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Littératures

Ruth Amossy, Les idées reçues, Sémiologie du stéréotype,


Collection « Le texte à l'oeuvre », 1991
Claude Barousse

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Barousse Claude. Ruth Amossy, Les idées reçues, Sémiologie du stéréotype, Collection « Le texte à l'oeuvre », 1991. In:
Littératures 27, automne 1992. pp. 269-271;

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COMPTES RENDUS 269

On peut, nous semble-t-il, définir ce qui fait l'unité de ces quatre études en
avec Yves Moraud, qu'elles aideront le lecteur à être, face aux romans de
Duras, « poète et déchiffreur de sens d'une uvre ouverte, qui trouve son principe
de vie dans le mystère qu'elle entretient de façon systématique et retorse » (p. 7).
Ainsi, malgré la modestie de son propos (on ne prétend pas ici, nous prévient-on,
« renouveler la connaissance que l'on a actuellement de l'univers de Duras » l) ce
numéro mérite à coup sûr de retenir l'attention de ceux qui s'intéressent à cette
uvre.

Pierre Bardel

Ruth Amossy, Les idées reçues, Sémiologie du stéréotype, Collection


« Le texte à l'uvre », Nathan, Paris, 1991, 216 p.

C'était avant que le mot « stéréotype » fît sa migration de l'atelier de


l'imprimeur vers le bureau du critique, mais déjà Flaubert compilait son Dictionnaire
des idées reçues, tandis que Léon Bloy vitriolait la sagesse bourgeoise dans
L'Exégèse des lieux communs : l'un comme l'autre éprouvaient ce trouble sentiment
d'attirance et de répulsion pour les formes figées du prêt-à-penser, qui allait inspirer
de nos jours la giboyeuse traque aux poncifs, aux représentations sommaires et
à laquelle se sont livrés, entre autres, Roger Caillois dans Le Mythe et
l'Homme, Roland Barthes dans Mythologies, ou Michael Riffaterre dans ses Essais
de stylistique structurale.
Concernée de longue date par ces questions 2, Ruth Amossy, professeur de
littérature française à l'Université de Tel-Aviv, publie un ouvrage de sémiologie
doublement original : ici, la notion de stéréotype n'est pas un simple outil donné
d'entrée de jeu à l'analyste pour servir la lecture, elle est carrément posée comme
l'objet central de l'étude. Il ne s'agit pas de créer des catalogues de stéréotypes,
même si la démarche s'appuie sur des exemples foisonnants, mais de construire une
définition de ce concept, de scruter la conscience que nous en prenons, d'évaluer son
rôle de « ferment actif» dans le champ culturel contemporain. Quant à ce champ
d'investigation, l'auteur lui confère une dimension extensive, dans un esprit bien

1. Parmi les ouvrages récents consacrés à l'ensemble de l'uvre signalons le


remarquable essai de Christiane Blot-Labarrère : Marguerite Duras, éditions du
Seuil, mars 1992. Ce livre comporte une bibliographie très complète.
2. Voir ses articles « Stéréotypes and Représentation in Fiction », Poetics Today
5:4, 1984, pp. 689-700, « Stéréotypie et valeur mythique », Etude Littéraires, 17,
1er avril 1984, pp. 161-180, et « La notion de stéréotype dans la réflexion
», Littérature, 73, février 1989, pp. 29-46, sans oublier, en collaboration
avec Elisheva Rosen, Les Discours du cliché, CDU-SEDES, 1982.
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déterminé de décloisonnement entre les disciplines. Quiconque a besoin, pour se


