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GUSTAVE FLAUBERT (1821-1880)

1. RÈPERES BIOGRAPHIQUES
Flaubert naît à Rouen le 12 décembre 1821. Son père est chirurgien en chef
de l'Hôtel-Dieu et le jeune Gustave passe une enfance assez délaissée – ses
parents lui préfèrent son frère ainé – dans l'atmosphère de l'hôpital, l'une de ses
distractions étant d'aller observer les cadavres à la morgue en compagnie de sa
sœur Caroline. En 1836, il rencontre Élisa Schlésinger, une femme mariée qui lui
inspire une passion platonique et dont on trouve des échos dans ses premières
œuvres (Mémoires d'un fou, 1838; Novembre, 1842), ainsi que dans L'Éducation
sentimentale avec le personnage de Mme Arnoux.
En janvier 1844, une première crise nerveuse l'oblige à se retirer dans la
maison familiale de Croisset, près de Rouen. Il y mènera désormais, près de sa
mère, une existence d'« ermite » qu'interrompent deux longs séjours à Paris : en
1846, il y rencontre Louise Colet qui devient sa maîtresse et la « Muse » avec qui
il entretient une importante correspondance jusqu'en 1854 ; en 1848, il assiste aux
journées révolutionnaires de février, et accomplit le voyage en Orient avec son
ami Maxime Du Camp de 1849 à 1851.
De retour à Croisset, il va dès lors consacrer sa vie à l'écriture. Dès sa
parution en 1857, Madame Bovary lui vaut un procès pour « immoralité », dont
il sort acquitté et célèbre. Si Salammbô (1862) est bien accueilli, L'Éducation
sentimentale (1869) est un échec, de même que la version définitive de La
Tentation de saint Antoine (1874). À cela s'ajoutent des difficultés de tous ordres
nouvelles crises nerveuses, mort de sa mère, gêne matérielle.
Bouvard et Pécuchet (commencé en 1874 et resté inachevé) reflète
l'amertume et le pessimisme des dernières années de Flaubert, que n'atténue pas
l'admiration que lui manifestent les jeunes écrivains naturalistes (en particulier
Maupassant). Il meurt d'une hémorragie cérébrale le 8 mai 1880.

2. L’ANALYSE DE L’ŒUVRE
Faubert se reconnaissait lui-même, sur le plan littéraire, un double visage :
d'un côté la tentation passionnée du romantisme*, de l'autre un souci acharné du
réalisme.
Ses premiers essais littéraires sont nettement romantiques : par leur forme
: contes et récits ; par leurs thèmes : le fantastique, l'exotisme et surtout la mort;
par l'écriture, souvent lyrique et exaltée. De façon récurrente, dans les trois

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versions de La Tentation de saint Antoine, Flaubert laisse libre cours à son
imagination. Salammbô, plus qu'une reconstitution historique de la Carthage du
temps d'Hamilcar, est un grand récit épique, somptueux et violent, où le
romancier s'abandonne à son goût pour l'exotisme. Dans les Trois Contes, La
Légende de saint Julien l'Hospitalier et Hérodias évoquent des temps et des lieux
lointains. En outre, toute l'œuvre flaubertienne est parcourue par le
désenchantement, thème éminemment romantique.
Le second visage de Flaubert, c'est celui de l'écrivain réaliste, soucieux de
« fouiller] le vrai ». De fait, la thématique de ses romans – peinture de la vie de
province, de la société parisienne, du mariage, de l'argent, de l'apprentissage de
la vie, de l'amour –, on exigence d'objectivité et de fidélité au réel situent Flaubert
dans la lignée des écrivains réalistes, de Balzac en particulier.
Pour ne rien laisser au hasard, il passe des heures à rechercher et à
dépouiller une énorme documentation : « La littérature prendra de plus en plus
les allures de la science, elle sera surtout exposante », écrit-il dans une lettre à
Louise Collet. La description devient proliférante et se substitue aux éléments
proprement romanesques, à l'intrigue.
Cependant, plus encore que ne le fait la narration réaliste traditionnelle,
c'est son imagination et son émotion que l'auteur de Madame Bovary tient à
distance : le romancier devient un observateur impassible, détaché de l'univers
qu'il peint. Car ce qui importe pour Flaubert est moins la représentation de cet
univers que le regard ironique qu'il porte sur lui.
L'ironie, qui permet au romancier de se détacher de l'univers qu'il crée, est
liée au pessimisme fondamental de Flaubert. L'échec est le thème central de tous
ses romans. Si, dans Madame Bovary, malgré le ridicule de ses rêves
romantiques, l'héroïne conserve quelque chose de pathétique (« l'ironie n'enlève
rien au pathétique; elle l'outre, au contraire »), il n'en va plus de même dans les
deux romans suivants. Dans L'Éducation sentimentale, l'échec s'inscrit dans le
déroulement de la vie elle-même et, au terme du roman, Frédéric et Deslauriers
ne peuvent que constater la faillite de leurs rêves d'amour ou de réussite.
L'Éducation sentimentale, dont une première version avait été rédigée par
Flaubert en 1845, est d'abord un roman d'apprentissage qui s'inspire de la vie de
l'auteur : en effet, l'amour de Frédéric Moreau pour Mme Arnoux évoque la
passion éprouvée par Flaubert pour Élisa Schlésinger - passion mise en scène
également dans un court texte de jeunesse de l'écrivain, Mémoires d'un fou
(1838). L'Éducation sentimentale est ensuite un roman historique puisque

