Vous êtes sur la page 1sur 9

Pierre Swiggers

Iconicité : un coup d'œil historiographique et méthodologique


In: Faits de langues n°1, Mars 1993 pp. 21-28.

Citer ce document / Cite this document :

Swiggers Pierre. Iconicité : un coup d'œil historiographique et méthodologique . In: Faits de langues n°1, Mars 1993 pp. 21-28.

doi : 10.3406/flang.1993.1031

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/flang_1244-5460_1993_num_1_1_1031
Iconicité :

un coup d'œil historiographique

et méthodologique

PIERRE SWIGGERS*

« Cette manière de voir s'épanouit dans la


plus radicale de toutes les doctrines que nous
avons mentionnées, qui est celle des philosophes
se disant disciples d'Heraclite, et telle que l'a
soutenue Cratyle ; ce dernier en venait final
ement à penser qu'il ne faut rien dire, et il se
contentait de remuer le doigt » (Aristote, Métap
hysique, 1010a).

Les remarques qui suivent ont une portée restreinte : elles ne concernent
que quelques jalons dans l'histoire de la pensée linguistique (1), choisis ici
pour dégager l'enjeu, l'exploitation ou l'éclipsé du principe de l'iconicité,
dont on voudrait surtout thématiser le statut méthodologique (2). L'atten
tion se portera presque exclusivement vers l'iconicité — la notion de « moti
vation » étant encore moins définie — et sur l'arrière-fond d'une référence aux
langues naturelles, et non à d'autres systèmes sémiotiques.
1. Dans l'histoire de la réflexion sur le langage, l'iconicité apparaît
comme support explicatif sous deux conditions :
1) la mise à l'écart d'une réflexion sur les structures grammaticales au profit
d'une interrogation sur le sens profond de signes lexicaux ou de phéno-

* fnrs belge. Je tiens à dédier ce travail à M. André Coupez (Musée royal de l'Afrique centrale, Tervu-
ren), qui non seulement m'a fourni des documents indispensables sur les idéophones dans les langues ban-
toues, mais dont le texte pénétrant sur « densité » et « clarté » dans le langage (Coupez, 1989) m'a fait réflé
chir au problème du rapport entre riconicité de la langue et les propriétés générales du langage.
Faits de langues, 1/1993
22 Pierre Swiggers

mènes dénonciation : quand la « langue » cède la place à la « parole »,


l'iconicité peut revendiquer ses droits ;
2) l'insertion de cette réflexion dans une phénoménologie de Y expérience.

1.1. Dans le Cratyle de Platon, le thème de l'iconicité est rapporté à la


«justesse des noms » : il s'agit d'une thèse générale sur le langage, impliquant
l'indistinction des catégories grammaticales (à ce niveau-là). La thèse pose,
sans le résoudre, le problème des différences « matérielles » entre les langues
naturelles1 : si justesse il y a et qu'elle se fonde sur un rapport d'iconicité entre
le signans et le signatum, la conclusion qui s'impose est que l'iconicité se pré
sente comme une expérience culturellement (et linguistiquement) diversifiée...
On sait que, finalement, l'argumentation de Socrate — rejetant le nomina-
lisme conventionnel d'Hermogène (au nom d'un argument général d'effica
cité linguistique : les « législateurs » des langues seraient guidés par le souci de
créer des instruments « requis par chaque objet », Cratyle, 3896-390a) —
passe d'une téléologie communicative à un mimétisme articulatoire de l'e
ssence des choses. Les exercices étymologiques de Socrate ne sont rien d'autre
que des tentatives de récupérer un sens profond par l'établissement ď associa
tions entre les mouvements organiques et la mobilité réelle :
Revenons à la lettre r. Je le répète, c'est un instrument fort propre à rendre le
mouvement que l'auteur des noms a cru y trouver pour leur faire reproduire la
mobilité. En tout cas, il s'en est maintes fois servi pour la rendre : d'abord, dans
le mot même de petv (couler) et dans celui de poíj (courant), c'est au moyen de
cette lettre qu'il imite la mobilité ; ensuite dans тро[лос (tremblement), puis dans
xpa^uç (raboteux) ; en outre, dans des verbes tels que xpoúeiv (heurter), 6paúetv
(broyer), èpeixetv (déchirer), 0pU7rmv (briser), xspfxaTÉÇeiv (déchiqueter), púfz(3eiv
(faire tournoyer). Tous ces mots-là, en général, il les rend expressifs au moyen
du r : il voyait, je suppose, que c'est sur cette lettre que la langue s'arrête le
moins et vibre le plus {Cratyle, 423e, A26d-e).

