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LA DESCRIPTION DU MONDE
La richesse de la littérature géographique arabe est bien connue : André Miquel en a relevé
toutes les facettes [1] Encore convient-il de distinguer une littérature des bureaux et une
littérature du voyage. La première, issue de l’administration et des cénacles de lettrés, ne fait
qu’exploiter des documents écrits marqués par la traditionnelle image de la terre héritée de la
vieille géographie de Ptolémée (IIe siècle ap. J.-C.). La seconde, provenant du témoignage
direct de voyageurs mus par l’attrait de la découverte, enrichit la littérature des bureaux,
amenés à rectifier les données acquises à la lumière de l’expérience concrète. Bien sûr, les
voyageurs arabes s’intéressent d’abord aux peuples limitrophes du califat abbasside,
Byzantins, Turcs, Khazars, Bulgares et Russes, sans parler des peuples de l’Asie centrale et de
l’Extrême-Orient. Les relations commerciales, les nécessités de la défense ou de la
propagation de la foi expliquent cet intérêt. Mais entre le Xe et le XIIIe siècle, les horizons
s’ouvrent, la curiosité des géographes arabes s’étend à l’Europe du Nord et à l’Occident.
2Dans les textes qui suivent, il n’est pas toujours aisé de distinguer le récit original des ajouts
postérieurs. Si Mas’ûdî, dans Les Prairies d’or, à défaut d’une expérience personnelle, se
contente de rapporter ce que la tradition géographique lui permet de connaître du royaume des
Francs, Ibrâhîm b. Ya’qûb fonde son récit sur un long voyage effectué en Europe vers 965 ;
malheureusement l’œuvre originelle a disparu. Il n’en subsiste que des extraits transmis par
Qazwînî, mort en 1283, soit trois siècles plus tard. Si cet auteur fait explicitement référence à
Ibrâhîm b. Yaq’ûb, comment savoir s’il se contente de transcrire le texte de son prédécesseur,
ou s’il y ajoute des éléments de son cru ?
3Avec les témoignages réunis sur l’occupation de La Garde-Freinet, nous sommes en terrain
plus sûr. L’on sait comment, dès les dernières décennies du IXe siècle, des marins-pirates
arabes ont tenu cet avant-poste en Provence, qui leur permettait de mener des raids de pillage
jusque dans les régions alpestres. Liutprand, évêque de Crémone, évoque ces expéditions et la
peur qu’en a éprouvée l’Occident.
4Au XIIe siècle, les connaissances géographiques s’affirment. Idrîsî, arrivé à la cour de
Palerme en 1139, rédige le Livre de Roger (Kitâb Rujâr), sur l’ordre de Roger II de Sicile en
1154. Cette « première géographie de l’Occident [2] s’appuie sur l’héritage de la géographie
arabe, objet d’une critique serrée, sur une information orale réunie au cours de quinze années
de travail, et sur une expérience personnelle acquise au cours d’un long séjour de l’auteur en
Espagne : d’où l’intérêt de la description de Tolède, ici présentée.
5Quant à Ibn Djubayr, parti en pèlerinage aux Lieux saints de l’islam en 1183, il rédige un
récit qui devient un modèle de la littérature de la rihla (récit de voyage). Sa perception des
dangers de la mer est commune à tous les voyageurs du Moyen Âge, pour lesquels l’élément
marin préfigure les gouffres infernaux.
6La rareté des témoignages géographiques occidentaux sur les pays d’Islam contraste avec la
découverte de l’Occident par les voyageurs et géographes arabes.
Il faut attendre le XIIIe siècle pour qu’une littérature géographique consistante, émanant de
missionnaires et de voyageurs, permette aux Occidentaux la découverte de l’Autre.
Francs et Galiciens
7Mas’ûdî (v. 893-956), « l’imam de l’encyclopédie », selon André Miquel, est un représentant
typique des milieux culturels de l’époque. Natif de Bagdad, il y fit ses études, y fréquenta de
nombreux savants ; il a beaucoup lu, beaucoup voyagé, mais pas en Occident : c’est dans un
livre lu au Caire qu’il a eu connaissance de l’Occident.
8D’une œuvre importante de 36 titres, il ne subsiste que deux ouvrages, le Murûdj al-dhahab
ou Prairies d’or et le Tanbîh, qui en est le résumé en même temps qu’une mise au point. Le
Murûdj, écrit en 943, révisé en 947 puis en 956, est l’exemple même de la littérature d’adab,
ouvrage d’érudition varié qui instruit tout en distrayant. C’est la première œuvre arabe à
s’intéresser à l’Occident européen.
9Mas’ûdî fonde sa description du monde sur la théorie des sept climats, mais aussi sur la
tradition biblique de la répartition des territoires entre les trois fils de Noé : Chams, Sem et
Japhet. Ce dernier reçut tous les territoires au nord de la Mésopotamie (le Djarbi de notre
auteur), des rivages de l’Atlantique jusqu’à la muraille qu’Alexandre fit édifier pour contenir
les peuples – abominables - de Gog et Magog (il s’agit de la muraille de Chine). Le pays des
Francs correspond chez Mas’ûdî à la Francia Occidentalis de Charles le Chauve (840-877) et
de ses successeurs. Mais il n’abandonne pas la conception beaucoup plus large qui confond
les Francs avec les Rûms, les occupants de l’ancien empire romain (Rhodes, la Crète,
l’Ifrîqiya, c’est-à-dire le Maghreb oriental).
10Quant aux Galiciens, il faut entendre par là tous les Espagnols sous domination chrétienne
(Galice, Asturies, Léon, Castille, Navarre). Mas’ûdî a une claire conscience du danger
représenté par ces peuples pour le califat omeyyade de Cordoue.
« Les Francs [Ifrandja], les Slaves, les Lombards [an-Nûkubard] [3], les Espagnols [al-
Ashbân], les [peuples de] Gog et de Magog, les Turcs, les Khazars, les Burdjân [4], les
Alains [al-Lân], les Galiciens [al-Djalâlîqa] et toutes les autres nations que nous avons citées
comme habitant le Djarbi, c’est-à-dire les régions septentrionales, descendent de Japhet, le
fils, le plus jeune fils de Noé, d’après l’opinion admise sans contestation par les hommes de
recherche et de réflexion, parmi les [savants qui suivent] les doctrines révélées [5]. De tous
ces peuples, les Francs sont les plus belliqueux, les plus inaccessibles, les mieux équipés, les
mieux pourvus de vastes territoires et de nombreuses villes, les mieux organisés, les plus
soumis à l’autorité de leurs princes. [Il faut remarquer] toutefois que les Galiciens sont
encore plus belliqueux et plus à redouter, puisqu’un Galicien tiendra tête à lui seul à
plusieurs Francs.
Les Francs ne forment qu’une seule et même confédération sous l’autorité d’un seul roi, et ce
régime est reconnu par tous, sans opposition ni dissidence. La capitale actuelle de leur
empire, qui est une très grande ville, est nommée Barîza [Paris]. Au surplus, ils possèdent
environ 150 villes [6], sans compter les cantons [provinciaux] et les campagnes. Avant
l’apparition de l’islam, les premiers pays occupés par les Francs étaient, dans la
Méditerranée, l’île de Rhodes, que nous avons déjà signalée comme faisant face à Alexandrie
et possédant, de nos jours, un chantier naval qui appartient aux Byzantins, puis l’île de Crète
que les musulmans ont enlevée aux Francs et où ils se sont établis jusqu’à nos jours.
Les Francs possédaient aussi les contrées de l’Ifrîqiya et la Sicile. Nous avons déjà parlé de
ces îles, et en particulier de celle qui est connue sous le nom d’al-Burkân [7]. C’est un volcan
d’où sortent des corps enflammés, semblables au corps de l’homme, mais sans tête, qui
s’élèvent dans les airs pendant la nuit, retombent ensuite dans la mer et flottent à la surface
de l’eau. Ce sont les pierres avec lesquelles on donne le lustre et le poli aux feuilles des
registres ; elles sont cubiques, blanches, percées de trous affectant la forme d’un rayon de
miel ou de petits nids de guêpes [8]. Ce volcan est connu sous le nom de volcan de Sicile.
Dans cette même île, se trouve le tombeau de Porphyre [Furfûriyus] le Sage, auteur de
l’Isagogué [Isâghûdji] ou introduction à la science de la logique, livre connu sous le nom de
ce philosophe [9]. »
Mas’ûdî, Les Prairies d’or, traduction française de Barbier de Meynard et Pavet de Courteille, revue par C.
Pellat, 3 tomes, Paris, Société Asiatique, 1965, t. Il, pp. 343-346, § 910-912.
Le « dossier » de La Garde-Freinet
11Au milieu du IXe siècle, les offensives des Sarrasins aboutissent à la conquête des îles
(Sicile) et de points d’appui continentaux. Parmi ceux-ci, La Garde-Freinet (Fraxinetum en
latin, Faradjshirût en arabe) et le massif des Maures (Djabal al-Fulâl, selon ibn Hawqal, al-
Qilâl selon d’autres auteurs) où, vers 880, s’établissent des musulmans venus d’Espagne. De
là ils lancent des raids sur toute la Provence et les Alpes : Antibes, Nice, Marseille, Sisteron,
les cols alpestres sont atteints.
12Liutprand de Crémone, qui vivait à la cour du roi des Romains Otton 1 er, a dédié
l’Antapodosis à l’évêque de Lerida, ville encore sous domination musulmane alors.
13Ibn Hawqal, originaire de Mésopotamie, commença en 948 des voyages qui le conduisirent
en Espagne et en Afrique du Nord en 948, en Orient, puis, plus tard, en Sicile (973). Le Kitâb
surat al-Ard, ou Configuration de la terre qui devait être une simple cartographie de l’espace
islamique est devenu, au-delà de la cartographie – qu’il conserva – une véritable géographie
étendue aux marges du monde musulman. Le texte en fut révisé en 988.
14Le massif des Maures est décrit (et cartographié) par Ibn Hawqal comme une île. Sous un
climat alors plus humide qu’aujourd’hui, l’épais manteau forestier et un golfe (de Fréjus)
alors plus profond isolaient parfaitement le massif. Il ne fut pas seulement un repaire de
brigands. Liutprand comme Ibn Hawqal signalent une colonisation agricole.
15Les raids de pillage parurent de plus en plus intolérables et, devant l’impuissance des
pouvoirs chrétiens voisins et rivaux (Marseille, Forcalquier, etc.), le roi des Romains Otton 1 er
intervint d’abord par la diplomatie (voir le texte 2 du chapitre 1 : l’ambassade de Jean de
Gorze) en 956, avant d’envisager une action militaire. Celle-ci n’eut lieu qu’après sa mort en
973 et fut mise en œuvre par les seigneurs provençaux alliés à Arduin III de Turin, à la suite
d’un événement qui marqua beaucoup les esprits, l’enlèvement de l’abbé de Cluny Maïeul.
Cet événement est raconté par Raoul Glaber, ce moine bourguignon de Saint-Germain
d’Auxerre, puis de Cluny, rédacteur d’une Histoire universelle qu’il acheva peu avant sa mort
en 1047.
1. Le récit de Liutprand de Crémone
« La Sagesse, dit-il, qui est le Christ, a déclaré par la voix de Salomon : "Le globe terrestre
combattra pour lui contre les ’insensés"’. Ce qui a lieu quotidiennement, comme peut le
remarquer celui-là même qui passe son temps à ronfler.
