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Université Ibn Zohr

Faculté des Lettres et des Sciences humaines

Département de Langue et de Littérature françaises


Les titres au programme

I- Le roman d’analyse psychologique et de confidence


-L’autobiographie et les genres voisins

-Exemples de romans de confidence

II- Les grands mouvements littéraires du XIX° siècle

1) Le Romantisme : Victor Hugo, Les Misérables, (1862)

2) Le Réalisme : Gustave Flaubert, Madame Bovary (1857)

3) Le Naturalisme : Emile Zola, L’Assommoir, (1877)

III- Le personnage dans le roman du XIX° siècle

1) Le personnage comme type

2) Le personnage comme fonction

3) Le personnage comme rôle

IV- La description dans le roman

1) Une fonction ornementale

2) Une fonction symbolique

3) Une fonction narrative

4) Une fonction de destruction


V- Narratologie : Point de vue et focalisation

1) La relation du narrateur au personnage

2) La relation du narrateur à la diégèse

VI- La narration dans le roman

1) L’ordre de la narration

2) Le narrateur

VII- Le discours argumentatif chez Victor Hugo et Emile Zola

-Victor Hugo : La préface de Cromwell


-Emile Zola : Le roman expérimental

VIII- Cinéma et littérature

1) Les éléments narratifs


2) Cinéma et public
3) La spécificité du cinéma

IX- L’objectivité dans la littérature

-Le point de vue de l’auteur

-Le point de vue du lecteur

X- L’art de l’éloquence

-Les objectifs de l’éloquence


-Les méthodes de l’éloquence
-Les défauts de l’éloquence
XI- Roman, Théâtre et poésie : une approche comparative

1) Roman et poésie

2) Roman et théâtre
-5-

I- Le roman d’analyse psychologique et de confidence

L’autobiographie et les genres voisins

Dans son livre intitulé L’autobiographie en France publié en 1971,


Philippe Lejeune, un éminent spécialiste de l’autobiographie, en donne la
définition suivante :

« Nous appelons autobiographie le récit rétrospectif en prose que quelqu’un fait


de sa propre existence, quand il met l’accent principal sur sa vie individuelle, en
particulier sur l’histoire de sa personnalité »

Plus tard, le critique Serge Doubrovsky établit une distinction intéressante


entre « autobiographie » et « autofiction ». L’autobiographie, dit- il en
substance, est un récit linéaire où l’auteur parle de sa vie, à la première
personne, en respectant la chronologie, alors que l’ « autofiction » est non
linéaire. L’auteur triche en quelque sorte avec le temps et l’histoire comme s’il
voulait brouiller les pistes.

Pour bien comprendre les définitions citées ci-dessus, il faut les comparer
aux genres littéraires voisins, à savoir la Confession, le Journal intime, les
Mémoires, les Souvenirs et l’Essai.
Dans la confession, l’auteur avoue avoir commis des péchés. D’ailleurs, dans la
religion chrétienne, le mot « confession » va de pair avec le mot « péché ».
L’auteur tente alors de s’expliquer et de se justifier, et promet au lecteur d’être
d’une totale sincérité. Les œuvres de l’auteur du XVIII° siècle, Jean-Jacques
Rousseau, Les Confessions et les rêveries peuvent être considérées comme un
parfait exemple de la confession.
-6-

Dans le journal intime, l’auteur raconte sa vie au jour le jour. Il consigne tous
les événements qui le concernent, mais sans l’intention de les publier. Outre la
vie privée de l’auteur, le journal intime s’intéresse également à la vie publique
comme les Mémoires.

Les Mémoires, comme les Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand,


exposent la vie personnelle de l’auteur ; les personnalités qu’il a connues et les
événements politiques, sociaux, économiques dont il était témoin.
Les Mémoires présentent donc un double intérêt : d’une part, ils nous
instruisent sur la vie de l’auteur, et d’autre part, ils présentent un intérêt
historique et documentaire. Dans les Souvenirs, l’auteur ne parle que de
quelques épisodes de sa vie. Il s’agit d’un texte fragmentaire qui ne tient aucun
compte de l’histoire. L’Essai enfin comme Les Essais de Montaigne, (le mot au
pluriel chez cet écrivain) désigne tout ouvrage qui ne prétend pas étudier à
fond une question. Il propose seulement quelques idées qui pourraient servir
de principes.

Exemples de romans de confidence

a) Benjamin Constant, Adolphe, (1806)

Résumé :

L’action se passe en France au début du roman. Il s’agit de l’histoire


d’Adolphe, un jeune homme timide, âgé de vingt-deux ans. Pour vaincre sa
timidité, il décide de fréquenter les gens qui ont une forte personnalité. Ainsi il
fait la connaissance d’Ellénore, une femme polonaise de caractère, de dix ans
plus âgée que lui, une différence d’âge très mal vue dans la société de
l’époque. Cependant, les deux personnages tombent vite amoureux l’un de
l’autre. Quand Ellénore est appelée en Pologne pour recueillir la fortune que
ses parents lui ont laissée après leur décès, Adolphe la suit et vit même avec
elle sous le même toit.
-7-

Or, le père d’Adolphe qui vit en France, décide d’arracher son fils à cette
femme « inconvenable ». Il sollicite l’aide de son ami le baron de T., un
personnage rusé et redoutable. Arrivé en Pologne, le baron obtient facilement
d’Adolphe une lettre de rupture avec Ellénore qu’il envoie aussitôt à cette
dernière. La jeune femme qui aime éperdument Adolphe meurt de chagrin dès
qu’elle lit la lettre de rupture de son amant.

Commentaire

Adolphe est un témoignage précieux sur les amours tourmentées de


Benjamin Constant et de Mme de Staël. La soumission d’Adolphe et sa
domination par Ellénore rappellent la faiblesse de Benjamin Constant devant
Mme de Staël.

Adolphe est aussi un témoignage psychologique de grande importance.


Le récit à la première personne nous fait entrer dans la psychologie d’Adolphe.
Nous partageons son intimité, et nous suivons toutes les étapes et toutes les
difficultés qu’il vivra avec Ellénore. Nous assistons à toutes les querelles qui les
opposent et aux souffrances nombreuses et répétées d’Adolphe, personnage
amoureux, mais faible et fragile.

b) François-René de Chateaubriand, René, (1802)

Dans ce roman autobiographique, Chateaubriand défend la même


thèse que Jean-Jacques Rousseau, auteur du XVIII° siècle. Il présente l’homme
primitif ou « sauvage » sous une forme très positive qui contraste fortement
avec l’image qu’il donne de l’homme civilisé. Il précise que René, le personnage
protagoniste, est un « homme civilisé qui s’est fait sauvage », à l’image de
Chateaubriand qui a préféré la vie « sauvage » des indiens d’Amérique à la vie
de son pays natal la France.
-8-

Résumé

L’action se déroule au Canada chez les indiens de la tribu des Natchez.


René, le personnage central de l’œuvre, explique au vieil indien Chactas et au
père Aubry, un missionnaire français installé chez les indiens pour les convertir
au christianisme bien entendu, les raisons de sa mélancolie (tristesse sans
cause précise) et de son insatisfaction. Il leur parle de son enfance à Saint Malo
en Bretagne, une enfance plaine de rêves et de projets pour une vie meilleure,
mais il leur parle également de toutes les déceptions et les amertumes qu’il a
connues lors de ses voyages et de ses rencontres. Pour soulager sa douleur, le
père Aubry lui recommande en vain de suivre la voie du seigneur. L’œuvre
s’achève ainsi sur une note pessimiste qui laisse percevoir un Chateaubriand
aigre et mélancolique.

Commentaire

Le thème central de ce roman autobiographique, est la lassitude et


l’impuissance à vivre que Chateaubriand reprendra dans son essai Le Génie du
Christianisme et définira comme le « mal des temps modernes ». Cependant,
les lecteurs contemporains n’ont pas compris le « message » de l’auteur, ils
étaient plutôt intéressés par la finesse de l’analyse psychologique, le lyrisme et
le pittoresque de l’œuvre.

Il faut dire par ailleurs que les principales caractéristiques de l’œuvre de


Chateaubriand : la mélancolie, le désespoir, la solitude, l’exclusion et la révolte,
seront reprises et mises en valeur par les écrivains romantiques à partir de
1830, date qui consacre le romantisme et son chef de file Victor Hugo.
-9-

c) François-René de Chateaubriand, Les Mémoires d’Outre-tombe,


(1848-1850)

Résumé

Chateaubriand consacre dans Les Mémoires d’Outre-tombe de


nombreuses pages à son enfance dans sa ville natale Saint- Malo, en Bretagne.
Il parle longuement de ses rêves et de ses jeux, mais il consacre également de
longs développements aux vacances scolaires qu’il passe chez ses parents dans
leur manoir de Combourg. Ses séjours se caractérisent par l’ennui et la
tristesse, car ses parents ont des caractères fort différents. Autant son père
était austère et redouté, autant sa mère était faible et effacée. De surcroît, sa
sœur qu’il aimait tant, était exaltée et très fragile. L’auteur parle également de
ses voyages et de ses rencontres avec des personnalités éminentes, mais il en
parle toujours sur un ton qui trahit de l’insatisfaction. Il ressent un vide moral
et intellectuel que personne ne semble capable de combler.

