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Matière Français
Introduction :
A. L’auteur, Rabelais
B. La culture, Renaissance, Humanisme et Évangélisme
C. La politique, François 1er
D. L’œuvre, Cycle des Géants et structure
E. Réception, critiques
I. Le Rire
A. Une œuvre placée sous le signe du rire
B. Une histoire facétieuse, des personnages géants
C. Des procédés comiques divers
D. L’Héroïcomique et le burlesque
1. Les Romans de chevalerie
2. Les Mythes de l’Antiquité
3. La Bible
4. Les jeux de mots
E. Les bienfaits du rire
II. La pensée humaniste
A. Sur l’éducation
1. L’apprentissage abrutissant des théologiens, une anti-éducation
2. L’éducation humaniste, vertueuse
B. L’art de gouverner
1. Picrochole, le tyran impérialiste et belliqueux
Gargantua 1
2. Le camp adverse des sages humanistes
C. La religion
D. L’utopie de Thélème
III. Une œuvre qui interroge le lecteur
A. Une œuvre difficile et déconcertante…
B. … Caractérisée par un pacte de lecture original
C. La figure du narrateur, Alcofribas Nasier
D. Frère Jean des Entommeures
1. Un personnage motivé par le récit, et la fonction qu’il y occupe, …
2. … Difficilement intégrable à l’idéal humaniste
Conclusion
Introduction :
A. L’auteur, Rabelais
Rabelais, auteur de Gargantua, est né ou bien en 1483, ou bien en 1494, la date
exacte est inconnue ; il mourut le 9 Avril 1553.
S’il se fit d’abord moine, en 1520, il ne tarda pas de commettre une infraction
envers l’Église, en changeant de l’ordre des franciscains à celui des bénédictins —
moins fermé à la culture profane, on lui avait en effet confisqué son livre de
grec, la Sorbonne craignant les nouvelles interprétations du Nouveau Testament.
Puis en 1527, il commence ses études de médecine, proscrites par l’Église du fait
de son statut de moine… Ses œuvres vont être censurées à la demande des
théologiens, et sont condamnées par exemple en 1546 pour hérésie par la faculté de
théologie de la Sorbonne. Rabelais, au service des Du Bellay, personnes importantes
et influentes, bénéficie tout de même d’une certaine protection.
Gargantua 2
instaurées : grecque, sans laquelle ces hontes de personnes se
disent savantes, hébraïque, chaldaïque, latine. »
L’étude des langues ancienne et de la culture classique s’appelle les humanités (du
latin humanitas), de là vient le mot d’humanisme.
Cette connaissance permet alors de redécouvrir les textes anciens. Au Moyen-Âge,
ils avaient ainsi été traduits, mais souvent mal traduits, ou alors le traducteur
insérait dans le texte des interprétation (on dit ainsi de Platon qu’il annonçait
le christianisme). La Vulgate, traduction de la Bible à laquelle l’Église se
réfère, en est l’exemple. Pour les auteurs du XVIème siècle, il s’agit de les
retraduire le plus fidèlement possible et d’ensuite transmettre ce savoir, grâce à
l’imprimerie. Même s’ils gardent leur foi, ils s’opposent souvent aux dogmes de
l’Église ; certains suivirent même les réformes, de Luther (1483-1546) dans le
Saint-Empire romain germanique, ou de Calvin (1509-1564) en France.
En ce qui concerne Rabelais, c’est un évangélique, mouvement s’approchant du
protestantisme sous plusieurs aspects :
un retour à la simplicité, vers une Église primitive (grâce aux textes anciens,
et non pas la Vulgate)
un dénonciation des abus de l’Église, qui cumule notamment les péchés véniels
(les « pardons » accordés pour de l’argent par exemple), ou encore une critique
de la vie débauchée des moines.
L’Église favorise ainsi des croyances et des rites en contradiction avec la Bible,
comme le culte des Saints ou bien le poids excessif des cérémonies. Si les
évangéliques s’écartent de l’Église, ils veulent toutefois, à la différence des
protestants, rester sous son giron.