S’il faut en produire un exemple évident parmi d’autres innombrables, je donnerai la parole
sans élever moi-même la voix, à la forteresse du Freinet [à l’ouest de Fréjus], située, comme
on le sait, aux confins de l’Italie et de la Provence [10].
Pour que son site apparaisse nettement à tous les lecteurs sans qu’il y ait aucune ambiguïté et
afin que vous puissiez le connaître mieux, je compléterai les renseignements que vous pouvez
tenir des tributaires de votre roi ’Abd al-Rahmân [calife d’Espagne] [11]. Cette forteresse
est, d’un côté, entourée par la mer et de l’autre protégée par une épaisse forêt d’arbres
épineux. Ceux qui y pénètrent sont arrêtés par l’enchevêtrement des ronces et parfois par
leurs pointes tranchantes en sorte qu’ils ne peuvent ni avancer ni revenir sur leurs pas qu’au
prix de pénibles efforts.
C’est secrètement et en vertu d’un juste jugement de Dieu – puisqu’il ne peut en être
autrement – que vingt et un Sarrasins seulement, partis d’Espagne sur une petite barque, y
furent amenés malgré eux sous l’action du vent. Ces pirates débarquèrent de nuit et
pénétrèrent à la dérobée dans le domaine. Ils massacrèrent, ô douleur ! les chrétiens,
s’approprièrent le lieu et aménagèrent le mont des Maures qui lui est attenant pour s’en faire
un refuge contre les populations voisines. Pour mieux se protéger, ils épaissirent les fourrés
de la forêt épineuse afin que si quelqu’un tombait sur une branche, elle le traversât de la
pointe de son dard. Il en résulta que toutes les voies d’accès étaient supprimées à l’exception
d’un sentier très étroit [12].Confiants dans l’âpreté du lieu, ils pouvaient faire irruption à
l’improviste sur toutes les populations environnantes. Ils envoyèrent donc en Espagne de
nombreux messagers pour attirer du monde. Ils vantaient le lieu et assuraient qu’il n’y avait
rien à craindre des populations voisines. Ces messagers ramenèrent bientôt une centaine de
Sarrasins qui vinrent vérifier le bien-fondé de l’assertion.Cependant la jalousie semait la
discorde au milieu des populations provençales qui voisinaient avec les Sarrasins. Elles se
massacraient les unes les autres, se pillaient et se faisaient tout le mal qu’on peut imaginer.
Puis une partie d’entre elles, ne réussissant pas à satisfaire aux exigences de la jalousie ni au
ressentiment qu’elle éprouvait contre les autres, appela à la rescousse les Sarrasins qui
étaient aussi malins que perfides et avec leur concours elle écrasa les populations voisines. Et
le massacre ne lui suffit pas ; elle rendit à la friche une terre qui était fertile [13]. »
Liutprand de Crémone, Antapodosis, Hanovre, éd. Pertz, 1837, p. 7 ; traduction R. Latouche dans Le Film de
l’histoire médiévale en France, Paris, Artaud, 1959, pp. 31-32.
NOTES
[1]A. Miquel, La Géographie humaine du monde musulman, 4 vol., Paris-La Haye,
Mouton, 1967-1986.
[2] H. Bresc et A. Nef, Idrîsî, la premiere Géographie de l’Occident, Paris,
Flammarion, 1999.
[3] L’arabisant C. Pellat pense plutôt aux Magyars.
[4] Les Bulgares.
[5] Mas’ûdî commence son œuvre par l’histoire de la création du monde selon la
Genèse.
[6] Chiffre à comparer aux anciennes cités romaines de la Gaule ?
[7] L’Etna.
[8] Il s’agit de pierres ponces.
[9] Malchus, dit Porphyre (233-304 ?), né à Tyr, philosophe néo-platonicien qui suivit
l’enseignement de Plotin à Rome (dont il écrivit la vie). L’lsagogué (l’Introduction)
est une présentation des catégories d’Aristote. Il sera à la base de la querelle des
Universaux au Moyen Âge. Païen, Porphyre écrivit un traité contre les chrétiens qui a
été interdit et détruit au Ve siècle.
[10] La Garde-Freinet, Var, canton de Grimaud.
[11] ’Abd al-Rahmân III règne à Cordoue de 912 à 963 et est proclamé calife en 929.
[12] On relèvera le parallélisme des indications de Liutprand et de Ibn Hawqal.
[13] Il y a eu colonisation des quelques zones cultivables du massif dès l’occupation
du lieu par les musulmans. Voir Ph. Sénac, Musulmans et Sarrasins dans le sud de la
Gaule du VIIIe au XIe siècle, Paris, Le Sycomore, 1980.
[14] Les géographes arabes nomment Djabal al-Fulâl la région qui paraît correspondre
au massif des Maures.
[15] Ibn Hawqal fait donc de l’expédition des marins d’al-Andalus (l’Espagne
musulmane) une entreprise de guerre sainte, de djihâd.
[16] Ce qui correspond à la longueur du massif, environ 60 kilomètres.
[17] Maïeul, quatrième abbé de Cluny (954-994), revenait d’Italie par les cols
alpestres lorsqu’il fut surpris (entre Embrun et Gap) et fait prisonnier le 22 juillet 972.
[18] Maïeul fut libéré assez rapidement, en septembre 972.
[19] Otton Ier, roi des Romains de 936 à 973, restaurateur de l’empire en Occident en
962.
[20] Rangé dans le cinquième climat, selon une division astronomique du monde
héritée de Ptolémée, l’Ifrandja semble englober la Grèce, l’Italie, la France
méridionale et l’Espagne.
[21] Aussi célèbres que ceux du Yémen.
[22] Allusion à la défense des villes de l’Italie du Sud contre les raids arabes.
[23] Allusion au temple de Tutela, détruit par Vauban en 1677.
[24] L’île de Ré ?
[25] « Montagne » non identifiée.
[26] Le mille équivaut au tiers de la parasange arabe, soit 1920 m. Les dimensions de
l’île sont manifestement exagérées.
[27] Première mention de l’introduction du safran en Occident.
[28] Nasr b. Ahmad (913-943), vassal du calife de Bagdad, est le principal
« souverain » de la dynastie sâmânide du Khorassan, étendant son autorité sur la
Transoxiane et le Nord de l’Iran actuel.
[29] Le texte met en évidence les échanges Orient-Occident par voie de terre, c’est-à-
dire de l’Europe centrale vers Constantinople et les pays de la basse Volga.
[30] L’océan Atlantique.
[31] La Cordillère Centrale.
[32] Tolède devint la capitale du royaume wisigothique dans la seconde moitié du vie
siècle.
[33] Lors de la prise de Tolède le 25 mai 1085, Alphonse VI de Léon-Castille y prit le
titre d’empereur de toute l’Hispania.
[34] Grand port sur la côte méditerranéenne du Maroc.
[35] Rûm désigne en général les non-musulmans de l’empire byzantin, donc les
chrétiens.
[36] Moment de la prière qui suit le déclin du soleil.
[37] Les Baléares sont alors aux mains de la principauté almoravide des Banou
Ghaniya.
[38] Le cap San Marco, au nord du golfe d’Otrante (Italie du Sud).
CONQUETE ET RECONQUETE
En Méditerranée occidentale, chrétiens et musulmans se répartissent de chaque côté de fronts
fluctuants, au hasard des expéditions militaires et des entreprises de colonisation.
2Dans la péninsule Ibérique, l’initiative vient du califat omeyyade de Cordoue qui, dans la
seconde moitié du Xe siècle, exerce une suprématie incontestée. Le comte de Castille, Garcia
Fernandez, a bien essayé de nouer une alliance hostile à Cordoue avec les rois de Navarre et
de Léon, mais la coalition a été écrasée par les troupes omeyyades devant Gormaz (juin 975).
Les ambassadeurs chrétiens – Jean de Gorze qui découvre Cordoue – s’empressent auprès du
calife qui les reçoit « en série » et déploie un faste inégalé.
3Au siècle suivant, la politique d’expansion musulmane s’essouffle. Chez les Amirides
(dynastie formée à l’origine par des maires du palais qui se sont emparés du pouvoir politique
et militaire en al-Andalus entre 978 et 1200), le successeur d’Ibn Abî ’Âmir al-Mansûr (al-
Mansûr signifie « le Victorieux »), son fils ’Abd al-Malik, mène une expédition ambitieuse
contre la Catalogne actuelle, au nom d’une politique de guerre sainte intensive contre les États
chrétiens du Nord de la péninsule. Elle n’aboutit qu’à la prise de deux modestes places
fortifiées frontalières et à une démonstration sans conséquence dans la plaine de Barcelone
(1003). De son côté, l’un des grands officiers califiens, Mudjâhid de Denia, s’efforce de
conquérir la Sardaigne entre 1015 et 1016, mais il se heurte à l’affirmation de la force
nouvelle de Pise et de Gênes et sa tentative échoue. Une décennie plus tard, les États chrétiens
du Nord passent à l’offensive. Le mouvement d’expansion territoriale se développe
rapidement à la frontière des « comtés catalans » et les premières chartes de peuplement sont
accordées aux colons qui se hasardent sur les terres reconquises. Puis, c’est la soit-disant
« première croisade d’Espagne », où s’illustrent des guerriers venus de Normandie, de
Bourgogne et des autres provinces des Gaules : Barbastro en est l’enjeu. Tolède est conquise
en 1085, tandis qu’à des kilomètres de là, le Cid s’empare pour la première fois de Valence.
4Au XIIe siècle, revers et succès se suivent pour chaque camp. Le califat omeyyade s’est
désagrégé en « royaumes de taïfas » (de l’arabe tawa’if, synonyme de « faction » ; l’al-
Andalus se divise en de nombreuses principautés). Mais, venues du Maroc, deux dynasties
rétablissent successivement l’unité d’al-Andalus : les Almoravides à la fin du XIe siècle, les
Almohades au milieu du XIIe siècle. À l’ouest de la péninsule, Giraldo Sem Pavor (sans peur),
le « Cid portugais », attaque les armées almohades implantées au Portugal, s’empare de Béria,
d’Evora, de Caceres et isole Badajoz,
Mais devenu sans emploi à la suite d’une paix conclue par le roi du Portugal avec les
Almohades, il passe au service de ceux-ci, qui le font exécuter pour trahison en 1176. Le roi
Alphonse-Henri de Portugal a réussi à avancer la frontière du royaume jusqu’au Tage, après la
prise de Lisbonne (1147), mais à la fin de son règne, il ne peut s’opposer aux campa gnes
victorieuses du troisième souverain almohade Ya’qûb al-Mansûr.
5Les succès majeurs de la Reconquista datent de la première moitié du XIIIe siècle :
écrasement des armées almohades à la bataille de Las Navas de Tolosa (1212), occupation de
Valence par les forces catalano-aragonaises du roi Jacques 1 er, protectorat imposé par le roi de
Castille, Ferdinand, à la région de Murcie : partout les musulmans reculent et sont remplacés
par des populatores (colons) venus du Nord, gratifiés de chartes de peuplement avantageuses.
Dans la péninsule, la balance penche désormais en faveur des chrétiens.
6Deux textes nous transportent en Italie du Sud : al-Nuwayrî explique les succès des
Normands au détriment des musulmans de Sicile, que près de deux siècles plus tard
l’empereur Frédéric Il exile dans la colonie « sarrasine » de Lucera : dernier avatar d’une
population décimée !