Commentaire

Les Mémoires d’Outre- tombe se distinguent de René par le fait qu’ils


présentent un double éclairage. L’auteur parle de sa vie personnelle, mais il
parle aussi des personnalités politiques et historiques qu’il a connues et des
événements importants dont il était témoin. Chateaubriand se propose, dans
Les Mémoires d’Outre-tombe, d’écrire l’épopée de sa vie ainsi que celle de son
temps. L’auteur est donc omniprésent dans son œuvre. Tous les épisodes
principaux de sa vie sont évoqués : la période bretonne, le Nouveau Monde,
l’Allemagne, l’exil en Angleterre, Paris. Nous retrouverons partout un homme
qui oscille sans cesse entre la gloire et la disgrâce, mais un homme assoiffé
d’Absolu donc toujours insatisfait. Cette vie aventureuse se déroule sur un
arrière-plan historique riche d’événements et de troubles : la société sous
l’Ancien Régime, la Révolution de 1789, l’Empire, la Révolution de 1830, la
Monarchie de Juillet.
-10-

Entre ces étapes s’intercalent des portraits : les trois « muses » de l’écrivain,
Mme de Beaumont, Mme de Duras, Mme Récamier ; les grands hommes
politiques, Mirabeau, Danton, Talleyrand ; les souverains, Louis XVIII,
Charles X, Louis- Philippe et l’Empereur Napoléon.

_____________________________________

Lexique

● Danton (1759-1794) : homme politique français. Révolutionnaire, avocat et


grand orateur. Il occupe plusieurs charges importantes : ministre de la justice,
membre de la convention nationale. Il est guillotiné en 1794.

● Mirabeau, (1749-1791) : homme politique français. Accusé de trahison, il


meurt dans des circonstances mystérieuses.

● Talleyrand, (1754-1838) : homme politique français. Il a joué un rôle


important lors de la Révolution française en 1789. Il occupe plusieurs postes de
responsabilité : député, ministre et contribue à l’instauration de la Monarchie
de Juillet (1830-1848).

● Lyrisme n.m : le mot vient de l’instrument de musique la lyre. Dans le sens


courant du terme, lyrisme signifie « qui exprime les sentiments que certains
événements provoquent dans l’âme du poète ». Il est étroitement lié à une
émotion, émotion qui peut être individuelle ou collective.

● Pittoresque : qui appartient à la peinture. Le style pittoresque est un style


riche en images visuelles. Par extension, le mot peut s’adresser aux autres sens.
-11-

II- Les grands mouvements littéraires du XIX° siècle

1- Le Romantisme

Le romantisme désignait au départ toutes les formes de la littérature


et de la pensée nouvelles qui s’opposaient au classicisme. Pour Stendhal, le
romantisme est « l’art de présenter aux peuples les œuvres littéraires
(…) susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible ». Ce mouvement
littéraire s’impose sur la scène culturelle française grâce à Victor Hugo. C’est le
triomphe de sa pièce de théâtre Hernani en 1830 qui consacre le romantisme
et fait de Hugo son chef de file incontesté.

Pour comprendre l’originalité du romantisme, il faut le comparer au


classicisme, le mouvement littéraire qui l’ a précédé et dont il était le principal
adversaire. Le romantisme défend le « moi individuel » contre le « moi
universel » des classiques ; il accorde une grande importance au Moyen Âge,
période décriée par les classiques qui prenaient l’antiquité gréco-latine pour
modèle ; il valorise le langage du cœur, c’est-à-dire le lyrisme, l’effusion, la
confidence et les sentiments tandis que les classiques donnaient la priorité au
langage de la raison, à l’équilibre et à l’harmonie dans l’expression des
sentiments. Dans le domaine théâtral, Victor Hugo prône le mélange des
genres, c’est-à-dire l’emploi du comique et du tragique, du sublime et du
grotesque pour exprimer l’homme dans sa totalité alors que les classiques
condamnaient fermement le langage grotesque ou vulgaire qui choque les
règles de bienséance, chères aux cœurs des classiques. Victor Hugo combat
également la règle des trois unités (unité de lieu, unité de temps et unité
d’action) que les classiques respectaient scrupuleusement. Pour ces derniers,
l’action dans une pièce de théâtre doit se dérouler en un seul lieu, ne doit pas
-12-

dépasser une durée de vingt-quatre heures, et ne doit pas contenir plus d’une
intrigue. Les romantiques, pour marquer davantage leur opposition aux
classiques, accordent une importance particulière à la couleur locale et au
pittoresque. Ils choisissent volontairement des contrées lointaines comme
cadre à leurs histoires, d’où un sentiment de dépaysement qui aiguise la
curiosité et l’amour du lecteur pour les pays étrangers.

Œuvre représentative du romantisme : Victor Hugo, Les Misérables, (1862)

Résumé

Ce long roman est publié en 1862. L’auteur l’a mis en chantier avant
1850. C’est un roman consacré à la défense des pauvres et des opprimés.

Jean Valjean, le personnage principal du roman, est condamné aux


travaux forcés pour avoir volé un quignon (morceau) de pain. Il est jeté dans
une prison hors de France. Il finit par s’en échapper et retourne en Métropole
(France). Par une nuit froide, il arrive devant une église et demande au prêtre
Monseigneur Myriel qui en est le responsable de l’héberger pour la nuit. Il se
réveille tôt le matin, s’empare des chandelles de l’église et s’enfuit. Peu de
temps après les gendarmes le rencontrent par hasard. Après avoir découvert
des chandelles dans ses affaires, ils le soupçonnent de vol et le conduisent chez
Monseigneur Myriel pour le confondre. Mais celui-ci plaide en sa faveur en
leur disant que c’est lui qui les lui a offert. Dès lors, Jean Valjean décide de
suivre la voie de l’intégrité et de l’honneur et de venir en aide aux pauvres et
aux faibles. Après beaucoup d’efforts et de ténacité, il devient riche et
respecté. Un jour il rencontre par hasard Fantine, une mère célibataire
gravement malade, incapable de subvenir aux besoins de sa fille Cosette, âgée
de quelques années seulement. Peu de temps avant qu’elle meurt, Fantine
obtient de Jean Valjean la promesse qu’il s’occupera de Cosette comme si elle
était sa propre fille.
-13-

Malgré le harcèlement de l’inspecteur Javert qui veut à tout prix le renvoyer en


prison, il protège Cosette de toutes les vicissitudes de la vie. Quand elle grandit,
il lui trouve un bon époux, Marius, un jeune républicain ardent et généreux ; et
à la fin du roman, il meurt en paix après avoir légué toute sa fortune à sa fille
adoptive.

Commentaire

Les Misérables ont pour thème central l’humanisme et la compassion


avec les opprimés et les faibles, thème romantique par excellence. Victor Hugo
veut dénoncer la « dégradation de l’homme par le prolétariat, de la femme par
la faim, de l’enfant par la nuit », dit-il. La sévérité avec laquelle il critique les
personnages oppresseurs n’a d’égale que la sympathie qu’il témoigne aux
personnages opprimés. Ainsi le couple d’aubergistes M. et Mme. Thénardier,
deux personnages avares, cruels et cyniques, est peint en des termes peu
flatteurs. Par contre, Jean Valjean et Monseigneur Myriel sont décrits avec
beaucoup d’affection.

En définitive, Les Misérables peuvent être considérés comme une œuvre


humaniste, une œuvre de compassion et de générosité qui résume
parfaitement la pensée de Victor Hugo et de son école romantique.
-14-

2- Le Réalisme

Le réalisme est le deuxième grand courant littéraire du XIX° siècle.


C’est un mouvement qui s’érige contre le romantisme jugé trop idéaliste et
trop sentimental. Ce mouvement, qui a tout le temps entretenu des liens très
étroits avec la peinture, a vu le jour grâce à trois écrivains, Champfleury,
Duranty et Murger, auxquels on peut ajouter Balzac, Stendhal et Flaubert
même s’ils ne se sont jamais réclamés de ce mouvement. Leurs œuvres
présentent en fait de nombreuses analogies avec l’école réaliste. Ceci étant dit,
le réalisme va connaître une évolution importante dans son approche de la
réalité.

a) Le credo réaliste
Dans une première période, le réalisme met en place un certain nombre
de principes qui méritent qu’on s’y arrête :

- Les réalistes stigmatisent le romanesque et prônent le réel ;


- ils considèrent l’objectivité comme un élément crucial dans
toute création littéraire ;
- ils donnent également à la documentation un rôle de garant ;
- ils prennent pour modèle la science, car elle a prouvé son
efficacité et sa pertinence dans plusieurs domaines ;
- ils donnent le primat à l’esthétique : la composition d’un roman
doit obéir à des règles rigoureuses et précises.

b) L’évolution du concept de réalisme


Cette évolution est due à plusieurs facteurs : l’émergence de la
démocratie, du libéralisme et du positivisme. Les réalistes vont donc revoir
leurs principes pour les améliorer et les peaufiner.
-15-

Ils opèrent les changements suivants :

- L’auteur ne doit pas écrire sur un seul aspect de la


réalité. Il doit en traiter tous les visages comme par exemple les
classes défavorisées de la société qui doivent avoir une place
prépondérante dans le texte réaliste ;
- la documentation passe d’un rôle de garant à un rôle
fondamental, celui de matière même du roman. Gustave
Flaubert par exemple lisait un nombre démesuré de documents
pour écrire un roman comme en témoigne sa Correspondance ;
- l’auteur doit enfin insister sur l’interaction constante de
l’homme et son milieu. Le déterminisme cher à l’historien
Hippolyte Taine est probablement à l’origine de cet intérêt
porté à l’homme, à la race et au milieu. Nous savons à quel point
cette relation de cause à effet est importante chez Zola par
exemple.

