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Revue de l'histoire des religions

Mircea Éliade. Aspects du mythe


Jean-Paul Roux

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Roux Jean-Paul. Mircea Éliade. Aspects du mythe. In: Revue de l'histoire des religions, tome 165, n°2, 1964. pp. 237-239;

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Analyses et Comptes rendus

Mircéa Éliade, Aspects du mylhe, Librairie Gallimard, « Idées »,


Paris, 1963, 247 p.
(lomme tout grand maître, M. Éliade a ses admirateurs passionnés
et peut-être ses détracteurs. Il est certain que ce petit livre écrit en
anglais pour la collection « World Perspective » (Harper, New York),
et dont nous avons ici une soigneuse version française, recevra
l'habituel accueil favorable de la critique et du public.
Les louanges qui lui seront décernées sont certes méritées parce
qu'il y a dans ces pages, comme on devait s'y attendre, une
connaissance très large de l'histoire religieuse, un fourmillement d'idées
originales, une vision intelligente de maints problèmes, des ouvertures
sur de vastes perspectives. Le lecteur, en le parcourant, ne s'ennuie
jamais, comprend toujours, a l'impression de s'enrichir sans cesse.
Ce sont là des vertus éminentes que peu de livres présentent. Les
nombreux faits qui peuvent donner lieu à discussion ou qui sont insuf-
lisamment étayés, parce que M. Éliade travaille toujours très vite,
ne portent que sur des détails et ne peuvent aucunement porter
préjudice à l'ensemble de l'œuvre. Il n'est pas grave que, p. 136, l'Être
suprême des Turco-Mongols, dont l'activité religieuse est bien intense,
soit qualifié de créateur, ce qu'il peut être ou n'être pas, l'idée de
création ne s'étant pas posée originellement chez les peuples altaïques
— que, p. 177, nous ne comprenions pas ce que l'auteur entend quand
il aiïïrme que les exterminations massives de Gengis Khan ont eu une
justification religieuse, car seules certaines d'entre elles, les moindres,
eurent une valeur rituelle — que, p. 1H5, l'auteur s'engage un peu
imprudemment à la suite de Karl Meuli pour rapprocher le sacrifice
olympien (mythe de Prométhee) des rituels de l'Asie septentrionale
et centrale, car si la suggestion n'est pas dénuée d'intérêt, il n'est pas
du tout certain que, dans cette région du monde, « on offre les os et la
tête des animaux sacrifiés pour vénérer les Êtres supérieurs célestes ».
Si nous nous aventurons à dire que nous avons été un peu déçu
par l'étude de ce livre, alors que nous sommes un « fidèle » de M. Éliade,
ce n'est pas pour ces quelques incertitudes, je le répète mineures ;
c'est sans doute parce que nous attendions non seulement un enri-
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chissement de nos connaissances générales, mais plutôt l'acquisition


de nouvelles idées sur le mythe.
Nous reconnaîtrons que M. Éliade précise qu'il s'adresse d'abord
au grand public cultivé ; il avoue qu'il ne fait pas une œuvre
entièrement originale, mais qu'il « reprend et développe... diverses
observations présentées dans des ouvrages antérieurs » (l'exemple le plus
net est donné par l'appendice I, pp. 233-244, fort brillant, qui est la
réédition d'un article publié- dans la Nouvelle- Bévue française en
:
mai 1956 ; mais ce n'est pas le seul). Enfin il; ne prétend pas faire
« une analyse exhaustive de la pensée mythique » (p. 7). Dès lors, nous
pouvons accepter qu'il considère seulement le mythe, explication
du monde, comme une histoire sacrée qui développe toujours et
seulement le récit d'une création (p. 15). Pourtant, trouvons-nous là une
idée forte et nouvelle ? Avons-nous la conviction que l'essentiel a
été dit ? La réponse me semble incertaine. En fait le problème des
origines continue à hanter l'auteur et, par suite, celui du souci que'
l'homme manifeste de faire retour au temps primordial. Tout au long
du livre, cosmogonie et eschatologie se font écho et on lit les
expressions: abolir le temps, recréer, par un retour aux sources (p. 43),
à l'origine (p. 48), la perfection initiale (p. 68) ; ou encore, maîtriser
le temps (p. 95), retourner en arrière (p. 100), se guérir de l'œuvre du
temps (p. 107), récupérer le passé (p. 111), etc. C'est dans cette
perspective que les: mythes des peuples primitifs et ceux des grandes
religions sont rapidement évoqués. C'est sans doute réduire leur portée, .
mais c'est aussi permettre : à l'auteur de retrouver dans le monde
moderne tout ce qui peut être esprit mythologique, c'est-à-dire souci
de reconstruire l'humanité : théories de Freud, communisme, nazisme,
cargo-cuit, récupération du passé par les historiens (ici, p. 168, de fort
belles lignes qui insistent sur l'importance des sciences humaines),
souci du nationalisme, en Europe orientale, de chercher et d'exalter
ses origines (p. 221), obsession du succès (p. 225), abolition du
classicisme et renouvellement de la création artistique (p. 226 ss.) : partout
il s'agit, comme dans le mythe, de mettre .fin au: monde connu et de
recréer un nouvel univers parfait. On le voit ce qui est seulement,