NOTES
[1] Il s’agit de Berbères du Maghreb.
[2] Le 21 juin 956.
[3] Étiquette inconnue en Occident mais très répandue en Orient, à Byzance comme
dans le califat abbasside. À Cordoue elle se combine avec la simplicité et la familiarité
omeyyade (voir J.C. Garcin et alii, États, sociétés et cultures du monde musulman
médiéval, Xe-XVe siècle, Paris, PUF, 1997-2000, t. 3, p. 14).
[4] Les autorités de Cordoue avaient appliqué à Jean le traitement infligé à leur
ambassadeur en Germanie.
[5] Il s’agit de la nouvelle ambassade envoyée par Otton en 956, munie de nouvelles
instructions pour Jean.
[6] Allusion à la révolte fomentée par Liudolph, le gendre, et Conrad, le fils d’Otton
Ier, en 953. Ils firent appel aux Hongrois qui furent vaincus au Lechfeld en août 955.
[7] Année 328 de l’Hégire ; sur le calendrier musulman, voir p. 6.
[8] Narbonne ?
[9] Sur Fraxinetum, voir les textes sur La Garde-Freinet au chapitre 1.
[10] Sans doute Riquide, fille du comte de Barcelone et veuve d’Odon de Narbonne.
[11] Cadi : agent de l’autorité judiciaire, chargé, au civil et au criminel, de faire régner
dans la communauté des croyants un ordre conforme aux exigences de la Loi.
[12] Fatâ : ancien esclave affecté au service du souverain et occupant une haute
position dans la hiérarchie du palais. Le fatâ amiride est au service du calife al-Mansûr
b. Abî ’Amîr.
[13] Préfet de Cordoue, il s’empare en 978 du pouvoir califal et le garde jusqu’à sa
mort en 1002, tout en méritant par ses exploits le surnom d’al-Mansûr (« le
Victorieux »).
[14] Épithète honorifique, s’ajoutant au nom personnel.
[15] « Provinces » plus ou moins autonomes vis-à-vis du pouvoir cordouan.
[16] Ce nom signifie « combattant de la foi ».
[17] Savants, spécialistes des sciences religieuses et interprètes de la Loi.
[18] Soufis ou dévots se réunissant dans des couvents pour suivre l’enseignement d’un
maître et s’y livrer à des exercices spirituels et physiques (musique et danse) propices
aux états mystiques.
[19] Monnaie d’or musulmane d’un poids de 4,5 grammes depuis la réforme
monétaire d’Abd al-Malik en 696.
[20] Le calendrier juif est un calendrier lunisolaire de 12 mois, alternativement de 30
et 29 jours, avec l’insertion de sept mois intercalaires dans un cycle de 19 années. Le
début de l’année correspond à l’équinoxe d’automne.
[21] Abd al-Malik a été investi du vivant de son père de la dignité de hâdjib
(chambellan).
[22] Toponyme non identifié.
[23] Ermessende, veuve du comte de Barcelone Raymond Borrell (992-1018).
[24] Bérenger Raymond Ier, fils alors mineur d’Ermessende, régnera de 1018 à 1035.
[25] Sancha de Castille, femme de Bérenger Raymond I er.
[26] Il s’agit ici de Muhammad b. Abî ’Amir, hâdjib du calife omeyyade, mais en fait
véritable souverain après 981, où il prend le titre d’al-Mansûr.
[27] Sanche III le Grand (1004-1035).
[28] Alphonse V le Noble (999-1027) était roi de Léon (le royaume d’Oviedo s’était
accru du Léon en 910).
[29] Il s’agit de la ville de Viseu, ou Vizeo au Portugal. L’événement eut lieu le 5 mai
1027.
[30] La Marche désigne la région frontière d’al-Andalus, au nord de l’Ebre.
[31] Il faut entendre par là la Gaule : l’armée chrétienne rassemblait des guerriers
venus de Normandie, de Bourgogne et d’autres régions de la Gaule.
[32] Le nom d’Albîtus que les sources arabes prêtent au chef de l’armée chrétienne
serait une déformation du nom du baron normand Robert Crespin.
[33] Polythéiste car trinitaire ; le mot a bien sûr ici le sens de chrétien.
[34] Cette victoire consacra le prestige de l’émir de Saragosse, qui fit édifier le palais
de la Aljaferia (celui-ci subsiste partiellement aujourd’hui).
[35] Étranger, non arabe, littéralement « âne sauvage ».
[36] Alphonse-Henri, roi du Portugal (1139-1185).
[37] Hisn, plur. husûn : château fort établi à l’écart des villes dans les régions
frontalières ou côtières, pouvant aussi servir de lieu d’habitat princier.
[38] On remarquera que l’auteur utilise ici le calendrier chrétien.
[39] Personnage non identifié.
[40] Alphonse-Henri, roi de Portugal (1139-1185).
[41] Le mot Gharb désigne l’Occident d’al-Andalus.
[42] Alcacer do Sal.
[43] Ce terme désignerait les contingents de volontaires, par opposition aux soldats
réguliers.
[44] Les mangonneaux sont des catapultes, à contrepoids.
[45] Cela désigne en fait le roi du Portugal Alphonse-Henri (1139-1185), alors qu’il
est question ici de son successeur, Sancho I er (1185-1211), qui avait occupé Alcacer
do Sal et Silves.
[46] Professionnel de la justice, assistant des cadis dans leur tribunal.
[47] Amân : garantie accordée par le chef de la communauté à un rebelle qui s’est
soumis et qui obtient ainsi la vie sauve.
[48] Arnaud, abbé de Cîteaux de 1212 à 1235.
[49] Arnaud-Amaury, qui fut abbé de Cîteaux et légat du pape en Languedoc pendant
la croisade contre les Albigeois. Passe pour avoir lancé le « Tuez-les tous, Dieu
reconnaîtra les siens » lors du sac de Béziers en 1209. Archevêque de Narbonne du 12
mars 1212 à sa mort en 1225. Arnaud (ci-dessus) lui succède à Cîteaux.
[50] Le calife almohade Abd al-Mu’min Abû AbdAllâh Muhammâd al-Nâsir qui a
succédé à son père Ya’qûb al-Mansûr (le Victorieux), mort le 22 janvier 1194.
[51] La bulle d’Innocent III lançait la prédication, fixait le lieu et la date du
rassemblement des croisés et précisait la portée des indulgences de croisade concédées
à ceux-ci.
[52] Il s’agit des nones de juin en fait, soit le 5 juin, ce qui n’est pas compatible avec
l’octave de Pentecôte qui cette année-là, Pâques étant le 25 mars, tombe le 21 ou 22
mai. À moins que, comme il arrive pour les grandes fêtes du calendrier chrétien, il y
ait plusieurs octaves (voir A. Giry, L’Art de vérifier les dates).
[53] Finalement le roi de Navarre Sanche VII (1194-1234) rejoignit le 7 juillet
Alphonse VIII de Castille (1158-1214) et Pierre Il d’Aragon (1195-1213). Seul
Alphonse IX de Léon (1188-1230) ne vint pas.
[54] La tente du calife, protégée par des chaînes et par sa garde personnelle (les abids),
fut renversée, ce qui provoqua la panique. Le calife avait déjà fui vers Baeza.
[55] Les chiffres sont sans doute exagérés mais les effectifs réunis de part et d’autre
semblent avoir été considérables.
[56] Innocent III (1198-1216).
[57] Allusion à la quatrième croisade et à la croisade contre les Albigeois.
[58] Le 16 juillet. La fête de la Madeleine tombe le 22 juillet.
[59] Nava est équivalent à sierra, chaîne de montagne.
[60] Le calife venait de reprendre à l’ordre militaire de Calatrava cette forteresse après
deux mois de siège.
[61] En 1195. Les chrétiens reprennent Calatrava peu avant la bataille.
[62] Iqab désigne les collines rocheuses qui parsèment le plateau où se déroula la
bataille.
[63] On lui donna le nom de Tolosa.
[64] La supériorité de la cavalerie chrétienne a mis en fuite dès le début les
contingents andalous et mercenaires, laissant à découvert l’armée du calife.
[65] Il y eut d’autres raisons à ce mécontentement : les contingents andalous, indignés
par l’exécution du chef de la garnison de Salvatierra, qui s’était rendue, refusèrent de
combattre.
[66] On voit bien, selon les « lois de la guerre » de l’époque, la différence du
traitement infligé à une ville ou forteresse qui se rend et à celles qui sont prises
d’assaut.
[67] Allusion à la première occupation chrétienne de Valence par le Cid à la fin du XIe
siècle.
[68] Jacques 1er d’Aragon (1212-1276).
[69] Il s’agit de l’ère d’Espagne, qui commence en 38 av. J.-C. Cette date correspond
donc à l’an 1238 de notre calendrier.
[70] al-Thimna : seigneur (qâ’id) de Syracuse et de Catane après la disparition du
dernier émir kalbite de Sicile en 1038. Entré en conflit avec Ibn al-Hawwâs, il fait
appel aux Normands dès 1061 et meurt l’année suivante sur le champ de bataille ; Ibn
al-Hawwâs : seigneur (qâ’id) d’Agrigente, de Castrogiovanni et Castronuovo en 1038,
il entre en lutte contre Ibn al-Thimna et les Normands.
[71] Roger 1er roi des Normands, est le frère de Robert Guiscard ; il conquiert la Sicile
dont il devient comte.
[72] Le mot Rûm désigne ici les Grecs, par opposition aux Francs.
[73] En fait, Roger 1er meurt en 1101.
[74] Terme arabe, sans doute d’origine iranienne, désignant un registre ou un recueil,
puis un service de l’administration.
[75] Principal port de la côte tunisienne de l’Ifrîqiya.
[76] Personnage non identifié.
[77] Issu d’une grande famille de la principauté de Bénévent, Richard était chambellan
de l’empereur.
[78] Guillaume II, roi de Sicile de 1166 à 1189, est le petit-fils de Roger II (1130-
1154), tout comme Frédéric II, par sa mère Constance.
[79] L’empereur impose aux musulmans la capitation (jizya) que ceux-ci exigeaient
des non-musulmans vivant en terre d’Islam
LES PELERINAGES
1Rite individuel puis collectif de pénitence, la visite aux Lieux saints de Palestine confère au
pèlerin une purification quasi automatique de ses péchés, à condition qu’il ait rompu toute
attache avec ses biens et sa famille et se présente à Jérusalem en repentant.
2Du IVe siècle, date du triomphe définitif du christianisme dans l’Empire romain, jusqu’à la
veille des croisades, la tradition du pèlerinage vers Jérusalem n’a pas connu de longue
rupture. La conquête arabe a pu multiplier les vexations infligées aux pèlerins ; elle n’a jamais
interdit à ceux-ci l’accès de la Ville sainte. Depuis le VIIIe siècle, le voyage pénitentiel vers
Jérusalem est considéré comme un moyen de salut ; une visite à l’église du Saint-Sépulcre
gagne la rémission des péchés. L’établissement par Charlemagne d’un protectorat sur les
Lieux saints encourage au voyage ; la création d’hospices le rend plus aisé. En 1009,
cependant, la destruction du Saint-Sépulcre par le calife fatimide al-Hâkim donne un coup
d’arrêt au flux des pèlerins, qui reprend dans les décennies suivantes. Des pèlerinages
collectifs mènent vers le Saint-Sépulcre plusieurs milliers d’hommes (pèlerinage allemand de
1064-1065), en même temps que se créent au long et au terme de leur route des hospices pour
les accueillir.
