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18 วารสารสมาคมครูภาษาฝรัง่ เศสแหงประเทศไทย ในพระราชูปถัมภฯ ฉบับที่ ๑๓๐ ปท่ี ๓๘ เลม ๒ (ก.ค.–ธ.ค.

๒๕๕๘)

Actes de langage et enjeux de face dans L’Avare de Molière

Jirawut Chaipet*

Résumé
Alors que la linguistique classique d’expliquer les faits linguistiques et de leur
étudie le symbole, le mot, la phrase donner du sens, utile dans un contexte
comme des unités isolées, la linguistique pédagogique ou de linguistique comparée.
pragmatique s’intéresse aux conditions Mots clés: analyse d’œuvre littéraire,
concrètes de production des énoncés en pragmatique, théorie des faces, actes de
interaction. Dire, selon l’expression d’Austin langage
traduite en français, c’est également faire,
car toute communication implique une Introduction: la linguistique
production d’actes de langage, valeurs pragmatique dans l’analyse
agissantes des énoncés. L’étude de “ce que littéraire: apports, enjeux.
l’on fait en disant” entreprise initialement L’idée de recourir à la pragmatique
sur la base de contextes conversationnels, linguistique réservée initialement aux
peut être étendue à d’autres corpus, productions orales, pour l’analyse des œuvres
littéraires en particulier, en raison de leur littéraires, est assez récente, cette dernière
exceptionnelle densité d’actes de langage. étant traditionnellement prise en charge par
La linguistique pragmatique peut offrir une étude macro sémantique (étude
un éclairage nouveau pour décoder les des significations, des référents), macro
interactions, analyser et expliquer les ressorts syntaxique (organisation des blocs
des répliques dans un théâtre aussi riche en fonctionnels), et une analyse psychologique
échanges conflictuels et en faits linguistiques, ou historique.
que L’Avare de Molière. En témoignent les éditions destinées
Après avoir défini cette notion d’acte aux jeunes apprenants, orientées sur le
de langage, nous nous intéresserons à la pourquoi et sur le comment:
manière dont les personnages construisent 1. En quoi cette scène est-elle importante
leurs relations en interaction, en empruntant pour l’action?
une grille tirée de la théorie des faces de 2. Quel trait du caractère d’Harpagon nous
Goffman, Brown et Levinson, enrichie par est confirmé ici?
Catherine Kerbrat-Orecchioni, qui montre 3. Pourquoi Harpagon a-t-il une aussi grosse
que les interactants dans tout contexte de somme d’argent chez lui?
communication, produisent un jeu de faces, (L’Avare, Classiques Hachette, 2005, p. 33)
au moyen de menaces et d’anti-menaces, La linguistique classique universitaire
qu’ils amplifient ou adoucissent au moyen quant à elle, aborde le texte littéraire
d’instruments bien définis. sous l’angle de l’étude de la situation
La linguistique pragmatique fournit d’énonciation et de la grammaire du récit
donc une boîte à outils très riche permettant (Maingueneau, 1993).
* Enseignant de français, Faculté des Humanités, Université de Chiang Maï
Bulletin de l’ATPF, No. 130, année 38 (juillet–décembre 2015) 19
Notre idée est de promouvoir une Cependant il ne saurait être question
théorie issue d’un autre horizon, fondée d’appliquer à l’œuvre de Molière un
sur l’analyse des actes de langage, pour modèle ou une grille issue de la sociologie
décortiquer certains ressorts d’une pièce américaine, ou de prétendre consacrer cet
théâtrale: L’Avare de Molière, choisie en auteur comme un précurseur de quelque
fonction non seulement en raison de sa théorie linguistique que ce soit, mais plutôt
popularité, mais aussi de son exceptionnel de puiser dans une boîte à outils riche
réservoir de paroles-actes et de confrontations et flexible un lexique et des méthodes
de personnages, de caractères, de taxèmes. permettant d’analyser les ressorts théâtraux.
Cette pièce en effet fournit un corpus Il n’est pas question non plus de faire
très riche de disputes, négociations, l’inventaire de tous les actes de langage de la
confrontations de faces, structurés par un pièce et leurs conséquences sur les relations
nombre remarquable d’énoncés à valeur des personnages: nous nous limiterons
d’actes, ou “actes de langage” (“speech acts” à quelques exemples dans lesquels nous
dans la terminologie américaine) tenterons de décrire un fonctionnement qui
spectaculaires et inhabituels par rapport à une
peut être analysé au moyen des instruments
production “naturelle” (conversations de la
propres à la linguistique interactionniste,
vie quotidienne).
française en particulier.
Les linguistes interactionnistes
Pour le lecteur, cela implique tout
inspirés de la linguistique américaine (en
d’abord d’être initié à la théorie des actes
France: Catherine Kerbrat-Orecchioni)
recourent fréquemment au corpus littéraire de langage (première partie), que nous
pour illustrer le fonctionnement des étudierons en tant que tels, et à leur situation
comportements langagiers en général. en interaction (deuxième partie), avant
Les dialogues “fabriqués” ont une d’entreprendre une description de quelques
organisation plus évidente (plus simple actes de langage remarquables issus de
et plus immédiatement perceptible) que dialogues théâtraux (troisième partie).
les conversations “naturelles”. (Kerbrat- Pour décrire le fonctionnement des
Orecchioni, 2008, p. 66) actes langagiers, il est donc nécessaire de
Par leur caractère excessif, leurs recourir à la notion d’ “actes de langage”.
transgressions des règles de la vie
quotidienne, des lois de la bienséance, de 1. La théorie des actes de langage.
la politesse, de la logique, et par les Même si l’idée que le langage pouvait
manipulations entreprises par les auteurs afin
constituer une forme d’action (depuis
de mettre en scène des situations plaisantes
l’Antiquité, avec Aristote...) la théorie des
et inédites pour le lecteur, les dialogues
actes de langage a été édifiée principalement
théâtraux constituent une source riche
dans l’ouvrage “How to do Things with
d’exemples pour les théories linguistiques
Words” de John Austin (1962) traduit en
pragmatiques. Dans son ouvrage “Les actes
français par “Quand dire, c’est faire” (1970).
de langage dans le discours” précité, qui
revisite tous ses ouvrages précédents, 1.1 Dire c’est faire
Catherine Kerbrat-Orecchioni cite 1.1.1 La théorie d’Austin
abondamment des œuvres théâtrales, L’Avare Austin part de la constatation que
à plusieurs reprises, pour les raisons que nous certains énoncés accomplissent l’acte qu’ils
avons évoquées. dénomment. Dans ces énoncés construits
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à la première personne et introduits par des CLEANTE: Je n’ai que faire de vos dons.
verbes de parole, appelés “performatifs”, la (L’Avare, Acte IV, Scène 5)
parole est à la fois dénomination et action. Le performatif, par sa valeur créatrice
Exemples: j’ordonne, je parie, je demande, et solennelle, est l’instrument privilégié
je déclare la guerre, je pardonne, je
du droit. Ainsi Harpagon en fait-il usage
renvoie, j’accepte, je condamne, je promets,
pour désigner un arbitre (dépendant
je remercie, j’affirme, je nomme, j’explique,
hiérarchiquement, ce qui promet un jugement
je décrète, je jure, etc. Dans ces contenus,
favorable à sa cause):
l’acte existe du seul fait de son énonciation.