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l'Histoire (fin de la monarchie de Juillet, révolution de 1848, Second Empire) est
étroitement mêlée au récit.
L'Éducation sentimentale, ou « Histoire d'un jeune homme », est, comme
ses titre et sous-titre l'indiquent, un roman d'apprentissage et le récit d'une quête
amoureuse, nous présentant l'itinéraire du héros de l'adolescence à la maturité.
Autour de lui, les femmes offrent des visages et des possibilités de relations
différents : l'idéal inaccessible (Mme Arnoux), la riche mondaine (Mme
Dambreuse), la femme entretenue (Rosanette), la fille libérée (Louise Roque). Si
Frédéric connaît des succès amoureux (avec Rosanette et Mme Dambreuse), la
seule conquête qui lui importe vraiment celle de Mme Arnoux pour qui il éprouve
un amour véritable s'avérera impossible. De plus, en rompant avec Mme
Dambreuse, il renonce à la réussite sociale. Car Frédéric est davantage un
antihéros qu'un héros : essentiellement immobile et passif, spectateur plus
qu'acteur de sa vie, il se définit par des ambitions - politiques, littéraires – jamais
abouties et reste, selon Thibaudet, « l'homme qui rêve sa vie ».
Cependant, le roman a aussi une dimension sociale et politique.
L'Éducation sentimentale souligne souvent avec ironie le règne matérialiste d'une
bourgeoisie qui signe le déclin des valeurs intellectuelles et n'offre à la jeunesse
aucune perspective. À l'échec de Frédéric fait écho celui des espoirs
révolutionnaires de 1848. En cela, le roman est bien, comme le voulait Flaubert,
« le portrait moral d'une génération ».
Le réalisme flaubertien est sensible dans l'évocation des journées
révolutionnaires, où le romancier a utilisé ses propres souvenirs. Mais, de façon
générale, il se met à distance de son objet, en particulier par l'ironie : il confond
narrateur et personnage par le style indirect libre, élabore des descriptions dans
lesquelles le foisonnement du détail rend compte de la médiocrité et de l'inanité
du monde, met volontiers des clichés dans la bouche de ses personnages. Ainsi
s'élabore une vision grinçante et fondamentalement pessimiste de l'homme et du
monde.
Madame Bovary donne expression de la vie elle-même, à la fois dans sa
complexité et dans son détail précis. On a remarqué que Balzac commence par la
description du décor, des lieux ou devront se mouvoir les personnages, des
habitations où ils devront vivre, puis aborde les personnages eux-mêmes, les peint
au repos, habits, corps, visage, physionomie, puis enfin leur donne la parole et les
fait agir. Cela veut dire que si Balzac a le regard perçant il n’a pas le large coup
d’œil ou tout entre à la fois, ou bien qu’il n’a pas le don de peindre tout à
la fois sans que la clarté en souffre. Ce don, Flaubert l’avait. La description des

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choses se mêle, tout de suite et sans confusion, à celle des personnes,
et les personnages agissent dès qu’ils paraissent, et leurs entours se présentent à
nos yeux en même temps qu’ils s’y présentent eux-mêmes. Dès la première
entrevue de Bovary et d’Emma, la ferme, Emma, le Père Rouault, tout se lève
devant nos yeux en une seule page. Quand Flaubert nous mène à Rouen avec
Emma, il ne commence pas par nous décrire Rouen par le menu. Nous habiterons
Rouen avec Emma et Léon et nous le verrons successivement, comme ils le
voient, autour d’eux, se levant autour de nous comme autour d’eux, et mêlé à la
vue que nous aurons d’eux comme il se mêle à leur vie.
Mais à l’ordinaire le personnage et ses entours sont peints d’ensemble et
forment ensemble, comme dans la réalité nous voyons le personnage, et à cause
de lui, et par rapport à lui, les objets qui l’entourent ou le paysage sur lequel il se
détache. Quant aux personnages, ils sont la vérité même, la réalité même, la vie
même. Silhouettes ou grands portraits, tous sont aussi parfaits, tous sont animés
de la même vie minutieuse, sans que leurs grandes lignes en soient un instant
altérées. C’est proprement une création. Binet, Rodolphe, Léon, le père Rouault,
Lheureux, l’abbé Bournisien, Homais, Bovary, Emma, notez qu’ils sont dix, sont
aussi vivants les uns que les autres. Ils sont dix et tous vulgaires, tous médiocres
et qu’ils sont merveilleusement distincts et restent tous dans la mémoire avec une
physionomie propre, admirablement personnelle. Ils ne sont pas des types. Ils ne
sont pas des résumés humains ; ce sont des personnes réelles assez puissamment
vivantes.
La volonté du romancier de faire passer l'anecdotique au second plan
s'accompagne d'un travail sur le style d'autant plus fouillé que les sujets abordés
n'ont pas de beauté intrinsèque. Pour Flaubert, la mission de l'artiste est de créer
du beau, conception voisine de celle du Parnasse en témoignent les remaniements
constants de ses manuscrits. Le souci de la forme se traduit par un travail portant
notamment sur la propriété des termes, les sonorités, le rythme de la phrase
déclamée dans les séances de « gueuloir » racontées par Maupassant (« Il écoutait
le rythme de sa prose, s'arrêtant pour saisir une sonorité fuyante, combinant les
tons, éloignant les assonances, disposant les virgules avec conscience, comme les
haltes d'un long chemin »). Le travail de Flaubert porte aussi sur la structure du
récit, particulièrement sur les transitions entre description et narration, pour
donner une unité à l'œuvre. Dans la même perspective, le style indirect libre,
l'usage des temps verbaux et les variations de point de vue permettent des
glissements discrets entre narrateur et personnage, et entre les personnages eux-
mêmes.

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