konstanz. 1414-1418, a cura di O. Feger, Starnberg/Konstanz, Keller/Thorbecke, 1964; è dispo-
nibile anche un’edizione in CD-ROM [2002], a cura del Rosgarten Museum di Costanza).
37. The Bondage and Travels of Johann Schiltberger: a Native of Bavaria, in Europe, Asia, and Africa
(1396-1427), a cura di J. Buchan Telfer, Londra, Hakluyt Society, 1879, p. 52.
38. Libro-ed. Marino, p. 60-64; Libro-Ms. Z, p. 169-171. P. Billion, Graphische Zeichen…, op. cit.,
p. 132, non stabilisce alcun legame tra la croce patriarcale che connota la Nubia nei portolani
e il Prete Gianni.

249
a lessa ndro savor elli

maggior chiarezza è Schiltberger, mentre in Mandeville c’è un vago ­cenno) 39.


Quanto alla Tartaria, ossia agli imperi mongoli, Mandeville – seguendo il Flos
Historiarum Terre Orientis di Hayton di Corico – descrive con altri nomi una
situazione vicina al Libro del conocimiento, ma vi aggiunge reami fantastici
(forse himalayani), mescolati all’arcaica terminologia degli scrittori latini 40.
La geografia politica del Libro del conocimiento rinuncia invece agli arcaismi
linguistici, ma sfuma nell’inverificabile via via che si sposta verso Est e Nord:
i regni di «Sçim» e «Oxueb» non sono identificabili con sicurezza 41, mentre,
come nell’Atlante catalano, non è attribuita ancora nessuna autonoma identità
alla Cina meridionale (Mancy, Mangi), sottrattasi all’impero mongolo nel 1368.
Ma peggio, certamente, avverrà poco dopo in Richental: l’immensa area
asiatica vi apparirà come un organismo indistinto, dagli incerti confini, domi-
nante su province dai nomi non identificabili e persino fino sull’Etiopia. Tutto
ciò avviene evidentemente in base a fonti libresche – Marco Polo e altri viag-
giatori – e senza alcun consapevolezza della confusa situazione in un momento
del resto in cui le vie dell’esplorazione europea dell’Asia, e dunque le infor-
mazioni, dopo Tamerlano, si vanno chiudendo. I «regni» vi sono moltiplicati
artificialmente senza riscontri, probabilmente per il gusto dell’ipertrofico che
mescola nomi biblici, classici moderni e ne inventa di altri: ne è un esempio
l’area della Siria-Palestina-Egitto. L’intera materia appare in Richental ormai
fuori controllo 42. Il nesso tra le cinque nationes del Concilio e l’assetto degli
stati attraverso un compendio universale degli emblemi dei sovrani della terra,
dà luogo a un panorama farraginoso.

III

Come si è osservato, nei portolani l’apposizione delle bandiere su punti pre-


cisi della mappa non è sempre perspicua: né è esplicito di volta in volta, per
la generale assenza di legende di status, cosa la bandiera rappresenti, se una

39. Jean de Mandeville, Le livre des merveilles du monde, a cura di C. Deluz, Parigi, CNRS Éditions,
2000, p. 318; The Bondage and Travels…, op. cit., p. 47.
40. Jean de Mandeville, Le livre des merveilles du monde, op. cit., cap. XXVI-XXVII.
41. Libro-ed. Marino, p. 74, 84; Libro-Ms. Z, p. 173, 175.
42. Cfr. S. Clemmensen, Arms and People in Ulrich’s Richental’s Chronik des Konzils zu Konstanz
1414-1418 in http://www.armorial.dk/german/Richental.pdf, in particolare segment  19,
n.  194-304 e relativi commenti. Più oggettiva è la descrizione, limitata però solo al alcune
aree europee, di un altro partecipante al Concilio, contenuta nel De ministerio armorum (cfr.
A.  A.  Nascimento, Livro de arautos. De ministerio armorum, script. anno  1416, ms.  lat.  28,
J. Rylands Library [Manchester]. Estudo codicológico, histórico, literário, linguistico, texto crit. e
trad., Lisboa, s. n., 1977; http://armorial.dk/german/Arautos.pdf ).

250
Atlanti simbolici dello spazio politico

potenza locale, un sovrano o il dominio che egli esercita su un territorio


o località più ristretta o su enclaves, teste di ponte, conquiste occasionali,
domini dinastici o coloniali. Il Libro del conocimiento si sforza, sulla base dei
segni che gli offrivano i portolani, di compilare una sintesi coerente. Anche
la di poco successiva Cronaca del Concilio di Costanza si pone il compito
di tracciare un quadro dello stato del mondo, sia per rapporto alle potenze
mondane, sia alla gerarchia ecclesiastica, e di chiarire il rapporto tra le cinque
nationes rappresentate al Concilio e l’assetto dei continenti e degli stati 43:
senonché, il panorama del Concilienbuch risulta quanto mai farraginoso, e lo
diventa ancora di più quando l’elencazione e gerarchia di potenze e territori
–  nonostante lo sforzo dichiarato di ottenere informazioni di prima mano
dalle delegazioni conciliari – avviene sotto forma di un catalogo toponoma-
stico ed emblematico-simbolico. L’impresa di un compendio universale degli
emblemi dei sovrani della terra –  genere diffuso negli stemmari dalla fine
del Duecento – sarà ritentata dopo il 1480 nello stemmario (Wappenbuch) di
Conrad Grünenberg, largamente dipendente da Mandeville e dalla cronica di
Richental e ancor più fantasioso 44.
Proprio questi esiti più tardi, che fanno vieppiù risaltare il modello
empirico-­ funzionale dell’emblematica dei portolani trecenteschi, rendono
necessario qualche cenno sul carattere dell’araldica di queste raffigurazioni,
poiché anch’essa marca significativamente la differenza d’approccio tra i porto-
lani e il Libro del conocimiento e i testi e le sintesi posteriori. La questione dun-
que non è indifferente, perché non si tratta di una questione tecnico-araldica,
ma sta – per le sue caratteristiche – in stretto rapporto alla nuova percezione
degli spazi politici.
Le trattazioni quattrocentesce virano verso l’immaginario: forse consape-
volmente, poiché è abbastanza impensabile che ritenessero realmente usati
da sovrani e potenze lontane i simboli che vengono loro attribuiti. Sebbene
il confine tra araldica vera o d’invenzione nel Medioevo sia labile, in base
alla credenza diffusa che un sistema di segni simile esistitesse in qualche

43. Ulrichs von Richental Chronik des Constanzer Concils: 1414-1418, a cura di M. R. Buck, Tübingen,
Gedrückt für den litterarischen Verein in Stuttgart, 1882, p. 154 sgg.
44. Cfr. Armorial Grünenberg, édition critique de l’armorial de Conrad Grünenberg (1483), présenté
par M. Pastoureau, publié par M. Popoff, Milano, Orsini de Marzo, 2011, p. 62-95 (tav. XXVI-
XLIII): alle immagini Grünenberg aggiunge schede illustrative – in genere assai confuse – con
notizie storico-politiche desunte da Marco Polo, Mandeville, Richental e altre fonti. Si tratta
dell’ultimo grande «stemmario universale» del Medioevo, un genere molto diffuso fra Tre e
Quattrocento e anche in seguito. A. Montaner, «El “Libro del conosçimiento” como libro…»,
op.  cit., p.  71-75, mette a confronto i dati del Libro con quelli di alcuni stemmari. Anche
per il Wappenbuch di Grünenberg cfr. l’edizione di S. Clemmensen nella sezione «German
Armorials» del sito web: http://www.armorial.dk/.

251
a lessa ndro savor elli

forma e presso tutte le latitudini e le culture, gli stemmi attribuiti ai terri-


tori extraeuropei appaiono troppo «europei» e troppo fantasiosamente estremi
per essere credibili. Si tratta – nella Cronaca di Richental e nel Wappenbuch
di Grünenberg – di un repertorio di emblemi che contengono o il calco di
qualche figura araldica europea, o immagini di esseri mostruosi e grotteschi.
Attraverso questa simbologia tendenziosa (che mima, radicalizzandola, quella
malefica attribuita di consueto a pagani, infedeli ed ebrei nell’arte figurativa),
lo spazio politico già fortemente irrealistico – ben poco rispondente a confini
e spazi autentici – sottolinea sfacciatamente (con un ritorno alla logica delle
antiche mappae mundi) la diversità religiosa, culturale e morale dell’«altro». La
geopolitica immaginata si trasforma così in un messaggio ideologico ed etico:
la mappa morale del mondo è resa attraverso segni e simboli ammiccanti e
polemicamente orientati. Non è in fondo un caso che Sebastian Münster, nella
sua ideologia tradizionalistica e provvidenziale (messa in rilievo da Matthew
MacLean), che lo lega ancora al Weltbild medievale, riprenda a corredo delle
sue descrizioni l’araldica apocrifa dei regni e imperi extraeuropei inventata da
Richental e Grünenberg e divenuta corrente in area tedesca 45.
A confronto con questi esiti, l’emblematica extraeuropea dei portolani e del
Libro del conocimiento, sebbene anch’essa in buona parte apocrifa, si segnala
di nuovo per un certo conato di modernità. Ritenuta a torto un corpus auto-
referenziale, quasi un miscuglio di tecnica e retorica, l’araldica dei portolani è
il parallelo di un nuovo atteggiamento tendenzialmente più oggettivo. I segni,
qui, non sono invenzioni arbitrarie, né presentano le forzature ideologiche dei
testi successivi di cui abbiamo appena parlato. Si tende invece a dare un’idea
delle trasformazioni politiche recenti (come nelle bandiere dell’Asia Minore e
della Turchia, l’uso di una simbologia ibrida, bizantino-turca) o ad avvicinarsi
a un quadro realistico. I segni attribuiti in forma di bandiere ai paesi extraeu-
ropei non presentano né il pronunciato carattere di invenzione arbitraria, né le
forzature ideologiche dei testi successivi (salvo forse per il mondo africano, raf-
figurato emblematicamente con figure antropomorfe etnicamente connotate).
In linea di massima l’emblematica politica dei portolani e del Libro del
conocimiento tende a dare un’idea, per simboli, delle trasformazioni politiche
recenti, o di aderire in maniera tutto sommato verosimile – e talora veridica – a
quella autentica. Per quanto riguarda, ad esempio, l’evoluzione politica, è tipico,
nelle bandiere dell’Asia Minore e della Turchia, l’uso di una simbologia mista
o ibrida, che allude a quella bizantina e insieme a quella delle nuove dinastie
turche, considerate in qualche modo provvisorie eredi della sovranità imperiale.

45. M. MacLean, The Cosmographia of Sebastian Münster. Describing the World in the Reformation,
Aldershot, Ashgate, 2007, p. 322, 344.

252
Atlanti simbolici dello spazio politico

Interessanti gli emblemi autentici. Ce ne sono almeno tre, il primo è il


leone attribuito al Sultano mamelucco, che ha agganci nella tradizione locale
almeno dai tempi del sultano Baybars (1223-1277) 46 e che compare anche nella
monetazione siriaco-egiziana. L’emblema era così noto che venne ripreso in
decine di testimonianze iconografiche occidentali, per esempio nella Cronica
di Giovanni Villani o nell’affresco di Santa Croce a Firenze che rappresenta
un episodio della vita di San Francesco. Il secondo è lo stemma del regno
mussulmano di Granata col verso coranico («non c’è dio eccetto Allah»), più
volte attestato. Il terzo è l’emblema del canato di Kipchaq, o Orda d’Oro,
realmente attestato e ben noto in Occidente per via dei contatti commerciali
col Mar d’Azov e le colonie genovesi. Si tratta di un tamga, ossia di un marchio
tradizionale, tipico della cultura simbolica delle popolazioni turche e delle
steppe, riprodotto ad esempio anche sulle monete dei porti del Mar Nero e
della Crimea e attestato persino come stemma vero e proprio della colonia
genovese di Caffa, e perciò ben noto in Occidente 47.
Ci sono poi altri casi «verosimili». Alcuni dei segni impiegati, come già il
leone mamelucco o il verso coranico di Granata e dell’Arabia, trovano corrispon-
denze con l’emblematica della saracenic heraldry attentamente studiata da Leo
A. Mayer, e nota perlopiù attraverso testimonianze d’ambito mamelucco. Un
segno, in particolare, quello invariabilmente attribuito alla città di Tolmeta, al
confine tra Egitto e Libia, ha un significativo riscontro nell’iconografia islamica:
si tratta di una bandiera dall’aspetto molto singolare e individualizzato, in forma
di «sciarpe» frangiate multiple appese a un’asta 48. Anche lune, scacchiere, stelle
di Salomone (o di David), e figurazioni analoghe si iscrivono in questo quadro e

46. Cfr. L. A. Mayer, Saracenic Heraldry, Oxford, Oxford University Press, 1999 [reprint dell’opera
del 1933], p. 9; Libro-ed. Marino, p. 40; Libro-Ms. Z, p. 164. P. Billion, Graphische Zeichen…,
op. cit., p. 286, 292, senza rendersi conto dell’origine mamelucca di questo segno, lo attri­
buisce fantasiosamente, insieme ad altri presenti sulla bandiere islamiche dei portolani, ad una
tradizione del «giudaismo egiziano»: si tratta di suggestioni palesemente infondate.
47. Libro-ed. Marino, p. 86; Libro-Ms. Z, p. 176. Cfr. in proposito quanto osservano G. Pasch,
«Les drapeaux des cartes-portulans. L’atlas dit de Charles V…», op. cit., p. 57-58; G. Gerola,
«L’elemento araldico nel portolano…», op.  cit., p.  433-434; I.  Lebedinski, «Tamgas: Flag
Emblems from the Steppes», The Flag Bulletin, 184, 1998, p.  216-232. Non riconosce nella
figura un tamga P. Billion, Graphische Zeichen…, op. cit., p. 135, che si limita – erroneamente – a
considerarlo un non meglio precisato «monogramma».
48. Cfr. il dettaglio dell’immagine del ms. arabe 5847, fol. 47v (Parigi, Bibliothèque nationale de
France), del 1237, che illustra la «processione del Ramadan», ove si nota una bandiera identica.
Ancora una volta P. Billion, Graphische Zeichen…, op. cit., p. 289-291, si è fatto suggestionare
da qualche pallida analogia con certa simbologia ebraica, attribuendo tout court all’influenza
di colonie giudaiche l’origine di questo segno, così come delle varie «stelle di Salomone»
presenti sulle bandiere attribuite ad altre città, come Semiso in Asia Minore (ibid., p. 288-289).
In entrambi i casi si tratta di una lectio facilior, indimostrabile e di impianto filologicamente
assai debole.

253
a lessa ndro savor elli

forse sono ispirate a vessilli arabi o turchi realmente usati o reinterpretati dall’oc-
chio occidentale. Le stesse più generiche figure geometriche usate per la Persia,
Delhi e il canato di Chagatay, potrebbero echeggiare i classici rombi o buqia
(«tovaglia») o i «quadrati» contenenti versetti e formule coraniche estremamente
diffusi nella monetazione islamica (ma anche in certe raffigurazioni di vessilli
militari), o storpiare lettere alfabetiche o altre figure del repertorio simbolico
arabo. Che l’emblematica mamelucca abbia potuto costituire per i disegnatori
dei portolani un modello estendibile a terre più lontane, in fondo, non stupi-
rebbe, data la sua contiguità e vicinanza con l’Occidente. Ma il caso del leone
mamelucco e del tamga fa persino ipotizzare – è un’ipotesi tutta da verificare
e approfondire – che la monetazione islamico-turco-mongola potrebbe essere
stata per i portolani nati nell’ambiente dei mercanti e dei navigatori, uno dei vei-
coli più immediati di segni (magari solo decorativi), reinterpretati in Occidente,
come emblemi veri e propri: per le bandiere, così frequenti, con rosette stilizzate
o stelle di Salomone, elementi ricorrenti della numismatica d’oltremare, si tratta
forse più che di un’ipotesi.
A proposito dell’araldica dei portolani non si può dunque parlare propria-
mente – come per gli stemmari – di «araldica immaginaria», come se si trattasse
di una variabile della pratica delle tecniche retoriche di invenzione o manipo-
lazione di segni analoga a quella che porta ad attribuire insegne a Re Artù, ad
Alessandro, ai Re Magi o a Cristo: Nancy F. Marino, riassumendo la questione
sbaglia completamente su questo punto, assimilando pratiche completamente
diverse 49. Un esempio lampante lo danno gli stemmi dei Re Magi usualmente
loro attribuiti in Germania, già dalla Cronaca del Concilio di Costanza e poi
sempre copiati per un secolo: qui siamo di fronte a una vera e propria araldica
immaginaria, in quanto i tre stemmi più o meno consapevolmente ricalcano, e
non si sa certo per quali canali e fonti, modelli usati per vari paesi dai portolani
e dal Libro del conocimiento, copiandoli cioè da una presuntiva attribuzione a
stati reali per proiettarli su personaggi del mito 50.
In conclusione, il caso dei portolani e del Libro del conocimiento è completa-
mente diverso. Non si tratta qui di un esercizio dell’immaginario, ma piuttosto
di un’araldica «imitativa» o «interpretativa», un espediente pratico di sempli-
ficazione ottica o un possibile calco o trascrizione di un’emblematica tipica:
islamico-turca, maghrebina, vicino-orientale e perfino estremo-­orientale (set-
tore nel quale il Libro del conocimiento diverge in parte dall’Atlante catalano).
Una tecnica che gioca sulla semplicità visiva, con sobri emblemi lineari, che

49. N. F. Marino, «Introduzione», op. cit., p. XLVII.


50. Cfr quanto ne scrive A. Nagel (http://www.museenkoeln.de/home/bild-der-woche.aspx?bdw=
1998_02), mostrando il calco delle figure attribuite ai magi da quelle attribuite nel Libro del
conosçimiento a paesi africani e asiatici.

254
Atlanti simbolici dello spazio politico

identificano attraverso «famiglie» di segni alcuni grandi spazi politico-­culturali


extraeuropei considerati omogenei: mezzelune e pochi altri segni relativamente
comuni per l’area araba (Siria, Egitto, Maghreb); «idoli» tribali per quella afri-
cana; croci per gli stati africani e asiatici «cristiani» (Etiopia, stati indiani,
Georgia); quadrati, figure geometriche e tamga per quella turco-­persiano-
tartara (Turchia, canati tartari, Persia, Sultanato di Delhi) 51. È un sistema
emblematico che non ha niente a che vedere con l’araldica immaginaria degli
stemmari medievali o testi di Richental o di Grünenberg, i quali costruiscono
un improbabile catalogo di stemmi di pura invenzione, attribuiti a sovrani e
principi esotici, dall’aspetto inquiétant ou énigmatique o addirittura éminem­
ment péjoratifs ou diaboliques, e in definitiva concepito con intenti parodistici 52.
Nel Libro del conocimiento e nei portolani trecenteschi, viceversa, lo sforzo
modernizzante di restituire un’immagine realistica dello spazio politico è sim-
metrico al tentativo di connotare questo spazio con una simbologia specifica
esemplata su modelli autentici, e non demandata al bestiario e alle drôleries
o «grilli» – per dirla con Baltrušaitis – dell’imagerie gotica occidentale e del
«Medioevo fantastico».

51. Il Catay resta più affidato all’immaginazione: l’Atlante catalano dà semplicemente tre mezze-
lune; il Libro del conosçimiento la figura del Gran Khan in trono. Sulla valenza «culturale» della
scelta di questi segni apocrifi d’individuazione, ha correttamente insistito anche P.  Billion,
Graphische Zeichen…, op. cit., p. 126.
52. M. Pastoureau, «L’armorial universel de Conrad Grünenberg (1483)», in Armorial Grünenberg,
édition critique de l’armorial…, op. cit., p. XVII, XXIII. Per un istruttivo confronto con l’aral-
dica propriamente «immaginaria» degli stemmari europei, cfr. per es. gli stemmari Vijnbergen
e Vermandois: http://www.briantimms.fr/Rolls/wijnbergen/0wnintroduction.html; http://
www.briantimms.fr/Rolls/vermandois/rois01.html.

255
a lessa ndro savor elli

Appendice – Il Libro del conocimiento, i portolani


e i Viaggi di Mandeville: dati a confronto

Nelle tabelle che seguono è messo a confronto il quadro politico del mondo
come risulta dal Libro del conocimiento con altre fonti dell’epoca. Abbiamo
raggruppato i territori in distinte aree geografico-storiche: all’interno di esse,
sono considerati insieme territori e località indicati con sufficiente chiarezza
nel Libro come appartenenti alla medesima dominazione politica, ma il dato
è dubbio per la frequente ambiguità dell’esposizione, le incongruenze e le
differenze tra i vari mss. dell’opera.
Nelle col. 1, 2, e 3 sono riportati i dati desunti dal Libro del conocimiento,
e cioè:
– col. 1: il rango attribuito a un territorio o località;
– col. 2: il nome di un territorio o località (principalmente secondo l’ed.
Marino);
– col.  3: il nome attuale o storico (si è tenuto solo parzialmente conto
delle ipotesi di identificazione di territori o città, variamente proposte dai vari
editori del Libro del conocimiento).
Nella col. 4:
– i segni = o ≈ indicano territori o località cui sono attribuite bandiere
uguali o simili a quella della potenza o territorio che precede immediatamente
(es.: Sardegna = Aragona, Maiorca ≈ Aragona);
– il segno • indica i vessilli sicuramente riferibili a una città (o città-stato)
e non a uno stato o signoria territoriale.
Le colonne seguenti (V, d, D, P, A, S) indicano la presenza di una ban-
diera attribuita allo stesso territorio o località (indipendentemente dal fatto
che la bandiera sia uguale o meno, a quella del Libro del conocimiento) dai
seguenti portolani: V = Perrino Vesconte, 1327; d = Angelino Dalorto, 1327;
D = Angelino Dulcert, 1339; P = Pizzigani, 1367; A = Atlante catalano, 1375;
S = Guillem Soler, 1380. I dati relativi al portolano Pizzigani sono solo indi-
cativi per la scarsa leggibilità dei vessilli, dovuta alle non buone condizioni di
conservazione. Le presenze nei portolani divergono in parte da quelle proposte
nella tavola di concordanze compresa in A. Montaner, in Libro del conocimiento
(Libro-Ms. Z), p. 70-75.
Nell’ultima col. (JM), solo per i paesi extraeuropei, il segno » indica la
menzione del territorio o potenza politica nei Viaggi di John Mandeville.

256
Atlanti simbolici dello spazio politico

1. Europa
A) Penisola iberica

1 2 3 4 V d D P A S
reyno Castilla Castiglia x x x x x x
reyno Portogal Portogallo x x x x x
reyno Navarra Navarra
reyno Aragon Aragona x x x x x x
rey çerdeña Sardegna = x x x x
rey Mayorca Maiorca ≈ x x x x x
reyno Granada Granada x x x x

B) Italia

1 2 3 4 V d D P A S
señor de çibdat Genova Genova • x x x x x x
isla Corçega Corsica = x x
reyno Lonbardia Lombardia
señor Pisa Pisa • x x x x x x
señor de çibdat Florençia Firenze • x x x x x x
cabeza Roma Roma • x x x x
de imperio
reyno Napol Napoli x x x x
reyno Çeçilia Sicilia x x x x x
señor Venecia Venezia • x x x x x

C) Francia

1 2 3 4 V d D P A S
reyno Françia Francia x x x x x x
señor Bayona Bayonne x
señor Tolosa Tolosa
señor Narbona Narbona = x x x x x
condado Flandes Fiandra x x

257
a lessa ndro savor elli

D) Isole britanniche

1 2 3 4 V d D P A S
reyno Escoçia Scozia x x x x
reyno Inglaterra Inghilterra x x x x x
rey desta isla Irlanda/Ibernia Irlanda = x x x

E) Impero

1 2 3 4 V d D P A S
ynperio Alemaña Germania x x x x
reyno Boemia Boemia x x

F) Polonia

1 2 3 4 V d D P A S
reyno Polonia Polonia x x
reyno Litefama Lituania ≈
reyno Leon Leopoli, Galizia ≈ x

G) Ungheria – Schiavonia

1 2 3 4 V d D P A S
reyno Ungheria x x x x x
reyno Transilvania
reyno señ. Exclavonia Schiavonia x x x x
destos montes Boxnia Bosnia =
rey desta terra Narent Narenta x x x x

258
Atlanti simbolici dello spazio politico

H) Scandinavia

1 2 3 4 V d D P A S
reyno Dacia Danimarca x x x x
Frisa Frisia =
reyno Suevia Svezia x x x x
rey destas islas Gotlandia, Oxilia Gotland, Ösel ≈ x
reyno Gotia Götaland (Svezia) ≈
reyno Noruega Norvegia x x x
rey desta isla Irlanda Islanda? = x
rey desta isla Salanda Shetland? Sjaelland? =

2. Bisanzio e stati cristiani nei Balcani, Asia Minore e Mar Nero

1 2 3 4 V d D P A S JM
rey desta isla Morea Morea
ynperio Costantinopla Costantinopoli x x x x x x
reyno Salonico Salonicco = x x x x x
reyno Lodomago ? ≈
reyno Meseber Mesembria, ≈
o Greçia? Grecia?
reyno Castelle ? ≈ x x x x x
reyno Palolimen ? = x
cabeza Veçina Widdin? x? x
de reyno (Bulgaria?)
ynperio Trapesonda Trebisonda x x x x x x »
reyno Semiso Samsun x x x x x x
Orden Rodas Rodi, Ord. x x x x x
di S. Giovanni
reyno Armenia Armenia x x x x x x »
(Minor)
rey Chipre Cipro x x x x x
reyno, çibdat Feradelfia Filadelfia x x x x
reyno Sant Estopoli Sebastopoli x x x x x x
(Georgia)

259
a lessa ndro savor elli

3. Turchia

1 2 3 4 V d D P A S JM
çibdat Satalia Atalia x x x x x »
(Panfilia)
rey Turquia Turchia x x x x »
reynado Savasco Sebaste, Sivas? ≈ x x x x
rey Cunyo Iconio ≈ x x x x
reyno Antroçeta Tarso e Corico x
e Corincho
reyno Atologo Aydin? x x

4. Domini del Sultano mamelucco: Siria, Egitto, Arabia

1 2 3 4 V d D P A S JM
provinçia Iherusalem Gerusalemme »
terra, rey Jafet Giaffa? (Siria) x x x »
(Damasco)
reyno Egipto Egitto x x x x x x »
rey (Soldan) Alixandria Sultano x x x x x x »
Mamelucco,
Alessandria
reyno Arabia Arabia x »
ysla Sicroca Socrota =

260
Atlanti simbolici dello spazio politico

5. Maghreb/Africa mediterranea

1 2 3 4 V d D P A S JM
rey çibdat Luchon Lukk (Libia) x x x
rey Tolometa Tolmeta x x x x x x
(Libia)
rey, çibdat Tripul Tripoli (Libia) x x x x x
rey, çibdat Africa Mahdia x
(Tunisia)
rey, çibdat Tunez Tunisi x x x x x
rey, çibdat Bona Bona (Algeria) x x x x
rey, çibdat Costantina Costantina
(Algeria)
rey, çibdat Bugia Bugia (Algeria) x x x x x x
rey, çibdat Birschan Birshak x x x x x
(Algeria)
reyno Tremecen Tlemcen x x x x x
(Marocco)
rey, çibdat çepta Ceuta x x x x
(Marocco)
rey Benamarin Marocco x x x x
rey, çibdat Marruecos Marrakesh x
tierra çuçia Sous?
(Marocco)

6. Africa nera

1 2 3 4 V d D P A S JM
rey, çibdat Sulgumença Sigilmasa
reyno Guinoa Guinea x x
rey, çibdat Tocoron ? = x
reyno Tauser ? = x x
reyno Organa ? x x
reyno Tremisin ? x x
reyno Dongola Dunqula x
(Sudan)
rey Ynsula Gropis ?
reyno Gotonie ?
rey Amenuam ?
ynperio Abdeselib, Nubia, Etiopia x x x »
patriarca Prete Gianni x x
ynperio Magdasor Mogadiscio

261
a lessa ndro savor elli

7. Persia, Bagdad, Mesopotamia

1 2 3 4 V d D P A S JM
ynperio Persia x x x »
reyno Saldania ? =
reyno Caraol ? =
rey, provinçias Bandach, Bagdad, x »
Caldea Caldea

8. India

1 2 3 4 V d D P A S JM
reyno Dilini Sultano x
di Delhi
reyno Viguy ? =
reyno Oxanap ? =
reyno Java Giava »
e Trapovana e Sumatra?

262
Atlanti simbolici dello spazio politico

9. Cina, Tartaria

1 2 3 4 V d D P A S JM
ynperio Catayo, Gran Cina, Impero x »
Can Mongolo
reyno Sçim ? =
ynperio Armalet Canato x »?
di Ciagatay
reyes Bocarin e Cato Buchara »
e Kattakurgan
ynperio Uxbeco, imp. Saray, Canato x x x x x x »
de Sara di Quipciaq
cabeça Pidea ? (Ucraina), = x
de reyno vassallo
reyno Canardi ? vassallo =
reyno Tana Tana (Ucraina), = x x x x x x
vassallo
reyno Comania Cumania, =
vassallo
rey Dernent Derbent =
(Russia),
vassallo

10. Russia
1 2 3 4 V d D P A S JM
reyno Sabur, ?, Kostroma =
Castrama
reyno Roxia Russia x
reyno Xorman ?
reyno Sicça, Scizia, »
Nogarado Novgorod
reyno Maxar ?
rey Ircania »

263
a lessa ndro savor elli

Nei 6 portolani considerati si trovano altre bandiere di località che non


compaiono nel Libro del conocimiento: salvo eccezioni, si tratta di bandiere che
identificano con certezza singole città e non stati o territori.

4 V d D P A S
Almeria x
Galizia (Spagna) x x
Barcellona • x x x x x
Bretagna x x
Marsiglia • x x x x x x
Montpellier • x x x x x
Milano • x
Padova • x
Aquileia • x
Albenga • x
Bologna • x
Ravenna • x
Siena • x
Savona • x x x x x
Ventimiglia (o Monaco?) • x x x x
Gaeta • x
Messina • x
Napoli (città) • x
Zara • x x x
Ragusa • x x
Durazzo x x x
Varna (Bulgaria) x x x
Focea x x x x
Creta (= Venezia) x x
Armenia (Maior) x
Gabes (Tunisia) x x
Orano x
Melilla x
Tripoli di Siria x
Aden x

264
Atlanti simbolici dello spazio politico

4 V d D P A S
Jaffa o Tiro? x
Caffa (= Genova) x x
Maurocastro (Ucraina) x
Mosca? (Russia) x
Sinope (Asia Minore) x
Re Stefano (India) x
Re Colombo (India) x

265
Cartes et figures de l’espace français,
xive -xvi e siècle : représentation de l’espace
et exercice du pouvoir

juliette dumasy-rabineau
Centre d’études supérieures sur la fin du Moyen Âge, EA POLEN,
université d’Orléans

Si dans l’Occident médiéval les cartes à petite échelle (c’est-à-dire de la Terre,


de l’œcumène, des bassins de navigation) ont été nombreuses, celles à grande
échelle (allant de l’échelon local à l’échelon national) sont restées rares avant
le xive siècle. Ce n’est qu’au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge
qu’elles se diffusent de façon significative, et ce dans l’ensemble des pays
européens, selon un rythme et des caractéristiques spécifiques qui restent
encore à éclaircir 1. On se concentrera ici sur le cas français, qui connaît un
regain d’intérêt depuis quelques années, après les travaux initiaux du père de
Dainville 2, et qui sera bientôt l’objet d’une exposition aux Archives natio-
nales 3. Ces documents figurent des lieux ou des territoires plus ou moins
vastes et de façon plus ou moins détaillée, en situant les objets dans l’espace
grâce à des points ou systèmes de repère (cours d’eau, réseau viaire, habitats,
etc.) et des annotations, sans recourir aux techniques mathématiques de pro-
jection ou d’échelle – celles-ci ne seront introduites que progressivement et

1. Voir J. B. Harley, D. Woodward, History of Cartography, vol. 1 : Cartography in Prehistoric,


Ancient and Medieval Europe and the Mediterranean, Chicago/Londres, University of
Chicago Press, 1987 ; et les articles consacrés à ce sujet par aire géographique dans le tome 3
(D.  Woodward, Cartography in the European Renaissance, Chicago/Londres, University of
Chicago Press, 2007) ; ainsi que P. Fermon, « Cartes et plans à grande échelle », dans P. Gautier
Dalché (dir.), La Terre. Connaissance, représentations, mesure au Moyen Âge, Turnhout, Brepols
(L’Atelier du médiéviste, 13), 2013, p. 581-624.
2. Père F. de Dainville, « Cartes et contestations au xve siècle », Imago Mundi, 24/1, 1970, p. 99-121.
3. L’exposition, qui aura lieu au printemps 2019, est préparée conjointement par N. Gastaldi
(Archives nationales), C. Serchuk (South Connecticut University, États-Unis) et moi-même.

267
juliet te dum asy-r a bine au

­ artiellement à partir du xvie siècle. Ils se présentent ainsi comme une restitu-


p
tion empirique de l’espace concerné, dont les modalités graphiques prennent
des formes variées 4 : vue cavalière, vue à vol d’oiseau, plan perspectif mêlant
les techniques du plan et de la perspective 5, carte avec pictogrammes et objets
stylisés, schéma… Notre vocabulaire actuel, fondé sur les catégories de carte
et de plan, ne correspond que très imparfaitement à ces formes graphiques.
On lui préférera ici le terme de figure, qui présente le double avantage d’être le
plus utilisé dans les sources de l’époque, et d’être assez général pour englober
tous les types de figuration observés.
Ces figures doivent être distinguées des autres documents graphiques
contemporains représentant des lieux ou un espace, et en premier lieu des
œuvres d’art qui, à la fin du Moyen Âge, incluent de plus en plus des paysages
ou des lieux, réels ou imaginaires, dans leur figuration – c’est ce que l’on a
appelé l’irruption de la « nature » ou du « paysage » dans l’art, située aux xive-
xve siècles 6, soit en même temps que l’essor de nos figures. Les deux genres
partagent indéniablement des caractéristiques communes : les œuvres d’art
présentent régulièrement des villes ou châteaux réels (par exemple certaines
enluminures des Très Riches Heures du duc de Berry), tandis que les figures
offrent souvent un mode de représentation artistique (utilisation de la pers-
pective, du dessin à l’identique plus que de la stylisation, etc.) ; en outre, les
deux peuvent partager les mêmes auteurs, puisqu’un grand nombre de figures
sont l’œuvre de peintres. Toutefois, les deux genres sont différents dans leur
nature : dans la figure, le lieu ou le territoire est l’objet même de la représenta-
tion, tandis que dans l’œuvre d’art, il constitue le décor de la scène présentée
(bataille, chasse, vie de cour, etc.), situé à l’arrière-plan de l’action ou du récit.

4. Pour une présentation, voir M. Pelletier, De Ptolémée à la Guillotière (xve-xvie siècle). Des cartes
pour la France, pourquoi, comment ?, Paris, Éd. du Comité des travaux historiques et scienti-
fiques, 2009 ; J. Dumasy, « Le paysage des vues figurées (début xive-début xvie siècle) », dans
C. Souchon (dir.), Les outils de représentation du paysage, Actes du CXXXVe Congrès des socié-
tés historiques et scientifiques (Neuchâtel, 6-10 avril 2010), publication électronique sur le site
du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2012, p. 87-99.
5. À l’époque moderne, le « plan perspectif », « plan en perspective » ou encore « plan visuel » présente
les objets en plan (c’est-à-dire selon leur implantation au sol, appréciée depuis un point de vue à
la verticale) mais aussi en élévation et en perspective, comme si on les voyait réellement depuis un
point de vue surélevé. Il s’oppose au plan « géométral » ou « géométrique », qui est un plan exact
en proportion et en échelle et se veut, en principe, dénué de toute imitation. Voir N. Verdier, La
carte avant les cartographes. L’avènement du régime cartographique en France au xviiie siècle, Paris,
Publications de la Sorbonne, 2015, p. 240-249 et 302-303. Pour une typologie de ces différents
types de figuration à l’époque moderne, voir M. Morel-Deledalle (dir.), La ville figurée. Plans et
vues gravées de Marseille, Gênes et Barcelone, Marseille, Parenthèses/Musées de Marseille, 2005.
6. Voir par exemple H.  Brunon, « L’essor artistique et la fabrique culturelle du paysage à la
Renaissance. Réflexions à propos de recherches récentes », Studiolo. Revue d’histoire de l’art de
l’Académie de France à Rome, 4, 2006, p. 261-290.

268
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

D’autre part, leurs finalités, leurs usages, leurs conditions de production et de


conservation se distinguent assez nettement, ceux des figures étant dictés par
une utilité pratique, immédiate et ponctuelle, au rebours des œuvres d’art dont
les fonctions et usages sont plus complexes et durables. D’autre part, les figures
doivent être distinguées des représentations d’édifices que l’on peut trouver
dans certains manuscrits 7 : ces images visent à caractériser une réalisation archi-
tecturale plus qu’à situer des objets dans un espace et sont à la marge de notre
propos. Il en va de même des plans, relevés ou élévations de bâtiments seuls
dressés par des maîtres d’œuvre ou architectes 8, qui renvoient davantage à la
tradition du dessin d’architecture. Enfin, quant à l’extension géographique de
notre étude, on considérera les documents qui représentent tout ou partie de
l’espace français et qui ont été réalisés en France, en laissant de côté les pro-
ductions faites à l’échelle supra-nationale (mappemondes, cartes continentales,
routiers, etc.), ou à l’étranger ou par des étrangers, par souci de cohérence. Le
recensement a été arrêté en 1550, date qui permet de constater l’émergence des
cartes à grande échelle dites « modernes » (c’est-à-dire qui suivent des règles
mathématiques de projection de l’espace) et des cartes imprimées, qui viennent
renouveler le genre des figures –  sans l’éliminer. Ainsi défini, notre corpus
représente, entre le début du xive siècle et 1550, un ensemble de plus de deux
cent trente pièces connues à ce jour, dont la moitié environ sont conservées 9.

7. Par exemple dans le livre des hommages du comté de Clermont-en-Beauvaisis pour le comte de
Bourbon, réalisé dans les années 1373-1376 (l’original, perdu, est conservé par une copie moderne :
BNF, ms. fr. 20082 ; voir C. Beaune, Les manuscrits des rois de France au Moyen Âge, le miroir
du pouvoir, Paris, Bibliothèque de l’image, 1997, p. 88-89 et 181) ou dans certaines chroniques,
comme le manuscrit français 4991 de la BNF, A tous nobles, qui contient plusieurs vignettes de
cathédrales de France, et dont on reparlera plus loin (voir C. Serchuk, « Picturing France in the
Fifteenth Century : the Map in BNF MS Fr. 4991 », Imago Mundi, 58/2, 2006, p. 133-149).
8. On peut citer par exemple le plan du château de Gaillon (le premier en France fait à l’échelle,
semble-t-il), arch. dép. Vienne, carton 37, pièce 8. Reproduit dans : France 1500. Entre Moyen
Âge et Renaissance, catalogue d’exposition (Grand Palais, 2010), Paris, Éd. de la Réunion des
musées nationaux, 2010, p. 70. Voir aussi É. Hamon, « Le cardinal Georges d’Amboise et ses
architectes », dans L’artiste et le clerc. La commande artistique des grands ecclésiastiques à la fin
du Moyen Âge (xive-xvie siècle), Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2006, p. 329-348.
9. Les données fournies dans cet article reflètent l’état actuel d’un inventaire que j’ai entrepris
pendant mes années de thèse (voir un premier état de cet inventaire dans J. Dumasy, Le feu et
le lieu. La baronnie de Sévérac-le-Château à la fin du Moyen Âge, thèse de doctorat de l’université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dir. par M. Bourin, 2008, dactyl., p. 89-121 ; et de la question dans
la version publiée au Comité des travaux historiques et scientifiques sous le même titre en
2011, p. 27-63). On dispose aujourd’hui d’un inventaire publié : P. Gautier Dalché, « Essai d’un
inventaire des plans et cartes locales de la France médiévale (jusque environ 1530) », Bibliothèque
de l’École des chartes, 170/2, 2012, p. 421-471. Voir aussi la liste de cartes du royaume de France
établie par L. Dauphant, Le royaume des Quatre rivières. L’espace politique français au xve siècle
(1380-1515), Seyssel, Champ Vallon, 2012, p. 387-391.

269
juliet te dum asy-r a bine au

La diffusion des figures cartographiques correspond donc à un phénomène


d’ampleur, dont la dynamique et les ressorts doivent être analysés en consé-
quence. Notre chance est qu’en général, elles ne vont pas seules dans les dépôts
d’archives, et qu’il est possible de reconstituer la genèse de la plupart d’entre
elles grâce à des sources écrites qui ont accompagné leur confection et for-
ment un dossier documentaire plus ou moins complet, contenant selon les cas
des informations aussi essentielles que la datation, les modalités et le coût de
fabrication, l’identité des auteurs et des destinataires, les causes d’élaboration
et la destination. On découvre ainsi les « coulisses » de ces figures, mais aussi
leurs usages, points essentiels comme l’a souligné Laboulais 10, qui permettent,
in fine, d’en comprendre assez bien les tenants et aboutissants. Un des points
majeurs que révèle l’examen de ces dossiers est que, dans leur grande majorité,
ces figures n’étaient pas l’œuvre de cartographes voulant accroître la connais-
sance topographique des espaces représentés, mais des outils commandités à
des fins utiles et pratiques par les différentes instances de pouvoir du royaume :
rois et princes et leurs agents, cours de justice, villes, seigneurs laïcs et ecclé-
siastiques. Pour quelles raisons, à quelle occasion ces milieux de gouvernement
ont-ils eu recours à la figuration de l’espace ? Selon quelles modalités et pour
quel usage ? Comment s’est noué le lien entre exercice du pouvoir et représen-
tation de l’espace ? Les milieux de pouvoir ont-ils été des initiateurs de la figu-
ration cartographique, ou bien ont-ils récupéré un usage initié par d’autres ?
On examinera dans un premier temps les circonstances dans lesquelles étaient
élaborées les figures, puis on s’intéressera au rôle des différents organes de
pouvoir dans leur diffusion.

Causes d’élaboration des figures

Dans la moitié des cas répertoriés, les figures cartographiques sont directement
liées à une cause judiciaire ou à un contexte conflictuel qu’elles doivent contri-
buer à régler. Elles étaient faites le plus souvent lors de la dernière phase (c’est-
à-dire en général la phase d’appel) de procès particulièrement disputés et qui
portaient sur un conflit territorial ou foncier – par exemple sur des limites de
propriété ou de juridiction, des droits d’usage ou des assiettes fiscales. La pra-
tique est apparue dès le xive siècle, comme le montre la figure d’Albi, datable
des environs de l’année 1314 et liée à un conflit de juridiction entre l’évêque

10. I.  Laboulais, « Les “coulisses” des cartes à l’époque moderne », dans ead. (dir.), Les usages
des cartes (xviie-xixe  siècle). Pour une approche pragmatique des productions cartographiques,
Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2008, p. 5-14.

270
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

Fig. 1 – Figure de la juridiction d’Albi vers Puygouzon (ca. 1314 ?).


Arch. dép. Tarn, 4 EDT II 5.

et un seigneur voisin (fig.  1) 11. Elle a évolué pendant la période et pouvait


varier selon les cas, mais elle suit globalement le canevas suivant 12. Constatant
la difficulté à trancher équitablement le procès sans avoir une connaissance
précise des lieux controversés, et parfois à la demande d’une ou des parties
elle(s)-même(s), la cour d’appel ordonnait la confection d’une « figure » ou
« veue figure ». Elle désignait pour ce faire un peintre – ou plus rarement, un
juriste ou un lettré compétent – qui se rendait sur le terrain en présence d’un
commissaire délégué par la Cour et des parties elles-mêmes. On y procédait
à une revue des lieux en détail, au cours de laquelle les parties avaient le loisir
d’indiquer au peintre tous les éléments nécessaires à leur démonstration. Une
fois la vue achevée, elle était montrée aux parties qui devaient l’« accorder »

11. Arch. dép. Tarn, 4 EDT II 5.


12. Pour une présentation détaillée, voir J. Dumasy, « La vue, la preuve et le droit. Les vues figurées
à la fin du Moyen Âge », Revue historique, 668, 2013, p. 805-831.

271
juliet te dum asy-r a bine au

devant le juge, c’est-à-dire reconnaître sa véracité et sa validité. Le tout – déam-


bulation et ratification  – était dûment consigné dans un « procès-verbal de
vue », et la « figure accordée » rejoignait, avec le procès-verbal, les autres pièces
de procédure – enquêtes, interrogatoires de témoins, arguments de la plaidoirie
et autres – examinées par le tribunal. Les frais de confection étaient, comme
ces derniers documents, à la charge des parties – ce qui explique qu’elles aient
été conservées dans les archives de ces dernières, et qu’elles aient souvent été
faites en double exemplaire. Lorsque la figure était faite à l’initiative d’une seule
des parties, en dehors d’une réquisition du juge, elle devait être attestée par
des témoins connaissant les lieux, et enregistrée comme telle par le tribunal,
comme le montrent les cas de la figure de l’Eure en 1473 ou des marais de
Bresles en 1513 13.
Ces figures ont été appelées « cartes juridiques » par le père de Dainville,
qui le premier les a décrites 14 ; on peut aussi parler de vues figurées (d’après
l’expression « veue figure » utilisée dans les sources dès le xve  siècle) ou de
plans de contentieux (formule utilisée dans les inventaires d’archives). Faites
dans un contexte officiel et fruits du savoir-faire du peintre, elles sont en
général de fort belle facture. Il faut dire qu’elles remplissaient des fonctions
multiples pendant le procès. En amont, avant d’être terminées, par leur pro-
cessus d’élaboration sur les lieux mêmes du conflit, elles permettaient aux
protagonistes de préciser et de clarifier leur argumentation. Parfois, à cette
occasion, l’un pouvait prendre l’ascendant sur l’autre, soit qu’il ait raison sur
le fond, soit qu’il se montre plus habile à prouver son fait. La confection de
la figure devenait alors le moment-clé du procès, pendant lequel la sentence
se profilait. Ce fut le cas pour la figure de Castelferrus (Tarn), relative à un
conflit sur un ressort paroissial en 1525 et dont l’élaboration permit de révéler
les motivations plus ou moins cachées des acteurs, de dénouer les fils du
conflit et en même temps de donner l’avantage à l’une des parties 15. Cet avan-
tage avait été bien compris des justiciables, qui parfois ont commandité une
vue figurée sans que la cour ne l’ait demandé, pour en faire un atout majeur
de leur plaidoirie, comme le montre l’exemple de la figure de la baronnie de
Sévérac-le-Château voulue par les consuls de Millau en 1504 16. L’existence de
contre-figures demandées par une partie mécontente d’une version initiale

13. Arch. dép. Eure-et-Loir, C 68 et C 69 ; arch. dép. Oise, plan 433 et G 246.


14. Père F. de Dainville, « Cartes et contestations au xve siècle », art. cité, p. 99-121.
15. Voir la démonstration de G. Lebreton, Une étape dans la réforme du prieuré de Saint-Aignan.
La vue figurée de Castelferrus et Saint-Aignan en 1525 (Tarn-et-Garonne), mémoire de master 2,
université Toulouse – Jean-Jaurès, 2014.
16. J. Dumasy, « Entre carte, image et pièce juridique : la vue figurée de Sévérac-le-Château (1504) »,
Revue historique, 651, 2009, p. 621-644.