Ces énoncés se distinguent des énoncés HARPAGON: Je te veux faire toi-même, maître
assertifs du type «Il fait beau aujourd’hui» Jacques, juge de cette affaire, pour montrer comme
par le fait qu’il échappent au paradigme j’ai raison.
vrai/faux. En effet, un énoncé performatif (L’Avare, Acte IV, Scène 4)
«J’ordonne que tu sortes!» n’est ni vrai
Solennité et effet créateur des actes de
ni faux.
langage fusionnant parole et acte, sont encore
Ainsi les performatifs représentent un
mis à profit ici pour créer une situation de
modèle d’actes de langage à l’état pur, point
droit (intenter un procès):
de départ de la théorie. Le langage courant
limite l’emploi des performatifs, préférant HARPAGON: Je vous prends à partie pour me payer
recourir à des formulations indirectes ou les dix mille écus qu’il m’a volés.
“adoucies”. En revanche le théâtre constitue (L’Avare, Acte V, Scène 5)
un réservoir de performatifs remarquable.
Le performatif confère à la parole
Dans L’Avare, Molière en fait un usage assez
un caractère puissamment créateur et
étendu, car les performatifs constituent une
forme d’expression particulièrement modificateur de l’ordre des choses, en même
énergique et expressive, reflétant une temps il est revêtu d’une connotation brutale
domination d’ordre hiérarchique ou verticale: et menaçante (voir partie 2 sur les enjeux
de face) qui peut susciter un trouble chez
HARPAGON: Allons venez çà tous, que je vous le destinataire.
distribue mes ordres pour tantôt et règle à chacun
son emploi... HARPAGON: [...] je te donne au seigneur Anselme.
(L’Avare, Acte III, Scène 1) ELISE: Au seigneur Anselme?
(L’Avare, Acte I, Scène 4)
Les performatifs abondent dans les
disputes, comme marqueurs de position Sa violence et son caractère direct
haute, où l’autorité (paternelle) est affirmée peuvent être mis à profit pour surmonter une
à la fois dans la parole et dans l’acte: éventuelle objection et souligner un ordre:
HARPAGON: Je te défends de me jamais voir.
ELISE, elle fait une révérence: Je ne veux point me
CLEANTE: A la bonne heure.
marier, mon père, s’il vous plaît.
HARPAGON: Je t’abandonne.
HARPAGON, il contrefait sa révérence: Et moi,
CLEANTE: Abandonnez.
ma petite fille, ma mie, je veux que vous vous
HARPAGON: Je te renonce pour mon fils.
mariiez, s’il vous plaît.
CLEANTE: Soit.
(L’Avare, Acte I, Scène 4)
HARPAGON: Je te déshérite.
CLEANTE: Tout ce que vous voudrez. Austin, après avoir pris comme point
HARPAGON: Et je te donne ma malédiction. départ de sa théorie les performatifs, par la
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suite est conduit à reconnaître que tous les – les expressifs qui expriment un état
énoncés sont potentiellement porteurs d’une psychologique.
valeur d’acte: tout énoncé, même constatatif,
VALERE: monsieur, je vous demande pardon
fonctionne comme un acte particulier. Cette
si je m’emporte un peu...
perspective a été reprise et complétée par John
(L’Avare, Acte I, Scène 5)
Searle en 1969 dans son ouvrage “Speech
– les déclarations qui ont pour but de
acts”:
changer l’état du monde.
...premièrement, parler une langue, c’est
Voir les performatifs “juridiques” cités
réaliser des actes de langage, des actes
ci-dessus.
comme: poser des affirmations, donner
La notion d’acte de langage dépasse
des ordres, poser des questions, faire des
désormais celle étroite de performatif, les
promesses, et ainsi de suite... (Searle, 1972,
actes de langage sont susceptibles d’être
p. 52)
effectués au moyen de n’importe quel
Searle considère que tout énoncé
est doté d’une valeur d’acte, qu’il nomme énoncé, leur valeur agissante est déterminée
“illocutionnary force”, traduit en français par leur valeur illocutoire qu’il est nécessaire
“ v a l e u r i l l o c u t o i re ” . C e t t e v a l e u r d’identifier pour connaître le ressort
“illocutoire” devenue un outil essentiel de des échanges et la nature des interventions
la linguistique pragmatique (et qui structure réactives.
les théories de l’implicite, voir Kerbrat- L’Avare fournit un large corpus d’actes
Orecchioni, 1986), est la composante de de langage variés: requêtes, excuses, ordres,
l’énoncé qui lui donne force agissante dans remerciements, questions, confidences,
un contexte de parole. compliments… dont nous examinerons
certains en troisième partie. Ces actes de
1.1.2 Classification des actes de langage servent de base aux interactions et
langage déterminent le comportement des partenaires
Searle a procédé à une classification des échanges: en effet, dire ce n’est pas
des valeurs illocutoires: seulement “faire”, c’est aussi “faire faire”,
– les assertifs, qui affirment un état de agir sur autrui, amener son interlocuteur à un
choses. certain comportement (Voir seconde partie).
LE COMMISSAIRE: Le vol est considérable. Dans cette nouvelle définition des actes
(L’Avare, Acte V, Scène 1) de langage à la perspective étendue, la valeur
– les directifs qui visent à prendre le contrôle d’acte (valeur illocutoire) résidant dans
du destinataire et à obtenir de lui une un énoncé n’est pas dépendante de la forme
certaine conduite. ou même du contenu de cet énoncé:

HARPAGON: Tu renonceras à Marianne. 1.2 Dire c’est faire une/plusieurs


(L’Avare, Acte IV, Scène 3) choses sous le couvert d’une autre.
Il n’y a pas de correspondance
– les promissifs qui engagent le locuteur biunivoque entre tel signifiant (forme
sur une conduite future. déclarative, interrogative, ou impérative
HARPAGON: Vous obligerez-vous à faire tous les de la phrase) et tel signifié (valeur
frais de ces deux mariages? d’assertion, de question ou d’ordre).
ANSELME: Oui, je m’y oblige, êtes-vous satisfait? (Kerbrat-Orecchioni, 2008, p. 33) Un acte de
(L’Avare, Acte V, Scène 6) langage peut se réaliser sous la forme d’un
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autre. Dire, c’est faire les choses sous L’échange ci-dessous dans lequel
l’apparence d’une autre. (Kerbrat-Orecchioni, Harpagon tente d’imposer par l’autorité un
2008, p. 33) mariage que sa fille Elise refuse donne
Le théâtre a recours souvent à un exemple de production d’inférences
un procédé stylistique, l’interrogation implicites:
rhétorique dans lequel une assertion ELISE, elle fait une révérence: Je ne veux
dont l’expression apparaîtrait banale point me marier, mon père, s’il vous plaît.
HARPAGON, il contrefait sa révérence: Et moi,
stylistiquement, est prise en charge par une
ma petite fille, ma mie, je veux que vous vous
phrase de forme interrogative, ce qui
mariiez, s’il vous plaît.
lui confère une composante expressive,
ELISE: Je vous demande pardon, mon père.
traduisant les tourments et la détresse de HARPAGON: Je vous demande pardon, ma fille.
l’âme: (L’Avare, Acte I, Scène 4)
MARIANNE: Hélas, suis-je en pouvoir de faire Face à l’ordre de son père, Elise se
des résolutions? Et dans la dépendance où je me rebelle et réitère son refus, mais pas de
vois, puis-je former que des souhaits? manière directe, pour épargner la face de
(L’Avare, Acte IV, Scène 1) on père (Voir plus loin la théorie des faces).
