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Laurent Danon-Boileau

Présentation générale
In: Faits de langues n°1, Mars 1993 pp. 5-8.

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Danon-Boileau Laurent. Présentation générale. In: Faits de langues n°1, Mars 1993 pp. 5-8.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/flang_1244-5460_1993_num_1_1_1028
Présentation générale

LAURENT DANON-BOILEAU*

Est-il vrai que certaines formes du langage doivent être rapportées à un


fondement naturel ? Comme on sait, le débat ne date pas d'hier, et l'on
trouvera ci-après quelques articles concis (dont celui de Pierre Swiggers)
pour en rappeler les contours.
Mais fondement peut s'entendre de diverses façons. D'où la nécessité
d'inscrire iconicitè et motivation au titre du présent numéro. Si l'un et l'autre
se retrouvent sous la plume du linguiste sitôt qu'il en rabat un peu sur l'ar
bitraire du signe (la modernité lui faisant obligation d'y joindre « cogni
tion»), iconicitè ne doit pas cependant faire office de synonyme raffiné pour
motivation. Il y a entre les deux une différence de domaine et d'effet. Diffé
rence de domaine : le rapport iconique intéresse le lien du signifiant au réfè
rent (dans l'onomatopée par exemple), le rapport de motivation celui du s
ignifiant au mécanisme qui l'engendre. Qu'il ne soit aucun mot sans voyelle
est motivé par la nature de l'appareil phonatoire mais n'est pas iconique.
Difference d'effet aussi : l'iconicité soutient l'intention signifiante (« coco
rico» se trouve plus parlant d'être un mime), au contraire de la motivation
qui imprime dans le signe la marque du système sans en renforcer le pouv
oir. Bien entendu, la frontière est poreuse : comme Ivan Fónagy le montre,

* Paris Ш - Sorbonně nouvelle, Centre Alfred-Binet.


Faits de langues, 1/1993
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la colère motive l'emploi de certains phonèmes tendus. Mais dans le dis


cours irrité l'émergence de ces phonèmes n'est pas seulement motivée, elle
est iconique aussi de cette colère qu'elle manifeste et qu'elle exprime.
D'ailleurs, faut-il dire qu'elle « exprime » ou qu'elle « simule » ? Ici res-
surgissent les questions inhérentes à toute analyse de la représentation :
qu'est-ce au juste que le signe retient de la chose ? Est-il copie trompeuse ou
métaphore de l'essence ? On trouvera dans l'article que Suzanne Saïd
consacre à l'histoire des termes d'icône et d'idole certaines des interroga
tions auxquelles tente de répondre la hiérarchie établie par Pierce entre
image, diagramme et métaphore. Comme l'on sait, la trilogie est subtile.
Pour le linguiste, elle peut toutefois s'esquisser par l'exemple : pour l'icône-
image on songe à l'onomatopée, pour l'icône-diagramme à l'ordre des mots
— quand la succession des mots épouse la succession des événements
(quand veni vidi vici ne peut pas être vici veni vidí) ; pour l'icône-métaphore
enfin on pense au lien qui unit les sens divers d'un même mot, faisant que le
premier serve de signifiant au second. Il y a icône-métaphore quand le sens
spatial de « là-dessus » dans « Pose ce vase là-dessus » est tenu pour signi
fiant de la valeur temporelle que prendra l'expression dans « Là-dessus, il
arriva ».
Comme toute hiérarchie, celle de Pierce repose sur des partis pris. Ap
pliquée au langage, elle invite à poser un mouvement du concret vers l'abs
trait, ce qui bien entendu suppose en amont cet autre préjugé que certaines
formes langagières puissent être rapportées à un fondement naturel et se r
etrouvent alors avec la même valeur dans des langues non apparentées.
Que disent à ces divers égards les faits ? Si l'on s'en tient d'abord à
l'icône-image, on verra notamment dans l'article d'Ivan Fónagy que la
question ne saurait seulement être tranchée par l'analyse de l'onomatopée
et qu'en dehors d'une analogie entre signifiant et réfèrent il convient aussi
de prendre en compte le lien qu'établit l'idéophone entre le geste phonat
oireet l'objet désigné : que le r dit roulé soit, comme il est rappelé dans
Cratyle, commun aux racines d'objets qui roulent (chars, roues et autres),
ce n'est ni un hasard ni une preuve, mais sans doute l'effet de ce que l'ar
bitraire, loin de s'opposer à l'iconicité, en constitue un préalable nécess
aire. Il en va ainsi de la ligne sinueuse qui signale un virage sur un pan
neau routier : elle est iconique certes, mais n'est telle que rapportée au
cadre arbitraire du code. Ce point, comme je l'ai rappelé, n'avait d'ail
leurs pas échappé à Pierce. Et même dans un registre apparemment aussi
naturel que celui de l'intonation, Jennifer Rouskov-Low montre nettement
que ce qui est rendu sensible peut être un fonctionnement aussi abstrait
que l'enchaînement des opérations énonciatives responsables de la consti
tution d'un énoncé.
Laurent Danon-Boileau

