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Oeuvres
Tous les textes étudiés appartiennent au domaine public et sont
en ligne, ils sont donnés en fin de séquence (en bleu). L’orthographe
est modernisée.
Le théâtre du nouveau Monde, Les grands voyages édité par Théodore de
Bry, Gallimard découverte, 1992.
Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en terre de Brésil, 1578.
(http://www.mafua.ufsc.br/BT1730002.html )
Montaigne, Essais, livre I, chapitre 31, “Des Cannibales”, 1580.
(http://www.bribes.org/trismegiste/montable.htm )
Jonathan Swift, Modeste proposition pour empêcher les enfants des
pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les
rendre utiles au public, 1729.
(http://kropot.free.fr/Swift-proposition.htm en français ;
http://www.fullbooks.com/A-Modest-Proposal.html
en anglais )
Voltaire, Candide, 1759
(http://fr.wikisource.org/wiki/Candide,_ou_l’Optimisme )
Commentaires
Principalement
Franck Lestringant, Le cannibale, grandeur et décadence, Perrin,
1994.
et
Anne Armand, Essais, Des cannibales, Des Coches, Montaigne, Parcours de
lecture, Bertrand Lacoste, 1994.
Ayoub Mocine, La satire chez Jean de Léry :
http://membres.lycos.fr/fadnet/lerylec.htm
Estelle Soler, La réflexion de Jean de Léry sur la nudité des femmes
sauvages : http://www.lettres.ac-versailles.fr/spip.php?article680
Préalable
Le cours précédant le début de cette séquence, je donne un quart
d’heure aux élèves et leur demande d’écrire un texte (sans autre
précision) sur le thème “cannibale”. Je relève les textes et en fait une
sélection qui sera analysée pour problématiser la difficulté d’un
discours sur la cannibalisme. Cet exercice doit être fait en classe afin
que les élèves ne disposent d’aucun document et travaillent à partir de
leur imaginaire et de leurs préjugés. Un exemple de sélection et
d’analyse est donné en fin de séquence.
Lecture cursive
On peut proposer pour compléter la séquence la lecture cursive
d’oeuvres contemporaines :
Jorgé Amado, Les terres du bout du monde, Gallimard, 1989 pour la
traduction.
Françoise Lefèvre, Le petit prince cannibale, Acte Sud, 1990. (prix
Goncourt lycéen)
Roy Lewis, Pourquoi j’ai mangé mon père, Acte Sud, 1999.
Jean Christophe Rufin, Rouge Brésil, Gallimard, 2001.Les cannibales
Perspectives d’étude
L'argumentation et les effets de chaque discours sur ses destinataires
Les significations et la singularité des textes
Registres : polémique et ironique
Objet d’étude : Démontrer, convaincre et persuader
I. Repères
1. Vocabulaire
étymo d’anthropophage
Cannibal : arawak, caniba, altération de cariba, indiens des petites
Antiles pour se désigner (Hardi).
Première mention aux Amériques, journal de voyage de Colomb : “Plus
au delà (vers l’Est), il y avait des hommes avec un seul oeil et des
museaux de chiens qui mangeaient des êtres humains”. références
sorties de l’Antiquité : Cyclopes et peuples à tête de chien.
Rapprochement : cannibal et canis. En tous cas, cannibal fait
référence à tribus amérindiennes ; on sort du mythe ou géographie
“merveilleuse”, face à une réalité.
Problématique : Comment écrire sur l’anthropophagie ?
2. Villegaignon au Brésil
Correction travail : 12 juillet 1555, embarquement de 600 personnes
sur deux navires (pionniers, criminels, pas de femmes) ; 14 août départ
; 10 novembre, arrivée à Guanabara ? fondation de Fort Coligny.
massacre des forçats révoltés.
1556 : nouveau voyage de protestants genevois après appel à Calvin ;
Jean de Léry (artisan cordonnier, 23 ans, Jean du village de Léry)
1558 : retour des genevois en Bretagne
1560 : Fort Coligny tombe aux mains des portugais.
Contexte : guerres de religions (saint Barthélémy 1572), Calvin,
théologien de la réforme, installé à Genève acquise à ses idées. Amiral
de Coligny protestant. Un des thèmes de querelle : Cène : réalité ou
symbole ? Protestants espèrent fonder en Amérique une nouvelle terre
où ils seront libres de pratiquer (cf puritains et autres fondant les
États-Unis).
libre penseur et renégat : champ lexical de la religion.
indigènes : nés sur place (enjeu : manière de désigner les amérindiens)
3. L’ethnologie
bréviaire de l’ethnologue : étymo d’ethnologie. Quelle est cette scie ?
sur quoi travaille les ethnologues ? à voir avec eux ; sociétés dites
primitives, en fait sociétés sans écriture ; ethnologue comme un scribe
avec tentative d’apporter du sens (quel sens ? celui des indigènes ?
des occidentaux ?). Bréviaire : livre de référence ici.
Levi Strauss : gd ethnologue français, né en 1908. part au brésil dans
les années 30 pour rencontrer tribus en Amazonie ; Tristes tropiques
raconte les conditions de ces voyages et présentent (succinctement)
les tribus rencontrées.
1. Première partie
Élts frappants ?
Nudité présentée comme chose étrange et émerveillable : témoignage
d’un européen ; insistance sur les négatives : ne se peinturent, ne se
ouvrent ni... ni..., jamais en notre puissance de les faire vêtir, ne
souffrir ni avoir, ne vouloir s’habiller. Ce qui et étrange, c’est de ne pas
porter de vêtement.
Sensations associées
à nudité : se délecte en cette nudité(18) ; pour leur plaisir (26)
et aux vêtements : souffrir (9) ; trop de peine de se dépouiller 15) ;
endurer sur elle (29)
2. Deuxième partie
Enjeu de l’argumentation : Répondre à la thèse : la fréquentation
entre ces sauvages tous nus, et principalement parmi les femmes,
incitent à lubricité et paillardise.
1. Les boucans
Travail préalable : p. 319 du manuel (Extrait du chapitre XV, voir fin de
séquence)
Questions :
1. Indiquer les parties descriptives et la partie argumentative du
texte.
2. Quels sont les personnes mises en avant dans la description ?
3. Quelle explication est donnée de l’anthropophagie à la fin du
texte ? À quelle autre explication s’oppose-t-elle ?
4. a. Quelle est la thèse réfutée dans l’argumentation ?
b. Pourquoi Jean de Léry mentionne-t-il Rabelais ?
c. Pourquoi réfute-t-il cette thèse ?
2. Comparaison de la cruauté française avec celle des barbares
Correction
Les différentes parties ;
Anthropophagie : plus par vengeance que pour le goût + donner
crainte et épouvantement aux vivants. Vieilles femmes à part tjs lien
avec sorcellerie, c'est elles qui ont du plaisir à manger.
