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M.

Christian Cuxac

Iconicité des Langues des Signes


In: Faits de langues n°1, Mars 1993 pp. 47-56.

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Cuxac Christian. Iconicité des Langues des Signes. In: Faits de langues n°1, Mars 1993 pp. 47-56.

doi : 10.3406/flang.1993.1034

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/flang_1244-5460_1993_num_1_1_1034
Iconicité des Langues des Signes

CHRISTIAN CUXAC*

1 | POSITION DU PROBLÈME

Définir a priori l'iconicité par le lien de ressemblance entre les signes li


nguistiques et des referents ou plutôt de la référence, c'est prendre le risque
de faire retour à une epistemologie préstructurale où la langue se présente
comme un « sac de mots » visant à dire un univers précodé, fait de choses
déjà là. Rappelons que dans un contexte structural le réfèrent, terme exclu
de la réflexion saussurienne sur le signe, est ce qui vient après coup, appli
cation ou projection, plus ou moins réussie, dans l'univers extra-linguis
tique d'une organisation en système de signes. L'iconicité est alors une
question non pertinente, il suffit de voir la façon dont Saussure évacue le
cas des onomatopées.
Seulement, dans le cas des Langues des Signes pratiquées par les sourds,
le lien de ressemblance concerne la majorité des items lexicaux, et l'iconi
cité,placée de ce fait au rang de principe général de fonctionnement, rend
ces objets linguistiquement bien problématiques.
Toutefois, nous avons jugé bon de commencer notre réflexion par la
question « iconique par rapport à qui ? » plutôt que « par rapport à

• Université René-Descartes (Paris V), nos de Paris.


Faits de langues, 1/1993
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quoi ? », beaucoup plus délicate, et à laquelle nous tenterons de répondre


en clôture de notre propos. La voie choisie, en effet, met en avant le carac
tère linguistique de l'objet : on s'adresse toujours au moins à quelqu'un et il
n'y a pas d'iconicité en soi.
L'aspect le plus troublant des Langues des Signes réside dans le fait que
la pratique courante de l'une d'elles permet aux sourds d'avoir, avec qui en
pratique une quelconque autre, des échanges aisés et efficaces. Ayant été à
de multiples reprises le témoin fasciné par cette communication planétaire
sans barrières linguistiques, lors de rencontres internationales programmées
ou fortuites, nous ferons porter notre interrogation sur la nature formelle de
ce savoir linguistique partagé.

2 | CLASSEMENT DES STRUCTURES ICONIQUES

Bien qu'il soit toujours embarrassant de trancher dans le foisonnement


des registres et des situations de communication, il se dégage de nos obser
vations que les récits en Langue des Signes française (lsf) se composent
d'éléments spécifiques moins opaques, plus aisément décodables pour les
récepteurs du message, que ceux qui participent aux autres activités langag
ières.
Les sourds de communautés linguistiques différentes abandonnent le
lexique standard de leurs langues respectives lorsqu'ils communiquent entre
eux et ont recours à ces structures propres au registre narratif, communes à
toutes les langues des signes du monde. Cette première dichotomie, couplée
avec un critère se fondant sur l'utilisation de formes discrètes ou non dis
crètes nous a permis de distinguer entre trois ordres d'iconicité.

2.1. Iconicité de premier ordre

Elle se caractérise par l'utilisation d'éléments linguistiques non discrets


et donc non susceptibles d'être transcrits exhaustivement au moyen d'unités
de type « phonologique ». Ces éléments, que nous avons appelés « descrip
teurs », massivement présents dans les activités de récit, se substituent au
lexique standard et commutent de fait avec des unités nominales de ce
dernier.
— Descripteurs et spécifîcateurs. Les descripteurs consistent en une suc
cession d'éléments minimaux concaténés, les spécificateurs de taille ou de
forme : ceux-ci sont eux-mêmes composés simultanément d'une configura
tion de la main (ou des mains) indiquant une forme de base, d'un mouve-
Iconicitè des Langues des Signes A9