272
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

confirme à quel point la figure pouvait devenir un enjeu crucial du procès,


comme cela a été observé pour des conflits impliquant la ville de Rodez en
1495, ou la communauté de Barbentane, près d’Avignon, en 1514 17. En aval,
par sa ratification, la figure accordée offrait un support pour la construction
d’un consensus, au moins sur l’état des lieux disputés, ce qui constituait un
bon préalable à la décision finale. Enfin, devant le tribunal, toutes ces fonc-
tions se retrouvaient : la vue servait de témoignage, de preuve et de document
d’expertise sur lequel appuyer le jugement 18.
Le recours à la figuration s’observe aussi dans d’autres circonstances conflic-
tuelles, par exemple lors d’un arbitrage ou d’une procédure exceptionnelle. Un
schéma de l’embouchure de la Meuse fut ainsi réalisé lors d’un conflit interne
à l’Université de Paris en 1357-1358 19. Plusieurs figures sont liées à des arbitrages
ou accords dont on souhaitait enregistrer la teneur et fixer la mémoire. La
figure de l’étang de Scamandre (1479), accompagnant le texte d’un accord
entre l’abbaye de Saint-Gilles (Gard) et un seigneur voisin après un différend,
visait explicitement à en conserver le souvenir : ad futuram rei memoriam hec
depinxi et scripsi, inscrit l’auteur, le moine Bernard Montisfrini, au bas de la
figure 20. De façon plus officielle, un accord entre l’archevêque de Reims et
l’abbaye d’Igny enregistré à la prévôté de Fismes en 1491, et mettant fin à un
procès qui les opposait à propos de la possession de diverses terres près de
Mont-sur-Courville (Marne), était agrémenté d’un plan montrant les lieux et
la nouvelle démarcation 21.
Certaines revêtent une importance particulière lorsqu’elles sont liées à des
procédures qui engagent la souveraineté du roi ou des princes sur leurs terres ;
on voit alors les officiers jouer un rôle de premier plan dans leur confec-
tion. Ainsi, en Dauphiné, dans les années 1422-1423, les agents delphinaux

17. J. Petrowiste, « L’empreinte du commerce sur le paysage urbain. Une vue figurée du bourg de
Rodez de la fin du Moyen Âge », dans C. Souchon (dir.), Les outils de représentation…, op. cit.,
p. 121-135. P. Fermon, « Du paysage peint aux territoires : l’avènement des représentations de
l’espace en Provence à la fin du Moyen Âge », dans D. Poulot (dir.), Paysage et iconographie,
Actes du CXXXVe Congrès des sociétés historiques et scientifiques (Neuchâtel, 2010), publi-
cation électronique sur le site du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2013.
18. J. Dumasy, « Les vues figurées, un cas d’expertise par le dessin ? (France, xve-xvie siècle) », dans
L. Feller, A. Rodriguez (dir.), Expertise et valeur des choses au Moyen Âge, vol. 2 : Savoirs, écritures,
pratiques, Madrid, Casa de Velázquez, 2016, p. 203-214.
19. G. C. Boyce, « The Controversy over the Boundary between the English and Picard Nations in
the University of Paris (1356-1358) », dans Études d’histoire dédiées à la mémoire de Henri Pirenne,
Bruxelles, Nouvelle société d’éditions, 1937, p. 55-66 ; P. Gautier Dalché, « Limite, frontière et
organisation de l’espace dans la géographie et la cartographie de la fin du Moyen Âge », dans
G.  P.  Marchal (éd.), Grenzen und Raumvorstellungen (11.-20.  Jh.), Zurich, Chronos, 1996,
p. 93-122.
20. Arch. dép. Gard, G 1181.
21. Arch. dép. Marne, 19 H 31/9.

273
juliet te dum asy-r a bine au

font réaliser la vue de la vallée de Château-Dauphin et celle des comtés de


Valentinois et Diois pour défendre les intérêts territoriaux du roi Charles VII,
pour la première dans une affaire à propos de droits d’usage sur la frontière du
Dauphiné et du marquisat de Saluces, pour la seconde dans un litige autour
de la succession de ces comtés, dont le roi était l’héritier contesté 22.
Cet exemple nous amène à un dernier type de figure de contentieux : celles
réalisées dans le cadre de négociations diplomatiques entre États pour régler
un conflit territorial, parfois après un affrontement armé. La carte pouvait être
faite au préalable, avant la rencontre, pour servir d’instrument de travail à l’une
des parties et éventuellement de base pour la discussion : dans les années 1444-
1466, les officiers bourguignons commandèrent une série de cartes des enclaves
royales dans le comté de Bourgogne, pour préparer les « journées » de négocia-
tions avec les agents royaux sur leurs frontières, restées problématiques après
le traité d’Arras 23. Ou bien la figure était élaborée pendant les négociations et
participait ainsi directement au processus de délimitation et d’accord. Ainsi
en 1538, un contentieux entre François Ier et Charles Quint à propos de la pos-
session de l’abbaye de Saint-Jean-au-Mont, près de Thérouanne, enclave royale
en Artois, donna lieu à la confection d’une figure par les députés des deux
parties 24 ; en 1560, les discussions sur les frontières en Artois, restées probléma-
tiques après le traité du Cateau-Cambrésis, s’appuyèrent sur une belle série de
cartes réalisées exprès par des peintres dépêchés par les parties 25.
Les contentieux, contestations et autres rivalités autour de questions ayant
une assise territoriale sont donc la première cause de création de représenta-
tions de l’espace à grande échelle dans la France de la fin du Moyen Âge. Ces
figures de contentieux forment un ensemble remarquablement cohérent de ce
point de vue : le contexte conflictuel pouvait lui-même varier – il pouvait être
judiciaire, diplomatique ou contractuel –, les figures remplissaient peu ou prou
les mêmes fonctions : état des lieux, mise en lumière des revendications et du
droit de chacun dans le cadre d’un débat contradictoire, base pour la construc-
tion d’un consensus et instrument pour la mise au point de la décision finale.
Ces fonctions et leur arrière-plan conflictuel ne sont d’ailleurs pas totalement
absents des autres causes d’élaboration de figures.

22. Arch. dép. Isère, B 3707 à 3710, 4496 (Château-Dauphin), B 3501, 3504 et 3505 (Valentinois et
Diois).
23. Jean Richard, « Enclaves royales et limites des provinces. Les élections bourguignonnes »,
Annales de Bourgogne, 20, 1948, p. 89-113, et J. Paviot, « Les cartes et leur utilisation à la fin du
Moyen Âge. L’exemple des principautés bourguignonnes et angevines », Itineraria, 2, 2003,
p. 201-228.
24. Cité par M. Pelletier, « Vision rapprochée des limites. Les cartes et “figures” des xve et xvie siècles »,
Le Monde des Cartes [revue du Comité français de cartographie], 187, 2006, p. 15-25.
25. Arch. nat., J 789.

274
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

C’est le cas de celles qui ont pour but l’enregistrement de droits fonciers sei-
gneuriaux. Beaucoup moins nombreuses que les précédentes (une dizaine) et
prenant la forme de plans parcellaires plus ou moins détaillés, elles font partie
des documents de gestion comptable des seigneuries et peuvent être considé-
rées comme le pendant imagé des écrits d’enregistrement foncier habituels
(censiers, terriers et autres). Mais elles pouvaient avoir pour objectif secondaire
d’établir le droit et de le prouver en cas de conflit, comme les figures de conten-
tieux. Cependant la similitude s’arrête là : de façon générale, ces plans étaient
beaucoup moins travaillés que ces dernières, et répondaient à un usage interne ;
ils n’étaient pas l’œuvre de peintres, mais de gestionnaires ou notaires chargés
de la description des terres ; enfin, ils ne correspondent pas à une pratique
courante et bien établie. Les plus anciens et les plus remarquables par leur
précision sont ceux accompagnant les marchements de l’abbaye Saint-Étienne
de Caen (1477-1491), étudiés par Thomas Jarry 26. Les plans des fiefs de l’hôpital
Saint-Antoine d’Albi, réalisés dans le dernier quart du xve  siècle 27, ou ceux
contenus dans le cueilleret de Cergy pour l’abbaye de Saint-Denis, de 1528 28,
sont plus rudimentaires (fig. 2). Pour notre période, ces plans d’enregistrement
restent peu fréquents et témoignent d’une pratique encore embryonnaire, qui
ne se développera qu’à l’époque moderne avec les plans-terriers 29.
Une occasion plus fréquente de confection de figures trouve son origine
dans des projets de travaux et d’aménagements d’ampleur, de nature civile ou
militaire. Beaucoup sont liées au contexte guerrier de la période (guerre de Cent
Ans puis guerres d’Italie) et figurent tout ou partie du système défensif d’une
ville ou d’une région, en l’état ou en projet, ou parfois même en prévision d’un
siège. La figuration de sites à des fins militaires est une tradition qui remonte
au moins à la fin du xiiie  siècle 30. Les autres sont liées à des travaux civils
d’importance, comme des aménagements hydrauliques, fluviaux, ­portuaires

26. T. Jarry, « Autour d’un plan médiéval. Le plan parcellaire d’Allemagne (Fleury-sur-Orne) de
1477 », Histoire et sociétés rurales, 23, 2005, p. 169-204 ; et id., « Sevestre le Caretel et la mesure
de l’espace dans la plaine de Caen à la fin du xve siècle. Les marchements de l’abbaye Saint-
Étienne de Caen », dans Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques et représentations, Actes
du XXXVIIe  Congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur
public (Mulhouse, 2-4 juin 2006), Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 357-368.
27. Arch. dép. Tarn, 1 HDT 68.
28. Arch. nat., S*25714.
29. G.  Brunel, O.  Guyotjeannin, J.-M.  Moriceau (dir.), Terriers et plans-terriers du xiiie au
xviiie siècle, Actes du colloque de Paris (23-25 septembre 1998), Paris, Association d’histoire des
sociétés rurales/École nationale des chartes, 2002 ; N. Verdier, La carte avant les cartographes…,
op. cit., p. 213-259.
30. E. Vagnon, Cartographie et représentation de l’Orient méditerranéen en Occident, du milieu du
xiiie à la fin du xve siècle, Turnhout, Brepols, 2013 ; P. Gautier Dalché, « Les usages militaires de
la carte, des premiers projets de croisade à Machiavel », Revue historique, 673, 2013, p. 45-80.

275
juliet te dum asy-r a bine au

Fig. 2 – Plan parcellaire de terres de la seigneurie de Saint-Denis à Cergy,


dans le cueilleret de 1528. Arch. nat., S* 25714.

276
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

ou autres, et sont des relevés de l’existant ou des plans-projets. Qu’elles soient


à but militaire ou civil, ces figures étaient réalisées par l’architecte en charge du
chantier ou par un peintre (les deux parfois se confondant, comme le montre
l’exemple de Zacharie de Celers 31). Notons qu’elles pouvaient prendre deux
formes différentes, comme l’a signalé Étienne Hamon 32. Les unes détaillaient
les aspects techniques du chantier et sont à proprement parler des dessins
d’architecture, que l’on laissera à la marge de notre objet d’étude comme on
l’a dit en introduction ; les autres donnaient une vue d’ensemble du site des
travaux, qui correspondait soit à un état des lieux avant transformation, soit
au projet tel qu’il serait achevé. Elles se rattachent donc mieux à l’ensemble
des représentations de l’espace et seront considérées ici 33.
Au xvie siècle, de nombreuses figures de villes et fortifications sont effectuées
en Picardie, en Artois et en Flandre dans les années 1520-1560, dans le contexte
du théâtre français des guerres d’Italie. Le peintre Zacharie de Celers a ainsi fait
dans les années 1540-1560 toute une série de plans de villes, de forts et de forti-
fications pour les échevins d’Amiens, qui étaient alors confrontés à l’offensive
des Habsbourg et de leurs alliés dans la région ; il dirigea lui-même plusieurs
travaux de fortification dans la ville 34. On peut également citer des relevés et
plans liés à des opérations militaires, comme ces trois « patrons » de la ville de
Calais, commandités à des peintres en 1436 par le duc de Bourgogne en vue du
siège de la ville 35, et un autre de la même scène de guerre commandité par la
ville de Saint-Omer 36. Du côté civil, les plus anciennes figures sont attestées par
une mention de 1476 pour un projet d’agrandissement de la cité de Tours 37. Une
vue du Mont Viso relative aux travaux de percement du tunnel engagés par le

31. C. Serchuk, « À la limite. La vie et la carrière de Zacharie de Celers », dans É. Hamon, D. Paris-
Poulain, J. Aycard (dir.), La Picardie flamboyante : arts et reconstruction entre 1450 et 1550, Actes
du colloque d’Amiens (2012), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 1-13.
32. É. Hamon, « La demeure en chantier : hommes et techniques à la fin du Moyen Âge », dans
id., V. Weiss (dir.), La demeure médiévale à Paris, catalogue d’exposition (Archives nationales,
17 octobre 2012-13 janvier 2013), Paris, Somogy/Archives nationales, 2012, p. 62.
33. Il faut noter une difficulté pour les figures qui n’ont pas été conservées et sont connues seule-
ment par une mention : comment savoir si elles correspondaient à un plan technique ou bien
à une vue d’ensemble ? Parfois la description fournit une indication, dans d’autres cas le doute
demeure.
34. G. Durand, « Peintres d’Amiens au xvie siècle », Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie,
31, 1924-1925, p. 650 et suiv. ; C. Serchuk, « À la limite… », art. cité.
35. J. Paviot, « Les cartes et leur utilisation… », art. cité.
36. É.  Lecuppre-Desjardin, « Annexions, conquêtes, héritages : réflexions sur la perception du
complexe territorial bourguignon (xive-xve siècle) », dans S. Péquignot, P. Savy (dir.), Les dépla-
cements de frontières et annexions dans l’Occident médiéval (xiie-xve siècle), Paris, Éd. de l’École
pratique des hautes études, à paraître.
37. C.-L. de Grandmaison, « Documents inédits pour servir à l’histoire des arts en Touraine »,
Mémoires de la Société archéologique de Touraine, 20, 1870, p. 28.

277
juliet te dum asy-r a bine au

Fig. 3 – Grande vue de Rouen, dans le Livre des Fontaines de Jacques le Lieur (1526).
Collections de la bibliothèque municipale de Rouen, Ms g 3-5
(CGM 742 – 2e suppl.)

marquis de Saluces est présentée au cours de la même période par le parlement


de Dauphiné à Louis XI 38. De son côté, celui-ci commanda à ses peintres des
figures de la côte cauchoise, où l’on cherche à construire un nouveau port à
cause de l’ensablement de l’estuaire de la Seine (1477), et de Caudebec (1480) 39.
Aucune de ces figures anciennes ne nous est parvenue. Celles qui sont conser-
vées datent du xvie siècle et sont d’une qualité remarquable, comme celles du
très beau Livre des Fontaines de Rouen, confectionné en 1526 par le conseiller
Jacques le Lieur, notaire et secrétaire du roi, pour dresser un état de l’appro-
visionnement en eau de la ville (fig. 3) 40. La qualité d’exécution est la même
pour la description du cours de la Vilaine entre Rennes et Redon en vingt-
deux planches, destinée à présenter aux représentants des états ou de la ville de
Rennes l’état du cours du fleuve et les travaux qui seraient nécessaires pour en
améliorer la navigabilité, vers 1543 41 ; ou pour la vue du cours de la Vie, dessinée
(sur cinq mètres de long !) par Jean-Baptiste Florentin et adressée au baron

38. R. Gandilhon, Politique économique de Louis XI, Paris, Presses universitaires de France, 1941,
p. 88 et 264.
39. Arch. nat., KK 64, fol. 92 ; R. Gandilhon, Politique économique…, op. cit., p. 268.
40. Arch. mun. Rouen, bibliothèque de Rouen. B. Éliot, S. Rioland, Une vue de Rouen en 1525, par
Jacques le Lieur. Extrait du Livre des Fontaines, Bonsecours, Point de vues, 2001.
41. BNF, Rés. Ge. EE. 146. M. Mauger et al. (dir.), En passant par la Vilaine. De Redon à Rennes
en 1543, Rennes, Apogée, 1997. D. Pichot, « Images du paysage : les bords de la Vilaine au
xvie siècle », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 78, 2000, p. 261-283.

278
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

d’Apremont, gouverneur de Bretagne, dont le château se trouvait à proximité,


pour l’informer de l’ampleur des travaux nécessaires pour la rendre navigable 42.
Contrairement aux figures de contentieux qui avaient une valeur proba-
toire, les plans de travaux ont presque tous été perdus ou détruits, sans doute
parce qu’ils avaient une utilité technique et temporaire, qui cessait dès la fin
du chantier : on observe la même rareté pour les dessins d’architecture, dont
le taux de perte est également très élevé. La pratique était donc plus courante
que ce qu’atteste le nombre de figures connues, comme le suggérait Philippe
Contamine à propos des figures militaires 43. Malgré ces pertes, et grâce aux
quelques cas conservés, on peut reconstituer l’intérêt de telles figures. Elles
devaient permettre aux donneurs d’ordre de se faire une idée générale de
la transformation et de son impact global sur l’environnement immédiat,
mais aussi de comprendre l’ampleur du travail à accomplir et d’en estimer le
montant. Lorsqu’il en était à l’origine, l’architecte pouvait s’appuyer sur elles
pour convaincre ses interlocuteurs ; ainsi l’ingénieur Jean-Baptiste Florentin
présente-t-il dans un texte inséré sur son plan du cours de la Vie le détail
des travaux à accomplir avec leur montant. D’autre part, de tels plans pou-
vaient aussi avoir pour but de glorifier l’action des donneurs d’ordre : cela est
manifeste pour les vues insérées dans le Livre des Fontaines, qui magnifient la
ville et, ce faisant, l’action de leurs édiles. On rejoint là le domaine des moti-
vations politiques, qui, de fait, constituent une dernière occasion manifeste
d’établir une figure.
D’autres figures ont en effet pour point commun d’avoir été faites par des
agents ou des proches des milieux royaux ou princiers dans un but politique
ou administratif, et qui représentent tout ou partie de l’espace politique sou-
mis à ces autorités. Elles sont assez peu nombreuses et de nature diverse. Le
roi René commanda ainsi plusieurs représentations de territoires, villes ou
châteaux qu’il possédait (vallée de la Loire, villes de Provence) auprès de ses
peintres de cour, dont Barthelemy d’Eyck, entre les années  1450 et  1470 44.
Le but précis de ces dépenses n’est pas connu. On sait que, comme d’autres
princes contemporains, René possédait des mappemondes et vues de villes du
monde 45 ; on peut donc supposer qu’il s’agissait, pour ce prince aux immenses

42. BNF, Cartes et Plans, Rés. Ge. A. 364 ; M. Pelletier, De Ptolémée à la Guillotière…, op. cit.,


p. 44-45.
43. P.  Contamine, « L’art de la guerre à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance : maîtrise et
représentation de l’espace », dans H. Duchhardt, P. Veit (dir.), Guerre et paix du Moyen Âge
aux Temps modernes : théories, pratiques, représentations, Mayence, Von Zabern, 1998, p. 35-52.
44. J. Paviot, « Les cartes et leur utilisation… », art. cité ; père F. de Dainville, « Cartographie histo-
rique occidentale », Annuaire de l’École pratique des hautes études. 4e section, sciences historiques
et philologiques, 100/1, 1968-1969, p. 397-404.
45. J. Paviot, « Les cartes et leur utilisation… », art. cité.

279
juliet te dum asy-r a bine au

possessions dispersées, de disposer d’une description de ses terres et châteaux


qu’il puisse contempler et montrer pour affirmer l’étendue de son pouvoir.
Mais il est difficile de faire la part de ces figures aujourd’hui perdues avec
une représentation à vocation artistique et décorative, dont on connaît la
tradition très vivace et abondante au xve siècle à travers les enluminures 46. De
façon plus éphémère, des figurations de territoires ont été présentées dans le
cadre de la vie de cour. Ainsi en 1416, au château de Chambéry, lors d’une
grande cérémonie donnée par Amédée VIII de Savoie en présence de l’empe-
reur Sigismond pour fêter l’érection de la Savoie en duché, fut offerte aux
convives une gigantesque pâtisserie représentant en relief le nouveau duché,
faite par le cuisinier Morel 47. En Bourgogne, le banquet offert en 1449 par le
« parfait chevalier » Jacques de Lalaing aux participants au pas d’armes de la
Fontaine des pleurs fut agrémenté d’un entremets décrit comme le « portrait »
des villes de Chalon-sur-Saône et de Saint-Laurent, probablement sous forme
d’une maquette 48. L’Armorial de Guillaume Revel, qui présente en perspective
cavalière les villes et châteaux d’Auvergne, Bourbonnais et Forez relevant du
duc de Bourbon, en plus des armoiries des différentes familles vassales, au
milieu du xve siècle, peut aussi être rattaché à ce genre de figuration 49. Même
s’il reste un cas original, on peut le classer parmi les figures car il vise bien à
représenter la configuration spatiale des lieux représentés. Dédicacé au roi et
au duc de Bourbon, il s’adresse au même public et sert les mêmes objectifs que
les figures évoquées ci-dessus.
D’autres de ces figures accompagnent des livres d’histoire ou de description
de pays au propos politique. L’une d’elles est la première figure connue du
royaume de France en son entier (fig. 4) 50. Elle est insérée dans une chronique
sous forme de généalogie des rois de France, connue sous le nom de A tous
nobles, dans une version datant des alentours de 1461, selon Camille Serchuk 51.
Le pays est esquissé de manière schématique et approximative mais cohérente : il
est défini par ses limites constituées par les quatre rivières, et par quarante-cinq

46. Voir C. Beaune, Les manuscrits des rois de France…, op. cit.


47. B. Demotz, Le comté de Savoie du xie au xve siècle, Genève, Slatkine, 2000, p. 191, cité par
L. Dauphant, Le royaume des Quatre rivières…, op. cit., p. 387.
48. J. Paviot, « Les cartes et leur utilisation… », art. cité.
49. BNF, ms.  fr.  22297 ; voir P.-Y.  Laffont (dir.), L’Armorial de Guillaume Revel. Châteaux,
villes et bourgs du Forez au xve siècle, Lyon, Publications de la Maison de l’Orient et de la
Méditerranée, 2011.
50. C.  Serchuk, « Picturing France in the Fifteenth Century… », art.  cité ; ead., « Ceste figure
contient tout le royaulme de France. Cartography and National Identity in France at the End of
the Hundred Years War », Journal of Medieval History, 33, 2007, p. 320-338.
51. Ead., « Picturing France in the Fifteenth Century… », art. cité, p. 133-149 ; ead., « Ceste figure
contient tout le royaulme de France… », art. cité, p. 320-338.

280
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

Fig. 4 – Figure du royaume de France, dans le manuscrit BNF fr. 4991


A tous nobles (ca. 1461). BNF, ms. fr. 4991, fol. 5v.

281
juliet te dum asy-r a bine au

villes ou duchés dessinés sous forme de vignettes, qui apparaissent comme


autant de hauts lieux de l’histoire et de l’identité du royaume. On ignore qui
est l’auteur de cette figure ; d’après Camille Serchuk, il s’agit probablement
d’un remanieur familier des cours princières et de leurs codes. Alors que l’on
sort à peine d’un siècle de guerre entre France et Angleterre, il élabore cette
figure pour rendre visible, contre les prétentions des Anglais, l’indivisibilité
du royaume, uni depuis des temps immémoriaux derrière son roi légitime 52.
Au-delà de la volonté de représenter le royaume dans sa dimension territoriale,
cette figure a donc un but politique. Quelques décennies plus tard, on retrouve
la même empreinte politique sur deux cartes manuscrites de la Narbonnaise
et de la Provence insérées dans les Illustrations et singularités de la Comté de
Provence (ca. 1536-1538) 53. Ce livre, qui contient une description géographique
de la Provence et son histoire depuis l’Antiquité, a été écrit en partie de la
main du jeune Nicolas de Lorraine, fils du duc de Lorraine et alors âgé de
12-14 ans, qui en a fait le cadeau à son père à l’occasion des étrennes. Pourquoi
cet intérêt pour la Provence ? À plusieurs reprises dans le texte, Nicolas, en tant
que descendant du roi René, en revendique la possession pour sa famille. Une
complainte de la Provence s’achève par ces mots : « car desormais bien fauldra
que veillons / pour recouvrir ce qu’avoir nous voulons 54 », et trois chapitres sont
consacrés à la façon dont la province a échappé à la famille de Lorraine au pro-
fit des rois de France 55. Les deux figures, qui sont placées entre la complainte
et les chapitres descriptifs, sont donc clairement convoquées pour appuyer
la revendication de la souveraineté de la famille de Lorraine sur ce territoire.
On peut ajouter à cet ensemble quelques figures faites par des officiers prin-
ciers ou royaux dans le cadre de leur pratique administrative quotidienne. Elles
sont peu nombreuses et leur contexte d’élaboration n’est pas toujours bien
établi, dans la mesure où il s’agit généralement de documents de travail desti-
nés à un usage interne et éphémère. On peut citer le schéma de la judicature
du Gapençais (1447), qui a été confectionné, selon le père de Dainville, pour
définir le ressort de ce territoire qui venait d’être créé 56 ; celui de la localisation
d’une source salée découverte en Bourgogne, réalisé par les officiers ducaux

52. C.  Serchuk, « Cartes et Chroniques : Mapping and History in Late Medieval France », dans
R.  J.  A.  Talbert, R.  W.  Unger (éd.), Cartography in Antiquity and the Middle Ages. Fresh
Perspectives, New Methods, Leyde/Boston, Brill, 2008, p.  257-276 ; ead., « Gaul Undivided :
Geography and Identity in France at the Time of the Hundred Years War », dans K. Lilley (éd.),
Mapping Medieval Cartographies, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 175-200.
53. BNF, ms. fr. 5694. La similitude très forte entre la carte de Provence et la carte de France
d’Oronce Fine, dans sa partie provençale, suggère que la première a été copiée sur la seconde.
54. Ibid., fol. 11-15.
55. Ibid., chap. XIX-XXI.
56. Père F. de Dainville, « Cartes et contestations au xve siècle », art. cité.

282
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

chargés de l’inspecter, de l’analyser et de la boucher (1448) 57 ; ou encore ce


schéma du duché de Bourgogne du temps de Louis XI, dont la conservation
au Trésor des Chartes suggère l’usage administratif, selon Léonard Dauphant 58.
À la fin de notre période, à partir des années 1520, apparaissent des docu-
ments cartographiques d’un nouveau type, fondés sur les règles de la géomé-
trie et de la projection mathématique de l’espace : il s’agit de plans de ville à
l’échelle, ou de cartes régionales ou du royaume faites selon les prescriptions de
Ptolémée, en utilisant les coordonnées de latitude et longitude. Le document le
plus célèbre est la carte du mathématicien Oronce Fine, intitulée « Nova totius
Galliae descriptio », imprimée pour la première fois en 1525, et qui constitue
la première carte spécifique du royaume faite de manière « savante », selon une
méthode de projection mathématique inspirée de Ptolémée. Peu après, sont
réalisées les cartes du diocèse du Mans, par Macé Ogier, prêtre du Mans, et
Jacques Androuet du Cerceau (imprimée en 1539), de Normandie (1545) et du
Berry (1545) par Jean Jolivet, celle de l’ensemble Dauphiné-Savoie-Piémont
par Oronce Fine (1543) 59, celle de Picardie par Zacharie de Celers (1546) 60.
C’est à peu près dans les mêmes années qu’apparaissent les premiers plans
complets de villes mis à l’échelle, comme le plan de Paris dit de la Gouache
(ca. 1535, détruit mais connu par des photographies et un fac-similé) et celui
de Paris de Truschet et Hoyau, dit de Bâle (1550-1553), qui seraient inspirés
d’un premier plan, dit « matrice » et aujourd’hui perdu, des années 1523-1530 61.
Le plan dit « scénographique » de Lyon date des années 1548-1553 62. Ces docu-
ments fournissent un savoir topographique d’une qualité et d’une technicité
nouvelles par rapport aux précédents. C’est une première et importante diffé-
rence avec les figures précédentes. Mais il en est une autre : ces nouvelles cartes
semblent être dressées indépendamment d’une utilité pratique et immédiate.
Contrairement aux précédentes, qui étaient toujours liées à une affaire ou un
dossier de nature autre que cartographique (par exemple un contentieux, un
projet d’aménagement ou une opération militaire, une œuvre rédigée que la
figure accompagnait, une fête politique, etc.), et qui avaient une utilité précise
et ponctuelle, ces cartes semblent être dressées pour produire avant tout un
savoir topographique général sur l’espace concerné (cours d’eau, villes, éven-
tuellement réseau viaire et relief ), valable pour des usages multiples et durables.

57. Arch. dép. Côte-d’Or, B 11 199. Je remercie M. Le Guil de m’avoir signalé ce document.


58. L. Dauphant, Le royaume des Quatre rivières…, op. cit., p. 187.
59. M. Pelletier, De Ptolémée à la Guillotière…, op. cit., p. 31-32.
60. G. Durand, « Peintres d’Amiens… », art. cité.
61. J. Dérens, « Note sur les plans de Paris au xvie siècle », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris
et de l’Île-de-France, 107, 1980, p. 71-86.
62. Arch. mun. Lyon, 7 S 8. M. Pelletier, De Ptolémée à la Guillotière…, op. cit., p. 94-95.

283
juliet te dum asy-r a bine au

Cependant, elles ne sont pas dénuées d’arrière-pensées politiques ni de


motivations autres que la seule connaissance topographique – de fait, une carte
n’est jamais la production pure d’un savoir, elle est toujours porteuse d’une
vision de l’espace et d’enjeux de pouvoir 63. Presque toutes sont faites par des
hommes appartenant aux cercles de pouvoir ou les fréquentant, et/ou ont été
offertes à de puissants personnages. Oronce Fine a été intégré peu après la réa-
lisation de sa carte de France à l’entourage royal par sa nomination comme lec-
teur royal de mathématiques et son entrée au Collège royal. La carte du Berry
a été commanditée par le secrétaire de Marguerite de Valois et dédiée à cette
reine (qui disposait des revenus de la province). Celle de Normandie porte les
armes de François Ier et un dessin de la flotte royale, celle de Dauphiné-Savoie-
Piémont fut offerte par Oronce Fine à François Ier en 1543 64, et celle de Picardie,
payée par la ville d’Amiens, était exposée dans l’hôtel de ville. Le plan de la
Gouache a été commandité par le prévôt des marchands de Paris Étienne de
Montmirail, tandis que celui de Lyon, qui porte l’emblème du roi Henri II et
de Diane de Poitiers, pourrait avoir été réalisé à l’occasion de l’entrée du roi
dans la ville en 1548 65. Plusieurs sont faites lors d’une occasion qui leur donne
un écho politique (fête princière, cadeau princier, etc.), d’autres ont manifeste-
ment pour but, au-delà de la description d’une réalité géographique, d’affirmer
une souveraineté, de louer la richesse d’un pays, de représenter la ville que l’on
gouverne. Il ne faudrait donc pas croire que ces cartes de nouvelle génération
se sont émancipées du pouvoir politique et sont vierges de toute fonction uti-
litaire. Elles servent à la fois l’accroissement des connaissances géographiques
et les intérêts des puissants. Au-delà de la description topographique et de leur
niveau de technicité, il semble donc que ces cartes, comme les précédentes,
étaient liées à des considérations politiques : c’est ce rapport entre figures et
pouvoirs que nous allons à présent explorer.

Figuration de l’espace et exercice du pouvoir

Dans l’émergence des figures cartographiques à partir du xive siècle, il faut


souligner l’importance des figures de contentieux, qui sont à la fois les plus
nombreuses et les plus précoces. La pratique de la figure judiciaire est attestée

63. C. Jacob, L’empire des cartes. Approche théorique de la cartographie à travers l’histoire, Paris, Albin
Michel, 1992, p. 351.
64. M. Pelletier, De Ptolémée à la Guillotière…, op. cit., p. 22 et 33.
65. Ibid., p. 93.

284
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

pour la première fois au Parlement de Paris en 1379 66, et à la même époque


elle est évoquée comme faisant partie des usages de cette institution par Jean
Bouteiller dans sa Somme rural 67. Mais elle est plus ancienne, comme le
prouve l’existence d’au moins trois figures antérieures, celles d’Albi, de l’étang
de Maguelone (milieu du xive siècle) et de l’embouchure de la Meuse (1357-
1358) 68. Au cours du xve siècle, l’usage de ces figures se fait de plus en plus
fréquent et il devient courant au xvie  siècle. L’expression « figure accordée »
est définie dans la version revue du dictionnaire de Robert Estienne (1549), et
la pratique est décrite de manière détaillée par Jean Imbert dans sa Practique
judiciaire (première édition française en 1548 69). Le recours à la figuration n’est
cependant décrit que dans des traités de procédure et de jurisprudence et ne
semble pas avoir été théorisé 70 ; il ressort donc essentiellement de la pratique et
de l’expérience des juristes. Le Parlement de Paris a probablement été le pro-
moteur de cet usage, sans que l’on sache précisément selon quelle chronologie
et par quel processus, mais on peut en supposer les causes. Il y a d’abord celles
qui tiennent à la nature de ces affaires portées en appel : la difficulté à trancher
un conflit dont le théâtre est éloigné et difficile à se représenter pour les juges ;
la nécessité de trouver un moyen fiable et décisif pour résoudre un différend
qui dure depuis des années. Puis celles qui tiennent à la nature de la cour elle-
même : la volonté de mettre en place une justice d’appel royale performante,
plus efficace et plus pertinente que les justices locales ; la meilleure qualification
du personnel judiciaire. Enfin celles, plus générales, qui tiennent à l’évolution
des cultures et des mentalités : la figure était le prolongement imagé des « vues »
et « monstrées » des lieux contentieux, qui étaient une coutume ancienne ; elle
montre la validation du recours à la figuration pour accéder à la réalité, et sa
nouvelle valeur probatoire 71.

66. M. Boudet, Registres consulaires de Saint-Flour, Paris/Riom, Champion, 1900, p. 7-10 et 68 ;
L. Dauphant, Le royaume des Quatre rivières…, op. cit., p. 387.
67. Jean Bouteiller, Grand coutumier et practique de droict civil et canon observé en France, ou Somme
rural (1370-1392), éd. par Louis Charondas le Caron, Paris, Macé, 1621, titre 32, p. 207.
68. Pour Albi, voir note 11. Pour Maguelone, voir P. Fermon, « Les représentations des pêcheries de
Maguelone, Saint-Gilles et Lérins ou les usages de la figura dans les milieux ecclésiastiques du
milieu du xive siècle à la fin du xve siècle », dans M. Lauwers (dir.), Monastères et espace social.
Genèse et transformation d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, Turnhout, Brepols, 2014,
p. 185-209. Pour la Meuse, voir note 18.
69. Les Institutes de praticque en matiere civile et criminelle, Paris, Jeanne de Marnef, 1545. BNF,
RES-F-2027 (2). Je n’ai pu consulter que l’édition de 1548 (Paraphrase en langage francois des
quatre livres des Institutions forenses, à Paris, chez Regnaud et Claude Chaudière).
70. Le traité De fluminibus seu Tiberiadis (1355) de Bartole, qui recommandait l’usage de figures
géométriques pour résoudre des querelles de propriété (et non de vues d’ensemble de terrain),
ne semble pas avoir joué un rôle déterminant dans l’émergence des figures judiciaires : voir la
discussion dans J. Dumasy, « La vue, la preuve et le droit… », art. cité.
71. Ibid.

285
juliet te dum asy-r a bine au

Mais les cours de justice n’ont pas été les seuls acteurs impliqués dans le
développement de la figuration judiciaire : les parties elles-mêmes ont large-
ment contribué au phénomène. Comme on l’a vu, certaines précédaient la
volonté de la cour en faisant réaliser leur propre figure, ou en obtenant de
la cour l’ordre de l’exécuter. Même dans le cas où elles n’en étaient pas les
commanditaires directs, elles en ont autorisé l’existence en la finançant. Or,
elles n’étaient pas de simples particuliers, mais des princes, des seigneurs laïcs
et ecclésiastiques ou bien des communautés urbaines ou rurales détenant des
droits de propriété, de juridiction ou d’usage sur des territoires. Le rôle de
leurs procureurs, qui étaient sans doute les meilleurs des juristes gradués de
l’université, et bien informés des pratiques recommandées par le Parlement,
est certainement déterminant. Mais ces élites ont su comprendre l’intérêt de
tels documents, et plusieurs indices montrent qu’elles n’ont pas eu une attitude
passive mais s’en sont emparées pleinement. Ainsi des milieux ecclésiastiques,
sans doute parce qu’ils étaient plus cultivés que les autres et usaient plus faci-
lement du contentieux judiciaire. On les trouve en effet parmi les acteurs des
trois premiers cas de figuration juridique (Albi, Maguelone, Meuse), et en
nombre parmi les commanditaires de figures. Certaines institutions religieuses
sont à l’origine de plusieurs plans de contentieux réalisés à quelques décennies
d’intervalle. Ainsi l’abbaye Saint-Victor de Paris est-elle liée à la confection
de trois figures entre 1466 et 1538 72, et les clercs de la cathédrale de Beauvais à
cinq entre 1508 et 1550, avec un rôle de commanditaire direct dans au moins
deux cas 73. La figuration était devenue, pour ceux-là, un outil judiciaire sinon
habituel, en tout cas connu et visiblement apprécié. On observe le même
phénomène dans le milieu des officiers princiers. Dans le Dauphiné, Antoine
Actuhier, notaire du secrétaire delphinal, a supervisé la confection des vues de
la vallée de Château-Dauphin en 1422 et des comtés de Valentinois et Diois
l’année suivante 74 ; en 1436, Mathieu Thomassin, membre de la chambre des
comptes de Dauphiné, a réalisé lui-même la figure de Bellecombe, à la suite
d’une dispute qui posait la question des limites entre Savoie et Dauphiné 75.

72. Figure des moulins de Corbeil-Essonnes (1466) : Musée des Archives nationales, AE II 2481 ;
de Puiseaux et Briarres-sur-Essonne (1497) : Arch.  nat., Cartes et Plans, S  2152 ; de
Champeaux (1538) : ibid., L 898, no 52, 4.
73. Le chanoine de Beauvais Thibaut le Bastier a commandé en 1508 celle du bois de Belloy, à côté
du village d’Aux Marais près de Beauvais (arch. dép. Oise, G 910) ; l’évêque de Beauvais celle
des marais de Bresles en 1513 (ibid., plan 433, G 246). Trois autres figures ont été faites pour des
procès concernant le chapitre ou l’évêque (ibid., plan 554, plan 906 et mention dans G 246).
74. Pour Château-Dauphin : arch. dép. Isère, B 3707 à 3710, 4496 ; pour le Valentinois et Diois :
B 3501, 3504, 3505, 3495.
75. Ibid., B  3274 ; L.  Dauphant, « Matthieu Thomassin et l’espace dauphinois : naissance d’un
humanisme géopolitique (1436-vers 1456) », Journal des savants, 1, 2008, p. 57-105.

286
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

Même chose en Bourgogne, avec la série déjà citée de cartes des enclaves royales
commanditée par les officiers ducaux dans les années 1444-1466 76. Les autorités
urbaines ne paraissent pas en reste : dès le début de la période elles sont mêlées
à des affaires ayant occasionné la confection d’une figure, comme le montre le
cas d’une vue des murailles de Saint-Flour financée par les consuls lors d’un
procès qui les opposait à l’évêque devant le Parlement de Paris 77. Dans d’autres
cas il est avéré qu’elles ont pris elles-mêmes l’initiative de la figuration : ainsi les
consuls d’Avignon ont-ils commandé plusieurs portraits de leur ville dans les
années 1480-1490 dans le cadre d’un conflit avec les officiers royaux 78, tandis
que les consuls de Millau et de Rodez ont été à l’origine directe de la confec-
tion de trois plans de contentieux entre 1495 et 1504 79. Les élites municipales
pouvaient même s’en servir pour porter une revendication ou un projet poli-
tique : en 1544, les consuls d’Ambert firent confectionner une carte de la Basse
Auvergne pour appuyer leur requête auprès du Conseil privé du roi d’accéder
au statut de bonne ville, après que l’Assemblée des bonnes villes d’Auvergne
leur eut refusé cette promotion 80. Il est clair que, aiguillés par leurs avocats
et officiers, les pouvoirs territoriaux, qu’ils soient souverains, seigneuriaux ou
municipaux, ont pris à leur compte l’usage de la figuration judiciaire.
Le rôle des autorités territoriales se manifeste également dans les com-
mandes de plans d’aménagement. Les princes chefs de guerre font établir des
plans de siège, on l’a vu, ou des relevés en prévision d’opérations militaires :
de façon anecdotique mais néanmoins révélatrice, une figure de la région
entre Joigny et Auxerre a été faite par un peintre en 1476 à la demande de
Charles le Téméraire, en prévision d’une rencontre avec Louis XI : le souvenir
de Montereau devait hanter le duc 81… Les villes commandent pour leur part
des plans de fortifications, sur ordre du prince ou de leur propre initiative, en

76. Voir note 22.


77. M. Boudet, Registres consulaires…, op. cit., p. 7-10 et 68.
78. M.-C. Léonelli, « Les représentations du paysage provençal dans la peinture de la fin du Moyen
Âge », dans Images de la Provence. Les représentations iconographiques de la fin du Moyen Âge au
milieu du xxe siècle, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1992, p. 259-265 ;
P. Fermon, « Du paysage peint aux territoires… », art. cité.
79. J. Petrowiste, « L’empreinte du commerce… », art. cité ; J. Dumasy, Le feu et le lieu… [CTHS],
op. cit., p. 27-63.
80. R. Sève, « Une carte de la Basse Auvergne de 1544-1545 et la demande d’agrégation aux bonnes
villes présentée par Aubert », dans Mélanges géographiques offerts à Ph. Arbos, Paris, Les Belles
Lettres, 1953, t. 1, p. 165-171 ; M. Pelletier, De Ptolémée à la Guillotière…, op. cit., p. 58.
81. La figure devra permettre de voir « tous les guets et lieux dangereux et tous les villages et
bois et estangs a cause de l’entrevue qui doit estre faite entre le roy et monseigneur le duc en
Joingny et Auxerre ». Cité par S. Cassagnes-Brouquet, « Les peintres et la politique : l’exemple
de la Bourgogne des ducs Valois », dans F. Joubert (éd.), L’artiste et le commanditaire, Paris,
Publications de la Sorbonne, 2001, p. 83-97.

287
juliet te dum asy-r a bine au

fonction de leurs besoins et du contexte guerrier. Cela est particulièrement vrai


pour celles qui sont situées en zone frontalière. Les édiles de Lyon ont ainsi
commandé plusieurs « portraits » et « plateformes » des murailles et de la ville
à des peintres locaux suite à l’ordre de Louis XII de construire de nouvelles
fortifications en juillet 1512 ; certains seront d’ailleurs envoyés au roi ou à son
chambellan, dépêché sur place pour suivre l’affaire 82. La ville d’Amiens a fait
faire de multiples relevés et plans-projets pour sa défense à partir de la fin du
xve siècle et pendant tout le xvie siècle 83. Et l’on retrouve les mêmes comman-
ditaires pour les figures liées à des aménagements civils : villes, rois, princes,
seigneurs. Comme pour les figures de contentieux, on peut se demander dans
quelle mesure ces derniers ont initié et promu cet usage. Il ne faut pas négliger
le rôle des chefs de travaux eux-mêmes, qui ont sans doute joué un rôle majeur,
tout comme les procureurs et gens de justice ont contribué à l’essor des figures
judiciaires, en initiant les donneurs d’ordre à ces représentations. Mais, comme
dans le cas de ces dernières, les autorités semblent avoir souvent été à l’origine
de tels plans. Leur recours à des peintres pour faire un relevé avant travaux
en est un premier indice. En outre, dans certains cas, on repère une arrière-
pensée politique à l’œuvre dans la commande. Pensons au Livre des Fontaines
du conseiller de Rouen Jacques le Lieur, cité plus haut : ce registre en parche-
min richement relié et agrémenté de quatre figures dont une superbe vue en
perspective de la cité normande est bien plus qu’un état des lieux du réseau
d’eau de la ville. Une miniature située au centre de l’image, à l’emplacement
de l’Hôtel commun, et représentant l’auteur en train de remettre le manuscrit
à ses collègues dans la salle de l’Hôtel commun de la ville, le confirme : Jacques
le Lieur voulait, grâce à ces images, affirmer le lien indissoluble entre la beauté
et la richesse de sa ville et la qualité et l’autorité du gouvernement municipal,
dans une démarche classique depuis dans la fresque du bon gouvernement de
Sienne d’Ambrogio Lorenzetti 84.
Par ailleurs, les élites avaient connaissance, de par leur culture et leur for-
mation, de cartes et de représentations figurées de l’espace. Dans les cours
princières, les cartes à grande et à petite échelle étaient d’un usage fréquent
dès le xve siècle, comme l’a établi Jacques Paviot 85. L’exemple des Illustrations
et singularités de la Comté de Provence de Nicolas de Lorraine montre que l’on
gardait le souvenir de cet intérêt nouveau : dans sa lettre liminaire, l’enfant

82. T. Lévy, « Mysteres » et « joyeusetés » : les peintres de Lyon autour de 1500, thèse de doctorat de
l’université Paris 4-Sorbonne, 2013, t. 1, p. 170, et t. 2, p. 377.
83. La première attestée date de 1469 ; suivront beaucoup d’autres. Voir G. Durand, « Peintres
d’Amiens… », art. cité ; C. Serchuk, « À la limite… », art. cité.
84. Voir P. Boucheron, Conjurer la peur. Sienne, 1338, Paris, Seuil, 2013.
85. J. Paviot, « Les cartes et leur utilisation… », art. cité.

288
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

justifie le choix de ce cadeau par le souvenir de son aïeul le roi René, qui,
comme les « souverains empereurs et roys » du temps passé, se délectait « a avoir
la cognoissance de toutes les provinces et diverses nations qui sont au monde
universel 86 ». Cet exercice d’écolier prouve aussi que la géographie et les cartes
faisaient partie de l’éducation des princes, comme l’atteste également le très
beau portulan illustré fait pour le futur François Ier au début du xvie siècle 87.
Il est probable que de leur côté, les clercs de haut niveau et les édiles munici-
paux qui étaient passés par l’université connaissaient au moins l’existence de
mappemondes et de cartes, et qu’une partie d’entre eux en avaient vu dans
des manuscrits à un moment ou un autre de leurs études ou carrières 88, sans
compter le recours à la figuration dans les manuscrits savants.
Ainsi, on peut formuler l’hypothèse selon laquelle, entre le xive et le début
du xvie siècle, les autorités – royales, princières, seigneuriales, urbaines –, par
l’intermédiaire des gens de justice, des architectes et des peintres, et par l’élé-
vation de leur niveau de culture générale, se sont familiarisées avec les repré-
sentations figurées de l’espace, et ont progressivement intégré cette pratique
jusqu’à en user de leur propre chef. Elles ont donc joué un rôle important dans
l’émergence des cartes et plans locaux, par leur financement et leur commande,
et les ont utilisés de façon plus importante que ce que l’on a cru. Cependant
de nombreuses questions subsistent sur la part qui leur revient précisément, et
celle qui revient aux juristes, aux architectes et aux peintres.
Force est de constater que les élites ont restreint cette pratique à des fins
bien précises (les contentieux et les travaux d’aménagement), et que dans leurs
autres domaines d’action, elle est restée modeste. Dans la gestion seigneuriale,
par exemple : on a vu que les plans parcellaires sont très peu nombreux. Les
seigneurs et leurs gestionnaires n’ont manifestement pas considéré comme
utile de représenter de manière graphique leurs possessions. Dans la pratique
administrative quotidienne ensuite ; tout au plus a-t-on pu repérer quelques
figures, dont l’usage d’ailleurs n’est pas toujours bien établi. Dans la mesure
où il s’agit d’instruments de travail sans valeur probatoire, destinés à un usage
interne, il est possible que ces documents n’aient pas été conservés. Mais
cette absence semble trop marquée pour être un simple effet de source. Il
semble que, sauf exception et hors contexte conflictuel, les agents du pouvoir
ne recouraient guère à la figuration pour organiser leur travail administratif,

86. BNF, ms. fr. 5694, fol. 8.


87. Reproduit dans M.  Hermant (dir.), Trésors royaux. La bibliothèque de François  Ier, Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 84-85.
88. Pour les clercs, on peut citer le cas de Pierre d’Ailly et de Guillaume Fillastre qui se sont
passionnés pour la cosmographie et ont diffusé la Géographie de Ptolémée : P. Gautier Dalché,
La géographie de Ptolémée en Occident, ive-xvie siècle, Turnhout, Brepols, 2009.

