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Armand Colin

LE PERSONNAGE DE BANDE DESSINÉE ET SES LANGAGES


Author(s): Pierre Fresnault-Deruelle
Source: Langue Française, No. 28, textes et discours non littéraires (décembre 1975), pp. 101-111
Published by: Armand Colin
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41557733
Accessed: 03-11-2015 10:22 UTC

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Pierre Fresnault-Deruelle, HIT de Tours.

LE PERSONNAGE DE BANDE DESSINÉE


ET SES LANGAGES

La bande dessinée (BD) fait partie d'un ensemble qu'on pourrait


appeler « Arts narratifs». Comme telle, elle est le lieu d'une mise en
abyme du procès de la communication,si tant est que l'on s'accorde à
voir dans les comics (qui sont aussi des messages du cartoonistau
lecteur) les faits et gestes de personnages subordonnés à l'échange
verbal et/ou gestuel. C'est l'aspect linguistiqueou para-linguistiquede
cette communication« abymée » qui nous retiendra ici. Mais tout
d'abord, peut-être,quelques généralités.
L'infusiondu verbal au domaine iconique, ou si l'on préfèrel'inté-
grationpar les lecteursde deux systèmessémiotiquesrelevantrespecti-
vementde l'espace et du temps(pratiquemaintenantstabiliséepar quatre-
vingtsannées de productionquasi industrielle)a permisque les person-
nages de comics soient parfois conçus autrementque comme de vul-
gaires « porte-paroles». Certes,c'est la figure(le héros) qui d'abord est
donnée, les paroles ne venant qu'ensuite; reste que c'est le ballon qui,
pareil à l'étiquetteattachée aux espèces végétalesdans les jardins bota-
niques, donne réellementson assietteà la figurequ'il désigne,la faisant
accéder à la dignitéactancielle. Autrementdit, plus qu'un attribut,le
ballon - ce sac à mots - joue un rôle comparable à celui d'une
désinence par rapportà un radical. De fait, saisis ensemble figureset
ballons formentune unitéoriginale: le ballon comme frappéd'un indice
de corporeïté' le personnage,symétriquement, enserré du même trait
le
que phylactère. Actualisé la
par parole - à moins que son silence ne
soit fonctionnel- le personnage n'existe qu'en tant que personnage
proférant(d'aucuns diraientqu'il appartientà la catégoriede la loquence
et qu'il manifestela locution2).
La façon de traiterle message verbal est un point à considérer

1. Cf.la série« Le Sergent


Laterreur 1967-1974.
Pilotepourla période
», journal
2. La catégoriede la loquence « Essaide Typologie
(cf.M. Maillard, dessubstituts
», Languefrançaise
diaphoriques , n° 21, 1974).
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pour qui veutmettreun peu d'ordredans la production« stripologique».
Ce message est soit purementd'ordre instrumental, orientési l'on veut
vers la distillationd'un savoir qui se constitue(ou feintde se constituer)
au furet à mesureque le scénariose déroule3, soit plutôtcentrésur lui-
même,poétiquementpourrait-ondire : c'est le cas des BD comiques.Ces
dernièresse serventen effetdu verbe comme d'un constituantà part
entière(mais qui ne tiendraittoutefoisson statutque par rapportaux
dessins des vignettes).Reprenant la distinctionopérée par Benveniste
nous dirons que les BD classiques (récits d'aventures) supportentdes
histoirestandis que les comic-stripsnous livrentdes discours.
Avatar du dessin humoristiqueces comic-stripsfonctionnenten
référenceà une visée de type conclusif(ou constatif).Pour les plus
verbales d'entreelles ces bandes mettenten œuvre une distribution tout
à faitparticulièredu discoursdu ou des protagoniste(s).Prenonsl'exem-
ple d'une « chute » prévue : partantde l'idée d'un final (dernièreimage
d'une séquence) où le gag culminesur une sentence,le cartoonistdoit
« remonter» versune situationinitialepour ancrerson récit.En agissant
de la sorte le dessinateur-scénariste calcule les possibles iconiques qu'il
va devoir faire supporterà son texte. Celui-ci tronqué en un, trois ou
quatre segmentsréalise ce qu'on pourraitappeler une dramatisationde
l'énonciation. Ces mini-énoncés contenus dans les ballons (et qui
doivent,en Amérique,ne pas dépasser le nombrede trent-sixmots) sont
bien souventréalisés pour la façon dont ils perdurent.Le déroulement
du discours déterminépar les servitudessyntaxiqueslaisse une part
d'imprévisibilité(c'est là que s'exercela « compétence» du cartoonist)sur
laquelle le conteur table pour construireson gag. Ce pourra être par
exemple (illustrationn° 1) une expressionde caractère restrictif corri-