Intermédiaire entre l'image et le diagramme, la question de la répétition


du signifiant et de sa valeur se retrouve également chez plusieurs auteurs.
C'est à son propos que Marie-Claude Paris et Alain Peyraube peuvent r
emettre en cause le « nouveau dogme » qui voudrait que la syntaxe du chi
nois, dans sa perfection exotique, ait surpris la vérité des choses. Mais la
hâte à conclure ne saurait avoir raison des faits. Bien entendu, le gros du
débat sur l'iconicité diagrammatique du langage a trait à l'ordre des mots.
Et l'on verra, tant dans l'article de Bernard Pottier que dans celui de Pierre
Cotte et d'Akira Terada (outre qu'il convient de distinguer entre l'ordre in
terne au syntagme et celui de l'ensemble de l'énoncé), que la question de la
nature de l'ordre révélé par les mots n'a rien de simple. Shun-chiu Yau pour
sa part pose en principe l'existence d'une dualité. On aurait pourtant tort
de conclure de la pluralité à une négation de l'iconicité : ici comme ailleurs
l'effet du langage peut justement résider dans l'articulation des dimensions
antagonistes.
L'iconicité métaphorique trouve son terrain de prédilection dans ce
que l'on a parfois nommé, après Guillaume, la « dématérialisation », et
que l'on peut en somme rassembler ainsi : étant donné tous les sens d'un
terme, on doit penser que leur apparition se fait par ordre d'abstraction
croissante. La question se pose, comme le montre Geneviève Girard, pour
la construction de la valeur d'opérateurs tels que faire ou do. Elle revient
avec une particulière acuité pour les prépositions : dérivent-elles de cas
abstraits ou de valeurs spatiales concrètes ? On verra en lisant les articles
de Marie-Line Groussier et d'André Rousseau que les arguments méritent
d'être examinés de près. Paradoxe toutefois : alors que l'on voudrait pen
ser que l'espace imprime en quelque manière son ordre au discours, Jac
ques Jayez montre que la description de l'espace routier (un croisement,
un rond-point) ne peut être assez exacte pour que l'emploi des termes y
soit pleinement... motivé. A d'autres égards, c'est encore le sentiment que
l'on peut retirer de la contribution de Claude Vandeloise.
Au-delà de la théorie localiste, la question de la spatialité ouvre sur le
débat de la cognition. On ne s'aventurera pas à définir le terme, mais on
dira pour fixer temporairement les idées qu'il vise l'ensemble des procédures
qui permettent la gestion et la cohérence locale des informations recueillies
par la perception et l'action. Dans quelle mesure la logique du langage est-
elle tributaire des principes abstraits qui régissent ces procédures ? On lira
à cet égard les articles de Georges Kleiber et de Jean-Pierre Desclés, dont le
souci commun est d'accueillir la réflexion cognitiviste sans tomber pour au
tant dans un naturalisme naïf. Les recoupements avec certaines des propos
itions logico-linguistiques de la théorie de Thom sont saisissants, et peu
vent se suivre jusque dans le travail de Christian Cuxac sur l'iconicité de la
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langue des signes, laquelle, comme le montre l'auteur, n'est ni monolithe ni


constante.
Mais toute proposition qui vise à rapporter le sens à un fondement na
turel invite à revenir sur la dichotomie établie entre lexique et syntaxe. Ici
l'article de Jacqueline Picoche et Marie-Luce Honeste montre le profit que
l'on peut tirer de la notion d'iconicité dans le traitement du lien entre les
sens d'un même terme, à condition toutefois que ce recours n'implique pas
immédiatement une présomption d'antécédence pour le sens le plus
« concret ».
Mais l'analyse du lexique exige encore un pas : il n'est pas certain en
effet que la structure phonétique ni la structure accentuelle du signifiant soit
libre en tout point d'une incidence du signifié. C'est alors pour partie la
question de l'onomatopée qui fait retour, mais à un autre niveau, car ce qui
ici construit la motivation n'est nullement la chose, mais la représentation
que le locuteur s'en donne. C'est du moins ce qu'invitent à penser par des
chemins divers les articles de Jean-Michel Fournier, Jean-Louis Duchet,
Jacques Poitou, Jean-François Sableyrolles et Linda Waugh.
Ainsi, il se pourrait que l'iconicité, détournement de la motivation au
profit de l'effet signifiant, soit le miroir non de la chose mais du regard sur
la chose. En quoi elle devient indice du sujet.

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