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Gargantua P.

 149, chapitre 19

François Rabelais nait en Touraine vers 1493. Apres avoir étudié et travaillé pour l’Eglise, il s’intéressa à la
médecine. C’est en 1533 qu’il publia «  Les aventures de Pantagruel » (fils de Gargantua), et signa son œuvre
du nom d’Alcofrybas Nasier . Toujours en exerçant le métier de médecin, il voit son œuvre se fait condamner
par la Sorbonne, et pour échapper à la censure, il se met sous la protection des Bénédictins. Il suit le courant
humaniste (individualisme, époque de Martin Luther).
Un an plus tard, il publia « Gargantua » et le signe du même nom. Malgré son succès, Gargantua est également
condamné. L’usage de l’hyperbole lui est sacrée et il manqua de peu les séjours en prison.
Apres maints voyages en Italie, il meurt en 1553 à Paris.

L’œuvre : En 1532 est publiée une œuvre anonyme, Les grandes et inestimables croniques :
du grant et enorme geant Gargantua1.

Il reprend un ancien fond qui transparaît dans d’innombrables traditions populaires. Derrière le
géant truculent et glouton se cacherait une très ancienne divinité gauloise nommée Gargan,
apparemment bienveillante qui remonte peut-être, comme l’édification des pierres dressées, au-
delà des Celtes, comme le dit G. E. Pillard dans Le vrai Gargantua. Mythologie d’un géant.
Déjà George Sand relevait, dans Les Légendes Rustiques : « je croirais que Gargantua est
l’œuvre du peuple et que, comme tous les grands créateurs, Rabelais a pris son bien où il l’a
trouvé. » Gargantua y est appelé le Fay et comme toutes les Fées - Morgane la Fée est dite sa
marraine - il a la maîtrise des formes et se transforme tout particulièrement en Dragon, ce qui le
rattache à la vouivre représentant les énergies telluriques. Henri Dontenville et Henri Fromage
lui attribuent cette dimension de « dragon ».

Critique de l’éducation médiévale, ainsi que des institutions au


fonctionnement médiéval, c’est-à-dire basé sur la tradition,
l’autoritarisme des uns ou des autres, les privilèges et l’absence
de réflexion.
(Inspiré d’une figure mythique populaire Gauloise, Gargantua, personnage obscène au possible
subit l’éducation de son siècle. Gargantua reprend le schéma médiéval de l’initiation du
chevalier : naissance, révélation des capacités, éducation, exploits qualifiant, triomphes
attestés.
Il révèle l’épopée (réflexion philosophiques sur le monde) et l’opposition bien/mal.)

Résumé :

Gargantua, fils de Grandgousier et de Gargamelle, naît dans de «bien estranges» conditions.

Il a été porté pendant onze mois par sa mère Gargamelle. Il naît de l'oreille de sa génitrice, lors
d'un festin où elle a beaucoup mangé, ri, plaisanté et dansé. La taille extraordinaire de
Gargantua permet à Rabelais de décrire de nombreuses situations bouffonnes.
Immédiatement le nouveau-né est mort de soif et réclame «à boyre». Surpris et amusé par une
telle soif, Grandgousier, son père, s’exclame : «Que grand (gosier) tu as», ce qui vaudra à
l’enfant d’être appelé Gargantua.

Entre trois et cinq ans, Gargantua est élevé assez librement. Il bénéficie ensuite d’une éducation
délivrée par des pédagogues traditionnels, des sophistes à l'image des théologiens de la
Sorbonne. Puis il reçoit l’enseignement de Ponocrates, et monte à Paris pour étudier à la
Sorbonne. En chemin, l’énorme jument qu’il monte, chasse les taons de sa queue avec une telle
puissance, qu’elle détruit toute la forêt de Beauce.

Arrivé à Paris, Gargantua s’amuse à dérober les cloches de Notre Dame pour les accrocher au
cou de sa jument. L'enseignement de Ponocrates, Gymnaste et Eudémon supplante celui des
Théologiens, néfaste à Gargantua. Celui-ci poursuit avec ardeur cette éducation humaniste,
lorsqu'il apprend que son père a besoin de lui.

Situation de l’extrait :
Janotus de Bragmardo, orateur de la Sorbonne a été envoyé pour récupérer les grosses cloches
chez Gargantua, mais Gargantua s’empresse de le ‘mener à boire’, et de rendre les cloches à
son insu, avant qu’il ne puisse tenir le discours qu’il a préparé. Si bien que la harangue de
Janotus se résumera à une suite de propos incohérents en français et en mauvais latin.
Tous rient de concert, font boire l’orateur et le comblent de présents, dont une paire de
chausses, un lit, etc…
Les chausses sont cependant sujet de litige …

Plan :
1-‘mais le meilleur… devait se faire une raison’ = exposition de la situation, compliquée car
comprenant 4 éléments déjà ( un certain ‘tousseur’ : Janotus, réclame ses chausses et ses
saucisses, elle lui ont été confisquées car il les a obtenues de Gargantua ; il est dans son bon
droit, les autres refusent sa manière de voir les choses)
2-‘Raison ?... ennemis de Dieu et de la vertu’ : Janotus rétorque avec toute l’autorité dont il est
investi et toute l’éloquence dont il est capable
3-‘A ces mots ils rédigèrent… jamais’ : réaction de ses ennemis et conséquences
4-‘vous savez en effet… reconnaissance de leurs droits’ : commentaire de l’auteur sur les
pratiques en cours à la Sorbonne.