289
juliet te dum asy-r a bine au

répartir leurs compétences, définir leurs ressorts ou améliorer leur connaissance


du terrain. Enfin, la représentation de l’espace politique en tant que tel, celui
sur lequel le pouvoir exerce sa souveraineté et sa juridiction, fait aussi défaut.
Certes, comme on l’a vu, il en existe quelques beaux spécimens, mais il s’agit
de cas isolés restés sans suite, et qui ne forment pas un ensemble significatif.
Il n’existe pas, avant les années 1520, de figures permettant au roi ou au prince
de se représenter son royaume ou sa principauté, pour paraphraser Robert
Fawtier 89, ou les territoires qui les composent. Comment expliquer une telle
lacune, alors que les élites connaissaient bien l’utilité des figures dans d’autres
domaines, et que d’ailleurs, à partir des années  1520, elles accompagneront
l’essor des cartes dites « modernes », en en commanditant et en récompen-
sant leurs auteurs ? On ne proposera ici que quelques hypothèses et pistes de
réflexion. On peut supposer en premier lieu que les élites ne ressentaient pas,
avant les années 1520, un besoin aigu de cartes dispensant un savoir topogra-
phique général. Selon Léonard Dauphant, si la complexité de la géographie
administrative et des limites territoriales était réelle, les agents du pouvoir la
connaissaient, chacun à son niveau et à son degré de compétence, grâce à un
savoir oral et écrit maîtrisé 90, et pourrait-on ajouter, grâce à une connaissance
physique des lieux par le parcours et la déambulation, pratique fort ancienne
et bien attestée, depuis l’agent seigneurial jusqu’au prince itinérant en passant
par le commissaire enquêteur 91. Deuxième hypothèse, qui n’exclut pas la pre-
mière : il manquait, avant le début du xvie siècle, d’hommes capables de faire
des cartes de qualité à l’échelon de la principauté et du royaume. Le milieu
des « figureurs 92 », peintres pour la plupart ou hommes de loi, était en capacité
de représenter des espaces locaux de façon satisfaisante dans la mesure où ils
étaient saisissables ou reconstituables à l’œil et/ou par un parcours limité 93.

89. R.  Fawtier, « Comment le roi de France, au début du xive  siècle, pouvait-il se représenter
son royaume ? », dans Mélanges offerts à M. Paul-E. Martin par ses amis, ses collègues, ses élèves,
Genève, Comité des mélanges P.-E. Martin (Mémoires et documents publiés par la Société
d’histoire et d’archéologie de Genève, 40), 1961, p. 65-77.
90. L. Dauphant, Le royaume des Quatre rivières…, op. cit.
91. Le sujet est vaste : on proposera quelques pistes de lectures parmi d’autres : De l’estime au
cadastre en Europe (xiiie-xviiie siècle). Le Moyen Âge, Actes du colloque organisé par le Comité
pour l’histoire économique et financière de la France (Bercy, 11-13 juin 2003), Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France, 2006 ; Construction de l’espace au Moyen
Âge : pratiques et représentations, Actes du XXXVIIe  Congrès de la SHMESP (2006), Paris,
Publications de la Sorbonne, 2007 ; C. Gauvard (coord.), L’enquête au Moyen Âge, Rome, École
française de Rome, 2009.
92. Le terme est attesté dans un document de 1513, arch. dép. Oise, G 246.
93. Voir par exemple la façon dont l’auteur de la vue figurée de la baronnie de Sévérac-le-Château
(qui représente un espace d’une cinquantaine de kilomètres de long, sur une vingtaine de large)
a procédé : J. Dumasy, Le feu et le lieu… [CTHS], op. cit., p. 53-63.

290
Cartes et figures de l’espace français, xiv e -x vi e siècle

Mais au-delà d’une certaine dimension, ils n’en avaient pas la compétence : les
figures de dimension régionale (comme celles du Gapençais ou du comté de
Grignan 94) sont en effet très approximatives et n’offrent qu’une information
partielle sur les lieux figurés, d’un intérêt limité. On peut même se demander
si la sorte de monopole acquis en France par les peintres – qui étaient déjà en
contact avec les milieux de pouvoir par le biais de la commande artistique –
pour faire des figures n’a pas retardé l’apparition de cartographes et de cartes
topographiques « modernes ». Il faut attendre des hommes comme Oronce
Fine ou Jolivet, formés à la géométrie et aux méthodes ptoléméennes, pour que
de telles cartes soient établies et portées à la connaissance des élites, par le fait
que leurs auteurs se placent sous leur patronage. Ce seraient ces hommes qui,
comme les juristes, les peintres et les architectes en leur temps, auraient amené
les pouvoirs à faire usage de cette cartographie. Sur toutes ces questions, une
comparaison avec d’autres pays européens serait instructive.

Conclusion

Les figures de l’espace français faites entre la fin du Moyen Âge et le début de
la Renaissance apparaissent bien plus nombreuses et courantes que ce que l’on
a longtemps cru. Avant les années 1520, elles n’étaient pas établies pour pro-
duire un savoir topographique en tant que tel, mais faites de manière contin-
gente et utilisées comme des outils : beaucoup ont été produites dans un cadre
judiciaire, pour procéder à un jugement ou régler un contentieux ; d’autres,
pour servir de relevé ou de plan-projet pour des aménagements militaires ou
civils ; plus rarement, pour enregistrer des droits fonciers ou pour donner à voir
l’espace politique où s’exerce une souveraineté ou une administration. Toutes
répondaient aux besoins de commanditaires qui étaient dépositaires d’une
autorité territoriale : les rois et les princes avec leurs cours de justice et leurs
agents, les villes, les seigneurs fonciers laïcs et ecclésiastiques. Ces derniers ont
donc joué un rôle majeur dans l’essor des représentations de l’espace à grande
échelle. Mais s’ils ont adopté cet usage, ils l’ont davantage amplifié qu’initié :
il semble que c’est plutôt aux gens de justice, aux peintres, aux architectes, aux
hommes de l’art pourrait-on dire, que l’on doit l’essor de ces figures. Les pou-
voirs n’ont pas, de fait, particulièrement encouragé la production de cartes sur
l’espace politique qu’ils gouvernaient. Néanmoins, cette période est celle où,

94. Arch. dép. Isère, B 3751 ; arch. dép. Bouches-du-Rhône, B 1216, fol. 74 (original perdu), copie :


22 F 116 (fonds Roberty). Reproduit dans père F. de Dainville, « Cartes et contestations au
xve siècle », art. cité.

291
juliet te dum asy-r a bine au

au plan local comme au plan national, ont lieu d’importantes transformations


dans l’organisation des pouvoirs : affirmation de la souveraineté territoriale,
rôle accru des légistes et perfectionnement des techniques administratives et
de gouvernement, progrès de la justice royale – évolutions que l’on résume
par l’expression de « genèse de l’État moderne », mais aussi autorité croissante
des villes et des communautés d’habitants sur leur espace de juridiction. Au
xvie siècle, les progrès des techniques cartographiques et les prolongements de
la construction de l’État moderne seront la toile de fond de l’émergence des
cartes dites modernes. Ce mouvement d’ensemble qui lie essor de la figuration
des territoires et transformation des modes de gouvernement doit continuer
d’être interrogé.

292
La géographie au service des princes : cartes,
inventaires et descriptions des territoires,
xvi e -xvii e siècle

axelle chassagnette
Maître de conférences en histoire moderne,
université Lumière – Lyon 2/LARHRA (UMR 5190)

Le savoir géographique connaît, à partir du xve siècle, une évolution progressive


vers un statut de discipline. Des ouvrages de référence anciens – issus du travail
de collecte et d’édition humaniste et moderne – instaurent des questions, des
techniques et des références savantes, un vocabulaire commun, des procédures
cartographiques et descriptives 1. De plus en plus présente au sein de l’enseigne-
ment universitaire, la géographie atteint aussi un public plus large par le biais
de l’imprimerie et de la gravure sur bois et sur métal : des cosmographies, des
« livres de villes », des cartes et des vues de villes imprimées, des programmes
cartographiques portés sur les murs des palais, l’invention du genre de l’atlas
dans le dernier tiers du xvie siècle, les pratiques d’affichage dans les intérieurs
des demeures bourgeoises (comme dans les Provinces-Unies du xviie siècle)
offrent un corpus riche et relativement accessible aux couches urbaines et aisées
des sociétés européennes 2. Les voyages et les grandes entreprises de découverte
et de colonisation stimulent cette production par la multiplication des récits
et des descriptions imprimées, et renforcent le goût du public européen pour
ce domaine de savoir 3.

1. Voir N. Broc, La géographie de la Renaissance, 1420-1620, Paris, Éd. du Comité des travaux
historiques et scientifiques, 1986 ; J.-M. Besse, Les grandeurs de la Terre. Aspects du savoir géo-
graphique à la Renaissance, Lyon, ENS Éditions, 2003.
2. D. Woodward (dir.), History of Cartography, vol. 3 : Cartography in the European Renaissance,
Chicago/Londres, University of Chicago Press, 2007 ; id., Five Centuries of Map Printing,
Chicago, University of Chicago Press, 1975.
3. G. Atkinson, La littérature géographique française de la Renaissance, Paris, Picard, 1927.

293
a x elle ch assagnet te

Les objets géographiques (descriptions et cartes) deviennent donc, du


moins pour une part des populations européennes, des objets d’accès assez
facile : la multiplication des allusions aux objets cartographiques dans les textes
littéraires au tournant du xvie siècle témoigne de cette relative familiarité 4. Il
n’est, dès lors, guère étonnant que les princes et les administrations y aient
recours de manière plus fréquente 5. Si la mise en œuvre de descriptions des
territoires et de cartes est attestée pour les derniers siècles du Moyen Âge, la
Renaissance marque un accroissement de cet usage, sans qu’il soit néanmoins
systématique et ne vienne toujours concurrencer l’utilisation, primordiale, des
descriptions et inventaires textuels.
Illustration de cet intérêt, les miroirs de princes, les traités d’éducation, les
éloges de souverains recommandent et attribuent ainsi volontiers aux princes et
à leurs proches la maîtrise du savoir géographique, même si la connaissance des
arts libéraux doit être modérée, car elle ne saurait concurrencer les principales
qualités du souverain, qui relèvent notamment de l’exercice militaire. Ainsi
André Rivet, pasteur protestant réfugié aux Provinces-Unies, écrit-il en 1642
dans son Instruction du prince chrétien par dialogues, faisant dire au « Directeur »
des études du prince :
Il est aussi du tout nécessaire qu’il adjouste à cela [l’étude de l’histoire
et de la chronologie] la Cosmographie et la connoissance des cartes
terrestres et marines. A quoy lui aideront les parties les plus utiles des
mathématiques, comme sont l’arithmétique et la géométrie : desquelles
l’usage s’estend fort au long, en paix et en guerre ; en bastimens et edi-
fices, et en fortifications de places ; en la disposition d’une armée et
choses semblables […] 6.
Volontiers associés à la représentation du pouvoir, les cartes et les sym-
boles géographiques investissent également, à partir du xve siècle, les palais
princiers et les hôtels de ville, composant parfois l’essentiel du programme

4. D. Woodward, Maps as Prints in the Italian Renaissance : Makers, Distributors and Consumers,
Londres, The British Library, 1996 ; voir également les contributions sur la cartographie et la
littérature dans id. (dir.), History of Cartography, op. cit. : T. Conley, « Early Modern Literature
and Cartography : an Overview », p.  401-411 ; H.  S.  Turner, « Literature and Mapping in
Early Modern England, 1520-1688 », p. 412-426 ; N. Bouzrara, T. Conley, « Cartography and
Literature in Early Modern France », p. 427-437 ; F. Reitinger, « Literary Mapping in German-
Speaking Europe », p. 438-449 ; T. J. Cachey Jr., « Maps and Literature in Renaissance Italy »,
p. 450-460.
5. Cette question a déjà fait l’objet d’un ouvrage collectif : D. Buisseret (dir.), Monarchs, Ministers
and Maps : the Emergence of Cartography as a Tool of Government in Early Modern Europe,
Chicago, University of Chicago Press, 1992.
6. André Rivet, Instruction du prince chrétien par dialogues, Leyde, Ian Maire, 1642, p. 47-48.

294
La géographie au service des princes

iconographique 7. Ils servent de support à la construction d’une légitimation


politique ou d’une suprématie religieuse, et proposent, dans une perspective
encyclopédique, une somme du savoir géographique contemporain.

Embrasser d’un coup d’œil le territoire :


descriptions et cartographies au xvi e siècle

Mais quel pouvait être l’usage pratique de ce savoir ? La fréquentation des


archives locales et nationales montre la présence croissante de cartes et de
descriptions dans les administrations européennes à partir de la fin du Moyen
Âge. Il faut, d’autre part, souligner une rupture qui est de nature qualitative
plus que quantitative. Elle intervient en Europe dans la seconde moitié du
xvie siècle, et fait apparaître une demande d’arpentage systématique et de des-
cription des territoires dans leur ensemble. Cette demande n’est donc plus
– ou pas toujours – ponctuelle et dépasse les besoins ou les urgences militaires,
diplomatiques ou judiciaires, qui requièrent le plus souvent des cartes à grande
ou moyenne échelle 8.
On peut donner de nombreux exemples de cette nouvelle demande. En
France, dans les années 1560, Nicolas de Nicolay, qui porte le titre de « cosmo-
graphe royal », est chargé par Catherine de Médicis de « visiter et décrire parti-
culièrement tout [le]dit royaume ». Nicolay achève en 1567 une Description du
Berry, du Bourbonnais en 1569 et du Lyonnais-Beaujolais en 1573. Vastes descrip-
tions demeurées manuscrites, à l’usage du souverain et de son entourage immé-
diat, elles s’appuient sur des enquêtes de terrain mais aussi sur des mémoires
rédigés par les autorités civiles ou ecclésiastiques. L’entreprise ne parvient pas au
terme prévu, un arpentage et une description complets du royaume 9. Son sens
n’en paraît pourtant pas moins clair. Elle a été conçue alors que la monarchie
française tente de diverses manières de connaître et de m ­ aîtriser son territoire,

7. F. Fiorani, « Cycles of Painted Maps in the Renaissance », dans D. Woodward (dir.), History of
Cartography, op. cit., p. 804-827.
8. Pour un inventaire et une étude des productions cartographiques nationales en lien avec les
gouvernements, voir D. Buisseret (dir.), Monarchs, Ministers and Maps…, op. cit. L’ouvrage,
qui rassemble une série de conférences « Kenneth Nebenzahl Jr. » en histoire de la cartogra-
phie, met en lumière des chronologies disparates dans l’adoption des cartes comme outils de
gouvernement, et le rôle essentiel que pouvait jouer dans ce domaine l’intérêt personnel du
prince.
9. R. Hervé, « L’œuvre cartographique de Nicolas de Nicolay », Bulletin de la section de géographie
du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1956, p. 223-263 ; F. Lestringant, M. Pelletier,
« Maps and Descriptions of the World in Sixteenth-Century France », dans D.  Woodward
(dir.), History of Cartography, op. cit., p. 1463-1479, en particulier p. 1468-1471.

295
a x elle ch assagnet te

et de mettre en scène le pouvoir royal : en 1564-1566 a ainsi lieu le Grand Tour


de France de Catherine de Médicis et du jeune Charles IX.
Dans la seconde moitié du xvie siècle, un intérêt similaire se fait jour en
Espagne 10. Philippe II est sans doute un des souverains qui s’est le plus acti-
vement occupé de faire décrire et représenter ses territoires. L’éparpillement
de l’Empire espagnol en est peut-être en partie la cause. Le très grand dyna-
misme des Pays-Bas en matière de production artistique et cartographique, la
présence de nombreux graveurs sur métal, offrent aussi au souverain un large
réservoir de peintres et de géographes. En 1558, Philippe II demande à Jacob
van Deventer de produire une série de représentations gravées des villes néer-
landaises. Parallèlement, le duc d’Alba, gouverneur des Pays-Bas, commande
à Christian Sgrooten des cartes du territoire. Dans la péninsule ibérique, un
groupe de cartographes est actif autour de Pedro de Esquivel. Ils mènent à
partir des années 1570 un arpentage systématique du territoire espagnol. Le
peintre flamand Anton van den Wyngaerde est chargé de dresser des portraits
de villes. Les possessions espagnoles d’Amérique, mal connues dans leur détail
géographique, intéressent également l’administration. Le cosmographe royal
Juan de Velasco établit vers 1577-1578 des questionnaires qu’il fait imprimer
et adresser aux corregidores de Nouvelle-Espagne 11. L’envoi et la requête sont
répétés en 1584. De nombreuses informations sont demandées, et l’on exige
explicitement des représentations dessinées ou peintes. Si l’usage de ques-
tionnaires est alors une procédure usuelle dans l’administration espagnole, la
commande expresse de documents cartographiques est une nouveauté. Cette
enquête donne lieu à la production de nombreuses vues et cartes, le plus
souvent par des peintres indigènes.
On peut multiplier les exemples européens : dans les monarchies, dans les
territoires princiers plus modestes et les cités-États, on se préoccupe de repré-
senter et de mesurer les espaces gouvernés. À partir de 1554, Philipp Apian
arpente le duché de Bavière et réalise une carte manuscrite du territoire 12.

10. D.  Buisseret, « Spanish Peninsular Cartography, 1500-1700 », dans D.  Woodward (dir.),
History of Cartography, op. cit., p. 1069-1094 ; C. Koeman, M. Van Egmond, « Surveying and
Official Mapping in the Low Countries, 1500-ca. 1670 », dans D. Woodward (dir.), History of
Cartography, op. cit., p. 1246-1295.
11. B. Mundy, The Mapping of New Spain : Indigenous Cartography and the Maps of the Relaciones
Geograficas, Chicago, University of Chicago Press, 2000.
12. R. W. Karrow, Mapmakers of the Sixteenth Century and their Maps. Bio-Bibliographies of the
Cartographers of Abraham Ortelius, 1570, Chicago, Speculum Orbis Press, 1993, p.  64-70 ;
S. Günther, Peter und Philipp Apian. Zwei deutsche Mathematiker und Kartographen. Ein Beitrag
zur Gelehrten-Geschichte des XVI. Jahrhunderts, Prague, Verlag der königlichen böhmischen
Gesellschaft der Wissenschaften (Abhandlungen der königlichen böhmischen Gesellschaft der
Wissenschaften. VI. Folge. 11. Band), 1882.

296
La géographie au service des princes

En Saxe, les princes électeurs Auguste Ier (1555-1586), Christian Ier (1586-1591)


et Christian II (1591-1611), férus de sciences mathématiques, font appel à des
arpenteurs, des professeurs d’université, des cartographes confirmés, pour
représenter tout ou partie de leur territoire : les centaines de documents car-
tographiques manuscrits conservés aux archives de Dresde et à la Staats-,
Landes- und Universitätsbibliothek témoignent de cette activité et de cette
production soutenues 13.
Une rupture intervient donc manifestement dans la seconde moitié du
xvie siècle : les princes et leur administration cherchent à systématiser l’usage
des descriptions et de la cartographie, sans d’ailleurs toujours y parvenir : ces
entreprises sont longues, coûteuses, techniques et menées parfois dans des
contextes difficiles (guerres de Religion, soulèvement des Pays-Bas…). La carte
de Bavière de Philipp Apian, exemple d’une entreprise réussie, n’est achevée
qu’au bout de sept années de labeur. Apian n’est assisté que par son frère
Thimotheus et par un serviteur. Les cartographes, officiellement mandatés
et libres de circuler partout, bénéficient rarement des conditions matérielles
nécessaires à l’achèvement de missions d’une telle envergure : ils travaillent
souvent seuls ou accompagnés d’un secrétaire. D’une manière générale, les
souverains, qui se plaignent de manière répétée de la longueur de ces travaux,
en sous-estiment la difficulté et congédient facilement leurs cartographes.
Les savants cartographes, de leur côté, ont clairement entrevu l’intérêt des
princes. Beaucoup prennent l’initiative de produire et d’éditer des cartes en
assumant les frais de gravure et d’impression, et dédient ensuite leur œuvre à
un souverain, espérant une récompense. Le désir des savants humanistes de
publier leurs œuvres, de les faire connaître tout en déclarant, par la dédicace,
leur allégeance à un souverain, relève d’une pratique sociale courante : l’intérêt
du savant doit rencontrer celui du prince. Si la reconnaissance et la récompense
leur sont parfois accordées, les documents produits, souvent en grande partie
fondés sur des modèles cartographiques ou textuels antérieurs, ne répondent
pas toujours aux attentes des administrations : les codes en vigueur dans la géo-
graphie savante ne se superposent pas nécessairement à ceux des pratiques de
gestion de l’espace et des territoires, qui reposent encore largement sur l’établis-
sement d’inventaires textuels, de listes des foyers et des ressources naturelles.
Dans la seconde moitié du xvie siècle, la spécialisation croissante de graveurs
dans le domaine de la cartographie et de la géographie suppose, d’autre part,
qu’une part importante des représentations et descriptions territoriales ne sont

13. L. Schmidt, Kurfürst August von Sachsen als Geograph. Ein Beitrag zur Geschichte der Erdkunde,
Dresde, Druck und Verlag von Wilhelm Hoffmann Kunstanstalt auf Aktien, 1898 ; H. Torke,
Matthias Öder in der Sächsischen Schweiz. Öders Nachlaß vom Bild der Landschaft am Ende des
16. Jahrhunderts, Pirna, Stadtmuseum, 2002.

297
a x elle ch assagnet te

plus produites à la seule initiative des administrations princières et urbaines.


Or ces dernières font aussi usage de ces documents, qui sont par ailleurs les
supports essentiels du savoir géographique que peut acquérir un public élargi.
Le caractère public que confère l’impression à la très grande majorité de ces
documents, l’importante circulation européenne qu’elle permet, expliquent
que les analyses qui suivent ne se limitent pas aux documents manuscrits pro-
duits et conservés dans les chancelleries.
Certains historiens ont vu dans cet usage croissant des outils géographiques
le signe d’une territorialisation du pouvoir, évolution vers une compréhension
moderne de l’État, appuyée sur la gestion d’un espace délimité plutôt que sur
les relations de dépendance entre souverain et sujets, et sur la centralisation
progressive de l’administration 14. Il semble que cette évolution soit en fait
extrêmement lente et s’étire très longuement, des derniers siècles du Moyen
Âge à la fin de l’époque moderne. La question de l’appréhension de l’espace
politique est complexe et requiert une certaine prudence. Comment, dès lors,
comprendre ce besoin nouveau de cartographier pour les princes ? Il est mal-
heureusement difficile de répondre simplement à cette question, car il n’existe
guère de source, dans la première modernité européenne, qui évoque directe-
ment l’usage en contexte des descriptions géographiques ou des cartes. Seule
l’analyse méticuleuse des documents – tant du point de vue de leur contenu
que de leur matérialité  – permet d’apporter un éclairage sur leur fonction
supposée. Parmi les problèmes que soulève ce type d’étude, deux questions
apparaissent de manière récurrente.

Secret ou publicité ? Production et conservation


des documents géographiques

Un lieu commun de l’historiographie voudrait que les documents géogra-


phiques de l’époque moderne aient fait l’objet d’un secret jalousement gardé.
À ce titre, les cartes et documents géographiques, objets stratégiques utilisés
par les administrations princières, auraient donc été conservés sous forme
manuscrite. Cette compréhension des choses, en partie inspirée d’une vision
contemporaine, consciente des pratiques du secret militaire, n’est pourtant pas
toujours généralisable à l’époque moderne. Aux xve et xvie siècles, le maintien
du secret vaut surtout pour les cartes collectionnées et conservées dans les
centres administratifs de la péninsule ibérique, voués à la préparation et à la
gestion des expéditions outre-mer : l’armazém (entrepôt) de Lisbonne, attaché

14. Voir notamment D. Buisseret (dir.), Monarchs, Ministers and Maps…, op. cit., introduction.

298
La géographie au service des princes

à la Casa da India, la Casa de Contratación de Séville, rassemblaient des docu-


ments cartographiques et notamment un Padrón Real, modèle pour toutes les
cartes utilisées par les pilotes des flottes royales. Les cartographes licenciés, les
cosmographes, étaient en théorie tenus (du moins pour certaines périodes) de
ne pas vendre leurs cartes à d’autres personnes, en particulier étrangères. Dans
la pratique, la circulation des cartographes et des documents à l’échelle euro-
péenne, surtout à partir du xvie siècle, a cependant été relativement importante
et les nations entrées en concurrence avec l’Espagne et le Portugal eurent de
temps à autre connaissance des cartes qui y étaient produites 15.
Ces nuances ne doivent pas conduire à nier toute volonté de discrétion de
la part des administrations. Ainsi, les plans élaborés par des ingénieurs pour
des projets de fortifications urbaines au cours du xvie siècle et au xviie siècle
sont restés le plus souvent manuscrits, ou bien n’ont donné lieu à publication
que tardivement, lorsque la défense ou l’attaque des villes ne constituaient plus
une actualité brûlante.
À l’inverse, la publication des documents pouvait parfois –  et peut-être
était-ce alors le cas le plus fréquent  – présenter un certain intérêt pour les
princes ou les autorités urbaines. C’est ce qu’illustre l’expérience de compo-
sition à plusieurs mains de la Cosmographie universelle de Sebastian Münster,
éminent hébraïsant, savant installé à Bâle. L’ouvrage de Münster, qui connaît
une première publication en 1544 chez Heinrich Petri, a pour cœur la descrip-
tion des territoires germaniques 16. Le long chapitre central de la Cosmographie
s’inscrit dans la perspective du projet de Germania illustrata formulé par l’hu-
maniste Conrad Celtis à la fin du xve siècle : il s’agissait d’établir, par le récit
historique et la description géographique, un portrait moderne de l’Allemagne,
peu flattée dans les écrits des Anciens – en particulier de Tacite 17. Pour décrire
les territoires allemands, notamment les villes, Münster fait appel à son réseau
humaniste et aux autorités urbaines. Si les réponses sont peu nombreuses dans
un premier temps, elles se multiplient à partir de 1550, date de parution de la
première édition latine de l’ouvrage, à tel point que les informations envoyées
nourrissent les rééditions de l’ouvrage bien au-delà de la mort de Münster, en
1552. Les autorités urbaines y voient une manière de rendre hommage à leur
cité, et d’autant mieux que les descriptions tant textuelles que graphiques

15. Pour une discussion sur la question du secret dans la péninsule ibérique, voir notamment
A. Sandman, « Spanish Nautical Cartography in the Renaissance », dans D. Woodward (dir.),
History of Cartography, op. cit., p. 1095-1142.
16. K. H. Burmeister, Sebastian Münster. Versuch eines biographischen Gesamtbildes, Bâle/Stuttgart,
Helbing & Lichtenhahn (Baseler Beiträge zur Geschichtswissenschaft, 91), 1969 ; id., Sebastian
Münster, eine Bibliographie, Wiesbaden, Pressler, 1964.
17. G. Strauss, Sixteenth-Century Germany. Its Topography and Topographers, Madison, University
of Wisconsin Press, 1959.

299
a x elle ch assagnet te

utilisent des principes de composition empruntés au genre antique de l’éloge


de villes et de territoires 18.
Une tentation analogue semble avoir effleuré Philippe II d’Espagne : l’atlas de
l’Escorial, qui conservait les vues de villes espagnoles de van den Wyngaerde évo-
quées précédemment, fut envoyé à Plantin, célèbre imprimeur d’Anvers, pour
faire l’objet de gravures 19. Le projet, cependant, n’aboutit pas, mais montre que
le souverain ne craignait pas de faire largement connaître les villes espagnoles.
Un cas assez fréquent de publicité donnée aux documents géographiques
est celui des programmes iconographiques fondés, pour tout ou partie, sur des
cartes. Ces « galeries des cartes », qui naissent dans l’Italie de la Renaissance,
se multiplient dans les palais princiers : au Palazzo Vecchio de Florence, au
Vatican, à l’Escorial. Le sens de ces programmes est variable, mais l’asso-
ciation des représentations géographiques à la symbolique du pouvoir et
de l’empire y est toujours présente. La galerie des cartes géographiques du
Vatican a notamment été étudiée par Francesca Fiorani 20. Achevée en 1581,
elle comprend des cartes régionales d’Italie associées à des scènes de l’histoire
sainte. Sans être un lieu public au sens strict, le lieu pouvait être vu et par-
couru par les membres de la cour pontificale et par les nombreux princes et
diplomates reçus au Saint-Siège. Le programme iconographique de la galerie
se place ouvertement en concurrence avec les pratiques contemporaines des
savants protestants, qui confèrent une place prépondérante à la cartogra-
phie biblique, volontiers associée au texte de l’Écriture sainte, notamment
dans les éditions vernaculaires de la Bible 21. La représentation des régions
italiennes, figurées en pendant de l’Histoire sainte, place la péninsule au
centre de l’histoire humaine, et souligne l’importance de l’Église catholique et
de ses traditions : c’est donc une manière de rappeler, dans un contexte post-
tridentin, la fonction de l’histoire doctrinale, des pratiques dévotionnelles,
de la construction liturgique dans la religion chrétienne – face à l’affirmation
protestante de l’Écriture sainte comme unique principe d’autorité doctri-
nale – et de donner à voir la centralité romaine d’une chrétienté morcelée
par les conflits confessionnels.
D’autres catégories de documents géographiques peuvent relever d’une
forme limitée de publicité : les cartes de grand format dites « murales » ne sont

18. J.-M. Besse, Les grandeurs de la Terre…, op. cit., p. 213-220.


19. E.  Haverkamp-Begemann, « The Spanish Views of Anton van den Wyngaerde », Master
Drawings, 7, p. 375-399.
20. F. Fiorani, « Post-Tridentine Geographia sacra : the Galleria della carte geografiche in the Vatican
Palace », Imago Mundi, 48, 1996, p. 124-128.
21. C. Delano-Smith, E. M. Ingram, Maps in Bibles, 1500-1600 : an Illustrated Catalogue, Genève,
Droz, 1995.

300
La géographie au service des princes

pas très nombreuses à la Renaissance, mais se multiplient dans les premières


décennies du xviie siècle. Qu’elles soient manuscrites ou imprimées, elles sont
destinées à être affichées et donc à atteindre un certain degré de publicité, à
l’intérieur d’une demeure privée, d’un palais princier ou communal. La carte
de Bavière de Philipp Apian, déjà évoquée, en présente un exemple. Réalisée à
la demande du duc Albrecht V et après un long travail d’arpentage, cette carte,
manuscrite dans sa première version, est achevée en 1563. D’un très grand for-
mat (5 m x 5 m), enluminée par le peintre Barthelmee Refinger, elle est exposée
dans la bibliothèque du palais ducal : il s’agissait donc d’une publicité limitée,
susceptible de toucher les proches, les conseillers et les hôtes du prince. Ce
n’est que dans un second temps qu’une version imprimée, réduite, est réalisée
à partir d’un travail de gravure de Jost Amman. Cette version, éditée en 1568
et composée de plusieurs planches, peut être consultée en recueil ou assemblée
pour constituer un grand format 22. La représentation est ainsi beaucoup plus
accessible et sa production relève, une fois encore, d’une logique publicitaire
et d’une glorification du territoire décrit. Au-delà du contenu de la représenta-
tion elle-même, la réalisation même d’un document aussi prestigieux pouvait
témoigner de la grandeur du prince.
Beaucoup de ces représentations cartographiques de grand format concernent
par ailleurs les représentations urbaines : les vues de ville, produites en nombre
depuis le début du xvie  siècle, relèvent le plus souvent du panégyrique tra-
duit en image. Les cités sont montrées sous leur meilleur jour, les principaux
bâtiments civils et religieux sont mis en exergue, la situation géographique,
lorsqu’elle apparaît, est traduite par la représentation d’un paysage fertile.
Une illustration peut en être donnée par le plan de Strasbourg réalisé
par Conrad Morant (fig.  1), gravé en 1548, dédié au magistrat (c’est-à-dire
au conseil urbain) : il figure la ville jusqu’à son enceinte, comme gonflée en
son centre par un effet de loupe 23. Dessinée par Morant depuis la tour de
la cathédrale, la vue enserre la ville dans une représentation quasi circulaire,
forme géométrique parfaite qui évoque également l’autonomie politique de
la cité. Ville libre d’Empire, Strasbourg s’administrait et ne devait de compte
qu’à l’empereur du Saint-Empire. Cette figuration associe la représentation en
perspective (non géométrique) à un arpentage ou du moins un repérage qui
a permis à Morant de représenter le détail du tracé viaire de la cité. Certains
détails paraissent amplifiés. Ainsi les places révèlent l’importance de l’ouverture
et du dégagement de l’espace dans l’urbanisme renaissant. Certains bâtiments

22. R. W. Karrow, Mapmakers of the Sixteenth Century…, op. cit., p. 64-65.


23. L. Châtelet-Lange, Strasbourg en 1548. Le plan de Conrad Morant, Strasbourg, Presses univer-
sitaires de Strasbourg, 2001.

301
a x elle ch assagnet te

Fig. 1 – Conrad Morant, plan de Strasbourg, 1548.


Gravure sur bois enluminée.
(religieux et scolaires) sont très nettement visibles, ainsi que quelques demeures
bourgeoises, souvent propriétés de grands marchands, signes de la réussite
économique de la ville. Gravée sur bois et imprimée (sans doute à peu d’exem-
plaires), la carte, dans l’exemplaire conservé de Nuremberg, est également enlu-
minée. Elle constitue une représentation superlative et laudative de la ville, ce
que confirment les textes latin et allemands, imprimés aux coins du plan.
L’usage de ces cartes et de ces plans était donc le plus souvent semi-public :
affichés dans les intérieurs des demeures privées, des palais princiers et des
hôtels de ville, ils pouvaient être vus des clients, ambassadeurs, familiers des
autorités et donner à lire leur richesse et leur puissance, parfois même leur
faire déchiffrer un message plus complexe. Ils étaient, dans cette perspective,
des supports d’une communication symbolique, bien plus que des outils
d’administration.

Que représentent les cartes ? Territoires, limites, ressources


et symbolique des pouvoirs

Une réflexion contemporaine fréquente (mais héritée du xixe siècle) associe


volontiers les cartes et descriptions de l’époque moderne au tracé linéaire des
limites territoriales. Destinées à assigner à une nation un territoire précisément
circonscrit, à le distinguer de puissances voisines et éventuellement rivales, à le
protéger juridiquement d’une potentielle agression, ces limites font partie de la
cartographie enseignée et mémorisée depuis le xixe siècle, et des représentations
mentales des citoyens européens. Mais cette logique n’est qu’assez rarement
présente dans les cartes conservées ou utilisées dans les administrations de
l’époque moderne. Dans sa célèbre étude sur les frontières du royaume de
France, Daniel Nordman a montré que l’usage actif de l’outil cartographique
pour définir ou connaître le tracé de ces limites est tardif (xviiie  siècle), et

302
La géographie au service des princes

concomitant à la volonté d’unifier ou de simplifier ces dernières 24. Cela ne


signifie pas que ces limites n’avaient aucune réalité sociale, politique ou mili-
taire auparavant : les populations locales, dès le Moyen Âge, pouvaient avoir
une conscience aiguë, une « carte mentale » de ces limites, y compris dans le cas
d’imbrications multiples des dépendances politiques, religieuses et fiscales 25.
Mais elles étaient assurément complexes, et difficilement cartographiables.
Il existe bien sûr des exceptions, et l’on peut repérer certains corpus car-
tographiques modernes qui font apparaître des limites linéaires précisément
dessinées. C’est le cas, tout d’abord, des cartes à grande échelle réalisées dans
le cas de conflits frontaliers et de disputes sur les limites. Les exemples en
sont nombreux dans le Saint-Empire, terre par excellence de la marqueterie
territoriale, complexe et mouvante. On trouve notamment (mais pas exclusi-
vement) un certain nombre de cartes dans les archives des procès pour conflits
sur les limites, tenus devant le Tribunal de la Chambre d’Empire, la plus haute
instance juridique du Saint-Empire 26. Mais la pratique est également attestée
dans d’autres espaces européens 27. C’est le cas également des plans urbains
destinés à l’aménagement des cités, ou à leur fortification. Ceux qui sont réa-
lisés en parfaite planimétrie, en général dus à des ingénieurs, reposent sur un
travail d’arpentage et de repérage géométrique minutieux : l’espace urbain y est
précisément délimité, souvent superposé à la représentation des fortifications.
Nombreux en Italie dès le début du xvie  siècle, ces plans diffèrent des très
nombreux « portraits » et vues de ville, qui constituent un genre à part entière,
extrêmement florissant, de la production géographique de la Renaissance,
mais ne cherchent pas à mesurer l’extension exacte du tracé urbain 28. Enfin,

24. D. Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire, xvie-xixe siècles, Paris, Gallimard,


1999.
25. B. Guenée, « Des limites féodales aux frontières politiques », dans P. Nora (dir.), Les lieux de
mémoire, Paris, Gallimard, 1997, vol. 1, p. 1103-1124. L’auteur rappelle les évolutions qui ont
construit les historiens à cette compréhension des choses, p. 1103 : « Les limites féodales ont
longtemps désespéré les médiévistes. Ils les voyaient si mouvantes, si complexes, si imprécises
qu’ils refusaient même de les décrire et de les dessiner. Il leur semblait que les seigneurs et leurs
hommes avaient vécu dans un monde flou. Cependant, depuis bientôt quarante ans, se poursuit
une lente révision de ces idées trop sombres et trop générales. L’érudition découvrit sans peine,
dans le nord de la France, en Normandie ou en Bourgogne, des limites précises, linéaires, et si
stables qu’on les retrouvait, par exemple, au xiie siècle, telles que trois siècles plus tôt ».
26. H.  Vollet, « Landschaftsgemäldekarten aus Franken um 1600 in Prozessen vor dem Reich­
skammergericht », dans U. Lindgren (dir.), Kartographie und Staat. Interdisziplinäre Beiträge zur
Kartographiegeschichte, Munich, Institut für Geschichte der Naturwissenschaften, 1990, p. 25-33.
27. Sur les usages des cartes dans l’administration médiévale, voir notamment F.  de Dainville,
« Cartes et contestations au xve siècle », dans id., La cartographie, reflet de l’histoire, Genève/Paris,
Slatkine, 1986, p. 177-199. Voir également la contribution de J. Dumasy dans le présent volume.
28. H.  Ballon, D.  Friedman, « Portraying the City in Early Modern Europe : Measurement,
Representation », dans D. Woodward (dir.), History of Cartography, op. cit., p. 680-704.

303
a x elle ch assagnet te

les cartes de cadastre constituent par nature un effort de délimitation et de


mesure de la propriété. Elles sont cependant peu nombreuses au xvie siècle, et
ne deviennent plus fréquentes qu’au cours du xviie siècle.
Si les délimitations des territoires sont absentes de la plupart des cartes, que
contiennent-elles donc qui puisse être utile aux princes et aux administrations ?
À grande échelle, on y trouve souvent l’inventaire des ressources naturelles
exploitables : bois, eau, vigne, mines et nature des cultures. Il s’agit donc de la
représentation d’une nature anthropisée, considérée pour son utilité et dans
ses rapports avec l’activité humaine 29. Assez fréquent au xvie siècle, l’usage des
cartes pour inventorier, en substitut ou complément des inventaires textuels,
s’accroît au xviie siècle, à la demande des princes et pour les ressources stra-
tégiques, par exemple dans le cas des forêts, essentielles pour la construction
navale mais aussi pour la chasse et les plaisirs du prince.
À moyenne et petite échelle, les cartes permettent d’autre part le repérage
des villes et villages, structure essentielle de la pensée et de la représentation
géographique de la première modernité : destination ou lieu de passage dans
les itinéraires, signes de la richesse et de l’inventivité humaines, lieu de rési-
dence des princes, elles constituent les points de référence indispensables à la
construction des cartes et à la compréhension de l’espace géographique 30.
D’autres objets peuvent faire l’objet d’un inventaire graphique, qui n’est
d’ailleurs pas toujours associé à une délimitation ni à une mesure précises des
territoires. Les circonscriptions et les juridictions peuvent ainsi être portées sur
les documents cartographiques. On trouve un inventaire de cette nature dans
l’atlas du Lunebourg réalisé autour de 1600 par Johannes Mellinger. Médecin,
savant polymathe au service des ducs de Lunebourg, à Celle, à partir de 1578,
il est également cartographe 31. Il a probablement acquis cette compétence lors
de ses études à l’Université de Wittenberg (alors un centre important d’études
mathématiques et astronomiques) entre 1555 et 1562 32. Il reçoit, en plus de ses
nombreuses autres fonctions, la charge d’arpenteur du duché. La création de
cette charge – curieusement confiée à un représentant du monde académique
et savant – s’explique sans doute par le procès que mènent alors les ducs de
Lunebourg-Celle contre ceux de Wolfenbüttel. Ce procès, porté devant le
Reichskammergericht (tribunal de la Chambre d’Empire), porte sur les limites

29. A.  Chassagnette, « Échelles, milieux et paysages : les éléments naturels dans les cartes alle-
mandes au xvie siècle », Le Monde des Cartes, 199, 2009, p. 147-156.
30. A. Gotthard, In der Ferne : die Wahrnehmung des Raums in der Vormoderne, Francfort-sur-le-
Main, Campus Verlag, 2007.
31. R. W. Karrow, Mapmakers of the Sixteenth Century…, op. cit., p. 371-375.
32. P. H. Meurer, « Die Wittenberger Universitätsmatrikel als kartographiegeschichtliche Quelle »,
dans H. P. Brogiato, H.-M. Closs (dir.), Geographie une ihre Didaktik. Festschrift für Walter
Sperling, Trèves, Geographische Gesellschaft, 1992, vol. 2, p. 201-212.

304
La géographie au service des princes

de la circonscription de Campen. Le commissaire de Brunswick, en charge


de l’enquête, aurait demandé à Mellinger et à un autre cartographe d’établir
des cartes de deux vallées au centre du conflit. C’est, semble-t-il, l’origine de
l’atlas de Mellinger, réalisé autour de 1600 et financé par le duc 33. Il représente
toutes les circonscriptions du duché de Lunebourg et peut donc être compris
comme la traduction d’une anticipation du prince et de son administration
sur d’éventuels nouveaux conflits territoriaux. Copié plusieurs fois au xviie et
au xviiie siècle, ce recueil manuscrit est enluminé, ornementé et agrémenté de
pièces préliminaires en vers, dans la tradition humaniste.
Bien que Mellinger affirme dans son propos introductif avoir établi des
mesures précises (auf gewisse Geometrisch Art), ses cartes ne reposent pas sur
le système des coordonnées géographiques. Elles sont cependant orientées et
comprennent une échelle. Elles représentent une succession de circonscriptions
(Ämter) avec des symboles utilisés de manière systématique. Les sous-divisions
de la circonscription sont mises en valeur. Elles sont placées et données à
voir en fonction de points de repères clairement lisibles (des villages ou des
éléments naturels, des aspects saillants du paysage), mais l’ensemble donne
l’impression d’une simplification géométrique du tracé des territoires (fig. 2).
La carte est ici utile parce qu’elle inventorie et nomme les circonscriptions. Elle
clarifie l’organisation de l’espace sans forcément reposer sur une localisation
méticuleuse. Ce travail cartographique a probablement été complété par une
enquête auprès des habitants, consignée dans une description écrite.
Bien souvent, l’affirmation du pouvoir par l’outil cartographique ne sup-
pose pas la délimitation du territoire, qui signifierait : « ceci est sous mon
autorité ». Les cartes, pour autant, ne renoncent pas à figurer la souveraineté.
Mais elles associent sa puissance à d’autres faits que son exacte extension géo-
graphique. Les moyens graphiques qui permettent cette mise en lumière de
l’exercice du pouvoir sont variés, mais relèvent surtout d’une iconographie
assez traditionnelle : ce sont les blasons, les portraits de souverains et de villes,
la commémoration des ancêtres ou de faits historiques glorieux.
Un exemple célèbre de représentation cartographique d’un territoire qui
en est aussi l’éloge est le Leo Belgicus (fig. 3), une carte des Pays-Bas fondue
dans une figure de lion 34. Si le tracé côtier se prête bien à la figuration de
l’animal, ce dernier est aussi très commun dans l’héraldique de la noblesse

33. Cet ouvrage a fait l’objet d’une édition fac-similé : Johannes Mellinger Atlas des Fürstentums
Lüneburg um 1600, éd. par P. Aufgebauer et al., Bielefeld, Verlag für Regionalgeschichte, 2001.
34. Sur l’utilisation de la figure du lion (et plus généralement des figures animales issues de l’héral-
dique) dans la cartographie européenne de l’époque moderne, voir notamment L. Baridon, Un
atlas imaginaire. Cartes allégoriques et satiriques, Paris, Citadelles & Mazenod, 2011, p. 44-57.
L’historien d’art analyse différentes versions cartographiques du Leo Belgicus.

305
a x elle ch assagnet te

Fig. 2 – Johannes Mellinger, atlas du Lunebourg, fol. 31 : circonscription


de Dannenberg. Manuscrit sur papier, encre et aquarelle,
Staats- und Universitätsbibliothek Göttingen.

306
La géographie au service des princes

Fig. 3 – Michael von Aitzing, Leo Belgicus, 1583. Gravure sur cuivre.

européenne et présent dans les armoiries de la famille d’Orange-Nassau. Due


à l’origine au cartographe autrichien Michael von Aitzing (ou Eztzinger), gra-
vée par Frans Hogenberg et publiée pour la première fois en 1583 à Cologne,
la carte n’est pas encore l’expression du sentiment national des Provinces-
Unies : elle désigne clairement l’appartenance de la « Belgique » à l’Empire
espagnol. Le texte qu’Aitzing adresse au lecteur explicite l’usage de la figure
du lion en référence à la sagesse du roi Salomon, qui le considérait comme
le plus fort des animaux. La force de ce territoire est aussi soulignée par
une référence à la Guerre des Gaules de Jules César, qui considéra les Belges
comme le plus terrible des peuples qu’il eut à combattre. Charles Quint
lui-même, rappelle l’auteur, aurait désigné ces territoires comme la partie
essentielle de son empire. On trouve un procédé analogue d’appropriation
politique d’un territoire dans trois cartes de la Bavière, du sud de l’Autriche
et du Tyrol, datées de 1561 environ et attribuées à Wolfgang Lazius (peut-être
à tort, car elles ne portent pas son nom) : intégrées à son ouvrage Typi cho-
rographici provinciarum Austriae, elles représentent individuellement chacun
de ces territoires enveloppé par une figure d’aigle bicéphale, dont dépassent
les ailes et les serres (fig.  4) 35. Historiographe de l’empereur Ferdinand  Ier,
Lazius désigne ces provinces, bien qu’entités politiques et territoriales dotées
de leur prince (les Wittelsbach dans le duché de Bavière) et de leurs propres
armoiries, comme des possessions personnelles des Habsbourg… tout en
choisissant l’aigle à deux têtes, figure de l’armorial du Saint-Empire, pour

35. L. Baridon, Un atlas imaginaire…, op. cit., p. 57 ; A. Chassagnette, « Le jeu des échelles. Le
pouvoir et son inscription spatiale dans les cartographies et les descriptions du Saint-Empire
et de ses territoires au xvie siècle », Astérion. Philosophie, histoire des idées, pensée politique, 10,
2012, revue en ligne à l’adresse suivante : http://asterion.revues.org/2274.

307
a x elle ch assagnet te

Fig. 4 – Wolfgang Lazius, Ducatus Carniolae, 1561. Gravure sur bois enluminée.