1. Correction du travail
Travail préalable sur le texte p. 308 du manuel (donné en annexe)
Questions
1. Qu’est-ce qu’un essai ?
2. Donner un titre à chaque étape du raisonnement : l. 1 à 6 / l. 6 à 15 /
l. 15 à 28.
+ questions n° 1, n°4 et n° 5 p. 309
3. La comparaison
Repérer intro et cl : intro 29-31
cl 51-53 ils sont des barbares eu égard aux règles de la raison mais
non par comparaison à nous. On ne peut s’appuyer sur différences
entre les peuples pour qualifier barbarie mais sur la raison. Cf les deux
déf du mot ; première est à rejeter pour seconde ; en ce cas, nous
sommes plus barbares qu’eux.
Cl : Essai apporte une réflexion même dans la description, qui est déjà
une interprétation ; présence forte d’un troisième référent (Antiquité)
dont les brésiliens sont plus proches. Différent de Léry qui condamne
anthropophagie et en fait une description à se faire dresser les
cheveux ; ici presque ellipse de l’action de manger pour dresser une
image méliorative des cannibales/ils. Certains commentateurs
proposent de le lire comme un texte ironique.
§1-2
stéréotypes : bois, chaudière, broches, les uns, les autres, pas de
personnage qui ressort : on est dans un conte. même si qq élts
exacts : nudité, massue, flèches. Nouveau monde comme lieu de
dérèglement : zoophilie et anthropophagie à suivre. Rapidité de l’action
avec coup de théâtre ; récit simplifié à extrême d’où accumulation
d’évts qui sert aussi le comique. Autres effets comiques : nom
Oreillons, c’est un jésuite répété, sorte de chansonnette ou comptine
(vite repris au temps de Voltaire). Nous serons vengés et nous ferons
bonne chère : deux explications st reliées. Usage du dialogue en
français et du nous : effet de conte et de proximité. Voilà comment st
transcrits chants rituels.
§3
Deux réactions : Candide ds déploration et Cacambo ds action.
Réaction de Candide : raisonnement ds l’évidence : quelle perspicacité
! rôti ou bouilli différent de mourir, effet comique avec rimes et vb
concrets de cuisine (d’être mis à la broche par des Oreillons). Ici, élts
concrets servent au comique. Puis part ds réflexion philosophique.Tout
est bien : philosophies cherchent à rendre compte de l’existence du
mal sur terre. Leibniz (très simplifié) : tout mal concourt à un bien plus
grand. Voltaire a partagé cette philosophie jq différents évts
personnels + tremblement de terre de Lisbonne. Pour s’attaquer à
Leibniz, simplification extrême de sa pensée réduite à des slogans et
toujours repris par des personnages benêts. Pangloss et son élève
Candide : st ds le discours et non ds les faits. que dirait / voir, nature est
faite.Reste toutefois ds tout est bien, formule de référence avec
comique de répétition mais : distances avec paroles de maître dvt les
faits mais revient vite à sa théorie à la fin du texte.
Cacambo : j’entends le jargon : jargon : langage corrompu, altéré d’où
langue étrangère. Mais ici parlent français d’où peut-être jargon au
sens de manière de raisonner. candide part sur une argumentation
impropre et Cacambo sur un argument ad hominem (Oreillones) cuire
des hommes : inhumain et peu chrétien. Oreillons ne st pas chrétiens
et commence par leur dire qu’ils sont inhumains, pas de réf à
christianisme mais à une morale universelle. XVIII : appelée droit
naturel : morale inspirée par la nature humaine et on par religion ou
coutumes particulières.
§4
Repérer connecteurs logiques et étapes argumentation.
Messieurs, dit Cacambo, vous comptez donc manger aujourd'hui un jésuite? c'est très
bien fait ; rien n'est plus juste que de traiter ainsi ses ennemis. En effet le droit naturel nous
enseigne à tuer notre prochain, et c'est ainsi qu'on en agit dans toute la terre. Si nous
n'usons pas du droit de le manger, c'est que nous avons d'ailleurs de quoi faire bonne chère;
mais vous n'avez pas les mêmes ressources que nous : certainement il vaut mieux manger
ses ennemis que d'abandonner aux corbeaux et aux corneilles le fruit de sa victoire. Mais,
messieurs, vous ne voudriez pas manger vos amis. Vous croyez aller mettre un jésuite en
broche, et c'est votre défenseur, c'est l'ennemi de vos ennemis que vous allez rôtir. Pour
moi, je suis né dans votre pays; monsieur que vous voyez est mon maître, et bien loin d'être
jésuite, il vient de tuer un jésuite, il en porte les dépouilles; voilà le sujet de votre méprise.
Pour vérifier ce que je vous dis, prenez sa robe, portez-la à la première barrière du royaume
de los padres; informez-vous si mon maître n'a pas tué un officier jésuite. Il vous faudra peu
de temps; vous pourrez toujours nous manger, si vous trouvez que je vous ai menti. Mais, si
je vous ai dit la vérité, vous connaissez trop les principes du droit public, les mœurs, et les
lois, pour ne nous pas faire grâce.
Raisonnement qui a l’air de débuter par concession : c’est très bien fait
mais... suite du raisonnement : vous faites erreur sur la personne. En
fait Cacambo s’accorde sur la pratique des Oreillons ?? À voir : c’est
très bien de manger un jés’. Idée de justice, droit naturel + toute la
terre le fait. Ironie : tuer son prochain /aimer son prochain et
antithèse : passage d’ennemi à prochain + tout le monde le fait qui
n’est pas un argument moral. en déduit un droit de le manger qui n’est
pas justifié par son raisonnement. opposition nous / vous : explication
du cannibalisme par absence de nourriture = idée que cadavre sera
mangé de toutes façons. Cacambo justifie pratique cannibale : est un
droit. Texte évidemment ironique puisque ce droit est déduit de
fausses raisons. ironie : locuteur a recours à des raisonnements
manifestements illogiques si bien que lecteur ne peut le prendre au
sérieux. Ironie suppose toujours un effort d’interprétation du lecteur. et
effet de comique avec la proposition de Candide qui lui est dans le vrai
mais ne pourra convaincre les Oreillons. Critique des discours des
jésuites : ont réputation de justifier les fautes en fonction des
circonstances au lieu d’avoir une morale qui s’applique à tous.
Mais, vous ne voudriez pas manger vos amis : cf ce qu’on reproche aux
européens ds les textes de Léry et de Montaigne. Ici, Oreillons vont se
montrer moins barbares que les Européens. Explique le quiproquo
(rappel thème de comédie) et arrive à la cl suivante : il ne faut pas
manger Candide pq c’est un meurtrier ! Là aussi, parodie du discours
jésuite. d’où ironie de nouveau : droit public, moeurs et lois. Tout ce
qu’il vient de montrer en est le contraire.
§5
Oreillons : chgt total d’attitude, rapidité du récit sous forme de conte
(avec effet d’écho). Apparaissent comme très hospitaliers (/
Occidentaux rencontrés). Et vérifient avt de juger et de manger.