La question valant comme affirmation ELISE: Je vous demande pardon mon père.
peut exprimer une menace: – Valeur illocutoire littérale: excuse.
HARPAGON: O fils impertinent, as-tu envie – Valeur illocutoire dérivée: refus exprimé
de me ruiner? de façon indirecte afin d’éviter un
(L’Avare, Acte III, Scène 8) affrontement non convenable.
HARPAGON: Comment, pendard, tu as l’audace La valeur d’excuse subsiste (on parlera
d’aller sur mes brisées? donc ici plus facilement de sous-entendu
(L’avare, Acte IV, Scène 3)
plutôt que de trope) mais c’est le refus
De même qu’une valeur illocutoire qui s’actualise dans l’échange, et c’est sur
peut se réaliser sous des formes d’énoncés le refus qu’enchaîne Harpagon:
différentes (une assertion peut recevoir HARPAGON: Je vous demande pardon, ma fille.
la forme d’une question), un énoncé peut – Valeur illocutoire littérale: excuse.
comporter plusieurs valeurs illocutoires, plus – Valeur illocutoire dérivée: refus du
ou moins hiérarchisées. refus et maintien de la décision de mariage,
Dans le cas des actes de langage formulé de manière ironique: trope illocutoire
indirects, la valeur de l’énoncé (appelé ironique. Il s’agit cette fois d’un trope car
contenu littéral, ou primitif) est soit la valeur littérale d’excuse, non pertinente
complétée, soit remplacée par des valeurs (Harpagon ne s’excuse pas) est totalement
dérivées (pour un développement complet délogée par la valeur de refus indirect.
de ces notions, voir L’implicite de Selon Catherine Kerbrat-Orecchioni,
Kerbrat-Orecchioni ou Kerbrat-Orecchioni, le trope ironique consiste à “remplacer une
2008, p. 34). Dans le premier cas, on parle expression dévalorisante par son contraire
valorisant” (Kerbrat-Orecchioni, 1992,
de sous-entendu, dans le second cas, on parle
p. 212).
de trope illocutoire.
Dans le cas de l’énoncé d’Harpagon,
Les figures de style abondent dans le contrairement à celui d’Elise le recours à
théâtre classique et entrent pour la plupart l’implicite n’est plus “adoucissant” mais
dans la catégorie des tropes. “aggravant”.
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Par ailleurs, l’ironie est suggérée par la L’enchaînement positif d’Anselme
symétrie mimo-gestuelle (révérence effectuée (qui a correctement décodé le sous-entendu
de part et d’autre), et la symétrie des tours de d’Harpagon) se produit sur la valeur implicite
parole (je ne veux point me marier/je veux d’acceptation et permet d’arriver à la
que vous vous mariiez; s’il vous plaît/s’il vous conclusion du marché. L’accord qui marque
plaît; je vous demande pardon/je vous le dénouement final de la pièce a été conclu
demande pardon). de manière indirecte. Cette acceptation
La notion de valeur illocutoire est implicite permet à Harpagon de ne pas perdre
indispensable pour comprendre le la face (Voir plus bas la théorie des faces).
fonctionnement des tours de parole (répliques L’implicite permet, en disant,
théâtrales). Dans la scène finale de la pièce, d’exécuter plusieurs actions en même temps,
Harpagon est confronté à un marché monté tout en jouant sur les faces des interlocuteurs
par les autres personnages pour venir à bout (Voir plus loin).
de son obstination: la restitution de sa cassette La même scène recourt également à la
contre son accord pour un mariage Cléante/ technique du trope, de la part de l’auxiliaire
Marianne et Valère/Elise. de justice convoqué pour résoudre une affaire
qui s’est finalement dénouée d’elle-même
ANSELME: [...] Allons, ne nous faites point dire
ce qu’il n’est pas nécessaire d’entendre et sans son intervention:
consentez ainsi que moi à ce double hyménée. LE COMMISSAIRE: Holà messieurs, Holà!
HARPAGON: Il faut, pour me donner conseil, Tout doucement, s’il vous plaît: qui me payera
que je voie ma cassette. mes écritures?
CLEANTE: Vous la verrez saine et entière. HARPAGON: Nous n’avons que faire de
HARPAGON: Je n’ai point d’argent à donner vos écritures.
à mes enfants. (L’Avare, Acte V, Scène 6)
ANSELME: Hé bien j’en ai pour eux, que cela
ne vous inquiète point. Énoncé du commissaire:
(L’Avare, Acte V, Scène 6) C1 (littéral): question portant sur l’identité
Face à un chantage, son intervention du payeur.
réactive est donc celle-ci, chargée de C2 (sens dérivé): requête, demande d’argent
nombreux sous-entendus: fondée sur le présupposé de C1 («qui va
me payer?» présuppose «je vais être payé»).
HARPAGON: Je n’ai point d’argent à donner
à mes enfants Énoncé d’Harpagon qui a senti le
danger:
C1 (sens littéral) Valeur illocutoire: assertion C1 (littéral): négation de l’intérêt de la tâche
Allégation d’un manque de moyens financiers effectuée par le commissaire.
pour réaliser le mariage. C2 (dérivé): refus de payer.
C2 Valeur illocutoire dérivée: promesse. L’enjeu véritable du dialogue porte sur
Acceptation implicite du marché conditionné une demande de paiement, mais de manière
cependant à une prise en charge financière indirecte. L’implicite permet à Harpagon de
du mariage. La dérivation découle d’une se dérober face à une demande indirecte. On
opération logique: «je n’ai point d’argent remarque ici encore que ce sont les contenus
à donner à mes enfants mais si j’en avais, dérivés qui s’actualisent et donnent du sens
je donnerais mon accord». à l’échange.
C3 Valeur illocutoire dérivée: requête. Le recours à l’implicite permet donc:
Demande d’argent pour finaliser l’accord. 1/d’éviter les affrontements directs par
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l’emploi de formulations dérivées ou langagiers non plus dans un contexte isolé
indirectes décodables par le destinataire 2/de et abstrait mais dans un contexte interactif
dissimuler les enjeux véritables de la prise de d’influences mutuelles.
parole au moyen d’une sorte de camouflage La théorie des faces (ou de la politesse)
du sens dérivé pertinent, par un sens littéral construite par Goffman, Penelope Brown
secondaire 3/de faire plusieurs choses en et Stephen Levinson, repose sur l’idée que
même temps, car il y a autant d’actions les interactants sont des figurants (acteurs
effectuées au moyen d’un énoncé que de théâtraux) pratiquant un face work ou “travail
valeurs illocutoires littérales ou dérivées des faces” au cours de leurs échanges, dans
contenues dans cet énoncé. le but de construire et préserver l’harmonie
de leurs relations.
Résumé de la première partie:
2.1 Le modèle des faces issu de
Dire, c’est faire: c’est agir au moyen du Brown et Levinson
langage. Il est présenté en détail dans Les interactions
Dire, c’est faire faire: c’est faire agir l’autre. verbales (Kerbrat-Orecchioni, 1992, p. 167).