Œuvre représentative du réalisme : Gustave Flaubert, Madame Bovary, (1857)

Résumé

Charles Bovary, officier de santé médiocre, épouse en secondes noces


Emma, fille d’un gros fermier des environs de Tostes. Rêveuse et fantasque, la
jeune femme supporte mal la médiocrité de son mari et des habitants du
village. Dès qu’elle rencontre Léon, un jeune homme un tant soit peu différent
de son entourage, elle le prend pour amant, mais cette relation se détériore
vite. Emma s’enfonce encore plus dans la souffrance et le malheur. Charles
décide de s’installer dans un village plus intéressant Yonville- L’Abbaye dans
l’espoir de rendre sa femme heureuse, mais elle continue de mener une vie
profondément triste. Plus tard, elle s’engage dans une seconde aventure avec
Rodolphe Boulanger, personnage riche et séducteur qui voit la femme comme
-16-

un simple objet de plaisir. Il se lasse rapidement d’elle et l’abandonne à son


triste sort. La jeune femme est tellement affectée par cette mésaventure
qu’elle tombe malade pendant une longue durée. Une fois rétablie, elle
contracte beaucoup de dettes pour satisfaire son goût prononcé pour le luxe.
La fin du roman nous la présente comme une femme criblée de dettes, une
femme aux abois. Elle dérobe alors de l’arsenic chez le pharmacien Homais et
se donne la mort laissant une fille en bas âge et un mari ruiné et malheureux.

Commentaire

Madame Bovary est un roman qui fait date dans l’histoire de la


littérature française. Si le thème central de l’œuvre, celui de l’adultère, est un
thème courant à l’époque, les techniques mises en œuvre par l’auteur par
contre sont novatrices et inédites. Les remarques suivantes nous permettent
sans nul doute de comprendre l’intérêt et la richesse de la poétique de
Flaubert :

- L’auteur de Madame Bovary assigne à la description un


rôle inédit. La traditionnelle opposition entre narration et
description est battue en brèche. La description dans l’œuvre
joue souvent le rôle de la narration comme par exemple dans
l’épisode des « comices agricoles » ou dans celui du « bal à
Vaubyessard » ;
- le style indirect libre remplit une fonction importante
dans l’œuvre. Il permet de faire des résumés de conversations
des personnages, peut-être aussi de comprendre ce qui se passe
dans leur for intérieur ;
- l’objectivité joue un rôle prépondérant dans l’œuvre.
Flaubert ne se laisse trahir à aucun moment par des jugements
personnels. Il garde ses distances par rapport à tous les
personnages. Pour couper toute relation avec eux, il recourt
souvent à l’ironie ;
-17-

- l’art de la composition est remarquable chez Flaubert.


Chaque chapitre et chaque partie sont minutieusement
élaborés. Le roman se présente sous forme de tableaux qui, tout
en étant indépendants les uns par rapport aux autres, se
complètent et se conjuguent parfaitement. Le « bal à la
Vaubyessard » et les « comices agricoles », à titre d’exemple,
sont composés avec une maîtrise que même les détracteurs de
Flaubert, comme le célèbre critique du XIX° siècle Sainte Beuve,
ne peuvent démentir ;
- enfin le thème de l’échec d’Emma, thème somme toute
banal, est traduit avec une rare poésie qui fait oublier au lecteur
toutes les bassesses et la médiocrité des personnages comme le
pharmacien Homais, personnage qui symbolise le paroxysme de
la « bêtise humaine » pour employer le mot de Flaubert.

3- Le Naturalisme

Le naturalisme est l’une des branches du réalisme. Le chef de file de


cette école est Emile Zola. Théoricien et romancier, Zola tentera d’appliquer à
l’œuvre romanesque une méthode scientifique empruntée au physiologiste
Claude Bernard. Le roman devient alors le lieu par excellence de l’observation
et de l’expérimentation.

Etant donné qu’il dérive du réalisme, le naturalisme a tout


naturellement de nombreuses similitudes avec lui, des similitudes que l’on peut
résumer dans les remarques suivantes : l’objectivité, la documentation, la
science comme modèle, l’écriture réaliste, le primat aux classes défavorisées. Il
faut dire également que ces deux courants littéraires se différencient sur
-18-

quelques points, parfois même ils s’opposent : les réalistes disent que la forme
d’un roman est plus importante que son sujet, alors que les naturalistes
soutiennent la thèse contraire ; les naturalistes introduisent en outre dans leurs
écrits d’autres éléments comme le fantastique, l’image mythique et la
dimension épique que les réalistes rejettent.

Œuvre représentative du naturalisme : Emile Zola, L’Assommoir, (1877)

Résumé

L’Assommoir relate l’histoire dramatique de Gervaise Macquart. Montée


à Paris pour suivre son amant Auguste Lantier dont elle a deux fils Etienne et
Claude, Gervaise est vite rejetée et abandonnée par Lantier. Elle s’engage dans
une nouvelle liaison avec un ouvrier zingueur dénommé Copeau, alias Cadet-
Cassis, une liaison couronnée par le mariage. Mais un grave accident survient
au mari et le plonge définitivement dans l’alcoolisme et la paresse. Pour ne pas
céder au désespoir, Gervaise ouvre une blanchisserie grâce à un prêt qu’elle a
pu obtenir. Malheureusement son premier amant s’introduit dans sa vie et la
réduit à néant. Gervaise perd peu à peu ses économies et son optimisme.
Impuissante, elle regarde sa vie se désagréger jusqu’à ce qu’elle meure à la fin
du roman dans des conditions atroces.

Commentaire

Emile Zola donne avec L’Assommoir une œuvre forte et originale. La


description détaillée des personnages, des objets et des lieux joue un rôle
symbolique important. Ainsi la description de l’Alambic au début du roman fait
allusion aux ravages de l’alcool sur la santé des personnages. Plusieurs
personnages dans le roman, à force de boire de l’alcool, finiront par en être
-19-

dépendants. Gervaise par exemple, même si elle a tout perdu à cause de


l’alcool en partie, continue de voir cette boisson comme une sorte
d’échappatoire. Elle entretient avec elle une relation ambiguë qui peut être
expliquée par la fragilité du personnage de Gervaise d’une part, et par la
nocivité de l’alcool de l’autre. D’ailleurs le roman contient de nombreux
exemples de personnages dont la vie a été laminée par l’alcool. Du point de vue
formel, L’Assommoir se caractérise par une langue crue et directe qui présente
les personnages sous un aspect trivial qui peut choquer mais qui donne une
image pertinente des basses classes. En ce qui concerne le cadre historique du
roman, Zola a choisi le Second Empire, période relative au règne de Louis-
Napoléon Bonaparte, un empereur qui a beaucoup déçu par son despotisme et
son injustice. Victor Hugo, dans son recueil de poésie « Les Châtiments », a
critiqué cet empereur avec véhémence en précisant qu’il était pire que son
oncle Napoléon premier. Emile Zola a en outre traité le thème de l’hérédité, un
thème cher aux cœurs des naturalistes. En effet, quand on lit la série des
Rougon Macquart, on est frappé par l’importance de ce thème. Il y a une
relation de cause à effet chez les personnages de Zola, c’est-à-dire les défauts
des personnages se transmettent à leurs enfants qui les transmettent, à leur
tour, à leurs propres enfants.

En conclusion, nous pouvons dire que les mouvements littéraires du


XIX° siècle, bien qu’ils se différencient et parfois même s’opposent, ont
largement contribué à enrichir la littérature française, voire la littérature
mondiale.
-20-

III- Le personnage dans le roman du XIX° siècle

Au XIX° siècle le roman, auparavant méprisé et rejeté par tout le


monde, devient le genre qui domine toute la scène culturelle française. Compte
tenu de la souplesse de ses règles, il remplace facilement ses deux rivaux, la
poésie et le théâtre, qui jouissaient de la considération et de l’estime des
critiques littéraires. De surcroît et pour des raisons multiples, il se diversifie
pour répondre aux goûts de toutes les couches de la société. Pour la première
fois le public français trouve sur le marché du livre non seulement plusieurs
catégories de romans (roman policier, roman d’aventures, roman de science-
fiction, etc.), mais encore des livres à la portée de son pouvoir d’achat. Un
autre facteur tout aussi important augmente encore plus le nombre de lecteurs
du roman. Pour la première fois des héros issus du peuple, très proches et très
familiers aux lecteurs, font leur apparition dans le roman, des héros qui
tranchent donc avec le héros classique, un personnage souvent de haut rang,
vivant dans un monde totalement étranger au peuple. Le personnage du roman
du XIX° siècle et plus particulièrement du roman réaliste peut être considéré
comme représentatif du peuple y compris des classes les plus défavorisées. Les
personnages de Balzac, de Flaubert ou de Zola ressemblent par plusieurs traits
au lecteur. Cette proximité crée une certaine sympathie qui rend le roman très
populaire et très proche du citoyen. Mais cela ne doit pas nous faire oublier
que la notion de « personnage » du roman, compte tenu de sa complexité,
pose des problèmes délicats. Le développement de la psychanalyse comme les
remarquables travaux de Sigmund Freud, les recherches de la linguistique et de
la sémiologie, discipline qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale,
nous aident à mieux comprendre la notion de personnage. Nous pouvons alors
tenter de la définir à partir de trois critères : le personnage comme type ; le
personnage comme fonction ; le personnage comme rôle.
-21-