§6
Candide ds admiration alors qu’il trouvait de peuple inhumain ;
s’exclame quel... or les Oreillons sont toujours cannibales. Admire-t-il
leur souci de condamner sur preuve ? Ou égocentrisme du
personnage ? ou adhère au discours de Cacambo : on passe de j’ai
commis un péché en tuant un jésuite à le bonheur de donner un coup
d’épée. Son meurtre lui sauve la vie et cela est conforme au droit. La
pure nature est bonne : allusion à Rousseau (Discours sur les Origines
de l’inégalité, 1755) : L’homme est bon naturellement et il est corrompu
par la société ( d’où amplification du thème du bon sauvage,
embryonnaire chez Montaigne). Voltaire résolument opposé à cette
théorie : les Oreillons ne st pas civilisés et ne st pas bons
naturellement. Pessimisme fondamental de Voltaire.
2. L’utilisation de l’ironie
Ironie : interprétation du lecteur ; le texte ne dit pas ce qu’il dit.
Ironie très mordante : prétend agir pour des raisons éthiques : vendre
les enfants pour éviter infanticide et pour développer la tendresse des
mères pour leurs enfants. + métaphore du paysan : La mère prenant soin
de ses enfants, c'est le paysan irlandais cultivant la terre dans la liberté de
faire le commerce du fruit de son labeur. Irlande empêchée d’exporter ses
produits par les Anglais, pour ne pas faire de tort au commerce anglais. cf.
nous ne courrons pas le risque de mécontenter l’Angleterre car viande
humaine ne pourrait être exportée.
TEXTE I
Chapitre VIII. Du naturel, force, stature, nudité, disposition et
ornements du corps, tant des hommes que des femmes
sauvages Brésiliens, habitant en l’Amérique : entre lesquels
j’ai fréquenté environ un an.
Extrait : « Nudité des Américaines moins à craindre que
l’artifice des femmes de par-deçà »
Mais entre les choses doublement étranges et vraiment
émerveillables, que j’ai observé en ces femmes brésiliennes, c’est
qu’encore qu’elles ne se peinturent pas si souvent le corps, les bras,
les cuisses et les jambes que font les hommes, même qu’elles ne se
couvrent ni de plumasseries, ni d’autres choses qui croissent en leur
terre : tant y a néanmoins que quoi que nous leur ayons plusieurs fois
voulu bailler des robes et des chemises (comme j’ai dit que nous
faisons aux hommes qui s’en habillaient quelquefois), il n’a jamais été
en notre puissance de les faire vêtir : tellement qu’elles en étaient là
résolues (et crois qu’elles n’ont pas encore changé d’avis) de ne
souffrir ni avoir sur elles chose quelle qu’elle soit. Vrai est que pour
prétexte de s’en exempter et demeurer toujours nues, nous alléguant
leur coutume, qui est qu’à toutes les fontaines et rivières claires
qu’elles rencontrent, s’accroupissant sur le bord ou se mettant dedans,
elles jettent avec les deux mains l’eau sur leur tête, et se lavent et
plongent ainsi tout le corps comme cannes, tel jour sera plus de douze
fois, elles disaient que ce leur serait trop de peine de se dépouiller si
souvent. Ne voilà pas une belle et bien pertinente raison ? mais telle
qu’elle est, si la faut-il recevoir, car d’en contester davantage contre
elles, ce serait en vain et vous n’en auriez autre chose. Et de fait, cet
animal se délecte fort bien en cette nudité, que non seulement comme
j’ai déjà dit, les femmes de nos Toüoupinambaoults demeurantes en
terre ferme en toute liberté avec leurs maris, pères et parents, étaient
là du tout obstinées de ne vouloir s’habiller en façon que ce fut : mais
aussi quoi que nous fissions couvrir par force les prisonnières de guerre
que nous avions achetées, et que nous tenions esclaves pour travailler
en notre fort, tant y a toutefois qu’aussitôt que la nuit était close, elles
dépouillaient secrètement leurs chemises et les autres haillons qu’on
leur baillait, il fallait que pour leur plaisir et avant que de se coucher
elles se promenassent toutes nues parmi notre île. Bref, si c’eut été au
choix de ces pauvres misérables, et qu’à grands coup de fouets on ne
les eut contraintes de s’habiller, elles eussent mieux aimé endurer le
halle et la chaleur du soleil, voire s’écorcher les bras et les épaules à
porter continuellement la terre et les pierres que rien endurer sur elles
(...)
Toutefois avant que clore ce chapitre, ce lieu-ci requiert que je
réponde, tant à ceux qui ont écrit, qu’à ceux qui pensent que la
fréquentation entre ces sauvages tous nus, et principalement parmi les
femmes, incite à lubricité et paillardise. Sur quoi je dirai en un mot,
bien qu’il soit vrai qu’en apparence il n’y ait que trop d’occasion
d’estimer qu’outre la déshonnêteté de voir ces femmes nues, cela ne
semble aussi servir comme d’un appât ordinaire à convoitise :
toutefois, pour en parler selon ce qui s’en est communément aperçu
pour lors, cette nudité, aussi grossière en telle femme est beaucoup
moins attrayante qu’on ne croirait. Et partant, je maintiens que les
attifets, fards, fausses perruques, cheveux tortillés, grands collets
fraisés, vertugales, robes sur robes, et autres infinies bagatelles dont
les femmes et filles de par-deçà se contrefont et n’ont jamais assez,
sont sans comparaison, cause de plus de maux que n’est la nudité
ordinaire des femmes sauvages : lesquelles cependant, quant au
naturel, ne doivent rien aux autres en beauté. Tellement que si
l’honnêteté me permettait d’en dire davantage, me vantant de bien
soudre toutes les objections qu’on pourrait amener au contraire, j’en
donnerais des raisons si évidentes que nul ne pourrait les nier. Sans
donc poursuivre ce propos plus avant, je me rapporte de ce peu que
j’en ai dit à ceux qui ont fait le voyage en la terre du Brésil, et qui
comme moi ont vu les unes et les autres.
Ce n’est cependant que contre ce que dit la sainte Ecriture d’Adam
et Éve, lesquels après le péché, reconnaissant qu’ils étaient nus furent
honteux, je veuille en façon que ce soit approuver cette nudité : plutôt
détesterai-je les hérétiques qui contre la Loi de nature (laquelle
toutefois quant à ce point n’est nullement observée entre nos pauvres
Américains) l’ont toutefois voulu introduire par-deçà.
Mais ce que j’ai dit de ces sauvages est, pour montrer qu’en les
condamnant si austèrement, de ce que sans nulle vergogne ils vont
ainsi le corps entièrement découvert, nous excédant en l’autre
extrémité, c’est-à-dire en nos bombances, superfluités et excès en
habits, ne sommes guère plus louables. Et plût à Dieu, pour mettre fin
à ce point, qu’un chacun de nous, plus pour l’honnêteté et nécessité,
que pour la gloire et mondanité, s’habillât modestement.