On relèvera que Г « explication » — dont Socrate reconnaît la fragilité


(l'examen n'étant ni exhaustif, ni, à cause de l'appel aux associations, rigou
reusement contrôlable) — ne concerne en fin de compte que des éléments
(cToixeioL) des noms : strictement parlant, l'iconicité n'est donc que (très)
partielle. De plus, la thèse entière repose sur un optimisme gnoséologique :
si, par contre, on souscrit au scepticisme, on conclura que le cratylisme
n'est qu'une fantasmagorie greffée sur l'illusion d'une connaissance du
monde.

1. Cf. Cratyle, 383a. Sur les perspectives ouvertes par le Cratyle, voir De Pater, Van Langendonck
(1989).
Coup d'œil historiographique 23

1.2. L'iconicité voit son rôle réduit dès qu'un cadre de grammaticalisa-
tion est instauré, c'est-à-dire dès qu'on est reporté de la parole à la langue.
On peut mesurer sur ce point la distance qui sépare le Cratyle de la ré
flexion d'Aristote : posant une nette distinction entre matière et forme, Aris-
tote voit dans la langue un moyen de représentation symbolique {De l'inte
rprétation, 16a). '
Cette vue instrumentaliste du langage apparaît d'emblée dans les Caté
gories : Aristote y pose le problème de l'homonymie et de la synonymie,
deux problèmes incontournables pour toute forme de cratylisme, et celui de
la paronymie, manifestation de la grammaticalisation inhérente à chaque
langue. D'où l'affirmation : « Entre noms et choses il n'y a pas ressem
blance complète » {Réfutations sophistiques, 165л). Il s'agit en effet de deux
ordres — celui de l'être et celui du dire — qui sont par nature différents
(d'où d'ailleurs la possibilité même de la symbolisation langagière).

1.3. L'enseignement d'Aristote, peaufiné du point de vue grammatical


par les stoïciens et par les grammairiens alexandrins, se conservera, à tra
vers le Moyen Age, jusqu'à l'époque moderne. Certes, il y aura des retom
bées« iconicistes », particulièrement en etymologie, mais en même temps il
y aura un renforcement de la thèse conventionnaliste. Renforcement en ce
sens que l'arbitraire des signes sera vu comme la condition de base de leur
emploi rationnel et transparent. Ainsi, pour les auteurs de Port-Royal, l'ar
bitraire du signe linguistique est un principe axiomatique :

La troisième division des signes est, qu'il y en a de naturels qui ne dépendent pas
de la phantaisie des hommes (...) ; & qu'il y en a d'autres qui ne sont que d'ins
titution & d'établissement (...). Ainsi les mots sont signes d'institution des pens
ées, & les caractères des mots {Logique, 1662, 1, IV).

La transparence du langage réside dans l'emploi, en pleine conscience,


de la totalité des signes linguistiques, arbitraires au niveau de leur consti
tution : un système sémiotique entier est utilisé, intentionnellement,
comme champ référentiel. Cette vue, qui fait du locuteur l'analyste de sa
propre pensée, permet de comprendre pourquoi les port-royalistes ne se
posent pas la question du bien-fondé de la grammaire générale : comme le
système des signes linguistiques a été constitué en fonction de l'expression
des pensées et qu'il est utilisé intentionnellement dans cette fonction-là, il
est évident qu'on ne saurait avoir des doutes sur la conformité des
segmentations respectives. La dimension cognitive du signe est analysée
en fonction des conditions qui limitent le champ interprétatif : conditions
de détermination sémantique, de clarté et de sincérité, de l'emploi d'un
langage ordinaire et non contradictoire, et d'information complète. L'en-
24 Pierre Swiggers

semble de ces conditions confirme la nature fondamentale de l'instrument


de communication : sa rationalité. Le langage humain est un ensemble de
signes non naturels (ou arbitraires), mais sa constitution à l'intérieur
d'une communauté implique une analyse rationnelle de la réalité, qui est
réactualisée dans l'emploi de signes : le signe est perçu comme signe
quand l'idée du signe excite l'idée de ce qu'il représente.