Gargantua 3
de « Roi Très-Chrétien », François 1er lance une vague de répression très sévère
contre les évangéliques et les protestants ; il signe plus tard une amnistie, mais
la controverse avait déjà généré une flambée d’intolérance religieuse.
En 1542, Rabelais décide donc de remplacer les termes de « sorbonnard » (et ses
dérivés) et de « théologien » par « sophiste » (orateurs de la Grèce Antique, dont
l’art était dénoncé par Socrate comme un art du discours vide) ou « maître ».
Malgré cela, les ouvrages de Rabelais sont interdits, jugés obscènes et hérétiques.
Le règne de François 1er se caractérise par son opposition à Charles Quint. S’il
avait débuté triomphant, en 1515, la défaite mémorable de Pavie (1521) vient
l’entacher.
Gargantua 4
Le titre d’« abstracteur de quinte essence » par M. Alcofribas abstracteur de
indique qu’il est capable d’extraire quinte essence. Livre plein de
l’essence même des choses. Pantagruélisme ».
« Comment un moine de
« Comment Gargantua fit
Seuillé sauva le clos de
Chapitre 27 Chapitre 52 bâtir pour le moine
l'abbaye du sac des ennemis.
l’abbaye de Thélème. »
»
Présentation du délire
Harangue pacifiste de
Chapitre 33 belliqueux et impérialiste Chapitre 50
Gargantua aux vaincus
de Picrochol
E. Réception, critiques
Outre la censure déjà évoquée, plusieurs auteurs des siècles suivants vont émettre
des critiques plus ou moins directes sur Gargantua. Il s’agit en effet d’une œuvre
caractérisée par un mélange des tons (grossièreté et érudition) et des genres
(poésies, dialogues, etc.).
Gargantua 5
« Marot et Rabelais sont inexcusables d’avoir semé l’ordure dans
leurs écrits : tous deux avaient assez de génie et de naturel
pour pouvoir s’en passer […]. Rabelais surtout est
incompréhensible : son livre est une énigme, quoi qu’on veuille
dire, inexplicable ; c’est une chimère, c’est le visage d’une
belle femme avec des pieds et une queue de serpent, ou de
quelque autre bête plus difforme ; c’est un monstrueux
assemblage d’une morale fine et ingénieuse, et d’une sale
corruption. Où il est mauvais, il passe bien loin au delà du
pire, c’est le charme de la canaille ; où il est bon, il va
jusques à l’exquis et à l’excellent, il peut être le mets des
plus délicats. »
- La Bruyère, Les Caractères, XVIIème siècle
Gargantua 6
I. Le Rire
A. Une œuvre placée sous le signe du rire
Le rapport au rire dans Gargantua se retrouve dès la dédicace Aux Lecteurs : « […]
Mieux est de rire que de larmes écrire. \\ Parce que rire est le propre de
l’[H]omme. »
Il est alors intéressant de remarquer que dans le camp de Picrochole, on ne rit pas
: il se fait ainsi une distinction entre ceux qui savent rire, et les autres. Dans
le Quart Livre, cette deuxième catégorie est traitée de cannibales, et Rabelais les
appelle, selon un autre néologisme de Rabelais, agelastes (dérivé de ἀγέλαστος,
agélastos, « qui ne rit pas, grave, triste » (Bailly), lui-même formé du préfixe
privatif ἀ-, a-, avec γελαστός, gelastós « risible, plaisant » (Bailly), ce dernier
étant dérivé de γελάω, geláô, « rire »).
La dimension des géants apporte de plus une forme de comique, le comique gigantal.
Chapitre 4 : « seze muiz, deux bussars, et six tupins », « seize cuves, deux
barriques et six pots » de tripes mangées par Gargamelle (une nuid/muiz
équivaut à deux cent quatre-vingts litres).
