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Littérature du XVIIIe siècle

1. Contexte historique
2. Situation de l’école et du livre
3. La Querelle des Anciens et des Modernes
4. Le milieu social et littéraire : « académies », salons, cafés, clubs
5. La fiction romanesque au XVIIIe siècle: caractéristiques
générales du roman du XVIIIe siècle; dilemmes et difficultés du
genre
6. Types de romans cultivés. Modalités narratives
7. Techniques romanesques. Stratégies textuelles
1. Contexte historique

 le XVIIIe siècle – considéré comme le plus court des


siècles; il commence en 1715 (l’année de la mort de Louis
XIV) et finit en 1789 (la Révolution);
 périodisation > diffère en fonction des événements
historiques ou littéraires considérés par tel ou tel historien
des lettres comme plus importants;
 le XVIIIe siècle > l’ère des philosophes ou le siècle des
Lumières (presque tous les écrivains aspirent au titre de
philosophes du temps);
 c’est un siècle plein de contrastes, une période de
mouvements et de bouleversements qui aboutit à une crise
violente et à l’instauration d’un nouvel ordre politique et
littéraire;
 dans l’ordre littéraire, le réalisme et le
préromantisme remplacent le classicisme; la
littérature liée aux revendications sociales et
culturelles = un miroir de la société;
 sur le plan historique, le règne de Louis XIV avait
marqué l’apogée de la monarchie française (le
XVIIIe siècle voit son déclin et sa chute >
régression économique, la famine, mortalité
galopante, exode des protestants et beaucoup de
guerres désastreuses);
 dans l’ordre militaire, les Français obtiennent des
victoires importantes dans la guerre de succession
d’Autriche (le Traité de paix d’Aix-la-Chapelle –
1748 et le Traité de Paris);
 la France perd l’Inde et le Canada > perd son
prestige acquis sous Louis XIII et Louis XIV, au
profit de l’Angleterre et de la Prusse, deux nouveaux
pouvoirs redoutables;
 la réforme entamée par Louis XIV échoue et les
difficultés financières s’accroissent. Les États
Généraux sont convoqués. La Cour cesse d’être le
cœur du pays et un modèle universel;
2. Situation de l’école et du livre
 malgré les troubles politiques, les gens lisent de plus en plus;
 l’école contribue à la diminution de l’analphabétisme;
 il y a des écoles religieuses, militaires, techniques et des pensionnats;
 les bacheliers arrivent à Paris pour faire leurs études supérieures; les
écoles et les collèges, les bibliothèques, les imprimeries et le
commerce du livre se concentrent dans les villes, mais aussi dans les
campagnes; les colportages peuvent transmettre des nouvelles, des
gazettes, des chansons, des almanachs;
 les hommes de lettres peuvent tirer quelque profit de la publication de
leurs livres > conditionnés par un privilège royal. Il y a un corps de
79 censeurs royaux qui veillent sur la théologie, la jurisprudence, la
médecine, la chirurgie et l’anatomie, les mathématiques et la
géographie, les beaux-arts, l’architecture et les belles lettres;
 l’entreprise de l’édition connaît un grand
essor; Diderot est l’un des premiers éditeurs à
l’état pur, appelés alors « libraires ». Il défend
la liberté d’imprimer, le droit des auteurs et
définit pour la première fois la propriété
littéraire;
 les libraires sont généralement des
entrepreneurs soucieux de trouver des livres
qui se vendent bien. L’exemple le plus
éclairant est Le Breton, l’éditeur de
L’Encyclopédie qui passe une bonne partie du
temps à censurer les textes de Diderot pour
éviter le scandale.
3. La Querelle des Anciens et des
Modernes
 sur le plan culturel – il apparaît un phénomène important qui fait partie
de la nouvelle conception de l’évolution et du progrès de la société et
qui participe à la naissance de la notion d’historicité – la Querelle des
Anciens et des Modernes;
 elle déclenche une véritable crise des valeurs spirituelles. Sur le plan
esthétique, il s’agit d’une première contestation du principe de
l’imitation, héritage de l’Antiquité et de la Renaissance;
 la Querelle éclate en 1687, lorsque Charles Perrault lit à l’Académie
française un poème, Le Siècle de Louis le Grand, dans lequel il met en
doute la supériorité des poètes antiques sur les poètes modernes. En
1688, Fontenelle, esprit classique déclaré, conteste cependant l’idéal
classique dans Digression sur les Anciens et les Modernes (1688). La
doctrine classique recommandait la raison, mettait l’accent sur les
procédés de l’art et la technique de l’œuvre. Son grand principe était
non seulement l’admiration, mais surtout l’imitation des Anciens;
 les partisans de la tradition sont : Boileau, critique autorisé (Réflexions
sur Longin, 1694), La Fontaine (Épître à Huet, 1687), La Bruyère;
Charles Perrault
Le Siècle de Louis le Grand (1687)
« La belle antiquité fut toujours vénérable ; Et qu’enfin, dans nos jours, sans trop de
Mais je ne crus jamais qu’elle fût adorable. confiance,
Je vois les anciens, sans plier les genoux ; On lui peut disputer le prix de la science.
Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme
nous ; Platon, qui fut divin du temps de nos aïeux,
Et l’on peut comparer, sans craindre d’Être Commence à devenir quelquefois ennuyeux :
injuste, En vain son traducteur, partisan de l’antique,
Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste. En conserve la grâce et tout le sel attique ;
En quel temps sut-on mieux le dur métier de Du lecteur le plus âpre et le plus résolu,
Mars ?
Un dialogue entier ne saurait être lu. »
Quand d’un plus vif assaut força-t-on des
remparts ?
Et quand vit-on monter au sommet de la gloire,
D’un plus rapide cours le char de la victoire ?
Si nous voulions ôter le voile spécieux,
Que la prévention nous met devant les yeux,
Et, lassés d’applaudir à mille erreurs grossières,
Nous servir quelquefois de nos propres
lumières,
Nous verrions clairement que, sans témérité,
On peut n’adorer pas toute l’antiquité ;
Les thèses des Modernes
 les faiblesses des Anciens (Perrault critique le style ennuyeux de
Platon, la confusion de Pindare, les idées dépassées de la physique
d’Aristote) ;
 la critique du principe de l’autorité (pour argumenter en faveur de la
supériorité des artistes modernes, Perrault utilise l’exemple de la
science moderne qui a dû se débarrasser des idées erronées d’Aristote,
d’Hippocrate ou de Ptolémée. Fontenelle pense que se soumettre à
l’autorité signifie arrêter le progrès) ;
 la permanence des lois naturelles (Fontenelle montre que les
Modernes ne sont pas du tout inférieurs aux Anciens et que
l’antériorité ne peut pas fonder la supériorité) ;
 l’idée de progrès (la nature reste la même, tandis que le temps et
l’histoire apportent du savoir et du savoir-faire notamment; les
Modernes sont supérieurs grâce à leur « connaissance supérieure des
règles de l’art » ; Perrault voit dans le XVIIe siècle le sommet de la
perfection).
 en 1700 prend fin la première phase de la Querelle;
 une nouvelle Querelle s’ouvre en 1711 et éclate en 1714. Anne
(Mme) Dacier, une savante helléniste, avec Des causes de la
corruption du goust (goût) entre en polémique avec Antoine Houdart
de La Motte qui refuse de s’incliner devant une autorité ancienne telle
Homère;
 les Anciens ont des défauts évidents (même Homère en a quelques-
uns), ils sont souvent grossiers dans leurs plaisanteries, mais ils sont
excusables étant donné la relativité du goût;
 Fénelon, admirateur fervent de l’art des Anciens, entre dans la
Querelle avec sa Lettre sur les occupations de l’Académie française
(1716) où il expose un corps de doctrine indépendant, formé
d’opinions personnelles, presque d’impressions sur la langue, la
rhétorique, la poésie, le théâtre, l’histoire et le style. À la fin de son
ouvrage, il prend une position prudente.
 Voltaire écrira en 1765 Les Anciens et les Modernes ou la toilette de
Mme de Pompadour où il soutient l’idée que la qualité de l’art dépend
en grande partie de la civilisation matérielle. Voltaire représente la
tradition, le frein le plus puissant aux tentatives de révolution
littéraire.
 « Tous les Géants, j’appelle ainsi tous les grands hommes, depuis vingt-cinq ou
vingt-six siècles, bien loin de déclarer guerre à Homère, l’ont honoré, l’ont respecté,
l’ont reconnu généralement pour le Père de la Poésie. »
Anne (Mme) Dacier, Des causes de la corruption du goust (goût), extrait

 « Le Dictionnaire auquel l’Académie travaille mérite sans doute qu’on l’achève. Il
est vrai que l’usage, qui change souvent pour les langues vivantes, pourra changer
ce que ce Dictionnaire aura décidé. Mais ca Dictionnaire aura divers usages. Il
servira aux étrangers qui sont curieux de notre langue, et qui lisent avec fruit les
livres excellents en plusieurs genres qui ont été faits en France. D’ailleurs les
Français les plus polis peuvent avoir quelquefois besoin de recourir à ce
Dictionnaire par rapport à des termes sur lesquels ils doutent. Enfin, quand notre
langue sera changée, il servira à faire entendre les livres dignes de la postérité qui
sont écrits en notre temps. N’est-on pas obligés d’expliquer maintenant le langage
de Villehardouin et de Joinville? Nous serions ravis d’avoir des dictionnaires grecs
et latins, faits par les anciens mêmes. La perfection des dictionnaires est même un
point où il faut avouer que les Modernes ont enchéri sur les Anciens. Un jour on
sentira la commodité d’avoir un dictionnaire qui serve de clef à tant de bons livres.