En quoi l’extrait relève-t-il de l’humanisme ?


A travers un événement mineur et cocasse (l’attribution ou non de chausses et de saucisses à un
orateur de la Sorbonne…), Rabelais, homme instruit et critique, met en scène les abus,
nombreux, qui émaillent la vie des professeurs de la Sorbonne, (université prestigieuse de Paris)
les empêchant de se livrer à ce qui devrait être leur vocation : la transmission du savoir.

Dans le premier paragraphe :


-leur intérêt exagéré pour des avantages matériels (les cadeaux en nourriture, en lit, et en
chausses)
-leurs manières querelleuses et peu honnêtes: ‘péremptoirement confisquées…ils répondirent
qu’il n’en aurait miette et qu’il devait s’en faire une raison’
Dans le deuxième paragraphe :
-sous le discours burlesque se cache un double sens :
Les Sorbonnards sont accusés par Janotus, qui est l’un des leurs :
De ne pas faire usage de raison (Raison ? Nous n’en faisons guère usage ici !)
De méchanceté pratiquée couramment (la terre ne porte pas de gens plus méchants,
etc… j’ai pratiqué la méchanceté avec vous)
De pratiquer des abus
D’être ennemis de Dieu et de la vertu
Cet événement et ce discours sont donc prétexte, pour Rabelais, à énoncer une critique directe
contre la corruption qui règne à la Sorbonne, et ce au travers de jugements de valeur et en terme
volontiers exagérés : ‘vous ne valez rien ! La terre ne porte pas de gens plus méchants que
vous… abus énormes forgés ici de vos propres mains… bougres, traîtres, hérétiques, tentateurs’

L’attaque est grave, et leurs réactions mettent en scène leur mode de fonctionnement dans le
troisième paragraphe : les procédures !
-la rédaction d’articles ‘contre lui’
-la tenue d’un procès

Mais compte tenu du contexte, ces procédures apparaissent vides de sens, et une fois de plus
non pas au service de la culture, de la justice, mais d’avis personnels et pour des affaires
insignifiantes.
(champ lexical du vocabulaire juridique : ajourner…procès, Cour de justice, verdict, Cour,
pièces du dossier, verdict) : on a donc une nouvelle institution, la ‘Cour de justice’, qui apparaît
comme ‘tournant à vide’ : procédures vaines, qui n’aboutissent jamais, au service de gens qui
ne font pas leur métier (les professeurs de la Sorbonne)
Ces derniers sont encore ridiculisés par une touche de comique fort grossier, voire obscène : le
vœu de ne pas se décrotter (pour les uns) et de ne pas se moucher ( pour Maître Janot et ses
partisans). Ceci est peut-être une allusion au manque d’hygiène flagrant des professeurs de la
Sorbonne, à l’époque !

Le dernier paragraphe contient le commentaire de l’auteur lui-même, tout en ironie :


Il soutient que les gens de la Cour de justice font ‘davantage que la Nature’ = forme de toute-
puissance (mieux que Dieu !) puisqu’ils produisent des choses ‘infinies’, en l’occurrence les
procès qui sont ‘immenses et immortels’, à prendre au sens négatif du terme !
La justice est censée amener un éclairage sur les affaires qu’elle traite.
Or, ses gens sont appelés ici ‘avaleurs de brouillard’, et il y a allusion à la citation sur le fronton
du temps de Delphes : ‘connais-toi toi-même’, dont ils ne semblent pas faire bon usage.
Ce quatrième paragraphe, ironique et burlesque, est tout de même bien amer : les plaideurs
voient arriver la fin de leur vie plus vite que la reconnaissance de leurs droits
= la Justice ne fait pas son travail !

Conclusion : un épisode cocasse, à la limite de l’obscénité (des chausses, pièce d’habillement


du bas du corps !) est donc prétexte, pour Rabelais à dénigrer, ridiculiser et accuser deux
institutions prestigieuses de Paris : l’université de la Sorbonne et la Cour de justice de ne pas
faire leur travail et de pratiquer la corruption à un degré extrême.

En creux apparaissent les vertus pour lesquelles l’humaniste (qu’il est) combat :
-le travail pour l’instruction et le savoir
-la courtoisie comme règle sociale pour tous
- une justice transparente
-de l’ardeur au travail
-l’intérêt pour des causes nobles et élevées
-le respect de l’individu
-un fonctionnement social basé sur l’honnêteté, etc…

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