sentir à l'aise, d'une uvre facile à étiqueter, sagement contenue dans des bornes
précises, souffrira d'avoir à suivre un esprit capricant qui fait fi des frontières et
allègrement la psychologie sociale, la sociologie, les littératures tous registres
confondus, le cinéma hollywoodien, les techniques de communication. Mais plus
d'un, voyant que ce brassage favorise des rapprochements inattendus et suggestifs,
remerciera l'auteur pour cette séance de remue-méninges.
Le livre, articulé en diptyque, propose d'abord quatre chapitres de « parcours
théoriques » sous-tendus par le souci de situer le concept de stéréotype par rapport à
toute une nébuleuse de notions circonvoisines : le type, le cliché, le poncif, le lieu
commun, le préjugé, la doxa, le mythe, l'archétype, l'idée reçue. La seconde partie,
de longueur équivalente, réunit sous le titre de « pratiques » trois chapitres d'analyses
concrètes : on y voit comment les productions culturelles, au sens large, se méfient
et tout ensemble se nourrissent des schémas préconstruits. Trois territoires sont
explorés : la fiction d'épouvante, écrite ou filmée, l'autobiographie des stars
hollywoodiennes voilà pour la culture de masse , et le discours des féministes,
qui ne délivre la Femme du corset des modèles millénaires que pour l'enfermer,
peut-être, dans le carcan de nouveaux stéréotypes.
Ruth Amossy conduit ses démonstrations d'une écriture serrée, qui contraint à
la réflexion, cultive la nuance, s'autorise des doutes méandrins avant de s'accrocher
à la certitude provisoire d'une formule lapidaire. Nous avons apprécié qu'à la page
75, au terme d'une enquête fouillée, menée avec brio, où ont été convoqués le
Chouan Marche-à-Terre de Balzac, la Fantine des Misérables , les Noirs de Tintin au
Congo, les Indiens des westerns, Tarzan, Brigitte Bardot, la Lolita de Nabokov,
Bovary, les grisettes de Gavami, les fonctionnaires de Daumier, Bécassine,
Hercule Poirot, et bien d'autres, l'auteur en mal de définition relativise son entreprise
taxinomique et avoue modestement : « La question de la distinction entre le type et le
stéréotype est une boîte de Pandore qu'il est peut-être sage de ne jamais ouvrir... »
Refermons-la, mais sans omettre d'attirer l'attention sur quelques fortes pages
de cette première partie. L'auteur met en évidence la bivalence du stéréotype dans
les rapports sociaux : il s'y révèle dangereux et indispensable. C'est un agent de
pollution, vecteur possible de racisme, pour l'esprit paresseux qui présuppose une
adéquation entre la réalité et les images toutes faites du juif, de l'arabe, du patron, du
syndicaliste, de la prostituée. Mais comment renoncer à cet outil dans les processus
de cognition sociale ? Si digne d'intérêt que soit l'individu dans sa singularité, on ne
peut escamoter l'étape de la généralisation simplificatrice, qui rend lisibles nos
chaotiques et permet d'avoir prise sur elles. L'essentiel, plutôt que d'éradiquer
les stéréotypes sociaux, serait de les repérer, d'en prendre conscience, d'en
connaître la perversité. Mais, ce faisant, prenons garde à ne pas nous décerner un
brevet de supériorité sur le vulgum pecus, captif des schémas simplistes.
On verra que Ruth Amossy brise la gangue du conformisme dans sa lecture
des pourfendeurs de types et de stéréotypes, qu'il s'agisse d'André Breton, de
Sarraute, de Roland Barthes exorcisant le réalisme de Balzac dans s/z, mais
paradoxe ! construisant son autoportrait pour le musée Grévin des Ecrivains de
toujours, ou s 'adonnant à des acrobaties intellectuelles pour inventer un « troisième
degré » (fort voisin du premier), qui lui permettra de prendre plaisir aux photos de
famille, cette quintessence du préfabriqué.
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La seconde partie, non sans quelque arbitraire dans le choix des exemples,
nous offre trois monographies, dont nous oublions vite le collage aléatoire, pour nous
laisser prendre par la richesse de la documentation et la virtuosité malicieuse dans le
maniement du scalpel. Le premier chapitre a pour titre « l'industrialisation de la
peur ». Sans trembler, Ruth Amossy dresse avec une minutie de magasinière aux
Galeries de l'épouvante le répertoire hétéroclite des stéréotypes en usage au pays de
l'étrangeté effrayante. Elle montre pourquoi le vampire, le loup-garou, le cadavre
ambulant déclenchent les mécanismes de l'effroi malgré leur caractère de poncifs.
Cette réflexion s'inscrit dans la lignée des travaux de Caillois et de Huizinga sur le
jeu ; elle exploite les films de Hitchcock et de Polanski, comme les uvres de Poe,
Walpole ou Julien Gracq.
Viennent ensuite vingt-cinq pages sur « l'autobiographie des stars
» Nous retiendrons, à travers celles de Marilyn Monroe, Mary Pickford ou
Marlène Dietrich, que la star qui se raconte, même si elle tente de prendre ses
vis-à-vis de son image pétrifiée, ne brise jamais complètement le pacte tacite
qui la lie à ses admirateurs.
Dans son dernier chapitre « les pièges de la féminité » l'auteur constate
que le discours féministe n'aura souvent fait que remplacer le paradigme convenu de
la femme dépendante et passive par celui d'une créature « dominatrice et ambitieuse,
raisonneuse et sèche ». Peut-être les femmes sortiront-elles de cette aporie si elles
apprennent à relativiser la dichotomie masculin/féminin, à l'instar de Colette ou
d'Hélène Cixous.
Voilà un livre qui pourrait rendre bien des services aux étudiants et aux
Nous craignons pourtant qu'il ne rencontre pas tout son public potentiel, car il
ne comporte aucun index des thèmes, des uvres, des auteurs. Privé de ce trousseau
de clés, qui eût multiplié les entrées, le lecteur pressé risque de passer outre. Ce
dommage pour cet ouvrage compact mais riche en tiroirs de rangement, petit
chef-d'uvre de marqueterie qui, s'il était un meuble, mériterait de s'appeler un
bonheur-du-jour.

Claude Barousse

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