1.4. La visée « de la langue » a trouvé sa systématisation la plus rigou


reuse chez Saussure (1916 ; éd. critique 1968-1974 ; abréviation : CLG). On
sait que Saussure pose comme principe que le signe linguistique est arbitraire
{CLG, 1, 1, § 1). Cet arbitraire n'est limité (« arbitraire relatif») que par un
facteur de construction (cf. la série des numéraux construits, mots composés,
dérivations) — il s'agit alors de signes complexes — et par des cas de motivat
ion onomatopéique (on pourrait, à la rigueur, considérer ces derniers comme
des intrusions, dans la langue, de faits de parole). On sait que la notion d'arbi
trairechez Saussure pose plusieurs problèmes d'interprétation, illustrés d'ail
leurs par une réception nullement unanime1. Rudolf Engler distingue trois
types d'arbitraire : l'arbitraire sémiologique, qui est l'arbitraire du signifiant
(cf. CLG, 1, 1, § 1), l'arbitraire de la langue, qui est l'arbitraire du lien entre le
signifiant et le signifié (CLG, 2, IV) et l'arbitraire d'une langue, qui est l'arbi
traire du signifiant impliquant celui du lien (CLG, 2, VI). A cet égard, il
convient de noter que la notion d'arbitraire se trouve enchâssée dans diffé
rents réseaux notionnels, et qu'on aurait intérêt à distinguer :

a) l'arbitraire du rapport non motivé entre signans et signatum ; ici, « arbi


traire » s'oppose à « motivé par nature » ;
b) l'arbitraire du signe linguistique, dont la forme conventionnelle est utili
sée par une communauté linguistique qui transmet son fonds linguis
tiqued'une génération à l'autre. Cet arbitraire (conçu comme conven-
tionnalité) devient évident dès qu'on compare différentes langues entre
elles et dès qu'on considère l'histoire des langues. Dans cette optique,
« arbitraire » s'oppose à « universellement et panchroniquement iden
tique » ;
c) l'arbitraire du rapport qui existe entre le signifiant et le signifié
(CLG, 1, 1, § 2 ; D, 210 : « Le lien unissant le signifiant au signifié est
radicalement arbitraire » ; III, C, 280 : « Le lien qui relie une image
acoustique donnée avec un concept déterminé et qui lui confère sa va
leur de signe est un lien radicalement arbitraire »). Ce qui est en jeu ici,
c'est le lien entre deux domaines, sonore et mental. Ces deux domaines

1. Voir à ce sujet la fine analyse d'Engler (1962) et l'aperçu bibliographique de Koerner (1972).
Coup d'œil historiographique 25

sont organisés comme des systèmes de valeurs et la relativité de ces va


leurs entraîne non seulement l'arbitrante des deux ordres pris séparé
ment, mais également de leur relation différentielle.

1 . 5. Il importe de faire ces distinctions, car on voit que finalement l'iconi-


cité dont parlent Peirce' et Jakobson (1965 ; cf. Jakobson, Waugh, 1979)
n'entame que lepremier réseau notionnel d'arbitraire, et encore de façon part
ielle. En effet, d'une part, ces thèses sur l'iconicité confondent motivation de
renonciation2 (ou de symbolisation, au sens le plus général) et konicitě de la
langue (ou d'un système sémiotique) ; d'autre part, sous la modalité diagram-
matique, l'iconicité n'est pas incompatible avec la thèse de l'arbitraire. On
pourra schématiser l'enjeu de la façon suivante (voir tableau page 24).
2. L'exposé historique, pour sommaire qu'il soit, permet de poser quel
ques problèmes de méthodologie. Il ne s'agira pas ici d'un plaidoyer pour
l'iconicité, ni d'une réfutation : il importe avant tout, dans un champ où
règne (à notre avis) tant d'imprécision terminologique, d'apporter quelques
éclaircissements méthodologiques. L'argumentation empirique — la pierre
de touche décisive — n'a de consistance que si elle s'appuie sur un cadre de
référence méthodologique.
On notera tout d'abord qu'avant de parler d'iconicité il convient de ré
fléchir à ce qu'est le langage, par nature : un instrument de symbolisation
qui permet de parler, avec une assez grande précision (mais, si on le veut,
aussi avec toute l'imprécision voulue)3, de la réalité. Le langage est donc
« adapté à l'environnement » : il permet des discours « pertinents », parce
qu'il a des repères qui correspondent à « quelque chose » dans la réalité
(configurations spatiales ; aboutissement ou non-aboutissement de cer
taines actions ; pluralité ou singularité d'objets ; caractère discret ou massif
des choses, etc.). Les catégories grammaticales des langues sont bien sûr dif
férentes4, mais elles sont là pour permettre une articulation (plus ou moins)
adéquate de la réalité, et non pour l'empêcher ; c'est que le langage sert, en
principe, à la communication. Je ne vois donc pas d'iconicité dans le fait
qu'une langue x dit « le livre est sur la table », quand le livre se trouve en
effet sur la table ; dire que cette phrase « peint la réalité » n'apporte rien, à
mon avis, à la compréhension de sa structure linguistique.