Mais également Chapitre 22, l’énumération des jeux, Chapitre 23, celle des
instruments de musique qu’étudie Gargantua, ainsi que les armes qu’il apprend
Gargantua 7
à manier, Chapitre 27, celle des Saints.
L’ivresse :
Le rire scatologique :
Chapitre 40, Frère Jean : « Avec du bon vin nouveau, vous voilà
négociateurs de pets » (jeu de mot sur l’homophonie de pets et paix)
Les obscénités
Chapitre 39, encore Frère Jean : « Pourquoi est-ce que les cuisses d’une
demoiselle sont toujours fraîches ? […] Parce qu’il est continuellement
éventé des vents du trou de bise, de chemise, et même aussi de la braguette »
Chapitre 40, toujours Frère Jean (à propos de la taille de son nez, symbole
associé à la capacité sexuelle) : « c’est parce que ma nourrice avait les
tétins moelleux […]. Les durs tétins des nourrices font les enfants camus. »
D. L’Héroïcomique et le burlesque
Rabelais utilise une écriture qui parodie les romans de chevalerie (par la
structure de la narration), des mythes de l’Antiquité et même de la Bible.
Gargantua 8
1. Les Romans de chevalerie
Comment la geste héroïque devient ici comique ?
La guerre lancée par Picrochole a pour motif une simple broutille, une querelle
ridicule (Chapitre 25).
Comment les exploits guerriers de Frère Jean sont-ils de la même manière rendus
comiques ?
L’exagération du massacre du moine le deviennent par l’excès de détails, la
précision anatomique, chirurgicale enlève l’héroïsme de la scène (Chapitre 27). De
la même manière, la violence contraste avec cette précision de l’ordre médical au
Chapitre 44.
3. La Bible
Cette naissance de Gargantua au Chapitre 6, par ailleurs, vient parodier le texte
biblique. Le narrateur déclare ainsi qu’il « ne trouve rien d’écrit dans les
saintes Bibles qui s’y opposerait », faisant écho à la naissance du Christ, qui
paraît invraisemblable sachant que la Vierge était et resta vierge.
Le comique dont Rabelais fait usage a une portée au-delà du simple rire innocent,
et certains pensent ainsi reconnaître en lui un athée.
D’autre part, les déluges d’urine (de la jument de Gargantua au Chapitre 36, ou de
Gargantua lui-même au Chapitre 17) font écho au Déluge de l’Ancien Testament… tout
en étant bien moins sérieux, celui de Gargantua se faisant « par ris » (« pour
rire »).
Gargantua 9
Dans les textes bibliques, la même formule est utilisée pour comptabiliser le
nombre de personnes nourries par les denrées multipliées par Jésus : « Ceux qui
avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans les femmes et les enfants »
(Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu, Chapitre 14, Versets 14 à 21),
entre autres.
Par exemple, l’un des sophistes qui enseigna à Gargantua s’appelle « Tropditeulx »,
c’est-à-dire qu’il parle trop ; il fait ainsi lire au géant des commentaires de
textes, et des commentaires de commentaires…
À l’opposé, certains des compagnons de Gargantua sont nommés en grec, langue chère
aux humanistes, comme « Eudémon », « Ponocrates » ou encore « Gymnaste ».
D’autre part, on peut relever des polyptotes (c’est-à-dire l’emploi dans une même
phrase de plusieurs mots dérivés de la même racine), Chapitre 19 avec les cloches
de Janotus de Bragmardo (à noter qu’il fait cette polyptote en bas-latin, utilisant
pour le coup une racine différente de celle du latin classique, clocha- au lieu de
campana-), concluant d’ailleurs son argument par « ergo gluc » (selon Littré,
« Expression familière par laquelle on se moque de grands raisonnements qui ne
concluent rien. »), ce qui montre qu’il ne sait lui-même ce qu’il raconte) ; une
autre polyptote se trouve au Chapitre 27 : « […] en un mot, vrai moine s’il en fut
jamais depuis que le monde moinant moina de moinerie. ».