(Charliemensuel)
© Graph-Lit
géant brutalementune premièreassertion,ce qui aura pour effetde pro-
duireun retournement d'autantplus inattenduque l'axe syntaxiqueautour
de quoi pivotera l'argumentpermettraun raccourci phrastique aussi
sobre qu'achevé4. D'une manière générale le passage d'une vignette
à l'autre manifestantla prolongationd'une parole « réticente», nous
assistonsau perpétuelajustementdu discoursbloqué entreles exigences
3. Nousfaisons
abstraction de la vignette.
placésau-dessus
des récitatifs
4. Autre
effetde « retournement
», le brusque d'isotopie.
changement
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du vouloirdire et les nécessitésdu contexte: accumulationet procrasti-
nation.Contrairement à la parole décisoiredes hérosde BD dramatiques,
les personnagesdes séries humoristiquesn'existentque pour et par leur
propension à la modalisation. Se trouve ainsi vérifiée, s'il en était
besoin,l'assertionselon laquelle la rhétoriquedes comic-stripsrepose sur
cette techniquequi consiste à savoir combinerdécoupage syntaxiqueet
iconique.
La distributiondu discours peut également se faire à l'intérieur
même de la vignette.Il n'est pas rare en effetde voir toute une série
de ballons se relayerpour étayer le passage d'un parole réduite alors
à n'êtreplus que la mise en scène d'un procès de coordination5 (illus-
trationn° 2).

© Jaco vitti(Charliemensuel)
Cette problématiquede la distributiondes sujets proférantsur
l'axe fléchéde la séquence iconique est à l'origined'un certainnombre
de réponses narrativesde la part des dessinateurset/ou des scéna-
ristes(dialoguistes).
Deux cas se présentent: a) le strip met en scène un héros qui
monologueou réfléchit ; b) le stripnous met en présencede deux ou plus
de deux personnages qui communiquentverbalement.Qu'il s'agisse
des ballons de typeclassique ou de ceux dont l'appendice revêtla forme
d'une chaîne de bulles nous avons dans l'un et l'autre cas un signe au
lecteur: les héros s'exprimentcomme s'ils avaient à nous communiquer
clairementleurs états d'âme, ce qui, en définitive,se produit explici-
tementdans ces nombreux« a parte » où l'auteur parachève son gag
sur un effetde connivence(image 4 du stripci-joint,illustrationn° 3).

« avecl'autorisation
d'OpéraMundi»

5. Voirà ce sujetl'économie
du discours
des FrèresDalton,in Les Aventures
de
LuckyLuke,Dupuiset Dargaudéd.
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Plus généralement(image 1 du strip) la réflexionà haute voix est une
conventionnécessaire qui rend le personnagetoujours compréhensible
alors que la vraisemblançevoudrait que la fonctiond'expression,non
nécessairement liée aux lois de la langue (linéaritédu signifiant,
syntaxe),
soit sujettepour le moins à plus*ď « idiolectalité». L'irréductibilité du
moi s'exprimantn'est traduitecorrectementen fin de compte que par
l'intercessionde la métaphore: en l'occurrencedes ballons rempliseux-
mêmes de symbolesiconiques (i.e. de signes non linéaires) : au sens
propre comme au sens figuré l'expression n'est pas linguistiquement
communicable.Paradoxe, le message est on ne peut plus clair (illus-
trationn° 4).