Le prix de cet ouvrage ne peut manquer de croître à mesure qu’il vieillira. »
Fénelon, Lettre sur les occupations de l’Académie française (1716), extrait
Les thèses des Anciens
 l’art de la « simple nature » (Les Anciens sont plus près des
origines, de la nature);
 l’imitation ne détruit pas l’originalité (la confrontation avec
les modèles anciens ne fait qu’augmenter la qualité de la
création);
 les Modernes sont loin d’égaler les grands auteurs français
qui avaient imité les Anciens, comme Molière, Racine;
 les Modernes disposent d’un journal, Le Mercure galant et
de l’appui d’une partie de l’Académie;
 la Querelle pose finalement le problème de l’imaginaire.
Pour obtenir « l’effet de réel » il y a les mémoires et les
relations. On pratique le roman historique (Hamilton), le
conte (Perrault), le voyage utopique (Lesage).
4. Le milieu social et littéraire :
« académies », salons, cafés, clubs
 la cour royale n’est plus le centre autour duquel gravite la culture. Le mouvement
d’idées se déplace vers la ville, dans des lieux publics qui deviennent des lieux
culturels;
 les gens de la « république des lettres » se forment leurs sociétés savantes,
littéraires, scientifiques ou philosophiques. Les sociétés savantes prennent un statut
officiel et existent seulement avec l’autorisation de l’Etat;
 « sociétés savantes » ou « académies » > titres qui font référence à un modèle
intellectuel prestigieux, né à la Renaissance. Le recrutement se fait chez les lettrés
de la robe (avocats, magistrats), les membres de l’administration royale, les
médecins et quelques représentants de la bourgeoisie capitaliste;
 il y a aussi des sociétés libres, souvent bachiques et chantantes, comme les clubs et
les cafés; elles ne sont pas officielles, mais tolérées et surveillées;
 les salons, les cafés, les clubs acquièrent donc un rôle social important,
fondamental pour la diffusion de la presse. On y entretient le goût de la discussion
savante, on y établit des liaisons multiples, on y cultive les idées littéraires les plus
audacieuses. Les salons littéraires se veulent aussi philosophiques;
 les salons des Lumières n’ont pas été le lieu des
grands débats philosophiques. On y causait, il est
vrai, mais on consacrait aussi beaucoup de temps
aux plaisirs de la table, aux jeux de cartes, au théâtre
et à la musique. Les conversations privilégiaient le
bon mot et la nouvelle du jour, selon les règles de la
conversation polie;
 fréquenter un salon était un passage presque obligé
pour un écrivain qui voulait faire carrières dans les
lettres du XVIIIe siècle. Etre reçu chez Mme***
était une forme de consécration. Marmontel en est
un parfait exemple d’écrivain des Lumières
d’origine modeste qui entre dans la bonne société et
dans le réseau de protection des élites;
Salons célèbres :
- la Cour de Sceaux, chez la duchesse du Maine (fréquenté par Fontenelle et La
Motte);
- le Bureau d’Esprit où Mme de Tencin reçoit Helvétius, Marmontel, l’abbé Prévost,
Piron;
- le salon de Mme de Lambert réunit Fénelon, Fontenelle, Montesquieu, Marivaux,
d’Argenson;
- le salon « encyclopédique » (bourgeois ou philosophique) de Mme de Geoffrin qui
subventionne l’Encyclopédie (fréquenté par Marivaux, Marmontel, Grimm,
D’Holbach);
- le salon de Mme du Deffand (écrivain elle-même), fréquenté par Montesquieu,
Voltaire, d’Alembert;
- le salon de Mlle de Lespinasse, rival à celui de Mme du Deffand, salon fréquenté
par d’Alembert, Condillac, Condorcet, Turgot;
- le salon politique de Necker où Mme de Staël, encore toute jeune, fait déjà admirer
son esprit;
- le salon de Mme d’Épinay

Cafés célèbres :
- Le Café de la Régence (v. Le Neveu de Rameau de Diderot);
- Le Café Gradot;
- Le Café Laurent;
- Le Café Procope (fréquenté pat Fontenelle, Voltaire, Diderot, Marmontel).