Jean de Léry, Histoire d’un Voyage fait en la terre du Brésil,1578
TEXTE II
Travail préparatoire : manuel Nathan p. 319
Or toutes les pieces du corps, et mesmes les trippes apres estre
bien nettoyées sont incontinent mises sur les Boucans' , aupres
desquels, pendant que le tout cuict ainsi à leur mode, les vieilles
femmes (lesquelles, comme j'ay dit, appetent merveilleusement de
manger de la chair humaine) estans toutes assemblées pour recueillir
la graisse qui degoutte le long des bastons de ces grandes et hautes
grilles de bois, exhortans les hommes de faire en sorte qu'elles ayent
tousjours de telle viande : et en leschans leurs doigts' disent, Yguatou,
c'est à dire, il est bon. Voilà donc ainsi que j'ay veu, comme les
sauvages Ameriquains font cuire la chair de leurs prisonniers prins en
guerre : assavoir Boucaner, qui est une façon de rostir à nous
incognue.
Cependant je refuteray ici l'erreur de ceux qui, comme on peut voir
par leurs Cartes universelles', nous ont non seulement representé et
peint les sauvages de la terre du Bresil, qui sont ceux dont je parle à
present, rostissans la chair des hommes embrochée comme nous
faisons les membres des moutons et autres viandes : mais aussi ont
feint qu'avec de grands couperets de fer ils les coupoyent sur des
bancs, et en pendoyent et mettoyent les pieces en monstre, comme
font les bouchers la chair de boeuf par-deçà. Tellement que ces choses
n'estans non plus vrayes que le conte de Rabelais touchant Panurge,
qui eschappa de la broche tout lardé et à demi cuit, il est aisé à juger
que ceux qui font telles Cartes sont ignorans, lesquels n'ont jamais eu
cognoissance des choses qu'ils mettent en avant. Pour confirmation de
quoy j'adjousteray, qu'outre la façon que j'ay dit que les Bresiliens ont
de cuire la chair de leurs prisonniers, encores que j'estois en leur pays
ignoroyent-ils tellement nostre façon de rostir, que comme un jour
quelques miens compagnons et moy en un village faisions tourner une
poule d'Inde, avec d'autres volailles, dans une broche de bois, eux se
rians et moquans de nous ne voulurent jamais croire, les voyans ainsi
incessamment remuer qu'elles peussent cuire, jusques à ce que
l'experience leur monstra du contraire.
Texte étudié
Chapitre XV. Comment les Américains traitent leurs prisonniers
pris en guerre, et les cérémonies qu’ils observent tant à les
tuer qu’à les manger.
Extrait : « Comparaison de la cruauté française avec celle des
barbares »
Je pourrais encore amener quelques autres semblables exemples,
touchant la cruauté des sauvages envers leurs ennemis, n’était qu’il
me semble que ce qu’en ai dit est assez pour faire avoir horreur, et
dresser à chacun les cheveux en la tête. Néanmoins afin que ceux qui
liront ces choses tant horribles, exercées journellement entre ces
nations barbares de la terre du Brésil, pensent aussi un peu de près à
ce qui se fait par decà parmi nous : je dirai en premier lieu sur cette
matière, que si on considère à bon escient ce que font nos gros
usuriers (suçant le sang et la moelle, et par conséquent mangeant tous
en vie, tant de veuves, orphelins et autres pauvres personnes auxquels
il vaudrait mieux couper la gorge d’un seul coup, que les faire ainsi
languir) qu’on dira qu’ils sont encore plus cruels que les sauvages dont
je parle. Voilà aussi pourquoi le Prophète dit, que telles gens écorchent
la peau, mangent la chair, rompent et brisent les os du peuple de Dieu,
comme s’ils les faisaient bouillir dans une chaudière. Davantage, si on
veut venir à l’action brutale de mâcher et manger réellement (comme
on parle) la chair humaine, ne s’en est-il point trouvé en ces régions de
par deçà, voire même entre ceux qui portent le titre de Chrétiens, tant
en Italie qu’ailleurs, lesquels ne s’étant pas contentés d’avoir fait
cruellement mourir leurs ennemis, n’ont pu rassasier leur courage,
sinon en mangeant de leur foie et de leur cœur ? Je m’en rapporte aux
histoires. Et sans aller plus loin, en la France quoi ? (Je suis
Français et je me fâche de le dire) durant la sanglante tragédie qui
commença à Paris le 24 d’août 1572 dont je n’accuse point ceux qui
n’en sont pas cause : entre autres actes horribles à raconter, qui se
perpétrèrent lors par tout le Royaume, la graisse des corps humains
(qui d’une façon plus barbare et cruelle que celle des sauvages, furent
massacrés dans Lyon, après être retirés de la rivière de Saône) ne fut-
elle pas publiquement vendue au plus offrant et dernier enchérisseur ?
Les foies, cœurs, et autres parties des corps de quelques-uns ne
furent-ils pas mangés par les furieux meurtriers, dont les enfers ont
horreur ? Semblablement après qu’un nommé Cœur de Roi, faisant
profession de la Religion réformée dans la ville d’Auxerre, fut
misérablement massacré, ceux qui commirent ce meurtre, ne
découpèrent-ils pas son cœur en pièces, l’exposèrent en vente à ses
haineux, et finalement l’ayant fait griller sur les charbons, assouvissant
leur rage comme chiens mâtins, en mangèrent ? Il y a encore des
milliers de personnes en vie, qui témoigneront de ces choses non
jamais auparavant ouïes entre peuples quels qu’ils soient, et les livres
qui dès long temps en sont jà imprimés, en feront foi à la postérité.
Tellement que non sans cause, quelqu’un, duquel je proteste ne savoir
le nom, après cette exécrable boucherie du peuple français,
reconnaissant qu’elle surpassait toutes celles dont on avait jamais ouï
parler, pour l’exagérer fit ces vers suivants :
Riez Pharaon,
Achab, et Néron,
Hérode aussi :
Votre barbarie
Est ensevelie
Par ce fait ici.
Par quoi, qu’on n’abhorre plus tant désormais la cruauté des sauvages
anthropophages, c’est-à-dire mangeurs d’hommes : car puisqu’il y en a
de tels, voire d’autant plus détestables et pires au milieu de nous,
qu’eux qui, comme il a été vu, ne se ruent que sur les nations
lesquelles leur sont ennemies, et ceux-ci se sont plongés au sang de
leurs parents, voisins et compatriotes, il ne faut pas aller si loin qu’en
leur pays ni qu’en l’Amérique pour voir choses si monstrueuses et
prodigieuses.
Texte étudié
Ils ont leurs guerres contre les nations qui sont au delà de leurs
montagnes, plus avant en la terre ferme, vers lesquelles ils vont tout
nus, n'ayant autres armes que des arcs ou des épées de bois,
appointées par un bout, comme les langues de nos épieux. C'est chose
esmerveillable que la fermeté de leurs combats, qui ne finissent jamais
que par meurtre et effusion de sang ; car, déroutes et effroi, ils ne
savent ce que c'est.