ment et d'une orientation de la main (ou des mains) signifiant le déploie


ment de cette forme dans l'espace, d'un emplacement qui peut être un en
droit du corps du locuteur, l'espace neutre situé devant lui, ou bien un signe
standard précédemment émis. Le mouvement s'inscrit dans le continu,
quant aux configurations, elles sont en inventaire limité, et ne sont pas su
jettes à des phénomènes de variation d'un locuteur à l'autre.
La présence des descripteurs dans une activité de récit correspond fr
équemment au niveau de leur traduction en français à des énoncés comme :
« c'est un.... » ou « c'est l'histoire d'un... » ou encore « ça se passe dans
(ou à) » s'ils sont en début de récit. Ils préludent à l'apparition de deux
types de structures fondamentales, les transferts, spécialisées dans la cons
truction d'une référence.
— Transferts situationnels. Le locuteur vise à reproduire iconiquement
dans l'espace situé devant lui des scènes en quelque sorte vues de loin et qui
figurent généralement un déplacement spatial d'un actant du procès de
l'énoncé par rapport à un locatif stable. La main dominée représente le lo
catif structurellement obligatoire mais fréquemment non pertinent, nous
semble-t-il, quant au contenu de la narration : ainsi, dans « un animé hu
main descend un escalier », la main dominée joue le rôle soit d'une porte,
soit d'un mur de la cage d'escalier. Très sommairement, leurs équivalents
français sont des énoncés à auxiliaire de prédication d'origine spatiale : « il
y a (un actant) qui... ». Quant à la main dominante, elle figure l'action ac
complie, (de déplacement, le plus souvent).
Les locatifs, seuls exemples de signes de la lsf à ne pas être inscrits
dans un mouvement, consistent en une simple configuration de la main
appelée « classificateur ». L'inventaire de ces configurations est fermé et
composé de formes discrètes. C'est un sous-ensemble des spécificateurs
vus précédemment. Mais, à l'inverse de ces derniers qui référaient à des
objets ou des individus particuliers à l'intérieur d'un type, les classifica-
teurs sont plutôt des super catégories d'objets hétérogènes regroupés selon
leur forme référentielle.
L'action effectuée par la main dominante est aussi un paradigme de
configurations discrètes et limitées1 ; toutefois, le mouvement qui représente
la nature du déplacement inscrit l'ensemble de la structure de transfert si-
tuationnel dans du continu.
— Transferts personnels. Ces structures reproduisent, en mettant enjeu
tout le corps du locuteur, une ou plusieurs actions effectuées ou subies par
un actant du procès de l'énoncé, humain ou animal le plus fréquemment. Le

1. Cf. Ch. Cuxac, Autour de la Langue des Signes, p. 45-49.


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narrateur « devient » pour ainsi dire la personne dont il parle. Pour caract
ériser ces structures, les sourds utilisent un signe de leur langue signifiant
approximativement « rôle » ou « prise de rôle ». On pourrait les traduire
par « (et) le voilà qui est en train de faire cela », puisque l'action n'est envi
sagée que dans le cours de son accomplissement.

2.2. Iconicitè de deuxième ordre

Elle affecte le vocabulaire standard. En ce qui concerne les nominaux,


elle est pour l'essentiel métonymique (la partie d'objet référentiellement la
plus saillante valant pour la totalité de l'objet). Les referents sont des types,
non des objets particuliers, à la différence des spécificateurs et descripteurs,
ni des ensembles d'objets fonctionnellement hétérogènes, à la différence des
classificateurs.
Concernant les verbes, l'iconicité est plutôt métaphorique, quoique cela
ne signifie pas grand-chose, étant donné que la métaphore porte souvent
sur des savoirs culturels déjà là par rapport à la forme du signe actualisée :
ainsi, la plupart des activités mentales, comme [penser], [savoir], [imagi
ner],[croire], etc., se localisent au niveau du crâne.