 Les clubs fonctionnent sur le modèle anglais; ils vont jouer
un rôle important pendant la Révolution; la sociabilité y est
plus libre, la compagnie est strictement masculine;
 le mouvement d’idées favorise le goût pour toutes les
jouissances. On croit au bonheur, on aspire à un épicurisme
facile; les mœurs deviennent licencieuses et l’immoralité
cynique s’étale dans tous les milieux sociaux;
 Le libertinage > mouvement idéologique caractérisant la
libre pensée au XVIIe siècle, devient synonyme de la
licence des mœurs.
 au-delà de ces aspects, le XVIIIe siècle se caractérise par la
passion des idées, soutenue par la confiance dans la
raison humaine et la foi optimiste dans le progrès. Les
discussions, les thèses, les systèmes envahissent tous les
genres littéraires; Voltaire et Montesquieu appliquent la
philosophie aux lois et fondent l’histoire philosophique;
 Sous Louis XV (1723-1774), prince corrompu et dédié à ses
plaisirs, il y a cependant une période d’équilibre social.
C’est la période de la monarchie modérée;
 la réflexion philosophique se poursuit et cherche à explorer
et à comprendre le monde. La religion est conciliante, tour
aussi que la morale;
 la réflexion esthétique connaît elle aussi un contexte
favorable. Les livres circulent dans les cabinets de lecture,
le cercle familial, amical, mondain, mais les ¾ de la
population restent analphabètes. Il y a des collèges pour les
filles et les garçons. On enregistre également le
développement des loges maçonniques;
 la critique touche toutes les notions fondamentales; les
écrivains sont tentés par les sciences de la nature (Voltaire
par le système de Newton, Montesquieu par la botanique) et
par les voyages pour connaître le monde tel qu’il est;
 on assiste au mouvement des élites, en même temps
qu’au mouvement d’idées; les voyages des
marchands et des universitaires > en grand nombre:
travailleurs migrants, négociants, étudiants,
administrateurs, intellectuels ou voyageurs de
« curiosité »;
 la production littéraire qui concerne le voyage est
assez grande > il existe un genre tout à fait
particulier;
 le topos du picaro et le genre du bildungsroman
aboutissent à un perfectionnement moral,
intellectuel, voire matériel, qui naissent de ce
penchant pour le voyage;
 la plupart des savants, comme d’Alembert, Daubenton,
Jussieu, Fourcroy, Lavoisier, Lalande, Buffon, Laplace,
Cuvier, Lacépède sont en même temps littérateurs et habiles
écrivains; Euler, d’Alembert, Condorcet, La Condamine,
Lagrange sont des mathématiciens et des géomètres
distingués. Bailly, Lalande et Laplace (l’auteur d’un
système de la nature), ouvrent en astronomie de nouveaux
horizons. L’histoire naturelle est cultivée par Buffon,
Guéneau de Monbeillard, Daubenton, Réaumur, Lacépède,
de Saussure, B. de Saint-Pierre. Le docteur Quesnay met les
fondements de l’économie politique dans laquelle vont
briller plus tard Condorcet, Condillac, Turgot, Necker,
Adam Smith. Lavoisier et Fourcroy font faire à la chimie un
pas décisif, comme Tissot, Bichat et Barthez à l’anatomie;
 Les Français se passionnent pour la musique italienne (les
concerts publics se multiplient), pour la poésie de Goethe,
pour les philosophes étrangers, surtout anglais;
 sous Louis XIV, la France était le modèle de l’Europe entière. Au XVIIIe siècle, les
rapports changent, les écrivains français se croient les citoyens du monde; ils sont
tous cosmopolites;
 les voyages sont dans le vent. L’Allemagne et les Pays Bas sont des endroits
supposés de la libre pensée. L’expansionnisme maritime de l’Angleterre mène à
l’anglophilie (voir Robinson Crusoé de Defoe et Les Voyages de Gulliver de J.
Swift comme apologies d’une idéologie libérale, de l’individualisme et comme
leçon de relativisme). L’Angleterre est un modèle privilégié, qui offre un triple
modèle: le libéralisme, la culture scientifique novatrice, la tolérance religieuse.
L’anglophilie tourne en anglomanie qui se manifeste par la fondation de trop de
clubs et la construction des parcs remplaçant les jardins à la française;
 la sensibilité préromantique se fait sentir progressivement. Rousseau et Diderot se
situent à mi-chemin entre les élans rationnels et sentimentaux. Ils restent cependant
des raisonneurs, épris d’idées et de systèmes;
 les femmes écrivains excellent dans le genre sentimental et épistolaire : Mme de
Tencin, Mme du Châtelet, Mme du Deffand, Mme Roland, Mme de Graffigny, etc.