1) Le personnage comme type humain

Il s’agit d’une caractérisation externe, autrement dit le personnage est


analysé comme un modèle extérieur à l’espace du roman. Il est donc considéré
comme un être humain vivant dans la nature ou dans la société. Il peut être
défini à partir de trois typologies :

a) - une typologie physiologique qui permet au lecteur de

dégager ses traits physiques. Balzac par exemple précise que le personnage de
Rastignac a les « yeux bleus », et Mme Vauquer les « mains potelées » ;

b) - une typologie psychologique qui met l’accent sur les

caractéristiques morales du personnage. L’auteur de La Comédie humaine à


titre d’exemple dit au sujet du personnage de Grandet qu’il est « avare » ; et
présente le personnage de Henriette de Mortsauf par cette expression
laudative « pure comme une enfant » ;

c) – une typologie sociologique et idéologique qui

indique le statut social et l’appartenance politique du personnage. Rastignac,


dit Balzac, est « fils d’une famille noble » ; Grandet est « farouchement
républicain ».

2) Le personnage comme fonction narrative

Le personnage peut être appréhendé selon la fonction qu’il tient dans la


narration romanesque. Il s’agit cette fois-ci d’une caractérisation de type
interne.
-22-

a) – un personnage peut être le seul narrateur du récit

comme c’est le cas dans le roman autobiographique à la première personne.


Nous pouvons citer à titre d’exemple René de Chateaubriand ou Oberman de
Senancour, deux textes du début du XIX° siècle. Un personnage peut aussi être
le premier destinataire de ce récit tel qu’il apparaît dans Les lettres persanes
de Montesquieu, roman épistolaire où l’auteur attaque les vices de la société
française à travers deux personnages persans Usbek et Rica.

b) – un personnage peut par ailleurs être décrit en

termes de déclencheur, d’embrayeur ou de relais de l’action.

c) – le personnage peut enfin être étudié d’un point de

vue narratologique, c’est-à-dire à partir de la notion de « focalisation ». Balzac,


auteur omniscient par excellence, recourt souvent à ce que Gérard Genette
appelle la « focalisation zéro », c’est-à-dire un point de vue quasi-divin. A
l’inverse, Stendhal affectionne souvent la « focalisation interne », qui présente
le personnage témoin subjectif comme la seule voie d’accès aux événements
pour le narrateur.

3) Le personnage comme rôle dans l’action

Grâce au schéma des grands rôles d’un récit mis au point par A-J
Greimas dans son essai Sémantique structurale, nous pouvons répartir les
personnages sur six grands rôles qui correspondent à de grandes positions
symboliques dans l’histoire contée :

- sujet ou objet de l’action ;


- destinateur ou destinataire ;
- adjuvant ou opposant.
-23-

Lexique

● Action : la marche des événements dans un récit ou un drame.

● Déclencheur : c’est la phase ou la séquence qui introduit l’énumération.

● Embrayeur : Roman Jakobson en donne la définition suivante : « les mots


dont le sens varie avec le contexte ».

● Fonction : Vladimir Propp la définit comme suit : « par fonction, nous


entendons l’action d’un personnage, définie du point de vue de sa signification
dans l’intrigue. »

● Intrigue : ensemble des événements qui forment l’action d’un roman ou


d’une pièce de théâtre.

● Relais : en linguistique, c’est l’interprétation d’une langue vers une autre en


passant par une troisième.

● Type : tout personnage reconnu comme représentatif d’une classe d’êtres.


-24-

IV- La description dans le roman

Grâce à Gustave Flaubert, la technique de la description va connaître


une transformation aussi importante qu’inattendue. La description passe en
effet d’un rôle représentatif ou symbolique à un rôle narratif, rôle inédit et
novateur qui intéressera beaucoup les «nouveaux romanciers » du XIX° siècle
comme Alain Robbe-Grillet, Jean Ricardou ou Michel Butor. Ces derniers
s’inspireront de l’auteur de Madame Bovary pour donner à la description le
rôle de destruction. Il y a chez eux une volonté de décrire l’objet non pas pour
le mettre en valeur comme le veut la tradition, mais, au contraire, pour le faire
disparaître complètement. Cette nouvelle conception de la description montre
à quel point l’apport de Flaubert est important.

1- Repérage de la description
Pour le lecteur d’un roman, la description se repère de manière
visuelle : d’une part, elle se situe dans la cadre d’un paragraphe cohérent et
limité. Elle représente alors une halte ou une pause dans le récit, autrement dit
elle joue un rôle secondaire contrairement à la narration qui joue le rôle
principal. Dans la littérature gréco-latine comme chez Homère ou Virgile, la
description n’a qu’un rôle ornemental ou décoratif. D’autre part, elle permet
au lecteur de voir facilement un décor, un lieu ou un personnage.

2-La complexité de la description


Les progrès réalisés par le roman depuis Flaubert rendent l’opposition
entre narration et description très vague. Il y a en fait deux raisons principales à
ce problème :
-25-

a) - la notion instable du point de vue.

Au début de Madame Bovary, Flaubert fait un usage inédit du pronom


« nous » quand il parle de l’arrivée de Charles à l’école pour la première fois.
Dans ce passage, le lecteur ne peut savoir à aucun moment à qui se réfère ce
« nous ». Il y a là une ambiguïté voulue par Flaubert qui pose le problème du
point de vue.

b) - les interférences entre le temps du récit et le

temps de la description.

Alors que Balzac isole les passages descriptifs, Stendhal et Flaubert brouillent
souvent les frontières entre récit et description. Chez Flaubert surtout, la
description se substitue souvent à la narration, technique qui sera reprise et
perpétuée par Jean-Paul Sartre et les « nouveaux romanciers ». Ces derniers
vont même jusqu’à considérer la description comme garante d’objectivité.

3- Description ou destruction
On peut dire que la fonction de la description a passé, depuis la
littérature gréco-latine jusqu’au XX° siècle, par quatre grandes étapes :

a)- une fonction ornementale

Chez les Grecs et les Latins, la description joue un rôle décoratif qui
introduit une pause dans le récit. Elle permet alors au lecteur d’oublier pour un
moment les événements de l’histoire. On peut même dire qu’elle a une
fonction si modeste que le lecteur peut s’en passer.

b)- une fonction symbolique

Avec Jean-Jacques Rousseau et surtout Balzac et les romanciers réalistes,


la description joue un rôle métaphorique important. Elle devient une partie
intégrante du récit, car il faut la décoder pour comprendre le « message »
qu’elle cache.
-26-

c) - une fonction narrative

Grâce à Gustave Flaubert, la description envahit tout le champ du récit


au point de remplacer carrément la narration. La description de la casquette de
Charles au début de Madame Bovary fonctionne comme un récit qui a pour
but de montrer la nullité du personnage d’une part, et de donner une idée
préalable de son échec futur de l’autre.

d) – une fonction de destruction

Influencés par Gustave Flaubert, les « nouveaux romanciers » des années


1950-1960, donnent à la description une orientation nouvelle et originale. La
description avec eux aura une fonction de destruction comme en témoigne la
citation suivante d’Alain Robbe-Grillet :

« [La description] prétendait reproduire une réalité préexistante : elle affirme à


présent sa fonction créatrice. Elle faisait voir les choses et voilà qu’elle semble
maintenant les détruire, comme si son acharnement à en discourir ne visait qu’à
en brouiller les lignes, à les rendre incompréhensibles, à les faire disparaître
totalement. »
-27-

Les principes du roman traditionnel et du « nouveau roman »

Dans le roman traditionnel Dans le « nouveau roman »

→ Le personnage est le fil conducteur → Il n’y a pas de personnage, donc il


de l’histoire. Il est au centre de n’y a pas d’identification entre le
l’intrigue. Tous les événements lecteur et le personnage.
s’articulent autour du héros.

→ L’histoire joue un rôle → Il n’y a pas d’histoire, il n’y a pas


fondamental. d’intrigue. Parfois l’auteur superpose
Le romancier choisit un cadre plusieurs intrigues.
historique précis pour placer son
histoire.

→ L’auteur connaît tout de ses → L’auteur n’a aucune idée préalable.


personnages ; il les contrôle et peut à C’est le lecteur qui doit faire de
tout moment intervenir pour changer l’œuvre une critique littéraire. Le
leur destin. lecteur doit être le complice de
l’auteur dans la création de l’œuvre.

→ Le roman défend une thèse. Il → Le roman ne renvoie qu’à lui-


renvoie au lecteur un « message », même. Il n’y a aucun « message », car
« un message » politique, idéologique, le roman ne cesse de s’interroger sur
etc. Donc l’auteur est un maître à lui-même.
penser.