Chacun rapporte pour son trophée la tête de l'ennemi qu'il a tué,
et l'attache à l'entrée de son logis. Apres avoir longtemps bien traité
leurs prisonniers, et de toutes les commodités dont ils peuvent
s’aviser, celui qui en est le maître, fait une grande assemblée de ses
connaissances : il attache une corde à l'un des bras du prisonnier, par
le bout de laquelle il le tient, éloigné de quelques pas, de peur d'en
être offensé, et donne au plus cher de ses amis l'autre bras à tenir de
même ; et eux deux, en présence de toute l'assemblée, l'assomment à
coups d'épée. Cela fait, ils le rôtissent et en mangent en commun et en
envoient des morceaux à ceux de leurs amis qui sont absents. Ce n'est
pas, comme on pense, pour s'en nourrir, ainsi que faisaient
anciennement les Scythes : c'est pour exprimer une extrême
vengeance.
Et pour preuve qu’il en est ainsi, ayant aperçu que les Portugais,
qui s'étaient ralliés à leurs adversaires, usaient d'une autre sorte de
mort contre eux, quand ils les prenaient, qui était de les enterrer
jusques à la ceinture, et tirer force coups d’épée sur le reste de leur
corps, et les pendre après : ils pensèrent que ces gens de cet autre
monde-ci, comme ceux qui avaient semé la connaissance de beaucoup
de vices parmi leur voisinage, et qui étaient beaucoup plus grands
maîtres qu'eux en toute sorte de malice, ne prenaient pas sans
occasion cette sorte de vengeance, et qu'elle devait être plus aigre
que la leur, commencèrent de quitter leur façon ancienne pour suivre
celle-ci.
Je ne suis pas chagriné que nous remarquions l'horreur
barbaresque qu'il y a en une telle action, mais je le suis pour sûr de ce
que, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveuglés aux nôtres.
Je pense qu'il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le
manger mort, à déchirer, par tourment et par géhennes, un corps
encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et
meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons, non
seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis
anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous
prétexte de piété et de religion), que de le rôtir et manger après qu'il
est trépassé.
Chrysippe et Zénon, chefs de la secte Stoïque, ont bien pensé qu'il
n'y avait aucun mal de se servir de notre charogne à quoi que ce fut
pour notre besoin, et d'en tirer de la nourriture : comme nos ancêtres,
étant assiégés par César en la ville de Alexia, se résolurent à soutenir
la faim de ce siège par les corps des vieillards, des femmes et autres
personnes inutiles au combat.
Vascones, fama est, alimentis talibus usi Produxere animas.
Et les médecins ne craignent pas de s'en servir à toute sorte
d'usage pour notre santé, soit pour l'appliquer au dedans ou au
dehors ; mais il ne se trouva jamais aucune opinion si déréglée qui
excusât la trahison, la déloyauté, la tyrannie, la cruauté, qui sont nos
fautes ordinaires.
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles
de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute
sorte de barbarie. Leur guerre est toute noble et généreuse, et a
autant d'excuse et de beauté que cette maladie humaine en peut
recevoir: elle n'a autre fondement parmi eux que la seule jalousie de la
vertu. Ils ne débattent pas de la conquête de nouvelles terres, car ils
jouissent encore de cette profusion naturelle qui les fournit sans travail
et sans peine de toutes choses nécessaires, en telle abondance qu'ils
n'ont que faire d'agrandir leurs limites. Ils sont encore en cet heureux
point, de ne désirer qu'autant que leurs nécessités naturelles leur
ordonnent : tout ce qui est au delà, est superflu pour eux.
Montaigne, “Des cannibales”, Essais, livre I, chapitre 31 (1580)
TEXTE IV
Travail préparatoire : manuel p. 146
Il y avait en vestphalie, dans le château de monsieur le baron de
Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon à qui la nature avait donné les
moeurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le
jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple ; c’est, je crois, pour
cette raison qu’on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la
maison soupçonnaient qu’il était fils de la soeur de monsieur le baron,
et d’un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette
demoiselle ne voulut jamais épouser parce qu’il n’avait pu prouver que
soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique
avait été perdu par l’injure du temps.
Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la
Vestphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. Sa grande
salle même était ornée d’une tapisserie. Tous les chiens de ses basses-
cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient
ses piqueurs ; le vicaire du village était son grand aumônier Ils
l’appelaient tous Monseigneur et ils riaient quand il faisait des contes.
Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres,
s’attirait par là une très grande considération, et faisait les honneurs
de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus respectable.
Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur,
fraîche, grasse, appétissante. Le fils du baron paraissait en tout digne
de son père. Le précepteur Pangloss était l’oracle de la maison, et le
petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et
de son caractère.
Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il
prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que,
dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le
baron était le plus beau des châteaux, et madame la meilleure des
baronnes possibles.
Texte étudié
Au Paraguay, Candide a tué un jésuite et s’est revêtu de la robe de
celui-ci pour prendre la fuite, accompagné de son valet Cacambo.
Le soleil se couchait. Les deux égarés entendirent quelques petits cris qui
paraissaient poussés par des femmes. Ils ne savaient si ces cris étaient de douleur
ou de joie; mais ils se levèrent précipitamment avec cette inquiétude et cette
alarme que tout inspire dans un pays inconnu. Ces clameurs partaient de deux filles
toutes nues qui couraient légèrement au bord de la prairie, tandis que deux singes
les suivaient en leur mordant les fesses. Candide fut touché de pitié ; il avait appris
à tirer chez les Bulgares, et il aurait abattu une noisette dans un buisson sans
toucher aux feuilles. Il prend son fusil espagnol à deux coups, tire, et tue les deux
singes. “Dieu soit loué, mon cher Cacambo ! j'ai délivré d'un grand péril ces deux
pauvres créatures : si j'ai commis un péché en tuant un inquisiteur et un jésuite, je
l'ai bien réparé en sauvant la vie à deux filles. Ce sont peut-être deux demoiselles
de condition, et cette aventure nous peut procurer de très grands avantages dans le
pays.”