2.3. Iconicitè de troisième ordre

II s'agit d'une rubrique qui regroupe des éléments si disparates qu'il


conviendrait ultérieurement de procéder à un classement plus fin. Leur seul
point commun est qu'ils ne participent pas à une reproduction-simulation
de formes dans l'espace. En voici quelques exemples :
— les hypothèses mentales sont sous-tendues par un regard dirigé vers le
haut, légèrement vague et lointain, sans que des signes standards
comme [penser], [imaginer], [croire], [supposer] soient effectivement

— la
réalisés
permanence
; du point de vue du sujet de renonciation se manifeste
entre autres par des hochements de tête : « oui oui oui oui, etc. » ou
bien « non non non non, etc. » si le contenu du message est négatif ;
— le pluriel de certains signes (par exemple [personne]) s'effectue en répé
tant plusieurs fois le signe ;
— le temps de renonciation est fléché de l'arrière du locuteur (passé), vers
l'avant (futur) ; le temps de l'énoncé est non fléché et coupe perpendicu
lairement (de gauche à droite ou de droite à gauche) le temps de renonc

— iation
les degrés
; de proximité extra-linguistiques des rapports de possession,
caractérisés par l'aliénabilité de l'objet possédé s'échelonnent selon une
Iconicité des Langues des Signes 51

proximité structurelle linguistique concomitante entre possesseur et


possédé ;
un ordre canonique d'apparition des signes :
- localisant avant localisé,
- le fond avant la figure en cas de simultanéité d'actions ;
l'opposition verbo-nominale, dans le cas des signes mixtes, est marquée
par l'ampleur du mouvement (verbe), la répétition â deux reprises d'un
mouvement bref (nom) ;
de nombreuses relations syntaxiques sont indiquées au moyen de l'util
isation de signes sémantiquement « pleins » : [couper] (une action en i
nter ompt une autre), [fini] (marque de l'accompli), [toucher] (relation
d'expérience), [responsable] ou [faire] (marque agentive), [habitude]
(forme fréquentative) ;
les signes ayant obligatoirement une place assignée dans l'espace, celle-ci
peut être réutilisée pertinemment, comme mise en mémoire, sans que le
signe soit répété, par des pointages anaphoriques. Il faut encore mention
ner des pointages cataphoriques, des pointages sur le signe même (acti
vités métalinguistiques), des pointages locatifs ou actanciels anaphori
ques, la référence ayant été précédemment construite par la direction du
regard (qui de ce fait a valeur déictique) sur la portion d'espace pointée
ultérieurement. Pour la cohésion discursive, ces pointages, d'une très
grande fréquence (nous en avons recensé environ 1 200 pour un enregis
trement d'une heure), sont d'une importance extrême. Il faut tenir compte
en plus de pointages que nous avons qualifiés de « légers » (non-pertinisa-
tion d'une portion d'espace, absence de tension de l'index), qui apparais
sent soit brièvement avant le signe, soit en même temps que lui pour les s
ignes effectués avec une seule main (la main dominée réalisant le pointage),
et dont la valeur signifiée est fort proche du défini français.

3 | THÉORIES MORPHODYNAMIQUES DE L'ICONICITÉ

Reste à interpréter les faits qui précèdent en tentant de cadrer épistémo-


logiquement la notion d'iconicité qui, jusque-là, n'est rien de plus qu'un
simple constat.
Loin d'être un « faute de mieux » ou une donnée à caractère trivial des
langues des signes, nous pensons que l'iconicité a plutôt à voir avec un prin
cipe organisateur. En effet, la possibilité qu'offrent ces langues de s'inscrire
dans les trois dimensions de l'espace devrait, en toute logique mathémat
ique multiplier la diversité des structures. Or, il semble, au contraire, que
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l'on soit confronté à une homogénéisation des structures possibles. Rappel