évoquer la tradition dynastique. Dans ces jeux de superposition de souverai-


neté, dans la dialectique délicate de la représentation des pouvoirs, l’usage des
figures de l’héraldique présente souvent bien plus de souplesse que le tracé
de limites linéaires.
La carte d’Aitzing a connu un vif succès, car le modèle en est repris par de
nombreux imprimeurs-libraires (notamment d’Amsterdam, comme Jodocus
Hondius, Claes Janszoon et Nicolas Visscher) dès le début du xviie siècle. Le
sens de la symbolique animale initialement voulu par Aitzing, tout à la gloire
de la dynastie Habsbourg, se trouve cependant inversé dans nombre de ces
réalisations cartographiques ultérieures. Dans le contexte de déploiement d’un
sentiment national exacerbé dans les Provinces-Unies, en lutte contre la tutelle
espagnole, la combativité du lion s’associait facilement à la réalité du combat
politique et militaire. À l’allusion au roi d’Espagne, présente chez Aitzing, pou-
vait ainsi se substituer la représentation héraldique des dix-sept provinces, ainsi
que les portraits des grandes cités du territoire et la figuration – ainsi, dans la
carte Leo Belgicus de Nicolas Visscher, publiée à partir de 1622 – d’un peuple
agricole, marchand et noble. A contrario, la carte éditée en 1650 à Amsterdam
par Claes Janszoon Visscher comprend un cadre ornemental qui figure les
portraits en médaillons de quinze gouverneurs des Pays-Bas, représentants
de l’autorité espagnole. Une ambiguïté fondamentale apparaît cependant
dans toutes ces cartes, qu’elles semblent pencher du côté de la souveraineté
espagnole ou de l’indépendance des Provinces-Unies : toutes donnent à voir
l’ensemble des dix-sept provinces des Pays-Bas, avant la partition officielle-
ment reconnue en 1648. Cette ambiguïté pose la question des destinataires de
ces représentations, qui pouvaient être utilisées comme support d’un message
politique, appropriées par tel ou tel parti, mais ne résultaient pas d’une com-
mande des princes ou des gouvernants. Produites à l’initiative de graveurs et

308
La géographie au service des princes

d’imprimeurs spécialisés dans la géographie, elles devaient pouvoir s’adapter à


un public européen dont la compréhension des conflits politiques et militaires
contemporains variait considérablement.

À la Renaissance et jusque dans le premier xviie siècle, les princes, les conseils


urbains, les administrations se font consommateurs réguliers et producteurs
d’outils géographiques, notamment de cartes. Le but de ces usages est parfois
l’inventaire et la localisation des ressources, des lieux, mais sans doute plus
souvent encore la célébration et la légitimation du pouvoir.
Une des questions posées ici était celle de la systématisation manifeste de la
demande princière d’outils cartographiques, qui apparaît dans la seconde moi-
tié du xvie siècle. Sans doute peut-on l’expliquer pour une part par l’ampleur
de la réception du savoir géographique en Europe : les descriptions et les cartes,
largement diffusées par la gravure et l’imprimerie, ne sont plus des objets intel-
lectuels réservés aux savants. Accessibles à une proportion croissante des popu-
lations, surtout urbaines, elles peuvent aussi être lues et comprises par un plus
grand nombre de personnes. Les savants, les artistes, les arpenteurs capables
de les réaliser sont aussi plus nombreux. Les administrations peuvent donc
y avoir recours comme à un outil efficace. Dans certains cas (le cas espagnol
étant le plus parlant), l’inventaire et la représentation des territoires sont requis
par la création et l’extension d’immenses empires. Pour autant, les princes
parviennent rarement à embrasser par l’outil cartographique l’intégralité des
espaces placés sous leur souveraineté. Lorsqu’une description et un inventaire
détaillés sont produits, cela concerne le plus souvent une petite portion de
territoire, sujette à conflit militaire ou juridique. Au début du xviie  siècle,
l’appréhension vraiment minutieuse des espaces politiques est donc morcelée
et très ponctuelle dans la plupart des États européens. De véritables inventaires
cartographiques, systématisés et unifiés, ne sont en fait produits en Europe
qu’aux xviiie et xixe siècles, et sont souvent le résultat de décennies de travail
mené par des savants opiniâtres, parfois associés aux ingénieurs militaires : la
carte des Cassini, aussi dite « carte de France », dont les relevés sont achevés à
la veille de la Révolution, en constitue le premier exemple 36.
Si les cartes de la Renaissance et du premier xviie siècle peuvent quelque-
fois donner à lire un inventaire et une description précis de portions d’espace,
elles sont encore trop peu nombreuses, leur production trop peu systématisée,
pour espérer fournir aux princes autre chose qu’une représentation graphique
en pointillés des territoires gouvernés. Puisqu’il faut malgré tout chercher une

36. M. Pelletier, La carte de Cassini. L’extraordinaire aventure de la carte de France, Paris, Presses de
l’École nationale des Ponts et Chaussées, 1990.

309
a x elle ch assagnet te

fonction à ces documents, on la trouvera sans doute avant tout dans le support
qu’elles offrent à la communication symbolique : la représentation graphique de
l’espace, associée à différents symboles, sert l’affirmation et la légitimation du
pouvoir, auxquelles on associe souvent une évocation laudative des princes et
de ses territoires. Il faut d’ailleurs souligner, une fois encore, que cette intention
échappe souvent aux cercles mêmes du pouvoir, puisqu’un nombre croissant des
cartes et descriptions qui célèbrent nations et territoires émanent des milieux
universitaires et savants, et des ateliers de graveurs spécialisés dans le savoir géo-
graphique. La géographie est au service des princes, donnée à lire à tous ceux qui
les fréquentent et les entourent, et plus encore à un très large public européen.

310
iv

PE RCE P T IONS DE L A S Y M BOL IQU E


DE L’E SPACE – L A PE RCE Z ION E
DE L L A SI M BOLOGI A DE L LO SPA Z IO
Frontière idéelle et marqueurs territoriaux
du royaume des Quatre rivières
(France, 1258-1529)

léonard dauphant
Université de Lorraine, Metz

Le 7 janvier 1410 (nouveau style), le Lyonnais Imbert de la Chèze rend hom-


mage pour sa terre de Molesole, sur les berges du Rhône. Il explique qu’autre-
fois, il était vassal du comte de Savoie quand son bien était en rive droite du
Rhône. Mais le Rhône a changé de cours : Molesole est maintenant en rive
gauche 1. La Chèze rend hommage au seigneur de Vaulx-en-Velin et devient
donc arrière-vassal du roi de France. Quelle est cette étrange conception du
pouvoir qui amène à rompre un hommage féodal à cause d’une crue du fleuve ?
Transposée dans la région frontière entre Savoie et Dauphiné, nous avons ici
une conséquence de la définition de l’État français par des limites fluviales : le
royaume des Quatre rivières 2.
À partir du xiiie siècle, l’État français a cherché à donner une définition
territoriale à son pouvoir, en se rattachant au souvenir du traité de Verdun
(843) : la frontière est définie par une liste géographique : la mer à l’ouest, les
Pyrénées au sud et quatre rivières à l’est, Rhône, Saône, Meuse et Escaut. Ce
discours vise d’abord à légitimer le pouvoir capétien dans le temps et dans
l’espace. Dans le temps, il s’agit de revendiquer la continuité avec la dynastie
carolingienne ; dans l’espace, le pouvoir revendique l’exercice réel de la souve-
raineté dans un territoire bien défini.

1. Arch. dép. Rhône, ES 59, cité dans A. Belmont, « Étude historique de la dynamique fluviale


dans la plaine de Miribel-Jonage (Haut-Rhône) à la fin du Moyen Âge », Revue de géographie
de Lyon, 64/4, 1989, p. 193.
2. L. Dauphant, Le royaume des Quatre rivières. L’espace politique français au xve siècle (1380-1515),
Seyssel, Champ Vallon, 2012.

313
léona r d dauph a nt

Deux dates symboliques, 1258 et 1529, peuvent encadrer ce moment de


l’État capétien. En mai 1258, lors des traités de Corbeil et de Paris 3, saint Louis
renonce à la Catalogne et établit la limite avec l’Aragon aux Pyrénées, faisant
correspondre la limite du royaume avec celle de la Gaule. Dans le même temps,
il fait la paix avec le roi d’Angleterre Henri III, lui rendant l’Aquitaine (sans le
Poitou) en échange de son hommage lige comme duc d’Aquitaine 4. Le royaume
reçoit une définition territoriale durable, et l’exercice de souveraineté devient
un enjeu majeur. Au terme, en 1529, la rivalité entre Capétiens et Habsbourgs
s’est exacerbée, jusqu’à transformer la limite de droit en frontière militaire.
Vaincu à Pavie, fait prisonnier par Charles Quint, François Ier renonce à la sou-
veraineté sur l’Artois et la Flandre. Jusqu’aux années 1520, le ressort royal était
resté une réalité dans les Pays-Bas bourguignons : en témoignaient les appels
au Parlement ou les demandes de grâce royales qui continuaient d’affluer à
Paris, même en temps de guerre 5. À partir de 1529, le statut de l’Artois et de
la Flandre dépend du sort des armes et non d’un ressort coutumier défini par
les Quatre rivières.
Pendant ces trois siècles, la monarchie a construit son pouvoir comme un
ressort territorial, défini et justifié par ses limites. Quel en a été l’impact sur
les rapports de force internes et sur la marge du royaume ? En descendant
ensuite à l’échelon de la limite elle-même, sur le terrain, nous envisagerons les
situations locales, très hétérogènes : comment la frontière est-elle marquée et
par qui : autorités locales ou État central ? La frontière picarde apparaît comme
un cas très particulier de limite devenu un lieu de mémoire régional. Enfin
nous confronterons les deux échelles : au-delà du discours, quelles prises l’État
a-t-il sur le terrain ?

Les Quatre rivières, entre l’idéel et la juridiction

Comment le ressort royal défini par les Quatre rivières remodèle-t-il l’espace
français ? Pour répondre, il faut distinguer l’intérieur du royaume et l’espace
de la frontière.

3. Traité de Paris, 28 mai 1258, ratifié le 4 décembre 1259 avec l’hommage d’Henri III.
4. Arch. nat., J 629, Angleterre, III, no 4.
5. L. Dauphant, « La rivalité des pardons. Géographie politique de la grâce dans le royaume de
France et les Pays-Bas bourguignons, de Charles VI à François Ier », Revue historique, 665, 2013,
p. 57-88.

314
Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières

L’impact territorial sur la frontière : la question de l’expansion


À partir de Philippe  IV, la monarchie annexe la plupart des seigneuries
d’Empire en deçà des Quatre rivières (Forez, Vivarais, Lyonnais, Barrois) 6.
Puis à partir de Jean  II, la monarchie s’empare de terres situées de l’autre
côté des Quatre rivières : c’est le cas notamment du Dauphiné (1349) et de la
Provence (1483-1486). Mais l’intentionnalité n’est pas évidente : paradoxale-
ment, ces acquisitions ne sont pas forcément issues d’une volonté d’accroître le
royaume. Quelle est la part de l’expansionnisme dans l’expansion ? À la logique
territoriale se superposent d’autres logiques, dynastiques (accaparer l’héritage
angevin en Provence) et politiques (assurer la paix dans la vallée du Rhône 7,
pour le Dauphiné).

L’impact territorial sur la frontière : les juridictions


Le tournant est en fait 1349 : le Transport du Dauphiné donne un statut
particulier à la principauté, achetée par le roi mais pas intégrée au royaume.
L’État royal applique ensuite ce qu’on pourrait appeler le modèle dauphinois
pour remodeler d’en haut l’espace frontalier. C’est ainsi qu’en 1379, la sei­
gneurie de Mouzon est acquise par Charles V mais tenue distincte du royaume :
Mouzon est sur une île de la Meuse, donc en lieu neutre 8. Les Quatre rivières
passent partout au milieu de principautés. Elles reçoivent un statut différent
des deux côtés de la rivière-limite. C’est le cas par exemple du duché de Bar : en
rive gauche de la Meuse, le Barrois mouvant est sous l’hommage au roi depuis
1301 : on y fait appel de la justice ducale devant la cour du bailli de Sens puis en
dernier ressort au Parlement de Paris. Outre-Meuse, le Barrois non mouvant est
situé en Empire et se dote d’une cour souveraine à Saint-Mihiel. En Barrois, la
frontière forme un faisceau de trois lignes 9 : douanière et fiscale (la limite entre
la Champagne et le Barrois, qui est exempt des impôts royaux), judiciaire et
féodale (la Meuse, fin du ressort du Parlement de Paris), et enfin, une ligne plus

6. A. Longnon, « Les limites de la France : étendue de la domination anglaise à l’époque de la


mission de Jeanne d’Arc », Revue des questions historiques, 18, 1875, p. 448.
7. A. Lemonde, Le Temps des libertés en Dauphiné. L’intégration d’une principauté à la Couronne
de France (1349-1408), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2002, p. 26-27.
8. Statut de Mouzon édité dans P. Varin, Archives administratives de la ville de Reims : collection de
pièces inédites pouvant servir à l’histoire des institutions dans l’intérieur de la cité, Paris, Crapelet,
1843, t. 3, p. 479. Dans les actes destinés à Mouzon, la chancellerie désigne le roi comme « roy
de France et seigneur de Mouson » (exemple en 1451 : BNF, coll. Lorraine 434, fol. 13).
9. L.  Dauphant, « Le royaume des Quatre rivières : l’exemple de la frontière de la Meuse de
Philippe IV à François Ier », dans M. Catala, D. Le Page, J.-C. Meuret (dir.), Frontières oubliées,
frontières retrouvées : marches et limites anciennes en France et en Europe, Rennes, Presses univer-
sitaires de Rennes, 2011, p. 223.

315
léona r d dauph a nt

Fig. 1 – Les Quatre rivières et le ressort du Parlement. © L. Dauphant.

floue de l’influence royale (tout le Barrois et une grande partie de la Lorraine,


où l’on trouve des arrière-vassaux royaux et dont la société politique est polari-
sée par la cour de France). Parmi ces limites, celle des Quatre rivières est choisie
comme limite de référence (fig. 1). Elle donne au royaume la pérennité d’une
réalité géographique. Le pouvoir royal peut s’étendre mais le royaume est fixe.
La pratique souple est ainsi renforcée par une représentation stable 10. À la fin du
xve siècle, les seigneuries frontalières, qui se sont construites de part et d’autre
des rivières-limites, ont toutes des juridictions distinctes sur chaque rive.

Les enjeux d’une représentation


Les Quatre rivières sont surtout un enjeu intérieur (fig. 2). Pendant la guerre
de Cent Ans, le roi prétend à la supériorité sur les princes, ce qui comprend

10. La complémentarité des deux notions avait déjà été énoncée par L. Febvre, « Frontière, le mot
et la notion », dans Pour une histoire à part entière, rééd. B. Mazon, Vivre l’histoire, Paris, Robert
Laffont/Armand Colin, 2009, p. 387-388.

316
Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières

Fig. 2 – Les Quatre rivières, une géographie à usage interne. © L. Dauphant.

l’hommage lige et l’exercice de la justice dans leurs terres. La priorité de la


monarchie est de vassaliser les principautés du Sud-Ouest et de l’Ouest, dont
les princes se disent princes par la grâce de Dieu 11 : en corollaire, la monarchie
abandonne la possibilité d’une expansion du royaume. Vers 1455, quand Gilles
le Bouvier, roi d’armes de Charles VII, présente le royaume, il y inclut donc la
Flandre, la Bourgogne et la Bretagne rivales ou ennemies de son maître, mais
en exclut le Dauphiné 12.
Mais cette définition remodèle peut-être les rapports du pouvoir royal avec
l’extérieur. Selon Philippe de Commynes, Louis XI aurait restitué les terres
qu’il avait conquises en Hainaut et en Cambrésis en 1477, volontairement et
contre ses conseillers. Le roi ne peut pas usurper des terres d’Empire. Au-delà
de la seule alliance avec l’empereur : « ung roi a plus de force et de vertu en son
royaulme, ou il est oinct et sacré, qu’il n’a dehors, et cecy estoit hors de son

11. K. Daly, « “Centre”, “Power” and “Periphery” in Late Medieval French Historiography : some
Reflections », dans C. Allmand (dir.), War, Government and Power in Late Medieval France,
Liverpool, Liverpool University Press, 2000, p. 132 ; D. Vondrus-Reissner, « La formule “par la
grâce de Dieu” dans les actes de Jean IV d’Armagnac », Bibliothèque de l’École des chartes, 151/1,
1993, p. 172 et 176-177.
12. Gilles le Bouvier, Le Livre de la Description de Pays, éd. par É.-T. Hamy, Paris, Leroux, 1908,
p. 30-52 (royaume) et 54-55 (Dauphiné).

317
léona r d dauph a nt

royaulme ». Sous la plume de Commynes, le pouvoir royal peut donc se définir


comme un charisme territorial : ainsi Louis XI est-il « content de perdre 13 » ce
qui est situé au-delà des Quatre rivières.
Les Quatre rivières apparaissent ainsi comme une des définitions majeures
du pouvoir capétien, qui permet de légitimer l’État royal face aux princes. Mais
si ses conséquences politiques et juridictionnelles sont évidentes, quelle est la
réalité du contrôle de la limite, sur le terrain ?

La frontière matérielle et ses marqueurs

Le discours des Quatre rivières est un discours d’État, énoncé d’en haut ou du
centre contre les concurrents de la monarchie. Il impose une représentation
générale à très petite échelle, qui ne prend pas en compte les réalités multiples
du terrain et, de fait, rares sont les segments frontaliers effectivement fixés sur
le cours des rivières. Il s’agit d’une stylisation, mais, en descendant à l’échelon
local, trouve-t-on un véritable contrôle de la limite par le pouvoir central ou
la limite est-elle une marge contrôlée indirectement ?

Marquer ou déléguer
Les situations locales ou micro-locales semblent très diverses. Examinons
trois cas concrets qui offrent trois degrés de domination de la limite, nulle (les
Pyrénées) ou plus ou moins indirecte (le Roussillon et la Champagne orientale).
Dans les hautes vallées des Pyrénées, il n’y a pas d’officiers royaux. Les
communautés des vallées françaises et castillanes marquent leurs limites sur
les crêtes et régulent elles-mêmes leurs conflits frontaliers selon des modes
traditionnels : guerres mitoyennes et malédictions, traités (« faceries ») et tributs
saisonniers 14. Ces vallées demeurent longtemps hors de portée des pouvoirs
castillans et français. Au début du xvie siècle, elles signent des paix séparées
pour ne pas participer aux guerres entre Capétiens et Habsbourgs. La frontière
n’est fixée par les États que sous Napoléon III 15.

13. Philippe de Commynes, Mémoires, éd. par J. Blanchard, Genève, Droz, 2007, t. 1, p. 443-444
(livre 6, chap. 2).
14. J.-P. Allinne, « Frontière négociée, frontière disputée. Une représentation coutumière des conflits
frontaliers dans les Pyrénées sous l’Ancien Régime », dans M. Lafourcade (dir.), La frontière
franco-espagnole, lieu de conflits interétatiques et de collaboration interrégionale, Bordeaux, Presses
universitaires de Bordeaux, 1998, p. 43 ; J.-P. Barraqué, « Du bon usage du pacte : les passeries
dans les Pyrénées occidentales à la fin du Moyen Âge », Revue historique, 124/1, 2000, p. 309-310.
15. M. Lafourcade, « La frontière franco-espagnole, lieu de conflits interétatiques et de collabora-
tion interrégionale », dans id. (dir.), La frontière franco-espagnole…, op. cit., p. 9-12.

318
Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières

La situation est fort différente dans les collines de l’est du massif, entre le
Fenouillèdes et le Roussillon aragonais. Le traité de Corbeil définit la frontière
en 1258 ; elle dure jusqu’à l’annexion du Roussillon en 1648. Cette frontière
est contrôlée et puissamment fortifiée dès le règne de saint Louis 16, comme en
témoigne le « gigantisme » de la forteresse de Peyrepertuse 17. On peut cepen-
dant remarquer qu’après le xiiie siècle, la monarchie se contente d’entretenir
sans vraiment moderniser : côté français, on ne trouve rien d’équivalent au
fort catalan de Salses (v. 1497-1502), modèle d’architecture militaire moderne.
Le marquage de la frontière est également une réalité, dont on conserve
trois bornes. L’une d’entre elles, datée de 1617, est dite « la Roque d’en Talou 18 ».
Il s’agit d’un rocher remarquable, marqué d’un côté de la croix d’Aragon et
de l’autre des armes du seigneur du village de Latour (Montesquieu). Ici, le
pouvoir capétien semble s’être progressivement éloigné, jusqu’à déléguer le
bornage aux notables locaux, induisant un marquage asymétrique de la limite.
En Champagne orientale, dans le bailliage de Chaumont, la situation
est encore différente. Le centre de contrôle royal est la forteresse et le péage
­d’Andelot. En retrait de la limite, il surveille une route qui est une des « issues
du royaume » : depuis la fin du xiiie siècle, la monarchie a organisé et sécurisé
un itinéraire obligatoire pour les marchands, jalonné de péages 19. Ce seuil reste
très en retrait de la frontière de Barrois et de Lorraine. À la fin du xve siècle, le
bailli de Chaumont est Jean de Baudricourt, cinquième de six baillis issus de
la même famille de 1385 à 1516 20. Baudricourt achète la seigneurie de Lafauche,
située sur la route entre Andelot et la ville lorraine de Neufchâteau, juste sur
la limite du royaume. Il y construit un énorme château doté de 18 tours adap-
tées à l’artillerie. Gouverneur de Bourgogne, il construit de grandes citadelles
d’État à Dijon, Auxonne et Beaune ; ici, il semble réutiliser les techniques de
fortifications mises au point pour le roi (et sans doute les techniciens) 21. Dans
le bailliage de Chaumont, la monarchie n’est ni loin ni près : elle délègue
ses intérêts locaux à une dynastie. La confusion est donc complète entre le

16. L. Bayrou et al., Archéologie du Midi médiéval, 3, 2000 [supplément] : Peyrepertuse. Forteresse
royale, p. 32 et carte de la frontière p. 33.
17. Ibid., p. 130.
18. Borne située sur le territoire de Latour-de-France (Pyrénées-Orientales, ancien côté français),
face à Montner (côté catalan). Une autre borne, maçonnée et non datée, ne porte plus qu’une
croix d’Aragon (située entre les finages de Bélesta et de Montalba [Pyrénées-Orientales, ancien
côté français] et d’Ille-sur-Têt [côté catalan]).
19. R.-H. Bautier, « La route française et son évolution au cours du Moyen Âge », Académie royale
de Belgique. Classe des lettres et des sciences morales et politiques. Bulletin, 5/73, 1987, reprint
dans id., Sur l’histoire économique de la France médiévale. La route, le fleuve, la foire, Aldershot,
Variorum, 1991, t. 1, p. 90-91.
20. Généalogie dans L. Dauphant, Le royaume des Quatre rivières…, op. cit., p. 326.
21. Ibid., p. 320.

319
léona r d dauph a nt

Fig. 3 – Les arbres-frontières de la limite picarde. © L. Dauphant.

domaine du roi et les biens privés du lignage, qu’ils se transmettent comme


leurs offices : les officiers verrouillent eux-mêmes les points stratégiques, par
une politique de rassemblement des terres et de construction. La forteresse
frontalière est privée, mais de fait au service du roi.

Le bon, le douanier et le truand : la mémoire du Tronc Bérenger,


arbre-frontière
Ces situations diverses montrent un pouvoir plus intéressé par la défense
de principes territoriaux généraux que par le marquage frontalier, surtout dans
les zones les plus éloignées. Mais qu’en pensent les habitants de la limite eux-
mêmes ? Pour eux, la limite est-elle une réalité, matérielle et idéelle ? Nous
allons ici étudier le cas de la Picardie, pays riche et densément peuplé, où le
pouvoir capétien est très présent depuis ses origines. La frontière est polarisée
par des seuils, souvent des arbres plantés au bord des grandes routes commer-
ciales qui mènent de Paris aux villes des Pays-Bas (fig. 3).
Sur la route Amiens-Arras, existe encore aujourd’hui un lieu-dit « l’Arbret 22 »
et, sur la route entre Guise (dans le royaume) et Le Cateau-Cambrésis (en
Empire), un « Arbre de Guise ». Ce dernier est documenté à partir de la seconde

22. Lieu-dit l’Arbret, commune de Bavincourt, sur la route de Doullens à Arras (parallèle à la
Chaussée-Brunehaut), mentionné au xiiie siècle. Sous Louis XV, Cassini y place un relais de

320
Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières

moitié du xvie siècle 23. Il est alors un symbole de la frontière avec les Pays-Bas :


« à l’Arbre de Guise » signifie « sur la limite », pour ces seigneurs des guerres de
Religion qui se jettent un défi 24 :
Je ne vous en dirai davantage, par l’espérance que j’ai que nous vous
irons voir avec ceste belle armée dont vous nous menacez, qui ne sera
pas à Chelles mais à l’Arbre de Guise.
Auparavant, c’est un autre arbre qui joue ce rôle, sur un autre axe routier :
à partir du xie siècle 25, le Tronc Bérenger est le symbole de la frontière picarde.
Situé entre Bapaume et Péronne, sur la grande route de Paris à la Flandre,
près de l’abbaye d’Arrouaise 26, il délimite les conduits et accueille les rites de
franchissement : Philippe Auguste y aurait épousé Isabelle de Hainaut en 1180
selon les Grandes Chroniques de France 27. À partir de 1202, l’arbre-frontière
est doublé par le péage de Bapaume 28 : ce passage devient une des issues du
royaume, obligatoire pour les marchands. Aux xiiie et xive siècles, le point est
fréquemment pris pour la ligne : passer l’arbre signifie changer de pays. Selon
un accord entre Louis VIII et l’avoué d’Artois, l’Artois est tenue du roi entre
le cours de la Lys et le Tronc Bérenger (vers 1224) 29. Plus tard, les coutumes
du nord de la France définissent l’aubain (étranger) comme celui qui est « né
outre le Tronc Bérenger 30 ».
Cet arbre avait une épaisseur historique et mythique égale à celle des Quatre
rivières, mais qui mêlait le sacré et le profane. Selon la Vita des saints Luglius et

poste. Mais la limite entre Artois et Picardie est alors plus au sud-ouest, entre Doullens et
Pommera (aujourd’hui limite départementale signalée par un « Calvaire Saint-Christophe »).
23. Aujourd’hui l’Arbre de Guise, commune de Mazinghien, Nord, à la limite du département de
l’Aisne.
24. Réponse de M. de Vitry, qui vient de trahir la Ligue et livrer Meaux à Henri IV, à une lettre
de menace de M. de Rhône ; citée dans B. Capefigue, Histoire de la Réforme, de la Ligue et du
règne de Henri IV, Paris, Dufey, 1834-1835, t. 7, p. 110 (note).
25. Mentionné dans le tonlieu de Saint-Vaast (1036) cité par J.-L. Auduc, « Bapaume : un carrefour
routier aux xiiie et xive siècles », dans Centre culturel de l’abbaye de Flaran, L’homme et la route
en Europe occidentale au Moyen Âge et aux Temps modernes, Auch, Commission d’histoire de
Flaran, 1982, p. 242.
26. Ancien lieu-dit la Motte-Bérenger, commune du Transloy (Nord), au sud du lieu-dit l’Abbaye.
Le site a été bouleversé par la construction de l’autoroute A2.
27. Les Grandes Chroniques de France, vol. 6 : Louis VII le Jeune et Philippe II, éd. par J. Viard, Paris,
Société de l’Histoire de France, 1930, p. 130.
28. J.-L. Auduc, « Bapaume : un carrefour routier… », art. cité, p. 244.
29. Layettes du Trésor des Chartes, éd. par A. Teulet, Paris, Plon, 1866, t. 2, no 1639, p. 26.
30. Un arrêt du Parlement de 1345 évoque les aubenorum seu personarum ultra territorium Berengarii
oriundarum. Un arrêt des Grands Jours de Troyes de 1391 déclare aubain, « selon la coustume
de Champaigne […] auculne personne nee de oultre le tron Beranger » : B. d’Alteroche, De
l’étranger à la seigneurie à l’étranger au royaume (xie-xve siècles), Paris, LGDJ, 2002, p. 101, qui
ne parvient pas à identifier l’arbre en question.

321
léona r d dauph a nt

Fig. 4 – La légende du Tronc Bérenger. © L. Dauphant.

Luglianus, ces deux frères irlandais partis en pèlerinage d’Irlande à Rome sont
martyrisés à Lillers en Artois (vers la fin du viie siècle ou au début du viiie) 31.
La Vita précise qu’ils ont été tués par trois frères bandits, Bovo, Exelmus et
Berengerius. À la fin du xiie siècle, Gautier, abbé d’Arrouaise, inclut dans son
cartulaire abbatial une Vita des deux saints. Il déplace alors leur légende en
Arrouaise : son abbaye est construite à côté d’un tumulus qui est la tombe d’un
des trois bandits, Bérenger. Sur la tombe est planté un arbre : le Tronc Bérenger
(fig.  4). Ainsi, depuis la fondation du monastère, la spelunca latronum est
devenue une maison de prière 32 ; la Strata publica devient une Via Sanctorum 33.
Au xve siècle, ces légendes sont sécularisées et rattachées à la frontière poli-
tique. En 1442, une enquête compile les tarifs du péage de Bapaume pour le
duc de Bourgogne. L’enquête est précédée par un récit des origines raconté par
le péager lui-même :
Jadis en temps passé ce que nous avons oy de nos prédécesseurs furent
toutes forestz entre Lens et Péronne, où que estoit le grant chemin de
Franche en Flandres. Sy passoit par là toute marchandise qui de lung
pays aloit en l’autre, car il y avoit pau d’autres chemins. Sy estoit le
chemin périlleux par les dictes forestz, car il y avait des robeurs ­pluseurs,

31. Acta Sanctorum, Octobris t. X, 23-24, Anvers, Bollandistes, 1861, p. 108-122. Leurs reliques sont
conservées sur place et à Montdidier en Picardie.
32. Éd. dans M.  Gosse, Histoire de l’abbaye et de l’ancienne congrégation des chanoines réguliers
d’Arrouaise, Lille, Danel, 1786, p. 535 : hic itaque locus super stratam publicam constitutus, in
silva que dicitur Arida-Gamantia situs, que quidem silva a Castro quod Encra dicitur usque ad
fluvium Sambre tunc temporis continua protendebatur, olim spelunca latronum fuerat, unde &
hunc quidam Truncum Berengarii ad ejusdem nominis latronum principe vulgo denominant.
33. Ibid., p. 8, note e : « Maillart dit que ce Chemin est appelé dans les anciens MS, Via Sanctorum.
Mercure de France, 1737, p. 1523 ».

322
Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières

entre lesquelz estoit ung appellez Bérengiers, qui fut gayans et demeuroit
au troncq Bérengier emprès l’abbaye d’Arouaise, et ung autre ses frères
demouroit emprez l’abbeye Nostre-Dame d’Yaucourt 34 à Coppegueulle,
qui, pour les fais que on y fist d’icelluy temps, en porte encoires le nom
de Coppegueulle […] 35.
Selon le péager, les marchands obtiennent l’intervention du comte Baudouin
de Flandre 36, qui construit une tour à Bapaume et rase la forêt pour chasser les
brigands. La fixité des limites contraste avec les changements du paysage (de la
forêt à l’openfield) et des monuments (le péager affirme que la tour de Bapaume
a été détruite en 1335). Dans cette enquête ducale, les saints martyrs ont dis-
paru, la mémoire de la frontière s’est sécularisée. Ce n’est plus l’abbaye qui
pacifie la région, mais le comte de Flandre, héros civilisateur et prédécesseur de
Philippe le Bon, qui rase la forêt et fonde Bapaume. Les officiers ont remplacé
les bandits sur les lieux de leurs forfaits et les moines dans la transmission de
la mémoire ; les abbayes ne sont plus que les sites des bureaux de douane. Mais
c’est toujours autour du Tronc Bérenger que s’organisent l’espace et le temps,
dans un vertigineux passage des origines féodales et monastiques à l’émergence
de l’État fiscal moderne.

Les Quatre rivières sur le terrain : l’enquête et le mythe

Rivières, arbres ou bornes, les marqueurs territoriaux jalonnent les seuils du


royaume : ils sont connus de tous, à l’échelle du village ou parfois de la région.
Mais le pouvoir royal parvient-il à agir sur ces limites ?

Le Dauphiné, un laboratoire de la construction des limites


On peut prendre l’exemple du Dauphiné, acquis par la monarchie en 1349.
Tout en restant en Empire, à côté du royaume, cette principauté sert de « ­terrain

34. Ancienne abbaye Notre-Dame d’Eaucourt, commune de Warlencourt-Eaucourt, Pas-de-Calais.


35. « Tarif du péage de Bapaume en 1442 », éd. dans J.  Finot, Étude historique sur les relations
commerciales entre la France et la Flandre au Moyen Âge, Paris, Picard, 1894, p. 233. Je traduis :
« Jadis, au temps passé, selon ce que nous avons entendu dire par nos prédécesseurs, il n’y avait
que des forêts entre Lens et Péronne, là où était la grande route de la France vers la Flandre.
Tout le trafic d’un pays à l’autre passait donc par là, car il n’y avait guère d’autre chemin. La
route était donc dangereuse, car il y avait beaucoup de voleurs, et parmi eux un bandit appelé
Bérenger, qui habitait au Tronc Bérenger, près de l’abbaye d’Arrouaise, et un de ses frères
habitait près de l’abbaye Notre-Dame d’Eaucourt, à Coupe-Gueule, qui porte encore ce nom
à cause de ce qui s’y est passé ».
36. Ce Baudouin serait parti en croisade avec Godefroy de Bouillon : il s’agirait donc de Baudouin II,
comte de Hainaut, fils de Baudouin VI de Flandre.

323
léona r d dauph a nt

d’expérimentation » pour la réforme de l’État, comme un « royaume de France


en réduction 37 ». La monarchie commence par en façonner les limites. Au traité
de Paris de 1355 est négociée une paix durable avec la Savoie. Les négociateurs
français fixent la limite nord au Rhône et au Guiers, en abandonnant des
régions entières aux Savoyards, notamment toute la vallée du Faucigny 38. Le
modèle des Quatre rivières est reproduit, pour construire des frontières linéaires
et intelligibles, appuyées sur le cours des fleuves. Dans les années 1430-1440, les
principes du traité de Paris font figure de modèle pour les officiers dauphinois.
Matthieu Thomassin, conseiller du Dauphin Louis II (futur Louis XI), loue
l’intérêt des limites simples pour assurer la paix 39 et se fonde sur ce règlement
frontalier pour définir des pays entre des rivières : c’est ainsi qu’il enjoint au
Dauphin de prendre la Durance comme limite avec la Provence, quitte à céder
ce qui est au-delà de la rivière 40.

L’État face à l’échelon paysan : le cas du Grésivaudan


Quand elle le peut, la construction de la frontière s’appuie sur la limite
idéale du Rhône et des crêtes alpines : ces limites ont le double avantage d’être
énoncées facilement comme une liste mnémotechnique, et d’être fondées sur
des réalités naturelles pérennes, sans nécessité d’entretien (fig. 5). Ailleurs, il
faut bien produire une frontière faite d’une succession de marqueurs paysagers
divers. Le Grésivaudan (vallée de l’Isère) est un point chaud de la frontière
entre Dauphiné et Savoie, situé sur un axe de circulation important et densé-
ment fortifié de part et d’autre.
En 1436, l’administrateur dauphinois Matthieu Thomassin dessine une carte
qui énumère les marqueurs territoriaux de la frontière, sur 9 kilomètres, de la
Chartreuse aux rives de l’Isère 41. À la même époque, il rédige une déclaration
des limites du Dauphiné, de Lyon au massif de Belledonne 42. Sur 15 kilomètres,
entre les massifs de la Chartreuse et de Belledonne, 36 marqueurs sont cités, avec
la plus grande densité dans la vallée de l’Isère, dont 28 en rive gauche. Parmi
les marqueurs identifiables, 5 sont des pierres ou des bornes, 12 des éléments

37. A. Lemonde, Le Temps des libertés…, op. cit., p. 199.


38. Ibid., p. 100-101 et cartes hors-texte.
39. Matthieu Thomassin, Registre Delphinal, bibl. mun. Grenoble, U 909, fol. 168 : avant le règle-
ment de 1355, « entre les pays du Daulphiné et de Savoie n’avoient point de limites mais avoient
lesdits seigneurs leurs terres et seigneuries meslees les unes parmy les aultres ».
40. L.  Dauphant, « Matthieu Thomassin et l’espace dauphinois (1436-v.  1456) : naissance d’un
humanisme géopolitique », Journal des Savants, 1, 2008, p. 80-81.
41. Arch. dép. Isère, B 3274 (1436), 132 x 71 cm, reproduit par L. Dauphant, « Matthieu Thomassin
et l’espace dauphinois… », art. cité, p. 102-103.
42. Arch. dép. Isère, B 3874, fol. 1-2 (1438), déclaration des limites du Dauphiné.

324
Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières

Fig. 5 – La limite entre Dauphiné et Savoie en Grésivaudan (début xve siècle).


© L. Dauphant.

paysagers stables (chemins, ruisseaux, collines) et 15 sont des marqueurs fragiles :


arbres, champs, bâtiments. L’État se confronte ici à l’échelon de l’espace paysan :
un tiers des marqueurs sont des arbres ou des cultures, près de la moitié portent
un nom propre ou dialectal 43. Aussi cet espace vernaculaire n’est-il pas saisis-
sable finement par le pouvoir. La carte de Thomassin énumère 7 marqueurs ter-
ritoriaux entre Chartreuse et Isère. Trois sources contemporaines décrivent cette
section de la limite : deux enquêtes 44 et la déclaration de Thomassin lui-même.
Or ces récits d’espace ne correspondent pas ou agrègent des traditions contra-
dictoires : une seule enquête reprend quatre de ces marqueurs, une colline, un
rocher et deux arbres 45. Les déclarations de limite, dans leur précision, masquent
ainsi le flou du terrain à grande échelle et les hésitations de la mémoire locale 46.
À cette échelle, les problèmes se superposent. Ils sont d’abord linguistiques : les
toponymes dialectaux ne sont pas uniformisés et sont peut-être mal compris
par les enquêteurs, qui les transcrivent ou les traduisent en latin. La limite
se fixe difficilement sur ces séries continues de marqueurs paysagers. Quand
l’enquêteur énonce des dizaines de marqueurs de limites, il donne une valeur
à des éléments du paysage qui ne seront pas tous mémorisés par les riverains.

43. 11 ont un nom propre ou dialectal sur 28, identifié comme francoprovençal : « violet » pour
chemin, « molard » pour colline, « rui » pour ru ; ou comme occitan : « gaysson » pour drageon.
44. Arch. dép. Isère, B 3870 (fin xive siècle) et B 3872 (1433).
45. La Pierre Hachée, le Crest Alliod, le poirier Putet et le noyer de Basin. La plupart des topo-
nymes cités sont impossibles à identifier, soit éphémères, soit détruits par l’aménagement
brutal de la vallée (drainage et remembrement) au xxe siècle.
46. La construction du château des Marches par le comte de Savoie (années 1340) a bouleversé
l’équilibre de la zone. Mais le souvenir de l’ancienne limite demeure peut-être.

325
léona r d dauph a nt

Nombre d’entre eux sont des points qui organisent des lignes abstraites, « en
tirant droit » de l’un à l’autre. Seuls quelques-uns sont vraiment ancrés dans les
pratiques, telle la Pierre Hachée. Cet énorme bloc de pierre marque le paysage
au pied de la Chartreuse ; il est toujours cité dans les enquêtes et existe encore
comme lieu-dit 47. Mais d’autres n’apparaissent que dans une source : la maison
de Michel Rosier, dessinée sur la carte de Thomassin, est éphémère. La pratique
du seuil localement prestigieux contrarie la logique de la ligne, définie par le
pouvoir mais difficile à ancrer dans le paysage.

Les Quatre rivières, bornage mythique


Les seuils les plus prestigieux ne séparent pas l’Empire et le royaume mais,
comme le Tronc Bérenger, le domaine royal et les grands fiefs. L’État royal
utilise, lui, la limite fluviale pour délimiter le ressort du Parlement. Mais il n’est
pas le seul à tenter de faire coïncider l’idée et le terrain. Pour les frontaliers, la
limite est souvent aux confins du finage et non sur la rivière qui passe à travers
champs. Comment concilient-ils leurs limites vernaculaires avec la simplicité
du discours officiel ?
En 1390, une enquête royale est menée à Vaucouleurs : les témoins doivent
dire si la Meuse est bien la limite orientale du royaume et si des bornes y ont
été immergées. Plusieurs témoignages esquissent une géométrie mentale de la
frontière qui concilie l’idée et le terrain en construisant un véritable mythe de
la frontière d’Empire. Thierry, maire du village de Reynel, constate, bien sûr,
que la limite n’est pas sur la Meuse. Or loin de contredire la vérité officielle,
cette constatation de bon sens la renforce : c’est parce que, localement, la rivière
« a trop de méandres 48 ». L’imperfection du cours de la Meuse est donc suppléée

47. La Pierre Hachée, commune des Marches, Isère. Le rocher est proche des Abîmes de Myans,
un vaste champ de pierres issu de l’effondrement d’un des sommets de la Chartreuse, le mont
Granier, à la fin du xiiie siècle.
48. « Le Maire Thierry de Reynel […] disait aussi que qui tirerait au cordeau depuis le Val de
l’Orne, là où furent mises les bornes, jusqu’au milieu de la rivière qui passe par Verdun, le
cordeau serait tout droit de l’un à l’autre en allant aval. De même, le cordeau serait tout droit
si on le tirait depuis le val de l’Orne jusqu’en amont, à la source de la Meuse, qui est près de
Montigny-le-Roi. C’est ce qu’il pense et ce qu’on pense au pays. Mais en allant aval, la rivière de
Meuse fait des méandres jusqu’à Saint-Mihiel, et après elle descend tout droit jusqu’à Mézières.
On pense communément au pays que c’est pour cela que ces bornes furent posées. Et on dit
encore que les charretiers bourguignons qui viennent de la région des sources de Meuse ne
suivent pas la rivière pour aller à Mézières mais tiennent les hauts, en suivant la ligne des bornes
car s’ils suivaient le cours de la rivière de Meuse, ils devraient trop tourner, car la rivière a trop
de méandres » : « Information faite par ordre du conseil de France 1490 touchant les limites du
Royaume de France devers la Lorraine & les bornes mises à l’entreveue de l’empereur Albert I
& du Roy Philippes le Bel devers Vaucouleur », dans Gottfried Wilhelm Leibnitz, Codex Juris
gentium diplomaticus […], Hanovre, S. Hammonii, 1693, t. 1, p. 453-456. Je traduis.

326
Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières

par une ligne de bornes fluviales, de la source jusqu’à Verdun. Le bornage


surimpose aux méandres réels une rivière-limite rectiligne idéelle.
L’enquête évoque des bornes de bronze posées en 1299 par le roi de France
et le roi des Romains à Vaucouleurs et à Verdun. Cette idée de bornes de métal
immergées dans les Quatre rivières semble apparaître à cette occasion, puis elle
se répand : des témoins en mentionnent au xve siècle, dans le lit de la Saône 49
puis dans celui de l’Escaut 50. Le point commun de toutes ces bornes, c’est que
tout le monde en parle sans que personne ne les ait vues de ses propres yeux.
Or cela contraste fortement avec les pratiques médiévales d’appropriation et
d’apprentissage personnel de la limite 51. Ces bornes de bronze sont au sens
propre un mythe, discours stylisant une réalité complexe, qui permet l’appro-
priation de la limite des Quatre rivières par les riverains. Le roi et ses officiers
ne bornent pas le royaume : ils se contentent d’un discours sur les Quatre
rivières, souvent à usage interne. Mais les frontaliers en voient les incohérences
à moyenne ou grande échelle. Comme le maire Thierry, certains sont certes
capables de dissocier l’idée des Quatre rivières du cours de la rivière. Mais avec
le mythe de ces limites de bronze, ils concilient leur savoir local et le discours
d’État, et ils vivent aussi avec une limite claire et consensuelle, gage de sécurité.

Conclusion

La définition du royaume de France comme territoire des Quatre rivières est le


type même d’application d’une frontière idéelle à une réalité politique complexe.
L’idée fonde le pouvoir du roi mais ne s’applique que rarement au terrain, faute
de volonté ou de moyens. La limite est rarement la rivière. Malgré les efforts
des enquêteurs, l’espace royal ne rencontre l’espace populaire qu’en de rares
interfaces. Ces seuils bien contrôlés ne s’ordonnent guère en lignes. Mais ces
caractéristiques ne sont pas spécifiques des limites ­médiévales : les enquêteurs
de l’IGN ont rencontré les mêmes problèmes de terrain à l’époque contem-
poraine et sur leurs cartes, nombre de toponymes ont changé d ­ ’orthographe
au fil du temps. Dans L’invention des frontières, Michel Foucher évoque des
problèmes similaires lors de la construction des frontières c­ ontemporaines et

49. J.  Richard, « Les débats entre le roi de France et le duc de Bourgogne sur la frontière du
royaume à l’ouest de la Saône : l’enquête de 1452 », Bulletin philologique et historique du Comité
des travaux historiques et scientifiques, 1964 : Actes du LXXXIXe Congrès des sociétés savantes, 1964,
p. 127.
50. Information aimablement communiquée par M. J.-M. Moeglin.
51. Pour la France : L. Dauphant, Le royaume des Quatre rivières…, op. cit., p. 48-50 ; pour ­l’Italie :
O. Redon, « Sur la perception des espaces politiques dans l’Italie du xiiie siècle », dans S. Gensini
(éd.), Le Italie del tardo Medioevo, Pise, Pacini, 1990, p. 51-70.

327
léona r d dauph a nt

il conclut, provocateur : la frontière linéaire est une « invention, élégante, du


cartographe », voire une « superstition 52 ».
Les Quatre rivières ont d’abord été un enjeu à l’échelle nationale. Elles
expriment une conception de l’État, selon le paradigme de la justice royale.
Durant trois siècles, le pouvoir français se définit comme exercice d’une justice
territoriale en dernier ressort. Le roi de France n’a pas l’auctoritas d’un empe-
reur sans État, ni la potestas d’un roi de guerre : il choisit d’être empereur dans
les limites de son royaume, soit une forme de pouvoir et une forme d’espace.
Sa souveraineté est limitée en étendue, non en intensité. Sous François Ier, les
Quatre rivières demeurent comme cadre mental mais passent au second plan :
le roi de justice devient un roi de guerre, le paradigme de la potestas supplante
celui du ressort de justice. La frontière se durcit. On est désormais plus sensible
aux incohérences entre l’idée et le terrain 53.
Mais un héritage est manifeste : le royaume a reçu une définition souple
mais stable. Il est un cadre de pensée qui permet d’énoncer l’espace de la
« nation France » : à l’évidence géographique répond alors l’évidence historique
et politique.

52. M. Foucher, L’invention des frontières, Paris, Fondation pour les études de défense nationale,
1987, p. 37.
53. J. Rigault, « La frontière de la Meuse, l’utilisation des sources historiques dans un procès devant
le Parlement de Paris en 1535 », Bibliothèque de l’École des chartes, 106/1, 1945-1946, p. 80-99.