À ce même Chapitre, la prière des moines « tout hébétés comme des fondeurs de
cloches » est un autre moyen de se moquer du clergé, car ils déstructurent les mots
syllabes par syllabes au point que rien ne soit plus compréhensible : en
connaissaient-ils seulement réellement le sens initial, ou du moins le
comprenaient-ils vraiment ? Le texte montre plutôt au lecteur un clergé enfermé
dans son latin, mauvais souvent, ou obscur plus généralement pour ses utilisateurs.
Enfin, l’échange suivant entre Frère Jean et un autre moine est digne d’intérêt :
« — Qu’on me le mène en prison, pour troubler ainsi le service divin !
— Mais, dit le moine, le service du vin, faisons en sorte qu’il ne soit point
troublé ».
Gargantua 10
Dans l’œuvre de Rabelais, le rire est philosophique, aux vertus curatives — cela
faisant également écho aux passages traitant de la médecine de l’œuvre, souvent
comiques par ailleurs —. Durant les scènes de massacres, la médecine est ainsi
présente, perturbant parfois la lecture comme une sorte de nuisance.
Au XVIème siècle, elle repose en partie sur la théorie des humeurs :
Picrochole, ainsi que son nom l’indique (« Bile amère » en grec) est touché par
un excès de « cholère »
Outre son caractère philosophique, c’est aussi un rire érudit que Rabelais nous
propose.
Les géants du livre ont une géométrie variable, leur taille change parfois suivant
les passages. Après avoir reçu l’enseignement de Ponocrates, Gargantua « perd » sa
dimension de géant comique ; de brute, il devient un humaniste, prince chrétien
(elle ne revient que pour certains passages comme celui dès pèlerins).
Rabelais critique ceux qui sont incapables de s’adapter au présent : les faux-
lettrés de la Sorbonne par exemple (et leur latin de cuisine), ou encore les
tyrans, impérialistes en dépit du bon sens, incarnés par la personne de Picrochole.
Une lecture possible de l’œuvre est donc celle d’un rationalisme éclairé, inspiré
fortement des écrits théoriques d’Érasme, sur l’éducation ou l’art de gouverner,
dans la condamnation de la guerre par exemple).
« […] élevé et nourri sans cesse aux très pures mamelles de [sa]
divine science »
- Rabelais, Lettres Latines, ici destinée à Érasme
Il y a tout au long de l’œuvre une valorisation faite par antithèse. D’abord est
présentée l’attitude à ne pas suivre, et que le texte critique, et dévalorise grâce
au rire notamment. Au Chapitre 19, alors que Janotus de Bragmardo vient de déclamer
sa harangue, les compagnons de Gargantua et lui même rient au point, presque, d’en
mourir. Être un sophiste, c’est-à-dire ici un théologien, c’est donc être un « âne
Gargantua 11
couillard ». Puis, dans un second temps, Rabelais présente l’attitude inverse,
digne d’éloges, reprenant presque mot pour mot Érasme. Au Chapitre 50, la harangue
de Gargantua est d’une bien meilleure qualité.
A. Sur l’éducation
1. L’apprentissage abrutissant des théologiens, une anti-éducation
Pour reprendre l’expression du Chapitre 19, à propos de Janotus de B., les
théologiens sont de « vieux tousseux ». Les deux qui « instruisirent » Gargantua
dans un premier lieu, Thubal Holopherne (Thubal signifiant « confusion » en hébreu)
et Jobelin Bridé (Jobelin a le sens de « niais », Bridé celui de « fermé
d’esprit ») sont de parfaits imbéciles, et Bragmardo est presque sans éducation.