© U.P.I. (Charliemensuel)
quant aux paroles silencieusesdes personnages(illustrationn° 5) elles
sontplus à comprendrecommedes paroles « rentrées» (récitéesintérieu-
rementaprès avoir été formuléesexplicitementdans un ailleurs éludé)
que comme les émanationsou les phantasmesverbalisésd'une subjecti-
vité.
Proche de cettefaçon de fairepasser le message est la transcription
graphique de l'auto-dictée que s'imposent les personnages de Schulz
rédigeantune lettre(illustrationn° 6).

© (J.P.I.СCharliemensuel)
Le code graphologiquerestitué,l'espace de la vignetteau-dessusdu
héros en traind'écrirejoue un rôle comparable à celui remplien péda-
gogie audio-visuellepar le rétro-projecteur.
Apparaît en l'occurrencesur
le fondde la vignette(retournéeà son essentielleplatitude)l'image d'une
paroleprisonnièredu discoursrédactionnel(ici de typescolaire) s'essayant
à reproduirele naturelsupposé de la communicationorale.
Le soliloque proprement dit connaîtavec la BD une dimensionparti-

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culière. Rappelons tout d'abord que le soliloque manifested'une façon
générale(film,théâtre)l'espace d'une réciprocitéentreun moi locuteuret
un moi écouteurqui émettraitdes objectionsou des observations.Cette
division du sujet de l'énonciationtrouve dans les comics un support
particulièrementbien adapté : on sait que cette forme de narration
figurativea pour servitudele fait de transcrirespatialementles phéno-
mènes temporels,en l'occurrence le cartoonistest obligé de dessiner
dix fois le même personnagepour dix cases si l'argumentl'exige. Identi-
ques et pourtantdifférentes ces figuressont un peu les copies d'un même
qui se donneraitla réplique. Les intervallesentre les vignettesaidant
(hiatus) une sous-conversationest ainsi implicitementconçue par le
scénaristeet décodée tout aussi implicitementpar le lecteur à partir
des énoncés-symptômes (illustrationn° 7).

© U.P.I. (Charliemensuel)
L'émergencedes actes de paroles (mise en valeur par les zones de
silencesque sont les dessins sans paroles) constituela trace du chemine-
ment de la formulationverbale des personnages: au découpage d'une
diégèsediscontinuepar la forcedes choses se superposel'économied'une
structurelinguistiquede type parataxique dont l'ellipse (hiatus) est le
garant.
Le thèmedu double évoqué il y a un instant,forclosle plus souvent
pour des raisons de lisibilité(voir ci-après), constituedes points limites
en deçà duquel la BD détruitses proprescodes. Du pointde vue linguis-
tique la désagrégationdu principed'unicité(la faille du sujet dont parle
la psychanalyse)peut amener le cartoonistà produiredes monstresen
matièrepronominaleet syntaxique(« je suis je », etc.) : la multiplicité
des doubles dans l'exempleci-joint(illustrationn° 8) s'accompagned'une

avecl'autorisation
de DoverPublications,
NewYork
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phiralisationdes pronoms sujet et objet de la premièrepersonne du
singulierpuis du pluriel.La dimensionindicielle(référenceà la situation
dénonciation) de ces pronoms connaît ici une inflationqui permet
au scénaristede faire glisserces symbolesdu statutde signes-outilsau
rangde signes-objets: la réflexionde l'auteursur le code favoriseun jeu
métalinguistique proprementdélirant.
C'est bien entendudans le dialogue verbal de ses personnagesque
le cartoonist peut le mieux actualiser les possibles codiques de la
communicationreprésentée.
Un point, particulièrement,retiendratout d'abord notre attention.
Ainsi qu'on peut le remarquerle dialogue sous-tendune « topologie» en
miroir traduitede façon exemplaire par le face à face pour ce qui
regarde l'iconique et par la structurequestion (ou assertion)/réponse
(ou réaction)pour le linguistiqueet qui a prioris'accommode mal de la
linéaritédu systèmediégétique,cet autre espace mais espace de discours
celui-là. C'est ce qu'à un momentou un autre ressententles cartoonists
qui changentalors la naturede leursvignettes: les momentsqu'elles sont
censées représenterne sont de faitque des fragmentsd'espace contigus.