Il allait continuer, mais sa langue devint percluse quand il vit ces deux filles
embrasser tendrement les deux singes, fondre en larmes sur leurs corps, et remplir
l'air des cris les plus douloureux. “Je ne m'attendais pas à tant de bonté d'âme”, dit-
il enfin à Cacambo ; lequel lui répliqua : “Vous avez fait là un beau chef d'œuvre,
mon maître ; vous avez tué les deux amants de ces demoiselles. - Leurs amants !
serait-il possible ? vous vous moquez de moi, Cacambo ; le moyen de vous croire? -
Mon cher maître, repartit Cacambo, vous êtes toujours étonné de tout ; pourquoi
trouvez-vous si étrange que dans quelques pays il y ait des singes qui obtiennent
les bonnes grâces des dames ? ils sont des quarts d'homme, comme je suis un
quart d'Espagnol. - Hélas ! reprit Candide, je me souviens d'avoir entendu dire à
maître Pangloss qu'autrefois pareils accidents étaient arrivés, et que ces mélanges
avaient produit des égypans, des faunes, des satyres ; que plusieurs grands
personnages de l'antiquité en avaient vu ; mais je prenais cela pour des fables. -
Vous devez être convaincu à présent, dit Cacambo, que c'est une vérité, et vous
voyez comment en usent les personnes qui n'ont pas reçu une certaine éducation ;
tout ce que je crains, c'est que ces dames ne nous fassent quelque méchante
affaire.”
Ces réflexions solides engagèrent Candide à quitter la prairie, et à s'enfoncer
dans un bois. Il y soupa avec Cacambo ; et tous deux,(...) s'endormirent sur de la
mousse. A leur réveil, ils sentirent qu'ils ne pouvaient remuer ; la raison en était que
pendant la nuit les Oreillons, habitants du pays, à qui les deux dames les avaient
dénoncés, les avaient garrottés avec des cordes d'écorces d'arbre.
Ils étaient entourés d'une cinquantaine d'Oreillons tout nus, armés
de flèches, de massues, et de haches de caillou : les uns faisaient
bouillir une grande chaudière ; les autres préparaient des broches, et
tous criaient : “C'est un jésuite, c'est un jésuite ! nous serons vengés,
et nous ferons bonne chère ; mangeons du jésuite, mangeons du
jésuite !”
“Je vous l'avais bien dit, mon cher maître, s'écria tristement
Cacambo, que ces deux filles nous joueraient d'un mauvais tour.”
Candide apercevant la chaudière et les broches s'écria : “Nous allons
certainement être rôtis ou bouillis. Ah! que dirait maître Pangloss, s'il
voyait comme la pure nature est faite ? Tout est bien ; soit, mais
j'avoue qu'il est bien cruel, d'avoir perdu mademoiselle Cunégonde, et
d'être mis à la broche par des Oreillons.” Cacambo ne perdait jamais la
tête. “Ne désespérez de rien, dit-il au désolé Candide ; j'entends un
peu le jargon de ces peuples, je vais leur parler. - Ne manquez pas, dit
Candide, de leur représenter quelle est l'inhumanité affreuse de faire
cuire des hommes, et combien cela est peu chrétien.”
“Messieurs, dit Cacambo, vous comptez donc manger aujourd'hui
un jésuite ? c'est très bien fait ; rien n'est plus juste que de traiter ainsi
ses ennemis. En effet le droit naturel nous enseigne à tuer notre
prochain, et c'est ainsi qu'on en agit dans toute la terre. Si nous
n'usons pas du droit de le manger, c'est que nous avons d'ailleurs de
quoi faire bonne chère ; mais vous n'avez pas les mêmes ressources
que nous : certainement il vaut mieux manger ses ennemis que
d'abandonner aux corbeaux et aux corneilles le fruit de sa victoire.
Mais, messieurs, vous ne voudriez pas manger vos amis. Vous croyez
aller mettre un jésuite en broche, et c'est votre défenseur, c'est
l'ennemi de vos ennemis que vous allez rôtir. Pour moi, je suis né dans
votre pays ; monsieur que vous voyez est mon maître, et bien loin
d'être jésuite, il vient de tuer un jésuite, il en porte les dépouilles ;
voilà le sujet de votre méprise. Pour vérifier ce que je vous dis, prenez
sa robe, portez-la à la première barrière du royaume de los padres ;
informez-vous si mon maître n'a pas tué un officier jésuite. Il vous
faudra peu de temps ; vous pourrez toujours nous manger, si vous
trouvez que je vous ai menti. Mais, si je vous ai dit la vérité, vous
connaissez trop les principes du droit public, les mœurs, et les lois,
pour ne nous pas faire grâce.”
Les Oreillons trouvèrent ce discours très raisonnable ; ils
députèrent deux notables pour aller en diligence s'informer de la
vérité ; les deux députés s'acquittèrent de leur commission en gens
d'esprit, et revinrent bientôt apporter de bonnes nouvelles. Les
Oreillons délièrent leurs deux prisonniers, leur firent toutes sortes de
civilités, leur offrirent des filles, leur donnèrent des rafraîchissements,
et les reconduisirent jusqu'aux confins de leurs états, en criant avec
allégresse: “Il n'est point jésuite, il n'est point jésuite !”
Candide ne se lassait point d'admirer le sujet de sa délivrance.
“Quel peuple ! disait-il, quels hommes ! quelles mœurs ! si je n'avais
pas eu le bonheur de donner un grand coup d'épée au travers du corps
du frère de mademoiselle Cunégonde, j'étais mangé sans rémission.
Mais, après tout, la pure nature est bonne, puisque ces gens-ci, au lieu
de me manger, m'ont fait mille honnêtetés, dès qu'ils ont su que je
n'étais pas jésuite.”
Voltaire, Candide, chapitre XVI. (1759)
TEXTE V
Travail préparatoire
MODESTE PROPOSITION POUR EMPÊCHER LES ENFANTS DES
PAUVRES D'ÊTRE À LA CHARGE DE LEURS PARENTS OU DE
LEUR PAYS ET POUR LES RENDRE UTILES AU PUBLIC
C'est un objet de tristesse, pour celui qui traverse cette grande
ville ou voyage dans les campagnes, que de voir les rues, les routes et
le seuil des masures encombrés de mendiantes, suivies de trois, quatre
ou six enfants, tous en guenilles, importunant le passant de leurs
mains tendues. Ces mères, plutôt que de travailler pour gagner
honnêtement leur vie, sont forcées de passer leur temps à arpenter le
pavé, à mendier la pitance de leurs nourrissons sans défense qui, en
grandissant, deviendront voleurs faute de trouver du travail, quitteront
leur cher Pays natal afin d'aller combattre pour le prétendant
d'Espagne, ou partiront encore se vendre aux îles Barbades.
Je pense que chacun s'accorde à reconnaître que ce nombre
phénoménal d'enfants pendus aux bras, au dos ou aux talons de leur
mère, et fréquemment de leur père, constitue dans le déplorable état
présent du royaume une très grande charge supplémentaire ; par
conséquent, celui qui trouverait une méthode équitable, simple et peu
coûteuse pour faire participer ces enfants à la richesse commune
mériterait si bien de l'intérêt public qu'on lui élèverait pour le moins
une statue comme bienfaiteur de la nation.
Mais mon intention n'est pas, loin de là, de m'en tenir aux seuls
enfants des mendiants avérés ; mon projet se conçoit à une bien plus
vaste échelle et se propose d'englober tous les enfants d'un âge donné
dont les parents sont en vérité aussi incapables d'assurer la
subsistance que ceux qui nous demandent la charité dans les rues.