Dans l’éducation des sophistes, on ignore tout ce qui est nouveau : Gargantua
apprend les lettres gothiques, étudie des textes médiévaux, des commentaires et des
commentaires de commentaires. Il mit cinq ans et trois mois pour apprendre
l’alphabet (à l’endroit et à l’envers) ; treize ans, six mois et deux semaines pour
lire trois manuels, très anciens (IVème, Vème et XIIème siècles) mais toujours en
vigueur dans les programmes d’enseignement du XVIème siècle ; puis dix-huit ans et
onze mois pour une grammaire obsolète critiquée par Érasme, et ses multiples
commentaires ; enfin seize ans et deux mois furent nécessaires pour lire
l’almanach, avant que le sophiste ne meure (en l’an 1420) ; son écritoire pèse
trois cent cinquante tonnes, son plumier aussi gros et grand que les gros pilier
d’une basilique (connue justement et notamment pour la taille desdits piliers), et
l’encrier de la taille d’un tonneau de marchandises (cf. Chapitre 14).
Au Chapitre 15, « son père se rendit compte que vraiment il étudiait très bien et y
passait tout son temps, mais qu’il n’en tirait aucun profit. Et pis encore, il en
devenait fou, niais, tout hébété et complétement sot. », c’est donc à ce moment que
Eudémon, jeune page n’ayant étudié que deux ans auprès de Ponocrates, improvise
donc, sur demande du seigneur Philippe des Marais (« des Marais », anagramme
partiel d’Érasme, Désiré de son prénom ?) auprès de qui s’était plaint
Grandgousier, un discours éloquent et brillant, auquel la seule réaction de
Gargantua est de se mettre à pleurer « comme une vache, […] et il ne fut pas
possible d’en tirer plus de mots que de pets d’un âne mort. », la comparaison
animale insistant ainsi sur l’échec de cette éducation.
Gargantua 12
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
- Rabelais, Pantagruel
Malgré quelques traits d’humour présents çà et là dans ces chapitres (la potion à
base d’hellébore, ou le fait pour Gargantua d’être l’égal des plus grands, réels ou
mythiques, comme César, Milon de Crotone, Ferrare d’une part, Stentor d’autre part.
Il faut néanmoins moins voir un objectif réalisable dans cette éducation idéale
qu’une méthode :
Puis il s’agit de lui apprendre, et non de lui faire réciter par cœur sans qu’il
ne comprenne
Tout cela sans oublier l’importance du corps, dont on s’occupe par le sport et
l’alimentation : au-delà de la guerre, son usage peut être utile par exemple
pour « botteler du foin, […] fendre et scier du bois, et […] battre les gerbes
dans la grange » (Chapitre 24)
Le savoir ne sera ainsi pas seulement livresque, mais aussi dans la discussion,
le jeu (dans une certaine mesure), ou encore dans l’art — peinture, sculpture,
musique —. Ils seront également tirés de l’observation de la nature (Chapitre
23), du travail des artisans, des plaidoyers de bons avocats mais encore,
étonnement presque, des « bateleurs, escamoteurs et thériacleurs, [observant]
leurs gestes, leurs ruses, leurs pantomimes et leurs boniment ».
B. L’art de gouverner
1. Picrochole, le tyran impérialiste et belliqueux
Gargantua 13
Entouré de mauvais conseillers, il manque de discernement et ne prend pas le temps
de vérifier ce qu’on vient lui raconter : « Lequel incontinent entra dans une
colère, une furie, et sans s’interroger plus outre sur le pourquoi du comment il
fit convoquer par tout le pays le ban et l’arrière-ban » (Chapitre 26, noter le
« plus outre »).
Cela explique en partie le sort misérable qui s’abat sur lui à la fin de l’œuvre,
et comment il s’y enfonce.
Par ailleurs, sur un plan religieux, au Chapitre 31 la guerre est mentionnée par
Ulrich Gallet comme heurtant les principes du christianisme, et au Chapitre 32 il
dit que Picrochole est « délaissé de Dieu ».
Ses désirs témoignent d’une méconnaissance du monde moderne et des écrits des
Évangiles, au contraire d’une nouvelle façon de gouvernée incarnée par ses
adversaires humanistes.