→ Le temps est chronologique et → Le temps n’est pas cohérent.


linéaire. Le romancier se contente de L’auteur met côte à côte des instants
l’organiser et de l’ordonner suivant le de rêve et des instants de réalité, tels
but qu’il s’est fixé. qu’ils se présentent dans la vie
quotidienne.
-28-

V- Narratologie : Point de vue et focalisation

Pour définir la notion de « focalisation » avec plus de rigueur et de


précision, Gérard Genette reprend et peaufine les typologies de la perspective
élaborés précédemment par Jean Pouillon et Tzvetan Todorov. Il met en place
une nouvelle terminologie, à savoir :

1- La focalisation zéro

Il s’agit d’un point de vue quasi-divin. Le narrateur possède des


informations qui dépassent de beaucoup celles des divers personnages, et
organise alors l’intrigue à son gré. Dans la Comédie humaine, Balzac use très
souvent de cette technique que l’on peut résumer par la formule suivante :

Narrateur > Personnage

Dans son ouvrage intitulé Temps et roman publié en 1946, Jean Pouillon
désigne ce cas de figure par l’expression « vision par derrière » et plus tard
Tzvetan Todorov le désigne par la formule suivante : « le narrateur en sait plus
long que le personnage ».

2- La focalisation interne

Ce procédé revient souvent sous la plume de Stendhal et Flaubert. Le


foyer de perception de l’univers du roman est situé dans le regard ou la
conscience d’un des personnages. Le narrateur ne raconte alors que ce que voit
ou ressent ce personnage-témoin subjectif. Dans Madame Bovary de Flaubert,
le narrateur témoin au début et à la fin du roman, c’est Charles Bovary, mais au
centre de l’œuvre, ce rôle est pris en charge par son épouse Emma. Et dans La
Chartreuse de Parme de Stendhal, l’épisode relatif à la bataille de Waterloo est
raconté et rapporté par Fabrice Del Dango, qui est donc le personnage
focalisateur. Ce cas de figure se résume comme suit :
-29-

Narrateur = Personnage

Jean Pouillon parle de « vision avec », et Tzvetan Todorov dit : « le narrateur


en sait autant que le personnage ».

3- La focalisation externe

On parle de « focalisation externe » quand le lecteur est maintenu dans


l’ignorance de l’identité des êtres ou du sens des actions, car la réalité décrite
est comme réduite à ses apparences extérieures. Cette technique se prête
surtout aux romans policiers et aux romans d’aventures ou quand le romancier
veut maintenir le soupçon sur un personnage. Cette situation peut être
présentée comme suit :

Narrateur < Personnage

Quand le narrateur possède moins d’informations que le personnage, J.


Pouillon parle de « vision du dehors ». T. Todorov de son côté utilise la formule
suivante : « le narrateur en sait moins long que le personnage ».

Après avoir corroboré les travaux de Pouillon et de Todorov sur la


relation du narrateur au personnage, G.Genette ajoute que le narrateur se
situe également face à l’histoire qu’il raconte (la diégèse). Il construit alors une
théorie qui met l’accent sur quatre types de narrateurs :

1- Le narrateur extradiégétique : c’est un narrateur


qui raconte une histoire au premier degré comme
par exemple le narrateur de Candide de Voltaire ;

2- Le narrateur intradiégétique : narrateur qui raconte


une histoire incluse dans une autre : ex : « Histoire
de la vieille » et « suite des malheurs de la vieille »,
chapitre XI et XII de Candide ;
-30-

3- Le narrateur homodiégétique : c’est-à-dire un


narrateur qui raconte une histoire dans laquelle il
joue un rôle. Quand ce rôle est principal comme
c’est le cas dans le roman autobiographique, on
parle d’un narrateur autodiégétique.

4- Le narrateur hétérodiégétique : narrateur


totalement étranger à l’histoire qu’il raconte, mais
un narrateur de second degré, ce qui le différencie
du narrateur extradiégétique.

Pour conclure, nous pouvons dire que le mérite de G. Genette est


d’avoir insisté sur l’intérêt que joue la diégèse dans un récit. En effet, la prise
en compte de la diégèse complète et éclaire mieux les rôles du narrateur et du
personnage. D’ailleurs l’apport de Genette à la narratologie est considérable,
car il met en lumière toute la richesse et toute la complexité du récit comme en
témoignent Figures I, Figures II, Figures III, Palimpsestes, etc.
-31-

Lexique

● Narratologie (Néologisme) : terme inventé par Gérard Genette pour désigner


l’étude spécifique de la narration, du récit.

● Waterloo : c’est une Commune qui se situe au sud de Bruxelles. C’est dans
cette Commune qu’avait lieu, le 18 juin 1815, une bataille qui a opposé
Napoléon Premier aux anglais et aux prussiens et qui s’est achevée par la
défaite de l’Empereur.

● Figures : en rhétorique, c’est la manière de s’exprimer dans un langage plus


expressif que le langage ordinaire.

● Palimpseste : du point de vue étymologique, le mot signifie « écrire de


nouveau ». On parle de palimpseste quand il s’agit de parchemin manuscrit
dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte.
Pour Gérard Genette, le mot palimpseste veut dire la littérature au second
degré.
-32-

VI- La narration dans le roman

La narration se définit généralement comme un récit d’événements,


mais cette acception peut changer en fonction du genre auquel elle s’applique.
Dans une pièce de théâtre, la narration est consacrée non pas à la scène à
proprement parler, mais à ce qui se déroule en dehors de la scène, car celle-ci
est réservée au jeu des acteurs. Elle peut même être nuisible à une pièce de
théâtre dans la mesure où elle ralentit l’action et le jeu qui sont le fondement
même du théâtre. D’un autre côté, la narration peut dans certains cas remplir
une fonction poétique comme le montre le récit du personnage de Théramène
dans la tragédie de Jean Racine, La Phèdre. Dans les textes oratoires, c’est-à-
dire destinés à l’art de parler en public, la narration relate les faits et les
événements ; et dans les genres narratifs comme le roman, l’histoire et
l’épopée, elle désigne les faits qui sont nécessaires à l’action, et donc elle
s’oppose à d’autres modes du récit comme la description, l’analyse
psychologique, la réflexion ou le commentaire.

Du point de vue strictement littéraire, la narration veut dire la manière de


raconter une histoire ; elle se différencie alors de la fiction, c’est-à-dire de ce
qu’on raconte, autrement dit la narration est le contenant ou le signifiant alors
que la fiction est le contenu ou le signifié.

Pour donner de la narration une définition plus complexe et plus nuancée,


il faut s’interroger sur les différentes formes de narration et sur le narrateur en
s’appuyant sur les travaux de Gérard Genette :

1- L’ordre de la narration : il se présente sous quatre


aspects :

a) la narration ultérieure : celle qui expose des

événements déjà passés ; elle utilise les temps de l’histoire, à savoir le passé
simple, l’imparfait et le plus que parfait ;
-33-

b) la narration simultanée : comme son nom l’indique,

elle fait le récit des événements au fur et à mesure qu’ils se présentent, et elle
recourt aux temps et aux pronoms du discours comme le présent, le passé
composé et le pronom « je ». De plus, elle utilise souvent le monologue
intérieur pour permettre au lecteur de suivre pas à pas ce qui se passe dans
l’esprit du personnage ;

c) la narration antérieure : celle qui raconte des

événements qui ne sont pas encore produits au moment de la narration ; elle


utilise le futur mais parfois le présent ;

d) la narration intercalée : elle place le récit dans les

intervalles qui séparent les différentes phases de l’action. Elle mélange histoire
et discours. Le roman épistolaire et le journal sont les deux genres où elle
s’exerce le plus.

2- Le narrateur

a) la première personne : l’emploi du pronom « je »

indique que le narrateur est confondu avec le héros. Cette forme d’expression
a un double avantage ; elle permet à la fois de commenter et de raconter les
événements. Elle peut en outre réaliser deux autres objectifs : d’une part, elle
instaure de la vraisemblance dans l’histoire contée et, du même coup, lui
donne un aspect historique et documentaire susceptible de gagner l’adhésion
du lecteur ; d’autre part, elle favorise l’expression personnelle, ce qui permet
au lecteur de comprendre la psychologie souvent complexe du héros comme le
montre le « nouveau roman » des années 1950-1960.
-34-

b) la troisième personne : la troisième personne est

réservée aux personnages inventés dont on raconte l’histoire. Il s’agit de la


forme la plus simple de la narration, forme qui présente le roman comme une
fiction, mais cet emploi peut par ailleurs correspondre à un souci d’objectivité
et de réalisme tel qu’on peut le remarquer dans la littérature française de la
deuxième moitié du XIX° siècle. En effet, dans les œuvres de Stendhal, de
Balzac, de Flaubert et de Zola, la troisième personne semble garantir l’absence
de subjectivité, même si de temps en temps le narrateur peut se trahir par des
jugements personnels comme en témoigne l’œuvre de Balzac.

c) la deuxième personne : le nouveau romancier Michel

Butor emploie souvent la deuxième personne dans son roman La Modification,


(1957). Il utilise le pronom « vous » pour inviter le lecteur à se mettre à la place
du personnage central d’une part, et pour introduire une distance du héros à
l’égard de lui-même de l’autre. Le pronom « vous » peut également servir à
montrer au lecteur le progrès de la conscience du héros. Ce dernier prend peu
à peu conscience de sa véritable identité. Dans La Modification, le héros est un
personnage, français de nationalité, qui, durant un voyage par train de Paris à
Rome, décide dans un premier temps de se séparer de son épouse et de leur
fille pour vivre avec sa maîtresse, mais qui, une fois arrivé à Rome, décide
d’abandonner ce projet. Pendant tout le voyage, le héros s’est livré à une
longue réflexion, grâce au monologue intérieur, qui lui a permis de découvrir
que son projet de séparation avec sa femme serait une grave erreur. On peut
donc conclure que son voyage peut être interprété comme une métaphore qui
relègue le voyage proprement dit à l’arrière-plan. Il faut dire également que la
technique du monologue intérieur exploitée dans La Modification, a été
employée pour la première fois et savamment utilisée par l’irlandais James
Joyce dans son roman Ulysse qui date du début du XX° siècle. Cette technique
permet au lecteur de suivre les différentes étapes de la pensée du personnage
et de comprendre comment une idée a germé et évolué dans son esprit.
-35-

Lexique :

Dans Figures III, (le seuil, 1972, p. 72), Gérard Genette fait la distinction
suivante entre « récit », « histoire » et « narration » :

● Le récit proprement dit, c’est le « signifiant », énoncé, discours ou texte


narratif lui-même.