328
Se représenter l’espace sans carte
Pratiques d’écriture de la Chambre apostolique
au xive siècle

valérie theis
École normale supérieure de Paris

Ces dernières années, en s’appuyant sur des questionnements et des types de


sources variés, les chercheurs qui travaillent sur le Moyen Âge central ont pro-
fondément renouvelé tout ce qu’on pensait établi concernant les modes d’orga-
nisation et de représentation de l’espace et les processus de territorialisation en
Occident. Comme l’a récemment rappelé Michel Lauwers, le travail de Pierre
Toubert autour des différentes dimensions qu’il donnait à son concept d’in-
castellamento a impulsé, parfois en partie involontairement, une dynamique
nouvelle aux recherches sur les logiques spatiales du féodalisme 1. Parallèlement,
d’Alain Guerreau à Joseph Morsel se sont développées des réflexions théoriques
et critiques nécessaires sur les usages qui étaient faits par les historiens des
concepts d’espace ou de « spatialisation », réflexions qui portaient autant sur ce
qu’il était possible de savoir des conceptions de l’espace qui étaient celles des
hommes du Moyen Âge que sur celles des historiens 2. Ces travaux ont à leur

1. M. Lauwers, « De l’incastellamento à l’inecclesiamento : monachisme et logiques spatiales du


féodalisme », dans D.  Iogna-Prat et al. (dir.), Cluny. Les moines et la société au premier âge
féodal, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 315-338. P. Toubert, Les structures du
Latium médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du ixe siècle à la fin du xiie siècle, Rome/
Paris, École française de Rome/De Boccard (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et
de Rome, 221), 1973.
2. J.  Morsel, « Appropriation communautaire du territoire ou appropriation territoriale de la
communauté. Observations en guise de conclusion », Hypothèses, 1, 2005, p. 89-104 et L’histoire
(du Moyen Âge) est un sport de combat, Paris, LAMOP, 2007, en particulier le chap. 6 : « La
“déparentalisation” par la spatialisation du social ». A. Guerreau, « Quelques caractères spéci-
fiques de l’espace féodal européen », dans N. Bulst, R. Descimon, A. Guerreau (éd.), L’État ou
le Roi. Les fondations de la modernité monarchique en France, Paris, Éd. de la Maison des sciences

329
va lér ie theis

tour nourri les recherches autour des questions portant sur l’affirmation des
pôles de sacralité, les processus de déterritorialisation et de reterritorialisation
et la construction progressive des territoires ecclésiastiques 3. Ils ont permis
de tisser de nouveaux liens entre les problématiques concernant l’exercice du
pouvoir à l’époque féodale et celles portant sur la réforme dite grégorienne,
qui avaient été disjointes d’une manière préjudiciable à la compréhension des
mécanismes sociaux de cette période. De nombreux débats sont nés de l’usage
fait par Michel Lauwers du concept d’inecclesiamento, dont le succès rapide a
fait surgir un certain nombre de difficultés, sur lesquelles il est revenu dans ses
travaux les plus récents 4. Cependant, au-delà de ces difficultés, un des grands
apports de ces recherches a été de redonner une place importante à la question
des représentations de l’espace, qui n’avait jamais été au cœur du modèle de
l’incastellamento, alors qu’elle occupe une place centrale dans les études sur
l’inecclesiamento et, plus largement, sur la spatialisation du sacré 5.

de l’homme, 1996, p. 103-122 ; id., « Structure et évolution des représentations de l’espace dans
le haut Moyen Âge occidental », dans Uomo e spazio nell’alto Medioevo, Spolète, Centro italiano
di studi sull’alto Medioevo, 2003, p. 91-116.
3. M. Lauwers, Naissance du cimetière : lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris,
Aubier (Collection historique), 2005 ; D. Iogna-Prat, La Maison Dieu : une histoire monumen-
tale de l’Église au Moyen Âge, v. 800-v. 1200, Paris, Seuil (Points. Histoire), 2012 ; M. Lauwers,
L. Ripart, « Représentation et gestion de l’espace dans l’Occident médiéval (ve-xiiie siècle) »,
dans J.-P. Genet (dir.), Rome et l’État moderne européen, Rome, École française de Rome, 2007,
p. 97-114 ; F. Mazel (dir.), L’espace du diocèse : genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval,
ve-xviiie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Histoire), 2008 ; Cahiers de Fanjeaux,
46 : Lieux sacrés et espace ecclésial (ixe-xve siècle), 2011.
4. Dans son article « De l’incastellamento à l’inecclesiamento… », art. cité, p. 323, M. Lauwers a
insisté sur le fait que de son point de vue, il n’avait jamais été question de mettre en concur-
rence l’inecclesiamento et l’incastellamento : « La mise en valeur du rôle polarisateur des lieux
sacrés ou, pour le dire autrement, la relative substitution des “églises” aux “châteaux” dans
l’historiographie récente de l’espace féodal a pu induire l’idée que les premières se seraient
imposées contre les seconds, dans un contexte de concurrence ou de compétition… La ques-
tion est ainsi mal posée ». La confusion vient probablement de la formulation qu’il avait choisie
dans Naissance du cimetière…, op. cit., p. 273 : « […] davantage que le brusque incastellamento
naguère décrit par les médiévistes – réaménagement de l’espace et des liens sociaux autour du
château –, c’est un lent et progressif inecclesiamento qui semble avoir caractérisé l’occupation
du sol et l’organisation sociale au cours du Moyen Âge ». La structure strictement parallèle des
deux termes et la tendance de beaucoup de travaux récents à se focaliser sur le seul dominium
ecclésial ont par ailleurs eu pour conséquence de renforcer ce risque de confusion.
5. Le concept de Toubert mettait en avant la traduction dans l’espace d’un important changement
social. Cette traduction prenait la forme d’une concentration de l’habitat dans des sites per-
chés et fortifiés et une réorganisation des terroirs. Au-delà de la remise en cause profonde du
modèle original, aussi bien par les apports de l’archéologie que de l’histoire des textes, il laissait
largement de côté la question des représentations de l’espace, qui est au contraire au cœur du
concept de M. Lauwers : « Contrairement à ce que supposent la notion d’incastellamento et
ses avatars, désignant une réorganisation brusque des espaces habités, l’inecclesiamento doit
être envisagé comme un processus long, coextensif à l’histoire de l’Occident médiéval, dont

330
Se représenter l’espace sans carte

Dès le départ, ces travaux renouvelant la connaissance des liens entre


pouvoirs, organisation sociale et espace, se sont en outre développés dans le
cadre d’un dialogue étroit avec l’étude des pratiques de l’écrit. On pense ici
en particulier à la mise à profit de l’étude des cartulaires afin d’observer les
transformations progressives des choix opérés par les rédacteurs de ces recueils
pour organiser une information située dans l’espace. Des travaux comme ceux
de Pierre Chastang sur les cartulaires du Bas-Languedoc ont permis de faire
apparaître le point auquel ces choix de classement des données ou de type
de vocabulaire utilisé pour les organiser ne devaient rien au hasard 6. En se
concentrant sur l’étude de l’organisation des textes à l’intérieur de cartulaires
produits en des époques et par des institutions différentes, Pierre Chastang
a non seulement fait apparaître d’importantes évolutions dans les modes de
représentation de l’espace en vigueur chez les rédacteurs de cartulaires, mais
il les a également mises en relation avec les usages différents qu’ils enten-
daient faire de ces sources. Quand le premier cartulaire de Gellone (1071-
1072) était encore tributaire des modes d’organisation de l’espace hérités du
monde carolingien, les textes y étant ordonnés autour de rubriques reprenant
les catégories de comté ou de pagus, les cartulaires produits dans la même
région au xiie siècle ordonnent leurs textes autour de catégories renvoyant à
la cellule castrale et leur structure annonce déjà nettement l’épanouissement
des « cartulaires dossiers » du xiiie  siècle. De monument textuel cherchant
à mettre en ordre dans un même mouvement la mémoire et le patrimoine
d’une institution à un moment donné, le cartulaire devient ainsi, à partir du
xiiie siècle, un recueil organisé liant entre eux copies de chartes et documents
de gestion autour de dossiers qui permettaient aux institutions de mieux gérer
leur patrimoine en leur donnant les moyens d’en assurer la défense et d’en
connaître précisément les ressources.
En comparaison, lorsque l’on porte son regard sur des périodes plus tar-
dives, force est de constater qu’en dépit de la quantité largement plus abon-
dante de sources dont on dispose, la bibliographie n’offre pas l’équivalent des
renouvellements qu’ont permis ces travaux pour le Moyen Âge central, en
particulier lorsqu’on s’intéresse plus spécifiquement aux représentations de

les dimensions topographiques ne constituent que l’un des aspects : il suppose, en effet, une
large part d’idéel, imposant l’image d’une Ecclesia faite de tous les fidèles, vivants et défunts,
identifiée au corps social » : M. Lauwers, « De l’incastellamento à l’inecclesiamento… », art. cité,
p. 323-324.
6. P.  Chastang, Lire, écrire, transcrire : le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc,
xie-xiiie siècles, Paris, Éd. du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS Histoire,
2), 2001 ; id., « Du locus au territorium. Quelques remarques sur l’évolution des catégories en
usage dans le classement des cartulaires méridionaux au xiie siècle », Annales du Midi, 119, 2007,
p. 457-474.

331
va lér ie theis

l’espace produites par l’Église 7. Au-delà même des institutions ecclésiales, les
recherches portant sur l’organisation et les représentations de l’espace sont
certes très nombreuses et de grande qualité, mais peu d’entre elles prennent
pour objet principal la question des liens qui ont pu exister entre le dévelop-
pement des structures et des techniques de gouvernement et de gestion à la fin
du Moyen Âge, et les modes de représentation de l’espace et des territoires dans
les textes 8. La plus grande abondance de sources a certes permis de développer
des études mettant en relation les questions de représentation de l’espace et la
gestion seigneuriale à l’échelle locale 9. Les sources savantes, mais aussi le déve-
loppement des représentations figurées de l’espace, ont aussi été à l’origine des
très nombreux travaux qui mettent la question des représentations de l’espace
au premier plan en tant que forme de la connaissance ou qui en font le point
de départ d’études portant sur les usages de ces représentations dans un cadre
qui peut aussi bien concerner l’histoire militaire que les milieux lettrés et les
cours princières 10. Cependant, lorsqu’il s’agit de s’interroger sur les liens plus

7. Voir le constat de H.-J.  Schmidt, « Espace et conscience de l’espace dans l’historiographie


médiévale allemande », dans J.-C. Schmitt, O. G. Oexle (dir.), Les tendances actuelles de l’his-
toire du Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 511-
536, notamment p. 524-525, ainsi que les recherches qu’il a menées en ce sens : id., Kirche, Staat,
Nation : Raumgliederung der Kirche im mittelalterlichen Europa, Weimar, Böhlau (Forschungen
zur mittelalterlichen Geschichte, 37), 1999.
8. On peut citer comme exception : N. Coulet, J.-P. Genet (dir.), L’État moderne : le droit, l’espace
et les formes de l’État, Actes du colloque tenu à la Baume-lès-Aix (11-12 octobre 1984), Paris,
Éd. du Centre national de la recherche scientifique, 1990.
9. On peut penser par exemple à J. Dumasy, Le feu et le lieu : la baronnie de Sévérac-le-Château
à la fin du Moyen Âge, Paris, Éd. du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS
Histoire, 46), 2011.
10. Ce constat est clairement énoncé dans N. Bouloux, « Culture géographique et représentation
du territoire au Moyen Âge : quelques propositions », dans S. Boissellier (dir.), De l’espace aux
territoires. La territorialité des processus sociaux, Turnhout, Brepols, 2010, p. 89-112, ici p. 89 :
« L’histoire des représentations de l’espace s’occupe principalement de textes et de cartes, dont
on sait aujourd’hui qu’ils relèvent d’une histoire culturelle, dans un double objectif : analyser,
commenter et comprendre les documents, mais aussi trouver et éditer textes et cartes, seule
activité propre à renouveler nos connaissances dans ce domaine ». La bibliographie est immense
mais on peut avoir un assez bon aperçu de ces approches dans P. Gautier Dalché, Géographie et
culture : la représentation de l’espace du vie au xiie siècle, Aldershot, Ashgate (Collected Studies,
592), 1997 ; id., Limite, frontière et organisation de l’espace dans la géographie et la cartographie
de la fin du Moyen Âge, Zurich, Chronos, 1996 ; N. Bouloux, P. Gautier Dalché, A. Cattaneo
(dir.), Humanisme et découvertes géographiques, Vincennes, Presses universitaires de Vincennes
(Médiévales), 2010 ; P. Gautier Dalché, « Cartes, réflexion stratégique et projets de croisade
à la fin du xiiie et au début du xive siècle : une initiative franciscaine ? », Francia, 37, 2010,
p. 77-95 ; id., « Les usages militaires de la carte, des premiers projets de croisade à Machiavel »,
Revue historique, 673, 2015, p.  45-80 ; E.  Vagnon, Cartographie et représentations de l’Orient
méditerranéen en Occident (du milieu du xiiie à la fin du xve siècle), Turnhout, Brepols (Terrarum
orbis, 11), 2013.

332
Se représenter l’espace sans carte

ordinaires, routiniers, qui pouvaient exister entre l’encadrement des hommes


et des formes de représentation de l’espace ou des territoires tels qu’on peut les
connaître grâce aux actes de la pratique produits par les institutions qui pré-
tendaient les dominer, on s’aperçoit souvent que les éléments de réponse à la
question posée dans les années 1950 par Robert Fawtier consistant à se deman-
der comment un roi de France pouvait, au début du xive siècle, se représenter
son royaume en l’absence de carte, qui reposaient notamment sur le rôle des
listes et des enquêtes, n’ont guère évolué, même si la perspective d’ensemble
de son article, qui associait la connaissance géographique au fait de disposer de
cartes, ne peut désormais plus être défendue 11. Ces éléments de réponse sont
encore moins nombreux lorsqu’on pose la même question en descendant au
niveau des acteurs qui étaient chargés, au quotidien, de mettre en œuvre ces
politiques princières et qui les firent évoluer par leur pratique. Dans ce texte, en
s’inspirant de l’attention que nos collègues spécialistes du Moyen Âge central
ont accordée à ces liens entre pratiques d’écriture, encadrement des hommes
et représentation de l’espace, on voudrait brièvement attirer l’attention sur
quelques sources, et sur une certaine manière de les lire. On s’attachera ainsi
à montrer qu’elles peuvent nous permettre d’améliorer notre connaissance
des modes de représentation de l’espace qui étaient ceux des officiers et pra-
ticiens de l’écrit d’un milieu particulier, celui de la Chambre apostolique du
xive siècle, tout en mettant en valeur le fait que ces représentations particulières
étaient étroitement liées aux références et aux objectifs de ces hommes et de
l’institution au sein de laquelle ils exerçaient leur tâche.

Actes de la pratique et représentations de l’espace

D’un point de vue méthodologique, les travaux auxquels j’ai fait référence
nous ont d’abord appris que si les transformations des usages du vocabulaire
et des modes d’organisation des concepts relatifs à l’espace évoluent en étroite
relation avec la société, il faut ensuite faire la part des rythmes propres à l’évo-
lution des pratiques de l’écrit, ainsi que celle des objectifs qui étaient ceux des
institutions qui produisaient ces écrits. En effet, il ne faut pas se tromper sur le
type d’apport à l’histoire sociale que ces documents peuvent proposer : le chan-
gement dans les pratiques de description de l’espace ne renvoie jamais méca-
niquement à un changement de pratiques sociales, que l’on pourrait espérer

11. R. Fawtier, « Comment, au début du xive siècle, un roi de France pouvait-il se représenter son
royaume ? », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 103/2, 1959,
p. 117-123.

333
va lér ie theis

dater par le biais des textes 12. Les changements de la géographie administrative


ou, plus globalement, des représentations de l’espace que l’on semble lire, et
que l’on espère parfois dater à partir des actes écrits, peuvent s’être déroulés
très antérieurement au moment où ils se traduisent par des changements dans
les pratiques d’écriture. Cela est encore plus vrai lorsqu’on travaille sur des
textes savants, qui se contentent parfois, même si c’est déjà un acte créateur,
de ­réagencer d’une nouvelle manière des textes ou des concepts parfois très
anciens 13. Ces changements sociaux peuvent aussi, au contraire, n’avoir pas
encore eu lieu, l’écriture étant alors un premier moyen pour les rédacteurs
de ces sources d’essayer d’imposer une nouvelle vision de l’organisation de
l’espace, en lien avec des objectifs précis de gestion ou de gouvernement. En
revanche, il n’en demeure pas moins que l’usage d’un certain mode d’organisa-
tion et de désignation de l’espace ou des territoires dans des actes de la pratique
renvoie à la manière dont les rédacteurs de ces sources en étaient parvenus, à
un moment donné, à se représenter l’environnement au sein duquel ils enten-
daient développer leur action. La question ne s’arrête d’ailleurs pas à celle des
représentations : bien souvent, on s’aperçoit lorsqu’on travaille sur des textes
qui n’ont pas été produits à des fins de connaissance savante, mais par les pra-
ticiens d’institutions qui avaient en charge la gestion d’hommes et de terres,
que la manière même d’organiser cette écriture de l’espace était souvent déjà
une manière de commencer à y agir, les choix de dénomination et de descrip-
tion des lieux ou des territoires étant en général étroitement liés aux objectifs
assignés à ces documents par les institutions qui les avaient imaginés 14. Un
second apport des études portant sur les cartulaires ne me semble pas, jusqu’à

12. Cette remarque de bon sens vaut pour toutes les tentatives de mise en relation de l’usage d’un
certain vocabulaire avec le changement social. C’est ce que rappelait récemment A. Luven
dans son article « From Plebs to Parochia : the Perception of the Church in Space from the
Ninth to the Twelfth Century (Dioceses of Rennes, Dol, and Saint-Malo) », dans M. Cohen,
F.  Madeline (éd.), Space in the Medieval West. Places, Territories and Imagined Geographies,
Farnham, Ashgate, 2014, p. 99-114 ; elle citait à cette occasion M. Bloch : « au grand désespoir
des historiens, les hommes n’ont pas coutume, chaque fois qu’ils changent de mœurs, de
changer de vocabulaire ». M. Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Armand
Colin (U prisme, 34), 1974, p. 40.
13. N. Bouloux, « Culture géographique et représentation du territoire… », art. cité, p. 95-96.
14. Un des premiers exemples de ce type d’action par l’imposition d’un certain mode de description
ou par l’usage d’un certain vocabulaire est le Domesday Book. V. H. Galbraith, Domesday Book :
its Place in Administrative History, Oxford, Clarendon Press, 1974 ; D. Roffe, « Place-Naming in
Domesday Book : Settlements, Estates, and Communities », Nomina. Journal of the Society for
Name Studies in Britain and Ireland, 14, 1990-1991, p. 47-60 ; S. Baxter, « The Representation
of Lordship and Land Tenure in Domesday Book », dans D.  Bates, E.  M.  Hallam (dir.),
Domesday Book, Stroud, Tempus, 2001, p. 73-102 ; id., « The Making of Domesday Book and
the Languages of Lordship in Conquered England », dans E. M. Tyler (éd.), Conceptualizing
Multilingualism in England, c. 800-c. 1250, Turnhout, Brepols, 2010, p. 271-308.

334
Se représenter l’espace sans carte

aujourd’hui, avoir été exploité pour en tirer le potentiel maximum. On sait


aujourd’hui tout ce que l’étude de l’ordre des actes copiés dans les cartulaires a
pu apporter à notre connaissance des modes de représentation de l’espace et des
usages de ces sources. Pourquoi alors prêter si peu d’attention à la manière dont
les données relatives à l’espace sont ordonnées dans l’ensemble des actes de la
pratique ? Est-ce que leur étude ne serait pas susceptible de nous en apprendre
autant sur les représentations de l’espace en vigueur chez d’autres praticiens
de l’écrit que les rédacteurs de cartulaires et sur les objectifs qu’entendaient
atteindre d’autres institutions que les institutions seigneuriales ?
Pour commencer à répondre à ces interrogations, les actes de la pratique
produits dans le cadre de la Chambre apostolique à une époque où ils ont
été largement conservés représentent un poste d’observation particulièrement
intéressant. En effet, au xive siècle, les officiers placés sous le contrôle de la
Chambre apostolique qui ont en charge la gestion des domaines de la papauté
sont amenés à faire constamment référence dans leurs écrits à des données
qui sont liées à des lieux ou à des territoires particuliers. Pour ordonner ces
données, ils ont souvent recours à des formes de listes (entendues au sens large,
c’est-à-dire incluant tout type de données organisées par paragraphe ou item
juxtaposés, et non seulement des listes de mots). Ce recours à des listes pour
ordonner une information de type géographique n’a alors rien d’original 15.
C’était une pratique courante aussi bien dans l’Antiquité qu’au haut Moyen
Âge 16. Mais si les chercheurs se sont beaucoup penchés sur la logique des listes
dans des textes géographiques et ont pu souligner combien ce modèle d’orga-
nisation pouvait s’avérer prégnant sur la longue durée, on y prête en général
beaucoup moins d’attention lorsqu’il s’agit de textes qui ont un autre objet que
celui de la représentation de l’espace, ce qui se comprend aisément. Lorsqu’on
lit les listes produites dans le cadre de la Chambre apostolique, il est à pre-
mière vue très difficile de comprendre quel en a été le principe ordonnateur,
au point que l’on peut parfois se demander s’il en existait un. En s’appuyant
sur deux exemples de textes très différents, quoique produits au sein de la
même institution, nous voudrions montrer d’une part que de tels principes
ordonnateurs peuvent être mis en lumière et d’autre part qu’ils constituent des
exemples de la manière dont certaines pratiques d’écriture permettaient aux
officiers de la Chambre apostolique de se représenter l’espace au sein duquel ils
exerçaient leur action sans utiliser de cartes. Un autre intérêt de ces deux types
de documents est qu’ils concernent des formes de représentation de l’espace à

15. N. Bouloux, « Culture géographique et représentation du territoire… », art. cité, p. 95-96.


16. P. Gautier Dalché, « Tradition et renouvellement dans la représentation de l’espace géogra-
phique au ixe siècle », dans id., Géographie et culture…, op. cit., p. 121-165.

335
va lér ie theis

des échelles très différentes, puisqu’il s’agit dans le premier cas de se représenter
l’espace des domaines du pape dans la région d’Avignon, le Comtat Venaissin,
et, dans le second, de se représenter l’espace sur lequel la papauté d’Avignon
exerçait un contrôle effectif, c’est-à-dire, en grande partie, l’espace sur lequel
s’exerçait sa fiscalité.

Parcours d’écriture dans les comptes des trésoriers


du Comtat Venaissin

La première des sources sur laquelle nous allons ici nous arrêter est constituée
par les registres de comptes des trésoriers du Comtat Venaissin, que ces der-
niers, placés sous l’autorité de la Chambre apostolique, devaient verser chaque
année à cette Chambre afin de rendre compte de leur exercice comptable
annuel, ainsi que de celui de tous les officiers locaux travaillant au service de
l’administration pontificale 17. Ces comptes enregistraient toutes les recettes et
toutes les dépenses liées aux pouvoirs comtaux du pape dans cette région 18. Au
sein de ces registres, qui forment des séries continues à partir de 1317, date d’en-
trée dans le patrimoine pontifical, par le biais d’une donation, des domaines et
revenus des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem dans la région d’Avignon,
plusieurs types de listes de données spatialisées peuvent être distingués 19.
Le premier type, qui est celui qui pose le moins de problème, est celui d’une
liste qui, même si elle ne s’affiche pas de cette manière, rend compte simple-
ment d’un parcours qui fut réellement effectué par des officiers pontificaux,
parcours dont on peut même imaginer les conditions du déroulement. En
effet, la première liste continue de castra conservée dans les comptes du tréso-
rier fut établie sur une étroite bande de papier collée dans le registre qui faisait
le bilan des recettes et des dépenses suscitées par la prise de possession des biens
de la donation des Hospitaliers de Saint-Jean 20. Lorsqu’on représente sur une
carte l’ordre des castra ainsi enregistrés (fig. 1), il apparaît clairement que cet
ordre est celui d’un itinéraire. Celui-ci fut peut-être parcouru à l’occasion de

17. Sur ces officiers et leurs livres de comptes, voir C. Faure, Étude sur l’administration et l’histoire
du Comtat Venaissin du xiiie au xve  siècle (1229-1417), Paris, Champion, 1909 ; V.  Theis, Le
gouvernement pontifical du Comtat Venaissin vers 1270-vers 1350, Rome, École française de Rome
(Collection de l’École française de Rome, 464), 2012, p. 68-75, 315-318, 393-461.
18. Pour un inventaire de ces registres, voir R.-H. Bautier, J. Sornay, Les sources de l’histoire éco-
nomique et sociale du Moyen Âge. 1. Provence, Comtat Venaissin, Dauphiné, États de la Maison
de Savoie, Paris, Éd. du Centre national de la recherche scientifique, 1968, 3 vol., et C. Faure,
Étude sur l’administration et l’histoire du Comtat Venaissin…, op. cit., p. 10-13.
19. La donation est éditée dans ibid., p. 204-207.
20. ASV, Collect. 260, fol. 118 (1319-1320).

336
Se représenter l’espace sans carte

Fig. 1 – Représentation sur une carte de l’ordre d’enregistrement des castra


du Comtat Venaissin dans le Collectorie 260 (1319-1320). © V. Theis.

337
va lér ie theis

l’intégration de ces nouveaux domaines dans le patrimoine pontifical, voire à


l’occasion de la première levée des revenus issus de ces biens, qui fait justement
l’objet du registre à la fin duquel on a collé la liste. On retrouverait alors sim-
plement ici le choix d’une logique d’organisation de l’écrit qui, reproduisant
le parcours réellement suivi sur le terrain, a été mise en valeur pour expliquer
le mode d’organisation des censiers 21.
Dans d’autres cas, à l’intérieur des mêmes registres, il est impossible de mettre
en relation un parcours réel du territoire avec le choix d’un ordre d’enregistre-
ment, alors que c’est pourtant toujours le modèle de l’itinéraire qui a été choisi
pour organiser les données comptables. C’est le cas pour l’enregistrement des
revenus seigneuriaux du pape dans l’ensemble du Venaissin. Ces revenus étaient
vendus à l’encan chaque année à Carpentras à des financiers qui payaient cha-
cun de leur côté ce qu’ils devaient au trésorier du Venaissin. La mise à l’encan
était annoncée par des messagers qui ne faisaient jamais l’ensemble du parcours
des castra concernés mais étaient envoyés à plusieurs, en même temps ou à des
moments différents, visiter un groupe de castra 22. Pourtant, le report sur une
carte de l’ordre d’enregistrement des revenus issus de chaque lieu et de son ter-
ritoire fait apparaître clairement que l’on se servait de la logique de l’itinéraire
pour ordonner l’enregistrement des recettes de ces ventes à l’encan. Cette même
logique de l’itinéraire se retrouve aussi bien pour les revenus dits « généraux » qui
correspondent aux revenus des domaines que le pape possédait avant 1317 (fig. 2),
que pour les revenus dits des « Hospitaliers » qui sont ceux issus de la donation

21. On peut penser ici aux travaux qui ont été présentés dans le séminaire commun de l’École
doctorale d’histoire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : « Territoires et communauté »,
organisé par M.  Bourin et É.  Zadora-Rio en 2003-2004. Voir M.  Bourin, É.  Zadora-Rio,
« Pratiques de l’espace : les apports comparés des données textuelles et archéologiques », dans
Construction de l’espace au Moyen Âge. Pratiques et représentations, Paris, Publications de la
Sorbonne, 2007, p. 39-56, notamment p. 54.
22. V.  Theis, Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin…, op.  cit., p.  400-408, 413-420.
L’envoi de messagers n’est pas documenté sur toute la période et les quelques mentions comp-
tables qui le font montrent que d’une année sur l’autre le système employé n’était pas forcé-
ment le même. En 1336, ce sont deux messagers qui se partagent le Comtat : ASV, Cam. Ap.
Intr. et Ex. 141, fol. 112v : die 16 augusti, misi ego thesaurarius supradictus duos nuncios per totum
Comitatum Venayssini cum letteris meis ut facerent in locis preconizari redditus qui debebant
vendi in festo Sancti Michaelis sequenti quibus dedi pro eorum expensis et labore IX tur. argent.
gross. En 1340-1341, ibid., Reg.  Av.  53, fol.  412 : Item pro missione litterarum preconizationis
reditum Comitatus Venaysini missarum per loca singula dicti Comitatus de mense augusti. En
1341-1342, ibid., fol. 452 : Item solvi Johanni Navarre servienti qui fuit missus cum scilicet litteris
apud Interaquis, Pontemsorgiem, Cadarossam, Mornacium, Abolenam et Paludem XII  solidos
VI denarios monete current. En 1346, ibid., Cam. Ap. Intr. et Ex. 223, fol. 133 : die X mensis feb.,
solvi Petro de Trienis, nuncio, qui fuit missus ad locum Sancti Saturnini et loca circumvicina cum
litteris ut preconizarentur redditus dicti loci vendendi V s. clem. Die XXX julii, tradidi et solvi
Bernardo Rosselli, nuncio, qui portavit litteras preconizationis reddituum vendendorum per singula
loca Comitatus Ven. XXV s. clem.

338
Se représenter l’espace sans carte

Fig. 2 – Ordre d’enregistrement des revenus dits « généraux » dans les comptes
du trésorier du Comtat Venaissin en 1325-1326. © V. Theis.

339
va lér ie theis

de 1317, ces deux types de revenus étant enregistrés séparément dans les comptes
jusqu’en 1334 (fig. 3) 23. On la retrouve aussi, mais avec un parcours légèrement
différent, pour l’enregistrement des comptes qui étaient rendus chaque année par
les clavaires devant le trésorier (fig. 4) 24. Chaque officier financier local était en
effet convoqué annuellement à Carpentras pour l’audition de ses comptes et rien
n’aurait obligé à enregistrer ces redditions de compte dans l’ordre d’un itinéraire.
Ce choix conscient d’avoir recours à des itinéraires pour mettre en ordre
mentalement ces données apparaît encore plus clairement lors de la réforme
que connaît l’administration locale de la papauté au début du pontificat de
Benoît  XII (1334-1342) 25. À ce moment-là, l’organisation des officiers sur le
terrain est profondément transformée et l’organisation des comptes du tréso-
rier fait aussi l’objet d’une refonte totale qui a, entre autres, pour conséquence
de rassembler en un même chapitre des comptes l’enregistrement des ventes à
l’encan pour les différents castra du Venaissin, qu’ils aient appartenu au pape
depuis 1274 ou qu’ils proviennent de la donation des Hospitaliers de 1317.
Or, au lieu de coller bout à bout les deux listes antérieurement existantes, on
forge une autre liste qui propose un autre parcours mental du territoire, dont
on remarque d’ailleurs qu’il est désormais beaucoup plus clair que ne l’étaient
les deux parcours précédents (fig. 5) 26. Est-ce à dire que cette mise en forme
sur le papier traduisait par les pratiques d’écriture l’amélioration effective
de la maîtrise du territoire par les officiers pontificaux ? Sans aller jusque-là,
on peut au moins être frappé par le fait que cette logique de l’itinéraire ait
été systématiquement privilégiée dans les comptes des trésoriers du Comtat
Venaissin, ce qui indique qu’il existait au moins au sein du groupe de ceux qui
les établissaient une manière dominante de se représenter ce territoire, manière
qui transparaît dans les modes d’enregistrement des lieux, mais qui allait pro-
bablement au-delà de la seule question des pratiques d’écriture.
En effet, il est possible de mettre en parallèle ces cartes non seulement entre
elles, mais aussi avec celle d’un parcours réel d’officier, qui n’est pas enregistré
dans les comptes sous forme de liste, mais que l’on peut reconstituer grâce aux
comptes des clavaires. Le juge du Venaissin, qui exista jusqu’au pontificat de
Benoît XII, devait venir deux fois par an dans chaque castrum du Venaissin pour
y tenir des assises au nom du pape 27. Lors de sa reddition de compte, chaque

23. ASV, Cam. Ap. Collect. 261, fol. 160-163 et 163v-167v (1325-1326).


24. Ibid., fol. 239-255 (1325-1326).
25. V. Theis, Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin…, op. cit., p. 269-275.
26. ASV, Cam. Ap. Intr. et Ex. 141, fol. 91-102 (1335-1336).
27. Sur ces juges, voir J. Chiffoleau, Les justices du pape : délinquance et criminalité dans la région
d’Avignon au quatorzième siècle, Paris, Publications de la Sorbonne (Histoire ancienne et médié-
vale, 14), 1984 ; V. Theis, Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin…, op. cit., p. 319-323.

340
Se représenter l’espace sans carte

Fig. 3 – Ordre d’enregistrement des revenus dits


des « Hospitaliers » dans les comptes du trésorier
du Comtat Venaissin en 1325-1326. © V. Theis.

341
va lér ie theis

Fig. 4 – Ordre d’enregistrement des comptes annuels des clavaires


du Comtat Venaissin en 1325-1326. © V. Theis.

342
Se représenter l’espace sans carte

Fig. 5 – Ordre d’enregistrement de tous les revenus du Comtat Venaissin


en 1335-1336. © V. Theis.

343
va lér ie theis

clavaire rappelait les dates de venue du juge, ce qui permettait à l’époque de


contrôler ces officiers, mais qui nous permet aujourd’hui de reconstituer le
parcours réel suivi par celui-ci 28. On constate d’abord que ce parcours n’est
pas exactement le même que celui qu’on peut reconstituer grâce aux listes de
revenus seigneuriaux ou grâce aux redditions de compte des clavaires, ce qui
veut dire que les parcours « mentaux » n’étaient pas le simple décalque des
parcours réels du juge (fig. 6) 29. On voit aussi qu’avec le temps le Venaissin
des officiers pontificaux s’imaginait et se parcourait préférentiellement d’une
même manière. On partait de son centre, où se trouvaient ses capitales suc-
cessives, Pernes puis Carpentras, pour descendre ensuite vers le sud avant de
remonter vers le nord, de bifurquer vers l’ouest et de redescendre en suivant
un temps le cours du Rhône avant de revenir vers le centre du territoire, en
un mouvement d’enveloppement qui se faisait à l’inverse du sens des aiguilles
d’une montre. Ce mouvement s’appuyait notamment sur l’existence de cours
d’eaux qui, non seulement contribuaient à donner sa forme imaginaire au
territoire, mais étaient aussi envisagés par les officiers comme des éléments
structurants pour la réalité de leurs déplacements qui se faisaient, à n’en pas
douter, en ayant régulièrement recours à la navigation sur les cours d’eau de
la région. On note aussi que c’est dans la zone située au nord du Venaissin, là
où le pouvoir pontifical était le plus disputé et le plus discontinu à l’époque
qui nous intéresse, que l’on observe le plus de variations d’une liste à une autre
dans l’ordre d’enregistrement des lieux 30.
Sur la base de ces quelques exemples, il ne semble pas impossible que la
grande cohérence qui finit par se construire entre les parcours réels et les par-
cours mentaux du territoire ait eu un rapport avec la manière dont les officiers
du pape se représentaient le territoire du Comtat Venaissin. Cette représenta-
tion devint d’autant plus claire au fil du temps que leur maîtrise effective du
terrain progressait aussi bien en qualité qu’en quantité puisque la papauté ne
cessa jamais de tenter d’étendre sa domination territoriale, notamment dans le
nord du territoire du Venaissin où certains domaines pontificaux se trouvaient
alors isolés du reste du territoire. On peut ainsi penser que cette manière
systématique d’associer la géographie réelle du territoire sous domination
pontificale à un ordre d’écriture jouait en partie un rôle mnémotechnique, qui
devait permettre aux scribes du trésorier de ne pas oublier une des catégories
sur lesquelles portait leur enregistrement, tout en renforçant l’image mentale
qu’ils se faisaient de ce territoire en cours de construction, lui donnant ainsi

28. Sur les clavaires, V. Theis, Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin…, op. cit., p. 351-359.
29. ASV, Cam. Ap. Intr. et Ex. 80, fol. 11-117v (1323-1324) et V. Theis, Le gouvernement pontifical du
Comtat Venaissin…, op. cit., p. 288-289.
30. Ibid., p. 192-200, 621-626.

344
Se représenter l’espace sans carte

Fig. 6 – Parcours du juge du Comtat Venaissin


en 1323-1324. © V. Theis.

345
va lér ie theis

une forte cohérence imaginaire. Cette projection imaginaire du territoire et


la politique que les officiers étaient chargés de mettre en œuvre sur le terrain
pouvaient alors se renforcer mutuellement.

L’espace des archives de la Chambre apostolique

Le second document qui peut permettre de nourrir les réflexions précédentes


est un petit registre, conservé à l’Archivio Segreto Vaticano, actuellement en
cours d’édition et de commentaire, qui enregistre uniquement des séries de
lieux et de thèmes 31. De manière relativement fidèle, il est repéré dans les index
manuscrits du Vatican (blochetti) comme un inventaire des documents écrits
de la Chambre apostolique réalisé à l’époque d’Innocent VI 32. Il avait cepen-
dant été identifié par Pierre Gasnault comme un simple index des registres de
courrier au départ qui aurait été oublié par Renouard lors de ses repérages de
ce type de documents 33. La comparaison avec un registre de courrier au départ
mentionné par Renouard confirme pourtant que le contenu de ce cahier est
d’un genre différent 34. En effet, ce registre présente une succession de listes qui
permettaient d’organiser les archives dont disposait la Chambre apostolique
sous Innocent VI, ou au moins une partie d’entre elles, la structure du docu-
ment ne permettant pas de savoir exactement quels types de documents étaient
concernés par ce classement 35. Pour se faire une meilleure idée du contenu de ce
petit cahier, on peut en synthétiser la structure de la manière suivante (tabl. 1).

31. ASV, Instr. Misc. 5833. Voir V. Theis, Le monde de la Chambre apostolique (xie-xive s.). Ordonner
les archives, penser l’espace, construire l’institution, mémoire inédit d’habilitation à diriger
des recherches soutenu en novembre  2016 sous la garantie de P.  Chastang, université de
Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines.
32. Index inventarii scripturarum camerae sive introitum et exitum camerae ap. ratione taxarum
camerae, visitationum, servitiorum communium, expensarum pro operibus et subsidiis pro guerra,
censuum, distributionum d. collegii, officiorum proventus etc. collectorum, thesaurariorum, recto-
rum, libris pontificum regesta aliqua, scripturae auditoribus camerae seu curiae diversique generis,
exempli gratia theologiae, parvi valoris, cartae orig. ff 1-101 0,250 x 0,150, post aug 1353.
33. P.  Gasnault, « La transmission des lettres pontificales au xiiie et au xive  siècle », dans
W.  Paravicini, K.  F.  Werner (éd.), Histoire comparée de l’Administration, Zurich/Munich,
Artemis, 1980, p. 81-87, ici p. 82-83. Y. Renouard, « Comment les papes d’Avignon expédiaient
leur courrier », dans id., Études d’histoire médiévale, Paris, SEVPEN, 1968, p. 739-764.
34. ASV, Cam. Ap. Collect. 352.
35. Quand bien même ce classement ne concernerait qu’une partie des écrits de la Chambre
apostolique, il reste beaucoup plus détaillé et complet dans ses catégories que celui qui a été
édité pour le xve siècle : F. M. Baath, « L’inventaire de la Chambre apostolique de 1440 », dans
Miscellanea archivistica Angelo Mercati, Città del Vaticano, Biblioteca apostolica vaticana, 1952,
p. 135-157.

346
Se représenter l’espace sans carte

Fol. 1 Liste de quelques thèmes isolés


Fol. 2-5 Tables A-Z, A2-Z2, A3-H3 non complétées
Fol. 5v-6v Folios avec réglure mais sans contenu
Fol. 8-20 Première liste de thèmes renvoyant aux archives avec numérotation en
chiffres romains = liste I
Fol. 20v-26v Index alphabétique des thèmes précédents avec renvoi au chiffrage de
chaque thème
Fol. 27-32v Liste de thèmes sans numérotation
Fol. 33-38v Reprise des thèmes de la liste I avec un nouveau classement en chiffres
arabes et un renvoi à l’ancienne numérotation (écrite en chiffres arabes
alors qu’elle était en chiffres romains dans la liste I) = liste II
Fol. 39-56 Index alphabétique des thèmes mais sans renvois chiffrés en bout de ligne
Fol. 57-60 Reprise de thèmes proches de la liste II avec un système de numérotation
en chiffres romains = liste III
Fol. 61-80 Index alphabétique des thèmes de la liste III avec renvois aux numéros
en chiffres romains (certains renvois non complétés)
Fol. 81-82v Reprise au propre d’une liste de thèmes suivant l’ordre numérique
(chiffres romains) = liste IV
Fol. 83-104v Fin du répertoire avec quelques notes rédigées au brouillon

Tabl. 1 – Structure de l’Instrumenta Miscellanea 5833.

Il est probable que ce carnet ait été un instrument de travail qui fut utilisé
pour tenter de passer d’un mode de classement qui était celui auquel la pra-
tique quotidienne de la Chambre apostolique avait abouti à la fin du pontificat
de Clément VI, à un nouveau mode de classement, plus ordonné mais aussi
plus synthétique, dont il est cependant pour l’instant impossible de dire s’il
fut réellement mis en œuvre ou s’il resta toujours à l’état de projet. Les trois
premières listes étaient accompagnées par un système de renvoi au classement
antérieurement existant et suivies par un index alphabétique. Les quatre listes
successives ordonnaient leurs catégories dans un ordre particulièrement inté-
ressant pour la question qui nous intéresse comme on le constate dans le
tableau 2 (voir en fin d’article) 36.

36. Quelques avertissements doivent être ajoutés à ce tableau. Les listes sont reprises ici de manière
continue mais, dans le registre, elles présentent des discontinuités et des rassemblements de
certaines thématiques autour d’autres systèmes de signes et de numéros qu’il est impossible
de reproduire ici (mais qui le seront dans l’édition à venir). On a fait aussi le choix de ne pas
développer les abréviations, car les mentions développées sont alternativement au nominatif
ou au génitif dans le texte (singulier ou pluriel), et peuvent parfois renvoyer à un nom de ville,
parfois à un nom de région. Afin d’introduire le moins de biais possible, on a préféré, pour

347
va lér ie theis

Comme on le constate, un grand nombre de ces catégories de classement


des documents de la Chambre apostolique renvoyait à des territoires, qui
étaient soit les provinces de l’Église romaine, soit les collectories pontificales,
c’est-à-dire les territoires au sein desquels les collecteurs pontificaux étaient
chargés de récolter les fruits de la fiscalité pontificale sur les clercs, ainsi que
d’exercer le droit de dépouille du pape 37. Si on regarde la première liste, on
constate que les archives relatives à ces territoires étaient séparées les unes des
autres par d’autres catégories : par exemple les archives relatives aux travaux
de Benoît XII, en x, se trouvaient rangées (ou numérotées, si on veut éviter de
s’avancer sur la question de l’organisation matérielle de ces archives) entre la
catégorie des collecteurs de Bourges et de Limoges, en ix, et celle de Clermont,
du Puy et de Mende, en xi. Cela donnait l’impression d’un ensemble qui
n’avait pas fait l’objet d’un reclassement depuis longtemps (probablement
pas depuis l’installation de la Chambre apostolique dans le nouveau palais
­d’Avignon sous Benoît XII), et dont l’ordre même est éminemment intéres-
sant pour comprendre ce qu’avaient pu être, au moment de la sédimentation
première de ces archives, les préoccupations de la papauté et de la Chambre
apostolique 38. Les trois listes suivantes proposaient de nouveaux classements,
qui peuvent être lus comme autant d’étapes pour parvenir à un projet, celui
de la liste IV, qui, dans l’esprit de ses concepteurs, devait apparaître comme le
plus fonctionnel, et avait surtout pour effet de compacter les documents en un
nombre plus réduit de catégories, et donc de lieux de rangement. En effet, si le
texte ne dit rien d’une éventuelle contiguïté matérielle de ces catégories dans

le sujet qui nous intéresse ici, donner le texte sans choisir nous-mêmes l’une ou l’autre de ces
solutions à chaque fois que plusieurs étaient possibles. Les parenthèses renvoient à des systèmes
de correspondance entre les listes par le biais de numéros suscrits dans l’original. Les numéros
en chiffres arabes et romains apparaissent de cette manière dans le texte.
37. Sur les collecteurs et les collectories, voir en priorité C. Samaran, G. Mollat, La fiscalité ponti-
ficale en France au xive siècle : période d’Avignon et grand schisme d’Occident, Rome/Paris, École
française de Rome/De Boccard (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome,
96), 1905 ; Y.  Renouard, Les relations des papes d’Avignon et des compagnies commerciales et
bancaires de 1316 à 1378, Rome/Paris, École française de Rome/De Boccard (Bibliothèque des
Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 151), 1941 ; H.-J. Schmidt, Kirche, Staat, Nation…,
op. cit. ; C. Schuchard, Die päpstlichen Kollektoren im späten Mittelalter, Tübingen, Niemeyer
(Bibliothek des Deutschen historischen Instituts in Rom, 91), 2000 ; A.  Le Roux, « Mise
en place des collecteurs et des collectories dans le royaume de France et en Provence (1316-
1378) », Lusitania sacra, 22, 2010, p. 45-62, dans l’attente de la publication de sa thèse : Servir
le pape, le recrutement des collecteurs pontificaux dans le royaume de France et en Provence de la
papauté d’Avignon à l’aube de la Renaissance (1316-1521), thèse de l’université Paris-Ouest –
Nanterre-La Défense soutenue le 30 novembre 2010.
38. Sur les travaux du palais sous Benoît XII, voir D. Vingtain, Avignon, le palais des papes, Saint-
Léger-Vauban, Zodiaque, 1998, p. 87-179.

348
Se représenter l’espace sans carte

Fig. 7 – Ordre d’enregistrement des thèmes de classement des archives


de la « liste IV » dans Instrumenta Miscellanea 5833. © V. Theis.

l’espace du palais où ces documents étaient conservés, il indique en revanche


que chaque catégorie correspondait à un lieu de rangement particulier 39.
De manière logique, les nouveaux projets de classement (listes  II à IV)
aboutissaient à faire en sorte que toutes les catégories des archives des collec-
teurs se suivent, mais ils proposaient aussi un ordre d’organisation des lieux
différent de celui qui avait été constitué, par la pratique, dans la première liste.
Ce nouvel ordre d’organisation ne peut qu’attirer immédiatement l’attention
du lecteur de la source car, même sans l’appui d’une carte, il apparaît clai-
rement que l’ordre dans lequel les lieux sont cités n’est pas sans lien avec les
rapports qu’ils entretiennent spatialement les uns avec les autres. Pour mieux
s’en rendre compte, on peut représenter schématiquement sur une carte le
parcours qui pourrait être reconstitué à partir de la liste IV, celle qui est la plus
épurée et qui se trouve à l’aboutissement du processus de reclassement (fig. 7).
La seule catégorie qu’il est vraiment difficile de flécher est celle concernant
la Romania, partium Romanie ou « Romanie », qui désignait traditionnelle-
ment tous les écrits relevant des régions allant de la Dalmatie jusqu’à l’Empire
byzantin. Cette catégorie était associée à celle du Milanais dans la première
liste avec le numéro i. Elle était ensuite devenue la catégorie 17 puis xix, don-
nant lieu à une hésitation sur ce qu’il convenait de faire du Milanais qui,
n’ayant plus de catégorie à partir de la liste III, aurait aussi bien pu continuer
à être associé à la Romania en étant rendu invisible que rester en attente d’un

39. ASV, Instr. Misc. 5833, fol. 10 : Beneven. et Sicilie xv / Sicilie locus secundus xvi / Sicilie tercius locus
xvii.

349
va lér ie theis

­ erfectionnement du classement. Dans tous les cas, l’ancienne association de


p
la catégorie Romania au Milanais dans la première liste tend à faire penser que
le parcours mental devait se contenter de faire un crochet vers le Nord-Est
après Gênes pour évoquer aussi bien cet Est proche du Milanais que celui,
beaucoup plus lointain, mais aussi moins facile à saisir, de la Romania. Il
faut ici de toute manière se contenter d’approximations dans le fléchage, car
les catégories renvoient couramment à plusieurs pays ou régions en même
temps et combinent des territoires de nature différente puisqu’on a à la fois
des provinces ecclésiastiques, des territoires de l’Église romaine, des royaumes
et des ensembles de royaumes, ce qui était alors la norme pour le découpage
des collectories. Il s’agit de toute manière ici uniquement de traduire ces listes
dans une forme qui parle plus au lecteur contemporain, habitué justement à
« penser par cartes », ce qui, sans qu’ils aient du tout ignoré l’usage de l’outil
cartographique, n’était probablement pas le cas des auteurs de ces listes 40.
Plus largement, la question de savoir si ces listes pouvaient ou non renvoyer
à des représentations mentales figurées d’une nature ou d’une autre chez ceux
qui les avaient établies ne nous est évidemment pas accessible en s’appuyant
uniquement sur un tel document.
Sans s’avancer ici sur cette question, il est en revanche probable qu’une
telle manière de concevoir le rangement des archives ait pu avoir un intérêt
mnémotechnique, car il devait être plus facile de se remémorer dans quel
lieu se trouvaient les archives relatives à tel ou tel lieu par association avec
des lieux proches. Cependant, pour que cela fonctionne et que cela fasse
de ces listes un outil de classement plus efficace, il fallait que ces catégories
spatiales renvoient à une manière commune de se représenter l’espace des
régions qui étaient alors en relation avec la Chambre apostolique. Il fallait
donc que les employés de la Chambre aient une idée relativement claire des
rapports de proximité spatiale existant entre ces différentes régions, ce qui,
au regard de ce qu’on sait aujourd’hui des connaissances géographiques des
lettrés au xive siècle, n’aurait rien de très surprenant 41. Outre que le choix
du mode d’organisation de ces listes aurait tendance à confirmer l’existence
d’une même « géographie mentale » dans cet univers administratif qui ne
s’appuyait pas encore communément sur des cartes pour développer son
action, il montre le maintien de la domination des systèmes de listes lorsqu’il
s’agissait d’ordonner des lieux ou des territoires. Les conséquences de ce savoir
partagé sont également intéressantes, car ces connaissances ­géographiques

40. N. Bouloux, « Culture géographique et représentation du territoire… », art. cité, p. 111.


41. Ead., Culture et savoirs géographiques en Italie au xive siècle, Turnhout, Brepols (Terrarum orbis, 2),
2002 ; P. Gautier Dalché, « Sur l’originalité de la “géographie” médiévale », dans id., L’espace
géographique au Moyen Âge, Florence, SISMEL (Micrologus’ Library, 57), 2013, p. 43-58.