3Le renouveau spirituel du XIe siècle, lié sans doute à la réforme de l’Église, accorde une
place essentielle à Jérusalem dans la spiritualité occidentale.
Influencés par le millénarisme ambiant, des fidèles plus nombreux veulent aller souffrir par le
Christ et pour le Christ en Terre sainte.
Le départ, les épreuves au long du chemin ont une valeur d’offrande propitiatoire et
rédemptrice. En même temps, se développe une attitude eschatologique envers la Ville sainte :
on veut y attendre la fin des temps, y accomplir une destinée religieuse conçue comme u n
passage, un « estrangement » (détachement) par rapport au monde. Dans cette perspective, le
pèlerinage vers Jérusalem est considéré comme l’ultime voyage, préparant par un rite de
pénitence collectif aux jours derniers. La Jérusalem terrestre devient la figure de la nouvelle
Jérusalem, paradis ouvert aux croyants.
4Les pèlerins prononcent un vœu, reçoivent la bénédiction d’un prêtre, se distinguent du
voyageur par le port d’un insigne, d’une besace et d’un bâton noueux, le bourdon. L’Église
les protège tout au long de la route, recommandant aux moines et aux clercs de leur offrir
l’hospitalité, aux seigneurs et aux princes de les exempter de péages et de taxes. Jusqu’au
début du XIe siècle, le pèlerinage vers Jérusalem est une expédition maritime tentée par deux
ou trois compagnons. Passant par Rome et le Mont-Cassin, les pèlerins vont s’embarquer dans
les ports d’Italie du Sud, utilisant les rares liaisons maritimes existant entre ceux-ci et le
Levant. La conversion des Hongrois au christianisme ouvre à partir de 1010 un itinéraire
continental par la vallée du Danube, Constantinople, l’Asie Mineure et Antioche : une voie
nouvelle de plus en plus empruntée, en raison des invasions normandes en Italie du Sud et des
persécutions du calife al-Hâkim, qui paralysent momentanément les liaisons maritimes. Les
voyages se multiplient néanmoins : le comte d’Anjou, Foulques Nerra, se rend par trois fois à
Jérusalem, et l’évêque de Bamberg Gunther n’y dirige pas moins de trois mille pèlerins en
1064-1065.
5Les Turcs seldjûkides enlèvent Jérusalem aux Fatimides d’Égypte en 1071. Par la suite, les
affrontements entre eux pour le contrôle de la ville gênent l’organisation des pèlerinages dans
le dernier tiers du XIe siècle. Il faut y voir l’une des raisons de la croisade.
À Clermont, le pape Urbain II militarise le pèlerinage aux Lieux saints. Il fait du croisé un
pèlerin supérieur, un pèlerin en armes et donne une force explosive à l’indulgence de
croisade, liée à l’idée populaire du pèlerinage vers Jérusalem. De son côté, Pierre l’Ermite,
porteur d’une « missive céleste », prêche la rémission des péchés accordée à tous ceux qui
partent délivrer la Ville sainte. :
6Après 1099, le pèlerinage des Occidentaux est facilité. Les rites se figent : prière au Saint-
Sépulcre, visite des églises conservant les reliques des premiers temps apostoliques, bain
renouvelant le baptême dans les eaux du Jourdain, au retour port de palmes provenant de
Jéricho. Le flux des pèlerins renforce temporairement la défense du royaume latin, au point
que pèlerins et croisés ne se distinguent pas toujours. La conquête de Jérusalem par Saladin en
1187 renouvelle les tracasseries infligées aux pèlerins au point que, malgré l’obtention de
mesures facilitant l’accès aux Lieux saints (trêve de 1191, traité de Jaffa de 1229), le nombre
de voyages dut décroître dès la fin du XIIe siècle. La vénération des reliques de la Passion,
ramenées en Occident, constitue pour beaucoup de fidèles un substitut au pèlerinage vers
Jérusalem. Lorsque tombent en 1291 les dernières places latines de Terre sainte, la tradition
du « voyage de Jérusalem » n’est pas interrompue ; Marseille et Venise, surtout, mettent sur
pied des liaisons maritimes régulières avec la Palestine, où des moines franciscains, soutenus
par des consuls italiens, protègent les pèlerins et leur offrent l’hospitalité.
7Jérusalem est aussi, évidemment, ville de pèlerinage pour les deux autres grandes religions
du Livre.
Les pèlerins juifs ont laissé des récits curieusement parallèles à ceux des pèlerins chrétiens et
l’on constate à la fin du XIIe siècle, dans Jérusalem redevenue musulmane, une importante
immigration de juifs d’Occident. Quant aux musulmans, ils ont toujours considéré Jérusalem
comme la troisième Ville sainte de l’islam, en raison de la tradition du voyage nocturne de
Mahomet vers les cieux. D’où l’importance pour eux du site de la Coupole du Rocher et de la
mosquée al-Aqsâ. À cet égard, la croisade n’a fait que renforcer la valeur spirituelle de
Jérusalem pour les musulmans.
NOTES
[1] Mel de Bari, redoutable chef de bande originaire de Lombardie, a animé une
révolte à Bari en 1109 (contre les Byzantins), qu’il renouvelle en 1117 en Pouille. Ce
pourquoi il recrute des Normands, qui, contrairement aux indications du texte, n’ont
pas pris ici l’initiative.
[2] En 1117.
[3] En 999.
[4] Il s’agit de Guaimar V, qui exerçait le pouvoir à Salerne au nom des Byzantins.
Plus tard, en 1138, indépendant, il sera investi de la principauté de Capoue par
l’empereur germanique Conrad II.
[5] Il s’agit du général byzantin qui reconquit l’Italie aux dépens des Ostrogoths.
[6] Ce nom que les juifs et les premiers chrétiens attribuaient aux païens est appliqué
ici aux Sarrasins.
[7] Il est aussi nommé Robert le Diable.
[8] Chronologie exacte.
[9] Il est mort vers Nicée le 1 er ou le 2 juillet 1035.
[10] Il s’agit de la découverte de la Vraie Croix par sainte Hélène, mère de Constantin.
[11] Saint Jérôme (v. 347-419/420), formé à Rome par le grammairien Donat, acquiert
une forte culture, vit en ermite pendant trois ans aux environs d’Alep, se rend à Rome
où il sert de secrétaire au pape Damase, puis se fixe à Bethléem. Là, il entreprend de
traduire la Bible en latin, traduction qui forme aujourd’hui notre Vulgate. Il écrit des
commentaires bibliques, traduit des homélies d’Origène et la chronique d’Eusèbe de
Césarée, fonde un monastère à Bethléem où il meurt en 419 ou 420.
[12] Paula (347-404), patricienne romaine qui, après la mort de son époux, décide de
consacrer sa vie à Dieu. Elle suit saint Jérôme en Palestine où elle fonde un monastère
d’hommes et un monastère de femmes.
[13] Eustochium : fille de Paula, elle prend, après la mort de sa mère, la direction des
monastères de Bethléem, fondés par celle-ci.
[14] Mois du calendrier juif.
[15] Selon la tradition, la date de la Création aurait été fixée au IIe siècle de notre ère à
l’année 3761 avant notre ère, d’après les tables généalogiques de la Bible.
[16] Allusion au Temple de Salomon, détruit en 70 ap. J.-C., et, par extension, à la
Ville sainte elle-même.
[17] Les tombeaux des Patriarches à Hébron sont ceux d’Abraham et de Sarah, d’Isaac
et de Lea, de Jacob et de Rebecca, vénérés par les trois religions du Livre. Selon la
Bible, la Double Grotte a été acquise par Abraham pour servir de tombeau à sa
famille.
[18] Allusion à la destruction de Jérusalem en 70.
LE CHOC DE LA PREMIERE CROISADE
À la fin du concile de Clermont (27 novembre 1095), le pape Urbain II lance un appel
pressant aux chevaliers d’Occident pour qu’ils aillent secourir leurs frères d’Orient. Le
discours pontifical ne définit pas de manière exhaustive l’idéologie de la croisade. Celle-ci
résulte d’idées mûries dans l’inconscient collectif de la chrétienté occidentale au cours du XI e
siècle, s’enrichit de l’expérience des croisés au long de leur marche vers Jérusalem, se
transforme et s’affaiblit dans les vicissitudes que connaissent les expéditions vers la Terre
sainte au cours des XIIe et XIIIe siècles.
2Le message d’Urbain II promeut l’expédition vers Jérusalem via Constantinople, comme un
pèlerinage en armes, conforme aux idéaux formulés par les artisans de la réforme de l’Église
au XIe siècle. Comme nous l’avons souligné, le pèlerinage en Terre sainte est le rite de
pénitence par excellence, impliquant conversion, pauvreté volontaire, participation aux
souffrances du Christ, contact physique avec les lieux marqués par la vie de Jésus et des
premiers apôtres ; il est devenu avant 1095 une œuvre collective de salut commun, répondant
à l’attente eschatologique de l’accomplissement des temps.
3À ces thèmes liés au pèlerinage s’ajoute celui de la juste violence, de la guerre sainte. L’un
des premiers papes réformateurs, Léon IX (1049-1054), formule l’idée que les
laïcs – entendons surtout les nobles, les milites – ont comme devoir naturel de combattre pour
protéger l’Église. Dix ans plus tard, Alexandre II approuve une entreprise militaire en
accordant en 1063 une indulgence à ceux qui vont combattre les Sarrasins, dans l’Espagne de
la Reconquista. Un canoniste, Anselme de Lucques, en rassemblant les passages de saint
Augustin sur le droit de tuer et la guerre approuvée par Dieu, permet à Grégoire VII de
justifier la violence utilisée pour la défense de l’Église. Après le désastre byzantin de
Mantzikert face aux Turcs seldjûkides qui ont envahi l’Anatolie (1071), le pape promet la
récompense éternelle à ceux qui iraient libérer leurs frères d’Orient et défendre la foi
chrétienne : premier projet de canaliser vers l’Orient la violence de la société occidentale,
difficilement jugulée par les institutions de paix (trêve de Dieu et paix de Dieu) mises en
place par l’Église dès la fin du xe siècle. De cette guerre sainte, justifiée par la papauté, les
chansons de geste exaltent les précédents glorieux : l’héroïsme chrétien des armées de
Charlemagne dans leur lutte contre les païens. Bravoure, sens de l’honneur et de la fidélité,
telles sont les vertus que doit posséder le chevalier au service de l’Église. Il vit dans le monde
la transposition des valeurs monastiques que les réformateurs du XI e siècle voulaient infuser
chez les laïcs.
4Pèlerinage vers Jérusalem, guerre sainte, promesse de récompense éternelle, le message
d’Urbain II synthétise des idées et des pratiques existantes. Il définit l’expédition projetée
comme le « chemin de Dieu » (via Dei) : une entreprise militaire justifiée par la nécessité de
libérer les églises orientales opprimées et la cité de Jérusalem tombée en servitude. Au concile
de Clermont, le pape prêche la croisade comme un pèlerinage ; il lui donne un objectif,
Jérusalem, centre du monde et patrimoine du Christ ; il introduit le « vœu de croisade » qui ne
peut être accompli qu’à l’arrivée en Terre sainte ;
Il étend la protection de l’Église aux biens des partants, auxquels il prescrit le port de la croix,
signe d’unité et thème très fort de la dévotion du temps.