● L’histoire : c’est le « signifié » ou le contenu narratif.

● La narration : c’est l’acte même de narrer.


-36-

VII- Le discours argumentatif chez Victor Hugo et Emile Zola

1- Victor Hugo, La préface de Cromwell (1827)

La préface de Cromwell de Victor Hugo est un texte capital. L’auteur


tente de convaincre le lecteur des défauts de l’école classique en matière d’art
théâtral. Il reconnaît néanmoins qu’elle avait joué un rôle important dans le
passé.

Dans cette préface, Victor Hugo fait une analyse détaillée de la règle des trois
unités (unité de temps, unité de lieu et unité d’action) que les auteurs
tragiques ont définie avec rigidité.

Pour montrer l’inefficacité de l’unité de lieu, Hugo cite de nombreux


exemples de l’histoire de France pour faire remarquer que chaque événement
historique est étroitement lié à un lieu précis qui devient alors aussi important
que l’événement dont il est le support. Et Victor Hugo conclut qu’un seul lieu
ne peut convenir au déroulement de plusieurs événements. Le drame
romantique, tel qu’il est conçu par Hugo, nécessite plusieurs lieux pour la
réalisation d’une pièce de théâtre. L’unité de temps ne peut non plus être
pertinente parce que les vingt-quatre heures qu’imposent les classiques ne
suffisent pas toujours pour raconter tous les événements de la pièce. Hugo
précise que « toute action a sa durée propre, son lieu particulier ». C’est
pourquoi dans sa pièce de théâtre Hernani, (1830) qui a consacré le
romantisme, il a choisi trois lieux (Saragosse, Aragon et Aix-La-Chapelle), et une
durée de trois mois. Victor Hugo conclut ainsi que ces deux unités, telles
qu’elles sont définies par les classiques, sont incompatibles avec le drame
romantique. A l’inverse, l’unité d’action que Hugo appelle « unité d’ensemble »,
doit être maintenue, mais elle doit être renforcée par des actions secondaires
qui s’articuleraient autour d’elle. Selon lui, l’unité d’ensemble est la « loi de
perspective du théâtre ».
-37-

A vrai dire, la critique du classicisme a commencé dès les premières


années du XIX° siècle. Mme de Staël était l’un des premiers écrivains à avoir
proclamé l’ouverture de la littérature française sur les littératures étrangères
en particulier la littérature allemande tel qu’il apparaît dans son essai De
l’Allemagne (1808- 1810). Plus tard, d’autres voix se sont élevées contre
l’esprit classique comme par exemple Stendhal dans son célèbre essai Racine
et Shakespeare (1824-1825). Victor Hugo reste toutefois l’écrivain français le
plus représentatif de la lutte contre la dramaturgie classique. Outre la préface
de Cromwell, il faut citer sa pièce de théâtre Hernani qui, en 1830, a déclenché
une vive querelle entre les partisans et détracteurs du classicisme et qui a
débouché sur la consécration du romantisme et de son chef de file Victor Hugo.
Cela dit, le problème de la règle des trois unités est un faux problème parce
que les sujets que traite le théâtre classique conviennent à la règle des trois
unités, alors que le drame romantique aborde des sujets que la règle des trois
unités ne peut traduire fidèlement. En d’autres termes, c’est le goût du public
qui doit être pris en compte pour mettre en place un théâtre à succès.

2- Emile Zola, Le roman expérimental

Emile Zola construit ses romans sur le modèle de la science en


s’inspirant du physiologiste Claude Bernard. On peut résumer sa méthode de la
façon suivante : dans une première étape, Zola observe les faits comme le
ferait un homme de science dans un laboratoire ; dans une seconde étape, il
met en place des preuves qui lui permettront d’expérimenter ces faits. En
outre, il tente d’appliquer à ses personnages une approche déterministe qui
rappelle les travaux de l’historien du XIX° siècle Hippolyte Taine sur
l’interaction de la race, du moment et du milieu. C’est grâce à cette méthode,
précise Zola, que le roman peut rivaliser avec la science en donnant une image
« scientifique » de l’homme.
-38-

Nous pouvons dire que l’idée centrale de Zola repose sur deux mots
clefs : l’observation et l’expérimentation. L’auteur s’appuie à vrai dire sur une
démarche scientifique qui a fait ses preuves sous la Troisième République. A
cette époque, les découvertes scientifiques, encore récentes mais
surprenantes, commencent à bouleverser la société française. Grâce à la
création de la machine à vapeur, au rail ; à l’émergence de nouvelles classes
sociales comme la classe ouvrière ; et grâce au triomphe du positivisme, la
France sort d’un monde essentiellement agricole pour s’engager dans un
monde industrialisé. Dans le domaine politique et social, la France met en place
des réformes extrêmement importantes comme la séparation de l’Eglise et de
l’Etat, la gratuité de l’enseignement, la défense et la consolidation de la laïcité.

En conclusion, nous pouvons dire que les découvertes scientifiques ont


apporté de nombreux avantages à l’homme. La méthode naturaliste de Zola,
quant à elle, dans son souci excessif de réalisme, a montré vite ses limites. Les
scènes relatives aux ouvriers et aux mineurs dans l’œuvre de Zola, frappent par
leur trivialité et leur crudité, mais aussi et surtout elles blessent la dignité des
pauvres comme le lui a fait remarquer à juste titre Victor Hugo.

D’autre part, cette méthode naturaliste ou « scientifique » ne peut s’appliquer


que partiellement au roman car, qu’on le veuille ou non, la littérature ne peut
jamais rivaliser avec les sciences pures, un domaine qui exclut totalement la
subjectivité et la poésie, éléments indispensables à toute création littéraire.
-39-

Lexique

● Positivisme : doctrine qui postule que la connaissance des faits positifs est la
seule qui soit féconde. Il faut donc s’appuyer sur l’expérience pour dégager des
certitudes. Auguste Comte l’initiateur du positivisme, dans son Cours de
philosophie positive (1830-1842) dispensé en Sorbonne, parle de trois états
dans l’évolution de la pensée humaine depuis l’origine de l’humanité jusqu’au
XIX° siècle : un état théologique qui correspond à la période au cours de
laquelle l’homme explique la nature par des puissances divines ; un état
métaphysique pendant lequel l’homme explique la nature par des principes
abstraits ; un état positif ou scientifique, celui du XIX° siècle, qui explique la
nature par des preuves scientifiques.
-40-

VIII- Cinéma et littérature

Appelé le septième art, le cinéma est l’art de composer et de réaliser


des films. Il fut créé en 1895 par les frères Lumière, et devint parlant en 1927.

1- La narration au cinéma

a) les éléments narratifs

Le cinéma narratif est le plus courant. Ses moyens d’expression sont


l’objet, l’image et la parole. Chaque objet que l’on montre dans un film
contient un « message » adressé au spectateur. En ce qui concerne l’image, elle
donne à la fiction une durée et un changement. La succession des images
donne à l’histoire une continuité et une cohérence. La parole de son côté avec
la musique et les bruits donnent la possibilité au metteur en scène d’organiser
le récit de manière très complexe.

b) le narrateur

Il y a deux types de narrateurs dans le domaine du cinéma : le réalisateur


ou le metteur en scène et le narrateur fictif. Le réalisateur ou le metteur en
scène est en fait le narrateur réel, car c’est lui qui choisit tel type
d’enchaînement, tel découpage, tel montage par rapport à d’autres
possibilités. Il est souvent en dehors de la scène, mais il peut, comme le
metteur en scène britannique Alfred Hitchcock, faire des apparitions brèves
comme un clin d’œil adressé au spectateur. Le narrateur fictif par contre est
interne à l’histoire, parfois sa fonction peut être prise en charge par un ou
plusieurs personnages.
-41-

c) l’histoire (ou la diégèse)

Dans le cinéma l’histoire est un pseudo-monde, un simulacre du monde


réel. Les événements à l’intérieur du récit se présentent souvent sans aucun
respect pour la chronologie. Pour surmonter les obstacles de la mise en scène,
le réalisateur recourt à plusieurs techniques : pour les souvenirs, les rappels, les
explications, il utilise le « flash-back » ; pour annoncer un événement futur, il
fait appel à la technique du « flash-forward ». Il utilise aussi le montage
parallèle pour les correspondances. Le metteur en scène peut également
recourir à d’autres techniques pour résoudre d’autres types de problèmes.
Comme il y a inévitablement un décalage entre la durée de l’action et le
moment du récit, le metteur en scène utilise des sauts et des ellipses (blancs),
car la durée d’un film l’oblige à tricher avec le temps.