ons brièvement ce que les Langues des Signes présentent en commun :
— Non seulement l'ensemble des phénomènes iconiques de premier
ordre (spécificateurs et descripteurs, structures de transferts) sont présents
dans toutes les Langues des Signes, mais les unités minimales du paradigme
des formes retenues par chaque communauté linguistique se ressemblent
beaucoup d'une Langue des Signes à l'autre. Nous avons employé au sujet
de l'utilisation de ces structures le terme de « principe d'anamorphose » qui
rend mieux compte de leur raison d'être que celui d'iconicité : genèse des
formes translatées dans un autre univers, et déploiement de ces formes dans
l'espace et dans le temps de cet univers.
— Les Langues des Signes ont encore en commun l'ordre structurel ca
nonique non marqué localisant-localisé, reflétant les contraintes perceptivo-
pratiques du déjà-là, du stable, du tout, du contenant, par rapport au nou
veau, au déplaçable, à la partie, au contenu. La notion complexe de densité
définie par R. Thom1 nous a paru être la plus appropriée pour rendre
compte de ce phénomène. En particulier, dans la Langue des Signes fran
çaise où les emprunts à la langue orale et écrite dominante sont peu nomb
reux, l'ordre des éléments dans l'énoncé va en général dans le sens d'une
densité décroissante. Aussi, l'iconicité, dans une langue quadri-dimension-
nelle comme la lsf, pourrait se caractériser, entre autres, par la neutralisa
tion de l'opposition établie par Thom entre structures facilitant l'émission
du message et structures facilitant sa réception.
— Outre les ressemblances formelles entre les graphes des morphologies
élémentaires inventoriées par R. Thom2, et les concepts qui, en Langue des
Signes, y correspondent (type « capturer », « émettre », « donner »,
« finir », « faillir », « sauter », « répéter »), on peut mentionner celles, mé
tonymiques, du lien entre les saillances perceptives du réfèrent et les signi
fiants gestuels. Même remarque encore au sujet du découpage paramétrique
des signes des unités verbales du lexique standard en : 1) mouvement (mor
phologie de l'action exercée) ; 2) configuration (reprise de la saillance for
melle de l'un des participants du procès : agent, patient ou instrumental) ;
3) orientation (rôles casuels assumés par les participants du procès de
renonciation ou de l'énoncé) ; 4) emplacement (coordonnées spatiales ini
tiales ou terminales d'un procès de déplacement).
Ces caractéristiques communes aux Langues des Signes, fondées pour la
plupart sur la genèse, le déploiement et/ou les ruptures de formes, s'accor
dent au mieux avec l'hypothèse d'un ancrage perceptif visuel des représen-

1. Cf. R. Thom, Modèles mathématiques de la morphogenèse, p. 243-259.


2. Cf. R. Thom, Stabilité structurelle et morphogenèse, p. 309-315.
Iconicité des Langues des Signes 53

tations linguistiques, postulé par ailleurs pour les langues orales1. D'autre
part, la spécialisation sémantique des paramètres de formation des signes
(emplacement configuration, orientation, mouvement) est à relier avec les
découvertes les plus récentes sur le fonctionnement du système visuel, révé
lant les Langues des Signes comme des objets d'investigation particulièr
ement féconds dans le cadre de la proto-linguistique appelée de ses vœux par
J. Petitot.