À ceux qui participent à la croisade, comme à ceux qui vont combattre les Maures en
Espagne, il accorde la rémission des péchés. En grande partie traditionnel, l’appel d’Urbain II
innove par certains aspects : pour la première fois une guerre sainte est proclamée par le pape
au nom du Christ ; le message s’adresse surtout à la chevalerie française dont Urbain II
connaît les aspirations ; il est relayé par des moines et des prédicateurs populaires (Pierre
l’Ermite) qui lui assurent une audience beaucoup plus large que celle que prévoyait la
papauté. Au printemps 1096, la croisade se met en marche.
L’appel à la croisade du pape Urbain II (Clermont, 27 novembre 1095)
5Né à Chartres en 1058, Foucher fut sans doute présent lors de l’homélie du pape Urbain II à
l’issue du concile de Clermont, le 27 novembre 1095. Il semble avoir conservé la substance
du discours pontifical, insistant sur la détresse des chrétiens orientaux et l’urgence de leur
porter secours, bien qu’il omette de citer Jérusalem (à cette date sous contrôle turc), but de
l’entreprise promue par la papauté. Parti pour la Terre sainte en 1096, il devient le chapelain
de Baudouin de Boulogne, se fixe à Jérusalem où il meurt en 1127.
6Son récit de la Première Croisade, Historia Hierosolymitana, composé entre 1100 et 1127,
est destiné aux chevaliers occidentaux qu’il veut inciter à prendre la croix et à s’installer dans
les États latins (comté d’Édesse, principauté d’Antioche, royaume de Jérusalem et comté de
Tripoli, créés à l’issue du succès de la Première Croisade). Il est la seule source locale de
renseignements sur les débuts de l’installation des Francs en Terre sainte et a influencé maint
historien des croisades.
« Ô fils de Dieu ! Après avoir promis à Dieu de maintenir la paix dans votre pays et d’aider
fidèlement l’Église à conserver ses droits, et en tenant cette promesse plus vigoureusement
que d’ordinaire, vous qui venez de profiter de la correction que Dieu vous envoie, vous allez
pouvoir recevoir votre récompense en appliquant votre vaillance à une autre tâche. C’est une
affaire qui concerne Dieu et qui vous regarde vous-mêmes, et qui s’est révélée tout
récemment [1]. Il importe que, sans tarder, vous vous portiez au secours de vos frères qui
habitent les pays d’Orient et qui déjà bien souvent ont réclamé votre aide.
En effet, comme la plupart d’entre vous le savent déjà, un peuple venu de Perse, les Turcs, a
envahi leur pays. Ils se sont avancés jusqu’à la mer Méditerranée et plus précisément jusqu’à
ce qu’on appelle le Bras Saint-Georges [2]. Dans le pays de Romanie [3], ils s’étendent
continuellement au détriment des terres des chrétiens, après avoir vaincu ceux-ci à sept
reprises en leur faisant la guerre. Beaucoup sont tombés sous leurs coups ; beaucoup ont été
réduits en esclavage. Ces Turcs détruisent les églises ; ils saccagent le royaume de Dieu.
Si vous demeuriez encore quelque temps sans rien faire, les fidèles de Dieu seraient encore
plus largement victimes de cette invasion. Aussi je vous exhorte et je vous supplie – et ce n’est
pas moi qui vous y exhorte, c’est le Seigneur lui-même – vous, les hérauts du Christ [4], à
persuader à tous, à quelque classe de la société qu’ils appartiennent, chevaliers ou piétons,
riches ou pauvres, par vos fréquentes prédications, de se rendre à temps au secours des
chrétiens et de repousser ce peuple néfaste loin de nos territoires. Je le dis à ceux qui sont ici,
je le mande à ceux qui sont absents : le Christ l’ordonne.
À tous ceux qui y partiront et qui mourront en route, que ce soit sur terre ou sur mer, ou qui
perdront la vie en combattant les païens, la rémission de leurs péchés sera accordée.
Et je l’accorde à ceux qui participeront à ce voyage, en vertu de l’autorité que je tiens de
Dieu.
Quelle honte, si un peuple aussi méprisé, aussi dégradé, esclave des démons, l’emportait sur
la nation qui s’adonne au culte de Dieu et qui s’honore du nom de chrétienne ! Quels
reproches le Seigneur lui-même vous adresserait si vous ne trouviez pas d’hommes qui soient
dignes, comme vous, du nom de chrétiens !
Qu’ils aillent donc au combat contre les Infidèles – un combat qui vaut d’être engagé et qui
mérite de s’achever en victoire –, ceux-là qui jusqu’ici s’adonnaient à des guerres privées et
abusives, au grand dam des fidèles ! Qu’ils soient désormais des chevaliers du Christ, ceux-là
qui n’étaient que des brigands ! Qu’ils luttent maintenant, à bon droit, contre les barbares,
ceux-là qui se battaient contre leurs frères et leurs parents ! Ce sont les récompenses
éternelles qu’ils vont gagner, ceux qui se faisaient mercenaires pour quelques misérables
sous. Ils travailleront pour un double honneur, ceux-là qui se fatiguaient au détriment de leur
corps et de leur âme. Ils étaient ici tristes et pauvres ; ils seront là-bas joyeux et riches. Ici, ils
étaient les ennemis du Seigneur ; là-bas, ils seront ses amis.
Que ceux qui voudront partir ne tardent pas. Qu’ils louent leurs biens, se procurent ce qui
sera nécessaire à leurs dépenses, et qu’ils se mettent en route sous la conduite de Dieu,
aussitôt que l’hiver et le printemps seront passés. »
Foucher de Chartres, Historia Hierosolymitana, dans Recueil des historiens des croisades, historiens
occidentaux, t. III, Paris, Imprimerie Nationale, 1866, pp. 323-324.
Victoires chrétiennes
7Au printemps 1096, répondant avec enthousiasme à l’appel pontifical, des troupes se
forment, conduites par de petits chefs locaux ou même des paysans. Passant par la vallée du
Rhin, où elles persécutent les communautés juives tenues pour responsables de la mort du
Christ, elles progressent vers la Hongrie, menées par Gautier sans Avoir et Pierre l’Ermite.
8À leur arrivée devant Constantinople (août 1096), le basileus Alexis Ier Comnène (empereur
de Byzance) les transfère en hâte de l’autre côté du Bosphore, où elles sont rapidement
exterminées par les Turcs seldjûkides, dans les environs de Nicée. Au moment même de ce
désastre, quatre armées de chevaliers conduites par de grands seigneurs s’apprêtent à prendre
la route de l’Orient : l’armée lorraine avec à sa tête Godefroy de Bouillon et son frère
Baudouin de Boulogne ; l’armée des Normands de l’Italie du Sud commandée par Bohémond
de Tarente et son neveu, Tancrède ; celle des Provençaux et des Languedociens sous la
conduite du comte de Toulouse Raymond de Saint-Gilles et du légat pontifical, Adhémar de
Monteil ; enfin l’armée des croisés du Nord de la France et de l’Angleterre, avec le duc de
Normandie, Robert Courteheuse, le comte de Blois Étienne et le comte de Flandre, Robert II.
Elles empruntent soit la route de l’Europe centrale par Belgrade et Sofia, soit la célèbre Via
Egnatia, l’ancienne voie romaine reliant Durazzo (Albanie) à Constantinople, par
Thessalonique.
9Leur arrivée devant Constantinople inquiète le basileus qui cherche à se lier les chefs francs
par un serment d’allégeance ; en échange d’une aide de l’Empire, ils remettraient à Byzance
les territoires conquis lui ayant appartenu. Les croisés assiègent Nicée qui capitule le 19 juin
1097 et remettent la ville au représentant du basileus. Après une traversée de l’Anatolie,
marquée de grandes souffrances, une partie des croisés se dirige vers Édesse où Baudouin de
Boulogne fonde en mars 1098 le premier des États francs (ou États latins) issus de la croisade.
L’autre partie s’en va assiéger Antioche qui résiste plus de sept mois et tombe au pouvoir de
Bohémond en juin 1098. Il fonde alors le second État franc, la principauté d’Antioche.
10La marche vers Jérusalem ne reprend qu’en janvier 1099, sous la conduite de Raymond de
Saint-Gilles. La Syrie, morcelée en petits pouvoirs musulmans rivaux, ne résiste guère. Les
croisés arrivent devant Jérusalem le 7 juin et, après cinq semaines d’un siège très dur, la Ville
sainte est prise le 15 juillet 1099. D’abord attribuées à Godefroy de Bouillon, qui porte le titre
d’avoué, c’est-à-dire de protecteur, du Saint-Sépulcre, ces conquêtes vont former le royaume
de Jérusalem au profit de Baudouin de Boulogne, couronné en décembre 1100.
NOTES
[1] Allusion possible à la venue d’une ambassade byzantine au concile de Plaisance en
mars 1095.
[2] Le Bosphore, ainsi dénommé à Byzance en raison de la proximité de l’église Saint-
Georges des Manganes.
[3] L’Empire byzantin en tant que seul héritier de l’Empire romain.
[4] Le pape s’adresse aux évêques.
[5] Confession, communion et aumônes constituent la préparation spirituelle des
croisés.
[6] Les textes ne concordent pas sur le nombre de ces divisions : quatre pour Raimond
d’Aguilers et Foucher de Chartres, dix pour Albert d’Aix.
[7] Hugues, comte de Vermandois, frère du roi de France, Philippe 1 er. Le surnom « le
Mainsné » signifie le « moins né » c’est-à-dire le cadet.
[8] Robert II, fils de Robert le Frison, comte de Flandre depuis 1093.
[9] Godefroy de Bouillon.
[10] Robert Courteheuse, fils aîné de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie
depuis 1087.
[11] Adhémar de Monteil, évêque du Puy-en-Velay, désigné par Urbain II comme son
vicaire et son légat dans l’armée des croisés.
La sainte lance était en fait portée par Raimond d’Aguilers, chapelain du comte de
Toulouse.
[12] Raimond de Saint-Gilles, comte de Toulouse depuis 1088.
[13] Tancrède est fils d’une sœur de Robert Guiscard, Emma, et du marquis Eude.
[14] Bohémond, fils de Robert Guiscard et de sa première femme, Aubrée.
[15] La porte de la Mahomerie est au nord-ouest de la ville d’Antioche.
[16] Kerbogâ, émir de Mossoul.
[17] Au nord d’Antioche.
[18] D’après Guillaume de Tyr, il s’agirait d’un chevalier lorrain, originaire de Toul.
[19] Ces trois saints, habituellement représentés en costumes de guerre, étaient les
patrons des armées byzantines. Saint Georges devait devenir celui des croisés.
[20] Le long de l’Oronte, en amont et à l’est d’Antioche.
[21] Peut-être le château de Harenc, à l’est d’Antioche.
[22] Tutush, frère du sultan seldjûkide Malik Shâh avait reçu de celui-ci Damas et sa
région. Il cède la Palestine à Artuk, chef d’une tribu turcomane au service du sultan
Malik Shâh. À sa mort, l’un de ses fils Suqmân lui succède à Jérusalem jusqu’à sa
reconquête par les Égyptiens. Il-Ghâzî, frère de Suqmân, cité après, fera carrière en
Irak auprès du sultan Muhammad, frère de Malik Shâh.