Pour ce qui est de la structure du récit filmique, elle est identique à celle du
conte. C’est un ensemble d’éléments combinés selon le schéma du linguiste
russe Vladimir Propp : situation initiale, méfait, réparation du méfait, situation
finale.

d) le personnage de film

Il s’oppose au personnage du roman dans la mesure où le metteur en


scène ne le décrit pas et n’explique pas ses actions. C’est l’acteur qui se charge
de le faire vivre. Dans un roman au contraire, l’auteur décrit minutieusement
un personnage du point de vue physique et du point de vue moral pour que le
lecteur puisse en avoir une image précise. Le personnage de film est le moteur
de l’action, car il veut posséder un monde ou réaliser un projet précis comme
par exemple gagner le cœur de la femme aimée ou défendre une cause noble.
Le personnage de film est donc chargé de véhiculer des valeurs psychologiques,
éthiques, sociales ou politiques, c’est-à-dire qu’il renvoie un « message » au
spectateur.
-42-

e) le décor dans le cinéma

Le décor peut être soit le plein air soit le studio. Parfois on peut
reconstituer des extérieurs à l’intérieur du studio. On peut donc considérer le
cinéma comme un espace d’illusion. Le metteur en scène utilise souvent du
carton-pâte, des maquettes, des truquages, des transparences pour les besoins
du film. Il utilise également d’autres techniques comme par exemple des
chaussettes bleues ou vertes pour présenter un cul-de-jatte.

2- Cinéma et public

L’influence du cinéma sur le public est très importante. Le cinéma est l’un
des facteurs essentiels de la culture de masse parce qu’il possède une force
émotive considérable. Il a la capacité de simplifier la science et par conséquent
de la rendre accessible à un large public. Il joue aussi un rôle décisif dans la
formation du spectateur dans la mesure où il lui permet de suivre les actualités
et les problèmes de la société. Il peut même être une échappatoire pour les
citoyens pendant les périodes de crise comme le cinéma américain des années
30 qui a aidé, grâce aux comédies musicales, à oublier la crise économique de
1929, le fameux jeudi noir. Le cinéma peut, en sens inverse, jouer un rôle
négatif quand il présente des films qui font l’apologie de la violence ou des
films qui véhiculent des idéologies dangereuses.

3- L’originalité du cinéma

Bien qu’il soit un art comme le roman et le théâtre, le cinéma n’en a pas
les mêmes caractéristiques. Si le roman par exemple donne une idée abstraite
des choses, le cinéma par contre matérialise les descriptions, canalise
l’imagination du spectateur et simplifie les sensations. Le personnage du
roman, n’est qu’un nom propre, alors qu’il jouit, dans le cinéma, d’un physique
qui lui donne plus d’aptitude à traduire toutes les nuances de son rôle.
-43-

En comparaison avec le théâtre, le cinéma peut facilement changer les décors,


les lieux et les scènes, car il dispose de moyens techniques qui font défaut au
théâtre. Le cinéma est un monde qui a la particularité d’être doublement
irréel : d’abord il présente des fictions ; ensuite il les présente sous forme
d’images, d’objets et d’acteurs. Le théâtre, quant à lui, représente quelque
chose qui existe ou qui a existé concrètement.

Au demeurant, on peut dire que le cinéma présente des avantages et


des inconvénients. Grâce aux nombreuses techniques qu’il possède, il donne
l’illusion du rêve et crée une atmosphère poétique qui séduit le spectateur.
Mais il peut tout aussi être dangereux quand il emprisonne le spectateur dans
des images qui s’accumulent au point de nuire à l’histoire qu’il raconte. Il y a
également, comme nous l’avons dit précédemment, l’aspect idéologique du
cinéma. Il peut en effet faire la propagande à des idées pernicieuses qui servent
l’intérêt de tel ou tel groupe.

______________________________

Lexique

● Transparences : projections d’un film sur un écran transparent, servant de


décor devant lequel évoluent les personnages.
-44-

IX- L’objectivité ou l’impersonnalité dans la littérature

Dans une œuvre impersonnelle, il n’y a aucune information sur l’auteur


ou ses idées et ses goûts. Les œuvres impersonnelles sont donc celles dont
l’auteur est inconnu ou presque ou celles dont l’auteur a volontairement caché
au public sa vie personnelle en choisissant délibérément de parler
objectivement de tout ce qui n’est pas lui ou en traduisant ses sentiments sous
une forme générale et impersonnelle.

a) Le point de vue de l’auteur

Blaise Pascal, auteur du XVII° siècle, considère le moi comme


« haïssable ». Il accuse Montaigne, écrivain du XVI° siècle, de n’avoir parlé que
de lui-même dans ses Essais : « le sot projet qu’il a eu de se peindre », dit-il.
L’auteur qui parle de sa vie personnelle expose au public l’intimité de son
cœur. Il s’agit en fait d’un manque de pudeur qui choque la bienséance, règle
chère aux cœurs des classiques. D’un autre côté, le public peut facilement se
lasser d’une œuvre qui se complaît dans l’étalage du cœur. L’écrivain doit au
contraire concevoir l’art comme le produit de l’intelligence et de l’imagination
telle une science qui vise la beauté et la vérité.

b) Le point de vue du lecteur

Pour donner à une œuvre littéraire la place qu’elle mérite, le lecteur ne


doit pas s’intéresser à la personnalité de son auteur ou à ses problèmes. Il
risque d’en faire une critique explicative qui fausserait complètement
l’intelligence de l’œuvre. Marcel Proust, dans un texte intitulé « Contre Sainte
Beuve », a admirablement montré les défauts de la critique explicative chère
au cœur de Sainte Beuve, célèbre critique du XIX° siècle. Le lecteur doit alors se
concentrer sur les qualités esthétiques et poétiques de l’œuvre pour en
comprendre l’originalité.
-45-

Conclusion

Pour le Parnasse et le Réalisme, deux écoles littéraires du XIX° siècle,


l’objectivité doit être la règle de base dans tout travail littéraire. Mais on peut
se demander également si l’objectivité totale est possible et même si elle est
souhaitable.

A vrai dire, il n’y a pas d’impersonnalité totale dans la littérature, car toute
œuvre est d’une manière ou d’une autre une confession. Même si l’auteur
efface toute trace relative à sa vie, il finit toujours par se trahir. Toute œuvre,
même la plus objective, est nourrie des expériences de son auteur comme en
témoigne L’Education sentimentale (1869) de Gustave Flaubert, un fervent
défenseur de l’impersonnalité. D’autre part, l’objectivité n’est pas toujours
souhaitable parce que la sensibilité et le moi sont une source d’inspiration
inépuisable. En d’autres termes, la personnalité de l’auteur aide parfois à
mieux comprendre son œuvre et à l’apprécier à sa juste valeur.

Nous pouvons donc dire en guise de conclusion, que l’objectivité dans


la littérature est un élément non seulement nécessaire, mais encore
indispensable tant qu’elle n’efface pas complètement l’intérêt esthétique et
poétique de l’œuvre. En d’autres termes, la valeur d’un texte littéraire réside
dans sa capacité à concilier la subjectivité et l’objectivité. C’est cette
dialectique, difficile à atteindre, qui peut garantir la réussite d’une œuvre
littéraire.
-46-

Lexique

● Le Parnasse : le mot vient du nom d’une montagne de Phocide, séjour


d’Apollon et des Muses dans l’antiquité grecque.

Le Parnasse en poésie désigne une école de poètes français qui sont apparus
sur la scène culturelle de 1866 à 1876. Ce mouvement initié par Leconte de
Lisle condamne le romantisme. Il prône l’art pour l’art, l’impersonnalité,
l’érudition scientifique en poésie.

● Les Muses : les déesses qui présidaient aux arts libéraux. Elles sont neuf
déesses, chacune représente un art particulier comme le montre le tableau
suivant :

Déesses Arts qu’elles représentent

Clio L’histoire

Calliope L’éloquence et la poésie héroïque

Terpsichore La danse

Erato L’élégie

Polymnie Le lyrisme

Uranie L’astronomie

Melpomène La tragédie

Thalie La comédie

Euterpe La musique
-47-

● La critique explicative : initiée par Sainte Beuve , elle explique l’œuvre par la
vie de son auteur. Elle sera sévèrement critiquée par Marcel Proust dans son
célèbre texte « Contre Sainte Beuve ».
-48-

X- Le discours argumentatif de l’éloquence

L’éloquence est l’art de persuader par le discours. Elle s’inscrit dans le


cadre du discours argumentatif. C’est un art qui touche à de nombreux
domaines comme la politique, la religion ou la justice. Dans l’antiquité, les
rhéteurs étaient des savants grecs qui dispensaient des cours d’éloquence aux
dignitaires romains. Plus tard en France, un professeur de littérature française
se faisait appeler un professeur d’éloquence. C’est dire l’intérêt et la valeur
d’une telle discipline.