© U.P.I. (Charliemensuel)
Le chiasme (illustrationn° 9), produitpar l'appendice des ballons, ruine
pour quelques instantsla successionnarrative.
Non plus seulementdirigée en directiondu lecteur/spectateur la
parole du héros devientle supportd'un échange dont on pourraitdire
qu'il est d'abord celui de l'allocution.L'adresse à autrui,essentielledans
la plupartdes comics,se caractériseen effetpar la mise en scène d'une
forceillocutoire6tout à fait exemplaire.Jamais en repos (et pour cause
puisque les peuples heureux n'ont pas d'histoire(s))les personnagesde
BD passent leur temps à affirmer,promettre,interdire,etc. Voyez
Astérixou le Haddock d'Hergé. C'est bien évidemmentdans les moments
paroxystiques(et la BD en est riche, puisqu'il ne s'agit généralement
que de momentsqui « comptent»), autrementdit, lorsque le héros
profère,que cetteforceillocutoireest particulièrement visible. Ici encore
les séries humoristiques(c'est-à-direcelles qui n'hésitentpas à afficher
leurs codes et même à y prendregoût) sont pour nous les plus perti-
nentes.

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© Jacovitti
(Charliemensuel)

Dans ce fragment(illustrationn° 10) d'une série d'un dessinateur


italien(Jacovitti)cette forceillocutoireest appréhendéeà partir:
a) d'un code graphémique.La grosseuret la taille des lettresdéno-
tentune variationdu volume sonore supposémentperçu ;
b) d'un code physiognomique(couplé au code précédent): l'into-
nation signifiéeest ici parfaitement « reconstruite» ;
c) de l'organisationspatiale des reparties: la structuredialogique
très serrée dans la premièrevignettesignifiequ'un laps de temps très
court sépare les questions des réponses.
L'illocutionelle-mêmeest saisie à partir: - a) d'un modalisant:
l'interjection« Eh minute» ; - b) de la présenced'un performatif qui
réalise l'action qu'il signifie(demander).Il est ici au passé composé mais
équivaut grâce à la répétitionà une actualisation(je demande).
L'environnement iconique du ballon qui permetà l'auteur de faire
l'économie de performatifs explicites7, d'adverbes ou de locutions,etc.,
nuançant d'autre partla valeur de telle ou telle phraseou encore assurant
la métaphorisationdes conditionsd'énonciation(rythme,ton, etc.) cet
environnement donc, véritableprétexteau texte proprementdit du bal-
lon, est l'instance même à partirde laquelle le discours existe en tant
qu'illocutionet perlocution8. Il semble que nous tenionslà un traitperti-
nentdu génie des comic-strips.
L'imagerie et l'imaginairecoïncidantde nouveau dans les comics,
images et textesconnaissentdepuis quelque tempsde nouveaux rapports.
La pragmatiqueen l'occurrencepeut faire l'objet d'un gauchissement
symptomatique: la repartiepour la repartie,phénomènecomparable à
cet exercicedes indiensMerinasdontparle Benveniste®,semblese déclen-
cher à partirdu momentoù quittantle principede réalité le discours
tend à se développerde façon autonomeselon une dialectiqueproche du
6. Concept dontAustin (Quanddirec'estfaire, Le Seuil,1970)donnela définition
suivante : « Caractèredonnéà un acted'illocution en vertuduquelcetacte(qui com-
portedéjà une« signification ») doitêtrecompris en ce moment de tellefaçonbien
déterminée (comme un conseilde partir, au lieud'unordrede partir) (...).
7. Cf. Austin, op. cit. : exemple : « Je te demande de fermer la porte» pour
« ferme la porte».
8. Cf.Austin, op. cit.: Perlocution : unactequi,en plusde fairetoutce qu'ilfait
en tantqu'ilestaussiunelocution produit quelquechose« par le fait» de dire(...).
9. Cf.l'articlede Benveniste, , Larousse.
in le n° 17 de la revueLangages
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« non-sens». Répondre à l'autre pour la seule raison que le premier
locuteur ne saurait avoir le derniermot est un des ressortsde cette
sorte de dérapage logique. En cela nombrede comic-stripsne sont que
l'incarnationde cet autre genre ludique qu'on appelle l'histoiredrôle10.
Ce monde fou proche de l'universd'un Ionesco (cf. La leçon) peut
égalementfonctionner selon un autre principepar ailleurs spécifiqueau
domaine iconique (BD, dessins animés, publicité graphique visuelle) :
l'être des personnages de BD et leurs discours ne se manifestent
qu'en tant qu'ils sont la traductiongraphique de syntagmesverbaux
en quelque sorte réifiés une expression comme « se noyer
dans un verred'eau » prise au pied de la lettreest représentable(c'est
déjà une image) ; de même tout signifiélinguistiquedessiné (anthropo-
morphisé)peut-ildevenirun personnageet tenirun discours« conforme».
Dans l'image ci-jointe(Mandryka, « Le Concombre masqué », Pilote,
n° 688, illustrationn° 11) la figure de rhétoriquequ'on appelle la
paronomase (exemple : qui s'excuse s'accuse ; ici la borne pour le