Gargantua 14
Au Chapitre 50, le discours que Gargantua tient aux perdants est organisé,
harmonieux (on voit ainsi l’évolution depuis son face-à-face avec Eudémon).
C. La religion
Toute la critique de la religion, repose elle aussi sur une mise en parallèle.
D’une part, il y a la satire des théologiens, dont le savoir est vain, inutile.
Cette bêtise, nullité du savoir, se caractérise par exemple au Chapitre 19 avec le
discours ampoulé de Janotus de B., truffé de pseudo-références, de mauvais latin,
qui ne fait que produire une langue obscure que Erasme qualifie dan son Érasme
qualifie dans son Éloge de la Folie de « langage de la plus barbare et la plus sale
possible ». D’autre part, la conversion à l’évangélisme de Gargantua lui permet de
prononcer un discours élégant, aux vérités essentielles : son harangue est beaucoup
plus réfléchie que celle de Janotus.
D’un autre côté, il y a Frère Jean des Entomeures, qui, notamment au Chapitre 27,
montre son opposition à cette prière vide, ridicule, sans effet. Lui, de son côté,
se rend utile en allant combattre les assaillants de l’abbaye de Seuilly. Au
Chapitre 40, Gargantua dit de lui qu’« il n’est point bigot, [qu’]il n’est point
triste […], [qu’]il est honnête, joyeux, résolu, bon compagnon. Il travaille, il
laboure, il défend les opprimés, il réconforte les affligés, il subvient aux
besoins des souffreteux, il garde le clos de l’abbaye. » Et le matin, après les
matines qu’il a hâtées, il fait « cordes d’arbalètes, [il] poli[t] leurs traits et
carreaux […]. Jamais je ne suis oisif ».
Gargantua 15
Au Chapitre 45, Grandgousier conseille aux pèlerins d’arrêter leur voyage inutile,
pour s’occuper de leurs familles. Il est également question de la lubricité des
moines, qui ont une vie de débauchés en dépit de leurs vœux de chasteté : « car
l’ombre même du clocher d’une abbaye est fécondante ».
C’est en effet que les pèlerins subissent l’influence des prêtres, des prêches qui
bien qu’elles ne soient pas interdites par le roi de leur pays, car étant contraire
à la lecture renouvelée de la Bible qu’ont les évangéliques (« Tu n'auras pas
d'autres dieux devant ma face. », premier commandement) elles devraient l’être.
Au Chapitre 17, Gargantua dérobe les cloches ; usant d’un sens de « heures », qui
peut signifier un type de prières, Frère Jean déclare au Chapitre 41 que « les
heures sont faites pour l’homme, et non l’homme pour les heures ».
D. L’utopie de Thélème
Le genre de l’utopie avait déjà été discuté auparavant, par l’humaniste anglais
Thomas Moore dans son ouvrage L'Utopie ou Le Traité de la meilleure forme de
gouvernement, c’est alors une société où il n’existe plus de propriété privée, où
tous les hommes sont égaux, et les femmes sont les égales des hommes. Les affaires
publiques sont ainsi traitées par des discussions publiques ; il n’y a pas de
religion spécifique, et il y a donc interdiction de la persécution pour ce motif.
Deux dogmes doivent en revanche être suivis, acceptés : premièrement, l’âme est
immortelle, et deuxièmement, le gouvernement du monde se fait par une puissance
divine. Ceux qui ne les acceptent pas se voient exclus.
Cette histoire se déroule dans un lieu imaginaire, plaçant l’idée d’utopie dans le
domaine de l’iréel.
En revanche, l’abbaye de Thélème se situe dans sur les bords de Loire : serait-ce
ainsi une indication de Rabelais laissant penser qu’il envisage cette utopie comme
réalisable ?
Gargantua 16
comme des jeux gratuits, pour d’autre c’est une démonstration du savoir
encyclopédique.