1. Les vues de Peirce (193 1-1958 ; voir surtout vol. II) sont bien plus riches (et nuancées) que ne le sug
gère cet exposé forcément réducteur (où compte l'opposition avec Saussure) ; je m'en tiens ici à l'essence de
l'exploitation linguistique qui en a été faite. Sur l'iconicité comme propriété sémiotique, voir le recueil Iconi-
city (1986) ; pour les diverses applications de thèses iconicistes en linguistique, voir Haiman (1980, 1983,
1985, éd. 1985), Mayerthaler (1980), Posner (1980) et Ross (1980).
2. Dans son ordre linéaire, dans sa macrostructure, dans le choix de lexemes particuliers.
3. Cf. le cas du genre poétique ibisïgo en rwandais, signalé par Coupez (1989).
4. On se reportera toujours à l'exposé très clair de Sapir (1921, chap. IV et V).
26 Pierre Swiggers

ICONICITÉ DE LA LANGUE NoN-ICONICITÉ DE LA LANGUE


Imagic iconicity <-> Arbitraire du signe (simple)
(rapport signans-signatum)
Types :

a) onomatopées ;
b) structures réduplicatives, extensives.

ICONICITÉ DANS L'EMPLOI DE LA LANGUE


Diagrammatic iconicity Cf. motivation des signes complexes
(« icône atténuée ») (arbitraire relatif)
Types :
a) distance/proximité conceptuelle (') ;
b) symétrie ;
c) marquages inattendus (2) ;
d) jeux phoniques complexes.
(') Cf. les phénomènes de coordination reduction ou de discours direct ví indirect.
О L'idée de base est qu'une forme marquée correspond à une signification marquée. Les marquages
inattendus sont toutefois un argument à double tranchant, car d'une part on voit mal pourquoi l'iconicité
servirait à la fonction marquée, et d'autre part on risque de commettre des raisonnements circulaires. Ainsi,
en hua, le transitif serait marqué par rapport à la voix moyenne, alors qu'en indo-européen ce serait le
moyen qui aura la forme marquée : ehi-e « il/elle s'est levé(e) » ; ehi-na te-e « il/elle l'a levé(e) » (avec
l'auxiliaire 3° pers. sing, te-e « mettre »).

Cela nous mène au second point : quand on parle d'iconicité, il


vaudrait mieux la limiter à la relation entre signes et structures linguisti
ques d'une part, et états de choses d'autre part ; comment prouver (ou
mieux : comment ne pas prouver) une relation entre le langage et la
conceptualisation ? (c'est un champ de circularité). En faits de langage, il
serait bon de restreindre le concept d'iconicité aux cas où des signes/struc
tures linguistiques ont un rapport ontique, qu'ils reflètent. Dans tous les
autres cas, on pourra se servir peut-être du terme de « motivation », mais
je vois mal alors ce qui constituerait la classe complémentaire (le non-
motivé).
On en vient ainsi à discuter le niveau d'incidence de l'iconicité. Ce n
iveau ne peut être celui du rapport entre la langue, comme système idéal,
et les actes de parole (ce qu'on appelle parfois Ъ-parolê) ; à ce niveau-là, il
y a toujours rapport iconique : le signe-de-la-langue « livre » en français
est lié par un rapport d'iconicité à toutes les réalisations-en-parole indi-
Coup d'œil historiographique 27