ou essentiellement, mis en valeur c'est le mythe de l'Éternel1 Retour


que Mircéa Ëliade avait déjà beaucoup étudié. Si nous acceptons qu'il
n'y a pas d'autre mythe que celui-là, nous pouvons le suivre sans
:

hésitation : il est orfèvre en la matière. Mais si nous demandons à notre


lecture de nous apprendre comment les diverses civilisations ont réagi
devant le mythe ou ce qu'il: est en réalité, nous avons l'impression:,
d'une certaine pauvreté. Ce n'est pas ce qui préoccupe l'auteur. Il
sait naturellement que les sens de «fiction, illusion, histoire fausse »,
venus chez nous avec la tradition 'grecque, ont été abandonnés; il
insiste sur la notion du « mythe vivant ». Mais il passe vite ou ne pénètre
pas assez en profondeur. On sait maintenant, et on s'étonne de ne pas
le lire ici, que le mythe n'est pas seulement vivant, mais « vraiment
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vrai », pour reprendre le mot de W. M. Urban (Humanity and Deity,


London, 1950, p. 116). Pourquoi ce savant à l'immense lecture n'a-t-il
pas donné au public cultivé, auquel il s'adresse, une idée du travail
considérable qui a été fait sur le mythe depuis quelques décennies
et qui a permis de faire de cet ancien « discours mensonger » un des
modes fondamentaux de la connaissance et de l'expression humaines ?
Sa bibliographie cite quelques noms, mais ne rend pas mieux compte
que le texte de l'œuvre d'analyse commencée sans doute par
Kierkegaard (Le mythe extériorise toujours une action intérieure, Le
concept de iangoisse, Paris, 1935, p. 69) et illustré par des savants
tels que G. Dumézil, Van der Leeuw, Simone Petrement, Jung, Adler,
F. J. Leenhardt, Maurice Leenhardt, H. Kraemer, et bien d'autres.
Peut-on demander à un livre ce qu'il ne peut donner ? Celui-ci,
signé Ëliade, est tout Éliade, et c'est sa principale noblesse. Sans
doute son titre nous induit-il quelque peu en erreur. Il eût fallu écrire
Aspect du mythe au singulier : la manière dont M. Éliade voit le mythe
et le fait voir à ses lecteurs.
Jean-Paul Roux.

Mgr Joseph Feghali, Histoire du droit de l'église maronite, t. I :


Les conciles des XVIe et XVIIe siècles, Bibliothèque de la
Faculté de Droit canonique de Paris, Paris (Letouzey & Ané),
1962, 377 p. (dont 64 de texte arabe) in-8°, 2 cartes, 2 index,
préface de M. J. Dauvillier, professeur à la Faculté de Droit
de l'Université de Toulouse.
L'auteur, professeur à l'Institut catholique de Paris, s'était fait
connaître depuis quelques années par diverses études de droit
maronite qui étaient comme les linéaments du livre qu'il nous offre
aujourd'hui1. Le présent ouvrage retiendra surtout l'attention de deux
catégories de spécialistes : d'une part celle des historiens de l'Orient
chrétien et médiéval, d'autre part celle des historiens du droit et des
canonistes. L'apport principal fourni par l'auteur réside en effet dans
la publication et la traduction des canons des cinq premiers Conciles
maronites connus, savoir : les trois tenus à Qannûbîn (15-17 août 1580/
28-30 août 1596/13 novembre 1596), celui de Daï'at Mûssa (1598,
mois inconnu), enfin celui de Hrâs (Harache) (5 décembre 1644).
Sans doute, ces textes avaient-ils déjà été publiés, mais ils se
trouvaient dispersés dans des revues ou des collections, certains avaient
été retouchés et modernisés par leurs éditeurs, d'autres n'étaient pas
traduits. Ainsi, ces décisions conciliaires étaient-elles restées très peu

1) Les conciles maronites de 1596, in Annuaire de l'École des Législations


religieuses, I, (1950-51), pp. 16-19 ; La hiérarchie d'ordre dans l'Église maronite
ibid., II (1951-52;, pp. 7-16 ; La hiérarchie des dignités dans l'Éjrlise maronite,
ibid.. Ill U952-53\ pp. 39-49.

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