Dire, c’est faire une chose sous le couvert 2.1.1 Notion de faces
d’une autre: c’est masquer la valeur réelle de Un figurant possède deux faces, qu’il cherche
l’acte. à préserver:
Dire, c’est faire plusieurs choses en même – la face positive, qui correspond à son
temps: c’est agir plusieurs fois avec le même narcissisme et son image intérieure et
énoncé. extérieure: sa “fierté”, son image sociale.
Dans une pièce de théâtre telle que – la face négative, qui correspond à son
L’Avare où les mobiles des personnages et territoire corporel, spatial, cognitif,
les enjeux de face s’affrontent, conduisant biens physiques, toutes les réserves et
à de nombreuses disputes, toutes les prolongements du moi.
finalités de la prise de parole sont largement L’idée est que tout acte de langage
représentées et peuvent faire l’objet d’une produit dans l’interaction concerne l’une ou
analyse pragmatique. l’autre de ces faces, celles du locuteur comme
Ces pratiques discursives que nous celles du destinataire, c’est-à-dire est
avons étudiées en tant que telles, se déroulent susceptible de les renforcer ou les menacer.
dans un contexte interactif, au cours duquel Dans le théâtre, les enjeux de faces
les participants tentent d’exercer une particulièrement vifs, voire exagérés et
influence les uns sur les autres. Pour caricaturaux structurent les intrigues.
comprendre la finalité de ces actes de L’Avare Harpagon, personnage clé
langage, leur portée, leurs contraintes sur les fortement caractérisé, possède deux faces:
enchaînements, il est nécessaire de recourir une face positive flattée outrageusement par
à une théorie des faces qui permet d’expliquer Frosine (Acte II, Scène 5), et qui interdit toute
les ressorts de la prise de parole. contradiction de la part des serviteurs et ses
enfants fondée sur le respect de la relation
2. Les actes de langage en interaction.
verticale hiérarchique (La Flèche, son fils,
La théorie interactionniste des courants sa fille), et une face négative (son territoire
sociologiques et pragmatiques américain s’est financier, sa cassette) particulièrement
intéressée au fonctionnement des échanges poussée le poussant en permanence à la
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préservation de ses biens (frais du cocher, faces des interactants, Face Threatening Acts,
frais du cuisinier, honoraires de Frosine et de est abrégée sous la forme: FTA. Dans une
l’homme de justice, frais du mariage), qu’il interaction, quatre faces sont en jeu.
fait prévaloir en permanence sur sa face 1/FTA pour la face négative de celui
positive. Face au chantage final de la pièce, qui subit l’acte: violation territoriale, de
Harpagon se trouve placé dans une double l’intimité, des biens matériels ou libertés.
contrainte: renoncer à son honneur et son Violation territoire corporel:
autorité (face positive) ou renoncer à son
HARPAGON: Viens çà, que je te voie.
argent (face négative). Il préfère sacrifier Montre-moi tes mains.
sa face positive en renonçant à ses plans de (L’Avare, Acte I, Scène 3)
mariage, pour retrouver sa “chère cassette”
(Acte V, Scène 6), cédant à la manipulation Violation territoire sentimental:
de ses proches, selon le jugement de La Harpagon: Tu renonceras à Marianne.
Flèche: (L’Avare, Acte IV, Scène 3)
En un mot, il aime l’argent plus que réputation, Atteinte au territoire financier:
qu’honneur et que vertu... LE COMMISSAIRE: Holà, messieurs,
(L’Avare, Acte II, Scène 4) holà! Tout doucement, s’il vous plaît:
qui me payera mes écritures?
Catherine Kerbrat-Orecchioni a évoqué (L’Avare, Acte V, scène 6)
dans Les interactions verbales à propos de
l’offre humiliante, l’attitude qui conduit à 2/FTA pour la face positive de celui
“préférer au prestige social la préservation qui subit l’acte: critique, insulte, reproche,
de ses biens”. (Kerbrat-Orecchioni, 1992, ironie...
p. 271) Concernant des conflits entre les Voir insultes de Valère dirigées contre Maître
faces, Voir (Kerbrat-Orecchioni, 1992, Jacques ci-dessous, Acte III, Scène 2.
p. 271). 3/FTA pour la face négative de celui
Malgré la condamnation sociale de qui accomplit l’acte: offre, promesse.
l’avarice (un des sept péchés capitaux figurant Voici un exemple d’auto FTA (que par la suite
dans les interdits de la religion chrétienne) Harpagon va essayer de minimiser du mieux
Harpagon est amené à sacrifier sa face qu’il pourra, en faisant pression pour limiter
positive au profit de son territoire financier la dépense):
dans toutes les interactions où ces deux faces HARPAGON: Je me suis engagé, maître Jacques,
sont en jeu, et où il est placé en situation à donner ce soir un souper.
de double lien (ne pas pouvoir “gagner” sur (L’Avare, Acte III, Scène 1)
une face sans “perdre” sur l’autre). Dans
toutes les scènes de la pièce, Harpagon va 4/FTA pour la face positive de celui
s’employer à déjouer les atteintes à son argent qui accomplit l’acte: aveu, autocritique, auto
(face négative) au risque de menacer sa face dégradation.
positive en apparaissant comme un “ladre”, Répliques de maître Jacques, qui valide
expression particulièrement dévalorisante ainsi les insultes de Valère:
socialement. VALERE: Savez-vous bien, monsieur le fat,
2.1.2 Les menaces (FTA’s) et les que je suis homme à vous rosser vous-même?
anti-menaces (FFA’s) MAITRE JACQUES: je n’en doute pas.
L’expression utilisée par Brown et VALERE: Que vous n’êtes, pour tout potage,
Levinson pour désigner les menaces pour les qu’un faquin de cuisinier?
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MAITRE JACQUES: Je le sais bien. ...également l’euphémisme, qui remplace un
(L’Avare, Acte III, Scène 2) terme dévalorisé par une expression adoucie
L’acte contraire au FTA, le FFA (Face (partir pour mourir), dans L’Avare par
Flattering Act) est l’acte valorisant: flatterie, exemple: petite prière pour demande d’argent,
excuse, compliment, remerciement... ici accompagné d’un désactualisateur
temporel:
FROSINE: Ah mon Dieu! Que vous vous portez
FROSINE: J’aurais, Monsieur, une petite
bien! Et que vous avez là un vrai visage de santé!
prière à vous faire.