© Le concombre éditeur
masquépar Mandryka-Dargaud

borgne) construiteelle-même à partir de la locution « dépasser les


bornes », le tout formantune condensation(« dépasser les borGnes »)
permetà la fois de créerun universparallèle à la langue (le « discours»
iconique) puis de filerautant qu'il est possible la métaphore".
D'un point de vue strictement communicationnell'échange verbal
apparemment viable masque parfois une impossibilitéd'ordre interlo-
cutoire.Dans une étude parue dans le Français dans le monde (n° 57),
J. Peytardétudie la situationdu locuteur-auditeur par rapportà celle du
scripteur-lecteur. Dans le cas présentil est des exemplesoù la représen-
lo. Violette
Morin,« L'Histoire
drôle», Communications n° 8. Voirà ce sujet
la sérieВС qui paraîtdansCharlieMensuel.
11.Voirautreexemple que nousavonsdevantles yeuxau moment où nousrédi-
geons: Un destinde Coleman Cohen(AlbumpubliéchezDargaud)où l'on voitun
bateaupasserdansle regard d'unpersonnage
qui déclare: « J'aitoujours
eu du vague
à l'âme.»

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tation graphiquedu locuteur-auditeurtend à nous faire oublier que le
contenudes bulles et leurs rapportssyntagmatiquessont avant tout des
messages littérairesqui fonctionnententre un scripteur(l'auteur) et
le lecteur (nous). En conséquence des phénomènesd'ordre référentiel
commele tempsde l'émissionou celui de la réponse (Peytard),essentiel-
les dans l'économie réelle de l'énonciationsont neutraliséspar le fait
même de l'usage du code écrit. L'à-propos des répliques comme la
compétencestylistiquedes déclarationsd'un Achille Talon (Greg) n'ont
d'égal que le jeu récité des acteurs de théâtre qui simulentl'aspect
fluentdu langage verbal standard.Sous les oripeaux de l'oral se profile
un discoursindicible(sinon injouable), beaucoup plus écritque le dessin
(mimant certains traits situationnelsvraisemblables) ne le laisserait
supposer (illustrationn° 12).