4 | ICONICITÉ ET ENUNCIATION

Débordant à présent le cadre d'une linguistique de la référence, nos ob


servations sur la lsf ainsi que des recoupements effectués à partir d'autres
Langues des Signes nous permettent de faire état d'une « hyperspécialisa-
tion » des composantes paramétriques utilisées par les locuteurs pour gérer
les marques de renonciation et les changements de registres langagiers.
— Hyper spécialisation des paramètres. Nous avons vu précédemment
que les éléments relevant de l'iconicité de premier ordre étaient spécialisés
dans la construction d'une référence. Mais ils peuvent aussi apparaître dans
d'autres cadres, et notamment, ce fut l'une de nos recherches lors d'activités
métalinguistiques ; nous demandions à des informateurs sourds de définir
des unités particulièrement iconiques, susceptibles d'être, selon le contexte,
soit des signes du lexique standard, soit des classificateurs : ainsi [avion] ou
« objet à saillances latérales en mouvement », [poisson] ou « objet plat, plus
long que haut, effectuant un mouvement sinueux en avançant ». En tant
que signes à définir, le regard de nos informateurs ne se portait pas sur eux.
Au contraire, lors de conduites de définition, s'il s'agissait de les contextua-
liser dans une opération référentielle, ces signes étaient du même coup
regardés par le signeur.
De même, nous avons pu observer que des signes standards, aux carac
téristiques formelles très iconiques (par métonymie), pouvaient devenir en
quelque sorte des « signes-choses » lorsque le regard de l'émetteur se posait
sur eux, dès le départ de leur réalisation. Appartiennent à cette catégorie
des signes comme [bateau] (forme de l'étrave du bateau), [arbr^ (forme du
tronc et des branches), [maison] (forme du toit en double pente), etc. Nous
avons parlé, à ce propos, de remotivation de ces signes, c'est-à-dire d'une

1. Sur le développement historique de cette hypothèse, de même que sur le fonctionnement du système
visuel, cf. J. Petitot, Langages, n° 103, p. 97-128.
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utilisation pertinente des ressources d'une iconicité non pertinente par ail
leurs, lors d'activités langagières non référentielles.
Ainsi, la partie pour le tout, qui est la caractéristique de la forme de ces
signes (métonymie iconique), redevient la partie d'un tout si le signe est r
egardé (l'avant du bateau...). Faut-il voir dans cette concentration potent
ielled'être soit la partie (l'avant du bateau), soit le tout (le bateau), soit le
tout et sa partie (le bateau et son avant : regard + pointage de la forme de
la main dominée par la main dominante) l'impossibilité d'utiliser ces signes
standards dans des constructions métaphoriques ? Sans doute, nous nous
en sommes déjà expliqué1.
Cette potentialité nous fait voir les unités de la lsf comme multipolaires,
comme le sont les mots d'une langue orale, d'ailleurs. Mais là où les mots
— arbitraires — nécessitent un encadrement structural spécifique (« c'est »,
« il y a » ou le recours aux modalités) pour être référentialisables, les signes,
en raison de leur iconicité, l'étant déjà dans leur nature formelle même, le
rôle du regard porté ou non sur eux suffit à les faire passer de l'un à l'autre
pôle.
Tout comme chaque paramètre de formation des signes est en quelque
sorte spécialisé dans l'indication de relations syntaxico-sémantiques in
ternes à une grammaire de l'énoncé, on pourrait, allant plus loin, présenter
les liens tissés entre les signes comme un ensemble régissant les changements
de registre — passage d'une activité langagière à une autre. Par exemple, les
rapports entre la direction du regard et la mimique permettent de manifest
er l'intrusion dans le discours des marques de renonciation. Dans une ac
tivité dialogique où « je » et « tu » sont les protagonistes du procès de
l'énoncé, il importe que le regard de l'émetteur soit dirigé vers le visage de
son interlocuteur2. Les signes renvoient au procès de l'énoncé et la mimique
faciale de l'émetteur fonctionne comme un marqueur modal.
Lorsque l'émetteur du message s'engage dans une activité de récit liée à
la construction d'une référence, la triade « signes-mimique-regard » dépend
du type de structures utilisé. En simplifiant à l'extrême par rapport à la
complexité des faits, on pourrait présenter les choses comme ceci ; dans les
langues des signes, et pas seulement en lsf :

— les signes (standards ou propres aux structures de transferts) sont spé


cialisés dans l'indication du procès de l'énoncé ;
— le regard marque l'activité langagière par rapport à la construction ou
non d'une référence ;

1. Cf. Ch. Cuxac, Transivité en LSF, p. 40-47.


2 Les sourds sont extrêmement gênés lorsqu'un entendant, ne respectant pas cette règle (linguistique),
maintient une relation dialogique, en tant qu'émetteur, sans regarder le destinataire du message.
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— la mimique a à voir avec l'état d'esprit du protagoniste du procès de


l'énoncé, lors d'activités langagières consacrées à la construction d'une
référence. Lorsqu'il y a dissociation, dans une activité dialogique, entre
les deux protagonistes (« il » ou « tu » de l'énoncé / « je » de renonciat
ion), les faits d'énonciation l'emportent et la mimique est un « mode »
renseignant sur le point de vue de l'émetteur du message.