Elles se cantonnent dans l’analyse précieuse de l’amour et de ses souffrances, des
oppositions qu’il rencontre. L’expression des sentiments, trait essentiel du courant
sensible, se développe parallèlement à l’expression de la raison;
 1750-1789 > c’est l’avènement des Lumières. La révolution des
mentalités se reflète dans la révolution de la culture matérielle;
 on remarque les progrès de la médecine, la naissance de l’industrie et
la renaissance des manufactures, de la prolifération des ateliers de
village;
 l’accent est mis sur l’éducation;
 le vêtement en est sans doute le signe le plus visible;
 les gens de lettres ont un statut social assez précis. Ils vivent du
journalisme, du préceptorat, mais connaissent aussi des persécutions;
 dans les arts plastiques, il y a les tendances vers le baroque, la
préciosité, le rococo (Watteau, Chardin, Boucher, Pigalle). L’art
devient affectif. Le pouvoir réside dans la suggestion. Dans la
peinture se font remarquer Greuze, Chardin, Vernet. La sculpture,
l’architecture et l’art des jardins connaissent un développement
étonnant. La grammaire et la linguistique font, elles aussi, des progrès
remarquables favorisant les emprunts aux langues étrangères, les
néologismes. C’est ainsi que le vocabulaire s’enrichit, l’orthographe
est simplifiée, uniformisée.
 à la fin du siècle > le règne du préromantisme qui commence;
caractéristiques: le lyrisme personnel; l’exaltation du moi; le goût de
la mélancolie, de la solitude, le sentiment de la nature exotique;
 Le règne de Louis XVI (1774-1792) > crise économique et monétaire (mauvaises
récoltes, faillites, banqueroute de l’Etat), mais surtout sociale (sous la pression de la
noblesse, le roi veut réinstaurer les droits féodaux et la monarchie). Le roi n’incarne
plus l’idéal cher aux philosophes des Lumières, celui du despote éclairé. Il finira en
1973 sur l’échafaud;
 1789-1799 la situation politique change: en 10 années se succèdent presque tous les
types de gouvernements possibles, de la monarchie à la démocratie et jusqu’à la
dictature;
 à la veille de la Révolution, le peuple souffre de famine. La prise de Bastille,
symbole du despotisme et du pouvoir arbitraire, a lieu le 14 juillet 1789. La
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est proclamée le 26 août 1789. La
royauté est définitivement abolie le 21 septembre 1792. La République s’instaure en
France. La guillotine devient un symbole national, un instrument de la terreur;
 le début de la Révolution se caractérise par l’abondance des écrits; les hommes
politiques deviennent hommes de lettres et vice-versa (Mirabeau, Danton,
Robespierre); le modèle antique revient dans l’art oratoire;
 les textes littéraires de cette période sont grandiloquents, redondants, négligents du
point de vue stylistique et esthétique. C’est le règne des tribuns, de la parole-action.
 la liberté de l’expression est un grand acquis dû aux philosophes des Lumières. La
filiation de la Révolution aux Lumières est complexe et polémique. Le vocabulaire
et les grands thèmes de la Révolution découlent effectivement des textes des
philosophes (la célèbre formule « Liberté, Égalité, Fraternité ! » );
 en 1799 s’instaure le Consulat: le général de l’armée républicaine, Napoléon
Bonaparte réussit son coup d’Etat et se fait nommer premier consul;
5. La fiction romanesque au XVIIIe siècle
 dès l’aube du XVIIe siècle, le roman connaît un essor
remarquable. Le roman baroque favorisait l’imagination, en
situant les intrigues dans des milieux champêtres idéalisés
ou dans des cadres historiques quasi fantastiques (exemples:
L’Astrée d’Honoré d’Urfé, roman pastoral qui a influencé
les comportements amoureux de la bonne société et Clélie
de Madeleine de Scudéry, roman-fleuve, qui a répondu lui
aussi aux attentes d’un public précieux);
 dans la seconde moitié du même siècle on assiste à une
réaction réaliste à ces types de romans, réaction qui passe
d’abord par la parodie (Le Roman comique de Scarron) et
aboutit au roman classique: à la fin du siècle, La Princesse
de Clèves de Mme de La Fayette et Les Aventures de
Télémaque de Fénelon ouvrent une nouvelle ère pour le
roman.