viduelles (comportant des variantes, par ex. [livre], [livr], [liv], etc.)1- Le
niveau d'incidence ne peut pas non plus être celui d'une correspondance
générale et variable (!) entre les structures linguistiques et des propriétés
d'objets : que les langues permettent d'exprimer des différences de forme,
des oppositions de chronologie, différentes dimensions, l'occupation de
l'espace, etc., cela n'est pas encore une preuve d'iconicité.
A cet égard, il n'est sans doute pas inutile de rétrécir la théorie de l'ico-
nicité en fonction d'un rappel de certaines propriétés du langage :
a) le langage a un rapport avec une réalité de fondation discursive : cela ex
plique la présence d'onomatopées (partielle)2 et d'homomorphies
(par ex. pour la catégorie du nombrable) ; à ce niveau-ci, le langage sert
surtout à symboliser des classes d'objets ;
b) le langage a un rapport avec une réalité de référence discursive ; cela ex
plique l'existence d'une topologie linguistique : cf. pronoms et (autres)
déictiques (subsumant des phénomènes de scalarisation et de hiérar
chie). L'expression du second type de rapport peut parfois entrer en
conflit avec celle du premier type de rapport (cf. le pluriel de majesté),
ou en tout cas l'excéder (phénomènes d'emphase ; pronoms à fonction
« éthique », etc.). Au niveau b), le langage symbolise surtout des types
de rôles ;
c) le langage manifeste des rapports de structuration (ce qui constitue son
économie) : ces rapports sont ceux par exemple de partie/ tout (cf. diff
érents phénomènes de dérivation), de linéarité (le langage peut exprimer,
mais non « mimer » la simultanéité qui existe dans la réalité), de projection
(transferts de catégorie : par ex. noms -» prépositions ; verbes -♦ prépos
itions, comme en chinois ; transferts de sèmes/classèmes : cf. les compos
és du type cheval-vapeur, chauve-souris, texte-cochon).

Cela étant donné, on pourrait utilement distinguer entre iconicité de la


langue et représentation homomorphique dans le discours, tout en faisant
chaque fois la part congrue :
— aux contraintes morphologiques et syntaxiques (syntactiques) de la
langue ;
— aux phénomènes de variation (relativement libre) dans la langue.

1. Comme le langage est une métaphore (= transposition), tout item linguistique est une icône de sa
classe ; toute réalisation d'un item est une icône de l'item (en tant que classe-singleton).
2 Si l'on veut tenir compte de leur degré de grammaticalisation. Un bon exemple en est fourni par les
idéophones dans les langues bantoues (et Niger-Congo) : ils constituent un phénomène typique du langage
expressif, et empiètent surtout sur le terrain des verbes et des adverbes ; ils dépassent le niveau de l'onoma
topée (à la fois par leur origine et par leur exploitation stylistique), et constituent du point de vue phonolo
gique (et morphosyntaxique) un sous-système de la langue. Cf. Fortune (1962) et Fivaz (1963).
28 Pierre Swiggers

Le terme ďiconicité pourra s'utiliser alors par rapport à des :


— segments : ceux-ci peuvent être doublement iconiques, par une imitation
d'un donné extralinguistique (cf. onomatopée) ou par la reprise « délo-
cutive » d'un fragment linguistique (iconicité de reprise) ; les deux phé
nomènes coexistent (et peuvent se combiner, en théorie) en onomast
ique1 ;
— structures : il peut s'agir ici de phénomènes de marquage morpholog
ique (cf. la réduplication marquant une intensité plus grande2, une
multiplication, une répétition, etc.) ou de phénomènes d'ordre. A ce
dernier niveau, on pourrait peut-être distinguer entre ordre global (qui
concerne l'insertion syntagmatique d'éléments représentant différents
paradigmes ; cf. l'ordre sov ou svo) et ordre respectif (qui concerne l'i
nsertion syntagmatique d'éléments appartenant à un même paradigme :
cf. cette belle petite maison rustique). La difficulté ici est d'établir un
cadre de référence pour distinguer l'iconicité de la non-iconicitê (accep
table) ;
— relations entre segments et structures : on peut penser ici à la combinai
son entre séries ouvertes (lexemes) et fermées (affixes), par exemple la
pluralisation (l'extension affixale étant vue comme mimétique), ou à la
projection de segments sur des structures (de composition), comme
dans les noms de plantes composés avec pied : pied- de- loup, pied- d'oi
seau, pied-de-veau.
3. En conclusion — si conclusion il peut y avoir sur ce point — on se
donnera pour principe que pour parler d'iconicitê il faudrait pouvoir l'op
poser, de façon significative, à une non-iconicité (dans le même champ) : or,
sur ce point, il me semble qu'on ne peut pas soutenir l'équivalence entre
iconicité/non-iconicité et (expression) direct(e)/indirect(e). Ce serait ouvrir
le domaine à une intrusion incontrôlable de phénomènes « iconiques ». Le
constat final pourrait être que le rasoir d'Occam laisse peu de poil à la
barbe de l'iconicité diagrammatique.

1. Cf. Chambon (1986) et Swiggers (1989).


2. Cf. la « conjugaison » à redoublement de la consonne intermédiaire dans les racines verbales sémiti-
ques ;: ou des cas comme chinois ta gao-gao
eao-sao de « il est très grand
srand ».

Vous aimerez peut-être aussi