[23] AI-Afdal b. Badr al-Djamâlî est vizir du califat fatimide d’Égypte, chef du
gouvernement pourrait-on dire ; le prédicat afdal, est celui de la fonction.
[24] Le texte donne la date, erronée, de 1096.
[25] C’est en réalité la ville de Sarudj que Suqmân occupa quelques semaines en 1097
avant que la ville ne tombe aux mains des Francs pour être intégrée au comté
d’Édesse.
[26] On remarquera le lakab (prédicat) en dawla porté aussi bien par Tutush que par
l’émir fatimide de Jérusalem, et qui signifie « support du royaume » ; il s’applique ici
aux titulaires des principautés qui, d’Orient à al-Andalus, caractérisent la situation
territoriale dans l’Islam.
[27]Au sud de la ville. C’est là que les croisés de Raymond de Saint-Gilles étaient
massés.
[28] Oratoire de la Tour de David, c’est-à-dire la citadelle de Jérusalem. Le mirhab est
une petite niche située dans le mur qibla de la mosquée (qui indique la direction de La
Mecque).
[29]La mosquée al-Aqsâ, ou mosquée lointaine. Jérusalem, troisième Ville sainte de
l’Islam, n’avait pas le même prestige que La Mecque et Médine. Peu active, hors des
grandes voies commerciales, elle valait (et vaudra dans l’avenir) surtout par ses
mosquées et ses écoles.
[30]La Coupole du Rocher, dite à tort mosquée d’Omar, est célèbre pour sa coupole
dorée qui abrite le rocher d’où Mahomet s’élança pour son voyage nocturne.
[31]Le dirham, unité monétaire d’argent, est aussi une unité de poids valant 3,148
grammes. Le ratl, ou livre, est une unité de poids qui, en Syrie, vaut 600 dirhams.
[32]Diwân, peut-être d’origine iranienne, a fini par désigner sous le califat abasside les
différents services de gouvernement (Finances, chancellerie, etc.
Lutte de Josselin et de ses alliés musulmans contre Tancrède et ses alliés musulmans
(1108)
15Ibn al-Furât (1334-1405) est un compilateur qui transcrit des sources, pour beaucoup
perdues aujourd’hui.
C’est le cas ici avec le récit de l’historien alépin et shi’ite Ibn Abî Tayyi (1180-1228/1233),
que même ses adversaires sunnites pillèrent abondamment. La division des Seldjûkides,
comme les rivalités opposant les chefs francs, ont facilité une sorte d’intégration des forces
franques dans les arcanes de la politique orientale. Le conflit décrit ici se déroule en 1108. Le
comte d’Édesse Baudouin du Bourcq et son cousin Josselin de Courtenay, seigneur de
Turbessel (dans le comté), faits prisonniers en 1104 à la bataille de Harran, viennent d’être
libérés. Durant leur captivité, Tancrède, régent de la principauté d’Antioche, s’est chargé des
affaires d’Édesse. Il refuse de remettre le comté et la seigneurie aux deux hommes à moins
qu’ils ne lui fassent hommage, ce qu’ils refusent. Chacun cherche des alliés musulmans : leur
ancien geôlier, Djawali, atabeg (tuteur de jeunes princes) de Mossoul pour Baudouin et
Josselin, Ridwân d’Alep pour Tancrède. L’intervention de Baudouin 1 er de Jérusalem met fin
à ce conflit et à ces alliances contre nature.
« Il y avait eu entre Josselin le Franc [11] et Tancrède [12], seigneur d’Antioche, de
nombreux combats et une grande inimitié, par suite de circonstances qui avaient provoqué
des dissentiments et la guerre. Tancrède, grâce à la possession d’Antioche, était le plus fort ;
Josselin était le plus faible, en raison de l’infériorité de son domaine et de son trésor. Aussi,
lorsque Josselin vit qu’il ne pouvait venir à bout de Tancrède, il confia à son fils [13] la
garde du pays, garnit ses places fortes, et se rendit auprès du roi de Rûm [14]aux pieds
duquel il se jeta en sollicitant son appui. Il en obtint quinze mille dinars et revint, ne passant
dans aucune ville chrétienne sans y demander et y obtenir des secours. Et le maudit rentra
auprès de sa mère, le costume avec lequel il était parti tout percé, sans en avoir changé. Il
distribua l’argent aux troupes, et rassembla une grosse armée de Francs et d’autres.
Cependant le maudit Baudouin [15] venait d’être libéré. Josselin le rejoignit avec une grosse
armée, et se mit à infester les confins des terres de Tancrède. Lorsque Tchavli [16] fût réduit
à se réfugier auprès de Josselin, il pilla un village de Tancrède. Celui-ci fit ses préparatifs de
guerre, puis sortit d’Antioche. Il fut secondé par le renfort de Ridwân [17] dont nous avons
parlé, et il y eut bataille près de Tell Bâshir, en un lieu dit Âb’r [18]. Tancrède prit peur des
musulmans qui se trouvaient dans les deux armées et, s’avançant entre les rangs, appela
Josselin, avec lequel il s’entretint. Tchavli regardait, et il ne savait pas que c’était une
coutume franque que l’ennemi rencontrât l’ennemi, précisât la situation, s’entretînt avec lui,
sans qu’aucun d’eux eût à craindre aucun tort de l’autre. Si bien que Tchavli conçut de la
crainte, et se dit qu’ils étaient peut-être en train de s’entendre contre lui.
Tancrède cependant parlait à Josselin de la question des musulmans, mais Josselin
n’accepta rien, et Tancrède alla retrouver les siens. On cria alors l’appel au combat.
Josselin vit Tchavli qui se tenait à l’écart de l’armée. Il alla le trouver et lui dit : "Maître,
telle est notre manière, ne va pas rien t’imaginer d’autre. » Mais Tchavli ne se rendit pas à
ces paroles, et resta à l’écart. Néanmoins il ordonna à son ami Sonqor Derâz de se jeter dans
le feu de la bataille. Les Francs le placèrent à l’aile droite. Tancrède chargea contre Josselin,
une mêlée suivit cette première charge – une de leurs charges les plus violentes – et Sonqor
Derâz tua bon nombre de Francs. Puis les deux armées s’éloignèrent, regagnèrent chacune
leur camp, et se préparèrent à la seconde charge ; chacun des deux chefs chargea contre son
adversaire, suivi par son armée, et Josselin ne cherchait que Tancrède, et Tancrède ne
cherchait que Josselin. Ils se portèrent des coups de lance et de sabre, et chacun fit éprouver
sa vaillance à l’autre. Puis les troupes de nouveau regagnèrent leur camp, et Tancrède dit :
"Il reste une charge, il faut qu’il me tue ou que je le tue." Il changea de cheval, prit une
nouvelle lance, cria l’ordre et rechargea ; Josselin fit de même, ils se rencontrèrent, chacun
frappant l’autre, mais le coup de Tancrède devança celui de Josselin et le renversa de cheval.
Là-dessus le seigneur de Marrâsh chargea contre Tancrède, et le jeta à son tour à terre. Mais
on crut que Josselin avait été tué ; et comme le seigneur de Marrâsh était son porte-étendard,
et que le coup qu’il avait porté à Tancrède l’avait été avec l’étendard, les hommes de Josselin
virent non seulement leur maître à terre, mais encore le drapeau tombé, et ils s’enfuirent.
Aucun Franc ne tua d’autre Franc, mais les musulmans intervinrent, et eux tuèrent des
Francs.
Quant à Josselin, il se releva et se dirigea vers sa forteresse. Mais sa mère l’empêcha
d’entrer : "D’où viens-tu ?" dit-elle. "Plût à Dieu que je ne t’eusse pourvu de rien. – Par
Dieu, répondit-il, je n’ai pas fui, Tancrède m’a porté un vrai coup de lance, je l’ai affronté en
vrai combat : voici ma main pour témoigner de la sincérité de mes paroles."
Mais elle : "J’aurais préféré te savoir mort à te savoir vaincu. Je ne veux pas ajouter foi à tes
paroles avant d’être allée trouver Tancrède, et de lui avoir demandé si tu dis vrai". Et sur-le-
champ elle sortit, se rendit auprès de Tancrède, qui la reçut avec de hauts égards, et lui dit :
"Sais-tu pourquoi je viens ? – Non – J’aurais mieux aimé que Dieu l’eût fait mourir que de le
voir fuir. – Mais, ma tante, il n’a pas fui, il n’a pas eu peur du coup de lance, malgré lui à
terre il a chu, et les siens ont fui vaincus. Il m’a frappé dans les trois charges, et je lui ai
porté bien des coups". Plusieurs cavaliers confirmèrent le dire de Tancrède, et la mère de
Josselin s’en alla. »
Ibn al-Furât, Ta’rîkh ad Duwâl (Histoire des dynasties et des rois) : présenté et traduit par Claude Cahen dans
« Une chronique shi’ite au temps des croisades », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles
Lettres, 1935.
NOTES
[1] Les Normands prennent Palerme en 1072 et achèvent la conquête de l’île en 1091.
[2] Prise de Tolède en 1085, occupation de Valence en 1094 ; villes de l’Ebre entre
1094 et 1100. On remarque que notre auteur ne fait aucune allusion à la « réaction »
des Almoravides (voir le chapitre 2).
[3] Relevons la claire notion de la spécificité de la croisade avec comme objectif
Jérusalem et le parallélisme djihâd-guerre sainte.
[4] Nous ne possédons aucune référence sur lui.
[5] Il s’agit de Abû Hâuod al-Ghazzalî (1058-1111), théologien et juriste né au
Khurasan et qui enseigna à Bagdad. Il a séjourné quelque temps à Damas après 1094
et al-Sulamî a pu l’y rencontrer.
[6] Al-Sulamî parle d’abord du djihâd mineur et fait une distinction entre engagement
collectif et engagement individuel fondé sur la distinction djihâd offensif ou agressif
et djihâd défensif. Le critère en est la responsabilité (et la capacité) des autorités
légitimes de la communauté musulmane, initiateurs naturels du djihâd. En cas de
défaillance de celles-ci, tout musulman est tenu de s’engager personnellement sauf
dans les cas que al-Sulamî précise ensuite.
[7] Il s’agit de cette expédition annuelle ou ghazw (ou ghazwa) engagée contre les
non-croyants à l’islam et qui fut initiée par le prophète à Médine. Elle est la base du
djihâd mineur.
[8] Fatwâ : réponse rendue sur une question juridique par un juriste donnant une
interprétation qui facilite l’application de la loi coranique.
[9] Sunna : « coutume du Prophète » ou ensemble des exemples normatifs empruntés
à la vie de Mahomet et précisant le contenu de la loi musulmane.
[10] Ville située entre Saragosse et Lérida.
[11] Josselin Ire de Courtenay, originaire du Gâtinais, venu avec la Première Croisade
et mis en possession de la seigneurie de Turbessel (Ouest du comté d’Édesse) par son
cousin, Baudouin du Bourcq, auquel il succédera comme comte d’Édesse en 1119.
[12] Tancrède de Hauteville, neveu de Bohémond, assura la régence de la principauté
d’Antioche durant la captivité puis l’absence de celui-ci. Il meurt en 1112.
[13] Le futur comte Josselin Il (1131-1145).
[14] Probablement le sultan seldjûkide de Rûm (Konya) en Asie mineure.