Caractéristiques générales du roman du
XVIIIe siècle; dilemmes et difficultés du genre
 le XVIIIe siècle est par excellence le siècle du roman, genre hésitant,
mais favorable à la propagande, à la démonstration, à la prédication
philosophique;
 les écrivains sont à la fois scientifiques, littérateurs, philosophes,
citoyens militants cosmopolites;
 les oppositions fondamentales du type romanesque:
- mouvement vs repos;
- matière vs esprit;
- pensée vs action;
- particulier vs général;
- athéisme vs superstition;
- nature vs société;
- vie vs système;
- raison vs sentiment > vivement débattus dans les productions
littéraires de l’époque;
 les dilemmes du XVIIIe siècle: le roman est considéré comme « un vice
à la mode » qui cherche sa légitimité culturelle, une assise sociale et une
forme esthétique nouvelle. Il continue à être perçu comme un genre
inférieur du point de vue intellectuel, comme une lecture vulgaire,
interdite, compromettante;
 le roman est encore un genre corrupteur, dépourvu du sérieux héroïque,
invraisemblable et immoral; la solution du dilemme a été une forme
hybride, un « bouc émissaire » qui soit le reflet d’une esthétique
littéraire moralisatrice;
 le paradoxe du romancier au XVIIIe siècle est qu’il doit faire passer
pour vrai ce qui est faux, il doit mentir en sachant qu’il ment et en
prétendant dire la vérité;
 si le roman, en général, est considéré comme un genre inférieur du
point de vue intellectuel, le roman libertin qui éclot dans la seconde
moitié du siècle, est d’autant plus une œuvre vulgaire, compromettante,
interdite, qui se veut utile et amusant, donc moralisateur;
 l’oscillation entre la justification moralisatrice et la préoccupation
esthétique forme le dilemme insurmontable du roman. La solution de ce
dilemme est la recherche obstinée d’une esthétique littéraire, d’une
poétique appropriée. Elle est exposée dans des études théoriques telles
que l’Eloge de Richardson de Diderot (1761) ou l’Idée sur le roman du
marquis de Sade (1799).
Diderot, Eloge de Richardson (auteur
( des
romans de Paméla, de Clarisse et de
Grandisson) (1761)
« Par un roman, on a entendu jusqu’à ce jour un tissu
d’événements chimériques et frivoles, dont la lecture était
dangereuse pour le goût et pour les mœurs. Je voudrais bien
qu’on trouvât un autre nom pour les ouvrages de
Richardson, qui élèvent l’esprit, qui touchent l’âme, qui
respirent partout l’amour du bien, et qu’on appelle aussi des
romans.
Tout ce que Montaigne, Charron, La Rochefoucauld et
Nicole ont mis en maximes, Richardson l’a mis en action.
Mais un homme d’esprit, qui lit avec réflexion les ouvrages
de Richardson, refait la plupart des sentences des moralistes
; et avec toutes ces sentences il ne referait pas une page de
Richardson. »
Marquis de Sade, Idée sur le roman (1799)
« On appelle roman, l’ouvrage fabuleux composé d’après les plus singulières aventures
de la vie des hommes.
Mais pourquoi ce genre d’ouvrage porte-t-il le nom de roman ?
Chez quel peuple devons-nous en chercher la source, quels sont les plus célèbres ?
Et quelles sont, enfin, les règles qu’il faut suivre pour arriver à la perfection de l’art de
l’écrire ?
Voilà les trois questions que nous nous proposons de traiter; commençons par
l’étymologie du mot.
Rien ne nous apprenant le nom de cette composition chez les peuples de l’antiquité,
nous ne devons, ce me semble, nous attacher qu’à découvrir par quel motif elle porta chez
nous celui que nous lui donnons encore.
La langue Romane était comme on le sait, un mélange de l’idiome celtique et latin, en
usage sous les deux premières races de nos rois, il est assez raisonnable de croire que les
ouvrages du genre dont nous parlons, composés dans cette langue, durent en porter le nom, et
l’on put dire une romane, pour exprimer l’ouvrage où il s’agissait d’aventures amoureuses,
comme on a dit une romance pour parler des complaintes du même genre. En vain
chercherait-on une étymologie différente à ce mot ; le bon sens n’en offrant aucune autre, il
paraît simple d’adopter celle-là.
Passons donc à la seconde question.
Chez quel peuple devons-nous trouver la source de ces sortes d’ouvrages, et quels sont
les plus célèbres ?