Quand elle ne résiste pas à toute interprétation, c’est une œuvre qui en offre de
multiples, au point que certains proposent une lecture selon laquelle Rabelais
serait athée.
C’est donc un texte déconcertant, qui a poussé à éditer une version épurée, sans
tous les passages obscènes et scatologiques, en ne gardant finalement que le
« sérieux ».
Le discours classique :
Il s’organise en plusieurs mouvements, chacun remplissant un certaine
fonction
Gargantua 17
C’est en somme une invitation à lire de façon tolérante.
Il détaille ensuite son avis sur les apparences, qui sont trompeuses, et nous
enjoint à réévaluer nos préjugés et à nous méfier de l’aspect extérieur des choses
(comme pour Socrate et les Silènes). Alors, on ne doit pas confondre essence (qui
peut être très précieuse ; cela fait écho au titre de « l’auteur », Alcofribas, un
« abstracteur de quinte essence ») et apparence (qui elle peut être en revanche
grotesque).
Le lecteur doit donc suivre l’exemple du chien, qui serait « la bête du monde la
plus philosophe », et qui sait que dans l’os se cache une « substantifique moelle
[…]. Car en elle [le lecteur] trouver[a] un bien autre goût, et un savoir plus
secret, lequel [lui] révèlera de très sacrées énigmes et des mystères horrifiques,
en ce qui concerne tant [leur] religion, que l’état politique et la vie
économique ».
Rabelais dessine alors très clairement les enjeux de lecture : le lecteur ne doit
pas s’offusquer, mais trouver un « plus haut sens », au delà de l’interprétation
littérale, ce qui amènera plus tard Montaigne à s’adresser au « diligent lecteur ».
Gargantua 18
1. Un personnage motivé par le récit, et la fonction qu’il y
occupe, …
Sans lui, le récit serait en effet menacé par l’ennui, ainsi que nous le prouve la
monotonie de Thélème, aussi utopique que cette abbaye soit, paysage dont il est
absent. Il propose un point de vue alternatif, et c’est lui-même qui clôt le livre.
Le moine point une idéalité trop éloignée du réel, trop irréelle, idéalité qui en
devient donc dangereuse, et met des limites à cet idéal humaniste. Ainsi, il montre
les limites du pouvoir de la parole et du pacifisme.
Le discours de Gargantua y fait écho, les même illusions y sont présentes, en creux
de celle déjà entendues avec Gallet.
Mais Frère Jean est le seul qui n’est pas d’accord, et ne veut que vaincre
l’ennemi.
Conclusion
Gargantua est un récit qui pose à l’intérieur de sa fiction les limites de l’utopie
et de l’idéalité : le mal existe (ici Picrochole), et ce personnage se montre
imperméable à la raison et à la générosité (comme le montre le meurtre de
Toucquedillon, et sa fin dénonce une bêtise incurable) ; le corps a, par ailleurs,
ses exigences, aussi futiles et triviales, et la raison ne saurait les réduire ni
les éliminer.
Gargantua 19
Il présente une dualité : d’une part un rire grotesque, d’autre part une érudition
savante. Rabelais expose ainsi une réalité et un savoir qui se donnent moins dans
leur transparence que dans leur complexité.
Pour ce qui est de l’éducation, est-ce pour montrer les limites d’un humanisme trop
optimisme, nous dévoilant la complexité de ce monde moderne qui s’ouvre dans la
finalité de l’époque du Moyen-Âge, que le programme et les résultats de Gargantua
semblent presque impossibles ? À moins d’être un géant, il est impossible
d’acquérir cette somme de savoir, et d’autre part être un « bon prince » semble
infaisable.
Ce livre est ainsi une prise de conscience que les Hommes du XVIème siècle, devant
l’étendue du savoir due à l’imprimerie, mais aussi pour rendre compte de cette
richesse ainsi que nous le montrent les énumérations exhaustives, qui disent le
plaisir et la joie ressentis pour le monde réel.
Gargantua 20