Romantisme

Les Lieux de mémoire, p.p. P. Nora

Mme Isabelle Tournier

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Tournier Isabelle. Les Lieux de mémoire, p.p. P. Nora. In: Romantisme, 1985, n°49. L'imaginaire du romantisme anglais. pp.
113-114;

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Commentaires
tudes de presse, est celui de
l'attribution des articles, celui en fait de
l'identification des auteurs de tous ces
textes anonymes ou signés de
pseudonymes.
Une première démarche s'impose ;
c'est celle qui consiste à rechercher et
à interpréter tous les documents
possibles sur cette question : Roland Chol-
let en donne de remarquables
exemples, en particulier dans ses études sur
Le Feuilleton des journaux politiques
et Le Temps. Il est vrai que la rareté
des documents fiables - se méfier des
témoignages tardifs, comme ici ceux
de Lacroix sur Balzac, influencés par
la notoriété acquise par l'auteur - ne
permet le plus souvent que d'aboutir
à des conclusions négatives et
partiel es. Ainsi on peut établir que les
textes de telle période ne peuvent pas être
attribués à tel auteur ;on a, en fait,
plus de critères d'exclusion que de
critères d'attribution. Roland Chollet a
donc cherché à compléter cette
première démarche par la recherche de
critères d'identification. Dans le cas de
Balzac, dont on connaît beaucoup de
textes avec certitude, la tentation était
grande de s'orienter vers des critères
d'analyse interne, confrontation de
textes, retour de formules ou de tics
de styles, etc.. Roland Chollet s'est
livré à cette recherche avec beaucoup de
soin et d'application et il a obtenu des
résultats très convaincants : dans bien
des cas où les documents ne
fournissent pas de critères d'exclusion, où
donc l'attribution est possible, où,
souvent, elle a déjà été faite et est
devenue quasi-traditionnelle, l'analyse de
Roland Chollet apporte une
confirmation - la méthode semble bien
fonctionner, avoir fait ses preuves. Mais
peut-être l'auteur, en voulant
l'appliquer avec trop d'acharnement, un
tantinet de passion aussi, est-il arrivé
à nous en montrer les limites. C'est
nettement le cas dans l'attribution à
Balzac de quelqu'article du Temps,
alors qu'existent des critères
d'exclusion. Disons le tout de suite : Roland
Chollet qui a établi lui-même ces
critères d'exclusion, joue franchement
le jeu et pose le problème avec la plus
grande honnêteté intellectuelle. Il s'a-
flt du c.r. Le Siège d'Amiens paru
ans Le Temps le 23 août 1830. Le
critique étudie la question dans
quelques pages intitulées Sur quelques
« variétés » littéraires d'aspect
113
cien (p. 378-385) II le fait avec
beaucoup de prudence, va jusqu'à écrire
« supposons maintenant — ce qu'on
ne peut exclure tout à fait — nos
identifications erronées » (p. 385), mais il
ne se résigne pas à admettre que mé-
thodologiquement il doit y avoir une
hiérarchie des critères et que son
attribution est fort vraisemblablement
fausse. Ne regrettons pas ces pages —
le lecteur est bien informé — mais
regrettons que le critique n'ait pas tiré
de ce cas des conclusions plus
poussées. Il se contente de dire : si ces
textes ne sont pas de Balzac il faut en
conclure qu'il y eut au Temps «un ou
plusieurs écrivains-journalistes qui se
posent dans les mêmes termes que
Balzac, dans les mêmes termes de métier,
les problêmes du roman moderne, et
plus particulièrement du roman
historique ». (p. 385) C'est vrai, il dut y en
avoir d'autres — et pas seulement au
Temps — si l'on en juge par les articles
qu'on peut lire un peu dans tous les
périodiques. Et cela prouve qu'il y eut,
à l'époque, et à cause du journalisme,
un fonds d'idées communes, voire de
figures de style communes, à une
génération de journalistes et apprentis-
journalistes. Les Lucien de Rubempré
étaient sans doute fort nombreux ... Et
la mise en valeur de ce phénomène
culturel souligne encore la nécessité qu'il
y a, pour la connaissance de l'époque,
à étudier de près les journaux. Le livre
de Roland Chollet nous y invite et il
restera sans doute longtemps comme
un guide et un modèle de ce type
d'étude, tout autant qu'un livre de base
de l'érudition balzacienne.
René Guise.
- Les Lieux de mémoire : ouvrage
collectif sous la direction de Pierre
Nora ; tome I, La République, Paris,
Gallimard, 1 984.
Les dix-huit études regroupées sous
ce titre inaugurent un ensemble de
quatre volumes dont la parution
s'échelonnera sur plusieurs années (tome 2 et
3 : La Nation, tome 4 : Les Frances).
Avec cet important ouvrage, la