Pour ma part, j'ai consacré plusieurs années à réfléchir à ce sujet
capital, à examiner avec attention les différents projets des autres
penseurs, et y ai toujours trouvé de grossières erreurs de calcul. Il est
vrai qu'une mère peut sustenter son nouveau-né de son lait durant
toute une année solaire sans recours ou presque à une autre
nourriture, du moins avec un complément alimentaire dont le coût ne
dépasse pas deux shillings, somme qu'elle pourra aisément se
procurer, ou l'équivalent en reliefs de table, par la mendicité, et c'est
précisément à l'âge d'un an que je me propose de prendre en charge
ces enfants, de sorte qu'au lieu d'être un fardeau pour leurs parents ou
leur paroisse et de manquer de pain et de vêtements, ils puissent
contribuer à nourrir et, partiellement, à vêtir des multitudes.
Mon projet comporte encore cet autre avantage de faire cesser les
avortements volontaires et cette horrible pratique des femmes, hélas
trop fréquente dans notre société, qui assassinent leurs bâtards,
sacrifiant, me semble-t-il, ces bébés innocents pour s'éviter les
dépenses plus que la honte, pratique qui tirerait des larmes de
compassion du coeur le plus sauvage et le plus inhumain.
Etant généralement admis que la population de ce royaume
s'élève à un million et demi d'âmes, je déduis qu'il y a environ deux
cent mille couples dont la femme est reproductrice, chiffre duquel je
retranche environ trente mille couples qui sont capables de subvenir
aux besoins de leurs enfants, bien que je craigne qu'il n'y en ait guère
autant, compte tenu de la détresse actuelle du royaume, mais cela
posé, il nous reste cent soixante-dix mille reproductrices. J'en
retranche encore cinquante mille pour tenir compte des fausses
couches ou des enfants qui meurent de maladie ou d'accident au cours
de la première année. Il reste donc cent vingt mille enfants nés chaque
année de parents pauvres. Comment élever et assurer l'avenir de ces
multitudes, telle est donc la question puisque, ainsi que je l'ai déjà dit,
dans l'état actuel des choses, toutes les méthodes proposées à ce jour
se sont révélées totalement impossibles à appliquer, du fait qu'on ne
peut trouver d'emploi pour ces gens ni dans l'artisanat ni dans
l'agriculture ; que nous ne construisons pas de nouveaux bâtiments
(du moins dans les campagnes), pas plus que nous ne cultivons la
terre ; il est rare que ces enfants puissent vivre de rapines avant l'âge
de six ans, à l'exception de sujets particulièrement doués, bien qu'ils
apprennent les rudiments du métier, je dois le reconnaître, beaucoup
plus tôt : durant cette période, néanmoins, ils ne peuvent être tenus
que pour des apprentis délinquants, ainsi que me l'a rapporté une
importante personnalité du comté de Cavan qui m'a assuré ne pas
connaître plus d'un ou deux voleurs qualifiés de moins de six ans, dans
une région du royaume pourtant renommée pour la pratique
compétente et précoce de cet art.
Nos marchands m'assurent qu'en dessous de douze ans, les filles
pas plus que les garçons ne font de satisfaisants produits négociables,
et que même à cet âge, on n'en tire pas plus de trois livres, ou au
mieux trois livres et demie à la Bourse, ce qui n'est profitable ni aux
parents ni au royaume, les frais de nourriture et de haillons s'élevant
au moins à quatre fois cette somme.
J'en viens donc à exposer humblement mes propres idées qui, je
l'espère, ne soulèveront pas la moindre objection.
Jonathan SWIFT - 1729
1. Quelle est la situation politique de l’Irlande en 1729 ?
2. D’après le texte, quelle est sa situation économique ? Citer le
texte pour répondre.
3. a. À quel domaine se rattache le projet annoncé : politique,
éthique, économique ?
b. Quels éléments propres à ce domaine sont repris dans le
texte ?
4. Quelle image donne de lui-même l’auteur de la
proposition ?
5. Ce texte est-il sérieux ou humoristique ? Justifier la
réponse par des éléments précis.
ÉVALUATION
Pour une analyse de texte, on peut travailler sur
- l’article “Anthropophage” du Dictionnaire Philosophique portatif
- le dialogue avec le vieillard tupinamba à propos du bois de Brésil,
chapitre XIII de Jean de Léry
2
Si je demandais à n’importe qui : Que pensez-vous des cannibales ? Il ou
elle me répondrait à coup sûr que ce sont des barbares, mais ceux-là se
trompent. Qu’adviendra-t-il de l’humanité quand elle aura provoqué la
disparition de toutes les autres espèces animales et végétales ? Eh bien,
croyez-moi ou non, les humains deviendront cannibales ! Le cannibalisme est
notre futur proche, que vous le vouliez ou non. Et les premiers ayant préparé
leur casserole seront les derniers à se retrouver en morceaux dans celle de
leur voisin.
3
Le cannibale est un être vivant qui se nourrit de chair humaine. À l’heure
d’aujourd’hui, il existe encore très peu de cannibales, et heureusement
d’ailleurs. On peut voir des cannibales dans des dessins animés, ce sont des
tribus qui accueillent des personnages à bras ouverts et qui les mettent
ensuite dans des marmites pour les manger. Pourquoi montrer de telles
images à des pauvres enfants qui veulent juste rire devant des dessins
animés ?
4
Les cannibales sont des habitants de certaines tribus africaines qui
avaient pour habitude de manger des hommes. Aujourd’hui les cannibales
sont des gens qui mangent leur prochain. Avec différentes techniques de
cuisson, ils considèrent l’humain comme un met fabuleux. Ils peuvent aussi
décortiquer la carcasse pour leur décoration intérieure. Ou bien comme objet
décoratif.
5
Il était une fois dans un pays pas si lointain, et à une époque bien plus
proche de nous que l’on pourrait le croire, un jeune cannibale dont la tribu
avait été massacrée par des indépendantistes de la région... Un vrai festin !
Mais après des jours de repas plus que copieux, il se sentit seul en tant que
seul survivant. Il décida donc de s’embarquer clandestinement sur un bateau
en partance pour la France, ce beau pays. Il y allait avec la vive intention de
faire de la chair humaine une nourriture commune à tous les Français. Il
ouvrit un restaurant où l’on pouvait lire sur les cartes des plats comme
“Cuisse d’européen à la sauce maison”. Malheureusement, personne ne
voulut goûter ses plats et il fit faillite.
6
Je suis devenue cannibale. Un jour, je me suis retrouvée dans la rue,
sans argent, sans rien. Je veux manger de la viande mais je ne peux pas en
acheter. Mon estomac se tordait dans tous les sens quand une idée
complètement absurde me vient. Pourquoi ne mangerais-tu pas un humain ?
Après tout, nous nous nourrissons de viande d’animaux. J’ai commencé à me
nourrir d’hommes, j’ai apprécié cette chair si étrange qui était une terrible
dépendance.