350
Se représenter l’espace sans carte

é­ lémentaires permettaient d’imaginer le fait d’organiser un espace des archives


de la Chambre faisant écho, dans sa matérialité même, à l’espace qui se trou-
vait réellement sous domination pontificale, celui-ci pouvant potentiellement
être ainsi reconstitué, en miniature, dans le palais pontifical par le biais de ses
archives. L’espace ainsi imaginé par les officiers de la Chambre apostolique
n’était cependant ni toute la Chrétienté romaine, ni probablement la seule
manière de se la représenter à cette époque. Il constituait, à l’aube du Grand
Schisme, l’espace le plus étroitement lié à cette institution, c’est-à-dire, en
premier lieu, l’espace fiscal de la papauté. Cependant, alors que les listes II
et III avaient tenté d’imaginer une organisation reposant strictement sur les
provinces de l’Église romaine et les collectories, la liste IV prenait un peu
plus de distances avec ce mode d’organisation, ce qui rendait possible l’ultime
compactage des catégories 42.
On remarque aussi que le choix de parcours qui a été fait pour devenir le
cadre de rangement des archives n’est pas anodin. Il existait en effet au sein
de la cour pontificale, et même plus précisément, au départ, au sein de la
Chambre apostolique, une autre tradition d’organisation des données relatives
aux revenus du pape selon une logique d’itinéraire. Dans son Liber censuum,
le camérier Cencius avait en effet organisé l’ensemble des mentions relatives
aux cens dus à l’Église romaine selon cette même logique, qui s’était imposée
ensuite pour le provincial officiel de l’Église romaine, quand les provinciaux
du xiie obéissaient à une tout autre logique, celle de la compilation de listes
préexistantes 43. Pour établir un parallèle commode, on peut schématiser gros-
sièrement l’ordre des rubriques du Liber censuum de la manière suivante en
s’appuyant sur la carte réalisée par Hans-Joachim Schmidt (fig. 8) 44. Le fait
que l’enchaînement des lieux dans une liste constitue une sorte d’itinéraire ne
contraignait donc qu’en partie les officiers, qui restaient libres de choisir de
nombreux autres itinéraires que celui qui s’est imposé progressivement dans
les listes II, III et IV, les modifications d’une liste à l’autre ne changeant pas
la conception d’ensemble de cet « itinéraire du xive siècle ». Or, on n’avait pas
fait le choix de reprendre, pour ce système de classement des documents de

42. Nous ne développons pas ici les aspects de comparaison entre les listes qui font l’objet d’un
travail en cours.
43. M.  Tangl, Die päpstlichen Kanzleiordnungen von 1200-1500, Innsbruck, Wagner, 1894 ;
L.  Duchesne, P.  Fabre (dir.), Le « Liber censuum » de l’Église romaine, Paris, Fontemoing
(Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome), 1901, « Introduction », p. 36-56 ;
F. Delivré, « Du nouveau sur la “Liste de Florence” : la chronique du Pseudo-Godel (v. 1175)
et la préhistoire du “Provinciale Romanum” du xiiie siècle », Bibliothèque de l’École des chartes,
167, 2009, p. 353-374 ; id., « Les diocèses méridionaux d’après le Provinciale Romanum (xiie-
xve siècle) », Cahiers de Fanjeaux, 46 : Lieux sacrés…, op. cit., p. 395-419.
44. Fond de carte emprunté à H.-J. Schmidt, Kirche, Staat, Nation…, op. cit., p. 239.

351
va lér ie theis

Fig. 8 – Ordre d’enregistrement des rubriques de la table des cens


du Liber censuum (d’après une carte de H.-J. Schmidt).

la Chambre apostolique, l’ordre qui s’était globalement imposé, quoique avec


quelques variantes, du Liber censuum aux provinciaux postérieurs. Dans ce
nouvel « itinéraire », on partait des documents relatifs à Chypre, qui était l’en-
droit le plus éloigné vers le sud-est et, en revanche, le plus proche des anciens
États latins d’Orient, donc de la Terre Sainte. On traversait ensuite l’Italie qui,
historiquement, constituait le bloc le plus ancien des archives dont disposait la
papauté d’Avignon. Enfin, après un parcours à travers toute l’Europe, on abou-
tissait aux catégories relatives à Avignon et au Comtat Venaissin avant d’entrer
dans les catégories non spatiales de rangement des archives. Si l’on voulait
faire un clin d’œil à un autre type de sources bien connues au xive siècle, les
mappemondes, on pourrait dire que cet itinéraire ne proposait pas seulement
une géographie des archives de la Chambre apostolique et de l’institution
pontificale, mais aussi, en partie, une histoire de celles-ci en partant du lieu
qui, imaginairement, était le plus proche des origines de l’institution qu’était
l’Église pour arriver au siège de la papauté du xive siècle. La place de Chypre
en tête de liste, qui renvoyait sans doute non seulement au prestige de la Terre
Sainte, mais aussi au rêve de relance des croisades, se retrouve d’ailleurs dans
les choix qui furent faits à peu près à la même époque pour le classement des

352
Se représenter l’espace sans carte

layettes du Trésor des Chartes dans le royaume de France 45. On pourrait bien


entendu rabattre ces considérations imaginaires sans doute un peu audacieuses
sur le fait que finir par les archives locales, qui étaient sans doute les plus quoti-
diennement utilisées et celles qui se développaient le plus rapidement, pouvait
avoir simplement des raisons pratiques. Cependant, de telles considérations
pratiques ne semblent pas avoir été au cœur des préoccupations qui présidèrent
à l’invention de ce système de classement. On remarque en effet que, alors que
chaque numéro était associé à un certain espace de rangement, le fait d’avoir
mis en dernière position les catégories relatives à Avignon et à ses environs
ne s’accompagnait pas de celui d’avoir prévu une place pour le développe-
ment ultérieur de ces écrits. Il semble ainsi que, sans exagérer la dimension
imaginaire de l’ordre des catégories, le fait de penser que celles-ci aient pu
aussi renvoyer à une certaine conscience de l’histoire et de la géographie de
l’institution à laquelle ces catégories s’appliquaient, n’est pas complètement de
l’ordre de la surinterprétation.
À travers ce rapide jeu d’échelles essayant d’extraire quelques éléments
relatifs aux représentations spatiales des officiers pontificaux des documents
produits dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, on a voulu ici mettre en
lumière certaines potentialités souvent ignorées des sources de la pratique. Afin
d’échapper à l’enfermement dans des considérations générales sur ce que serait
censé être l’espace médiéval, dont les représentations étaient probablement très
variables selon les époques, les milieux sociaux et les types de sources considérés,
les historiens gagneraient en effet à ouvrir le champ des documents au sein
desquels des représentations de l’espace spécifiques peuvent se donner à voir. En
faisant cet effort d’ouverture, on parviendrait peut-être à se détacher de certaines
conclusions qui sont souvent trop peu historicisées, ce qui vaut pour le xe siècle
étant rarement pertinent pour le xive, et qui révèlent aussi le point auquel nous
avons tendance à nous aveugler sur nos propres représentations de l’espace : on
pense ici notamment à l’idée selon laquelle nos conceptions de l’espace seraient
toujours continues et homogènes, ce que l’expérience dément, alors que celles
des hommes du Moyen Âge ne l’auraient jamais été. Ces idées très générales
qui circulent largement dans la bibliographie conduisent en effet à mettre au
premier plan des écarts entre les représentations médiévales et contemporaines
qui ne sont pas toujours les plus pertinents, alors même que l’existence de nom-
breux écarts est indubitable. L’étude des pratiques d’écriture permet en outre
de mieux mettre en valeur l’existence, au sein des milieux chargés de mettre en

45. O.  Guyotjeannin, « Les méthodes de travail des archivistes du roi de France (xiiie-début
xvie siècle) », Archiv für Diplomatik, 42, 1996, p. 295-373, ici p. 315 ; H.-F. Delaborde, Étude sur
la constitution du Trésor des Chartes, Paris, Plon-Nourrit, 1909, p. CXLIJ.

353
va lér ie theis

œuvre la politique pontificale, de formes de pensée ­spatialisées distinctes de la


pensée par carte, dont l’élaboration progressive est indissociable du développe-
ment des politiques de contrôle de l’espace et des populations à la fin du Moyen
Âge, ainsi que des progrès de leur efficacité.

354
Tabl. 2 – Comparaison des quatre listes du registre 5833 des Instrumenta Miscellanea.

Liste I Liste II Liste III Liste IV


i. Mediolanensis, Aquilegensis, 1. Cipri regnum : collector (1) i. Cipri regn. collector 15, 16, 17 i. Cipri regni
Jadrensis, Januensis, Romandiole
ac partium Romanie
ii. Castrensis, Albiensis, 2. Sicilie insula : collector (2) ii. Sicilie insule collector ii. Sicilie Insule
Ruthenensis, Vabrensis,
Tutellensis, Caturcensis
iii. Thesaurar. Campanie, 3. Sicilie regnum citra Farum : iii. Sicilie regni citra Farum iii. Sicilie regni citra Farum
Altariatus Basilice apostolorum collector (3) 15 collector 46, 47, 48, 49
Petri et Pauli
iv. Marchie Anchonitane 4. Sicilie regnum citra Farum : iv. Beneven. thesaur. iv. Beneven. collector

355
provincie thesaurar. rector (3) 16
v. Idem ut proxime 5. Sicilie regnum citra Farum : v. Beneven. collector. v. Beneven.
thesaurarius (3) 17, 46, 47, 48, 49
vi. Idem ut proxime Beneven. civitas : collector (4) vi. Campan. et Maritim. rector vi. Campanie Maritime
Se représenter l’espace sans carte

3, 53
Beneven. civitas : collector
thesaurarius (5)
6. Campania et Maritima : rector
(6) 3, 53
vii. Bavar., anthipape et 7. Campania et Maritima : vii. Campan. et Maritim. vii. Campanie Maritime
Templariorum thesaurarius (7) 3,53 thesaur. 3, 53
Liste I Liste II Liste III Liste IV
Urbe vicarius (8) altararius (9)
LII
viii. Tucie et Ryparie Januensis 8. Patrimonium Beati Petri : viii. Urbis vicarii 52 viii. Vicariatus Urbis
rector (10) 18, 19
ix. Bituritencis et Lemovicensis 9. Patrimonium Beati Petri : ix. Urbis Altariatus ix. Altarariatus Urbis
thesaurarius (11) 18, 19
x. Operum Benedicti 10. Spoletani ducatus : rector (12) x. Patrimon. beati Petri rector x. Patrimonium beati Petri
32-33 18, 19
xi. Claramontensis, Aniciensis et 11. Spoletani ducatus : xi. Patrimonium beati Petri xi. Patrimonium beati Petri
Mimatensis ac Sancti Florii thesaurarius (13) 32-33 thesaur. 18, 19
xii. Ferrar. 12. Marchia Anchonitana : rector xii. Spoletan. ducatus rector 32, xii. Spoletani ducatus
(14) 4, 5, 6 33
 v a lér ie

356
xiii. Guerr. Lombard. 13. Marchia Anconitana : xiii. Spoletan. ducatus thesaur. xiii. Spoletani ducatus
thesaurarius (15) 4, 5, 6
 theis

xiiii. Juramentorum prelatorum 14 Romandiola : rector (16) 40 xiiii. Marchie Anchonitane rector. xiiii. Marchie Anchonitane
4, 5, 6
xv. Beneven. et Sicilie 15. Romandiola : thesaurarius xv. Marchie Anconitane thesaur. xv. Marchie Anconitane
(17) 40
xvi. Sicilie locus secundus 16. Tuscia et Riparia Janue : xvi. Romandiole rector 1 xvi. Romandiole
collector (18) 8, 19
Mediolanensis, Raven. provinc.,
(19) Romanhie collector (19)
Liste I Liste II Liste III Liste IV
xvii. Sicilie tercius locus 17. Romania, Aquilegensis, xvii. Romandiole collector xvii. Romandiole
Jadrensis, Gradensis et thesaur. 1
Patracensis : collector (19) 1
xviii. Patrimonii beati Petri in 18. Aquensis provinc. : (20) xviii Tuscie et Riparie Januensis xviii. Tuscie et Riparie Januensis
Tucia collector 20 collector 8, 18, 19
xix. Patrimonii secundus locus 19. Arelatensis : collector (21) 56 xix. Romanie collector Romanie xix. Romanie
in Tucia 40
xx. Aquensis 20. Ebredunensis (22) collector xx. Aquensis collector 20 xx. Aquensis
62
xxi. Pecuniar. visitation. 21. Lugdunensis, Viennensis, xxi. Arelatensis collector 56 xxi. Arelatensis
Tharentasiensis, Bisuntinensis :
collector (23) 44

357
Alamanie 27
xxii. Turonensis 22. Coloniensis : collector (24) 34 xxii. Ebredunensis collector 67 xxii. Ebredunensis
xxiii. Burdegalensis et Agenensis 23. Treverensis : collector (25) xxiii. Lugdunensis collector 43 xxiii. Lugdunensis
xxiiii. Mortuorum clericorum 24. Maguntinensis : collector xxiiii. Coloniensis collector 34 xxiiii. Alaman.
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libri (26)
xxv. Secundus locus 25. Pragensis : collector (27) xxv. Treverensis collector 34 xxv. Coloniensis
xxvi. Tesauri depositi in Acisio 26. Polon. et Ungar. regnis : xxvi. Maguntinensis collector 34 xxvi. Treverensis
collector (28) 41
xxvii. Alammanie 27. Dacie et Norvegie regnis et xxvii. Pragensis collector 34 xxvii. Maguntinensis
Suecie : collector (29) 39
xxviii. Regestra antiqua pappalia 28. Anglie terr. et Insularum xxviii. Polonie et Ungarie xxviii. Pragensis
subditarum : collector (30) 37 collector 41
Liste I Liste II Liste III Liste IV
xxix. Castelle collector 29. Scotie et terrarum xxix. Dacie, Norvegie, et Suecie xxix. Polonie et Unguarie
subiectarum : collector (31) 38 regnorum collector 39
xxx. Portugalie 30. Rothomagensis et xxx. Anglie et Insularum xxx. Dacie, Norvegie, Suecie
Senonensis : collector (32) 44 collector
xxxi. Aragonie 31. Remensis (33) collector 54 xxxi. Scotie et partium xxxi. Anglie et Insularum
adiacentium collector
xxxii. Spoletani ducatus 32. Bituricensis (provincie) xxxii. Rothomagensis et xxxii. Scotie et partium adiacen.
quibusdam except. : collector Senonensis collector
(34) 9
xxiii. Statio secunda Spoletan. 33. Claromontensis, Mimatensis, xxxiii. Remensis collector xxxiii. Rothomagensis et
Aniciensis et Sancti Florii : Senonensis
collector (35) 11
 v a lér ie

358
xxxiiii. Colonia 34. Caturcensis xxxiv. Bituricensis collector xxxiiii. Remensis
(provincie), Castrensis,
Albiensis, Ruthenensis,
 theis

Vabrensis, Tutellensis : collector


(36) 2
xxxv. Passagii 35. Turonensis : collector (37) XII xxxv. Claromontensis collector xxxv. Bituricensis
xxxvi. Narbonensis 36. Burdegalensis : collector (38) xxxvi. Caturcensis collector xxxvi. Claromontensis
23
xxxvii. Anglie 37. Pictavensis : collector (39) xxxvii. Turonensis collector xxxvii. Caturcensis
xxxviii. Scocie 38. Xantonensis : collector (40) xxxviii. Burdegalensis collector xxxviii. Turonensis
xxxix. Dacie, Dorvie, Norvegie 39. Malleacensis : collector (41) xxxix. Pictavensis collector xxxix. Burdegalensis
et Suecie
Liste I Liste II Liste III Liste IV
xl. Romandiole 40. Lucionensis : collector (42) xl. Xantonensis collector xl. Narbonensis
xli. Polon. 41. Sarlatensis : collector (43) xli. Malleacensis collector xli. Tholosan.
xlii. Casadei 42. Condomiensis : collector (44) xlii. Lucionensis collector xlii. Baionensis
xliii. Lugdunensis 43. Engolismensis : collector (45) xliii. Sarlatensis collector xliii. Portugalie regn.
xliv. Sardinie 44. Petragoricensis : collector xliiii. Condomiensis collector xliv. Castelle regn.
(46)
xlv. Rothomagensis et 45. Agennensis : collector (47) 23 xlv. Engolismensis collector xlv. Aragon. regn.
Senonensis
xlvi. Beneven. thesaur. 46. Narbonensis : collector (48) xlvi. Petragoricensis collector xlvi. Sardinie et Corcise
36
xlvii. Secunda statio 47. Tholosan. et Auxitan. : xlvii. Agennensis collector xlvii. Venessini Comitatus

359
collector (49) 55
xlviii. Tercia statio 46. Baionensis, Vasatensis, xlviii. Narbonensis collector xlviii. Avinion.
Adurensis, Lascurensis, Olorensis
provincie Auxitanensis : collector
(50)
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xlix. Quarta statio 49. Portugalie regn. : collector xlix. Tholosanensis et Auxitanensis xlix. Avinionensis dyocesis
(51) 30 collector clavar.
l. Subsidiorum diversorum 50. Castelle regn. except. dyoc. l. Bayonensis collector l. Nicholai III script.
Calagur. que est provincie
Cesaraugustanensis : collector
(52) 29
Liste I Liste II Liste III Liste IV
li. Marescalli thes. 51. Aragon., Tarraconensis, li. Portugalie collector li. Bonifacii VIII script.
Cesaraugustanensis provincie
atque Maioricarum Insula :
collector (53) 31
lii. Urbis altariatus 52. Sardinie et Corsice : collector lii. Castelle et Legionensis lii. Clementis V script.
(54) 44 collector
liii. Johannis XXII script.
liii. Campanie thesaur. 53, 54, 55 Venayssini comitatus liii. Aragonie collector liv. Benedicti XII script.
liv. Remensis collect. rector et thesaur. et de Montilio, liiii. Sardinie et Scorcice
Carpentoraten., Tricastrin., collector
Montilii Ademari et Avisan.
lv. Tholosa rector, thesaurarius (55, 56) 60 lv. Venaysini comitatus rector lv. Clementis VI script.

360
lvi. Arelatensis 56. Urbis Alterarius, alterarius, lvi. Venaissini comitatus lvi. Innocentis VI script.
vicarius thesaurarii
lvii. Montilii Ademarii 57. Avinion. palatii expen., lvii. Avinionensis palatii expense lvii. Censuum romane ecclesie
v a lér ie theis 

civitat., curiarum (57) officiales


58, 75, 76, 77, 78
lviii. Civitatis Avinion. 58. Avinion. dioc. officia, clavar. lviii. Avinionensis clavarii lviii. Servitiorum prelatorum
secular. (58) off. clavar. (59), secular.
menescalhie tes. (60), auditor.
sigill. (61), pinhot. magister (62),
menescall. magister (63), dyoc.
clavariorum (64), beneficiorum
recept. (65), bonorum in curia d.
(66) 59, 64
Liste I Liste II Liste III Liste IV
lix. Dyocesis Avinion. 59. Antipaparum (82) scriptur. lix. Avinionensis offic. clavarii lix. Decimarum taxation.
7, 89
Bavarii (84) 7
lx. Venescini Comitatus 60. Bonifacii VIII (68) gesta 61 lx. Avinionensis thesaurarii lx. Tricesime ration.
marescalli
lxi. Recepte Bonifacii VIII 61. Clementis V (69) gesta 63, 62 lxi. Avinionensis sigilliffer. lxi. Guerrarum apostolicarum
auditor.
lxii. Ebredunensis 62. Johannis XXII (70) gesta lxii. Avinionensis magistri lxii. Hereticalium script.
64, 71 menescall.
lxiii. Clementis VI expense 63. Benedicti XII (71) gesta X, lxiii. Avinionensis magistri lxiii. Passagium ultramarinorum
69 Pinhote

361
lxiv. Palhasse 64. Clementis VI (72) gesta 63 lxiiii. Avinionensis bona lxiv. Imperialium
decedentium
lxv. Expen. pape Johannis XXII 65. Innocentii VI (73) gesta lxv. Avinionensis dyocesis lxv. Clericorum mortuorum
clavariorum
lxvi. Scriptur. ipsius 66. Nicholay III (67) gesta 90 lxvi. Beneficiorum per papam
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circa curiam receptorum


lxvii. Scripture Clementis Vti 67. Hereticorum fidei christiane lxvii. Nicholai III script.
scriptur. 80
lxviii. Sede vacante 68. Bonorum in curia lxviii. Bonifacii VIII script.
decedentium commissar. 72
lxix. Benedicti XII 69. Casedey expen. 42 lxix. Clementis V script.
lxx. Marsecallie pape 70. Deposit. Acisii (74) 26 lxx. Johannis XXII script.
Liste I Liste II Liste III Liste IV
lxxi. Fusteriorum expen. de 71. Decimar. taxation. 73 lxxi. Benedicti XII script.
tempore domini Johannis XXII
Pecuniar. visitation. 21
lxxii. Bonorum decedentium in 72. Ferrariensis 12 lxxii. Clementis VI script.
curia
lxxiii. Taxation. decimarum 73. Tricesim. (79) lxxiii. Innocentis VI script.
lxxiiii. Imperialia privilegia 74. Fustar. expen. 71 lxxiiii. Clericorum camere
mortuorum 74
lxxv. Marestalie curie 75. Lathomorum expen. 71 lxxv. Deposit. apud Acisium 5
lxxvi. Secular. curie 76. Guerrarum (80) lucris 13 lxxvi. Censuum romane ecclesie
6

362
lxxvii. Officialis curie 77. Juramentorum prelatorum 14 lxxvii. Servitiorum prelatorum 7
lxxviii. Auditor. camere 78. Censibus romane ecclesie lxxviii. Beneficiorum taxation. 8
(75) script.
v a lér ie theis 

lxxix. Theologice scripture parvi 79. Imperialibus script. 74 lxxix. Tricesime exaction. 9
valoris
Serviciorum prelatorum (76)
Taxationibus beneficiorum (78)
Inquisit. script. (81)
Librorum clericorum camere
mort. (87)
lxxx. Hereticorum et rebellium 80. Visitationibus pecuniar. 21 lxxx. Guerrarum apostolicarum x
scriptur.
Liste I Liste II Liste III Liste IV
lxxxi. Multiplices littere bullate 81. Subsidiis peccuniar. 50 lxxx. 81 Inquisitorum scriptur.
et bullande
lxxxii. Idem ut proxime 82. Passagiis (86) ultramarin. 34 lxxxi. 82 Antipaparum script.
lxxxiii. Recepte et expense 83. Regestris antiquis 28 lxxxii. 83 Templariorum script.
Johannis et Benedicti
lxxxiiii. Sacculi designati de 84. Rebellantium ecclesie script. lxxxiii. 84 Bavar. et sibi adheren.
scripturis 80
lxxxv. Scripture quasi inutiles de 85. Sacculis script. 84 lxxxiiii. 85 Passag. ultramar.
Narbona
lxxxvi. Varie scripture modic. 86. Sede vacante (89) apostolica lxxxv.86 Imperialium
utilit. 68

363
lxxxvii. Recepte et expense 87. Templariorum (83) scriptur.
Johannis 7
lxxxviii. Vetustes et inutiles 88. Decimarum (76)
scripture taxationibus 73
lxxxix. Contra Bavarium, 89. Thesaur. script. 24, 26 lxxxix. 87 Sede vacante
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Mediolan. et antipapam
xc. Bulle multe Nicholai, 90. Scriptur. antique et vetuste xc. 88 Clericorum mortuorum
Johannis et Benedicti 84, 86, 88, 89 libris
Mortuorum clericorum libris
24, 25
Marescalli thes. 51, 55
Marescallie pape 70
Liste I Liste II Liste III Liste IV
Script. minus utilibus (90)
xci. Bulle multe Johannis xci. 89 Scriptur. quasi inutilibus
Tricesima
xcii. Bulle Johannis

364
v a lér ie theis 
La città dipinta di Benedetto Bonfigli
nella cappella del Palazzo dei Priori di Perugia  1

maria rita silvestrelli


Università per Stranieri di Perugia (Italia)

A seguito della morte di Tommaso Pontano, cancelliere del Comune di Perugia


avvenuta nel luglio del 1450, si discute in Consiglio per riavere la somma di
140 fiorini ingiustamente detenuta dai suoi eredi da destinare all’ornamento
della nuova cappella dei Priori ricavata nel corpo di fabbrica del Palazzo
appena costruito:
[…] Ut ipsa capella sit splendida decora et hornata cum sit decus ornamen-
tum et speculum dicti palatii et tamquam principale menbrum dicti palatii
et locus precipuus et singularis ubi M.D.P. et quiqui nomine tam forenses
quam alii qui in dicto palatio ingrediuntur ad dictam capellam tendunt et
maxima cum delectatione et animorum voluptate ac recreatione delectatur
et conversantur. Et ad rei publice decus et singulorum hominum et predicte
civitatis honorem et gloriam tendit si dicta capella sit omni specioso decoro
ornata delectabilis et amena et etiam quia in ipsa capella quotidie divina
maiestas colitur et adoratur et divina celebrantur officia […] 2.
Il lungo, elegante preambolo, scritto dal notaio dei Priori Giacomo di
Paolo Nini, traccia le linee di quel desiderio di autocelebrazione da esibire
negli spazi del potere che la città persegue con straordinaria efficacia fin dai

1. Questo testo è dedicato a F. e M. e a San Giorgio comunque vincitore. Un ringraziamento


particolare è per Marco Folin.
2. Archivio di Stato di Perugia (= ASPg), Archivio Storico del Comune di Perugia (= ASCPg),
Consigli e riformanze, 86, c.  103rv; cfr. B.  Figliuolo, «Pontano, Tommaso», in Dizionario
Biografico degli Italiani, Roma, Istituto della Enciclopedia Italiana, 2015, t. 84, p. 744-746.
Presente a Perugia già nel 1428, è cancelliere del comune dal 1440 fino alla morte. Per l’in-
ventario dei suoi libri ed altre considerazioni sul personaggio cfr. R. Abbondanza (a cura di),
Il Notariato a Perugia. Mostra documentaria e iconografica per il XVI Congresso nazionale del
notariato (Perugia, maggio-luglio 1967), Roma, Consiglio nazionale del notariato, 1973, p. 273.

365
m a r i a r ita silv estr elli

tempi della Petra Iustitie e della Fontana Maggiore. È nel cuore del Palazzo, nel
luogo destinato alle riunioni più «segrete» dei priori, oltre che alla preghiera
e alla contemplazione, che si vuole ora riassumere e rappresentare il Buon
Governo della città 3.
L’obiettivo imponeva allora un cambiamento di indirizzi e un maggiore
dinamismo; già dall’agosto del 1449 si era nominato un nuovo cappellano il
frate domenicano Ricciardo di Antonio Chiavelli da Camerino in sostituzione
di dominus Franciscus Marci cacciato per aver violentemente ingiuriato un pri-
ore 4. Francesco di Marco era stato il successore di Egidio di Lapo di Servadio,
fedelissimo e valente cappellano che durante il suo lungo mandato si era fatto
carico della realizzazione dell’ampliamento del Palazzo dei Priori 5. I lavori ini-
ziati nel 1429 erano condotti a buon punto già nella primavera del 1437 e la
nuova imponente costruzione si compiva nel giugno del 1443, una data riferita
dalle cronache e confermata dalla ricca documentazione 6. Con questa nuova
aggiunta la mole del Palazzo continuava ad accrescere la magnificenza della
piazza, sostituendosi a strutture più antiche e irregolari. I documenti ricordano
come fin dal 1433 Bartolomeo di Mattiolo, figura di primo piano di tutti i prin-
cipali cantieri aperti in città per circa quaranta anni, fosse coinvolto in questa
fabbrica, chiamato a eseguire le finestre del palazzo con Antonio da Norcia.
Ancora un maestro perugino, Nardo Paulucci, ne costruiva le murature, in
parte già compiute nell’agosto del 1437 quando riceve dai Priori un salario di
circa 77 fiorini, da mettere in relazione con le notizie fornite dalle cronache
che ricordano come «A dì 17 maggio fu posta e murata una pietra col griffone

3. M. Ferretti, «Le rappresentazioni di città e la cappella dei Priori (qualche ipotesi di lettura)», in
M. L. Cianini Pierotti (a cura di), Benedetto Bonfigli e il suo tempo, Atti del convegno (Perugia,
21-22 febbraio 1997), Perugia, Volumnia editrice, 1998, p. 99-109.
4. Franciscus Marci è rettore della chiesa di Santa Maria del Mercato. Cfr. ASPg, ASCPg, Consigli
e riformanze, 85, c. 89v. Il 12 maggio del 1450 è ancora sottoposto a sindacato per le spese da
lui effettuate in expendio dicti Palatii circa aconcimen palatii novi et veteris e per tutto ciò che
ha amministrato (ASPg, ASCPg, Consigli e riformanze, 86, c. 47r). F. F. Mancini, Benedetto
Bonfigli. L’opera completa, Perugia, Electa, 1992, p. 86.
5. Egidio di Lapo è già cappellano nel 1417 (ASPg, ASCPg, Consigli e riformanze, 62, c. 42v) inca-
rico che detiene fino alla morte avvenuta nel 1446. S. Magliani, «L’architettura quattrocentesca
del Palazzo dei Priori: il Collegio del Cambio e i suoi artefici», in P. Scarpellini (a cura di), Il
Collegio del Cambio in Perugia, Cinisello Balsamo, Silvana, 1998, p. 45-66, in part. p. 45-47, da
ASPg, ASCPg, Consigli e riformanze, 75, c. 77v. Per la onerosa parte amministrativa era stato
affiancato da due abili mercanti, Angelus Rentii de Cantagalina e dopo la sua morte dal figlio
Lorenzo, entrambi coinvolti anche nella gestione di altri cantieri cittadini.
6. A. Fabretti (a cura di), «Cronaca della città di Perugia dal 1309 al 1491 nota col nome di Diario
del Graziani», Archivio storico italiano, 16/1, 1850, p. 418: 1443, 19 giugno, «Adì ditto fo fornito
de murare el palazzo nuovo de Priori e mierlare, el quale fu comenzato nel 1429; della qual
fabrica ne fo soprastante don Gilio de Lapo de Servedio».

366
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Fig. 1 – Perugia, la Piazza e il Palazzo dei Priori. © M. R. Silvestrelli.

intagliato nel Palazzo nuovo dei Priori 7». Giacomo di Nicola del Pelato con i
suoi aiuti si era occupato delle coperture del Palazzo (fig. 1).
Dati concreti per ricordare come già in questa impresa si afferma una mae-
stranza che interviene nel rifacimento della cattedrale di San Lorenzo, nell’ora-
torio della Maestà della Volta, all’udienza dei Notai e poco dopo anche al pro-
lungamento della navata della fabbrica di San Domenico, continuando a essere
presente con cottimi importanti nelle principali opere condotte senza sosta in
tutta la città 8. Pur nel rispetto dello stile del corpo di fabbrica precedente, vi
si osserva l’introduzione di elementi moderni come l’inserimento di finestre
quadrate e crociate nel fascione mediano della facciata: matura e si afferma uno
stile architettonico composito e ibrido, fortemente legato ai modelli gotici, ma
anche pronto a ricevere precocemente gli stimoli che Perugia sente attraverso
la presenza di artisti provenienti da Siena come Sano di Matteo, o da Firenze,
come Pagno di Lapo Portigiani, coinvolto nel cantiere della cattedrale e molti

7. ASPg, ASCPg, Consigli e riformanze, 73, c. 63v-64r; ASPg, ASCPg, Catasti, 16, c. 89v-90rv.
8. Antonio da Norcia è impegnato con Bartolomeo Mattioli e Antonio da Lugano nel rifaci-
mento della cattedrale. A. Rossi, Documenti inediti sopra alcune fabbriche perugine del XV secolo.
Duomo, Ponte Felcino, Palazzo del Capitano del Popolo, Mercatale, Perugia, Boncompagni, 1870,
in part. p. 15.

367
m a r i a r ita silv estr elli

altri cui si aggiunge la presenza diffusa e massiccia di maestranze lombarde 9. A


mettere in collegamento tutte queste personalità che contribuiscono con nuovi
apporti al rinnovamento della città, c’è la figura di Bartolomeo Mattioli che
domina di fatto la scena perugina fino alla morte 10.
Perugia guidata da figure politiche di rilievo a cominciare dal vescovo Andrea
Giovanni Baglioni – è il tempo della criptosignoria di Braccio Baglioni – rac-
coglie le sue forze e trasforma i suoi spazi più importanti. Poi già dalla metà
degli anni ‘50, compiuto una prima grande tranche di lavori che ha investito le
fabbriche maggiori e più rappresentative, apre la gara a commissioni memora-
bili che impreziosiscono così chiese e palazzi di recente fondazione.
Su consiglio di molti nobili cittadini che ne mettono in rilievo le qualità di
uomo virtuoso, onesto e di ottimo «ingegno» si elegge così il nuovo cappellano
fra Ricciardo che rimarrà in carica per i successivi tre anni. Nel 1447 gli era
stato affidato il compito di realizzare due organi per la cattedrale per la cui
sistemazione si erano interpellati i due maestri del legno Paolino da Ascoli e
Apollonio da Ripatransone 11 ed era già stato maestro dell’orologio di palazzo,
dunque noto come esperto «maestro di metalli 12». Consapevole dell’estrema
importanza che si vuole conferire a questo spazio, s’impegna in tutti i modi
per farne quello scrigno prezioso, specchio di tutto il Palazzo e dunque della
città che i Priori desiderano.
Nel corso del primo anno del suo mandato non tutto scorre liscio e si
registrano diversi mutamenti. È il caso di Nicolò Teutonico con bottega in
Porta Marzia; lo stesso Ricciardo gli aveva affidato l’esecuzione dell’altare ma
non avendo rispettato i tempi e avendo usato un legname inadatto e di scarsa

9. A.  Rossi, «Sano di Matteo, architetto e scultore senese in Perugia», Giornale di erudizione
artistica, 3, 1874, p. 243-246.
10. P.  Matracchi, «La diffusione delle chiese a sala a Perugia: l’edificazione della cattedrale di
San Lorenzo coeva al San Domenico», in G. Rocchi Coopmans de Yoldi, G. Ser Giacomi (a
cura di), La Basilica di San Domenico di Perugia, Perugia, Quattroemme, 2006, p. 121-139;
M. R. Silvestrelli, «La Maestà della Volta», in A. Calzona, M. Ceriana (a cura di), Per un nuovo
Agostino di Duccio. Studi e documenti, Verona, Scripta/Centro Studi Leon Battista Alberti
(Bonae Artes; 1), 2012, p. 207-226, in part. p. 213-214.
11. A. Rossi, «Giunte ai maestri d’organi e di legname», Giornale di erudizione artistica, 3, 1874,
p. 278-285, in part. p. 278-281. Ricciardo Chiavelli è fratello di Arcangelo Chiavelli e docu-
mentato a Camerino, cfr. M. Mazzalupi, «Il volto del traditore. Documenti per Arcangelo
Chiavelli alias Arcangelo di Fiordimonte», in G. De Rosa (a cura di), I monti azzurri. A Pier
Luigi Falaschi per il suo ottantesimo compleanno, Ariccia, s. n., 2015, p. 263-275. F. Coltrinari,
«Apollonio da Ripatransone, Tommaso di Antonio da Firenze e la tradizione lignaria ascolana
del Quattrocento: cori e intagli fra Perugia, Assisi e le Marche», in P. Dragoni (a cura di),
Percorsi. Studi per Eleonora Bairati, Macerata, EUM, 2009, p. 117-140, in part. p. 125, n. 24.
12. ASPg, ASCPg, Conservatori della moneta, 81, c.  7v, 1448, luglio  31, Iannes Arigi theotonicus
substitutus loco fratris Ricciardi de Camereno gubernatoris horilogii civitatis Perusii 10 fiorini.

368
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

qualità, sarà invitato senza mezzi termini a smontare l’opera e a rimuoverla


definitivamente dal palazzo 13.
Si era poi proceduto alla realizzazione del «celo», un prezioso e costoso
soffitto ligneo dorato e argentato con riquadri alternati con un grifo e una stella
d’oro brunito 14. L’opera era stata affidata a Giovanni di Tommaso Crivelli,
Melchiorre di Matteo e Leopardo Raggi, una compagnia di artisti ancora legati
alla stagione del gotico internazionale ma già in stretto contatto anche con
coloro che diverranno gli esecutori principali delle decorazioni della cappella.
Giovanni di Tommasino Crivelli è documentato insieme a Bonfigli fin dal
1441 e Melchiorre di Matteo, che aveva condiviso la bottega con Pellegrino
di Giovanni, sarà accanto a Iacopo di Marino detto il Cavalla al momento
della realizzazione del pavimento di terracotta invetriata, affidatogli prima del
maggio del 1455 15. La decorazione del soffitto è già conclusa nel luglio del
1451 quando Mariano d’Antonio e Ottaviano di Lorenzo ne pronunciano il
lodo. Si tratta di una testimonianza preziosa che ricorda la collaborazione
tra Bartolomeo Caporali e Benozzo Gozzoli che hanno partecipato a questa
impresa 16. Potrebbe collocarsi non lontano da questo momento anche il ben
noto disegno di Benozzo Gozzoli con l’Assedio di Totila a Perugia (Firenze,
Gabinetto Disegni e Stampe degli Uffizi, 333 E) ritenuto per le sue caratteri-
stiche una prova da concorso, sebbene non siano fin qui noti i preliminari per
l’affidamento di tutta la decorazione ad affresco della cappella 17.

13. ASPg, ASCPg, Consigli e riformanze, 86, c.  75r. G.  Cristofani, «Per la storia dell’Arte del
legname nell’Umbria», Augusta Perusia, 3/1-2, 1908, p.  8-9. ASPg, ASCPg, Consigli e rifor-
manze, 86, c. 75r. S. Cavatorti, Giovanni Teutonico. Scultura lignea tedesca nell’Italia del secondo
Quattrocento, Passignano sul Trasimeno, Aguaplano, 2016, p. 56.
14. Residui di lamina metallica sono ricordati nell’inventario della sacrestia. ASPg, ASCPg,
Consigli e riformanze, 90, c. 104r: unum fogliatello argenti residui celi capelle nove palatii domi-
norum Priorum.
15. M.  R.  Silvestrelli, «Vite di artisti a Perugia al tempo della formazione di Pintoricchio», in
V. Garibaldi, F. F. Mancini (a cura di), Pintoricchio, catalogo della mostra (Perugia e Spello, 2008),
Cinisello Balsamo, Silvana, 2008, p. 27-37, in part. p. 28-29. G. Strack, «Ein Rektoratsprozeß
in Perugia 1442/43 und die Zusammenarbeit der Maler Benedetto Bonfigli und Giovanni di
Tommasino Crivelli», Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 90,
2010, p. 464-469. T. Biganti, «Le decorazioni ceramiche», in F. F. Mancini (a cura di), Il Palazzo
dei Priori di Perugia, Perugia, Quattroemme, 1997, p. 327-335, in part. p. 334, n. 23.
16. ASPg, ASCPg, Notarile, Bastardelli, 328, c. 66r. Mariano d’Antonio detiene una delle botteghe
più importanti della città: M. R. Silvestrelli, «Bartolomeo and Giapeco Caporali», in S. N. Fliegel
(a cura di), The Caporali Missal: a Masterpiece of Renaissance Illumination, catalogo della mostra
(Cleveland Museum of Art, 2013), Cleveland, Cleveland Museum of Art, 2013, p. 35-49.
17. L. Melli, «Il disegno per Benozzo», in B. Toscano, G. Capitelli (a cura di), Benozzo Gozzoli.
Allievo a Roma, maestro in Umbria, catalogo della mostra, Cinisello Balsamo, Silvana, 2002,
p. 117-129.

369
m a r i a r ita silv estr elli

Anche l’esecuzione della residenza lignea della cappella dei Priori è stata ini-
zialmente commissionata a un altro maestro – Gaspare di Iacopo da Foligno –
che ha comunque iniziato l’opera e che vi lavora nei mesi precedenti fino al
saldo finale del 10 di ottobre del 1452 18. Il giorno prima, infatti, Ricciardo ha
stipulato un nuovo contratto con Paolino da Ascoli che prevede l’esecuzione
di ventidue seggi per il prezzo di 16 fiorini ciascuno secondo el desegno già facto
o veramente megliore e più bello che è presso di lui 19.
Seguendo le annotazioni del cappellano per la sua realizzazione si ha un’idea
dell’incalzare serrato del lavoro. Il contratto è stato infatti preceduto dalla
ricerca accanita di Paolino raggiunto nel mese di giugno a Recanati da un
messo comunale e già definito maestro del Coro 20. Fra Ricciardo, come da
contratto, si è poi impegnato nella scelta dei legni pregiati per le tarsie, giunti
da Ancona, Città della Pieve, Cortona, Città di Castello, Isola Maggiore del
Trasimeno. Lo stesso maestro Paolino e i suoi «compagni» sono andati a cer-
care legname nero «per lu choro» anche negli immediati dintorni della città
scendendo a Ponte Pattoli verso il Tevere 21; ogni più minuta registrazione rac-
conta gli scambi della città con il suo territorio idealmente e concretamente
«condotto» in questo spazio (fig. 2-3).
Intanto nel novembre del 1454 era subentrato a Ricciardo Chiavelli, seb-
bene fosse stato riconfermato nell’aprile precedente, Bartolomeo di maestro
Rachamino da Siena, che aveva ottenuto l’incarico grazie all’appoggio di Pietro
da Noceto segretario del papa Niccolò V 22. Una nomina certo ben meditata

18. ASPg, ASCPg, Cappella dei Priori, 1, c. 14v. Il disegno del coro è fatto da maestro Antonio
orefice, ibid.: «Adì 2 de maggio pagai ad maestro Antonio orefice lu quale fece el designo del
cuoro e dello inginocchiatoio denanti e della porta della cappella del palazzo l.5».
19. Il prezzo complessivo sarà di 352  fiorini. Per il contratto cfr. A.  Rossi, Maestri e lavori di
legname in Perugia nei secoli XV e XVI, Perugia, Boncompagni, 1873, p. 4-5. Il coro attuale
di soli 11  pezzi è frutto di un largo restauro eseguito nel 1906-1907 da Wenceslao Moretti
su disegno di Francesco Moretti allora direttore della Galleria. F. Santi, Galleria Nazionale
dell’Umbria. Dipinti, sculture e oggetti dei secoli XV-XVI, Roma, Poligrafico e Zecca dello Stato,
1985, p. 265-266; G. Benazzi, «Gaspare di Jacopo da Foligno, Paolino di Giovanni da Ascoli.
Residenze lignee della cappella dei Priori», in C.  Bon Valsassina, V.  Garibaldi (a cura di),
Galleria Nazionale dell’Umbria. Dipinti, sculture e ceramiche: studi e restauri, Firenze, Arnaud,
1994, p. 204-205.
20. ASPg, ASCPg, Cappella dei Priori, 1, c. 8r.
21. Si ricordano anche pagamenti per argento e cinabro nel giugno del 1454. Su Paolino da Ascoli,
cfr. F. Coltrinari, «Apollonio da Ripatransone…», op. cit., p. 125, n. 24.
22. Tam suis virtutibus quamquam precibus magnifici viri domini Petri de Noxeto domini nostro pape
secretario. Bartolomeo sarà riconfermato cappellano il 25 maggio del 1456 per i successivi due
anni, ma solo un mese dopo verrà rimosso dalla carica per dissidi intercorsi con i Priori e al
suo posto sarà eletto Uguccione Fatii. ASPg, ASCPg, Consigli e riformanze, 92, c. 58r e ibid.,
c. 73r. A. Caleca, «Benedetto Bonfigli e Roma», in M. L. Cianini Pierotti (a cura di), Benedetto
Bonfigli e il suo tempo, op. cit., p. 77-78.

370
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Fig. 2 – Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori,


veduta d’insieme. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

Fig. 3 – Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori, verso il 1907
(da R. Gigliarelli, Perugia Antica e Moderna, Perugia,
Unione Tipografica Cooperativa, 1907, p. 618).

371
m a r i a r ita silv estr elli

che riporta in primo piano l’influenza politica del legato pontificio e i legami
della città con il raffinato ambiente umanistico della corte papale 23.
1454 novembre 5
Al nome de Dio et della Vergine Maria et di tucta la celestiale corte del
paradiso e principalmente delli gloriosissimi appostoli sancto Pietro e
sancto Paulo e delli sanctissimi martiri San Lorenzo e sant’Ercolano
io ser Bartholomeo de maestro Rachamino da Siena rectore de sancto
Donato de Perugia et cappellano delli magnifici signori priori delle arti
eletto al tempo di Biordo de Fioravante dal 5 di novembre scriverò tutte
le spese che farò per la cappella e per il palazzo. Perché da questo giorno
comincia il mio salario.
Pochi giorni dopo, il 2 dicembre successivo, in un memorabile contratto,
Bartolomeo da Siena affida metà della decorazione della cappella a Benedetto
Bonfigli, riconosciuto come l’interprete più alto dell’Umanesimo perugino 24.
Il pittore dovrà dipingere sopra l’altare la Crocifissione con la Vergine e san
Giovanni, san Ludovico e sant’Ercolano e «nella dicta mezza capella che remane
se ponga la storia de sancto Ludovicho».
Ad opera finita sono tre i maestri indicati che dovranno essere chiamati
a esprimersi sul suo lavoro: «El frate del Carmine, mastro Domenecho da
Vinegia e el frate da Fiesole». La posta è alta, evoca già il capolavoro.
Bonfigli dotato di una sua spiccata e raffinata declinazione poetica allestisce
la sua decorazione componendo le scene entro spazi conosciuti, minutamente
descritti e carichi di allusioni delimitati da eleganti fascioni. Il lavoro è comunque
iniziato e se ne trova concreta conferma tra maggio e il 6 di giugno: «El Rosso
aquarino de avere per aqua che ha portato su nella cappella per intridare calcina
a Benedecto pentore 25». Se resta incerta l’esecuzione dell’affresco dell’altare fatto
comunque subito oggetto di varie attenzioni 26, le indicazioni contrattuali che
impongono di inserire nella Crocifissione Ercolano e Ludovico chiariscono che
tutto il programma iconografico è già stabilito 27. L’accostamento del d­ efensor

23. Il richiamo all’importanza delle relazioni con gli Osservanti e con altri personaggi politici è
già in S. Miccolis, «L’arco di Costantino e i Turchi nella pittura italiana del Quattrocento»,
Belfagor, 53, 1998, p. 277-296, che identifica Bartolomeo di Maestro Rachamino con Bartolomeo
Mariani Buonsignori compagno di san Bernardino da Siena e personaggio notissimo.
24. B. Toscano, «La pittura in Umbria nel Quattrocento», in La pittura in Italia. Il Quattrocento,
Milano, Electa, 1987, t. 2, p. 355-383, in part. p. 368.
25. L. Mazzerioli, «Documenti», in F. F. Mancini, Benedetto Bonfigli. L’opera completa, op. cit., p. 153.
26. ASPg, ASCPg, Cappella dei Priori, 2, c. 73r: «Batista de maestro Guaspare pentore de avere
uno panno depento da altare do sta depento el crocifixo et nostra Donna et sancto Giovanni
adì 29 febbraio, 7 fiorini 35 ss».
27. Le due finestre di vetro saranno dipinte nel 1461 dallo stesso Bonfigli con le figure di san Lorenzo
e san Costanzo gli altri due patroni della città. L. Mazzerioli, «Documenti», op. cit., p. 156.