(L’Avare, Acte II, Scène 5)
(L’Avare, Acte II, scène 5)
Dans les interactions courantes et
c/D’autres procédés, dits additifs ou
également théâtrales, les interlocuteurs
accompagnants car ils accompagnent l’ “acte
disposent de moyens pour préserver leurs
problématique”, sont également utilisés
faces, et éviter les FTA’s et les offenses, car
pour adoucir une menace: formules de
tout acte de langage est potentiellement
politesse, formules réparatrices (excuses et
menaçant pour la face de l’autre et également
justifications), désarmeurs (pour désamorcer
pour la sienne propre.
une réaction négative possible du destinataire,
2.1.3 Les adoucisseurs de menaces Ex: je ne voudrais pas vous déranger mais...),
Le tome 2 des interactions verbales les minimisateurs (qui réduisent l’importance
(p. 200 et suivantes) montre une étude très de l’incursion: simplement, juste, un petit,
détaillée pour les adoucisseurs de menaces. quelque...), les justifications, les amadoueurs
Deux types sont utilisés pour amortir les (qui font appel à la bonté et l’obligeance
menaces: du destinataire: «soyez gentil de.»...), les
2.1.3.1 Procédés rhétoriques anticipations des actes menaçants et
a/ Les procédés de distanciation. énoncés préliminaires qui préparent
..qui ont pour fonction commune de mettre psychologiquement à une menace prochaine
à distance la réalisation de l’acte (Ex: tu peux me rendre un service? également:
problématique (Kerbrat-Orecchioni, 1992, voir plus haut la réplique de Frosine)
p. 204) Le premier moyen d’amortir un acte
On classe dans cette catégorie les menaçant c’est de l’annoncer. (Kerbrat-
désactualisateurs temporels (Ex: je voudrais, Orecchioni, 1992, p. 215)
j’aurais voulu, je voulais... Voir plus bas la Une formule négative adoucit
réplique de Frosine) et les modalisateurs qui également une affirmation, ainsi Cléante face
introduisent une distance entre le locuteur et au projet de son père d’épouser la femme qu’il
son énoncé auquel il confère une allure moins aime:
affirmative et moins autoritaire: je crois que,
CLEANTE: (...) je ne puis pas vous promettre
je peux, je souhaite, je pense que, il me d’être bien aise qu’elle devienne ma belle-mère...
semble, selon moi, peut-être... (L’Avare, Acte III, Scène 1)
b/Les figures rhétoriques classiques
Voir également: (Kerbrat-Orecchioni, 2011,
atténuatrices sont très courantes dans les
p. 210)
dialogues théâtraux, la litote...
Maître Jacques, à qui Harpagon demande
FROSINE: ...votre fluxion ne vous sied point mal... l’opinion que l’on a de lui, avant de produire
(L’Avare, Acte II, scène 5) une liste insultante, prend des précautions
Bulletin de l’ATPF, No. 130, année 38 (juillet–décembre 2015) 27
pour éviter l’impact menaçante de cette et je vous en serai éternellement reconnaissante
dernière: [amadoueur].
(L’Avare, Acte II, Scène 5)
HARPAGON: Pourrais-je savoir de vous,
maître Jacques, ce que l’on dit de moi? 2.1.3.2 Les actes de langage
MAITRE JACQUES: Oui, monsieur indirects
[terme d’adresse poli], si j’étais assuré que La formulation indirecte permet de
cela ne vous fâchât point. [Désarmeur] “remplacer un acte de langage par un
HARPAGON: Non, en aucune façon.
MAITRE JACQUES: Pardonnez-moi
autre estimé moins menaçant” (Kerbrat-
[amadoueur, excuse]: je sais fort bien que Orecchioni, 1992, p. 202). L’indirection
je vous mettrai en colère [énoncé préliminaire] permet de préserver la face de l’autre,
HARPAGON: Point du tout (...) par conséquent elle est très utilisée dans les
MAITRE JACQUES: Monsieur [terme d’adresse interactions marquées par des menaces
poli], puisque vous le voulez... [justification] de faces.
(L’Avare, Acte III, Scène 1)
Nous avons vu cette réplique d’Elise,
Harpagon pour adoucir la menace que qui vaut pour un refus indirect qui évite
fait courir sur ses enfants ses projets de l’affrontement direct avec l’autorité:
mariage, utilise un ensemble de désarmeurs: ELISE: Je vous demande pardon, mon père.
HARPAGON: Un peu [minimisateur] de patience. (L’Avare, Acte I, Scène 4)
Ne vous alarmez point [désarmeur]. Je sais ce qu’il
La réponse négative d’Harpagon se fait
faut à tous deux [justification]; et vous n’aurez ni
l’un ni l’autre aucun lieu de vous plaindre de tout également sur un mode indirect mais ironique,
ce que je prétends faire [désarmeur]. il ne s’agit plus d’adoucir la menace mais de
(L’Avare, Acte I, Scène 4) l’aggraver (Voir plus bas, les maximisateurs
de menaces).
Frosine qui présente une demande
d’argent à Harpagon (menaçant sa face HARPAGON: Je vous demande pardon, ma fille.
négative) met en œuvre un nombre (L’Avare, Acte I, Scène 4)
remarquable de procédés adoucisseurs placés Également il est possible de remplacer
dans un “énoncé préliminaire” qui anticipe une forme affirmative, impérative ou négative
la menace: par une forme interrogative moins menaçante
[Enoncé préliminaire] (interrogation rhétorique traitée plus haut).
FROSINE: J’aurais [désactualisateur temporel], Le trope communicationnel qui consiste
Monsieur, [terme d’adresse poli] une petite généralement à adresser à un destinataire
[minimisateur] prière [euphémisme pour demande un énoncé destiné à un autre, est un acte de
d’argent] à vous faire. J’ai un procès que je suis langage courant dans le dialogue théâtral.
en train de perdre [justification], faute d’un peu
[minimisateur] d’argent, et vous pourriez
Deux schémas se présentent:
[désactualisateur temporel] facilement a/Dans la structure L (locuteur) →D1
[minimisateur] me procurer le gain de ce procès, (destinataire 1), D2 se substitue à D1. Le
si vous aviez [désactualisateur temporel] quelque message adressé à D1 est en fait destiné à D2.
[minimisateur] bonté pour moi [amadoueur,
euphémisme pour argent] La Flèche se protège en feignant
(...) d’adresser son discours sur l’avarice à un
[Requête] autre destinataire: son bonnet. La chose est
Je vous prie [formule de politesse], monsieur [terme tellement invraisemblable qu’Harpagon qui
d’adresse poli] de me donner le petit [minimisateur] a décodé le trope, se fâche:
secours [euphémisme pour argent] que je vous LA FLECHE: La peste soit de l’avarice et
demande. Cela me remettra sur pied [justification] des avaricieux!
28 วารสารสมาคมครูภาษาฝรัง่ เศสแหงประเทศไทย ในพระราชูปถัมภฯ ฉบับที่ ๑๓๐ ปท่ี ๓๘ เลม ๒ (ก.ค.–ธ.ค. ๒๕๕๘)
HARPAGON: Comment! que dis-tu? d’Harpagon) correspond également à ce
LAFLECHE: Ce que je dis? dernier schéma de trope communicationnel
HARPAGON: Oui: qu’est-ce que tu dis dans lequel un locuteur se substitue à un autre
d’avarice et d’avaricieux?
pour éviter une situation menaçante:
LAFLECHE: Je dis que la peste soit de l’avarice et
des avaricieux! CLEANTE: Je lui ai dit quelques douceurs
HARPAGON: De qui veux-tu parler? en votre nom, [acte de langage indirect] mais
[...] c’était pour lui plaire [justification].
LAFLECHE: Est-ce que vous croyez que je veux (L’Avare, Acte IV, Scène III)
parler de vous? 2.1.4 Les maximisateurs de
HARPAGON: Je crois ce que je crois; mais je veux
menaces
que tu me dises à qui tu parles quand tu dis cela.
A l’inverse des adoucisseurs, les
LA FLECHE: Je parle... à mon bonnet.