L’opinion commune croit la découvrir chez les Grecs ; elle passa de là chez les Mores,
d’où les Espagnols la prirent pour la transmettre ensuite à nos troubadours, de qui nos
romanciers de chevalerie la reçurent.. »
6. Types de romans cultivés. Modalités
narratives
 le roman français est influencé par le réalisme formel de Richardson,
Defoe, Fielding, Smolett, mais surtout par le roman déconcertant de
Laurence Sterne Tristram Shandy. La leçon anglaise stipulait que l’art
de mentir vrai s’appuie sur le « petit fait vrai », sur les hasards d’une
vie (hérédité, profession, passion, maladie, accident), sur les « détails
significatifs » (traits physiques, moraux, sociaux et individuels d’un
personnage);
 les productions romanesques de l’époque:
 contes (Candide de Voltaire) ;
 récit (Ceci n’est pas un conte de Diderot)
 histoires véritables, témoignages fidèlement rapportés (Manon Lescaut ou
L’Histoire d’une Grecque moderne de l’abbé Prévost) ;
 mémoires (La Religieuse de Diderot)
 confessions (Confessions de Jean-Jacques Rousseau) ;
 vies (La Vie de Marianne de Marivaux) ;
 échanges épistolaires (Lettres persanes de Montesquieu).
Types de romans
 la littérature néoclassique à portée moraliste et réaliste (des romans à thèse qui
finissent par une sentence) - dans la première moitié du XVIIIe siècle;
 dans la seconde moitié, on enregistre une tendance vers le romanesque (le courant
préromantique, le roman sentimental: histoires d’amours malheureuses et
pathétiques: Manon Lescaut de l’abbé Prévost (1731), Julie ou La Nouvelle Héloïse
de J.-J. Rousseau (1761), Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre (1788). La
réflexion morale sur l’amour conduit Choderlos de Laclos à punir le vice, et tout
particulièrement le vice aristocratique, dans Les Liaisons dangereuses (1782), tandis
que le marquis de Sade, au contraire, fait triompher la perversion et la cruauté dans
Justine ou Les Malheurs de la vertu (1791), La Philosophie dans le boudoir (1795).
 Types de romans:
- le roman picaresque (Gil Blas de Lesage);
- le roman psychologique (La Vie de Marianne de Marivaux);
- le roman de promotion sociale (Le Paysan parvenu de Marivaux, Le Paysan
perverti de Restif de la Bretonne);
- le roman de mœurs (Le Diable boiteux de Lesage, Manon Lescaut de l’abbé
Prévost);
- le roman libertin (Les Égarements du coeur et de l’esprit de Crébillon fils, Les
Bijoux indiscrets de Diderot);
- le conte philosophique (Candide, Zadig, Micromégas, L’Ingénu de Voltaire);
- le roman fantastique (Le Diable amoureux de Cazotte).
 Les modalités narratives les plus courantes sont :
- le roman-mémoires (confessions, pseudo-
autobiographies ou autobiographies fictives):
Manon Lescaut, La Vie de Marianne, La
Religieuse, Les égarements du cœur et de l’esprit ;
- le roman / le récit à la 3e personne (les contes
philosophiques de Voltaire);
- le roman épistolaire: Lettres persanes, La Nouvelle
Héloïse, Les Liaisons dangereuses;
- le roman-dialogue (la narration scénique): Le
Neveu de Rameau, La Philosophie dans le
boudoir.
 1. Le roman-mémoires est une forme narrative très pratiquée;
caractéristiques:
- la première personne exclut l’omniscience et favorise la vision
personnelle;
- les faits sont narrés chronologiquement;
- le narrateur à l’intérieur de l’histoire authentifie les événements par sa
qualité de témoin ou de personnage protagoniste.
 2. Le roman à la 3e personne – un Bildungsroman ou un roman
historique; caractéristiques:
- narration artificielle et fabuleuse ou simple, historique, concentrée,
linéaire, le narrateur étant un simple chroniqueur des événements;
- type de narration anonyme (dans les contes philosophiques de Voltaire:
le narrateur de Candide est un auteur allemand inconnu et la démarche
principale consiste dans cette fiction à feindre d’adopter le point de vue
de l’instance narrative, de justifier une proposition fausse ou
scandaleuse de façon à faire ressortir l’incohérence et d’y apporter un
démenti formel;
- le conte philosophique (genre qui inclut une thèse à finalité complexe)
véhicule des idées abstraites et les polémiques des Lumières (les
théories de philosophes comme Spinoza, Locke, Leibniz ou Christian
Woolf); la fiction du voyage dans un univers absurde est le leitmotiv des
contes de Voltaire.