372
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

c­ ivitatis (Ercolano) e dell’antico patrono del Palazzo (Ludovico), sarà puntual-


mente ripreso sulla facciata dell’Oratorio di San Bernardino di Agostino di
Duccio terminata nel 1461, a cui farà seguito nel febbraio successivo il lodo di
Benedetto Bonfigli e Angelo di Baldassare 28. La sua costruzione favorita anche da
un’indulgenza concessa da Niccolò V, era stata iniziata su impulso del perugino
fra Angelo del Toscano divenuto generale dell’Ordine nel 1453, benevolmente
condiscendente ai culti comunali tanto da donare ai Priori della città l’unghia di
un grifone preziosamente montato, «reliquia» singolare che si diceva avesse rice-
vuto dal re di Francia, e gelosamente conservata insieme all’argenteria di Palazzo 29.
Per il santo angioino la devozione è antica. A Ludovico era infatti dedicata
fin dalle origini la cappella di palazzo in omaggio all’alleanza della città con
la casa d’Angiò 30. A Perugia il suo culto non era mai venuto meno e il 19 di
agosto, giorno della sua morte, se ne celebrava la festa presso la chiesa di San
Francesco, dove c’era una cappella a lui dedicata e dove erano presenti anche
storie del santo come sembra testimoniare un affresco frammentario molto
mal conservato, oggi nei depositi della Galleria Nazionale dell’Umbria 31. Vi
si rappresenta la Guarigione di una fanciulla con la figura del giovane santo
vescovo guantato che scende dal cielo avvenuta al cospetto di vari personaggi
fra cui dei frati 32. A partire dall’agosto del 1441 un nuovo ordinamento aveva

28. P. Mercurelli, «I francescani e l’oratorio di San Bernardino», in V. Garibaldi (a cura di), Un


pittore e la sua città. Benedetto Bonfigli e Perugia, Milano, Electa, 1996, p. 138-147.
29. Pompeo Pellini, Dell’Historia di Perugia, Venezia, Appresso Gio. Giacomo Hertz, 1664, t. 2,
p. 609: «Al 1453 di cui si legge che donasse al communo di Perugia un ungna di griffone disse
averla avuta in dono dal Re di Francia e perché quella ugna era di finissimo argento intessuta
ordinò il Magistrato che tra gli altri argenti di palazzo si mettesse per man de notaro come
di tutti gli altri argenti si fa l’inventario». A. Fantozzi, «De fra Angelo Christophori Perusino
Ministro Generali Ordinis documenta (1413-1453)», Archivum Franciscanum Historicum, 11,
1918, p. 132-205, in part. p. 197-198; R. Staccini, «Vivere da Priori», Bollettino della Deputazione
di Storia Patria per l’Umbria, 101/2, 2004, p. 281-295, in part. p. 292.
30. M.  R.  Silvestrelli, «L’edilizia pubblica del Comune di Perugia: dal “Palatium comunis” al
“Palatium novum populi”», in Società e istituzioni dell’Italia comunale: l’esempio di Perugia
(secoli  XII-XIV), Atti del Congresso Storico Internazionale (Perugia, 6-9  novembre 1985),
Perugia, s. n., 1988, t. 2, p. 482-604, in part. p. 600-601. Nel 1325 si ricorda l’offerta di nove
palii di seta al rettore della chiesa di San Ludovico, nella cappella dei Priori a palazzo (ASPg,
ASCPg, Consigli e riformanze, 25, c. 17r) e anche il pagamento della cera necessaria alla proces-
sione in festo Sancti Ludovici. L’intitolazione della cappella priorale in una data così prossima
alla canonizzazione del santo avvenuta il 7 aprile del 1317, assume un forte significato politico.
31. V. Garibaldi, Galleria Nazionale dell’Umbria. Dipinti e sculture dal XIII al XV secolo, catalogo
generale I, Perugia, Quattroemme, 2015, p. 220-221.
32. La cappella divenuta poi dei Baldeschi esisteva prima del 1390, cfr. L. Teza, «Artisti nella cap-
pella Baldeschi in San Francesco al Prato a Perugia: Domenico di Nicolò “dei Cori”, Agostino
di Duccio, Vincenzo Danti», in C. Frova, M. G. Nico Ottaviani, S. Zucchini (a cura di),
VI centenario della morte di Baldo degli Ubaldi: 1400-2000, Perugia, Università degli Studi di
Perugia, 2005, p. 129-169. V. Borgnini, «La chiesa di San Francesco al Prato in Perugia: vicende
costruttive e conservative dell’edificio e delle sue opere d’arte», Bollettino per i beni culturali

373
m a r i a r ita silv estr elli

dato un forte impulso alla celebrazione del santo con una solenne processione
e luminaria che dalla cappella di Palazzo doveva raggiungere la chiesa dei con-
ventuali di San Francesco al Prato e doveva essere condotta come quella che
già si celebrava per la festa di san Pietro martire; il provvedimento era vigoro-
samente riconfermato nel 1445 e ancora nel 1456.
Tutto il decennio segnato dal passaggio di Bernardino da Siena a Perugia
e poi dalla sua morte e dalla canonizzazione, accresce considerevolmente l’in-
fluenza degli Osservanti in città con la presenza continua di illustri france-
scani in stretto contatto con la classe dirigente locale che abbraccia e sostiene
momenti d’intenso trasporto popolare suscitati da predicatori travolgenti come
Giovanni da Capestrano, presente a Perugia nel 1445, anno in cui si veste sulla
pubblica piazza un gran numero di scolari forestieri e cittadini. È il momento
in cui si fonda lo Studium di Monteripido e la Compagnia di San Gerolamo.
Si susseguono a ritmo serrato e anche a distanza, episodi rappresentativi che
toccano la città e vedono protagoniste persino figure femminili di ceto elevato.
È il caso di Battista, figlia di Benedetto Barzi celebre professore di Diritto a
Ferrara che proprio in quella città, nel 1446, indossa l’abito delle clarisse di
povera vita con grave dolore da parte della famiglia. Toccanti sono le parole
del padre in una lettera inviata a Perugia al fratello Angelo, coinvolto quest’ul-
timo in prima persona ai lavori del palazzo priorale 33. «E oggie 13 gennaio .x.
se sonno vestite frati de l’Osservanza per le prediche de fra Iacomo, el quale
volesse Dio mai non fusse venuto qua.» Perentoria e incisiva giunge la risposta
di Giovanni da Capestrano diretta proprio a Angelo Barzi: «Non de meno da
Dio l’omo non se po reparare 34».
Ancor più trascinante due anni dopo è la presenza in città del giovane
Roberto da Lecce che organizza in piazza una spettacolare rappresentazione
della Passione di Cristo, che provoca ancora numerose vestizioni, fra le quali
anche quella di Giacomo Oddi, l’autore della Franceschina, testo dove si trac-
cerà anche una lunga biografia di Ludovico d’Angiò 35.

dell’Umbria, 7/4, 2011, p. 65, riporta la descrizione dell’affresco fatta prima dello stacco: «In alto
nell’apposto lato mirasi un miracolo di san Ludovico Vescovo in che si scorge una giovinetta su
un feretro per virtù del santo tornata in vita. Composizione ricca di 10 figure», che permette
così di identificare l’affresco con quello conservato nei depositi della Galleria Nazionale.
33. ASPg, ASCPg, Cappella dei Priori, 2, c. 17v, 1456 marzo 18: «[…] Angelo Barzi e dompno
Bartolomeo cappellano cappelle palatii deputatis super reparatione muralii dicte capelle
vighore legis», fol. 100.
34. U. Nicolini, «Motivi per una cronaca di sette secoli», in Francescanesimo e società cittadina:
l’esempio di Perugia, Perugia, Università di Perugia, 1979, p. XI-LXXI, in part. p. XXVIII-XXXI.
35. BAP (Biblioteca Augusta Perugia), ms. 1238, c. 136-140. N. Cavanna (a cura di), La Franceschina.
Testo volgare umbro del secolo XV scritto dal P. Giacomo Oddi di Perugia, Firenze, Olschki, 1931.

374
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Un’eco di questi eventi e del clima in cui essi maturano sembra di poter
cogliere allora nella prima scena del ciclo dipinto dove si vede la vestizione
di san Ludovico per opera del generale dell’Ordine fra Giovanni da Murro,
mentre è pronto per lui il galero verde da vescovo di Tolosa (fig. 4). La figura di
Ludovico, punto focale della composizione, è tutta protesa verso l’alto, con le
braccia sollevate e a mani giunte già trascende la terrestrità, evocando il gesto del
sacerdote al momento della consacrazione eucaristica, vista la ­contiguità della
rappresentazione con l’altare della cappella. Santus Lodovicus rex Fra(ncorum) si
legge sull’aureola dorata, quasi una corona (fig. 5). Il messaggio immediato e più
percepibile che bene si confrontava con quanto era avvenuto in tempi recenti
anche in città, era proprio l’abbandono del potere e il disprezzo delle ricchezze
da parte del giovane sovrano. Una rinuncia che si compiva con la benedizione di
Bonifacio VIII e alla presenza di altri personaggi rappresentati di spalle al santo;
in uno di essi, coperto con un cappuccio scuro si è voluto riconoscere il padre
Carlo II d’Angiò che volge lo sguardo altrove, manifestamente contrario 36. La
scena si svolge in un’ampia sala dal soffitto a cassettoni decorato e delimitato
da colonne costruite con fasce di pietra bianche a rosa, un portico che si chiude
con due porte sulle cui lunette compaiono le figure dei santi Pietro e Paolo, e ai
lati un’Annunciazione e un santo vescovo (lo stesso san Ludovico?). Le imposte
lignee sono intagliate a fioroni. Una di esse si apre verso un cielo luminoso.
Sebbene non sia possibile fare alcun riferimento preciso a un ambiente oggi
conosciuto, la bicromia delle colonne rammenta fabbriche perugine, dal portico
del Palazzo dei Priori o a quello della Maestà delle Volte 37. Sulla parete lunga,
punto di osservazione privilegiato dei priori e dei convenuti seduti nei preziosi

36. Ludovico aveva preso segretamente i voti nel dicembre del 1296, ma la cerimonia pubblica
si ebbe il 5 febbraio del 1297, festa di Sant’Agata. Nella chiesa perugina di S. Agata si con-
servano affreschi con l’immagine del santo. Per un repertorio iconografico vedi M. Roncetti,
«Iconografia ludoviciana. Nuovi successi della ricerca sul santo angioino», in Bollettino della
Deputazione di Storia Patria per l’Umbria, 107/1-2, 2010, p. 383-394 (con bibliografia).
37. Sulle vedute urbane e la vicenda critica vedi principalmente: W.  Bombe, «Die Tafelbilder,
Gonfaloni und Fresken des Benedetto Bonfigli», Repertorium für Kunstwissenschaft, 32, 1909,
p. 231-246; F. Santi, «Decorazione della cappella dei Priori», in id., Galleria Nazionale dell’Um-
bria. Dipinti, sculture e oggetti…, op. cit., p. 46-51 (con bibliografia); F. F. Mancini, Benedetto
Bonfigli. L’opera completa, op. cit., p. 86-105 (con bibliografia); id., «Benedetto Bonfigli», in
C. Bon Valsassina, V. Garibaldi (a cura di), Galleria Nazionale dell’Umbria. Dipinti, sculture e
ceramiche…, op. cit., p. 185-198; E. Lunghi, «Appunti per la storia urbanistica di Perugia negli
affreschi della cappella dei Priori», in V. Garibaldi (a cura di), Un pittore e la sua città…, op. cit.,
p. 96-105; id., «Luoghi e santi di Perugia negli affreschi di Bonfigli della cappella del Palazzo dei
Priori», in R. Mencarelli (a cura di), I lunedì della Galleria. Atti delle conferenze maggio-giugno/
ottobre-novembre 1995, Perugia, Quattroemme, 1996, p. 7-14. M. Ferretti, «Le rappresentazioni
di città…», op. cit.; V. Garibaldi, «Cappella dei Priori», in ead., Galleria Nazionale dell’Umbria.
Dipinti e sculture…, op. cit., p. 431-441 (con bibliografia). Gli affreschi di Bonfigli sono poi
continuamente utilizzati e analizzati per la ricostruzione dei singoli monumenti rappresentati.

375
m a r i a r ita silv estr elli

Fig. 4 – Benedetto Bonfigli, Vestizione di san Ludovico da Tolosa.


Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori,
Galleria Nazionale dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

376
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Fig. 5 – Benedetto Bonfigli, Vestizione di san Ludovico da Tolosa (part.).


Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori,
Galleria Nazionale dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

postergali, trovano posto due miracoli, quello del mercante di Marsiglia, e il


più incerto Risanamento di Giovanni primogenito del re di Francia Filippo VI  38.
Il Miracolo del Mercante di Marsiglia è raccontato isolando cinque episodi
(fig. 6), con la scena della tempesta caratterizzata dalla gran nave in pericolo
dove i marinai cercano di ammainare le vele, e gettano le merci per alleggerirla,
mentre il mercante è in preghiera a richiedere l’intervento di san Ludovico
che appare entro un disco di luce composto di tre cerchi concentrici, otte-
nuti con attenta tecnica 39. La sua comparsa, come un sole fra grevi nuvole
addensate, illumina il cielo oscurato dalla burrasca. La narrazione continua
con la figura del pescatore seduto sullo scoglio visto di spalle mentre compie
la pesca «miracolosa». Guizza ancora nel mare il pesce che ha inghiottito il
denaro perduto dal mercante. Raggiunta la riva, il pescatore con le sue prede
preziose riceve il denaro dal mercante che compra il pesce per farne dono al
più vicino convento dei francescani in segno di ringraziamento. Evocando

38. F. F. Mancini, Benedetto Bonfigli. L’opera completa, op. cit., p. 93-94.


39. P.  Passalacqua, «La tecnica della pittura murale dei dipinti nella cappella dei Priori», in
V. Garibaldi (a cura di), Un pittore e la sua città…, op. cit., p. 106-113, in part. p. 106.

377
m a r i a r ita silv estr elli

Fig. 6 – Benedetto Bonfigli, Miracolo del Mercante di Marsiglia. Perugia, Palazzo


dei Priori, Cappella dei Priori, Galleria Nazionale dell’Umbria.
© Galleria Nazionale dell’Umbria.

nella sua dinamica narrativa il Tributo di Masaccio al Carmine, il racconto


si conclude sotto a un pergolo fortemente scorciato dove stanno nascendo i
nuovi virgulti; al momento dell’apertura del pesce avviene l’evento miracoloso
con il ritrovamento del denaro perduto, fra lo stupore degli astanti e dello
stesso mercante 40.
Marsiglia sullo sfondo diviene Perugia, evocata dalle sue tante torri, ma
soprattutto con la puntuale rappresentazione di una chiesa tipicamente peru-
gina dalla semplice facciata a capanna sormontata da un campaniletto a vela;
accanto sorge l’antico campanile di San Pietro affiancato dalla veduta posteriore
della chiesa di San Domenico, con la grande vetrata absidale e le quattro cap-
pelle laterali anch’esse dotate di vetrate dipinte, un punto di vista ancora oggi
ben identificabile per chi raggiunga la città dalla via di San Gerolamo (fig. 7-8).
La presenza della chiesa dei domenicani, vera emergenza architettonica
della città che proprio in questi anni vedeva realizzarsi interventi consistenti
come il prolungamento della navata, rappresentava un chiaro omaggio a una

40. Chronica XXIV Generalium Ordinis Minorum (1209-1374), in Analecta Franciscana, 3, 1897, in
part. p. 451-452.

378
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Fig. 7 – Benedetto Bonfigli, Miracolo del Mercante di Marsiglia


(particolare con la parte posteriore della chiesa di San Domenico e l’antico
campanile di San Pietro). Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori,
Galleria Nazionale dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

Fig. 8 – Perugia, veduta posteriore della basilica di San Domenico.


© M. R. Silvestrelli.

379
m a r i a r ita silv estr elli

delle fabbriche più caratterizzanti del panorama urbano, oltre a rivestire un


punto di riferimento costante per il pittore che in questo quartiere aveva vis-
suto episodi difficili della sua vita. Era il 1429 e dictus Benedictus accederet
ad ecclesiam sancti Dominici causa audiendi missam ma passando accanto alla
bottega del fabbro Mariotto di Cecco ne aveva subito grave violenza 41. San
Domenico resterà la sua chiesa per l’intero corso della sua vita destinandole il
suo patrimonio personale e dove al momento di dettare le sue ultime volontà
con puntigliosa precisione, indicherà il luogo della sua sepoltura: «in introitu
porte dicte ecclesie que dicitur la porta del castellano 42».
Va anche ricordato che l’ordine dei domenicani era da sempre l’agente del
papato nelle grandi città e la sua influenza a Perugia non era certo venuta meno
in questi anni, come rivela anche la scelta del domenicano Ricciardo Chiavelli;
né va dimenticato che verso questa chiesa si dirige annualmente tutta la città
essendo il punto di arrivo della luminaria di sant’Ercolano, oltre che luogo di
sepoltura di potenti famiglie di antica nobiltà e ininterrotto prestigio, come i
Graziani, i Bontempi, i Guidalotti e di numerose altre che contribuivano in
ogni modo anche alla crescita dell’insediamento 43.
Il Miracolo del Mercante di Marsiglia sembra essere un soggetto particolar-
mente gradito a un vasto gruppo di potenti mercanti alcuni dei quali, legatis-
simi ai francescani, si occupavano delle più importanti commissioni pubbliche
e private. È il caso di Tommaso di Lucalberto domini Francisci la cui cappella
di famiglia dove vorrà essere sepolto con l’abito francescano si trova proprio
in San Francesco al Prato; sarà lui a versare a Benedetto Bonfigli il 5 novembre
del 1455 per conto del cappellano dei priori, 10 fiorini per parte del pagamento
degli affreschi della cappella 44. Anche Felice di Matteo degli Alessandri, già
designato fra coloro che dovevano scegliere il luogo per la costruzione della

41. A. M. Sartore, «Per Benedetto Bonfigli e Mariano d’Antonio: nuovi documenti», in V. Garibaldi
(a cura di), Un pittore e la sua città…, op. cit., p. 23-24.
42. Già indicata come luogo di sepoltura nel primo testamento del 1463, cfr. F. F. Mancini, «La
formazione di Benedetto Bonfigli (e alcune considerazioni sulla pittura tardogotica a Perugia)»,
in M. L. Cianini Pierotti (a cura di), Benedetto Bonfigli e il suo tempo, op. cit., p. 59-74, in part.
p. 69, n. 1. L. Manzoni, «Ricerche sulla storia della pittura in Perugia nel secolo XV», Bollettino
della Regia Deputazione di Storia Patria per l’Umbria, 6/1, 1900, p.  313-316. L.  Mazzerioli,
«Documenti», op. cit., p. 178-179.
43. Sulla storia del complesso di San Domenico, vedi ora G. Rocchi Coopmans de Yoldi, G. Ser
Giacomi (a cura di), La Basilica di San Domenico di Perugia, op. cit.; M. R. Silvestrelli, «Perugia
al tempo di Gentile. Artisti, botteghe, committenti», in A. De Marchi (a cura di), Intorno a
Gentile da Fabriano e a Lorenzo Monaco. Nuovi studi sulla pittura tardogotica, Atti del convegno
(Fabriano, Foligno, Firenze, 31 maggio-3 giugno 2006), Livorno, Sillabe, 2007, p. 169-186.
44. Cfr. F. F. Mancini, Benedetto Bonfigli. L’opera completa, op. cit., p. 153. S. Tarquinio, «I docu-
menti della cappella dei Priori», in V. Garibaldi (a cura di), Un pittore e la sua città…, op. cit.,
p. 86-89.

380
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Fig. 9 – Benedetto Bonfigli, Risanamento di Giovanni primogenito del re


di Francia Filippo VI (?). Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori,
Galleria Nazionale dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

cappella di San Bernardino in Duomo, nel 1469 sarà uno dei dieci camerari
eletti a stipulare con Benedetto Bonfigli la convenzione per il completamento
delle pitture della cappella dei priori 45. Altro influente personaggio molto legato
all’ordine è Contolo di Francesco Ansidei di Catrano, a più riprese notaio dei
priori sono noti i suoi rapporti con Angelo del Toscano e con Roberto da
Lecce, difensore in una causa interminabile di Mariano d’Antonio cui affida
l’esecuzione di un dipinto con storie di san Bernardino per la sua cappella in
Duomo 46. Sono forse costoro a partecipare alla definizione del programma
iconografico di tutta la cappella.
La terza scena del ciclo così lacunosa rende difficile l’identificazione del
soggetto (fig. 9). La critica è discorde. Ettore Ricci riteneva fosse il miracolo
del fanciullo travolto da un cavallo e resuscitato grazie alle preghiere rivolte a
san Ludovico ricordato nella Cronaca dei XXIV Generali 47. Più recentemente

45. A.  Fantozzi, «Documenta perusina de S.  Bernardino senensi», Archivum Franciscanum
Historicum, 15, 1922, p. 103-154, in part. p. 148-149.
46. M.  R.  Silvestrelli, «Genealogia di Bernardino di Betto. Perugia tra il 1450 e il 1480», in
P. Scarpellini, M. R. Silvestrelli, Pintoricchio, Milano, Motta, 2004, p. 28.
47. Chronica XXIV Generalium Ordis Minorum…, op. cit., p. 446-454.

381
m a r i a r ita silv estr elli

vi si è voluto riconoscere il Risanamento di Giovanni primogenito del re di


Francia Filippo VI 48. La scena mostra un’eccezionale raffigurazione dell’arco
di Costantino, la prima che si conosca nella pittura italiana 49. E’ senza dubbio
un richiamo a Roma, al «primato di Pietro e all’unicità e universalità della
chiesa di Cristo 50».
Certamente si deve dare una lettura politica alla scelta fatta, il binomio
Roma – Perugia che compare già sulla Fontana Maggiore, con le personifica-
zioni delle due città raffigurate in trono, torna e si sviluppa su queste pareti in
chiave umanistica con la rappresentazione della città che cresce, Perugia, e la
citazione puntuale e analitica di un monumento antico – l’Arco di Costantino –
identificato come uno dei simboli più importanti della regalità cristiana che si
lega indissolubilmente ai fasti di Roma assumendo vari significati e molteplici
livelli di lettura, ma va sottolineata anche la necessità di una percezione imme-
diata, semplice, alla portata di tutti, dai priori che vi risiedono, ai forenses che
entravano in questo luogo sacro. Il procedimento usato soprattutto in questa
prima parte della decorazione da Bonfigli è quello di assemblare ricordi e
suggestioni che gli derivano dal suo soggiorno romano tenendo altissimo il
livello evocativo delle ambientazioni, che si può dire raggiunga il suo culmine
proprio con la rappresentazione dell’Arco di Costantino (fig. 10).
L’ultimo riquadro dedicato al santo angioino ne rappresenta le esequie che
avvengono all’interno di una basilica romana, sebbene l’abside gotica sembre-
rebbe riferirsi a modelli locali come la chiesa di San Pietro (fig. 11). Anche in
questo caso la narrazione s’ispira al De conformitate di Bartolomeo da Pisa 51 e alla
Cronaca dei XXIV Generali e sarà ripresa più tardi anche nella Franceschina, testo
quest’ultimo che dedica largo spazio alla vita del santo, peraltro molto presente
in tutti i sermonari dell’Osservanza francescana. Bonfigli in queste prime quat-
tro scene fa uno sfoggio davvero mirabile e originale nell’analisi delle murature
degli edifici, minutamente descritte, variate e analitiche dimostrando un inedito
interesse per i materiali da costruzione, pietre, mattoni, travertini, e anche per le
tecniche costruttive; se certamente v’è in questa rappresentazione «lenticolare»
un’influenza della pittura nordica tante volte invocata ma mai approfondita,

48. F. F. Mancini, Benedetto Bonfigli. L’opera completa, op. cit., p. 93-94.


49. M. Torelli, «Arcus Constantini: antico e programma iconologico nella cappella dei Priori di
Benedetto Bonfigli», in M. L. Cianini Pierotti (a cura di), Benedetto Bonfigli e il suo tempo,
op. cit., p. 142. L. Sensi, «La memoria dell’antico negli affreschi di Benedetto Bonfigli», in
Scritti di archeologia e storia dell’arte in onore di Carlo Pietrangeli, Roma, Quasar, 1996, p. 123-
129; id., «Benedetto Bonfigli e l’antico», in V. Garibaldi (a cura di), Un pittore e la sua città…,
op. cit., p. 90-95.
50. S. Miccolis, «L’arco di Costantino…», op. cit., p. 285.
51. Bartolomeo da Pisa, «De conformitate vitae Beati Francisci ad vitam Domini Jhesu», Analecta
Franciscana, 4, 1906, p. 316.

382
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Fig. 10 – Benedetto Bonfigli, Risanamento di Giovanni primogenito


del re di Francia Filippo VI (particolare con l’Arco di Costantino).
Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori, Galleria Nazionale
dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

Fig. 11 – Benedetto Bonfigli, Esequie di san Ludovico da Tolosa.


Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori, Galleria Nazionale
dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

383
m a r i a r ita silv estr elli

si può essere certi che al dato stilistico si aggiunga la personale osservazione di


quanto stava avvenendo a Perugia con l’apertura di infiniti cantieri per cui già da
tempo si lamentava che «non se trovava più né calcina, né matoni, né maestri».
La decorazione ha però tempi lunghi. Insorgono molto presto gravi pro-
blemi di carattere statico che interessano la struttura dove insiste la cappella e si
deve addirittura procedere all’acquisto di case limitrofe per mettere in sicurezza
quella parte del palazzo che mostra dei gravi cedimenti. La valutazione degli
interventi da eseguire è affidata a cinque personaggi, fra cui spicca ancora una
volta il nome di Bartolomeo di Mattiolo che come si è detto aveva partecipato
alla costruzione e che in continuità con il suo operato, rafforza la struttura
portante con la realizzazione di un «calzo».
Pur essendo stato riconfermato cappellano dei Priori per due anni, il 25 di
maggio dopo soltanto un mese Bartolomeo da Siena, viene sollevato dall’incarico
e prende il suo posto Uguccione Fatii, di cui vengono enumerate le virtù. Sarà
proprio l’esperto giurista perugino, dottore in decretali, a sovrintendere al lodo
di Filippo Lippi. L’eco di questa sua professione si avverte nella redazione solenne
del documento; una vera sentenza quella pronunciata dall’eccellentissimo pittore
tamquam arbiter predictus sedens pro tribunali in et super quodam scanno ligneo exi-
stente in dicta capella, con la dichiarazione del lavoro ben fatto, il lauto compenso
di 400 fiorini da corrispondere al pittore che può dunque proseguire il lavoro.
E la decorazione stabilita sette anni prima può continuare, si firmano gli
accordi per l’altra metà della cappella nello stesso giorno del lodo, l’undici set-
tembre del 1461. V’è ora da raccontare la storia del gran santo di Perugia, il mar-
tire Ercolano, e tutta la città che in lui si riconosce, entra nel Palazzo (fig. 12) 52.
Esaltando prima di tutto il momento del martirio, avvenuto dove un’antica
croce di pietra ancora oggi lo ricorda 53. È narrato in primo piano il tradimento
del chierico condotto di fronte a Totila, la leggenda del bue pieno di grano
buttato dalle mura, la presa di Perugia assaltata dai Goti con scudi di rosso in
campo d’oro che evocano gli stemmi aragonesi 54. Descritta anch’essa con minu-
zia e precisione c’è la Porta Marzia, l’accesso monumentale al colle Landone, il
quartiere dei Baglioni, «signori» della città dove svettano altissime e ordinate le
torri – se ne contano fino a quindici – tra di esse spunta l’abside e il campanile
della chiesa di Santa Maria dei Servi. Una più alta delle altre, ricordata per avere

52. Gregori Magni, Dialogi, a cura di U. Moricca, Roma, Istituto Storico Italiano, 1924, p. 160-163;
A. Scaramucci, Leggenda e miracolo di sant’Ercolano: da un codice perugino del secolo XV, Perugia,
Santucci, 1880 (BAP, ms. 626).
53. E. Ricci, Leggende di S. Ludovico e di S. Ercolano dipinte nella Cappella dei Priori di Perugia da
Benedetto Bonfigli, Perugia, Spinola/Baldeschi, 1919, p. 26-29.
54. A. Savorelli, Piero della Francesca e l’ultima crociata: araldica, storia e arte tra gotico e Rinascimento,
Firenze, Le Lettere, 1999, p. 96-98. Vi riconosce echi della guerra di Napoli.

384
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Fig. 12 – Benedetto Bonfigli, Presa di Perugia da parte di Totila, martirio


e sepoltura di sant’Ercolano. Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori,
Galleria Nazionale dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

anche un orologio, era situata sulla piazza antistante a Santa Maria dei Servi
chiesa contigua alle case di Braccio Baglioni e la Sapienza nuova 55.
Proprio lì sotto ferve la battaglia, dall’antica porta etrusca entrano gli inva-
sori (fig. 13-14).
Case in rovina, dalle murature lacerate, dalle finestre aperte o tamponate,
evocano nel silenzio la presa della città e la morte del suo amato vescovo. Anche
in questo caso si potrebbe pensare al ricordo preciso di un evento fedelmente
riportato dalle cronache avvenuto nel 1449 quando «caddero li casalini, dove
erano le case de Filippo del Priore dei Baglioni, lì alla croce de sant’Ercolano
alla porta vechia dei Dadari sotto l’Ospitale della Misericordia 56».
Mentre l’animula di Ercolano sale al cielo fra gli angeli, il suo corpo insan-
guinato abbandonato a terra con la testa staccata dal tronco giace ai piedi delle

55. M. Regni, «Apporti documentari per la ricostruzione delle vicende di Santa Maria dei Servi»,
in Perugino: il divin pittore, Cinisello Balsamo, Silvana, 2004, p.  547-553, in part. p.  547.
S. Tiberini, «Dalla “torre degli Oddi” alla torre degli Sciri: un possibile percorso storiografico
sulle torri private perugine», Bollettino della Deputazione di Storia Patria per l’Umbria, 112/1,
2015, p. 43-69.
56. Cronaca della città di Perugia dall’anno 1309 al 1491 nota col nome di Diario del Graziani, a cura di
A. Fabretti, in Cronache e storie inedite della città di Perugia dal 1150 al 1563, a cura di A. Fabretti,
F. Bonaini, F. L. Polidori, in Archivio Storico Italiano, 16, 1850, p. 69-750, in part. p. 614.

385
m a r i a r ita silv estr elli

Fig. 13 – Benedetto Bonfigli, Presa di Perugia da parte di Totila, martirio


e sepoltura di sant’Ercolano (particolare con la Porta Marzia).
Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori, Galleria Nazionale
dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

Fig. 14 – Perugia, Porta Marzia (parte superiore). © M. R. Silvestrelli.

386
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

squadrate e possenti mura di travertino, proprio accanto alla sua chiesa, costru-
ita in loco ubi occidit caput eius 57. Tutto si placa nella scena del seppellimento
del santo amorevolmente ricomposto e rivestito con i paramenti liturgici rossi
del martire con accanto il fanciullo che sarà miracolosamente resuscitato, un
evento raccontato nell’ultima scena del ciclo. V’è, sullo sfondo, la bellissima
rappresentazione della chiesa di sant’Ercolano, rara chiesa torre a pianta ottago-
nale, trova qui il più alto significato che le si volle attribuire al momento della
fondazione avvenuta nel 1297, al tempo del Comune di Popolo (fig. 15-16).
Martyrium del santo, baluardo e sostegno della città appoggiata alle mura
etrusche, si rafforza con questa nuova fabbrica originale e austera il culto del
venerato protettore e Bonfigli ne coglie e tramanda tutto il suo valore. La sua
raffigurazione è più che mai puntuale e analitica: negli archetti che sostengono
il piano superiore, nella balaustra di pietre rosa e colonnine, nelle luci che
bagnano la scala. Si riconosce senza sforzo lì accanto anche la porta del Leone
e sull’altro lato è descritta la facciata della casa dove si aprono le porte gotiche e
quella rinascimentale, c’è un affresco con la Madonna col Bambino e due santi
domenicani; il fumo che esce dal camino sul tetto da un segno di vita (fig. 17).
Nella parete a fianco la scena è continua, un gran corteo ripercorre i luo-
ghi dell’antica processione, vero atto annuale di rifondazione della città. Se
perduta, è una vasta porzione di affresco – e viene da chiedersi cosa vi fosse
rappresentato nel dettaglio – ciò che resta ci fa certi che in questa scena si voglia
celebrare la perenne vittoria di Perugia, con il popolo riunito che segue lento
e compatto il feretro del suo sant’ Ercolano, di cui viene ricordata la seconda
traslazione in cattedrale. Era l’evento di maggiore identità e coesione della città
riproposto ogni primo di marzo nella più importante luminaria di Perugia 58.
La statua di sant’Ercolano era conservata in Duomo e ogni anno era cura
dell’arte dei Pittori di ravvivarne la decorazione in preparazione della fastosa
processione che nel suo rituale percorso partiva dalla cattedrale per raggiungere
San Domenico e poi ritornare indietro. Proprio a questa statua de lignamine si
era dedicata nuova attenzione, prevedendone il rifacimento nel 1456 59.

57. ASPg, ASCPg, Massari, 37, c. 5r.


58. A. I. Galletti, «Sant’Ercolano, il grifo e le lasche. Note sull’immaginario collettivo nella città
comunale. Forme e tecniche del potere nella città (secoli XIV-XVII)», Annali della Facoltà di
Scienze Politiche dell’Università di Perugia, 16, p. 203-216; ead., «La città come universo culturale
e simbolico», in Società e istituzioni dell'Italia comunale: l’esempio di Perugia (secoli XII-XIV),
Atti del congresso storico internazionale (Perugia, 6-9 novembre 1985), Perugia, Deputazione
di storia patria per l’Umbria, 1988, t. 2, p. 449-477.
59. ASPg, ASCPg, Consigli e riformanze, 92, c. 8v, 1456 febbraio 17: Item quod per depositarium
comunis Perusii una cum camerario pictorum prefate civitatis possint expendi usque ad vigintiquin-
que libras denariorum pro statua et ymagine sancti Herculani noviter de lignamine fabricanda et
construenda et pro ipsius ymagine ornamento oportuno de pecunis dicti comunis Perusii.

387
m a r i a r ita silv estr elli

Fig. 15 – Benedetto Bonfigli, Presa di Perugia da parte di Totila, martirio


e sepoltura di sant’Ercolano (particolare con la chiesa di Sant’Ercolano).
Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori, Galleria Nazionale
dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

Fig. 16 – Perugia, chiesa di Sant’Ercolano. © M. R. Silvestrelli.

388
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Fig. 17 – Benedetto Bonfigli, Seconda traslazione delle reliquie di sant’Ercolano


dalla chiesa di San Pietro alla cattedrale di San Lorenzo.
Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori,
Galleria Nazionale dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

Una città trionfante quella che si distende dietro al corteo su cui si può a
lungo ragionare. Immagine di coesione sociale che ha come sfondo le architet-
ture più importanti della città 60. Al gruppo delle donne che procedono in coda fa
da sfondo la chiesa di San Domenico vecchio, con i suoi due portali e la facciata
scandita da fasce alternate di pietre bianche e rosa e ancora oggi, nonostante
le alterazioni, ben riconoscibile (fig. 18-19). La parte più importante del corteo
quella con il feretro del santo, ha raggiunto il Palazzo dei Priori e si blocca sotto
al portale scolpito, dove al centro della lunetta c’è sant’Ercolano, insieme ai due
altri protettori, Lorenzo e Costanzo. Son descritti con cura gli stemmi pontifici
– v’è quello di Sisto IV – accompagnati dai grifi perugini, le botteghe serrate per
la festa, la lunga serie di finestre (fig. 20).
Arduo è portare a termine l’impresa rallentata come già ricordato da
problemi di carattere statico della struttura, poi da una grave malattia con
tutta probabilità la peste, che colpisce Bonfigli nel 1463 tanto da indurlo a
dettare testamento e che ancora lo affligge tre anni dopo 61. Gravi ritardi si
registrano anche nei pagamenti al pittore che richiederanno provvedimenti
radicali volendo evitare che qualora il ciclo non fosse stato terminato cederet

60. P.  Rihouet, «Entre (é)motions et arrêts sur image: la performativité des bannières sacrées
ombriennes», in K. Gvozdeva, H. R. Velten (a cura di), Medialität der Prozession, Heidelberg,
Winter, 1991, p. 291-306, in part. p. 294-296.
61. L. Mazzerioli, «Documenti», op. cit., p. 161.

389
m a r i a r ita silv estr elli

Fig. 18 – Benedetto Bonfigli, Seconda traslazione delle reliquie di sant’Ercolano


dalla chiesa di San Pietro alla cattedrale di San Lorenzo (particolare con la chiesa
di San Domenico vecchio). Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori,
Galleria Nazionale dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

in ­ignominiam totius rei publice perusine 62. Nei tempi lunghi dell’esecuzione


cresce la città reale, vanno avanti i grandi cantieri aperti sulla piazza e nei bor-
ghi, lo stesso Palazzo dei Priori, la cattedrale di San Lorenzo e soprattutto San
Domenico, sempre dominante, prima per la gran vetrata, poi per il nuovo
possente campanile cominciato a costruire nel 1464 e già finito nell’ultima
scena del ciclo che ricorda la prima Traslazione di sant’Ercolano (fig. 21). Qui,
se meno attenta è la resa pittorica, è di grande effetto la veduta scorciata della
città che si inerpica in alto fino a raggiungere il Palazzo dei Priori, fra tetti,
case e torri e dove si vede ancora Sant’Ercolano e San Domenico lungo la
cui navata v’è anche la cappella dedicata a San Vincenzo Ferrer costruita tra
il 1454 e il 1456, con il suo paramento murario a losanghe bianche e rosa 63.

62. L. Mazzerioli, «Documenti», op. cit., p. 164-166. Il 5 dicembre del 1469 gli viene assegnato
Bartolomeo di Gregorio debitore del comune di Perugia per i pagamenti della cappella dei
Priori. Si tratta di un particolare di un certo interesse che si inquadra in una precisa volontà
da parte del comune di favorire l’arte della seta di cui il personaggio è protagonista, evento
ricordato anche da Pellini.
63. F. F. Mancini, Benedetto Bonfigli. L’opera completa, op. cit., p. 121.

390
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Fig. 19 – Perugia, veduta della facciata della chiesa di San Domenico vecchio.
© M. R. Silvestrelli.

Fig. 20 – Benedetto Bonfigli, Seconda traslazione delle reliquie di sant’Ercolano


dalla chiesa di San Pietro alla cattedrale di San Lorenzo (particolare con
il Palazzo dei Priori). Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori,
Galleria Nazionale dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

391
m a r i a r ita silv estr elli

Fig. 21 – Benedetto Bonfigli, Traslazione del corpo di sant’Ercolano dal luogo


della prima sepoltura alla chiesa di San Pietro. Perugia, Palazzo dei Priori,
Cappella dei Priori, Galleria Nazionale dell’Umbria.
© Galleria Nazionale dell’Umbria.

392
La città dipinta di Benedetto Bonfigli

Fig. 22 – Benedetto Bonfigli, Traslazione del corpo di sant’Ercolano dal luogo


della prima sepoltura alla chiesa di San Pietro (particolare del gruppo guidato
dal mazziere). Perugia, Palazzo dei Priori, Cappella dei Priori,
Galleria Nazionale dell’Umbria. © Galleria Nazionale dell’Umbria.

Accoglie il popolo col feretro del santo, il rinnovato campanile della chiesa di
San Pietro, la cui facciata a doppio saliente rivestita in alto di riquadri bianchi
e rosa è preceduta da un portico, sotto al quale compaiono antichi affreschi.
Al campanile, la più bella architettura della città, si dedica ogni attenzione.
Fra i tanti dettagli si osservino in particolare le quattro fasce orizzontali che si
stringono attorno al suo fusto dodecagonale. Esse risultano ben visibili ancora
oggi, anche se, essendo eseguite in mattoni, si presentano corrose (fig. 22-23).

393
m a r i a r ita silv estr elli

Fig. 23 – Perugia, campanile della chiesa di San Pietro. © M. R. Silvestrelli.

Oltre alla precisione con cui viene descritta la città, altrettanto puntuale è in
alcuni casi la caratterizzazione di alcuni personaggi di cui, se è quasi impossi-
bile tentare una identificazione, vi si riconosce almeno una precisa definizione
del ruolo svolto, essendo rappresentati con i loro abiti e attributi. È il caso
del mazziere che guida il corteo che conduce sant’Ercolano verso la chiesa di
San Pietro (fig. 22). È Pellini a ricordare come in seguito alla morte dei leoni
donati alla città dal signore di Foligno nel 1439, con il denaro già stanziato per
loro, si realizzino due mazze d’argento ornate d’oro, portate dai mazzieri che
precedono i priori che escono da palazzo 64. Quasi come un lungo registro di
fabbrica, la città dipinta da Bonfigli raccoglie e interpreta i segni più profondi
della sua stessa comunità, raccontandone idealità e realtà fuse nel colore e nella
grazia del pittore.

64. Pompeo Pellini, Dell’Historia di Perugia, op. cit., t. 2, p. 421.

394
Una proposta di risarcimento iconografico
per il perduto San Dionigi di Gherardo Starnina  1

daniele giorgi
Scuola Normale Superiore, Pisa (Italia)

«O Marte, nostro segno e protettore, / tu già ci liberasti nel pisano / terren, quando


acquistamo tanto onore 2»: con queste parole Antonio da San Miniato ricondu-
ceva al dio romano della guerra, primo patrono di Firenze, il favore dell’inter-
cessione divina che aveva assicurato ai fiorentini la conquista di Pisa, avvenuta il
9 ottobre del 1406. Questa vittoria segnò il culmine del processo di espansione
e di consolidamento del dominio territoriale della Repubblica fiorentina, che
ottenne uno sbocco sul mare stabile e inaugurò una nuova politica marinara,
incrementando le proprie relazioni commerciali nel bacino del Mediterraneo 3.
Inoltre, la città gigliata poteva ora considerarsi sul piano culturale erede indiscussa
di quel mito della romanitas – circostanza che rende ancor più coerente l’invoca-
zione di Marte – a lungo conteso con Pisa nei secoli precedenti.
Secondo la memorialistica coeva, la notizia della presa della città ghibellina
suscitò a Firenze «grande festa e allegrezza, e a mano a mano si serrorono le
botteghe. Era tanta la gente che quasi non potevasi andare per la via a cavallo 4».
Cerimonie religiose, armeggerie e giostre furono organizzate sino alla fine del

1. Nel presente contributo è pubblicata parte degli esiti di un più ampio studio sulla politica
monumentale della Parte Guelfa fiorentina tra XIV e XV secolo. Per la disponibilità e per i
suggerimenti e le agevolazioni ricevute prima e durante la stesura del testo ringrazio Patrick
Boucheron, Vittoria Camelliti, Marco Collareta, Maria Monica Donato, Massimo Ferretti,
Marco Folin, Jean-Philippe Genet, Giovanni Giura, Monia Manescalchi, Marco Matteo
Mascolo, Eleonora Mazzocchi, Cristiana Pasqualetti, Stefano Riccioni. Devo un ringrazia-
mento speciale a Matteo Ferrari, che ha riletto attentamente il testo.
2. Lirici toscani del Quattrocento, a cura di A. Lanza, Roma, Bulzoni, 1973-1975, t. 1, p. 196.
3. S. Tognetti (a cura di), Firenze e Pisa dopo il 1406. La creazione di un nuovo spazio regionale,
Atti del convegno di studi (Firenze, 27-28 settembre 2007), Firenze, Olschki, 2010.
4. Bartolomeo di Michele del Corazza, Diario fiorentino (1405-1439), a cura di R. Gentile, Anzio,
De Rubeis, 1991, p. 20.

395
da niele giorgi

mese successivo per celebrare la vittoria. La magistratura dei Capitani di Parte


Guelfa decise di intraprendere un’iniziativa monumentale, commissionando
l’esecuzione di un affresco ora perduto, raffigurante San Dionigi tra due angeli
in trono con la città di Pisa al di sotto, sulla facciata del Palagio di Parte Guelfa.
Infatti, il fausto evento coincise con la ricorrenza del santo vescovo di Parigi e
protettore della dinastia dei reali di Francia. A somiglianza di quanto avvenuto
con San Barnaba e con San Vittore, i cui anniversari furono introdotti nel calen-
dario delle feste civili locali rispettivamente in seguito alla vittoria dei guelfi
fiorentini contro lo schieramento ghibellino a Campaldino (11 giugno 1289) e
alla sconfitta delle truppe pisane a Cascina (28 luglio 1364), anche Dionigi fu
elevato «a patrone di Guelfi 5», entrando così a far parte del santorale civico.
Una precoce testimonianza della fortuna visiva del nostro murale, concor-
demente attribuito al pittore Gherardo di Jacopo Neri, detto Starnina, da tutta
la letteratura artistica e in termini tanto più attendibili da Giorgio Vasari, che
tra il 1558 e il 1559 diresse gli interventi per adattare il Palagio a sede dell’Ufficio
del Monte Comune e, dunque, conosceva questa fabbrica in modo appro-
fondito, è tramandata da un lacunoso disegno a penna acquerellato, posto a
margine di c. 26v del Codice Rustici (fig. 1) 6. La perizia con cui sono raffigurati
la chiesa di Santa Maria sopra Porta e l’adiacente Palagio di Parte Guelfa rivela
la reinterpretazione in senso storico-cerimoniale di questo spazio urbano nella
topografia della religione civica fiorentina. Dall’immagine si ricava che l’opera
era protetta da una copertura in aggetto e che era collocata sul prospetto, in
alto a destra. Sappiamo inoltre che il dipinto si presentava ancora in buono
stato di conservazione al tempo di Vasari, a giudizio del quale il pittore aveva
adoperato «tanta diligenza in ogni cosa e particolarmente nel colorirla a fresco,
che nonostante l’aria e le piogge e l’essere vòlta a tramontana, ell’è sempre stata
tenuta pittura degna di molta lode e si tiene al presente, per essersi mantenuta
fresca e bella come s’ella fusse fatta pur ora 7».

5. Matteo Villani, Cronica, con la continuazione di Filippo Villani, a cura di G. Porta, Parma,
Guanda, 1995, t. 2, p. 737.
6. Marco di Bartolomeo Rustici, Dimostrazione dell’andata al Santo Sepolcro, ms. ss., 1447-1453.
Firenze, Biblioteca-Archivio del Seminario Arcivescovile Maggiore. Sulla letteratura artistica
precedente a Vasari si vedano Il Libro di Antonio Billi, a cura di F. Benedettucci, Anzio, De
Rubeis, 1991, p. 76; Il codice Magliabechiano, cl. XVII.17, contenente notizie sopra l’arte degli
antichi e quella de’ Fiorentini da Cimabue a Michelangelo Buonarroti, a cura di C. Frey, Berlino,
Grote, 1892, p. 61; G. Mancini, «Vite d’artisti di Giovanni Battista Gelli», Archivio storico ita-
liano, 5/201/1, 1896, p. 47-48. Sull’intervento vasariano sul Palagio si veda S. Benzi, L. Bertuzzi,
Il Palagio di Parte Guelfa a Firenze, Firenze, Firenze University Press, 2006, p. 145-156.
7. G. Vasari, Le Vite de’ più eccellenti pittori, scultori e architettori nelle redazioni del 1550 e del 1568,
testo a cura di R. Bettarini, commento secolare a cura di P. Barocchi, Firenze, SPES, 1966-1987,
t. 2, p. 294.

396
Una proposta di risarcimento iconografico per il perduto San Dionigi

Fig. 1 – Marco di Bartolomeo Rustici, Il Palagio di Parte Guelfa con la chiesa


di Santa Maria sopra Porta, disegno a penna acquerellato, in id., Dimostrazione
dell’andata al Santo Sepolcro, ms. ss., 1447-1453. Firenze, Biblioteca-Archivio
del Seminario Arcivescovile Maggiore, c. 26v.