(L’Avare, Acte I, Scène 3)
intensifieurs ont pour fonction de renforcer
l’acte de langage au lieu de l’amortir, et d’en
b / L’ a u t r e v a r i a n t e d e t r o p e augmenter l’impact au lieu de l’atténuer.
communicationnel consiste à substituer un (Kerbrat-Orecchioni, 2011, p. 214)
locuteur à un autre afin de produire en toute Harpagon utilise des maximisateurs de
sécurité un acte menaçant que l’on refuse menace dans ses disputes avec les serviteurs
d’assumer. et ses enfants:
Dans la structure L1→D, L2 se substitue
HARPAGON: je te rosserai si tu parles (...)
à L1. je t’empêcherai de jaser et d’être insolent. Tais-toi!
Dans la scène évoquée plus haut où (L’Avare, Acte I, Scène 3)
Harpagon s’enquiert de sa réputation, Maître
Jacques produit une longue liste insistante L’ironie* (un trope particulier) “consiste
(menaçante pour la face positive d’Harpagon) à remplacer une expression dévalorisante
dans laquelle le serviteur règle visiblement (correspondant à l’intention réelle du
ses comptes personnels. locuteur) par son contraire valorisant”
Harpagon décode le trope, il rapporte (Kerbrat-Orecchioni, 1992, p. 212). L’ironie
ce discours à une critique directe de sa aggrave la tonalité menaçante de l’énoncé,
personne et se fâche. elle constitue une forme d’insolence: voir la
dispute entre Cléante et Harpagon (L’Avare,
HARPAGON: Pourrais-je savoir de vous, maître
Jacques, ce que l’on dit de moi?
Acte IV, Scène 5).
[...] 2.2 Les rapports de place dans
MAITRE JACQUES: Monsieur, puisque vous le
l’interaction.
voulez, je vous dirai franchement qu’on se moque
partout de vous [...] vous êtes la fable et la risée de Beaucoup d’actes de langage reflètent
tout le monde; et jamais on ne parle de vous que un rapport de place (statut hiérarchique des
sous les noms d’avare, de ladre, de vilain, et de parties en présence), et ont une valeur
fesse-mathieu. taxémique variable, ainsi par exemple, un
HARPAGON, en le battant. Vous êtes un sot,
ordre, une insulte traduisent une position
un maraud, un coquin et un impudent!
haute.
(L’Avare, Acte III, Scène 1)
L’Avare abonde d’énoncés à forte
La scène évoquée plus bas (dans l’étude valeur taxémique, compte tenu du caractère
de la déclaration d’amour) dans laquelle autoritaire du personnage principal. Par
Cléante effectue sa déclaration d’amour exemple, le droit de juger est un privilège de
à Marianne indirectement (au nom position haute réservée aux dominants:
Bulletin de l’ATPF, No. 130, année 38 (juillet–décembre 2015) 29
HARPAGON: Il a raison. d’un marqueur de position haute”
(L’Avare, Acte III, Scène 1) (Kerbrat-Orecchioni, 1992, p. 105).
De même, les insultes, nombreuses dans Un rapport de place élevé dans la
la pièce, sont normalement un privilège du conversation donne la maîtrise des échanges,
maître. Le serviteur malin quant à lui, doit notamment le droit d’ouvrir et de fermer
recourir à un procédé indirect (parler à un la conversation. Harpagon pour en finir avec
autre ou à la place d’un autre): Voir les un échange menaçant et non désiré avec
stratégies de La Flèche (Acte I, Scène 3) et Cléante, interrompt l’échange au moyen d’un
Maître Jacques (Acte III, Scène 1) dans “clôtureur conversationnel”:
l’étude des actes de langage indirects. HARPAGON: Retire-toi, te dis-je et ne
Selon le rapport de places, la limite m’échauffe pas les oreilles...
entre les actes de langage autorisés et ceux (L’Avare, Acte II, Scène 2)
non autorisés ne se situera pas au même Voir aussi, la façon dont Harpagon se
endroit. La demande de justification, la dégage de Frosine, mettant fin ainsi à la
question, les objections, les remarques, sont conversation:
plus difficilement admises pour le serviteur HARPAGON: Je m’en vais, voilà qu’on m’appelle.
(position basse) que pour le maître (position Jusqu’à tantôt.
haute). (L’Avare, Acte II, Scène 5)
Dans cette scène, La Flèche subit deux
rappels à l’ordre d’Harpagon qui réagit face 3. Analyse de quelques actes de
à l’impertinence du serviteur, qu’il recadre langage tirés du théâtre de Molière
brutalement:
LA FLECHE: Pourquoi me chassez-vous? 3.1 La déclaration d’amour
HARPAGON: C’est bien à toi, pendard, La déclaration d’amour, d’autant plus
à me demander des raisons: sors vite, qu’elle est effectuée de manière directe, est
que je ne t’assomme. un acte de langage risqué qui met en danger
(L’Avare, Acte I, Scène 3) la face positive de l’émetteur (risque de refus
LA FLECHE: Hé! que nous importe que vous en
blessant), et la face négative du destinataire
ayez ou que vous n’en ayez pas [de l’argent],
si c’est pour nous la même chose? (intrusion dans son territoire, pouvant créer
HARPAGON: Tu fais le raisonneur. Je te baillerai une gêne, et obligeant à prendre position).
de ce raisonnement-ci par les oreilles. Voir (Kerbrat-Orecchioni, 1992, p. 172).
(Il lève la main pour lui donner un soufflet) Si Valère déclare à Elise sa flamme
(L’Avare, Acte I, Scène 3) directement dans l’Acte I, Scène 1, cette
Le théâtre comique regorge de dernière la juge excessive, douteuse et réagit
situations marquées par l’effronterie des à la menace en se montrant dubitative.
serviteurs qui produisent des actes de langage VALERE: (...) je vous aime trop pour cela,
non autorisés par leur position, n’hésitant pas et mon amour pour vous durera autant que ma vie.
à entrer en conflit avec leurs maîtres parfois (...)
amenés à les “remettre à leur place”. Plus la ELISE: Ah! Valère, chacun tient les mêmes
discours. Tous les hommes sont semblables
position dans l’échelle institutionnelle est
par les paroles...
basse, et plus les actes de langage commis
(L’Avare, Acte I, Scène 1)
tendent à être considérés comme menaçants.
L’insolence peut être définie comme: Dans les œuvres classiques, c’est un
“la production par le dominé institutionnel acte de langage qui est plus facilement admis
30 วารสารสมาคมครูภาษาฝรัง่ เศสแหงประเทศไทย ในพระราชูปถัมภฯ ฉบับที่ ๑๓๐ ปท่ี ๓๘ เลม ๒ (ก.ค.–ธ.ค. ๒๕๕๘)
pour les hommes que pour les femmes, CLEANTE: C’est un compliment que je fais pour
les filles ayant recours à des formulations vous à madame.
indirectes (le fameux: «je ne te hais point» (L’Avare, Acte III, Scène 7)
du Cid de Corneille, déclaration d’amour L’implicite peut donc permettre
litotisée). d’accomplir un acte de langage “sans en avoir
Une déclaration d’amour maladroite et l’air” et permet de résoudre le “conflit entre
non désirée, expose son auteur à une le désir de dire et la nécessité de ne pas dire”.