7
Les cannibales sont des êtres humains qui se nourrissent de chair
humaine. Ces “bêtes” sont d’origine africaine. Ils tuaient, mangeaient et
digéraient leurs proies humaines. La fin du cannibalisme fut effectué vers le
dix-septième siècle. Cette méthode de survie fut cruelle et sans pitié.
8
Les cannibales sont des hommes “mamadou” qui mangent leur
congénère civilisé. Ex : repas du jour : explorateur de Sydney.
Ce sont des énergumènes à ne pas approcher, ils sont dangereux, ils
sont très forts car ils mangent beaucoup de viande mais très peu de
végétaux.
9
Cannibale, je ne sais pas. Affamé ! Pourquoi pas ? Seule, personne avec
toi, seulement un homme mort. Rien à manger ! Cet homme mort est ta seule
solution ! Il est mort, et si tu ne manges pas, tu le rejoins ! Alors, cette idée
t’a effleuré l’esprit !
Tu n’es pas capable de le manger mais l’hésitation est grande, mourir ou
le manger ! Le manger ! C’est décidé ! Tu t’approches délicatement, tu
essayes de lui arracher la peau, pour avoir les muscles ! Une idée te vient !
faire un feu ! Cuire les muscles ! C’est bon, tu vas croquer, croquer... Pas si
mauvais que ça !
10
Georges est doux, Georges est frais. mais Georges n’est vraiment pas
pratique... En effet, ils est obligé de s’arrêter à chaque fois que l’on croise un
humain... pas pour le regarder langoureusement, mais pour lui courir après
avec l’espoir de lui planter ses dents pointues dans une jambe ou un bras et
de lui arracher un morceau de chair fraîche. Et puis, j’ai découvert tic-tac. Un
enrobage de douceur qui révèle un coeur de fraîcheur. Et depuis que Georges
en prend, il ne court plus après les gens.
11
Un cannibale est une personne qui mange des humains. Tout d’abord le
cannibale choisit sa proie, il la repère parmi plein d’autres. Puis il finit par
trouver où et quand attaquer sa victime. Enfin, en un quart de seconde, le
mangeur d’homme dévore l’humain d’une façon hallucinante. Ces prédateurs
vivent habituellement dans les forêts et ne sont pas du tout civilisés. Pour
finir, prenez bien garde, le sauvage peut attaquer à tout moment sans que
vous vous en aperceviez, faites donc bien attention !
12
Les cannibales sont des hommes sauvages qui vivent, dans des contes,
dans de grandes forêts ou espaces perdus. Ils sont souvent noirs avec des
masques ou peintures sur le corps. Ils vivent en tribus d’hommes mais
pourtant ils mangent des hommes autres qu’eux. Alors qu’ils pourraient se
dévorer entre eux. Et dans ce cas, cette civilisation disparaîtrait.
13.
Cannibale, ce mot définit un homme qui en mange un autre. Le
cannibalisme peut venir d’une culture, mais aussi d’un instinct de survie,
lorsque la dernière chose qu’on peut manger est un être humain. Le
cannibalisme nous rappelle également que l’homme est un animal, l’instinct
animal prend le dessus sur le côté social des humains. Le cannibale est
souvent représenté comme un monstre, mais le mangeur d’homme sommeille
en chacun de nous.
14
Le cannibale est un vorace, il mange tout ce qui lui passe sous le nez. Le
cannibale est une malade mental, il est nomade, certainement dû à une
enfance difficile, peut-être la mort des parents. Il n’avait pas beaucoup d’ami,
du coup maintenant, il se venge. Le cannibale est un nomade, il vit dans les
bois car il vent être loin de tout, il mange pour se protéger des autres. Le
cannibale est souvent un rejeté de la société.
15
Les cannibales sont des personnages ignobles, ils se jettent sur tout ce
qui bouge et les dévorent sans scrupule.
Les cannibales sont des êtres vivants qui sont toujours dans l’ère
préhistorique. Ils vivent le plus souvent dans les forêts où ils se nourrissent
de chair fraîche qu’ils chassent auparavant. Ce sont des êtres non civilisés
qui ont souvent l’air de bêtes féroces. Ils ne savent ni lire ni écrire.
Les cannibales à notre époque n’existe pratiquement plus car de plus en
plus les habitants de notre planète sont civilisés.
16
Après le crash d’un avion, au milieu de l’océan indien, deux hommes
rescapés nagèrent pendant des heures avant d’atteindre une île. Une île très
petite, déserte, sans nourriture, avec une chaleur accablante, et pas d’eau.
“Dis, Léo, depuis combien de temps on est ici ?
- Je ne sais pas, Georges, je ne sais pas...
- Nos réserves sont épuisées depuis trois jours. Les... J’ai faim.” Sur ces
paroles, George se lève, fait le tour de l’île. Cinq minutes plus tard, il revient
s’asseoir aux côtés de Léo et lui dit : “Tu sais, j’ai réfléchi, les cannibales
n’ont aucun problème de nourriture... “ Les deux hommes se regardèrent
avec insistance...
1. a. Classer les textes en deux groupes sachant que le n°5
appartient au premier groupe et le n°13 appartient au second.
b. Nommer chacun des deux groupes.
c. Quel texte est difficile à classer ? Pourquoi ?
d. Dans chaque groupe, quel est ton texte préféré ? Justifier la
réponse par une analyse précise du texte.
4. L’argumentation
a. Quels textes portent un jugement sur les cannibales ? Comparer
la réponse au n°1. a.
b. Relever les substituts des cannibales et les adjectifs qui les
qualifient (1/2/3/7/14/15).
c. Que mangent les cannibales (1/4/8) ?
d. Quelles sont les explications données au cannibalisme (1/2/13/14)
?
3. Argumentation
a. Un jugement
(b) êtres présumé sanguinaires sans morale, êtres normaux, barbares,
bêtes, cruelle et sans pitié, hommes “mamadou, ils sont dangereux, ils
sont très forts, prédateurs, sauvage, hommes sauvages, instinct
animal, monstre qui sommeille en chacun de nous, vorace, malade
mental, nomade, rejeté de la société, ignobles, bêtes féroces, non
civilisés.
(c) Semblables ; hommes ; prochain ; congénère civilisé.
Oppositions : sauvage / civilisé Voir pour le mamadou : pourquoi pas
Georges ?
sang : sanguinaire, cruel, féroce, prédateur, ...
êtres normaux, mangent leur semblable, qui sommeillent en chacun de
nous : monstruosité qui n’est plus associé à des ethnies.
b. Les explications
Explication psychologique / explication physiologique (il faut manger) /
explication par la culture
Dans tous les cas, phénomène à expliquer
hanches très larges4 répondre à 5 honte tortures cadavre Les Basques, dit-on, par de tels aliments
6 7 8
ont prolongé leur vie. Juvénal, Satires, XV, 93-94 Il s’agit de l’Irlande
9