La collocazione in esterno e la scomparsa della pensilina determinarono il


progressivo deterioramento dell’affresco, considerato ormai illeggibile alla fine
del XIX secolo da Cavalcaselle e da Schmarsow, che nel 1912 ne parlava con
accenti nostalgici 8. A questa situazione non pose probabilmente rimedio neppure
un restauro previsto in occasione dei lavori di riconfigurazione delle facciate del
Palagio, appaltati nell’aprile del 1904 e conclusi nel maggio dell’anno successivo 9.

8. G. B. Cavalcaselle, J. A. Crowe, Storia della pittura in Italia dal secolo II al secolo XVI, Firenze,
Le Monnier, 1883-1908, t. 2, p. 234; J. A. Crowe, G. B. Cavalcaselle, A History of Painting in
Italy. Umbria, Florence and Siena from the IInd to the XVIth Century, Londra, Murray, 1903-1914,
t. 2, p. 290-292; A. Schmarsow, Wer ist Gherardo Starnina? Ein Beitrag zur Vorgeschichte der
italienischen Renaissance, Leipzig, Teubner, 1912, p. 34.
9. Su questi lavori, descritti in «Il Palazzo di Parte Guelfa», Arte e storia, 3/11-12, 1905, p. 93, si
vedano Archivio Storico del Comune di Firenze, Affari legali, CF 6361, contratto n. 20; ibid.,
Lavori e servizi pubblici, CF 7533, filza 25; e S. Benzi, L. Bertuzzi, Il Palagio di Parte Guelfa…,
op.  cit., p.  193. Le vicende che condussero al restauro dell’edificio sono state ripercorse in
M. M. Donato, D. Giorgi, «Giotto negato, Giotto “reinventato”: la Fede cristiana al Palagio
di Parte Guelfa», Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, 58/3, 2016 [2017],
p. 291-317.

397
da niele giorgi

Gli ultimi lacerti ancora visibili sulla parete furono cancellati all’inizio degli
anni Venti del XX secolo, nel corso dell’impegnativa opera di ripristino dell’e-
dificio diretta da Alfredo Lensi 10. Proprio nella fase di allestimento dei ponteggi
fu realizzata l’unica fotografia conservata del murale, che fu poi sacrificato
perché giudicato troppo lacunoso per essere restaurato (fig.  2) 11. Da questa
immagine, che permette di osservare estesi tratti dell’underdrawing su un unico
strato di arriccio, converrà prendere avvio per tentare cautamente, tenendo
anche conto del fatto che il colore vero e proprio doveva essere a quell’epoca
quasi del tutto scomparso, un’ipotesi di ricostruzione della facies dell’affresco
e per proporre qualche precisazione iconografica.
La figura del santo era ospitata all’interno di un finto tabernacolo, simile a
quelli, frammentari, che ornavano il quasi completamente perduto ciclo parie-
tale con Storie di San Girolamo – sempre di mano di Starnina – nell’omonima
cappella nella basilica del Carmine di Firenze. Di questa architettura dipinta
costituivano parte integrante semicolonnine addossate ai pilastri di sostegno,
specchiature, una copertura poligonale forse configurata esteriormente a guisa
di vano cupolato, ghimberghe gattonate, forate al centro da oculi, e pinnacoli.
All’interno il vescovo era avvolto in un piviale di colore blu 12, del quale la
fotografia consente di scorgere le tracce di un vistoso fermaglio, ed era seduto
su di un trono, al pari di una buona parte dei santi patroni delle Arti raffigurati
nelle tavole destinate a Orsanmichele e alle sedi delle Corporazioni. Che il
santo apparisse seduto piuttosto che in posizione stante è confermato tanto
da uno schizzo approssimativo del dipinto visibile nel disegno del progetto di
restauro delle facciate del 1904 13 quanto dalle parole di Schmarsow e di Toesca,
che avevano osservato l’opera prima della sua scomparsa e che ricordavano il
San Dionigi proprio in trono 14. Inoltre, in trono è rappresentato anche il San
Biagio di Rossello di Jacopo Franchi in Santa Maria del Fiore, terminato prima
del 1408, con il quale Carlo Gamba confrontava in modo implicito il perduto
affresco della Parte Guelfa nel 1934 15.
Come è stato ben evidenziato di recente, il San Dionigi di Gherardo
Starnina costituisce la prima raffigurazione del santo in qualità di patrono a

10. Il Secentenario della morte di Dante MCCCXXI-MCMXXI. Celebrazioni e memorie monumentali


per cura delle tre città Ravenna, Firenze, Roma, Roma/Milano/Venezia, Bestetti e Tumminelli,
[1928], p. 231.
11. Firenze, Servizio Musei Comunali, Fototeca, Fondo Belle Arti, n. 65038.
12. A. Schmarsow, Wer ist Gherardo Starnina? Ein Beitrag…, op. cit., p. 34.
13. Si veda nota 9.
14. A. Schmarsow, Wer ist Gherardo Starnina? Ein Beitrag…, op. cit., p. 34; P. Toesca, La pittura
fiorentina del Trecento, Verona/Firenze, Apollo/Pantheon, 1929, p. 67; id., Storia dell’arte ita-
liana II. Il Trecento, Torino, Utet, 1951, p. 650.
15. C. Gamba, «Induzioni sullo Starnina», Rivista d’arte, 14, 1932, p. 59.

398
Una proposta di risarcimento iconografico per il perduto San Dionigi

Fig. 2 – Gherardo Starnina, San Dionigi tra due angeli in trono con la città
di Pisa al di sotto, affresco, 1406 ca. Già Firenze, Palagio di Parte Guelfa, facciata.
Su concessione dei Musei Civici fiorentini – divieto di ulteriori riproduzioni
o duplicazioni con qualsiasi mezzo.

399
da niele giorgi

Firenze 16. Nella città toscana gli intercessori che avevano assicurato la vittoria
contro i nemici erano rappresentati con un ramo di ulivo come attributo. Sono
così raffigurati San Vittore papa e San Barnaba, ad esempio, nell’Incoronazione
della Vergine e Santi (Firenze, Galleria dell’Accademia) commissionata dagli
ufficiali della Zecca fiorentina nel 1372-1373 17. Quest’iconografia è attestata
anche per Dionigi. Questi compare con un ramoscello d’ulivo in mano in
un’opera attribuita al Maestro dell’Epifania di Fiesole e databile intorno alla
metà del nono decennio del XV secolo (fig. 3) 18. La tavola, con un Padre eterno
benedicente tra cherubini e serafini al centro e Sant’Andrea e San Dionigi ai
lati, fu assemblata, in un momento successivo alla data di esecuzione, con un
affresco staccato rappresentante una Madonna con Bambino tra due serafini di
diversa provenienza, insieme al quale costituiva almeno dal 1754 l’ornamento
di un altare nella chiesa fiorentina intitolata alla Vergine Annunziata annessa
all’asylum di Orbatello. L’originaria appartenenza a questo luogo è confer-
mata dalla presenza di un’Annunciazione dipinta sul fermaglio del piviale di
San Dionigi 19. Committente di questo manufatto fu molto probabilmente
proprio la Parte Guelfa, che nel 1401, come ricorda Giuseppe Richa, aveva
assunto la gestione dell’Ospizio, dove il 25 marzo di ogni anno, secondo una
consuetudine documentata già nel 1409, si recava in processione il «Magistrato
della Parte 20». Dunque, risulta estremamente plausibile che l’iconografia del
santo vescovo dipinto nella tavola tardoquattrocentesca discenda da quella del
medesimo santo dipinto da Starnina sulla facciata del Palagio della Parte: si
tratterebbe di una scelta coerente con le strategie di autorappresentazione di
quest’istituzione, che, alla fine del XV secolo, era peraltro ormai quasi del tutto
priva del ruolo politico rivestito prima dell’ascesa dei Medici.

16. V. Camelliti, «I santi patroni: le immagini della “devozione civica” a Firenze fra Duecento e
primo Cinquecento», in M. M. Donato, D. Parenti (a cura di), Dal Giglio al David. Arte Civica
a Firenze fra Medioevo e Rinascimento, catalogo della mostra (Firenze, Galleria dell’Accademia,
14 maggio-8 dicembre 2013), Firenze/Milano, Giunti, 2013, p. 79-85.
17. Su questa tavola si veda da ultimo ead., «12. Jacopo di Cione, Niccolò di Tommaso, Simone di
Lapo; Incoronazione della Vergine e i santi Giovanni Battista, Caterina, Anna, Matteo, Vittore
papa; Zanobi, Barnaba, Antonio abate, Reparata, Giovanni Evangelista; i profeti Isaia ed
Ezechiele», in M. M. Donato, D. Parenti (a cura di), Dal Giglio al David…, op. cit., p. 132-133.
18. G.  Kaftal, Iconography of the Saints in Tuscan Trecento Painting, Firenze, Sansoni, 1952,
p. 307-308.
19. Su questo pastiche D. Giorgi, «29. Ambito di Domenico Ghirlandaio, Maestro dell’Epifania
di Fiesole; Madonna con Bambino tra due serafini, Sant’Andrea, san Dionigi e il Padre Eterno
benedicente», in M. M. Donato, D. Parenti (a cura di), Dal Giglio al David…, op. cit., p. 164-
165; G. Giura, «Un insolito pastiche: David Ghirlandaio e il Maestro dell’Epifania di Fiesole»,
in C. De Benedictis, C. Milloschi (a cura di), L’Ospedale di Orbatello: carità e arte a Firenze,
Firenze, Polistampa, 2015, p. 222-226.
20. Giuseppe Richa, Notizie istoriche delle chiese fiorentine divise ne’ suoi quartieri, Firenze, Viviani,
1754-1762, t. 1, p. 297.

400
Una proposta di risarcimento iconografico per il perduto San Dionigi

Fig. 3 – Maestro dell’Epifania di Fiesole, Sant’Andrea, san Dionigi e il Padre


Eterno benedicente, tavola, XV secolo, particolare. Firenze, Museo degli Innocenti
(deposito esterno delle Gallerie degli Uffizi). Su concessione del Ministero
dei beni e delle attività culturali e del turismo – divieto di ulteriori riproduzioni
o duplicazioni con qualsiasi mezzo.

401
da niele giorgi

Quest’ipotesi risulta ancor più verosimile se si osserva che l’ulivo con-


traddistinse le feste con cui fu solennizzata la presa di Pisa: come ricordato
dal vinattiere Bartolomeo di Michele del Corazza la vittoria fu annunciata a
Firenze «con un ramo d’oliva grandissimo 21»; un corteo di cavalieri e cittadini
provenienti da Pistoia giunse a Firenze in segno di omaggio «con girlande
d’olivo in capo 22»; un «lione d’ariento con uno ramo d’olivo d’ariento in
mano 23» e un «collo di drago co·la testa tutta d’ariento in sun uno elemetto,
su pel collo suvi rami d’ulivo d’ariento, e in su l’elmetto d’ariento 24» furono i
premi di due giostre che si tennero nella piazza di Santa Croce; ai venti gio-
vani, che presero parte ad un’armeggeria, i Capitani della Parte posero in collo
«una girlanda d’ulivo enarientata 25» e i giovani partecipanti di altre armeggerie
indossavano sopravvesti sulle quali apparivano «razi d’ariento e d’oro co·rami
d’ulivo d’ariento 26».
Infine, occorre ricordare che al di sotto di San Dionigi era visibile la città di
Pisa, «ritratta di naturale 27», che doveva essere topograficamente riconoscibile,
forse grazie alla presenza di qualche caratteristico landmark.
La descrizione di Vasari richiama per analogia la raffigurazione presente
sul cosiddetto Grosso guelfo di Piero da Farnese, moneta coniata in occasione
della vittoria riportata dai fiorentini sui pisani il 30 maggio 1363, nei pressi di
Bagno di Vena (fig. 4). Il Grosso guelfo, una moneta argentea introdotta a
Firenze nel 1345 in sostituzione di un’emissione precedente e battuta sino alla
fine della Repubblica nel 1533, recava sul dritto la rappresentazione del Giglio,
simbolo e arme del Comune, e sul rovescio quella di San Giovanni Battista,
patrono della città. Assiso su una cattedra e vestito con la tunica di pelo, con il
mantello legato al petto, il Battista sollevava la destra, in segno di benedizione
o a reggere lo scudo con l’insegna crociata del Popolo, rappresentato al di
sopra; nella sinistra teneva invece l’asta sormontata dalla Croce. L’esemplare
battuto nel 1363 costituisce una coniazione al di fuori della serie numismatica,
dalla quale si differenzia per la variante dell’animale posto sotto i piedi del
santo. Infatti, le Zecche comunali potevano realizzare emissioni particolari
per celebrare vittorie militari e schernire il nemico e, poiché il battere moneta
costituiva un evidente segno di sovranità, queste coniazioni «per dispetto»
venivano create direttamente sotto le mura della città nemica. Le cronache

21. Bartolomeo di Michele del Corazza, Diario fiorentino…, op. cit., p. 41.


22. Ibid., p. 42.
23. Ibid.
24. Ibid., p. 45.
25. Ibid., p. 42.
26. Ibid., p. 43.
27. G. Vasari, Le Vite de’ più eccellenti pittori…, op. cit., t. 2, p. 294.

402
Una proposta di risarcimento iconografico per il perduto San Dionigi

Fig. 4 – Maestri della Zecca fiorentina, Grosso guelfo di Piero da Farnese, argento,
1363. Firenze, Museo Nazionale del Bargello, inv. Monete n. 61. Su concessione
del Ministero dei beni e delle attività culturali e del turismo – Museo Nazionale
del Bargello; divieto di ulteriori riproduzioni o duplicazioni con qualsiasi mezzo.

403
da niele giorgi

riportano che Piero da Farnese organizzò un palio e altri rituali alle porte della
città di Pisa, alla quale aveva inferto una pesante sconfitta, e diede ordine di
battere moneta per commemorare l’avvenimento. Le fonti di parte fiorentina
e i pagamenti registrati nella Zecca di Firenze nel primo semestre del 1363
confermano che l’animale ritratto in basso, calpestato dal santo e capovolto in
segno di denigrazione 28, era una volpe, con la quale i pisani erano identificati
per il loro comportamento infido e malizioso 29.
Dunque, con la combinazione della carica dimostrativa della figura del
santo con la rappresentazione del luogo dell’azione politico-militare l’affresco
di Starnina mirava a realizzare quella tensione verso un’efficacia comunicativa
che è propria dell’arte politica cittadina. Se agli occhi dei fiorentini la pittura
era stata eseguita in segno di vittoria, ai numerosi pisani, ai quali dopo il 1406 fu
comminato il confino a Firenze, dovette al contrario suscitare sentimenti simili
a quelli che, oltre quattro secoli più tardi, spinsero Giovanni Rosini a definire
l’opera un «monumento tristissimo di quel che possano gli odj cittadini 30».
Con questa commissione, affidata a un artista d’importanza cruciale per
l’introduzione degli stilemi del gotico internazionale in Toscana, la Parte
Guelfa, nel cui Palagio Giotto aveva dipinto – probabilmente negli anni Venti
del Trecento – la mezza figura e la storia della Fede Cristiana 31, perseguiva una
politica monumentale ambiziosa. Quest’ultima sarebbe proseguita nei decenni
successivi con il reclutamento di Donatello, che eseguì la statua in bronzo
dorato di San Ludovico di Tolosa per il tabernacolo di Orsanmichele, e di
Filippo Brunelleschi, che fu coinvolto nel cantiere della Sala Grande, avviato
agli inizi del quarto decennio del XV secolo per ampliare la sede della magi-
stratura e mai definitivamente portato a compimento.

28. Si veda in proposito T. Barbavara di Gravellona, «Sepolcri in honorem, pitture ad infamiam e


monete “a maggiore dispetto e vituperio”. A proposito di immagini celebrative e infamanti nei
Comuni toscani del tardo Medioevo», Acta ad archeologiam et artium historiam pertinentia, 19,
2005, p. 265-299: p. 295.
29. Per tutte queste considerazioni si veda la scheda esaustiva di M. Ferrari, «59. Maestri della
Zecca fiorentina; Grosso guelfo di Piero da Farnese », in M. M. Donato, D. Parenti (a cura di),
Dal Giglio al David…, op. cit., p. 236-237. La volpe rovesciata, infilzata dal giglio di Piero da
Farnese, fu riprodotta anche sul cimiero collocato sul lato breve destro della cassa del sarcofago,
ultimato nel 1367 e collocato in Santa Maria del Fiore, che accolse le spoglie del condottiero
dopo la sua morte, avvenuta nel giugno 1363: si veda id., «60. Tomba di Piero da Farnese nella
Cattedrale di Firenze, 1367. Disegno di anonimo», in M. M. Donato, D. Parenti (a cura di),
Dal Giglio al David…, op. cit., p. 238-239.
30. G. Rosini, Storia della pittura italiana esposta coi monumenti, Pisa, Capurro, 1839-1847, t. 2,
p. 179.
31. M. M. Donato, D. Giorgi, «Giotto negato, Giotto “reinventato”…», op. cit.

404
Conclusions

patrick boucheron

Une revanche de la géographie : c’est ainsi que Jules Michelet définissait le


moment féodal. Il décrivait l’an mil comme le temps de la plus forte dispersion
des pouvoirs : « la division triomphe, chaque point de l’espace devient indépen-
dant ». En ce temps, l’homme « prend racine, s’incorpore à la terre » en même
temps qu’il s’isole, ne sachant « bientôt plus s’il existe un monde au-delà de son
canton, de sa vallée ». À relire ces pages aujourd’hui, on mesure leur impact sur
les représentations communes, y compris chez les historiens. Sans doute doit-
on rappeler que Michelet ne place pas ce « Tableau géographique » en ouverture
de son Histoire de France, mais l’intercale précisément entre son récit de la
désagrégation des structures de l’Empire carolingien et celui des terreurs de
l’an mil, au moment où l’effacement des cadres politiques issus de la romanité
oblige l’historien à marquer la pause, pour changer l’échelle d’observation. On
abandonne les rois pour partir en quête du territoire, puisqu’« à cette époque,
la nature se charge de régler les affaires des hommes. Ils combattent, mais elle
fait les partages » : « alors les fatalités locales sont toutes-puissantes, la simple
géographie est une histoire 1 ».
Ce colloque a tenté de remettre en mouvement cette géographie, de la
réactiver pour en défataliser le cours, et ainsi tenter de saisir le rapport entre
espace et territoire à partir d’une dynamique active, celle de la légitimation du
pouvoir. Mais ce faisant, le risque était grand de transporter avec soi sinon un
préjugé, du moins un impensé : celui d’un grand basculement de la moder-
nité, qui transformerait d’un coup l’espace discontinu et polarisé en territoire
lisse et homogène. Voici pourquoi il fallait d’emblée affronter cette difficulté,
et Jean-Philippe Genet ne s’est pas dérobé à la tâche, en revenant dans son
introduction sur le fameux article d’Alain Guerreau qui refuse au Moyen

1. J. Michelet, Histoire de France, t. 1 : La Gaule, les invasions, Charlemagne, rééd. Paris, Éd. des
Équateurs, 2015, p. 313 [éd. orig. 1833].

405
patr ick boucheron

Âge la capacité de se représenter l’espace comme une étendue mesurable et


divisible 2. S’agit-il de projeter sur le Moyen Âge quelque chose comme une
espérance, ou une revendication politique ? On dira alors : le monde n’est pas
une marchandise – puisque comme l’affirme justement le théologien Walter
Burley à Oxford au xive siècle : « tout ce qui est vendable devient par là même
une chose mesurable 3 ».
D’une certaine manière, Alain Guerreau a écrit ici quelque chose comme,
pour paraphraser un titre des plus célèbres, « Espace de l’Église et espace des
marchands ». Son article a la vigueur dichotomique de son modèle legoffien, et
doit d’abord être considéré dans sa puissance de provocation. Mais retenons un
instant cette invitation à penser conjointement les catégories de l’espace et du
temps. Dans son étude sur la constitution de l’espace pontifical au xie siècle,
Alain Boureau remarquait ceci : « alors que la domination symbolique sur le
temps s’opère par substitution, l’espace permet l’englobement, l’encerclement
des sujets 4 ». Englobement est un mot-clef – et ce à toutes les échelles – pour
saisir la dynamique politique qui a arrêté les contributeurs de ce volume. Or
cette dynamique a une histoire, et c’est celle, précisément, qui permet de
déplacer les périodisations ordinaires présidant aux découpages internes de la
catégorie académique de Moyen Âge.
Florian Mazel a décrit ce processus d’englobement à partir de la trans-
formation des structures territoriales de la civitas en diocèses 5. Il y voit une
continuité brisée : les anciens cadres romains se survivent à eux-mêmes, puis
disparaissent, et tandis que leur tentative de restauration carolingienne fait
long feu, la reprise grégorienne impose à l’espace de nouveaux principes de ter-
ritorialités qui, après le faux départ carolingien, concernent tous les pouvoirs.
Révélateur est de ce point de vue le Liber provincialis ou Provinciale Romanae
ecclesiae d’Albinus, achevé vers 1188-1189, instrument de gestion des finances
pontificales où s’observe une rupture dans l’ordre de la liste : on passe d’une
logique énumérative à une description par emboîtement qui intègre les énu-
mérations à l’intérieur d’une série – et l’on sait que le Provinciale vit ensuite sa
vie textuelle intégrée à la fois dans des chroniques universelles (chez Mathieu

2. A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », dans N. Bulst,


R. Descimon, A. Guerreau (dir.), L’État ou le roi. Les fondations de la modernité monarchique
en France (xive-xviie siècles), Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1996, p. 83-101.
3. Cité par A. W. Crosby, La mesure de la réalité. La quantification dans la société occidentale (1250-
1600), traduction française, Paris, Allia, 2003, p. 80 [éd. orig. 1997].
4. A. Boureau, « Vel sedens, vel transiens : la création d’un espace pontifical aux xie et xiie siècles »,
dans S. Boesch Gajano, L. Scaraffia (dir.), Luoghi sacri e spazi della santità, Turin, Rosenberg
& Sellier, 1990, p. 367-377 : ici p. 377.
5. F. Mazel (dir.), L’espace du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval (ve-xiiie siècle),
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.

406
Conclusions

Paris), des encyclopédies (chez Brunetto Latini) ou des pratiques administra-


tives (les agents du roi de France l’utilisent en 1295 pour justifier l’intégration
de Lyon dans le Royaume) 6. Ainsi, comme l’écrit Claude Nicolet, surgit dans
l’histoire ce moment impérial où l’administration « se modèle sur l’espace plus
que sur les hommes 7 ». Telle est donc l’hypothèse qu’il s’agissait ici d’éprouver.
En abordant la question du marquage du pouvoir, notre colloque prenait
donc pour point de départ la description d’un espace polarisé, où les lieux sont
affectés d’une intensité différente qui trame leur sens social. L’opérateur poli-
tique de polarisation est bien la sacralité, comme nous le rappelle ici Daniele
Giorgi à propos de la représentation de saint Denis sur la façade du palais de
la Parte Guelfa à Florence, mais aussi Vittoria Camelliti dans sa réflexion sur
la perception des confins urbains et la défense céleste de l’identité civique.
L’espace est polarisé parce que certains lieux sont consacrés, et placés de ce
fait hors d’eux-mêmes – comme exceptés du territoire qui les cerne mais ne
les englobe pas. Placée sur les murs de la ville, comme ce graffiti de l’archange
saint Michel gravé sur la Porta Appia de la ville de Rome en 1327, au moment
où point le danger, l’image est passage.
Ce passage est aussi un passage du temps. Un des apports d’un colloque
précédent consacré à Marquer la ville consistait à insister sur l’usure des lieux,
le travail de la mémoire, et partant, l’obligation pour les pouvoirs de les réaf-
fecter à d’autres usages symboliques 8. Que devient un palais civique tel celui
de Brescia, reconstruit après 1222 comme Palatium novum, siège politique et
expression symbolique d’un régime communal populaire, dans un contexte
seigneurial un siècle plus tard ? Il persiste et signe, polarisant toujours inten-
sément l’espace civique : le dispositif palatial du Broletto, que la sentence prise
par l’empereur Henri VII en 1308 contre la ville désignait comme Palatia que
appellantur de comuni, conserve son « rôle d’élément qualifiant pour la ville »,
ainsi que l’écrit Matteo Ferrari. C’est aussi le cas, bien entendu, du palais des
Prieurs de Pérouse étudié par Maria Rita Silvestrelli, dont le réaménagement
au xve siècle permet à Benedetto Bonfigli d’y réaliser une vue urbaine qui ne
fige pas le temps mais donne à voir son cours, son passage. Dès lors, le sens
politique de ces lieux polarisés et polarisants ne se comprend que si l’on saisit la

6. Id., L’évêque et le territoire. L’invention médiévale de l’espace (ve-xiiie siècle), Paris, Seuil, 2016,
p. 380.
7. C. Nicolet, L’inventaire du monde. Géographie et politique aux origines de l’Empire romain, Paris,
Fayard, 1988, p. 285.
8. P. Boucheron, J.-P. Genet (dir.), Marquer la ville : signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-
xvie  siècle), Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir
symbolique en Occident [1300-1640], 8), 2013.

407
patr ick boucheron

diversité des pouvoirs, laïcs et ecclésiastiques, qui s’y articulent – réemployant


dans ce cas la fonction traditionnelle de defensor civitatis du saint patron.
Cette insistance un peu entêtante des lieux vaut aussi pour les mauso-
lées seigneuriaux puis princiers étudiés par Marco Folin. Leur construction
accompagne des transferts de polarité urbaine, des entreprises de requalifica-
tion de ces palatia que l’historien doit appréhender non comme des édifices
isolés mais comme des quartiers résidentiels, agençant une aire urbaine par
une configuration monumentale. Or le monument doit être ici compris dans
son sens étymologique : il bâtit le temps de la mémoire davantage encore qu’il
n’organise l’espace. Et voici pourquoi l’itinéraire géographique de Pétrarque
présenté par Carlo Tosco ne peut être qu’une promenade monumentale, perlée
de lieux de pouvoir qui sont aussi, fondamentalement, des tombeaux. Lorsqu’il
est devant la basilique Saint-Ambroise à Milan, un paysage à grand spectacle
s’étale devant lui : « sur les murailles de la ville, des champs verdoyants et les
Alpes couvertes de neige en cette fin d’été. Cependant, le plus beau spectacle
de tous, pourrais-je dire, est un tombeau 9 ». Or, ce qu’il y voit, c’est la présence
efficace du saint : « Ambroise vivant ». Ainsi que l’écrit Carlo Tosco, « les signes
du pouvoir perdurent dans le temps, se transforment, assument de nouvelles
valeurs, mais ils restent enracinés dans les lieux ».
Car ce territoire médiéval polarisé n’affecte en rien l’abstraction d’un
empire des signes – c’est tout au contraire une constellation d’espaces occu-
pés, habités, corporellement investis. Qu’est-ce donc qu’un lieu aristotélicien,
sinon un point dans l’étendue du monde où deux corps ne peuvent résider
en même temps ? De là, aussi, l’itinérance des rois – obligés de payer de leur
personne pour opérer une occupation des sols. Fanny Madeline a cartogra-
phié cette mise en mouvement de la « diversité polycratique » (pour reprendre
l’expression de Jean de Salisbury) de l’empire Plantagenêt, avec ce résultat
essentiel : les espaces les plus investis sur le plan monumental sont aussi les plus
fréquentés. Certes, on peut trouver une force d’abstraction dans le marquage
symbolique de l’espace par la forme polygonale des donjons construits dans
la seconde moitié du xiie siècle en Normandie ou en Angleterre. Reste qu’on
ferait un anachronisme en interprétant cette présence monumentale comme
une compensation symbolique de l’absence du roi : ce serait raisonner avec
une conception classique du signe, défini par Louis Marin comme la mise en

9. Pétrarque, Lettres familières. Livres XVI-XIX. Rerum familiarium, XVI-XIX, édition et traduction


André Longpré, Paris, Les Belles Lettres, 2005, p. 92 (livre XVI, lettre 10). Pour un commen-
taire de ce texte, je me permets de renvoyer à « Au cœur de l’espace monumental milanais :
les remplois de Sant’Ambrogio (ixe-xiiie  siècles) », dans P.  Toubert, P.  Moret (dir.), Remploi,
citation, plagiat. Conduites et pratiques médiévales (xe-xiie siècles), Madrid, Casa de Velázquez,
2009, p. 161-190.

408
Conclusions

réserve de la force, alors qu’une sémantique historique de l’État doit utiliser la


philosophie du signe contemporaine des phénomènes qu’elle prétend décrire
– en l’occurrence, pour le Moyen Âge, la théologie de la parole efficace 10.
Nous avons donc parcouru un monde de passes et de passages, sur la terre
comme sur les mers. C’est aussi, de ce fait, un monde de seuils, d’enclaves,
d’exceptions. Entre la France et la Picardie, sur la route qui mène de Péronne
à Arras, il est un arbre-frontière que l’on nomme Tronc Bérenger. Il est donc à
la fois un péage (on y lève le tarif de Bapaume) et un seuil, où peuvent se jouer
des rituels de franchissement. Léonard Dauphant a décrit la sécularisation
d’une légende locale de la frontière, l’intégrant dans une construction politique
qu’il définit avec Commynes comme un « charisme territorial ».
On retrouve donc bien ici l’irritante question du legs braudélien. Dans son
Identité de la France, Fernand Braudel s’est débattu avec la notion de « frontières
“naturelles” », qui l’attire et l’inquiète, même s’il finit par l’encadrer de guille-
mets soupçonneux. Nous ne devons pas imaginer, admet-il, « que la conquête
des limites de l’ancienne Gaule, de “nos” frontières dites naturelles, ait pu être le
principe directeur de l’expansion française, une sorte de programme génétique
auquel les dirigeants de notre pays se seraient soumis, les uns après les autres,
avec la vision nette d’un territoire à réoccuper ». Mais c’est pour concéder
quelques pages plus loin : « La plupart des frontières de France sont de celles que
l’on peut presque sans remords qualifier de “naturelles”, les mers, les Pyrénées,
les Alpes, le Jura – des frontières que la nature défend et où la tâche des hommes
est allégée 11 ». On mesure ici la ténacité d’une mythologie politique. Le dessin
abstrait du royaume des Quatre rivières naturalise un souvenir historique : celui
du traité de Verdun de 843. La frontière naturelle est, comme chez Pascal, un
principe accoutumé. Or, ce que suggère Léonard Dauphant c’est que cette belle
logique de la ligne, qui s’impose à la conduite politique des affaires royales, est
toujours contrariée par les pratiques frangées et articulées du seuil 12. L’État, et
telle est peut-être sa définition même, travaille à concilier l’idée et le terrain, ou
plus précisément la simplicité de l’idée et la complexité du terrain.
C’est donc bien en se plaçant au plus près du passage que l’on peut pro-
duire une description réaliste de ses usages sociaux. Ainsi Michelle Bubenicek
analysant l’affaire du « péage brisé » de Jean III de Chalon-Arlay. Si le baron

10. Ce point est développé dans P. Boucheron, « L’implicite du signe architectural : notes sur la
rhétorique politique de l’art de bâtir entre Moyen Âge et Renaissance », Perspective, 1, 2012,
p. 173-180.
11. F. Braudel, L’identité de la France. Espace et histoire, Paris, Arthaud-Flammarion, 1986, p. 287
et 297.
12. L. Dauphant, Le royaume des Quatre rivières. L’espace politique français au xve siècle (1380-1515),
Seyssel, Champ Vallon, 2012.

409
patr ick boucheron

se sent autorisé à déplacer la barrière de Jougne, c’est parce que la perception


politique des espaces médiévaux n’est pas uniforme ; elle est au contraire cri-
blée d’enclaves, dominée par la logique politique et juridique de l’exception.
Or, Philippe le Hardi affirme sa souveraineté à laquelle nul ne peut échapper,
« aucun de noz subgez […] de quelque estat qu’ilz soient ». La notion de « grant
chemin » permet d’affirmer une idée du bien public qui défend le monopole
de la souveraineté. Elle est, par définition, d’une seule pièce. Et comme le dira
plus tard Cardin Le Bret, « non plus divisible que le point en la géométrie 13 ».
Mais nous nous situons alors dans les années 1630, et tout l’enjeu de ce
colloque consistait à mettre à l’épreuve l’évidence que porte en elle cette idée :
c’est bien la carte qui opère l’effet de lissage du territoire à l’espace, car elle
produit une appropriation (et donc une mathématisation) du monde. De ce
point de vue, les études rassemblées dans ce volume permettent de préciser les
usages de la carte – et de mettre à distance ce complexe d’Icare décrit par Lucia
Nuti 14. Nous nous laissons, nous autres modernes, facilement impressionner
par la puissance d’abstraction et de globalisation de la carte – mais c’est peut-
être là, justement, une croyance de modernes qui confond mathématisation et
littéralisation. Le monde n’est pas mathématisé avant Galilée – la construction
perspective le rend seulement globalement figurable. On pense évidemment ici
à la vue perspective de Venise gravée en 1500 par Jacopo de Barbari 15. Dessiner
une image qui n’existe pas mais qui se révèle quasi in una sola occhiata comme
l’écrit Scamozzi, d’un seul coup d’œil, c’est accéder à la totalité immédiate et
souveraine de la forma – que la construction perspective des peintres permet
d’appréhender en globalité, mais avec ce point de vue si particulier que Daniel
Arasse décrivait comme la vision d’un roi borgne 16.
Or, à étudier pragmatiquement le jeu de cartes qui nous a été présenté,
la diversité des usages et des regards domine largement. Si l’on accepte avec
Christian Jacob l’idée qu’une carte se définit en dernière analyse par « son statut
d’artefact et de médiation dans un processus de communication sociale », alors
on doit admettre qu’en tant que médiation entre l’image mentale de son pro-
ducteur et le modèle implicite de son récepteur, elle est une « confrontation de

13. Cardin Le Bret, De la souveraineté du roi : de son domaine et de sa couronne, Paris, s. n., 1632 (I, 9),
cité par J. Cornette, « Fiction et réalité de l’État baroque (1610-1652) », dans H. Méchoulan
(dir.), L’État baroque. Regards sur la pensée politique de la France du premier xvii e siècle, Paris,
Vrin, 1985, p. 7-87 : ici p. 10.
14. Voir toutefois L. Nuti, Ritratti di città. Visione e memoria tra Medioevo e Settecento, Venise,
Marsilio, 1996.
15. J.  Schulz, « Jacopo de Barbari’s View of Venice : Map Making, City Views, and Moralized
Geography before the Year 1500 », The Art Bulletin, 1978, p. 425-474.
16. D. Arasse, Histoires de peinture, Paris, Denoël, 2004.

410
Conclusions

la vision et de la mémoire 17 ». La carte peut être vue comme un texte : ainsi le


Libro del conocimiento de todos los reinos présenté par Alessandro Savorelli, et qui
fut compilé au milieu du xive siècle, doit être considéré comme un armorial en
forme de portulan donnant à voir une encyclopédie emblématico-héraldique
du monde. Elle peut aussi être appréhendée comme une appropriation pratique
de l’espace. C’est ce que démontre ici Emmanuelle Vagnon : la pratique mari-
time des rivages est, en partie, à l’origine de la connaissance fine des contours
maritimes, mais celle-ci produit une abstraction. Le traité de Tordesillas appa-
raît de ce point de vue comme une rupture intellectuelle dans l’appropriation
de l’espace maritime : il ne statuait pas sur des itinéraires connus ou des côtes
identifiées, mais divisait abstraitement des espaces océaniens en mathématisant
de manière virtuelle leurs coordonnées géographiques : « lesdits procureurs, en
leur nom et en vertu de leurs pouvoirs, ont accordé et consenti qu’il se fasse
et se tire par ladite mer Océane une raie [raya] ou ligne droite de pôle à pôle,
à savoir du pôle Arctique au pôle Antarctique, c’est-à-dire du nord au sud,
laquelle raie ou ligne devant se tirer droite, comme il a été dit, à 370 lieues
des îles du Cap-Vert dans la direction du Ponant ». Ici s’origine, pour le juriste
hollandais Hugo Grotius, un abus de pouvoir : « personne n’ignore qu’un navire
qui traverse la mer n’y prend pas plus de droit qu’il n’y laisse de trace 18 ».
Toute prise de possession cartographique est, d’une certaine manière, un
abus de pouvoir par rapport aux savoirs vernaculaires de l’espace, fragmentaires
et disputés. C’est ainsi que l’on peut analyser les remarquables vues figurées
présentées par Juliette Dumasy-Rabineau : ces « figures cartographiques »
étaient fréquemment placées sous le regard du juge, comme un substitut
à l’expérience. Ainsi de la carte de la vallée de Château-Dauphin dans les
années 1422-1423 : vision abstraite, que l’on considère réaliste, mais qui fait taire
la subtilité des savoirs vernaculaires. Avant 1520, les pouvoirs qui élaborent des
figures de l’espace français ne cherchent pas à « produire un savoir topogra-
phique en tant que tel », mais à résoudre ou prévenir des contentieux, souvent
dans un cadre judiciaire. Autrement dit, la géographie des vues figurées, cela
sert d’abord à faire la paix – pour paraphraser le titre d’un livre (d’ailleurs très
surestimé) d’Yves Lacoste.
C’est aussi ce qui apparaît clairement en lisant la contribution d’Axelle
Chassagnette, qui se situe quant à elle au-delà de ce seuil du xvie siècle. Le pou-
voir ne peut être que territorialisé – il gagne donc une dimension concrète, et
le territoire ne se conçoit plus sans les signes du pouvoir. Les xvie et xviie siècles

17. C. Jacob, L’empire des cartes. Approche théorique de la cartographie à travers l’histoire, Paris, Albin
Michel, 1992, p. 42 et 138.
18. Sur ce sujet, voir désormais G. Calafat, Une mer jalousée. Souveraineté et juridiction des mers
dans la Méditerranée du xviie siècle, Paris, Seuil, sous presse.

411
patr ick boucheron

sont donc le temps du tournant disciplinaire de la géographie et de la systé-


matisation des usages de la cartographie. L’armazém de Lisbonne comme la
Casa de Contratación de Séville rassemblaient des documents cartographiques
produits par des cosmographes attitrés, plus ou moins tenus au secret. Il n’em-
pêche que si cette première cartographie donne à lire « un inventaire et une
description précis de portions d’espaces », elle ne dessine pas encore les confins
du territoire. Unifier et simplifier la limite : telle sera, pour Daniel Nordman,
la tâche de Cassini et, d’une manière générale, le souci du xviiie siècle 19.
Reste qu’on peut, comme l’a montré Valérie Theis, se représenter l’espace
sans carte. Analysant les pratiques de production et de conservation documen-
taires de la Chambre apostolique au xive siècle, elle a reconstitué les principes
ordonnateurs de la constitution d’une liste de données spatialisées à partir
de pratiques d’écriture. La liste peut énumérer les itinéraires d’un parcours
– comme les estimes et les cadastres des villes ou les inventaires d’une biblio-
thèque. Mais l’itinéraire permet aussi de mettre en ordre mentalement l’espace
– et peu importe alors que cet itinéraire soit réel ou rêvé. Avant la carte, la liste.
Cette logique figurative et énonciative ordonne l’espace comme elle informe
aujourd’hui les pratiques des chercheurs. On peut la saisir à différentes échelles
et de ce point de vue le classement des archives de la Chambre apostolique
permet de saisir mentalement sinon un inventaire du moins un itinéraire dans
la diversité du monde.
Dès le xiiie siècle, Marco Polo a enseigné aux Européens que le monde est
plein de royaumes merveilleux et de cours fastueuses, et qu’on trouve toujours
dans chaque ville, même la plus lointaine, quelqu’un à qui parler. On peut le
parcourir sans se perdre, de proche en proche, comme un navire qui frôle le
rivage plutôt que de se risquer en pleine mer, car le monde est structuré par un
réseau, certes peu dense et parfois très lâche, mais continu et très étendu, qui
jette sur lui un filet d’interconnaissances 20. À l’échelle de l’Europe chrétienne, un
moine pouvait voyager de cloître en cloître sans jamais être totalement dépaysé
–  les réseaux monastiques de son ordre fonctionnant comme des machina
memorialis au sens de Mary Carruthers, qui lui offraient partout une structure

19. D. Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire, xvie-xixe siècle, Paris, Gallimard, 1994.
20. Cette hypothèse est développée dans P. Boucheron, « La ville, la cour, la modernité de l’État.
Un “modèle européen” au risque de la world history », dans L. Courbon, D. Menjot (dir.), La
cour et la ville dans l’Europe du Moyen Âge et des Temps modernes, Turnhout, Brepols (Studies
in European Urban History, 35), 2015, p. 237-249 ainsi que dans « Le Moyen Âge à l’épreuve
du monde : entre altérité et familiarité », dans P. Josserand, J. Pysiak (dir.), À la rencontre de
l’autre au Moyen Âge. In memoriam Jacques le Goff. Actes des premières assises franco-polonaises
d’histoire médiévale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 217-228.

412
Conclusions

formelle concordante avec l’image mentale qu’il pouvait s’en faire 21. On dira de
même des grandes villes du monde, que l’on décrira comme faisant partie d’un
archipel urbain, parce qu’elles sont comme des îles, fragiles et isolées, dans un
océan plus faiblement humanisé, mais aussi parce qu’elles sont connectées par
des circuits d’échanges, d’influences ou au moins de ressemblances.
Cette notion d’archipel, théorisé aujourd’hui par les géographes, semble à
même de rendre compte de la territorialité médiévale avant son lissage terri-
torial. Il décrit un monde médiéval où la puissance est davantage réticulaire
que territoriale –  et dès lors qu’on prend un peu de recul, qu’on quitte le
Mâconnais pour une vision élargie du monde, dès lors que l’on envisage du
même regard les caravanes du Sahel et les caravelles de l’océan Indien, alors se
lève un monde articulé mais non unifié, dominé par les spécialistes des seuils,
les portiers, les courtiers, ceux qui savent se situer aux points de captation de
la valeur et tissent l’interconnexion du monde 22.
Nous retrouvons donc bien ici la notion d’englobement, mais ressaisie par
l’histoire connectée. Romain Descendre a montré que la crise de la morale
éthico-juridique du Moyen Âge est inséparable du primat de la question de la
domination territoriale. Le stato machiavélien est, diraient les linguistes, un
nom-tête qui a perdu ses attributs. Quand le stato del nostro comune ou le stato
ch’avea il nostro comune (qui traduit chez le chroniqueur florentin Giovanni
Villani ce que le latin de chancellerie désignait comme status communis)
devient simplement le stato dans la langue de gouvernement de l’Italie du
xive siècle, il abandonne son génitif qui disait le bien public. Ainsi a-t-il fait
rimer territorialisation et déjudiciarisation. Il y a une incompatibilité foncière
entre le respect du droit et l’ambition territoriale des états. La communication
de Mauro Mussolin, qui n’a malheureusement pas pu être jointe à ce volume,
permettait de visualiser ce stato machiavélien : c’est la machine territoriale
conçue, mesurée et dessinée par Michel-Ange. Cette contemporanéité entre
l’absolutisation des pouvoirs princiers, la révolution de l’art des fortifications
et l’amélioration des moyens graphiques pour en rendre compte est évidem-
ment constitutive de cette modernité politique d’englobement. Reste qu’on
serait bien naïf de penser que cette abstraction souveraine de l’État territorial
est un abandon de la logique médiévale de l’exception – c’est au contraire sa

21. M. Carruthers, Machina memorialis. Méditation, rhétorique et fabrication des images au Moyen
Âge, traduction française, Paris, Gallimard, 2002 [éd. orig. 1998].
22. P. Boucheron, F.-X. Fauvelle, J. Loiseau, « Rythmes du monde au Moyen Âge », dans I. Cattedu,
H. Noizet (dir.), Quoi de neuf au Moyen Âge ?, Paris, La Martinière, 2016, p. 150-166. Pour un
exemple récent de ce type de description réticulaire, voir L. Malbos, Les ports des mers nordiques
à l’époque viking (viie-xe siècle), Turnhout, Brepols, 2017.

413
patr ick boucheron

généralisation que l’on connaît aujourd’hui où l’état d’exception peut être un


paradigme d’une souveraineté déterritorialisée.
Valérie Theis a fait un vibrant appel pour le retour aux sources – seul à
même de redonner à cette question de la spatialité le parti pris des choses
qu’à force d’abstraction elle risque de perdre de vue. Entre idéel et matériel,
il semble que les différents contributeurs de ce volume ont plutôt travaillé à
déplacer le curseur vers le matériel – c’est-à-dire vers une histoire sociale des
usages politiques de l’espace. Le grand bond en avant dans la modernité, de
l’espace médiéval au territoire moderne, tel qu’il apparaît dans les grandioses
abstractions dont on a parlé au début, n’en sortira pas indemne. C’est une
manière de retrouver l’espace cartésien d’avant le spatial turn, c’est-à-dire la
rugosité du terrain – et une manière aussi de remarquer que dans l’historiogra-
phie des vingt dernières années, le spatial turn a coïncidé, sans qu’on y prenne
vraiment garde, avec un ecclesial turn. Faire front à la diversité des savoirs
vernaculaires de l’espace, contrer les « fatalités locales » dont parlait Michelet,
c’est aussi une manière d’en séculariser l’histoire.

414


Table des matières


Avant-propos
patrick boucheron, marco folin et jean-philippe genet7
Introduction
jean-philippe genet11

partie i
LES MARQUEURS SYMBOLIQUES DE L’ESPACE –
INDICATORI SIMBOLICI DELLO SPAZIO

Palatia que appellantur de comuni. I Palatia nova di Brescia come figura


della città comunale: aspetti costruttivi e architettonici, elementi decorativi,
evoluzione urbana
matteo ferrari31
Pétrarque et les espaces du pouvoir
carlo tosco63
Demeures des vivants, demeures des morts. Considérations comparatives
sur les formes d’implantation urbaine des seigneurs en Italie aux xive
et xve siècles
marco folin71

partie ii
POUVOIR ET SYMBOLIQUE DE L’ESPACE –
POTERE E SIMBOLOGIA DELLO SPAZIO

Oltre le mura: identità civica, idea del sacro e superstizione


nelle città comunali
vittoria camelliti115
Territoires et lieux de pouvoir dans l’empire Plantagenêt :
circuler, contrôler et construire (1154-1216)
fanny madeline151

415
Entre idéel et matériel

Définir l’espace économique, imposer l’autorité politique.


Les bornes péagères, un enjeu pour la souveraineté princière
(État bourguignon – Franche-Comté, xive-xve siècles)
michelle bubenicek187
Lo stato, il diritto, il territorio. Dominazione territoriale e crisi
del modello giuridico nel pensiero politico italiano del XVI secolo
romain descendre203

partie iii
REPRÉSENTATION ET SYMBOLIQUE DE L’ESPACE –
RAPPRESENTAZIONE E SIMBOLOGIA DELLO SPAZIO

Les cartes marines, xive-xviie siècle : une appropriation de l’espace maritime


emmanuelle vagnon219
Atlanti simbolici dello spazio politico. I portolani e il Libro
del conocimiento de todos los reinos (secolo XIV)
alessandro savorelli237
Cartes et figures de l’espace français, xive-xvie siècle :
représentation de l’espace et exercice du pouvoir
juliette dumasy-rabineau267
La géographie au service des princes : cartes, inventaires et descriptions
des territoires, xvie-xviie siècle
axelle chassagnette293

partie iv
PERCEPTIONS DE LA SYMBOLIQUE DE L’ESPACE –
LA PERCEZIONE DELLA SIMBOLOGIA DELLO SPAZIO

Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières


(France, 1258-1529)
léonard dauphant313
Se représenter l’espace sans carte. Pratiques d’écriture
de la Chambre apostolique au xive siècle
valérie theis329
La città dipinta di Benedetto Bonfigli nella cappella del Palazzo
dei Priori di Perugia
maria rita silvestrelli365

416
table des matières

Una proposta di risarcimento iconografico per il perduto San Dionigi


di Gherardo Starnina
daniele giorgi395
Conclusions
patrick boucheron405

417

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