@ AchilleTalonpersisteet signeparGreg-Dargaudéditeur
A preuve (et notre exemple s'appliquera cette fois aux séries réa-
listes)ces différences de niveau de langue relevantsoit de l'écrit(littéraire
ou non), soit de l'oral (avec ses registres)et qui formentun tout gra-
phique reçu comme homogènepour la raison que la lecturevise en tout
-
premierlieu un contenu notionnel,où les informants au sens de
Barthes - sont chargés d'ancrer des connotations véristes. L'effet de
réel aidant,nous naturalisonsles conventionsd'écriture.
Considéronsl'extraitde Blueberry(illustrationn° 13) ci-joint(nous
feronsabstractiondes syntagmes« bandes de chacals » et « Chinhuahua
Pearl »).

- Dargaudéditeur
Pearlpar Giraudet Charher
© Chihuaha
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Cette vignette contient des ballons supposément émis par des
personnes peu cultivées. Or un niveau de langue homogène et vrai-
semblableauraitpu être réalisé par les expressions« dans les sales pat-
tes » et « capable de se débrouiller» en lieu et place de « entre
les sales pattes» et « de taille à se débrouiller», plus recherchées.
Cette correctiondes propos en regard de laquelle les locutionsun
tant soit peu laxistes apparaissentcomme les signes affectésde l'ora-
lité12,se trouve égalementdéterminéepar le fait que les personnages
sont très souvent amenés à s'expliquer ou à raconter (toujours le
message au lecteur) : souventnarrativela parole des protagonistesdoit
beaucoup au modèle linguistiquede l'exposé et/ou de la présentation,
i.e. d'une instancede discoursnée d'un besoin de rigueuret de forma-
lisation.En d'autrestermesces héros de BD réalistessont troppolis pour
être crédibles.Même lorsqu'elles sont directementrédigées en français
certainesbulles semblentrésulterd'une mauvaise adaptation.
La ligne de recherchede notre article (interférencedes langages
de BD sur le statut des personnagesde papier) pourraittrouverune
conclusion dans ce qui suit : la référenceà la parole (ou plutôt à la
langue puisqu'il s'agit de syntagmesfigés) est également l'argument
de cet avatarde la BD que le journalLe Monde produisitdepuis quelque
temps: Silon Yaqua et Pitucé (Konk et Béart).
Trois personnages(illustrations n° 14) dontles noms rappellentplus
ou moins fidèlementmais très clairementla transcription phonétiqueen
françaispopulaire des débuts de propositions« Si l'on... Il n'y a qu'à...
et puis tu sais... » devisentde tellefaçon que l'on comprendtrèsvite qu'ils
ne parlent pas la langue mais qu'au contrairec'est la langue qui les
parle :

© GuyBéart
Le langage peut « informer» une séquence narrative,et les actants
personnaliserla logique des contraintesdiscursives.
12.Ne pas oublierque la plupartdes BD en Francetombent sousla juridiction
des publications à la jeunesse
destinées : comme tellesles BD sontsoumisesà un code
qui n'estpas sansinfluencer
la façonde s'exprimer
des personnages.

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BIBLIOGRAPHIE *

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Hamon(Ph.),« Pourun statut sémiologiquedu personnage », Littérature
n° 6.
Haltéet Petitjean,« Le codeoral; approche de sa théorieà partirde la retransmission
d'un matchde football », revuePratique, n° 1/2 (2Wl,rue des Bénédictins,
57000Metz).
Peytard(J.),« La gramaire du françaisparlé», Le français dansle monde, n° 57.
Pourunetypologie desmessages oraux.
2) Linguistiqueou sémiologie (surl'image ou la BD).
Benayoun, Le ballondansla BD, Balland,1968.
Convard et Saint-Michel Le français dansla BD (classesde 6e,5e),Nathan, 1972.
Fresnault-Deruelle(P.), « Le verbaldansla BD », Communications, n° 15.
- « Auxfrontières de la langue: les onomatopées dansla BD », Les cahiersde
1971.1.
- lexicologie,
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ou se servir de la BD », Lecture des texteset enseignement du français
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- (Gueunier), Hachette,
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