Communication et langages

Michel Maffesoli Le temps des tribus, le déclin de l'individualisme

dans les sociétés de masse
Anne-Marie Laulan

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Laulan Anne-Marie. Michel Maffesoli Le temps des tribus, le déclin de l'individualisme dans les sociétés de masse . In:
Communication et langages, n°76, 2ème trimestre 1988. pp. 120-121.

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Michel Maffesoli
LE TEMPS DES TRIBUS,
LE DÉCLIN DE L'INDIVIDUALISME
DANS LES SOCIÉTÉS DE MASSE
Méridiens-Klincksieck, 226 p., 1988, 120 F.
L'auteur, devenu très tôt professeur de
sociologie à la Sorbonne, pourrait à première vue
passer pour un de ces jeunes gens à la mode,
prenant l'air du temps pour une révolution
philosophique. Le titre même, annonçant le
« retour à la vie tribale et le déclin de
l'individualisme », incite de façon provocante aux
délices archaïsantes et nostalgiques. Le
retour du refoulé en quelque sorte ! Mais l'on
est vite détrompé, car l'auteur ne nous
entraîne pas, comme tant de ses collègues,
dans une imprécation contre la modernité,
pas plus qu'il ne décrit la nouvelle
Apocalypse. Son propos consiste à nous faire
partager le « réenchantement du monde ».
Michel Maffesoli dirige à l'université de Paris
V un Centre de recherche sur l'actualité et le
quotidien (CEAQ). Tout naturellement,
l'ouvrage se nourrit d'observations banales,
triviales : les rassemblements, les spectacles
médiatiques, les sectes, les engouements...
Mais l'interprétation donnée n'emprunte rien
aux condamnations solennelles au nom de la
transcendance ou de l'idéologie. C'est tout au
.o contraire une interprétation baignée de
I chaleur, voire de complicité : « Tout comme les
§ dieux lares, cause et effet du rassemblement
familial, le "divin social" dont nous parlons
permet dans les inhumaines et froides
métropoles de recréer des cénacles où l'on se tient
Illustration non autorisée à la diffusion
chaud, des espaces de socialite ». La déshu-
manisation réelle de la vie urbaine oblige à
domestiquer un environnement menaçant et
sécrète des rassemblements spécifiques
pour partager. Dans cette perspective de
participation, le sexe tout comme les sentiments
religieux sont des modulations de la passion.
De même assiste-t-on en même temps, sous
l'influence de la télévision, à l'uniformisation
des modes de vie, d'habillement, de
nourriture, et au développement des radios locales,
des réseaux câblés, de la gastronomie
régionale, des spécificités culturelles revisitées.
L'avancée technologique n'arrive pas (en
dépit des prophéties pessimistes) à gommer la
puissance du lien social (relier = religere) ;
parfois même, les technologies de pointe (le
Minitel, le visiophone...) lui servent
d'auxiliaire.
Un important chapitre de l'ouvrage s'applique
à établir la transformation progressive du
social en socialite. Une façon de dépasser la
fausse question de savoir qui, de l'individu ou
de la masse aveugle, détermine l'Histoire,
avec, sous-jacente, l'opposition entre le
rationnel et la dangereuse obscurité de
l'instinct. M. Maffesoli décrit l'hypermodernité
comme une voie médiane où les
internationalités s'ajustent aux archétypes, viennent les
habiter. « C'est cela l'espnt de groupe,
l'esprit du clan, dont la synergie ou la
juxtaposition produit l'esprit du temps. »
L'auteur parle en philosophe et en
sociologue. Mais ses propos concernent la
communication sociale, qui n'est pourtant
jamais nommée. Processus lent et invisible.