[15] Baudouin du Bourcq, fils de Hugues de Rethel, cousin de Baudouin 1 er auquel il a
succédé à Édesse en 1100 avant de lui succéder dans le royaume en 1118.
[16] Djawali, atabeg de Mossoul, fonction qu’il a enlevée à Jekermish en 1106/1107,
avant d’en être privé par le sultan seldjûkide Muhammad au profit de Mawdûd. C’est
pour contrer ce dernier qu’il libéra Baudouin et lui proposa de s’allier pour combattre
le nouvel atabeg.
[17] Ridwân, prince seldjûkide, fils de Tutush, émir d’Alep de 1098 à 1113.
[18] Le Turbessel des Francs.
[19] Fils de Malik Shâh, le grand conquérant seldjûkide fondateur du sultanat et
rénovateur du califat abbasside et du sunnisme mort en 1092, il succéda à son frère
Barkyaruk en 1105 et régna jusqu’en 1119.
[20] Ville de Perse, à l’ouest du plateau iranien, future capitale du sultanat.
[21] Allusion aux événements de l’année 1110.
[22] Désigne un descendant du prophète, du clan de Hashim.
[23] Le calife était alors al-Mustansir bi-’llâh (1094-1118).
[24] Ville de Perse, capitale des Seldjûkides.
[25] Ce sont les expéditions de 1111 dans lesquelles on voit une des premières
manifestations du djihâd.
[26] Sur le cours supérieur du Khaboui, affluent de l’Euphrate supérieur.
[27] Région au nord de Harran et de Ra’s-al-’Âm (voir notes 7 et 10).
[28] Au sud de Gaza sur la côte méditerranéenne.
[29] Partie septentrionale de la Haute-Mésopotamie.
[30] Ville du cours supérieur du Tigre.
[31] Haute-Mésopotamie, comprise entre les cours supérieurs du Tigre et de
l’Euphrate.
[32] Ville située sur un affluent du Khaboui.
[33] Ville située sur un oued, affluent du Khaboui.
[34] En amont du confluent entre l’Euphrate et le Balikh.
[35] Sur le cours du Balikh.
[36] Ville de l’Euphrate, sur la route entre Damas et Bagdad.
[37] Zengî.
[38] Grande dépression entre les monts Liban et Anti-Liban.
[39] Petit-fils de Tughtikîn et émir de Damas après le meurtre de son frère Shihâb ad-
Dîn.
[40] Importante agglomération située à l’extrémité sud-ouest de la Ghouta, à environ 8
kilomètres de Damas.
[41] Zone de jardins et de vergers irrigués, à l’ouest de Damas.
[42] Région au sud de Damas, englobant les hauteurs du djebel druze.
[43] Groupes turcs nomades, Oghuz d’origine, ayant envahi l’Anatolie au XI e siècle.
[44] Vaste province semi-montagneuse et steppique, parsemée d’oasis fertiles, située à
l’est du plateau iranien et au sud de l’Asie centrale.
[45] Deuxième place forte du comté d’Édesse, située entre Édesse et l’Euphrate.
[46] Louis VII, roi de France de 1137 à 1180.
[47] Ultramontains : les gens d’outre-mont, de l’autre côté des Alpes, par rapport à
l’Italie.
[48] Peut-être le 4 janvier 1148.
[49] Louis VII, devant les difficultés rencontrées, a décidé de gagner Adalia, sur la
côte d’Asie mineure, à douze journées de marche. De là il espère trouver des bateaux
(c’est un port aux mains des Byzantins) pour gagner la Syrie.
[50] Évrard des Barres, maître de l’ordre du Temple de 1149 à 1152 ; il en
démissionna pour rejoindre Cîteaux (il est encore en vie en 1174). L’ordre du Temple,
créé en 1120 pour protéger les pèlerins sur les routes menant à Jérusalem, fut reconnu
par l’Église en 1129, lorsqu’au concile réuni à Troyes, en présence de saint Bernard,
sa règle fut validée.
[51] De ce développement un peu confus, retenons que les escadrons de chevaliers
ainsi encadrés par les templiers devaient supporter sans broncher le harcèlement des
Turcs et ne riposter par la charge de cavalerie que sur ordre ; ensuite ils devaient se
reformer sans chercher à poursuivre l’ennemi. La suite du récit montre la mise en
pratique de cette tactique dans la bataille en marche, tactique dans laquelle les
templiers et les hospitaliers sont passés maîtres.
[52] Nûr al-Dîn succède à son père Zengî à Alep en septembre 1146.
[53] Turbessel (comté d’Édesse). Située à l’ouest du comté, la région ne fut prise
qu’en 1150 et le comte Josselin II de Courtenay fut fait prisonnier à cette occasion.
[54] Raymond II, prince d’Antioche, est tué le 29 juin 1149 à la bataille d’Inab.
[55] Il y avait une importante communauté shi’ite à Alep.
[56] Deux tentatives vaines en 1150 et 1151. Damas fut prise le 25 avril 1154.
[57] Le 18 octobre 1164.
[58] Josselin II d’Édesse entre autres mourut dans les prisons de Damas ; Bohémond
III d’Antioche et Raymond III de Tripoli furent capturés en août 1164.
[59] Harîm, prise par les Francs en 1157, fut reconquise par Nûr al-Dîn en 1164.
[60] Najm al-Dîn Ayyûb, père de Saladin, et Alad al-Dîn Shîrkûh, son oncle, le
conquérant de l’Égypte pour le compte de Nûr al-Dîn. Il est mort le 23 mars 1169 et
Saladin lui a succédé comme émir de l’Égypte.
[61] Allusion au quasi-protectorat franc sur l’Égypte en 1167-1168.
[62] Le califat fatimide était shi’ite donc hérétique.
[63] En 1169, les Francs sont intervenus à la demande de Shawar, vizir du califat.
[64] Saladin a rétabli l’orthodoxie sunnite en Égypte. La prière du vendredi à la grande
mosquée fut désormais placée sous l’invocation du calife abbasside de Bagdad.
[65] Ce terme signifie « le bien guidé » et est attribué au restaurateur de la religion et
de la justice qui, selon une croyance très répandue chez les musulmans, régnera avant
la fin du monde. Par extension, le titre est porté par des souverains qui prétendent
restaurer la vraie religion.
[66] Le gouverneur de Zalid, Abd al-Nabi, fut accusé par Saladin et ses partisans
d’hérésie et de blasphème. L’intervention de Turan Shâh, frère de Saladin (il part
d’Égypte en février 1174), était aussi un moyen, en prenant le contrôle de Médine et
de La Mecque, et en s’emparant du Yémen, de s’assurer un gage prestigieux (les
Lieux saints de l’islam) et d’avoir un refuge en cas de complication avec Nûr al-Dîn.
[67] Il y a là une exagération manifeste, Saladin n’ayant sans doute pris le contrôle
que de quelques arpents du désert libyen. La famille almohade, dont Abd al-Mu’min
(calife de 1130 à 1163) fut le premier calife, intronisé par le Mahdi Ibn Tumârt
fondateur du mouvement de réforme, tenait en effet solidement le Maghreb d’alors.
[68] Calife de 1170 à 1180.
[69] En 1173, la ville de Pise vient de renouveler son accord avec l’Égypte.
[70] Deuxième dynastie califienne de l’Islam, qui instaure son autorité à Bagdad en
750 et la garde malgré la désintégration progressive de l’Empire jusqu’en 1258.
[71] Le calife répondit favorablement à la demande de Saladin. Il lui confirma pleine
autorité sur ses territoires (Égypte) et ses conquêtes (Yémen, Maghreb, marges
dissidentes) ; en revanche en ce qui concerne la Syrie, il ne lui reconnaît d’autorité que
sur Damas et son territoire (occupé depuis octobre 1174 par Saladin) et encore,
seulement comme lieutenant du fils de Nûr al-Dîn, al-Salîh.
[72] Lieutenant kurde de Nûr al-Dîn et oncle de Saladin.
[73] Amaury Ier, roi de Jérusalem (1163-1174).
[74] Saladin accompagne Shîrkûh en Égypte et en devient vizir en 1169.
[75] Fils aîné de Saladin, il se vit attribuer Damas dans la succession de son père. Mort
en 1225.
[76] Les Cornes (deux pitons rocheux) de Hattîn.
[77] La tente du roi Guy de Lusignan.
[78] Amaury de Lusignan, roi de Jérusalem de 1197 à 1205.
[79] Renaud de Châtillon, régent d’Antioche (1153-1160), captif de 1160 à 1176 et
seigneur du Kerak de Moab, vaste seigneurie de l’Outre-Jourdain, jusqu’à sa mort.
[80] Jubail ou Gibelet des Latins.
[81] Fils de Onfroi de Toron.
[82] Gérard de Ridefort, chevalier d’origine flamande, devenu templier en Terre sainte
et désigné maître de l’ordre en 1185. Saladin l’épargna alors qu’il fit exécuter tous les
templiers et hospitaliers prisonniers, probablement pour s’en servir pour obtenir la
reddition des places chrétiennes. Ridefort mourut le 4 octobre 1189 lors du siège
d’Acre.
[83] On estime le total des forces franques réunies à Hattîn à 18000 hommes, au
maximum 25 000. Le nombre des chevaliers, y compris ceux des ordres militaires,
avoisinait 1 800 à 2 000.
[84] Selon la tradition musulmane, le fait de servir de l’eau fraîche à son prisonnier
signifiait qu’on l’épargnait.
[85] Renaud de Châtillon s’était rendu célèbre en février 1183 par sa tentative
d’attaquer les Lieux saints de l’Islam (Médine et La Mecque) avec une flotte qu’il
avait fait construire en mer Rouge. Au début de l’année 1187, le pillage par ses soins
d’une caravane allant du Caire à Damas fut le prétexte de l’intervention de Saladin
contre les Francs.
[86] Raymond III, comte de Tripoli (1152-1187) et seigneur de Galilée, dans le
royaume, rival et opposant à Guy de Lusignan.
[87] Eschive de Bures, dame de Tibériade, femme de Raymond III de Tripoli. Elle
tenait encore la forteresse de la ville.
[88] Guy de Lusignan (1186-1192).
[89] Amaury de Lusignan, futur roi de Chypre (1194-1205) et de Jérusalem (1197-
1205).
[90]Onfroi de Toron, époux d’Isabelle, fille du roi Amaury Ier.
[91] Guy Embriaco (famille génoise), époux d’Alix, sœur de Bohémond IV
d’Antioche et seigneur de Jebaïl (Byblos, Gibelet).
[92] Gérard de Ridefort, maître du Temple (1185-1189).
[93]Ville côtière, au sud de Jaffa, qui commandait la route de l’Égypte.
[94]À l’ouest de la ville de Jérusalem, à côté de la citadelle du même nom.
[95]Au nord de la ville, aujourd’hui porte de Damas.
[96]Le mont des Oliviers est à l’est de la ville, et accessible par la porte de Josaphat.
[97]Le 25 septembre 1187.
[98]La porte de Saint-Lazare, à l’ouest de la porte de Saint-Étienne.
[99] Machine servant à lancer des blocs de pierre contre les murailles.
[100] Commandant des troupes kurdes campées devant Acre.
[101] Ancien commandant des mamlûks de Shîrkûh.
[102] Commandant des troupes musulmanes de Terre sainte.
[103] Commandant de la garnison d’Acre.
[104] Frère de Saladin.
[105] C’est au retour du logis de Philippe de Dreux, évêque de Beauvais, qu’il fut tué.