mémoire est saisie par l'histoire. Pierre Nora
explique dans sa préface le sens et les
enjeux de cette nouvelle « nouvelle
histoire ». L'effacement progressif de
la mémoire républicaine, mémoire
114
commune de base jusqu'à ces dernières
années la transforme en objet
d'interrogation critique et de savoir possible
pour l'historien. Le livre est donc
l'exploration systématique d'un dispositif
de mémoire assurant le « pouvoir
spirituel » d'un régime, la République,
qui finit par se confondre avec la
Nation. PoUr comprendre son efficacité
collective durable, les différentes
analyses se réfèrent le plus souvent au
moment même de son
élaboration/installation entre 1 870 et 1914 pour
récupérer en aval ses utilisations du passé (le
« calendrier républicain », les «
Centenaires de Voltaire et Rousseau », « Le
Centenaire de la Révolution
française »). Ces quelques titres peuvent
donner une idée de la diversité foisonnante
de ces lieux de mémoire. Pour
poursuivre un instant une enumeration dont
on regrette qu'elle ne puisse être
exhaustive, citons encore les textes de Jacques
et Mona Ozouf sur Le Tour de
France par deux enfants de Pascale Marie
sur « La Bibliothèque des amis de
l'Instruction », de Michèle Vovelle sur
« La Marseillaise », de Maurice Agul-
hon sur « La mairie », de Madeleine
Rebérioux sur « Le mur des Fédérés»,
de Avner Ben Amos sur « Les
Funérailles de Victor Hugo » : le terme de
« lieu » de mémoire est à prendre au
triple sens matériel, symbolique et
fonctionnel et chaque cas témoigne de
l'interaction de ces valeurs qui,
précisément, définit la catégorie. Un lieu
matériel comme une bibliothèque n'est
un lieu de mémoire que s'il se charge
d'une aura symbolique et devient
objet de rituel (la Bibliothèque des Amis
de l'Instruction). Un drapeau, rouge,
blanc ou tricolore, est le support
concret d'un imaginaire partisan,
condensateur de souvenir. Mais le projet de
P. Nora et de son groupe risquait
d'être affaibli par la présentation en
monographies séparées. L'organisation
de l'ouvrage en cinq chapitres «
Symboles », « Monuments », Pédagogie»,
« Commémorations », «
Contre-Mémoire », contribue à éviter
l'impression d'hétérogénéité exagérée du
champ d'étude. Elle fait disparaître le
doute méthodologique initial du
lecteur, qui voit rassemblés des symboles
d'une ampleur extrêmement variable
(par exemple « Lavisse » et « les Trois
Couleurs »). Mais surtout, l'unité du
volume est le produit et l'effet de son
sujet même. La mémoire de la
Commentaires
sième République est caractérisée en
effet, par son caractère « autoritaire,
exclusiviste, universaliste ». Régime
nouveau, la République ne pouvait
assurer son autorité qu'en se donnant
une tradition, conquérir la société
qu'en résorbant les « Frances » par
une culture nationale unifiante et
enfin, incarner tous les Français au nom
du culte des droits de l'homme. En ce
sens, le chapitre qui traite des
commémorations est emblématique des
procédures fondatrices de la mémoire
républicaine. Respectons la logique
commemorative dans le choix de notre
exemple : le spectacle des funérailles
de Victor Hugo, décrit par Avner Ben
Amos est une démonstration de ces
pouvoirs de l'utilisation politique du
« grand Poème » fêté par les deux
millions de personnes massées tout
au long du cortège funèbre. La
querel e autour de la panthéonisation, le
contrôle du peuple-foule le jour de
l'enterrement manifeste la mise en
place directive d'une religion civile dont
Hugo est pour un temps, le nouveau
Père/prétexte.
On pourrait se demander
malignement si Les Lieux de mémoire ne
sont pas pris eux-mêmes, parfois, par
la force d'absorption qu'ils décrivent.
A écrire sur la gloire, on court le
danger d'être accusé d'écrire pour la
gloire, par enchaînement irrésistible de
célébrations... Mais comme l'écrit
justement P. Nora, ce livre « tire sa
justification la plus vraie de l'émotion
qu'éveille encore en chacun d'entre nous
un reste d'identification vécue à ces
symboles à demi effacés ». Le surgis-
sement du temps perdu vaut sans
doute plusieurs manuels d'Instruction
civique. En outre, la très belle
iconographie des Lieux de mémoire ajoute
à son pouvoir d'évocation. Cet
ouvrage est d'abord un appareil scientifique
neuf, et l'horizon nécessaire de tout
travail de recherche sur les
représentations collectives du dix-neuvième
siècle. Il renouvelé notre connaissance
de l'imaginaire d'une époque. Pour
conclure, risquons l'hypothèse que
Proust et Bergson en sont les
références occultes...
Isabelle Tournier