rebuffade (ici un acte non-verbal sous forme (Kerbrat-Orecchioni, 1994, p. 280)
de silence désapprobateur) qui se traduit 3.2 La requête
par une atteinte à sa face positive: Les locuteurs disposent d’une palette
très riche de formulations possibles pour une
HARPAGON: Ne vous offensez pas, ma belle,
si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos requête donnée; formulations indirectes non
appas frappent assez les yeux, sont assez visibles conventionnelles (...) mais aussi formulations
d’eux-mêmes, et qu’il n’est pas besoin de lunettes indirectes conventionnelles, dont le grand
pour les apercevoir; mais enfin c’est avec des nombre s’explique sans doute par le caractère
lunettes qu’on observe les astres, et je maintiens éminemment “menaçant” de cet acte de
et garantis que vous êtes un astre, mais un astre
le plus bel astre qui soit dans le pays des astres. langage... (Kerbrat-Orecchioni, 2008, p. 98)
Frosine, elle ne répond mot et ne témoigne, Catherine Kerbrat-Orecchioni définit
ce me semble, aucune joie de me voir. la requête comme un énoncé pour demander
(L’Avare, Acte III, Scène 5) à un interlocuteur d’accomplir un
Dans l’Acte III, Scène 7, Cléante acte quelconque (Kerbrat-Orecchioni, 2008,
accomplit une déclaration d’amour indirecte p. 96) La requête (dont l’ordre est une
sur le modèle du trope communicationnel sous-catégorie) est un acte “directif” (Voir
évoqué plus haut, où le locuteur réel (Cléante) catégories d’acte de langage plus haut)
se substitue à un locuteur apparent mettant en danger la face négative du
(Harpagon). Dans cette scène Cléante adresse destinataire (ses biens, l’objet de la requête),
des compliments à Marianne de la part de son voire également sa face positive dans le
père. La déclaration d’amour, non assumée, cas de l’ordre.
est faite sur le mode indirect afin d’éviter Les formulations directes effectuées au
de menacer la face négative (territoire) et moyen de performatifs (Voir ceux utilisés par
positive (autorité paternelle) d’Harpagon qui Harpagon: «je vous distribue mes ordres»,
a pour projet épouser Marianne. La menace Acte III, Scène 1) sont normalement à éviter
est cependant perçue par Harpagon qui dans la vie courante car considérées comme
décode le trope, et appelle son fils à la blessantes. Elles sont l’expression d’une
prudence. Cléante répond en essayant de position dominante (maître/serviteur, parents/
désarmer la menace et joue la mauvaise foi. enfants) et donc souvent produites dans une
pièce telle que L’Avare où les marqueurs de
CLEANTE: Hé bien! Puisque vous voulez que je
position et les conflits abondent.
parle d’autre façon, souffrez, madame, que je me
mette ici à la place de mon père, et que je vous Les requêtes sont par conséquent
avoue que je n’ai rien vu dans le monde de si souvent adoucies par des expressions
charmant que vous; que je ne conçois rien d’égal au indirectes («peux-tu fermer la porte?») et des
bonheur de vous plaire, et que le titre de votre outils adoucisseurs, amadoueurs, désarmeurs,
époux est une gloire, une félicité que je préférerais
formulations conventionnelles de politesses...
aux destinées des plus grands princes de la terre (...)
HARPAGON: Doucement, mon fils, s’il vous plaît. évoqués plus haut. On a vu qu’Harpagon pour
Bulletin de l’ATPF, No. 130, année 38 (juillet–décembre 2015) 31
formuler une demande d’argent au seigneur Dans l’Acte II, Scène 5, Frosine met en
Anselme, a recours à une énonciation œuvre sa stratégie de séduction et ouvre
indirecte, sous forme de sous-entendu, afin l’échange ainsi:
d’éviter le caractère désobligeant et FROSINE: Ah mon Dieu! Que vous vous portez
auto-menaçant pour sa face positive, que bien! et que vous avez là un vrai visage de santé!
comporterait une telle demande: (L’Avare, Acte II, Scène 5)

HARPAGON: Je n’ai point d’argent à donner Dans ses répliques, elle alterne FTA’s
à mes enfants. (demande d’argent) et FFA’s (compliments)
(L’Avare, Acte V, Scène 6) sans transitions afin de compenser les
La réaction à la requête est de trois premiers par les seconds.
types: acceptation, refus, dérobade. C’est à FROSINE: (...) Je suis ruinée si je perds; et quelque
la troisième, valant comme refus implicite, petite assistance me rétablirait mes affaires.
Je voudrais que vous eussiez vu le ravissement
que l’on a affaire dans la scène suivante: où elle était à m’entendre parler de vous. La joie
Dans l’Acte II, Scène 5, Frosine éclatait dans ses yeux, au récit de vos qualités;
formule une demande d’argent à Harpagon, et je l’ai mise enfin dans une impatience extrême
menaçant sa face négative (ses biens). La de voir ce mariage entièrement conclu.
menace d’une requête est d’autant plus grande (L’Avare, Acte II, Scène 5)
que la face négative de l’interlocuteur est très Cette stratégie échoue, la face négative
protégée (préservation maladive de l’argent (préservation de son argent) d’Harpagon
due à l’avarice). Pour l’amadouer, elle produit l’emportant sur la face positive. Il apparaît
toutes sortes de compliments (FFA’s), et insensible aux compliments lorsque son
utilise toute la panoplie d’adoucisseurs de argent est en jeu.
menace (Voir plus haut). Le compliment est un acte à risque
Pour faire échouer la requête menaçante, lorsqu’il met en danger la face d’un tiers; dans
Harpagon a recours à un clôtureur cette réplique, le compliment (indirect) de
conversationnel, privilège de sa position Cléante à Marianne atteint Harpagon:
haute (Voir plus haut, 2.2) CLEANTE: Il est vrai que mon père, madame,
3.3 Le compliment ne peut pas faire un plus beau choix...
HARPAGON: Voilà un compliment bien
Le compliment est un cadeau verbal, impertinent: quelle belle confession à lui faire!
c’est un acte flatteur destiné à valoriser la face (L’Avare, Acte III, Scène 7)
positive du destinataire (FFA). Par contre un
compliment excessif (flagornerie), relève Le compliment peut valoriser plusieurs
de la flatterie en vue d’obtenir des avantages faces à la fois, par exemple dans cette scène
en échange d’amabilités, trop poussé, il 1/ celle de Valère, l’intendant d’Harpagon, et
va apparaître suspect car intéressé, et indirectement 2/ celle du locuteur (Harpagon)
traduit une menace pour le territoire du qui se fait “un cadeau verbal”:
complimenté. HARPAGON: Ah! Le brave garçon! Voilà parlé
Frosine définit ainsi sa stratégie: comme un oracle. Heureux qui peut avoir un
domestique de la sorte!