L’archevêque de Tyr était Joscius (v. 1187-1200), également chancelier du royaume.
[106] Balian II d’Ibelin, seigneur de Ramlâ, qui avait défendu Jérusalem face à
Saladin en 1187.
[107] Renaud de Sidon.
[108] Henri de Champagne, roi de 1192 à 1197.
[109] La véritable héritière du trône est en effet Isabelle, fille d’Amaury Ier, veuve de
Conrad qu’elle avait épousé en 1190 et enceinte de lui. Elle donnera naissance à Marie
de Montferrat qui héritera à son tour du trône. Isabelle dut épouser Henri le 5 mai
1192 ; leur fille Alix épousera le roi Hugues Ier de Chypre.
[110] Fine analyse d"Imâd al-Dîn : la division des Francs était une aubaine pour
Saladin. Il ne peut donc avoir commandité l’assassinat. Richard, lui, avait bien
quelques mobiles ! Conrad mena effectivement, de son vivant, des négociations
parallèles à celles de Richard avec Saladin. Ce dernier choisit finalement de miser sur
Richard et c’est avec lui qu’il signa la trêve.
Les captifs
14À l’issue des batailles, Francs, Espagnols et musulmans ont été confrontés au problème des
captifs. Pour ceux-ci, il n’y a que deux alternatives : soit croupir en prison en attendant un
échange ou le paiement d’une rançon ; soit être réduits en esclavage. L’Espagne chrétienne, la
Sicile normande et l’Orient latin se sont facilement convertis à cette pratique habituelle dans
le monde musulman, puisque l’esclavage était un des fondements de son organisation sociale.
Les institutions mises en place de part et d’autres visent à faire libérer ces deux catégories de
captifs. En Occident, deux ordres charitables, l’ordre de la Merci et celui des trinitaires, se
consacrent à cette tâche au XIIIe siècle.
NOTES
[1] Souverain chrétien mythique, régnant pour les uns en Éthiopie, pour les autres au
cœur de l’Asie, et dont on espérait l’alliance pour lutter contre les Sarrasins.
[2] Nom donné à leur chef par les membres de la secte des Assassins.
[3] Le Moinestre des Croisés, au Liban, à 15 km à l’est de Byblos.
[4] Al-Mâzarî.
[5] Le dâr al-harb (« territoire de guerre ») s’oppose au dâr al-islam, communauté des
croyants, ensemble des pays où règne la loi de Mahomet.
[6] Théologien et juriste malikite de la fin du Xe siècle, ayant joué dans l’Irak des
Bouyides un rôle important de praticien et de théoricien du sunnisme.
[7] Il s’agit de Malik ibn Anas (711-796), juriste de la première période de l’islam, qui
à Médine s’attacha à codifier la loi en usage. Il est le fondateur de l’école juridique du
malikisme, censée représenter la Sunna vivante de Mahomet et de ses compagnons.
[8] Traité juridique malikite, composé par Sahnun au début du IXe siècle.
[9] Il s’agit du Kerak de Moab, dans la principauté franque d’Oultre-Jourdain. Comme
les précédentes, cette tentative de Saladin, en août 1184, fut infructueuse.
[10] La ville fut enlevée aux Francs en 1164.
[11] Hûnin, sur le parallèle de Tyr. C’est le Château Neuf des Francs, qui sera donné à
l’ordre militaire des teutoniques au XIIIe siècle.
[12] Un parasange équivaut à 5 kilomètres environ.
[13] Condominium fréquent en Syrie. Ce contrat de partage par moitié des fruits et
revenus de l’exploitation s’appelle le contrat muqâsama.
[14] Ferme ou village. Il s’agit probablement d’un fief exploité au profit d’un seigneur
franc d’Acre.
[15] Khan ou caravansérail, équivalent du fundûq ou fondaco des colonies et
comptoirs marchands italiens (voir texte 3 du chapitre 8). Ici il est réservé aux seuls
caravaniers musulmans, ce qui explique que les services douaniers des Francs y soient
installés.
[16] Titre honorifique arabe réservé à des fonctions civiles.
[17] Les revenus des douanes sont affermés et constituent des fiefs-rentes.
[18] Coran, sourate 55, verset 24.
[19] À prendre aussi au sens moral. La réputation d’Acre, ville active, cosmopolite,
n’est pas meilleure chez Ibn Djubayr que, plus tard, chez Jacques de Vitry.
[20] 1104, mais vie siècle de l’ère musulmane fondée sur l’hégire, 622.
[21]La grande mosquée est devenue église et le mirhâb, une sorte d’oratoire.
[22] Prophète précurseur de Mahomet qui s’est adressé à la tribu arabe des Thamud.
[23] Bénédiction, source de grâce.
[24] La ville en arabe.
[25] Guillaume II, fils de Guillaume Ier et Marguerite de Navarre, roi de Sicile de 1166
à 1189.
[26] Le mot fityân est ordinairement traduit par eunuque mais l’historien Gaudefroy-
Demombynes préfère lui associer la notion d’officier au sens médiéval de ce terme
(exerçant un office). Toutefois, on retrouve le problème quelques lignes plus loin :
qu’est-ce qu’un eunuque fityân ?
[27] Guillaume ne craint pas le poison !
[28] Cela reprend une formulation musulmane.
[29] Le tremblement de terre daterait de 1179.
[30] Thietmar est évidemment sensible au sort de ses compatriotes, dont certains sont
chevaliers. Doit-on faire remonter leur captivité à la Troisième Croisade ? À celle
d’Henri VI (1196) ? Où à des événements plus récents ? Sur Thietmar, voir le
document 3 du chapitre 3.
[31] Il s’agit de l’île de Graye ou Jazirat Firawûn, l’île de Pharaon, dans le golfe
d’Aqaba, que les Latins du royaume de Jérusalem occupèrent jusqu’à la chute du
premier royaume de Jérusalem. Selon la légende, Pharaon y aurait été arrêté et
englouti en poursuivant Moïse.
[32] Ces captifs sont probablement là depuis longtemps. C’était une région de pêche,
et de cueillette du corail, probablement un monopole appartenant au sultan.
[33] Il s’agit des musulmans originaires d’al-Andalus et du Maghreb.
[34] Ce ne sont peut-être pas des philanthropes ! Ces marchands de Damas, qui font
toutes leurs affaires avec les Francs du littoral ont sans doute beaucoup à se faire
pardonner. Comme les marchands italiens qui commercent avec les Infidèles, en
somme !
[35] C’est la preuve que, à cette époque encore, la conversion de musulmans au
christianisme n’était pas rare. Le mouvement de conversion n’était pas univoque
comme on le pense souven
NOTES
[1] Le Mont-Cassin, monastère fondé par saint Benoît dans les années 520, détruit par
les Lombards vers 570 et reconstruit en 718, avec l’appui du pape et du duc de
Bénévent.
[2] Babylone : nom grec, dérivé du copte, et désignant la forteresse construite au VII e
siècle au bord du Nil, puis un quartier du Caire.
[3] Robert Guiscard, membre de la célèbre famille normande des Hauteville ; il
conquiert la Calabre et la Pouille et met fin à l’occupation byzantine de l’Italie du Sud,
en s’emparant de Bari (1071).
[4] Didier, abbé du Mont-Cassin et futur pape Victor III (1086-1087).
[5] Pantegni : traduction de l’encyclopédie médicale d’al-Magusi, médecin d’origine
persane (xe siècle), transmetteur de l’œuvre de Galien (129-210 env.)
[6] La Practica est avec la Theorica l’une des grandes parties du Pantegni.
[7] Traduction du traité d’Hunayn ibn Ishaq (809-877).
[8] Traduction du traité du médecin et philosophe Ishaq al-Isra’ili, au service du prince
aghlabide Ziyâdat Allâh III, dans la première moitié du xe siècle.
[9] Traité d’Ishaq al-Isra’ili.
[10] Traité d’Ishaq al-Isra’ili.
[11] Traité inspiré du Viatique du voyageur du Kairouanais Ibn al-Gazzâr.
[12] Le Viatique du voyageur d’Ibn al-Gazzâr.
[13] L’Art médical de Galien.
[14] De la méthode thérapeutique, traité de Galien traduit par Hunayn ibn Ishaq.
[15] Abrégé de la médecine de Galien.
[16] Ultime livre de la Practica, amplifié d’additions dues au traducteur.
[17] Les Aphorismes d’Hippocrate (460-377 av. J-C.)
[18] Traité du pseudo-Sérapion.
[19] Ces traités semblent être des extraits tirés de la Practica.
[20] Traité ophtalmologique d’Hunayn ibn Ishâq.
[21] Henri IV (1056-1106) et son fils, Conrad, duc de Lorraine.
[22] Roger II, roi de Sicile en 1130, gouverne l’État normand de 1105 à 1154.
[23] Comprendre : le pape.
[24] L’empereur de Byzance.
[25] Mas’ûdî, encyclopédiste né vers 893, mort en 956 ; Jayhâni, vizir des Samanides,
auteur d’un Livre des routes et des pays, achevé entre 920 et 942 ; Ibn Khurradâdhbih,
de Bagdad, né vers 820 et mort vers 900 ; al-’Udhrî, auteur d’un Livre des merveilles ;
Ibn Hawqal, voyageur et géographe de la seconde moitié du Xe siècle (voir le texte 2
du chapitre 1) ; al-Kîmakî, informateur d’Idrîsî sur les Kimek ; Ya’qûbî, auteur d’un
Livre des pays vers 890 ; Ishaq b. al-Hasan, astronome andalou vers 950 ; Qudâma al-
Barî, né vers 873 et mort entre 932 et 948.
[26] Dans un autre texte, Pierre le Vénérable hésite entre le qualificatif d’hérétique
(qui désigne malgré tout des chrétiens) ou celui de païen.
[27] Pierre le Vénérable avait entrepris une visite des maisons clunisiennes d’Espagne
en 1142. Il souhaitait aussi trouver des hommes instruits pour traduire le Coran et
autres textes musulmans.
[28] On ne sait rien de lui.
[29] Pierre de Poitiers.
[30] Robert de Ketton ou de Chester était venu à Barcelone en 1140 pour apprendre
l’arabe. Il traduisit des ouvrages scientifiques.
[31] Hermann de Carinthie est en Espagne de 1138 à 1142.
[32] Il faudrait ajouter aux quatre noms précédents un musulman, Muhammad.
[33] Le Microtegni ou abrégé de la Médecine de Galien, manuel de base de
l’enseignement de la médecine.
[34] Œuvre de Ptolémée.
[35] Hamet ou Ahmed Ibn Yusuf.
[36] 4. Dialectique d’Aristote, Secondes analytiques (en 2 livres), Themistius,
Commentaire des Secondes analytiques (en 1 livre), Alfarabi, Le Syllogisme, etc.
[37] Jean de Brienne, roi de Jérusalem, beau-père de Frédéric II, et dépouillé de sa
couronne par son gendre.
[38] Abd al-Wahîd al-Rashîd (1232-1242), descendant du fondateur de la dynastie
almohade, ’Abd al-Mu’min. L’empire almohade était alors réduit au Maroc et sa
capitale était Marrakech.
[39] Celui-là même qui, inquiet des désordres causés par l’enseignement d’Ibn Sab’în
et de ses disciples à Ceuta, le contraignit à partir.
[40] Coran, sourate 13, verset 22.