1- Les objectifs et les méthodes de l’éloquence

Elle a un double but : le premier consiste à convaincre le lecteur ; elle


s’appuie donc sur des méthodes multiples comme la clarté et la cohérence
dans la présentation des idées exposées ; la simplicité du plan de la
présentation ;une argumentation solide et précise et la défense des vérités
acceptables par tout le monde. Le deuxième objectif de l’éloquence est de
persuader le lecteur, c’est-à-dire de gagner son adhésion par les sentiments.
Elle joue alors sur les passions, le lyrisme, bref le langage du cœur pour flatter
l’imagination du lecteur.

2- Les défauts de l’éloquence

Parmi ces défauts, on peut citer le formalisme. En effet, l’éloquence


accorde souvent une importance exagérée à la forme au détriment du sens ;
elle peut aussi être très pathétique et enlever au lecteur l’esprit critique et le
doute qui sont nécessaires à une bonne compréhension de l’œuvre.

3- L’éloquence et la poésie

Les procédés de l’éloquence se retrouvent dans la poésie d’idées et la


poésie philosophique, dans le lyrisme solennel ou personnel des Romantiques,
-49-

dans une certaine poésie descriptive du Parnasse. Toutefois, Verlaine


condamne fermement l’éloquence. Il lui reproche de donner la priorité aux
idées sur l’intuition qui est un élément fondamental dans la poésie ; il lui
reproche en outre d’intellectualiser les émotions et de donner aux textes une
coloration oratoire nettement inférieure au rythme poétique indispensable à la
création littéraire.

4- L’éloquence et le théâtre

L’éloquence ne peut avoir aucune place dans le théâtre, car elle ralentit
l’action lorsqu’elle devient discours. Mais quelquefois, elle peut introduire dans
le langage parlé du théâtre une certaine émotion. Au point de vue formel, elle
a l’avantage de présenter les passions des personnages sous une forme
ordonnée et claire comme par exemple dans le théâtre de Racine.
-50-

XI- Approche comparative entre le roman, le théâtre et la


poésie

Le roman, dit Emile Littré dans Le dictionnaire de la langue française,


est une « histoire feinte, écrite en prose, où l’auteur cherche à exciter l’intérêt
par la peinture des passions, des mœurs, ou par la singularité des aventures »,
et ajoute plus loin que la longueur est le seul critère qui différencie le roman du
conte. Une telle acception ne peut satisfaire le critique Boulenger qui propose
une définition plus nuancée et plus subtile : « ce qui distingue à mon sens, dit-
il, le conteur du romancier (…), c’est leur manière de considérer leur sujet. Un
Balzac, un Stendhal, qui sont essentiellement des romanciers, voient surtout, et
probablement imaginent, en premier lieu des personnages et des milieux. Un
Mérimée, un Maupassant (dans ses contes), pensent tout d’abord des
situations, des « scènes à faire ». (1)

1- Roman et poésie

Le roman et la poésie sont deux genres qui se rapprochent par certains


aspects, mais aussi qui se différencient par d’autres : le roman ressemble à la
poésie lorsqu’il adopte un style lyrique, fantastique ou surréaliste. Mais il peut
par ailleurs s’y opposer quand il accorde le primat à l’intrigue, à l’objectivité, au
personnage vu dans sa totalité, à l’analyse psychologique et au dialogue
dramatique. De telles caractéristiques sont totalement incompatibles avec la
poésie.

___________________________________________________

(1) Cité par Michel Raimond, La Crise du roman, Paris, éd. I. Corti, 1966, p.148.
-51-

2- Roman et théâtre

Le roman partage de nombreuses caractéristiques avec le théâtre :- la


mise en scène de conflits, constitution de types ; image d’une destinée ; - les
personnages sont devant un décor, en un lieu, à une époque ; - ils sont définis
par leurs relations mutuelles ; - ils parlent pour expliquer leur action ou
agissent en parlant ; - leurs caractères sont centrés autour d’une passion forte.
En revanche, les différences entre les deux genres peuvent être résumées en
les points suivants : le dramaturge concentre l’action en une crise, le romancier
raconte souvent une durée, une évolution ; le dramaturge simplifie, ne peint
pas les secrets des âmes, ne s’explique que par des paroles, le romancier quant
à lui, pénètre l’intimité des personnages, sonde leurs secrets. Physiquement, le
personnage du théâtre est plus proche de nous que le héros de roman qui nous
paraît lointain. Le public du théâtre exige que son attention soit sollicitée et
maintenue, alors que le lecteur de roman est souvent une personne qui peut
lire dans la solitude.

En somme, nous pouvons conclure que le roman, le théâtre et la poésie


sont trois formes d’expression qui se complètent et s’enrichissent
mutuellement malgré leurs différences. Elles permettent chacune à sa manière
de faire passer le « message » de l’auteur et de défendre ou de réfuter une
thèse ou une idée.
-52-

Lexique

_ Fantastique : où le mélange entre le naturel et le surnaturel provoque


l’inquiétude ou la peur. Le lecteur hésite alors entre une explication rationnelle
et une explication surnaturelle des événements.

_ Surréaliste : le surréalisme est un courant littéraire qui est né en France dans


les années 30 grâce à André Breton. C’est un mouvement « littéraire » qui
prône un automatisme psychique, le seul qui soit capable (d’après les
surréalistes) d’exprimer le fonctionnement réel de la pensée. C’est un
mouvement qui affiche de l’hostilité à la littérature dans le sens conventionnel
du terme.

_Merveilleux : il s’applique à une œuvre où le surnaturel se mêle de façon


harmonieuse à la réalité pour enchanter le lecteur.
-53-

Bibliographie

N.B : Les ouvrages cités ci-dessous n’ont pas tous été exploités dans
l’élaboration de ce cours. Ils sont destinés aux étudiants qui souhaitent
approfondir leurs connaissances en critique littéraire.

_________________________________

● Adam J. –M. et Petitjean A., Le texte narratif, éd. Nathan, 1989

● Anscombe J.-C. et Ducrot O., L’argumentation dans la langue, éd. Mardaga,


1989

● Bakhtine M., La poétique de Dostoïevski, éd. Le Seuil, 1970

● Bakhtine M., Esthétique et théorie du roman, éd. Gallimard, 1978

● Barthes, R., Le Degré zéro de l’écriture, éd. Le Seuil, 1983

● Barthes, R., Le plaisir du texte, éd. Le Seuil, 1973

● Benveniste, E., Problèmes de linguistique générale, éd. Gallimard, 1966

● Bessière, J., L’ordre du descriptif, éd. P.U.F., 1988

● Bessière, J., Signes du roman, signes de la transition, éd. P.U.F., 1988

● Bessière, J., Dire la littérature, éd. Mardaga, 1989

● Blanchot, M., L’espace littéraire, éd. Gallimard, 1955

● Boileau, N., Art poétique, (1674)

● Bourdieu, P., Le sens pratique, éd. Minuit, 1980


-54-

● Bourdieu, P., Ce que parler veut dire, l’économie des échanges linguistiques,
éd. Fayard, 1982

● Escarpit, R., Le Littéraire et le social : éléments pour une sociologie de la


littérature, éd. Flammarion, 1970

● Fontanier, P., Les Figures du discours, éd. Flammarion, 1968

● Foucault, M., L’ordre du discours, éd. Gallimard, 1971

● Genette, G. Figures I, éd. Le Seuil, 1966

● Genette, G. Figures II, éd. Le Seuil, 1969

● Genette, G. Figures III, éd. Le Seuil, 1972

● Genette, Palimpsestes, la littérature au second degré, éd. Le Seuil, 1982

● Genette, G. Nouveau discours du récit, éd. Le Seuil, 1983

● Goldman, L., Recherche dialectiques, éd. Gallimard, 1959

● Goldman, L., Pour une sociologie du roman, éd. Gallimard, 1964

● Gothot-Mersch, G., La Genèse de Madame Bovary, éd. Slaktine, 1980

● Greimas, A.-J., Sémantique structurale, éd. Larousse, 1966

● Greimas, A.-J., Sémiotique et sciences sociales, éd. Le Seuil, 1976

● Hamon, P., Texte et idéologie, éd. P.U.F, 1984

● Jean, G. Le Roman, éd. Le Seuil, 1971

● Jakobson, R., Questions de poétique, éd. Le Seuil, 1973

● Jakobson, R., Essais de linguistique générale, éd. A. Colin, 1970 et 1981

● Jauss, H.K., Pour une esthétique de la réception, éd. Gallimard, 1978

● Kristeva, J., Polygone, éd. Le Seuil, 1977


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● Kristeva, J., Pouvoirs de l’horreur. Essai sur l’objection, éd. Le Seuil, 1980

● Lejeune, P., Le pacte autobiographique, éd. Le Seuil, 1975

● Lévi-Strauss, C., Anthropologie structurale, éd. Plon, 1964

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● Propp, V., Morphologie du conte, éd. Le Seuil, 1965-1970

● Pouillon, J., Temps et roman, éd. Gallimard, 1946

● Raimond, M., La crise du roman, éd. J. Corti, 1968

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● Riffatterre, M. La production du texte, éd. Le Seuil, 1979

● Todorov, T., Théorie de la littérature, éd. Le Seuil, 1965

● Todorov, T., Poétique de la prose, éd. Le Seuil, 1971

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● Ubersfeld, A., Lire le théâtre, éditions sociales, 1977

● Weinrich, H., Le Temps, (trad.fr), éd. Le Seuil, 1973

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