FROSINE: Mon Dieu! je sais l’art de traire les (L’Avare, Acte I, Scène 5)
hommes, j’ai le secret de m’ouvrir leur tendresse,
de chatouiller leurs cœurs, de trouver les endroits 3.4 La question
par où ils sont sensibles. Catherine Kerbrat-Orecchioni définit
(L’Avare, Acte II, scène 4)
la question comme “tout énoncé qui se
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présente comme ayant pour finalité principale souci d’économie, tient à la fois le rôle du
d’obtenir de son destinataire un apport cuisinier et du cocher, répond à l’appel de son
d’information.” (Kerbrat-Orecchioni, 2008, maître:
p. 86) MAITRE JACQUES: Est-ce à votre cocher,
Nous avons vu en étudiant l’interrogation monsieur, ou bien à votre cuisinier, que vous
rhétorique, que la question peut valoir pour voulez parler? Car je suis l’un et l’autre.
une affirmation. À ce titre, elle constitue un (L’Avare, Acte III, Scène 1)
trope, puisque sa véritable valeur d’acte de Dans L’Avare, la plupart des questions
langage (affirmation) se substitue à une forme d’Harpagon sont revêtues d’une forte valeur
littérale interrogative. La question dite taxémique, menaçante, sont accompagnées
“rhétorique” n’appelle pas de véritable d’aggravateurs (insultes...) et reflètent
réponse (Kerbrat-Orecchioni, 2008, p. 96) un caractère autoritaire. Les questions
Les rappels à l’ordre d’Harpagon à son traduisent une pression constante sur
fils prennent la forme de questions valant les autres personnages, et empiètent en
assertions: permanence sur leur territoire.
HARPAGON: Ne suis-je pas ton père?
Et ne me dois-tu pas respect?
3.5 L’offre, la promesse
(L’Avare, Acte IV, Scène 3)
L’offre, la promesse sont des actes
menaçants pour la face négative (les biens)
De même une affirmation peut de l’émetteur. Dans le cas d’Harpagon qui
fonctionner comme une question. Harpagon offre un souper, compte tenu de la dépense
craint que ses pensées exprimées à haute qu’il suppose et l’avarice du personnage, cet
voix n’aient été surprises par ses enfants: acte de langage se révèle auto-menaçant (auto
HARPAGON: Vous avez entendu... FTA). Dans cette scène, la menace se réalise,
CLEANTE: Quoi mon père? l’offre de souper débouchant sur une demande
HARPAGON: Ce que je viens de dire. d’argent:
(L’Avare, Acte I, Scène 4)
HARPAGON: Je me suis engagé, maître
La question peut revêtir deux aspects: Jacques, à donner ce soir un souper.
c’est un acte directif qui impose au MAITRE JACQUES: Grande merveille!
destinataire de répondre, atteint son territoire HARPAGON: Dis-moi un peu, nous feras-tu
bonne chère?
(“ses réserves informationnelles” selon MAITRE JACQUES: Oui si vous me donnez
Catherine Kerbrat-Orecchioni), et reflète bien de l’argent.
une position dominante (Voir interrogatoire HARPAGON: Que diable, toujours de l’argent!
mené par Le Commissaire, Acte V). (L’Avare, Acte III, Scène 1)
Sans cette condition de réussite liée à L’offre peut revêtir deux aspects: c’est
la relation interpersonnelle (Ex: maître/ un cadeau qui valorise à la fois la face positive
serviteur), l’auteur de la question peut être du destinataire (son amour propre) et sa face
rappelé à l’ordre (Voir plus haut: Harpagon négative (en apportant un bien). Dans la scène
avec La Flèche). finale, Le Seigneur Anselme offre de faire
Par contre la question posée pour une les frais des mariages, à la satisfaction
demande d’information, une sollicitation d’Harpagon:
dépendant du savoir et du pouvoir du
HARPAGON: Vous obligerez-vous à faire tous
questionné, place dans une position basse.
les frais de ces deux mariages?
Maître Jacques, serviteur d’Harpagon, qui par ANSELME: Oui, je m’y oblige, êtes-vous satisfait?
Bulletin de l’ATPF, No. 130, année 38 (juillet–décembre 2015) 33
HARPAGON: Oui, pourvu que pour les noces et le roman en particulier, qui nous offre non
vous me fassiez faire un habit. seulement des échantillons de dialogues, mais
ANSELME: D’accord. Allons jouir de l’allégresse
que ces heureux jours nous présente.
aussi des analyses de ces dialogues.
(L’Avare, Acte V, Scène 6)
(Kerbrat-Orecchioni, 2008, p. 160)
2/D’autre part, l’analyse interactionniste
La formule est solennelle et prend la peut contribuer à éclairer le fonctionnement
forme d’un performatif juridique: “je m’y des dialogues théâtraux où les enjeux
oblige”. Son offre valorise la face négative pragmatiques sont de première importance,
d’Harpagon (son territoire financier), en tant en mettant à disposition du lecteur une
que cadeau. En revanche, cette offre est “boîte à outils” pour décrire l’action littéraire.
menaçante car 1/ elle porte atteinte à la fierté Elle peut expliquer les effets cognitifs et
d’Harpagon (il paye à sa place) et 2/ elle émotionnels sur les lecteurs.
constitue un acte directif car elle attend en Partant d’une analyse de corpus
contrepartie la soumission d’Harpagon à un littéraire, on peut faire également appel aux
plan préparé collectivement par tous les théories pragmatiques pour rendre compte de
personnages de la pièce. l’utilisation d’une langue, et formuler des
outils didactiques destinés aux apprenants,
Conclusion: La pragmatique basés sur les actes de langage principaux:
linguistique outil universel la plupart des manuels admettent la
nécessité d’un nouveau type de découpage
d’analyse des productions
de la matière à enseigner, et s’organisent
orales et écrites. dorénavant autour d’unités dites “actes
La théorie des actes de langage peut de langage”, “actes de paroles”, “actes
rendre service à l’analyse littéraire en de communication”, “savoir-faire”, ou
permettant de décortiquer les enchaînements “fonctions langagières”... tels que: se
et les ressorts des échanges. Elle permet présenter, saluer et prendre congé, demander/
à la fois de comprendre et décrire les donner des renseignements, exprimer un
comportements langagiers dans le cadre des désir ou un besoin, accepter et refuser, donner
conversations courantes (à laquelle elle était un ordre, faire une offre, souhaiter quelque
destinée en premier lieu) et également, dans chose à quelqu’un, inviter et répondre à une
le discours fictionnel, à l’initiative de certains invitation, s’excuser et exprimer des regrets
auteurs qui ont construit une véritable théorie etc... (Kerbrat-Orecchioni, 2008, p. 161)
de la communication littéraire. Enseigner une langue, c’est enseigner
L’intérêt est double: le fonctionnement des actes de langage.
1/L’œuvre littéraire riche en actes de La théorie des actes de langage constitue
langage et en confrontation de faces comme un instrument très utile pour une analyse
L’Avare de Molière, constitue un corpus comparée des actes de langage tels que:
inépuisable de comportements langagiers salutation, requête, excuse, remerciement,
en action, permettant d’illustrer la théorie analyse qui fait appel à la théorie des faces
pragmatique, elle fonctionne comme une pour expliquer le fonctionnement de la
loupe grossissante des comportements politesse dans chaque pays: car les activités
“naturels”: C’est pourquoi nous avons puisé de “ménagement des faces” ne sont pas
sans vergogne dans ce fabuleux trésor que identiques d’un système linguistique et
constituent les œuvres littéraires en général, culturel à l’autre. De même la façon dont
34 วารสารสมาคมครูภาษาฝรัง่ เศสแหงประเทศไทย ในพระราชูปถัมภฯ ฉบับที่ ๑๓๐ ปท่ี ๓๘ เลม ๒ (ก.ค.–ธ.ค. ๒๕๕๘)
l’implicite est décodé mérite également une décodage des faits linguistiques nationaux,
étude comparée. La linguistique pragmatique précieuse pour les apprenants.
fournit donc un outil d’enseignement et de

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