— Ancrage perceptif visuel. Il nous a paru intéressant de croiser les cla


ssements effectués à partir de la notion d'iconicité (premier, deuxième et tro
isième ordre) avec l'hypothèse d'un ancrage perceptif visuel des représenta
tions et structurations linguistiques1. Pour ne prendre que les éléments
appartenant à l'iconicité du premier ordre (principe d'anamorphose), on
voit que les spécificateurs de taille et de forme sont des éléments spécialisés
dans « une représentation qualitative dans un référentiel spatial RI, struc
turé par des relations topologiques statiques de position entre des objets et
des lieux ». Les structures de transfert situationnel sont effectivement des
« représentations des phases d'un mouvement dans un référentiel spati
otemporel R2 structuré par des relations de repérage d'un objet en mouve
ment» (main dominante), « par rapport à des lieux privilégiés » (locatif de
la main dominée).
Quant aux structures de transfert personnel, elles auraient ceci de parti
culier d'être des « représentations organisées sur des schemes intégrés de
prédication, référentiel relationnel R4 », tout en court-circuitant le « réfé
rentiel spatio-temporel égocentré R3 » (le sujet énonciateur).
La direction du regard est investie du rôle majeur de l'indication du
changement de pôle référentiel des unités gestuelles. Ainsi, RI : regard porté
en continu sur le signe, R2 : sur son point de départ ou d'aboutisse
ment, R3 : sur le partenaire de renonciation avec tous les jeux entre R3
et R4. Ce dernier point rend compte de la redondance souvent constatée
dans les différentes ls, et considérée, à tort, comme une pure répétition :
bref passage à un R4 sans R3 par transfert personnel sur un signe verbal
standard, où le regard du locuteur, en fait celui de l'agent transféré, évite
soigneusement le coénonciateur, suivi d'une reprise du même énoncé cette
fois sans transfert (changement mimique), où le regard, porté sur le récep
teur (mixage de R4 et R3), signale que le message est maintenant pris en
charge par l'énonciateur, les « oui oui oui » et autres hochements de tête
renforçant cette indication.

1. Cf. J.-P. Desclés, auquel nous empruntons les définitions, Langages, n° 103, p. 86-87.
56 Christian Cuxac

5 I CONCLUSION

Du Cratyle jusqu'à Saussure, en passant par le débat entre nominalistes


et réalistes, des siècles de tradition philosophique ont imposé, au sujet de la
définition des objets que sont les langues, une théorisation où deux points
de vue antagonistes s'excluent mutuellement. Dans le contexte scientifique
actuel, moins dichotomise, les Langues des Signes nous permettent de rela
tiviser un tant soit peu les choses :
1 . D'abord de penser le couple « arbitraire (au sens d'absence de lien de
ressemblance entre réfèrent et versant signifiant du signe) et iconique » non
comme une opposition, mais comme un continuum où la voie choisie dé
pend des contraintes qu'exerce le canal utilisé (uni- ou quadri-dimension-
nel), et peut-être moindre discrimination perceptive de l'espèce des sail-
lances auditives que des saillances visuelles.
2. D'autre part, en se situant dans une epistemologie des activités langag
ières, de voir que la valeur saussurienne et la langue, système de diffé
rences, relèvent plus d'une caractéristique fonctionnelle et d'une polarité
particulière parmi les jeux de langage possibles, à savoir l'activité métalin-
guistique, que de l'être intime de « La Langue ».

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