 3. Le roman épistolaire:
- offre la possibilité de traiter une grande diversité de sujets;
- la succession des lettres permet de ménager des surprises,
des rapprochements inattendus, des ruptures de ton (c’est ce
que l’on appelle l’esthétique du contraste);
- la forme épistolaire permet aussi à l’auteur d’aborder le
politique, le philosophique, la morale. La lettre est une unité
autonome qui n’impose aucune linéarité et progression
logique au roman, elle laisse chaque épistolier (se) raconter;
- la première personne est le garant de l’authenticité, la
preuve de la subjectivité (le présent et la première personne
donnent au lecteur l’impression d’être contemporain de
l’action. Montesquieu, Laclos et J.-J. Rousseau préfèrent la
correspondance polyphonique (stéréophonique), à plusieurs
voix, à la correspondance monodique;
 la forme épistolaire permet différents masques qui
cachent diverses opinions, ainsi que l’utilisation de
la narration;
 la multitude des voix narratives suppose plusieurs
points de vue, détermine la discontinuité de l’action
et permet la projection des perspectives successives,
variables et complémentaires sur le même
événement. Le roman épistolaire sentimental excelle
dans la transcription des états d’âme, des rêveries et
des épanchements;
 le point de vue adopté par le lecteur est celui interne,
du personnage-rédacteur. La vision est donc
fragmentaire, partielle.
 4. Le roman-dialogue ou la narration scénique trouve son origine
dans le récit à tiroirs, le rôle de la narration par rapport au dialogue
étant différent, inversé:
- le dialogue des personnages occupe une place privilégiée;
- le dialogue-cadre permet l’apparition de la narration;
- la fonction principale du dialogue est de régler l’enchaînement
diégétique et de fixer les tours de parole (le germe du roman-dialogue
du XVIIIe siècle est la convention d’oralité spécifique du roman à la
première personne et la narration-cadre des collections de nouvelles);
- le lecteur assiste au conflit des textes;
- la réduction excessive des événements au profit des débats
« philosophiques » chez Diderot et libertins chez Sade;
- les personnages sont statiques, immobilisés par leur vocation de
narrateur;
- les partenaires du dialogue se définissent réciproquement par leur dire
et moins par leur faire. L’espace du dialogue est déterminé par « les
indications scéniques »;
- le narrateur donne des suggestions, des détails visuels qui tiennent du
décor, du vestimentaire, des physionomies;
- la narration scénique privilégie le spectacle des voix narratives qui
s’entrecroisent et se répondent.
7. Techniques romanesques. Stratégies
textuelles
 On enregistre deux tendances dans le traitement d’un sujet
romanesque:
 l’agglomération abusive des aventures (le picaresque);
 la réduction excessive des aventures pour illustrer l’échange d’idées ( la
narration scénique à vocation théâtrale qui vulgarise les disputes
philosophiques du temps).
 Les deux modalités d’intégration épique sont le sentimentalisme et le
libertinisme, les deux ayant le même but démonstratif: l’antithèse
entre raison et passion. Les procédés antipoétiques prolifèrent: le
refus de l’héroïque, la saisie grave du quotidien et le pathétique
du quotidien banal.
 Voltaire préfère les contes parodiques, philosophiques;
 Diderot – l’ironie et l’antiphrase, les jeux sur les causalités aberrantes
(éléments de modernité);
 Diderot considère le lecteur comme réceptacle et miroir de
toutes les impressions, habitudes et émotions suggérées par
le texte;
 la présence d’un lecteur implicite interpellé par l’auteur; il
est l’adepte de la technique de la rupture du ton;
 la mise en cause de l’écriture / de la lecture romanesques est
un élément de nouveauté important. Le télescopage des
niveaux narratifs (de l’instantané) et la technique de la mise
en abyme sont largement exploités dans tous ses romans.
C’est pourquoi dans Jacques le Fataliste, « un grand roman
sur le roman après Don Quichotte », il provoque et
désamorce systématiquement l’illusion réaliste. La stratégie
essentielle de Diderot est la démystification de la fiction;
 pour obtenir l’illusion de réalité, « l’effet de réel », les romanciers ont
recours à deux conventions:
- la convention d’oralité (la narration à la première personne, qui
masque les intentions faussaires dans une confession voulue, qui
prouve la sincérité du narrateur);
- la convention de l’écriture (l’auteur prend le masque du traducteur ou
de l’éditeur qui ordonne et abrège le texte, ajoute des commentaires,
les intègre du point de vue épique, crée l’avant-texte, etc.).

 La structure des romans du XVIIIe siècle est généralement syncopée :


les commentaires interrompent les événements, les interventions du
narrateur intradiégétique bouleversent la chronologie linéaire, les
digressions s’emboîtent tout comme les narrations (un exemple
magistral est Jacques le fataliste);
 la technique de la relève des narrateurs est fréquente;
 la juxtaposition de plusieurs formes littéraires > détruire la linéarité
narrative.

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