réconciliation, réenchantement, réconciliation
des hommes et de leurs technologies : sans
le chercher, sans même le vouloir, cet
ouvrage délivre un message d'espérance dans
le devenir de nos sociétés.
Anne-Marie Laulan
Sous la direction de François Taillandier
L'ANNÉE DES LETTRES 1988
La Découverte / ministère de la Culture et de
la Communication, Paris, 326 p., 98 F.
Dans les années cinquante, il existait un
annuel de la littérature, L'almanach des lettres.
Ce fut un insuccès relatif et il disparut. Pour-
tant, bien dirigée, une telle publication s'avère
[
utile : c'est le regard au présent qui, au fil des
ans, devient repère et qui dévoile les cécités
inévitables comme les engouements
ultrapassagers.
Le défi est relevé avec succès, des décennies
après, mais la formule a changé : l'édition
s'est diversifiée, et les genres dits mineurs
ont désormais droit de cité. L'édition elle-
i
même est devenue un thème de recherche :
[
la politique du livre, ses stratégies, ses
pesanteurs et contradictions suscitent des analyses
en profondeur. L'année 1988 est ainsi passée
au crible.
Certes, de nombreux articles ne se limitent
pas à sa seule observation, mais ces
ouvertures et réflexions sur un passé proche
enrichissent le débat. Comment l'éditeur
contournera-t-il ce problème l'an prochain ?
On souhaite la poursuite d'une telle
publication : car si l'on excepte les trop brèves pages
bilans, que de nombreux périodiques publient
en guise de mémorial en décembre, on ne
possède pas de semblables et utiles
synthèses. Un vide comblé par une solide équipe
de vingt-cinq journalistes, bibliothécaires et
professionnels.
In-fine, un mini-annuaire des maisons
d'édition révèle d'étranges absences.
Philippe Schuwer
Luciano Canfora
LA VÉRITABLE HISTOIRE
DE LA BIBLIOTHÈQUE D'ALEXANDRIE
Desjonquères, 1988/ 110 F.
Le nom de la Rose d'Umberto Eco a eu le
succès que l'on sait. Aujourd'hui, un autre
Les livres 121
Italien, Luciano Confora, historien des
littératures classiques, écrit comme un roman à
énigme l'histoire de cette destruction de
bibliothèque qui est passée dans la mémoire
collective comme un acte de barbarie
exemplaire. Omar, le calife de Bagdad en 640 de
notre ère, ordonne : « Si le contenu des livres
(de cette fameuse bibliothèque d'Alexandrie)
est en accord avec celui d'Allah, nous
pouvons nous en passer, puisque, dans ce cas, le
livre d'Allah est plus que suffisant. S'ils
contiennent au contraire quelque chose de
différent par rapport au livre d'Allah, il n'est
aucun besoin de les garder. Détruis-les. »
Une certaine histoire (mythique) des livres se
termine là. A travers des sources multiples,
rassemblées dans la deuxième partie du livre,
Luciano Canfora met en scène la décision de
Ptolémée, sur les conseils de Démétrius
d'Athènes, de rassembler d'abord pour lui-
même, dans son palais, les rouleaux-livres du
monde entier consacrés à la royauté et à
l'exercice du commandement.
« Livre, pouvoir et société1 », dans leurs
interactions, trouve là son origine. Aristote se
profile comme une ombre sur tout ce roman
vrai montrant à l'œuvre des aristotéliciens de
tous poils : des rois, leurs conseillers (dont la
fortune change avec la mort des rois), les
possesseurs successifs des manuscrits
d'Aristote et ceux qui veulent les acheter à
tout prix. Histoire de droit et de pouvoir sans
cesse recommencée. Théophraste lègue ses
livres à Nelée qui, vexé de ne pas être élu à la
tête de l'Académie, se retire emportant la
« bibliothèque d'Aristote ».
Il s'agit là d'une histoire dans l'histoire ou
plutôt de l'épine dorsale de ce livre. Nelée,
pressé de vendre par la toute puissante
bibliothèque d'Alexandrie, lâche quelques bribes
insignifiantes de son trésor mais ses héritiers
préféreront livrer les rouleaux aux insectes en
les enfouissant jusqu'à ce qu'un autre
héritier, plus cupide, vende le reste à un
particulier : Apellicon ami d'Athénion, tyran
d'Athènes. Exécuté après la prise d'Athènes,
sa bibliothèque passe aux mains de Sylla,
puis à celles de son fils Faustus qui la vend
pour payer ses dettes..-.
Les rois font de « La » Bibliothèque un instru-
1. H.-J. Martin, Livre, pouvoir et société,
thèse sur le livre au xmp siècle.